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Les indiens mapuches dans les médias au Chili : du mythe du barbare à  l'activisme identitaire transnational

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par Erika Antoine
Institut d'Etudes Politiques d'Aix-en-Provence - Diplôme en Sciences Politiques spécialisé en Information & Communication 2006
  

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UNIVERSITE PAUL CEZANNE - AIX-MARSEILLE III

INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES

MEMOIRE

pour l'obtention du Diplôme

Les indiens mapuches dans les médias au Chili :

Du mythe du barbare à l'activisme identitaire transnational

Par Melle. Erika Antoine

Mémoire réalisé sous la direction de
M. Guy Drouot

L'IEP n'entend donner aucune approbation ou improbation aux opinions émises dans ce mémoire. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

Mots-clés :

Chili, indigènes, Mapuches, identité, médias, racisme, information, communication, mythe, discours

Résumé :

Au Chili, les grandes entreprises de presse oeuvrent depuis plus d'un siècle et demi à la stigmatisation raciale de la minorité mapuche. Le mythe ancien de l'indigène barbare laisse progressivement place à la peur d'un Autre terroriste. Si les médias traditionnels ont contribué à façonner l'opinion xénophobe et ethno-centrée de la société, ils offrent, simultanément, de nouvelles perspectives pour les minorités ethniques. Aujourd'hui, grâce à l'évolution des technologies de l'information et de la communication, un espace de liberté s'ouvre pour les revendications identitaires de la communauté mapuche.

4

SOMMAIRE

INTRODUCTION 6

PREMIERE PARTIE

La construction de l'identité indigène : le barbare indomptable 18
CHAPITRE 1-

Une idéologie unificatrice et réductrice : la création de mythes 19
CHAPITRE 2-

« L'humanité contre la bestialité » : le manichéisme médiatique 33

DEUXIEME PARTIE

L'« autre » dans les organes d'information : la légende renouvelée 50
CHAPITRE 1-

Le pouvoir symbolique des moyens de communication 51
CHAPITRE 2-

La presse traditionnelle, créatrice de représentations sociales 69

TROISIEME PARTIE

Les médias modernes : outils inespérés de la réappropriation identitaire 91
CHAPITRE 1-

Communications transnationales au service des revendications 92
régionales

CHAPITRE 2-

Une nouvelle visibilité sur la scène politique internationale 113

CONCLUSION 121

ANNEXES 123

BIBLIOGRAPHIE 125

TABLE DES MATIERES 130

Page 5

« J'ai voulu que chacun de mes poèmes devienne un outil de travail f...] nous avons hérité la vie déchirée des peuples qui traînent un châtiment des siècles f...] qui ont été ravagés et réduits au silence par les époques terribles du colonialisme encore présent ».

Pablo Neruda, discours de réception du Prix Nobel de littérature en 1971.

Page 6

Introduction

La résurgence ethnique est au centre des débats du monde politique et intellectuel assure Gilda Waldman dans Etat, Législation et Résurgence indigène Mapuche au Chili1. Si cette donnée a toujours existé depuis l'apparition des Etats-nations modernes, une nouvelle phase semble se dessiner depuis la chute du mur de Berlin. De nos jours, le protagonismo2 indigène est devenu l'un des phénomènes les plus importants dans le monde et représente le principal évènement politique du continent latino-américain. Cette dynamique s'explique par l'interaction des facteurs suivants : l'échec des politiques indigènes adoptées officiellement dans les années 1940 visant à incorporer les indigènes à la culture et au développement de la nation, l'impact de la théologie de la libération et enfin la transformation du rôle de l'Etat dans un contexte de mondialisation sans cesse croissante.

A l'occasion de la commémoration du cinquième centenaire de la découverte de l'Amérique, les universitaires Gonzalez Casanova et Marcos Roitman3 ont mesuré l'existence de la réprobation morale de la conquête et de la colonisation des territoires américains. Dès les années 1960, des mouvements indigènes se sont notamment organisés en Colombie, au Guatemala, en Bolivie, en Equateur ou au Chili sans liens avec les partis politiques ou le système étatique. L'identité collective s'est alors progressivement construite dans le cadre d'un mouvement organisé visant à lutter contre la discrimination, pour la reconnaissance et l'autonomie des peuples indigènes.

Les indiens Mapuches du Chili obtiennent une visibilité dans l'espace public grâce aux diverses manifestations pacifiques organisées. Mais, plus encore, et nous pourrions le regretter, les engagements physiques et violents pour récupérer les terres ancestrales, les affrontements avec les entreprises d'hydro-électriques ou forestières occupent le devant de la scène médiatique. Au-delà du phénomène d'accusation mis en oeuvre par les médias -et nous y reviendrons abondamment- ces multiples évènements traduisent bien la

1 WALDMAN Gilda, Estado, Legislación, Resurgimiento indígena Mapuche en Chile Cuadernos Americanos-Nueva Epoca, 2001, pp.172-187.

2 Protagonismo signifie ici l'implication directe des peuples indigènes dans les revendications identitaires, tant sur la scène nationale face aux pouvoirs politiques établis qu'au niveau international, notamment grâce aux multiples ONG qui militent pour la reconnaissance des droits des peuples indigènes.

3 GONZALEZ CASANOVA Pablo et ROITMAN Marcos, La Democracia en América Latina : actualidad y perspectivas, Madrid, Editions de l'Université Complutense, 1992.

Page 7

volonté des peuples autochtones d'affirmer une identité indépendante de l'identité nationale chilienne.

En effet, les moyens de communication nationaux, aux mains des élites, ont été et restent encore un vecteur de diffusion de l'image du Mapuche dans l'imaginaire collectif, l'objet d'une création symbolique qui témoigne du pouvoir que les publicateurs de l'information exercent sur la société chilienne. Depuis la fin des années 1990, mais plus encore avec l'entrée de l'humanité dans le XXIe siècle, l'information a connu une révolution sans précédent : rapidité, universalité, instantanéité. Il est légitime de se demander à quel point ces récents bouleversements affectent la communauté mapuche au Chili mais aussi à l'étranger. Ce phénomène a-t-il ouvert de nouveaux espaces d'expression favorisant un pluralisme jusque là ignoré ou bien a-t-il accentué la tendance actuelle de détournement de l'information par les grands groupes de presse chiliens ?

L'identité indigène dans les discours d'intellectuels continue à se construire par l'usage d'une dichotomie sémantique qui pose les fondements d'une relation d'exclusion où l'indigène est «l'autre». Selon Enrique Luengo4 l'appropriation de «l'autre» dans le discours intellectuel a conduit à la négation des spécificités des indigènes face aux différentes cultures nationales d'Amérique Latine. Il existe donc un discours généralisant au service du logos occidental qui devient, grâce aux grands moyens de communication, un outil de discrimination et de fabrication d'un réel altéré et dénaturé, ce que démontre un exemple récent.

En octobre 2006, le milliardaire américain Bill Gates a annoncé sa volonté de lancer le système d'exploitation Windows en langue mapudungun, la langue des Mapuches parlée par environ 400 000 personnes. La société Microsoft propose « d'ouvrir une fenêtre pour que le reste du monde puisse accéder aux richesses culturelles du peuple indigène ». La réaction des leaders mapuches, les lonkos, n'a pas tardé. A travers une lettre accusant l'entreprise américaine de «piratage intellectuel» les représentants mapuches ont porté plainte pour viol de leur héritage culturel. Ils ont également fait part de leur mécontentement suite à la création par le gouvernement chilien -sans leur consultation

4 LUENGO Enrique, La Otredad indígena en los discursos sobre la identidad latinoamericana, Cuadernos Americanos, Editions Anales, Université de Göteborg Institut Ibéro-Américain, 1998.

Page 8

préalable- d'une commission d'étude sur la question. Lorsque mondialisation et revendications identitaires s'affrontent dans les hautes sphères internationales, la question de l'autonomie d'un peuple revêt un faisceau d'enjeux qui dépasse le simple cadre régional initial.

En juillet 2003, le Rapporteur spécial des Nations Unies, Rodolfo Stavenhagen, a rendu une visite officielle au gouvernement chilien sur la demande des organisations des peuples indigènes. Le Rapport Stavenhagen, publié officiellement en avril 2004 devant la Commission des Nations Unies, décrit la situation dramatique dans laquelle vit notamment la communauté mapuche :

« [...] née principalement de diverses formes d'oppression, d'exploitation et de spoliation de leurs terres et de leurs ressources naturelles qui remontent au XVIe siècle et se poursuivent jusqu'à nos jours. Les problèmes actuels des peuples indigènes ne peuvent se comprendre sans se référer à l'histoire de leurs relations avec la société chilienne. [...] Sous aucune circonstance, les activités légitimes de protestation ou les demandes sociales des organisations et des communautés indigènes ne devront être criminalisées ou pénalisées »5.

Afin de saisir les enjeux politico-culturels des relations entre la communauté indigène mapuche et l'Etat chilien et le rôle des médias, il convient d'expliquer plus en détails les spécificités de ce peuple. La communauté des Mapuches, littéralement peuple (che) de la terre (mapu), se partage aujourd'hui sur les territoires de Patagonie, dans la corne sud de l'Amérique Latine, à cheval sur le Chili et l'Argentine. Cette étude propose de limiter le champ d'investigation aux Mapuches qui résident dans l'actuel territoire chilien, c'est-à-dire à l'intérieur des frontières en vigueur au XXIe siècle.

Actuellement, le peuple se divise en différentes sous-catégories qui s'organisent selon des formes politiques et territoriales distinctes :

- les Picunche, Mapuches du Nord (la partie centrale du Chili)

- les Huenteche, habitants des zones pré-cordillière et du fleuve Cautin

5 Rapport de l'Envoyé Spécial des Nations Unies, M.Rodolfo Stavenhagen, sur la situation des Droits humains et les Libertés Fondamentales des Indigènes suite à sa mission au Chili. 18 au 29 juillet 2003, p.8.

Page 9

- les Nagche de la vallée centrale de la IXe région

- les Lafkenche localisés sur littoral, de la VIIIe à la Xe région

- les Huilliche de la Xe région, dans la province d'Osorno et Chiloé

- et les Pehuenche dans la cordillère, ils ont conservé une identité semi-nomade, un

mode de vie montagnard et une économie de consommation propre.

En 2000, le recensement effectué par l'enquête sur les Caractéristiques Socio-Economiques Nationales (CASEN) a estimé que la population indigène du Chili représentait 4,4% de la population totale qui compte 15 millions d'habitants. Les données fournies, et publiées dans le rapport annuel de la FIDH, indiquent que 666 128 personnes se considèrent comme appartenant à l'une des ethnies ou peuples autochtones6. Le peuple Mapuche représente ainsi l'ethnie majoritaire au sein du territoire chilien comme nous l'indique le tableau suivant7.

Population indigène par ethnie en 2000

Peuples

Population

%

Aymará

60187

9,04

Rapa-nui

2671

0,40

Quechua

15210

2,28

Mapuche

570116

85,59

Atacameño

8171

1,23

Colla

5325

0,80

Kawaskar

3781

0,57

Yagán

667

0,10

Total des indigènes

666128

100

6 Enquête publiée en 2000 in SÁNCHEZ Rúben, Caractérisation Socioéconomique de la Population Indigène.

7 Sources : MIDEPLAN, tableau élaboré à partir des informations de l'enquête CASEN, 2000.

Page 10

Huit ans auparavant, le même type d'enquête avait conclu à l'existence de près d'un million d'indigènes. Toutefois, les données du recensement peuvent faire l'objet de remarques et de contestations. Le journaliste mapuche Pedro Marimán par exemple met en cause le questionnement même du recensement. L'une des questions avait pour but d'identifier parmi la population chilienne quelle proportion s'auto-identifiait à l'une des « cultures » indigènes8. Mais l'intitulé même de la question suppose avant tout une supra-identité commune, il faut que les habitants soient Chiliens tout d'abord pour pouvoir ensuite s'identifier à l'une des communautés indigènes.

D'après Pedro Marimán, cette méthode de recensement implique des distorsions de résultats puisque « le résultat était prévisible : nombre de Chiliens, sans avoir d'origines ethniques mapuches, ont réagi en s'identifiant aux Mapuches; en contrepartie, on peut supposer que certains Mapuches ont refusé de se reconnaître en tant que Mapuche et, par conséquent, se sont identifiés aux Chiliens »9. Dans le cadre de ces recherches au centre de documentation Mapuche Liwen10, il préfère avancer le nombre de 928 060 personnes de 14 ans et plus déclarant «appartenir» à la culture mapuche, ce qui représenterait 9,6% de l'ensemble de la population du Chili. En élargissant la classe d'âge au groupe des 13 ans et moins, le nombre obtenu serait de 1 282 111 personnes.

En outre, les chiffres augmenteraient encore plus en considérant les estimations des organisations indigènes chiliennes. Dans les années 1990, elles estiment qu'il existe 1,7 millions d'indigènes soit 13,18% de la population totale. Le tableau suivant11 regroupe les estimations des différentes ethnies d'après les organisations des peuples autochtones.

8 La question était la suivante : « Si vous êtes Chilien, vous considérez-vous comme appartenant à l'une de cultures suivantes ? 1. Mapuche; 2. Aymara; 3. Rapa Nui, 4. Aucune des précédentes ».

9 MARIMÁN Pedro, Evolution démographique et migrations, in Identités mapuche au présent, Nitassinan n°42, Paris, 1995, pp. 10-15.

10 Membre actif du Centre d'Etudes et de Documentation Mapuche Liwen. Le CEDM Liwen est une institution autonome mapuche créée en mars 1989 par un groupe de professionnels ayant pour objet la recherche, la formation et la publication de documents concernant la communauté mapuche.

11 Enquête citée in TOLEDO Victor, Situation de Santé des Peuples Indigènes au Chili, Profil Epidémiologique, OPS et Gouvernement Chilien, 1997.

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Population Indigène, groupes ethniques

Peuples

Population

%

Aymara

125 000

7,1

Atacameños

15 000

0,9

Colla

200

0,00

Rapa Nui

20 000

1,1

Mapuche

1 600 000

90,9

Kawasqar

101

0,00

Yámana

74

0,00

Total des indigènes

1 760 375

100

Même si les estimations divergent, il est évident de constater que le peuple mapuche représente la majorité ethnique au sein des peuples originaires du Chili. Il constitue, selon les organismes de recensement, entre 80 et 90% de la proportion des peuples indigènes du Chili.

La répartition géographique de ces derniers exprime parfaitement l'évolution des difficultés politico-économiques que les Mapuches affrontent depuis maintenant un siècle et demi. L'essentiel de la communauté, 58,75% de la population mapuche, réside dans les grands centres urbains pourvoyeurs d'emplois comme l'agglomération de Santiago et les communes de Concepción, Talcahuano, Temuco, Valparaíso, Viña del Mar, Valdivia et Osorno. Cette migration vers les zones urbaines est une conséquence du phénomène croissant de paupérisation des Mapuches, qui souffrent d'un chômage massif et délaissent par conséquence les zones ancestrales au sud du fleuve Bio-Bio. Ces territoires sont réduits à portion congrue aujourd'hui en comparaison à l'étendue des terres mapuches avant l'arrivée des colons espagnols au XVIe siècle. En Araucanie, le peuple Mapuche est devenu minoritaire puisqu'il ne représenterait que 26% de la population de cette région12.

12 Pourcentages calculés sur la base des chiffres de l'Institut National de Statistiques de l'Etat Chilien, 1993.

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Parmi les personnes qui se considèrent comme Mapuche, 44% d'entre elles appartiennent à la diaspora vivant en région métropolitaine de Santiago. L'existence d'une telle diaspora est loin d'être récente, elle est effective depuis déjà de nombreuses décennies.

En outre, ces enquêtes montrent que la communauté indigène est particulièrement touchée par la pauvreté en comparaison avec la moyenne nationale. Il y aurait un écart de 12 points entre le niveau de pauvreté des indigènes et des non-indigènes. En outre, Rúben Sánchez dans Caractérisation Socio-économique de la Population Indigène, indique que près d'un tiers de la population indigène vit dans des conditions de pauvreté et d'indigence. Afin d'en comprendre les multiples causes, le Rapport sur le Développement Humain au Chili réalisé par le Programme des Nations Unies pour le Développement en 2002 est particulièrement éclairant.

« La pauvreté est une caractéristique commune aux communautés indigènes, qu'elles soient rurales ou urbaines. [...] La pauvreté est le résultat de nombreux facteurs: en premier lieu, les communautés indigènes, et en particulier les Mapuches, ont été victimes d'un processus d'appropriation de leurs terres par l'Etat entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ce qui les a transformé en une population potentiellement pauvre. En second lieu on aurait assisté à une perte des ressources, que l'on attribue autant à la perte des terres qu'à la dégradation des ressources naturelles. En troisième lieu, le phénomène de pauvreté rurale chez les indigènes serait à mettre en relation avec la crise de l'agriculture traditionnelle, imputable à la mondialisation et à l'ouverture des marchés. Les paysans producteurs ont vu tomber relativement les prix de tous les biens qu'ils produisaient traditionnellement, comme le blé, les pommes de terre, les légumes secs ou la viande. En quatrième lieu, les communautés mapuches se seraient principalement retrouvées encerclées par l'extension des forêts du sud du Chili, avec de graves conséquences au niveau environnemental dues à la disparition des sources d'eau, entraînant la sécheresse permanente des sols ainsi que des difficultés pour mener les activités agricoles»13.

La situation actuelle des Mapuches dans la société chilienne du XXIe siècle, le phénomène de revendications territoriales et, au-delà, la question de sa reconnaissance

13 Développement Humain au Chili 2002. Programme des Nations Unies pour le Développement, 2002, cité par SÁNCHEZ Rúben, Op. Cit.

Page 13

juridique font l'objet de diverses analyses et de multiples réactions, tant au niveau national qu'à l'échelle internationale. Avant d'aborder de fait l'étude de ces revendications identitaires à travers les moyens de communication chiliens et afin de saisir l'étendue des aspects concernés, il convient de retracer sommairement l'histoire du peuple mapuche et de son rapport à la terre ancestrale.

Au XVIe siècle la population mapuche est estimée à plus d'un demi-million d'habitants et se trouve entre les fleuves Itata et Cruces, sur une étendue de 54 000 km2. Les Mapuches, appelés «Araucans» par les Espagnols en référence à l'Araucanie, ne sont pas organisés politiquement et ne possèdent pas d'administration hiérarchisée comme les Incas du Pérou ou les Aztèques du Mexique. A cette période, la communauté indigène se compose de quatre catégories de population : les Picunche au Nord de l'Araucanie, les Peheunche sur les hautes vallées andines, les Huilliche au Sud de la zone et les Mapuches proprement dits dans la vallée centrale et sur le littoral.

La Couronne Espagnole tente, sans grand succès, de coloniser toute l'Araucanie durant la seconde partie du XVIe siècle. Mais face à la tenace résistance mapuche, l'armée royale ne réussit pas à s'imposer et souffre de lourdes pertes humaines dont celle du célèbre fondateur du royaume, Pedro de Valdivia. Convoité initialement, ce territoire estimé à plus de 10 millions d'hectares coûte finalement plus que les bénéfices ne peuvent potentiellement rapporter. A la fin du siècle, la Couronne se résigne à mettre un terme au processus de colonisation à la frontière nord de l'Araucanie. C'est ainsi que s'ouvre la période qualifiée de « Guerre Défensive » pendant laquelle le pouvoir royal coexiste avec le peuple mapuche. Cette époque de cohabitation relativement prospère s'étend pendant plus de deux siècles et demi.

En janvier 1641, le traité de paix de Quillin consacre le fleuve Bio-Bio comme frontière sud du territoire colonial et reconnaît ainsi implicitement l'indépendance du territoire mapuche. De fait, cette Paix de Quillin incarne l'acceptation formelle de la part du pouvoir royal de l'autonomie du peuple mapuche dans les territoires compris entre le fleuve Bio-Bio au nord -au sud de Concepción- et le fleuve Toltén au sud. Deux cent cinquante ans durant, le peuple mapuche n'est donc pas le sujet soumis de la puissance coloniale. Cet accord est renouvelé à deux reprises en 1803 avec la signature du

Page 14

Parlement de Negrete puis vingt-deux ans plus tard par le Parlement de Tapio. Progressivement, la frontière qui délimite les deux territoires ne symbolise plus l'exclusion et le rejet de «l'autre» mais favorise bien au contraire la transmission des connaissances techniques et agricoles tout comme l'influence culturelle réciproque. Ce cadre d'interaction permet à certains chefs mapuches au début du XIXe siècle de disposer de belles fortunes grâce à la prospérité de certaines activités telles que l'élevage. Un ordre hiérarchique inédit se constitue au sein des nouvelles grandes familles indigènes. En d'autres termes, le Chili du XVIe au début du XIXe, alors appelé Capitania General de Chile, se résigne à octroyer de larges libertés au peuple mapuche, guerrier, vaillant et victorieux de l'armée royale. L'ensemble des droits accordés aux Mapuches favorise le contexte de coexistence entre colons et indigènes.

Puis, la Révolution française et l'indépendance des treize états d'Amérique du Nord influencent largement les Chiliens d'origine espagnole (les créoles ou criollos) à s'émanciper du pouvoir de Madrid. C'est le 12 février 1818 que le « dictateur suprême » O'Higgins proclame solennellement l'indépendance du pays. Il faudra toutefois attendre 1833 pour que le pays rencontre la stabilité et se dote d'une véritable constitution. La consécration de l'indépendance chilienne vis-à-vis du pouvoir royal espagnol constitue le point d'origine du douloureux phénomène d'incorporation des terres et d'acculturation des indigènes. En effet, le Chili indépendant revendique immédiatement l'intégralité du territoire depuis la frontière bolivienne jusqu'au Cap Horn, incluant par là même le territoire ancestral des Mapuches.

Dès 1848, le gouvernement chilien lance une vaste opération de colonisation notamment grâce aux migrants allemands appelés et accueillis par le pouvoir entre Puerto Montt et Valdivia. La soif de terres fertiles, provoquée par la découverte de l'or dans l'ouest américain, est étanchée par l'incorporation massive, violente et liberticide des territoires des Mapuches, cadeaux du gouvernement aux nouveaux arrivants européens. Ces terres sont considérées comme non exploitées car utilisées suivant le mode production des peuples indigènes qui vise uniquement l'autosuffisance. Cette période est qualifiée par le gouvernement officiel et les historiens de l'époque de « Pacification de l'Araucanie »14.

14 L'histoire officielle chilienne a qualifié cette période de « Pacifiation de l'Araucanie », il est depuis passé à la postérité mais il reste présenté par les spécialistes et les historiens comme idéologiquement connoté puisqu'il revêt quasiment systématiquement les guillemets.

Page 15

Cet euphémisme historique symbolise en fait un processus de modification de la réalité à travers l'usage de concepts et de modes de narration volontairement manipulateurs. Nous explorerons plus en détail cet aspect de la colonisation chilienne en territoire mapuche à travers les principaux organes de presse de l'époque : El Mercurio, La Tarántula, El Metéoro etc. A cette époque donc, le pouvoir chilien implante des forts et des garnisons militaires sur les nouveaux territoires cibles et les connecte au reste du pays grâce au réseau ferroviaire et aux nouveaux moyens de communication tels que le télégraphe. Le pouvoir central se lance dans l'incorporation massive du sud du pays jusque là âprement protégé par les irréductibles Mapuches.

La Pacification, cette frénétique incorporation des terres indigènes ancestrales, prend officiellement fin en 1881, date à laquelle l'indépendance du territoire mapuche s'achève et laisse place à l'occupation légitimée par les créoles. La majeure partie des territoires des Mapuches est mise aux enchères. Sous l'orchestration du gouvernement central, les peuples indigènes sont déshérités de leurs ressources financières, culturelles et cultuelles. La logique expansionniste des divers gouvernements républicains dicte l'incorporation des terres d'Araucanie au profit de grands propriétaires fonciers, les latifundistes. En revanche, des titres de propriétés sont distribués à certaines communautés, mais il s'agit bien plus de faire taire les velléités contestataires et cantonner -ou parquer- les indigènes sur des réserves restreintes.

Un espoir naît au sein des communautés lorsque Salvador Allende entend lancer une vaste réforme agraire au début des années 1970. En effet, le président chilien souhaite redistribuer plus équitablement les terres mais noie finalement leurs particularités culturelles dans le concept d'unité sociale. A travers la division égalitaire et désincarnée des lopins de terre, leur attachement cultuel à la terre est nié.

En 1973, la contre-réforme opérée par Pinochet marque un revirement total de situation. La tentative d'égale répartition des terres est intégralement remplacée par une distribution massive aux grandes entreprises forestières et hydroélectriques qui s'implantent dans le sud du pays. La terre passe ainsi définitivement dans le domaine privé. La situation ne cesse alors de se dégrader pour les Mapuches à la fin du siècle. En effet, les législations

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favorisent fortement les regroupements et les achats de terrains par les grands groupes économiques et les propriétaires étrangers. Après la chute de la dictature pinochétiste, les Mapuches entreprennent divers recours en justice afin de faire reconnaître leurs droits. Mais les échecs cuisants se multiplient.

Le plébiscite de 1990, un refus national à l'égard de Pinochet, fonde tous les espoirs d'une démocratie retrouvée dans la personne de Patricio Aylwin, représentant politique de la Concertation. En 1993, une législation destinée aux indigènes est votée : la loi n°19 253 sur la protection, le soutien et le développement des populations indigènes. Si elle constitue une avancée dans la reconnaissance du peuple mapuche, elle reste toutefois insuffisante aux vues des revendications internes et des normes internationales.

En effet, le gouvernement chilien n'a toujours pas ratifié la convention 169 de l'Organisation Internationale du Travail qui constitue l'unique traité international sur les droits des peuples indigènes. L'ONU ainsi que l'Organisation Inter-américaine des Droits de l'Homme sont les deux principales instances internationales dédiées à la protection des droits des peuples indigènes. Mais, au Chili, cette reconnaissance assurée au niveau législatif n'est toujours pas inscrite dans la constitution.

Suite aux échecs des recours juridiques, les Mapuches ont réagit pacifiquement en utilisant les moyens de communication afin d'interpeller l'opinion publique et de susciter les solidarités. Mais, alors que les forces de l'ordre répriment violemment les manifestations, les entreprises forestières obtiennent du gouvernement de la Concertation la réactivation de la loi anti-terroriste -18.314- et de sécurité intérieure de l'Etat -19.927-inscrites dans la constitution par Augusto Pinochet. L'application de ces règles permet la tenue de procès non équitables : témoins cagoulés, mise en écoute des avocats de la défense, garde à vue et période d'isolement prolongée... Ces scandaleuses lois anti-terroristes excluent également toute possibilité aux indigènes de recourir au droit civil. Ainsi, à partir de 1997, une nouvelle période de discrimination s'établit et vise exclusivement les Mapuches. Ces mesures mettent en place les outils légaux permettant aux grandes firmes multinationales de faire condamner toute contestation mapuche à une peine d'emprisonnement minimum de 10 ans.

Page 17

L'observatoire des Droits des peuples Indigènes de Temuco15 rappelle sur son site internet la déclaration faite par le juriste argentin Antonio Cortina au sujet des implications des processus pénaux auxquels peuvent être soumis la communauté indigène. « Le véritable danger des processus pénaux ne réside pas dans la condamnation mais dans le processus même, qui signifie toute une série de restrictions et de menaces cachées ou silencieuses. Les causes témoignent d'un danger et d'une potentialité répressive constante, c'est pour cette raison qu'elles sont mises en place. De nombreuses fois, le plaignant sait parfaitement que le fait commis ne justifie pas la plainte, mais il la fait de toute manière puisque ainsi il crée un risque »16.

Aujourd'hui, cette répression s'opère de manière sous-jacente mais constante. Depuis l'été 2003, de nombreux procès ont conduit à la condamnation de chefs traditionnels mapuches à de lourdes peines d'emprisonnement, de dix à vingt ans de prison. Ces peines dites «exemplaires» témoignent du contexte de criminalisation de la figure de l'indigène. Onze Mapuches ont été incarcérés dans des prisons d'Etat, une centaine est sous liberté conditionnelle alors que beaucoup de prisonniers politiques payent de lourdes conséquences telles que les pressions physiques et psychologiques exercées par les forces de l'ordre sur les membres de leur famille ; d'autres enfin sont contraints à la clandestinité. La vaste politique de projets d'investissement ne cesse de prendre de l'ampleur et constitue une double menace : celle de l'intégrité du peuple mapuche dans ses revendications légitimes mais plus encore celle du sol pillé, exploité et pollué, graal fragile des affrontements séculaire

15 Cette organisation non gouvernementale est née en 2004 dans la ville de Temuco à l'initiative d'un groupe de citoyens. Il a pour objet la promotion de la reconnaissance des droits indigènes au Chili envers l'opinion publique nationale et internationale et les moyens de communication. http:// www.observatorio.cl

16 CORTINA Antonio, En Marcha, avril 2003, Année VI, n°31, in http://www.observatorio.cl

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