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Traque aux innovations piscicoles paysannes dans le district de Vatomandry: étude de pratiques piscicoles alternatives aux référentiels techniques proposés par l'APDRA


par Toan Hersant
ISTOM - Ingénieur Agronome 2021
  

Disponible en mode multipage

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Stage effectué à Madagascar du 06/03/20 au 06/01/21 au sein de l'ADPRA Pisciculture Paysanne

Maître de stage : MAUREAUD Clémentine Tutrice pédagogique : SALEMBIER Chloé

ISTOM

Ecole Supérieure d'Agro-Développement International

4, rue Joseph Lakanal, 49 000 ANGERS Tél. : 02 53 61 84 60 istom@istom.fr

Traque aux innovations piscicoles paysannes dans le district de
Vatomandry à Madagascar : étude de pratiques piscicoles
alternatives aux référentiels techniques proposés par l'APDRA

Figure 1: Photos de rizières empoissonnées (à gauche) et d'un étang barrage (à droite)

Mémoire de fin d'études

(Hersant, 2020)

HERSANT Toan Promotion 106

2

RÉSUMÉ

Les paysans sont des acteurs incontournables de l'innovation agricole. Ils testent, s'adaptent et s'organisent pour répondre aux problèmes qu'ils rencontrent et saisir de nouvelles opportunités. Etudier les innovations paysannes permet d'enrichir le processus de Recherche et Développement agricole. Cette étude mobilise la méthode de la « traque aux innovations » pour identifier et caractériser des pratiques piscicoles paysannes peu connues par l'APDRA et susceptibles d'être diffusées par la suite à d'autres pisciculteurs. En somme, nous constatons que les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA dans le district de Vatomandry ont adapté les pratiques recommandées par l'ONG et ont innové, que ce soit dans les aménagements, dans la conduite des espèces élevées ou encore dans les échanges et l'entraide.

Mots clés : Pisciculture, Innovation paysanne, Système d'élevage, Traque à l'innovation, APDRA

ABSTRACT

Farmers are key players in agriculture's innovation. They test, adapt and organize themselves to respond to the problems they encounter and seize new opportunities. Studying farmers' innovations enriches the agricultural Research and Development process. This study mobilizes the « tracking innovations » method to identify and characterize farmers fish farming practices still barely known to APDRA and likely to be diffused to other fish farmers. To sum up, we observe that the fish farmers accompanied by APDRA in the district of Vatomandry have adapted the practices recommended by the NGO and have innovated, whether in the development, in the management of the species bred or in the exchanges and mutual aid.

Key worlds: Pisciculture, Farmer's innovation, Farming system, Tracking innovations, APDRA

RESUMEN

Los campesinos son protagonistas de la innovación agrícola. Prueban, se adaptan y se organizan para responder a los problemas que encuentran y aprovechar las nuevas oportunidades. Estudiar las innovaciones de los campesinos enriquece el proceso de Investigación y Desarrollo agrícola. Este estudio emplea el método de «rastreo de innovaciones» para identificar y caracterizar las prácticas piscícolas campesinas aún pocas conocidas por el APDRA. A lo mejor, estas prácticas se podrían transmitir a otros campesinos. En resumen, observamos que los piscicultores acompañados por el APDRA en el distrito de Vatomandry han adaptado las prácticas recomendadas por la ONG y han innovado, que sea en la gestión, en el manejo de las especies criadas o en los intercambios y la ayuda mutual.

Palabras claves: Piscicultura, Innovación campesina, Sistema de ganadería, Rastreo de innovaciones, APDRA

3

Remerciements

Je tiens tout d'abord à remercier Samuel, mon ami de toujours qui m'a parlé de l'ISTOM il y a 6 ans et avec qui je finis en beauté sur ce grand périple à Madagascar. C'est un grand plaisir d'avoir passé la majeure partie de ce stage à tes côtés « au bled ». Les moments de discussion avec toi, de la chambre de la maison de retraite d'Antsirabe aux plages d'Antseraka et de Mangily ou encore les coups de téléphones pour parler d'innovations et de traque quand nous étions tous les deux dans nos zones d'études, ont été précieux et d'une grande importance pour tenir le coup moralement. Je tiens également à remercier ta famille et surtout ta mère (tantine Anta) qui m'a accueilli chez vous à Toliara pendant 6 mois. Misaotra rahalahy sy misaotra longo Gate !

Ensuite j'aimerais remercier l'ensemble des personnes qui ont participé à la bonne réalisation de ce stage. Tout d'abord, merci à l'APDRA et sa grande équipe, de Paris, d'Antsirabe et surtout de Vatomandry où cette étude a été menée. Vous m'avez tous grandement aidé entre les dossiers administratifs, les transports, les appuis techniques et méthodologiques ... et j'en passe ! Les différentes discussions sur la pisciculture (et bien d'autres choses) avec Zo, JB, Samson, Julien, Arnaud, Tojo, José, Julie, Phillipe et d'autres ont été essentielles pour me permettre au mieux de réaliser cette étude. Un clin d'oeil à Julien qui m'a accueilli chez lui pendant les deux mois de terrain et avec qui j'ai beaucoup appris, misaotra zoky be ! Je tiens également à remercier Sarah Audouin du CIRAD qui m'a apporté des conseils méthodologiques précieux tout au long du stage.

Mes grands remerciements vont « au poste 10 de l'APDRA », « la vazaha gasy (même Betsimisaraka) d'Antsirabe » : Clémentine Maureaud, maître de stage. Tu as été super de A à Z, de ton accueil chez toi le jour de notre arrivée aux dernières relectures de ce mémoire. Les différents échanges que nous avons eu m'ont été d'une grande aide pour réaliser ce travail et tu as consacré beaucoup de temps à ces deux stages (« c'est génial comme dirait Sam !»).

Mes grands remerciements vont également à « la star des traques aux innovations » : Chloé Salembier, tutrice de ce stage. Je tiens à te remercier grandement pour ton implication dans cette étude que ce soit dans l'appui méthodologique que tu m'as apporté, le temps que tu m'as accordé et tes nombreux encouragements, vitaux pour garder le moral.

Je remercie l'ISTOM (et les Istomiens) pour les cinq ans de formation très enrichissantes, intellectuellement, et surtout humainement. Un grand merci à Marc Oswald qui m'a aidé et soutenu lors de la phase de rédaction du mémoire.

Je remercie également Abdoul, le traducteur de cette étude. Tu as été très motivé et curieux d'apprendre sur la pisciculture. J'espère un jour passer chez toi à Manompana pour te voir et peut être observer un étang barrage rempli de poissons !

Un grand MERCI aux différents pisciculteurs qui m'ont accordé leur temps et avec qui j'ai beaucoup appris sur la pisciculture et sur la vie paysanne à Madagascar.

Enfin, je remercie mes parents pour tout ! pour Tout ! pour TOUT !

« Je le sens, même si ce n'est pas dans le sang, mon histoire est liée à la grande île. Ces 10 mois
passés sur le pied gauche de
Darafify ont été à la fois un retour aux sources et une découverte. Je
m'incline, avec admiration et respect, car c'est avec hospitalité et simplicité, qu'une fois de plus, le
peuple malagasy m'a accueilli. Orphelin de cette île, je le reste...
Misaotra zanahary, Mirary fasalamana antsika jiaby ! »

4

Table des matières

Table des illustrations 6

Liste des sigles 7

Vocabulaires et expressions « malagasy » 7

Introduction 8

Chapitre 1 : De l'essor mondial de la pisciculture à l'APDRA, ONG actrice

du développement de la pisciculture paysanne à Madagascar 9

1.1 La pisciculture, une des réponses à la diminution des ressources halieutiques

mondiales 9

1.2 L'APDRA, actrice du développement de la pisciculture à Madagascar 10

1.2.1 L'historique de l'intervention de l'APDRA à Madagascar 10

1.2.2 L'innovation paysanne, une des clés du développement de la pisciculture à Madagascar 11

1.2.3 La problématique de recherche de l'étude 11

1.3 Définitions des termes piscicoles clés utilisés dans l'étude 12

Conclusion partielle 1 12

Chapitre 2 : Méthodologie : La « traque aux innovations » piscicoles

paysannes 13

2.1 Concepts mobilisés 13

2.1.1 L'innovation : 13

2.1.2 Le système d'élevage 13

2.2 La méthode de la traque à l'innovation et son adaptation à l'étude 14

2.2.1 La traque à l'innovation de Salembier et Meynard 14

2.2.2 L`adaptation de « la traque à l'innovation » à l'étude 15

2.3 Le contexte de la zone d'étude 27

2.3.1 La région Atsinanana : 27

2.3.2 Le district de Vatomandry : 28

Conclusion partielle 2 30

Chapitre 3 : Les résultats de l'étude 31

3.1 Evolution du référentiel technique de l'APDRA sur la Côte Est 31

3.2 Caractérisation de six innovations techniques et organisationnelles identifiées

chez les pisciculteurs enquêtés 33

3.2.1 Des aménagements et des utilités innovantes de l'étang barrage 33

5

3.2.2 Les échanges entre les pisciculteurs, une source d'entraide et d'interdépendance 41

3.3 Deux innovations systémiques approfondies et une étude sur les marchés de

vente des pisciculteurs enquêtés 47

3.3.1 Innovation systémique n°1 : La combinaison de la pisciculture en étang barrage et en

rizière chez un même pisciculteur : 47

3.3.2 Etude de cas n°2 : Différentes conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil 52

3.3.3 Caractéristiques des marchés de poissons auxquels ont accès les pisciculteurs enquêtés 64

Conclusion partielle 3 70

Chapitre 4 : Discussions et recommandations 71

4.1 Limites des résultats de l'étude 71

4.2 Discussion sur les résultats obtenus : 72

4.2.1 Un panel d'innovations identifiées et caractérisées qui restent à valider 72

4.2.2 Les évolutions des aménagements piscicoles 73

4.2.3 La grande plasticité des systèmes d'élevages des pisciculteurs de l'APDRA 74

4.2.4 L'intervention des ACP dans les échanges entre les pisciculteurs 75

4.3 L'accompagnement des innovations paysannes par les ACP à l'APDRA :

constats et pistes à approfondir 76

4.3.1 L'accompagnement actuel de l'innovation paysanne par les ACP 76

4.3.2 Des pistes pour enrichir les outils d'accompagnement et de diffusion des innovations

paysannes 77

Conclusion et ouverture 79

Bibliographie 80

Annexes 83

6

Table des illustrations

FIGURE 1: PHOTOS DE RIZIERES EMPOISSONNEES (A GAUCHE) ET D'UN ETANG BARRAGE (A DROITE) 1

FIGURE 2 LA PRODUCTION HALIEUTIQUE ET AQUACOLE MONDIALE EN 2016 9

FIGURE 3 : LES ETAPES DE LA TRAQUE A L'INNOVATION 14

FIGURE 4: LES 5 ETAPES DE LA TRAQUE A L'INNOVATION MENEE SUR LA COTE EST DE MADAGASCAR 16

FIGURE 5: REGIONS DANS LESQUELLES ONT ETE MENEES LES DEUX TRAQUES AUX INNOVATIONS PARMI LES

REGIONS D'INTERVENTIONS DE L'APDRA-MADAGASCAR 17
FIGURE 6 : LES 4 PHASES DE VALIDATION DES PRATIQUES FAISANT PARTIE DU REFERENTIEL TECHNIQUE DE

L'APDRA-COTE EST 19
FIGURE 7: L'EVOLUTION DE LA CONSTRUCTION DE L'ECHANTILLON DES PISCICULTEURS AUX PRATIQUES

INNOVANTES 20

FIGURE 8: CARTE DE MADAGASCAR AVEC LA REGION ATSINANANA EN ROUGE (A GAUCHE) 27

FIGURE 9 : CARTE BIOCLIMATIQUE DE MADAGASCAR (A DROITE) 27

FIGURE 10: PRECIPITATIONS EN 2020 A TOAMASINA, CAPITALE DE LA REGION D'ATSINANANA 28

FIGURE 11: CARTE DES ZONES D'INTERVENTIONS DE L'APDRA DANS LA REGION ATSINANANA SUR LE PROJET

PADPP3 28
FIGURE 12: PHOTOS DES DIFFERENTES TAILLES D'ETANGS « EN CASCADE » D'UN PISCICULTEUR ENCADRE PAR

L'APDRA 33
FIGURE 13: CANAUX DE DRAINAGE ET DE CIRCULATION CHEZ DEUX PISCICULTEURS ENCADRES PAR L'APDRA :

36
FIGURE 14: PHOTOS DE DEUX SYSTEMES DE VIDANGES EN BAMBOUS PLACES SOUS LA DIGUE AVAL DE L'ETANG

BARRAGE 39

FIGURE 15: PHOTOS D'UN SYSTEME DE VIDANGE EN TRONC DE RAVINALA CHEZ UN PISCCIULTEUR 39

FIGURE 16: ANALYSE DES 4 EXEMPLE D'ECHANGES DE GENITEURS DE CARPES POUR LA REPRODUCTION 44

FIGURE 17: LES DIFFERENTS PRATIQUES RETENUES POUR DECRIRE LES SYSTEMES D'ELEVAGE DES 4

PISCICULTEURS ENQUETES 47
FIGURE 18: LES ETAPES PISCICOLES MENANT AU SEXAGE DES FINGERLINGS DE TILAPIA DANS L'ETANG DE

SERVICE 52
FIGURE 19: LES DIFFERENTES PRATIQUES RETENUES POUR DECRIRE LA DIVERSITE DES CONDUITES D'ELEVAGES

DU TILAPIA PRATIQUEES PAR LES 8 PISCICULTEURS ENQUETES 55
FIGURE 20: PHOTOS PRISES SUR LE MARCHE DE TSARASAMBO DE DIFFERENTS POISSONS PECHES EN EAU

DOUCE : PARETROPLUS POLYACTIS (A GAUCHE) / CHANNA STRIATA (A DROITE) 67
FIGURE 21: PHOTOS DE POISSONS VENDUS EN TAS : POISSONS D'EAU DE MER SUR LE MARCHE DE TSARASAMBO

(A GAUCHE) / TILAPIAS FRITS VENDUS AU MARCHE D'ILAKA EST (A DROITE) 68

TABLEAU 1: NOMBRES DE PISCICULTEURS ENCADRES PAR L'APDRA SUR LA COTE EST ET PISCICULTEURS

ENQUETES 22
TABLEAU 2: LES PRATIQUES RETENUES POUR COMPARER LES CYCLES D'ELEVAGE DES PISCICULTEURS DANS

LES INNOVATIONS APPROFONDIES A TRAVERS DES ETUDES DE CAS 25

TABLEAU 3: L'UTILISATION DES DIFFERENTS ETANGS D'UN PISCICULTEUR 34

TABLEAU 4: COMPARAISON DE LA PRATIQUE DU REFERENTIEL TECHNIQUE ET DE LA PRATIQUE INNOVANTE N°1

35
TABLEAU 5: COMPARAISON DE LA PRATIQUE DU REFERENTIEL TECHNIQUE ET DE LA PRATIQUE INNOVANTE N°2

36

TABLEAU 6: LES TROIS DIFFERENTS MOINES PROPOSES PAR L'APDRA SUR LA COTE EST DE MADAGASCAR 37

TABLEAU 7: COMPARAISON DE LA PRATIQUE DU REFERENTIEL TECHNIQUE ET DE LA PRATIQUE INNOVANTE N°3

37
TABLEAU 8: COMPARAISON DES 4 EXEMPLES D'ECHANGES DE GENITEURS AUTOUR DE LA REPRODUCTION DE

LA CARPE 43

TABLEAU 9: TABLEAU EXPLICATIF DES GRADIENTS DES VARIABLES DE LA FIGURE 17 44

TABLEAU 10: LES 5 TYPES DE MARCHES RENCONTRES CHEZ LES 12 PISCICULTEURS DE L'ECHANTILLON 64

TABLEAU 11: LES PRIX DE VENTE DES ALEVINS VIVANTS EN FONCTION DE L'ESPECE ET DU POIDS 64

TABLEAU 12: LES PRIX DE VENTE DES POISSONS DESTINES A LA CONSOMMATION EN FONCTION DE L'ESPECE ET

DU POIDS 64

7

Liste des sigles

ACP : Animateur Conseiller Piscicole

AFD : Agence Française de Développement

AVSF : Agronome et Vétérinaires Sans Frontières

CIRAD : Recherche Agricole pour le Développement

DRAEP : Direction Régionale de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche

EP : Ecloseries Paysannes

FAO : Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

FIDA : Fond Internationale de Développement Agricole

FOFITA : Le Centre National de Recherche Appliquée et de Développement Rural

GIZ: German Agency for International Cooperation

GERDAL: Groupe d'Expérimentation et de Recherche : Développement et Actions Localisées

LFL: Livestock Feed Limited

MAEP : Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche

ONG : Organisation Non Gouvernemental

PADDP3 : Projet d'Appui au Développement de la Pisciculture Paysanne-Phase 3

PADM : Projet d'Aquaculture Durable à Madagascar

PPA : Producteurs Privés d'Alevins

PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement

R&D : Recherche et Développement

RSE : Responsable du Suivi Evaluation

SPA : Service de la Pêche et de l'Aquaculture

Vocabulaire et expressions « malagasy »

Angady : Bêche malgache, principal instrument de travail des paysans malgaches composé d'une lame en fer et d'un manche en bois.

Fibata : Channa striata (dit « snakehead »)

Masovoatôka : Paretroplus polyactis

Ravinala : Ravenala madagascariensis

Vary ririnina : Riz à cycle court (3 à 4 mois), généralement cultivé en contre saison

Vary Vato : Riz à cycle long (5 mois) cultivé en saison des pluies

Vola malaky : Argent rapide

8

Introduction

Selon un rapport récent du FIDA (Fond Internationale de Développement Agricole) , la prévalence de la sous-alimentation à Madagascar est passée de 34 % en 2000 à 43% de la population en 2017 (FIDA, 2021). Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), l'aquaculture, et en particulier la pisciculture, ont été identifiées comme des activités pertinentes à développer « pour lutter contre la pauvreté et la faim à Madagascar » et des secteurs prometteurs « pour suivre le rythme de la demande croissante et de la pression de la surpêche » (FAO, 2008). En effet, la pisciculture permet d'augmenter les protéines animales disponibles pour nourrir la population sans puiser dans les ressources halieutiques marines. En 2017, la pisciculture d'eau douce n'a produit que 5 390 tonnes à Madagascar, soit 7 fois moins que la pêche continentale (FAO, 2019). Les potentiels de la pisciculture d'eau douce sont néanmoins très importants sur l'île. En effet, Madagascar dispose d'environ « 150 000 ha de lacs et de zones lacustres et 200 000 ha de rizières irriguées adaptées à la pisciculture, dont moins de 20 % sont exploités » (Andria-Mananjara et al., 2018). De plus, il existe, au moins sur la Côte Est de l'île, un grand nombre de bassins versants et de bas-fonds peu valorisés et adaptés à la pisciculture, notamment en étang barrage (APDRA, 2017a).

« L'APDRA-pisciculture paysanne » est une association à but non lucratif reconnue d'intérêt général fondée en 1996 en France. Elle intervient dans le développement de la pisciculture paysanne dans les pays du Sud. Après être intervenue 10 ans en Côte d'Ivoire et en Guinée, l'APDRA s'est étendue dans d'autres pays comme le Cameroun ou encore Madagascar depuis 2006.

Les agriculteurs s'adaptent en permanence aux événements structurels et conjoncturels qui modifient leurs exploitations agricoles, et plus généralement, leurs environnements biophysiques, socio-économiques et politiques. Pour s'adapter, mais aussi pour saisir de nouvelles opportunités et construire leurs projets, ils innovent à différentes échelles, de leurs systèmes de culture ou d'élevage jusqu'à leurs systèmes d'activité. Ces pratiques innovantes peuvent être d'ordres technique, organisationnel ou encore institutionnel (Goulet et al., 2008). Etudier les innovations paysannes est une des voies empruntées pour alimenter le processus de Recherche et de Développement (R&D) agricole (Dugué et al., 2006).

Ce mémoire a pour objet l'étude de pratiques piscicoles peu connues voir inconnues par l'APDRA, majoritairement chez les pisciculteurs qu'elle accompagne. L'objectif est d'enrichir le référentiel piscicole1 de l'ONG (Organisation Non Gouvernemental) afin qu'elle puisse par la suite accompagner le développement de nouvelles pratiques piscicoles. L'étude traite une série d'innovations piscicoles rencontrées dans le district de Vatomandry, sur la Côte Est de Madagascar.

Nous aborderons dans un premier temps des éléments de contexte sur la pisciculture dans le monde (en particulier à Madagascar) et sur l'intérêt, pour l'APDRA, d'étudier les pratiques piscicoles paysannes. Ensuite, nous définirons la méthodologie adoptée, son adaptation à l'étude et nous mentionnerons quelques éléments pour présenter la zone étudiée. Puis, nous présenterons les résultats de ce travail, à savoir, une série de pratiques innovantes identifiées et analysées chez les pisciculteurs enquêtés. Enfin, nous discuterons des résultats obtenus et nous verrons comment ils peuvent alimenter le référentiel piscicole de l'APDRA. Nous proposerons également des pistes pour que l'APDRA continue à accompagner les paysans dans les innovations qu'ils mettent en oeuvre.

1 Le référentiel piscicole de l'APDRA regroupe l'ensemble des conseils (principalement techniques) apportés par l'ONG aux pisciculteurs qu'elle encadre.

9

Chapitre 1 : De l'essor mondial de la pisciculture à l'APDRA, ONG actrice du développement de la pisciculture paysanne à Madagascar

1.1 La pisciculture, une des réponses à la diminution des ressources halieutiques mondiales

L'aquaculture représente l'ensemble des activités qui concernent aussi bien l'élevage des animaux aquatiques que la culture des végétaux vivant dans l'eau (Audebert et al., 2008). L'aquaculture produisait en 2016 presque la même quantité de ressources halieutiques que celles prélevées dans les milieux naturels, hors plantes aquatiques (voir Figure 3). En effet, depuis les années 80, la production de la pêche de capture est relativement stable et c'est l'aquaculture qui a permis de continuer à augmenter la production halieutique mondiale, qui atteignait en 2016, plus de 171 millions de tonnes, dont 47% était produit par l'aquaculture (FAO, 2018).

Figure 3 La production halieutique et aquacole mondiale en 2016

Source : (FAO, 2018)

La pisciculture est une branche de l'aquaculture. C'est l'ensemble des procédés et des pratiques ayant pour objet la reproduction et l'élevage de poissons. Sur les 80 millions de tonnes produites dans le monde par l'aquaculture en 2016, 54 millions venaient de la pisciculture et principalement de la pisciculture en eau douce (47,5 millions de tonnes). La Chine produisait à elle seule plus de poissons d'élevage destinés à la consommation que tous les autres pays du monde réunis. Il est intéressant de noter que l'Afrique, malgré une production aquacole mondiale encore très faible (2 millions de tonnes), est le seul continent qui a observé une croissance à deux chiffres de sa production aquacole annuelle moyenne entre 2001 et 2016 contre une croissance à un chiffre pour les autres continents (FAO, 2018).

Les différents systèmes de production piscicole sont généralement caractérisés par leur degré d'intensification, lui-même souvent défini selon les pratiques d'alimentations. On peut différencier trois grands types de pisciculture (Lazard et al., 2002) :

· La pisciculture extensive, se base sur la productivité naturelle de l'environnement pour nourrir les poissons. L'apport d'intrant est faible voire inexistant.

·

10

La pisciculture semi intensive utilise une fertilisation ou une alimentation complémentaire. On peut citer l'exemple des associations volailles-poissons ou porcs-poissons dans lesquels les fientes de volailles et de porcs servent à augmenter la biodiversité de l'étang, et donc in fine, l'alimentation des poissons (phyto planctons, zoo planctons, ...)

· La pisciculture intensive et super intensive dans laquelle les besoins nutritionnels des poissons sont satisfaits par l'apport exogène d'aliments complets riches en protéines. On peut citer les élevages en cages ou en enclos. Dans ces cas, l'aliment exogène représente en général plus de 50% du coût total de production.

1.2 L'APDRA, actrice du développement de la pisciculture à Madagascar

1.2.1 L'historique de l'intervention de l'APDRA à Madagascar

L'intégration de la pisciculture à l'agriculture à Madagascar remonterait au règne d'Andrianampoinimerina à la fin du XVIIIème siècle (Bentz & Oswald, 2010). Par la suite, des espèces ont été introduites sur la grande île comme la carpe miroir (Cyprinus carpio) en 1912 (Kiener & Therezien, 1958) ou encore le tilapia du Nil (Oreochromis niloticus) en 1956 (Kiener, 1963). A partir de 1985, l'Etat a décidé de relancer la filière dans un objectif d'autosuffisance alimentaire et d'augmentation de la disponibilité en protéines avec l'appui du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et de la FAO. Entre 1985 et 1989, plusieurs projets de vulgarisation du grossissement de la carpe en rizières se sont succédés (Oswald et al., 2016). La FAO a promu la mise en place de Producteurs Privés d'Alevins (PPA) pour remplacer les stations piscicoles étatiques dans le but de fournir les pisciculteurs en alevins de carpe.

En 2004, L'APDRA a constaté que des paysans maîtrisaient la reproduction de carpe dans la zone de Betafo dans la région du Vakinankaratra à Madagascar. Ces pisciculteurs produisaient des alevins de carpes dans des rizières ou des tout petits étangs sans l'apport d'intrants, contrairement aux PPA. Cela permettait d'assurer l'autonomie de chacun pour son approvisionnement en alevins de carpe (Oswald et al., 2016). L'APDRA s'est alors inspirée de ces pratiques innovantes observées, qu'on appelle les Ecloseries Paysannes (EP), pour concevoir un référentiel technique qu'elle a ensuite promu et diffusé auprès d'autres paysans malgaches à partir de 2007.

L'APDRA intervient aujourd'hui dans 5 régions de Madagascar et propose deux référentiels techniques (qui font partie du référentiel piscicole de l'ONG). Sur 4 régions des Hautes Terres de la grande île, elle propose la rizipisciculture et sur la région de la Côte Est, elle propose la pisciculture en étang barrage et la rizipisciculture. Elle intervient aujourd'hui à travers deux projets sur la grande île : la composante A du Projet d'Aquaculture Durable à Madagascar (PADM) financé par la GIZ (German Agency for International Cooperation) et le Projet d'Appui au Développement de la Pisciculture Paysanne-Phase 3 (PADPP3) financé principalement par l'Agence Française de Développement (AFD). Les objectifs principaux de l'APDRA à travers ces deux projets sont d'augmenter et de diversifier les ressources des exploitations familiales, de renforcer la sécurité alimentaire et d'appuyer les organisations professionnelles représentatives du monde rural. Pour cela, elle travaille en partenariat avec des organismes de recherche (CIRAD, FOFIFA), avec le Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche (MAEP) et avec des groupes de paysans pisciculteurs dans le but de proposer des pistes de développement de la pisciculture paysanne à Madagascar. L'APDRA dispose d'un panorama d'outils pour produire des références et enrichir ses conseils. L'innovation paysanne, encore peu valorisée, est un des outils que l'APDRA souhaite développer pour enrichir sa compréhension de la pisciculture paysanne à Madagascar.

11

1.2.2 L'innovation paysanne, une des clés du développement de la pisciculture à Madagascar

Différents travaux ont montré que l'innovation paysanne peut enrichir la Recherche et le Développement (R&D). L'exemple de l'étude de l'usage des légumineuses en culture pluviale dans le Moyen-Ouest de Madagascar portée par le CIRAD en 2017 a permis d'étudier les pratiques innovantes développées par les agriculteurs et de mieux comprendre les freins à l'adoption de pratiques agroécologiques proposées par les organismes de développement, tant du point de vue technique que cognitif (Audouin et al., 2017). Cette étude mobilise plusieurs outils, dont la « traque à l'innovation » pour identifier et décrire les pratiques des agriculteurs. L'étude des Ecloserie Paysannes observées dans la zone de Betafo en 2004 par l'APDRA est également un exemple probant qui montre l'intérêt d'étudier les pratiques des agriculteurs. Celles-ci ont permis à l'APDRA de s'inspirer et de construire un référentiel technique qu'elle propose jusqu'à aujourd'hui aux pisciculteurs qu'elle accompagne à Madagascar.

1.2.3 La problématique de recherche de l'étude

L'APDRA cherche à enrichir ses connaissances sur la pisciculture paysanne en étudiant les pratiques des pisciculteurs. Ainsi, elle pourra ensuite diffuser les pratiques piscicoles paysannes qu'elle juge pertinentes et adaptées aux contextes socioéconomiques des pisciculteurs et des piscicultrices qu'elle accompagne. Pour cela, l'APDRA met en place depuis quelques années des méthodes d'accompagnements de l'innovation piscicole en milieu paysan comme la recherche-action ou encore la recherche coactive de solution. En 2020, l'APDRA a souhaité définir un cadre méthodologique pour identifier des pratiques piscicoles innovantes et, par la suite, valider et stimuler le développement de celles qui paraissent les plus pertinentes. Pour cela, elle a commandité à deux stagiaires, une étude externe sur les innovations piscicoles paysannes présentes dans ses zones d'interventions à Madagascar. Le deuxième stagiaire a travaillé sur les régions d'interventions des Hautes Terres de l'île et la présente étude a été menée sur la Côte Est de Madagascar, en particulier dans le district de Vatomandry.

Cela nous amène à notre problématique de recherche : Quelles sont les pratiques piscicoles innovantes qui pourraient enrichir le référentiel piscicole de l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ?

Nous déclinons cette problématique en plusieurs sous-questions :

- Quelles sont les référentiels techniques proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ? - Quelles sont les pratiques piscicoles paysannes différentes du référentiel piscicole par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ?

- Comment les pisciculteurs et les piscicultrices encadrés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar ont-ils adopté et adapté les conseils proposés par l'ONG ?

- Quelles sont les pratiques piscicoles paysannes susceptibles d'enrichir les connaissances de l'ONG et les référentiels techniques qu'elle propose ?

Nous partons de l'hypothèse qu'il existe une diversité de pratiques piscicoles innovantes (pour l'APDRA) dans les 5 zones d'interventions de l'ONG à Madagascar. La compréhension de ces pratiques permettra d'enrichir le référentiel de l'ONG et pourra alimenter le processus de Recherche et Développement (R&D) en pisciculture à Madagascar.

12

1.3 Définitions des termes piscicoles clés utilisés dans l'étude

Nous définissons ici les termes piscicoles les plus utilisés afin de clarifier leurs compréhensions dans l'ensemble de l'étude.

Grossissement : Action de faire grossir un lot de poissons dans le but de les vendre, les donner, les autoconsommer ou encore les garder pour en faire un lot de géniteurs.

Pré grossissement : Action de faire pré grossir un lot d'alevins jusqu'à une certaine taille pour ensuite les vendre (vente d'alevins) ou les faire grossir (généralement dans un autre espace). Pour le tilapia, on parle de pré grossissement jusqu'à la taille fingerlings (poissons d'une vingtaine de grammes), taille à laquelle le sexe du tilapia est facilement reconnaissable.

Etang barrage : Construction d'une digue pour bloquer le lit du cours d'eau d'un bas-fond ou retenir les eaux de pluies et ainsi créer une réserve d'eau propice à la pisciculture appelée « étang barrage ». Cet étang est équipé d'un système de vidange (l'APDRA propose le moine) et d'un trop plein pour évacuer l'eau. La profondeur de l'étang fait généralement plus d'1,5 mètre (voir annexe 2).

Rizière : Lieu de culture du riz, la rizière est un champ arable entouré de diguette dans lesquelles de l'eau peut être maintenue permettant ainsi l'élevage de poisson dans le même temps que la culture du riz (voir Figure 1).

Trou vidangeable : Trou creusé et rempli d'eau destiné à l'élevage de poisson et équipé d'un système d'alimentation en eau et d'un système de vidange (pour renouveler l'eau et la vider). Ces trous sont souvent de petite surface (< 1 are) mais ils peuvent atteindre 2 à 3 ares au maximum.

Etang de service : Espace destiné à la reproduction de géniteurs pour produire des alevins et au pré grossissement des alevins (voir annexe 2). Dans cette étude, un étang de service pourra être un trou vidangeable, une rizière mais également un étang barrage selon la fonction donné par le pisciculteur.

Un groupement de pisciculteurs accompagné par l'APDRA : Des pisciculteurs de plusieurs villages ou hameaux habitant tous dans un rayon de 5 km les uns des autres (pour pouvoir se regrouper facilement à pied). Ils constituent un groupe de pisciculteurs accompagnés par l'APDRA et souvent effectuant plusieurs tâches piscicoles ensemble (construction des étangs barrages, entraide lors des pêches, échanges, organisation collective de travail).

Conclusion partielle 1

L'aquaculture, et en particulier la pisciculture, sont des secteurs prometteurs pour lutter contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire à Madagascar. La pisciculture extensive, développée notamment par l'APDRA, permet à la petite paysannerie malgache d'améliorer sa sécurité alimentaire et ses revenus. Les pratiques piscicoles alternatives aux recommandations de l'APDRA sont intéressantes à étudier pour enrichir les connaissances de l'ONG en pisciculture à Madagascar et plus largement le processus de Recherche et Développement piscicole à Madagascar.

13

Chapitre 2 : Méthodologie : La « traque aux innovations » piscicoles paysannes

2.1 Concepts mobilisés

Notre étude prendra appui sur deux principaux concepts : l'innovation et le système d'élevage. Nous utiliserons ces concepts pour analyser les innovations piscicoles paysannes.

2.1.1 L'innovation :

Le concept de système d'innovation attribue la réussite d'une innovation « à l'existence d'institutions et de réseaux grâce auxquels les chercheurs et les entrepreneurs des secteurs public et privé ont collaboré, appris les uns des autres, partagé des ressources et agi pour faire face aux mutations des conditions économiques et techniques » (Faure et al., 2018).

On parle de système d'innovation agricole pour montrer la diversité des acteurs qui y contribuent (Touzard et al., 2014). Il existe une grande diversité de processus d'innovation en agriculture. Certains sont initiés par la recherche dans une démarche de transfert de technologie. D'autres sont « co-construits » par un ensemble d'acteurs et on retrouve à l'opposé « les innovation ouvertes » ou « collaboratives » dans laquelle la recherche n'est pas forcément présente (Faure et al., 2018). Les changements techniques opérés par un paysan peuvent être le début d'un processus « d'innovation ouverte » intéressant à étudier.

L'innovation a une dimension sociale très forte. Bien plus que la simple introduction d'une nouveauté dans un système socio-économique, l'innovation est un processus qui résulte d'interactions entre de nombreux acteurs, intervenant dans un contexte donné et exprimant une intention de changement (Faure et al., 2018). Chauveau (1999) va plus loin en disant que « la dimension technique de l'innovation n'est qu'une des dimensions parmi tant d'autres. Lorsqu'une innovation produite est considérée comme point de départ, elle ne peut pas être isolée ni de sa composante économique, ni de ses composantes organisationnelles, institutionnelles, sociale voire politique et identitaire ». (Chauveau, 1999).

Enfin, l'innovation n'est pas figée dans le temps, elle évolue constamment en fonction du contexte et des acteurs qui la mobilisent. En effet, un paysan peut avoir adopté depuis des années une pratique que son voisin jugera innovante pour lui. Cette notion amène à l'idée d'inconnue, de nouveauté, désirable pour d'autres paysans.

Dans cette étude, nous définirons l'innovation comme un changement de pratique (de nature technique ou organisationnelle), initiée par un paysan ou un groupe de paysans. Nous parlerons d'innovation paysanne comme d'un processus porté par les paysans qui peut être influencé par des agents extérieurs (les chercheurs et les vulgarisateurs) ou des facteurs exogènes (le marché, les politiques agricoles, l'évolution du climat, etc.). C'est le paysan qui fait passer « l'invention », qui peut être proposée par les chercheurs ou les agents de développement, au statut « d'innovation », totalement incorporée par le paysan (Dugué et al., 2006).

2.1.2 Le système d'élevage

Le système d'élevage est défini comme « un ensemble d'éléments en interaction dynamique, organisé par l'homme en fonction de ses objectifs, pour faire produire (lait, viande, cuirs et peaux, travail, fumure...) et se reproduire un collectif d'animaux domestiques en valorisant et renouvelant différentes ressources » (Landais et al., 1987).

14

La littérature sur ce concept souligne deux points. D'une part, tous les éleveurs ne conduisent pas leur troupeau à l'identique et n'obtiennent pas le même niveau de performances. Partant du constat que « les éleveurs ont des raisons de faire ce qu'ils font » (Osty, 1978), la diversité des conduites et des performances s'explique en partie par la diversité de ce qu'attendent les éleveurs de leur activité. D'autre part, quand la disponibilité de ressources alimentaires conserve un caractère incertain, les éleveurs visent à combiner objectifs de production et résistance aux aléas (Dedieu et al., 2008).

Landais et al. (1987 ; 1994) insistent sur la nécessité de comprendre le fonctionnement du troupeau. Il faut prendre en compte « l'ensemble des animaux élevés à l'échelle de l'exploitation, répartis en lots - sous-unités fonctionnelles avec des objectifs variés au fil des saisons et qui peuvent être élevés sur des sites différents - en vue d'un objectif global unifié » (Oswald et al., 2016).

Les différents articles cités s'accordent sur l'importance de prendre en compte les pratiques à la base de la gestion des élevages, et donc des cycles d'élevages, piscicoles dans notre cas, mis en place par le pisciculteur. De plus, il est important de comprendre la représentation qu'a le pisciculteur de ses pratiques et leurs évolutions temporelles. En effet, « les pratiques sont souvent liées, interdépendantes et l'identification de « systèmes de pratiques », c'est-à-dire les liens rationnels et fonctionnels entre elles, s'avèrent souvent plus précieux que leurs simples descriptions » (Oswald et al., 2016). L'ensemble des auteurs cités conseillent d'adopter une vision systémique et temporelle pour traiter de la notion de système d'élevage.

2.2 La méthode de la traque à l'innovation et son adaptation à l'étude

2.2.1 La traque à l'innovation de Salembier et Meynard

Il existe dans la littérature plusieurs méthodes qui ont pour objectif d'étudier les pratiques des agriculteurs (Doré et al., 2008). L'une d'entre elle est la « traque à l'innovation ». Elle vise à étudier des pratiques paysannes dites « hors normes », c'est-à-dire éloignées du modèle agricole dominant d'une zone donnée ou éloignées d'un modèle défini par un groupe d'acteurs (Salembier & Meynard, 2013). Cette méthode se divise en 5 étapes et a pour but de générer des contenus agronomiques et/ou zootechniques potentiellement diffusables par la suite (voir Figure 4).

Partant du constat que les agriculteurs innovent d'eux-mêmes, étudier ces pratiques « hors normes » peut permettre de mettre en lumière des systèmes agricoles alternatifs et ainsi, renouveler et enrichir les démarches et projets de R&D. En effet, comme le montre Salembier (2019), ces pratiques singulières peuvent être des ressources pour d'autres agriculteurs (ex. sources d'inspiration) et des moteurs de la R&D (ex. pour enrichir/renouveler le conseil).

Définir un projet de
traque aux
innovations

Repérer des
innovations chez des
agriculteur.rice.s

Prendre
connaissance,
découvrir les
innovations

Analyser ces innovations

Générer des
contenus
agronomiques /
enseignements

Figure 4 : Les étapes de la traque à l'innovation Source : (Salembier, 2019)

15

2.2.2 L`adaptation de « la traque à l'innovation » à l'étude

a) Définition d'une innovation dans notre étude

La traque à l'innovation est une méthode qui a été initialement utilisée pour caractériser des systèmes de culture « hors normes » comme c'est le cas de l'étude de Chloé Salembier dans la Pampa en Argentine (Salembier & Meynard, 2013).

Notre étude a pour objectif principal d'enrichir la compréhension de l'APDRA sur les pratiques piscicoles peu connues dans ses zones d'interventions. Nous étudions alors les pratiques piscicoles « hors normes » par rapport aux conseils proposés par l'ONG. Nous considérons une innovation comme étant une pratique piscicole paysanne différente de ce que recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Cette définition peut restreindre la traque menée. En effet, les pratiques apportées par l'ONG peuvent être des innovations du point de vue du pisciculteur s'il les intègre durablement dans son exploitation. Ces pratiques innovantes peuvent alors modifier d'autres éléments du système d'élevage de l'exploitation qui seront potentiellement considérées comme des innovations paysannes dans notre étude. De plus, un deuxième point de la définition porte sur le caractère diffusable pour l'APDRA de la pratique innovante étudiée. La demande de l'APDRA est d'étudier des pratiques innovantes qui s'intègrent dans les modèles de pisciculture qu'elle propose. Nous gardons cependant une certaine liberté car des pratiques jugées à première vue trop éloignées du référentiel de l'ONG pourraient tout de même l'intéresser.

b) Une étude impactée par la crise sanitaire du COVID 19

A cause de la pandémie mondiale du COVID 19 qui a également frappé Madagascar, l'APDRA a décidé de réduire ses activités et de limiter au maximum ses déplacements sur le terrain. Les deux stages, initialement prévus de mars à septembre 2020, se sont divisés en deux phases.

Une première phase de télétravail a eu lieu de mars à mai 2020 (3 mois au lieu de 1 mois prévu initialement) en dehors de la zone d'étude et donc déconnectée des réalités du terrain. Nous avons dressé, en équipe avec le deuxième stagiaire, un état de l'art sur l'innovation paysanne et travaillé sur la méthodologie de la traque à l'innovation et son adaptation à nos deux études. De plus, j'ai mis à jour une première version du référentiel technique de l'APDRA sur la Côte Est, réalisé des guides d'entretiens (guide équipe technique de l'APDRA, guide du 1er entretien avec les pisciculteurs) et mené les premiers entretiens téléphoniques avec les membres des équipes techniques de l'APDRA-Côte Est pour identifier et pré caractériser des pratiques paysannes innovantes.

Le stage a ensuite été mis en pause et un autre stage de 2 mois a été réalisé avec une entreprise qui propose un modèle d'algoculture villageoise dans le Sud-Ouest de Madagascar. Cela a marqué une coupure et une certaine déconnexion avec l'étude mais également une prise de recul et l'acquisition de nouvelles expériences.

Une deuxième phase, sur le terrain, a eu lieu d'octobre à décembre 2020. Lors de cette phase, les mesures de restrictions prises par l'ONG ont été assouplies, ce qui a permis une bonne réalisation de l'étude. Cependant, l'APDRA nous a fortement conseillé de rencontrer uniquement des pisciculteurs encadrés par l'ONG en présence d'un Animateur Conseiller Piscicole (ACP), au moins lors de la première visite ; de même l'hébergement chez les pisciculteurs était interdit. De plus, la phase de terrain a été réduite, initialement d'une durée de trois mois et demi, elle est passée à deux mois. Les préparations logistiques, le choix et la formation du traducteur, les phases de capitalisation et de restitution et un arrêt maladie ont diminué le temps d'enquête auprès des pisciculteurs qu'on estime finalement autour d'un mois. Ce temps est relativement court pour mener à bien notre étude.

Définir un projet de traque aux innovations

Repérer des
pratiques
innovantes

c) Les 5 étapes de la « traque à l'innovation » menée sur la Côte Est de Madagascar

Les 5 étapes de la traque à l'innovation (voir Figure 4) ont été adaptées en fonction du contexte du stage (voir Figure 5). La dernière phase de test et de validation des innovations ne relève pas du stagiaire et sera du ressort de l'APDRA.

· Mise à jour du référentiel piscicole de l'APDRA-Côte Est pour définir les pratiques piscicoles jugées "normales": la polyculture en étang barrage ou en rizière

· Les innovations à "traquer" seront les pratiques alternatives à celles du référentiel piscicole

 

· Identification de pratiques piscicoles innovantes et de pisciculteurs innovateurs en enquêtant les équipes techniques de l'APDRA, les pisciculteurs (échantillonnage par méthode « boule de neige ») et

les Services de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) de Vatomandry.

 

·

Test et
validation
(APDRA)

1ère phase terrrain: Caractérisation d'une trentaine d'innovations identifiées --> Restitutions aux équipes APDRA / Discussions des résultats / Choix de 2 innovations à approfondir

· 2ème phase terrain: Caractérisation de deux innovations systémiques (à travers 12 études de cas) --> Restitutions aux équipes APDRA / Discussions des résultats

·

Caractérisation
des pratiques
innovantes

Analyse comparée des pratiques innovantes rencontrées et des pratiques recommandées pa l'APDRA

· Analyse transversale des pratiques innovantes identifiées chez plusieurs pisciculteurs

·

Analyse des
pratiques
innovantes

Analyse zootechnique et analyse des trajectoires des deux innovations systémiques approfondies

· Analyse des marchés de vente auquelles ont accès les 12 pisciculteurs étudiés en études de cas

· Formulation de protocoles tests pour certaines innovations (Recherche-action, CIRAD)

· Validation des innovations par expériences validées ou par le processus d'appropriation sociale de l'innovation (nombre important de pisciculteurs ayant adoptés l'innovation)

· Diffusion via différents canaux (foire aux innovations, échanges entre les pisciculteurs, conseils techniques,...)

16

Figure 5: Les 5 étapes de la traque à l'innovation menée sur la Côte Est de Madagascar

1ère étape : Formuler un projet de traque aux innovations

A/ Le projet de traque a été mené sur les régions d'interventions de l'APDRA à Madagascar pour permettre à l'ONG d'enrichir sa compréhension des pratiques piscicoles innovantes dans les zones où elle intervient. La répartition des deux stagiaires s'est faite entre la zone des Hautes Terres de l'île (4 régions), où l'ONG propose l'élevage mono spécifique de carpe en rizière et la zone Est du pays (1 région) où l'élevage plurispécifique en étang barrage et en rizière sont proposés. L'autre stagiaire a mené une traque dans 3 des 4 régions des Hautes Terres et notre étude, présentée ici, se concentre sur la région de la Côte Est, Atsinanana (voir Figure 6).

17

Figure 6: Régions dans lesquelles ont été menées les deux traques aux innovations parmi les régions d'intervention de l'APDRA-Madagascar

B/ Dans cette étude, le référentiel technique est considéré comme l'ensemble des conseils techniques apportés par les équipes de l'APDRA-Côte Est aux pisciculteurs, en termes d'aménagements et de conduites piscicoles. Définir ce référentiel nous permet de caractériser les pratiques piscicoles considérées comme « normales » pour l'APDRA, pour, par la suite, identifier les pratiques « hors normes » des pisciculteurs enquêtés. Les principaux acteurs de la transmission des conseils techniques de l'APDRA aux pisciculteurs sont les Animateurs Conseillers Piscicoles (ACP).

Encadré n°1 : Le rôle de l'Animateur Conseiller Piscicole à l'APDRA

L'ACP «est à la fois technicien, animateur et catalyseur du développement de l'activité piscicole » (Halftermeyer, 2008).

Missions : Sensibilisation des candidats à la pisciculture, réalisation d'études topographiques, conception d'aménagements piscicoles, formation des pisciculteurs à la construction des ouvrages et aux techniques piscicoles, appui à l'organisation des groupes locaux de pisciculteurs, médiation lors d'éventuels conflits. (Halftermeyer, 2008)

Outils : Référentiels techniques de l'APDRA / Méthode de recherche co-active de solution / Tests et expérimentations avec les pisciculteurs /Formations et appuis du pôle de Recherche-action de l'APDRA et des partenaires (CIRAD, DRAEP).

Conditions : Travail sur le terrain 4 à 5 jours par semaine / hébergement chez les pisciculteurs.

« L'ACP doit tout mettre en oeuvre pour le développement de la pisciculture paysanne dans le territoire, il faut être polyvalent à ce poste » (dires du Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3, Zo Andrianarinirina, 2020).

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L'APDRA-Côte Est ne possède pas de document actualisé que l'on puisse considérer comme le référentiel technique actuel. Une démarche itérative a alors été adoptée pour élaborer ce référentiel articulant successivement :

1/ L'étude des documents capitalisés par l'APDRA, principalement sur la Côte Est de Madagascar. 2/ La modification du référentiel en fonction des différents conseils techniques apportés par les équipes sur le terrain.

1/ Tout d'abord, une première version du référentiel technique a été élaborée en amont de la phase terrain. Celle-ci décrit les deux modèles de pisciculture proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar, à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture.

La pisciculture en étang barrage proposée par l'APDRA sur la Côte Est a été inspirée du référentiel technique développé par l'ONG en Guinée Forestière. Nous avons utilisé différents documents techniques capitalisés par l'APDRA en Guinée et sur la Côte Est de Madagascar. Plusieurs documents, dont le rapport de capitalisation PPMCE-SA (Projet Piscicole Côte Est de Madagascar - Sécurité Alimentaire - 2012-2017) écrit en 2017 font part d'adaptations faites sur la Côte Est de Madagascar du référentiel de Guinée Forestière. De plus, le Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 a apporté d'autres éléments sur les pratiques techniques conseillées par ses équipes aux pisciculteurs. Les informations obtenues ont été recoupées et triangulées entre elles en essayant au maximum de prendre en compte les spécificités de la zone d'étude et les adaptations du système étang barrage sur la Côte Est de Madagascar.

La rizipisciculture proposée par l'APDRA sur la Côte Est est inspirée du modèle développé par l'ONG sur les Hautes Terres de la grande île. Aucun document n'a été trouvé sur l'adaptation de ce modèle sur la Côte Est. Nous nous sommes donc basés sur les informations disponibles sur les Hautes Terres. Celles-ci ont été réunies sous forme d'un référentiel technique par le deuxième stagiaire (S. Gate). Il s'est basé sur les documents capitalisés par l'APDRA sur les Hautes Terres, à savoir principalement les rapports de capitalisation de projets, les fiches techniques et les LVRP2*.

2/ Ensuite, lors du début de la phase terrain, nous avons passé quelques jours à accompagner les ACP dans leurs visites chez les pisciculteurs. Les premières discussions avec les ACP et les pisciculteurs ont révélé l'existence d'un gap important entre les informations présentes dans la première version du référentiel technique élaborée et les conseils techniques réellement donnés par les équipes sur le terrain. De plus, il existe des divergences de discours entre les équipes techniques de la Côte Est sur les conseils à recommander aux pisciculteurs. On peut penser que chacun à une vision partielle de ce que l'on pourrait appeler « le référentiel technique de l'APDRA Côte Est ».

Comment composer un référentiel unique qui nous servira de base de comparaison si le référentiel lui-même n'est que partiellement connu de tous ? Rappelons que ce stage a pour objectif de capitaliser des pratiques piscicoles encore inconnues par tous les membres de l'APDRA, à savoir, les salariés de l'APDRA dans les autres régions de Madagascar mais aussi dans les autres pays. Un choix a été fait de considérer comme faisant partie du référentiel technique toutes les pratiques que le Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3, qui dirige les équipes de l'APDRA sur la Côte Est, valide comme faisant partie des conseils techniques à recommander aux pisciculteurs sur le terrain.

2 *LVRP : La Voix des Rizipisciculteurs est un journal trimestriel produit par l'APDRA portant sur différentes thématiques piscicoles et principalement destiné aux pisciculteurs.

Le Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 est en quelque sorte le lien entre l'équipe de coordination nationale et l'équipe technique de la Côte Est. C'est lui qui d'un côté rédige les rapports de capitalisation et de l'autre travaille au quotidien avec les ACP.

Une méthode de validation en 4 phases des conseils techniques faisant partie du référentiel technique a été mise au point :

Phase 1 : Identification des
conseils techniques
recommandés par
l'APDRA dans ses
documents capitalisés (1ère
version du référentiel :
phase pré terrain)

Phase 2 : Identification de
conseils techniques différents de
la 1ère version du référentiel :
- Discussions informelles avec les
ACP
- Discussions informelles avec les
pisciculteurs
- Observations sur le terrain

Phase 3 : Recoupement des
informations obtenues :
Conseils retenus : Les conseils
techniques donnés par la majorité
des ACP
Conseils non retenus : les conseils
techniques identifiés un nombre
restreint de fois sur le terrain

19

Phase 4 : Discussion en réunion des conseils techniques retenus lors de la phase 3 :
- Personnes présentes : ACP, responsable ACP, Responsable de la Composante du PADPP3,
Responsable Suivi-Evaluation (RSE)
- Questions non ciblées sur le conseil retenu : « Quelle pratique recommande l'APDRA pour ... » / « J'ai
repéré ... chez un pisciculteur, est ce que vous le recommandez ? »
-* Si la pratique est acceptée par le Responsable de la Composante Côte Est du PADPP3 comme
faisant partie des recommandations de l'APDRA sur le terrain, alors elle fait partie du référentiel
technique actualisé

Figure 7 : Les 4 phases de validation des pratiques faisant partie du référentiel technique de l'APDRA-Côte Est

La phase 1 consistait à réunir l'ensemble des conseils techniques recommandés par l'APDRA dans les documents que l'ONG a capitalisés. La phase 2 consistait à repérer sur le terrain ou lors des discussions avec les ACP, les conseils techniques donnés par les ACP aux pisciculteurs. La phase 3 différenciait les conseils techniques identifiés un certain nombre de fois, et notamment provenant de plusieurs ACP, des conseils techniques identifiés un nombre restreint de fois. Cela a permis de faire un premier tri et de gagner du temps pour aborder lors de la phase 4, uniquement les conseils qui paraissent « généralisés ». La phase 4 visait, lors des réunions du lundi avec l'ensemble de l'équipe technique de la Côte Est, à aborder les différents conseils retenus lors de la phase 3 pour voir s'ils étaient approuvés ou non par le Responsable de la Composante du PADPP3 et le reste de l'équipe (voir Figure 7). Cette méthode a permis de constituer, tout au long de la phase terrain, une deuxième version du référentiel technique de l'APDRA Côte Est en validant, ajoutant, remplaçant ou en supprimant des éléments issus de la première version.

2ème étape : Repérage des pisciculteurs aux pratiques innovantes A/ Le référentiel technique, un 1er filtre pour identifier les pisciculteurs innovateurs :

L'identification des pisciculteurs innovateurs s'est faite en comparant les pratiques des pisciculteurs et les pratiques recommandées par l'APDRA dans son référentiel technique. Quand celles-ci étaient différentes, une porte s'ouvrait sur une potentielle innovation à étudier. Cependant, comme nous l'avons vu, le référentiel lui-même a évolué tout au long de la phase terrain. Une démarche itérative a été adoptée et les innovations identifiées étaient comparées à la version actualisée du référentiel technique à chaque moment. Certaines innovations identifiées comme telles au départ, se sont alors avérées ne plus en être par la suite.

20

B/ Les activités de recherche-action de l'APDRA, un 2ème filtre écartant des pratiques innovantes :

L'APDRA accompagne déjà certaines innovations piscicoles qui sont testées en milieu paysan (la recherche action). En ce moment, les principales innovations étudiées par l'ADPRA Côte-Est sont l'élevage de gourami, la ponte multiple de carpes ou encore le décalage de ponte de carpes. Le faible temps de terrain disponible a fait qu'il était préférable d'étudier des pratiques piscicoles peu connues par l'APDRA et donc d'écarter notre traque de ces innovations déjà étudiées.

C/ D'une traque qui se veut large à un échantillon restreint de pisciculteurs étudiés :

1) Une traque qui se veut large :

Phase

méthodologique

2ème partie des enquêtes : les études de cas

Légende :

Les phases du stage

Phase de
télétravail et
début de terrain

1ère partie des
enquêtes : Un panel
d'innovations

Personnes ressources : Pisciculteurs, équipe
APDRA, DRAEP
Echantillon : ACP/ Pisciculteurs APDRA et hors
APDRA

Personnes ressources : Pisciculteurs, DRAEP,
équipe APDRA, autres acteurs de la pisciculture
Echantillon : Pisciculteurs APDRA et hors
APDRA

2) Une traque adaptée au contexte de l'étude :

3) Une « traque qui a le trac » ?
Personnes ressources : Surtout les ACP
Echantillon : Principalement des pisciculteurs
APDRA

4) Les études de cas :
Personnes ressources : Uniquement
ACP
Echantillon : Pisciculteurs APDRA
dont la moitié étudiée par Marion
Mounayar en 2019

Légende :

Difficultés rencontrées

Des études de cas
sur un échantillon
connu par l'APDRA

Restrictions
COVID 19 ;
Temps de terrain
diminué

Faible
identification
grâce aux
pisciculteurs

Figure 8: L'évolution de la construction de l'échantillon des pisciculteurs aux pratiques innovantes 1) Une traque qui se veut large :

Pour identifier des pratiques éloignées de ce que propose l'APDRA, nous avion prévu, lors de la phase de préparation méthodologique, qu'une part importante de l'échantillon soit des pisciculteurs non encadrés ou anciennement encadrés par l'APDRA. Afin d'identifier ces pisciculteurs, nous avions prévu d'entrer en contact avec des agents du Service de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) de la Direction Régionale de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche (DRAEP). L'identification de ces pisciculteurs pouvait se faire également par « effet boule de neige » en suivant la démarche proposée par Chloé Salembier (Salembier et al., 2016). Cette démarche consiste à mobiliser le réseau social d'un

21

pisciculteur en lui demandant s'il connait ou travaille avec d'autres pisciculteurs ou s'il a vu d'autres pisciculteurs qui ont adopté les mêmes pratiques innovantes que celles qu'il met en place.

2) Une traque adaptée au contexte :

Le contexte de la pandémie de COVID 19 a fortement impacté les champs d'études de cette traque (voir page 15). Le bureau de l'APDRA sur la Côte Est se trouve à Vatomandry, ville principale du district. 18 des 23 zones où intervient l'APDRA (voir Tableau 1) sur la Côte Est se situent dans ce district, ce qui regroupe 65% des pisciculteurs que l'ONG encadre. Les enquêtes se sont quasi exclusivement passées dans le district de Vatomandry à cause des temps de transport importants pour aller à la rencontre des pisciculteurs plus excentrés. Finalement, cette traque s'est limitée à étudier principalement des pratiques innovantes mises en place par des pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans le district de Vatomandry.

- Identifier des pisciculteurs aux pratiques innovantes pendant la phase de télétravail (11 pratiques innovantes identifiées) :

La première identification de pisciculteurs aux pratiques innovantes s'est faite à distance lors de la phase de télétravail. Nous avons demandé aux ACP de la Côte Est de relever des pratiques qu'ils jugeaient innovantes chez les pisciculteurs qu'ils encadrent. Ensuite, lors d'entretiens téléphoniques avec les ACP, nous avons caractérisé ces pratiques (selon le point de vue des ACP) et nous avons, en réexpliquant la notion d'innovation, tenté d'identifier d'autres pisciculteurs aux pratiques innovantes. Une partie de ces pratiques identifiées se sont avérées par la suite, être déjà étudiées par les activités de recherche-action de l'APDRA. Ensuite, des discussions informelles avec le coordinateur national de l'APDRA ont permis d'identifier d'autres pisciculteurs aux pratiques innovantes.

- Identifier des pisciculteurs aux pratiques innovantes lors du début de la phase terrain grâce aux ACP et aux pisciculteurs (10 pratiques innovantes identifiées) :

La première semaine de la phase terrain a été une semaine de découverte en suivant les ACP dans leur travail. Les premières discussions informelles avec les ACP et les pisciculteurs encadrés par l'APDRA ainsi que les observations terrains ont permis d'enrichir le panorama d'innovations non mentionnées lors de la phase pré-terrain. La première semaine d'entretien auprès des pisciculteurs (identifiés grâce aux ACP) a alors eu pour objectif principal d'identifier de nouvelles innovations et non de caractériser les innovations repérées en amont de la phase terrain. Cela s'est fait à travers des entretiens semi directifs en discutant de l'historique de la pisciculture dans l'exploitation, la gestion piscicole actuelle et les échanges avec d'autres pisciculteurs. Une des portes d'entrées pertinente a été d'identifier les problèmes rencontrés par le pisciculteur et les solutions (parfois innovantes) développées par celui-ci en retour.

L'identification d'autres pisciculteurs par « effet boule de neige » s'est avérée peu efficace sur le terrain, surtout pour identifier des pisciculteurs en dehors de l'APDRA. En effet, l'unique réseau mentionné par les pisciculteurs lors des entretiens était leurs groupements. Ces groupements ont été formés sous l'impulsion de l'APDRA et sont constitués uniquement de pisciculteurs encadrés par l'ONG. De plus, les pisciculteurs enquêtés se sont bien souvent désignés comme unique « penseur et créateur » de la pratique innovante identifiée (cet élément sera discuté dans le chapitre 4).

22

3 ) Une « traque qui a le trac » ?

- Identifier des pisciculteurs aux pratiques innovantes grâce aux ACP et au responsable du Service de la Pêche et de l'Aquaculture de Vatomandry (15 pratiques innovantes identifiées) :

Un deuxième entretien a été mené auprès de chaque ACP pour détailler les pratiques innovantes identifiées lors du début de la phase terrain chez certains pisciculteurs et repérer d'autres pisciculteurs les pratiquant (uniquement des pisciculteurs encadrés par l'APDRA).

Un entretien a également été mené auprès du responsable du SPA de Vatomandry. Nous avons identifié trois pratiques innovantes chez deux pisciculteurs non encadrés par l'APDRA. Cet entretien a surtout permis de mieux visualiser la diversité des formes de pisciculture existantes et des acteurs de la pisciculture présents sur la Côte Est de Madagascar.

Peu d'innovations ont été identifiées chez des paysans ne faisant que de la rizipisciculture. En effet, peu d'entre eux ont été rencontrés. Selon le Responsable Suivi Evaluation (RSE), 73% des rizipisciculteurs ont commencé après le 1er octobre 2019 et 52% après le 1er janvier 2020 (voir annexe 1). Nous avons écarté ces pisciculteurs « nouveaux » car selon les équipes de l'APDRA, ils sont encore peu expérimentés et se contentent d'adopter les pratiques recommandées par l'ONG.

4) Les études de cas :

Nous avons approfondi deux innovations à travers des études de cas. Celles-ci ont permis d'identifier quelques autres pratiques innovantes mais elles ont surtout permis d'approfondir celles identifiées en amont. Notre échantillon se compose de 12 pisciculteurs, généralement accompagnés par l'APDRA depuis plus de 3 ans. Ils ont été sélectionnés au fur et à mesure car ils présentaient des innovations, plus systémiques sur leurs exploitations. Nous supposons que leur ancienneté leur procure un niveau de maîtrise piscicole suffisant pour innover. On remarque que 6 de ces 12 pisciculteurs avaient déjà été sélectionnés dans les études de cas de Marion Mounayar en 2018-20193. Elle cherchait à étudier l'évolution de la stratégie de pisciculteurs et avait donc également sélectionné des pisciculteurs anciens. Cependant, il faut noter que nous nous écartons des pisciculteurs « inconnus » par l'APDRA recherchés en début de traque.

Tableau de l'échantillon des pisciculteurs enquêtés et des zones étudiées :

 

Nombre de pisciculteurs

Nombres de zones de
l'APDRA

Pisciculteurs APDRA-Côte Est

211

23

Pisciculteurs APDRA-district de
Vatomandry

137

18

Exploitations piscicoles visitées au

total

35

14 (1 zone de Mahanoro)

Pisciculteurs enquêtés au total

25 (1 hors APDRA)

12

Pisciculteurs enquêtés pour les
études de cas

12

10

Tableau 1: Nombres de pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est et pisciculteurs enquêtés

3 Ce rapport se base principalement sur des études de cas (de pisciculteurs accompagnés par l'ADPRA) pour décrire l'évolution de la stratégie piscicole et la place de la pisciculture dans certaines exploitations agricoles sur la Côte Est de Madagascar.

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3ème étape : Caractérisation des innovations piscicoles paysannes

La phase de caractérisation se rapporte à la collecte des données sur les innovations étudiées. La porte d'entrée adoptée dans cette étude pour caractériser les innovations est tout d'abord zootechnique. Notre démarche combine et confronte un ensemble de matériaux empiriques issus d'enquêtes qualitatives menées dans la zone d'étude. En effet, les données brutes collectées proviennent des dires des pisciculteurs et des observations terrains récoltées lors des entretiens semi directifs. L'entretien semi directif est un outil intéressant pour avoir une discussion autour d'un sujet délimité sans être trop restrictif dans les réponses attendues : « le questionnaire provoque une réponse, l'entretien fait construire un discours » (Ferraton & Touzard, 2009). La quasi-totalité des entretiens ont été enregistrés et réécoutés pour obtenir le plus de détails possibles lors des retranscriptions. Cela a également permis de limiter les erreurs de traduction en faisant réécouter au traducteur des passages qui semblaient incomplets ou erronés dans leurs premières interprétations. De plus, très régulièrement et surtout pour les études de cas, après avoir visité la parcelle du pisciculteur, une carte représentant son exploitation et ses surfaces piscicoles était réalisée pour servir de support de discussion. Cette carte était parfois vérifiée et complétée par l'ACP.

En nous appuyant sur le concept de système d'élevage (voir 2.1.2 Le système d'élevage), les entretiens avec les pisciculteurs ont consisté à leur faire expliciter les dimensions suivantes :

- Les caractéristiques de leurs systèmes d'élevage ou des techniques élémentaires innovantes

qu'ils mettent en oeuvre (ce qu'ils font et comment)

- Les raisons / les motivations qui les conduisent à mettre ces systèmes en oeuvre

- Les mécanismes zootechniques (et parfois agronomiques) qui permettent, de leurs points de

vue, à l'innovation d'aboutir aux effets qu'ils attendent

- Les conditions d'émergences et d'efficacité de l'innovation

- La trajectoire d'évolution de l'innovation (phase de test, pratique déjà expérimentée depuis

longtemps, ...)

- Les réseaux mobilisés (groupements de pisciculteurs, ACP, autres acteurs)

- Les performances de l'innovation du point de vue du pisciculteur

- L'insertion de l'innovation dans le système d'élevage voir au-delà (système de production,

territoire).

4 Au cours de l'entretien, d'autres innovations peuvent alors découler de la première identifiée.

La première phase de collecte de données a permis de caractériser un panel d'innovations afin de montrer la diversité des pratiques piscicoles innovantes existantes dans la zone d'étude. Cette première caractérisation des innovations se base sur les dimensions citées précédemment. En fonction de la nature de l'innovation (plus ou moins simple à caractériser) et du temps d'échange avec le pisciculteur, les pratiques innovantes ont été plus ou moins détaillées et caractérisées.

Ensuite, une phase de capitalisation et de restitution à l'équipe technique et à l'équipe de coordination a eu lieu. Elle a permis de confronter les premiers résultats récoltés, de les consolider et de sélectionner les innovations les plus intéressantes à approfondir à travers des études de cas. Ces innovations ont été choisies car elles sont de nature systémique, elles englobent une grande partie du système d'élevage du pisciculteur et révèlent des stratégies innovantes mises en place par celui-ci. Elles sont également jusqu'alors peu connues par l'APDRA.

La deuxième phase de collecte de données s'est focalisée sur deux innovations : « la combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière chez un même pisciculteur » et « des

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conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil ». La moitié des 12 pisciculteurs sélectionnés pour les études de cas avaient déjà été enquêtés lors de la première phase et une première collecte de données avait été réalisée. La caractérisation de ces deux innovations systémiques s'est faite sur les 8 dimensions citées à la page précédente. Plus précisément, nous avons décortiqué avec le pisciculteur les différentes étapes de son calendrier piscicole l'année en cours et les années précédentes. Les étapes clés comme la reproduction, le pré grossissement des alevins, le grossissement, les pêches, les ventes et les autres activités agricoles (notamment la riziculture sur les surfaces empoissonnées) ont été essentielles à comprendre pour déterminer les choix du paysan dans sa gestion de son activité piscicole. Cela a permis, in fine, de mieux comprendre ses stratégies piscicoles et la place de la pisciculture dans son exploitation.

A la fin de la phase terrain, une restitution a été faite auprès de toute l'équipe technique de la Côte Est. Cette restitution portait essentiellement sur les résultats de la phase d'étude de cas et présentait en détail les résultats obtenus (calendriers piscicoles, pratiques innovantes et stratégies développées par les pisciculteurs). Cela a permis de confronter nos résultats avec les dires des ACP afin d'enrichir nos données, remettre en question certains résultats obtenus et en valider d'autres.

4ème étape : Analyse des innovations piscicoles paysannes

Pour l'ensemble des innovations analysées, nous présentons dans un premiers temps la pratique conseillée par l'APDRA dans son référentiel pour ensuite caractériser la ou les pratique(s) alternative(s) observée(s) chez les pisciculteurs enquêtés.

A/ Première partie : L'analyse de six innovations parmi toutes les innovations identifiées :

Dans un premier temps, nous avons sélectionné 6 des 23 innovations repérées et caractérisées lors de la première phase de collecte de données pour les analyser dans ce mémoire. Le choix s'est fait en fonction du nombre important de fois où l'innovation a été repérée chez les pisciculteurs et en fonction de la différence des pratiques d'élevage qu'elle entraine par rapport aux pratiques recommandées dans le référentiel piscicole de l'ONG. Nous avons également fait le choix de présenter des innovations de natures différentes (techniques et organisationnelles) pour montrer la diversité des pratiques piscicoles existante. Nous avons regroupé les innovations au sein de deux thèmes : « des innovations techniques au sein de l'étang barrage » et « des innovations organisationnelles entre les pisciculteurs ».

Le premier grand thème choisi porte sur l'analyse de quatre innovations techniques (aménagements, outils, conduites d'élevage ou de culture) observées au sein des étangs barrages des pisciculteurs enquêtés (22 des 25 pisciculteurs enquêtés possèdent un étang barrage). Chaque innovation est comparée à la pratique du référentiel technique de l'APDRA. Quand l'innovation a été caractérisée chez plusieurs pisciculteurs, elle fait également l'objet d'une analyse comparée. Cette analyse se base sur 4 critères principaux :

- Les caractéristiques de l'innovation (quelle est cette innovation ? à quoi sert-elle ?)

- Les raisons et les motivations d'adoptions de l'innovation (pourquoi le pisciculteur adopte-t-il cette pratique innovante ?)

- Les conditions de développement de l'innovation (quelles sont les conditions nécessaires au bon développement de l'innovation ?)

- L'évaluation de la pratique innovante par le pisciculteur (est-il satisfait de son innovation ? va-t-il changer sa pratique ?)

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Pour le deuxième thème, nous avons choisi de présenter deux types d'échanges observés fréquemment entre les pisciculteurs enquêtés : les échanges autour de la reproduction de la carpe et ceux autour des problèmes liés aux aléas climatiques. On parle ici d'innovations organisationnelles car les pisciculteurs collaborent entre eux pour répondre aux problèmes qu'ils rencontrent. La nature de ces échanges ne relève pas d'une analyse approfondie des processus qui les soutiennent. Nous avons relevé les contraintes rencontrées par les pisciculteurs (les conditions manquantes sur leurs exploitations), les solutions collectives qu'ils mettent en oeuvre et les conditions d'émergences nécessaires pour que l'échange ait lieu à un instant T (le réseau d'acteur et les termes de l'échange).

B/ Deuxième partie : Deux innovations approfondies en étude de cas et une étude des marchés de vente auxquels ont accès les pisciculteurs enquêtés

Nous avons approfondi deux innovations systémiques à travers 12 études de cas :

1/ La combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière chez un même pisciculteur (4 pisciculteurs) et 2/ Les conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil (8 pisciculteurs).

1/ Cette innovation a été étudiée dans un deuxième temps lors de la phase terrain. Nous la présenterons ici en premier pour donner au lecteur des clés de compréhension plus globales sur les dynamiques piscicoles innovantes observées. En effet, cette innovation permet d'observer, à l'échelle de tout le système d'élevage, l'évolution des aménagements piscicoles dans le temps et de leurs utilisations par les pisciculteurs. Cette analyse nous montre l'évolution des pratiques d'élevages et des stratégies développées par les 4 pisciculteurs enquêtés.

2/ La deuxième innovation se concentre principalement sur les conduites d'élevage innovantes du tilapia du Nil observées chez les 8 pisciculteurs enquêtés. Ces pisciculteurs ne pratiquent pas la sélection des individus males et l'élimination des femelles avant le cycle de grossissement comme le recommande l'APDRA dans son référentiel. On parle ici d'une innovation par retrait car cette pratique a été enlevée de la conduite d'élevage du tilapia par ces pisciculteurs. Nous nous sommes intéressés aux différentes alternatives qu'ils mettent en places.

Etape 1 : L'analyse zootechnique des différentes pratiques liées aux conduites des cycles d'élevage

Pour analyser les données récoltées, nous avons d'abord fait une analyse zootechnique des différentes pratiques liées à la conduite d'élevage des espèces piscicoles élevées (carpe et tilapia), avec un focus sur le tilapia pour la deuxième innovation. Les 12 pisciculteurs ont chacun une manière singulière de conduire leurs différents cheptels. Pour analyser chaque innovation, nous avons sélectionné des pratiques permettant de décrire la diversité des cycles d'élevages présents chez les 12 pisciculteurs enquêtés (voir Tableau 2).

Pratique 1 retenu Pratique 2 retenu

Innovation n° 1 : La Type d'élevage : Type d'étang de grossissement :

combinaison de la - Monoculture (carpe ou tilapia) - Etang barrage

pisciculture en étang - Polyculture (carpe et tilapia) - Rizière
barrage et en rizière

Type de reproduction :

- Retrait des géniteurs avant leur 2ème cycle de reproduction - Reproduction en continue

- Reproduction spontanée

Pratique du sexage des fingerlings de tilapia :

- Oui
- Non

Innovation n° 2 : Les
conduites innovantes du
tilapia du Nil

Tableau 2: Les pratiques retenues pour comparer les cycles d'élevage des pisciculteurs dans les innovations approfondies à travers des études de cas

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Etape 2 : L'analyse des trajectoires des innovations et plus généralement de l'activité piscicole

Pour chacun des 12 pisciculteurs, nous avons analysé l'évolution de la conduite des espèces piscicoles élevées sur leur exploitation. Pour la première étude de cas, nous nous sommes intéressés particulièrement à l'évolution des aménagements piscicoles et à leurs utilisations au cours du temps. Pour la deuxième étude de cas, nous nous sommes concentrés principalement sur l'évolution des pratiques techniques liées à l'élevage du tilapia.

Dans un premier temps, nous avons caractérisé l'exploitation du pisciculteur. Pour cela, nous avons relevé, pendant les entretiens et grâce aux bases de données de l'APDRA, les étangs utilisés pour les différentes espèces élevées et leurs surfaces (étang barrage, trou vidangeable, rizière). De plus, lors des entretiens, nous avons relevé certaines caractéristiques de l'exploitation piscicole comme la disponibilité en eau dans les différents étangs au cours de l'année, les risques de vol ou encore la localisation de l'exploitation par rapport aux marchés de vente de poisson.

Dans un deuxième temps, nous avons analysé l'évolution des techniques piscicoles et des stratégies adoptées par les pisciculteurs sur leur exploitation. Pour cela nous sommes partis des discours des pisciculteurs et nous avons recoupé les informations obtenues avec les dires des ACP (notamment pendant la restitution finale aux équipes techniques) et avec les données contenues dans le rapport de Marion Mounayar écrit en 2019 qui contient des études de cas sur la moitié des pisciculteurs de notre échantillon (Mounayar, 2019).

Etape 3 : L'analyse des marchés de vente de poisson auxquelles ont accès les 12 pisciculteurs enquêtés

L'analyse des deux innovations approfondies a progressivement révélé que les pratiques des pisciculteurs enquêtés dépendent grandement de leurs accès aux différents marchés de vente. Nous avons donc fait une étude des différents débouchés de vente auxquels ont accès les 12 pisciculteurs étudiés. Pour cela, une partie des résultats provient des entretiens avec les pisciculteurs. Nous avons également fait quelques enquêtes auprès des revendeurs et des revendeuses de poissons dans les différents marchés des grandes villes de notre zone d'étude (Tsarasambo, Vatomandry et Ilaka Est). L'entretien avec un cagiste et avec le Responsable du SPA de Vatomandry nous ont apporté des informations précieuses sur les différents marchés de ventes. Nous avons également recoupé ces informations avec les dires des équipes techniques de l'APDRA, notamment pour situer la place de notre échantillon dans l'ensemble des pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Nous avons abouti à une typologie des marchés de vente de poissons. Cette typologie se base sur deux critères principaux :

- Les différents débouchés : Vente à des particuliers, sur les grands marchés locaux, sur les petits marchés en zones isolées, autoconsommation ou dons.

- Le type de poissons vendus : alevins, poissons de petites tailles ou poissons de grosses tailles

Les 12 pisciculteurs sont également présentés en annexe à travers des études de cas. Pour chaque pisciculteur, nous avons mené une analyse transversale portant sur 4 grands volets :

(1) Les pratiques d'élevages des espèces empoissonnées (focus sur le tilapia pour l'étude de cas n°2)

(2) La production et les débouchés

(3) L'évolution des pratiques piscicoles chez le pisciculteur

(4) L'évaluation de la satisfaction du pisciculteur par rapport à son activité piscicole

Les 3 premiers volets ont été principalement analysés à partir des dires des pisciculteurs collectés lors des entretiens semi directifs. La restitution finale auprès des ACP a permis de confronter les données semi analysées obtenues sur le terrain (notamment sur les cycles d'élevages, les pêches, les

stratégies ...) avec les avis des ACP. De plus, les bases de données remplies par le Responsable du Suivi-Evaluation (RSE) ont été utilisées pour confronter les cycles, les rendements et les ventes mentionnés par les pisciculteurs. Pour l'évolution de la pratique innovante (3), les avis des ACP ont apporté des éléments complémentaires précieux sur les pratiques des pisciculteurs lors des années précédentes. Le volet 4 est entièrement analysé à partir des dires des pisciculteurs puisqu'il s'agit de leur satisfaction par rapport à leurs activités piscicoles.

2.3 Le contexte de la zone d'étude

2.3.1 La région Atsinanana :

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Figure 9: Carte de Madagascar avec la région Atsinanana en rouge (à gauche)

Source (Google image)

Figure 10 : Carte bioclimatique de Madagascar (à droite)

Source (Cornet, 1972)

Le climat de la région Atsinanana située sur la Côte Est de Madagascar (voir Figure 9) est de type tropical humide (voir Figure 10) Sur la période de 2016 à 2020, le climat est caractérisé par une pluviométrie élevée d'une moyenne de 2440 mm par an avec d'importantes variantes au cours de l'année (voir Figure 11). La saison sèche se situe entre septembre et novembre (lors de la phase terrain du stage) et la saison des pluies arrive entre janvier et avril (période à fort risque cyclonique). Entre 2014 et 2017, la température moyenne a été de 24,9° (Climatologie de l'année 2020 à Tamatave - Infoclimat, s. d.) Cette température influe directement sur la température de l'eau et a des effets sur la

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croissance des espèces piscicoles et sur la productivité naturelle des étangs. Les sols de la Côte Est sont majoritairement des sols ferralitiques principalement constitués d'argiles (Roederer, 1972).

Figure 11: Précipitations en 2020 à Toamasina, capitale de la région d'Atsinanana Source (Climatologie de l'année 2020 à Tamatave - Infoclimat, s. d.)

2.3.2 Le district de Vatomandry :

Le district de Vatomandry (voir Figure 12) se situe à 180 km au Sud de Toamasina en passant par la route nationale 2 puis la route national 11A.

Figure 12: Carte des zones d'interventions de l'APDRA dans la région Atsinanana sur le projet PADPP3

Source : (APDRA, 2020)

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Selon les derniers recensements démographiques, la population du district s'élevait en 2016 à 248 000 habitants (contre 165 000 en 2003) dont 75% avait moins de 25 ans. La majorité de la population vit en zone rurale et principalement des activités agricoles (Jérôme Elia Randriamanjaka, adjoint du district de Vatomandry, rapport de 2016). La capitale du district, Vatomandry, comptait 15 836 habitants en 2018 (RGPH, 2018).

Les cultures vivrières principales sont le riz, le maïs et le manioc. Il existe des grandes plaines aménagées comme celle d'Ilaka Est où sont cultivés deux cycles de riz inondé par an (De Robillard et al., 2013). Les cultures de rentes sont également importantes dans la zone. La plupart des paysans produisent du girofle, de la cannelle, du litchi, ou encore du poivre (De Robillard et al., 2013). Selon un rapport sur les secteurs économiques du district de Vatomandry datant de 2016, le riz représenterait en moyenne 30% des revenus bruts de chaque exploitant agricole, les cultures de rente 24% et les cultures fruitières 17%. Ces 3 secteurs représenteraient en moyenne les trois quarts des revenus bruts des exploitants agricoles.

L'élevage se caractérise par des petits cheptels familiaux de zébus, qui servent notamment à piétiner les parcelles rizicoles entre deux cultures, on trouve quelques porcins dans certaines familles et quasi systématiquement des volailles (poulets, canards, dindons, oies). Certains paysans se lancent dans l'élevage de poulets de chair nourris avec de la provende.

En ce qui concerne la production halieutique, les villes côtières comme Vatomandry, Maintinandry, Sahamatevina ou encore Ilaka Est conservent une pêche traditionnelle en mer qui fournit la majeure partie des marchés locaux. Il existe également de la pêche en eau douce dans le canal des Pangalanes, le fleuve Sakanil et plusieurs grands lacs. La très grande majorité des poissons vendus et consommés localement provient de la pêche (dires du responsable du SPA de Vatomandry). Une partie des poissons sont également vendus en dehors du district, notamment sur la route nationale 2 qui relie les grandes villes comme Antsampanana, Moramanga, Toamasina et Antananarivo.

La pisciculture est mentionnée comme « une potentialité de développement » dans le rapport sur les secteurs économiques du district de Vatomandry. Néanmoins, selon les dires du responsable du SPA de Vatomandry, elle est en pleine expansion depuis 10 ans et les acteurs se multiplient :

- L'APDRA est arrivée en 2009, avec un premier projet pilote en 2012, c'est l'ONG la plus présente ; depuis 5 ans, on observe un développement de l'élevage de tilapia en « cage artisanale » sur le canal des Pangalanes ; le développement des étangs en dérivation ou des étangs barrages chez des particuliers aisés se fait de plus en plus ; «Tilapia de l'Est» est une union de coopératives qui produit des tilapias nourris à la provende industrielle ; on observe un petit peu de pisciculture traditionnelle (stockage de poisson sauvage dans des trous ou piégeage dans les rizières après les crus).

- Il y a une entreprise Mauricienne, « Livestock Feed Limited » (LFL), qui conçoit et commercialise de la provende industrielle à Madagascar, notamment à Toamasina. LFL aimerait créer un point de vente à Vatomandry.

- L'état et les organisations paraétatiques jouent également un rôle dans le développement de la pisciculture dans le district de Vatomandry et plus largement sur la Côte Est. On peut citer l'exemple du MAEP (Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche) qui va bientôt financer des crédits à travers le projet FIHARIANA, qui seront notamment destinés à des pisciculteurs de l'APDRA ; ou encore la Banque Africaine de Développement (BAD) qui a financé des prêts à des jeunes entrepreneurs ayant fait des études d'agriculture et d'élevage : deux jeunes se sont lancés dans l'élevage en cage artisanale près de Vatomandry (projet

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PEJAA) ; Il y a également le Fond International de développement Agricole (FIDA) qui intervient à travers le projet FORMAPROD pour fournir des formations en pisciculture aux populations rurales.

De plus, le foncier situé en bas-fonds a pris de la valeur ces dix dernières années du fait du développement de la pisciculture. Selon le responsable du SPA de Vatomandry, les opportunités de développement de la pisciculture dans le district sont nombreuses. En effet, il existe des marchés à haute rémunération car le district se situe proche de la route nationale 2, axe principal reliant les deux plus grandes villes du pays. D'autre part, la consommation moyenne par habitant à Madagascar est actuellement de 5,3 kg/individu/an contre au moins 10 kg/individu/an recommandé par la FAO (FAO, 2018). Il existe également un fort potentiel de vente sur les marchés locaux d'autant plus que les pêcheurs notent une diminution du tonnage des prises maritimes et d'eau douce.

Conclusion partielle 2

Dans cette étude, nous définissons l'innovation comme « une pratique piscicole paysanne différente de ce que recommande l'APDRA et susceptible d'être intéressante pour d'autres pisciculteurs encadrés par l'APDRA ».

Afin d'étudier les pratiques piscicoles innovantes, nous avons adapté la méthodologie de la « traque aux innovations » développé par Chloé Salembier dans la pampa en Argentine. Notre méthodologie se décline en 5 étapes :

1) Définir un projet de traque aux innovations : « étudier les pratiques piscicoles différentes de celles proposées par l'APDRA dans ces référentiels techniques ».

2) Repérer des innovations chez des agriculteur.rice.s : « identifier des pratiques piscicoles innovantes chez les pisciculteurs et les piscicultrices du district de Vatomnadry ».

3) Prendre connaissance, découvrir les innovations : « caractériser ces pratiques piscicoles innovantes ».

4) Analyser ces innovations : « Analyser sous différents angles les pratiques innovantes des pisciculteurs rencontrés ».

5) Générer des contenus agronomiques et des enseignements : « valider des innovations piscicoles paysannes pour ensuite les diffuser aux pisciculteurs encadrés par l'APDRA » (étape du recours de l'ONG).

A cause de la pandémie du COVID-19, la durée de la phase terrain a été réduite à 2 mois dont 1 mois d'enquêtes. Cela a restreint le stage à l'étude de pratiques piscicoles innovantes présentes chez des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA situés dans le district de Vatomandry.

Notre zone d'étude présente des dynamiques piscicoles variées allant de l'élevage de tilapia en cage sur le canal des pangalanes à de la pisciculture en étang barrage ou en rizière. Il existe un certain nombre d'acteurs qui participent au développement de la pisciculture (DRAEP, APDRA, LFL, FIDA, pisciculteurs, ...)

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Chapitre 3 : Les résultats de l'étude

3.1 Evolution du référentiel technique de l'APDRA sur la Côte Est

Le référentiel technique de l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar détaille les différentes étapes d'installation d'un site piscicole et la conduite des différentes espèces piscicoles élevées. Dans cette partie, nous exposerons les deux modèles piscicoles proposés par l'APDRA sur la Côte Est et le caractère évolutif du référentiel technique qu'elle propose. Certains détails du référentiel technique importants à comprendre pour analyser les innovations piscicoles repérées sur le terrain seront mentionnés par la suite, en présentant chaque innovation.

A son arrivée sur la Côte Est en 2009, et surtout à partir du début du projet PPMCE-SA4 en 2012, l'APDRA proposait un système d'élevage plurispécifique en étang barrage (voir annexe 2Erreur ! Source du renvoi introuvable.), fortement inspiré du référentiel technique que l'ONG utilisait en Afrique de l'Ouest. Plusieurs grandes adaptations ont été faites (APDRA, 2017a) :

- La fréquence élevée des cyclones sur la Côte Est a amené à un renforcement des aménagements de l'étang barrage pour éviter les casses de la digue aval. De plus, l'ONG a créé un fond de solidarité qui sert à aider les pisciculteurs ayant subi une casse de leurs digues à cause d'un cyclone.

- Les espèces de poissons élevés ont été adaptées en fonction des espèces disponibles à Madagascar : dans le modèle Guinéen, le tilapia (Oreochomis niloticus) est l'espèce centrale du système, l'hémichromis (Hemichromis fasciatus) est un carnassier qui permet de réduire le nombre d'alevins de tilapias et l'hétérotis (Heterotis niloticus) et le silure (Clarias spp. Et Heterobranchus spp.) sont des espèces complémentaires (APDRA, 2017b) Sur la Côte Est, au départ, le tilapia était l'espèce centrale, le paratilapia (Paratilapia sp) a été proposé pour jouer le rôle du carnassier et l'hétérotis était l'espèce complémentaire. Depuis 2014, l'ADPRA accompagne techniquement les pisciculteurs qu'elle encadre à la pisciculture de carpe commune (Cyprinus carpio) car cette espèce présente un fort potentiel de grossissement et elle ne rentrait pas beaucoup en compétition alimentaire avec le tilapia (Rothuis et al., 2008) . De plus, le gourami (Osphronemus goramy), une espèce herbivore introduite au XIXème siècle et naturalisée depuis dans la région, est depuis quelques années testé en milieu paysan par l'APDRA mais sa reproduction reste difficile et peu maitrisée.

- Au cours du projet PPMCE-SA, l'équipe technique a constaté que le modèle de Guinée Forestière, basé sur une surface d'étang(s) de service faisant 15% à 20% de l'étang barrage ne suffisait plus. En effet, l'ajout de la carpe commune dans le référentiel demande des surfaces supplémentaires pour certaines étapes clés comme la reproduction ou le pré grossissement des alevins. Il est alors conseillé aux pisciculteurs de multiplier les très petits étangs et d'atteindre, dans l'idéal, une superficie totale d'étangs de services faisant au moins 30% de l'étang barrage. De plus, le moine, système de vidange initialement recommandé pour les étangs barrages et les étangs de service, ne l'est plus pour les petits étangs (appelé trous vidangeable). L'installation de tuyau PVC ou de bambou est proposée.

- Les équipes de la Côte Est sont de moins en moins exigeantes sur la surface nécessaire pour construire un étang barrage. Elle valide des étangs barrages de petites tailles (> 5 ares) si le pisciculteur a la possibilité d'agrandir ses surfaces piscicoles par la suite.

4 PPMCE-SA : Projet Piscicole Côte Est de Madagascar - Sécurité Alimentaire (2012-2017)

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Un peu avant la fin du projet PPMCE en 2016, l'APDRA a testé sur la Côte Est la rizipisciculture, inspirée du référentiel technique qu'elle propose sur les Hautes Terres depuis 2006. Pour cela, l'APDRA a travaillé avec un groupe de dix rizipisciculteurs de la Côte Est pour qu'ils testent différents systèmes d'élevages en rizières (élevage monospécifique de carpe, élevage plurispécifique de tilapia, carpe, gourami, ...). L'APDRA a finalement validé l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia en rizière. L'APDRA a développé cette technique dans un contexte favorable car la riziculture irriguée est pratiquée de manière importante dans les bas-fonds de la Côte Est (De Robillard et al., 2013). Celle-ci offre des potentialités importantes pour augmenter les surfaces empoissonnées. La pisciculture en rizière a l'avantage d'être moins couteuse à aménager que la pisciculture en étang barrage quand le paysan possède déjà ses rizières. En effet, les deux principaux travaux sont le rehaussement des diguettes et le creusement de canaux refuges au milieu de la rizière (ils servent à limiter les risques de prédation et à créer une zone d'eau plus profonde pour les poissons). Dans la continuité de la volonté d'augmenter le nombre et la surface totale des étangs de services pour faciliter la gestion des différentes espèces piscicoles, l'APDRA Côte Est a proposé depuis 2017 aux pisciculteurs d'utiliser les rizières aménagées pour la pisciculture comme étang de service à l'étang barrage (par exemple pour le pré-grossissement des alevins carpes ou tilapias).

Afin de faciliter son intervention et mutualiser les moyens, tant financier qu'en ressources humaines, l'APDRA mobilise une approche d'accompagnement par groupement locaux depuis 2014. Celui-ci consiste à réunir les pisciculteurs d'une même zone (regroupement de quelques hameaux/villages proche) lors de la venue de l'ACP afin qu'ils travaillent ensemble (formations techniques, visite des parcelles ou encore discussions collectives, formations par les pairs). De plus, l'ONG a récemment mis en place les Ecloseries de Formation Paysanne (EFP). L'idée est de mobiliser la parcelle d'un des pisciculteurs du groupement au service de tous les membres du groupement. L'ACP peut ainsi y faire des formations (notamment à la reproduction) et cet étang permet de produire des alevins pour ravitailler les pisciculteurs du groupe, en particulier pour les nouveaux pisciculteurs.

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3.2 Caractérisation de six innovations techniques et organisationnelles identifiées chez les pisciculteurs enquêtés

Dans cette première partie, nous présenterons 6 innovations identifiées et caractérisées dans la zone d'étude lors de la première partie de la phase terrain. En annexe 2 et 3, nous présentons plusieurs tableaux qui font part de la diversité des innovations identifiées sur le terrain.

3.2.1 Des aménagements et des utilités innovantes de l'étang barrage

22 des 25 pisciculteurs enquêtés ont un étang barrage. Sur le terrain, on remarque qu'ils ont innové dans l'aménagement de leur étang barrage et dans l'utilisation qu'ils en font.

Innovation n°1 : Plusieurs étangs en cascade au lieu d'un grand étang barrage (1 pisciculteur)

Référentiel APDRA - Pour les pisciculteurs qui ne font pas de grossissement en rizière, L'APDRA recommande de construire un étang barrage d'une grande surface (>20 ares) pour y effectuer le grossissement des espèces élevées.

Innovations rencontrées- Un pisciculteur a préféré construire 3 étangs de production de 20 ares « en cascade ». Multiplier ses étangs lui a permis de faciliter la gestion de ses espèces piscicoles. Ce pisciculteur est à la fois alevineur et grossisseur. Il compte aujourd'hui 11 étangs sur son exploitation. Nous avons caractérisé l'utilisation de ses étangs dans l'exploitation à un moment T, vers mi-octobre pendant la période de reproduction de la carpe (voir Tableau 3).

Figure 13: Photos des différentes tailles d'étangs « en cascade » d'un pisciculteur encadré par l'APDRA

La figure 12 nous permet de visualiser les différentes tailles d'étangs mentionnées. Sur la photo de gauche, l'étang à l'arrière-plan est un étang de moyenne surface (2 à 5 ares) et les deux étangs au premier plan sont des étangs de petite surface (<1 are). Sur la photo de droite, l'étang à l'arrière-plan est un étang de grande surface (>20 ares).

Nombre et type
d'étang :

Fonction en octobre 2020 :

3 étangs de grandes
surfaces (20 ares
chacun) :

-Grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia mâle -Reproduction en continu d'un lot de géniteurs de tilapias pour la production d'alevins

-Stockage des géniteurs mâles carpes

-Stockage des hétérotis, des gouramis et des paratilapias

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2 étangs de moyenne surface (2 à 5 ares) :

-Pré grossissement des alevins de tilapia jusqu'à la taille fingerlings -Pré grossissement des alevins de carpes

5 étangs de petite
surface (<1 are) :

-Reproduction contrôlée de tilapias

-Pré grossissement des larves de tilapias

-Reproduction de carpes (présence de supports de ponte : la jacinthe d'eau) -Pré grossissement des larves de carpes

-Stockage des géniteurs carpes femelles (séparation des géniteurs avant la reproduction)

Tableau 3: L'utilisation des différents étangs d'un pisciculteur

Multiplier les étangs de petites et de moyennes surfaces permet à l'exploitant de reproduire les principales espèces, le tilapia et la carpe. Ces étangs servent également pour le pré grossissement et le stockage des alevins de carpe et de tilapia qu'il compte vendre ou faire grossir par la suite. Il les stocke séparément pour pouvoir pêcher en fonction de l'espèce commandée par ses clients. Cela lui permet également de pouvoir sexer les fingerlings de tilapia (pour n'empoisonner que les mâles dans son grand étang) sans avoir à les différencier des alevins de carpe.

De plus, avoir plusieurs étangs de grande taille lui sert pour le grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia, comme c'est initialement recommandé par l'APDRA. Cela lui sert également pour reproduire des lots de géniteurs de tilapias en continu afin d'obtenir un nombre important d'alevins pour la vente (voir Tableau 4). Il utilise aussi ses grands étangs pour stocker ses géniteurs mâles de carpe et pour stocker séparément d'autres espèces (hétérotis et gouramis) qu'il considère comme « des pièces de collection » car il maîtrise peu leurs reproductions et que la demande est faible contrairement aux carpes et tilapias. A noter que ce pisciculteur a aménagé un canal de contournement pour maintenir le niveau de fertilité de ses étangs (en déviant le canal, il diminue le débit d'eau, ce qui permet de mieux valoriser la fertilisation par rapport à un écoulement important ou les fertilisants sont très rapidement dilués et emportés). Il fertilise avec du fumier de zébu en priorité ses étangs de petites et de moyennes tailles (reproduction et pré grossissement).

Il faut noter qu'un aménagement pareil demande un travail très important. La première digue construite a couté 830 000 MGA (soit 185 €) en frais de main d'oeuvre et les deux autres ont coûté encore plus cher selon le pisciculteur. A cela s'ajoute le canal de contournement qui a subi un éboulement récemment et les différents étangs de services creusés.

 

Référentiel APDRA

1 pisciculteur

Caractéristiques

-Un étang de production de
plus de 20 ares pour le
grossissement
plurispécifique et un ou
plusieurs étangs de services

-Combinaison de 11 étangs de 1 à 20 ares, en
cascade
-Permet une gestion plus indépendante des espèces
piscicoles entre elles et en fonction du stade
phénologique des espèces

Raisons
/motivations

-Faire le grossissement des
espèces piscicoles dans
l'étang barrage

-Combiner l'activité d'alevineur et de grossisseur

Conditions de
développement

- Bas fond aménagé

-Bas fond avec un certain dénivelé pour assurer un
débit d'eau suffisant

-Demande une main d'oeuvre importante pour

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l'aménagement de tous ces étangs et du canal de
contournement

Evaluation de la pratique

/

-Jugée très avantageuse par le pisciculteur pour
produire et vendre des alevins de tilapia et de carpe
et faire du grossissement
-Demande beaucoup de travail

Tableau 4: Comparaison de la pratique du référentiel technique et de la pratique innovante n°1

A noter, un autre pisciculteur a également le projet de construire une série de 6 étangs en cascade pour faire du grossissement plurispécifique.

Innovation n°2 : Des canaux de drainages et de circulation dans l'étang barrage (4 pisciculteurs)

Référentiel APDRA - L'APDRA donne peu de conseils sur l'aménagement et la culture du riz en étang barrage. Elle indique juste qu'il faut laisser une zone de pêche sans riz autour du moine (système de vidange).

Innovations rencontrées - La riziculture dans l'étang barrage sur des surfaces plus ou moins grande peut impacter directement l'aménagement de l'étang réalisé par le pisciculteur. Sur notre échantillon, 4 pisciculteurs creusent des « canaux de circulation et de drainage » dans différentes parties de leurs étangs. Les variétés locales de riz utilisées par ces pisciculteurs demandent une élévation de la lame d'eau régulière ajustée à la hauteur des tiges de riz pour ne pas submerger le plant. Ces variétés sont repiquées dans les parties aval de l'étang et/ou sur les contours, laissant ainsi une zone profonde aux alentours du moine et de la digue aval. 1 des 4 pisciculteurs a fait le choix de repiquer du riz sur l'ensemble de son étang (sauf dans les canaux) et de ne rempoissonner son étang que lorsque les tiges de riz auront atteint une hauteur assez haute pour élever la lame d'eau.

 

Référentiel APDRA

4 pisciculteurs

Caractéristiques

- Pas de canaux
aménagés dans l'étang
- Zone de pêche sans
riz autour du moine

- Canaux de circulation et de drainages dans les parties rizicoles de l'étang barrage

Raisons
/motivations

/

- Permettre une circulation des poissons dans les zones
rizicoles à faible lame d'eau
- Eviter que les poissons ne restent bloqués lors des
pêches
- Faciliter les récoltes du riz

Conditions de
développement

/

- Demande de la main d'oeuvre pour creuser les
canaux et les entretenir
- Demande un sol pas trop boueux pour éviter que le
canal ne se bouche trop rapidement

Evaluation de la
pratique

/

-Les 4 pisciculteurs sont satisfaits de leurs
aménagements
- Une piscicultrice a arrêté de faire ces canaux car son
sol est trop boueux et cela demandait trop d'entretien

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Tableau 5: Comparaison de la pratique du référentiel technique et de la pratique innovante n°2

Ces canaux permettent aux 4 pisciculteurs de faciliter la circulation de leurs poissons dans les zones rizicoles à faible lame d'eau et évitent que les poissons restent bloqués dans les parties rizicoles lors des pêches (voir Tableau 5). Deux d'entre eux soulignent l'utilité de ces canaux afin de pêcher une partie du cheptel sans perdre toute l'eau de l'étang. C'est notamment utile pour un de ces pisciculteurs qui cherche à ne pêcher que les tilapias de taille fingerlings. Pour les deux autres, ces canaux permettent également de vider les parties amont de l'étang afin de récolter le riz en gardant une lame d'eau suffisante pour le cheptel (notamment en période sèche). Cet aménagement permet de gérer de manière plus indépendante l'activité piscicole et la riziculture.

La réalisation et l'entretien de ces canaux demande du travail manuel souvent fait à l'aide d'une pioche ou d'un « angady ». Les sols de la Côte Est sont principalement constitués d'argiles (Roederer, 1972). La formation de boue est fréquente ce qui rend les travaux d'entretiens des canaux difficiles. Parfois, au cours du cycle du riz, les pisciculteurs doivent enlever la boue de leurs canaux. Une autre piscicultrice de l'échantillon a arrêté de faire ces canaux à cause de cette difficulté.

Figure 14: Canaux de drainage et de circulation chez deux pisciculteurs encadrés par l'APDRA :

Partie aval et partie amont d'un même étang barrage (photos de gauche et du milieu)

Etang barrage d'un pisciculteur équipé de canaux de drainage et de circulation (photo de droite)

Innovation n° 3 : Des systèmes de vidanges en matériel végétal peu couteux (5 pisciculteurs)

Référentiel APDRA - Le système de vidange préconisé par l'APDRA est un ouvrage en béton constitué de trois éléments : la semelle, le moine et les buses (APDRA, 2017b). Ce système permet de régler le niveau de remplissage et le débit d'évacuation de l'eau dans l'étang (Schlumberger & Girard, 2013). Pouvoir réguler la hauteur de la lame d'eau dans l'étang permet par exemple de cultiver plus facilement du riz en ajustant la hauteur d'eau en fonction de la hauteur des tiges de riz. L'APDRA recommande 3 types de moine sur la Côte Est (voir Tableau 6) qui évacuent plus ou moins d'eau (en fonction du nombre d'étage et de la taille de la buse) et qui coûtent plus ou moins cher (en fonction de la quantité de ciment).

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Type de moine

Description

Coût (MGA et €)

Avantages et
inconvénients

Petit moine

1 étage de 150 cm
Buse normale

111 450 MGA (25€)

Coût inférieur mais 1
seul étage

Moyen moine
(modèle de Guinée)

3 étages de 75 cm
Buse normale

146 450 MGA (32,5€)

Coût moyen et
plusieurs étages

Grand moine

3 étages de 75 cm
Grande buse

307 700 MGA (68€)

Coût élevé mais
évacuation d'un débit
d'eau important

Tableau 6: Les trois différents moines proposés par l'APDRA sur la Côte Est de Madagascar

Innovations rencontrées - Sur le terrain, des pisciculteurs ont adopté l'équivalent de tuyau fait à partir de bambou ou de tronc de « ravinala » (Ravenala madagascariensis ou arbre du voyageur) pour vidanger leurs étang barrages. Ces systèmes sont fréquemment utilisés pour relier les rizières ou les trous vidangeables entre eux ou pour alimenter les étangs depuis le canal de contournement. Nous avons identifié 5 pisciculteurs qui utilisent ces tuyaux pour remplacer le moine au niveau de la digue aval de l'étang barrage et servir de système de vidange.

 

Référentiel
APDRA
(20
pisciculteurs)

Buse en bambou

(2 pisciculteurs + 2 non
enquêtés)

Buse en tronc de
ravinala

(1 pisciculteur)

Caractéristiques

-Permet de
vidanger et de
réguler la lame
d'eau de l'étang
barrage

-Permet de vidanger l'étang
barrage
-10 à 15cm de diamètre
- Noeuds des bambous coupés à
l'intérieur
-Possibilité de mettre plusieurs
bambous côte à côte

-Permet de vidanger
l'étang barrage
-15 à 25cm de diamètre
- Coupe longitudinale du
tronc de
ravinala :
intérieur vidé et tronc
recouvert d'argile

Raisons
/motivations

-Système de
vidange efficace
et résistant

-Matériel disponible facilement
et gratuitement

-Matériel disponible
facilement et
gratuitement

Conditions de
développement

-Observé sur
des étangs de 10
à 62 ares

-Observé sur des petits étangs
de 6 à 12 ares

- Observé sur un petit
étang de 6 ares

Evaluation de la pratique

/

-Un pisciculteur parle d'une
« solution transitoire » avant de
mettre un moine, jugé plus sûr
- L'autre pisciculteur est
satisfait de son système de
vidange et compte le garder

- Satisfait de son système de vidange, il compte en

mettre sur ses deux
prochains étangs (le plus

grand fera 28 ares)

Tableau 7: Comparaison de la pratique du référentiel technique et de la pratique innovante n°3

Chez 5 pisciculteurs, ces deux systèmes de vidange alternatifs sont installés sur des étangs de petites tailles, ne dépassant pas 12 ares et donc retenant un volume d'eau faible à vider et à remplir

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(voir Tableau 7). Aucun de ces pisciculteurs n'a connu de casse de digue ou d'inondations dans son étang barrage pour le moment.

Unanimement, ces pisciculteurs mettent en avant le caractère gratuit et disponible de ces deux matériaux (voir Tableau 7). Un des pisciculteurs n'aurait pas eu assez d'argent au moment de son installation pour investir dans un système de vidange proposé par l'APDRA (voir Tableau 6).

Les pisciculteurs ont des visions différentes de ces systèmes de vidange. Un des pisciculteurs a eu besoin d'un nouvel espace pour stocker ses hétérotis. Il a alors construit dans l'urgence une digue en aval de son étang barrage sur une ancienne rizière pour disposer d'un deuxième étang. Pour le système de vidange, il a installé 3 bambous côte à côte sous la digue (il aurait préféré mettre des tuyaux PVC, selon lui plus résistants). Il parle d'une solution transitoire car il n'avait pas les moyens pour construire un moine. Pour lui, « rien n'est mieux que le moine ». Deux autres pisciculteurs y voient des alternatives permanentes au moine. Un pisciculteur dit qu'il gardera son bambou « tant que ça résiste ». L'autre va plus loin. Il aménage en ce moment deux nouveaux étangs barrages dont l'un fera 28 ares et servira au grossissement de ses carpes. Il compte y mettre des troncs de ravinala car il est satisfait des résultats obtenus sur son petit étang de 6 ares.

Le bambou et surtout le ravinala ont été jugés fragiles et perméables par les équipes techniques de l'APDRA, ce qui peut entrainer une casse de la digue aval et une perte importante pour le pisciculteur. Le pisciculteur qui utilise un tronc de ravinala dans son étang depuis 2 ans le décrit pourtant comme « résistant » et une fois placé sous la terre de la digue, « imperméable ».

Encadré n° 2 : Des sources de l'innovation diverses :

Les 5 pisciculteurs qui ont adopté ces systèmes de vidanges alternatifs sont tous situés dans la même commune. Pour deux d'entre eux, non encadrés par l'APDRA, cela s'est fait en observant le moine installé chez un pisciculteur encadré par l'APDRA. L'idée d'utiliser du bambou en tant que système de vidange est venue car il est parfois utilisé entre les rizières dans la zone. Sinon, le pisciculteur qui ne pouvait pas financer un moine lors de son installation a été conseillé par un ACP, qui lui-même s'était inspiré de ce qu'il avait vu dans une autre zone. Enfin, pour le système en tronc ravinala, le pisciculteur dit y avoir pensé tout seul. Il utilise des bambous entre ses rizières et a eu l'idée du tronc de ravinala car le diamètre est plus large. Un pisciculteur d'une autre zone, a également adopté le tronc de ravinala, mais seulement entre ses trous vidangeables et son canal de contournement (voir Figure 16).

Autres points de vue sur l'innovation : Selon un ACP, lorsque les installations d'étangs barrages sont faites par des pisciculteurs relais (et non par les ACP), cela arrive qu'ils conseillent au nouveau pisciculteur un système de vidange en bambou, surtout si le nouveau pisciculteur dit ne pas avoir assez d'argent pour financer un moine.

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Figure 15: Photos de deux systèmes de vidanges en bambous placés sous la digue aval de l'étang barrage

Figure 16: Photos d'un système de vidange en tronc de ravinala chez un pisciculteur

Encadré n° 3 -Les différentes opportunités que présentent ces systèmes de vidanges alternatifs :

Sur la Côte Est, beaucoup de pisciculteurs construisent des étangs de petites tailles. Selon les bases de données APDRA, sur les 120 pisciculteurs possédant un étang barrage, la superficie moyenne d'un étang barrage est de 22,3 ares (avec une moyenne de 12 ares pour les pisciculteurs installés en 2019 et 2020). Cette solution de système de vidange gratuit et facilement disponible

pour les pisciculteurs est à considérer. En effet, elle peut servir :
- A se lancer en pisciculture sans avoir à investir dans le moine (voir Tableau 6)

- De solution transitoire avant d'installer un moine. A considérer : le temps de travail pour casser et reconstruire une partie de la digue afin d'y placer par la suite la buse en béton.

- De solution permanente remplaçant le moine pour certains étangs, notamment les étangs de petites tailles non exposés à des débits d'eau trop importants.

Cependant ces systèmes de vidanges apparaissent moins efficaces que le moine. En effet, le fait de ne pas pouvoir réguler la lame d'eau aussi facilement qu'avec le moine peut être un frein à la culture du riz en étang barrage et donc une perte économique importante pour le pisciculteur. On remarque que les pisciculteurs adoptant ces systèmes de vidange alternatifs ne cultivaient pas de riz. De plus, lors des pêches, les buses en matériaux végétaux peuvent se boucher et ralentir la vidange de l'étang, ce qui peut grandement impacter le cheptel, notamment si les poissons sont fortement exposés à des températures élevées et au manque d'eau dans l'étang pendant plusieurs heures.

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Innovation n°4 : Les différentes utilisations faites de l'étang barrage

Référentiel APDRA- L'APDRA recommande d'utiliser l'étang barrage pour le grossissement des espèces piscicoles.

Innovations rencontrées en ferme -Sur le terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs utilisent l'étang barrage pour d'autres finalités.

> Un réservoir d'eau pour les étangs de services (2 pisciculteurs)

Deux pisciculteurs rencontrés utilisent leurs étangs barrages comme réserve d'eau en période sèche pour alimenter une batterie de trous vidangeables situés en aval. Cela leur permet d'avoir de l'eau en permanence pour la reproduction (de carpe et de tilapia) et pour le pré grossissement des alevins.

> Un réservoir d'eau pour d'autres activités agricoles ou d'élevages (4 pisciculteurs)

Deux pisciculteurs rencontrés ont rapproché leurs pépinières (fruitiers et épices) de leurs étangs barrage pour pouvoir arroser leurs plants avec de l'eau facile d'accès et fertilisée. L'un d'eux utilise également l'eau pour le maraîchage ainsi que d'autres activités agricoles (voir annexe 5). Un autre pisciculteur utilise l'eau de son étang de production, situé tout près du village, pour faire tourner son alambic et produire de l'huile essentielle de girofle tout au long de l'année. Une autre piscicultrice laisse ses zébus s'abreuver dans son étang de production.

> Un réservoir pour stocker les poissons en période sèche (>5 pisciculteurs)

Face au manque d'eau en période sèche dans les rizières ou dans les trous vidangeables, l'étang barrage sert de réservoir d'eau. Un grand nombre de pisciculteurs rencontrés y transfèrent leurs cheptels de poisson sur l'ensemble de la période sèche (entre septembre et novembre).

> L'étang de production comme étang de reproduction de carpe (3 pisciculteurs)

La reproduction de carpe se fait parfois dans l'étang barrage en réponse aux problèmes de vol ou de manque d'eau dans les étangs de service. Trois pisciculteurs de l'échantillon laissent leur lot de géniteurs carpes dans l'étang barrage pendant la période de reproduction. Ils y placent des supports de ponte (jacinthes d'eau) et attendent une ponte non maîtrisée des génitrices. La ponte non maîtrisée est moins performante que la méthode contrôlée proposée par l'APDRA. En effet, la différence de température, facteur principal du déclenchement de la ponte, est moins contrôlée que dans les étangs de service et le risque de mortalité des alevins y est plus élevé (présence de prédateur comme le Channa striata, compétition avec les poissons de plus grosse taille). Cependant, le risque de vol des géniteurs représente une perte économique importante pour les pisciculteurs. En effet, le prix du kilo de géniteur de carpe s'élève en moyenne à 15 000 MGA/kg (soit 3€) et le pisciculteur qui perd ses géniteurs sera dans l'obligation d'acheter des alevins et / ou des géniteurs carpes pour reconstituer son cheptel.

> Un étang de stockage lors des risques d'inondations (> 5 pisciculteurs)

L'étang barrage, par son trop plein et son système de vidange, permet d'évacuer rapidement l'eau lors des épisodes de fortes pluies (notamment lors des cyclones). Ce n'est pas le cas des rizières ou des trous vidangeables qui peuvent être plus exposés aux inondations. Une grande partie des pisciculteurs rencontrés utilisent leurs étangs barrages pour stocker leur cheptel lors des périodes propices aux inondations (décembre à mars où les précipitations et le risque cyclonique sont maximaux).

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> Un étang de stockage des géniteurs (> 5 pisciculteurs)

Du fait de sa profondeur plus importante que la rizière ou le trou vidangeable, l'étang barrage sert chez certains pisciculteurs d'étang de stockage des lots de géniteurs carpes et tilapias (notamment entre janvier et juillet quand la carpe ne se reproduit pas). Cela permet de laisser les lots de géniteurs dans une surface assez grande où ils continuent à grossir. De plus, l'étang barrage est facile à vidanger grâce au moine ce qui permet de les récupérer facilement. Enfin, dans cet étang profond, les risques de vols sont moindres que dans un trou vidangeable où la pêche au filet est simple.

3.2.2 Les échanges entre les pisciculteurs, une source d'entraide et d'interdépendance Référentiel APDRA- L'APDRA conseille aux pisciculteurs d'un même groupement de s'entraider pour faciliter les travaux d'aménagements (notamment la construction de la digue aval de l'étang barrage) et les pêches. Elle conseille également l'échange de géniteurs entre les pisciculteurs pour favoriser le brassage génétique des espèces.

Echanges innovants rencontrés entre les pisciculteurs - Une grande partie de l'échantillon des pisciculteurs rencontrés sur le terrain collaborent autour de l'activité piscicole. Les échanges identifiés sont de plusieurs types : échanges de travail, de foncier ou de capital (en considérant le cheptel comme un capital). Ces échanges ont principalement été observés entre les pisciculteurs d'un même groupement. Nous présenterons ici deux types d'échanges observés entre les pisciculteurs.

Innovation n°5 : Des échanges pour favoriser la reproduction de la carpe (10 échanges identifiés)

La carpe est une espèce nouvelle pour les pisciculteurs enquêtés. Elle suscite un fort intérêt car elle grossit plus vite et présente des performances optimales sans sexage par rapport au tilapia (voir annexe 6). De plus, les consommateurs sont attirés par ce nouveau poisson qu'il ne connaisse pas. Cependant, la reproduction de la carpe nécessite une maîtrise technique (sexe ratio des géniteurs, préparation de l'étang de ponte, support de ponte) et certaines conditions physico-chimiques spécifiques (de l'eau oxygénée et à température élevée pour déclencher la ponte). La reproduction de la carpe, plus difficile que celle du tilapia, a amené les pisciculteurs à collaborer entre eux pour produire des alevins de carpes.

Dix échanges ont été identifiés dans lesquels des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA font leur reproduction de carpe dans l'étang de ponte d'autres pisciculteurs. Dans la majorité des cas identifiés (6 sur 10), un pisciculteur dispose d'un étang de ponte disponible et un autre a des géniteurs de carpes prêts à se reproduire. Ils reproduisent les géniteurs de l'un dans l'étang de ponte de l'autre et les alevins sont partagés à part égal. Nous présentons ici 4 exemples aux modalités d'échanges diverses.

Exemple 1 : Un nouveau pisciculteur a besoin d'alevins de carpes

Un nouveau pisciculteur encadré par l'APDRA, situé dans le district de Mahanoro, a finalisé son étang barrage de 13 ares au mois de mars 2020. L'APDRA lui a fourni 100 alevins de carpes de 3g pour débuter. Afin d'empoissonner plus d'alevins de carpes pour son premier cycle, l'ACP qui l'encadre lui a proposé d'accueillir dans son trou vidangeable les géniteurs de carpes d'un autre pisciculteur du district qui n'a pas assez d'étangs de ponte disponibles. L'ACP transfère les géniteurs de l'un vers le trou vidangeable de l'autre et l'accompagne techniquement pour la reproduction des carpes. Une fois que la reproduction a lieu, le nouveau pisciculteur garde la moitié des alevins produits et l'ACP ramène à l'autre pisciculteur les géniteurs ainsi que l'autre moitié des alevins produits.

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Exemple 2 : Un pisciculteur n'a pas réussi à faire sa reproduction de carpe

Un pisciculteur (P1) de la zone d'Andasibe n'a pas réussi à reproduire ses géniteurs de carpes cette année dans son étang de ponte. Selon lui, malgré l'eau présente dans un de ses étangs de ponte, elle n'est pas assez oxygénée et il ne peut pas la renouveler car il n'y a plus d'eau venant de sa source (saison sèche). Avec l'ACP qui l'encadre, ils sont allés voir un autre pisciculteur (P2) du groupement qui vit dans les environs pour lui demander son aide. Ces deux pisciculteurs se considèrent comme des « amis », ils ont un lien familial et s'appellent l'un l'autre « beau-frère ». P1 a demandé à P2 l'utilisation de son étang de ponte. P2 était d'accord, d'autant plus qu'il avait déjà produit plus de 10 500 alevins de carpes en faisant trois reproductions cette année. A ce moment-là, ils n'ont pas conclu les termes de l'échange (partage des alevins produits ou non). P1 a transféré sa génitrice de carpe chez P2 qui a empoissonné 3 de ses géniteurs mâles pour la reproduction. P2 s'est occupé de la reproduction qui a bien réussi, mais la génitrice de P1 est morte par la suite. La moitié des oeufs ont été directement transférée dans l'étang de ponte de P1 dans lequel il lui restait de l'eau. L'autre moitié a éclos et a commencé son pré-grossissement dans l'étang de ponte de P2. P1 récupérera l'autre moitié des alevins à l'arrivée des premières pluies quand il aura suffisamment d'eau dans ses trous vidangeables. Les deux pisciculteurs ont par la suite discuté sans l'ACP et ont conclu que P1 garderait la totalité des alevins produits. P1 estime avoir une dette morale envers P2. Il dit : « s'il a besoin d'aide un jour, je l'aiderai ».

Trois hypothèses viennent renforcer le caractère gratuit de cet échange :

- Le lien familial entre ces deux pisciculteurs.

- P2 a produit beaucoup d'alevins de carpes cette année et n'arrive pas à les vendre.

- La génitrice de P1 est morte chez P2 après la reproduction. Il y a donc une perte pour P1.

Exemple 3 : Un pisciculteur n'a pas réussi sa reproduction de carpe

Un pisciculteur (P1) de la zone d'Amboditavolo n'a pas réussi sa reproduction de carpe dans son étang de ponte. L'ACP le met en lien avec une piscicultrice (P2) de la zone d'Ambalavolo qui a 6 trous vidangeables avec de l'eau, même en saison sèche. Les deux pisciculteurs se connaissaient très peu, ils s'étaient vus lors des formations de l'APDRA. L'ACP a transporté les géniteurs de P1 sur l'exploitation de P2. P2 garde en stock tous les alevins de carpes de la reproduction dans son trou vidangeable car P1 est en train de repiquer du riz de saison dans son étang barrage à sec. Finalement, P1 récupèrera la moitié des alevins produits et ses géniteurs avant le mois de mars et P2 gardera l'autre moitié des alevins.

Exemple 4 : Quatre pisciculteurs reproduisent des génitrices de carpes achetées en commun

Quatre pisciculteurs d'un même groupement de la zone d'Ambodiaramy ont acheté 3 génitrices carpes cette année auprès d'un ACP également pisciculteur qui leur avait conseillé cette option pour être autonomes en alevins de carpes. Ils ont fait reproduire ces carpes chez deux d'entre eux, qui disposent de trous vidangeables alimentés en eau en période sèche et de géniteurs mâles. Finalement, ils se divisent les alevins de carpes produits. A titre d'exemple, une des deux reproductions de cette année a donné 800 alevins et ils les ont divisés de la manière suivante :

- 140 alevins chacun (= 560)

- 205 alevins stockés chez le pisciculteur qui a fait la reproduction en guise de sécurité si l'un des 4 pisciculteurs rencontre des problèmes (casse de digue, vol, ...)

- 35 alevins en plus ont été donné au pisciculteur qui a fait la reproduction chez lui (calcul du prix des dépenses de nutrition des alevins en jaune d'oeuf et en poudre de riz remboursé

directement en alevins sur la base du prix des alevins dans la zone : 500 MGA/pièce).

43

Tableau comparatif des 4 exemples d'échanges de géniteurs autour de la reproduction de la carpe :

Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4

 

Pas de lien : Ne se

Lien familial (beaux-

Faible lien : Se

Lien fort : habitent dans le même

Liens entre les

connaissent pas / Ne se

frères) : se considèrent

connaissent grâce à cet

village / Même groupement

pisciculteurs

sont jamais rencontrés /

comme des amis / Même

échange / Deux

 
 

Deux groupements
différents

groupement

groupements différents

 
 

Intervention forte :

Intervention faible :

Intervention forte :

Intervention forte au départ :

 

L'ACP a organisé tout

L'ACP est intervenu lors

L'ACP les a mis en lien

L'ACP-pisciculteur leur a vendu

Intervention de

l'échange entre les deux

du première échange

/ a organisé tout

les génitrices et leur a conseillé de

l'ACP

pisciculteurs

seulement

l'échange

faire des reproductions collectives
de carpe.

 

Economique : Partage

Economique : P1 garde

Economique : Partage

Economique : Partage d'une partie

Nature des

égal des alevins de

l'ensemble des alevins de

égal des alevins de

des alevins à parts égales

échanges

carpes produits

carpes produits

carpes produits

Social : 14 des alevins sont gardés

(économique et

 

Social : P1 dit avoir une

 

en réserve au cas où un des

social)

 

dette morale envers P2

 

pisciculteurs rencontrent des
problèmes (vols, inondations).

Durée de l'échange

Courte durée : juste le

Moyenne durée : Une

Moyenne durée : Les

Longue durée : 14 des alevins

 

temps de la reproduction

partie des alevins

alevins produits restent

appartiennent à tout le groupement

 

(<1 mois)

produits restent 2 mois

1 à 3 mois chez P2 car

tant que personnes ne rencontrent

 
 

chez P2 car P1 n'a pas

P1 a repiqué son étang

de problèmes

 
 

assez d'eau

avec du riz de saison

(> 3 mois)

 
 

(2 mois)

(1 à 3 mois)

 

Tableau 8: Comparaison des 4 exemples d'échanges de géniteurs autour de la reproduction de la carpe

Analyse des 4 échanges de géniteurs carpes pour la reproduction

Exemple 1 Exemple 2 Exemple 3 Exemple 4

Economique

3

2,5

2

1,5

Intervention de l'ACP

0,5

0

Lien entre les psiciculteurs

1

Durée de l'échange

Social

44

Figure 17: Analyse des 4 exemple d'échanges de géniteurs de carpes pour la reproduction

Economique

0 : pas d'échange d'alevins / 3 : alevins divisés totalement à parts égales

Social

0 : pas de dette morale / 3 : dette morale importante

Durée de l'échange

0 : durée de stockage des alevins < 1 mois / 3 : Durée > 3 mois

Lien entre les
pisciculteurs

0 : pas de lien / 3 : lien familial

Intervention de l'ACP

0 : pas d'intervention de l'ACP / 3 : forte intervention de l'ACP

Tableau 9: Tableau explicatif des gradients des variables de la figure 17

Dans l'exemple 1 et 3, les pisciculteurs ne se connaissent quasiment pas avant l'échange et leur lien dépend totalement de l'ACP qui les met en contact et transporte les géniteurs de l'un vers l'autre. Dans l'exemple 1, les pisciculteurs ne se sont même pas rencontrés et dans l'exemple 3, ils se connaissaient de vue lors des réunions de l'APDRA (voir

Tableau 8). La durée de l'échange est rapide pour l'exemple 1, elle ne dure que le temps de la reproduction et est un peu plus longue pour l'exemple 3 car les alevins restent en pré grossissement chez la piscicultrice qui a fait la reproduction. L'échange est principalement économique, ils se partagent les alevins. Une fois l'échange terminé, ils ne se doivent apparemment plus rien. A noter que ces pisciculteurs ne font pas partie du même groupement.

Dans l'exemple 2 et 4, on observe que les pisciculteurs se connaissaient et que l'ACP n'a presque pas eu besoin d'intervenir dans ces échanges (voir Figure 17). En effet, ces pisciculteurs font partie du même groupement. L'échange est beaucoup moins économique (voir Tableau 9). Dans l'exemple 2, les deux pisciculteurs se considèrent comme des amis et « des beaux frères ». Le pisciculteur qui fait sa reproduction chez l'autre récupère l'ensemble de ses alevins sans contrepartie économique. Il estime cependant avoir « une dette morale ». L'échange dure plus longtemps car l'autre pisciculteur s'occupe du pré grossissement de la moitié des alevins produits tant que son beau-frère n'a pas d'eau dans ses trous vidangeables. Dans l'exemple 4, les pisciculteurs se répartissent équitablement les alevins et dédommagent le pisciculteur qui s'est occupé de la reproduction. De plus, il garde des alevins en stock dans le cas où l'un des pisciculteurs rencontrerait des problèmes (vol ou

45

inondation). Cette réserve d'alevins montre le caractère organisé de ces pisciculteurs et la durée importante de l'échange qu'ils ont mis en place (voir Figure 17).

D'autres formes d'échanges ont été identifiés autour de la carpe comme l'échange d'alevins de carpes contre des fertilisants (fiente de poule, fumier de zébu) ou encore contre de la main d'oeuvre. A titre d'exemple, un pisciculteur a échangé 1000 alevins de carpes contre la construction de la maison de son gardien au bord de son étang barrage.

Innovation n° 6 : Les systèmes d'entraide face aux aléas climatiques

Sur la Côte Est certains pisciculteurs subissent des tarissements de leurs étangs lors de la saison sèche (d'octobre à décembre) et tous les pisciculteurs sont exposés de manière plus ou moins importante aux risques d'inondations, notamment en période cyclonique (de janvier à avril). Des dynamiques d'entraides entre les pisciculteurs sont apparues pour répondre à ces deux problèmes.

> Le transfert du cheptel d'un pisciculteur dans l'étang d'un autre en cas de tarissement (5 échanges identifiés)

Echanges innovants rencontrés entre les pisciculteurs - Lors de la saison sèche, certains pisciculteurs subissent un manque d'eau important qui met en danger leur cheptel. Une des solutions est alors de transférer une partie ou l'ensemble de leurs cheptels dans les étangs d'autres pisciculteurs qui disposent encore d'une réserve d'eau.

Exemple 1 : Un pisciculteur transfère une partie de son cheptel chez un autre pisciculteur du groupement

Un pisciculteur (P1) du groupement d'Ambodivoananto a connu un tarissement de son étang barrage en 2018. Il a alors transféré 8 gouramis et 4 hétérotis chez un autre pisciculteur (P2) du groupement. Au sein de ce groupement, ils s'étaient mis d'accord au préalable pour s'entraider sans contrepartie financière en cas de problème de tarissement. P1 a pu conserver ses tilapias et ses carpes dans son trou vidangeable. Il a ensuite décidé de repiquer du riz de saison dans son étang barrage et n'a pas récupéré ses poissons stockés au début du retour des premières pluies. P2 a connu une inondation dans l'étang où étaient stockés les poissons de P1 et l'ensemble de ces poissons ont été perdus. P1 dit n'avoir rien à reprocher à P2 car il n'était pas venu récupérer ses poissons à temps et les inondations sont des phénomènes climatiques qui ne sont de « la faute à personne ».

> Don ou prêt d'alevins ou de géniteurs après une inondation (5 échanges identifiés)

Lors des périodes de fortes pluies, les pisciculteurs sont exposés à des risques importants d'inondations et peuvent perdre une partie voire la totalité de leur cheptel, notamment si la digue aval de l'étang barrage cède. A titre d'exemple, lors du cyclone de février 2020, il y a eu 14 casses de digues chez les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA, soit 10% des pisciculteurs possédant un étang barrage ont été touchés.

Echanges innovants rencontrés entre les pisciculteurs - Sur le terrain, nous avons observé des dons ou des prêts faits par un pisciculteur à un autre, quand ce dernier a perdu son cheptel à cause d'une inondation. Les alevins de tilapias s'échangent gratuitement entre les pisciculteurs des groupements de l'APDRA. Lors des pertes liées aux inondations, les dons les plus courants sont les dons d'alevins de tilapias. Les alevins de carpe ont de la valeur et se vendent entre les pisciculteurs d'un même groupement. Ceux-ci sont donc plus rares, tout dépend du lien entre les pisciculteurs et des termes de l'échange.

46

Exemple 2 : Un ACP-pisciculteur aidé par 4 pisciculteurs après avoir subi une inondation

Un pisciculteur, également ACP, a perdu 50 géniteurs de carpes lors d'une inondation. Il stockait également les géniteurs de carpe de deux autres pisciculteurs dans son étang pour faire leurs reproductions. L'un des deux a été aidé par le fond de solidarité de l'APDRA car il était nouveau et l'autre n'a rien reçu, il a reconstitué son cheptel de géniteurs à partir de ses carpes en grossissement.

L'ACP pisciculteur a reçu l'aide de 4 pisciculteurs de l'APDRA situés dans des zones distinctes. Sur les 4 pisciculteurs, l'ACP en encadrait 3. Il a reçu gratuitement 3 géniteurs de carpes de 3 pisciculteurs différents. Il a également reçu 2 génitrices femelles et 8 mâles carpes (valeur estimée à 150 000 MGA) en échange de 400 alevins de carpes en retour les mois suivants (valeur estimée à 200 000 MGA).

Cet ACP pisciculteur donne régulièrement des alevins de tilapias et de carpes. Fin 2019 et début 2020, il a donné un total de 2000 alevins de carpes à 8 pisciculteurs de deux groupements différents : le sien (Ambohimiadana) et celui voisin de la même commune (Tsarasambo). En annexe 9, une figure représente les différents échanges identifiés (de différentes natures) qui ont eu lieu au sein de ces deux groupements voisins. On observe la place centrale de l'ACP pisciculteur dans ces échanges.

Encadré n°4 : Synthèse sur les systèmes d'entraides face aux aléas climatiques

Ces mécanismes d'entraides ont été identifiés plusieurs fois sur le terrain, la plupart du temps entre les pisciculteurs d'un même groupement, sauf quand il s'agissait d'un ACP pisciculteur (exemple 2).

Pour les transferts de cheptel en cas de tarissement, il n'y a (apparemment) pas de contrepartie en échange de cette aide. Les membres du groupe se mettent d'accord sur le fait que cette aide reste gratuite. Un argument cité était que celui qui prête son étang ne perd rien en retour. Cependant, il faut noter que celui-ci, recevant le cheptel d'un autre, voit la densité d'empoissonnement de son étang augmenter, ce qui diminue la croissance de son cheptel. L'exemple 1 a été confirmé par l'équipe technique de l'APDRA qui avait déjà observé cette situation. En effet, quand un pisciculteur perd le cheptel d'un autre à cause d'une inondation, celui-ci n'a pas à rembourser l'autre pisciculteur. Premièrement car l'inondation est un phénomène météorologique et donc perçue comme inévitable et deuxièmement car l'autre pisciculteur n'est pas venu récupérer son cheptel au moment de l'arrivée des premières pluies.

Pour les dons en cas de perte liés à des inondations, on assiste surtout à des dons d'alevins de tilapia entre les pisciculteurs d'un même groupement car la production est plus abondante et moins couteuse en travail et en investissement que la production d'alevins de carpe. Des échanges dans le temps peuvent également avoir lieu comme le don de géniteurs de carpes en échange d'alevins de carpes quelques mois plus tard (exemple 2).

47

3.3 Deux innovations systémiques approfondies et une étude sur les marchés de vente des pisciculteurs enquêtés

3.3.1 Innovation systémique n°1 : La combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière chez un même pisciculteur :

Référentiel APDRA - Les deux référentiels techniques de l'APDRA utilisés sur la Côte Est, à savoir, l'étang barrage et la rizipisciculture ont continué à être décrits comme deux entités bien distinctes dans les différents rapports écrits par l'APDRA. Très peu d'études ont été menées sur les différents intérêts à combiner ces deux types d'espaces piscicoles et les manières de le faire en fonction de la conduite des espèces piscicoles proposées. Pour l'instant, l'équipe de la Côte Est a validé l'intérêt de l'utilisation de la rizière comme étang de service à l'étang barrage, notamment pour différentes opérations techniques comme la séparation des géniteurs ou le pré grossissement des alevins.

Dans les bases de données de l'APDRA Côte Est, on observe qu'à ce jour, environ 10% des pisciculteurs combinent les deux référentiels techniques sur leurs exploitations, soit entre 20 et 25 pisciculteurs encadrés par l'ONG. Selon l'équipe de l'APDRA, ce chiffre serait sous-estimé car un certain nombre de pisciculteurs utilisent ponctuellement leurs rizières comme étangs de service à l'étang barrage sans être enregistrés comme tel.

Dans l'étude de cette innovation, nous cherchons à mettre en avant différentes combinaisons innovantes des deux référentiels techniques chez différents pisciculteurs. L'objectif est de faire ressortir les caractéristiques, les intérêts que peuvent avoir les pisciculteurs à combiner ces deux référentiels techniques et les conditions dans lesquelles leur combinaison est de leur point de vue efficace et intéressante. Notre échantillon se compose de 4 pisciculteurs issus de 4 zones différentes.

3.3.1.1 : Les différentes pratiques retenues pour décrire les systèmes d'élevage rencontrés

Elevages mono ou
pluri spécifiques ?

Quelles espèces ?

Où se fait le
grossissement ?

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CE1:
En étang barrage

 
 
 
 
 

Carpe

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CE2:
En rizière

 
 

Mono spécifique

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

CE3:
En rizière

 
 
 
 
 
 

Elevage

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Pluri spécifiques

 
 

Carpe et tilapia

 
 

CE4

En rizière

 
 
 
 
 
 

Figure 18: Les différents pratiques retenues pour décrire les systèmes d'élevage des 4 pisciculteurs enquêtés

48

Les 4 pisciculteurs rencontrés utilisent différemment leurs surfaces empoissonnées (voir Figure 18). Ils se distinguent des référentiels techniques proposés par l'APDRA car ils ne font pas de grossissement plurispécifique dans leur étang barrage :

- Un pisciculteur utilise son étang barrage pour l'élevage monospécifique de carpe en monoculture (CE1) et utilise ses rizières pour l'élevage monospécifique de tilapia (CE3) - Un pisciculteur utilise ses rizières pour l'élevage de carpe en monospécifique (CE2)

- Deux pisciculteurs utilisent leurs rizières pour l'élevage plurispécifique de carpe et de tilapia (CE4). L'un d'entre eux fait également de l'élevage monospécifique de carpe dans une partie de ses rizières. (CE2)

3.3.1.2 L'étude de deux trajectoires d'exploitations

> Une piscicultrice (P1) qui est passée de la pisciculture dans un étang barrage de 8 ares à plus d'un hectare de rizières empoissonnées (voir annexe 12)

Caractéristiques de l'exploitation :

P1 a commencé la pisciculture avec l'APDRA en 2016. Elle se situe dans une zone très isolée, difficilement accessible, à 2 heures de moto depuis la route nationale 11A. Avec son mari et ses enfants, ils possèdent un étang barrage de 8 ares, 6 trous vidangeables et plus d'un hectare de rizières aménagés pour la rizipisciculture depuis 2018. Certaines de ses rizières ont été léguées à ses 3 enfants mais c'est toujours elle qui dirige l'activité piscicole sur l'exploitation et ils se partagent équitablement les poissons obtenus lors des pêches. Une partie des rizières se trouve en amont et est moins exposée aux risques d'inondations. Elle ne connait pas de problème de tarissement de ses parcelles en saison sèche. Le vol est un problème survenu plusieurs fois. Lors de notre échange, le mari était au tribunal pour régler une affaire de vol de carpes sur leur exploitation.

Evolution des pratiques et des stratégies de la piscicultrice sur son exploitation :

En 2016 et en 2017, cette piscicultrice faisait des cycles de 6 mois de grossissement plurispécifique de carpe et de tilapia en étang barrage et a obtenu des rendements de plus de 500 kg/ha/an. En 2018, conseillé par l'équipe de l'APDRA, elle décide de prolonger son cycle de grossissement à 1 an pour augmenter le grossissement de ses poissons car elle n'en était pas satisfaite. Cependant, lors de ce cycle, elle subit un vol de l'ensemble de son cheptel qui la démotive à continuer la pisciculture. Cette même année, elle participe à une visite échange organisée par l'APDRA dans la région Itasy sur les Hautes Terres de Madagascar. Elle y découvre la rizipisciculture qu'elle décide d'adopter à son retour. L'adoption de la rizipisciculture lui permet d'augmenter ses surfaces empoissonnées (multiplier par 12 en 2 ans) et de répartir son cheptel dans l'espace et ainsi diminuer les risques de vol.

« La rizipisciculture m'a permis d'augmenter ma production piscicole et de diminuer les
risques de vol » P1, novembre 2020

En 2019, elle a vendu 5000 alevins de carpes localement pour avoir de l'argent et finaliser la construction de sa maison en bois avec un toit en tôle. Il lui manque alors des alevins au mois de juillet 2020 pour empoissonner l'ensemble de ses rizières. En 2021, elle aimerait empoissonner une surface plus importante de ses rizières au risque de les perdre lors de la saison cyclonique. Son mari s'y oppose et préfère vendre les alevins, une stratégie qu'il juge plus sûre. A moyen terme, elle aimerait acheter

49

des grilles pour éviter la perte de ses poissons en rizières lors des inondations et une décortiqueuse pour leur riz et celui des gens du village. Elle utiliserait le son de riz pour nourrir ses poissons.

> Un pisciculteur(P2) qui mise de nouveau sur l'étang barrage pour faire grossir ses alevins de carpes qu'il n'arrive pas à vendre (voir annexe 10)

Caractéristiques de l'exploitation :

P2 est un pisciculteur situé à 16 km de Vatomandry en passant par des routes secondaires peu praticables. Il a commencé la pisciculture en 2004 en élevant du gourami pêché dans les cours d'eau mais il a fini par arrêter par manque de connaissances techniques. Il a repris la pisciculture avec l'APDRA en 2017 en rizière puis très rapidement a construit un étang barrage de 6 ares avec l'argent des premières pêches. Il a aujourd'hui près d'un demi-hectare de rizière empoissonné près de sa maison. Il est en train de construire deux étangs barrages supplémentaires. La partie aval de ses rizières est exposée aux risques d'inondations. P2 a des parcelles de café, c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent. Grâce à ses rizières, lui et sa famille arrivent à être auto-suffisant en riz.

Evolution des pratiques et des stratégies du pisciculteur sur son exploitation :

Lors de son premier cycle d'élevage de carpe et de tilapia en 2017, il a d'abord fait pré grossir ses poissons dans ses rizières pendant 3 mois. Il a perdu ses tilapias lors d'une inondation dans ses rizières. Il a ensuite transféré ses carpes dans son étang barrage de 5 ares. Il a remarqué que ses carpes grossissaient mieux en étang barrage qu'en rizière car elles avaient plus d'espace. Jusqu'en 2020, P2 faisait de la monoculture de carpe en rizière et utilisait ponctuellement son étang barrage en fonction de la disponibilité en eau de celui-ci. Cependant, ses carpes ne grossissaient pas beaucoup en rizière, selon lui à cause de la faible lame d'eau et la présence du riz qui gêne les carpes (il n'a pas de canaux refuges dans toutes ses rizières). L'ACP qui l'encadre dit que ses carpes ne font que pré grossir en rizière et ne dépasse pas 100 à 150 g. P2 vendait ses carpes en tas dans les villages environnants.

« Les pisciculteurs de la zone ne veulent que des petites quantités d'alevins, moins de 100,
mais moi j'ai beaucoup d'alevins à vendre I » P2, novembre 2020

En 2020, P2 a réussi à produire plus de 11 000 alevins de carpe sur 4 reproductions. Il espérait vendre ses carpes à d'autres pisciculteurs et gagner beaucoup d'argent. Cependant, il se trouve dans une zone reculée difficile d'accès et il n'a pas beaucoup de contacts d'acheteurs. Il a demandé à l'APDRA de l'aider pour lui trouver des clients ou pour lui acheter directement ses alevins. Il a réussi à vendre une centaine d'alevins seulement à un de ses voisins. Avec cet argent, il a pu embaucher de la main d'oeuvre pour finaliser la construction de deux étangs barrages, dont un de 28 ares. Vu qu'il n'arrive pas à vendre ses alevins, il prévoit de faire le pré grossissement de ses carpes en rizières et le grossissement de 1600 alevins carpes dans son étang barrage de 28 ares. Les tilapias qu'un ami va lui fournir seront empoissonnés dans le deuxième étang en construction afin de tester quel poisson grossit le mieux.

50

3.3.1.3 Les principaux intérêts de la combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière

> Avantage de la rizipisciculture : augmenter les surfaces empoissonnées pour un faible coût d'aménagement

Selon les bases de données de l'APDRA, une grande partie des pisciculteurs qui combinent les deux référentiels techniques ont commencé avec la pisciculture en étang barrage et ont ensuite développé la rizipisciculture quand l'APDRA a diffusé ces techniques développées sur les Hautes Terres. Sur les 4 pisciculteurs enquêtés, 3 d'entre eux ont participé à des visites échanges chez des rizipisciculteurs des Hautes Terres de l'île avant d'adopter la rizpisciculture. Ces échanges organisés par l'APDRA ont permis aux 3 pisciculteurs d'apprendre des techniques rizipiscicoles et d'échanger avec d'autres pisciculteurs. Ils parlent de ces échanges comme d'un moment riche d'apprentissage

L'adoption de la rizipisciculture a permis d'augmenter, à faible coût, les surfaces piscicoles des exploitations. En effet, ces pisciculteurs avaient déjà des rizières. Les seuls aménagements à faire recommandés par l'APDRA sont le rehaussement des diguettes et l'installation d'un canal refuge au milieu des rizières. Le canal refuge n'est pas adopté par tous les pisciculteurs rencontrés. En effet, les sols de la Côte Est sont principalement constitué d'argiles et la formation de boue est fréquente (Roederer, 1972). Le canal peut se boucher rapidement au cours d'un cycle d'élevage. La construction d'un étang barrage demande des investissements plus lourds. La construction de la digue aval demande elle une quantité de travail importante. Le pisciculteur emploie alors de la main d'oeuvre et/ou mobilise la main d'oeuvre familiale de l'exploitation. De plus, le moine est une dépense monétaire incompressible (voir Tableau 6). Les pisciculteurs mettent généralement plusieurs années (entre 0,7 et 5,6 années selon le RSE) à rembourser leurs investissements lorsqu'ils construisent un étang barrage.

Sur les 4 pisciculteurs enquêtés, 2 ont multiplié par 10 leurs surfaces empoissonnées en 2 ans. Pour l'un des autres pisciculteurs, les deux systèmes lui ont permis de séparer ses carpes et ses tilapias car il rencontrait des problèmes de surdensité d'alevins de tilapia dans son étang barrage, qui selon, lui freinait la croissance de ses carpes. Le dernier pisciculteur a un étang barrage de petite taille (6 ares). Il ne l'utilise jusqu'alors presque pas car il tarit en saison sèche. Il utilise ses rizières pour le grossissement de ses carpes.

L'adoption de la pisciculture en rizière impacte la culture du riz. L'un des 4 pisciculteurs faisait autrefois 3 cycles de riz par an alors qu'il n'en fait plus que 2 depuis qu'il y associe l'élevage de poisson. Il a arrêté de faire du « vary ririnina », la variété de riz à cycle court. En effet, le travail du sol, notamment le piétinage du sol par les zébus demande un à sec total des rizières et donc une maîtrise plus importante de l'eau, en plus de pêches qui peuvent fragiliser une partie du cheptel. Le pisciculteur dit être satisfait car le « vary ririnina » ne fait que des petits grains et que quand il n'y a pas de riz dans les rizières, la fertilité de l'eau « ne profite qu'aux poissons qui grossissent mieux ». Un autre pisciculteur a adopté des variétés de riz à cycle intermédiaire de 4 mois et à pailles longues qui peuvent atteindre plus d'un mètre. Le passage d'un cycle de riz long (vary vato) à un cycle de riz intermédiaire lui laissent plus de temps pour organiser les différents travaux agricoles, principalement le piétinage par les zébus et l'apport de fertilisant (fumier de zébu et fiente de volaille). Cela lui permet après la récolte du riz, de garder ses lots de poissons dans quelques rizières où il maintient une lame d'eau suffisante pendant qu'il travaille sur ses autres rizières.

51

> Des fonctions de l'étang barrage différentes de celles recommandées par l'APDRA :

Les 4 pisciculteurs de l'échantillon n'utilisent plus leurs étangs barrages pour le grossissement plurispécifique de leurs poissons depuis qu'ils ont des rizières.

Un pisciculteur utilise ses étangs barrages comme étang de stockage lorsqu'il rencontre des problèmes de sécheresses ou d'inondations dans ses rizières. Cette année, il n'a pas manqué d'eau dans ses rizières. Quand cela lui arrive, il se sert de ses étangs barrages qui ne tarissent pas, pour stocker son cheptel (en priorité les poissons les plus gros). Les risques d'inondations en rizières sont plus fréquents (entre janvier et mars), il utilise alors ses étangs barrage pour stocker son cheptel. En effet, le système de vidange de l'étang barrage permet de réguler plus facilement le niveau d'eau et le trop plein permet d'éviter les risques de débordements. Après le mois mars, il pêche ses poissons stockés, les vend s'il a des commandes ou les remet en grossissement dans le cas contraire. Un autre avantage du stockage en étang barrage est que la pêche à l'épervier (filet lesté qui piège les poissons proches de la surface) est très facile pour de petites quantités de poissons pour l'autoconsommation ou la vente en détail à des voisins.

Une piscicultrice utilise son étang barrage entre janvier et juillet pour stocker ses géniteurs de carpes et de tilapias et stocker ses alevins de carpes de l'année précédente. Dans le même temps, les géniteurs de tilapias se reproduisent en continu. L'étang barrage est l'endroit le plus sûr sur son exploitation face aux risques d'inondations. Elle fait une première pêche en mai pour récupérer ses géniteurs de carpes qu'elle sépare avant la reproduction. A ce moment elle récupère également des alevins de tilapias pour les faire pré grossir dans des trous vidangeables. Au mois de juillet, elle refait une pêche de son étang barrage pour enlever tous les poissons qui s'y trouvent : les géniteurs de tilapias sont transférés dans des trous vidangeables avec les alevins de tilapia et les alevins de carpe sont empoissonnés dans l'ensemble des rizières aménagées de l'exploitation. L'étang barrage sert alors pour la reproduction de carpe à partir du mois d'août car il y a moins de risque de vol que dans un trou vidangeable. Elle place des jacinthes d'eau dans son étang barrage et récupère au fur et à mesure les jacinthes d'eau où sont présents des oeufs de carpes pour les transférer dans un trou vidangeable. Fin novembre, elle fait une pêche de son étang barrage pour récupérer les géniteurs et les alevins de carpe encore présents. Le tout est transféré dans les trous vidangeables en attendant que l'étang barrage se remplisse.

Un pisciculteur utilisait en 2020 son étang barrage pour stocker ses géniteurs de carpes d'avril à juillet. Il vivait à ce moment près de son étang barrage et il préférait garder ses géniteurs de carpes près de lui pour éviter le vol. Après le mois d'août, il n'avait plus assez d'eau dans son étang barrage. Il a donc décidé d'y cultiver uniquement du riz sur la totalité.

Le dernier pisciculteur utilise son étang barrage comme source d'eau pour faire fonctionner ses deux alambics. Quand il a assez d'eau dans son étang barrage, il fait deux cycles de riz par an et deux cycles de grossissement de six mois d'alevins carpes achetés (élevage monospécifique). Quand son étang barrage manque d'eau, il choisit de ne faire qu'un cycle de riz (riz de saison) et un cycle de grossissement de carpes d'un an. Il s'assure d'avoir de l'eau dans son étang barrage pour faire fonctionner ses deux alambics en saison des pluies et un alambic en saison sèche. L'emplacement de son étang barrage (juste à côté du village) est idéal pour installer ses alambics et louer leur utilisation aux villageois pour qu'ils distillent leurs feuilles de girofle (voir annexe 13).

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3.3.2 Etude de cas n°2 : Différentes conduites d'élevages innovantes du tilapia du Nil

Référentiel APDRA - Le tilapia du Nil (O.niloticus) est une espèce qui a une maturité sexuelle précoce et qui se reproduit fréquemment et en nombre important. En effet, à l'âge adulte, 60 géniteurs (15 mâles et 45 femelles) produisent en moyenne 5000 alevins en 1 mois (APDRA, 2017b). La surdensité d'alevins de tilapia de différentes générations dans un même étang entraine une compétition alimentaire (Lazard et al., 1990) et des effets de cannibalisme des plus gros alevins sur les petits. Cela réduit de manière significative le Gain Moyen Quotidien5 (GMQ) des lots de tilapias, surtout dans les systèmes extensifs proposés par l'APDRA où il n'y a pas ou peu d'apport de fertilisants et/ou d'aliments.

Dans le but de maximiser la croissance des tilapias dans un système extensif, l'APDRA recommande un certain nombre d'étapes (voir Figure 19) afin d'obtenir des « fingerlings » (tilapia d'une taille de 2 à 3 doigts, soit environ 20 à 30g) mâles pour le grossissement dans l'étang barrage (APDRA, 2017b). En effet, l'indice de performance de croissance est plus élevé pour un élevage monosexe mâles de tilapia (O.niloticus) que pour l'élevage pluri sexes ou l'élevages monosexe femelles (Lazard et al., 1990).

Figure 19: Les étapes piscicoles menant au sexage des fingerlings de tilapia dans l'étang de service

Source : (APDRA, 2017b)

Etape 1 : Empoissonnement des géniteurs (T0)

Afin d'améliorer le génotype du lot de poisson, l'ADPRA encourage le brassage génétique et l'utilisation de géniteurs ayant connus une bonne croissance. Elle recommande également de respecter le sexe ratio suivant : 1 géniteur mâle pour 3 génitrices femelles. Ce sexe ratio représente une fécondité optimale du tilapia en étang (Abdel-Fattah M.El Sayed, 2006). Les géniteurs sont empoissonnés ensemble dans un étang de service.

Etape 2 : Retrait des géniteurs ou pêche des larves naissantes (T30)

Après 20 à 30 jours, les géniteurs se sont reproduits entre eux et ont donné naissance à une population d'alevins de la même génération (au stade de larves). Pour éviter qu'une deuxième population d'alevins ne naisse, l'APDRA recommande de retirer les géniteurs de l'étang de service. Pour cela une première pêche est effectuée en vidant l'étang de service, en stockant les alevins de

5 Le Gain Moyen Quotidien (GMQ) représente la masse gagnée ou perdue en moyenne chaque jour par un poisson ou un lot de poisson sur une période donnée (exprimé dans l'étude en g/j pour un cycle donné)

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tilapia et en retirant les géniteurs. L'étang est ensuite rempli de nouveau et les alevins sont réempoissonnés.

L'APDRA propose également de pêcher directement les larves naissantes tous les 7 à 15 jours pour avoir des lots homogènes et de les empoissonner directement dans un autre étang. Cette technique permet de laisser le lot de géniteurs se reproduire plusieurs fois pour obtenir une quantité importante d'alevins.

Etape 3 : Pêche de comptage (T60)

Un mois après la pêche des géniteurs ou le pré grossissement d'un lot homogène d'alevins dans un autre étang, les alevins ont grossi un petit peu et sont moins fragiles. On effectue alors une pêche de comptage. Celle-ci sert à garder uniquement le nombre d'alevins de tilapias nécessaire pour empoissonner l'étang barrage. Il faut alors sélectionner les alevins les plus gros et de préférence d'une taille plutôt homogène pour faciliter le sexage. Pour cette seconde pêche, l'étang de service est de nouveau vidé puis rempli.

Etape 4 : La pêche de sexage (T90-T150)

Après 3 à 5 mois de pré-grossissement en moyenne (selon la fertilisation, l'alimentation apportée et la densité d'alevins), les alevins de tilapias obtiennent la taille de fingerlings (20 à 30g). A cette taille, il est possible de reconnaître facilement le sexe des alevins de tilapia. Une nouvelle pêche, la pêche de sexage, a alors lieu afin de séparer les alevins mâles et les alevins femelles. Ils sont empoissonnés dans l'étang barrage. Les alevins femelles peuvent être consommés ou vendus. On peut noter que sur le terrain pour 1000 alevins de 20 g produits, environ 1 tiers sera sélectionné comme alevins mâle. En effet, en plus du tiers de femelle, le dernier tiers est constitué d'alevins dont le sexe est difficile à définir. Plus la taille du tilapia grandi, plus le tilapia est facile à sexer.

Etape 5 : Le grossissement des fingerlings mâles dans l'étang barrage

L'APDRA conseille un cycle de grossissement de 6 mois pour pouvoir faire deux cycles de grossissement par an. En général, les tilapias atteignent la taille d'une main, soit environ 200 g (APDRA, 2017b). Ce chiffre dépend principalement de la densité d'empoisonnement, du niveau de fertilité de l'étang et de l'apport d'aliments.

Lors du sexage, qui se fait manuellement, les erreurs sont inévitables, entre 2 et 10% (Lazard et al., 1990) et des tilapias femelles sont réempoissonnées par erreur dans l'étang barrage. Cela donne naissance à des générations d'alevins de tilapia non désirées. C'est pourquoi, l'APDRA recommandait d'associer le tilapia avec le paratilapia, un prédateur qui aurait pour rôle d'éliminer ces populations non désirées. Cependant, le paratilapia est jugé peu efficace par les pisciculteurs et les équipes de l'APDRA. Actuellement, malgré les recherches et les tests qui sont en cours en station sur d'autres espèces, aucun prédateur satisfaisant n'a pu être identifié sur la Côte Est.

Encadrée n°5 : Les conditions nécessaire recommandée par l'APDRA pour l'élevage du tilapia :

- Au moins 1 étang de service mobilisé pour le tilapia ; cet étang doit pouvoir être alimenté en eau (rapidement) après les trois différentes pêches (retrait des géniteurs, comptage et sexage) - Maitriser la technique de sexage des alevins de tilapia

- Un étang barrage pour le grossissement des tilapias mâles

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Innovations rencontrées - Sur le terrain, on observe qu'un grand nombre de pisciculteurs conduisent leurs cheptels de tilapia différemment de ce que recommande l'APDRA. Le point de départ de cette étude a été d'observer l'absence de la pêche de sexage chez les pisciculteurs de notre échantillon. En effet, des pisciculteurs déjà expérimentés, qui réalisaient le sexage auparavant, ont arrêté de le faire. On parle alors d'une innovation par retrait car la technique de sexage a été enlevée de la conduite d'élevage du tilapia par ces pisciculteurs (Goulet & Vinck, 2012).

Notre échantillon se compose de 8 pisciculteurs situés dans 7 zones différentes. Nous nous intéressons ici aux différentes raisons qui ont amené ces pisciculteurs à cesser de sexer les fingerlings de tilapia, et plus généralement, à l'étude des différentes conduites d'élevages du tilapia par rapport à ce que recommande l'APDRA.

3.3.2.1 Analyse zootechnique des différentes pratiques d'élevages du tilapia

Nous avons décrit la diversité des cycles d'élevages rencontrés dans notre échantillon du point de vue de trois pratiques clés, qui les discriminaient particulièrement :

- L'utilisation ou non d'un lot de tilapias comme géniteurs dans le but de les faire se reproduire entre eux.

- Le type de reproduction :

Si le pisciculteur retire ses géniteurs de l'étang avant leur deuxième cycle de reproduction, soit à peu près 30 jours après l'empoissonnement des géniteurs, il y a une seule génération d'alevins qui nait.

Si le pisciculteur laisse ses géniteurs ensemble pendant plus de 30 jours, on parle de reproduction continue et plusieurs générations d'alevins naissent.

Si le pisciculteur n'empoissonne pas de géniteurs mais seulement des alevins de tilapias et

qu'ils se reproduisent une fois leur maturité sexuelle atteinte, on parle de reproduction spontanée et en général, plusieurs générations d'alevins naissent.

- La pratique de la pêche de sexage pour n'empoissonner que les tilapias mâles dans l'étang barrage.

Ces trois pratiques zootechniques nous permettent de montrer une diversité de conduites d'élevage du tilapia. A noter, un pisciculteur peut adopter plusieurs conduites d'élevages sur son cheptel de tilapia. Cependant, ces pratiques sélectionnées ne suffisent pas pour dire que les pisciculteurs conduisent de la même façon leurs lots de tilapias. D'autres critères ont été relevés et seront mentionnés par la suite.

Les différentes pratiques retenues pour décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés

L'empoissonnement
-Utilisation de géniteurs ?
-Sexe ratio géniteurs ?
-Autres espèces présentes ?

La reproduction
- Type de reproduction ?
- Type d'étang ?
-Autres espèces présentes ?

Le pré grossissement et le grossissement :
-Pré grossissement et grossissement séparés ?
- Type d'étang ?
- Durée du ou des cycle(s) ?
- Pratique de la pêche de comptage ? de sexage ?
- Autres espèces présentes ?

Séparation
géniteurs-alevins

Stockage
Alevins de TTV

sexage

CE1:

Grossissement Tilapias mâles

Retrait des géniteurs
avant leurs 2ème cycles
de reproduction

Pré grossissement
alevins TTV*

Empoissonnement

Alevins TTV

sexage

CE3

Pré grossissement et grossissement TTV

CE4

Pré grossissement et grossissement TTV

Géniteurs Tilapias

Reproduction continue

Reproduction
spontanée

Pré grossissement
alevins TTV

CE2

Grossissement Tilapias mâles

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*TTV : Tilapia Tout Venants : des tilapias qui ne sont pas sexés

Figure 20: Les différentes pratiques retenues pour décrire la diversité des conduites d'élevages du tilapia pratiquées par les 8 pisciculteurs enquêtés

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CE1 : Un cycle d'élevage qui se rapproche du référentiel de l'APDRA (3 pisciculteurs)

Ce type de conduite d'élevage du tilapia représente les pisciculteurs qui, a priori, suivent le référentiel de l'APDRA. En effet, ils gèrent la reproduction des géniteurs de tilapias en faisant en sorte que les générations d'alevins produites ne soient pas mélangées entre elles. Ensuite, ils laissent les alevins pré grossir dans des trous vidangeables bien alimentés en eau. Ces 3 pisciculteurs possèdent de nombreux trous vidangeables (de 5 à 14). Ils ont une bonne gestion et une bonne disponibilité en eau dans ces trous vidangeables pendant toute la période sèche (septembre à novembre).

On observe que 2 des 3 pisciculteurs vendent leurs alevins de tilapias en priorité et ne les font presque pas grossir. En effet, ils laissent pré grossir leurs alevins de tilapias entre 1 et 5 mois dans leurs trous vidangeables et les vendent par la suite (de 1 à 20g). L'un deux ne fait plus de grossissement de tilapias mâles dans son étang barrage car il obtenait de mauvais rendements (200kg/ha/an) à cause de la mauvaise fertilité naturelle de celui-ci. L'autre, quand il lui reste des alevins non vendus, les sexe pour ne faire grossir que les mâles dans son étang barrage. Cette année 2020, il a vendu l'ensemble de sa production d'alevins de tilapia et n'en a pas fait grossir. Ces deux pisciculteurs se sont spécialisés dans le marché de vente d'alevins de tilapias.

Le troisième pisciculteur fait grossir ses alevins dans ses trous vidangeables jusqu'à la taille sexable (fingerlings). Il sexe ensuite les fingerlings et ne fait grossir que les mâles dans son étang barrage. Cependant, lors de la saison de reproduction de la carpe (de juillet à décembre), il mobilise ses 5 trous vidangeables pour la séparation des géniteurs de carpes, leurs reproductions et le pré grossissement des alevins de carpes. Il a alors développé une technique alternative pour produire des fingerlings de tilapia (CE2).

CE2 : Un cycle d'élevage comprenant une technique alternative au référentiel de l'APDRA pour
produire des fingerlings de tilapias
(1 pisciculteur)

Le pisciculteur enquêté dispose d'un étang de 20 ares équipé d'un système de vidange en tuyau PVC de grosse taille et un canal de drainage aménagé. Tout au long de l'année, il utilise cet étang pour produire des fingerlings de tilapias. Il empoissonne 60 à 80 géniteurs de tilapia (sexe ratio APDRA) qui se reproduisent en continu sur une période de 6 mois. Il fait une première pêche en juin en récoltant le riz de saison et prélève les alevins les plus gros. Le canal lui permet lors des pêches, de ne vidanger qu'une partie de son étang et donc de garder une lame d'eau suffisante, utile en période sèche, pour les géniteurs et les alevins non récupérés. Ensuite, il transfère les alevins dans des moustiquaires situées dans le canal de contournement ou dans un de ses trous vidangeables. Il fait alors le sexage des fingerlings qui ont une taille assez grande et empoissonne les alevins mâles dans son étang barrage de 62 ares. Les alevins femelles sont autoconsommés et les alevins de taille non sexable sont laissés à pré grossir plus longtemps dans un de ses trous vidangeables.

Le sexage des fingerlings de tilapia lui prend du temps et nécessite de la main d'oeuvre formée. Il fait donc appel à d'autres pisciculteurs du groupement pour l'aider. Finalement, on constate que les rendements de ce pisciculteur restent faibles. Lors de la dernière pêche de son étang barrage de 62 ares (cycle de 10 mois), il n'a obtenu que 25 kilos de tilapias d'un poids moyen de 80 g et 25 kilos d'alevins de tilapia non désirés. Selon lui, cela serait dû aux erreurs de sexage inévitables et à la difficulté qu'il rencontre à faire un à sec total de son étang de barrage pour éliminer les alevins de tilapia restants entre chaque cycle.

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CE3 : Un cycle d'élevage de production de tilapias tout venant par reproductions en continu

(4 pisciculteurs)

Les 4 pisciculteurs enquêtés font de la reproduction en continu d'un lot de géniteurs de tilapias. Le pré grossissement et grossissement des tilapias se fait dans le même espace que le lot de géniteurs. 3 des 4 pisciculteurs enquêtés rencontrent un manque de trous vidangeables alimentés en eau pendant la saison sèche.

Deux pisciculteurs (voir annexe14 et 15) empoissonnent une partie de leurs géniteurs dans leurs étangs barrages sur des cycles de 6 mois à 1 an en fonction de la disponibilité en eau. Leur objectif principal est d'obtenir beaucoup d'alevins de tilapias pour ensuite les revendre à d'autres pisciculteurs. Lors de leurs pêches finales de l'étang barrage, ils récupèrent les alevins de tilapias et les stockent dans leurs trous vidangeables. Ces alevins peuvent avoir des âges variés (de moins d'un mois à presque 1 an) ce qui impacte directement leur croissance (Abdel-Fattah M.El Sayed, 2006). Les tilapias de plus grosses tailles sont vendus, autoconsommés ou parfois servent à la reconstitution du lot de géniteurs. Un des deux pisciculteurs mobilise également une de ses rizières pour faire de la reproduction en continue et ainsi produire des d'alevins destinés à la vendre.

Un autre pisciculteur fait de la monoculture de tilapia dans un étang de 3,5 ares équipé d'un moine. Il laisse se reproduire en continue 40 géniteurs de tilapia (sexe ratio APDRA) dans l'objectif d'obtenir beaucoup de petits tilapias pour les vendre. Il fait une pêche environ tous les 4 mois et vend les tilapias de plus de 50 g en tas, localement. Il réempoisonne les tilapias de moins de 50g avec les géniteurs dans son étang. Il a arrêté de mettre ses tilapias dans son étang barrage car il voulait voir si l'absence de tilapia allait favoriser la croissance des carpes.

Le dernier pisciculteur fait normalement des cycles de 6 mois dans son étang barrage. Cette année, il a été occupé par des « affaires personnelles » et a fait un cycle d'un an et demi. Lors des pêches de son étang barrage, il transfère ses alevins de tilapias dans un trou vidangeable. Il fait alors un tri et n'empoissonne dans son étang barrage que les gros alevins de tilapias (les autres sont autoconsommés). Il souligne également qu'il obtient à chaque cycle une quantité importante d'alevins de paratilapias et qu'il est obligé d'en enlever pour éviter une surdensité de paratilapia. La pisciculture a pour lui un objectif d'autoconsommation. Il préfère miser sur d'autres activités comme les cultures de rentes (les clous de girofle, le poivre, la vanille, la cannelle, le letchi, ...) pour gagner de l'argent.

CE4 : Un cycle d'élevage de production de tilapias tout venants par reproductions spontanées

(2 pisciculteurs)

Les 2 pisciculteurs enquêtés font des reproductions spontanées dans leurs étangs barrages sur des cycles de 6 mois. L'étang est exploité de manière continue et rarement vidangé. Lors des vidanges, le réempoissonnement se fait avec le reliquat de petits poissons (taille d'alevin). Dans ce système, la maîtrise de la population de tilapias est faible et l'empoissonnement ne peut garantir l'atteinte de la taille désirée. La production de biomasse de tilapia y est faible. Ces 2 pisciculteurs ont peu de trous vidangeables (2 à 3) et rencontrent des difficultés pour y avoir une quantité d'eau suffisante en saison sèche.

De plus, ces deux pisciculteurs favorisent la carpe dans leur exploitation car c'est un poisson qui grossit plus vite que le tilapia (voir annexe 6) (APDRA, 2017a). C'est également un poisson « nouveau dans la zone » apprécié par les consommateurs. Pour cela, ils mobilisent l'ensemble de leurs trous vidangeables pour la reproduction des carpes et le pré grossissement des alevins de carpes.

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3.3.2.2 L'exemple de deux trajectoires d'exploitations :

Plusieurs pisciculteurs de l'échantillon sont passés en quelques années de la vente de tilapias dans les marchés de consommation à la vente d'alevins de tilapias à d'autres pisciculteurs. Quant à d'autres pisciculteurs, ils sont passés de la vente de tilapias grossis dans les grandes villes à la vente de petits tilapias vendus « en tas » dans les hameaux environnants. Cela montre une plasticité importante des systèmes d'élevage des pisciculteurs qui s'adaptent rapidement à la demande du marché et aux difficultés qu'ils rencontrent.

> Un pisciculteur (P3) qui est passé du grossissement plurispécifique en étang barrage à la vente d'alevins de tilapias (voir annexe 14)

Caractéristiques de l'exploitation :

P3 est un pisciculteur encadré par l'APDRA depuis 2016. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A, à 30 km au Sud d'Antsampanana (ville située sur l'axe principal du pays reliant les deux plus grandes villes de l'île). Sur son exploitation, il a un bas fond de 50 ares. Sur celui-ci, il dispose d'un étang barrage de 9 ares et de 8 étangs de services faisant entre 1 et 3 ares. Il possède également une pépinière (fruitiers et épices) qui, en 2019, lui rapportait 85 % de sa marge brute (Mounayar, 2019). En saison sèche, son étang barrage manque d'eau mais il arrive à conserver de l'eau dans l'ensemble de ses trous vidangeables en la renouvelant très peu.

Evolution des pratiques et des stratégies du pisciculteur sur son exploitation :

De 2016 à 2018, P3 suivait le référentiel recommandé par l'APDRA et faisait grossir des tilapias mâles et des carpes dans son étang barrage. Cependant, son étang barrage, de petite taille, s'est révélé très peu fertile. Entre 2016 et 2019, les 4 cycles de production n'ont jamais dépassé un rendement de plus de 200 kg/ha/an6 (Mounayar, 2019).

« Si tu n'as pas assez d'espace, il vaut mieux être producteur d'alevins » P3, novembre 2020

P3 a alors changé de stratégie et a aménagé petit à petit une série de 8 trous vidangeables en aval de son étang barrage dans le but de produire des alevins de tilapias pour la vente. En 2018, il a fait sa première grosse vente de 1000 alevins à 300 MGA pièce qui lui a rapporté 300 000 MGA (environ 70 €). Cette vente a compensé la très faible production de son cycle de grossissement.

Aujourd'hui P3 utilise son étang barrage en priorité pour laisser se reproduire en continu une partie de ses géniteurs de tilapia sur un cycle d'un an. Il dispose de 8 trous vidangeables, dont 7 ont pour objectif de produire des alevins de tilapias. 2 étangs de service sont mobilisés pour la reproduction (sexe ratio APDRA). Il laisse ses géniteurs se reproduire trois fois d'affilée, en retirant à chaque fois la génération de larves naissantes pour ne pas les mélanger entre elles, puis il change de géniteurs. Les larves naissantes sont transférées dans deux étangs de service pour le pré grossissement. En fonction des commandes, les alevins pré grossissent un temps plus ou moins long, la moyenne étant de 2 à 3 mois pour un poids final de 10 à 20 g. Il utilise également un ou deux trous vidangeables pour stocker les géniteurs s'étant déjà reproduits. Il mobilise également deux autres trous vidangeables pour le grossissement des futurs géniteurs. Quand il peut séparer les géniteurs mâles et femelles, il le fait pour éviter des reproductions en continu et pour nourrir en priorité les génitrices.

6 Pour l'APDRA, un rendement correct est aux alentours de 500kg/ha/an

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P3 a remarqué que la demande en alevins de tilapia a fortement augmenté ces deux dernières années car de plus en plus de gens font de la pisciculture dans la zone. Il s'est constitué petit à petit un réseau de clients grâce au « bouche à oreille » Sa proximité avec la route nationale lui a permis d'avoir une grande visibilité et un accès facile pour distribuer ses alevins. Il vend aujourd'hui de Mahanoro jusqu'à Brickaville. Ses acheteurs ne sont pas des pisciculteurs encadrés par l'APDRA, ce sont des cagistes et des grands propriétaires qui ont un étang barrage. Mais c'est surtout son travail avec FORMAPROD7 qui lui permet de vendre une grande partie de ses alevins de tilapias. En effet, P3 a d'abord travaillé avec FORMAPROD à travers son activité de pépiniériste (Mounayar, 2019). Aujourd'hui, il joue un rôle de formateur en pisciculture en trous, et fait des prospections de sites pour conseiller les bénéficiaires du projet. En retour, il attend d'eux qu'ils lui achètent ses alevins de tilapia. Si P3 n'a pas assez d'alevins, il fait appel à d'autres pisciculteurs pour le fournir (notamment des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA). Il leur achète à 150 MGA pièce pour les revendre 300 MGA pièce aux bénéficiaires de FORMAPROD.

P3 nous dit avoir honoré en 2020 cinq grosses commandes à des cagistes et des grands propriétaires pour un total de 2000 alevins vendus à 300 MGA, soit un gain annuel de 600 000 MGA (110€). Cependant, il nous dit qu'aujourd'hui, la pisciculture lui rapporte autant que son activité de pépiniériste et que la marge dégagée par sa pépinière est restée relativement stable ces dernières années. Nous émettons l'hypothèse qu'il gagne autant en 2020 avec la pisciculture qu'il ne gagnait avec sa pépinière en 2019, lors de l'étude de cas de M. Mounayar. La pisciculture lui rapporterait dans ce cas 2 800 000 MGA (510€) de marge brute. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait qu'il n'ait pas mentionné ses gains auprès de FORMAPROD lors de l'entretien.

Pour la suite, il prévoit de produire également des alevins de carpes car cela se vend à un meilleur prix que les alevins de tilapias (environ le double). Cependant, il souligne qu'il risque de manquer de trous vidangeables sur son exploitation et que pour lui, la vente d'alevins de tilapias reste plus sûre car il a sa clientèle et il maîtrise la production d'alevins de tilapia.

7 FORMAPROD : Programme de Formation Professionnelle et d'Amélioration de la Productivité Agricole est un projet du MAEP financé principalement par le Fond International de Développement Agricole

Conduite d'élevage sur
l'année 2020
(Site de 15 ares)

P3 : Producteur d'alevins de tilapia

2016 2017 2018 2019 2020

Début de la pisciculture

Pratique du sexage des fingerlings de tilapia

1ère grosse vente de 1000 alevins

Arrêt du sexage et productions d'alevins tout

venants

Evolution de la pratique du
sexage

Evolution de la stratégie du
pisciculteur sur la conduite
du lot de tilapias

Grossissement de tilapias mâles en étang barrage (2016-2019) : - Empoissonnement des tilapias mâles en association avec de la carpe pour les vendre au marché

Constat :

- Etang barrage peu fertile, petit (9 ares), manque d'eau en saison sèche (1 seule pêche / an) -* faible rendement : 200 kg/he/an

- Opportunité de vendre des alevins de tilapias

Vente d'alevins de tilapias tout venant (2019-2020) : - Vente aux propriétaires de cages et d'étangs barrages : 2000 alevins vendus en 2020

- Projet FORMAPROD (FIDA) l'embauche pour former et fournir des pisciculteurs en alevins de tilapias

1 étang barrage (9 ares) : - Reproduction en continue d'un lot de géniteurs (sexe ratio APDRA respecté) pour obtenir des alevins

- Grossissement de carpe et de tilapias pour géniteurs + vente

- 1 pêche par an

2 étangs de reproduction - Reproduction d'un lot de géniteurs et retrait des géniteurs avant leur 2ème cycle de reproduction - 3 reproductions d'affilés puis changement du lot de géniteurs (tous les 3 mois)

2 étangs de pré grossissement : - Pré grossissement des alevins pendant 2 mois environ (10-20g) - Stockage des alevins tilapias jusqu'à la vente

1 ou 2 étangs de

stockage des géniteurs : - Stockage des géniteurs s'étant reproduits si 2 étangs disponibles, séparation pour éviter la reproduction en continue et nourrir en priorité les femelles

2 étangs de grossissement des futurs géniteurs : - Grossissement des futurs géniteurs de tilapias

- Grossissement des futurs géniteurs de carpes

Réseaux d'acheteurs
important
: connu auprès
du projet FORMAPROD et
des grands patrons

Exploitation en bord de
route national
, à 20km de
la Route Nationale 2

En 2020 les marges brutes précises de l'exploitant n'ont pas été obtenues mais :

- La pisciculture lui rapporte autant que la pépinière grâce aux ventes d'alevins tilapias

- La girofle et l'ananas ne produisent que très peu - La cannelle commence à produire

60

La pisciculture lui rapporte
autant que sa pépinière
, qui
lui rapportait 85 % de ses
revenus il y a 2 ans

Il achète à moitié prix des
alevins de tilapias
à
d'autres pisciculteurs pour
les revendre le double

Bilan économique sur
l'exploitation

Eléments importants sur
l'exploitant et sur son
exploitation

61

> Un pisciculteur (P4) qui est passé de la vente de tilapias mâles sur les marchés des villes à la vente de tilapias « en tas » sur les marchés locaux et au bord de son étang (voir annexe 15)

Caractéristiques de l'exploitation :

P4 a commencé la pisciculture avec l'APDRA fin 2014. Son exploitation est accessible par une route secondaire difficilement praticable en saison des pluies. C'est un grand propriétaire, il possède 30 hectares de terre dont la majorité se situe sur les coteaux. En bas fond, il possède 3 hectares de rizières qu'il loue en métayage, un étang barrage de 13,5 ares et un étang de service de 3,5 ares (équipé d'un moine). Il a également des cultures de rentes (letchis, vanille) et 3 hectares de maïs en coteaux qui lui rapportait 60% de sa marge brute en 2019 (Mounayar, 2019).

Evolution des pratiques et des stratégies du pisciculteur sur son exploitation :

L'évolution de sa conduite d'élevage est liée aux problèmes qu'il a rencontrés dans le passé pour écouler ses productions de poissons. En 2016, à ses débuts, P3 a voulu vendre ses poissons à Antananarivo, la capitale, où le prix est plus élevé. Il a fait venir un camion sur son site. Les erreurs de sexages ont entraîné une surdensité des tilapias dans son étang barrage réduisant ainsi le GMQ des poissons empoissonnés. Sur les 400 alevins de tilapias mâles qu'il avait empoissonnés, il s'est retrouvé avec 1000 tilapias d'un poids moyen de 40g et 1500 alevins de tilapias de moins de 5g (base de données de l'APDRA). Les carpes elles, avaient plutôt bien grossi (150g). Finalement, il n'a pas pu rentabiliser le coût du transport du camion.

Depuis, il a arrêté de faire le sexage des fingerlings de tilapia qu'il juge inutile et laisse un lot de 40 géniteurs (sexe ratio APDRA) se reproduire en continue dans l'objectif d'obtenir beaucoup de tilapias à vendre. Pour la carpe, il n'ose plus faire une ponte maîtrisée dans son étang de ponte depuis qu'il s'est fait voler 8 géniteurs en 2018. Il laisse alors ses géniteurs carpes dans l'étang barrage et y met des jacinthes d'eau en espérant qu'elles se reproduisent naturellement. Depuis le mois d'août, il teste d'élever séparément la carpe dans son étang barrage et le tilapia dans son étang de service car il pense que la surdensité de tilapia freine la croissance des carpes. P3 essaie de faire des pêches tous les 4 mois dans ses 2 étangs (en fonction de la disponibilité en eau) pour vendre fréquemment ses poissons.

P3 s'est replié sur les marchés locaux. Il est d'abord allé vendre à Vatomandry mais il a rapidement remarqué que le plus avantageux était de vendre dans les hameaux et les petits villages autour de chez lui. En effet, à Vatomandry, il doit parfois brader ses poissons car il ne peut pas revenir avec sa marchandise alors que chez lui, il n'est pas obligé de tout vendre en une seule fois. Lors de ses pêches, il sélectionne tous les tilapias qui ont atteint une taille vendable (estimée à plus de 50 g) et toutes les carpes de plus de 150 g (estimation). Il réempoissonne tous les poissons plus petits pour un nouveau cycle de grossissement. Lors des pêches, les villageois des hameaux environnants viennent directement acheter au bord de son étang. Le tilapia se vend à 8 000 MGA/Kg (1,78€) et la carpe à 10 000 MGA/Kg (2,22€).Si P3 ne vend pas tout, ses fils vont, en plusieurs fois, vendre ses poissons en petite quantité sur les marchés avoisinants (Ambalavolo, Anosomanasa).

« Avoir des gros poissons ne m'intéresse pas vraiment mais c'est avoir de nombreux
poissons car ça sera consommé par les acheteurs de la localité ici » P3, novembre 2020

A partir de 2021, il utilisera quelques-unes de ses rizières pour empoissonner des alevins de tilapias tout venants sur une surface plus grande. On peut s'attendre à une augmentation de sa production de tilapias de petites tailles. Selon lui, la demande locale est importante car « le poisson est la protéine la moins chère ici ».

Evolution de la pratique de
sexage des tilapias

Début de la pisciculture : empoissonne des alevins de tilapias tout venants fournis par l'APDRA

2014

P4 : producteur de petits tilapias vendus sur les marchés environnants

Pratique du sexage des fingerlings de tilapias

2015-2016

Arrêt du sexage au vue du
faible taux de croissance des
tilapias mâles : empoissonne
du tout venants

2017

Reproduction en continue d'un lot de
géniteurs et pêche tous les 4 mois :
- Vente des tilapias > 50g
- Réempoissonne tilapias <50g

2017-2020

 
 

Produire des tilapias de petites tailles
(pêche tous les 4 mois) : (actuel)
Elevage plurispécifique auparavant /
test en 2020 de l'élevage
monospécifique de tilapia: vente des
tilapias en « tas » dans les hameaux

 

Evolution de la stratégie du
pisciculteur sur la conduite
du lot de tilapias

Produire des tilapias de grosses tailles:
(passé)
Vendre des tilapias mâles à la capitale -*
vente à perte à cause du faible rendement
et du prix élevé du transport (camion
privé, zone isolée)

Produire des tilapias de petites tailles en
rizière
: (futur)
Elevage monospécifique de tilapia en rizière de
mars à octobre pendant les deux cycles de riz
annuel / stockage en étang de service pendant
la période sèche et la période cyclonique

 
 

1 étang barrage (13,5 ares) :
Elevage plurispécifique de carpe, tilapia, hétérotis et gourami.
Ponte non maîtrisée de géniteurs carpes (mesure anti-vol) et reproduction en
continue
d'un lot de géniteurs de tilapia
Actuellement : retrait du tilapia pour éviter la compétition avec la carpe (priorité)
Pêche de décembre : présence importante de channa striata -* mortalité des
alevins de carpes + sol boueux -* A sec pendant 2 mois et culture de riz de saison

1 étang de service (3 ares)
Elevage plurispécifique de tilapia et de
carpe
Actuellement : retrait de la carpe et
élevage monospécifique de tilapias
tout venant

Conduite d'élevage sur
l'année 2020
(Site de 20 ares)

 
 
 

62

Présence importante de channa striata dans ses étangs -* mortalité des alevins de carpes

Exploitation dans une
zone isolée, difficile
d'accès (surtout en
saison des pluies)

Grand propriétaire :
cultures de rentes en
perspectives (vanille pas
encore en production)

Prix de vente locale :
(bord d'étang et hameaux)
- Tilapia : 8000 MGA/kg en tas
-Carpe : 10 000 MGA/kg

Eléments importants sur
l'exploitant et sur son
exploitation

63

3.3.2.3 Les principaux éléments à retenir sur les conduites d'élevage innovantes du tilapia du Nil

> Des difficultés rencontrées par la plupart des pisciculteurs pour produire des tilapias mâles sexés :

Selon les équipes techniques de l'APDRA et d'après les résultats de ces enquêtes, une grande partie des pisciculteurs encadrés par l'ONG ne trouvent pas d'intérêt ou n'ont pas les conditions pour pratiquer les 5 étapes recommandées par l'APDRA afin de faire grossir des tilapias mâles en étang barrage. Premièrement, les erreurs de sexages inévitables et l'inefficacité du paratilapia (carnassier) entrainent une prolifération d'alevins de tilapias non désirés qui rend la pratique du sexage inefficace. En effet, lors des pêches, les pisciculteurs retrouvent systématiquement une quantité importante de générations d'alevins de tilapias non désirées qui diminuent nettement la croissance des mâles sexés. Le channa striata avait été imaginé par l'APDRA pour remplacer le paratilapia mais il a été cité de nombreuses fois par les pisciculteurs comme étant un problème car il réduit les populations d'alevins de carpes en association avec les tilapias et prolifèrent lui aussi rapidement. De plus, les différentes étapes pour arriver à obtenir des fingerlings de taille sexable demande de l'espace, une lame d'eau suffisante (difficile, notamment en période sèche), du temps et de la main d'oeuvre formée. Enfin, les pisciculteurs rencontrent des difficultés pour produire suffisamment de tilapias de taille fingerlings afin d'empoisonner leurs étangs avec une densité correcte de tilapias mâles. Selon les équipes de l'APDRA, ce sont surtout les pisciculteurs qui ont reçu la formation mais qui n'ont pas encore beaucoup d'expérience en pisciculture qui pratiquent le sexage des tilapias avant de l'abandonner par la suite.

> Une tendance à produire des tilapias tout venants de moins de 100g :

Face à l'inefficacité du sexage, nous voyons apparaitre des pratiques alternatives d'élevage du tilapia. En effet, une grande partie des pisciculteurs de l'APDRA laissent des lots de géniteurs de tilapia se reproduire en continu sur des cycles plus ou moins long. Ils obtiennent lors des pêches des tilapias d'âges différents, une partie ayant grossi jusqu'à une centaine de grammes au maximum et une partie qui reste au stade alevins de moins de 10g. Certains pisciculteurs revendent ou donnent les alevins de tilapias qu'ils obtiennent à d'autres pisciculteurs. D'autres vendent des tilapias de petites tailles « en tas » sur les marchés locaux. L'un d'entre eux fait une pêche tous les 4 mois afin d'améliorer la biomasse produite. Certains pisciculteurs gardent les tilapias de petite taille pour l'autoconsommation. Enfin, certains utilisent la reproduction en continu pour obtenir des alevins de tailles fingerlings et ensuite les sexent pour n'empoissonner que les mâles dans l'étang barrage.

A travers l'exemple de P3, on observe que pour certains pisciculteurs, il est plus intéressant de produire des tilapias tout venants de petites tailles, vendus localement dans les hameaux environnants, plutôt que des tilapias mâles vendus sur les grands marchés. En effet, la mauvaise croissance des tilapias et le caractère isolé de son exploitation rendent les coûts de transport élevés pour aller vendre sur les grands marchés.

La littérature souligne que les températures optimales de croissance du tilapia (Oreochromis Niloticus) se situe autour de 30°C (Baras et al., 2001). Nous émettons l'hypothèse que la température des eaux sur la Côte Est pourrait être trop froide à certains moments de l'année pour une croissance optimale des tilapias. En effet, la température moyenne annuelle relevée entre 2014 et 2017 était de 24,9 °C à Toamasina, ville située en bord de mer Les exploitations piscicoles se situent souvent dans les terres à une altitude plus haute. La température serait peut-être un facteur supplémentaire qui expliquerait la faible croissance des tilapias chez les pisciculteurs de la Côte Est (voir annexe7).

64

> Une tendance à prioriser l'élevage de carpe, un poisson qui grossit plus vite que le tilapia

A travers ces enquêtes, on observe que l'élevage de tilapia dépend de plus en plus de l'élevage de carpe. En effet, les pisciculteurs mobilisent leurs trous vidangeables en priorité l'élevage de carpe (séparation des géniteurs, reproduction et pré grossissement des alevins). Cela peut s'expliquer car la carpe est un poisson qui grossit deux fois plus vite que le tilapia (voir annexe 6). De plus, par son effet de nouveauté, la carpe se vend bien sur les marchés locaux. Enfin, la carpe est un poisson qui n'atteint pas une maturité sexuelle avant l'âge d'un an, ce qui limite les risques de reproduction non désirées.

3.3.3 Caractéristiques des marchés de poissons auxquels ont accès les pisciculteurs enquêtés

Les deux études de cas précédentes soulignent l'existence d'un marché sectorisé entre la vente d'alevins vivants à d'autres pisciculteurs et la vente de poissons sur les différents marchés de consommation, au kilo ou « en tas ». Nous avons différencié 5 types de marchés (voir Tableau 10) de vente du tilapia et de la carpe en fonction de deux critères principaux :

- Les différents débouchés : Vente à des particuliers, sur les grands marchés locaux, sur les petits marchés en zones isolées, autoconsommation et dons.

- Le type de poissons vendus : alevins, poissons de petites tailles ou poissons de grosses tailles

Type 1 :

Type 2 :

Type 3 :

Type 4

Type 5

La vente
d'alevins sur
des marchés
privilégiés

La vente
d'alevins à des
pisciculteurs
locaux

La vente de
poissons grossis
sur les marchés
des grandes villes

La vente « en tas »
de poissons de
petites tailles sur
les marchés locaux

L'autoconsommation
et/ou le don de
poissons de petites
tailles

Tableau 10: Les 5 types de marchés rencontrés chez les 12 pisciculteurs de l'échantillon

Les prix sur les marchés varient en fonction du type de produit vendu, de la localité, de la saison ou encore du lien entre le pisciculteur et l'acheteur. Sans prétendre couvrir la diversité des prix de vente des pisciculteurs dans le district de Vatomandry, nous tentons à travers les deux tableaux ci-dessous de faire ressortir des approximations sur les prix de vente de la carpe et du tilapia dans les différents marchés fournis par les 12 pisciculteurs enquêtés en études de cas.

Alevins Tilapia Carpe

A l'unité (MGA)

Au kilos (MGA)

A l'unité (MGA)

Au kilo (MGA)

1 à 5 g (5g) 8

 

100 à 200

(150)

30

000

300

 

60

000

5 à 20 g (10g)

200 à 300

(250)

25

000

400 à 500

(450)

45

000

>20g (20g)

700

 

35

000

1000

 

50

000

Tableau 11: Les prix de vente des alevins vivants en fonction de l'espèce et du poids

Poissons grossis

Tilapia Carpe

En tas (MGA)

Au kilos (MGA)

En tas (MGA)

Au kilo (MGA)

Hameaux (>50g)

1000 ou 2000

6000 à 8000

1000 ou 2000

8000 à 10 000

Villes (>50g)

1000 ou 2000

8000 à 10000

Non vendu en tas

10 000 à 12 000

Restaurateurs et
grandes villes (>200 g)

Non vendu en

tas

12 000 à 14 000

Non vendu en tas

14 000 à 16 000

Tableau 12: Les prix de vente des poissons destinés à la consommation en fonction de l'espèce et du poids

8 Les chiffres entre parenthèse sont les chiffres retenus pour les calculs des prix de vente effectués

65

> Type 1 : La vente d'alevins sur des marchés privilégiés (4 pisciculteurs)

Ce type correspond aux pisciculteurs qui ont accès à des marchés de vente d'alevins dans lesquelles la demande est importante. La comparaison des prix au kilo entre la vente d'alevins et la vente de poissons pour la consommation (voir Tableau 11 & Tableau 12) montre qu'il est beaucoup plus intéressant de vendre des alevins. En effet, les prix rapportés au kilo de la vente d'alevins, de tilapia ou de carpe, sont 2 à 3 fois supérieurs aux prix de vente des poissons destinés à la consommation. De plus, la vente d'alevins est jugée « plus sûre » par les pisciculteurs enquêtés. En effet, les cycles de grossissements sont nettement diminués (certains alevins sont vendus au bout d'un mois) et les ventes sont réparties sur l'année. Cela limite fortement les risques de perte et/ou de mortalité liés aux vols et aux événements climatiques (inondations et sécheresses).

Les quatre pisciculteurs enquêtés se sont spécialisés dans la production et la vente d'alevins de tilapias et parfois de carpes car celles-ci permettent de générer des revenus importants et rapides. Les pisciculteurs parlent de « vola malaky » ce qui veut dire « argent rapide ». Ils ont mis au second rang le grossissement des espèces piscicoles dans leur exploitation. Ils placent tous la pisciculture au centre de leurs activités. Selon les équipes techniques de l'APDRA, ce type est minoritaire parmi les pisciculteurs accompagnés par l'ONG.

Pour la vente d'alevins de tilapia, les gros acheteurs sont principalement les grands propriétaires qui possèdent des élevages en cage ou des étangs barrages. Généralement, ils font des commandes de 1000 à 2000 alevins d'un poids de 1 à 5 g. Le prix varie en fonction de la quantité d'alevins commandés : plus celle-ci augmente, plus le prix baisse. Ces acheteurs sont surtout situés à l'extérieur du district de Vatomandry, dans d'autres districts de la région Atsinanana comme Mahanoro ou encore Brickaville ou bien à l'extérieur de la région, notamment le long de la route nationale 2 qui mène à la capitale. Nous avons également rencontré un pisciculteur qui commercialise ses alevins de tilapias à travers un projet de développement (FORMAPROD) à de nombreux pisciculteurs du district de Vatomandry non accompagnés par l'APDRA.

Pour la vente d'alevins de carpes, les acheteurs sont à la fois des pisciculteurs du district, notamment des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA mais aussi des pisciculteurs en dehors du district, plus aisés, qui achètent des alevins en plus grande quantité. Un des quatre pisciculteurs (voir annexe 17) vend ses alevins jusqu'à la capitale. La vente d'alevins de carpe est plus rémunératrice que la vente d'alevins de tilapia (voir Tableau 11 & Tableau 12). En effet, un alevin de carpe de 5 g se vend en moyenne deux fois plus cher qu'un alevin de tilapia de 5g. Plusieurs pisciculteurs qui commercialisent des alevins de tilapias aimeraient aussi produire et vendre des alevins de carpes. Cependant, ils soulignent que la vente d'alevins de tilapia reste un marché plus sûr car les alevins de tilapias sont plus faciles à produire que les alevins de carpes et il y a une clientèle importante, notamment les différents cagistes de la Côte Est

D'une manière générale, ces pisciculteurs vendent en gros (>1000 alevins) principalement à l'extérieur du district de Vatomandry. Ils fournissent très peu les paysans pisciculteurs de la zone car les ventes en petites quantités ne les intéressent pas (même s'ils y ont des surplus). Il priorise les économies d'échelles. Les gros acheteurs sont demandeurs de grandes quantités et préfèrent avoir un interlocuteur unique, d'où l'élimination d'office des pisciculteurs qui produisent moins de 1000 ou 2000 alevins par an.

66

Trois des quatre pisciculteurs enquêtés se trouvent au bord de la route nationale 11A. Leur localisation, accessible et visible, leur a permis de vendre plus facilement leurs alevins. En plus de fournir des alevins, ils fournissent des conseils techniques, initialement appris auprès des ACP de l'APDRA. L'un des quatre pisciculteurs a installé une petite boutique de vente d'alevins de carpes et de tilapias en bord de la route nationale. Le vendeur d'alevins de tilapia pour le projet FORMAPROD se ravitaille en alevins chez d'autres pisciculteurs (notamment de l'APDRA) et les vend deux fois plus cher aux pisciculteurs encadrés par le projet. Le troisième pisciculteur (Voir annexe 15), a cette année construit l'étang barrage d'un riche propriétaire et lui a par la suite, vendu des alevins de tilapias et des géniteurs de carpes. Cela représentait les trois quarts de son chiffre d'affaires piscicole annuel en 2020. Le quatrième pisciculteur (voir annexe 11) se trouve dans une zone isolée mais il a l'avantage d'être connu comme vendeur d'alevins dans tout le district, notamment car il est enregistré au bureau du SPA de Vatomandry comme vendeur d'alevins. Ils ne sont que deux pisciculteurs de l'APDRA à être enregistrés comme vendeurs d'alevins, lui et un ACP-pisciculteur. Ils gagnent tous les deux en visibilité et ont un accès privilégié aux marchés des gros acheteurs d'alevins. Ils se sont récemment divisé une commande de 50 000 alevins de tilapias pour fournir un cagiste. Ils vendent également leurs alevins à l'APDRA pour que l'ONG puisse fournir des nouveaux pisciculteurs quand elle n'arrive pas à produire suffisamment d'alevins dans sa station piscicole.

> Type 2 : La vente d'alevins à des pisciculteurs locaux (3 pisciculteurs)

Ce type fait référence aux pisciculteurs qui vendent des alevins à d'autres pisciculteurs locaux, généralement situés dans des zones proches.

Au sein des groupements de pisciculteurs de l'APDRA rencontrés, les alevins de tilapias ne se vendent pas. Plusieurs pisciculteurs enquêtés soulignent que comme le tilapia existe naturellement dans les cours d'eau de la zone, il est facile de s'en procurer. Dans les hameaux, les pisciculteurs rencontrés se donnent des alevins de tilapias ou les pêchent dans le milieu naturel. A titre d'exemple, un pisciculteur qui se trouve également en bord de route nationale 11A donne peu d'importance aux alevins de tilapias qu'il pêche. Il laisse les gens présents lors de sa pêche les ramasser « gratuitement ».

Les alevins qui se vendent entre les petits pisciculteurs locaux sont les alevins de carpes. Une piscicultrice a vendu une partie de ses alevins carpes à moitié prix (200 MGA au lieu de 400) à un pisciculteur voisin qui est venu l'aider lors de sa pêche de l'étang barrage. L'an dernier, elle a réussi grâce à la vente d'alevins, à vendre 5000 alevins de carpes au total. Cependant, les ventes restent généralement des petites quantités, entre 50 et 250 alevins pour une commande. Cela pose beaucoup de problèmes à un autre pisciculteur (voir annexe 10). En effet, il a produit plus de 11 000 alevins cette année mais il n'arrive pas à les vendre. Il se situe dans une zone isolée et n'a pu vendre qu'une centaine d'alevins à un pisciculteur voisin. Il a eu quelques autres petites commandes qu'il a dû refuser pour ne pas perdre l'eau de ses rizières (en saison sèche) lors des pêches d'alevins. Il demande actuellement l'aide de l'APDRA pour lui acheter ses alevins de carpes.

Plusieurs pisciculteurs enquêtés aspirent à devenir alevineurs de carpes vu le prix attractif des alevins sur le marché. Cependant, la production en grande quantité et la vente d'alevins de carpes nécessitent des conditions favorables sur l'exploitation (beaucoup d'étangs de différentes tailles alimentés en eau toute l'année), une bonne maîtrise des techniques piscicoles et un réseau d'acheteurs consolidé.

67

> Type 3 : La vente de poissons grossis sur les marchés des grandes villes (4 pisciculteurs)

Ce type correspond aux pisciculteurs qui approvisionnent les marchés des grandes villes du district de Vatomandry. Des enquêtes menées auprès des revendeurs et revendeuses de poissons sur les différents marchés de la route nationale 11A (Vatomandry, Ilaka Est, Tsarasambo) ont révélé que très peu de poissons vendus étaient issus de la pisciculture (voir Figure 21). La majorité des poissons viennent de la pêche en eau douce et en mer. On y trouve des tilapias issus de la pêche en eau douce mais les carpes sont rares et plusieurs vendeuses du marché ne connaissaient pas ce poisson.

Figure 21: Photos prises sur le marché de Tsarasambo de différents poissons pêchés en eau douce : Paretroplus polyactis (à gauche) / Channa striata (à droite)

Comme nous l'avons vu dans l'étude de cas n°2, les pisciculteurs enquêtés produisent très peu de tilapia de grosses tailles. Un pisciculteur, fait grossir des tilapias mâles et va vendre les plus gros (>200g) à des restaurateurs de la ville d'Antsampanana. Il aménage actuellement d'autres étangs barrages et des canaux de contournement pour pouvoir faire grossir plus de poissons (tilapia et carpe) et les vendre dans ces marchés de niches.

Les 4 pisciculteurs de l'échantillon arrivent à produire des carpes d'un poids supérieur à 200g et parfois allant jusqu'à 500 ou 600 grammes sur un cycle d'un an. Ils vont vendre leurs carpes sur les marchés des villes du district. Le coût de transport représente des frais importants et du temps passé contrairement à la vente en bord d'étang où dans les hameaux aux alentours de l'exploitation. Un des pisciculteurs de l'échantillon doit payer des frais de pirogue et des frais de taxi brousse pour arriver sur les marchés de Vatomandry avec ses poissons (ses ventes restent malgré tout très rentable). En période de forte agitation de la mer (notamment pendant les cyclones), les pêcheurs ne vont plus en mer et l'offre de poisson sur les marchés locaux diminue. Selon un pisciculteur, le prix du tilapia et de la carpe augmente de 10 à 20 %. Il cale ses cycles exprès pour vendre à ce moment-là. Un pisciculteur possède un restaurant. Il dit que la carpe s'est très bien vendue dans son restaurant lors de sa dernière pêche en novembre. Les clients, qui avaient de l'argent grâce à la récolte des litchis ont beaucoup apprécié ce « nouveau poisson » encore inconnu dans la zone.

> Type 4 : Les producteurs de poissons de petites tailles vendus « en tas » sur les marchés locaux (7 pisciculteurs)

Dans les différents marchés du district de Vatomandry et en bord de route, on observe beaucoup de poissons vendus « en tas » et non au kilo. Ces poissons sont de petite taille, entre 30 et 100g (généralement 2 à 3 doigts) et sont issus d'eau douce ou d'eau de mer (voir Figure 22). Il existe plusieurs prix de tas, en général, 1000 ou 2000 MGA le tas. Chaque tas varie selon le nombre, l'espèce et le taille des poissons et également s'il est déjà cuisiné (en friture).

68

Figure 22: Photos de poissons vendus en tas : poissons d'eau de mer sur le marché de Tsarasambo (à gauche) / tilapias frits vendus au marché d'Ilaka Est (à droite)

Ce type correspond aux pisciculteurs qui vendent leurs poissons en tas ou approvisionnent les revendeurs de poissons en tas sur les marchés des villes du district ou des zones reculées. D'après les informations récoltées auprès de notre échantillon de 25 pisciculteurs et d'après les équipes techniques de l'APDRA, une grande partie des poissons produits par les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA desservent les marchés des villages des zones reculées dans lesquelles ils vivent et sont vendus «en tas».

Ce sont principalement les tilapias de petites tailles qui sont vendues « en tas » par les pisciculteurs dans les marchés environnants leurs exploitations ou directement en bord d'étang. Cela dit, les débouchés sont également nombreux dans les marchés des grandes villes du district. En effet, beaucoup de ménages achètent les tilapias vendus « en tas » plutôt qu'au kilo. Cela leur permet, malgré un faible pouvoir d'achat, d'avoir accès à plusieurs petits poissons pour que chaque membre de la famille mange un poisson en entier au repas. On peut également noter que la consommation de poisson entier, avec la tête et les arrêtes représente une source plus importante d'acides aminées et donc une meilleure nutrition (dires de Mortillaro, 2020).

« Acheter des petits poissons en tas permet à chaque personne de la famille d'avoir son
poisson dans l'assiette » Martin, octobre 2020

Pour la carpe, elle se vend plutôt au kilo même dans les zones reculées ou au bord des étangs des pisciculteurs (exemple de Martin qui a vendu 30 kilos de carpe au kilo en bord de son étang lors de sa dernière pêche). Une piscicultrice rencontrée vend également ses carpes de 100 à 150 g en tas dans les hameaux et les villages aux environs de son exploitation.

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> Type 5 : Producteurs de poissons pour l'autoconsommation et/ou le don (3 pisciculteurs)

Ce type concerne de nombreux pisciculteurs encadrés par l'ONG selon les équipes techniques. Ces pisciculteurs utilisent leurs productions de poissons principalement pour l'autoconsommation. Ils produisent généralement des tilapias de différentes classes d'âges et des carpes dans des étangs rarement vidangés.

On remarque que chez deux de ces trois pisciculteurs, le tilapia devient le poisson d'autoconsommation et la carpe le poisson de vente sur les marchés locaux et les marchés des villes. Un des deux pisciculteurs a obtenu 2600 alevins de tilapias (23 kilos) lors de sa dernière pêche au mois de mars 2020. Il en a donné 1000 à son oncle, quelques centaines à d'autres amis-pisciculteurs et a réempoissonné le reste. Il a autoconsommé les quelques tilapias qui ont grossi. Il garde ses étangs de service (trous vidangeables et rizière) en priorité pour l'élevage de carpes qu'il compte aller vendre sur le marché de Vatomandry en 2021.

Le troisième pisciculteur souligne les difficultés qu'il rencontre à accéder à un marché de vente. Il se trouve dans une zone très isolée, l'accès au marché d'Ilaka Est lui prendrait plus de 2 heures à pied. Sa femme et lui pourraient vendre dans les hameaux environnants mais cela serait beaucoup de travail pour très peu de rentrée d'argent. En effet, il faudrait faire du « porte à porte » avec les poissons, les vendre, parfois à crédit car les gens n'ont pas beaucoup d'argent. Ils ne veulent pas que les villageois viennent acheter directement au bord de leur étang lors des pêches car ils craignent le vol. Finalement, ils gardent leur production pour l'autoconsommation et en vendent une partie à bas prix à leurs enfants. S'ils pêchent beaucoup de poissons, ils les font sécher pour les conserver plus longtemps.

« Je préfère manger mes poissons que les vendre à crédit » La femme d'un pisciculteur

novembre 2020

70

Conclusion partielle 3

Pour résumer, on peut dire que l'APDRA Côte Est s'est basée sur deux référentiels techniques : l'étang barrage en Guinée Forestière et la rizipisciculture sur les Hautes Terres de Madagascar. Elle les a adaptés au fur et à mesure en fonction des conditions pédoclimatiques de la zone, de la diversité des espèces piscicoles qu'elle propose, des différents tests effectués en milieu paysan et des différentes observations faites des pratiques des paysans-pisciculteurs. L'évolution de ces référentiels s'est faite rapidement au cours de ces dix dernières années. On observe une diversité d'adaptations de ces référentiels faites par les pisciculteurs encadrés par l'APDRA. Cela révèle une dynamique d'innovations paysannes importante.

Le type d'étang barrage initialement recommandé par l'APDRA est censé faire plus de 20 ares pour permettre le grossissement plurispécifique des espèces élevées. Cependant, on observe que certains pisciculteurs ont construit des étangs de petites surfaces, de 5 à 20 ares. Ils y ont parfois mis un simple système de vidange en bambou ou en tronc de ravinala ou encore installé un canal de drainage et d'aménagement pour y faciliter la riziculture en étang. De plus, l'utilité de l'étang barrage a changé et ne sert plus uniquement d'étang de grossissement. C'est également devenu une réserve d'eau sécurisé qui permet de répondre (en partie) aux trois risques majeurs rencontrés par les pisciculteurs sur la Côte Est : les sécheresses, les inondations et le vol.

Les pisciculteurs enquêtés échangent entre eux pour faire face aux différents problèmes qu'ils rencontrent. En effet, ils se prêtent parfois des étangs de ponte alimentés en eau pour la reproduction de la carpe et se divisent les alevins obtenus ; ils transfèrent leur cheptel chez d'autres pisciculteurs en cas de tarissement de leurs étangs ou encore ils se donnent des alevins en cas de perte liés aux inondations. Ces échanges se font surtout au sein des groupements et sont souvent impulsés par les ACP qui les encadrent.

De plus, l'introduction par l'APDRA de la rizipisciculture a permis à une partie des pisciculteurs enquêtés d'augmenter leurs surfaces empoissonnées à un faible coût d'aménagement. Cela a globalement permis de faciliter la gestion piscicole sur l'exploitation et donner plus d'importance à la pisciculture dans les systèmes de production des paysans rencontrés. La combinaison de la pisciculture en étang barrage et en rizière permet alors d'augmenter les surfaces empoissonnées et de profiter des différentes utilités de l'étang barrage.

L'élevage de carpe, apparait de plus en plus central dans les systèmes d'élevage des pisciculteurs. En effet, ce poisson grossi plus vite que le tilapia et sa reproduction est plus facile à contrôler en cours de cycle pour éviter les phénomènes de surdensité de poissons. De plus, ce « nouveau » poisson est apprécié par les consommateurs et se vend facilement sur les différents marchés. En conséquence, l'élevage de tilapia apparait moins prioritaire pour certains pisciculteurs. De plus, la technique de sexage enseignée par l'APDRA, qui est censé permettre un bon grossissement de l'espèce, n'est que très peu appliquée par les pisciculteurs enquêtés. En effet, les erreurs de sexage sont inévitables et le paratilapia ne semble pas efficace en tant que prédateur des alevins de tilapias non désirés. La pratique du sexage s'avère alors souvent inutile.

Enfin, on observe que les pisciculteurs ont accès à différents marchés de vente sectorisés. Les marchés de vente d'alevins de carpes et de tilapias sont très rémunérateurs mais nécessitent un accès aux réseaux d'acheteurs. La vente de poissons à consommer est plus rémunérateur en ville mais plus difficile et couteux d'accès que la vente dans les hameaux qui se fait généralement « en tas » de poissons

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Chapitre 4 : Discussions et recommandations

4.1 Limites des résultats de l'étude

Un des premiers enjeux de ce travail était de réussir à formaliser par écrit le référentiel piscicole proposé par l'APDRA sur la Côte Est. Cependant, il a été difficile de caractériser l'ensemble des conseils techniques et organisationnels réellement apportés par les ACP aux pisciculteurs. D'une part, le temps passé sur le terrain n'a permis de suivre que ponctuellement les ACP dans leur travail et la diversité des conseils apportés n'a pas été décrite. D'autre part, nous avons remarqué qu'il existe une multitude de conseils techniques qui peuvent être différents d'un ACP à l'autre selon son expérience personnelle. Il est donc difficile d'aboutir à un référentiel technique unique qui servirait de base de comparaison pour identifier les pratiques piscicoles innovantes pour l'APDRA. De plus, il a été difficile de délimiter la frontière entre les conseils donnés par les ACP qui correspondent au « package technique » de l'ONG et les conseils donnés par les ACP adaptés aux situations et aux objectifs des pisciculteurs qu'ils encadrent.

La traque à l'innovation n'a pas pour vocation à être représentative, on cherche des singularités dans la masse. Cependant, notre échantillon gagnerait à être enrichi par plus de pisciculteurs situés dans des zones différentes. En effet, notre échantillon se limite à une partie des pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans le district de Vatomandry. Il existe d'autres systèmes d'élevages piscicoles allant de l'élevage de tilapia en cage à la pisciculture traditionnelle en trou (voir page 28). Il aurait été intéressant d'étudier cette diversité de pratiques d'élevages et leur place dans le développement de la pisciculture sur la Côte Est de Madagascar. De plus, il y a d'autres zones où ont évolué des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. La région Analanjirofo, située au nord d'Atsinanana a été jusqu'en 2017 l'autre région de la Côte Est où intervenait l'APDRA à travers le projet PPMCE-SA9. A la fin de ce projet, une association de pisciculteurs s'est constituée, l'ADRPi10. Aujourd'hui, d'après des membres de cette association, des anciens bénéficiaires de l'APDRA continuent à pratiquer la pisciculture dans cette région. Il aurait été intéressant d'aller voir comment les pratiques piscicoles ont évolué depuis qu'il n'y a plus de conseils techniques apportés par les ACP. De plus, les trois autres districts d'interventions actuels de l'APDRA sur la Côte Est, Toamasina, Brickaville et Mahanoro, n'ont pas été explorés. Les pisciculteurs encadrés par l'APDRA dans les communes autour de Toamasina se trouvent près de la deuxième plus grande ville du pays. On peut penser qu'ils ont un accès plus facile aux marchés de la grande ville, à des ressources comme la provende alimentaire et à de l'information, notamment externe à l'APDRA. Dans le district de Mahanoro, nous avons identifié des paysans qui s'étaient lancés tout seul dans la construction de leurs étangs et qui sollicitaient un appui technique de l'APDRA. Il aurait été intéressant d'étudier leurs aménagements et leurs pratiques piscicoles.

Troisièmement, la méthode de « traque aux innovations » a été difficile à mettre en oeuvre. Tout d'abord, le contexte de la pandémie du COVID-19 a restreint le champ de cette traque à l'étude des pisciculteurs de l'APDRA sur un temps de terrain plus court : 2 mois au lieu de 3 mois et demi initialement prévus. Ce temps court ne m'a pas permis de construire un réseau d'information suffisant pour « traquer » une grande diversité des pratiques innovantes existantes. La méthode d'identification par « effet boule de neige » n'a pas réellement fonctionné et très peu de pisciculteurs enquêtés nous ont redirigé vers d'autres pisciculteurs innovateurs. Les liens établis avec les pisciculteurs ont sans doute été trop faibles pour entrer dans une relation de confiance et comprendre les réseaux d'acteurs mobilisés par les pisciculteurs dans leurs innovations. De plus, un certain nombre de biais d'enquêtes

9 PPMCE-SA : Projet Pisciculture Madagascar Côte Est - Sécurité Alimentaire

10 ADRPi : Association pour le Développement Rural de la Pisciculture

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existent :

- Le traducteur n'était pas formé en pisciculture et vient d'un district plus au nord de la Côte Est. Il ne maîtrisait pas le vocabulaire agricole nécessaire pour une bonne compréhension des dires des pisciculteurs enquêtés, en plus de quelques lacunes en langue française. - Cette étude mériterait d'être enrichie de données quantitatives sur les systèmes d'élevage étudiés (coût des aménagements piscicoles, temps de travail, poids des poissons, kilos de poissons produits et vendus, valeur ajoutée brute de l'activité piscicole ...) et sur les autres activités de l'exploitation (gains économiques générés par les autres activités agricoles). Cela permettrait de mieux comprendre les pratiques et les stratégies misent en oeuvre par le paysan sur son exploitation. - La phase d'enquête s`est déroulée en parallèle de moments clés du calendrier agricole des pisciculteurs de la Côte Est. En effet, la récolte de girofle s'est faite fin octobre, celle du letchi fin novembre et la récolte du riz de contre saison commençait début décembre. A cela s'ajoute la « fête des morts » au moment de la Toussaint qui est la fête traditionnelle la plus importante de l'année pour l'ethnie majoritaire de la région, les Betsimisaraka. Certains pisciculteurs n'étaient alors pas disponibles pour des entretiens.

Pour finir, les personnes ressources permettant d'identifier des pisciculteurs aux pratiques innovantes étaient principalement les ACP de l'APDRA. Il faut noter que « l'appartenance institutionnelle ou la position sociale du pisteur conditionne l'identité de l'individu atypique identifié. » (Blanchard et al., 2017). Cette « porte d'identification » présente un double biais. D'une part, les ACP sont les agents terrains de l'APDRA, ils ont des objectifs de performance chez les pisciculteurs qu'ils encadrent, qui indirectement sont liés à l'application du référentiel technique recommandé. Il est alors difficile d'identifier des pratiques « hors normes » et très décalées du référentiel de l'APDRA. On rejoint ici les constatations de Lucas Fertin, qui a fait une étude pour l'APDRA sur les Hautes Terres en 2018 et qui parle de la porte d'entrée par les ACP : « Il faut savoir que les techniciens auront tendance à proposer des localités où l'accompagnement se passe bien, où les dynamiques piscicoles ont tendance à être exemplaires par rapport aux prescriptions de l'APDRA » (Fertin, 2018). D' autre part, on peut émettre l'hypothèse qu'une partie des pisciculteurs ayant des pratiques « hors-normes » ne souhaitent pas se faire connaître (Audouin et al., 2017). Il est alors peu probable qu'ils soient identifiés comme tels puis désignés par les ACP. Finalement, une partie importante des pratiques innovantes identifiées lors de ce stage sont déjà connues par les équipes de la Côte Est.

4.2 Discussion sur les résultats obtenus :

4.2.1 Un panel d'innovations identifiées et caractérisées qui restent à valider

Ce travail a permis d'identifier et de caractériser une diversité d'innovations paysannes touchant aux aménagements piscicoles, aux outils innovants utilisés, aux différentes gestions des espèces piscicoles ou encore aux différents échanges existants entre les pisciculteurs. Cela permet d'enrichir les connaissances piscicoles de l'APDRA et surtout de passer de connaissances orales à une formalisation écrite qui permet de mettre en partage toutes ces informations au sein du réseau de l'APDRA. Cette traque pourrait permettre d'enrichir le bagage d'options conseillées par l'APDRA aux pisciculteurs qu'elle accompagne. Les pistes à approfondir sont nombreuses (voir annexe 3 et 4). Il serait intéressant de tester les systèmes de vidanges alternatifs étudiés pour voir les conditions de leurs efficacités ; les variétés de riz locales utilisées par les pisciculteurs en étang barrage (à la place de la variété de riz 3308 recommandé par l'APDRA) et en rizière ; les différentes adaptations à opérer sur la gestion des rizières (riz et poisson) en cas d'absence de canal refuge (car celui-ci demande beaucoup d'entretien à une partie des pisciculteurs rencontrés à cause des sols boueux de la Côte Est);

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ou encore l'efficacité des premiers tests d'utilisation de provende artisanale effectués par quelques pisciculteurs (notion de coût d'opportunité à mobiliser). Dans un premier temps, ces innovations techniques pourraient être rediscutées avec les équipes de l'APDRA afin de capitaliser plus d'informations sur ce que font les pisciculteurs et ensuite être testées en milieu paysan, notamment en suivant les pisciculteurs qui les mettent déjà en oeuvre (Recherche-action). Sur les échanges innovants identifiés, il serait pertinent de continuer à les étudier pour mieux comprendre les conditions de ces échanges dans le temps en mobilisant des analyses processuelles. Cet accompagnement pourrait se faire avec l'outil de recherche co-active de solution (GERDAL11) que l'APDRA mobilise déjà à Madagascar.

4.2.2 Les évolutions des aménagements piscicoles

Cette étude fait ressortir des dynamiques d'évolutions des aménagements piscicoles chez les pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est. Au départ, l'APDRA a proposé une pisciculture dans des étangs barrages de grandes surfaces. Notre étude révèle l'émergence d'un nombre croissant de pratiques piscicoles en rizière avec des étangs barrages de petites tailles qui ne servent plus uniquement au grossissement des espèces piscicoles et l'apparition d'une multitude de trous vidangeables qui servent d'étangs de service pour les différentes étapes d'élevages des espèces piscicoles. On assiste à une intégration de l'activité piscicole dans d'autres activités des exploitations agricoles, principalement la riziculture.

Dans un premier temps, la diffusion de la rizipisciculture sur la Côte Est par l'APDRA à partir de 2016 a permis à un certain nombre de paysans de se lancer dans la pisciculture. En effet, le nombre de rizipisciculteurs est passé de 6 en 2017 à 73 en 2020 (voir annexe 1), soit presque un tiers des pisciculteurs encadrés par l'APDRA. De plus, 10% des pisciculteurs encadrés combinent la pisciculture en étang barrage et la rizipisciculture. La plupart ont commencé avec l'étang barrage et ont ensuite adopté la rizipisciculture. Les visites échanges sur les Hautes Terres ont été une source importante d'apprentissage pour une partie de ces pisciculteurs. L'adoption de la rizipisciculture leur a permis d'augmenter considérablement leurs surfaces empoissonnées pour un faible coût d'aménagement. Certains d'entre eux ont multiplié par 10 leurs surfaces piscicoles en 2 ans grâce à la rizipisciculture qui occupe parfois jusqu'à 2 hectares de leur exploitation. Finalement, on constate que l'augmentation de la production piscicole s'est plutôt faite par une augmentation des surfaces empoissonnées grâce à la rizipisciculture que par une intensification des espaces piscicoles par l'alimentation. Cela peut s'expliquer notamment par le fait que le foncier n'est pas encore la ressource limitante des exploitations agricole sur la Côte Est de Madagascar contrairement aux Hautes Terres (De Robillard et al., 2013). Nous pouvons tout de même noter que certains pisciculteurs rencontrés fertilisent (élevage porcin au-dessus de l'étang, fiente de volaille, fumier de zébu) ou alimentent leurs étangs (provende artisanale, larves de termite, fruits du Jacquier) afin d'augmenter leur rendement (voir annexe 3).

L'étang barrage est initialement proposé par l'APDRA pour le grossissement des espèces piscicoles. Initialement, il est recommandé qu'il fasse plus de 20 ares pour offrir une surface assez grande aux poissons élevés. Selon des données capitalisées par le RSE, les nouveaux étangs barrage construit en 2019 et 2020 font en moyenne 13 ares avec un écart type tout de même important qui montre une diversité de tailles d'étangs (voir annexe 8). Cette étude révèle des informations encore peu connues sur l'évolution de l'aménagement et de l'utilité des étangs barrages chez les pisciculteurs,

11 GERDAL : Groupe d'Expérimentation et de Recherche : Développement et Actions Localisées

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notamment chez ceux qui possèdent également des rizières empoissonnées. On remarque qu'ils aménagent généralement des étangs de petites surfaces (entre 5 et 20 ares). Ces étangs sont parfois équipés d'un simple système de vidange artisanale en bambou ou en tronc de ravinala à la place du moine. D'une part, cela révèle les difficultés rencontrées par les pisciculteurs pour accéder aux aménagements proposés par l'APDRA qui sont coûteux en temps de travail et en investissement. D'une autre part, l'étang barrage de petite taille semble adapté aux besoins des pisciculteurs, à savoir, disposer d'un bassin d'eau vidangeable et sécurisé sur son exploitation. En effet, l'étang barrage sert de réservoir d'eau pour stocker les poissons en cas de sécheresse (notamment dans les rizières) ; c'est un espace vidangeable équipé d'un trop plein, ce qui limite les risques d'inondations (plus importants en rizière) ; c'est un espace plus profond et plus sécurisé en termes de vol que les trous vidangeables. Des pisciculteurs l'utilisent pour stocker leurs géniteurs où même y faire la reproduction de leurs carpes. Chez des pisciculteurs, d'autres éléments du système de production dépendent de la ressource en eau stockée par l'étang barrage. On voit apparaitre des pépinières (fruitiers et épices) ou des cultures maraichères aux alentours de l'étang barrage, cela permet également aux zébus de s'abreuver ou encore à des alambics de fonctionner pour produire des huiles essentielles (notamment de girofle). A noter, certains déchets agricoles (fruits, son de riz, légumes) et les excréments d'animaux élevés (zébu, porcs, volaille) servent également à alimenter les poissons et à fertiliser l'étang. L'étang barrage de petite surface apparait alors comme un pilier du système d'élevage et participe à l'intégration de la pisciculture dans le système de production de l'exploitant.

Des recherches peuvent être menées pour mieux évaluer l'intérêt pour un pisciculteur de combiner la pisciculture en étang barrage et en rizière. Il serait intéressant de comparer les coûts des aménagements piscicoles en fonction de l'utilité qu'ils ont sur l'exploitation. On peut s'interroger sur la taille optimale de l'étang barrage en fonction des coûts d'aménagements de celui -ci et des potentialités de développement de la rizipisciculture.

4.2.3 La grande plasticité des systèmes d'élevages des pisciculteurs de l'APDRA

L'étude des trajectoires des exploitations piscicoles rencontrées dans notre échantillon révèle une grande plasticité des systèmes d'élevage des pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. En effet, plusieurs pisciculteurs sont passés de la production de poissons destinés à la consommation à la production d'alevins, un marché bien plus rémunérateur. D'autres sont passés de la vente de poissons vendus au kilo sur des grands marchés urbains à la vente de poissons vendus « en tas » dans les hameaux et en bord de parcelle afin de limiter les coûts de transport et les pertes des poissons non vendus. Ces exemples montrent que certains pisciculteurs accompagnés par l'APDRA s'adaptent rapidement aux opportunités qu'ils rencontrent et aux contraintes auxquelles ils font face.

D'une part, cela révèle que les modèles de piscicultures extensifs proposés par l'APDRA permettent cette élasticité et cette capacité d'adaptation rapide. En effet, l'élevage plurispécifique permet de produire plusieurs espèces de poissons plus ou moins demandées sur les différents marchés. Les deux autres espèces proposées par l'APDRA, à savoir le gourami (vendu et apprécié sur les marchés locaux) et l'hétérotis, pourraient devenir des poissons de pisciculture vendus sur les marchés. Nous pouvons également citer le Channa striata (appelé localement fibata) ou encore le Paretroplus polyactis (appelé localement masovoatôka) qui se vendent actuellement sur les marchés locaux. De plus, la maîtrise des techniques de reproduction de la carpe et du tilapia permet aux producteurs encadrés par l'APDRA de produire des alevins en quantité importante et de les vendre. Enfin, les modèles extensifs proposés par l'APDRA sont peu coûteux en investissement et en coût de fonctionnement. Cela permet aux pisciculteurs d'avoir plus de souplesse dans la gestion de cette activité.

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D'autre part, ces exemples montrent que les pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est font partie d'un ensemble d'acteurs à l'échelle du territoire. En effet, les pisciculteurs de l'APDRA fournissent des alevins à des cagistes, à des projets de développement mais aussi à des pisciculteurs dans des zones reculées ; ils fournissent certains marchés des grandes villes comme ceux des petits hameaux isolés ; ils échangent entre eux, et potentiellement avec d'autres pisciculteurs, des facteurs de production (géniteurs, alevins, temps de travail et matériels) ou des conseils techniques pour développer leurs activités piscicoles ; certains sont même enregistrés auprès du Service de la Pêche et de l'Aquaculture (SPA) du district et ont des licences de vente. Les pisciculteurs encadrés par l'APDRA s'intègrent dans les dynamiques locales voire régionales de développement de la pisciculture. Ils échangent des biens, des services et des informations avec des acteurs divers et variés.

Cependant, les pisciculteurs encadrés par l'APDRA n'ont pas tous les mêmes degrés d'imbrications dans ces réseaux d'acteurs et donc pas les mêmes accès aux différents marchés de vente de poisson. Certains exploitants, situés dans des zones isolées, restent sur des marchés de vente de petits poissons en tas ou limite la pisciculture à des fins d'autoconsommation. D'autres exploitations, idéalement situées le long de la route nationale, jouissent d'un accès à des marchés plus rémunérateurs. Les réseaux d'acteurs auxquels ont accès les pisciculteurs dépendent également de leurs liens plus ou moins fort avec les ACP, le Service de la Pêches et de l'Aquaculture ou encore d'autres acteurs du développement de la pisciculture (projet FORMAPROD, les cagistes). Ces liens privilégiés peuvent aboutir à des situations de monopole des marchés détenus par quelques pisciculteurs, notamment pour le marché de vente d'alevins. En effet, le marché de la vente d'alevins semble aux mains de quelques pisciculteurs en capacité de produire suffisamment d'alevins et ayant accès aux réseaux des acheteurs. Si de plus en plus de pisciculteurs deviennent alevineurs, on peut penser que les prix des alevins vont baisser comme cela a été le cas dans la zone de Betafo dans le Vakinankaratra sur les Hautes Terres de l'île. Les alevins seront alors plus facilement accessibles aux pisciculteurs et ce type de marché sera moins attractif. Pour cela, des initiatives comme les « trano be fiompina laoka » (« maisons de la pisciculture ») que l'APDRA commence à mettre en place avec les services étatiques et les pisciculteurs locaux paraissent intéressantes à développer. En effet, elles permettraient de répertorier l'offre et la demande en alevins et en poissons destinés à la consommation sur un territoire donné. Cela permettrait une meilleure circulation de l'information et, in fine, donnerait une plus grande visibilité aux pisciculteurs isolés des différents marchés. Afin de mieux accompagner des innovations qui englobent un réseau d'acteurs variés, l'APDRA peut approfondir le concept de système d'innovation agricole (Touzard et al., 2014).

4.2.4 L'intervention des ACP dans les échanges entre les pisciculteurs

Nous avons observé que les ACP jouaient un rôle important dans les échanges entre les pisciculteurs de l'APDRA. En effet ils sont régulièrement à l'initiative d'échanges entre des pisciculteurs, parfois situés dans des zones différentes. Ils arrivent alors à répondre à un certain nombre de problèmes auxquels sont confrontés les pisciculteurs, comme faciliter l'approvisionnement en alevins de carpes des pisciculteurs (voir page 41). Cependant, cela peut créer une certaine dépendance des pisciculteurs envers les ACP, surtout si les ACP deviennent un intermédiaire nécessaire au « bon déroulement » de l'échange. Cela va à l'encontre d'un des objectifs de l'APDRA qui est d'autonomiser au maximum les pisciculteurs.

De plus, les ACP sont très rarement originaires des zones dans lesquelles évoluent les pisciculteurs. On peut penser qu'ils connaissent peu les enjeux sociaux qui existent dans ces zones et qu'ils peuvent potentiellement perturber l'équilibre social à travers ces nouveaux échanges piscicoles qu'ils impulsent. Il peut également noter qu'en se rapprochant des ACP, les

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pisciculteurs ont accès à de l'information, à des éléments techniques et à des réseaux d'acteurs. Il y a alors le risque que seulement certains pisciculteurs, les plus proches des ACP, puissent jouir de ces informations et participer à d'avantage d'échanges avec d'autres pisciculteurs. On peut penser que ces pisciculteurs seront avantagés au détriment des pisciculteurs moins proches des ACP.

Enfin, les ACP qui sont également pisciculteurs peuvent avoir un statut spécial dans ces échanges et plus généralement dans les groupements. L'ACP pisciculteur expérimente de son côté, il enrichi les discussions avec les autres pisciculteurs autour de pratiques techniques et peut être un moteur fort de l'innovation paysanne. Cependant, cette double casquette peut également lui permettre, à travers les réseaux de pisciculteurs qu'il encadre, de vendre ses alevins ou même ses géniteurs. Ces échanges peuvent se faire au détriment d'autres échanges qui auraient pu avoir lieu entre des pisciculteurs. De plus, L'ACP peut plus facilement devenir leader du groupe dans lequel il se trouve, même s'il n'est pas élu officiellement président. En effet, les réseaux d'informations qu'il possède (formations avec l'APDRA, SPA, pisciculteurs du district) et sa présence dans beaucoup de localités (encadrement de groupes, déplacements à moto) font de lui une personne incontournable. Un des ACP a été responsable de la zone dans laquelle se trouve son exploitation. Il est au centre de nombreux échanges au sein des pisciculteurs de sa zone (voir annexe 9)

4.3 L'accompagnement des innovations paysannes par les ACP à l'APDRA : constats et pistes à approfondir

4.3.1 L'accompagnement actuel de l'innovation paysanne par les ACP

Notre premier constat porte sur les différences entre l'accompagnement de l'innovation par les équipes techniques des Hautes Terres et celle de la Côte Est de Madagascar. En effet, le deuxième stagiaire (S.Gate) a constaté que sur les Hautes Terres, l'accompagnement de l'innovation par les ACP différait selon le type d'innovation. Lorsqu'il s'agit d'une innovation au sein du système d'élevage proposé par l'APDRA (la monoculture de carpe en rizière), les ACP identifient bien les changements et les accompagnent (d'autant plus si ces changements sont simples). Cependant, si l'innovation va à l'encontre des schémas techniques proposés par l'ONG, l'accompagnement des ACP est quasi-inexistant. On peut alors supposer que les pisciculteurs auront tendance à ne pas faire part aux ACP des pratiques alternatives à la monoculture de carpe en rizière qu'ils mettent en place. De plus, l'ACP, lui, aura tendance à ne pas faire remonter les pratiques « alternatives » qu'il observe sur le terrain de peur qu'elles ne s'accordent pas avec le référentiel technique de l'APDRA.

Sur la Côte Est, le constat diffère. On remarque que les ACP ont dû s'adapter à l'évolution rapide du référentiel technique. En effet, l'apprentissage de la polyculture en étang barrage avec le tilapia comme espèce phare a commencé en 2010 et les ACP ont intégré dans le référentiel la rizipisciculture et l'élevage de carpe au cours des 5 dernières années. Cela a permis de proposer aux pisciculteurs une diversité de pratiques. Cela a sans doute également provoqué une maîtrise moins fine de cette diversité de pratiques par les ACP. Nous supposons qu'il y a moins de blocages dans le dialogue entre les pisciculteurs et les ACP sur les différentes pratiques innovantes que sur les Hautes Terres. En effet, les ACP de la Côte Est se figent moins sur un référentiel précis et délimité et laissent ainsi plus facilement une diversité de pratiques apparaitre. Ils forment techniquement les pisciculteurs aux différentes pratiques du « package technique » de l'APDRA (reproduction de carpe, sexage des fingerlings de tilapia) mais les aident également à développer des pratiques alternatives (exemple du système de vidange en bambou conseillé par un ACP à un pisciculteur). Le problème réside dans l'identification des innovations et leurs diffusions. Sur la cinquantaine de pratiques innovantes identifiées lors de cette traque, pratiquement toutes étaient connues par les ACP. Cependant, lors du

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premier relevé des innovations par les ACP (lors de la phase de télé travail), ils n'en avaient identifié que 6. On peut penser que les ACP ont du mal à reconnaitre certaines pratiques innovantes en tant que telles et/ou ne consacrent pas assez de temps à faire remonter ces pratiques au reste de l'équipe de l'APDRA. Cela a plusieurs conséquences. D'un côté, ils n'accompagnent pas forcément le pisciculteur dans la mise en oeuvre de ces pratiques innovantes et d'un autre côté, ils ne les identifient pas et ne les font pas remonter comme des pratiques innovantes auprès du reste de l'équipe de l'APDRA

Le rôle de l'ACP (voir encadré n°1 page 15) est très important dans l'accompagnement des innovations paysannes. En effet, ce sont les ACP qui font remonter la majorité des informations récoltées sur le terrain par l'APDRA. Pour identifier des innovations, l'outil principal qui leur a été proposé est la recherche co active de solutions ou démarches du GERDAL. Cette démarche vise à « renforcer, par le dialogue et la réflexion collective entre pairs, l'activité de production et de transformation des connaissances, pour élaborer des pistes de solutions adaptées et être à même de les discuter avec d'autres acteurs » (Faure et al., 2018). Il faut noter que la légitimité de l'ACP, souvent appelé « technicien » par les pisciculteurs enquêtés, repose en partie sur les connaissances techniques en pisciculture qu'il apporte aux paysans. Le rôle d'animateur dans la démarche du Gerdal peut alors paraitre secondaire auprès des pisciculteurs. De plus, cet outil est difficile à mettre en oeuvre. D'une part, chaque ACP encadre en moyenne 30 à 40 pisciculteurs (contre 10 en début de projet) et a un rôle de formateur technique et de collecteur des informations quantitatives pour le suivi et l'évaluation des pisciculteurs. Il a alors peu de temps à consacrer à la mise en place de ces arènes de dialogues. D'autre part, la démarche du Gerdal requiert la maîtrise d'outils sociologiques et une certaine expérience en animation de groupe (Faure et al., 2018).

4.3.2 Des pistes pour enrichir les outils d'accompagnement et de diffusion des innovations paysannes

Dans la littérature, les paysans apparaissent de plus en plus comme des acteurs essentiels du processus d'innovation agricole (Dugué et al., 2006). Cette étude montre qu'effectivement, les pisciculteurs encadrés par l'APDRA adaptent les conseils donnés par l'ONG et adoptent des pratiques innovantes à l'échelle de leurs systèmes d'élevage. Les techniques transférées par les acteurs du développement et de la recherche aux paysans sont également des moteurs importants de l'innovation. L'APDRA a par exemple participé au développement de la rizipisciculture et de l'élevage de carpe dans le district de Vatomandry ce qui a fortement impacté les systèmes d'élevage des pisciculteurs enquêtés et renforcé les dynamiques d'innovations paysannes.

D'un point de vue opérationnel, nous pouvons relever quelques pistes à creuser pour un meilleur accompagnement de l'innovation paysanne à l'APDRA.

Au sein des équipes de l'APDRA, un travail est à continuer pour amener les ACP (ou d'autres agents terrains) à dialoguer davantage avec les pisciculteurs afin de faciliter l'émergence et la diffusion d'innovations piscicoles. Un premier point porte sur une mise à jour des conseils techniques validés par l'ensemble de l'APDRA. En effet, il faudrait encourager l'émergence de différentes combinaisons possibles à proposer aux pisciculteurs et insister sur l'intérêt d'étudier les adaptations faites de ces conseils par les pisciculteurs. De plus, pour permettre une meilleure remonté des informations récoltées sur le terrain par les ACP, il est important de libérer la parole et d'encourager les discussions sur les pratiques piscicoles alternatives, même si celles-ci peuvent paraitre inefficaces à première vue (exemple de l'innovation par retrait : l'élevage de tilapias non sexés). Pour cela, il faut éviter que l'évaluation des ACP ne dépende de l'application des conseils techniques présents dans les référentiels et il faut mettre en place ces espaces de discussions. Un deuxième point porte sur la

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formation des ACP au concept d'innovations, très compliqué à saisir. Il est important de renforcer les connaissances théoriques sur les concepts d'innovations, d'innovations paysannes et de système innovant en soulignant le caractère multi acteurs de ces concepts (voir page 13). Pour finir, il faudrait continuer à faire des études sur les innovations paysannes existantes et les capitaliser au fur et à mesure pour enrichir la compréhension de l'ONG sur les dynamiques piscicoles existantes dans ses zones d'interventions. Pour cela, la « traque aux innovations adaptés à la pisciculture sur la Côte Est de Madagascar » mise en place lors de cette étude pourrait être une démarche plus largement mobilisée par les ACP ou par d'autres agents de l'APDRA afin de repérer, caractériser et valoriser des innovations paysannes.

Une deuxième piste de travail serait de renforcer les moments d'échanges entre les pisciculteurs. En effet, les visites-échanges organisées par l'APDRA, notamment pour faire découvrir la rizipisciculture des Hautes Terres aux pisciculteurs de la Côte Est, ont été citées fréquemment lors des enquêtes comme des sources importantes d'apprentissages et donc de diffusion de l'innovation. Les observations par un pisciculteur, des techniques mises en place par un autre pisciculteur et les discussions entre ces deux personnes apparaissent comme des moments riches d'échanges d'informations, de transfert de connaissances et de diffusion des innovations (Aare et al., 2020). Il serait intéressant de multiplier ces visites, notamment entre les pisciculteurs d'une même zone qui sont susceptibles de partager des caractéristiques communes (climat, ressources, problématiques).

L'organisation d'une « foire aux innovations » avait été imaginée par l'APDRA pour créer un lieu d'échange des pratiques innovantes entre les pisciculteurs. Cette idée semble intéressante pour des innovations techniques simples comme des outils ou des techniques d'alimentation. La foire permettrait en effet de réunir beaucoup de pisciculteurs dans un même lieu pour leur apporter de nouvelles connaissances et potentiellement, créer un dialogue entre eux (Quiroga & Flink, 2017). Cependant, cet outil parait moins pertinent pour des innovations plus systémiques ou des innovations organisationnelles plus complexes et plus difficiles à aborder dans des grandes sphères. D'autres outils peuvent être mis en place comme les Groupes d'échanges de Pratiques (GEP). Lors de ces réunions, « les agriculteurs échangent non seulement sur les données technico-économiques, mais aussi sur les nouveaux marchés, les modes de commercialisation, l'ancrage territorial, l'organisation du travail. Ils échangent également sur des niveaux d'analyse plus globaux, envisageant l'exploitation agricole comme un système à appréhender dans sa globalité. L'animateur est là pour faciliter ces échanges et assurer un retour écrit ou oral aux agriculteurs (analyse ou synthèse) qu'il leur fait valider. » (Goulet et al., 2008).

Pour finir, il y a un enjeu à construire des formations sur la méthode de « traques aux innovations » développée dans cette étude. En effet, cette méthode permet d'identifier et de caractériser un panel d'innovations allant de techniques simples à des innovations organisationnelles ou systémiques mises en oeuvre par les paysans. Cette formation pourrait être donnée auprès de différents agents terrains de l'APDRA comme les ACP ou auprès d'autres acteurs n'ayant pas le rôle de technicien qui demande déjà un travail conséquent.

79

Conclusion et ouverture

Pour conclure, cette étude montre que les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA adaptent en permanence les conseils de l'ONG et innovent à leur échelle pour répondre aux problèmes qu'ils rencontrent et saisir les opportunités qui se présentent à eux. Ainsi, ils adaptent les aménagements et les techniques piscicoles recommandés par l'APDRA aux contextes de leurs exploitations et échangent des informations ou des ressources pour développer leurs activités piscicoles. L'accès aux différents marchés, l'accès à l'eau et les problèmes de vols sont des facteurs déterminants qui poussent les pisciculteurs à innover. Les caractéristiques des exploitations et l'accès à l'information paraissent très hétérogènes entre les pisciculteurs accompagnés par l'APDRA. Certains se retrouvent sur des marchés très rémunérateurs comme la vente d'alevins à des gros acheteurs tandis que d'autres ne trouvent pas de débouchés pour vendre leurs poissons.

L'APDRA joue un rôle important dans les dynamiques d'innovations piscicoles sur la Côte Est de Madagascar. En effet, elle a participé au développement de pratiques d'élevages innovantes pour les pisciculteurs du district de Vatomandry comme la rizipisciculture ou encore l'élevage de carpe. Les ACP de l'APDRA accompagnent les pisciculteurs aux quotidiens et alimentent l'innovation en milieu paysan. Cependant, les pratiques piscicoles innovantes ont du mal à être identifiées comme telles par les ACP et remontées vers les équipes de coordinations de l'ONG. Il serait intéressant de renforcer les formations au sein de l'APDRA sur le concept et l'accompagnement de « l'innovation paysanne » et de favoriser les échanges entre les pisciculteurs, les ACP, et l'ensemble des acteurs de la pisciculture sur des territoires donnés.

Cette étude présente plusieurs limites. Tout d'abord, l'échantillon n'est pas représentatif des pisciculteurs encadrés par l'APDRA, et encore moins de tous les pisciculteurs et les formes de piscicultures qui existent sur la Côte Est de Madagascar. En conséquence, cette étude ne montre qu'une partie des pratiques piscicoles innovantes existantes et susceptibles d'enrichir les référentiels techniques de l'ONG. De plus, le temps limité de la phase terrain ne nous a pas permis de situer la place de la pisciculture au sein des activités globales des paysans rencontrés. Il est important de souligner que les pisciculteurs encadrés par l'APDRA sont avant tout des paysans. Ils ont tous des cultures vivrières (riz, manioc, maïs), d'autres activités d'élevages (volailles, porcins, bovins) et des cultures de rente (poivre, vanille, girofle, cannelle, letchi), parfois en interactions directes avec la pisciculture. Etudier ces activités permettrait de mieux comprendre le choix des paysans quant à leur activité piscicole (calendrier agricole, notion de coût d'opportunité).

Depuis quatre ans, la rizipisciculture est proposée par l'APDRA aux paysans qu'elle accompagne sur la Côte Est de Madagascar. Dans cette étude, peu d'innovations de paysans ne pratiquant que de la rizipisciculture ont été étudiées, car la plupart de ces paysans étaient encore peu expérimentés en pisciculture. En effet, 73% des rizipisciculteurs accompagnés sur la Côte Est ont commencé après le 1er octobre 2019 et 52% après le 1er janvier 2020. Nous supposons que des innovations paysannes vont émerger dans les années à venir grâce à l'acquisition d'expérience de ces rizipisciculteurs. Il serait dans ce cas, très intéressant d'étudier et d'accompagner ces dynamiques d'innovations. Cela pourrait se faire en menant de nouvelles traques couplant simultanément l'étude des pratiques piscicoles et rizicoles qui sont intimement liées dans les systèmes rizipiscicoles.

80

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83

Annexes

Annexe 1 : Graphique représentant l'évolution du nombre de rizipisciculteurs encadrés par l'ADPRA sur la Côte Est entre 2017 et 2020 (source : Sadousty J, APDRA, 2021)

Evolution du nombre de rizipisciculteurs encadrés par l'ADPRA sur la Côte Est entre 2017 et 2020

2017 2018 2019 2020

6 15

35

73

Annexe 2 : Schéma d'un étang fermé dans le modèle de Guinée Forestière : (source : APDRA, 2017)

84

Annexe3 : Différentes formes d'alimentations et de fertilisations innovantes

Innovation

Référentiel technique
APDRA

Description et intérêt de l'innovation

Provende artisanale

Non mentionné

Production de 1,8 tonnes de provende
artisanale faite à partir de maïs, manioc, riz,
soja (qu'il cultive exprès pour ça) et escargot :
ensemble broyé au hachoir (prend beaucoup
de temps) / Sert à alimenter en priorité les
géniteurs de carpes

Compost

Non mentionné

1 pisciculteur emmagasine dans un trou : son
de riz + paille de riz + fiente de
volaille/porcs/zébu

Fruit de jacquier

Non mentionné

Coupé puis jeté directement dans l'eau, ce
fruit flotte parfois à la surface des étangs.
Fruit disponible en abondance autour des
étangs dans les forêts plantées des paysans.
Ne parait pas alimenter de manière importante
les poissons.

Termite

Non mentionné

Termites (notamment les larves) jetés dans les

étangs. Source de protéine disponible gratuitement. Donné de manière dérisoire par la plupart des pisciculteurs, 1 le fait cependant

de manière quotidienne.

Provende achetée

Non mentionné

Quelques pisciculteurs aisés achètent de la
provende alimentaire (LFL, AMI) à Tamatave

Elevage de canard

Non mentionné

Elevage de canard au milieu des étangs pour
fertiliser l'étang de manière naturelle
Risque de mortalité sur les alevins
(problématique surtout pour les alevins de
carpe qui ont plus de valeur)

Fiente de poulet de
chaire

Non mentionné

Utilisation de fiente de poulet de chair, encore
riche grâce à leur alimentation en provende
industriel

Annexe 4 : Différents outils et aménagements innovants

Innovation

Référentiel technique
APDRA

Description et intérêt de l'innovation

Etang de vente cimenté
en bord d'étang barrage

Non mentionné

Etang de 3m2 alimenté en eau toute l'année et situé près de l'étang barrage

Avoir un étang pour le stockage et la vente d'alevins (éviter la mortalité et vendre des alevins propres aux clients)

Absence de canal
refuge en rizière
(Innovation par retrait)

L'APDRA
recommande un canal
refuge faisant 10 à
15% de la surface de
la rizière.

Pisciculteurs ne mettant pas de canal refuge

dans leurs rizières à cause de la boue qui
bouche rapidement le canal et demande un
entretien régulier. Utilisation de riz à paille
longue et repiquage tardif pour maintenir une

85

 
 

lame d'eau suffisante pour les poissons

Canal refuge sur le côté

Canal refuge recommandé au milieu pour éviter le vol

Rizière de petite taille : permettre le piétinage des zébus : travaux de préparation des rizières

Support de ponte en
racine de raphia

Support de ponte en
jacinthe d'eau

Support en bois avec des racines de raphia
dessus : matériel facilement disponible et
facile à conserver contrairement aux jacinthes
d'eau

Enherbement des
digues avals

Non mentionné

Digue aval enherbée pour éviter l'érosion du

sol

Palissade en bambou
tressé

Non mentionné

Palissade en bambou tressé pour séparer un
petit étang en deux afin de pouvoir séparer les
géniteurs de carpes

Annexe 5 : Les échanges entre l'étang barrage et d'autres activités du système de production d'un pisciculteur ;

Annexe 6: Tableau représentant le GMQ moyen de la carpe et du tilapia en rizière et en étang barrage (EB) en 2020 chez l'ensemble des pisciculteurs encadrés par l'APDRA sur la Côte Est (source : Sadousty J, APDRA, 2021)

GMQ moyen des carpes en 1,60 GMQ moyen des tilapias N 0,66

rizières g/j en rizières g/j

GMQ moyen des carpes en

1,16

GMQ moyen des tilapias N

0,3 à

EB

g/j

en EB

0,5g/j

86

Annexe 7 : Graphique de la croissance pondérale moyenne du tilapia (O.niloticus) à différentes températures : (source : Mélard, C, 1986)

Annexe 8 : Tableau de la surface moyenne en are en étang barrage et en rizière des nouveaux pisciculteurs en fonction des années d'installations (source : Sadousty, J, APDRA, 2021)

Année de
début du
pisciculteur

 

Surface moyenne
par pisciculteur
en étang barrage
(en ares)

 

Ecart type

1

 

Surface moyenne
par pisciculteur
en rizière (en
ares)

 

Ecart type

2

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

2016

24

18

41

62

2017

15

13

13

12

2018

22

31

11

10

2019

13

9

11

7

2020

13

8

9

9

87

Annexe 9 : Echanges identifiés entre les pisciculteurs de deux groupements avec un ACP pisciculteur au centre

88

Annexe 10 : Etude de cas de Victor12 (P2 dans notre étude), un pisciculteur qui n'a pas réussi à devenir alevineur

Caractéristique de l'exploitation :

Victor est un pisciculteur de la commune d'Andasibe, situé à 16 km de Vatomandry en passant par des routes secondaires peu praticables. Il a commencé la pisciculture en 2004 en élevant du gourami pêché dans les cours d'eau mais il a fini par arrêter par manque de connaissances techniques. Il a repris la pisciculture avec l'APDRA en 2017 en rizière puis très rapidement a construit un étang barrage de 5 ares. Il a aujourd'hui près d'un demi-hectare de rizière empoissonné près de sa maison. Il est en train de construire deux étangs barrages supplémentaires. La partie aval de ses rizières est exposée aux risques d'inondation. Victor a des parcelles de café, c'est ce qui lui rapporte le plus d'argent. Grâce à ses rizières, lui et sa famille arrivent à être auto-suffisant en riz.

Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020) Elevage mono spécifique de carpe en rizière :

Victor n'élève que de la carpe depuis qu'il a perdu ses tilapias donnés par l'ADPRA lors d'une inondation. Il utilise ses étangs de service pour séparer ses géniteurs carpes et faire la reproduction de carpe. Cette année, il a fait 3 reproductions de carpes. Il laisse pré grossir ses alevins de carpes dans un étang de service de 2 ares équipé d'un ombrage. Ensuite les alevins continuent leur pré grossissement et le grossissement dans les rizières. Une partie des rizières, situées en aval, est plus exposé aux risques d'inondations. Il peut alors, notamment grâce à des canaux de pêches récupérer ses poissons pour les empoissonner dans les rizières en aval. Initialement, Victor arrivait à faire 3 cycles de riz par an. Depuis qu'il fait de la pisciculture, il ne peut faire que 2 cycles de riz en rizière par an à cause des travaux d'entretiens, notamment le piétinage des rizières par les zébus qui empêchent les activités piscicoles d'avoir lieu.

L'étang barrage lui a servi cette année pour stocker ses géniteurs de carpes d'avril à juillet. En effet, il vivait à ce moment près de son étang barrage et il préférait garder ses géniteurs de carpes près de lui pour éviter le vol. Après le mois d'août, il n'avait plus assez d'eau dans son étang barrage. Il a donc décidé d'y cultiver du riz sur la totalité. Cependant, il est en train de finaliser un étang barrage de 28 ares pour y faire grossir ses carpes partir d'avril 2021. Victor pense que le riz dans les rizières gêne les poissons quand ils sont trop gros (il n'a pas de canaux refuges dans toutes ses rizières).

« Je compte finir mon étang barrage de 28 ares pour y faire séparément le grossissement de 1600 carpes que
j'irai vendre sur le marché de Vatomandry lors des fêtes ».

Production et débouchés :

Victor se trouve dans une zone isolée. Pour l'instant il n'a vendu que localement des petites carpes en tas et en petites quantités car il ne produisait pas beaucoup d'alevins de carpes jusqu'alors.

Cette année, Victor a produit 10 500 alevins en 2 reproductions et les alevins obtenus lors de la troisième reproduction n'ont pas encore été comptés. Il espérait pouvoir les vendre facilement. Cependant, il n'a pas de contact d'acheteurs. Il a réussi à vendre 140 alevins à 400MGA pièce. Cet argent lui a permis de payer de la main d'oeuvre pour la construction de ses deux nouveaux étangs barrages. Il a également reçu une commande de 200 alevins mais il a dû la refuser pour ne pas perdre l'eau de ses rizières lors des pêches. Il se plaint de n'avoir que quelques acheteurs locaux qui ne veulent que des petites quantités d'alevins alors qu'il en a beaucoup à proposer.

12 L'ensemble des noms des pisciculteurs présentés dans ces études de cas ont été changé pour respecter leurs anonymats

89

« Les pisciculteurs de la zone ne veulent que des petites quantités d'alevins, moins de 100, mais moi j'ai
beaucoup d'alevins à vendre et je ne sais pas à qui. »

Il sait que s'il obtient des grosses carpes, il pourra les vendre sur les marchés de Vatomandry facilement lors des grandes fêtes de l'année. Il est prêt à transporter 20 kilos de poissons à pied (3 heures de marche).

Evolution de la pratique :

Lors de son premier cycle d'élevage de carpe et de tilapia, il a d'abord laissé ses poissons dans ses rizières pendant 3 mois avant de les transférer dans son étang barrage. Il a remarqué que les poissons grossissaient mieux en étang barrage.

Ensuite, Victor a voulu produire beaucoup d'alevins en espérant les vendre et gagner beaucoup d'argent. Cependant, il se trouve dans une zone reculée dur d'accès et il n'a pas beaucoup de contacts d'acheteurs. Il se retrouve cette année avec beaucoup d'alevins non vendus.

Il a construit deux nouveaux étangs barrage et y prévoit d'y faire le grossissement de ses carpes et des tilapias qu'un ami va lui fournir. Il prévoit de faire le pré grossissement de ses carpes en rizières et le grossissement de 1600 alevins carpes dans son étang barrage de 28 ares. Les tilapias seront empoissonnés dans le deuxième étang afin de tester quels poissons grossissent le mieux.

Evaluation de la pratique :

Victor dit être « heureux » de son activité piscicole, surtout cette année où il a réussi à produire beaucoup d'alevins de carpes mais il est également « triste » de ne pas réussir à les vendre. Il aimerait que l'APDRA lui rachète ses alevins de carpes. Il envisage alors de faire grossir des poissons et de les vendre sur les marchés de Vatomandry où il est sûr de pouvoir écouler toute sa production.

Annexe 11 : Etude de cas de Alex, un grossisseur et un alevineur de carpe et de tilapia Caractéristique de l'exploitation :

Alex est un pisciculteur de la commune d'Antanambao Mahatsara, il travaille avec l'APDRA depuis 2016. C'est un grand propriétaire terrien, il a 30 hectares de terres. La route secondaire qui accède à son exploitation est en mauvaise état (quasiment impraticable en saison des pluies) et il y a plus de 40 km pour rejoindre la route nationale RN11A. Il a commencé par aménager un étang barrage de 20 ares et 3 étangs de service. Depuis 3 ans, il a transformé trois hectares de terrain en une vingtaine de parcelles de rizières de 15-20 ares chacune, dont 2 ha sont maintenant dédiés à la rizipisciculture. Sa femme a également aménagé un étang de 15 ares en amont des rizières, et un troisième étang-barrage de 30 ares a été construit dans un bas-fond à quelques km de ses rizières. Sur ses terres, il cultive également du maïs pour l'autoconsommation et l'alimentation de ses volailles, du girofle, du letchi et des ananas (Mounayar M, 2019). Depuis 2020, il a commencé à cultiver du soja dans le but de produire de l'aliment artisanal pour ses poissons.

Conduites d'élevage des espèces piscicoles : (année 2020)

Alex utilise ses rizières pour le pré grossissement et le grossissement des carpes et dans une moindre mesure, des tilapias. Les 2 hectares aménagés de rizières dont il dispose lui permettent d'avoir une grande surface à empoissonner. Il fait 2 cycles de riz court à paille longue (cycle de 4 mois) par an et 1 cycle de pré grossissement et de grossissement par an (8 mois). Il n'a pas manqué d'eau dans ses rizières cette année. Quand ça lui arrive, il se sert de ses étangs barrages qui ne tarissent pas pour stocker son cheptel (en priorité les poissons les plus gros). Les risques d'inondations en rizières sont plus fréquents (entre janvier et mars), il utilise également ses étangs barrage pour stocker son cheptel. En effet, le système de vidange de l'étang barrage permet de réguler plus facilement le niveau d'eau et le trop plein permet d'éviter les risques de débordements. Après le mois mars, il pêche ses poissons stockés, les vend s'il a des commandes ou les remet en grossissement dans le cas contraire. Sur une partie de ses rizières il ne fait que de la carpe en monoculture car il a observé que les

90

carpes grossissaient mieux que le tilapia. Dans les autres rizières, il fait de la polyculture de tilapia et de carpe. Pour les pêches, il récolte d'abord le riz de toutes ses rizières et laisse une lame d'eau pour ses poissons. Ensuite, il fait la pêche de la majeure partie de ses rizières et utilise les rizières restantes (qui ressemble alors à des petits étangs car il n'y plus de riz) pour stocker ses poissons. Cela lui laisse le temps de travailler ses rizières vidées en restaurant les canaux refuge et en piétinant la terre avec ses zébus.

L'année 2019, M. Alex a produit 14 000 alevins de carpes. Pour cela, il utilise ses 3 étangs de service plus facile à fertiliser que les rizières car ils sont plus petit et il y a moins de fuite. Dans un premier temps, il sépare les géniteurs mâles et femelles puis il utilise un étang de ponte pour la reproduction. Ensuite, il amène les larves jusqu'au stade alevins avant de les empoissonner en rizière. Selon lui, il y a des risques de mortalité important si on empoissonne les larves de carpes directement dans la rizière car il y a plus de prédateurs et de poissons sauvages.

Pour le tilapia, Alex a arrêté de faire le sexage des alevins. En effet, cela lui prenait trop de temps et il avait des difficultés à identifier le sexe des alevins du fait de sa mauvaise vue. De plus, les erreurs de sexage amenaient les tilapias à des tailles de 50g tout au plus. En 2019, il a failli arrêter de faire du tilapia mais il a appris que des clients aisés achetaient des alevins de tilapias. L'ACP pisciculteur qui l'encadre lui a proposé de produire 25 000 alevins pour une commande qu'il a auprès d'un cagiste. Le tilapia est alors redevenu un des objectifs de production d'Alex.

Alex fertilise seulement les rizières empoissonnées avec la fiente de ses poules et le fumier de ses zébus. Il embauche de la main d'oeuvre pour fertiliser et déverse environ 30kg de fumier de zébu 1 à 2 fois par an par rizière. De plus, il laisse les pailles de riz quelques jours après le piétinage des zébus. Depuis l'année 2020, il a commencé à fabriquer sa propre provende artisanale à partir de maïs et de manioc qu'il produit et bientôt en ajoutant du soja qu'il compte produire.

Production et débouchés :

Alex est un vendeur d'alevins très réputé dans le district de Vatomandry. Il est connu du directeur du service des pêches pour ses nombreuses ventes d'alevins en dehors du district. Sur les 14 000 alevins qu'il a produits en 2019, il en a vendu presque 12 000. Une petite partie a été vendue localement aux pisciculteurs de la commune. La plus grande partie a été vendue en dehors, notamment à Tsarasambo et Vaotmandry (500 alevins à l'APDRA). Le prix des alevins varie selon la taille et donc selon la durée de pré grossissement. En général il vend à 300MGA l'alevin de moins de 4 mois, entre 400 et 500 MGA 500 l'alevin de 4 à 7 mois et 1000 MGA l'alevin de plus de 7 mois.

Il a empoissonné 2000 alevins dans ses rizières et ils ont grossi jusqu'à 400 à 500g. Une partie a été autoconsommée au fur et à mesure et l'autre partie a été vendue. Il vend en bord d'étang lors des fêtes importantes de l'année, en faisant du « porte à porte » dans les environs de chez lui et en vendant dans les villes de Vatomandry et d'Antsampanana (aux restaurateurs). Il ne vend pas au marché de sa commune car cela lui prendrait beaucoup de temps. Il a également vendu des géniteurs de carpes, notamment à des pisciculteurs de Brickaville de la coopérative de « Tilapia de l'Est » qui cherchent à diversifier leurs productions.

Alex est certain de pouvoir écouler ses poissons sur le marché de Vatomandry. Selon lui, c'est « facile d'y vendre 100 kilos, surtout pendant la période cyclonique car il y a moins de poissons de mer qui approvisionne les marchés des grandes villes de la route nationale ». En effet, à cause des mauvaises conditions météorologiques, les pêcheurs ne vont pas en mer et seules la pêche et la pisciculture d'eau douce alimentent les marchés du district.

Le plus gros problème rencontré par Alex actuellement est le caractère isolé de son exploitation. La route étant quasi impraticable, il transporte ses poissons et ses alevins sur les grands marchés en passant par la voie fluviale. Il paye environ 20 000 MGA pour un trajet avec sa marchandise. Ensuite, une fois sur la route nationale, il doit payer le taxi brousse pour aller dans la ville de son choix.

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Evolution de la pratique :

En 2017, Alex commence la pisciculture dans son étang barrage de 20 ares. Il obtient alors un très bon rendement de plus de 1T/ha/an. Il remarque que les carpes grossissent mieux que les tilapias (100 g en moyenne contre 50) et il obtient une quantité importante d'alevins de tilapias lors de ses pêches.

Il participe ensuite à une visite échange sur les hauts plateaux et se forme en rizipisciculture. A son retour, il aménage une partie de ses rizières et décide de faire de la monoculture de carpe dans une partie de ses rizières. Il arrête le sexage du tilapia qui lui prend trop de temps et ne s'intéresse plus vraiment à cette espèce. Il agrandit petit à petit ses surfaces de rizipisciculture jusqu'à 2 hectares.

Dans le futur, il aimerait aménager quelques autres parcelles rizicoles pour la pisciculture mais elles sont plus petites et plus exposées aux inondations. Il souhaite également acheter sa propre pirogue pour être autonome et limiter ses frais de transport.

Evaluation de la pratique :

L'adoption de la rizipisciculture lui a permis de multiplier par 10 ses surfaces empoissonnées. La mono culture de carpe en rizière permet d'obtenir des poissons de grosses tailles, il a obtenu un rendement allant jusqu'à 1t/ha/an en rizière. La vente d'alevins de carpe est son activité la plus importante car il génère beaucoup d'argent rapidement. Cela lui permet de payer les études de ses 3 enfants à la capitale, Antananarivo.

Annexe 12 : Etude de cas de Christine (P1 dans notre étude), une piscicultrice qui mise sur le grossissement en rizière

Caractéristique de l'exploitation :

Christine a commencé la pisciculture avec l'APDRA en 2016. Elle se situe dans une zone très isolée, difficilement accessible à 2 heures de moto depuis la route nationale. Avec son mari et ses enfants, ils possèdent un étang barrage de 8 ares, 6 étangs de services et plus d'un hectare de rizière aménagé pour la rizipisciculture. Certaines de ses rizières ont été léguées à ses 3 enfants mais c'est toujours elle qui dirige l'activité piscicole sur l'exploitation. Une partie des rizières se trouve plus en amont et est moins soumise aux risques d'inondations que l'autre partie. Elle ne connait pas de problème de tarissement de ses parcelles en saison sèche. Le vol est un problème survenu plusieurs fois : lors de notre échange, le mari était au tribunal pour régler une affaire de vol de carpes.

Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020)

Le grossissement de carpes et de tilapias mâles en rizière et l'utilisation de l'étang barrage comme étang de service :

Christine utilise son étang barrage entre janvier et juillet pour stocker ses géniteurs de carpes et de tilapias et stocker ses alevins de carpes de l'année précédente. Dans le même temps, les géniteurs de tilapias se reproduisent de manière non contrôlée. L'étang barrage est l'endroit le plus sûr sur son exploitation face aux risques d'inondations importants entre janvier et avril. Elle fait une première pêche en mai pour récupérer ses géniteurs de carpes qu'elle sépare avant la reproduction. A ce moment elle récupère également des alevins de tilapias pour les faire pré grossir en étang de service. Au mois de juillet, elle refait une pêche de son étang barrage pour enlever tous les poissons qui s'y trouve : les géniteurs de tilapias sont transférés en étang de service avec les alevins de tilapia et les alevins de carpe sont empoissonnés dans l'ensemble des rizières aménagées de l'exploitation. L'étang barrage sert alors pour la reproduction de carpe à partir du mois d'août car il y a moins de risque de vol qu'en étang de service. Christine place des jacinthes d'eau dans son étang barrage et récupère au fur et à mesure les jacinthes d'eau où sont présents des oeufs de carpes pour les transférer dans un étang de service. Fin novembre, elle fait une pêche de son étang barrage pour récupérer les géniteurs et les alevins de carpe encore présents. Le tout est transféré dans les étangs de services en attendant que l'étang barrage se remplisse.

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Les alevins de tilapias sont produits en étang de service et en étang barrage. Christine fait des pêches de comptage pour sélectionner les plus gros alevins et les met dans une rizière équipée d'une zone de pêche (technique observée sur les hauts plateaux lors d'une visite échange). Elle fait ensuite le sexage des tilapias pour essayer de n'empoissonner que les mâles par la suite. Une vingtaine d'ares sont situés en amont et sont moins exposés aux inondations. Ils sont empoissonnés deux fois dans l'année pendant les deux cycles de riz avec 80 alevins de tilapias mâles et 120 carpes (rizière de 3 à 5 ares). Les 4/5 -ème des rizières restantes ne sont empoissonnés qu'une seule fois par an sur un cycle de 6 mois à cause du risque d'inondation. Lors de l'année 2020, il n'y a pas eu d'inondation dans l'ensemble des rizières aménagées.

Production et débouchés :

Les cycles de 4 à 5 mois de grossissement en rizière lui donnent des carpes de 100 à 200 g et des tilapias. Christine vend la plupart de ses poissons localement en tas.

Elle vend également des alevins de carpes aux alentours et à l'extérieur de la commune. Lors de la pêche de son étang barrage, un pisciculteur du coin venait l'aider pour avoir des alevins à un prix inférieur de 200 MGA/pièce. Sinon, elle les vend à 400 MGA/pièce. Elle a vendu 5000 alevins de carpes en 2019 pour financer la construction de sa maison.

Evolution de la pratique :

En 2016 et en 2017, Christine faisait des cycles de 6 mois de grossissement en étang barrage et obtient des rendements de plus de 500 kg/ha/an. En 2018, avisée par l'équipe de l'APDRA, elle décide de prolonger son cycle de grossissement à 1 an pour augmenter ses rendements car elle n'en était pas satisfaite. Cependant, lors de ce cycle en 2018, elle subit un vol de l'ensemble de son cheptel. Cette même année, Christine participe à une visite échange dans la région Itasy sur les hauts plateaux de Madagascar. Elle y découvre la rizipisciculture qu'elle décide d'adopter dès son retour. Ce nouveau système d'élevage lui permet d'augmenter ses surfaces empoissonnées (multiplier par 12 en 2 ans) et donc d'augmenter le nombre de poissons empoissonnés à l'are et/ou de diminuer la densité de poisson à l'are. Cela permet également de répartir le cheptel dans l'espace et ainsi diminuer les risques de vol.

En 2019, Christine décide de vendre ses alevins de carpes pour avoir de l'argent et finaliser la construction de sa maison en bois avec un toit en tôle. Il lui manque alors des alevins au mois de juillet 2020 pour empoissonner l'ensemble de ses rizières. En 2021, Christine aimerait empoissonner une surface plus importante de ses rizières pendant la saison cyclonique au risque de perdre ses poissons. Son mari s'y oppose et préfère vendre les alevins, une stratégie qu'il juge plus sûre.

A moyen terme, Christine aimerait acheter des grilles pour éviter la perte de poissons dans ses rizières lors des inondations et une décortiqueuse pour leur riz et celui des gens du village. Le son de riz serait alors récupéré pour nourrir les poissons.

Evaluation de la pratique :

Christine a une volonté d'investir du temps et des moyens dans la pisciculture car elle juge que c'est une activité qui peut rapporter beaucoup d'argent, même dans sa zone qui est isolée. Elle est satisfaite de son activité piscicole, surtout depuis qu'elle a adopté la rizipisciculture. En effet, elle pense avoir trouvé une stratégie lui permettant de produire du poisson sur une grande surface en évitant au maximum les problèmes de vol et d'inondation. A l'avenir, elle veut miser de plus en plus sur l'activité piscicole mais son mari semble retissant à quelques-unes de ses propositions (l'achat du grillage, le grossissement plutôt que la vente d'alevin).

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Annexe 13 : Etude de cas de Sylvain, un pisciculteur et un producteur d'huiles essentielles de girofles

Caractéristique de l'exploitation :

Sylvain a commencé la pisciculture avec l'APDRA en 2017. Il habite dans la commune de Ambalamangahazo et se trouve relativement isolé des grands marchés (Ilaka Est est à 2 heures à pied). Il possède un étang barrage de 33 ares et un étang de service idéalement situés tout près du village. A 30 minutes de marche, sa mère possède 60 ares de rizières en bas-fonds. Seule une petite partie est empoissonnée à cause des risques d'inondations (Mounayar, 2019).

Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020) L'élevage mono spécifique de carpe en étang barrage : (SE1)

La conduite d'élevage de Sylvain dépend grandement de la disponibilité en eau dans son étang barrage et du fonctionnement de ses 2 alambics. Quand il a assez d'eau dans son étang barrage, il fait 2 cycles de riz par an et 2 cycles de grossissement de 6 mois d'alevins carpes achetés (élevage mono spécifique). Quand son étang barrage manque d'eau, il choisit de ne faire qu'un cycle de riz (riz de saison) et un cycle de grossissement de carpes d'un an. Il s'assure d'avoir de l'eau dans son étang barrage pour faire fonctionner ses 2 alambics en saison des pluies et 1 alambic en saison sèche. L'emplacement de son étang barrage (juste à côté du village) est idéal pour installer ses alambics et louer leurs utilisations aux villageois pour qu'ils distillent leurs feuilles de girofle.

Cette année, pour financer les études de sa petite soeur, il a dû faire la pêche de son étang barrage en juin avant la fête nationale. Il n'y avait alors plus assez d'eau pour la pisciculture et pour le fonctionnement de son alambic. Il a alors fait un cycle de riz de contre saison sur la totalité de son étang barrage. Pour ses alambics, il a loué l'accès à l'eau du terrain d'un autre agriculteur du village.

L'élevage mono spécifique de tilapia en rizières : (SE3)

Les rizières empoissonnées de tilapia (élevage mono spécifique) appartiennent à sa mère et sont gérées par la famille nucléaire. Ils font 2 cycles de riz par an et 3 pêches dans l'année. Ils réempoissonnent seulement les alevins de petites tailles. Sylvain aimerait gérer les tilapias tout seul pour les laisser grossir plus longtemps et potentiellement les sexer mais les membres de sa famille préfèrent maintenir les 3 pêches par an.

Production et débouchés :

Lors de la pêche de juin, Sylvain a pêché 53 kg de carpe. Il en a vendu 40 à environ 10 000MGA le kg (400 000 MGA soit 90 €). Les plus petits en tas dans son village et les plus gros sur le marché et dans les restaurants d'Ilaka Est. Il a également gardé 10 kilos de géniteurs et a autoconsommé les 3 kilos restants. Les tilapias sont vendus en tas sur le marché et autoconsommé.

Pour la location de ses alambics, Sylvain et le propriétaire du terrain sont payés directement en huile de girofle. Sylvain achète ensuite l'huile de girofle produits par les villageois et va la revendre à l'extérieur de la commune. Il nous dit qu'il achète à 32 000 MGA le litre pour le revendre à 36 000 MGA. Marion Mounayar avait elle relevé le chiffre de 20 000 MGA le litre acheté et 50 000 MGA revendu. Selon elle, la production de girofle représentait 91% de sa marge brute en 2019, soit près de 23 millions MGA (5000 €), une somme très importante (Mounayar, 2019).

Evolution de la pratique :

En 2017 et 2018, Sylvain faisait de l'élevage pluri spécifique de carpe et de tilapia tout venant dans son étang barrage situé à côté du village. Il n'avait qu'un étang de service et peu d'eau disponible donc il n'a pas adopté la pratique du sexage de tilapia. Finalement, lors des pêches, il se retrouvait avec 1000 à 2000 alevins de tilapias de moins de 10g qui freinaient la croissance de ses carpes.

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A partir de 2019, il a décidé de faire du grossissement de carpe uniquement. Le résultat va dans le sens de ses observations car en 2017, le GMQ moyen de ses carpes était de 0,8g/j et en juin 2020, il était de 1,8g/j selon la base de données de l'ADPRA.

Dans le futur, Sylvain prévoit de revenir à l'élevage pluri spécifiques de carpe et de tilapia dans son étang barrage mais en s'assurant de n'empoissonner que des tilapias mâles. Pour cela, il va utiliser une rizière pour produire des alevins de tilapias, les sexer puis les faire pré-grossir de nouveau dans un étang barrage situé à côté des rizières. Enfin il fera un deuxième sexage des alevins de tilapias avant de les mettre dans l'étang barrage situé près du village.

Evaluation de la pratique :

Sylvain est satisfait de l'utilisation qu'il donne à son étang barrage. En effet, en plus de faire fonctionner ses alambics (source principale de revenu économique en 2019), son cheptel de carpe est un capital qu'il peut mobiliser en cas d'urgence comme cette année pour les frais de scolarité de sa petite soeur. Les rizières empoissonnées sont gérées par les membres de la famille nucléaire ce qui fait que Sylvain a moins de liberté dans la gestion du tilapia. Finalement, cette activité reste surtout pour l'autoconsommation de la famille et quelques petites ventes locales.

Annexe 14 : Etude de cas de Melville (P3 dans notre étude), un producteur d'alevins de tilapia pour le projet FORMAPROD

Caractéristique de l'exploitation :

Melville est un pisciculteur de Amboditavolo qui travaille avec l'ADPRA depuis 2016. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A, à 30 km au Sud de Antsampanana, l'embranchement avec la route nationale 2 qui relie les deux plus grandes villes du pays. Sur son exploitation, Melville dispose de peu de surfaces aménagées pour la pisciculture (>15 ares). Il a un bas fond de 50 ares, et sur celui-ci, il dispose d'un étang barrage de 9 ares et de 8 étangs de services faisant entre 1 et 3 ares. Il possède également une pépinière (fruitiers, épices) qui en 2018 lui rapportait 85 % de sa marge brute (Mounayar.M, 2019). En saison sèche, son étang barrage manque d'eau mais il arrive à conserver de l'eau dans l'ensemble de ses étangs de service en la renouvelant très peu. En plus de manquer d'eau, son étang barrage est très peu fertile : entre 2016 et 2019, les 4 cycles de production n'ont jamais dépassé un rendement de plus de 200 kg/ha/an* (Mounayar.M, 2019).

Cette année, Melville a fait un cycle d'un an dans son étang barrage où il laisse se reproduire des géniteurs de tilapia en association avec des carpes. L'objectif est en premier lieu de produire un maximum d'alevins de tilapia. Ensuite, une partie des poissons grossis (carpe et tilapia) servira de futurs géniteurs et l'autre partie sera vendue ou autoconsommée.

Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020)

Melville dispose de 8 étangs de services, dont 7 ont pour objectifs de produire des alevins de tilapias. 2 étangs de service sont mobilisés pour la reproduction (sexe ratio APDRA : 6 mâles et 18 femelles par étang). Il laisse ses géniteurs se reproduire trois fois d'affilée, en retirant à chaque fois la génération de larves naissantes pour ne pas les mélanger entre elles, puis il change de géniteurs. Les larves naissantes sont transférées dans deux étangs de service pour le pré grossissement. En fonction des commandes, les alevins pré grossissent un temps plus ou moins long, la moyenne étant de 2 mois pour un poids final de 20 à 30 g selon le pisciculteur. Il dispose également d'1 ou 2 étangs de service pour stocker les géniteurs s'étant déjà reproduits. Il mobilise également deux autres étangs de service pour le grossissement des futurs géniteurs. Quand il peut séparer les géniteurs mâles et femelles, il le fait pour éviter des reproductions non contrôlées et pour nourrir en priorité les génitrices. A noter, le dernier étang de service, qui est le plus grand (3 ares) et le plus fertilisé (élevage porcin au-dessus de l'étang), est mobilisé pour le grossissement des futurs géniteurs de carpes. Melville a perdu tous ses géniteurs de carpes l'an dernier à cause d'une casse de digue et veut reconstituer son cheptel.

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« Si tu n'as pas assez d'espace, il vaut mieux être producteur d'alevins » Melville, novembre 2020 La production et les débouchés :

Melville s'est constitué un réseau de clients grâce au « bouche à oreille » et au travail qu'il a avec FORMAPROD (projet du MAEP financé principalement par le Fond International de Développement Agricole). Sa proximité avec la route nationale lui a permis d'avoir une grande visibilité et un accès facile pour les acheteurs. Il vend aujourd'hui de Mahanoro jusqu'à Brickaville. Les acheteurs sont des pisciculteurs non encadrés par l'ADPRA : quelques cagistes et grands propriétaires qui ont un étang barrage mais surtout des pisciculteurs possédant des trous qui font partie du projet FORMAPROD. Melville a d'abord travaillé avec FORMAPROD à travers son activité de pépiniériste. Aujourd'hui, il joue un rôle de formateur en pisciculture et fait des prospections de sites pour conseiller les bénéficiaires du projet. En retour, il attend d'eux qu'ils lui achètent ses alevins. Si Melville n'a pas assez d'alevins, il fait appel à d'autres pisciculteurs pour le fournir (notamment des pisciculteurs de l'ADPRA). Il leur achète à 150 MGA pièce pour les revendre 300 MGA pièce aux bénéficiaires de FORMAPROD.

Melville nous dit avoir honoré cette année 5 grosses commandes pour un total de 2000 alevins vendus à 300 MGA, soit un gain annuel de 600 000 MGA (110€). Cependant, il nous dit qu'aujourd'hui, la pisciculture lui rapporte autant que son activité de pépiniériste et que la marge dégagée par sa pépinière est restée relativement stable ces dernières années. Nous émettons l'hypothèse que Melville gagne autant en 2020 avec la pisciculture qu'il ne gagnait avec sa pépinière en 2019, lors de l'étude de cas de M. Mounayar. La pisciculture lui rapporterait dans ce cas 2 800 000 MGA (510€) de marge brute. Cet écart pourrait s'expliquer par le fait qu'il n'ait pas mentionné ses gains auprès de FORMAPROD.

Evolution de la pratique :

Au départ, Melville cherchait à faire grossir des tilapias mâles et des carpes dans son étang barrage. Cependant, celui-ci s'est révélé défaillant car de petite taille, très peu productif et en partie tari en saison sèche. Il a alors changé de stratégie et aménagé une série de 8 étangs de services en aval de son étang barrage dans le but de produire des alevins de tilapias pour la vente. En effet, il a remarqué que la demande en alevins de tilapia a fortement augmenté ces deux dernières années car de plus en plus de gens font de la pisciculture dans la zone. Il prévoit également de produire des alevins de carpes dans le futur car cela se vend à un bon prix (500 MGA pièce contre 200 à 300 MGA pièce pour les alevins de tilapias). Cependant, il souligne qu'il risque de manquer d'étangs de service sur son exploitation et que pour lui, la vente d'alevins de tilapias reste prioritaire car plus sûr en termes de vente.

Evaluation de la pratique par le pisciculteur :

Melville est très satisfait de son système d'élevage. Il estime « qu'un pisciculteur doit s'adapter aux surfaces disponibles qu'il possède » et qu'il a réussi à s'en sortir en devenant producteur d'alevins de tilapia. Une fois que les aménagements sont faits, « la pisciculture ne demande pas beaucoup de temps et rapporte beaucoup ». Sa pépinière lui prend plus de temps car il doit arroser tous les jours. Finalement, son activité de pisciculture lui rapporte autant que sa pépinière, qui était de loin sa principale source de revenus il y a encore deux ans. (Mounayar.M, 2019).

Annexe 15 : Francis, un producteur d'alevins et un prestataire de service pour les grands propriétaires Caractéristiques de l'exploitation :

Francis est pisciculteur avec l'APDRA depuis fin 2015. Il est localisé à Ambohimiadana et son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A, à 30 km au sud de Vatomandry. Il possède un étang barrage de 37 ares où il cultive du riz de saison sur 12 ares (Mounayar.M, 2019). Il a 3 étangs de services (< 1are) et 3 rizières aménagées pour la pisciculture (< 2 ares). Pendant la saison sèche de 2020, il a connu des problèmes d'eau : une partie de son étang barrage s'est tari ainsi que ses 3 rizières et 2 de ses 3 étangs de service.

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Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020)

Francis empoissonne une partie de ses géniteurs tilapias dans son étang barrage de 37 ares et l'autre partie dans deux de ses rizières (sexe ratio ADPRA). De janvier à juin, les géniteurs de tilapia se reproduisent de manière non contrôlée et les alevins pré grossissent. Dans l'étang barrage, il y a également des carpes de la reproduction de l'année 2019, des hétérotis et des gouramis. Dans les rizières, il a uniquement des tilapias. En juin, il récolte le riz de ses parcelles et récupère les alevins de tilapias produits pour les transférer dans ses étangs de service. Ils sont alors stockés jusqu'à ce qu'un client vienne les acheter. Lors du deuxième cycle de juillet à décembre, Francis n'utilise plus que son étang barrage pour la production d'alevins car il mobilise la rizière où il a encore de l'eau pour stocker ses géniteurs de carpe mâles avant la reproduction.

Cette année, Francis n'a pas fait de reproduction de carpe. En effet, d'août à octobre, il a travaillé sur la construction de l'étang barrage d'un grand propriétaire situé à Ilaka Est et l'a fourni en alevins de tilapia et en carpes. De plus, ses deux étangs de service les plus alimentés en eau étaient mobilisés pour le stockage de ses alevins de tilapia avant la vente. D'octobre à décembre, il n'avait plus assez d'eau dans ses rizières et ses étangs de service et a donc transféré ses géniteurs de carpes dans son étang barrage. Il pense acheter des alevins de carpes en 2021 pour les faire grossir dans son étang barrage.

Francis construit actuellement un petit étang de service situé près du sentier menant vers la route nationale. Il prévoit d'y faire un étang de vente pour ses alevins de tilapias. Cet étang sera alimenté directement par sa source. Il a le projet de cimenter le fond de cet étang pour éviter la boue et ainsi vendre des alevins « plus propres » et « limiter le taux de mortalité des alevins ».

La production et les débouchés :

Francis vend ses alevins de tilapias directement à des personnes qu'il connait. Ce sont majoritairement des propriétaires de cage, notamment à Ilaka Est, à 30 km au sud de son exploitation mais aussi des propriétaires d'étangs barrages.

Nous avons comparé ici deux années de production de ce pisciculteur : En 2017, où il a effectué son meilleur cycle de grossissement en empoissonnant des tilapias mâles ; et en 2020, où la majeure partie de ses revenus piscicoles proviennent de la vente d'alevins.

Pêche
et
vente

Poissons

Poids
moyens
(g)

Poids total
produits
(kg)

Prix de vente et
bénéfice (MGA)

Gain total
(MGA et
euros)

Marché / débouché

Juin 2017 (cycle de 6 mois)

Tilapia
grossis

140

68

(7500MGA/kg)
510 000 MGA

987 000
MGA soit

180 €

Marché de Vatomandry

Carpe

580

53

(9 000MGA/kg)
477 000 MGA

Marché de Vatomandry
(direct au client)

2020

Alevins
tilapias
vivants

Non
estimé

Nombre :

4000

(3500 à 200
MGA et
500 à 100 MGA/
pièce)
750 000MGA*

1 125 000
MGA soit

205 €

2 clients :
- Cagiste (1000 alevins)
-Propriétaire d'étang
barrage (3 000 alevins)

Carpes
vivantes
(futur
géniteur)

100

15

(30 000 ar/kg)
375 000 MGA

A 1 client :
Propriétaire d'étang
barrage

*A noter, il lui restait 700 alevins TN non vendus qu'il pensait vendre à un prix > 200MGA/pièce

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Cette année, Francis a aménagé l'étang barrage d'un grand propriétaire d'Ilaka Est. Il a été payé 275 000 MGA (50€) pour cette prestation de service et a vendu 3000 alevins de tilapia ainsi que 150 futurs géniteurs carpes à ce même propriétaire. Ceci représenterait les trois quarts de son chiffre d'affaire annuel sur les activités liées à la pisciculture (230€).

Evolution de la pratique :

En 2016 et en 2017, FRANCIS cherchait à produire une quantité importante d'alevins de tilapia pour empoissonner des fingerlings mâles dans l'étang barrage. Il a effectué son meilleur cycle de grossissement en 2017 (rendement de 1T/ha/an) qu'il écoula au marché de Vatomandry (voir figure 25). Cependant, il souligne la difficulté qu'il a eu pour produire suffisamment d'alevins mâles. Il a le souvenir de n'avoir obtenu que 300 alevins mâles sur 1000 alevins lors du sexage alors qu'il voulait en empoissonner 1000. Il a également observé que les carpes grossissent plus vite que les tilapias.

En 2018 et en 2019, il a effectué ses premières ventes d'alevins de tilapias à des cagistes d'Ilaka Est. Il a gagné successivement 300 000 MGA puis 500 000 MGA. A partir de là, il a choisi de privilégier la vente d'alevins de tilapia qui permet de générer de l'argent rapidement et facilement.

Evaluation de la pratique par le pisciculteur

Francis est très satisfait de son activité piscicole cette année 2020. Selon lui, c'est l'activité de son exploitation qui lui a fait gagner le plus d'argent, devant les letchis (notamment car les prix ont baissé cette année). Il qualifie la vente d'alevins de « vola malaky » qui veut dire « l'argent rapide ».

Annexe 16 : Etude de cas de Martin (P4 dans l'étude), producteurs de poissons vendus « en tas » sur les marchés locaux

Caractéristique de l'exploitation :

Mr Martin est un ancien fonctionnaire à la retraite, il a 76 ans. Il a commencé la pisciculture avec l'APDRA fin 2014. Son exploitation se situe dans la commune d'Ambalavolo, accessible par une route secondaire difficilement praticable en saison des pluies. C'est un grand propriétaire : 30 hectares de terre dont la majorité se situe sur les coteaux. En bas fond, il possède 3 hectares de rizières en métayage, un étang barrage de 13,5 ares et un étang de service de 3,5 ares (équipé d'un moine). Il a également des cultures de rentes (letchis, vanille) et 3 hectares de maïs en coteaux qui lui rapportait 60% de sa marge brute en 2019 (Mounayar M, 2019).

Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020)

Martin fait de l'élevage pluri spécifique de tilapias, carpes, hétérotis et gourami dans son étang barrage. Dans son étang de service, il élève uniquement des tilapias. Dans ses deux étangs, Martin a un total de 40 géniteurs de tilapia (sexe ration APDRA) qu'il laisse se reproduire de manière non contrôlée en continue dans l'objectif d'obtenir beaucoup de poissons à vendre. Pour la carpe, il n'ose plus faire une ponte maîtrisée dans son étang de service depuis qu'il s'est fait voler 8 géniteurs en 2018. Il laisse alors ses géniteurs carpes dans l'étang barrage et y met des jacinthes d'eau en espérant qu'elles se reproduisent naturellement. Depuis le mois d'août, il teste d'élever séparément la carpe et le tilapia car il pense que la surdensité de tilapia freine la croissance des carpes dans l'étang barrage.

Martin essaie de faire des pêches tous les 4 mois dans ses 2 étangs pour vendre fréquemment ses poissons. Lors de la saison des pluies, Martin peut se permettre de faire plus de pêches car les étangs se remplissent rapidement. Alors qu'en saison sèche, il ne fait pas de pêche entre septembre et décembre.

« Acheter des petits poissons en tas permet à chaque personne de la famille d'avoir son poisson dans
l'assiette » Mr Martin, octobre 2020

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« La pisciculture a pour moi des fins pécuniaires ... avoir des gros poissons ne m'intéresse pas vraiment mais c'est avoir de nombreux poissons car ça sera consommé par les acheteurs de la localité ici » Mr Martin,

novembre 2020

La production et les débouchés :

Lors de la pêche, Martin sélectionne tous les tilapias qui ont atteint une taille vendable (estimée à plus de 50 g) et toutes les carpes de plus de 150 g (estimation). Il réempoissonne tous les poissons plus petits pour un nouveau cycle de grossissement d'environ 4 mois avec les géniteurs. Lors des pêches, les villageois des hameaux environnants viennent acheter la production de Martin au bord de son étang. S'il ne vend pas tout, ses fils vont, en plusieurs fois, vendre ses poissons en petite quantité sur les marchés avoisinants (Ambalavolo, Anosomanasa).

Evolution de la pratique :

L'évolution de sa conduite d'élevage est liée aux problèmes qu'il a rencontrés dans le passé pour écouler ses poissons. En 2016, à ses débuts, Mr Martin a voulu vendre ses poissons à Antananarivo, la capitale, où le prix est plus élevé (150 % du prix à Vatomandry en 2020). Il a fait venir un camion sur son site. Les erreurs de sexage ont entraîné une surdensité des poissons dans son étang barrage réduisant ainsi le GMQ des poissons empoissonnés. Sur les 400 alevins de tilapias mâles qu'il avait empoissonnés, il s'est retrouvé avec 1000 tilapias d'un poids moyen de 40g et 1500 alevins de tilapias de moins de 5g. Les carpes elles avaient plutôt bien grossi (150g). Finalement, Martin n'a pas pu rentabiliser le coût du transport du camion.

Depuis, Mr Martin s'est replié sur les marchés locaux. Il est allé vendre à Vatomandry mais il a rapidement remarqué que le plus avantageux était de vendre dans les hameaux et les petits villages autour de chez lui. En effet, à Vatomandry, il doit parfois brader ses poissons car il ne peut pas revenir avec sa marchandise. Tandis que chez lui, il n'est pas obligé de tout vendre en une seule fois.

Récemment, il a décidé de séparer son élevage de carpe (en étang barrage) et son élevage de tilapia (en étang de service). A partir de 2021, il utilisera quelques-unes de ses rizières pour empoissonner des alevins de tilapias tout venants sur une surface plus grande. On peut s'attendre à une augmentation de sa production de tilapias de petites tailles. Selon lui, la demande locale est importante car « le poisson est la protéine la moins chère ici ».

Evaluation de la pratique par le pisciculteur :

Martin dit être satisfait de la combinaison actuelle qu'il a trouvée car il ne prend pas de risque financier (aucun investissement mise à part la main d'oeuvre familiale), il limite les problèmes de vol (reproduction en étang barrage des carpes) et l'activité piscicole ne lui prend pas beaucoup de temps (3 pêches par an de ses deux étangs). Il aimerait produire et vendre davantage de carpes car c'est un poisson qui grossi bien. Cependant, lors de sa dernière pêche, il n'a trouvé aucun alevin de carpes issu d'une potentielle reproduction naturelle dans son étang barrage. Selon lui, le problème vient des Channa sp. qu'il a retrouvé dans son étang barrage et qui aurait éliminé les alevins naissants.

Annexe 17 : Etude de cas de Bastien, un alevineur qui veut à l'avenir devenir grossisseur Caractéristique de l'exploitation :

Bastien est un jeune pisciculteur de Amboditavolo qui travaille avec l'ADPRA depuis 2018. Son père, décédé, avait commencé la pisciculture avec l'ADPRA en 2015. Son site piscicole se trouve au bord de la route nationale 11A, à 30 km au Sud de Antsampanana, l'embranchement avec la route nationale 2 qui relie les deux plus grandes villes du pays. Près de sa maison, il possède un premier site de 14 étangs de services. Ce site est alimenté par une source en amont à l'aide d'un canal d'alimentation. Il manque un peu d'eau au mois d'octobre et la moitié des étangs de service ne sont pas utilisable en saison sèche. A 5 kilomètres du village, il possède un

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étang barrage de 26 ares construit par son père en 2015. Bastien a le projet de s'installer plus tard près de cet étang barrage et d'en aménager d'autres afin de faire du grossissement de poissons en étang barrage.

Conduites d'élevages des espèces piscicoles : (année 2020)

Bastien fait de la reproduction contrôlée de tilapia dans 2 étangs de service entre octobre et janvier (4 mois). Il n'applique pas le même sexe ratio que celui de l'APDRA, il met 5 femelles pour 1 mâle. Le pré grossissement des alevins de tilapia se fait avec les alevins de carpes. Avant octobre, il n'a pas assez d'eau dans une partie de ses étangs de service et il préfère prioriser la reproduction et le pré grossissement des alevins de carpe. Cette année, il a fait 4 reproductions de carpe, dont 2 pontes multiples, entre le mois d'août et le mois de décembre et a produit 10 000 alevins de carpes sans compter la 4ème reproduction du mois de décembre. Après janvier, il estime que ses capacités de stockage d'alevins dans les étangs de services sont saturées. Les alevins produits sont stockés jusqu'au mois de juin dans les étangs de service et vendus petit à petit. En juin, après la pêche de l'étang barrage il empoissonne les alevins non vendus. A ce moment-là, s'il lui reste des alevins de tilapias, il les sexe et empoissonne les mâles dans l'étang barrage.

Entre le mois de février et le mois de juin, l'étang barrage lui sert principalement à stocker ses géniteurs de carpes et ses géniteurs de tilapias mâles. En effet, ils ont plus d'espace pour grossir et il y a moins de risque de vol. En juin, il fait la pêche de son étang barrage pour récupérer les géniteurs de carpes pour la reproduction débutant au mois d'août.

Entre juillet et janvier, Bastien fait du grossissement dans son étang barrage avec les alevins de l'année N1 non vendus. En 2019, Bastien n'avait mis que 130 alevins de carpes car il avait écoulé tous ses alevins de tilapias. En 2020, il a mis des alevins de carpes et des alevins mâles de tilapia en grossissement.

La production et les débouchés :

Bastien vend en grande majorité à des pisciculteurs en dehors de l'APDRA. Il est surtout connu en tant que producteur d'alevin de carpe. Il a un client à Antananarivo, la capitale, qui lui achète des alevins de carpe. Cette année, il a vendu 2000 alevins de carpes au propriétaire d'un étang barrage à Brickaville. Il donne parfois des conseils techniques à ses clients, notamment lorsqu'il va livrer les alevins (à partir de 500 alevins achetés). Il a déjà eu, mais rarement, des commandes d'alevins de tilapia mâles vendu à 700 MGA/pièce au lieu de 300 MGA pour les alevins tout venant. Bastien a remarqué que beaucoup de pisciculteurs de la zone font leurs pêches pendant la saison sèche, vers le mois d'octobre et attendent que la saison des pluies soit finie pour réempoissonner leurs étangs. Bastien reçoit souvent des commandes au mois de décembre mais les acheteurs ne viennent récupérer leurs alevins qu'à partir de mars-avril quand la période cyclonique est passée.

Pêche
et vente

Poissons

Poids
moyens
(g)

Poids total
produits
(kg)

Prix de vente et
bénéfice (MGA)

Marché / débouché

2020

Tilapia

Non
estimé

5

8000/kg

40 000 MGA

Autoconsommation

Carpe

Non
estimé

5

(10 000/kg)
50 000 MGA

Marché local

Alevins TN
vivants

Non
estimé

Nombre :

2000

(300 MGA/pièce)
600 000 MGA

Marché extérieur :
1 client

Alevins
Carpes
vivantes

Non
estimé

Nombre :

6000

(500 MGA/pièce)
3 000 000 MGA

Marché extérieur :
Brickaville /Antananarivo

Sur l'année 2020, c'est la vente d'alevins de carpe qui a été la plus rentable pour Bastien (près de 3 000 000 MGA), vient ensuite la vente d'alevins de tilapias (600 000 MGA) et enfin la vente de carpes grossies pêchées en octobre 2020 (60 000 MGA). Enfin, 5 kg de tilapia grossis ont été autoconsommés (l'équivalent de 40 000 MGA).

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Evolution de la pratique :

Bastien a repris l'exploitation piscicole de son père en 2018 avec son grand frère Max. Ils se sont mis à produire des alevins et à ouvrir leur boutique le long de la route nationale. Au départ, il faisait de la reproduction de carpe entre août et décembre et la reproduction de tilapia entre août et mars dans ses étangs de services. En 2020, il a réduit cette durée entre août et janvier. Cela lui a libérer du temps pour d'autres activités : la vente de charbon de bois, l'aménagement de l'autre site où il prévoit de faire du grossissement, la préparation de ses étangs de service pour la prochaine reproduction (mis à sec, fertilisations, défrichage des bords d'étangs et du canal d'alimentation.) et il est également chauffeur de taxi brousse ponctuellement.

Evaluation de la pratique par le pisciculteur :

Bastien est satisfait de son activité de producteur d'alevins car cela lui rapporte beaucoup d'argent (« vola malaky »). Il a connu une casse de digue en 2018 qui lui a fait perdre ses poissons en grossissement. La vente d'alevins est plus sûre que la production d'alevins grossis. Cependant, il constate que la production de poissons grossis est une opportunité intéressante. En effet, sa localisation, à 30km de la route nationale 2, lui donne accès à des marchés prometteurs : la vente de poissons grossis aux restaurateurs d'Antsampanana ou d'Andranamafana. Les tilapias de plus de 200g valent entre 12 et 14 000 MGA/kg et la carpe 16 000 MGA /kg. Il prévoit d'aménager son bas fond en construisant 5 autres étangs barrage, en cascade et alimentés par deux canaux de contournement reliés à deux sources d'eaux différentes. Quand il aura aménagé son bas fond, il léguera l'activité de producteur d'alevins à son petit frère et se concentrera sur le grossissement






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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery