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Le personnel politique et diplomatique camerounais dans le fonctionnement et le processus de prise de décision à l'assemblée générale des nations-unies (1960-2017)


par Ezekiel ZANG NGBWA
Université de Yaoundé I - Master 2021
  

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2. Le conflit de Bakassi

Il est clair que la diplomatie camerounaise à l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations-Unies est sous-tendue par un certain nombre de facteurs, au rang desquels figure l'intérêt national. Ainsi, pour mieux comprendre le déploiement des politiques et diplomates camerounais à l'Assemblée générale des Nations-Unies en faveur de la rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun, il serait convenable, pour ne pas dire crucial, de procéder à une présentation de ladite péninsule. Ceci devrait permettre de mieux cerner d'une part les atouts et les enjeux dont elle recèle, et d'autre part l'intérêt qu'elle a suscité de la part des deux Etats belligérants (Cameroun et Nigeria).

La péninsule de Bakassi est située entre la Cross River près de la ville de Calabar (Nigeria) à l'ouest et le Rio del Rey à l'Est.151(*) Avec sa longueur estimée à 1600 km, elle est majoritairement occupée par des populations ibo, efik et ekoi, et quelques autres peuples semi-bantu. Cette péninsule revêt un nombre important d'atouts à la fois géopolitiques et géoéconomiques

Tout d'abord, elle regorge d'une importante richesse piscicole, ce qui représente un atout important pour la pratique d'activités lucratives, dont la pêche et le commerce du poisson, activités très prometteuses dans une zone où le poisson constitue un aliment de base. Cet atout faunique (par ailleurs très diversifié) que constitue la presqu'île de Bakassi justifie également le développement de plusieurs villages de pêcheurs dans la région. De ceci ressort également une autre qualité de la presqu'île, à savoir l'atout alimentaire pour les populations.

De plus, de par sa position stratégique dans le Golfe de Guinée, la presqu'île confère à l'Etat qui y exerce sa souveraineté un ajout géopolitique majeur sur ses pairs. En effet, elle commande la navigation de la baie du Biafra, s'érigeant de ce fait en base militaire potentielle. Point de surveillance majeure dans le Golfe de Guinée, elle facilite également l'accès à la zone de Calabar, laquelle s'est révélé d'une importance cruciale durant la guerre du Biafra.152(*)

Par ailleurs, Bakassi est devenu un enjeu géopolitique et géoéconomique d'autant plus crucial que, depuis environ deux décennies aujourd'hui, on assiste à un assèchement de plus en plus en croissant des eaux du lac Tchad, lequel constituait, jusqu'à une période très récente, un pôle aquatique de premier plan autant dans la géopolitique que dans le commerce régional.

Enfin, la péninsule de Bakassi renferme d'énormes réserves pétrolifères et gazifères, soit environ 10%des réserves mondiales, ainsi que des gisements de nodules polymétalliques153(*). Il faut noter que le premier facteur constitue le fondement et l'enjeu majeur du conflit frontalier qui opposa les deux Etats. Cependant, s'ajoutent aussi à ces différents facteurs, des éléments historiques et de politique intérieure.

Carte N° 1 : Carte de la péninsule de Bakassi

Source : fr.m.wikipedia.org

Le plan historique ramène ici à deux principales époques de l'histoire du Cameroun, à savoir l'époque du protectorat allemand et la fin de ladite époque. Concernant l'époque allemande, elle fut caractérisée par la signature de nombreux traités et accords frontaliers entre l'Allemagne, puissance dominante, et d'autres puissances exerçant l'autorité coloniale dans la région, notamment le Royaume-Uni. Les clauses des accords entre les deux puissances stipulaient clairement et sans équivoque que la zone de Bakassi appartenait au protectorat allemand du Kamerun. Mais l'ignorance de ces accords par les autorités britanniques et les résidents nigérians de la région ont conduit à une déformation totale des clauses, et à une appropriation du territoire par ces derniers.154(*)

En 1914 est déclenchée la Première guerre mondiale. Dans la zone de l'Afrique centrale, les principaux belligérants sont, entre autres, la France la Grande Bretagne, l'Allemagne et la Belgique. Vainqueurs de la guerre au Kamerun, la France et le Royaume-Uni se partagent le territoire en mars 1916, qui marque donc la fin de l'ère allemande au Cameroun. On assistera d'abord à une période dite de condominium (1916-1919), ensuite à une période de mandat (1919-1945), et enfin à la période de la tutelle onusienne (1945-1961).155(*) Tout au long de ces trois périodes, on a observé un très grand afflux d'immigrés nigérians dans la zone. C'est ce phénomène qui conduira plus tard à une « auto-autochtonisation `' de ces derniers dans la presqu'île, et qui ne sera pas tout à fait de nature à faciliter sa camerounisation.156(*)

Du point de vue de la politique intérieure, certains facteurs ont aussi contribué à favoriser le conflit. En effet, on note de prime abord des effectifs faibles, et très souvent inexistants de forces de défense et de sécurité dans bon nombre d'espaces frontaliers au Cameroun, ce qui favorise des migrations de personnes et d'activités de toutes natures.157(*)

De plus, il faut noter que les autorités camerounaises ont pendant très longtemps fait peu de cas du contrôle sur les habitants de la région et de leurs activités, notamment en ce qui concerne leur identification. Elles ont également manqué d'élaborer et de mettre en oeuvre une politique migratoire restrictive et circonspecte, ce qui aurait pu y empêcher la domination des populations nigérianes.

Dans la perspective des manifestations du conflit, il s'est essentiellement matérialisé par des incidents frontaliers, notamment entre forces armées camerounaises et pêcheurs nigérians, et aussi entre des pêcheurs des deux pays. L'incident le plus remarquable fut celui du 16 mai 1981, à l'issue duquel il y eut cinq morts et des blessés du côté nigérian. Cette escalade provoqua d'une part une grave crise diplomatique entre les autorités des deux Etats, et d'autre part de vives émotions de la part des populations nigérianes, qui appelèrent le gouvernement à «s'acheminer sur Yaoundé et piller le gouvernement de banane de là-bas».158(*)

Mais le paroxysme du conflit fut véritablement atteint le 21 décembre 1993 avec l'envoi par les autorités nigérianes d'unités armées dans la région. Le but officiel de cette mission armée était de protéger les ressortissants nigérians des exactions de la gendarmerie camerounaise.159(*) En 1994, le Cameroun introduisit, auprès de la Cour Internationale de Justice, une requête demandant la rétrocession à l'Etat du Cameroun de la péninsule, ainsi que la reconnaissance par ladite cour de sa souveraineté sur la presqu'île.

Dans le cadre de ce conflit, la principale intervention à l'Assemblée générale des Nations-Unies fut celle du président Paul Biya. Il réaffirma, devant ladite assemblée, en septembre 1995, la volonté de son pays de régler ce conflit par la voie juridique, appelant à «une coopération et au partenariat de la part des pays amis»160(*)

Parallèlement à l'intervention du président Paul Biya à l'Assemblée générale de l'ONU en 1995, d'autres actions furent engagées par le gouvernement camerounais en vue de tenter une résolution diplomatique du conflit d'une part, et d'autre part, mobiliser une grande partie de l'opinion internationale en sa faveur. C'est ainsi qu'après l'invasion de la péninsule de Bakassi en décembre 1993 par l'armée nigériane, Ferdinand Léopold Oyono, alors ministre des Relations extérieures, fut dépêché à Abuja par le président Paul Biya, auprès du chef de l'Etat nigérian, le Général Abacha Cette mission avait pour but de transmettre au président nigérian, de la part de son homologue camerounais, un message de paix et de conciliation, en vue d'un règlement pacifique du conflit.161(*)

Dans le même esprit, le ministre camerounais des Relations extérieures conduisit une délégation de huit membres à Addis-Abeba pour assister aux travaux de l'organe central du mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits de l'OUA. Cette délégation, conduite par le patron de la diplomatie camerounaise, avait pour mission principale de défendre la camerounité de la péninsule de Bakassi, et d'obtenir, de la part de l'organisation panafricaine, un retrait immédiat des troupes nigérianes de ladite péninsule.162(*) On peut relever ici une volonté des autorités de Yaoundé de s'attirer les faveurs de l'organisation panafricaine d'Addis-Abeba, dont les membres constituent, à titre de rappel, le tiers des membres de l'Assemblée générale des Nations-Unies.163(*)

D'autres actions furent entreprises dans ce sens par d'autres dirigeants africains, tel le Togolais Gnassingbé Eyadema, qui entreprit une médiation entre les présidents camerounais et nigérian. Cette médiation aboutit au processus de Kara, lequel suscita des visites de missions onusiennes à Yaoundé, à Abuja et à Bakassi en 1996.164(*)

Pour revenir à la position du chef de l'Etat camerounais à l'Assemblée générale des Nations-Unies à ce propos, elle peut s'analyser, à notre sens, sous deux prismes : le prisme idéologico-diplomatique, et le prisme réaliste.

Au plan idéologico-diplomatique, il convient de rappeler que la politique étrangère du Cameroun repose sur un principe phare, à savoir la résolution pacifique des conflits et litiges internationaux. Ainsi, en optant pour un règlement judiciaire de ce conflit frontalier, le gouvernement camerounais, par la voix de son leader suprême, opte également pour un arrangement pacifique du conflit. Car il va sans dire qu'une option militaire aurait incontestablement conduit à une situation de guerre entre les deux Etats belligérants. Toutefois, il faudrait souligner que cette prise de position du premier magistrat était également teinte de réalisme. Cette opinion peut être justifiée par trois facteurs : la politique intérieure, le facteur militaire, et le facteur stratégique.

Depuis la fin des années 1980, le régime politique en place au Cameroun faisait face à une vive contestation due à la désintégration économique que le pays subissait depuis le milieu de la décennie. Cette contestation ne manqua pas d'impacter sur la politique étrangère du Cameroun. En effet, on assista à des prises de position hostiles au gouvernement camerounais, de la part de certaines chancelleries occidentales, en l'occurrence Washington.165(*) Vu sous cet angle, on peut donc aisément déduire que le choix de l'instrument militaire par le pouvoir de Yaoundé ne pouvait que lui être défavorable, car cela aurait été pour ses «opposants de l'extérieur» (dont on connaît la puissance politique et diplomatique) de « connaître de son cas `'. Ensuite, sur le plan militaire, il n'aurait pas été très prudent pour le Cameroun d'engager ses forces armées dans une guerre contre le Nigéria, les forces nigérianes étant mieux nanties en hommes, en équipements et en moyens financiers.

Enfin, il faut relever que, bien que le Cameroun ait signé avec certaines puissances étrangères (en l'occurrence la France) des accords de défense stipulant, entre autres, qu'en cas de conflit armé elles interviendraient militairement (et de façon automatique) en faveur du Cameroun, l'attitude de ces puissances pendant le conflit fut plutôt ambiguë. En réalité, la France, comme d'autres grandes puissances, avait des intérêts plus importants au Nigéria qu'au Cameroun.

Tous ces faits montrent donc à suffisance, que le Cameroun, en choisissant la voie judiciaire comme moyen de règlement du litige de Bakassi, a opté pour une politique et une diplomatie réalistes, car tout autre instrument (notamment l'instrument militaire) lui aurait, à coup sûr, été désavantageux. Cette voie ne tardera d'ailleurs pas à porter ses fruits : en juillet 2002, la Cour Internationale de Justice se prononcera sur l'affaire en sa faveur, par un arrêt énonçant que `'la souveraineté sur la presqu'île de Bakassi est camerounaise''.166(*) Suite à ces accords, une commission mixte sera constituée, sou l'égide du Secrétaire général de l'ONU, Koffi Anan. Les négociations entre les deux parties (Cameroun-Nigeria), coordonnées par l'ONU, vont aboutir, le 12 juin 2006, à la signature de l'accord de Greentree, par lequel le Nigeria reconnaît officiellement la camerounité de la péninsule de Bakassi, et par lequel les deux parties s'engagent à mettre en oeuvre les recommandations de la Cour de la Haye.167(*) et la péninsule lui sera officiellement rétrocédée le 14 août 2008.168(*)

Photo N° 4: Le Président Paul Biya, le Secrétaire général de l'ONU, et le Président Obasanjo à la signature de l'accord de Greentree, 12 juin 2006

Source : Photo prise par l'auteur au Ministère des Relations Extérieures (Direction des Nations-Unies et de la Coopération Décentralisée)

Au regard de l'intense engagement des politiques et diplomates camerounais dans les dossiers de la réunification et du conflit de Bakassi, aussi bien à l'Assemblée générale que sur des fronts parallèles, le moins qu'on puisse dire, ou mieux, déduire, c'est que l'intégrité territoriale du pays est d'un enjeu et d'un intérêt cruciaux pour les autorités de Yaoundé. Mais tout aussi cruciaux sont les principes de l'indépendance et de la souveraineté nationales et internationales du pays, qui constituent d'ailleurs le socle moral et éthique de sa politique étrangère. Ceci permettra sans doute de mieux comprendre ses positions et sa politique face aux ingérences chinoises dans sa politique intérieure.

* 151 H. M., Yerima, R. Singh, «The Bakassi Dispute: People's Dynamics and the rise of Militancy `', in  IOSR Journal of Humanities of Social Science (IOSR/JHSS), volume 2, Issue I, 6 janvier 2017.

* 152 Mkpouwoupieko Zoulica, «Le processus décisionnel dans la politique étrangère du Cameroun...» p. 33.

* 153 Archives du Gouvernement de la République du Cameroun, `'Dossier sur le conflit frontalier de Bakassi'', consulté le 22 septembre 2020.

* 154 Archives privées d'Albert Pascal Temgoua, `'Accords entre l'Allemagne et la Grande Bretagne au sujet de la délimitation territoriale entre le Kamerun et le Nigeria'', consultées en décembre 2014. D'après cette source, c'est la mise à jour et la publication de ces accords qui ont permis de régler le conflit du point de vue historique, devant la Cour Internationale de Justice.

* 155 Par cette borne chronologique, nous nous référons plus au Cameroun britannique, étant donné que c'est lui qui fait l'objet de notre attention dans cette sous-partie de notre travail.

* 156 Pour mieux comprendre l'impact des immigrations nigériane dans le conflit de Bakassi, lire la thèse de Doctorat /Ph.D de W. D. Foga Konefon intitulée : «Les migrations nigérianes au Cameroun : incidences et représentations sociales (1916-2008)», Université de Yaoundé I, novembre 2017.

* 157 V. Wanyaka Bonguen, «La coopération militaire entre la France et le Cameroun : de l'assistance à la quête d'un partenariat technique'', thèse de Doctorat/Ph.D en Histoire, Université de Yaoundé I, 2008.

* 158 Ngoh, Cameroun 1884-1985..., p.241.

* 159 Mouelle Kombi, La politique étrangère..., p.105.

* 160 Archives de la Mission Permanente du Cameroun auprès des Nations-Unies, `'Intervention de S.E. M. Paul Biya à la 50ème session de l'Assemblée générale des Nations-Unies `', septembre 1995.

* 161 Etoa Oyono, `'Ferdinand Oyono''...p.111.

* 162 Archives du Ministère des Relations Extérieures, `'Dossier Cameroun-OUA : notes, échanges et correspondances''.

* 163 Lewin, `'Les Africains à l'ONU''...

* 164 Etoa Oyono, `'Ferdinand Oyono''..., p. 111.

* 165 D'après certaines sources orales que nous avons eu à consulter, le gouvernement américain aurait pris fait et cause pour la principale figure de l'opposition d'alors, Ni John Fru Ndi, candidat à la présidentielle de 1992. Il lui aurait plus précisément apporté son soutien technique (envoi d'experts américains pour l'assister et le conseiller) et financier.

* 166 Archives de la Cour Internationale de Justice, `'Arrêt sur le conflit frontalier terrestre et maritime opposant la République du Cameroun à la République Fédérale du Nigeria au sujet de la péninsule de Bakassi'', juillet 2002, consulté le 26 février 2021 ; Atangana Mebara, Le Secrétaire général de la Présidence..., p. 203.

* 167 Atangana Mebara, Le Secrétaire général de la Présidence..., p. 207.

* 168 CRTV, Journal télévisé de 20 :30, 14 août 2008.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon