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La protection du droit de manifester dans l'espace public


par Charles ODIKO LOKANGAKA
Université de Kinshasa - Doctorat 2020
  

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B. La portée libérale de cette consécration

La reconnaissance des droits et libertés aux indigènes augure le passage d'un régime absolutiste vers une gestion libérale de la métropole. Et pourtant, à une bonne lecture des faits, pareille lecture de la situation du Congo-Belge serait une grave aberration.

L'initiative que la Commission de la Chambre parlementaire avait prise, en proposant de régler dans la Charte coloniale la situation juridique des habitants de la colonie, est hautement louable. Aucune incertitude ne devrait subsister au sujet des règles fondamentales qui régiraient les droits et les devoirs des membres du nouveau groupement social. À l'inverse, ce fut une piètre idée en ce sens qu'elle camouflait cette velléité manifestée dans la suite de discriminer les sujets belges sur la base de leurs origines.

Sans doute, dans la législation de l'État indépendant du Congo, de nombreux décrets reconnaissent isolément certains des droits dont les populations belges trouvent affirmation dans leur Constitution nationale. Mais, dans les pays dotés d'institutions constitutionnelles et représentatives, la situation juridique du citoyen comprend trois séries des droits.

Le paternalisme se découvre ici par le contenu de l'article 5 de la Charte coloniale. Le législateur belge recommande au Gouverneur général de protéger les institutions qui tendent à instruire les indigènes et à leur faire comprendre et apprécier les avantages de la civilisation. A ce sujet, les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs (...) sont l'objet d'une protection spéciale269(*).

L'autorité coloniale belge estimait que pour l'habitant du Congo, il ne peut pas encore être de lui reconnaitre les droits politiques. Après comme avant l'annexion, l'habitant du Congo est resté soumis à un système de gouvernement absolu.

Après l'annexion, l'absolutisme n'est plus exercé par une personne physique, le fondateur de l'État indépendant du Congo, mais l'autorité, pour avoir été transmise à une personne morale, la nation belge, n'en a pas moins conservé son ancien caractère. Le fait qu'après l'annexion les attributions du gouvernement sont partagées entre un roi constitutionnel et des chambres délibérantes n'a pas modifié pour la possession coloniale son régime de dépendance absolue.

Cette répartition des pouvoirs est une affaire relevant du gouvernement intérieur de la métropole qui détermine, comme elle le juge convenable, le mode suivant lequel elle exerce sa souveraineté. Malgré ce partage, les décisions transmises à la colonie s'imposent sans que les arénicoles ou les étrangers aient à contribuer à ces mesures, à les approuver ou à les répudier. C'est cette absence totale de toute participation des personnes gouvernées à l'exercice des attributs du gouvernement qui caractérise le système absolutiste.

Ce système puisait son efficacité dans le recours à la force. Raymond Betts270(*) relève qu'au-delà de la diversité des théories et des méthodes de la domination coloniale avancées ou appliquées dans la période de l'entre-deux-guerres, il ne s'en dégage pas moins un modèle très net de régime bureaucratique. À l'époque, la domination coloniale était passée d'un contrôle militaire à un contrôle institutionnel civil ; le recours direct à la force, lui, tendait à être remplacé par la persuasion administrative. Malgré ce changement, le dernier argument du pouvoir colonial restait le canon. Comme ses plus ardents défenseurs le faisaient volontiers observer, le pouvoir colonial s'était établi par la force des baïonnettes et c'était par elle qu'il se maintenait271(*).

Dans ce contexte, la réticence du législateur belge à consacrer la liberté de réunion et d'association (et plus loin la liberté de manifestation) se fonde sur des raisons évidentes : ces libertés tiennent, aux yeux du Constituant belge, des droits politiques. Leur consécration ne rimera donc point avec un régime absolutiste. « Les lois, a dit le Ministre de la justice, doivent être adaptées à l'état du pays qu'elles régissent, c'est un véritable contresens de vouloir appliquer à un pays encore barbare un régime qui n'a été appliqué à la Belgique qu'après plus de mille ans de civilisation. Il faut tenir compte des faits. Les proclamations des principes théoriques ne servent à rien quand elles vont à l'encontre des réalités272(*). Cette rhétorique ne faisait qu'occulter la crainte des revendications populaires, et cela apparaît clairement dans les propos du Ministre de la justice.

En face d'une tendance qui préconisait de reconnaitre aux belges vivant au Congo tous les droits reconnus aux belges dans la Constitution, le Ministre rétorque : « Vous voulez empêcher le Gouvernement de disposer de tout moyen de se défendre contre les entreprises de mauvais gré et d'empêcher peut-être des révoltes ou des désordres ».

C'est l'imprévisibilité des soulèvements qui intrigue les pouvoirs publics belges, et le Ministre de la justice ne prend pas la peine de le cacher : « nous disons simplement que dans un pays neuf le pouvoir doit être armé contre des éventualités dont vous ne semblez pas soupçonner l'importance »273(*).

A la différence de la liberté de la presse qui a été entourée d'une protection spéciale, la liberté de réunion et d'association, pourtant consacrée par la Constitution belge, n'a pas été reconnue aux habitants de la colonie.

Deux positions sont possibles devant ce constat. D'abord, le principe selon lequel la liberté est le principe, avec son corollaire « ce qui n'est pas interdit est prohibé » permet de conclure que la liberté de réunion et d'association doit être considérée comme existante dans la mesure où l'article 2 de la Charte coloniale n'est pas restrictif.

Ensuite, parce que la liberté de la presse, figurant dans la même catégorie, ne peut être réglementée par une mesure administrative que conformément aux lois et aux décrets qui la régissent274(*), on peut conclure a contrario que la liberté de réunion et d'association peut, elle, connaitre des restrictions directement par une simple décision de l'autorité administrative.

Cette différence de traitement s'explique par la dangerosité des réunions tumultueuses et des groupements hostiles au pouvoir colonial, leur soudaineté et leur impact sur la paix sociale.

* 269 Art. 5, alinéas 2 et 3 de la Charte coloniale belge du 18 octobre 1908.

* 270 RAYMOND BETTS (F.), Op. cit, p. 355.

* 271Idem.

* 272 HALEWYCK (M.), La Charte coloniale .Commentaire de la loi du 18 octobre 1908 sur le Gouvernement du Congo belge, Tome 1, M.WEISSENBRUCH, Imprimerie du Roi, Bruxelles, 1910, p. 66.

* 273 HALEWYCK (M.), La Charte coloniale .Commentaire de la loi du 18 octobre 1908 sur le Gouvernement du Congo belge, Tome 1, M.WEISSENBRUCH, Imprimerie du Roi, Bruxelles, 1910, p. 67.

* 274 Art. 2, alinéa 3 de la Charte colonial Op. cit.

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