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Esquisse d'une sociologie des sociologues


par Florian Bertrand
Université de Poitiers - Master 2018
  

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Chapitre 4 : Les caractéristiques des diplômés de sociologie

Comme nous l'avons vu précédemment l'activité des sciences sociales semble se développer de plus en plus en dehors du monde universitaire. Ce contexte apparemment favorable pour la sociologie en termes d'audiences et d'effectifs, soulève des interrogations concernant le public étudiant accueilli et de son devenir professionnel. Les deux premières parties de l'analyse des matériaux d'enquête seront consacrées à ces questions. Comme nous le montrerons, les caractéristiques de ces diplômés sont loin d'être homogènes. A titre d'exemple, il semble fréquent que l'entrée dans un master de sociologie se fasse sur le tard. L'âge élevé à l'issue de la certification est représentatif à lui seul de l'existence d'une hétérogénéité des parcours universitaires des diplômés. Nous avons ainsi rencontré des personnes qui satisfaisaient par une reprise d'étude, un désir de reconversion à la suite d'une expérience professionnelle négative. Pour d'autres, le master de sociologie recouvrait des enjeux importants en termes de promotion sociale, symbolisant une montée en qualification reconnue dans le milieu professionnel d'origine. Ces personnes obtenaient leurs diplômes dans un cadre de formation continue, intégrant la formation tout en conservant en parallèle leur activité professionnelle. D'autres encore optaient pour la sociologie après des incidents de parcours universitaires comme par exemple, un rejet d'une candidature à une formation disciplinaire voisine des sciences humaines. Cette diversité importante d'itinéraires pose en corollaire la question des raisons qui conduisirent ces diplômés à investir la sociologie. Interrogation qu'il sera difficile d'éclaircir car le lien entre les études de sociologie et le projet professionnel des enquêtés semblait très souvent flou ou inexistant. Si projet professionnel il y avait, il était fréquent qu'il se rapporte à d'autres activités que celle de sociologue. De telle sorte que pour beaucoup, le cursus de sociologie servait une ambition professionnelle diffuse, répondant essentiellement et avant tout, à des intérêts intellectuels. Appétence et passion qui, en fonction de différents facteurs firent l'objet d'une fluctuation de l'engagement comme par exemple une conversion en une vocation en cours de formation ou l'ambition d'en faire une activité professionnelle ... Dans la présente partie, nous nous pencherons sur la question du choix des études mais avant cela, nous nous attacherons à décrire les caractéristiques principales des diplômés. Propriétés qui nous serviront indirectement à rendre intelligible les disparités des trajectoires professionnelles des diplômés.

Pour traiter de la question des caractéristiques sociales qui nous paraissent appropriées pour décrire sociologiquement les diplômés de sociologie, nous avons combiné nos données

68

quantitatives et qualitatives. Pour les statistiques, nous avons utilisé la cohorte de diplômés issus des données Génération 2010 du CEREQ soit un échantillon de 132 diplômés (cf. Annexe 3).

1. L'origine sociale

Depuis les travaux « pionniers » de sociologie de l'éducation de Bourdieu et Passeron (1964, 1970) il est communément admis dans ce champ que l'origine sociale des étudiants, à travers la nature et le volume des capitaux transmis par leurs parents, influence tout au long du parcours scolaire les niveaux de diplôme atteints et le choix des spécialités.

Une étude menée par Duru-Bellat et Kieffer (2000) portant sur l'enseignement supérieur corrobore la thèse de la reproduction sociale. Les auteures montrent que les inégalités face à l'éducation restent fortement marquées par la profession du père durant les années 1920-1970. Jusqu'aux effets induits par le passage d'une université élitiste à une université de masse (à la suite de Mai 68) la reproduction des inégalités sociales se traduit par une sous-représentation des classes populaires et une surreprésentation des classes favorisées. Une étude menée par le CEREQ en 70-71 estimait que le taux d'enfants de cadres supérieurs et des professions intermédiaires s'élevait à 71 % à l'Université. La proportion des classes populaires (employés et ouvriers) était, quant à elle, beaucoup plus faible, avoisinant les 20 %. L'apparition de l'université de masse va bouleverser cette donne.

Certains chercheurs se sont attachés à étudier les effets induits par la massification de l'enseignement supérieur. Des sociologues comme Euriat et Thélot (1995) mettent en avant une augmentation exponentielle des étudiants d'origine modeste dans le supérieur. Ils rapportent par exemple que la proportion d'étudiants d'origine populaire inscrit à l'Université s'élève à 41 % en 1985. Taux qui se verra confirmé par une étude de la DEPP en 1996. Cependant, d'autres chercheurs stipulent que cette démocratisation supposée est à pondérer avec les différentes filières de l'enseignement supérieur (Merle, 2001 ; Duru-Bellat et Kieffer, 2008).

Selon Merle (2001) il existe un phénomène de différenciation sociale des filières au niveau de l'enseignement supérieur. L'auteur s'appuie sur une enquête du MEN (2007) qui montrait que les enfants de cadres et de professions intellectuelles supérieures sont surreprésentés dans les filières des sciences, de droit et de la santé. On observe l'effet inverse pour les études de

69

lettres, de langues, d'économie et de sciences humaines qui accueillent les proportions les plus réduites d'enfants d'origines supérieures. Une étude se rattachant exclusivement au domaine des sciences de l'homme montre que le recrutement populaire est particulièrement élevé dans les filières des sciences humaines et de lettres comparativement aux autres disciplines (Soulié 1995). Notre cohorte de diplômés de la Génération 2010 semble illustrer cela. On observe dans un premier temps une surreprésentation des classes favorisées (38 %) mais aussi une part non négligeable de répondants qui oscille entre une origine sociale populaire31 (31 %) et intermédiaire (14 %). En somme, si on se fie à notre échantillon, la sociologie semble recueillir en son sein une proportion non négligeable d'étudiants de classes populaires : enfants d'employés et d'ouvriers. Contrairement à ce que les sociologues observent habituellement, nos résultats indiquent que la relation entre l'origine sociale et le niveau de diplôme détenu ne semble pas clairement établi. A ce titre, une étude du ministère de l'Education nationale (2011) montre que la probabilité d'obtenir un diplôme bac + 5 est dix fois plus importante pour un enfant de cadre (40 %) que pour un enfant d'ouvrier (4 %). La sociologie ne semble pas, à la vue de nos données, répondre à cette tendance (cf. Tableau 1).

Tableau 1 CSP du père enquête Génération 2010

 

%

Effectif (N = 116)

Ouvriers

15,5

18

Employés

15,5

18

Professions intermédiaires

13,8

16

Cadres, ingénieurs, profession libérales, professeurs

38

44

Artisans, commerçants, chefs d'entreprise

12,1

14

Agriculteurs

2,6

3

NSP

2,6

3

Nos résultats semblent corroborer la thèse de Pierre Bourdieu qui stipulait que la sociologie, par sa position subalterne dans la hiérarchie universitaire, continue de servir « refuge » à des catégories scolairement ou socialement défavorisées qui aspirent à poursuivre de longues études (Bourdieu, 1984).

Même si les étudiants d'origine modeste semblent composer en nombre les rangs de la sociologie, il ne faut pas exclure l'hypothèse qu'il y ait une sous-estimation d'un phénomène de déplacement des asymétries vers les niveaux d'études les plus hauts. D'ailleurs à ce sujet, Pierre Merle (2001) stipule qu'une sur-représentation des enfants de cadres en doctorat

31 Cumulation des catégories ouvriers et employés.

70

s'observe très facilement et reste une constante de la statistique de l'origine sociale. A titre d'exemple, une étude de l'Observatoire des inégalités (2015)32 montre une prévalence en thèse des enfants de cadres et des professions intellectuelles supérieures (34,3 %) par rapport à toutes les autres CSP : 9,7 % pour les professions intermédiaires, 7 % pour les employés et 5,2 % pour les ouvriers. Par l'intermédiaire de l'enquête Génération 2010, nous avons amassé des données qui peuvent rendre compte de ce phénomène. Ces analyses sont issues d'un tri croisé que nous avons opéré entre la CSP du père et le niveau terminal du diplômé. Ainsi nous avons pu observer que la représentation des catégories populaires se réduit significativement à l'entrée en thèse (cf. Tableau 2). Si l'on joint les diplômés des catégories « employés » et « ouvriers » on s'aperçoit qu'ils représentent plus de 40 % des effectifs des certifiés d'un master. Cependant, cette même proportion pour le groupe des thésards est nettement plus faible (18,3 %) et semble induire une éviction significative des étudiants d'origine modeste quant à la question de la poursuite en thèse. En parallèle, on observe un effet inverse pour les étudiants de classes supérieures. Alors que leur proportion représente 30 % des diplômés d'un niveau master, on s'aperçoit que les certifiés de classes supérieures sont nettement plus représentés dans le groupe des thésards (50 %).

Tableau 2 Niveau de diplôme détenu en sociologie selon la CSP du père

 

Master

Thèse

Effectifs

%

s

%

s

N

Ouvriers

22,4

15

6,1

3

18

Employés

18

12

12,2

6

18

Professions intermédiaires

13,4

9

14,3

7

16

Cadres, ingénieurs, profession libérales, professeurs

30

20

50

24

44

Artisans, commerçants, chefs d'entreprise

9

6

16,3

8

14

Agriculteurs

4,5

3

0

0

3

NSP

1,7

2

2

1

3

Ainsi, il est possible que ces résultats retranscrivent le phénomène décrit par Pierre Merle (2000) de sur-représentation des enfants de cadres supérieurs en doctorat. Par ailleurs notre test statistique de vraisemblance indique un Khi2 significatif (Khi2<.05) qui nous permet d'interpréter que la relation qui unit la variable « CSP du père » au « niveau terminal obtenu » n'est pas due au hasard. L'enquête qualitative effectuée auprès des diplômés que nous avons rencontrés a eu l'effet à la fois de confirmer ce phénomène tout en le complexifiant. Nous avons

32 https://www.inegalites.fr/Les-milieux-populaires-largement-sous-representes-dans-l-enseignement-superieur

71

observé en effet que l'origine sociale est prépondérante mais, elle ne semble pas résoudre à elle seule la question de la poursuite en thèse. Nous aurons l'occasion de traiter cette question tout au long de ce travail et elle fera l'objet d'un traitement plus approfondi dans une autre partie de ce mémoire (cf. Chapitre 5.3).

2. Sexe et origine universitaire

On constate que le corpus de l'enquête Génération 2010 est majoritairement composé de femmes (69 %). Des statistiques récentes de la DEPP (2017) tendent à confirmer cette « féminisation » des études de sciences humaines et lettres où le taux de femmes s'élève à 69, 7 %. Taux très élevé si on le compare avec celui de l'ensemble des étudiants (54, 6 %) ou encore avec celui des universités de sciences et STAPS33 (37, 9 %). On retrouve cette distribution « deux tiers un tiers » dans notre corpus de diplômés réuni au cours de notre enquête qualitative. Après avoir croisé les données Génération 2010 en fonction du genre et du diplôme terminal, il apparaît que le pourcentage des femmes est plus important dans le groupe des « masterants » (72 %) que dans celui des thésards (64 %). Une enquête du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche (2011)34 indiquait en effet que plus on monte dans la hiérarchie des titres de l'enseignement supérieur, plus la répartition « homme/femme » devient inégale : 57, 6 % de femmes en licence, 48 % en thèse, 42, 4 % en maîtres de conférences et 22,5 % en professeurs des universités. Si on se fie encore une fois aux statistiques de la DEPP (2017), la sociologie ne semble pas échapper à ce phénomène. Les femmes qui représentent 70 % de la population des sciences humaines et lettres ne représentent alors plus que 54 % des inscrits en doctorat (DEPP, 2017). Il semblerait donc que les femmes soient sous représentées en 3ème cycle du supérieur de sciences humaines et lettres en comparaison de leur représentation dans la population parente. Il est alors possible que la diminution du nombre de femmes à l'entrée en thèse observée à travers nos données Générations 2010 puisse être une illustration de ce phénomène. En somme, à la vue de nos résultats deux informations principales semblent se dégager. La première semble corroborer un des aspects du travail de Lahire (2008) qui montrait que les filières littéraires et de sciences humaines sont majoritairement investies par la gente féminine. La seconde correspond à l'amenuisement progressif de la représentation des femmes

33 Sciences et techniques des activités physiques et sportives.

34 Enquête égalité entre les femmes et les hommes (2011) : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Charte_egalite_femmes_hommes/90/6/Chiffres_parite_couv_vdef_239906.pdf

72

au fil de l'élévation dans la hiérarchie universitaire et la sociologie ne semble pas échapper à ce phénomène.

Concernant la dimension géographique, même si les trois quarts des participants ont été formés en province, on observe que le plus gros effectif de diplômés revient à la région Ile de France (26, 6 %). En ce qui concerne le doctorat, le taux des thésards formés en région parisienne s'élève à 37 % et dépasse largement toutes les autres régions. A titre de comparaison, les régions Rhône-Alpes et Provence-Alpes Côtes d'Azur représentent respectivement 4 et 6 % de notre échantillon. Ces données peuvent faire écho à des études qui montraient chacune que la recherche sociologique est une discipline toujours tenue par le centre parisien qui reste le secteur géographique le plus florissant en termes de recherches (Chapoulie et Dubar, 1991 ; Houdeville, 2007).

3. Des étudiants âgés

La part des étudiants âgés de 30 ans est importante et représente 23, 5 % de l'échantillon CEREQ 2010. Si l'on se fie à notre enquête qualitative, elle illustre bien ce phénomène puisque la moyenne d'âge à la sortie des études est de 27,8 ans et que les trentenaires (ou plus) représentent presque un quart du corpus. Certes, la forte présence de docteurs ne peut que contribuer à élever l'âge de sortie. Mais le fait que cette catégorie de classe d'âge soit très représentée rend aussi compte d'une présence importante de personne qui intègrent un cursus de sociologie dans le cadre d'une formation continue. Nous avons pu constater cela également dans le cadre de notre année universitaire où certains de nos collègues reprenaient les études à la suite d'une première expérience professionnelle décevante, d'autres se formaient tout en maintenant en parallèle une activité professionnelle. Il en fut de même pour plusieurs diplômés que nous avons rencontrés durant l'enquête. Ce fut le cas d'Hélène devenue formatrice (55 ans, ACCESS, Femme, Formatrice) pour qui le master de sociologie représentait une reprise d'étude offrant un niveau de formation suffisant pour postuler à un poste de formateur dans le travail social. Ce projet professionnel s'est concrétisé pour elle après 20 ans d'activité en tant qu'éducatrice. Au moment de reprendre ses études elle avait alors 49 ans. Il en est de même pour Patrick qui se forma en continue et qui a obtenu un poste dans un Institut régional du travail social après 10 ans de pratique professionnelle (Homme, 41 ans, ACCESS, Formateur). Ces profils d'étudiants en formation post-initiale ne semblent pas rares et peuvent expliquer en partie le fait que la sociologie soit, après la filière Administration économique et social (AES),

73

la discipline qui accueille en plus grand nombre des étudiants d'âge avancé35 (ASES, 199836). En définitive, les étudiants en formation continue sont loin d'être rares en sciences humaines. Au contraire, à la vue de nos résultats, ils forment tout un pan des effectifs des diplômés de sociologie. Une fois formés et certifiés, ces agents « convertis » à la sociologie, riches d'une première expérience professionnelle cumulée à un bagage sociologique sont susceptibles de réinvestir leur champ professionnel d'origine tout en accédant cette fois-ci à des positions hiérarchiques et statutaires élevées leur permettant éventuellement d'user et de promulguer leur savoir sociologique acquis en formation.

4. Les baccalauréats

Une première batterie d'analyses effectuée à partir de l'échantillon Génération 2010, montre que l'obtention d'un niveau 1 de sociologie semble être l'affaire de détenteurs d'un BAC général. En effet, sur l'ensemble de notre corpus, la proportion des BACs généraux couvre 91,5 % des réponses, celle des BACs techniques représente seulement 8,5 % de la répartition et le taux de réponse concernant les BACs professionnels est nul (cf. Tableau 3).

Tableau 3 Type de BAC échantillon Génération 2010

Type de BAC

Effectif (N = 119)

Pourcentage

Général

109

91,5 %

Technique

10

8,5 %

Professionnel

0

0 %

Là encore, le corpus de diplômés que nous avons rencontré semble confirmer cet aspect puisque sur 40 participants, seulement 4 détiennent un BAC technologique et l'on observe une fois de plus qu'aucun participant n'était doté d'un BAC professionnel (cf. annexe 4). En somme, la poursuite d'études en sociologie jusqu'en niveau master semble être fortement marquée par l'obtention d'un baccalauréat général.

Concernant les séries des baccalauréats détenues par les répondants, elles ne semblent pas refléter les caractéristiques des diplômés des années 2000. Si l'on se réfère par exemple aux

35 Sont considérés les étudiants en formation post-initiale ceux qui ont passé l'âge de 27 ans lorsqu'ils achèvent leurs études (Beduwe, Espinasse, 1995).

36 Association des sociologues enseignants du supérieur, bulletins.

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effectifs des baccalauréats de l'année 200337, on observe que les bacheliers scientifiques représentent 49,8 % des diplômés contrairement aux taux des BACs L et ES qui s'élèvent respectivement à 19,2 % et 31 %. Or, si l'on s'intéresse à l'origine scolaire des diplômés de sociologie de la Génération CEREQ 2010, on s'aperçoit que le BAC S n'est pas le plus représentatif de l'échantillon (cf. tableau 4). Les taux des séries ES (37, 6 %) et L (34,8 %) sont plus importants que la proportion des BAC S (27, 5 %).

Tableau 4 Origine scolaire de l'échantillon Génération 2010

Série BAC Général

Effectifs (N = 109)

Pourcentage

L

38

34, 8

%

ES

41

37, 6

%

S

30

27, 5

%

Ainsi, la série scientifique qui accueillait le plus grand nombre de bacheliers dans les années 2000 semble être sous-représentée en sociologie. L'enquête qualitative que nous avons conduite semble confirmer ce phénomène. En effet, sur 36 diplômés détenteurs d'un baccalauréat général, on observe que 9 enquêtés proviennent d'une série scientifique, 11 autres possèdent un BAC L et 16 sont issus de la filière économique et sociale (ES).

Notons au passage qu'il est possible que le diplôme terminal obtenu en sociologie puisse être lié à la série du baccalauréat. Les résultats Génération 2010 montrent que chez les docteurs, les baccalauréats littéraires sont majoritaires (41 %). Néanmoins on ne retrouve pas cette prévalence dans le groupe des masters où c'est le Bac ES (42 %) qui est le plus représenté (cf. Tableau 5).

Tableau 5 Diplôme terminal x Origine scolaire Génération 2010

 

Master

 

Doctorat

 

Effectifs

 

%

 

s

 

%

 

s

N

L

32

 

20

 

41

 

18

 

38

ES

42

 

27

 

32

 

14

 

41

S

28

 

18

 

27

 

12

 

30

Une étude quelque peu ancienne, Charlot (1987) montrait que le baccalauréat littéraire représentait l'origine scolaire la plus courante en sciences humaines. Ses résultats indiquaient que le taux de bacheliers littéraires augmentait à mesure que le niveau de sortie s'élevait. Pour l'auteur, cela signifiait que c'étaient ces bacheliers qui réussissaient le plus dans ces études. Sur

37 Soit 7 ans avant le début de l'enquête Génération 2010. L'année 2003 nous semblait appropriée pour estimer les tendances d'orientation quant aux séries du BAC des années 2000 dans lesquelles s'inscrivent majoritairement les répondants de l'enquête Génération 2010 et plus largement nos enquêtés.

75

cette question, à travers les matériaux d'enquêtes amassés auprès des diplômés, nous avons observé que la série littéraire est l'origine scolaire la plus représentée en doctorat alors que, ce sont majoritairement des détenteurs d'un BAC ES qui composent notre cohorte (cf. Annexe 4). Autant d'éléments qui inviteraient à interroger une éventuelle congruence entre culture littéraire et culture sociologique (Lepeinies, 1994).

5. L'hétérogénéité des cursus universitaires

En 1999, Odile Piriou constatait que la sociologie est une discipline où nombreux sont les étudiants qui ont effectué des études dans un autre domaine. En étant attentif aux cursus universitaires des 40 enquêtés avec qui nous avons échangé, on s'aperçoit que l'on ne peut pas tous les réunir sous la seule désignation « d'étudiant sociologue » : plus d'un tiers (16/40) a des diplômes antérieurs au master d'une discipline autre que la sociologie. Si l'on se rattache à la trajectoire universitaire des diplômés, il serait erroné de penser que nous étions confrontés à des trajectoires homogènes. Nous avons identifié 3 itinéraires universitaires types38.

Le premier correspond aux profils des diplômés qui ont un parcours « homogène » (22/34) de par des études supérieures menées uniquement en sociologie. Le second se rattache à un profil type que nous avons appelé les « convertis » (7/34). Cette catégorie de diplômés inclut des enquêtés qui ont obtenu d'autres diplômes dans d'autres discipline et/ou milieux professionnels avant de s'inscrire en sociologie. Pour la plupart, ils ont été certifiés dans le cadre d'une formation continue après une première expérience professionnelle qu'ils conservent en général pendant la formation. Enfin, le troisième type regroupe des diplômés que nous qualifions de « transfuges » qui désigne des personnes en formation initiale qui, dans le cadre de l'année de master, abandonnent leur discipline d'origine pour rallier les rangs de la sociologie.

L'itinéraire universitaire entraîne nous semble-t-il des effets de parcours. Notamment en ce qui concerne la bifurcation entre la voie recherche et professionnelle à laquelle sont confrontés les étudiants à l'entrée en master. En ce qui concerne les diplômés qui ont eu un parcours homogène, l'itinéraire ne semble pas influencer grandement le choix. Au cours des entretiens, il nous a semblé que les stratégies d'orientation étaient plus à mettre en relation avec

38 Nous avons par la même, rencontré un étudiant menant un double cursus (sociologie et géographie) que nous avons qualifié de duettiste.

76

la socialisation (notamment familiale) des enquêtés. Même si l'itinéraire universitaire ne semble pas jouer sur l'orientation choisie à l'entrée du master pour les parcours « homogènes », cela s'avère quelque peu différent pour les diplômés de types « transfuge » et « converti ». Pour les premiers, nous avons observé que tous les diplômés s'étaient orientés en voie professionnelle à l'exception de deux personnes.

Pour les diplômés « transfuges » l'entrée dans un master de sociologie représentait pour beaucoup d'entre eux une orientation par défaut. A l'image d'Amélie qui relatait que son inscription en sociologie était loin d'être voulue :

Enquêtée : Moi avant le master de socio je n'avais fait que de la psychologie. Le problème c'est que j'ai été refoulée plusieurs fois en master 2 et au bout d'un moment j'en ai eu marre. On m'avait parlé du master socio professionnel, qu'ils cherchaient des étudiants pour intégrer la formation et qu'il n'y avait pas besoin d'avoir de base solide en sociologie pour y arriver. [...] Ça semblait intéressant la socio donc voilà... (Amélie, 25 ans, voie DIS, Transfuge).

Ces types de diplômés « transfuges » provenant d'une autre discipline de sciences humaines ne sont pas rares. Par exemple, rien que durant notre année universitaire, sur les 7 personnes qui composaient la voie professionnelle, 4 étudiants rentraient dans ce cas de figure. Cependant, nous avons rencontré d'autres diplômés avec un itinéraire de type « transfuge » qui avaient bifurqué en voie recherche. Cette orientation peut s'expliquer une fois encore par leur parcours universitaire. Pour les deux diplômés auxquels nous songeons, l'inscription dans le master de sociologie recherche correspondait à un complément de formation, un deuxième master exigé par le département pour des étudiants qui ne sont pas dotés d'un cursus complet de sociologie et qui souhaiteraient continuer en thèse. Ce fut par exemple le cas d'Angélique (32 ans, voie ACCESS, Transfuge) qui entama son parcours dans le supérieur avec une licence de droit obtenue après 4 ans d'études (une année redoublée) dans la souffrance puisque le monde juridique ne lui convenait ni humainement ni professionnellement. De telle sorte que, une fois la licence en poche, elle décida de réorienter son projet professionnel vers l'une de ses sensibilités premières qui selon elle, ne l'avait jamais vraiment quitté : l'enseignement. Ainsi, Angélique s'inscrivit dans une formation indifférenciée39 portée sur les questions d'éducation et de formation. De ce cursus, elle en retira d'une part, un diplôme niveau 1 et d'autre part, une véritable appétence pour l'activité de recherche et d'enseignement qui ne pouvait être assouvie que par une poursuite d'étude en thèse. Conformément à ce qu'exige la politique du département, il fallut donc pour elle intégrer un nouveau master lui permettant de se familiariser à la pratique de la recherche. En somme, il semblerait pour ces diplômés de type « transfuge », que le choix face à la bifurcation recherche/professionnel s'explique par des aspirations

39 Etiquetée à la fois recherche et professionnelle.

77

différentes : la voie professionnelle représentant une orientation par défaut permettant l'obtention d'un diplôme de niveau 1 alors que la voie recherche représente un complément de formation permettant de remplir les conditions exigées pour prétendre faire une thèse de sociologie.

Pour les 7 diplômés qui répondent à l'idéal-type de « converti », la plupart s'étaient orienté vers la voie recherche. Cela peut semble-t-il s'expliquer par le profil professionnel des enquêtés. Pour la plupart, leur activité se rattachait au sens large à l'éducation (instituteur, formateur d'adultes, éducateur) et l'entrée en master représentait la possibilité d'obtenir un niveau d'étude de niveau 1 tout en assouvissant une curiosité intellectuelle et une sensibilité proprement sociologique. Voici un extrait qui retranscrit cela :

Enquêteur : Pourquoi la sociologie ?

Enquêtée : Quand je travaillais au relai, j'encadrais des collègues et il y a un moment je me suis dit qu'il me manquait des billes, un peu de théorie pour m'aider, pour heu... Mais ... Mais la psycho ça ne m'attirait pas, j'adhérais pas du tout. C'était trop contraignant la psy. La psychosocio m'aurait intéressé mais il n'y en avait pas... J'avais lu un peu de socio, j'avais adoré, donc c'est pour ça que j'ai choisi la sociologie. (Hélène, 55 ans, ACCESS, Convertie).

Ainsi, pour ces diplômés « convertis » dotés d'une expérience professionnelle conséquente, il n'y avait pas d'intérêts pour eux à bifurquer en voie professionnelle pour augmenter leurs qualifications, il s'agissait avant tout de se former à la recherche et d'emmagasiner un maximum de connaissances théoriques qu'ils pourront réemployer dans leurs futures activités de pédagogues.

En définitive, l'enquête que nous avons menée auprès des diplômés d'un master de sociologie montre qu'il existe une importante hétérogénéité de parcours. Disparité que nous avons représentée dans l'annexe 5. A la vue de nos résultats, cette diversité d'itinéraires semble avoir un impact conséquent sur le choix de la spécificité du master (recherche vs professionnel) mais aussi sur la question de la poursuite d'étude en thèse et sans doute plus largement sur la légitimité à s'identifier comme sociologue.

6. Les explications apportées à l'orientation en sociologie

L'hétérogénéité des itinéraires universitaires des diplômés n'est pas sans lien avec les raisons pour lesquelles ils s'orientent vers la sociologie. Dans la majorité des cas, les enquêtés expliquaient leur choix d'études en invoquant des intérêts essentiellement intellectuels, non en vue de satisfaire un projet professionnel rigoureusement défini. Dans une étude consacrée aux

78

apprentis sociologues Soulié (1995) stipulait que l'absence de projet professionnel à l'entrée en formation est propre aux étudiants qui choisissent une discipline plus intellectuelle que pragmatique et que cette attitude est très fréquente chez les agents issus d'une origine sociale élevée. Il apparaissait que c'étaient surtout les différences de parcours qui rendaient compte des exigences pragmatiques formulées par des enquêtés « convertis » à l'image des propos de Judith :

Enquêtée : Quand je me suis dit qu'il fallait que je reprenne mes études, je me suis tout de suite tournée vers la sociologie forcément... J'adore le social ce n'est pas pour rien que je suis ES40 ! La socio c'est bien pour se décaler, j'avais besoin de ça dans ma pratique. Donc voilà le volet socio... Mais pas seulement, je voulais aussi me former à la conduite de projet. Parce que voilà je voulais encadrer au bout d'un moment. Donc je me suis renseignée sur plusieurs formations. Et j'ai vu qu'à XXXXXX on faisait des enquêtes, des études et de la conduite projet. Donc je m'y suis inscrite. (Judith, 33 ans, DIS, Convertie)

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la faible relation entre le savoir sociologique et son application (professionnelle notamment) semblait constituer pour certains enquêtés son principal intérêt comme l'illustrent les propos de Romain qui, à travers la sociologie, fuyait un réalisme exacerbé qu'il avait connu dans son cursus scientifique au lycée :

Enquêté : Au début du lycée je m'étais dit que je voulais faire vétérinaire. Alors j'ai fait S. Sauf que j'étais nul, mes notes en maths et en physique étaient catastrophiques. [...] En terminal quand on a commencé la philo j'ai adoré ça. ...En philo il fallait être dans l'abstraction, réfléchir, analyser, prendre de la distance... Y'a des parallèles avec la socio tu vois. Quand est arrivée l'heure du choix pour l'université je me suis dit il faudrait peut-être que je me pose et que je prenne le temps de réfléchir à ce que je voulais faire vraiment. Et donc j'ai commencé à me renseigner sur les filières en sciences humaines qui gravitent autour de la philo. Je n'avais pas envie de faire philo parce que, bah la question des débouchés ce n'était pas ça. Enfin la socio on peut se demander aussi (rire). Mais bon voilà, j'avais listé la sociologie, l'anthropologie et la psychologie. Et en me renseignant j'ai plus eu la fibre pour la socio en fin de compte. (Romain, 27 ans, DIS, parcours homogène).

Ainsi, pour beaucoup de diplômés le charme de la discipline provient de cette « capacité à se distancier » (Sabine, 27 ans, DIS, parcours homogène). Concernant les enseignements dispensés et des savoirs retirés à la suite de la formation, rares étaient les diplômés qui parlaient spontanément de savoirs faire opératoires. La sociologie c'est avant tout « un outil d'intellectualisation, y'a pas grand-chose à en retirer d'un point de vue pratique » (Michel, 52 ans, ACCESS, parcours homogène).

Nous avons remarqué que la plupart des diplômés qui nous restituaient un projet professionnel se rattachaient souvent à l'idéal type de « converti » venus à la discipline en formation continue. Comme nous l'avons évoqué préalablement, l'obtention d'un titre de sociologie permettait à ces agents salariés pour la plupart du secteur social de concrétiser des perspectives d'évolutions.

40 Educateur spécialisé.

En définitive, rares étaient les projets professionnels rationnalisés à l'entrée en sociologie. Concernant l'ambition de devenir chercheur, aucun des diplômés n'avait songé à cette perspective de carrière en entrant en formation. Par rapport à ce que nous renvoient les enquêtés, cette optique semble arriver tardivement dans le cursus notamment parce qu'elle semble être lié à une relation avec les enseignants qui semblent tenir un rôle non négligeable dans la construction de la vocation.

Même si l'intention de devenir sociologue arrive tardivement, nous avons remarqué cependant qu'il était fréquent que des enquêtés relatent une attirance pour l'enseignement. En effet après réflexion et en mettant de l'ordre dans nos données, nous nous sommes aperçu qu'un tiers des diplômés rencontrés, envisageait l'enseignement comme un plan de carrière. Cette redondance qui nous avait échappé au premier abord fait écho à une étude publiée par le CEREQ (2010) qui, contrairement à ce que l'on pourrait penser, montrait que les diplômés de sciences humaines savent ce qu'ils veulent faire : de l'enseignement. Cette même étude montrait que 63 %41 des diplômes de LSH42 déclaraient qu'ils souhaiteraient enseigner. Notre échantillon semble confirmer cela, l'entrée en sciences humaines relevait souvent une aspiration à embrasser une carrière professorale ce qui au passage, explique sans doute pourquoi l'enseignement est et reste, le débouché professionnel le plus fréquent que l'on rattache à un cursus de sociologie (CEREQ, 2010). La partie suivante s'attachera à la question du devenir des diplômés d'un master de sociologie et de l'usage qu'ils en tirent dans leurs emplois.

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41 Sur une population de 42 000 enquêtés.

42 Lettre et Sciences Humaines.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault