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Problématique des valeurs culturelles lega face à  la modernité. mythe ou réalité. cas de l'idego de 1996 à  2020


par SABUKAKA DEROSE SABUNI
ISP- Kalima - Graduat 2020
  

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3. PROBLEMATIQUE.

L'homme, d'après le Mulega, né de la conjonction ou de la coalition de deux parties ou familles, est généalogiquement descendant d'une double parentèle. Celle de sa mère et de son père. Un dicton lega l'illustre clairement en ces termes : « Kebondakemoze ta bore » (une seule hanche ne peut engendrer). Bien que la culture lega soit patrilinéaire, lorsque l'enfant grandit et mûrit, les fruits et dividendes de son travail, bénéficient aux deux parties précitées. Cependant, au moment de son décès, la famille maternelle est préjudiciée dans la mesure où la partie paternelle hérite naturellement de tous les biens patrimoniaux du défunt ainsi que de sa femme sur laquelle le lévirat et/ou le sororat est d'application alors que du côté maternel, la mort du défunt est un vide béat et non compensatoire qui demeure. C'est pourquoi, pour récompenser la famille maternelle, la culture lega a institué le « Mesonga ou le Mibulobulo », c'est-à-dire, la ration ou la pitance à donner à tous ceux qui considéraient le défunt comme leur neveu.Un adage lega traduit bien cette pratique funéraire : « zamisongazikuliagabaringi na nzela », (le repas de deuil se mange meme par les passants). Le Mibulobulo est, en substance, constitué de l'ibangansinda, du mbembe, d'une chèvre, d'une corbeille d'arachides, d'un panier de paddy ou de farine de manioc, d'une bouteille d'huile, d'un paquet de sel, un régime de banane (mutengowigoma)

Au-delà du Mibulobulo, il a également été institué l' « IDEGO » ou le « MALIBA ». Il s'agit, en fait, des biens ou redevances que la famille paternelle du défunt paye à la famille maternelle. Son sens est de resserrer davantage les liens familiaux et de perpétuer le lien du mariage. L'Idego est généralement et invariablement constitué d'une chèvre (Kiburikyampene), du Musanga(cauris ou coquillage) ou Magana mabele ma mosanga(2000 FC), du byomamorobakamo, de l'Isuusi(piècede pagne en raphia).

Le Mibulobulo ainsi que l'Idego font partie des rites funéraires ou des rites de deuils dont les fonctions sont multiples. Ils s'adressent d'abord au mourant et au mort dans le but de l'apaiser, par le maternage au moment de mourir, et de le reconnaitre par le respect qu'on lui doit au moment de sa mort. Plus encore, le rite permet de « tuer le mort ». En effet, la mort étant vue comme un passage, il ne suffit pas de mourir pour que tout s'accomplisse. Il faut accepter de se séparer de notre proche décédé et, pour cela, on doit tuer tout ce qui reste vivant en lui en rompant les liens affectifs qui l'unissaient à la communauté. Par la suite, après une période que chaque culture définit, il faut prévoir les rites permettant de réintégrer le mort confirmant ainsi le défunt dans son nouveau destin et conférant à ses restes leur statut définitif. Le temps est alors venu de faire revivre le mort10(*)

Les rites funéraires sont, en deuxième lieu, centré sur la prise en charge des survivants. Les rassurer, les apaiser, leur offrir un garde-fou contre l'angoisse existentielle, mais également de permettre l'expression d'émotions intenses et destabilisatrices pour l'individu et pour le groupe, voilà les finalités des rites à leur égard. La période de deuil est une véritable zone de turbulences, une traversée du désert pour laquelle on ne veut pas abandonner celle ou celui qui s'y engage. En ce sens, encore une fois, les rites de deuil viennent compléter les rites funéraires pour faciliter et encadrer le travail de deuil et ainsi faciliter le rétablissement de l'ordre perturbé après expression codifiée de l'angoisse et après hommage au disparu.

Finalement, les rites funéraires tiennent compte de la fragilisation du groupe social à l'occasion du décès de l'un de ses membres. Les forces en présence qui font irruption dans la communauté, la mort, le numineux, doivent être absolument tenues en respect par le recours aux rituels et à ses possibilités de mise en scèneet de dramatisation contrôlée dans un cadre liturgique qui « font passer le drame du plan réel au plan de l'imaginaire »11(*), c'est-à-dire là où l'humain retrouve un pouvoir sur les choses qui autrement le débordent et le menacent à la fois la survie individuelle et celle du groupe. C'est là l'ultime pouvoir du rituel dans son affrontement symbolique avec une force, la mort, apparemment (invisible) : bien qu'elle réussisse à emporter l'un des nôtres et à priver la société de sa présence et de son apport, cette victoire apparente n'est que temporaire, parce qu'au bout de compte, à l'issue des rites funéraires et des rites de deuil, le mort ne sera plus un disparu ou un absent.

Cependant, les auteurs spécialisés dans les études sur la mort ont tous tenté d'expliquer les rapports de l'homme à la mort et aux rites en reliant ces phénomènes à un portrait d'ensemble dans l'évolutionrécente des sociétés. Pour ce faire, les sciences sociales utilisent généralement les notions de tradition, de modernité et plus récemment, de postmodernité. Louis-Vincent Thomas12(*)qui a probablement consacré le plus de place dans ses ouvrages à décrire ce qui est devenu des rites funéraires en Occident. Pour lui, on peut résumer ces changements en deux temps à l'aide de quelques mots clés : disparition, simplification, privatisation, technisation, professionnalisation, changement des lieux, dissimulation, réduction, désocialisation et désymbolisation, puis prise en charge du survivant, personnalisation, participation, invention des gestes expressifs, médicalisation du deuil contemporain et, finalement, laïcisation des funérailles.

Disparution, parce que, sur le plan des rites, plusieurs composantes ou étapes du rituel traditionnel n'existent tout simplement plus : accompagnement du mourant et veille à la maison, toilette funéraire accomplie par les membres de famille, cortègefunèbredu lieu du culte jusqu'au cimetière, rites de deuil-à peu près dans leur entièreté- et commémoration publique du décès dans les mois ou les années qui suivent. Simplification parce que, d'une manière générale, le caractère plus formel ou solennel des rites a été abandonné ou grandement simplifié, à preuve la disparition de tous les éléments prétendument cités et l'apparition d'un menu davantage de souplesse qu'auparavant. Il est donc dorénavant possible d'expédier en 24 heures l'ensemble du processus redéfini aux goûts et aux besoins du jour. Privatisation en deux sens. D'abord parce que les individus et familles ont de plus en plus d'occasion de personnaliser les rites funéraires pour tenir compte de l'individu visé par ces rites, de ses dernières volontés, de sa vie, de ses croyances ou de sa non croyance, des liens qu'il a établi avec son entourage et avec sa communauté. Mais privatisation également dans le sens où les rites sont moins qu'avant l'occasion d'un large rassemblement communautaire quasi obligatoire ou automatique. Technisation, bien sûr, en raison de l'apparition et de la généralisation des techniques de la thanatopraxie qui ont révolutionnéles pratiques- et la pratique quasi universelle toilette des morts qui était davantage un acte de purification et de respect qu'un acte hygiénique et de maquillage du corps mort-, mais probablement aussi toute la symbolique entourant la rencontre avec le cadavre. On ne présente pas le plus souvent un corps inanimé, diminué, amoindri ou méconnaissable en raison de la maladie ou brisé par un accident, mais un corps « revampé », plus digne et qui ne suscitera ni l'horreur ni la peur ni le rejet. Un corps qui n'a rien d'un cadavre mais qui a plutôt l'air de dormir ou de se reposer (un « beau mort »), tellement qu'il donne parfois l'impression d'être sur le point d'ouvrir les yeux et de se réveiller. Le travail de deuil peut ainsi commencer plus sereinement, dit-on. Technisation aussi par le biais de la crémation qui prend de plus en plus deplace- et dont on pourrait analyser les idéologies légitimatrices- et qui est à des lieux de la crémation en plein air, sur un bûcher, encore pratiqué à d'autres endroits de la planète ou en d'autres temps en Amérique même par certaines tribus amerindiennes. Crémation qui n'apparaissait pas alors comme un geste technique pratiqué par des employés utilisant une technologie de pointe qui en moins d'une heure réduira en cendres, c'est le cas de le dire, un corps humain, quitte à passer les résidus dans un broyeur pour obtenir un produit plus uniforme. L'absence totale non seulement de la richesse symbolique des crémations traditionnelles en lien avec les mythes fondateurs d'un groupe, mais même d'une quelconque préoccupation en ce sens, caractérise nos nouvelles pratiques. On mise sur l'efficacité, la rapidité d'exécution, la réduction des coûts et le caractère hygiénique et écologique de l'opération. Professionnalisation en lien avec l'apparition de l'entreprenariatfunéraire et de son équipe, de leurs contrats, de leurs produits et services, de leurs locaux pour les vivants comme pour les morts, de leur guichet et de leurs techniques modernes. Voilà combien d'atouts réels, mais au prix de la disparition ou de l'éclipse des rapports humains de proximité et d'intimité pour plusieurs moments du rite. Professionnalisation aussi, rappelons-le, par le biais du séjour à l'hôpital où malade et membres de son entourage se retrouvent « reçus » dans un lieu qui leur garantit un maximum d'efficacité et de sécurité par rapport à la maladie et à la mort devenus de plus en plus étrangères pour nos contemporains, mais qui se retrouvent  « invités » dans un lieu qui n'est pas le leur et qui possède ses propres normes et règles de conduite (horaires, places et traitements disponibles, aspects légaux des décisions à prendre, etc.). Changement des lieux justement avec l'hôpital et le complexe funéraire qui prennent le relais de la maison du mourant et de l'église elle-même pour un nombre grandissant de cas. Changement aussi des lieux parce que les convois funéraires collectifs n'existent plus pour déplacer le cadavre vers son lieu de sépulture. Changement des lieux finalement parce que la pratique de la dispersion des cendres multiplie tout autant qu'elle efface les lieux retenant les traces de notre passage. Dissimulation parce que tout est entrepris d'abord pour que le mort n'ait pas l'air d'un mort, mais d'un vivant endormi- si toutefois il est même exposé, auquel cas la dissimulation est alors totale-, et ensuite pour que les cimetières s'intègrent tellement bien au paysage de nos villes qu'on ne les connaisse plus comme tels : cimetières-parcs, cimetières-tours( le cimetière est tout simplement un édifice en hauteur où chaque étage voit s'aligner en feux et niches de columbarium un peu comme les tours de logement font que les voisins habitent des appartements adjacents) et cimetières forestiers( où les morts reposent au pied des arbres, en retrait , en retrait des villes et cachés au regard des passants). Réduction parce qu'on assiste à une logique où toutes les traces traditionnelles de la mort ou des morts sont ramenées à leur plus simple expression, en commençant par le cadavre réduit en cendres, aux inscriptions minuscules figurant sur les niches des columbariums et aux inscriptions à tendance minimaliste que certaines études ont permis d'observer de plus en plus sur les épitaphes : comme par exemple d'y inscrire tout simplement « Mère » sans plus. Désocialisation aussi des rites funéraires qui, on le voit à la lecture des paragraphes précédents, perdent progressivement leur capacité de rassemblement pour faire l'événement de la mort une occasion de renouer les liens sociaux devant ce mystère et son pouvoir de néantisation. C'est le contraire qu'on observe : simplification importante de ce qui subsiste des rites, funéraillesréunissant de faibles foules, endeuillés abandonnéssocialement au lendemain des funérailles. Luce Des Aulniers13(*) ajoute en renfort, à cette analyse, que lorsque l'on entend que tout en matière des funérailles est affaire de choix personnel, on a justement là le signe patent d'une désocialisation de ces pratiques.Désymbolisation alors que tout le pouvoir évocateur et guérisseur des rites repose théoriquement sur la pertinence, la justesse et la puissance des symboles utilisés et connectés en droite ligne avec nos mythes ou récits fondateurs, à peu près tout dans l'évolution récente des rites funéraires contribue à achever cette désymbolisation, en commençant par la crémation qui, dans nos cultures, est totalement dépourvue de ce recours aux symboles. L'exception à ce qui semble devenu une tendance lourdevers la désymbolisation repose sur l'expérience de « personnalisation » des funérailles, que ce soit dans les funérailles religieuses ou civiles. Toujours selon Thomas, après une longue période qui laissait croire à l'obsolescence progressive des rites funéraires, on assiste en même temps, au cours des trois dernières décennies, à une certaine renaissance des rites. On assiste à une tendance à l'innovation rituelle.

Loin de connaitre exactement la plénitude des variations décrites par Thomas, dans l'Espace culturel lega en général et dans le territoire de Pangi en particulier et précisément dans le groupement Ulimba, l'Idego qui est un rite conjuratoire, ostentatoire, transitoire et compensatoire de deuil destiné à la fois à la réintégration du mort à son nouveau destin, à l'assurance au défunt un passage apaisé entre le monde des vivants et des morts et à procurer au de cujus les hommages et honneurs visibles qu'il n'a pas pu avoir de son vivant et de resserrer les liens entre les membres de famille rompus par le vide créé par la mort14(*), les observations faites durant notre enquête ont révélé que la modernité, dans sa confrontation dialectique avec la tradition, apporte des modifications qui touchent substantiellement à l'essence de cette pratique d'indemnisation a capita du de cujus dans l'espace lega. Ainsi, a-t-on remarqué que depuis quelques décennies le christianisme érode progressivement l'Idego dans ce sens que certains défunts pratiquants laissent, en guise de testament ou de dernière volonté, une interdiction que leur mort fasse l'objet d'une indemnisation.

De même, il a été observé que le rite indemnisatoire (l'idego) est fragilisé du fait de la perte de son caractère obligatoire du fait de l'acculturation liée au mixage culturel et du relâchement des instances coutumières (non respect des recommandations des dépositaires coutumiers) face à l'imposition du droit positif.

La perte des valeurs monétaires anciennes (igama)a également imposée des substitutions qui touchent à la substance même de l'idego imposant ainsi un nouvel instrument de payement. De la sorte, face à l'omniprésence de la monnaie scripturale moderne, il est admis que lors du rite de l'Idego, les biens matériels tels les cauris(Musanga), le métal(le byoma), l'Isuusi (étoffes en raphia) ou même la chèvre(Mpene) soient remplacés par de l'argent et que par ce fait, la radicalité et la substance du rite soient touchées dans leur intégrité essentielle. Et enfin, eu égard à la nucléarisation de la famille liée à l'économie marchande, le rite indemnisatoire de l'Idego jadis, oeuvre de toute la famille élargie du défunt, connait une privatisation dans le sens où il devient une affaire personnelle dépendant de la volonté et du statut du défunt.Certains bénéficiaires sont aujourd'hui dérogatoirement exclus(le cas des mekolo). Face à ces changements rituels que l'urbanisation, l'industrialisation, le christianisme et le mixage culturel imposent aux traditions et rites funéraires lega, certaines questions ont traversé notre esprit. Nous les avons formulés en ces termes :

· Quels seraient les apports de la modernité face aux rites funéraires dont l'Idego dans le groupement Ulimba ?

· Quelles seraient les survivances traditionnelles dans les rites indemnisatoires de l'Idego dans le groupement Ulimba ?

· Quels seraient les mécanismes conservateurs des traditions funéraires face à la dynamique sociale moderne ?

* 10 Luc Bussieres, Rites funèbres et sciences humaines : synthèse et hypothèses, Nouvelles perspectives en sciences sociales, vol.3, n°3, 2007, pp 161- 139

* 11Louis-Vincent Thomas, Les chairs de la mort, Paris, Institut d'édition Sanofi-Synthélabo, 2000, p. 161 ;

* 12Louis-Vincent Thomas, La Mort, Paris, PUF, 2003, pp 102-106 ; Rites de mort. Pour la paix des vivants

* 13Luce Des Aulniers, « Rites d'aujourd'hui et de toujours », Frontières, Variations sur le rite, vol.10, n°2, hiver 1998, pp. 3-6 ;

* 14 Kouassi Kouakou, la mort en Afrique. Entre tradition et modernité, dans Etudes sur la mort, 2005/2, (n° 120), pp. 145-149

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon