WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Introduction

En avant-propos de la deuxième partie de son ouvrage intitulé La monnaie, Jean Cartelier écrit ceci :

« Que la monnaie, bien qu'elle soit essentielle au fonctionnement du marché, ne trouve pas sa place dans la théorie économique, montre non seulement qu'elle n'est pas un bien économique, mais également que l'économie de marché n'est pas cette société qui se constituerait sur une table rase institutionnelle grâce à l'échange volontaire entre individus indépendants et égoïstes. En reconnaissant que la monnaie, conçue comme un ensemble minimal de règles du jeu, est un point de départ obligé pour la théorie du marché, il est possible d'esquisser une théorie économique reconnaissant explicitement que les fondements de l'économie de marché sont à rechercher au-delà de l'économique »1(*).

Cette citation de Jean Cartelier s'avère révélatrice des difficultés qu'éprouve la théorie économique dominante à intégrer la monnaie au sein de son analyse. En effet, cette dernière évince de son discours la question de la substance de la monnaie pour en retenir que l'aspect fonctionnel, pratique, en la reléguant au rang de « voile lubrifiant » du système marchand. Pourtant, la monnaie n'a rien de spontané au premier abord. En supposant qu'on jette depuis un hélicoptère des quantités importantes de billets libellés en dollar au dessus d'un village perdu au fin fond de l'Afrique, qu'est ce qui peut garantir que les « heureux habitants » africains verront dans ces billets la même chose que nous y voyons nous ? Inversement, à supposer maintenant que ce village ait une « monnaie officielle », qui ne se présente pas nécessairement sous la forme de pièces et billets, et que ses habitants déversent, cette fois-ci, des quantités importantes de leur monnaie au-dessus d'un village quelconque de France, quelle va être la première réaction des « heureux villageois » français si ce n'est l'étonnement, le questionnement et non la réjouissance spontanée ? Ce petit exemple illustre bien à quel point la nature de la monnaie ne doit pas être négligée et que celle-ci doit être pensée autrement que comme un objet économique stricto sensu à portée universelle. Tel est l'objet premier de cette réflexion. D'ailleurs, selon Jacques Sapir, l'appréhension de la monnaie comme une institution et non comme un bien économique ordinaire constitue un point de rupture majeur entre l'orthodoxie économique, incarnée par la théorie économique standard, et les courants de pensée économiques qualifiés d'hétérodoxes2(*) :

« Une des principales ruptures des différents courants hétérodoxes avec la pensée économique dominante a justement consisté en une analyse différente dans la monnaie. Là où l'analyse économique ne voit qu'un bien parmi les autres, élevé au statut de numéraire, les hétérodoxes voient en général une institution. Cette divergence est fondamentale, même si, suivant les différents courants, les conséquences que l'on en tire peuvent fortement variées »3(*).

Plus loin dans son ouvrage, Jacques Sapir poursuit en soulignant l'importance de réfléchir sur la nature profonde de la monnaie, eu égard au rôle prééminent qu'elle joue dans une économie de marché où les échanges sont décentralisés :

« La question de la monnaie est donc un point central si l'on part de l'hypothèse d'une société fortement hétérogène et d'une centralisation devant se réaliser ex post, à travers des institutions ayant leur histoire et leur dynamique, alors penser la monnaie devient un exercice capital »4(*).

Désormais, dans notre société, l'argent a pénétré les relations sociales, ayant même le pouvoir de métamorphoser les comportements et les personnalités. Omniprésent dans le langage, dans les images, dans l'actualité, c'est une réalité prégnante de notre quotidien. C'est également un marqueur social important des sociétés monétisées dans la mesure où l'argent homogénéise, identifie et hiérarchise les éléments. Ce faisant, il paraît exercer une influence considérable sur des individus qui pensent le monde en termes monétaires. Langage, lien social fondamental des sociétés marchandes, source de pouvoir mais aussi d'inégalités, de liens de sujétion, de violences, de crises sociales et monétaires... Ces quelques éléments invitent à réfléchir sur la nature profonde de la monnaie, ce qui implique de ne pas en rester à son apparence fonctionnelle car, finalement, l'évidence ne dit rien sur ce qu'est réellement la monnaie. C'est pourquoi, adopter le point de départ de la théorie économique standard conduit assurément à abaisser la capacité de compréhension des phénomènes impliquant la monnaie, ce qui peut se révéler dommageable lorsqu'on sait que l'économique et le social repose aujourd'hui en bonne partie sur le monétaire. Dès lors, écarter ou neutraliser la monnaie revient d'une certaine manière à occulter ou à rejeter sciemment une partie intégrante de la réalité économique et sociale.

Saisir la nature de la monnaie implique, semble t-il, de déborder le cadre économique afin d'appréhender l'argent comme un concept, devenu institution, aux composantes à la fois politiques, sociales et économiques. De ce fait, cette réflexion propose de penser la monnaie comme une institution centrale des sociétés contemporaines, sur laquelle reposent les économies modernes. En outre, s'étant dématérialisée avec le temps, elle se présente aujourd'hui sous des aspects de plus en plus abstraits dont la forme de référence demeure la monnaie fiduciaire ou « monnaie papier ». Exempte de valeur intrinsèque, la monnaie ne possède de valeur que par son signe, signe qui lui confère une valeur autoréférentielle. De la sorte, en prenant le pas sur le « réel », le nominal, essence même de la monnaie, fait intervenir une logique purement sociale qui renvoie au symbolisme et intègre les individus dans un système régi par la croyance et la confiance. L'argent fait donc partie de ces « choses » qui existent uniquement parce que les hommes les ont créées de manière artificielle et délibérée, selon une intention spécifique. Ces choses construites socialement, qui régissent notre quotidien, résultent de la volonté humaine et sont, en ce sens, le produit de l'histoire. En d'autres termes, la monnaie n'est une composante des sociétés uniquement dans la mesure où il existe un consensus social sur son existence, sa nature et ses fonctions. De ce fait, elle a pour support friable la croyance et, à plus long terme, la confiance des individus, ce qui pose, entre autres, le problème crucial de la stabilité du cadre et du support de l'économie de marché. De par sa nature, la monnaie doit donc toujours réaffirmer sa légitimité aux yeux des individus si elle veut rester souveraine car, à défaut de reconnaissance sociale, monnaie n'est pas richesse et richesse n'est pas monnaie.

En outre, une analyse de la monnaie, alternative à celle proposée par la théorie économique dominante, ne doit pas s'astreindre à nourrir le débat théorique. Ainsi, pour faire preuve davantage de pertinence, elle doit être en mesure d'apporter un éclairage nouveau sur la réalité. C'est pourquoi, l'analyse théorique de la monnaie qui sera menée dans le cadre de cette réflexion sera appliquée à l'euro, monnaie unique européenne liant depuis le premier janvier 2001 douze pays membres de l'Union européenne : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal. Fruit d'une intégration progressive entre plusieurs Etats européens, l'arrivée de l'euro constitue un des évènements les plus importants de ces dernières décennies, voire de ces derniers siècles, pour le continent européen. En effet, le passage à la monnaie unique est bien plus qu'un simple changement d'unité de compte. Ce n'est pas seulement une opération qui relève de la technique. C'est une transformation économique et sociale d'une envergure exceptionnelle pour les sociétés européennes, comme le souligne Robert Raymond :

« Il est permis, sans verser dans la grandiloquence, d'affirmer qu'on trouverait dans l'histoire de l'Europe peu de circonstances d'une importance équivalente. Les plus grands changements furent notamment, pour s'en tenir aux deux ou trois derniers siècles, la Révolution française, un certain nombre de guerres, la colonisation et la décolonisation, quelques grandes innovations scientifiques et industrielles. Bien que l'introduction de la monnaie unique paraisse moins traumatisante à première vue, elle apporte, elle aussi, une novation dans l'histoire de la société européenne à divers titres »5(*).

En somme, hormis la volonté d'effectuer une analyse conceptuelle de la monnaie qui se détache de l'orthodoxie économique, le projet de ce mémoire est d'allier analyse théorique et application réelle dans une démarche d'ensemble cohérente et, si possible, pertinente. De ce fait, la problématique est double et se subdivise en deux questions : d'une part, il faut se demander comment la monnaie, considérée comme une composante fondamentale de la réalité économique et sociale, dépourvue de valeur intrinsèque, parvient-elle à remplir les fonctions d'unité de compte, de moyen de paiement et de réserve de valeur que les économistes lui assignent traditionnellement ? Puis, d'autre part, en intégrant les éléments de réponse de la première question, il convient de s'interroger pour savoir dans quelle mesure l'euro constitue t-il une monnaie originale, pionnière et audacieuse, qui, de ce fait, se révèle porteuse d'éléments de fragilité ? La réponse à ces questions s'effectuera conformément à une vision hétérodoxe de la monnaie, au sens où celle-ci sera appréhendée comme une institution à consistance économique, sociale et politique.

Pour se faire, la réflexion s'articulera autour de deux grandes parties. Dans une première partie, que l'on peut qualifier de « théorique », il sera question de réfléchir sur ce qu'est la monnaie. L'objectif consistera alors à montrer que celle-ci peut être pensée, à la différence de la conception standard, comme une institution socialement construite, un artifice produit de l'histoire, impliquant croyance et confiance. Puis, sur la base du travail effectué au cours de la première partie, la visée d'une seconde partie sera de procéder à une analyse de l'euro, en s'appuyant sur la réflexion théorique qui aura été menée préalablement. L'accent sera alors mis sur l'originalité et les éléments de fragilité de cette nouvelle monnaie, produit de la rationalité économique.

* 1 Jean Cartelier, La monnaie, Flammarion, Paris, 1996 : p. 58.

* 2 Voila pourquoi, dans le titre de ce mémoire, l'analyse de la monnaie que je présente est qualifiée « d'hétérodoxe ».

* 3 Jacques Sapir, Les trous noirs de la science économique. Essai sur l'impossibilité de penser le temps et l'argent, Albin Michel, Paris, 2003 : p. 227, 228.

* 4 Idem, p. 237.

* 5 Robert Raymond, L'euro et l'unité de l'Europe, Economica, Paris, 2001 : p. 1. Robert Raymond a longtemps travaillé à la Banque de France avant d'être directeur général de l'Institut monétaire européen, organe qui a précédé la constitution en juin 1998 de la Banque centrale européenne (BCE).

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera