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Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à  l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en son genre, produit de la rationalité économique


par Grégory Ode
Université de Paris I Panthéon - Sorbonne - Master d'économie 2005
  

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La neutralité symbolique de l'euro : reflet d'une monnaie « objective » et rationnelle, aux contours incertains, fondée sur une confiance éthique

Fondant en quasi totalité sa légitimité sur une confiance de nature éthique, l'euro devait à l'initial bénéficier aux consommateurs et, plus largement, à l'ensemble des pays de la zone euro. Ainsi, le lien de confiance qui sous-tend la monnaie unique européenne consiste en des critères économiques élevant le bien-être individuel en critère prééminent. Globalement, l'euro était, et est toujours, porteur de nombreuses espérances. L'union économique et monétaire devait s'imposer en grande puissance économique mondiale, notamment en contrebalançant l'hégémonie américaine. Cela dit, pour l'heure, l'euro reste dépourvu d'éléments de confiance symbolique ; sa légitimité en tant que fait institutionnel repose sur un pari économique : faire de la zone euro une zone de prospérité et de croissance. Il en découle que la pérennité de l'euro s'avère tributaire des jugements des agents économiques appartenant à la zone euro :

« L'acceptation satisfaisante de l'euro par les consommateurs contraste avec le scepticisme manifesté par les citoyens des pays de la zone euro dans les enquêtes d'opinion à l'égard de la rhétorique politique sur les promesses de prospérité de l'Union européenne. Ce divorce peut miner la confiance en l'euro. Car cette monnaie ne peut se recommander de symboles forts de souveraineté. Sans passé, elle doit se légitimer par les gains futurs de bien-être qu'un espace monétaire unique peut apporter par rapport à des espaces monétaires nationaux, reliés par le libre-échange des biens et services et par le libre circulation des capitaux »119(*).

Fondamentalement, l'euro repose sur des liens économiques. Il relègue au rang de supports superfétatoires les liens historiques, culturels, politiques qui constituent autant de sources symboliques de confiance en la monnaie. Cette suprématie et objectivité de l'économique se matérialisent notamment sur l'iconographie totalement neutralisée des billets émis par la BCE :

« Contrairement au dollar, l'euro ne se réfère à aucune autorité supérieure, politique et symbolique, fondant le lien de confiance qui `fait société'. Affichant portails et fenêtres ouverts sur le vide, ses billets renvoient uniquement à un espace sans limites, déterritorialisé et déshumanisé : celui du marché [...] On constatera d'abord que les euros billets reflètent strictement la dynamique purement économique et financière qui est au principe de leur apparition. Ils exhibent une froide esthétique post-moderne de ponts, de portes ou fenêtres qu'on a pris soin d'épurer de tout trait permettant de les localiser, représentations qui cherchent exclusivement à symboliser la communication, l'ouverture et le passage de frontières [...] On est en présence d'une monnaie purement fonctionnelle dans sa nudité économique, d'un simple instrument d'échange qui fait fi du passé et ne le raccroche pas au futur faute de pouvoir ou de vouloir s'appuyer sur des symboles communs aux différentes nations qui cherchent pourtant à s'unir [...] A l'aune d'un dollar dont les coupures symbolisent ainsi une alliance fondatrice entre les relations sociales d'ordre public et d'ordre privé, par ailleurs placée sous l'autorité d'un Dieu dont la Réserve fédérale et le département du Trésor sont les prêtres, le déficit symbolique de la monnaie européenne paraît considérable. L'euro ne peut en effet dissimuler la fragilité de sa légitimité au-delà du cercle des marchands »120(*).

Vide de symbolique et adossé à des principes économiques libéraux censés établir les conditions d'une expansion économique, l'euro s'est affranchi du politique et du social pour aller à l'essentiel : l'économique. Apparaît alors toute la spécificité de la monnaie européenne par rapport aux anciennes monnaies nationales. Ce point caractéristique de l'euro est retranscrit sur l'iconographie des billets. Avant, sur tous les billets des anciennes monnaies européennes, on pouvait y voir des symboles forts faisant référence à l'histoire du pays, à la culture, au politique, etc. Cette symbolique dont se prévalait la monnaie coexistait avec la marque officielle qui instituait la valeur de la monnaie (signature du contrôleur général, marque de la banque centrale...). La monnaie suscitait croyance et confiance en s'appuyant sur des éléments renvoyant à des valeurs communes, reconnus et acceptés par tous :

« La présence de ces personnes sur nos billets peut s'interpréter comme l'affirmation de ce qui fonde nos Etats, et particulièrement la République, et donc la valeur des signes qu'elle émet et des échanges qu'elle garantit [...] C'est la culture qui fonde la valeur, et que l'image assigne [...] Le Petit Prince, les joueurs de cartes, la tour Eiffel et même le plat de pommes sont les garants de notre républicanité, de notre condition française en tant que républicaine. C'est là que se fonde la valeur de nos billets : dans ce qui fait que la France une culture »121(*).

Ce faisant, il faut souligner que les billets émis par la BCE ne contiennent aucune référence directe ou indirecte à l'histoire, à la culture ou aux hommes politiques. Pourtant, on aurait très bien pu imprimer sur les billets les portraits de quelques grands hommes qui ont instigué le projet européen, tels que Jean Monnet, Robert Schuman... L'euro est une monnaie neutre sur le plan symbolique, ce qui se traduit par une indifférence iconographique. En effet, il ne fonde pas sa valeur sur des symboles communautaires mais sur des principes économiques stricto sensu. Ainsi, un grand pas a été franchi avec l'euro car il donne à la monnaie une autonomie supplémentaire par rapport aux précédentes monnaies. Sur les billets, seuls apparaissent des ponts et des monuments anonymes. D'ailleurs, le graphiste à l'origine des représentations inscrites sur l'euro fiduciaire, Robert Kalina, précise de lui-même qu'il était formellement interdit de faire référence à des symboles identifiables122(*), comme si l'euro devait préserver sa neutralité économique. Seule interprétation possible de ces ponts, l'idée d'un rapprochement entre les Etats-nation européens. Mais, est-ce un rapprochement de nature économique (libre circulation des marchandises...) ou un rapprochement de nature politique, signe d'une volonté d'unifier l'Europe politiquement ? L'euro n'est-il pas censé intégrer davantage les marchés et faciliter de ce fait les transactions intra-communautaires ? Par ailleurs, apparaît sur chaque billet une carte de l'Europe aux frontières imprécises à l'est, comme pour rappeler que l'Europe est une entité encore indéterminée, tant géographiquement que politiquement. Finalement, l'Europe est avant tout un territoire économique ambitieux, projectif, résolument tourné vers l'avenir, revendiquant une prospérité promise :

« En fin de compte, on peut dire peut-être que ce à quoi renvoient inscriptions et images, la source ou l'autorité dont les billets se prévalent et qui les garantit, c'est un territoire - délimitation, configuration d'une terre, dessinée par la carte - et, une idée : l'idée de construction - à la fois édification et patrimoine, et aussi voie de passage, traversée, figurée par des ponts. L'Europe, c'est alors une terre, et une idée. `De qui' est l'euro ? : on est tenté de répondre, à l'examen des billets : de la terre d'Europe, et de son idée constructrice »123(*).

Graphiquement, seuls apparaissent formellement et distinctement la valeur du billet, ainsi que la marque officielle de la BCE et le drapeau de l'Union européenne composé de douze étoiles or sur fond bleu formant un cercle en guise d'union. Le nombre de douze est symbolique ; invariable, il n'indique pas le nombre de pays membres mais symbolise la perfection et la plénitude. Quant à la couleur bleue, elle est synonyme de sérénité et de paix. En outre, on peut penser que la neutralité symbolique de l'euro fiduciaire procède de la volonté d'afficher et de matérialiser la neutralité de la monnaie elle-même dans le sens où celle-ci n'appartient plus aux gouvernants politiques mais est régie par un institut indépendant et souverain : la BCE.

Ce faisant, l'euro demeure une monnaie « objective », qui fonde sa valeur sur l'économique tout en s'exemptant des attaches symboliques qui sous-tendent, en principe, la monnaie en tant qu'objet conceptuel socialement construit. A ce titre, la monnaie unique européenne se veut être novatrice. Avec l'euro, on a l'impression qu'un pas de plus a été franchi vers la rationalité des activités économiques et sociales. C'est comme si la monnaie marquait davantage sa dématérialisation en s'affranchissant en grande partie du superflu habituellement nécessaire pour assurer croyance et confiance. Une question émerge alors : est-ce que l'euro ambitionne de se passer de toute confiance symbolique ou est-ce une situation transitoire, le temps de construire une autre Europe qu'une Europe de marchés ? Dans ce dernier cas, on aurait alors à faire à un processus inversé selon lequel d'une coopération économique doit naître une union politique entre des Etats qui, un demi-siècle auparavant, se livraient une bataille sans merci. Mais, tenter de donner des réponses à ces questions s'avère très difficile tant il est vrai que l'euro repose sur un équilibre fragile régi par une multitude de facteurs. En outre, ce qui est sûr, c'est que pour le moment il fait fi du lien de confiance qui rattache la monnaie à un ensemble de valeurs et symboles communs :

« Nous l'avons vu, l'argumentaire économique en faveur de l'euro est essentiellement fondé sur une vision neutre et sans dimensions sociales de la monnaie. Celle-ci est appréhendée dans sa fonctionnalité et elle ne présente d'autre épaisseur sociale ou culturelle que celle des signes apposés sur les moyens de paiement. De ce point de vue, l'image des billets en euro est révélatrice. Leur conception a certes dû composer avec des cultures différentes et de nombreuses susceptibilités historiques ; les signes identitaires y sont par conséquent réduits à néant [...] Cependant, en éliminant tout ce qui pouvait choquer (tous les symboles religieux, politiques, les personnages historiques et littéraires nationaux) et en choisissant des formes architecturales volontairement non identifiables à un lieu précis, on a rendu très difficile et différé l'appropriation de ces images par leurs utilisateurs. Et on a réduit la possibilité que ceux-ci se projettent collectivement à brève échéance dans ces images - autrement dit expriment un projet commun ; seule la figure presque anamorphique de la carte européenne et le nom `euro' (Europe) peuvent introduire cette dimension de projet collectif et contribuer à la reconnaissance d'une souveraineté historiquement nouvelle »124(*).

Reste à soulever un autre point caractéristique et ambivalent relatif à la symbolique de l'euro : l'opposition entre l'iconographie des pièces et celle des billets. En effet, alors que les billets marquent clairement l'idée de neutralité, les pièces, quant à elles, n'ont pas cessé de faire référence aux symboles nationaux. En d'autres termes, alors que la charge symbolique des billets s'avère quasi nulle, celle des pièces est restée prégnante. Cette ambivalence semble révélatrice de l'originalité et de l'incertitude qui pèse sur l'euro. Ce dernier paraît ainsi partagé entre des histoires et des souverainetés nationales bien présentes, et, un futur européen à construire, aux contours indécis et centré sur l'économique. C'est ce que Denis Guénoun nomme les « deux faces de l'euro » :

« Les deux faces de l'euro, ce seraient alors, comme face nationale et face européenne, la face de la reconnaissance acquise et la face du modèle projectif » ; « C'est dans cette ambivalence profonde que l'on peut reconnaître la marque du spécifiquement européen, si, comme j'ai tenté de le montrer ailleurs, il n'y a d'Europe que par cette dualité entre désidentification et identité en retour : désidentification, qui est un autre nom de l'universel, de l'universel comme devenir [...] Et de l'autre côté, identification en retour, réactive, récursive ou régressive peut-être [...] L'Europe toujours prise entre nation et monde, redevenir-nation et devenir monde, et tenant de cette ambiguïté sa singularité la plus constitutive. C'est ce que nous montrerait l'incertitude du graphisme »125(*).

L'euro, assis sur des fondements économiques, fait entrevoir l'incertitude qui le caractérise. Sa dualité en terme de graphisme rappelle qu'il demeure une monnaie objective, dont la légitimité repose sur un potentiel économique, promesse de la réussite future de l'union économique et monétaire centrée sur une institution clef : la BCE. Mais, elle rappelle aussi que l'euro est une monnaie en « mal de souveraineté », en attente d'un devenir politique et d'une cohésion sociale entre des nations a priori fortement hétérogènes.

En définitive, l'euro présente une configuration originale. Issu d'une série de traités internationaux selon des leitmotivs de nature économique, l'euro aurait-il réussi à déconnecter la valeur de l'argent des traditionnelles « garanties » symboliques qui légitiment la monnaie ? :

« Qu'avons-nous perdu (ou aussi bien : de quoi nous sommes nous affranchis) en voyant disparaître de nos billets [...] ces faces humaines que nous n'y trouverons plus ? Je ne peux me défaire de l'idée qu'on retrouve ici l'ambiguïté, l'incertitude du devenir : ou bien nous avons perdu, ou sommes en passe de perdre, cette co-implication essentielle de la valeur de et de la personne, qui fait qu'il n'est dans notre monde jusqu'à ce jour de valeur que se référant à la figure (visage ou corps) [...] Et c'est un immense, abyssal danger. Ou bien : nous nous sommes libérés, ou sommes en passe de nous libérer, d'un des vertiges, d'un des abîmes possibles de la reconnaissance : de nous affranchir, donc, de la fausse garantie d'une personne abstraite, figurale, monétaire et pour tout dire idolâtrique, d'une personne fausse et mensongère [...] n'est là que pour nous faire oublier la facticité, la figuralité trompeuse [...] comme source et garantie de l'infini commerce des images. En un mot : en passe de nous affranchir du césarisme126(*). C'est l'hypothèse confiante - l'hypothèse de la confiance : celle qui nous conduirait à répondre (pour la première fois ?) qu'il n'y a plus rien a rendre à César peut-être, que tout royaume est de ce monde, et que c'est lui, désormais, qu'il s'agit de trans-figurer »127(*).

Néanmoins, on peut douter du fait que l'économique suffise à fonder la valeur de la monnaie. Bien plus qu'un simple lien marchand, la monnaie se veut être un lien social fondamental. C'est pourquoi, l'euro a besoin d'une « béquille » nécessaire pour garantir sa souveraineté à terme. Il l'a trouvera certainement dans l'approfondissement du processus d'intégration européen, en dehors du domaine de l'économie, si le projet européen évolue dans ce sens. Ignorer cette carence reviendrait à dédaigner la nature profonde de la monnaie. Le fait que des millions d'européens parviennent à accorder leur totale confiance à l'euro n'est pas une mince affaire. Preuve en est, le passage à la monnaie unique a pris du temps, notamment en ce qu'il a fallu expliquer progressivement au grand public le phénomène dans son ensemble. La transition monétaire ne peut et ne doit en aucun cas se réduire à une simple opération technique de changement d'unité de compte :

« Rien ne serait plus faux que de réduire la question de l'abandon des anciennes monnaies nationales à ses dimensions macroéconomiques et à de simples problèmes techniques [...] Ce serait, encore une fois, réduire les citoyens à des consommateurs-usagers, utilisateurs de moyens de paiement, socialement indifférenciés, simplement attentifs aux coûts transactionnels, et dont les peurs et malaises seraient réglés par une bonne communication »128(*).

En outre, si l'euro se fonde sur une confiance d'ordre éthique, c'est-à-dire économique, il est essentiel de s'intéresser à l'institution qui en a la responsabilité : la BCE. En effet, comme le suggère Denize Flouzat, la banque centrale, à plus forte raison si elle est indépendante, se veut être l'organe qui détient la responsabilité de la gestion économique de la confiance en la monnaie :

« D'un point de vue sémantique, la banque centrale se définit comme l'institution qui se situe au centre des systèmes de paiement pour garantir les règlements et contrôler l'expansion de la masse monétaire. C'est l'institution considérée comme apte à préserver la confiance dans la monnaie »129(*).

* 119 Michel Aglietta, Espoirs et incertitudes suscités par l'euro in L'argent (précédemment cité) : p. 246.

* 120 Bruno Théret, L'euro en ses tristes symboles. Une monnaie sans âme ni culture (précédemment cité).

* 121 Denis Guénoun, Les deux faces de l'euro in L'argent (précédemment cité) : p. 278. Denis Guénoun est écrivain, philosophe et homme de théâtre. Il est professeur en poste à l'Université de Paris IV-Sorbonne.

* 122 Voir le supplément Euro du journal Le Monde, daté du 23 novembre 2001.

* 123 Idem, p. 280.

* 124 Jean-Michel Servet, Promesses et angoisses d'une transition monétaire in L'argent (précédemment cité) : p. 271.

* 125 Denis Guénoun, Les deux faces de l'euro in L'argent (précédemment cité) : p. 281 ; 282.

* 126 Il semble que Denis Guénoun nomme « césarisme » le fait que la monnaie soit l'effet direct du prince, c'est-à-dire que celle-ci soit directement liée en termes de croyance et de confiance à une puissance souveraine.

* 127 Idem, p. 282.

* 128 Jean-Michel Servet, Promesses et angoisses d'une transition monétaire in L'argent (précédemment cité) : p. 274.

* 129 Denize Flouzat, Les stratégies monétaires, PUF, Paris, 2003 : p. 47. Denise Flouzat est professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus