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Le bouddhisme theravada, la violence et l'état. Principes et réalités

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par Jacques Huynen
Université de Liège - DEA Histoire des religions 2007
  

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CONCLUSION

S'il est probable que le bouddhisme theravada ne s'est pas propagé par la violence, qu'il ne fut jamais à l'origine de violences massives comme celles qu'entraînèrent les idées de croisade ou de jihad, les différents états dont il fut, comme dit D.D.KOSAMBI233(*), « l'agent initiateur initial à l'aube de leurs histoires respectives » ont à certains moments de leur histoire connu, parfois entretenu des comportements violents, voire une violence structurelle. L'histoire des rapports entre les états de l'Indochine, du XIe EC aux débuts de la colonisation au XVIIIe EC, n'est pas moins violente que celle des états de l'Inde brahmanique puis hindoue, ou de l'Europe chrétienne. Plus inquiétante est la résurgence, après la colonisation, d'une violence latente entre états de la région, et plus ou moins patente à l'encontre des minorités à l'intérieur de ces états.

Le Sri Lanka est depuis les débuts de 2006, après un cessez-le -feu qui aura à peine duré deux ans, à nouveau engagé dans une guerre contre les Tigres Tamouls de Prabhakaran, vieille de plus de trente ans déjà et dont on ne voit pas l'issue.

En Thaïlande les troubles qui agitent les trois provinces à majorité musulmane ont été réprimés sans ménagement par le gouvernement précédent de Thaksin Shinawatra. L'échec de cette politique répressive a sans doute contribué, fin 2006, au dernier coup d'état militaire mené avec l'accord du roi sous la direction du général musulman Sonthi Boonyaratkalin. Les promesses de la junte aux insurgés du Sud (reconnaissance d'un droit personnel pour les musulmans, intégrant les stipulations de la sharia en matière de mariage et d'héritage) n'ayant pas abouti à l'apaisement des troubles on peut craindre que, dans le contexte global actuel, le conflit se prolonge. Le Bangkok Post du 19 mars 2007 rapporte la réaction du porte-parole du Constitution Drafting Committee à l'idée émise par certains milieux proches de la junte de déclarer le bouddhisme religion officielle ; le porte parole aurait déclaré que « Since the first constitution in 1932, there has never been a phrase declaring Buddhism the national religion [...] only Muslim countries declare Islam the national religion [...] the Thai people play the major rôle in protecting their religion ». Le même quotidien (20 mars 2007) rappelle que le Roi avait déjà lancé un programme d'entraînement des populations du Sud à l'autodéfense et annonce l'intention du gouvernement d'en initier un second. Le 22 mars, ce journal annonce que la Commission permanente de l'Assemblée nationale pour les affaires religieuses, morales, artistiques et culturelles recommande de déclarer le bouddhisme religion officielle dans la nouvelle constitution en chantier et d'y inscrire le principe suivant lequel le roi « protecteur de toutes les religions » doit être de religion bouddhiste. Par ailleurs les rapports entre la Thaïlande et ses voisins theravada, Myanmar, Laos et Cambodge, ou avec le Vietnam de tradition mahayana, sont marqués par une méfiance qui donne parfois lieu à des incidents violents.

Au Myanmar le Sangha, s'il est partagé vis-à-vis du régime militaire, est beaucoup plus unanime dans son opposition à l'islam et dans une réaction de type nationaliste aux défis que représentent les minorités chan (bouddhistes) et karène (chrétiens) dans l'Est et l'Ouest du pays.

Dans l'aire de tradition mahayana par contre, bien que le Mahâparinirvâna Sûtra (T 12.383b22-4) aille jusqu'à faire dire au Bouddha que le meurtre d'un icchantika ou ennemi du Dharma ne constitue pas une faute et n'entraîne pas de mauvaise conséquence karmique, la variable religieuse semble n'avoir joué aucun rôle dans les conflits entre états. Les conflits entre bouddhisme, taoïsme et confucianisme en Chine, ou entre bouddhisme et bön au Tibet, sont phénomènes du passé depuis qu'y ont triomphé dès la première moitié du deuxième millénaire EC des synthèses de type syncrétiste tao-confuciano-bouddhiste en Chine, ou bouddho-bön au Tibet. Révolus également sont les conflits de type féodal entre sectes bouddhistes qui ont marqué l'histoire du Tibet et du Japon médiéval, tandis que le nationalisme religieux des différentes sectes bouddhistes japonaises ne s'est plus manifesté depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale et que la contribution des milieux bouddhistes vietnamien à la défaite des États-Unis fut brève et guère récompensée par le PCV.

Il semble donc que, paradoxalement, en dépit de la plus grande intransigeance du Canon theravada sur le chapitre de la non-violence, la permanence à ce jour de conflits à composante religieuse soit l'inquiétante particularité des pays de tradition theravada.

Parmi les éléments d'explication nous avons cités, le fait que dans les pays theravada le bouddhisme a été adopté simultanément à leur émergence comme nation, et est constitutif de leur identité.

Découlant de ce premier facteur le fait qu'il y est, sinon religion officielle, largement majoritaire, et y bénéficie d'un statut privilégié234(*). Des voix s'y sont souvent fait entendre (Birmanie après l'indépendance, Thaïlande plus récemment) prônant de faire du bouddhisme la religion officielle et de l'inscrire dans la constitution. De nos jours à nouveau, au Sri Lanka et en Thaïlande, les partisans d'une telle « solution » qui romprait avec la traditionnelle tolérance de ces pays en la matière, ne sont pas rares. Au Sri Lanka le JHU (Jathika Hela Urumaya) et sa mouvance préféreraient cependant une loi pénalisant des « unethical conversions » obtenues, prétend-il, contre des avantages matériels.

Troisièmement, la colonisation occidentale, les confrontant aux défis de traditions religieuses étrangères à la sphère culturelle indienne, a probablement entraîné par réaction un attachement plus étroit à cette tradition fondatrice de leur identité qu'en Chine, au Japon, en Corée, et même au Vietnam, comme en général dans l'aire où domine un mahayana sinisé explicitement pluraliste, depuis la révolution néo-confucianiste de la fin du Moyen-Age, que n'a pas connue le Tibet, représentant de ce fait une exception notable dans le paysage mahayana.

Enfin, si dans les pays de tradition theravada les dieux hindous (au Sri Lanka), ou les entités animistes en Thaïlande, au Myanmar et au Cambodge, restent l'objet d'un culte, leur statut est explicitement considéré comme inférieur à celui du Bouddha dont les moines constituent une catégorie sociale protégée. Dans le mahayana sinisé par contre l'égalité, voire l'identité, des « Trois religions » (confucianisme, taoïsme et bouddhisme) est affirmée, et les moines bouddhistes ne bénéficient d'aucun statut privilégié par rapport aux clergés confucianistes et taoïstes.

Parmi les pays theravada, seule la Thaïlande - qui n'a jamais été colonisée - le Laos et le Cambodge, qui sont encore dans la zone d'influence du communisme vietnamien, échappent encore à cette tendance à la fermeture, la méfiance et l'agressivité que l'on constate au Sri Lanka et au Myanmar. Il est difficile de prévoir comment évolueraient la Thaïlande, en cas de prolongement du conflit avec l'islamisme dans le Sud, ou le Laos et le Cambodge dans un contexte vraiment pluraliste abandonnant toute référence au communisme. En contraste, la majorité des pays de tradition mahayana au moment où le bouddhisme s'y est répandu, avaient déjà identités, conceptions de l'état et traditions religieuses propres. Dans ces pays le bouddhisme partage avec d'autres religions traditionnelles qui l'y ont précédé, les allégeances de la population. En Chine, et dans l'Asie sinisée, le confucianisme fonde autant l'identité nationale que le bouddhisme et chaque individu peut se définir comme confucianiste, taoïste et bouddhiste à la fois ou à différents moments de sa vie235(*). Par ailleurs, aucun de ces pays, en dehors du Vietnam, n'a connu la colonisation occidentale alors que tous les pays theravada, sauf la Thaïlande, l'ont subie. Aux blessures de la colonisation, succèdent à présent les défis que permettent le contexte de la mondialisation : missions évangélistes, jihad islamiste et re-mobilisation de minorités financée par des flux financiers mondialisés.

L'imaginaire pâli a pris forme dans un environnement indien, tant du point de vue climatique que culturel. Dans cet environnement, les saints hommes, sannyasin et saddhu hindous, ou leurs héritiers les bhikkhu bouddhistes étaient respectés et protégés par l'état236(*). Il s'étendit à des régions encore vierges de toute structure étatique237(*), mais semblables à l'Inde par le climat. Il put donc y imposer sa conception bouddhiste de l'état comme sur une tabula rasa.

D'après cette conception, la protection du sangha compte au nombre des missions essentielles du cakkavatti ou de l'état bouddhiste. Mais dans le monde theravada contemporain, seule la Thaïlande continue encore à jouer pleinement ce rôle. Au Sri Lanka, l'état avait traditionnellement servi d'arbitre entre les très indépendants lignages monastiques (nikaya) constituant le sangha. Mais après l'indépendance, le nouvel état srilankais, en principe laïque et comprenant dans son appareil tant politique qu'administratif, nombres de chrétiens, d'hindous et de musulmans, bien que la population restât en majorité bouddhiste, n'était pas prêt à assumer à nouveau ce rôle, abandonnant le Sangha à ses divisions internes et à son incapacité à obtenir un consensus minimal sur la définition de ses intérêts communs. Au Myanmar le lien organique entre état et sangha fut rompu en 1989 avec l'arrivée au pouvoir de la junte du géneral Than Shwe. Quant au Laos et au Cambodge on peut supposer que le sangha, s'il y est protégé, est aussi muselé et surtout utilisé à ses propres fins par l'état communiste.

Peut-être peut on comprendre, sinon admettre, que les milieux nationalistes, monastiques ou laïcs, de ces sociétés encore peu développées, traditionnellement ouvertes mais relativement homogènes du point de vue religieux, où le bouddhisme theravada est depuis un millénaire au moins la religion dominante, constitutive de l'identité nationale--contrairement à celles de l'aire mahayana où le bouddhisme, arrivé après la formation de l'identité nationale et du concept d'état, n'est qu'un élément parmi d'autres d'une religiosité composite, multiforme et mouvante--se voyant défiés sur leur « territoire » par ces nouveaux venus que sont l'évangélisme protestant et l'islam soient tentées par le repli sur soi et le recours à la violence.

L'institution du sangha, telle que définie par le theravada et l'imaginaire pâli peut-elle survivre dans un environnement politique où le lien organique entre elle-même et l'état est altéré ou rompu ? L'attitude défensive de certains de ses membres, telle qu'on l'observe au Sri Lanka et en Birmanie, représente-t-elle une réponse à des défis vécus comme des menaces à un statut privilégié ? Voilà les questions que nous proposons au lecteur en guise de conclusion. J'y ajouterais une question prospective corollaire : les sangha theravada peuvent-ils s'adapter aux défis de ce monde de plus en plus global, ainsi que se sont adaptés à leurs nouveaux contextes ceux du Nord-Ouest de l'Inde, d'Asie centrale, et de Chine, il y quelque 2 000 ans déjà238(*), tout en se tenant à une lecture littérale du Vinaya (code législatif monastique) en ce qui concerne, par exemple, l'interdiction faite aux moines de s'occuper d'agriculture, ce qui impliquerait leur responsabilité dans le « meurtre » d'insectes et autres micro-organismes ?

Il se pourrait que la Thaïlande ait à cet égard indiqué la voie. Sous la conduite éclairée des rois de la dynastie Chakri, le sangha s'y est efforcé de s'engager dans des activités d'utilité publique et sociale (écoles, universités, hôpitaux, conseil et consultance y compris en agronomie) renouvelant ainsi le lien organique non seulement entre l'état et le sangha mais aussi et surtout entre ce dernier et la société civile239(*).

* 233 op.cit., p. 130.

* 234 À défaut d'y être religion officielle, pas que ces pays ont en général été réticents à franchir. Il peut être éclairant de comparer les pays de tradition orthodoxe de l'Est de l'Europe, n'ayant connu ni la Réforme ni les Traités de Westphalie aux pays theravada où le bouddhisme n'a pas dû s'accommoder de religions et philosophies politiques pré-existantes, comme il dut le faire en Chine. Autrement dit, la rencontre avec le pluralisme philosophique et religieux de la Chine a en quelque sorte joué vis-à-vis du bouddhisme le rôle qu'ont joué les Traités de Westphalie, instituant le principe de la liberté religieuse dans le christianisme d'Europe de l'Ouest.

* 235 Voir M.GRANET, La religion des Chinois, Albin Michel, Paris, 1922-1998.

* 236 Quand le bouddhisme atteignit des régions où ce respect et cette protection des moines mendiants n'allait pas de soi, ces moines durent s'adapter, devenir propriétaires, travailler la terre et même, comme au Tibet, se marier.

* 237 Le Cambodge représente une exception à cet égard puisqu'il fut converti au theravada après avoir connu une phase assez longue d'un syncrétisme hindou-mâhayana.

* 238 Voir Jean NAUDOU, Les bouddhistes kashmîriens au moyen-âge, Paris, PUF, 1968; Jacques GERNET, Les aspects économiques du bouddhisme dans la société chinoise du V e au X e siècle, Saïgon, EFEO, 1956 ; Gregory SCHOPEN, Buddhist Monks and Business Matters, Hawaii University Press, 2004.

* 239 Cf. note 229, p. 77.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery