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La République tchèque : analyse de son "retour à l'Europe"

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par Audrey Arnoult
Université Lyon 2 - Master 2 en Sciences de l'Information et de la Communication 2007
  

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Université Lyon 2

Master 2 Recherche

en Sciences de l'Information et de la Communication

Option : Médias et Identité

La République tchèque : analyse de son « retour à l'Europe »

ARNOULT Audrey

Sous la direction d'Isabelle GARCIN MARROU

Juin 2007

Université Lyon 2 Université Lyon 3 ENS LSH

Université Lyon 2

Master 2 Recherche

en Sciences de l'Information et de la Communication

La République tchèque : analyse de son « retour à l'Europe »

ARNOULT Audrey

Sous la direction d'Isabelle GARCIN MARROU

Résumé :

L'entrée officielle de la République tchèque dans l'Union européenne le 1er mai 2004 constitue un événement historique majeur. Il marque le « retour en Europe » d'un pays séparé de l'Europe occidentale par quarante années de communisme. Des discours médiatiques se sont saisis de cet événement tout au long de l'année 2004 en proposant une représentation stéréotypée de ce pays et en se focalisant sur sa situation économique et sociale.

Mots clés : République tchèque, Union européenne, identité nationale, opinion publique

Abstract :

The official entry of the Czech Republic into the European Union May 1st 2004 constitutes an historic event. It symbolizes the return in Europe of a country separated from western Europe by forty years of communism. The media made of the most this event during all 2004 giving a stereotyped representation of this country and focusing on its economic and social situation.

Mots clés : Czech Republic, European Union, national identity, public opinion

Juin 2007

Université Lyon 2 Université Lyon 3 ENS LSH

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Isabelle Garcin-Marrou pour sa disponibilité et ses précieux conseils.

Merci également à Caroline, Pauline, Florence et Stéphanie pour leur relecture, leurs suggestions et leur soutien.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 5

PREMIERE PARTIE : LA NATION TCHEQUE A TRAVERS L'HISTOIRE 11

I. Constitution et évolution de l'identité nationale tchèque 11

A. Définition des concepts 11

B. La renaissance nationale et la constitution de l'identité nationale tchèque au XIXème siècle 17

C. L'identité tchèque au XXème siècle et XXIème siècle 23

II. Les opinions publiques et les partis politiques face à l'élargissement 29

A. Les craintes des opinions publiques française et tchèque : des craintes essentiellement économiques et sociales 30

B. La position des partis politiques tchèques face à l'intégration dans l'UE 37

DEUXIEME PARTIE : LA REPRESENTATION MEDIATIQUE DE LA REPUBLIQUE TCHEQUE EN 2004 46 

I. La représentation de l'identité nationale tchèque 48

A. Le Monde : la République tchèque, une nation « politique » 48

B. L'Humanité : une seule référence, l'histoire 49

C. Le Figaro : une nation culturelle qui s'occidentalise 50

D. La Croix : un pays attaché à son folklore 54

E. Libération : un pays qui s'occidentalise 57

II. L'opinion publique et les partis politiques tchèques face à l'intégration 61

A. La construction de l'opinion publique dans les discours médiatiques 61

B. La désignation des partis politiques et leur position par rapport à l'Europe 70

C. Les « dérives » de la vie politique 78

III. La dimension économique et sociale 85

A. Le Monde : une économie intégré 86

B. L'Humanité : l'économie tchèque, une économie fragile 88

C. Le Figaro : une sanction ambiguë 90

D. La Croix : une transition pas encore achevée 92

E. Libération : une économie marquée par l'héritage communiste 96

IV. V. Havel, les ambiguïtés de la mondialisation 100

A. Rationalité économique versus dimension humaine 101

B. Les arguments invoqués 102

C. La place accordée à l'auditoire 103

CONCLUSION 104

BIBLIOGRAPHIE 107

TABLE DES MATIERES 1 14

INTRODUCTION

Suite à l'effondrement du bloc soviétique, nous devons « chercher un nouveau `chez-soi'1(*) en Europe et dans le monde, et établir de nouveaux liens avec nos voisins. Nous ne voulons pas redevenir le satellite de qui que ce soit. En même temps, nous ne voulons pas exister dans le vide, croire que nous nous suffisons à nous-mêmes et qu'il ne faudra pas prendre les autres en considération. Nous aimerions encore moins former une zone de choc ou le no man's land entre une immense Union soviétique dont l'évolution est explosive et l'Europe occidentale démocratique »2(*). Ainsi s'exprimait V. Havel en 1992, soulignant l'importance du « retour à l'Europe »3(*) pour les Tchèques. Il considérait ce retour non pas comme l'intégration du peuple tchèque à l'Europe mais comme la réintégration d'une nation qui a « été privée de [ses] traditions, racines et idéaux par la force »4(*). Elle retourne ainsi sur le chemin qu'elle avait jadis suivi mais dont elle a été mise à l'écart suite à la Seconde Guerre Mondiale. Le 1er mai 2004, ce « retour à l'Europe » est devenu réalité pour la République tchèque mais aussi pour tous les pays d'Europe centrale. Cet événement, d'une importance historique majeure, est celui sur lequel nous avons choisi de travailler, et ce pour plusieurs raisons.

Ce sont à la fois des intérêts personnels et des motivations « scientifiques » qui nous ont poussés à nous intéresser à cet événement. Après avoir vécu plusieurs mois en République tchèque, nous avons constaté qu'il existait un décalage entre la représentation que les Français avaient de ce pays et la réalité quotidienne. La République tchèque est en fait presque inconnue des Occidentaux qui l'associent aux anciens pays communistes mais n'en savent pas beaucoup plus. Pour Miroslav Hroch, la presse n'est pas étrangère à ce manque d'information. Il pointe du doigt la presse occidentale dont les « articles donnent implicitement l'impression au lecteur occidental que l'arrivée de ces pays dans l'UE serait synonyme de désordre, de déclin économique, voire d'augmentation de la criminalité »5(*). Il va jusqu'à comparer le traitement médiatique dont font l'objet les pays d'Europe centrale dans la presse occidentale à un nouveau rideau de fer : « Le « rideau de fer » fut érigé en guise de ligne de démarcation destinée à protéger le communisme face à la démocratie. L'ironie du sort veut que, après la chute du communisme, ce ne soit pas l' « Est », mais en premier lieu les médias occidentaux (et la plupart des intellectuels) qui contribuent à pérenniser la barrière mentale qui est le pendant spirituel du « rideau de fer »6(*). Cette critique a retenu notre attention et il nous a paru intéressant de comprendre le regard que portent les médias sur la République tchèque au moment de son entrée dans l'Union européenne (UE) et les logiques qui structurent leurs discours. Outre son rôle d'information sur la situation économique, politique et sociale de la France, la presse quotidienne est le principal vecteur d'information concernant l'international. C'est pourquoi, au moment où l'UE s'apprête à accueillir dix nouveaux pays membres, cette réflexion sur les représentations que proposent les journaux s'avère nécessaire. En effet, ces représentations structurent notre imaginaire social et ont un impact sur la façon dont l'opinion publique française appréhende l'élargissement de l'Europe.

Au-delà de cette critique émise par M. Hroch, d'autres raisons ont motivé notre choix. Notre objectif initial était de travailler sur l'évolution de la représentation de la République tchèque depuis sa naissance, c'est-à-dire le 1er janvier 1993. Cependant, confrontés à un corpus relativement important il n'était pas possible de mener à bien cette recherche de façon pertinente. Nous avons donc choisi de nous recentrer sur un moment précis, important dans l'histoire de ce pays et propice à l'émergence de discours médiatiques dans l'espace public français. L'élargissement de l'UE nous a donc semblé être un événement relativement intéressant. Comme le soulignait V. Havel, il consacre le « retour à l'Europe » d'un pays qui était autrefois lié à l'Europe par ses valeurs et sa culture. L'entrée dans l'UE est aussi une date symbolique, qui sanctionne la fin de la transition politique, économique et sociale des anciens pays communistes. Enfin, au-delà du consensus et du caractère « inévitable » de cette réunification, l'élargissement de l'UE soulève certaines questions et est porteuse de plusieurs enjeux. Tous les pays européens sont confrontés à la question de l'identité nationale : comment construire, bâtir une union économique, politique et sociale sans diluer les identités nationales des pays membres ? La question se pose avec encore plus d'acuité quand il s'agit des pays d'Europe centrale. En effet, tous et dans le cas de notre étude, la République tchèque, ont retrouvé leur souveraineté et leur indépendance après la chute du mur de Berlin et l'effondrement du système soviétique. Leur identité nationale s'est progressivement redéfinie. L'intégration dans l'UE représente un nouveau défi et pose à nouveau la question de la définition de l'identité nationale.

Notre étude consistera en une analyse synchronique des discours médiatiques portant sur la République tchèque au moment de son entrée dans l'UE. Elle nous permettra de comprendre comment la presse s'est saisie de cet événement pour nous proposer une représentation de la République tchèque. Nous nous attacherons également à déceler les similitudes et les divergences qui peuvent exister entre les différents journaux.

Notre travail repose sur les hypothèses suivantes :

- La République tchèque est un pays méconnu des Occidentaux. Au moment de son entrée dans l'UE, nous pouvons supposer que les discours se contenteraient d'en proposer une représentation stéréotypée, associant ce pays à quelques grandes dates historiques telles que 1918, 1968 ou encore 1989. Cette représentation de la République tchèque se réduirait à quelques traits typiques qui ne reflètent pas la complexité de son identité nationale.

- Le « retour à l'Europe » de la République tchèque est une évidence pour les intellectuels et les hommes politiques tchèques. Leur pays est lié par son passé à la culture et aux valeurs occidentales, avant d'avoir été kidnappé pour reprendre les termes de Milan Kundera7(*). Cependant, nous faisons l'hypothèse que loin de mettre en avant les points communs entre ce pays et l'Europe occidentale, les médias présenteraient la République tchèque comme un pays encore marqué par quarante années de communisme aussi bien au plan politique, qu'économique ou social.

- La nation française est considérée comme une nation politique c'est pourquoi, nous pouvons supposer que c'est à travers le prisme de la nation civique que la République tchèque sera représentée dans les discours. Les journaux nous préciseraient les éléments de son histoire en tant que nation civique, occultant ainsi certains aspects fondamentaux de la nation culturelle.

Corpus et méthode d'analyse :

Afin d'infirmer ou de confirmer nos hypothèses, nous avons choisi de travailler sur des articles de presse quotidienne française dans une perspective comparative qui nous permettra de déceler les similitudes et les divergences qui existent entre les discours médiatiques dont fait l'objet la République tchèque. C'est pourquoi, nous avons choisi de travailler sur cinq quotidiens aux orientations politiques différentes afin de pouvoir dégager une analyse plus juste des représentations dont sont porteurs Le Monde, Libération, Le Figaro, L'Humanité, et La Croix. Nous avons sélectionné les articles qui contenaient le terme « République tchèque » dans le titre et ceux dans lesquels le terme « République tchèque » était récurrent. Nous avons exclu de cette sélection les articles relatifs au sport, qui ne nous semblaient pas pertinents dans le cadre de notre sujet. En outre, nous n'avons pas retenu les articles portant sur l'UE ou sur l'Europe centrale en général dans lesquels la République tchèque était uniquement citée. Enfin, nous avons pris comme limite temporelle l'année 2004 puisque l'entrée officielle dans l'UE s'est réalisée le 1er mai 2004. Nous avons jugé intéressant d'inclure les articles portant sur les élections européennes de juin 2004 car elles représentent la première participation des Tchèques à la démocratie européenne.

Nous aurons recours à deux méthodes pour analyser ces discours médiatiques. Dans un premier temps, l'analyse du corpus sera une analyse essentiellement basée sur les champs lexicaux et les termes utilisés par les journalistes, ce qui nous permettra de comprendre les représentations que proposent les différents quotidiens. Nous nous intéresserons donc principalement au contenu et aux thèmes des articles pour cerner de façon la plus précise possible les représentations médiatiques.

Nous compléterons l'analyse terminologique de notre corpus par une analyse argumentative. En effet, dans plusieurs articles la parole est donnée à des énonciateurs seconds, tchèques. Nous avons donc jugé intéressant de procéder à une analyse argumentative de leurs propos afin de voir quels sont les arguments mobilisés pour justifier l'intégration de la République tchèque dans l'UE.

Dans un premier temps, nous nous appuierons sur la distinction établie par Ruth Amossy entre discours à visée argumentative et discours à dimension argumentative qui permet de dépasser l'opposition entre discours argumentatifs et discours non-argumentatifs. Alors que la dimension argumentative est « inhérente à de nombreux discours », les énoncés à visée argumentative sont moins nombreux et consistent en « une entreprise de persuasion soutenue par une intention consciente et offrant des stratégies programmées à cet effet »8(*). Les énoncés à dimension argumentative se contentent de transmettre un point de vue sur des choses mais ne prétendent pas « modifier expressément les positions de l'allocutaire ». Cette distinction nous permettra de départager les discours qui feront l'objet d'une analyse argumentative des propos qui sont simplement cités par les quotidiens. Loin de vouloir démontrer ou réfuter une idée, cette dernière catégorie de discours « apparaît souvent comme une simple tendance de donner à voir un pan de réel ; elle ne désire pas prouver, et parfois même s'en défend »9(*). Enfin, il nous faudra repérer et expliquer pourquoi certains quotidiens recourent à des énoncés à visée argumentative tandis que d'autres privilégient les énoncés à dimension argumentative.

Afin d'analyser les énoncés à visée argumentative, nous utiliserons la typologie de Chaïm Perelmann qui vise à mettre au jour les types d'arguments mobilisés par l'orateur afin de « provoquer ou d'accroître l'adhésion d'un auditoire aux thèses qu'on présente à son assentiment »10(*). Cette analyse ne prétend pas juger de la validité des arguments ni évaluer les moyens mis en oeuvre pour persuader l'auditoire mais s'attache essentiellement à repérer les techniques argumentatives employées. C. Perelman en distingue quatre : les arguments quasi-logiques, les arguments fondés sur la structure du réel qui « se basent sur les liaisons qui existent entre des éléments du réel »11(*), les arguments qui fondent la structure du réel et « qui à partir d'un cas particulier connu, permettent d'établir un précédent, un modèle ou une règle générale »12(*) comme les raisonnements par le modèle et l'exemple et enfin la technique argumentative « qui a recours aux dissociations »13(*). Elle consiste à dissocier les un des autres des éléments du réel pour aboutir à une nouvelle organisation du donné. Nous appliquerons cette typologie aux deux discours de notre corpus que nous avons isolés comme énoncés à visée argumentative, afin de comprendre quels moyens sont mis en oeuvre par des énonciateurs tchèques pour convaincre les lecteurs français du bien fondé de l'intégration de la République tchèque dans l'UE.

Ces deux méthodes d'analyse nous permettront de confirmer ou d'infirmer nos hypothèses. Grâce à l'analyse terminologique nous pourrons préciser la représentation de la République tchèque comme nation politique ou nation culturelle mais aussi comprendre comment les quotidiens décrivent la situation économique, politique et sociale de ce pays. L'analyse argumentative et les types d'énoncés employés nous sera utile pour voir quels sont les propos des Tchèques que les médias choisissent de rapporter et s'ils mettent l'accent sur les points communs entre leur pays et l'Europe occidentale.

Dans une première partie nous nous intéresserons à l'histoire de la nation tchèque du XIXème siècle à son entrée dans l'UE. Cette étape est essentielle pour comprendre les spécificités de cette nation et l'enjeu que représente l'entrée dans l'UE. Cela nous amènera également à aborder la position de l'opinion publique et des partis politiques tchèques par rapport à l'élargissement. Notre deuxième partie sera consacrée à une analyse de contenu des discours de notre corpus pour mettre au jour les représentations de la République tchèque proposées par les quotidiens. Ainsi, nous pourrons mettre en valeur les divergences et/ou les similitudes entre les discours des journaux mais également mesurer l'écart entre les discours de presse et les discours qui circulent dans l'espace public tchèque. L'analyse nous permettra en dernier ressort d'infirmer ou de confirmer les hypothèses exposées précédemment.

Avant de poursuivre, nous tenons à préciser que nous utiliserons le terme « Europe centrale » pour désigner les pays « qui s'étendent entre l'Allemagne et les frontières de l'ancienne Union soviétique »14(*). En effet, nous avons trouvé au cours de nos lectures différentes expressions (Europe de l'Est, Europe médiane, l'Autre Europe....) mais le terme « Europe centrale » reste le plus courant.

PREMIERE PARTIE : LA NATION TCHEQUE A TRAVERS L'HISTOIRE

Pour comprendre comment les médias français représentent la République tchèque au moment de son entrée dans l'UE, il est nécessaire de revenir sur la constitution de la nation tchèque et l'évolution de son identité. L'intégration dans l'Europe constitue un événement historique majeur pour ce pays car il symbolise son « retour à l'Europe ». Toutefois, cet élargissement suscite des craintes à la fois dans les pays candidats et les pays membres. Nous consacrerons donc une partie à l'étude de l'opinion publique et de la position des partis politiques tchèques par rapport à l'intégration, ce thème n'étant pas sans lien avec la question de la constitution de la nation tchèque.

I. Constitution et évolution de l'identité nationale tchèque

Notre objectif est ici de comprendre le processus de constitution de la nation tchèque et comment l'identité nationale de ce pays peut-elle être définie, ce qui nous fournira des éléments nécessaires pour comprendre les discours de presse. Nous commencerons par définir les concepts de nation et d'identité nationale. Puis, nous reviendrons sur la naissance du sentiment national tchèque au milieu du XIXème siècle. Enfin, nous envisagerons les événements qui ont eu un impact sur l'identité tchèque au XXème et au XXIème siècles. Nous aurons recours à différents auteurs spécialistes de la question de la nation et du nationalisme en Europe centrale, et plus particulièrement à la typologie d'Anne-Marie Thiesse qui nous permettra de conceptualiser le terme d'identité nationale.

A. Définition des concepts

1. La nation : un concept et deux significations

Etymologiquement, le terme de nation vient du latin nascere qui désigne un groupe d'hommes ayant une origine commune. Au fil des siècles, la signification de ce terme a évolué et il est désormais courant de distinguer deux acceptions du terme « nation » : la nation civique qui correspond au modèle français et la nation ethnoculturelle ou ethnique qui correspond au modèle allemand. La plupart des auteurs considèrent ces deux conceptions de la nation comme antagonistes15(*) mais certains rejettent cette dichotomie. C'est le cas d'Anne Marie Thiesse16(*) ou d'Alain Dieckoff17(*). Ils prétendent que cette opposition doit être relativisée : tout mouvement national résulterait de la dialectique entre culture et politique. Notre but n'est pas de juger de la pertinence de cette dichotomie mais de souligner les différences entre ces deux conceptions. Cela nous permettra de comprendre la façon dont les médias français parlent d'une nation d'Europe centrale considérée comme une nation culturelle.

a) La nation civique ou politique

La conception française de la nation a été développée en particulier par Ernest Renan en 188218(*) et se distingue de la conception allemande théorisée par Herder. Dans sa conférence du 11 mars 1882, E. Renan montre que la naissance des nations est un phénomène nouveau dans l'histoire dont il veut comprendre les ressorts. Il considère que la nation est un fait tangible qui n'est fondée ni sur la langue, ni sur la religion, ni sur la race, ni même sur le territoire. Il conçoit la nation comme une entité politique qui naît du désir de vivre ensemble exprimé par les individus et de la « possession en commun d'un riche legs de souvenirs »19(*). Dans cette conception, l'Etat préexiste à la nation. Il y a donc coïncidence entre les frontières de l'Etat et celles de la nation. Le terme de « nation » est souvent employé comme synonyme d' « Etat » et réciproquement, d'où l'expression « Etat nation ». Cette nation politique peut se définir comme « une communauté d'égaux, de citoyens détenteurs de droits, unis par l'attachement patriotique à des pratiques et à des valeurs politiques partagées »20(*). Dans ce modèle de la nation, l'appartenance repose donc sur la citoyenneté et la libre adhésion aux principes d'une communauté politique qui peut être rompue à tout moment.

b) La nation culturelle ou ethnique

A l'inverse, dans la conception allemande théorisée par Herder, la nation est fondée sur le sol et assimilée à une communauté de langue et de culture. Contrairement à la conception civique, elle n'est donc « pas une affaire de choix ou de convention, elle n'est pas constituée d'un ensemble plus ou moins accidentel de personnes définies par leur domicile et par leur citoyenneté : c'est une communauté tribale organique donnée de « nature » ; l'individu y entre par naissance sans l'avoir choisie et il y est soumis de façon permanente. La langue nationale est la marque incontournable de la nation et de sa base naturelle »21(*). Pour les romantiques allemands, la nation n'est que la concrétisation d'une communauté culturelle et ne repose donc pas sur l'appartenance à un Etat. Bien souvent, elle ne dispose pas de structures étatiques et il n'y a pas de coïncidence entre les frontières de la communauté ethnique et les frontières de l'Etat. Dans cette acception du terme, la nation n'est pas un concept politique puisque les individus ne sont pas considérés comme les citoyens d'un Etat, détenteurs de droits mais un concept culturel, la langue et la culture étant les critères d'appartenance à la nation.

c) La situation de l'Europe centrale au XIXème siècle

Contrairement aux pays d'Europe occidentale, l'Europe centrale se caractérise par la non coïncidence entre les frontières ethniques et les frontières politiques. Ainsi, la conception française de la nation, héritée du XVIIIème siècle, ne permet pas de comprendre la situation de l'Europe centrale au XIXème siècle puisque les peuples ne sont pas les citoyens d'un Etat, mais sont unis par une culture et une langue communes. A l'époque, les Tchèques sont intégrés à l'empire des Habsbourg, un empire multinational dans lequel ils coexistent avec les Allemands, les Hongrois, les Slovaques et les Autrichiens, des peuples aux cultures et aux langues différentes (cf. Annexe n°1). La nation tchèque et plus généralement toutes les nations d'Europe centrale, sont donc considérées comme des nations culturelles.

Comme le souligne A. Dieckoff, l'opposition entre nation civique et nation culturelle doit être relativisée car la réalité est plus complexe. Cependant, cette dichotomie constitue un modèle théorique qui peut se révéler être un outil d'analyse pertinent.

2. Le concept d'identité nationale

Le concept d'identité nationale est également une notion à laquelle de nombreux auteurs se sont intéressés. Nous avons choisi de nous appuyer sur la définition proposée par Anne-Marie Thiesse22(*). L'intérêt de son analyse est d'avoir souligné les diverses composantes de l'identité nationale sans avoir privilégié un élément particulier.

a) Naissance et création de l'identité nationale

Pour Anne-Marie Thiesse, la naissance des identités nationales en Europe se situe autour du XIXème siècle. La formation de l'identité nationale bouleverse les points de repères des individus. Au lieu de s'identifier à un groupe ou à une communauté locale, ils vont désormais s'identifier à un collectif beaucoup plus vaste : la nation. L'identité nationale n'est pas créée ex nihilo mais résulte en partie d'une reconfiguration des identités qui lui préexistaient. C'est ce processus de recomposition/création qui va permettre la naissance des nations, des communautés imaginées. A-M. Thiesse insiste sur ce travail de création qui est à l'oeuvre dans la constitution de l'identité nationale. Il permet de doter la communauté de nouvelles références auxquelles chacun peut s'identifier. En effet, au XVIIIème siècle, il existe peu de points communs entre un paysan et un intellectuel tchèques. C'est la création d'une identité nationale qui va leur permettre d'avoir le sentiment d'appartenir à une même communauté.

b) Les composantes de la « check list identitaire »23(*)

Pour A-M. Thiesse, toutes les identités nationales se déclinent selon une liste commune : la « check list identitaire » qui regroupe différents éléments. Nous allons les détailler afin de voir à quoi ils renvoient dans le contexte tchèque24(*) :

- Les héros : ils sont la première composante de l'identité nationale. Ils incarnent des valeurs nationales et sont choisis parmi toutes les figures importantes de l'histoire de la nation quitte à la réinterpréter. Les héros tchèques sont principalement des intellectuels (K. Havlicek Borovský25(*), Frantiek Palacký26(*), Tomá Garrigue Masaryk27(*)), des religieux (Saint Venceslas28(*), Jan Hus29(*)) et des écrivains dont les ouvrages sont aujourd'hui considérés comme des chefs d'oeuvre nationaux. C'est le cas de Jaroslav Haek, auteur du Brave soldat Chveik, un personnage naïf qui incarne le peuple tchèque, et de Boúena Nìmcova pour son roman La grand-mère.

- Le mythe des ancêtres fondateurs : il permet d'expliquer l'origine de la nation.

- L'histoire : elle joue un rôle important dans la constitution de l'identité nationale et permet d'établir la continuité d'une nation à travers les siècles. L'élite intellectuelle privilégie certaines périodes, en occulte ou en réinterprète d'autres dans le but d'écrire une histoire glorieuse de la nation. Le règne de Charles IV (1316-1378) est l'une des périodes clés de l'histoire tchèque. Roi de Bohême et empereur du Saint empire romain, son règne est synonyme de prospérité pour les Pays tchèques30(*) à la fois au plan économique, politique et culturel.

- La langue : avant d'être nationale, il n'est pas rare que sur un même territoire coexistent des langues différentes parlées ou écrites comme fut le cas en Bohême jusqu'à la fin du XIXème siècle. Les élites prennent en charge l'élaboration d'une langue nationale. Cette mission s'est traduite dans les Pays tchèques par la modernisation de la langue, une production littéraire intense et la création d'associations destinées à diffuser des oeuvres.

- Les lieux de mémoire : A-M. Thiesse ne développe pas cette composante de l'identité nationale. Nous pouvons supposer qu'elle renvoie aux lieux qui ont une signification symbolique dans l'histoire de la nation.

- Les monuments historiques : la notion de patrimoine naît avec l'élaboration de l'histoire nationale. Certains bâtiments sont associés à l'histoire de la nation et doivent donc être protégés.

- Le territoire : il constitue l'un des attributs d'une nation, plus délicat à identifier. Souvent les peuples font valoir des droits de propriétés ancestrales sur tel ou tel territoire qu'ils auraient habité auparavant. Ainsi, tout au long du XIXème siècle, les élites tchèques exigent la reconnaissance des droits de la Couronne de Bohême31(*) pour délimiter le territoire de la nation tchèque. Cette revendication est en partie satisfaite par la création de la Tchécoslovaquie en 1918.

- Le paysage typique : il est choisi comme symbole de la nation et représenté dans les oeuvres littéraires et picturales.

- Le folklore : l'identité nationale se matérialise au travers des coutumes, des traditions mais aussi dans les costumes populaires propres à chaque région. L'auteur précise qu'en Europe centrale et orientale, les costumes nationaux sont revêtus par toutes les couches de la population lors de bals patriotiques ou de fêtes publiques.

- La gastronomie et l'animal emblématique : ils peuvent venir compléter cette liste mais restent secondaires.

- La religion : A-M. Thiesse exclut la religion car elle considère que le dépassement des différences religieuses a souvent été à l'origine de la création des nations. Dans certains cas cependant, elle reconnaît que la religion a pu jouer un rôle important comme en Pologne, quand l'identité nationale était affaiblie ou menacée. A l'inverse pour les Tchèques, ce sont des élites laïques et non ecclésiastiques qui ont oeuvré pour l'éveil de la conscience nationale32(*).

Cette « check list identitaire » « constitue [...] la matrice de toutes les représentations de la nation »33(*). Il faut préciser qu'aucune des composantes de cette liste n'est mise en avant par l'auteur. Il semble pourtant que ces éléments n'ont pas un poids égal dans la constitution de l'identité nationale du moins en ce qui concerne le peuple tchèque.

c) L'Autre, une figure constitutive de l'identité nationale

Pour A-M. Thiesse « la formation de ces identités, contrairement à une opinion répandue, n'a pas pour vecteur initial le sentiment d'altérité»34(*). Cela nous semble une idée à nuancer. Si l'identité nationale résulte bien d'un processus de création qui mobilise une élite intellectuelle, la constitution de cette identité se fait également en opposition à un « Autre ». Pour Françoise Mayer « elle s'est construite par rapport à l'autre [...]. Que cet autre peut changer au cours du temps, qu'il s'agit en général de « l'autre », le plus proche. Pour les Tchèques, historiquement, la question « Qui sommes-nous ? » s'est d'abord posée par rapport aux Allemands, ensuite aux Autrichiens, puis par rapport aux Russes et enfin aux Slovaques. Aujourd'hui, elle se pose sans doute aussi de nouveau par rapport aux Allemands et par rapport à l'Europe »35(*). La prise en compte de cet « Autre » nous parait indispensable pour comprendre la constitution de l'identité nationale tchèque au XIXème siècle comme pour envisager les enjeux que représente l'intégration dans l'UE. Les Tchèques ont affirmé leur identité en s'opposant au peuple allemand associé dans leur imaginaire à la figure de l'ennemi. En effet, certaines périodes de l'histoire ont contribué à forger le stéréotype de l'Allemand violent et dangereux dans la mémoire collective. Aujourd'hui, il a tendance à s'atténuer mais reste présent dans la plupart des esprits.

d) La dimension collective de l'identité

A-M. Thiesse précise que la création de l'identité nationale permet aux membres d'une même nation d'avoir conscience de leur appartenance. Elle envisage ce sentiment d'appartenance comme le résultat d'un processus alors qu'il constitue, à nos yeux, un élément moteur dans la constitution de cette identité. En effet, l'identité a une double dimension : singulière et collective. Il n'est pas possible de la réduire à l'une des ces deux composantes car « le propre de l'identité est bien d'articuler notre appartenance et notre singularité »36(*). La dimension collective se traduit par la nécessité d'appartenir à un groupe, ici la nation. Cette appartenance doit faire l'objet d'une représentation symbolique afin que les individus puissent en prendre conscience et se sentir membres de cette nation. Nous développons cette idée dans la partie suivante. Si la « check list identitaire » d'A-M. Thiesse permet de comprendre ce que recouvre le concept d'identité nationale, la figure de l'Autre et la dimension collective de l'identité sont deux éléments à prendre en compte dans la constitution de l'identité nationale tchèque.

B. La renaissance nationale et la constitution de l'identité nationale tchèque au XIXème siècle

Nous avons choisi de nous concentrer sur le rôle de la langue dans la constitution de l'identité nationale tchèque, généralement considérée comme le principal facteur de l'identité nationale. Nous comprendrons ainsi pourquoi le nationalisme tchèque est qualifié de nationalisme linguistique et le rôle joué par les Eveilleurs dans le réveil de la conscience nationale. Enfin, nous consacrerons une dernière partie au théâtre tchèque qui témoigne de l'importance de la langue, et plus généralement de la culture, dans la constitution de la nation tchèque.

1. La naissance de l'identité nationale tchèque : un nationalisme linguistique

a) La langue : un facteur essentiel de l'identité nationale

Du XIIème au XIXème siècle, Tchèques et Allemands coexistent en Bohême sans conflit majeur (cf. Annexe n°2). Jaromír Louúil parle même d'une « identité commune ». Progressivement, les deux communautés se développent de façon asymétrique. Les Pays tchèques ont un poids économique relativement important au sein de l'empire mais leur culture et leur langue sont dominées par les Allemands. A cette période « les Tchèques commencèrent à se définir [...] vis-à-vis des Allemands de Bohême »37(*). Il est nécessaire de préciser quelques éléments pour comprendre le contexte de la naissance du nationalisme linguistique tchèque. A la fin du XVIIIème siècle, le tchèque est une langue populaire parlée mais relativement peu écrite, les villes de Bohême étant essentiellement allemandes. Ce n'est qu'à partir du milieu du XIXème siècle que la langue va faire l'objet d'une attention particulière. Influencée par le romantisme qui affirme l'enracinement de la nation dans la langue et face aux menaces du nationalisme pan-germanique allemand38(*), l'intelligentsia tchèque39(*) entreprend de préserver la langue tchèque, de l'enrichir et de l'utiliser dans la sphère publique. Contrairement à la langue allemande, la langue populaire tchèque va jouer un rôle important dans la constitution du tchèque moderne. Cette affirmation de la nation par la langue constitue le début du réveil national40(*) que J. Louúil définit comme « l'histoire d'une reconquête progressive de l'espace linguistique, littéraire et culturel »41(*), trois qualificatifs qui illustrent bien les spécificités du nationalisme en Europe centrale.

La langue devient le ciment de l'identité nationale, l'élément constitutif de la nation. Elle n'est plus uniquement conçue comme un moyen de communication, elle devient un signe distinctif d'appartenance à une communauté. La langue opère comme signe de reconnaissance : parler tchèque c'est être tchèque. Dès lors, la nation va être assimilée à la langue. Cela explique que la majorité des conflits entre Tchèques et Allemands, dans la seconde moitié du XIXème siècle, soient de nature linguistique. Par exemple, en 1882, les Tchèques obtiennent que l'Université Charles, où les cours étaient jusqu'alors dispensés en allemand, crée un département de tchèque. Les étudiants peuvent donc, à la fin du XIXème siècle, étudier dans leur langue maternelle. C'est pourquoi, plusieurs intellectuels tchèques du XIXème développent l'idée selon laquelle menacer la langue c'est menacer la nation42(*). C'est bien la langue qui va devenir le pôle d'identité du peuple tchèque, et non pas les structures étatiques comme en Europe occidentale. L'attachement à la langue est donc au coeur du sentiment d'appartenance comme l'illustre le philosophe polonais Karolt Libelt : « la nation demeure vivante tant que sa langue demeure vivante » « sans langue nationale, il n'y a pas de nation » puisque « la langue est le sang qui circule dans le corps de la nation »43(*).

b) Le territoire, une autre composante importante

La langue est un facteur identitaire fondamental en Europe centrale. Toutefois, certains auteurs insistent sur un second élément constitutif de l'identité nationale : le territoire44(*). Ainsi, B. Michel utilise l'expression « imaginaire du sol »45(*) qui dénote bien l'attachement des peuples d'Europe centrale à leur territoire et permet de comprendre le terme de « patriotisme territorial ». Ce patriotisme se distingue de l'attachement patriotique à des pratiques et à des valeurs politiques caractéristiques d'une nation civique. Pour un Tchèque, ce qui importe avant tout, ce sont sa langue et son territoire. Quant à elle, Maria Delaperrière écrit : « avant même de s'attacher à des références historiques et sociales, le sentiment d'identité nationale se construit par rapport à un territoire et à un lieu d'origine »46(*). Pour les Tchèques, ce territoire c'est la Bohême. De nombreuses oeuvres littéraires illustrent cet attachement au territoire, la plus emblématique étant l'hymne national tchèque (cf. Annexe n°3). Composé en 1833-1834 par Frantiek kroup, il décrit un paysage idyllique. Selon Maria Delaperrière, cela permet de cristalliser dans l'imaginaire collectif le lien du peuple avec sa terre natale. Ce texte participe ainsi à la constitution d'un sentiment identitaire.

c) Le nationalisme tchèque : un nationalisme linguistique

Le nationalisme tchèque est donc un nationalisme linguistique puisqu'il visait dans un premier temps à protéger la langue tchèque face à l'expansion allemande, perçue comme une menace pour la nation tchèque. Les Allemands ont constitué le premier miroir nécessaire à la construction de l'identité nationale tchèque, d'où le qualificatif « défensif » que plusieurs auteurs emploient pour définir le nationalisme tchèque47(*). Le nationalisme tel qu'il s'est développé au XIXème siècle ne doit pas être entendu dans une acception péjorative comme c'est bien souvent le cas aujourd'hui. Pour B. Michel, il ne doit pas être réduit à la xénophobie et au rejet de l'autre même si ces comportements peuvent être une forme de nationalisme. « Le vrai nationalisme est une recherche passionnée de l'identité nationale qui ne peut être atteinte que par un effort sur soi-même »48(*).

2. Le rôle des Éveilleurs dans l'éveil de la conscience nationale tchèque

Le terme « Éveilleurs» est employé pour désigner les intellectuels qui ont participé à l'éveil de la conscience nationale et contribué à renforcer la culture tchèque relativement appauvrie à la fin du XVIIIème siècle. Les idées et les théories qu'ils ont émises au XIXème siècle sur la question de l'identité tchèque constituent le socle de la pensée politique tchèque. Afin de comprendre le regard que portent les dirigeants politiques du XXème et XXIème siècles sur leur pays et sur la place de leur nation en Europe, il convient d'évoquer les idées diffusées par cette intelligentsia.

a) Une élite populaire

Bruno Drwêski souligne que « l'identité tchèque a des origines sociales particulières »49(*). Contrairement à la Pologne ou à la Hongrie, ce n'est pas la noblesse tchèque qui est à l'origine de l'éveil de la conscience nationale, mais une intelligentsia issue des couches populaires. En effet, la plupart des Éveilleurs étaient des fils d'artisans ou de paysans qui ont donc « eu une mission spéciale puisqu'ils ont tenu dans cette société la place d'une bourgeoisie et de classe moyenne qui n'existait pas »50(*). Ils se sont sentis investis d'un rôle particulier et le fait qu'ils soient peu nombreux a contribué à renforcer leur sentiment de responsabilité envers la nation. Cette précision permet de comprendre le statut dont jouissent encore aujourd'hui les intellectuels tchèques dans la société et notamment dans la vie politique.

b) Joseph Jungmann et Frantiek Palacký : deux figures importantes dans l'histoire de la nation tchèque

Le philologue Joseph Jungmann (1773-1847) est l'un des éveilleurs les plus connus. Fils d'un tailleur, il exerce comme enseignant en province avant de devenir professeur à Prague. Il définit l'identité nationale par la pratique linguistique : « la langue, la nation, la patrie, sont la même chose »51(*). Il y a donc deux nations en Bohême : la nation allemande et la nation tchèque. Il est également connu pour son dictionnaire tchèque-allemand qui marque l'accession de la langue tchèque au rang des langues « nobles ». Les différents intellectuels qui ont contribué à l'élaboration de cet ouvrage ont créé une terminologie tchèque pour diverses disciplines scientifiques.

Le second éveilleur à l'oeuvre considérable est Frantiek Palacký (1798-1876). Fils d'instituteur, il fait ses études dans une école évangélique puis devient éditeur dans la Société royale des sciences tchèques. A. Mares le qualifie de « théoricien du réveil national »52(*) puisqu'il est à l'origine, en 1827, de la première revue scientifique tchèque. En outre, il fonde en janvier 1831 la Matica ceska, une association dont le but est de publier des livres en langue tchèque donc de préserver la littérature nationale. F. Palacký est également connu pour son ouvrage intitulé Histoire des Tchèques de Bohême et de Moravie. Même si sa conception de l'histoire tchèque n'est pas toujours très juste, cet ouvrage revêt une importance considérable car il constitue la première tentative historiographique en langue tchèque. Selon lui, l'histoire du peuple tchèque est celle d'un conflit avec la nation allemande, un conflit qui opposerait des Tchèques par nature démocrates à des Allemands barbares53(*). Nous voyons donc la place que revêt la figure de l'Autre, l'ennemi, dans l'histoire d'une nation. La réalité est plus nuancée mais dans le contexte du XIXème siècle, F. Palacký a réussi à imposer une certaine vision du peuple tchèque qui a marqué durablement les esprits.

c) Les associations, lieux de diffusion de la conscience nationale

A partir de 1860 et sous l'influence des Éveilleurs, les associations culturelles et patriotiques se multiplient. Elles contribuent à diffuser et à défendre la culture nationale, à réhabiliter la langue et éveiller une conscience nationale parmi les Tchèques. Citons par exemple la Beseda, une association culturelle et patriotique fondée en 1863 qui dynamise l'art, la musique et la littérature tchèque. Les années 1860 sont aussi celles de l'essor de la presse nationale tchèque : trois grands journaux sont lancés dans lesquels écrivent des auteurs renommés. Parallèlement à ces associations scientifiques qui visent à préserver la langue, se développent des associations de gymnastique à vocation nationale54(*). La plus emblématique est le mouvement tchèque des Sokol (faucons), fondé en 1862. Son but est de développer la conscience nationale à partir d'exercices physiques. Les gymnastes qui se comptent parfois par milliers, exécutent ensemble les mêmes figures. Des rassemblements sont organisés au niveau régional, mais ils sont avant tout une célébration nationale. Chaque membre de l'association est un athlète mais aussi « un militant national »55(*). En effet, si la formation du caractère et la maîtrise physique sont les objectifs premiers du mouvement, « on aboutissait néanmoins à la conscience nationale et à la volonté de la défendre »56(*).

Ces deux exemples illustrent bien l'importance des Éveilleurs dans l'éveil de la conscience nationale et le rôle joué par la culture et la langue dans la construction du sentiment national tchèque.

3. Le théâtre : une médiation qui a participé à l'éveil de la conscience nationale

Le théâtre est un exemple assez révélateur de la façon dont s'est constituée l'identité nationale tchèque. Il renvoie à la fois à la langue, au sentiment d'appartenance et à la figure de l' « Autre ». Jusqu'en 1868, les Tchèques partagent avec les Allemands un même théâtre. Puis, ils réclament la construction d'un théâtre national afin de promouvoir leur propre culture et de représenter la dimension collective de leur identité. Cette revendication illustre bien la nécessité pour un peuple de prendre conscience de son appartenance à une même communauté et de la représenter. Pour les Tchèques, le théâtre a effectivement joué ce rôle de miroir social dans lequel la société se montre à elle-même. Nous pouvons donc considérer le théâtre comme une médiation puisque celle-ci se définit comme « l'ensemble des formes et des moyens par lesquels les acteurs individuels s'approprient leurs pratiques sociales et par la mise en oeuvre d'un certain nombre de rites et de formes les structures collectives caractéristiques et fondatrices de la sociabilité »57(*). Ainsi, « le sens finalement de la représentation théâtralisée de la sociabilité, [...] est de rendre possible pour les spectateurs qui y assistent la représentation et l'appropriation des formes du lien social »58(*). C'est donc le théâtre comme médiation culturelle et non les institutions politiques qui a permis aux Tchèques de prendre conscience de leur identité. Il a constitué « une structure de remplacement des institutions politiques »59(*) pour reprendre les termes de Katerina Hala.

Si le théâtre a joué un rôle dans la prise de conscience des Tchèques de leur appartenance à une même communauté, il a aussi permis de diffuser la langue dans sa version orale contribuant ainsi à sa protection et à sa vulgarisation. Enfin, il a permis aux spectateurs de s'approprier l'histoire60(*). Par exemple, l'opéra Libue de B. Smetana est joué pour l'inauguration du théâtre national de Prague en 1883. Il célèbre le mythe fondateur de la nation (le mariage de la princesse Libue avec le prince Premysl), puis revient sur les moments marquants de l'histoire nationale tchèque. Pour terminer, nous pouvons mentionner un dernier détail : la devise inscrite sur le fronton du bâtiment est « la nation à elle-même », ce qui confirme l'importance du théâtre dans la constitution de la nation tchèque.

Pour conclure cette partie, nous pouvons préciser que plusieurs auteurs61(*) font état des ambitions politiques de l'intelligentsia tchèque. Le nationalisme tchèque serait alors aussi un nationalisme politique au sens où il viserait à doter la nation d'un Etat. Cependant, nous n'aborderons pas cet aspect qui, à nos yeux, reste secondaire quant à notre problématique de départ. Le politique est moins au coeur de l'identité nationale tchèque que la culture qui représente un enjeu vital62(*). Le phénomène du réveil national est bien une reconquête d'un espace linguistique, littéraire et culturel avant d'être celle d'un espace politique et économique.

C. L'identité tchèque au XXème siècle et XXIème siècle

Nous avons choisi d'aborder la question de l'identité nationale tchèque au XXème et XXIème siècle à travers deux thématiques : la confusion entre identité tchèque/identité tchécoslovaque et le problème des Sudètes. Ces deux questions permettent de comprendre le complexe de la petite nation auquel se trouve confrontée la République tchèque en 1993 et les enjeux que soulève l'intégration européenne.

1. La confusion entre identité tchèque et identité tchécoslovaque

a) Un malentendu à la base de la construction de la Tchécoslovaquie

Les traités de paix ratifiés à la fin de la Première Guerre Mondiale ont donné naissance à différents Etats nations dont la Tchécoslovaquie (cf. Annexe n°4). Notre objectif n'est pas de retracer l'histoire de ce pays mais de comprendre comment la nation tchèque s'est définie, une fois les Tchèques intégrés dans un Etat multinational. Dans cette optique, nous nous appuierons principalement sur l'ouvrage de Frédéric Werhlé qui s'est intéressé à l'origine du divorce tchéco-slovaque63(*). Il a notamment montré que les causes de la séparation étaient en germe au moment même de la constitution de cet Etat nation qui ne réunissait pas une mais deux nations64(*) : les Tchèques et les Slovaques. L'union de ces deux communautés différentes à la fois sur les plans économique, culturel, politique et social était une union stratégique, ensuite mythifiée. En effet, « les dirigeants nationaux vinrent à reléguer leur objectif premier - l'indépendance pour la nation dont ils étaient ou se sentaient les représentants - derrière le souci d'assurer la survie de leur communauté »65(*). Les conditions géopolitiques ont donc conduit les Tchèques et les Slovaques à délaisser leur indépendance nationale pour créer un Etat commun, capable d'assurer leur survie.

F. Werhlé montre que ces soixante-dix années de vie commune entre les deux communautés se sont construites sur un malentendu. Pour les dirigeants tchèques, inclure les Slovaques dans cet Etat commun était un moyen de contrebalancer le poids de la minorité allemande66(*) mais ils niaient l'existence de la nation slovaque. A l'inverse, les dirigeants slovaques voyaient dans cet Etat la possibilité d'affirmer leur identité nationale et d'être protégé de la domination hongroise. Il est intéressant de noter qu'à plusieurs reprises des hommes politiques tchèques67(*) ont affirmé que la nation slovaque n'existait pas. Les deux peuples ne représentaient que les deux branches d'une même nation, la nation tchécoslovaque. Pourtant, le terme « nation tchécoslovaque » figurait dans la constitution et avait été pensé par Masaryk dans son acception politique. Elle devait réunir des citoyens et « non [pas être] une nation nationale faite des membres des ethnies »68(*). Les dirigeants de ce pays n'ont cependant jamais réussi à forger une nation politique au sens occidental du terme car ni les Tchèques ni les Slovaques n'avaient la volonté de partager leur avenir dans un même Etat. Il manquait donc une condition nécessaire à la constitution de toute nation civique pour que la Tchécoslovaquie soit une nation politique. L'émergence du nationalisme slovaque et la confusion entre l'identité tchèque et l'identité tchécoslovaque sont deux éléments qui permettent d'illustrer l' « absence » de nation civique.

b) Naissance du nationalisme slovaque et absence du nationalisme tchèque

Le nationalisme slovaque naît sous la Première République de Masaryk69(*) mais se consolide dans les années 1930. Essentiellement dirigé contre la domination de Prague, il revendique une égalité de traitement entre les deux nations et un cadre étatique qui permette aux Slovaques d'être autonomes. Petr Pithart compare ce nationalisme au mouvement national tchèque du XIXème siècle : « si le nationalisme tchèque fut un jour la réplique du nationalisme allemand, le nationalisme slovaque allait ressembler au nationalisme tchèque »70(*). Paradoxalement, durant toute l'existence de l'Etat commun, aucun mouvement national tchèque ne s'est constitué au sens où les Tchèques n'ont pas revendiqué la création d'un Etat autonome71(*). La raison en est simple : ils considéraient la Tchécoslovaquie comme leur nation et ils n'éprouvaient donc nullement le besoin de revendiquer leur autonomie. Ainsi, « le nationalisme tchèque tomba dans l'oubli »72(*), ce que confirme Petr Pithart qui parle de « somnolence repue »73(*) pour qualifier l'état du nationalisme tchèque au XXème siècle. Cette faiblesse du nationalisme tchèque et la confusion entre nation tchèque et nation tchécoslovaque sont liées à la centralité des Tchèques dans l'Etat commun. Profitant de leur supériorité économique et de leur expérience politique, les dirigeants tchèques ont occupé la plupart des postes à responsabilité. Ils ont assimilé les intérêts fédéraux aux intérêts tchèques, refusant de prendre en compte les aspirations de la communauté slovaque, notamment en terme d'organisation institutionnelle (refus d'un Etat fédéralisé et maintient du centralisme). Ils ne comprenaient pas les revendications nationalistes slovaques jugées anti-démocratiques. Nous pouvons donc considérer que l'identité tchèque ou l'identité tchécoslovaque s'est définie en réaction au nationalisme slovaque. Eprouvant le besoin de justifier l'existence de « leur » nation, les Tchèques se sont convaincus de leur mission civilisatrice envers les Slovaques. En transmettant leurs valeurs et leurs traditions à la communauté slovaque, il lui permettait de rattraper son retard culturel et social pour se fondre dans la nation tchèque.

2. La question des Sudètes74(*) : une « reformulation » de l'identité

La question des Sudètes est un problème majeur qui a traversé l'histoire des pays tchèques au XXème siècle. Aujourd'hui encore, elle suscite des débats réactivés notamment au moment de l'intégration de la République tchèque dans l'UE. Nous utiliserons principalement des articles écrits par Anne Bazin, spécialiste de la question des relations germano-tchèques, afin de comprendre le rapport qu'entretiennent ces deux nations et comment son influence sur l'intégration européenne. Avec la création de la Tchécoslovaquie, Tchèques et Allemands coexistent à nouveau sur un même territoire mais dans une configuration différente de celle de l'Empire des Habsbourg dans la mesure où les Tchèques sont désormais majoritaires. La cohabitation est plutôt pacifique, même si certains allemands n'acceptent pas leur situation et souhaitent être rattachés à l'Allemagne. La signature des Accords de Munich en septembre 1938 marque un premier tournant dans les relations entre les deux communautés. La région des Sudètes est alors rattachée au Reich ce qui implique l'expulsion des Tchèques vivant sur ce territoire. Une période de l'histoire commune entre Tchèques et Allemands s'achève (cf. Annexe n°5). A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la Tchécoslovaquie retrouve ses frontières de 1938, y compris le territoire des Sudètes. Par un décret, le Président Bene décide l'expulsion de tous les Allemands de Tchécoslovaquie75(*) privant ainsi les Tchèques de « ce miroir allemand qui a servi à modeler une pensée et une image propre, une opposition et une réaction »76(*).

Pendant la Guerre Froide, les relations entre les deux pays sont réduites mais en 1989, la question allemande apparaît à nouveau sur la scène politique. La réunification allemande et la mise en place d'un régime démocratique en Tchécoslovaquie créent un contexte favorable à une normalisation des relations entre les deux pays. Malgré une reprise rapide des échanges économiques, les contentieux politiques ressurgissent et gênent les relations entre les deux pays. Dès la fin 1989, un lobby radical défendant les intérêts politiques des Sudètes en Allemagne ne cesse de présenter des revendications au gouvernement tchécoslovaque77(*). Si au cours des années 1990, plusieurs traités bilatéraux sont signés dans l'espoir d'une réconciliation entre les deux pays, le processus de normalisation est relativement lent. Le 21 janvier 1997, une étape symbolique est franchie dans le rapprochement entre les deux pays, avec la signature d'une déclaration commune. Tchèques et Allemands y reconnaissent leurs torts respectifs dans les événements survenus entre 1938 et 1945 et promettent de mettre fin aux revendications politiques et juridiques portant sur les questions du passé78(*). Néanmoins, la portée de cette déclaration, plusieurs fois remise en cause79(*), doit être relativisée.

La question des Sudètes, officiellement close depuis la signature de la déclaration commune en 1997, a eu un impact considérable sur les relations germano-tchèques au cours du XXème siècle. Elle doit être replacée dans le cadre plus large de l'intégration européenne. Malgré les avancées aux niveaux politique et juridique, il existe un décalage entre l'opinion publique et les dirigeants politiques, ceux-ci étant prêts à pardonner contrairement à la population tchèque80(*). Ce décalage est intéressant dans la mesure où il signifie que les Tchèques conservent une certaine représentation de l'Allemagne. Dans leur imaginaire, ce pays est associé à l' « Autre », à l'Ennemi. Cette représentation peut peser dans la façon dont ils appréhendent l'entrée dans l'UE, celle-ci impliquant une nouvelle cohabitation entre les deux communautés. De plus, certains partis politiques tchèques, comme l'ODS, instrumentalisent cette question et dénoncent les dangers d'une dérive germanique de l'Union. C'est pourquoi, il sera intéressant dans notre analyse de prêter attention à la figure de l'Allemagne dans les discours médiatiques.

3. 1993 et le retour de la question identitaire : le complexe de la petite nation

a) Le complexe de la petite nation

« Le paradoxe de la tchéquité contemporaine est de ne plus avoir à se confronter à des minorités nationales depuis qu'elle a abouti à un Etat uninational en 1993 »81(*). Cette phrase résume à elle seule le problème auquel doit faire face la République tchèque dès sa naissance, le 1er janvier 1993. La Tchécoslovaquie multinationale de l'entre deux-guerres s'est transformée en un Etat nation composé uniquement de Tchèques. Sans Allemands et sans Slovaques, elle se trouve confrontée à la redéfinition de son identité, ce qui réactive un sentiment de fragilité caractéristique des petites nations d'Europe centrale. Cette spécificité des nations est-européennes est récurrente dans les ouvrages consacrés à l'Europe centrale82(*) car elle est intimement liée à la perception de l'intégration européenne. Les expressions pour désigner ce sentiment de fragilité et d'insécurité sont variées. Un auteur parle de « psychologie de l'incertitude nationale »83(*), un autre du « complexe de la petite nation » mais toutes ces expressions renvoient à la même problématique. Ce sentiment d'insécurité est lié à l'histoire chaotique des pays d'Europe centrale qui ont dû lutter pour affirmer leur identité nationale et obtenir leur indépendance. Il s'est traduit par une question récurrente dans la philosophie politique tchèque, celle de la légitimité de l'existence de la nation. Cette interrogation est perceptible dans les écrits des intellectuels tchèques depuis le XIXème siècle. La question « Qui sommes nous ? » jalonne l'histoire de leur pensée et s'accompagne d'une seconde interrogation : « Qu'est-ce que la nation tchèque peut apporter aux autres et notamment à l'Europe ? ».

b) Toma-Garrigue Masarýk et Jan Patoèka, deux philosophes qui se sont exprimés sur le complexe de la petite nation

T-G. Masaryk (1850-1937) est l'un des intellectuels qui s'est intéressé à la question de l'identité tchèque. Dans La question tchèque (1895), il se demande ce qu'un petit peuple peut apporter aux autres. La réponse qu'il propose découle de la dimension spirituelle qu'il confère à la politique. Pour lui, la politique ne peut pas être réduite à une lutte pour le pouvoir mais doit avoir une mission historique et morale. Les Tchèques ont été les premiers à défendre les concepts d'humanisme et de démocratie, ils doivent donc transmettre ces valeurs aux autres. Il définit la démocratie comme « la réalisation politique de l'amour d'autrui »84(*). Pour lui, c'est le seul système de gouvernement juste qui permet « une régénération du peuple »85(*). Il s'appuie en partie sur l'interprétation de l'histoire de F. Palacký : le peuple tchèque est un peuple qui a une certaine grandeur. Il en découle une attitude paternaliste envers les Slovaques : pour les Tchèques leur mission était de les éveiller à la démocratie. T-G. Masaryk considère que les Tchèques sont les fondateurs de l'Europe moderne et qu'ils y ont leur place aujourd'hui.

J. Patoèka (1907-1977) défend l'idée que la grandeur d'un peuple n'est pas liée à sa taille mais à ce qu'il peut « prendre en charge dans le souci du monde »86(*). Au sein de l'Europe, la nation tchèque ne doit pas songer à se préserver car elle serait alors « inutile, superflu et finalement parasite »86(*). Son avenir dépend de sa « capacité à s'attaquer à la tâche collective [...] c'est-à-dire d'assumer une liberté responsable. De [sa] capacité à dépasser la poursuite égoïste des intérêts nationaux dans une rivalité rancunière, et à démontrer ainsi leur appartenance à la seule Europe qui puisse encore avoir un avenir, c'est-à-dire à celle qui est fondée sur le programme du `soin de l'âme'87(*) ». Les réflexions de ces deux intellectuels tchèques se rejoignent dans la mesure où ils cherchent à légitimer l'existence du peuple tchèque. Elles reflètent aussi l'importance que revêt la question identitaire aux yeux des Tchèques.

La question de l'identité tchèque est constante depuis le XIXème siècle, ce qui explique que « la question de l'adhésion à l'UE aboutit systématiquement au débat sur la préservation de [l']identité, signe évident d'une fragilité voire d'un complexe, sans cesse aliments par le rappel du passé et l'histoire des menaces extérieures »88(*). Il nous a donc semblé important de mentionner cette idée récurrente car elle peut avoir un impact sur la façon dont l'élargissement est perçu par l'opinion publique et les partis politiques tchèques. Elle peut également constituer un facteur explicatif de la réticence ou de l'indifférence de l'opinion publique et des partis politiques que nous étudierons dans la deuxième partie.

Pour conclure cette première partie sur la question de l'identité tchèque, nous constatons que l'intégration représente un enjeu majeur. Les Tchèques se retrouvent en effet confrontés aux Allemands et aux Slovaques qui jusque là n'avaient été que le miroir de leur identité et avec qui les relations étaient basées sur le conflit. L'élargissement offre aux Tchèques la possibilité de redéfinir leurs relations avec ces deux pays. Il faut donc maintenant comprendre comment l'opinion publique tchèque et les partis politiques envisagent l'intégration de leur pays dans l'UE.

II. Les opinions publiques et les partis politiques face à l'élargissement

L'élargissement de l'UE représente un événement majeur dans l'histoire de l'Europe mais aussi pour les populations des pays candidats. Il faut donc s'interroger sur l'état d'esprit de l'opinion publique au moment de l'intégration et en particulier sur les craintes exprimées par les citoyens tchèques car c'est bien de cela dont il s'agit dans les discours médiatiques. En outre, ayant inclus dans notre corpus les articles portant sur les élections européennes de juin 2004, il est nécessaire de présenter la position des principaux partis politiques tchèques face à l'élargissement. Ces éléments nous permettront d'analyser par la suite les représentations proposées par les journaux.

Dans un premier temps nous confronterons les craintes des opinions publiques tchèque et française face à l'élargissement de l'UE. Comment cet événement est-il perçu par les citoyens d'un pays membre et d'un pays candidat ? Puis, nous nous intéresserons à la position des deux principaux partis politiques tchèques, l'ODS89(*) et le ÈSSD90(*). Ces deux formations politiques ont eu un rôle clé au cours du processus d'adhésion et figuraient parmi les partis candidats aux élections européennes. Nous consacrerons également une partie à la vision de l'UE développée par Václav Havel qui fut l'un des premiers partisans de l'intégration.

A. Les craintes des opinions publiques française et tchèque : des craintes essentiellement économiques et sociales

Au-delà des résultats positifs des référendums d'adhésion qui ont montré une commune aspiration des pays d'Europe centrale à intégrer l'UE, il faut s'interroger sur les craintes que suscite l'élargissement à la fois dans les pays membres et les pays candidats. Nous préciserons le concept d'opinion publique avant de s'attacher à identifier ces craintes. Cela nous permettra de comprendre comment elles sont envisagées dans les discours médiatiques.

1. Le concept d'opinion publique

a) Naissance et évolution du concept d'opinion publique

La notion d'opinion publique est aujourd'hui assimilée aux résultats des sondages et les deux termes sont employés l'un pour l'autre. Cependant, ce qui fait aujourd'hui consensus résulte d'un ensemble de conditions sociales et politiques qui ont conduit à occulter certaines représentations de l'opinion publique pour n'en privilégier qu'une seule. A la fin du XVIème siècle, cette notion est employée pour désigner les idées et les jugements partagés par un groupe social et renvoie donc à la sphère privée. La conception moderne de l'opinion publique apparaît au milieu du XVIIIème siècle corrélativement à l'émergence de l'espace public habermassien. L'opinion « publique » désigne alors l'opinion publiquement exprimée par des élites intellectuelles qui débattent sur des questions d'intérêt général en faisant un usage critique de leur raison. C'est donc celle d'une fraction de la population qui se distingue de l'opinion du peuple. Avec la proclamation du suffrage universel en 1848 le sens du terme « opinion publique » évolue à nouveau. Le peuple entre dans le jeu politique et fait entendre sa voix. Il prétend incarner l'opinion publique, une opinion qui se manifeste par le biais de manifestations, pétitions... Enfin, l'apparition des sondages dans les années 30 constitue une nouvelle étape. L'opinion publique devient ce que mesure les sondages, une agrégation d'opinions individuelles.

b) La confrontation des différentes représentations de l'opinion publique

Dans La fabrique de l'opinion : une histoire sociale des sondages, L. Blondiaux s'intéresse à la question de la représentation de l'opinion. Avant l'apparition des sondages, l'opinion publique est un « ensemble de paroles vivantes répercutées par de nombreux porte-voix et interprètes dans la société »91(*). Ainsi, différentes façons de représenter l'opinion coexistent. Avec l'introduction et le développement des sondages, un nouveau mode d'énonciation s'impose jusqu'à penser que « l'opinion publique est devenue ce que mesurent les sondages »92(*). Néanmoins, ces différentes façons de représenter l'opinion dans la société existent encore. L'éditorialiste, l'élu, l'historien ou encore le journaliste font « parler » l'opinion pour reprendre le terme de L. Blondiaux, à côté du sondeur. C'est bien entendu le rôle du journaliste qui nous intéresse ici. Il « s'efforce de faire parler une `majorité silencieuse' à partir de quelques interviews glanées ici et là sur un trottoir »93(*). C'est bien de cette représentation de l'opinion publique dont il s'agit dans notre corpus : les journalistes rapportent les propos de citoyens tchèques, une modalité d'énonciation de l'opinion qui se distingue de l'opinion publique sondagière. Cette dernière est « une entité fictive et cohérente formée à partir d'une multitude d'opinions individuelles, atomisées et réelles, mais qui ne font corps que dans la représentation qu'en donne le sondage »94(*). Par exemple, les Eurobaromètres réalisés par la Commission européenne tout au long du processus d'adhésion pour mesurer l'état de l'opinion dans les pays candidats relèvent de cette catégorie. L. Blondiaux précise que ces différentes représentations de l'opinion publique peuvent être en contradiction. Cette idée nous semble intéressante pour l'analyse de la représentation de l'opinion publique tchèque dans notre corpus.

c) « L'opinion publique n'existe pas »95(*)

Les discours médiatiques donnent la parole à des Tchèques de façon individuelle, chacun argumentant ou donnant simplement son opinion sur l'intégration de la République tchèque dans l'UE. C'est par le biais de la critique que fait Pierre Bourdieu aux sondages d'opinion que nous aborderons ces énoncés. Il considère que l'opinion publique telle que la construisent les sondages n'existe pas. C'est un artefact qui résulte de l'agrégation statistique d'opinions individuelles. Il remet en cause les trois postulats sur lesquels reposent les enquêtes d'opinion :

- Les sondages supposent que tout le monde peut avoir une opinion alors que les personnes interrogées n'ont pas forcément les connaissances suffisantes pour pouvoir se prononcer sur tous les sujets. Par conséquent, tout le monde n'est pas capable d'exprimer une opinion puisque la production d'une réponse dépend notamment de la compétence politique « qui n'est pas universellement répandue »96(*).

- L'opinion publique sondagière résulte d'une agrégation d'opinions individuelles, elle postule donc que toutes les opinions se valent alors que les opinions recueillies n'ont pas « la même force réelle »97(*).

- Interroger toutes les personnes sur un même sujet suppose qu'il y a un consensus sur les questions qui méritent d'être posées. En réalité, il n'y a pas de « problème omnibus » pour reprendre le terme de Bourdieu. En effet, les questions posées n'interpellent pas les individus de la même façon. Chacun accorde une importance plus ou moins grande au problème soulevé et l'interprète en fonction de ses intérêts.

Ces trois critiques nous paraissent intéressantes pour aborder les discours médiatiques. Le fait que toutes les opinions ne se valent pas se traduira peut-être dans les discours de presse par la prédominance d'un certain type d'opinion. De même, le manque de connaissances suffisantes pour se forger une opinion pourrait se traduire par des aveux d'indifférence par rapport à l'intégration. Enfin, si chacun interprète l'entrée dans l'UE selon ses intérêts, les différentes représentations de l'opinion proposées par les quotidiens seront peut-être divergentes.

2. L'évolution et les craintes de l'opinion publique tchèque98(*

a) Une adhésion tardive qui a suscité la méfiance parmi les Tchèques

77,3% des Tchèques ont dit oui à l'Europe les 13 et 14 juin 2003. Cependant, L. Neumayer remarque que cela ne signifie pas pour autant que les populations étaient enthousiastes à l'idée d'intégrer l'UE. En effet, non seulement le taux de participation était bas (55,2%, ce qui ramène le vote en faveur de l'adhésion à 42% des inscrits)99(*) mais de plus, il semblerait qu'une majorité de la population ait voté plus par résignation que par conviction. L'adhésion à l'UE résulterait alors d'un « consensus populaire symbolique »100(*). En outre, L. Neumayer rappelle que les populations d'Europe centrale méconnaissent souvent les questions européennes, un argument qui permet également de relativiser le taux de soutien positif à l'adhésion101(*). Sans retracer dans les détails l'évolution de l'opinion publique tchèque au cours de la décennie précédant l'adhésion, il est nécessaire de revenir sur quelques points importants afin de comprendre l'état d'esprit des citoyens tchèques au moment de l'élargissement.

Plusieurs auteurs remarquent que le soutien de l'opinion publique tchèque s'est effrité au fur et à mesure que l'intégration approchait ; selon eux, c'est le « facteur temps » qui en serait la cause. En effet, quinze ans ont été nécessaires avant que le retour à l'Europe ne se concrétise, quinze ans au cours desquels l'Europe est passée du stade de mythe à celui de réalité (cf. Annexe n°6). J. Rupnik distingue trois phases dans le chemin qui mène de l'effondrement du système communiste à l'intégration dans l'UE. Tout d'abord, la phase d' « europhorie » qui s'ouvre en 1989. Tous aspirent à rejoindre l'Europe mais cet espoir n'a pas de traduction politique en Europe de l'Ouest. Vient ensuite la phase des « déceptions réciproques »102(*) au cours de laquelle les pays d'Europe centrale comprennent que l'élargissement n'est pas la priorité de l'UE. Une troisième phase s'ouvre en 1998 avec les négociations d'adhésion. L'élargissement prend une tournure de plus en plus technique et il y a peu de véritables débats au cours desquels les enjeux de l'intégration sont exposés aux citoyens. D'après les experts, ce manque d'information aurait également contribué à l'effritement du soutien des pays candidats à l'UE. P. Michel distingue également trois moments dans l'évolution du rapport à l'Europe : celui de « l'Europe imaginée », de « l'Europe normalité », et le moment où s'accélère le processus d'intégration à partir de 1998103(*). Enfin, L. Neumayer distingue elle aussi trois phases : la phase de l'enthousiasme européen, celle des désillusions et la phase de l'ouverture des négociations104(*). Quelques soient les termes employés, ces trois « typologies » concordent et révèlent que l'« Occident mythifié mais largement inconnu »105(*) est devenu progressivement réalité. Le facteur temps a ainsi considérablement joué dans la perception que l'opinion publique tchèque s'est forgée de l'Europe : si au début des années 90 la population soutient l'adhésion, son attitude se modifie à partir des années 2000106(*).

b) Des craintes essentiellement d'ordre économique et sociale

La date de l'intégration approchant, les Tchèques ont commencé à s'interroger sur les conséquences de ce retour à l'Europe et l'élargissement a suscité de plus en plus de craintes. I. Gabal en identifie trois qui sont « largement partagées »107(*) par la population tchèque : la baisse du niveau de vie (provoquée par l'augmentation des prix et le coût de l'ajustement aux normes européennes), l'augmentation de la concurrence sur le marché du travail et l'afflux d'étrangers (plus précisément la vente d'actifs et de terre aux étrangers) à égalité avec l'augmentation de la criminalité108(*). Il est intéressant de noter que les craintes d'une menace pour la culture tchèque et d'une limitation de la souveraineté sont présentes chez 53% des Tchèques109(*). C. Lequesne identifie quant à lui trois craintes majeures qui sont sensiblement identiques : les craintes d'ordre économique et social (comme la capacité à faire face à la concurrence, la peur d'une augmentation des prix...), la peur de voir l'immigration et la criminalité augmenter, et la crainte d'entrer dans l'UE comme des citoyens de seconde classe (d'après un sondage cette crainte est partagée par 52% des Tchèques)110(*), une crainte qui est aussi considérée par J. Rupnik comme l'une des préoccupations majeures des Tchèques111(*). Nous pouvons remarquer que les craintes de l'opinion publique tchèque sont principalement d'ordre économique et social et que la peur de perdre leur identité nationale ne figure pas parmi leurs préoccupations majeures.

c) « Des » opinions publiques tchèques

Il faut toutefois préciser que l'opinion publique tchèque n'est pas homogène : la perception de l'intégration dans l'UE est fortement liée à des variables socio-démographiques. L'âge, le niveau d'études, la situation professionnelle ou encore le lieu de résidence, sont autant de facteurs qui influencent l'attitude des Tchèques vis-à-vis de l'Europe. Ainsi, un jeune tchèque, citadin, ayant fait des études universitaires, sera plus favorable à l'élargissement et aura plus d'attentes qu'un agriculteur âgé issu du monde rural. A cet égard, il sera intéressant de voir dans notre corpus quelle représentation de l'opinion publique est privilégiée par les quotidiens, qui sont les Tchèques interrogés pour donner leur avis sur l'intégration. Enfin, pour terminer sur le thème de l'opinion publique tchèque face à l'élargissement, il est intéressant de mentionner une expression que propose J. Rupnik pour qualifier l'attitude des Tchèques : « l'extrême réalisme ». Autrement dit, la population tchèque n'attend pas grand chose de l'intégration et par conséquent ne risque pas d'être déçue112(*) ; l'opinion publique serait alors largement indifférente à l'Europe contrairement à ce que les résultats du référendum pouvaient le laisser penser au premier abord.

3. L'opinion publique française : une opinion publique de plus en plus « réticente »

Nous avons trouvé intéressant d'étudier la façon dont l'opinion publique française percevait l'élargissement de l'UE aux pays d'Europe centrale dans la mesure où notre corpus sera composé d'articles issus de la presse quotidienne française ; l'analyse de l'opinion publique française peut nous fournir des éléments qui nous permettront de comprendre ce qui se joue dans les discours médiatiques.

a) L'opinion publique française : une opinion réticente

Si globalement les pays membres de l'UE étaient favorables à l'élargissement, cet enthousiasme doit être nuancé. En effet, tout au long du processus d'adhésion, cinq pays sont restés assez hostiles à l'intégration des dix nouveaux pays candidats, dont la France. A la veille de l'élargissement, 55% des Français sont favorables à la nouvelle Europe, 34% y sont opposés113(*). Une position que J. Rupnik qualifie de « frileuse » et qui, selon lui, a eu un impact sur la perception des élites et des opinions publiques en Europe centrale. En effet, au début des années 90, certains hommes politiques français se sont montrés assez maladroits en abordant le thème de l'élargissement, et la France a dès lors été assimilée à un pays réticent à l'entrée des ex-pays communistes dans l'UE114(*). Même si elle a su revenir sur ses positions115(*), une image négative s'est ancrée dans les esprits à l'Est. Enfin, J. Rupnik signale que cet élargissement a suscité moins de débat que dans le cas de l'Espagne ou de la Turquie, les pays d'Europe centrale étant moins connus de la société française et considérés comme lointains. Cela étant, l'élargissement suscite tout de même des craintes parmi l'opinion publique française.

b) Des craintes principalement économiques

Selon C. Lequesne et J. Rupnik, les principales craintes de l'opinion publique française sont au nombre de trois : l'ouverture des frontières « qui rendra plus difficile le contrôle de l'immigration clandestine, la lutte contre la criminalité et le trafic de drogue »116(*), le coût de l'élargissement qui se traduirait par l'augmentation de la contribution des citoyens au budget de l'UE, et la difficulté de la prise de décision dans les institutions communautaires. Cependant, Marie-Luise Herschtel évoque des peurs quelque peu différentes : « relocalisation d'entreprises à l'Est avec son cortège de chômeurs à l'Ouest, afflux massif d'émigrants à la recherche de rémunération et de conditions de travail plus favorables, augmentation de la criminalité et des trafics de toutes sortes »117(*). J. Rupnik et C. Lequesne n'abordent pas du tout la question des délocalisations et nuancent celle de l'immigration qui serait faiblement associée à l'élargissement. « Les Français ne semblent pas associer fortement dans leur imaginaire immigration et élargissement à l'Est »118(*), l'immigration étant plutôt associée aux pays du Sud. Il y a donc une divergence entre ces auteurs que nous ne sommes pas en mesure d'expliquer puisque tous s'appuient sur des sondages ou des études économiques réalisés avant l'élargissement de mai 2004. Cependant, la plupart des auteurs s'accordent pour expliquer ces craintes par un manque d'information et l'absence de débat dans la société française. C'est pourquoi, « pour qualifier la situation de la société française à l'égard de l'élargissement aux PECO, il convient moins de parler d'une réelle réticence que d'une indifférence résignée »119(*). Outre cette indifférence, plusieurs sondages ont révélé que l'opinion publique française connaissait peu de choses de l'Europe centrale. Ainsi, en novembre 2002, seulement 40% des citoyens de l'UE étaient capables de citer le nom de trois pays candidats et 40% étaient incapables d'en citer au moins un120(*) ; la France étant l'un des pays où le taux était le plus élevé. Ces chiffres montrent bien que l'opinion publique française a peu de connaissances concernant les pays d'Europe centrale, une méconnaissance qui s'explique en partie par l'absence de proximité avec cette région.

Enfin, contrairement à l'opinion publique tchèque, les variables socio-démographiques et notamment les variables de l'âge et du niveau d'études ne sont pas pertinentes pour expliquer l'indifférence des Français face à l'élargissement. J. Rupnik tente de comprendre cette « exception française »121(*) et émet l'hypothèse que l'attitude des citoyens français par rapport à la question de l'élargissement est due essentiellement « au manque de travail politique de conviction et de mobilisation des élites pro-européennes »122(*), ce qui a permis à la propagande anti-européenne d'occuper le devant de la scène et de convaincre une partie de la population que l'élargissement allait accroître le chômage et l'immigration.

La confrontation des craintes des opinions publiques tchèque et française nous permet donc de remarquer qu'il y a une certaine convergence entre les pays membres et les pays candidats. Il sera intéressant dans notre analyse de voir si cette convergence se retrouve dans les discours médiatiques, comment les médias représentent ou non ces craintes et s'ils les légitiment. Enfin, il faut préciser que la plupart des auteurs ayant étudié l'attitude de l'opinion publique tchèque face à l'élargissement a mis l'accent sur les craintes qu'il fait surgir. Il ne faut cependant pas oublier les bénéfices, les espoirs et les attentes que nourrissent les Tchèques.

B. La position des partis politiques tchèques face à l'intégration dans l'UE

Dans un premier temps, nous verrons comment a évolué la position des différents partis politiques tchèques depuis 1989, date du « retour en Europe ». Ensuite, nous nous intéresserons plus précisément à la vision de l'Europe que défendent les deux principales formations politiques : l'ODS et le ÈSSD. Nous terminerons en présentant la vision de l'Europe que Václav Havel exprime depuis plusieurs années dans les médias. La thématique de l'identité nationale sera notre fil conducteur. Dans la mesure du possible, nous essaierons de voir quelle place les partis politiques tchèques accordent à la question de l'identité nationale dans leur vision de l'Europe, une question récurrente en République tchèque.

1. Evolution de la position des différents partis politiques

a) Du consensus à la différenciation

La chute du mur de Berlin et l'effondrement du système soviétique sont synonymes de « retour à l'Europe » pour les pays d'Europe centrale, une réunification qui fait consensus sur la scène politique tchécoslovaque avant que l'intégration européenne ne devienne progressivement un facteur de différenciation entre les partis politiques. L. Neumayer distingue trois phases dans cette évolution. Après 1989, l'intégration fait l'objet d'un consensus parmi les partis politiques car elle représente une rupture avec la période communiste. Puis, les élections libres de 1990 entraînent la naissance de nouveaux partis politiques « aux identités affirmées [qui] élaborent des visions divergentes de la construction communautaire »123(*). Enfin, l'ouverture des négociations d'adhésion au printemps 1998 marque le début de la troisième phase « la plus conflictuelle » : les euroréalistes ont de plus en plus de succès, ils soutiennent l'intégration mais en critiquent les conditions. Ainsi, le retour à l'Europe n'est pas uniquement une question de politique étrangère, « la thématique européenne est intégrée à la structuration des systèmes partisans sur le plan idéologique, comme élément de distinction entre les identités politiques et au niveau stratégique comme base d'alliances entre les partis »124(*). En réalité, l'intégration européenne ne va pas de soi, même si la perspective du retour à l'Europe symbolise pour beaucoup la réunification et le retour vers un Occident dont les Tchèques avaient été kidnappés125(*). L'apparition de positions anti-européennes et eurosceptiques au sein de la classe politique tchèque en est l'illustration.

b) La position des partis politiques tchèques au moment de l'intégration

Les dissidents unis dans leur résistance au communisme vont se diviser dès le début des années 1990 et « chaque grand courant politique développe sa vision de la construction communautaire »126(*). L. Neumayer distingue trois grandes tendances politiques en République tchèque :

- la tendance libérale, favorable à l'entrée dans l'UE, est représentée par l'US (Union de la liberté) qui met l'accent sur la dimension morale de l'Europe. Le retour à l'Europe n'est pas uniquement un processus politique, c'est aussi une question de valeurs.

- la tendance conservatrice dont l'identité politique se fonde sur la défense de la cause nationale. L'ODS (parti démocrate civique) en est le principal représentant. Il se déclare euroréaliste car il soutient l'intégration tout en la critiquant127(*). Le parti démocrate chrétien (KDU-CSL) appartient également à cette mouvance mais il fait figure d'exception puisqu'il se range parmi les formations pro-européennes.

- l'ancien parti communiste tchécoslovaque devenu KSÈM (parti communiste de Bohême et de Moravie) reste fidèle à l'idéologie du parti communiste. Opposé à l'entrée dans l'UE jusqu'au milieu des années 90, sa position a progressivement évolué en faveur de l'intégration avec toutefois quelques réticences. Il souhaite que la République tchèque intègre l'Union sur un pied d'égalité avec les autres pays. Il dénonce le caractère bureaucratique de l'UE et en appelle à une Europe de la culture, de l'éducation, de l'unité et de la souveraineté nationale, de la démocratie et des droits de l'homme128(*).

A ces trois grandes tendances politiques, il nous nous semble possible d'en ajouter une quatrième. Des partis comme le ÈSSD se distingue des autres formations politiques par sa position pro-européenne mais n'appartient pas à la tendance libérale. Enfin, il reste quelques partis en marge de ces courants que nous n'évoquerons pas car leur poids dans la vie politique est relativement faible. Cet aperçu général de la position des différents partis politiques tchèques nous permet de voir que la période de l'europhorie est bel et bien terminée. Au moment de l'intégration, l'Europe est plutôt l'objet de critiques et suscite des réticences. La naissance de formations politiques aux identités différentes a donné lieu à une modification des positions par rapport à l'Europe. Nous ne disposons pas d'éléments suffisants pour conclure sur le rapport entre identité nationale et intégration européenne dans la vision des partis politiques. Cependant, L. Neumayer écrit qu' « en Europe centrale, la perspective de l'intégration européenne est réinterprétée par rapport au passé à travers des réflexions sur la souveraineté et l'identité nationale, mais aussi par rapport au futur, à travers une discussion sur les normes européennes comme point d'aboutissement des transformations postcommunistes »129(*), ce qui nous permet de penser que l'identité nationale figure bien parmi les préoccupations majeures que soulève l'élargissement de l'Europe.

2. Le débat sur l'intégration entre les deux principaux partis politiques (ODS / ÈSSD)

L'ODS et le ÈSSD sont deux partis politiques favorables à l'intégration de la République tchèque dans l'UE mais une étude plus précise de leur position respective permet de mettre à jour des divergences sur le sens qu'ils donnent à cette intégration et leur vision de l'Europe.

a) Le ÈSSD, un parti pro-européen

Héritier du parti socialiste tchécoslovaque, le parti social démocrate est un parti pro-européen qui revient sur la scène politique tchèque au début des années 90 et réussit progressivement à s'imposer comme le principal parti d'opposition. Très critique envers le gouvernement de Václav Klaus, il s'insurge contre les scandales politico-financiers qui ont éclaté et une fois au pouvoir, il entreprend de lutter contre la corruption. Il dénonce également les réformes économiques jugées trop rapides qui ne tiennent pas compte de la situation sociale du pays mais il soutient la transition vers une économie de marché. Favorable à une intégration rapide à l'UE dès le début des années 90, l'adhésion devient la priorité de sa politique étrangère en 1995. Contrairement à l'ODS, Michael Dauderstädt et Britta Joerissen soulignent que « ce parti s'est toujours montré, sans aucune ambiguïté, favorable au processus d'adhésion »130(*). A plusieurs reprises, il a exprimé son point de vue sur les institutions européennes, les valeurs et l'identité européenne ainsi que sur les différents aspects de l'intégration.

b) Une Europe qui respecte les identités nationales

Le ÈSSD conçoit l'intégration comme un rempart contre le libéralisme économique. En réaction au Manifeste de l'euroréalisme tchèque publié par l'ODS en 2001, le ÈSSD a diffusé un Euromanifeste dans lequel il affirmait que « l'UE est une réponse efficace à la mondialisation [...]. L'adhésion est dans l'intérêt de la nation et de chaque citoyen de notre pays »131(*). Partisan d'un approfondissement de l'intégration économique et politique, il met l'accent sur la nécessité de renforcer le caractère supranational de l'UE mais insiste aussi sur le respect de l'indépendance culturelle et nationale des Etats et des régions. L'Europe doit être « une entité démocratique et fédérale dans le respect des spécificités nationales et culturelles des Etats, des nations et des régions [...]. Une Europe unie ne signifie pas qu'elle repose sur un super Etat européen »132(*). Le ÈSSD est donc à la fois favorable à une intégration poussée mais insiste avec vigueur sur le rôle des Etats nations au sein de l'Europe. Ainsi, V. pidla133(*) affirme que « le parti ne préconisera jamais l'entrée dans une communauté dans laquelle la République tchèque ne pourrait pas faire entendre sa voix et dans laquelle elle n'aurait aucune prise sur des sujets la concernant »134(*). La dialectique identité nationale / identité européenne et intégration qui traverse les discours du parti et de son leader reflète bien l'importance que revêt le respect de l'identité nationale tchèque dans leur conception de la construction communautaire. Enfin, l'entrée de la République tchèque dans l'Europe est présentée comme une opportunité non seulement pour le pays candidat mais aussi pour l'Union : « le ÈSSD est convaincu que la République tchèque n'entrera pas seulement dans l'UE avec la main tendue mais qu'elle contribuera au développement de celle-ci grâce à son économie dynamique et florissante, son agriculture performante, la qualité et la créativité de sa force de travail, sa richesse et sa diversité culturelle, son environnement toujours en voie d'amélioration et son niveau de vie élevé ». Cette citation appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, elle illustre le besoin qu'éprouve la République tchèque de légitimer son entrée dans l'UE et nous renvoie au complexe de la petite nation. Ensuite, l'un des arguments du parti social-démocrate concerne la richesse culturelle du pays et nous rappelle que la République tchèque est avant tout une nation culturelle. Enfin, cette citation va de pair avec la volonté d'être considéré sur un pied d'égalité avec les autres pays et le refus d'une intégration à géométrie variable.

Pour terminer, il faut préciser que le parti social démocrate, vainqueur aux élections législatives de 1998, a mis en place une grande partie des réformes exigées par la reprise de l'acquis communautaire. En outre, c'est sous le gouvernement de V. pidla, leader du parti entre 2001 et 2004 et premier ministre à partir de juillet 2002, que la République tchèque a intégré l'UE.

c) V. Klaus, leader de l'ODS, un parti eurosceptique

V. Klaus est le leader de l'ODS, considéré sur la scène politique tchèque et européenne comme un parti eurosceptique. Le parti civique démocrate a été créé par V. Klaus en avril 1991 en raison de nombreux désaccords avec les dirigeants du Forum civique en particulier sur la façon de mener la transition économique. Il se définit comme un parti civique, démocrate et conservateur. Sans détailler ses orientations idéologiques, il est intéressant de mentionner la définition que le parti donne du terme « conservateur » : « est un parti conservateur [un parti] qui ambitionne de sauver et de recouvrer, pour notre futur, les valeurs principales de la civilisation chrétienne européenne des traditions démocratiques tchécoslovaques »135(*). C'est un parti libéral au plan économique et conservateur au niveau social qui se définit comme un parti de droite et prend pour référence le parti conservateur britannique. Favorable à une transition économique rapide, V. Klaus est en grande partie à l'origine des réformes qui ont permis à la République tchèque de devenir une économie de marché et notamment l'instigateur de la privatisation par coupons.

Définition de l'euroscepticisme

Avant d'étudier plus en détails la position de V. Klaus par rapport à l'Europe, il est nécessaire de définir l'euroscepticisme pour le différencier de l'anti-européanisme. L. Neumayer explique que les eurosceptiques considèrent l'intégration « comme une nécessité historique et les controverses portent sur les moyens de satisfaire cette nécessité tout en protégeant les intérêts nationaux »136(*) alors que pour les antieuropéens, l'Europe menace la nation. Les discours de ces derniers se caractérisent « par [leur] radicalité et [leur] conviction que des alternatives à l'intégration existent »137(*). Cependant, L. Neumayer ne cache pas la difficulté de qualifier un parti d'eurosceptique ou d'antieuropéen, certaines formations politiques adoptant un double discours. A cette première difficulté s'ajoute le fait que les partis eurosceptiques rejettent souvent ce qualificatif et préfèrent se définir comme euroréalistes. V. Klaus, lui, se qualifie à la fois d'eurooptimiste et d'euroréaliste138(*).

Plusieurs auteurs ont proposé des typologies de l'euroscepticisme : Petr Kopecky et Cas Mudde établissent une distinction entre europhiles et europhobes puis entre eurooptimistes et europessimistes139(*) ; d'autres distinguent seulement « l'euroscepticisme mou » de « l'euroscepticisme dur »140(*). Nous n'avons pas jugé utile de rentrer dans ce type de détails d'autant plus qu'au final, il reste difficile de faire entrer un parti politique dans l'une de ces catégories car bien souvent, différentes tendances coexistent au sein d'une même formation politique ce qui est le cas à l'ODS141(*). Nous pouvons simplement souligner qu'aux yeux de l'opinion publique, V. Klaus est considéré comme eurosceptique selon un sondage réalisé en août 2005142(*).

L'Europe une menace pour la diversité et pour l'identité nationale

Dans une analyse des discours de l'ODS143(*), Annabelle Coustaury montre que la position proeuropéenne de V. Klaus n'est pas si évidente et qu'en réalité le leader oscille sans cesse entre la volonté d'adhérer à l'UE et le rejet de l'UE, exprimant des critiques à son égard. Elle souligne également l'évolution du discours de l'ODS au cours de la décennie précédant l'élargissement. Dès la création du parti en 1991, V. Klaus insiste sur l'importance de l'adhésion de la Tchécoslovaquie à l'UE qui constitue l'un des axes majeurs de sa politique étrangère. Il met en oeuvre les démarches nécessaires pour négocier l'adhésion du pays à l'UE et remet la demande d'adhésion en 1996. Parallèlement, il se montre assez critique envers l'UE. En 1994, il fait part de son rejet d'une Europe supranationale qui nierait les différences nationales. A partir de 1995, le parti intègre cette idée dans son programme politique et se définit comme le parti défenseur des intérêts nationaux de la République tchèque. Ainsi, nous voyons qu'en dépit de la politique proeuropéenne de V. Klaus, les critiques qu'il émet à l'égard de l'UE permettent de le considérer comme eurosceptique d'après la définition donnée précédemment. Ces critiques restent relativement modérées jusqu'aux élections législatives de 1998. Une fois le parti passé dans l'opposition, elles deviennent plus nombreuses et plus virulentes. Dans son programme électoral de 1998, l'ODS insiste sur la défense des intérêts nationaux et prône une Europe des nations comme l'illustre son slogan : « oui à l'intégration, non à la dissolution »144(*). Aux élections parlementaires de 2002, le discours conserve cette ambiguïté et l'ODS intitule son programme « L'ODS vote pour l'UE »145(*). Le parti se présente à nouveau comme le défenseur des intérêts nationaux. Jusqu'à l'entrée de la République tchèque dans l'UE, V. Klaus maintient ses arguments : il affirme son engagement pour l'adhésion mais en critique les conditions sous prétexte de protéger les intérêts nationaux.

La vision de l'Europe  que défend V. Klaus s'articule essentiellement autour de deux éléments : la protection de l'Etat et le libéralisme économique146(*). Pour lui, l'intégration était synonyme d'opportunités économiques. C'est donc principalement dans une perspective économique que l'ODS concevait l'entrée de la République tchèque dans l'UE. Il défend une vision économique de l'UE qui ne doit pas nuire à la diversité des Etats. A ses yeux, l'Europe représente une menace pour la nation tchèque, c'est pourquoi il estime nécessaire de défendre les intérêts nationaux, en particulier face à l'Allemagne. En effet, le leader de l'ODS n'hésite pas à présenter ce pays comme une menace à la fois politique et économique pour la République tchèque ; une crainte qui nous montre que l'Allemagne revêt toujours la figure de l'ennemi contre qui s'est construite l'identité tchèque. D'autre part, il critique les injustices du système communautaire qui défavorise les petits pays  et souhaite logiquement une Europe dans laquelle tous les Etats membres seraient à égalité.

L. Neumayer distingue quant à elle trois éléments dans les discours de V. Klaus : pour lui l'Europe est « un plaidoyer pour les Etats nations, seule source d'identité et garantie de la liberté politique et économique ; une défense de la `diversité' nationale face à `l'uniformité' bruxelloise ; la dénonciation du `déficit' démocratique de l'UE »147(*). Il est nécessaire que l'Europe préserve les identités nationales. A titre anecdotique, le jour de l'intégration dans l'UE, V. Klaus a prononcé un discours au Mont Blanik, d'où est censé surgir, selon la mythologie tchèque, les chevaliers qui défendront la patrie menacée148(*). Cette anecdote illustre bien le sentiment de fragilité qu'éprouve le peuple tchèque et la nécessité de défendre la nation qui en découle.

3. Václav Havel un fervent défenseur de l'Europe

Dès la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, V. Havel envisage le « retour en Europe » des tchèques, un retour dont il fait le slogan du Forum Civique aux premières élections libres en 1990. Depuis, V. Havel n'a cessé de défendre le retour à l'Europe qu'il considère comme une chance historique pour son pays. A plusieurs reprises il s'est exprimé dans les médias français sur la question de l'intégration de la République tchèque dans l'UE. Il a également expliqué sa conception de l'Europe dans différents ouvrages traduits en français. En confrontant articles et ouvrages, nous avons dégagé trois points clés dans sa vision de l'Europe149(*).

a) L'Europe n'est pas une menace pour l'identité nationale

L'idée que l'Europe ne représente en aucun cas une menace pour l'identité nationale tchèque revient à plusieurs reprises dans les écrits de V. Havel. Dans un entretien avec Jacques Delors publié dans Le Monde, il explique que l'Europe doit « respecter la souveraineté et l'identité non seulement de chaque nation et de chaque Etat mais aussi de chaque région »150(*). Ainsi, l'Europe à laquelle il souhaite se joindre « est une Europe dans laquelle chaque peuple garde son identité comme le facteur inaliénable de l'esprit européen dans sa diversité [...] ce à quoi nous renonçons ce n'est pas à notre identité mais à une partie de notre souveraineté »151(*). Il réitère cette affirmation dans un entretien accordé à Jacques Rupnik : ce n'est pas l'Europe qui menace l'identité nationale d'un pays mais « la globalisation appelée de tous ses voeux par ces mêmes nations lorsqu'il s'agit d'attirer chez elles les représentants de la World Company, toujours prêts à vendre leurs biens de consommation « universels » dans tous les supermarchés et les multiplex de la planète »152(*). Il est donc intéressant de constater que contrairement à certains hommes politiques, V. Havel n'assimile pas l'entrée dans l'Europe à une perte de l'identité nationale.

b) L'Europe est responsable de la division du monde

Pour V. Havel, il est indéniable que l'Europe occidentale est en partie responsable de la division du monde suite à la Seconde Guerre Mondiale. Ainsi, s'il est un fervent partisan du « retour à l'Europe » dès l'effondrement du bloc soviétique, il n'en demeure pas moins une certaine amertume dans ses discours. Le retour à l'Europe des pays tchèques est inévitable car ils étaient historiquement et culturellement liés à l'Europe occidentale avant d'en être séparés au début de la Guerre Froide. Les pays occidentaux doivent prendre conscience de leur responsabilité dans cette division du monde.

c) L'Europe : entité technocratique à laquelle il manque une dimension spirituelle

Pour V. Havel, l'Europe est une entité trop technocratique, « une machine moderne particulièrement sophistiquée »153(*) qui doit réfléchir à son essence et procéder à des réformes institutionnelles154(*). V. Havel entrevoit une Europe dans laquelle tous les pays membres seraient à égalité de façon à ce que les petits pays comme la République tchèque aient « la certitude de ne pas être écrasés par le vote des grands pays »155(*) ; une remarque intéressante qui rejoint la crainte de l'opinion publique tchèque d'être considérée comme des citoyens de seconde classe. Dans plusieurs écrits, il justifie l'entrée de la République tchèque dans l'UE en soulignant que ce pays peut fournir « un apport spirituel pour un meilleur avenir commun »156(*). Cet argument rappelle ce que nous avons dit concernant le complexe de la petite nation : le sentiment de fragilité qu'éprouvent les Tchèques les conduit sans cesse à trouver un sens à leur existence. Celle-ci étant dorénavant liée à l'Europe, ils doivent être en mesure de lui apporter quelque chose.

A plusieurs reprises, V. Havel a insisté sur le manque de « dimension spirituelle, morale ou émotionnelle »157(*) de l'Europe. Il donne la définition suivante de cette Europe spirituelle : elle « repose sur un sort partagé en commun, sur une histoire compliquée et vécue en commun, sur des valeurs communes à tous [...], espace d'une certaine volonté, d'un certain comportement et d'une certaine responsabilité. [...] Le point de départ, sinon le point le plus important de toutes nos médiations au crépuscule du soir devrait consister en un débat à propos de l'Europe en tant que monde de valeurs, de l'âme européenne »158(*). Il a conscience que la construction européenne est une tâche à la fois économique, administrative, technique... mais regrette que le sens spirituel de l'intégration soit occulté au profit des intérêts particuliers qui nous font perdre le sens de l'avenir. V. Havel précise que cette dimension « s'inscrit dans l'expérience d'un système totalitaire » : « Je crois qu'il est plus important - par rapport à la baisse des droits de douane sur l'importation des cerises - de ressentir cette joie de vivre en liberté que ceux qui ont toujours vécu en liberté ne perçoivent plus ». Cette dimension constitue l'originalité de la conception de l'Europe défendue par V. Havel et ne fait que refléter la tonalité de ses écrits dans lesquels il accorde une place importante à l'éthique, à la vérité et à la morale. C'est aussi un moyen de justifier l'intégration de la République tchèque dans l'UE puisque l'Europe centrale est liée par ses valeurs, son histoire et sa culture, à l'Europe. En rejoignant la civilisation européenne, les Tchèques ne choisissent pas d'adopter un système de valeurs qui leur plaît mais de poursuivre un chemin qui était le leur avant la division du monde en deux blocs.

Nous pouvons constater que le thème de l'identité nationale figure dans les discours de ces trois hommes politiques aux idéologies pourtant bien différentes. Certes la question de la préservation des intérêts nationaux est généralement une question qui s'impose à tout pays souhaitant rejoindre une entité supranationale cependant, elle se pose avec plus d'acuité dans les pays d'Europe centrale. V. Havel est plutôt optimiste puisqu'il considère que l'Europe ne menace pas l'identité nationale mais en est au contraire un facteur de préservation. V. pidla souligne la nécessité de préserver cette identité nationale tout en étant favorable à une Europe supranationale. V. Klaus défend des positions plus extrêmes et assimile l'UE à une entité supranationale, dangereuse pour la nation.

Dans cette première partie, nous avons retracé l'histoire de la constitution de la nation tchèque depuis le XIXème afin de comprendre les enjeux que représente l'intégration européenne pour le peuple tchèque. La nation tchèque est une nation culturelle qui s'est construite en opposition aux Allemands puis aux Slovaques, autour de la langue et du territoire. En rejoignant l'UE, les Tchèques vont à nouveau cohabiter avec ces deux communautés, ce qui n'est pas sans susciter des craintes. Il nous faut maintenant se tourner vers les discours de presse pour analyser la représentation que les médias proposent de la République tchèque à l'heure de son entrée dans l'UE. Les thématiques dominantes dans l'espace public tchèque se retrouvent-elles dans les discours de presse ?

DEUXIEME PARTIE : LA REPRESENTATION MEDIATIQUE DE LA REPUBLIQUE TCHEQUE EN 2004

La première partie de notre travail nous a permis de comprendre le processus de constitution de la nation tchèque et comment son identité avait évolué. Nous allons maintenant procéder à l'analyse des articles publiés dans la presse quotidienne française en 2004. Notre analyse se composera de trois parties. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à la représentation de l'identité nationale tchèque dans les discours en utilisant la typologie proposée par A-M. Thiesse. Puis, nous étudierons la représentation de l'opinion publique construite par les quotidiens ainsi que celle des partis politiques tchèques. Nous terminerons par une analyse des discours ayant trait à la situation économique et sociale de la République tchèque, une thématique qui s'est révélée être dominante dans les quotidiens. Ces trois volets de notre analyse nous permettront de préciser la représentation de la République tchèque proposée par la presse quotidienne française, à un moment clé de son histoire.

Avant de débuter nos analyses, il importe de dire quelques mots de la couverture médiatique dont a fait l'objet l'entrée de la République tchèque dans l'UE. Si cet événement a bien retenu l'attention de tous les quotidiens, tous ne lui ont pas consacré un nombre d'articles similaire (cf. Annexe n°7 et 8). L'Humanité est celui qui s'intéresse le moins à cet événement puisque seuls deux articles sont publiés. Nous pouvons préciser qu'ils sont tous deux écrits par Paul Falzon, un journaliste qui travaille depuis Paris. Cette précision n'est pas anodine comme le révèlera l'analyse des discours. A l'inverse, Le Monde et La Croix sont les deux quotidiens qui se sont le plus mobilisés, proposant chacun dix articles, liés aussi bien à l'économie tchèque, qu'à l'environnement ou encore à la vie politique. En outre, nous avons remarqué que tous les articles de La Croix sont écrits par des correspondants ou des envoyés spéciaux, ce qui explique la précision des discours. Le Monde fait appel à un journaliste d'origine tchèque, un détail qui nous permettra de comprendre les thèmes choisis par le quotidien pour certains de ses articles. Libération publie neuf articles sur la République tchèque, tous écrits par des envoyés spéciaux ou des correspondants. Enfin, Le Figaro ne consacre que cinq articles à ce pays. Pour ce quotidien, nous ne disposons pas d'information concernant le statut des journalistes.

Ces différents éléments nous indiquent d'ores et déjà, l'intérêt que porte chaque quotidien à l'entrée de la République tchèque dans l'UE. Nos différentes analyses nous permettront de préciser la représentation que chacun propose de ce pays aux lecteurs français.

I. La représentation de l'identité nationale tchèque

L'objectif de cette partie est d'analyser la représentation de l'identité nationale tchèque proposée par les quotidiens, à partir de la typologie d'Anne-Marie Thiesse159(*) (cf. première partie). Cela consiste à repérer les composantes de l'identité nationale privilégiées dans les discours et le cas échéant comprendre celles qui sont occultées. Nous nous intéresserons également à la représentation de la République tchèque en terme de nation, autrement dit la République tchèque est-elle représentée comme une nation civique ou culturelle ? Nous répondrons à cette question à en repérant les champs lexicaux présents dans les discours. Enfin, nous prêterons attention à la place réservée à l'Allemagne par les journaux puisque le peuple allemand a constitué l'un des miroirs contre lequel s'est construite la nation tchèque.

A. Le Monde : la République tchèque, une nation « politique »

Le Monde ne consacre aucun article spécifique au thème de l'identité nationale et de la constitution de la nation tchèque. Néanmoins, nous avons trouvé quelques éléments intéressants dans un article consacré à l'opinion publique160(*). Si, dans l'encart de ce discours, le quotidien mentionne les « identités multiples, faites de coutumes et de particularismes nationaux ou régionaux » qui « viennent enrichir l'Europe » cet aspect n'est pas développé dans le corps de l'article. La composante « folklore » de l'identité nationale est donc seulement évoquée. En réalité, c'est sur l'histoire tchèque que se focalise Le Monde : tout en dressant le portrait d'une femme tchèque, il retrace les grandes lignes de l'histoire de ce pays. La Tchécoslovaquie est un « Etat né des décombres de l'ancienne Europe » qui devient « un protectorat de Bohême Moravie » avant de retourner à la démocratie puis de « connaître plus de quarante ans de communisme » pour enfin retrouver un régime démocratique. Nous pouvons remarquer que le quotidien décrit la Tchécoslovaquie à travers le prisme de la nation civique comme en témoigne l'emploi des mots « citoyenneté », « citoyenne » (à deux reprises), « régime » (à cinq reprises), « démocratie », « démocratique » et « Etat », un vocabulaire qui renvoie au champ lexical de la nation politique telle que nous l'avons définie en première partie. La lecture qui est faite de la nation tchèque est celle d'une nation politique qui a oscillé entre perte d'indépendance, dictature et démocratie. Logiquement, les dates auxquelles fait allusion le journal correspondent toutes à un moment de perte d'indépendance et de changement de régime (par exemple la proclamation du protectorat de Bohême Moravie en 1938, le coup de Prague en 1948, la révolution de velours en 1989...). Il n'est donc pas surprenant que rien ne soit dit de la constitution de la nation culturelle au XIXème siècle et du rôle joué par la langue dans la constitution de l'identité nationale. Une phrase illustre bien la perspective dans laquelle se place Le Monde : Blazena fut « ballottée d'une citoyenneté et d'un régime à l'autre pendant près d'un siècle ». Pour clore cette rétrospective des différents régimes traversés par le pays, Le Monde souligne à deux reprises en citant les propos de trois femmes tchèques, le bonheur de « la liberté retrouvée », une liberté « qui est le plus beau présent ». La notion de liberté peut, elle aussi, être rattachée au champ lexical de la nation civique car elle renvoie à la liberté politique et à la garantie pour chaque individu de jouir de ses droits civiques. La lecture que fait Le Monde de l'histoire tchèque permet de comprendre la dernière phrase de l'article : « l'UE sera une garantie supplémentaire pour nous protéger du retour de ces dictatures ». Dans la perspective de la nation politique, l'enjeu de l'intégration n'est pas la question de la place de la culture tchèque dans l'UE ou la question de la dissolution de l'identité nationale mais celle de la préservation de la démocratie.

B. L'Humanité : une seule référence, l'histoire

Il y a très peu d'éléments sur l'identité nationale dans les articles de L'Humanité. La seule indication que nous trouvons est une référence historique. Amenée sans transition suite à un paragraphe sur les élections européennes, elle se résume à une phrase : « La révolution de velours menée par le dramaturge V. Havel a permis au pays de gérer assez sereinement le changement de régime, puis en 1993, la partition à l'amiable de la Tchécoslovaquie »161(*). Nous pouvons d'ores et déjà noter la présence du terme « régime » qui renvoie là aussi la nation politique. Cette référence historique est liée à l'histoire contemporaine de la République tchèque mais pas à la construction de la nation. Le quotidien se contente de mentionner deux événements auxquels est associée la République tchèque dans l'imaginaire des Français et ce, sans les expliciter. La façon dont L'Humanité présente l'histoire de la République tchèque semble confirmer l'idée d'une représentation stéréotypée des pays étrangers dans la presse française. R. Amossy définit le stéréotype comme « une représentation ou une image collective simplifiée et figée des êtres et des choses que nous héritons de notre culture ». Il est « le prisme à travers lequel les interactants perçoivent les membres d'un groupe étranger »162(*).

Un second élément a retenu notre attention. A deux reprises L'Humanité utilise le terme « bloc de l'Est » : la République tchèque fait partie des « nouveaux membres de l'UE issus du bloc de l'Est » et « la chute du bloc de l'Est ». Le terme « bloc de l'Est » nous rappelle la barrière symbolique dont parlait Miroslav Hroch et semble confirmer ses dires. En effet, même si L'Humanité parle de la « chute du bloc de l'Est », il ne fait que pérenniser dans les mentalités la division entre Europe occidentale et Europe de l'Est, ce que confirme l'emploi de l'expression « pays de l'Est »163(*) pour qualifier la République tchèque.

C. Le Figaro : une nation culturelle qui s'occidentalise

1. La République tchèque, un pays qui tend à s'occidentaliser

L'article intitulé « L'insoutenable légèreté des Tchèques »164(*) est le seul dans lequel figurent quelques éléments qui nous permettent d'analyser la représentation de l'identité nationale tchèque proposée par Le Figaro. Cet article se compose de deux parties que nous analyserons chacune séparément car elles renvoient à deux dispositifs discursifs différents165(*) qui ont une incidence sur le contenu. Dans la première partie, Le Figaro se focalise essentiellement sur trois éléments de l'identité nationale avec plus ou moins de précision : la culture, la gastronomie et la religion. Nous avons relevé différents mots appartenant au champ lexical de la culture : « le poids de la culture », « le cinéma », « l'art », « photographe », « exposition », « boîte de nuit », « musique alternative », « rythme », « télé réalité »... ainsi que des noms d'artistes ou d'intellectuels : Milos Forman, Jan Sverak, Antonin Dvorak, Milan Kundera... La présence de ce champ lexical dans le discours du Figaro appelle plusieurs remarques. En réalité, seuls deux termes pris dans leur contexte renvoient à la culture comme facteur constitutif de l'identité nationale : « le poids de la culture » (Le Figaro écrit « tu ne peux cependant renier le poids de la culture présente dans la conscience collective qui a forgé ton identité ») et l'art : « pour toi, l'art est la véritable histoire des nations ». Les autres termes cités renvoient certes à la culture mais à la culture contemporaine et plus généralement au mode de vie tchèque. Il nous semble donc que ce n'est pas dans une perspective identitaire que le quotidien évoque la place de la culture en République tchèque. Il entend montrer que ce pays, de part son mode de vie, se rapproche des standards occidentaux, un procédé qui est aussi celui de Libération. D'autre part, aucun terme relevant du champ lexical de la nation culturelle tels que langue, communauté... ne figure dans le discours ; ce qui confirme que ce n'est pas vraiment de la constitution de la nation tchèque dont nous parle le quotidien. Enfin, nous pouvons noter que rien n'est dit sur le théâtre, l'art qui a joué un rôle primordial dans la constitution de l'identité nationale et que tous les termes cités se rapportent au cinéma, à la photographie et à la musique. La culture n'est donc pas abordée dans une perspective identitaire mais dans l'objectif de décrire le mode de vie tchèque aujourd'hui.

La même stratégie est adoptée pour présenter la gastronomie : ce n'est pas l'aspect traditionnel qui importe Le Figaro mais l'évolution du mode alimentaire tchèque vers une cuisine occidentale. En effet, la cuisine traditionnelle est décrite en une phrase : « la cuisine traditionnelle, à base de viandes en sauce, de goulasch ou de knedlicky boulettes à base farine assez `étouffe-marxiste', relève parfois du suicide par la fourchette ». Cette phrase contraste avec la série de termes qui renvoient au mode alimentaire occidental : « plus équilibrée », « fruits et légumes » qui cependant « n'occupent qu'une petite place » dans l'alimentation tchèque et les cantines qui sont « plutôt mexicaines, italiennes ou chinoises ». Cette évolution du mode alimentaire est soulignée à deux reprises par le terme « désormais » qui marque une rupture avec les habitudes des années passées. Ensuite, la bière est clairement assimilée à un symbole de la République tchèque comme l'illustre la phrase suivante : « en digne représentante de ton pays, tu ne rechignes jamais devant une petite bière ». Toutefois, le quotidien souligne que le « mode de vie à la tchèque ne paraît guère des plus sains », une façon de dire que si le mode de vie tchèque a évolué, il n'égale pas encore celui des pays d'Europe occidentale. Si la gastronomie constitue bien une des composantes de l'identité nationale dans la typologie d'A-M. Thiesse, ce n'est pas dans une perspective identitaire que Le Figaro se focalise sur cet élément. Décrire les habitudes gastronomiques et plus généralement le mode de vie tchèque est une façon de souligner l'évolution accomplie mais aussi la différence qui subsiste entre les deux parties de l'Europe. La République tchèque est d'ailleurs qualifiée du « plus intellectuel des pays de cette Autre Europe », une expression qui accrédite l'idée de M. Hroch : la barrière symbolique entre l'Est et l'Ouest existe toujours.

Enfin, la religion est la dernière composante de l'identité nationale que le quotidien mentionne dans cet article. Cette référence peut, au premier abord, sembler paradoxale puisque nous avons expliqué que la religion n'a pas constitué pour le peuple tchèque un pôle d'identification primordial. L'analyse de cette dernière partie de l'article nous permet de comprendre la logique du Figaro : « les Tchèques sont toujours les plus athées d'Europe », le superlatif associé à la locution « toujours » accentuant cet athéisme. Comme Libération, il souligne avec toutefois moins d'insistance le mariage « de plus en plus tardif », « la multiplication des divorces » et le « taux de natalité [...] le plus bas du monde ». Ces différentes informations concernant le mode de vie tchèque sont énumérées à la fin de l'article mais ne font l'objet d'aucun commentaire. Cela semble confirmer ce que nous avons dit précédemment : la religion n'est pas évoquée par le quotidien dans une perspective identitaire mais dans l'optique de montrer que, par certains aspects, la République tchèque se rapproche des standards occidentaux.

2. La République tchèque : une nation culturelle

La seconde partie de l'article est un entretien avec un cinéaste et metteur en scène tchèque. La première chose qui retient notre attention est le statut de l'énonciateur convoqué par Le Figaro. Le quotidien n'interviewe pas un spécialiste de l'Europe centrale mais un cinéaste, metteur en scène relativement réputé en République tchèque. Il rappelle ainsi le rôle que les intellectuels et les artistes ont joué et jouent encore dans ce pays. Le statut de l'énonciateur nous permet de comprendre pourquoi les composantes de l'identité nationale qu'il mentionne sont différentes de celles évoquées dans le reste du corpus. Par exemple, contrairement à Le Monde qui retrace l'histoire de la nation tchèque dans une perspective politique, J. Sverak énumère les différentes étapes qui ont jalonné la formation de la nation tchèque comme nation culturelle : la prise de conscience de former un peuple, la menace de la langue et de l'Etat, le rôle joué par la culture : « la création artistique qui caractérise notre pays » et la méfiance « atavique » des Tchèques que nous pouvons relier au complexe de la petite nation.

L'étude des différents champs lexicaux présents dans cet article est assez révélatrice de la perspective choisie J. Sverak pour parler de la nation tchèque. Nous pouvons noter la présence de termes relevant du champ lexical de la nation culturelle : « peuple » (à deux reprises), « identité » (à deux reprises), « langue », « création artistique ». A ce premier champ lexical, s'ajoute celui de la domination : « menacés en permanence », « contraints », « nous avons toujours été broyés », « pays pris en tenaille », « plusieurs fois été trahis », « les drames » traversés par le pays, « opprimés ». Tous ces termes renvoient à la situation du peuple tchèque au XIXème siècle principalement. Nous trouvons également quelques phrases et expressions relatives à l'identité : « quête permanente de son identité », « recherchent cette identité » et « forgés à travers l'histoire ». Enfin le champ lexical de la littérature est aussi révélateur de la perspective de J. Sverak : « langue », « langue tchèque », « dérision », « humour » qui caractérisent la littérature tchèque, des « grands écrivains » comme « Karel Capek », « Jaroslav Hasek », « Bohumil Hrabal » et « Milan Kundera », « intellectuel ». L'association de ces trois champs lexicaux suffit à définir la nation tchèque : une nation opprimée et menacée jusqu'à la fin du XIXème siècle pour laquelle la littérature et plus généralement la langue ont joué le rôle d' « arme et [de] bouée de sauvetage », autrement dit ont contribué à la constitution de la nation tchèque. J. Sverak dépeint donc cette nation comme un nation culturelle dans laquelle la langue a joué un rôle fondamental.

L'analyse de ses propos nous ont permis d'identifier deux autres composantes de l'identité nationale : le territoire et l'histoire. En effet, il évoque son attachement au territoire tchèque à travers la question de l'exil : contrairement à certains intellectuels qui ont fui le régime communiste, J. Sverak a refusé « de façon catégorique » de s'installer à l'étranger. Ses explications sont assez révélatrices de l'attachement que les Tchèques portent à leur territoire et à leur langue : « ma profession de cinéaste, mon savoir-faire, sont trop liés à la langue tchèque et j'aurais eu trop la nostalgie de mon pays ». Un attachement qui est mis en valeur par la structure de la phrase « à chaque séjour à l'étranger [...] je me suis demandé si je serais capable de rester. A chaque fois ma réponse a été catégorique : non. ». L'histoire, et plus précisément le divorce tchécoslovaque, est la dernière composante de l'identité nationale sur laquelle se focalise le journal. Le Figaro demande à J. Sverak si cette séparation a été vécue comme un « traumatisme ». Le terme « traumatisme » est intéressant car il désigne « un événement qui [...] a une forte portée émotionnelle et qui entraîne [...] des troubles psychiques et somatiques par suite de son incapacité à y répondre adéquatement sur-le-champ »166(*). La scission de la Tchécoslovaquie n'est donc pas interprétée comme une étape supplémentaire dans l'histoire d'une nation politique mais comme un événement susceptible d'avoir des répercussions psychologiques chez un peuple qui s'est en partie constitué contre la nation slovaque. Nous pouvons d'ailleurs souligner que les termes utilisés par J. Sverak pour répondre à cette question relèvent du champ lexical de l'émotion : « surpris », « touché », « vexé », une décision qui « fut une claque » mais qu'il juge « probablement nécessaire pour assainir [leurs] relations ».

Le Figaro est donc le seul journal qui aborde réellement la question de la constitution de la nation tchèque et se focalise sur les deux composantes qui, à nos yeux, sont les plus importantes : la langue et le territoire. Il est intéressant de mettre cet entretien en perspective avec la première partie de l'article : les deux personnes à qui le quotidien donne la parole sont tchèques mais la teneur de leurs propos diffère. Ce décalage s'explique par la modalité du discours : alors que les propos de Marketa sont rapportés au discours indirect libre et permettent donc au quotidien de sélectionner ce qu'il entend dire, les propos de J. Sverak, rapportés au discours direct, se focalisent sur le rôle de la langue et de la culture comme facteurs constitutifs de l'identité nationale. Cette polyphonie discursive est intéressante et accentue le clivage entre le quotidien qui semble méconnaître la question identitaire tchèque et la représentation que les Tchèques ont de l'histoire de leur nation.

D. La Croix : un pays attaché à son folklore

1. La République tchèque, un pays traditionnel

Les différentes composantes de l'identité nationale que nous avons identifiées dans les discours de La Croix sont sensiblement les mêmes que celles repérées dans les autres quotidiens. Dans un article consacré à un reportage sur un petit village tchèque, La Croix énumère certaines habitudes des villageois et choisit de décrire la façon dont les habitants se réunissent à la taverne pour boire une bière. Le « comme partout en République tchèque » souligne que cette coutume n'est pas spécifique à ce village. La consommation de bière est présentée comme un vrai sport national puisque « la plupart de ceux qui sont attablés ont déjà 9 ou 10 traits sur leur fiche ». Contrairement aux autres quotidiens, La Croix ne précise pas que les Tchèques sont les premiers buveurs de bière du monde ; il n'assimile donc pas la bière à un chiffre, à un record mais la présente comme une tradition en la décrivant précisément. Le journal se place implicitement dans une perspective identitaire puisque la bière relève à la fois de la composante « gastronomie » et « folklore » dans la typologie d'A-M. Thiesse. La fin de l'article confirme cette mise en valeur de la composante « tradition » de l'identité nationale : la fête du village qui existe depuis 700 ans est « le sommet de l'année », une durée qui illustre à elle seule l'aspect traditionnel de la fête. Sa description nous renvoie à certaines composantes de l'identité nationale : le « défilé avec le blason du village » à la dimension symbolique de l'identité, le « repas traditionnel » à la gastronomie et à la tradition et le « groupe folklorique habillé par des costumes traditionnels » au folklore et à la tradition. Nous retrouvons donc plusieurs éléments de la « check list identitaire » qui révèlent le poids des composantes de l'identité nationale notamment la tradition que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain. En effet, un second discours confirme l'importance de la tradition dans la vie quotidienne des Tchèques mais cette fois le reportage se passe à Prague. La Croix évoque les traditions tchèques et plus précisément le bal de fin d'études « une tradition bien ancrée en République tchèque »167(*), héritée de l'Empire austro-hongrois « comme bien d'autres ».

2. Une nation politique constituée contre le pouvoir de Vienne

Le journaliste part de cette tradition pour évoquer l'histoire de la construction de la nation tchèque. A plusieurs reprises nous retrouvons l'idée que l'identité tchèque s'est construite en opposition à un Autre, seulement cet Autre n'est pas l'Allemagne mais l'Autriche. La République tchèque « s'est construite contre le pouvoir de Vienne », François-Joseph « s'est opposé à l'autonomie des Tchèques ». De plus, La Croix mentionne l'indépendance en 1918 qui est d'ailleurs la seule date figurant dans l'article et qui correspond à la naissance de l'Etat nation tchécoslovaque. Enfin, les termes liés à l'Autriche sont récurrents : « empire austro-hongrois », « pouvoir de Vienne », « Autriche » (à trois reprises), « autrichiens » (à deux reprises) et « Autriche-Hongrie » alors que l'Allemagne n'est évoquée qu'une seule fois. Il est donc intéressant de noter que pour La Croix, l'identité tchèque s'est construite contre l'Autriche alors que pour les spécialistes de la République tchèque, c'est l'Allemagne qui constitue le miroir identitaire de la nation tchèque au XIXème siècle. La Croix envisage donc le passé du peuple tchèque d'un point de vue politique et non culturel ce que semble confirmer l'absence de tout vocabulaire appartenant au champ lexical de la nation culturelle. Rien n'est dit de la protection de la langue tchèque dominée par la culture allemande qui a constitué l'élément déclencheur du réveil national. Cette lecture politique de la nation est réitérée dans un article consacré à la naissance des Etats nations candidats à l'intégration168(*). En effet, le journaliste rappelle qu'avant de naître sur les décombres de l'Empire, « la Bohême et la Moravie étaient rattachés à la couronne des Habsbourg », une façon de dire que ce n'était pas un Etat souverain : c'est donc la naissance de l'Etat nation qui est mise en valeur. S'il mentionne les « mouvements nationaux » l'expression ne renvoie pas aux Eveilleurs à l'origine de la renaissance nationale mais aux partis politiques qui ont revendiqué la création d'un Etat nation autonome à la fin du XIXème siècle. Cela explique pourquoi les deux figures citées ne sont pas les intellectuels qui ont contribué à l'éveil de la conscience nationale tchèque au XIXème siècle mais des hommes politiques qui furent tout deux présidents de la Première République tchécoslovaque. Comme Le Monde, La Croix retrace l'évolution de la Tchécoslovaquie en tant qu'Etat nation dont elle énumère les grandes étapes : la naissance d'un « régime de démocratie parlementaire », « l'entrée des armées d'Hitler dans les Sudètes », puis la « domination soviétique » en 1945, l'« émancipation de la tutelle de Moscou » en 1989 et enfin le « divorce de velours » en 1993 qui constitue l'étape ultime de l'histoire de l'Etat nation tchèque. Toutes les dates citées correspondent là aussi à des étapes marquantes qui symbolisent la perte d'indépendance ou le recouvrement de l'autonomie et l'avènement de la démocratie. Enfin, il est intéressant de préciser que l'expulsion des Sudètes n'est pas évoquée dans une perspective identitaire mais comme un facteur d'homogénéisation ethnique, qui constitue donc une étape supplémentaire dans la constitution de l'Etat nation.

3. L'ennemi de la nation tchèque : l'Autriche

La perspective choisie par La Croix nous permet de comprendre pourquoi ce n'est pas l'Allemagne qui incarne la figure de l'ennemi mais l'Autriche169(*). Ainsi, les relations austro-tchèques sont envisagées comme l'enjeu principal de l'intégration dans l'UE alors que nous aurions pu attendre à ce que les relations germano-tchèques et notamment la polémique concernant les décrets Benes soient évoquées. En effet, si l'expulsion des Allemands des Sudètes est rapidement mentionnée, elle n'est pas explicitée ni mise en lien avec l'entrée dans l'UE alors que ce sujet a donné lieu à débat tant au niveau tchèque qu'au niveau européen. L'un des enjeux majeurs de l'intégration est mentionné en une phrase : « aujourd'hui, alors que l'entrée dans l'UE conduit la République tchèque dans le même ensemble politique que l'Allemagne et l'Autriche ». Une seconde phrase confirme cette place accordée à l'Autriche : La Croix rapporte les propos de R. Schuster, chercheur à l'Institut des relations internationales de Prague, qui évoque les rapports austro-tchèques. Les termes utilisés pour caractériser les relations entre ces deux pays sont les suivants : « difficiles », « n'étaient pas bonnes », « opposés », et le chercheur souligne en parlant des Tchèques « leurs complexes vis-à-vis des Autrichiens ». Ce sont donc bien les relations entre la République tchèque et l'Autriche qui sont présentées comme l'enjeu de l'intégration même si « la coopération » et « l'amélioration des relations » ont progressivement remplacées les tensions. En outre, la question du complexe tchèque vis-à-vis des Autrichiens nous a quelque peu surpris car c'est généralement par rapport aux Allemands que les Tchèques éprouvent un sentiment d'infériorité. Ces différents éléments révèlent donc bien que la représentation de la nation tchèque véhiculée par le quotidien est une celle d'une nation politique qui ne converge pas avec la représentation que les Tchèques se font de leur nation.

Un article nous permet de confirmer ce décalage entre la représentation tchèque de la nation et celle que propose la presse française. Dans le reportage consacré à l'opinion des habitants d'un petit village tchèque sur l'intégration dans l'UE170(*), La Croix rapporte les propos d'un jeune tchèque âgé de 25 ans. Il « n'aime pas » ce pays. L'Allemagne est donc associée à l'ennemi. En guise d'explication il pose une question rhétorique : « vous pensez qu'avec l'Europe, l'Allemagne va nous submerger, nous, la petite République tchèque ? », une peur qui renvoie au complexe de la petite nation et à la crainte de la domination, mise en valeur par les termes « petit » et « submerger ». L'Allemagne est perçue comme une puissance menaçante même chez les générations qui n'ont pas connu l'Empire d'Autriche Hongrie. Cette crainte révèle le poids des représentations de l'Allemagne dans l'imaginaire collectif tchèque, ce que La Croix remarque en écrivant : « malgré son jeune âge, il hérite d'une méfiance bien ancrée ici ».

Pour terminer nous pouvons signaler que la référence à la religion est absente des discours de La Croix alors que cette composante de l'identité nationale est soulignée à plusieurs reprises par Libération. En réalité ce silence n'est pas surprenant. En effet, la religion n'a pas constitué un pôle d'identification pour les Tchèques, c'est pourquoi elle n'est pas présentée comme une des composantes fondamentales de l'identité nationale. Une autre divergence peut être soulignée entre La Croix, Libération et Le Figaro : la composante « gastronomie » figure dans les discours des trois quotidiens. Cependant, pour La Croix, elle ne participe pas à la construction d'une représentation stéréotypée de la République tchèque mais d'une mise en valeur du rôle de la tradition dans ce pays. Alors que Libération souhaite à tout prix effacer le poids de la tradition, tout ce qui concerne ce thème est valorisé par La Croix.

E. Libération : un pays qui s'occidentalise

1. La religion, une composante de l'identité nationale ?

Les deux thèmes choisis par Libération pour parler de la République tchèque dans le premier article en rapport avec l'identité nationale sont assez étonnants. Intitulé « République tchèque. Les plus athées »171(*) ce discours porte à la fois sur la religion, le mariage et le divorce. Le quotidien met en avant la baisse du nombre de mariages et l'augmentation du nombre de divorces de diverses manières : les chiffres avancées et notamment le taux de divorce permettent de confirmer les dires de Libération, tout comme la structure des phrases et le lexique employé. Le mariage est une chose qui se fait « de moins en moins et de plus en plus tard » et le nombre de mariage « a été le plus bas » depuis la seconde guerre mondiale. Des données auxquelles le quotidien oppose le nombre de divorce qui « a augmenté de façon très importante », « dépassant le record de... ». L'emploi des superlatifs permet de renforcer le contraste. Alors que Libération aurait pu être décrire le mariage comme une tradition faisant partie intégrante de l'identité tchèque, il se livre à une évaluation chiffrée du nombre de mariages et de divorces. Cette stratégie discursive est à nos yeux tout à fait volontaire et permet de véhiculer une certaine représentation de la République tchèque, celle d'un pays dont le mode de vie est relativement proche de celui des pays d'Europe occidentale. C'est sans doute pourquoi le quotidien mentionne également le nombre d'unions libres et d'avortements.

La même stratégie est adoptée pour aborder le thème de la religion : « la faiblesse du poids de la religion » est avancée avec incertitude pour expliquer la baisse du nombre de mariages. Le quotidien qualifie les Tchèques des « plus athées de l'Europe » et poursuit en écrivant que « le peu de croyants... ». Ce n'est donc pas dans une perspective identitaire que Libération évoque la place de la religion en République tchèque mais dans l'optique de souligner la sécularisation de la société.

A la fin de l'article, Libération nous donne des informations sans lien avec la religion ou la question du mariage parmi lesquelles figure la « date clé » : le 17 novembre 1989. Cette date symbolique qui correspond à la chute du régime communiste signifie le retour à la démocratie, une étape importante dans la constitution d'un Etat nation. Enfin, il faut noter que la plupart des informations sont brutes et ne font l'objet d'aucun commentaire, aucun discours n'est rapporté ce qui permet juste au lecteur de se faire une représentation schématique de la République tchèque.

2. La tradition, une composante de l'identité nationale qui tend à disparaître

L'article intitulé « On dirait que vous avez peur de nous »172(*) nous permet de confirmer certaines remarques faites précédemment. La moitié du discours est consacré au mariage de deux Tchèques ce qui, au premier abord, peut sembler paradoxal au vu de l'article précédent. En réalité, l'analyse permet de comprendre la stratégie de Libération : certes le mariage est « un peu à contre courant des habitudes des Tchèques » mais le quotidien entend montrer que quand il y a mariage celui-ci n'a rien de traditionnel. En effet, plusieurs détails permettent de souligner l'absence de tradition : le mariage « n'avait rien de traditionnel », il était inspiré des films américains, il n'y a pas eu de passage à l'Eglise puisqu'« ils sont tous les deux athées comme l'immense majorité des Tchèques », enfin ils habitent ensemble depuis six ans, la liste de mariage est donc inutile. Pourtant les deux mariés ont du faire quelques concessions à la tradition que Libération énumère dans un second temps en une seule phrase : la robe de princesse, la promenade en voiture ancienne, la sérénade des musiciens traditionnels... Alors que la description du mariage comme cérémonie « non traditionnelle » est renforcée par les propos des jeunes mariés, l'énumération des concessions faîtes à la tradition ne fait l'objet que d'une seule phrase et n'est légitimée par aucun discours rapporté qui puisse les mettre en valeur ; c'est donc bien l'absence de tradition voire même le refus de la tradition qui est ici souligné. Ce reportage confirme donc la stratégie discursive de Libération mentionnée dans l'article précédent qui vise à présenter le mariage non comme une tradition et donc une composante de l'identité nationale mais comme un « fête » pour rependre les termes des deux mariés.

3. Une représentation confuse de l'identité nationale

« Portrait robot des dix nouveaux : République tchèque »173(*) est le dernier article dans lequel Libération nous donne quelques indications quant aux composantes de l'identité nationale tchèque. La première remarque que nous pouvons faire concerne le format de cet article : un « portrait robot » qui résume avec plus ou moins d'exactitude les différents éléments de la « check list identitaire ». L'histoire est la première composante mise en avant par le quotidien qui retient deux dates significatives pour la nation tchèque : 1968 et 1989. Nous retrouvons donc là encore les deux événements auxquels est associée la République tchèque dans l'imaginaire des Français. Ensuite, le personnage retenu comme symbole de la République tchèque est le brave soldat Chveïk qui constitue effectivement l'une des figures marquantes de la littérature et est encore aujourd'hui considéré comme le symbole de la nation tchèque. Ensuite, Libération retient comme « lieu » représentatif de la République tchèque, la ruelle des alchimistes, qui nous renvoie aux lieux de mémoire dans la typologie d'A-M. Thiesse. Cependant, le lieu cité par Libération n'est pas un lieu symbolique dans l'histoire tchèque comme l'est par exemple la place Venceslas. Le quotidien semble opérer une confusion peut-être volontaire entre un lieu porteur de signification pour les Tchèques et un lieu touristique susceptible d'avoir des résonances chez les lecteurs qui connaissent la ville de Prague. De même, il nous semble que le quotidien opère une autre confusion en citant Le Procès de Kafka comme une oeuvre emblématique de la République tchèque. Libération choisit une référence généralement connue des lecteurs mais qui n'est pas considérée comme représentative de l'identité tchèque. Vient ensuite le « bonus » : Libération souligne que les Tchèques sont les plus grands consommateurs de bières ce qui nous renvoie à la composante « gastronomie » dans la typologie d'A-M. Thiesse. Contrairement à La Croix, aucun détail supplémentaire n'est donné sur cette pratique qui n'est donc pas considérée comme une tradition mais plutôt présentée comme un stéréotype. Puis vient l'énumération de figures importantes : M. Kundera, V. Havel désigné comme « l'ambassadeur » et Vera Caslavska, une sportive. Il faut noter que ces personnes certes importantes, sont des Tchèques contemporains et non pas les « héros » qui constituent un élément de la « check list identitaire » pour A-M. Thiesse. Enfin, Libération termine par le « juron » qui renvoie au langage de la vie quotidienne et non pas à la langue comme facteur constitutif de l'identité nationale.

L'analyse de ce portrait robot nous invite à faire plusieurs remarques : finalement, peu d'éléments cités par Libération renvoient réellement à l'identité nationale tchèque : la plupart sont inexacts et ceux qui constituent bel et bien un élément de la check list identitaire sont évoqués rapidement sans analyse précise de la façon dont ils ont pesé dans la constitution de l'identité nationale tchèque. Ce portrait-robot ne nous livre finalement qu'une représentation largement stéréotypée de la République tchèque en évoquant des éléments qui pour la plupart sont connus des lecteurs.

Ce premier volet de notre analyse nous permet de répondre à nos questions de départ et de pointer des similitudes et des divergences entre les quotidiens. Tous les journaux fournissent une représentation de l'identité nationale tchèque peu précise voire presque inexistante pour L'Humanité, focalisée sur certains éléments de la « check list identitaire ». Cependant, nous pouvons tout de même souligner quelques divergences. Alors que les deux composantes fondamentales de l'identité nationale sont la langue et le territoire, celles-ci n'apparaissent pas ou très peu dans les journaux qui, comme Le Figaro et Libération, privilégient la gastronomie et la religion. Ces deux composantes de l'identité nationale ne sont pas évoquées dans une perspective identitaire mais dans l'objectif de donner aux lecteurs une certaine représentation de la République tchèque, celle d'un pays dont le mode de vie se rapproche de celui des pays d'Europe occidentale. Seul La Croix propose une lecture différente de la composante « gastronomie » : c'est une tradition encore importante en République tchèque. Les discours du Monde et de L'Humanité sont quant à eux presque muets sur les diverses composantes de l'identité nationale. Il est intéressant de rappeler que A-M. Thiesse considère les coutumes et la gastronomie comme des éléments secondaires de l'identité nationale d'un pays alors que ce sont les composantes privilégiées par les médias. La représentation de l'identité tchèque proposée par les quotidiens relève donc largement du stéréotype et confirme que les médias français méconnaissent l'histoire de la nation tchèque.

L'analyse de notre corpus est assez révélatrice en ce qui concerne la dichotomie entre nation civique et culturelle : aucun quotidien ne décrit la nation tchèque comme une nation culturelle et c'est à travers le prisme de la nation civique que les grands moments de l'histoire tchèque sont évoqués notamment dans les discours de La Croix et du Monde. Cette lecture politique de la nation tchèque révèle le poids des représentations qui structurent notre pensée et permet de comprendre pourquoi des événements pourtant majeurs tels que l'expulsion des Sudètes ou la question de la confusion entre l'identité tchèque et l'identité tchécoslovaque n'apparaissent pas dans notre corpus. Enfin, de façon cohérente, l'Allemagne n'est à aucun moment présentée comme le miroir identitaire de la nation tchèque excepté dans les propos d'un tchèque.

Nous avons remarqué que dans les titres de plusieurs quotidiens figure l'expression « révolution de velours »174(*) sans que cet événement ne constitue le sujet de l'article. Nous sommes ici en présence de ce que E. Véron nomme l'effet de reconnaissance qui « consiste à fonder le titre principal sur la reprise d'une expression existant dans le champ culturel du lecteur »175(*). L'emploi de cette expression confirme que dans l'imaginaire des lecteurs français, la République tchèque est associée à quelques grandes dates historiques telles que 1968, 1989 et 1993.

II. L'opinion publique et les partis politiques tchèques face à l'intégration

A. La construction de l'opinion publique dans les discours médiatiques

Chaque quotidien donne la parole à un moment ou à un autre à des Tchèques qui expriment leur opinion par rapport à l'intégration de leur pays dans l'UE. Ces propos rapportés permettent aux médias de construire une certaine représentation de l'opinion publique tchèque qu'il nous faut analyser. Les trois critiques émises par P. Bourdieu à l'encontre des sondages nous permettront de comprendre la représentation proposée par les discours de presse. Nous analyserons donc les propos des Tchèques rapportés dans les discours médiatiques en ayant à l'esprit les questions suivantes :

- Si toutes les opinions ne se valent pas, quelles sont celles qui sont privilégiées par les quotidiens ?

- Si une question n'a pas la même importance pour toutes les personnes interrogées, comment les Tchèques interprètent-ils l'intégration ? Est-elle synonyme de craintes, d'attentes ? Sont-elles légitimées par les quotidiens ?

- Tout le monde n'a pas les connaissances nécessaires pour se forger une opinion. Les journaux rapportent-ils des propos de Tchèques « sans opinion » ?

Cette analyse de la représentation de l'opinion publique nous permettra de repérer s'il existe un décalage avec l'opinion publique sondagière que nous avons évoquée dans la première partie de notre travail. Enfin, nous reprendrons la distinction de Ruth Amossy entre discours à dimension argumentative et discours à visée argumentative pour comprendre quel type de propos sont rapportés par les quotidiens. La typologie de C. Perelman nous permettra d'analyser les arguments avancés par certains énonciateurs tchèques pour légitimer l'entrée de leur pays dans l'UE.

1. Le Monde : une opinion publique tchèque europhile

Les discours du Monde se distinguent des autres quotidiens par la densité des propos rapportés mais également par leur contenu. Différentes figures apparaissent dans trois articles : Simon Panek, reporter et journaliste, « fils spirituel de l'ex-président tchèque »176(*) ; Blazena, 91 ans, « passionnée par la chose publique »177(*) ; Klara, 27 ans, diplômée en sciences politiques, travaille avec les institutions européennes ; Blanka, 59 ans et Monika Pajerova, coordinatrice d'une association « oui pour l'Europe »178(*). Nous pouvons faire une première remarque quant à la position sociale et au statut des énonciateurs convoqués par Le Monde. Contrairement à Libération et au Figaro qui se sont tournés vers des étudiants pour incarner l'opinion publique tchèque, Le Monde privilégie des personnes de tout âge qui ont pour point commun leur intérêt pour les questions politiques et notamment l'Europe. Klara et Simon Panek ont même des connaissances spécifiques à ce sujet qui leur permettent d'avoir un avis précis sur l'élargissement. Il n'est donc pas étonnant de constater que leurs opinions par rapport à l'intégration soient dans l'ensemble similaires : presque tous sont favorables à l'Europe. Les différents termes utilisés pour qualifier leurs positions sont assez révélateurs. Simon Panek est un « Européen convaincu » pour qui le 1er mai est « un jour de gloire ». Blazena est la « plus europhile », une « europhile convaincue » et sa petite fille, Klara, est « euro-optimiste ». Enfin, Monika est une « europhile de la première heure ». Seule Blanka semble être moins enthousiaste : elle « ne se fai[t] pas d'illusions sur l'Union ». Le Monde est le seul quotidien à recourir à des adjectifs tels que « europhile » ou « euro-optimiste » qui lui permettent de définir explicitement les positions des énonciateurs à qui il donne la parole. Leur soutien à l'Europe est donc incontestable mais n'est pas représentatif de l'ensemble des citoyens. Le Monde écrit par exemple que S. Panek ne partage pas « la tiédeur de ses compatriotes » ni « l'euroscepticisme du président V. Klaus »179(*). Blanka rejette « les réserves traditionnelles de ses compatriotes »180(*). Ces deux phrases révèlent bien qu'il n'y a pas une opinion publique tchèque mais des opinions. Si le quotidien choisit de donner la parole à des Européens convaincus, la population tchèque se caractérise dans l'ensemble par son scepticisme.

L'analyse des propos des personnes convoquées par Le Monde est, elle aussi, intéressante. Alors que la plupart des quotidiens se focalisent sur les craintes de l'opinion publique, quasiment tous les Tchèques interrogés par Le Monde formulent des attentes. Pour S. Panek, les avantages de l'intégration « dominent » et il attend « un déplacement vers l'Ouest de toute la société tchèque où perdure une mentalité totalitaire ». Blazena estime « que les jeunes y gagneront beaucoup » même si elle n'attend pas que l'intégration lui soit bénéfique. Elle espère également que l'adhésion « pallie[ra] les désordres [du] pays et l'incompétence de certains dirigeants ». De même, Blanka « espère » que l'adhésion aura des effets sur le personnel politique « bien médiocre ». L'intégration est donc perçue par ces différentes personnes comme un événement important, susceptible d'avoir des impacts à la fois sur la vie politique tchèque et sur la société civile.

Le terme de crainte ne figure à aucun moment dans les articles du Monde, ce qui laisse penser que l'intégration est uniquement synonyme de bénéfices et d'attentes. Cependant, il nous semble que certains propos peuvent être considérés comme des craintes même s'ils ne sont pas présentés comme tel. Par exemple, S. Panek reconnaît qu'il faudra rappeler à la Commission européenne que l'Europe centrale existe, une remarque qui renvoie à la crainte d'arriver « en ligue B » de l'UE pour reprendre les termes de Libération. Nous retrouvons la même idée dans les propos de Klara : en travaillant avec les institutions européennes, elle a pris conscience « des handicaps des petits pays ». En outre, elle « regrette [...] la tendance des grands à brimer les petits ». Ses préoccupations correspondent donc bien aux craintes identifiées par les experts mais le quotidien ne les présente pas comme telles. Cette stratégie permet de minimiser le « rejet » dont font l'objet les petits pays. D'ailleurs, nous pouvons souligner que Le Monde ne mentionne à aucun moment les mesures prises par l'UE pour limiter la libre circulation des ressortissants des pays candidats. Ce silence confirme peut être la volonté de ne pas pointer du doigt les difficultés soulevées par l'adhésion ou du moins de les minimiser.

La plupart des propos sont rapportés au discours direct et sont des énoncés à dimension argumentative. Cette modalité de discours permet de penser que Le Monde légitime les paroles des énonciateurs convoqués, voire les met en valeur. Cependant, en ne citant que des énoncés à dimension argumentative, il se contente de donner au lecteur un aperçu de la représentation que les Tchèques se font de l'intégration. En effet, nous n'avons trouvé qu'un seul énoncé à visée argumentative émanant de S. Panek. Celui-ci justifie l'entrée de la République dans l'UE en mettant en avant ce que son pays peut apporter à l'Union : la « connaissance » et « la sensibilité »181(*). Cette analyse de la représentation de l'opinion publique tchèque révèle bien qu'il n'y a pas une opinion publique. Cependant, Le Monde interroge uniquement des personnes qui ont la compétence politique suffisante pour se forger une opinion de l'intégration. Convaincues du bien-fondé de l'élargissement, elles en attendent beaucoup et minimisent les difficultés que leur pays rencontre.

2. L'Humanité : une opinion publique largement indifférente

L'Humanité ne consacre aucun article spécifique à l'opinion publique tchèque mais les discours nous fournissent quelques éléments permettant de comprendre la représentation qu'il construit de cette opinion. Un premier discours insiste sur l'indifférence de la population tchèque comme le révèle le titre de l'article : « A Prague l'indifférence domine »182(*). Cette indifférence est à nouveau pointée du doigt dans la première phrase du discours : « deux semaines après avoir rejoint l'UE, une certaine indifférence vis-à-vis des enjeux communautaires a déjà gagné la population tchèque ». Le quotidien parle de « la population », il généralise donc les opinions des Tchèques à une opinion publique. La mention du nombre d'électeurs susceptibles de s'abstenir aux élections européennes est aussi une façon de souligner cette indifférence.

Le quotidien s'attarde peu sur les craintes et les attentes de cette opinion publique. Il suggère de façon implicite que les attentes des Tchèques sont d'ordre économique. En effet, la question rhétorique qui ouvre l'article du 26 avril 2004 : « que peut attendre de l'élargissement le plus riche des pays de l'Est ? » laisse entendre que l'intégration est essentiellement synonyme d'opportunités économiques. Par contre, les craintes sont explicitement évoquées puisque le terme apparaît à deux reprises. L'Humanité écrit qu'elles sont partagées par « une large partie de la population ». Nous retrouvons donc ici la généralisation de l'opinion publique mentionnée précédemment. Le quotidien identifie plusieurs craintes : celle d'une « nouvelle dissolution de la souveraineté nationale » et celles liées à l'Allemagne (les demandes de rachat des terres et de réparation). Il est intéressant de noter que la crainte d'une nouvelle dissolution de la souveraineté ne figure pas parmi les préoccupations principales des Tchèques d'après les dires des experts. Les problèmes auxquels est confrontée la population tchèque vis-à-vis de l'Allemagne sont bien identifiés mais ne sont pas explicités. Enfin, aucun terme ne permet de savoir si le quotidien légitime ou non ces craintes. Il précise simplement qu'elles pourraient faire le lit de l'extrême droite aux prochaines élections.

L'Humanité est finalement assez vague quant à l'opinion publique qu'il présente comme une opinion presque homogène. Il est le seul quotidien dont les discours ne s'appuient sur aucun propos rapportés. Cela rend difficile la construction de la représentation de l'opinion publique qui se caractérise par son indifférence. Celle-ci rappelle le consensus symbolique évoqué par L. Neumayer à propos du référendum d'adhésion, une façon de sous-entendre que pour les Tchèques l'intégration dans l'UE est un événement peu important.

3. Le Figaro

L'opinion publique semble être le thème privilégié par Le Figaro dans son article du 22 juillet 2004 intitulé « L'insoutenable légèreté des Tchèques ; paroles d'Européens »183(*). En réalité, peu d'éléments se rapportent réellement aux sentiments des Tchèques vis-à-vis de l'intégration. Le quotidien débute son reportage en nous parlant de Marketa, une étudiante en cinéma âgée de 23 ans, vivant à Prague. Elle « se sent déjà européenne ». C'est la seule information dont nous disposons et qui sous-entend que la jeune fille est favorable à l'intégration. Nous pouvons noter que la personne choisie par Le Figaro pour incarner l'opinion publique tchèque est représentative d'une certaine population. En effet, les personnes ayant une formation universitaire, les entrepreneurs ou encore les citadins sont des groupes sociaux généralement favorables à l'Europe184(*).

Suite à ce reportage, Le Figaro publie un entretien avec un metteur en scène tchèque185(*). La dernière question de cette interview porte sur l'Europe : est-elle « un rêve, un modèle ou une menace ? ». Ces trois termes renvoient plus ou moins aux différentes phases traversées par l'opinion publique tchèque : le rêve ou la période d'europhorie, la menace ou la période des réticences. Malgré son incertitude (les Tchèques ne savent pas « s'ils s'y plairont »), J. Sverak est « content d'avoir été admis dans cette grande famille ». Il précise qu'il ne veut pas que l'entrée de la République tchèque soit perçue comme opportuniste. Afin de renforcer ses propos, il argumente : son pays « peut également [...] apporter des choses positives, par exemple le souci du travail bien fait ». Il s'agit ici d'un énoncé à visée argumentative que nous pouvons interpréter de deux façons. D'une part, il vise à justifier l'intégration de la République tchèque dans l'UE en prouvant que l'élargissement n'a pas uniquement des effets négatifs. D'autre part, ce souci de justification rappelle le besoin qu'éprouve le peuple tchèque depuis le XIXème siècle d'être investie d'une mission. Peut-être pouvons nous voir dans ces propos l'influence de J. Patocka qui déjà au XIXème siècle définissait le rôle de la nation tchèque au sein de l'Europe comme celui d'une nation utile.

La représentation de l'opinion publique tchèque que propose Le Figaro est très partielle. Seule une personne est interrogée et permet de donner un « visage » à cette opinion publique. Favorable à l'intégration, elle ne fait part d'aucune attente et ne semble donc pas accorder beaucoup d'importance à cet événement.

4. La Croix : « des » opinions diversifiées

a) Une opinion publique peu intéressée par l'intégration

La Croix est le seul quotidien à rappeler le résultat du référendum d'adhésion à l'UE sans pour autant nous proposer comme L'Humanité, une représentation monolithique de l'opinion publique. Le quotidien précise le « visage » de cette opinion dans un reportage au coeur d'un petit village tchèque. Ce village se caractérise par sa « prudence » et « a voté majoritairement oui au référendum [...] mais sans enthousiasme excessif »186(*). Nous pouvons déjà souligner que cette représentation de l'opinion diffère complètement de celle que nous avons analysée dans les discours du Monde. Ici, c'est plutôt le « consensus symbolique » dont parlait Laure Neumayer qui est illustré. Les propos des habitants du village reflètent également ce manque d'enthousiasme, voire l'indifférence. Le directeur adjoint de la coopérative « n'est pas franchement contre l'intégration dans l'UE. Pas franchement pour non plus ». Le maire a voté oui mais « ne s'attend pas à bénéficier beaucoup de l'entrée dans l'UE ». Enfin, Václav, âgé de 25 ans, a également voté pour l'intégration mais aucun détail ne précise son opinion. Malgré les différences d'âge et de statut social, ces trois personnes ont pour point commun d'avoir dit oui à l'Europe sans réelle conviction. En outre, elles sont toutes issues d'un milieu rural. Leur opinion est donc représentative d'une certaine catégorie de personnes. En effet, les ruraux, les personnes âgées ou encore les habitants de petites villes ou de régions pauvres sont généralement plus sceptiques par rapport à l'intégration européenne187(*).

Sceptiques ou indifférents, l'intégration est pour eux synonyme de craintes. Par exemple, Václav « craint » qu'elle ne fasse augmenter les prix, une préoccupation partagée par la plupart des Tchèques aux dires des experts. De façon plus générale, c'est la crainte « de ne pas profiter très vite de l'adhésion à l'UE »188(*) que souligne le quotidien. « Les gens commencent à penser que l'adhésion coûte chère » et ne sont pas sûrs d'en « percevoir les avantages économiques »189(*). Cette phrase est la seule qui nous indique de façon implicite que pour les Tchèques, l'intégration était synonyme de bénéfices économiques. Enfin, le maire du village n'attend rien de l'entrée de son pays dans l'UE. Si ces trois Tchèques ne se montrent pas entièrement réticents à l'intégration, ils ne sont pas non plus convaincus de ses bienfaits. Ces quelques éléments nous permettent de souligner le décalage entre la représentation que propose La Croix de l'opinion publique tchèque et celles que construisent les autres quotidiens. Il est le seul journal qui donne la parole à des personnes peu enthousiastes à l'idée d'intégrer l'UE, reflétant ainsi l'état d'esprit d'une partie de la population tchèque. Cependant, le journal n'entend pas non plus donner l'image d'un peuple réticent ou indifférent à l'élargissement. D'ailleurs, il précise dans cet article que ce village « reste à l'écart du mouvement que crée l'adhésion de la République tchèque à l'UE ». L'entretien avec un cardinal permet de le confirmer190(*). Depuis le début de la campagne pour le référendum, l'Eglise catholique est favorable à l'intégration. Elle est même fermement convaincue comme l'illustre la phrase suivante : « notre pays ne peut ni ne doit rester isolé ». Contrairement aux habitants du village de V., le cardinal n'est ni sceptique, ni indifférent et l'intégration est pour lui synonyme d'attentes qu'il formule explicitement. « Parmi les principaux changements que nous attendons [...] il y a le fait de devenir un Etat de droit ». L'entrée dans l'UE est donc considérée comme un événement important qui devrait avoir des répercussions sur les pratiques politiques du pays.

b) Un tchèque mécontent des mesures prises par l'UE

La Croix est le seul quotidien avec Le Figaro à donner la parole le temps d'un article ou un entretien à un Tchèque191(*). Jan Kohout, secrétaire d'Etat aux affaires européennes et premier vice-ministre des affaires étrangères de la République tchèque entend démontrer que les craintes économiques des pays membres ne sont pas fondées. Ce discours rentre donc dans le cadre des énoncés à visée argumentative c'est-à-dire des énoncés qui visent à persuader « soutenue par une intention consciente et offrant des stratégies programmées à cet effet »192(*). Effectivement, J. Kouhout a pour volonté explicite de convaincre son auditoire. Il affirme par exemple : « notre tâche sera de convaincre ». La présence de connecteurs logiques dans ses propos atteste aussi de l'orientation argumentative du discours. Sans analyser de façon détaillée cet article, nous nous proposons d'interpréter les types d'arguments mobilisés par J. Kohout pour convaincre les lecteurs français que leurs craintes sont infondées. Il en distingue deux : la peur « que leur marché du travail soit envahi par la main d'oeuvre de l'Est » et la peur « qu'il y ait afflux de tourisme social ».

La plupart des arguments avancés par l'orateur pour démythifier ces craintes sont des arguments basés sur la structure du réel. Dans la typologie de C. Perelman, ce type d'argument « se bas[e] sur les liaisons qui existent entre des éléments du réel »193(*). C. Perelman explique que « dès que des éléments du réels sont associés l'un à l'autre dans une liaison reconnue, il est possible de fonder sur elle une argumentation permettant de passer de ce qui est admis à ce que l'on veut faire admettre »194(*). C. Perelman distingue plusieurs genres d'arguments relevant de cette catégorie, dont l'argument pragmatique auquel recourt J. Kohout. Il « permet d'apprécier le fait par ses conséquences » qui peuvent être « observées ou prévues, assurées ou présumées »195(*). C'est notamment ce que fait le secrétaire d'Etat quand il évoque les prévisions de la fondation de l'UE pour l'amélioration des conditions de travail et de vie. Celles-ci prévoient que les migrations vers les pays occidentaux ne devraient pas concerner plus de 200 000 personnes par an. Ce type d'argument se caractérise par un fort degré de persuasion car la preuve apportée est difficilement contestable. L'irréfutabilité est ici renforcée par l'autorité de l'institution convoquée.

Un second argument avancé par J. Kohout a retenu notre attention. Il rappelle que « les périodes de transition instaurées à l'égard de l'Espagne et du Portugal [...] n'étaient pas utiles ». Nous sommes ici en présence d'un autre type argument, « l'argument par l'exemple ». Il « ne considère pas ce qu'il évoque comme unique, lié de façon indissociable au contexte mais recherche à partir du cas particulier la loi ou la structure qui le révèle ». Il permet aussi parfois de passer d'un cas particulier à un autre, ce qui est ici le cas. En recourant à ce type d'argument, J. Kohout affirme que si les périodes de transition prises au moment de l'entrée dans l'UE du Portugal et de l'Espagne se sont avérées inutiles, elles sont aussi inutiles pour la République tchèque. Ces deux types d'arguments employés par le secrétaire d'Etat aux affaires européennes, permettent de construire une argumentation proche de la démonstration, c'est-à-dire d'un raisonnement incontestable qui permet de prouver de façon quasi scientifique que les craintes des Français sont infondées. Enfin, La Croix rapporte ce discours sans aucune modalisation ce qui est une façon de le légitimer l'argumentation de J. Kohout : les mesures prises par l'UE sont injustifiées.

5. Libération : des Tchèques mécontents

Libération consacre un article à l'opinion publique196(*) dans lequel il donne la parole à deux jeunes Tchèques « diplômés et bilingues ». Pavel et Katerina vivent à Prague et sont issus d'une classe sociale aisée comme le suggèrent les détails concernant leurs voyages en Europe et leur mode de vie. Comme Le Figaro, le quotidien donne donc la parole à des personnes issues d'une certaine catégorie sociale, susceptible d'être favorables à l'intégration. Libération évoque « leur forte attente vis-à-vis de l'Europe » dans l'encart mais aucun détail ne figure dans la suite de l'article. Le quotidien se focalise sur le mécontentement et les craintes des deux jeunes comme l'illustrent les termes suivants : « sont très remontés », « enrage », « autre motif d'énervement ». Il est intéressant de noter que le mécontentement de Pavel n'est pas lié à la réticence des Français vis-à-vis des nouveaux pays candidats, mais à l'incapacité de la classe politique tchèque. Celle-ci est exprimée en ces termes : « gouvernement [...] nul », « les politiques sont incapables », « personne n'est foutu. » et elle le conduit à craindre « l'impréparation du pays ».

Si Pavel est « très pessimiste », Katerina pense que l'élargissement « sera très bénéfique » mais elle ne précise pas sa réponse. En revanche, elle exprime son mécontentement par rapport à « l'impression d'atterrir en ligue B de l'UE » et l'impossibilité d'aller travailler en France ou en Allemagne. Elle qualifie cette mesure d'« injuste » et d'« anormale ». Elle énonce donc une crainte qui est celle de nombreux Tchèques et qui renvoie aux mesures prises par l'UE. En effet, certains pays membres ont souhaité limiter temporairement l'accès de leur marché du travail aux ressortissants des nouveaux entrants.

Tous les propos de Pavel et Katerina sont rapportés au discours direct parfois même sans verbe introducteur, une façon pour le quotidien d'accréditer leurs paroles. D'ailleurs, les dernières lignes de l'article semblent le confirmer notamment en ce qui concerne les mesures prises par l'UE. En effet, à la critique de Katka succède la phrase suivante : « eux veulent rester à Prague de toutes façons ». Cette remarque est une façon de signifier qu'il n'y a aucune inquiétude à avoir quant à l'émigration tchèque.

Comme Le Monde, Libération interrogent des personnes qui ont des connaissances suffisantes pour donner leur opinion sur l'intégration. Ces jeunes diplômés connaissent déjà l'Europe, ce qui explique le décalage avec la représentation construite par La Croix. Si l'entrée dans l'UE semble être un événement important, c'est sur les craintes et le mécontentement de ces deux jeunes Tchèques que le quotidien se focalise.

L'analyse des différents propos rapportés par les quotidiens nous permet de faire plusieurs remarques quant à la représentation de l'opinion publique tchèque dans les discours. Il y a bien une opinion privilégiée par les médias puisque quasiment tous les Tchèques interrogés sont favorables à l'intégration, la position la « plus extrême » étant celle de l'indifférence. Nous pouvons toutefois faire quelques nuances. Le Monde dépeint une opinion publique très favorable à l'Europe, peu représentative de la réalité. Le Figaro et Libération donnent également la parole à des Tchèques favorables à l'intégration mais qui ne semblent pas être très convaincus. Seuls L'Humanité et La Croix évoquent l'indifférence d'une partie de la population, rappelant ainsi que la plupart des Tchèques n'avaient pas vraiment d'opinion sur la question de l'intégration européenne. Par ailleurs, aucun quotidien ne donne la parole à un Tchèque anti-européen. Ces remarques nous permettent de dire que finalement, la représentation de l'opinion publique proposée par les quotidiens reste relativement consensuelle, peu conforme à la réalité. Il y a donc une contradiction entre l'opinion publique sondagière197(*) et l'opinion publique que nous proposent les quotidiens, qui n'est cependant pas surprenante. En effet, il est assez difficile au moment où la République tchèque s'apprête à entrer dans l'UE, de publier des propos de Tchèques opposés à la construction communautaire. Cette position serait peu compréhensible pour les lecteurs français et rendrait plus délicate encore la « réintégration » de la République tchèque.

Les propos rapportés par les quotidiens confirment que tous les Tchèques n'accordent pas la même importance à l'intégration. Pour certains, elle est synonyme de craintes tandis que pour d'autres, ce sont les avantages et les attentes qui dominent. Les premières sont largement présentes dans les discours avec un poids différent selon les quotidiens. En effet, pour les Tchèques interrogés par L'Humanité, La Croix, Libération et Le Figaro, l'entrée de leur pays dans l'UE est plutôt synonyme de craintes qui sont peu ou prou identiques à celles que les experts mentionnaient. Il est intéressant de remarquer que les quotidiens leur accordent peu d'importance. Excepté La Croix qui offre une tribune au secrétaire d'Etat aux affaires étrangères pour s'exprimer sur les craintes françaises, les autres journaux ne rapportent que quelques phrases. C'est pourquoi, les énoncés à dimension argumentative se révèlent être majoritaires dans notre corpus. Les journaux se contentent de laisser les Tchèques exprimer leurs craintes mais ne leur donnent pas l'occasion de les justifier, de les argumenter. En effet, il semble délicat de publier des propos critiquant les décisions prises par l'UE dans la mesure où la France les a aussi acceptées198(*). Pour terminer, nous pouvons évoquer les attentes des Tchèques : peu développées dans les discours, elles sont principalement liées à la vie politique. Pour les quotidiens, l'intérêt n'est pas de savoir quels bénéfices les Tchèques peuvent espérer retirer de l'intégration mais dans quelles mesures l'entrée de ce pays sera bénéfique pour l'Europe, une logique que confirme le dernier volet de nos analyses.

B. La désignation des partis politiques et leur position par rapport à l'Europe

Un mois après l'entrée officielle de la République tchèque dans l'UE, les citoyens tchèques se sont rendus aux urnes pour élire leurs représentants au Parlement européen (cf. Annexe n°9). Ce scrutin a été marqué par une très forte abstention puisque seuls 28% des Tchèques se sont déplacés. Ces élections ont sanctionné la victoire des deux partis de l'opposition parlementaire, l'ODS et le PC, dont les programmes étaient réservés voire opposés à l'intégration dans l'UE199(*). Le ÈSSD a subi une lourde défaite qui a entraîné le départ de son chef, V. ipdla, alors à la tête de la coalition gouvernementale. Par effet d'entraînement, il a ensuite démissionné de son poste de Premier ministre, le 26 juin 2004.

A partir des articles consacrés aux élections européennes et à la chute du gouvernement ipdla, nous nous proposons de relever les qualificatifs employés par les quotidiens pour désigner l'ODS et le ÈSSD. Nous prêterons également attention aux autres partis politiques qui sont mentionnés dans les discours. Cette analyse nous permettra de comprendre comment les journaux prennent position par rapport à l'élection d'un parti eurosceptique au Parlement européen. Nous nous intéresserons également à ce qui est dit de la conception de l'intégration européenne défendue par les hommes politiques tchèques. Enfin, il faudra voir la place que les médias accordent à la question de l'identité nationale, un thème récurrent dans l'espace public tchèque.

1. Le Monde

a) Les élections européennes : un « revers démocratique »

Le Monde consacre deux articles relativement longs aux résultats des élections européennes dans lesquels apparaît à plusieurs reprises la République tchèque. Le quotidien estime que l'ODS fait partie des « listes ouvertement eurosceptiques » qui ont recueilli un score « inattendu »200(*). Plus loin les propos du journal se durcissent puisqu'il écrit que « les Tchèques ont envoyé eux aussi de nombreux députés anti-européens, ce qui va empoisonner la vie de l'Union »201(*). Le Monde est le seul journal à souligner l'enjeu d'un tel score aux élections européennes. Il reconnaît que le vote était, dans la plupart des pays et notamment en République tchèque, un vote sanction dirigé contre les gouvernements nationaux. Néanmoins, ce vote « exprime aussi une suspicion à l'égard d'une Europe dont [les gouvernements] appliquent les grandes orientations »202(*). Ce vote sanction est donc source d'inquiétude pour le quotidien qui conclut ainsi : « ce n'est pas un peuple européen qui s'est exprimé sur son avenir »203(*). Le Monde pointe du doigt la signification de ce vote : les enjeux de la construction européenne n'ont pas mobilisé les citoyens européens. C'est pourquoi, il qualifie ces élections d'« échec démocratique », de « revers démocratique européen »204(*). Enfin, le quotidien se focalise peu sur la défaite du ÈSSD. Il se contente de mentionner que le parti a subi « une lourde défaite »205(*). Le Monde ne dit rien du rôle joué par V. ipdla au cours du processus d'adhésion de la République tchèque à l'UE. De plus, aucun adjectif qui permettrait de préciser sa position par rapport à l'Europe ne figure dans le corpus. C'est donc bien plus l'élection d'un parti eurosceptique au Parlement européen que la défaite d'un parti favorable à l'intégration qui fait réagir le quotidien.

b) Jan Zahradil : un portrait symbole de la victoire de l'ODS

A la suite des élections européennes, Le Monde choisit de faire le portrait d'un député de l'ODS, une façon de symboliser la victoire de ce parti206(*). L'article est relativement court mais suffit à donner un aperçu de la position de l'ODS par rapport à l'Europe. Ce député, « chef de file des eurosceptiques », se désintéresse de la « construction communautaire dont il est un virulent adversaire ». Ce n'est donc pas l'euroscepticisme de cet homme politique que Le Monde met en avant mais son refus de l'intégration européenne. Cette opposition à la construction communautaire est renforcée par les éléments suivants : J. Zahradil est l'« auteur d'un manifeste `euroréaliste' » dans lequel il se dit favorable au rattachement de la République tchèque aux Etats-Unis plutôt qu'à l'UE. En outre, Le Monde souligne les « relations étroites » qu'il entretient avec Londres.

Il n'est pas anodin que le quotidien choisisse le chef de file des eurosceptiques pour faire le portrait d'un eurodéputé. En effet, Jan Zahradil est le second du parti et figure parmi l'une des personnes les plus anti-européennes. Ses positions sont très proches de celles de V. Klaus alors que l'opposition à l'Europe ne fait pas l'unanimité au sein du parti. Ce choix participe donc de la représentation de l'ODS, celle d'un parti eurosceptique voire anti-européen même si le terme n'est pas utilisé par le quotidien. En outre, les guillemets autour du terme « euroréaliste » sont une façon pour Le Monde de mettre à distance le qualificatif qu'emploie l'ODS pour se définir. Contrairement à ce qu'il prétend, ce parti n'est pas favorable à l'Europe mais contre la construction communautaire.

2. L'Humanité

a) Le Parti communiste, un parti politique de poids sur la scène politique tchèque

L'Humanité ne consacre pas un article spécifique aux résultats des élections européennes mais il aborde le sujet un mois auparavant en se basant sur des pronostics207(*). Un autre discours nous fournit quelques éléments qui nous permettent de répondre à nos questions de départ208(*). Ces deux articles ont pour point commun de mettre en valeur le poids du PC. Dans un premier discours, L'Humanité souligne les deux « particularités »209(*) de la scène politique tchèque également mises en exergue par les politologues. Elle se caractérise par l'absence d'un « mouvement populiste fort » en dépit des réformes impopulaires menées par le gouvernement et un « PC influent » qui recueille « entre 10% et 20% des voix ». Nous pouvons remarquer que cette estimation reste relativement vague. Quelques éléments dans un second article210(*) nous permettent d'affiner cette image du PC. Le quotidien nous présente les différentes formations politiques candidates aux élections européennes en commençant par le Parti communiste. Ce détail est assez révélateur de l'importance que L'Humanité lui confère. Cependant, il faut préciser que si le PC a un poids politique non négligeable, les communistes n'ont jamais occupé de postes clés au gouvernement depuis 1989. Pourtant, les termes employés par le quotidien insistent sur sa puissance. Il est désigné comme un parti « fort », « le plus puissant de toute l'Union », et crédité de « plus de 20% des voix ». Un suffrage grâce auquel il « pourrait talonner, voire dépasser les partis les plus influents de la dernière décennie »211(*). L'accumulation des superlatifs accentuent la puissance du PC qui n'est d'ailleurs pas restreinte à la République tchèque mais envisagée dans l'espace public européen. Un seul terme est relatif à sa position par rapport à l'Europe : « eurosceptique »212(*). Cette désignation est intéressante car elle ne correspond pas à ce qu'en disent les experts. En effet, le PC est généralement présenté comme le parti le plus anti-européen de la République tchèque même si sa position a légèrement évolué depuis les années 2000. Ce décalage peut s'expliquer par l'orientation politique de L'Humanité : ce n'est pas la vision de l'Europe défendue par le PC qui l'intéresse mais le poids d'un parti aujourd'hui peu influent dans les pays d'Europe occidentale.

b) V. Klaus, un nationaliste eurosceptique

L'ODS semble s'effacer derrière la puissance du PC et le quotidien nous dit peu de choses sur ce parti et son leader. V. Klaus est qualifié de « nationaliste », « longtemps eurosceptique », il « a fini par apporter un soutien très modéré au projet européen »213(*). Le terme « nationaliste » nous renvoie à la protection des intérêts nationaux dont V. Klaus se fait le défenseur et celui d' « eurosceptique » à sa position critique à l'égard de l'UE. Plusieurs termes viennent relativiser ce soutien : « longtemps », « a fini par » et « très modéré ». Le quotidien remarque également que V. Klaus reste « un interlocuteur privilégié des Etats-Unis et de l'OTAN »214(*). Cette précision semble signifier l'impossibilité d'adhérer à l'UE tout en étant proche des Etats-Unis, une position qui est également soulignée par Le Monde. V. Klaus n'est donc pas présenté comme un homme politique favorable à l'Europe mais cette hostilité ne fait l'objet d'aucun commentaire de la part du quotidien.

L'ODS est quant à lui qualifié de « mouvement eurosceptique de droite » qui veut faire reconnaître « les racines chrétiennes de l'UE » et « s'aligner systématiquement » avec les Etats-Unis215(*). Nous pouvons noter que le quotidien ne dit rien de la dialectique identité nationale/intégration européenne qui constitue pourtant l'un des axes majeurs de la vision de l'Europe défendue par ce parti. Les deux éléments retenus par L'Humanité (la dimension chrétienne qui est effectivement une exigence inscrite dans la charte du parti et l'alignement sur les Etats Unis) ne sont pas primordiaux dans la conception de la construction communautaire de l'ODS.

En conclusion, nous pouvons noter l'absence de toute référence au ÈSSD. Il est uniquement qualifié de parti de centre gauche et L'Humanité mentionne son « net recul » prévu aux élections. Le quotidien reste donc silencieux sur un parti considéré comme le plus favorable à l'Europe et qui a joué un rôle important dans le processus d'adhésion. Cette absence est assez révélatrice : la position des partis politiques tchèques par rapport à l'intégration n'est pas ce qui intéresse L'Humanité. Cette remarque est également valable pour le PC puisque quasiment rien n'est dit de sa vision de l'Europe.

3. Le Figaro : la défaite du ÈSSD

Le Figaro consacre un article aux conséquences de la défaite du ÈSSD aux élections européennes et non au scrutin en lui-même. La victoire de l'ODS est donc quasiment occultée. Plusieurs termes figurent dans les discours pour qualifier cette défaite : « mémorable défaite »216(*), « débâcle »217(*), « la déroute [du] parti »218(*), des termes forts qui soulignent plus l'enjeu de ce scrutin pour l'avenir du parti que pour la vie politique européenne. Le Figaro rappelle néanmoins la « très forte abstention » pour ces « premières élections européennes de l'histoire de la République tchèque », une façon de souligner l'enjeu symbolique de ce scrutin qui n'a pas mobilisé les citoyens tchèques.

La coalition gouvernementale à laquelle appartenait V. pidla est qualifiée de « pro-européenne ». Son leader est désigné comme « le plus compétent » des hommes politiques depuis 1989, « l'homme qui a guidé le pays vers Bruxelles ». L'entrée de la République tchèque dans l'UE est donc associée au nom de V. pidla et non à celui de V. Klaus. Cependant, le quotidien ne donne aucune précision supplémentaire sur les réformes menées par V. pidla en vue de l'intégration, préférant se focaliser sur les raisons de sa démission.

Enfin, comme nous l'avons dit précédemment, la victoire de l'ODS est quasiment occultée. Le quotidien se contente de mentionner le probable succès d' « eurosceptiques tchèques, conservateurs de l'ODS et communistes en tête »219(*) aux scrutins locaux. Dans l'article du 26 août 2004 portant sur l'investiture du nouveau gouvernement, l'ODS est qualifié de « grand parti d'opposition d'orientation conservatrice »220(*). Les qualificatifs « eurosceptique » et « conservateur » sont les deux seuls termes qui figurent dans tout le corpus pour désigner l'ODS. La victoire de ce parti eurosceptique aux élections européennes ne suscite donc pas la réaction du journal.

4. La Croix

a) Le ÈSSD, un parti pro-européen

Contrairement aux autres quotidiens, c'est sur le ÈSSD et plus précisément V. pidla que se focalise La Croix. A plusieurs reprises, son soutien en faveur de l'Europe est mis en valeur. Le quotidien nous dit que V. pidla est « considéré par beaucoup comme le premier dirigeant véritablement européen du pays »221(*), l'adverbe « véritablement » renforçant cette posture européenne. Nous pouvons cependant remarquer que rien n'est dit de V. Havel qui fut pourtant le premier homme politique à défendre l'adhésion de la République tchèque à l'UE. V. pidla est également qualifié d' « européen convaincu », qui dirigea le premier gouvernement totalement « pro-européen »222(*). Toutefois, là encore, le quotidien ne va pas plus en avant dans la conception de l'Europe défendue par cet ancien premier ministre. Aucun détail ne permet de préciser la façon dont il envisage l'intégration. Enfin, la « lourde défaite »223(*) de son parti aux élections européennes est synonyme de « débâcle »224(*).

b) L'élection de l'ODS, un « bond en arrière »

V. Klaus et la victoire de son parti aux élections européennes font l'objet de peu d'attention de la part de La Croix. Le leader de l'ODS est qualifié de « nationaliste populiste »225(*), un terme fort qui diffère de celui employé par les autres quotidiens. Si l'adjectif « nationaliste » renvoie bien à la défense des intérêts nationaux, l'adjectif « populiste » désigne « une attitude politique qui vise à satisfaire les revendications immédiates du peuple, sans objectif long terme »226(*). Il est important de préciser que V. Klaus n'est pas considéré comme un populiste par les politologues. Les seuls partis désignés comme tel en République tchèque ont un poids très faible sur la scène politique227(*).

L'ODS appartient à la droite « nationaliste » et « eurosceptique », c'est un parti « autoritaire [et] anti-européen ». Si La Croix semble osciller entre les termes « eurosceptique » et « anti-européen », les autres discours nous confirment que V. Klaus est bien considéré par le quotidien comme un homme politique anti-européen. Par exemple, dans un article relatant les festivités organisées pour l'intégration dans l'UE228(*), La Croix rapporte que l'« ambiance a été gâchée » par le comportement de V. Klaus. Tous les termes utilisés pour qualifier son attitude mettent en avant non pas ses critiques à l'égard de l'UE mais son refus de l'Europe : il « s'est refusé », il « déteste » l'Europe, il a « refusé ». Dans l'article consacré aux élections européennes, le quotidien explique que la démission de V. pidla « laisse la voie ouverte aux franges les plus anti-européennes ». Elle « ouvre un boulevard aux ambitions de deux formations porteuses de projets politiques antidémocratiques et anti-européens ». Le terme de « boulevard » est ici particulièrement significatif et permet de comprendre pourquoi La Croix assimile la victoire de l'ODS à un « grand bond en arrière de la République tchèque »229(*). De même, l'adjectif « anti-démocratique » est lourd de signification et soulève des interrogations quant à l'avenir politique de la République tchèque.

Pour terminer, nous pouvons mentionner deux autres éléments repérés dans le corpus. La Croix rappelle que la participation à ces élections européennes a été « extrêmement basse » puisque « seulement 27% des électeurs se sont rendus aux urnes »230(*). Le quotidien précise que ce taux de participation rend la lecture des résultats difficile, ce qui est peut être une façon de relativiser la victoire d'un parti eurosceptique. De plus, il rappelle les résultats du référendum d'adhésion en précisant que « 77% ont dit oui à l'Europe », ce qui permet également de montrer que les Tchèques ne sont pas anti-européens. Enfin, La Croix mentionne le score du PC : arrivé en « seconde position », « il retrouve son niveau habituel »231(*). Cette remarque contraste avec « l'incroyable popularité » dont parle Libération, et la toute puissance évoquée par L'Humanité.

5. Libération : le PC est un spécificité tchèque

Libération ne consacre qu'un seul article relativement court aux élections européennes232(*). Le traitement médiatique de cet événement est assez proche de celui de L'Humanité. En effet, ce que le quotidien retient de ces élections ce n'est pas la victoire d'un parti eurosceptique, mais le poids du PC dans la vie politique, « une spécificité tchèque ». Cette particularité est mise en valeur dès le titre : « République tchèque : le rouge fait toujours recette ». Le PC est un parti « nostalgique de l'ère stalinienne », « le seul resté orthodoxe en Europe centrale ». Sa position par rapport à l'UE est évoquée par un seul mot : le PC est « très anti-européen ». Nous pouvons souligner que le terme employé diffère de celui utilisé par les autres quotidiens. Libération dénonce ouvertement l'hostilité du PC à l'intégration européenne. Cependant, il ne s'attarde pas sur cette opposition et préfère mettre en avant le score du parti aux élections européennes ; un score qui confirme son « incroyable popularité ». Dans un autre article consacré à la fin de la transition post-communiste, Libération met à nouveau en avant cette spécificité tchèque : le PC est « unique à l'Est, [il] est même le second parti du pays »233(*). En associant ces différentes expressions (« très anti-européen », «incroyable popularité »...), le quotidien nous donne l'impression que la République tchèque est un pays communiste, anti-européen. Cependant, les résultats du scrutin qui figurent à la fin de l'article viennent relativiser le poids du PC. En effet, il arrive en seconde position derrière l'ODS avec dix points d'écart ce qui n'est pas négligeable. En outre, le taux d'abstention s'élève à plus de 70% ce qui nuance cette « incroyable popularité ». La République tchèque n'est donc pas un pays anti-européen, la majeure partie des suffrages exprimés s'étant portée sur un parti eurosceptique : l'ODS.

La victoire de cette formation politique se résume à une phrase : « grand gagnant, le parti démocrate civique va grossir le rang des eurosceptiques à Strasbourg ». Le quotidien ne s'intéresse donc ni à la victoire d'un parti eurosceptique ni à la défaite du ÈSSD, simplement qualifiée de « très sévère camouflet ». Aucun terme ne permet de préciser la position de V. Klaus par rapport à l'Europe. Libération se contente d'ajouter que, pour le président, « la hausse de ses additions au restaurant » constitue « le principal changement » survenu depuis l'intégration. Ce constat d'ordre économique nous rappelle de façon implicite que pour V. Klaus l'intégration était principalement synonyme d'opportunités économiques ; c'est donc logiquement sur une question économique qu'il juge à court terme les bénéfices de l'adhésion. Enfin, Libération mentionne le « bon score d'une nouvelle formation libérale et proeuropéenne » qui constitue « la vraie surprise » de ces élections. Il est difficile d'interpréter cette expression : la « vraie surprise » renvoie-t-elle à la présence sur la scène politique d'un parti proeuropéen ou souligne-t-elle le bon score d'un parti qui remporte d'ordinaire peu de suffrages ?

Cette seconde partie de notre analyse nous permet de conclure sur certaines questions que nous avions posées au préalable. Le traitement médiatique des élections européennes en République tchèque nous a permis de repérer des divergences mais aussi des similitudes entre les quotidiens.

Si le scrutin a bien sanctionné la victoire de l'ODS, celle-ci n'est pas au coeur de tous les discours médiatiques. Ainsi, La Croix et Le Figaro se focalisent sur le ÈSSD, présenté comme un parti pro-européen. Le nom de cette formation politique et plus précisément celui son leader, V. ipdla, est associé à l'intégration de la République tchèque dans l'UE. A l'inverse, L'Humanité, Libération et Le Monde n'en parlent quasiment pas. L'Humanité et Libération préfèrent souligner le poids du PC dans la vie politique tchèque. Quant à Le Monde, il évoque principalement la victoire de l'ODS. Les termes auxquels recourent les quotidiens pour désigner ce parti sont assez révélateurs de leur prise de position. L'Humanité, Le Figaro et Libération le considèrent comme un parti eurosceptique tandis que La Croix et Le Monde sont plus engagés et le désignent comme un parti anti-européen. Seuls ces deux quotidiens soulignent les conséquences de l'élection d'une telle formation politique au Parlement européen. Les autres journaux ne semblent pas alarmés par la victoire d'un parti eurosceptique.

Cependant, quelques soient les termes utilisés et les partis privilégiés par les discours, aucun quotidien ne développe de façon précise les conceptions de la construction communautaire de ces différents partis. Il n'est donc pas étonnant que la question de l'identité nationale, pourtant au coeur des débats dans l'espace public tchèque, n'apparaisse à aucun moment dans notre corpus. Ce silence concernant la question de l'identité nationale et plus généralement la vision de l'Europe défendue par chaque parti politique, s'explique peut-être par la méconnaissance des quotidiens.

C. Les « dérives » de la vie politique

Suite à la démission de V. ipdla au poste de Premier ministre, V. Klaus a désigné S. Gross, un social-démocrate, pour le remplacer234(*). Cette nomination a donné lieu à des discours dans presque tous les quotidiens en raison notamment du parcours atypique de cet homme politique. Il a nous semblé intéressant d'inclure ces articles dans notre corpus puisqu'ils nous donnent des éléments sur le fonctionnement du système politique et sur les pratiques démocratiques. En effet, il est admis que la République tchèque a achevé sa transition politique et répond aujourd'hui aux exigences de la démocratie. Cependant, des dérives existent. La République tchèque doit poursuivre ses efforts pour lutter contre la corruption et satisfaire complètement aux exigences d'un régime démocratique.

1. Le Monde : un Premier ministre dénoncé pour son manque d'intégrité

Le Monde consacre un article à la nomination de S. Gross235(*), un discours qui se distingue des autres articles de notre corpus. En effet, le quotidien constate dans un premier temps la popularité de cet homme politique : « il est populaire non seulement au sein du parti social-démocrate mais aussi parmi les citoyens ordinaires », c'est d'ailleurs « l'homme le plus populaire ». Cependant, c'est sur la division que produit le Premier ministre que se focalise le journal, comme l'indique le titre : « la République tchèque se divise sur la personnalité du Premier ministre ». Cette idée de division revient à plusieurs reprises dans l'article : S. Gross « suscite une profonde division du pays en deux camps de taille inégale », « il provoque des réactions tranchées d'adhésion ou de rejet ». D'un côté, il est « honni par les intellectuels et le patronat » ; de l'autre, il « est adulé par le petit peuple dont il est issu ». La popularité de S. Gross ne fait donc pas l'unanimité.

Contrairement au Figaro et à Libération qui se focalisent sur sa carrière politique pour expliquer cette popularité, Le Monde construit son article autour de deux thèmes différents : le faible ancrage idéologique et le manque d'intégrité de cet homme. Le quotidien signifie ainsi qu'il se place dans le camp de ceux qui « rejettent » S. Gross. D'ailleurs nous pouvons remarquer que Le Monde ne consacre qu'un court paragraphe à sa carrière politique et ne dit rien de ses compétences, contrairement au Figaro et à Libération. En effet, S. Gross a « été vite propulsé à d'importantes fonctions », un passif qui sous-entend que ces fonctions ne lui ont pas été confiées pour ses compétences.

Le Monde semble donc se placer du côté des « détracteurs » de S. Gross qui le taxent de « populisme ». Il s'appuie sur les propos d'un politologue, rapportés au discours direct : S. Gross « est surtout un technicien du pouvoir sans profond ancrage idéologique », une façon de signifier que la popularité dont il fait l'objet n'est pas liée à ses convictions politiques. D'autres éléments confirment ce faible ancrage idéologique. Le Monde parle d'une « imposante campagne de charme » pour les élections législatives et J. Pehe, politologue, souligne que S. Gross « recherche avant tout des solutions pragmatiques et de compromis qui déplaisent à un minimum de gens ». Enfin, il « s'est imposé comme un homme providentiel » aux élections européennes. Le Monde termine l'article en insistant sur les divers reproches adressés au Premier ministre notamment celui de recruter « ses collaborateurs parmi les policiers et cadres moyens de l'ancien régime communiste ».

Si Le Monde ne fait pas directement allusion à la compromission de S. Gross, le portrait qu'il brosse de cet homme politique suffit à nous donner une certaine image du système politique et des pratiques démocratiques en République tchèque. Toutefois, le journal se révèle moins pessimiste que les autres quotidiens : la division que suscite S. Gross signifie bien qu'une partie du peuple tchèque entend faire respecter les valeurs de la démocratie.

2. Le Figaro

a) La corruption, un fait tangible ancré dans les comportements

Dans l'article intitulé « L'insoutenable légèreté des Tchèques »236(*), Le Figaro évoque « la graine de la corruption [...] [qui] a germé dans les entrailles du communisme ». La corruption est donc présentée comme un « héritage » du régime politique précédent dont les Tchèques ne se « débarasser[ont] pas du jour au lendemain ». Les propos de J. Sverak le confirme : « nous allons encore la traîner comme un boulet ». Alors que Le Figaro se contente de faire un constat et de pointer du doigt l'une des dérives de la vie politique, J. Sverak avance une explication : « sous le communisme on considérait naturel de voler ». Pessimiste, il souligne l'impossibilité de changer « du jour au lendemain » certaines traditions et certains comportements. Cependant, il précise que « les mentalités peuvent évoluer en montrant de plus en plus d'exemples de réussites sociales réalisées de façon honnête » ce que, pour l'instant, l'ascension de S. Gross semble démentir.

Dans l'article consacré à la démission de V. ipdla, celui-ci est présenté comme le chef qui était « peut-être le plus intègre »237(*) que la République tchèque ait connu depuis la révolution de velours. Cette précision révèle bien que la corruption est un fait tangible en République tchèque cependant, Le Figaro ne s'attarde pas plus sur cette question.

b) L'ascension d'un homme politique « corrompu »

Deux discours reviennent sur la carrière politique de S. Gross et brossent son portrait. Le Figaro fait d'abord allusion à sa compromission pour ensuite souligner sa popularité : « malgré ses implications dans quelques scandales financiers mineurs, l'image dont jouit cet homme politique au visage d'enfant auprès de ses concitoyens ne s'est jamais ternie ». Alors que sa compromission est relativisée (« malgré », « mineurs »), sa popularité est valorisée (« jouit », « jamais ternie »). La corruption ne semble pas affecter la popularité de cet homme politique, un constat renforcé par la locution « jamais ». Vient ensuite le portrait de S. Gross dans lequel le quotidien se focalise sur sa popularité, sa jeunesse et ses compétences. Il est en effet, « le héros du feuilleton de l'été », « l'homme le plus populaire de la République tchèque ». Cette popularité est d'autant plus surprenante que S. Gross est « âgé de 34 ans seulement »238(*). Différentes expressions mettent en valeur cette jeunesse : « homme au visage d'enfant »239(*), « jeune dauphin », « enfant prodige » (à deux reprises) et « jeune premier de la politique tchèque »240(*). Ce jeune âge ne l'empêche pas d'avoir déjà à son actif une carrière politique relativement longue comme le soulignent les phrases suivantes : « il fut propulsé dès son plus jeune âge sur le devant de la scène »241(*) et « malgré son jeune âge, il aura 35 ans en octobre, le plus jeune ministre tchèque de tous les temps [...] à déjà quinze ans de politique derrière lui »242(*). Enfin ses compétences sont évoquées à plusieurs reprises : S. Gross est un homme « ambitieux », à « l'ambition débordante »243(*). Habile, il a su « tirer son épingle du jeu à plusieurs reprises »244(*). Il a également du « savoir-faire » et des « talents de négociateurs ».

Si la corruption en République tchèque est un phénomène bien identifié par Le Figaro, elle est néanmoins relativisée dans le portrait de S. Gross. Cette description de la carrière politique d'un homme corrompu contribue à donner une certaine image de la vie politique tchèque : la popularité passant avant l'intégrité.

3. La Croix

a) L'ODS, un parti corrompu

Dans un article consacré à la situation économique et sociale de la République tchèque, La Croix revient sur les gouvernements de l'ODS et du ÈSSD dans les années 90. La période du gouvernement de V. Klaus est associé aux « scandales financiers » et à « la privatisation par coupons » qui a permis aux « gens proches du pouvoir » de se « remplir les poches »245(*). Il faut rappeler que la privatisation par coupons246(*) a donné lieu au principal scandale financier lié au gouvernement de V. Klaus et au financement occulte de son parti. Il est intéressant de noter que La Croix associe l'ODS à ce scandale, mais ne dit rien des réformes économiques impulsées par le gouvernement Klaus qui ont permis de mener à bien la transition économique. A cette disqualification de l'ODS répond la valorisation de l'action des gouvernements sociaux-démocrates qui lui ont succédé. Ils ont « entamé une lutte spectaculaire contre la corruption »247(*), le qualificatif de « spectaculaire » venant renforcer les mesures prises par le gouvernement. C'est donc bien la question de la corruption qui est mise au coeur de la vie politique tchèque. Cependant, au lieu de stigmatiser la République tchèque comme un pays corrompu, La Croix souligne les efforts mis en oeuvre pour enrayer ce fléau.

b) L'éligibilité d'un parti corrompu aux élections européennes

En présentant les résultats des élections européennes, La Croix mentionne un parti dont les autres quotidiens ne parlent pas. L'intérêt qu'il porte à cette formation politique n'est pas lié à ses positions idéologiques mais au manque d'intégrité du dirigeant de cette liste. En effet, il est « poursuivi par la justice dans différentes affaires, il est soupçonné d'avoir voulu se faire élire pour obtenir l'immunité parlementaire européenne ». Le quotidien n'émet pas de jugement de valeur mais poursuit en concluant : « il a réussi largement son pari en franchissant haut la main la barre des 5% »248(*). La Croix pointe du doigt l'une des dérives de la vie politique tchèque : l'élection de partis corrompus, une façon de dire que la culture démocratique ne s'est pas encore enracinée dans la société tchèque.

c) La défaite de V. ipdla, un chef intègre

V. ipdla est qualifié par La Croix de  « chef très intègre »249(*), une désignation qui fait écho à l'article précédent et à la lutte contre la corruption entreprise par cet homme politique. Viennent ensuite les qualificatifs « démocratique » et « européen » qui s'opposent au terme « anti-démocratique » désignant l'ODS. La défaite de V. ipdla est également un événement qui permet de souligner la corruption ambiante qui règne dans la sphère politique. En effet, contrairement aux autres quotidiens qui présente sa défaite aux élections européennes comme la cause de sa démission, La Croix propose une autre explication. Le journal donne la parole à un politologue qui « affirme » qu'« il était depuis des mois la cible de toute la vieille garde de son parti, des anciens communistes, des corrompus qui n'en pouvaient plus d'être contraints de mettre un terme au clientélisme qui valait jusqu'ici dans la vie politique »250(*). V. ipdla est donc présenté comme la cible d'hommes politiques qui refusaient d'accepter les mesures mises en place pour lutter contre la corruption.

Pour conclure, nous pouvons signaler que La Croix est le seul quotidien qui ne consacre aucun article à l'ascension de S. Gross, un choix compréhensible étant donné les valeurs de ce journal. Ne pouvant nier que la corruption existe dans la vie politique tchèque, il préfère toutefois mettre en avant les efforts déployés pour lutter contre ce fléau et signifier ainsi que la République tchèque tend à devenir un pays qui répond aux exigences d'un régime démocratique.

4. Libération : S. Gross, un homme politique compétent

L'ascension de S. Gross fait l'objet d'un article entier251(*) dans Libération. Ce discours fournit différentes indications qui permettent de conclure sur la façon dont le quotidien aborde le thème de la corruption et plus généralement des pratiques démocratiques en République tchèque. Contrairement à ce que suggère l'encart, le discours de Libération ne se focalise pas sur la viabilité de la coalition gouvernementale dont S. Gross prend la tête mais sur son ascension en politique. Cette ascension est qualifiée d' « irrésistible ». Contrairement à La Croix, le quotidien ne s'attarde pas sur la corruption comme le suggère la phrase suivante : « malgré son implication dans diverses affaires financières mineures, ce jeune père de deux petites filles est l'homme politique le plus populaire du pays ». Comme Le Figaro, Libération minimise la compromission du futur Premier ministre et se focalise sur son parcours professionnel. Nous pouvons faire plusieurs remarques sur ce portrait. Les expressions temporelles qui rythment la description de cette carrière politique produisent un effet d'accumulation qui met en valeur les nombreux postes occupés par S. Gross. Par exemple nous trouvons les expressions suivantes : « au milieu des années 90 », « dès le début de sa carrière politique », « en avril 2000 », « le mois dernier »... L'énumération de toutes les étapes de sa carrière politique ne fait que refléter « l'irrésistible ascension » dont parle Libération. Les deux phrases qui ouvrent et closent le portrait participent aussi de cette mise en valeur : « il finit son service militaire après une formation de cheminot » / « il dirige une coalition ». Cette ascension dans le monde politique se double d'une ascension sociale. En effet, plusieurs indications nous révèlent que S. Gross n'était pas issu d'un milieu aisé : « formation de cheminot », « jeune conducteur de locomotive ».

Tout au long de ce portrait, le quotidien met en avant les compétences de cet homme politique. Des compétences à la fois relationnelles : « il a su se faire des amis », de négociation : « talents de négociateurs et de communicateur que personne aujourd'hui ne lui conteste ». Il est également habile (« il a su tirer son épingle du jeu ») et ambitieux (« jeune homme ambitieux »). Le quotidien conclut : c'est un « surdoué de la politique ». Enfin, sa jeunesse est à plusieurs reprises soulignée. Finalement, sa compromission dans des scandales financiers évoquée au début de l'article s'efface derrière l'énumération de ses qualités et de ses compétences. A travers ce portrait, Libération donne une image particulière de la vie politique tchèque : peu importe la compromission, le talent et les compétences suffisent à gravir les échelons. Pour être reconnu, il suffit d'être populaire. La corruption n'est donc pas un élément sur lequel Libération juge utile de s'attarder. Cela permet de comprendre pourquoi il ne mentionne pas les scandales financiers liés au gouvernement de l'ODS. De même, il attribue la démission de V. ipdla au manque de soutien de son parti sans rien dire de sa lutte contre la corruption qui ne faisait pas l'unanimité.

L'Humanité est le seul quotidien que nous n'avons pas évoqué car il ne dit rien de la vie politique tchèque et de la formation du nouveau gouvernement suite à la démission de V. ipdla. La thématique de la corruption apparaît de façon plus ou moins précise dans tous les discours consacrés à la formation du gouvernement de S. Gross. Seul La Croix semble s'indigner de l'éligibilité d'un parti corrompu aux élections européennes, une position qui s'explique par l'orientation catholique du journal. Contraire à l'éthique et à l'honnêteté, la compromission d'un homme politique ne peut être tolérée.

Le Figaro et Libération relativisent le phénomène de la corruption pourtant tangible et insistent sur la popularité de S. Gross. Le portrait que ces deux journaux brossent de cet homme politique nous renvoie aux pratiques politiques en République tchèque. La popularité qui peut être définie comme le « fait d'être connu, aimé du plus grand nombre »252(*) semble être au coeur du système démocratique. Dans un ouvrage consacré à l'histoire des pays de l'Est, Jean-François Soulet rappelle effectivement que l'opinion est-européenne a longtemps été soumise au culte de la personnalité. Selon lui, cela explique pourquoi elle se montre sensible au charisme des hommes politiques253(*). Plus critique, un journaliste du Lidové Noviny écrivait en 1998 que les hauts dignitaires de l'Etat sont souvent perçus comme des « dirigeant[s] de la nation, [des] prophète[s] ou dans le meilleur des cas, comme [des] monarque[s] paternaliste[s] ». Il qualifie cette « perception [de] primaire, prédémocratique et immature »254(*). Sans aller aussi loin et reléguer la République tchèque à une ère prédémocratique, nous pouvons interpréter les articles du Figaro et de Libération comme un constat : les pratiques démocratiques résultent d'un apprentissage que le peuple tchèque n'a pas encore terminé.

Le Monde se veut plus optimiste. Il souligne que la popularité de S. Gross ne fait pas l'objet d'un consensus, une façon de dire qu'une partie du peuple tchèque dispose d'une culture politique suffisante pour se forger une opinion qui ne dépend pas uniquement du charisme d'un homme politique.

Il est difficile d'expliquer pourquoi les quotidiens relativisent la corruption, un phénomène pourtant pointé du doigt à plusieurs reprises par la Commission européenne. Ancrée dans les comportements, elle rappelle que les pratiques démocratiques ne peuvent s'enraciner dans la société que dans le temps long. Au moment où la République tchèque entre dans l'UE, il est sûrement délicat de le présenter comme un pays corrompu.

III. La dimension économique et sociale

Le dernier volet de nos analyses est consacré à la dimension économique et sociale de la République tchèque, un aspect qui s'est révélé être majoritaire dans les discours. La transition à une économie de marché viable était l'une des exigences à satisfaire pour intégrer l'UE. Au cours du processus d'adhésion, des rapports annuels de la Commission européenne ont sanctionné les avancées du pays et les défis à relever. En 2001, la Commission a reconnu que la République tchèque était « une économie de marché viable »255(*). Parmi les derniers rapports rédigés, celui de la délégation de l'assemblée nationale pour l'UE sur l'adhésion à la République tchèque a considéré que ce pays était l' « un des [...] mieux armés pour entrer dans l'UE »256(*). Les conditions économiques étaient donc jugées favorables pour permettre l'intégration de la République tchèque dans l'UE.

L'entrée officielle dans l'UE symbolise la fin de la transition post-communiste, plus précisément, elle constitue une sanction257(*) positive des réformes économiques menées au cours du processus d'adhésion. C'est pourquoi, nous pouvons interpréter les discours médiatiques abordant la situation économique et sociale de la République tchèque comme une sanction de la transition économique et sociale. Les indicateurs économiques du pays sont-ils assez performants pour que la République tchèque soit capable de faire face à la concurrence et à la compétitivité des autres pays membres ? Le système de protection sociale est-il assez solide pour garantir un niveau de vie décent aux citoyens tchèques ? L'analyse nous permettra de comprendre comment les quotidiens jugent la situation économique et sociale de ce pays, au moment de son entrée dans l'UE. En outre, il faudra s'interroger sur la signification de la sanction opérée par les journaux.

A. Le Monde : une économie intégré

1. La République tchèque, un pays intégré à l'économie mondiale

L'article intitulé « La nouvelle Europe des investissements se dessine »258(*) ne traite pas spécifiquement de la République tchèque mais nous fournit néanmoins quelques éléments sur son degré d'intégration dans le commerce mondial. Le quotidien juge que la République tchèque est un pays attractif pour les investisseurs étrangers, « une locomotive en matière d'investissement ». Depuis 2002, cette attractivité semble diminuer puisque le « nombre de nouvelles implantations internationales a baissé de 8% ». Le Monde se contente de constater cette baisse qui ne donne lieu à aucun jugement de valeur sur la situation économique. D'ailleurs, le quotidien cite également les performances des autres pays candidats en terme d'investissements étrangers. En Hongrie, ils ont chuté de 16% et en Pologne de 23%. Ces chiffres permettent de relativiser la baisse des investissements en République tchèque qui reste donc un pays attractif.

Enfin, Le Monde précise que les pays de l'Est sont généralement « choisis pour la faiblesse de leurs charges et des coûts salariaux » mais ne donne aucune indication supplémentaire. Les propos d'un expert closent le discours : « c'est la nouvelle Europe des investissements qui se dessine [...]. L'Europe élargie permet d'offrir aux investisseurs une palette plus vaste de possibilités même si les délocalisations touchent durement certains territoires occidentaux ». Le verbe qui introduit cette citation est neutre et ne nous permet pas de définir la position du Monde. Cependant, en donnant la parole à un énonciateur second à la fin de l'article, c'est son opinion que le quotidien nous donne. Il relativise le phénomène des délocalisations par l'intermédiaire d'un expert. La nouvelle géographie économique résulte des opportunités proposées aux investisseurs et dans une logique économique, c'est la rationalité qui prévaut.

2. La culture, un secteur économique qui « résiste »

Dans l'article intitulé « Le petit cinéma tchèque, seul parmi les dix à résister encore à Hollywood »259(*), Le Monde se focalise sur un secteur économique particulier : celui de la culture. Au vu de nos premières analyses, il peut sembler étonnant que le quotidien choisisse un tel thème pour aborder la question de l'intégration de la République tchèque dans l'espace économique européen. Le statut du journaliste permet de lever cette ambiguïté : d'origine tchèque, il n'est pas surprenant que l'entrée dans l'UE soit pour lui associée à la question de la culture. Son rôle a été fondamental dans la constitution de l'identité nationale et elle a, encore aujourd'hui, une place importante dans la vie quotidienne des Tchèques.

Contrairement à l'article précédent qui illustrait l'intégration économique de la République tchèque dans le commerce mondial, il est ici question de « résistance », comme le suggère le titre : « petit cinéma tchèque, seul parmi les dix à résister encore à Hollywood ». Le contraste entre le « petit » pays et le poids de Hollywood souligne la difficulté à résister. Plus loin, nous pouvons lire que les Tchèques « résistent au déferlement de films hollywoodiens ».

Cette résistance n'est pas synonyme de protectionnisme mais illustre l'attachement des Tchèques à leur cinéma. Le Monde les qualifie de « grands cinéphiles ». Ils sont « attachés à leurs acteurs populaires, à cet humour proprement tchèque et [à] une esthétique de la beauté du marginal ». Cet attachement permet de comprendre pourquoi « ils plébiscitent les films nationaux » et non les films américains. A cet égard, les chiffres avancés par Le Monde sont assez significatifs : alors que le cinéma américain détient 90% des parts de marché dans les pays d'Europe de l'Est, ce chiffre « n'a jamais dépassé la barre des 70% de part de marché » en République tchèque. La part du cinéma français et européen est, elle aussi, dérisoire : elle oscille entre 4 et 7%. Un dernier exemple permet d'illustrer l'attachement des Tchèques à leur cinéma : le dernier film tchèque en tête du box office a fait plus d'un million d'entrées « devançant Harry Potter et le Seigneur des anneaux ».

Le journal ne stigmatise pas cette faible ouverture du marché cinématographique tchèque. Il constate seulement que les coproductions internationales sont « encore rares dans le cinéma tchèque ». Néanmoins, l'harmonisation des conditions de production avec les normes européennes devrait permettre d'y remédier. La sanction n'est donc nullement négative et Le Monde nous rappelle l'importance de la culture pour les Tchèques.

3. Les délocalisations, un processus inhérent dans une économie mondialisée

Le dernier article qui à trait au caractère économique de l'élargissement a pour objet la délocalisation d'une usine en République tchèque260(*). Le thème de ce discours converge donc avec l'une des craintes de l'opinion publique française : la délocalisation massive vers les pays de l'Est.

L'usine Snappon a décidé de délocaliser sa production pour diminuer les coûts, une délocalisation que le quotidien qualifie de « déménagement spectaculaire ». Cet événement est « un feuilleton social » dont le journal nous relate les différentes étapes. Plusieurs dates scandent le récit et témoignent de la longueur de l'événement : « mars », « 30 juin », « la délocalisation est annoncée », « le 15-16 juin » une première tentative a lieu pour déménager l'outil de production, le « 28 juillet » les ouvriers sont exclus de l'usine... L'article est en réalité un dialogue entre le juge des référés et l'avocat des salariés dans lequel Le Monde ne s'implique pas. Le juge des référés « ordonne », le jugement « prévoyait » tandis que l'avocat des salariés « constatait » et « déplore » que les salariés ne puissent pas être réintégrés dans leur emploi. Ce dernier terme est un aveu d'impuissance. Le journal semble s'effacer derrière ces propos échangés par les deux protagonistes. D'ailleurs, nous pouvons noter que tous sont rapportés au discours direct dans leur quasi intégralité ce qui tend d'autant plus à exclure le quotidien du dialogue. Enfin, il faut remarquer que le journal se contente de donner la parole aux représentants d'institutions juridiques. A aucun moment un salarié ou à un responsable syndical n'est convoqué pour témoigner. Le Monde mentionne donc cet événement dans une perspective juridique sans prendre position sur la légitimité de cette délocalisation et son coût social. Peut-être cette neutralité du journal est-elle synonyme de constat : la délocalisation est un processus normal dans une économie mondialisée qui ne doit pas donner lieu à débat. Toutefois, le fait même de consacrer un article à ce thème peut contribuer à renforcer les craintes de l'opinion publique française que nous avons identifiées dans notre première partie.

B. L'Humanité : l'économie tchèque, une économie fragile

Les discours de L'Humanité présentent la République tchèque comme un pays intégré économiquement dans l'UE, dont le principal partenaire est l'Allemagne. L'expression « le plus riche des pays de l'Est »261(*) semble signifier que la situation économique du pays est satisfaisante. Néanmoins, le journal nuance cette sanction dans le reste de l'article en s'appuyant sur différents indicateurs macro-économiques. Par exemple, il précise que les investissements directs à l'étranger sont en baisse. La République tchèque est « de moins en moins attractive » et les investisseurs se tournent vers des pays à la main d'oeuvre moins coûteuse. Depuis 2002, « la tendance serait plutôt au rapatriement des dividendes » dans les pays occidentaux. Ce manque d'attractivité de la République tchèque, associé aux « difficultés » avec l'Allemagne, a entraîné une baisse la croissance qui « s'est considérablement ralentie ». Parallèlement, le « déficit public a explosé » et le chômage est « en hausse ». Le quotidien précise qu'il « touche presque 11% de la population »262(*). Cette situation économique n'est pas assez solide pour adopter la monnaie unique. Le journal conclut donc : « l'adhésion à l'euro n'est pas envisagé avant 2010 ».

Ce cadrage économique de la République tchèque appelle plusieurs remarques. Le quotidien ne dit rien de la transition et de toutes les réformes mises en oeuvre par le pays pour répondre aux exigences européennes en terme d'économie de marché. En outre, les termes employés sont tous dépréciatifs et parfois renforcés par des adverbes (« considérablement ») ou des comparatifs d'infériorité (« de moins en moins »). La sanction n'en est que plus forte. Enfin, L'Humanité s'appuie sur des chiffres de 2004 sans établir de comparaison avec les performances économiques des années précédentes ce qui, d'un point de vue économique, est peu significatif. De même, les indicateurs présentés ne sont pas mis en parallèle avec les performances des autres pays membres, ce qui donne un aperçu « biaisé » de la situation. Cet exemple est assez révélateur de la façon dont un quotidien peut utiliser les chiffres. Les différents indicateurs présentés permettent de pointer du doigt le ralentissement de l'économie tchèque ainsi que ses difficultés. Comparé aux autres pays candidats, la République tchèque est un pays riche néanmoins, cela ne suffit pas à sanctionner de façon positive sa transition économique.

L'Humanité procède de la même façon pour présenter la situation sociale du pays. Il énumère les différentes mesures prises par le gouvernement, des mesures qualifiées de « très impopulaires »263(*) « qui mécontentent une grande partie de la population »264(*). Le terme « impopulaires » révèle bien la sanction que porte une nouvelle fois le quotidien. L'énumération produit un effet d'accumulation et tend à accentuer les difficultés du pays. Là encore, rien n'est dit des mesures prises par les différents gouvernements au cours du processus d'adhésion qui ont permis d'améliorer le système de protection sociale tchèque.

A l'heure de l'entrée dans l'UE, c'est un pays économiquement faible, avec des difficultés économiques et sociales que nous dépeint L'Humanité. Cette sanction négative est peut être une façon de souligner que l'intégration de la République tchèque ne sera pas bénéfique pour l'UE, du moins au plan économique. En outre, elle peut contribuer à renforcer les craintes de l'opinion publique française. En effet, il faut rappeler que les Français craignent que les Tchèques « envahissent » leur marché du travail mais aussi émigrent pour bénéficier de meilleures conditions de vie. La situation du pays telle que la présente L'Humanité peut donc difficilement démythifier ces craintes.

C. Le Figaro : une sanction ambiguë

1. La République tchèque, un pays au faible niveau de vie

Deux articles du Figaro nous permettent de comprendre la sanction que le quotidien porte sur la transition de la République tchèque. Un reportage265(*) dans la ville de Prague laisse penser que l'économie tchèque est bien une économie de marché. Les impacts du capitalisme et de l'occidentalisation sont visibles dans les rues praguoises : les salles de fitness « se multiplient », de nombreux centres commerciaux sont apparus et la capitale comptent huit multiplexes. Diverses enseignes françaises sont présentes dans ces centres commerciaux, signe de l'ouverture du marché. Ces évolutions sont tangibles et poussent le quotidien à se demander si « le plus intellectuel des pays de cette Autre Europe[ne] serait pas devenu l'Amérique de l'Est ? ». Cette comparaison est en soi révélatrice des changements qui ont affecté les villes tchèques depuis les années 90. Cependant, cette « frénésie consumériste » n'est pour le quotidien qu'« apparente ». La République tchèque demeure en réalité un pays pauvre dans lequel « rien n'est plus banal que le malheur ».

Le Figaro procède de la même façon que L'Humanité : la sanction apparemment positive laisse place à une description stigmatisante de la situation économique et sociale du pays. Contrairement à L'Humanité, le quotidien ne recourt pas à des indicateurs macro-économiques mais se focalise sur le niveau de vie. Il insiste sur la faiblesse du salaire et des retraites dont le montant n'excède pas les 550 euros et les 150 euros par mois. Dans ces conditions, c'est sur la solidarité familiale qu'il faut compter pour « survivre ». Le journal ajoute que « la classe moyenne frôle ici la pauvreté », ce qui laisse penser qu'une large partie des ménages tchèques est concernée. D'autres éléments permettent au quotidien d'insister sur la précarité du niveau de vie : seulement ¼ des personnes est équipée en informatique et 9% des ménages possèdent un lave-vaisselle. Ces détails sont donnés par deux experts, un sociologue de l'Institut de sociologie de Prague et la vice doyenne de l'Université d'économie de Prague, dont le statut ne peut que contribuer à renforcer les propos du journal. Ces précisions ne sont pas anodines pour les lecteurs français car elles leur permettent de comparer le niveau vie en République tchèque au leur. Enfin, nous pouvons faire la même remarque que pour L'Humanité, quant à l'utilisation des données chiffrées. Les salaires mentionnés ne sont pas rapportés au niveau de vie ce qui est ne permet pas vraiment de rendre compte du niveau de pauvreté266(*) et donne une vision faussée de la situation sociale des Tchèques.

2. Une transition économique réussie

Un second article sanctionne la situation économique de la République tchèque au moment de son entrée dans l'UE mais cette fois-ci de façon positive267(*). Un expert rappelle qu'après la chute du communisme, les pays d'Europe centrale ont mis en place des réformes pour passer d'une économie collectiviste à une économie de marché, optant pour la méthode gradualiste ou la thérapie de choc. En République tchèque, le gouvernement Klaus a choisi la seconde alternative. Le journaliste ne revient pas sur les différentes mesures prises pendant cette période de transition mais se contente de juger le résultat. Au moment d'entrer dans l'UE, « le constat est implacable », autrement dit la sanction est sans appel : les pays qui ont opté pour la thérapie de choc « ont aujourd'hui une économie beaucoup plus saine que celles des autres pays ». La sanction est donc positive comme le confirment les différents indicateurs macro-économiques cités ensuite. Le taux d'inflation n'est que de 4%, le taux de chômage s'élève à 8,9% et une « véritable classe moyenne est apparue ». En termes de compétitivité, le journaliste insiste sur « l'extraordinaire flexibilité du marché du travail » et précise que la République tchèque « est devenu[e] le pays préféré des investisseurs ». L'économie tchèque est donc stable, compétitive et attractive pour les investisseurs étrangers. Afin d'accentuer encore ces atouts, il qualifie les pays qui ont opté pour la méthode gradualiste de « mauvais élèves ». Contrairement à L'Humanité, le procédé de l'énumération auquel recourt le journaliste permet de mettre en valeur les points forts de l'économie tchèque.

Au plan social, la sanction est également positive même si le quotidien reconnaît que la République tchèque doit faire face à certaines difficultés notamment en ce qui concerne le régime des retraites. Elle fait partie des pays qui « ont mis en place un système de capitalisation et ont relevé l'âge de départ à la retraite ». Contrairement à L'Humanité qui pointe du doigt l'augmentation de l'âge du départ à la retraite, le journaliste l'envisage ici comme une mesure nécessaire à l'amélioration du système de protection sociale. Enfin, le mode de développement économique qui est celui de la République tchèque aujourd'hui se caractérise par le « recul de l'Etat » et l'« ouverture rapide à la concurrence », deux spécificités qui sont celles de toute économie de marché.

Au moment d'intégrer l'UE, les résultats de la transition économique et sociale de la République tchèque sont donc jugés plus que satisfaisants. Cette sanction positive contraste avec l'article précédent qui pointait du doigt le faible niveau de vie et donc les différences d'avec la société française. Cette polyphonie discursive s'explique par le statut du journaliste : chargé d'études à l'IFRAP (Institut de recherche sur les administrations publiques) et rédacteur en chef de la revue Société civile, il semble être plus compétent pour aborder ce sujet. Le Figaro se contente de dépeindre la situation sociale à partir de quelques indicateurs décontextualisés.

D. La Croix : une transition pas encore achevée

1. L'économie tchèque, une « économie de marché » qui poursuit ses efforts

La Croix consacre plusieurs articles à l'économie tchèque que nous analyserons séparément car ils renvoient chacun à un aspect spécifique. Dans l'article intitulé « La révolution économique tchèque n'est pas de velours. Les Tchèques craignent de ne pas profiter très vite de l'adhésion à l'UE »268(*), le quotidien présente la République tchèque comme un pays intégré à l'espace économique européen. Elle « réalise déjà 70% de ses exportations vers les pays de l'Union ». En outre, La Croix précise que « son économie est ouverte à la concurrence ». Le quotidien s'attarde notamment sur les investissements étrangers dont bénéficie la République tchèque, signe de son ouverture économique. C'est un pays « très prisé des investisseurs étrangers ». Investir en République tchèque est presque synonyme de lutte comme l'illustrent les termes suivants : « avoir la part du lion », « disputent », « seconde place » ; une lutte dans laquelle sont engagées l'Allemagne, premier partenaire économique, la France et l'Autriche. Afin d'insister encore sur l'attractivité du pays, le quotidien avance un chiffre : les investissements étrangers ont rapporté 38 milliards d'euros en dix ans. Contrairement à L'Humanité, La Croix ne fait aucune allusion à une éventuelle baisse des investissements. Elle considère donc la République tchèque comme un pays compétitif, intégré dans l'espace économique européen et attractif pour les pays membres, une sanction qui rejoint celle des experts économiques269(*).

Le quotidien évoque rapidement les différentes réformes mises en oeuvre dans les années 90 pour permettre le passage à l'économie de marché. Les résultats sont incontestables et la sanction du journal explicite : « aujourd'hui, le pays obéit davantage aux règles du marché ». Si l'adverbe « davantage » vient nuancer la sanction qui n'est pas entièrement positive, La Croix ne dénonce pas pour autant les « défaillances » de l'économie tchèque. Au contraire, les efforts poursuivis par l'Etat pour tendre vers une économie de marché viable sont mis en avant par le quotidien. Le gouvernement ipdla « s'efforce de remédier aux maux qui entravent encore ici l'activité des milieux d'affaires étrangers ». Il a également « mis en place une cure d'austérité pour préparer l'adhésion à l'euro en 2009 ».

2. Un pays dans lequel subsistent des disparités économiques

Un second article permet au quotidien d'attirer l'attention sur les disparités économiques qui subsistent en République tchèque270(*). Le reportage se déroule dans un petit village à 200 km de Prague, à la limite de la Bohême et de la Moravie. La Croix a donc choisi un endroit assez représentatif de certaines régions tchèques dans lesquelles l'activité économique est encore dominée par l'industrie héritée du communisme et une agriculture peu productive.

Malgré les privatisations qui ont été menées « pour être en conformité avec la loi », « rien ne semble avoir été bouleversé après la fin du système communiste ». Par exemple, la coopérative existe toujours « car une majorité des gens étaient contents de l'ancien système » et seuls cinq agriculteurs ont leur propre exploitation. Le quotidien souligne les difficultés financières auxquelles ils doivent faire face. Cette précision permet de rappeler que la privatisation n'a pas été synonyme de prospérité pour tous les secteurs économiques et s'est parfois accompagnée d'une paupérisation de la population. La description d'une « manufacture de production de fusibles, transformateurs et contacteurs électriques » vise également à souligner le retard économique de ce village. D'ailleurs, le quotidien le dit explicitement : « là encore, peu de changements sont intervenus depuis la fin du communisme ». L'entreprise semble avoir échappée à la restructuration comme le suggèrent la phrase suivante : « l'essentiel du travail s'y fait encore à la main sur des machines qui ont vingt d'âge ».

Les conditions de vie au village ne sont donc pas des plus optimales comme le révèlent les propos d'un jeune couple. Ils gagnent « trop peu pour avoir un enfant » surtout depuis que la jeune fille « a arrêté de travailler. Elle gardait des enfants pour 5 000 couronnes par mois (155 euros) ». Contrairement au Figaro, La Croix n'assimile pas la République tchèque à un pays pauvre malgré les chiffres qu'il nous indique. La situation du village n'est pas alarmante comme le suggère la phrase suivante : il bénéficie « d'équipements publics à faire pâlir d'envie n'importe quel village français ». La comparaison avec le village français est significative : elle permet de souligner la modernité du village malgré son retard économique.

Il est intéressant de mettre cet article en parallèle avec le précédent. Si la République tchèque est bien un pays intégré à l'espace économique européen, toutes les régions ne bénéficient pas de ces retombées économiques et les investissements étrangers sont concentrés dans quelques grandes villes. L'économie de marché n'est donc pas encore une réalité partout.

3. L'amélioration de l'environnement : une facette de la transition

La Croix est le seul quotidien à publier un article relatif à l'environnement en République tchèque271(*). Il rappelle ainsi que la transition des pays d'Europe centrale était non seulement économique, politique et sociale mais aussi environnementale272(*). Nous pouvons préciser que la République tchèque était le pays dans lequel la situation était la plus catastrophique au sortir du communisme. Dans cet article, le quotidien souligne les progrès réalisés puis mentionne les étapes qu'il reste à franchir pour satisfaire entièrement aux exigences européennes. Le titre reflète cette logique : « malgré des améliorations, des défis écologiques attendent la République tchèque ».

Les avancées de la République tchèque dans le domaine environnemental sont mises en avant de plusieurs façons :

- La description qui ouvre l'article permet de comparer le paysage des années 90 avec celui d'aujourd'hui. « L'environnement dévasté » a laissé la place à des villes « qui ne souffrent plus du smog en hiver ». La Croix constate que « les choses ont incontestablement changé ». La sanction semble donc positive.

- Les deux champs lexicaux présents dans le discours mettent en valeur les progrès réalisés depuis le début des années 90. D'un côté, nous pouvons relever tous les termes qui se rapportent à l'industrie et plus généralement à l'époque communiste : « chauffage au lignite », « rejets industriels », « ancienne ville minière », « émanation de gaz toxiques », « production industrielle », « centrales à charbon », « exploitations des mines à ciel ouvert »... Ces termes permettent de donner au lecteur une image de la situation de la Tchécoslovaquie au pays au début des années 90 : un pays essentiellement industriel. Les impacts sur l'environnement ne sont pas détaillés mais le lecteur peut facilement les imaginer. Le second champ lexical présent dans le discours est celui de la biodiversité. Nous trouvons les termes ou expressions suivants : « technologies propres », « énergies fabriquées à partir de sources renouvelables », « écotaxe », « améliorer la qualité de l'eau », « recyclage », « nouvelle conception énergétique »... Certaines expressions se rapportent à des réformes déjà mises en oeuvre, d'autres à des mesures envisagées par le gouvernement.

- Enfin, différents termes renvoyant à la notion de progrès figurent dans le discours (par exemple « progressé » et « amélioration »).

Ces trois procédés permettent à La Croix de souligner l'ampleur des efforts déployés par la République tchèque afin de satisfaire aux exigences européennes en matière d'environnement. Néanmoins, la sanction n'est pas entièrement positive puisque le quotidien reconnaît qu'il reste des « écueils ». Les gaz à effet de serre, la qualité de l'eau et le traitement des déchets sont les trois défis auxquels devra faire face la République tchèque dans les années à venir.

4. Une critique de la solidarité européenne

La Croix est le seul quotidien à aborder à plusieurs reprises la question des fonds structurels. Dans un premier temps, il donne la parole à V. pidla. Celui-ci « s'inquiète que son pays passe `à côté des avantages que vont offrir les premières années dans l'UE' »273(*). Il est intéressant de noter que La Croix légitime les craintes du Premier ministre : « ces fonds structurels ne seront attribués qu'aux autorités régionales ou locales ayant présenté des projets `tenant la route' ». Le quotidien énumère ensuite les obstacles qui pourraient empêcher la République tchèque d'en être bénéficiaire et les raisons pour lesquelles le pays est nécessiteux. La structure du paragraphe (« Alors que [...] Alors que [...] Alors que ») ne fait que renforcer les arguments du journal. Il semble que cette énumération soit une façon de sanctionner l'UE pour son mode d'attribution des fonds. Dans un autre article, le quotidien précise que le maire du village « n'a pas suivi de formation particulière pour apprendre comment bénéficier des fonds européens »274(*). Mise en parallèle avec les phrases précédentes, cette citation sous-entend qu'il a peu de chances de présenter un projet qui « tien[ne] la route » et qui lui permette de bénéficier des fonds alors même que ce village est dans le besoin.

En dénonçant le mode d'attribution des aides européennes, La Croix rappelle que la réussite de la transition économique ne résulte pas seulement des réformes mises en oeuvre par les gouvernements nationaux. La solidarité européenne est un élément fondamental pour aider des pays encore fragiles économiquement à devenir de véritables économies de marché. C'est donc le manque de solidarité que dénonce ici La Croix. Cette accusation est d'autant plus forte que le journal met en valeur tous les efforts entrepris par la République tchèque en vue de satisfaire aux exigences européennes.

A travers ces différents articles, La Croix nous dépeint un pays intégré à l'espace économique européen mais qui doit poursuivre ses efforts. En dénonçant l'absence de solidarité européenne, il nous rappelle le rôle de l'UE dans l'intégration des pays candidats. Cela nous permet de comprendre pourquoi il titre « La révolution économique n'est pas de velours ». L'intégration économique n'est qu'apparente et les bénéfices de la transition sont inégalement répartis dans le pays.

E. Libération : une économie marquée par l'héritage communiste

1. L'économie tchèque, une économie à deux facettes

En réalisant un reportage à Lodenice275(*), Libération s'attache, comme La Croix, à rappeler la dualité du système économique tchèque. Dans ce village, situé à 35 km de Prague, coexistent deux usines que tout oppose : l'infrastructure, les méthodes de travail et les relations entre salariés et entrepreneur ; leur seul point commun : la rentabilité et la productivité, deux exigences de l'économie capitaliste. Tout l'article est construit autour du contraste entre l'« ancienne fabrique » rachetée par un fonds de pension américain et l'usine « ultramoderne » construite par ce même fonds de pension.

Dans la fabrique de vinyles, « l'ambiance fait penser à une usine soviétique qui aurait échappé à l'automatisation, à l'information et à la modernité ». A l'inverse, la nouvelle usine de CD et de DVD est « un entrepôt sans âme ». Le contraste est aussi perceptible dans les méthodes de travail. D'un côté, les ouvriers « fabriquent dans un silence religieux » des disques vinyles ; de l'autre, ils « surveillent des robots qui fabriquent que des CD pour Microsoft et des DVD pour Hewlett Packard » dans « un bruit infernal ». Enfin, les relations entre les ouvriers et les managers sont, elles aussi, sensiblement différentes. L'usine moderne est dirigée par un homme qui parle anglais et a appris à ses salariés « le respect du client et des délais ». A l'inverse, dans la fabrique de vinyle, ce sont les ouvriers qui sont en position « dominante ». Libération nous dit qu'ils « détiennent un savoir-faire », « maîtrisent la réparation des machines » et résistent « à la mondialisation de la gestion du personnel ». Ce sont des hommes « d'un autre temps » avec lesquels les managers doivent « composer ».

Nous pouvons faire plusieurs remarques quant à la signification de ce reportage. Rachetée par un fonds d'investissement américain, l'ancienne fabrique symbolise les usines partiellement restructurées qui ne répondent pas encore entièrement aux règles de gestion de l'économie capitaliste. Ici, ce n'est pas le manque d'investissements étrangers qui est souligné mais la difficulté à faire évoluer les mentalités des personnes « qui ont appris à travailler sous le communisme ». Le responsable des opérations commerciales le confirme : « Les gens ici travaillent très bien, mais beaucoup avaient l'ancienne mentalité de l'entreprise d'Etat ». Le quotidien fait allusion à un problème auquel ont été confrontées la plupart des entreprises au cours de leur restructuration : le poids de l'héritage institutionnel et organisationnel du système économique soviétique qui, comme l'illustre ce reportage, reste encore très présent même dans les nouvelles structures. Les investissements étrangers et le transfert de nouvelles technologies ne suffisent pas à transformer le système productif, l'économie de marché est aussi une question de mentalité.

Il est intéressant de mettre en parallèle ce reportage avec le portrait que fait Libération d'une chef d'entreprise tchèque276(*). Elle « n'a pas attendu que les actionnaires lui imposent le développement durable » pour créer sa propre firme de cosmétique bio. Par cette première précision, Libération montre que l'économie tchèque ne repose pas uniquement sur les entreprises rachetées par des investisseurs étrangers mais que l'esprit d'entreprise existe aussi chez les Tchèques. Cette firme est le fruit d'une initiative personnelle. Les différents termes employés par le quotidien pour la désigner témoignent de sa « bonne santé » économique. Cette « libre entreprise écolo » est « la plus grosse firme tchéco-britannique de cosmétiques bio ». Elle s'est développée et il existe « une quarantaine de boutiques aujourd'hui en République tchèque, une dizaine en Angleterre ». Ces différentes indications permettent au quotidien de montrer que le capitalisme est bien implanté en République tchèque et plus précisément le capitalisme « bio et profitable ». Il est intéressant de relever ce que Dana, la chef d'entreprise, dit à propos de ses salariés. Elle leur a appris « les standards du service à l'occidental » pour effacer progressivement leurs habitudes héritées du communisme. « Les Tchèques ont un problème à cause de l'héritage communiste. Ils [...] ne savent pas dire bonjour et merci » : cette citation illustre bien la difficulté à faire évoluer les mentalités.

C'est bien la dualité de l'économie tchèque qui est illustrée par ces deux articles sans qu'elle soit pointée du doigt comme un inconvénient, une faiblesse pour entrer dans l'UE. La République tchèque est un pays attractif pour les investisseurs, dont les entreprises sont productives et rentables même si certaines habitudes héritées du communisme perdurent.

2. Un modèle social différent du modèle occidental

Libération consacre un article à la « faiblesse syndicale » tchèque277(*). Il pointe du doigt plusieurs différences avec les pays d'Europe occidentale : « l'absence d'un vrai code du travail », « la manière d'organiser une manifestation » et les « systèmes sociaux [qui sont] radicalement différents ». C'est donc sur le « fossé culturel » qui existe en terme de « culture sociale » que se focalise le journal. Il juge la culture sociale tchèque « minimale en comparaison des standards de l'Europe de l'Ouest » et s'appuie sur deux exemples pour illustrer ce décalage : la faiblesse syndicale et l' « absence » de droit social.

Tous les termes utilisés pour décrire la syndicalisation en République tchèque renvoient à l'impuissance : la « faiblesse syndicale », l'« absence de syndicats puissants ». Cette impuissance explique en partie la faiblesse de l'action collective : « la confédération n'appelle jamais à manifester », même « les manifestations du 1er mai sont difficiles à organiser ». Dans le dernier paragraphe de l'article, le quotidien donne la parole à plusieurs Tchèques qui avancent différentes raisons pour expliquer ce phénomène. L'histoire pèse sur la pratique syndicale. L'absence de revendication est un état d'esprit hérité du communisme qui perdure même chez les jeunes générations. Le responsable d'une confédération syndicale témoigne : « les jeunes diplômés [...] rejettent les syndicats et l'action collective en général », « les jeunes [...] au chômage préfèrent se taire », « les jeunes ne s'engagent pas ». Libération souligne à nouveau l'héritage du système soviétique. Habitués à « courber l'échine », les Tchèques ont conservé cette mentalité. Aujourd'hui, ils ont peur de faire entendre leur voix.

Le modèle social tchèque se caractérise aussi par la faiblesse du droit social présentée par Libération comme un atout pour les investisseurs étrangers. La République tchèque est un « paradis ». L'« absence de vrai code du travail », la fiscalité « très libérale » et les « règles très souples en matière de licenciement » sont autant d'avantages que met en avant le quotidien. Il est intéressant de noter que l'attractivité de la République tchèque n'est pas ici présentée comme l'indice d'une bonne intégration dans l'espace économique européen mais comme la conséquence de la fragilité du modèle social. Libération ne fait aucune allusion aux efforts réalisés par la République tchèque pour tendre vers les normes sociales européennes mais souligne l'impossibilité d'une éventuelle convergence avec le modèle social français. En effet, en dépit du « discours rassurant » du vice-président de la principale confédération syndicale qui « assure » que « les modèles sociaux vont converger [et que] [...] les différences ne pourront pas subsister », le quotidien insiste à plusieurs reprises sur la pérennité des écarts soulignés. « En attendant, les différences [...] ne sont pas corrigées » et il n'est « pas sûr qu'une génération suffise ». Le quotidien clôt l'article avec la phrase suivante « l'entrée dans l'Union risque de ne pas changer grand-chose ».

3. Les délocalisations allemandes

L'article intitulé « Pour les Berlinois, un petit chèque pour des obsèques tchèques »278(*) porte sur la délocalisation d'une entreprise de pompe funèbre allemande en République tchèque. Le discours est un dialogue entre le président de la fédération des pompes funèbres allemandes et le patron de l'entreprise. Alors que le premier est « ulcéré » et « s'exaspère », le second « raconte », « rétorque » et « répond » pour défendre le bien fondé de cette délocalisation. Outre cette polémique dont nous fait part le journal, l'article nous donne des indications sur la situation économique tchèque. Ce reportage illustre les échanges économiques qui existent entre la République tchèque et l'Allemagne et plus précisément entre les régions frontalières. Ce discours permet également au quotidien de prendre position par rapport à la question des délocalisations entraînées par l'élargissement. La dernière phrase de l'article a retenu notre attention. Le quotidien donne la parole à la secrétaire générale de la Fédération des Pompes funèbres qui explique que « de toutes façons, il n'y a aucune chance pour que cela arrive dans notre pays. Ce n'est pas la mentalité française ». Elle ajoute que la délocalisation de ce type d'activité n'est pas encore envisageable en France pour des raisons législatives. Enfin, elle précise que le secteur des pompes funèbres n'est pas encore libéralisé. Ainsi, même si l'activité économique prise en exemple par Libération est quelque peu spécifique, le quotidien suggère, par l'intermédiaire de cette personne, que tous les secteurs économiques ne sont pas libéralisés et donc sujets à délocalisation. La polémique concernant les délocalisations n'est donc pas justifiée.

4. Un niveau de vie décent

Lors d'un reportage à Prague et d'un entretien avec deux jeunes mariés, Libération évoque le niveau de vie de la population en République tchèque. « Katerina et Pavel n'ont pas trop à se plaindre »279(*) puisqu'ils travaillent tous deux dans des domaines porteurs. Leur situation financière est donc convenable comme le confirme la fin de l'article : « ils viennent d'acheter un appartement, dans le quartier des ambassades, avec un jardin. Et commencent à parler enfant ». Le couple choisit par Libération pour donner aux lecteurs un aperçu du niveau de vie en République tchèque contraste avec celui que nous trouvons dans les propos de La Croix.

Ces différentes analyses nous permettent de faire plusieurs remarques sur la façon dont les quotidiens ont présenté la situation économique et sociale de la République tchèque au moment de son entrée dans l'UE. Dans tous les journaux, la thématique de l'économie est dominante, ce qui est assez cohérent avec nos premières analyses et confirme l'idée émise dans une partie précédente : l'intérêt pour les quotidiens est de savoir ce que la République tchèque peut apporter à l'UE d'un point de vue économique.

Contrairement à ce que nous pourrions penser, la sanction n'est pas forcément positive. Il y a donc un décalage entre l'évaluation de la transition réalisée par les instances européennes et celle que font les quotidiens. En effet, pour L'Humanité et Le Figaro, les résultats de la transition économique et sociale sont loin d'être satisfaisants à l'heure de l'entrée dans l'UE. C'est donc une sanction négative que portent les deux journaux.

Le Monde est plutôt neutre et se contente de nous présenter un pays intégré dans l'espace économique européen. Libération oscille entre une sanction positive et négative : la République tchèque est un pays moderne et capitaliste mais qui reste marqué par son passé communiste.

Seuls les discours de La Croix se distinguent de ceux des autres quotidiens. Il est le seul journal à mettre en avant les progrès réalisés par la République tchèque avant de présenter les défis auxquels elle reste confrontés.

Les sanctions opérées par les journaux ne sont pas anodines. L'insistance sur les difficultés économiques et sociales dans les discours de L'Humanité et du Figaro peut renforcer la peur d'une émigration tchèque. En outre, il faut souligner qu'aucun expert n'est sollicité pour démythifier cette crainte et évoquer les retombées positives de l'intégration de la République tchèque dans l'UE. La faiblesse du niveau de vie peut également renforcer la crainte d'un élargissement coûteux. Finalement, au vu de ces discours, l'intégration de ce pays semblerait représenter un danger pour la prospérité de l'UE d'autant plus que tous les points forts de l'économie tchèque sont occultés par les journaux.

IV. V. Havel, les ambiguïtés de la mondialisation

La dernière partie de notre travail est consacrée exclusivement à un discours de V. Havel publié dans Le Figaro280(*). Nous avons choisi de le dissocier du restant de nos analyses non seulement à cause du statut de l'énonciateur mais aussi parce que le thème abordé constitue en quelque sorte une synthèse de nos analyses précédentes. Ce discours est un énoncé à visée argumentative qui entend modifier la représentation que les gens ont de la civilisation contemporaine et plus précisément les mettre en garde contre son évolution et ses écueils. Il faut préciser que Le Figaro ne publie pas un entretien qu'il a eu avec V. Havel mais retranscrit une allocution prononcée par l'ancien président tchèque à Paris le jour même. L'auditoire n'est donc pas identique mais V. Havel s'adressait déjà à un public français.

A. Rationalité économique versus dimension humaine

V. Havel part d'une expérience personnelle pour capter l'attention de son auditoire et le mettre en garde contre « l'évolution de la civilisation contemporaine ». A ses yeux, la rationalité économique prend une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne au détriment de la dimension humaine. L'étude des champs lexicaux présents dans le discours est assez révélatrice de cette évolution. V. Havel prend pour exemple deux lieux emblématiques de la civilisation contemporaine : le supermarché et le cinéma ou plus précisément les multiplexes. Les termes utilisés pour décrire le supermarché renvoient aux notions d'espace et d'abondance. Il est « vaste comme un hall de gare », V. Havel « s'est égaré ». Nous trouvons aussi le terme « grands supermarchés ». L'ancien président évoque « l'incroyable diversité des produits » et le «chariot rempli de marchandises intéressantes » avec lequel les clients repartent.

A ces supermarchés, symbole de la civilisation contemporaine, il oppose les « petits commerces et [les] petits artisans de nos villes et de nos villages » qui « disparaissent ». La dimension spatiale est ici suggérée par le terme « petit » qui est utilisé à plusieurs reprises. Il permet d'insister sur la dimension humaine de ce type de commerce. V. Havel ajoute qu'il est possible de les « embrasser d'un seul coup d'oeil », une phrase qui renvoie elle aussi à la dimension humaine. Contrairement aux supermarchés qui sont synonymes d'anonymat, ces petits commerces sont des « petits centres de vie sociale ». Effectivement, toutes les expressions utilisées pour les décrire renvoient à la communication et donc à la dimension humaine : les gens « se connaissent mutuellement », « connaissant le vendeur », « échanger quelques mots », « caractère individualisé de l'achat ». Pour V. Havel, avec la disparition de ces petits commerces, c'est la dimension humaine qui disparaît : « aux communautés humaines non anonymes » se substitue « l'anonymat de la civilisation », « l'isolement existentiel ».

L'objectif de V. Havel n'est pas de dénoncer l'évolution de la civilisation actuelle. Il reconnaît que d'un point de vue économique, les supermarchés sont « avantageux ». Cependant, il souligne qu'« il existe d'autres points de vue que celui de la rationalité économique [...] plus importants encore ». Cette dichotomie rationalité économique/dimension humaine qui traverse quasiment tout son discours reflète sa vision de l'Europe, une Europe qui manque de dimension humaine et spirituelle.

B. Les arguments invoqués

Pour convaincre son auditoire des écueils vers lesquels tend la civilisation contemporaine, V. Havel recourt à deux types d'argument : l'argument par l'exemple et l'argument fondé sur la structure du réel. « Argumenter par l'exemple, c'est présupposer l'existence de certaines régularités dont les exemples fourniraient une concrétisation »281(*). C'est pourquoi, V. Havel prend pour exemple le régime communiste. Le rapprochement entre le communisme et la civilisation contemporaine est explicite : « le marxisme et le communisme ont constitué à bien des égards les avatars les plus extrêmes de la civilisation moderne » ou encore « le communisme [est] la cruelle caricature de la civilisation contemporaine ». Les termes employés pour décrire le communisme renvoient tous à la rationalité, à l'organisation : « lois générales », « vérité unique », « organiser » à deux reprises, « cloisonner »... Toutes ces expressions permettent de décrire la « nature parfaitement rationnelle et matérielle de l'univers et de l'existence humaine », caractéristique du communisme mais aussi de la civilisation contemporaine. Enfin, le terme de « dictature » permet aussi de faire un parallèle entre les deux. Alors que le communisme était une « dictature économique et politique », la civilisation contemporaine « converge vers cette forme de dictature, insidieuse, dissimulée et extrêmement sophistiquée ». Recourir à l'exemple du communisme pour mettre en garde les lecteurs des dangers du caractère rationnel et matériel de la civilisation contemporaine est un argument qui a d'autant plus de poids que l'exemple choisi est incontestable.

Le second argument auquel recourt V. Havel est un « argument basé sur la structure du réel » et plus précisément un « argument de direction » qui « prévoit les développements futurs »282(*). Il pousse la logique de la rationalité à son paroxysme et imagine à quoi ressemblerait le pays dans lequel nous vivons. Il serait organisé de manière « rationnelle et fonctionnelle ». La culture, l'économie, l'édition, la consommation... seraient des secteurs centralisés et tendraient « à l'unification générale, fût-ce sous le couvert d'une infinie diversité ». L'énumération à laquelle procède V. Havel renforce cette impression. Un tel degré de centralisation serait, au final, synonyme de totalitarisme. L'argument basé sur la structure du réel rejoint donc l'argument par l'exemple.

C. La place accordée à l'auditoire

L'auditoire «  n'est pas nécessairement constitué par ceux que l'orateur interpelle expressément » mais par « l'ensemble de ceux sur lesquels l'orateur veut influer par son argumentation »283(*). Il peut être présent ou virtuel ce qui est ici le cas puisque l'auditoire correspond à toutes les personnes susceptibles de lire Le Figaro. Le destinataire est toujours présent en creux dans le discours mais peut aussi être explicitement désigné. R. Amossy distingue quatre types d'indices d'allocution : les désignations nominales explicites, la description de l'auditoire, les pronoms personnels et les évidences partagées284(*). Dans le discours de V. Havel, c'est surtout les pronoms personnels et les possessifs leur correspondant qui ont retenu notre attention. Le pronom « je » est utilisé dans la majeure partie du discours et c'est seulement dans le dernier tiers de l'article que l'auditoire apparaît explicitement à travers le pronom « nous » ou le possessif « nos ». Cette inscription du destinataire dans le discours est annoncée par le verbe « imaginons ». V. Havel prend à partie le lecteur qui doit imaginer avec lui. Le pronom « nous » permet de réitérer cette implication : « il est tout à fait possible que chacun d'entre nous... ». L'évolution de la civilisation contemporaine aura des impacts sur chaque individu. Le possessif « nos » est aussi employé : « la transposition dans des contextes différents de nos progrès, de nos règles, de nos objectifs et de nos manières de faire euro-atlantiques ». Il est intéressant de noter que le « nos » traduit ici l'appartenance de la République tchèque à l'Europe. Les manières de faire euro-atlantiques ne sont pas uniquement celles des Français mais aussi celles des Tchèques. Enfin, V. Havel clôt son discours avec la phrase suivante : « Nous devrions nous pencher sur tout ceci avec une plus grande acuité que d'habitude ». Le « nous » est ici un appel à la responsabilité de chacun et renvoie implicitement à la vision que V. Havel défend de l'Europe. Une Europe qui « repose sur un sort partagé en commun », qui soit l'« espace d'une certaine volonté, d'un certain comportement et d'une certaine responsabilité »285(*). Il faut rappeler que pour lui, la responsabilité n'est pas uniquement de l'ordre de l'individuel. Chacun devrait ressentir « une responsabilité pour le monde et son avenir »286(*) mais celle-ci reste en réalité très faible. L'emploi du pronom « nous » n'est donc pas étonnant, V. Havel souhaite rappeler à chacun le rôle qu'il doit jouer dans l'avenir de l'Europe et plus précisément dans l'évolution de sa civilisation. L'inscription de l'auditoire dans le discours participe à l'argumentation de V. Havel.

Pour terminer l'analyse de ce discours, il est intéressant de le replacer dans l'ensemble du corpus. Cet article est le seul avec celui de Martin Plichta qui relativise voire occulte la dimension économique de l'élargissement. Ce décalage entre les deux discours émanant de Tchèques et les énoncés des journaux reflète la divergence entre les conceptions tchèque et française de l'Europe. Enfin, le discours de V. Havel illustre le complexe de la petite nation que nous avons évoqué à plusieurs reprises. J. Patoèka souhaitait que la nation tchèque soit utile pour l'Europe et qu'elle ne se replie pas sur elle-même. En se référant au communisme, V. Havel souligne que l'expérience de la République tchèque peut être utile à l'Europe, la nation tchèque aurait peut être enfin trouver un sens à son existence.

CONCLUSION

Notre travail avait pour objet l'analyse de la représentation de la République tchèque dans la presse quotidienne, au moment de son entrée dans l'UE. Notre première hypothèse était que la représentation proposée par les journaux serait une représentation stéréotypée, réduisant ainsi ce pays à quelques traits spécifiques. Nos analyses nous permettent de confirmer cette hypothèse. En nous appuyant sur la typologie de l'identité nationale proposée par A-M. Thiesse, nous avons montré que les quotidiens se focalisaient sur certaines composantes de l'identité nationale : la gastronomie, la religion et le folklore. Cependant, il faut nuancer cette conclusion puisque nous avons repéré une divergence entre les discours de La Croix et les articles publiés par les autres quotidiens. Le journal privilégie également les composantes « gastronomie » et « folklore » mais elles ne participent pas à la construction d'une représentation stéréotypée de la République tchèque comme dans Libération et Le Figaro. La Croix souligne au contraire leur importance dans la vie quotidienne des Tchèques et les envisagent donc dans une perspective identitaire. Enfin, nous avons remarqué que la langue et le territoire, composantes fondamentales de l'identité nationale tchèque, n'apparaissent dans quasiment aucun discours. Les rares fois où elles sont évoquées, ce sont par des Tchèques dont les quotidiens nous rapportent les propos. Cette précision permet de souligner le décalage qui existe entre la représentation que les Tchèques se font de l'identité de leur nation et celle que proposent les quotidiens.

La troisième hypothèse que nous avions formulée permet de confirmer ce décalage et de le préciser. Nous supposions que la République tchèque serait représentée à travers le prisme de la nation civique, les quotidiens occultant ainsi les périodes clés de l'histoire de la nation tchèque, une nation culturelle. Là encore, certaines de nos analyses nous permettent de confirmer cette hypothèse et plus précisément les discours de La Croix et du Monde. Ces deux quotidiens relatent l'histoire de la nation tchèque entendue comme nation politique, c'est pourquoi tous les termes utilisés renvoient au champ lexical de la nation politique. A l'inverse, aucune expression caractéristique de la nation culturelle n'apparaît dans les discours excepté, là encore, dans les propos d'un Tchèque. Le décalage mentionné précédemment se confirme. Même si certains auteurs que nous avions mentionnés dans notre première partie, rejettent la dichotomie nation politique/nation culturelle, l'analyse que nous avons menée révèle bien que cette opposition est pertinente pour comprendre le décalage des représentations entre Tchèques et Français. Enfin, la place accordée à l'histoire dans les discours de presse confirme que c'est bien la logique de la nation politique qui structure les discours médiatiques. Si l'histoire est bien l'une des composantes de l'identité nationale identifiée par A-M. Thiesse, elle n'est, là encore, pas évoquée par les quotidiens dans une perspective identitaire. En effet, aucun des moments clés qui ont permis de construire une histoire glorieuse de la nation ne sont évoqués. Par contre, toutes les références historiques citées sont liées aux différents régimes politiques traversés par la République tchèque.

Notre dernière hypothèse concernait la représentation de la République tchèque comme un pays encore marqué par quarante années de communisme aussi bien au plan politique, qu'économique et social. Au plan politique, les articles consacrés aux élections européennes et à la formation du gouvernement de S. Gross nous permettent effectivement de confirmer cette hypothèse. La vie politique tchèque mais aussi les pratiques démocratiques sont encore marquées par l'héritage communiste. La corruption est un fait tangible que mentionnent tous les quotidiens de façon plus ou moins explicite mais qui ne donne pas vraiment lieu à une stigmatisation. Elle est même plutôt relativisée par certains journaux comme Libération et Le Figaro. De même, la plupart des quotidiens s'accordent pour dire que la culture démocratique n'est pas encore acquise par le peuple tchèque, excepté Le Monde qui se veut plus optimiste. L'héritage du communisme est donc perceptible dans les comportements et les mentalités et a des répercussions sur la vie politique tchèque cependant, ce n'est pas la thématique que privilégient les quotidiens. En effet, la majorité des discours sont consacrés à la dimension économique et sociale de la République tchèque et confirment là aussi notre hypothèse. Globalement, les quotidiens portent une sanction négative sur la situation économique et sociale du pays à l'heure de son entrée dans l'UE. Les discours de Libération et de La Croix sont ceux qui mettent le plus en valeur l'héritage du communisme. La République tchèque est un pays moderne et capitaliste mais qui reste marqué par son passé communiste aussi bien en ce qui concerne les mentalités des salariés que l'organisation des structures productives. Le Figaro et L'Humanité se contentent de pointer du doigt les difficultés économiques et sociales auxquelles est confronté le pays.

Cette focalisation sur la dimension économique permet de comprendre pourquoi les quotidiens accordent peu d'intérêt aux sentiments des Tchèques. Les propos rapportés se résument à quelques phrases dans chacun des quotidiens alors que des articles entiers sont consacrés à la thématique de l'économie. La logique des quotidiens n'est donc pas de mettre en avant ce qui justifie l'intégration de la République tchèque dans l'UE ni ce qu'elle peut lui apporter mais de souligner le fossé qui les sépare. Cela permet également de comprendre pourquoi les propos des Tchèques que les médias choisissent de rapporter, sont principalement des énoncés à dimension argumentative. Certes, les quotidiens construisent globalement une représentation de l'opinion publique favorable à l'Europe toutefois, les raisons de cet enthousiasme sont peu développées. De même, les craintes dont certains Tchèques nous font part sont juste évoquées et non argumentées. Cette stratégie discursive est finalement compréhensible car il serait contradictoire de sanctionner de façon négative la République tchèque et en même temps de laisser s'exprimer les Tchèques sur les bénéfices que représente leur arrivée dans l'UE.

La question économique de l'élargissement est, certes, un enjeu majeur mais il n'est pas le seul. Or, force est de constater que les autres défis que représente l'élargissement sont occultés par les médias du moins dans les articles de notre corpus. Nous pensons pouvoir expliquer cette focalisation sur la dimension économique de la République tchèque. En effet, si nous réfléchissons à l'histoire de la construction communautaire, l'Europe qui est née à la fin de la Seconde Guerre Mondiale était une entité économique qui visait à assurer prospérité et paix. L'Europe n'a pas été pensée dans une logique spirituelle ou morale comme le fait V. Havel. Il n'est donc pas étonnant finalement, que ce soit la situation économique et sociale de la République tchèque qui retient l'attention des quotidiens au moment où elle s'apprête à entrer dans l'UE.

Nous avons mentionné en introduction la méconnaissance des Occidentaux par rapport à l'Europe centrale. Il n'est pas sûr que cette volonté de représenter la République tchèque comme un pays encore marqué par son passé communiste contribue à modifier les représentations que les Français ont de ce pays. En proposant une représentation stéréotypée et parfois erronée de la République tchèque, les quotidiens français ne font que perpétuer la barrière symbolique évoquée par M. Hroch. En outre, si l'intégration ne peut se faire sans un minimum de convergence entre les niveaux de développement des pays entrants et des pays membres cela ne suffit pas. Il faut une vision politique, une réflexion sur l'avenir comme l'a, à plusieurs reprises, souligné V. Havel. L'analyse de notre corpus nous a révélé que cette réflexion sur l'avenir de l'Europe et l'apport des pays entrants aussi bien au plan culturel, qu'économique est pour ainsi dire inexistante. Dans son ouvrage consacré à V. Havel, Geniève Even-Granboulan pose la question suivante : « l'Est et l'Ouest : l'Europe centrale reste-t-elle l'autre Europe ? »287(*). Au vu de nos analyses, la réponse ne peut être qu'affirmative, il semble que les pays membres et notamment la France ne soient pas encore prêts à offrir à la République tchèque le « chez-soi » qu'elle cherchait, pour reprendre les termes de V. Havel.

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- « Les frontières de l'Europe centrale n'ont cessé de bouger. La plupart des Etats sont nés il y a moins d'un demi-siècle, au lendemain de la Première Guerre Mondiale », 30 avril 2004, p. 5

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- « Portrait robot des dix nouveaux : République tchèque », 30 avril 2004, p. 11

- « Lodenice approfondit le sillon du vinyle ; l'Europe à 25 », 30 avril 2004, p. 26

- « Pour les Berlinois, un petit chèque pour des obsèques tchèques ; l'Europe à 25 », 30 avril 2004, p. 33

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- « La firme bio ; l'Europe à 25 » 20 juillet 2004, p. 32

- « La République tchèque se donne à une jeune premier ministre », 27 juillet 2004, p. 9

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE 4

INTRODUCTION 5

PREMIERE PARTIE : LA NATION TCHEQUE A TRAVERS L'HISTOIRE 11

I. Constitution et évolution de l'identité nationale tchèque 11

A. Définition des concepts 11

1. La nation : un concept et deux significations 11

a) La nation civique ou politique 12

b) La nation culturelle ou ethnique 12

c) La situation de l'Europe centrale au XIXème siècle 13

2. Le concept d'identité nationale 13

a) Naissance et création de l'identité nationale 13

b) Les composantes de la « check list identitaire » 14

c) L'Autre, une figure constitutive de l'identité nationale 16

d) La dimension collective de l'identité 16

B. La renaissance nationale et la constitution de l'identité nationale tchèque au XIXème siècle 17

1. La naissance de l'identité nationale tchèque : un nationalisme linguistique 17

a) La langue : un facteur essentiel de l'identité nationale 17

b) Le territoire, une autre composante importante 18

c) Le nationalisme tchèque : un nationalisme linguistique 19

2. Le rôle des Éveilleurs dans l'éveil de la conscience nationale tchèque 19

a) Une élite populaire 20

b) Joseph Jungmann et Frantiek Palacký : deux figures importantes dans l'histoire de la nation tchèque 20

c) Les associations, lieux de diffusion de la conscience nationale 21

3. Le théâtre : une médiation qui a participé à l'éveil de la conscience nationale 22

C. L'identité tchèque au XXème siècle et XXIème siècle 23

1. La confusion entre identité tchèque et identité tchécoslovaque 23

a) Un malentendu à la base de la construction de la Tchécoslovaquie 23

b) Naissance du nationalisme slovaque et absence du nationalisme tchèque 24

2. La question des Sudètes : une « reformulation » de l'identité 25

3. 1993 et le retour de la question identitaire : le complexe de la petite nation 27

a) Le complexe de la petite nation 27

b) Toma-Garrigue Masarýk et Jan Patoèka, deux philosophes qui se sont exprimés sur le complexe de la petite nation 28

II. Les opinions publiques et les partis politiques face à l'élargissement 29

A. Les craintes des opinions publiques française et tchèque : des craintes essentiellement économiques et sociales 30

1. Le concept d'opinion publique 30

a) Naissance et évolution du concept d'opinion publique 30

b) La confrontation des différentes représentations de l'opinion publique 30

c) « L'opinion publique n'existe pas » 31

2. L'évolution et les craintes de l'opinion publique tchèque 32

a) Une adhésion tardive qui a suscité la méfiance parmi les Tchèques 32

b) Des craintes essentiellement d'ordre économique et sociale 33

c) « Des » opinions publiques tchèques 34

3. L'opinion publique française : une opinion publique de plus en plus « réticente » 35

a) L'opinion publique française : une opinion réticente 35

b) Des craintes principalement économiques 35

B. La position des partis politiques tchèques face à l'intégration dans l'UE 37

1. Evolution de la position des différents partis politiques 37

a) Du consensus à la différenciation 37

b) La position des partis politiques tchèques au moment de l'intégration 38

2. Le débat sur l'intégration entre les deux principaux partis politiques (ODS / ÈSSD) 39

a) Le ÈSSD, un parti pro-européen 39

b) Une Europe qui respecte les identités nationales 40

c) V. Klaus, leader de l'ODS, un parti eurosceptique 41

3. Václav Havel un fervent défenseur de l'Europe 43

a) L'Europe n'est pas une menace pour l'identité nationale 44

b) L'Europe est responsable de la division du monde 44

c) L'Europe : entité technocratique à laquelle il manque une dimension spirituelle 45

DEUXIEME PARTIE : LA REPRESENTATION MEDIATIQUE DE LA REPUBLIQUE TCHEQUE EN 2004 46 

I. La représentation de l'identité nationale tchèque 48

A. Le Monde : la République tchèque, une nation « politique » 48

B. L'Humanité : une seule référence, l'histoire 49

C. Le Figaro : une nation culturelle qui s'occidentalise 50

1. La République tchèque, un pays qui tend à s'occidentaliser 50

2. La République tchèque : une nation culturelle 52

D. La Croix : un pays attaché à son folklore 54

1. La République tchèque, un pays traditionnel 54

2. Une nation politique constituée contre le pouvoir de Vienne 54

3. L'ennemi de la nation tchèque : l'Autriche 56

E. Libération : un pays qui s'occidentalise 57

1. La religion, une composante de l'identité nationale ? 57

2. La tradition, une composante de l'identité nationale qui tend à disparaître 58

3. Une représentation confuse de l'identité nationale 59

II. L'opinion publique et les partis politiques tchèques face à l'intégration 61

A. La construction de l'opinion publique dans les discours médiatiques 61

1. Le Monde : une opinion publique tchèque europhile 62

2. L'Humanité : une opinion publique largement indifférente 64

3. Le Figaro 65

4. La Croix : « des » opinions diversifiées 66

a) Une opinion publique peu intéressée par l'intégration 66

b) Un tchèque mécontent des mesures prises par l'UE 67

5. Libération : des Tchèques mécontents 68

B. La désignation des partis politiques et leur position par rapport à l'Europe 70

1. Le Monde 71

a) Les élections européennes : un « revers démocratique » 71

b) Jan Zahradil : un portrait symbole de la victoire de l'ODS 72

2. L'Humanité 72

a) Le Parti communiste, un parti politique de poids sur la scène politique tchèque 72

b) V. Klaus, un nationaliste eurosceptique 73

3. Le Figaro : la défaite du ÈSSD 74

4. La Croix 75

a) Le ÈSSD, un parti pro-européen 75

b) L'élection de l'ODS, un « bond en arrière » 75

5. Libération : le PC est un spécificité tchèque 77

C. Les « dérives » de la vie politique 78

1. Le Monde : un Premier ministre dénoncé pour son manque d'intégrité 79

2. Le Figaro 80

a) La corruption, un fait tangible ancré dans les comportements 80

b) L'ascension d'un homme politique « corrompu » 80

3. La Croix 81

a) L'ODS, un parti corrompu 81

b) L'éligibilité d'un parti corrompu aux élections européennes 82

c) La défaite de V. ipdla, un chef intègre 82

4. Libération : S. Gross, un homme politique compétent 83

III. La dimension économique et sociale 85

A. Le Monde : une économie intégré 86

1. La République tchèque, un pays intégré à l'économie mondiale 86

2. La culture, un secteur économique qui « résiste » 86

3. Les délocalisations, un processus inhérent dans une économie mondialisée 88

B. L'Humanité : l'économie tchèque, une économie fragile 88

C. Le Figaro : une sanction ambiguë 90

1. La République tchèque, un pays au faible niveau de vie 90

2. Une transition économique réussie 91

D. La Croix : une transition pas encore achevée 92

1. L'économie tchèque, une « économie de marché » qui poursuit ses efforts 92

2. Un pays dans lequel subsistent des disparités économiques 93

3. L'amélioration de l'environnement : une facette de la transition 94

4. Une critique de la solidarité européenne 95

E. Libération : une économie marquée par l'héritage communiste 96

1. L'économie tchèque, une économie à deux facettes 96

2. Un modèle social différent du modèle occidental 98

3. Les délocalisations allemandes 99

4. Un niveau de vie décent 99

IV. V. Havel, les ambiguïtés de la mondialisation 100

A. Rationalité économique versus dimension humaine 101

B. Les arguments invoqués 102

C. La place accordée à l'auditoire 103

CONCLUSION 104

BIBLIOGRAPHIE 107

TABLE DES MATIERES 114

* 1 Václav Havel définit le « chez- soi » de la façon suivante : « Pour chacun le chez-soi est une des catégories existentielles fondamentales qui se réfèrent à l'expérience. Ce que l'on perçoit comme un chez-soi (dans le sens philosophique du mot) peut être comparé à un ensemble d'anneaux concentriques dont le centre est notre « moi » [...].Mon chez-soi est aussi, bien sûr, le pays dans lequel je vis, la langue que je parle, l'atmosphère spirituelle qui règne dans ce pays et qui se concrétise par sa langue. [...]Puis mon chez-moi c'est aussi l'Europe et mon appartenance à ce continent », HAVEL, Václav, Méditations d'été, Editions de l'Aube, 1992, p. 23-25

* 2 HAVEL, [1992], p. 88

* 3 Le « retour à l'Europe » était le slogan du Forum Civique aux élections de 1990.

* 4 Idem., p. 88

* 5 HROCH, Miroslav, « Une identité indésirable : le nationalisme, un legs du communisme ? », Les Cahiers du CEFRES : Regards communs sur l'Europe, n°14, Prague, Editions du CEFRES, 1998, p. 68

* 6 HROCH, [1998], p. 68

* 7 KUNDERA, Milan, « L'occident kidnappé ou la tragédie de l'Europe centrale », Le Débat, n°27, novembre 1983, p. 3-22.

* 8 AMOSSY, Ruth, L'argumentation dans le discours : discours politique, littérature d'idées, fiction, Editions Nathan, 2000, p. 25

* 9 Idem, p. 26

* 10 PERELMAN, Chaïm, L'empire rhétorique : rhétorique et argumentation, 1997, Paris, p. 22

* 11 Idem, p. 65

* 12 Idem, p. 66

* 13 Idem, p. 66-67

* 14 MICHEL, Bernard, Nations et nationalismes en Europe centrale : XIXème- XXème siècle, Paris, Editions Aubier, 1995, p. 8

* 15 HROCH, [1998], p. 57-58 ; GARDE, Paul, Le discours balkanique : des mots et des hommes, Paris, Editions Fayard, 2004, p. 40 ; MICHEL, [1995], p. 15-16

* 16 THIESSE, Anne-Marie, « Les identités nationales, un paradigme transnational » dans Dieckhoff, Alain et Jaffrelot Christophe (dir.), Repenser le nationalisme : théories et pratiques, Paris, Editions des Presses de la Fondation nationale de Sciences politiques, 2006, p. 193-226

* 17 DIECKHOFF, Alain, « Nationalisme politique contre nationalisme culturel ? » dans Dieckhoff, Alain et Jaffrelot Christophe (dir.), Repenser le nationalisme : théories et pratiques, Paris, Editions des Presses de la Fondation nationale de Sciences politiques, 2006, p. 107

* 18 RENAN, Ernest, Qu'est ce qu'une nation ? et autres essais politiques, Paris, Editions Pocket, 1993, p. 53

* 19 Idem, p. 54

* 20 DIECKHOFF, [2006], p. 112

* 21 LOUéIL, Jaromír, « La lutte pour la « nation » tchèque entre la pensée des Lumières et le nationalisme romantique » dans Delsol, Chantal et Maslowski, Michel (dir.), Histoire des idées politiques de l'Europe centrale, Paris, Editions Presses universitaires de France, 1998, p. 297

* 22 THIESSE, [2006], p. 193-226

* 23 Nous reprenons ici l'expression d'Anne-Marie Thiesse.

* 24 La littérature disponible en langue française n'est pas suffisante pour développer chacun des éléments.

* 25 Ecrivain et journaliste, il a fondé le quotidien Národní noviny en 1848 (journal national). Opposant radical au gouvernement, son journal fut interdit. Déporté à Brixen en 1851, il y est resté pendant quatre ans.

* 26 Nous développons le rôle de F. Palacký dans la partie suivante.

* 27 D'abord philosophe, il fut ensuite le premier Président de la République tchécoslovaque en 1918.

* 28 Assassiné le 28 septembre 929 ou 935, il a consacré sa vie à la diffusion de la foi chrétienne dans les Pays tchèques, il est le premier prince à s'être tourné vers l'Ouest de l'Europe. La légende fait de lui un martyr mort pour la cause du christianisme. Aujourd'hui patron des Tchèques, le jour de sa fête est la journée de l'Etat tchèque.

* 29 Condamné à mort pour hérésie le 6 juillet 1415, il a contribué à réformer l'Eglise et sa disparition a déclenché le début des guerres hussites. Figure importante de l'histoire tchèque, il est apprécié non pas pour ses idées religieuses mais pour son courage et sa persévérance. Le jour de sa mort est également un jour national.

* 30 L'actuelle République tchèque correspond plus ou moins à l'Etat tchèque apparu à la fin du IXème siècle qui regroupe la Bohême, la Moravie et une partie de la Silésie. Cet ensemble a pris le nom de Pays tchèques, dans BÌLINA, Pavel, ÈORNEJ, Petr et POKORNY, Jiøí (dir.), Histoire des Pays tchèques, Paris, Editions du Seuil, 1995, p. 27

* 31 En 1348, Charles IV fixe les limites de l'union des Etats tchèques qui composent l'entité juridique appelée pays de la Couronne de Bohême ou Couronne tchèque. Ce terme englobe les territoires placés sous la souveraineté de Charles IV, roi de Bohême et regroupe : le royaume de Bohême proprement dit, la Moravie, la principauté de Silésie, la Haute et la Basse Lusace ; dans BÌLINA, ÈORNEJ et POKORNY (dir.), [1995], p. 83

* 32 Certains héros tchèques sont des religieux mais leur importance n'est pas liée à leur appartenance religieuse. Ils sont reconnus pour le rôle qu'ils ont joué dans la défense de la nation. C'est le cas de Jan Hus.

* 33 THIESSE, [2006], p. 197

* 34 Idem, p. 195

* 35 MAYER, Françoise, Les Tchèques et leur communisme : mémoire et identités politiques, Paris, Editions de l'Ecole des Hautes Études en Sciences Sociales, 2004, p. 20

* 36 LAMIZET, Bernard, Politique et identité, Lyon, Editions Presses Universitaires de Lyon, 2002, p. 6

* 37 LOUéIL, [1998], p. 296

* 38 En 1848, à l'assemblée de Francfort, les Allemands de Bohême évoquent leur souhait de rassembler tous les Allemands au sein d'une même entité

* 39 B. Michel signale que le concept d'intelligentsia est né en 1846 chez les Tchèques et désigne les écrivains, journalistes, historiens... qui participent à l'éveil de la conscience nationale.

* 40 Différents termes sont employés pour désigner cette période : réveil national, renaissance nationale, éveil national...

* 41 LOUéIL, [1998], p. 297

* 42 Joseph Jungman, écrit par exemple que « ôter la langue à la nation c'est la tuer » cité dans Delsol et Maslowski, [1998], p. 296

* 43 BARTMINSKI, Jerzy, « La langue polonaise comme symbole d'identité nationale » dans Delsol, Chantal, Maslowski, Michel et Nowicki Joanne (dir.), Mythes et symboles politiques en Europe centrale, Paris, Editions PUF, 2002, p. 526

* 44 Nous ajoutons ici une dimension « affective » que A-M. Thiesse ne prend pas en compte dans sa définition de la composante « territoire » de l'identité nationale.

* 45 MICHEL, Bernard, [1995], p. 117

* 46 DELAPERRIERE, Maria, « Les représentations territoriales et emblématiques de la patrie » dans Delapierriere, Maria ; Lory, Bernard et Mares, Antoine (dir), Europe médiane : aux sources des identités nationales, Paris, Editions de l'Institut d'Etudes Slaves, 2005, p. 97

* 47 WEHRLÉ, Frédéric, Le divorce tchéco-slovaque : vie et mort de la Tchécoslovaquie 1918-1992, Paris, Editions L'Harmattan, 1994, p. 27 ; KISS, Csaba, « Etat et nation : une contradiction en Europe médiane » dans Roux, Michel (dir.), Nations, Etat et territoire en Europe de l'Est et en URSS, Paris, Editions L'Harmattan, 1992, p. 19

* 48 MICHEL, [1995], p. 9

* 49 DRWÊSKI, Bruno, « Les identités sociales » dans Delapierriere, Maria ; Lory, Bernard et Mares, Antoine (dir), [2005], p. 267

* 50 MICHEL, [1995], p. 154

* 51 JUNGMANN, Joseph cité par Mares, Antoine, Histoire des pays tchèques et slovaque, Paris, Editions Perrin, 2005, p. 250

* 52 MARES, [2005], p. 252

* 53 Extrait de l'ouvrage de F. Palacký, cité par MICHEL, [1995], p. 72 : « Le principal contenu et le courant fondamental de l'histoire des Tchèques et des Moraves est, comme nous l'avons déjà souligné, les relations et les querelles du monde slave avec le monde romain et allemand, et comme le monde romain n'avait pas de rapport direct avec les Tchèques mais seulement par l'intermédiaire des Allemands, on peut dire aussi que l'histoire tchèque est fondée essentiellement sur le conflit avec l'Allemagne ».

* 54 Ce sont également des intellectuels qui sont à l'origine de la création de ce type d'association. C'est Miroslav Tyøs qui a fondé le mouvement des Sokol.

* 55 MICHEL, [1995], p. 170

* 56 Idem, p. 170

* 57 LAMIZET, Bernard, La médiation politique, Paris, Editions L'Harmattan, 1998, p. 37

* 58 LAMIZET, Bernard, La médiation culturelle, Paris, Editions L'Harmattan, 2000, p. 59

* 59 HALA, Katerina, Le théâtre tchèque ou petite chronique des passions politiques », exposé présenté lors des journées doctorales « Problématiques centre européennes », 31 mai et 1er juin 2002, Paris IV La Sorbonne, http://www.circe.paris4.sorbonne.fr/rubriques/3colloques/doctorale0/hala.html

* 60 Le théâtre national brûla quelques jours avant son inauguration en 1883 et qu'une collecte de fonds fut entreprise pour le reconstruire. K. Hala souligne que toutes les couches de la population ont participé à la reconstruction du théâtre par le biais de cette reconstruction, ce qui révèle bien que le peuple dans son ensemble avait besoin de ce théâtre pour prendre conscience de son appartenance.

* 61 MARES, [2005] ; MICHEL, [1995]

* 62 MARES, Antoine, « Ruptures et continuités de la mémoire tchèque », Vingtième siècle : revue d'histoire, vol. 36, n°36, 1992, p. 80 ; RUPNIK, Jacques ; MOÏSI, Dominique, Le nouveau continent : plaidoyer pour une Europe renaissante, Paris, Editions Calmann-Lévy, 1991, p. 98

* 63 WEHRLÉ, Frédéric, Le divorce tchéco-slovaque : vie et mort de la Tchécoslovaquie 1919-1992, Paris, Editions L'Harmattan, 1994

* 64 C'est pourquoi il qualifie la Tchécoslovaquie d' « Etat binational » car elle réunissait deux communautés aux cultures et aux langues différentes.

* 65 WEHRLÉ, [1994], p. 26

* 66 Au moment de la création de la Tchécoslovaquie, la minorité allemande représentait 23% de la population de l'Etat tchécoslovaque.

* 67 En 1943, E. Bene, deuxième président de la République tchécoslovaque, déclare : « Vous ne me ferez jamais reconnaître une nation slovaque. C'est ma conviction scientifique je ne changerai pas... je maintiens que les Slovaques sont des Tchèques et que la langue slovaque n'est qu'un dialecte du tchèque... je n'essaierai pas d'interrompre quelqu'un qui déclare lui-même être slovaque, mais je ne permettrai pas qu'il déclare qu'il existe une nation slovaque » cité par WEHRLÉ, [1994], p. 63 ; Masaryk dit également dans les années 30 : « Il n'y a pas de nation slovaque... les Tchèques et les Slovaques sont frères... seul un niveau de développement culturel les séparent [...] en une génération, il n'y aura plus aucune différence entre les deux branches de notre famille nationale » cité par WEHRLÉ, [1994], p. 128.

* 68 PITHART, Petr, « L'asymétrie de la séparation tchéco-slovaque » dans Rupnik, Jacques, Le déchirement des nations, Paris, Editions du Seuil, 1995, p. 163

* 69 La première république tchécoslovaque s'étend de 1918 à 1935.

* 70 PITHART, Petr, dans Rupnik, [1995], p. 166

* 71 Nous entendons ici national dans l'acception occidentale du terme du « nation ».

* 72 WEHRLÉ, [1994], p. 102

* 73 PITHART, [1995], p. 175

* 74 Le terme « Sudètes » est apparu dans les années 20 pour désigner les Allemands vivant dans les régions frontalières de Bohême, Moravie et Silésie. Il a ensuite été généralisé à tous les Allemands vivant en Tchécoslovaquie.

* 75 Au total, ce sont presque 2,5 millions d'Allemands qui quittent le territoire tchécoslovaque car ils étaient considérés aux yeux des dirigeants politiques tchèques comme coupables d'avoir soutenu l'Allemagne nazie.

* 76 MARES, [1992], p. 74

* 77 Parmi ces revendications, nous trouvons le droit au retour qui permettrait aux Allemands expulsés de revenir sur le territoire tchèque, l'indemnisation des victimes des expulsions, la restitution des biens qui ont été confisqués suite aux décrets Benes en 1945 et l'abrogation des décrets Benes.

* 78 BAZIN, Anne, « Tchèques et Allemands sur la voie d'une difficile réconciliation », Relations internationales et stratégiques, n°26, été 1997, p. 162-163

* 79 En 1999, le Parlement européen a demandé au gouvernement tchèque d'abroger les décrets Benes à l'initiative de la CSU ; en 2002, la question prend une dimension européenne puisque l'Autriche, la Hongrie et l'Allemagne se demandent si les décrets Benes peuvent être un obstacle juridique à l'entrée de la République tchèque dans l'UE dans BAZIN, Anne, « Allemagne-République tchèque : les résurgences du passé », Le Courrier des pays de l'Est, n°1049, mai-juin 2005, p. 50.

* 80 En 1989, V. Havel, président de la République tchèque présente ses excuses à l'Allemagne en condamnant l'expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie dans l'après guerre, un geste que n'a pas compris la population tchèque.

* 81 NOWICKI, Joanna, « Introduction du livre IV : les grands courants modernes, XIXème-XXème siècles » dans Delsol, et Maslowski, [1998], p. 370

* 82 Ce thème se retrouve à la fois dans des ouvrages d'intellectuels et d'hommes politiques tchèques comme d'experts français spécialisés dans les questions touchant à l'Europe centrale.

* 83 Expression d'Alexandra Laignel Lavastine citée par NOWICKI, Joanna, [1998], p. 367

* 84 NOWICKI, Joanna dans Delsol et Maslowski, [1998], p. 372

* 85 DOUBEK Vratislav, « De la question de la petite nation à la Russie et à l'Europe : T. G. Masaryk » dans Delsol et Maslowski, [1998], p. 435

* 86 SOKOL, Jan, « La pensée européenne de Jan Patoèka » dans Delsol et Maslowski, [1998], p. 504

* 87 Patoèka est un philosophe qui accorde une grande place à l'âme dans sa réflexion.

* 88 NOWICKI, Joanna dans Delsol et Maslowski, [1998], p. 373

* 89 L'ODS (Obèanská demokratická strana) est un parti conservateur et libéral fondé en avril 1991 par V. Klaus suite à la scission du Forum civique.

* 90 Le ÈSSD (Èeská strana sociálnì demokratická) est un parti social-démocrate.

* 91 BLONDIAUX, Loïc, La fabrique de l'opinion : une histoire sociale des sondages, Paris, Editions du Seuil, 1998, p. 105

* 92 Idem, p. 11

* 93 Idem, p. 12

* 94 BLONDIAUX, [1998], p. 13

* 95 BOURDIEU, Pierre, « L'opinion publique n'existe pas », Questions de sociologie, Paris, Editions de Minuit, 1980, p. 222-235

* 96 Idem, p. 226

* 97 Idem, p. 222

* 98 C'est de l'opinion publique sondagière dont il sera question dans cette partie. En effet, l'évolution de l'opinion publique tchèque a été suivie grâce aux sondages réalisés par la Commission européenne entre autres.

* 99 RUPNIK, Jacques (dir.), Les Européens face à l'élargissement : perceptions, acteurs, enjeux, Paris, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 2004, p. 22

* 100 NEUMAYER, Laure, « Opinions publiques et partis politiques face à l'intégration européenne en Hongrie, Pologne et République tchèque », Revue d'Etudes comparatives Est-Ouest, vol. 30, n°1, mars 1999, p. 140

* 101 NEUMAYER, Laure, L'enjeu européen dans les transformations postcommunistes : Hongrie, Pologne, République tchèque, 1989-2004, Paris, Editions Belin, 2006, p. 109

* 102 RUPNIK, [2004], p. 15, 16, 17

* 103 MICHEL, Patrick, (dir.), Europe centrale, la mélancolie du réel, Paris, Editions Autrement, 2004, p. 23-24

* 104 NEUMAYER, [2006], p. 109

* 105 MICHEL, [2004], p. 89

* 106 GABAL, Ivan, « République tchèque : le retour en Europe des Pays Tchèques » dans Rupnik, [2004], p. 178

* 107 Idem, p. 179

* 108 Idem.

* 109 Un sondage réalisé auprès de la population tchèque révèle que ces deux craintes arrivent en huitième position, GABAL, [2004], p. 179

* 110 LEQUESNE, Christian et RUPNIK, Jacques, L'Europe des 25 : vingt-cinq cartes pour un jeu complexe, Paris, Editions Autrement, 2004, p. 65

* 111 RUPNIK, [2004], p. 25

* 112 RUPNIK, [2004], p. 27

* 113 RUPNIK, Jacques, « Elites et opinions publiques européennes face à un moment historique pour l'Europe » dans Rupnik, [2004], p. 28

* 114 Par exemple, au début des années 90, F. Mitterrand affirme qu'il n'y aura pas d'élargissement avant une dizaine d'années.

* 115 En 1995, Jacques Chirac se rend dans les pays candidats et affirme que l'élargissement aura lieu en 2000.

* 116 LEQUESNE et RUPNIK, [2004], p. 59 et RUPNIK, [2004], p. 33

* 117 HERSCHTEL, Marie-Luise, L'Europe élargie : enjeux économiques, Paris, Editions des Presses de la fondation nationale de sciences politiques, 2004, p. 11

* 118 RUPNIK, [2004], p. 60

* 119 Idem, p. 49

* 120 LEQUESNE et RUPNIK, [2004], p. 57

* 121 RUPNIK, [2004], p. 55

* 122 Idem, p. 55

* 123 NEUMAYER, [2006], p. 25

* 124 Idem, p. 26

* 125 KUNDERA, [1983], p. 3

* 126 NEUMAYER, [2006], p. 29

* 127 Nous reviendrons plus en détails sur les positions de ce parti plus loin puisque V. Klaus en est le leader.

* 128 NEUMAYER, [2006], p. 50

* 129 Idem, p. 69

* 130 DAUDERSTÄDT, Michael et JOERISSEN, Britta, « Partis de gauche et intégration à l'UE : le `oui...mais' dans les nouveaux Etats membres », Le Courrier des pays de l'Est, n°1054, mars-avril 2006, p. 12

* 131 NEUMAYER, [2006], p. 88

* 132 DAUDERSTÄDT et JOERISSEN, [2006], p. 13

* 133 Leader du parti entre 2002 et 2004, il a également été ministre du travail et des affaires sociales de 1998 à 2002 puis Premier ministre de juillet 2002 à août 2004. En novembre 2004, il est nommé Commissaire européen à l'Emploi, aux Affaires sociales et à l'Egalité des chances.

* 134 DAUDERSTÄDT et JOERISSEN, [2006], p. 12

* 135 WAELE (de), Jean-Michel, L'émergence des partis politiques en Europe centrale, Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1999, p. 91

* 136 NEUMAYER, Laure, « Opinions publiques et partis politiques face à l'intégration européenne en Hongrie, Pologne et République tchèque », Revue d'Etudes comparatives Est-Ouest, vol. 30, n°1, mars 1999, p. 155

* 137 Idem p. 155

* 138 COUSTAURY, Annabelle, L'ODS et l'Europe, Etudes du CEFRES, n°7, mai 2005, p. 12, www.cefres.cz/pdf/etude7.pdf

* 139 COUSTAURY, [2005], p. 12

* 140 RUPNIK, Jacques, [2004], p. 41

* 141 Annabelle Coustaury montre dans une étude consacrée à l'ODS et à l'Europe que la position de Václav Klaus est contestée par certains membres du parti qui sont beaucoup moins sceptiques vis-à-vis de l'Europe, [2005], p. 21-22

* 142 COUSTAURY, [2005], p. 15

* 143 COUSTAURY, Annabelle, L'ODS et l'Europe, Etudes du CEFRES n°7, mai 2005

* 144 COUSTAURY, [2005], p. 8

* 145 Idem., p. 9

* 146 Idem., p. 10

* 147 NEUMAYER, [2006], p. 85

* 148 MARES, [2005], p. 447

* 149 Nous avons privilégié les textes et discours dans lesquels V. Havel consacrait une partie à la façon dont les pays tchèques allaient être intégrés dans l'Europe et aux bénéfices qu'ils pouvaient en retirer. Nous avons tenté également de trouver des écrits dans lesquels il apportait des arguments sur la question de l'identité nationale.

* 150 HENARD, Jacqueline ; VERNET, Daniel, « La grande Europe vue par Jacques Delors et Václav Havel », Le Monde, 01/02/01, p. 16

* 151 HAVEL, Václav, « Refaire le monde en commençant par l'Europe », Europartenaires, n°21, janvier 2003, p. 2 

* 152 RUPNIK, Jacques, entretien avec Václav Havel, « Ce n'est qu'un au revoir... », Politique internationale, n°98, 2003, http://www.politiqueinternationale.com/revue/read2.php?id_revue=13&id=203&search=&content=texte

* 153 SCOTTO, Marcel, « Les perspectives d'élargissement de l'UE, Václav Havel souhaite plus de `dimension morale' pour l'Europe » dans Le Monde, 10 mars 1994, p. 5

* 154 PLICHTA, Martin, « L'Union européenne revue et corrigée par Václav Havel », Le Monde, 10 mars 1999

* 155 « Václav Havel et la mission historique de l'UE », Europartenaires, janvier 2003, p. 3

* 156 Idem, p. 2

* 157 SCOTTO, [1994], p. 5

* 158 HAVEL, Václav, Essais politiques, Paris, Editions Calmann-Lévy, 1989, p. 67

* 159 Selon A-M. Thiesse les différentes composantes de l'identité nationale ou « check list identitaire » sont : les ancêtres fondateurs, les héros, l'histoire, la langue, les monuments, les lieux de mémoire, le folklore, la coutume et la gastronomie.

* 160 Le Monde, « Blazena, Blanka, Klara, l'adhésion vue par trois générations », 29 avril 2004, p. 8

* 161 L'Humanité, « Un pays à la loupe, la République tchèque », 26 avril 2004, p. 11

* 162 AMOSSY, Ruth, L'argumentation dans le discours : discours politique, littérature d'idées, fiction, Paris, Editions Nathan, 2000, p. 110

* 163 L'Humanité, « A Prague, l'indifférence domine », 18 mai 2004, p. 9

* 164 Le Figaro, « L'insoutenable légèreté des Tchèques », 22 juillet 2004, p. 29

* 165 Dans la première partie de l'article, le journaliste est l'énonciateur alors que la seconde partie du discours est consacrée à une interview.

* 166 Le Petit Larousse, Editions Larousse, 1993, p. 1026

* 167 La Croix, « Les Praguois redécouvrent leur passé austro-hongrois. La République tchèque s'est construite en opposition à l'Empire austro-hongrois et reste pourtant profondément marqué par lui », 4 mai 2004, p. 27

* 168 La Croix, « Les frontières d'Europe centrale n'ont cessé de bouger. La plupart des nouveaux Etats sont nés il y a moins d'un siècle, au lendemain de la Première Guerre Mondiale, 30 avril 2004, p. 5

* 169 La Croix, 4 mai 2004, p. 27

* 170 La Croix, 27 avril 2004, p. 28

* 171 Libération, « République tchèque. Les plus athées », 27 avril 2004, p. 11

* 172 Libération, « République tchèque. On dirait que vous avez peur de nous », 27 avril 2004, p. 11

* 173 Libération, « Portrait-robot des dis nouveaux : République tchèque », 30 avril 2004, p. 11

* 174 La Croix, « La révolution économique tchèque n'est pas de velours. Les Tchèques craignent de ne pas profiter très vite de l'adhésion à l'UE», 26 avril 2004, p. 13 ; Le Figaro, « L'insoutenable légèreté des Tchèques ; amputée de la Slovaquie, le pays vit une révolution où tout n'est pas de velours », 22 juillet 2004, p. 29

* 175 VERON, Eliséo, Construire l'événement : les médias et l'accident de Three Mile Island, Paris, Editions de Minuit, 1981, p. 158

* 176 Le Monde, 27 avril 2004, p. III

* 177 Le Monde, 29 avril 2004, p. 8

* 178 Le Monde, 6 janvier 2004, p. IV

* 179 Le Monde, 27 avril 2004, p. III

* 180 Le Monde, 29 avril 2004, p. 8

* 181 Le Monde, 27 avril 2004, p. III

* 182 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 183 Le Figaro, 22 juillet 2004, p. 29

* 184 NEUMAYER, Laure, « Les opinions publiques en Europe centrale sur l'UE avant et après l'adhésion », Le Courrier des pays de l'Est, n°1048, mars-avril 2005, p. 85

* 185 Le Figaro, 22 juillet 2004, p. 29

* 186 La Croix, 27 avril 2004, p. 28

* 187 NEUMAYER, [2005], p. 85

* 188 La Croix, « La révolution économique tchèque n'est pas de velours. Les tchèques craignent de ne pas profiter très vite de l'adhésion à l'UE », 26 avril 2004, p. 13

* 189 La Croix, 26 avril 2004, p. 13

* 190 La Croix, « Cardinal Miroslav Vlk, archevêque de Prague », 2 décembre 2004, p. 9

* 191 La Croix, « Pour Jan Kohout, les craintes économiques des Quinze envers l'Est ne sont pas fondées », 2 mai 2004, p.5

* 192 AMOSSY, Ruth, L'argumentation dans le discours : discours politique, littérature d'idées, fiction, Paris, Editions Nathan, 2000, p. 25

* 193 AMOSSY, [2000], p. 65

* 194 PERELMAN, Chaïm, L'empire rhétorique : rhétorique et argumentation, Paris, Editions Vrin, 1977, p. 95

* 195 Idem, p. 97

* 196 Libération, 27 avril 2004, p. 11

* 197 Rappelons que seulement 42% des inscrits ont dit oui à l'Europe. La plupart des Tchèques étaient indifférents voire opposés à l'intégration de leur pays dans l'UE.

* 198 Nous pensons notamment aux mesures prises pour limiter la libre circulation des travailleurs.

* 199 Pour ces élections européennes, le slogan de l'ODS était « Vers l'UE de manière réaliste et sans illusion », un slogan qui reflète bien l'euroscepticisme de son leader. Le PC à quant à lui mené une campagne contre l'Europe. LEQUESNE, Christian et PEROTTINO, Michel, « Les élections européennes en République tchèque : anatomie d'une réticence », Critique internationale, N°24, juillet 2004, p. 32

* 200 Le Monde, « Le scrutin du 13 juin 2004 », 15 juin 2004

* 201 Le Monde, « Un revers démocratique européen », 15 juin 2004, p. 15

* 202 Le Monde, 15 juin 2004

* 203 Le Monde, 15 juin 2004

* 204 Le Monde, 15 juin 2004

* 205 Le Monde, 15 juin 2004

* 206 Le Monde, « Eurodéputés : portraits choisis », 15 juin 2004, p. 14

* 207 L'Humanité, « A Prague, l'indifférence domine », 18 mai 2004, p. 9

* 208 L'Humanité, « Un pays à la loupe : la République tchèque », 26 avril 2004, p. 11

* 209 L'Humanité, 26 avril 2004, p. 11 ; 18 mai 2004, p. 9

* 210 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 211 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 212 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 213 L'Humanité, 26 avril 2004, p. 11 

* 214 L'Humanité, 26 avril 2004, p. 11 

* 215 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 216 Le Figaro, « Vladimir pidla démissionne après l'échec des européennes », 29 juin 2004, p. 22

* 217 Le Figaro, « Démission du premier ministre », 28 juin 2004, p. 5

* 218 Le Figaro, « Gross nommé premier ministre », 3 juillet 2004, p. 5

* 219 Le Figaro, 29 juin 2004, p. 22

* 220 Le Figaro, 26 août 2004, p. 4

* 221 La Croix, « La révolution économique tchèque n'est pas de velours. Les Tchèques craignent de ne pas profiter très vite de l'adhésion à l'UE », 26 avril 2004, p. 13

* 222 La Croix, « Le grand bond en arrière de la République tchèque », 29 juin 2004, p. 8

* 223 La Croix, « République tchèque. La droite eurosceptique l'emporte », 15 juin 2004, p. 10

* 224 La Croix, 29 juin 2004, p. 8

* 225 La Croix, 29 juin 2004, p. 8 ; « Enthousiasme et gravité pour fêter la nouvelle Europe », 3 mai 2004, p. 3

* 226 Le Petit Larousse, [1993], p. 805

* 227 Alternative de droite, Résistance nationale ou encore le Parti républicain patriotique ; BAYOU, Céline, BLAHA, Jaroslav, LHOMEL, Edith et POTEL, Jean-Yves, « Populisme et extrémisme en Europe centrale et balte », Courrier des pays de l'Est, n°1054, mars-avril 2006, p. 31-32.

* 228 La Croix, 3 mai 2004, p. 3

* 229 La Croix, 29 juin 2004, p. 8

* 230 La Croix, 15 juin 2004, p. 10

* 231 La Croix, 15 juin 2004, p. 10

* 232 Libération, « République tchèque : le rouge fait toujours recette », 15 juin 2004, p. 8

* 233 Libération, « L'Est dilue dans l'UE son passé communiste », 26 avril 2004, p. 6-7

* 234 V. Spidla démissionne de son poste de Premier ministre le 26 juin et V. Klaus nomme S. Gross le 3 juillet 2004.

* 235 Le Monde, « La République tchèque se divise sur la personnalité du Premier ministre », 23 septembre 2004, p. 6

* 236 Le Figaro, 22 juillet 2004, p. 29

* 237 Le Figaro, « Vladimir pidla démissionne après l'échec des européennes », 29 juin 2004, p. 6

* 238 Idem.

* 239 Idem.

* 240 Le Figaro, « Stanislav Gross obtient le feu vert de la chambre des députés », 26 août 2004, p. 4

* 241 Le Figaro, 29 juin 2004, p. 6

* 242 Le Figaro, 26 août 2004, p. 4

* 243 Le Figaro, 29 juin 2004, p. 6

* 244 Le Figaro, 26 août 2004, p. 4

* 245 La Croix, 26 avril 2004, p. 13

* 246 La loi sur la privatisation adoptée en 1991, permettait à tout citoyen de plus de 18 ans d'acheter des carnets de coupons moyennant 1 000 Kc. Ils pouvaient ensuite être utilisés pour acheter des actions dans les entreprises ou les banques participant à l'opération. Au total, près de 80% des Tchèques ont participé à cette privatisation par coupons ; dans MAGNIN, Eric, Les transformations économiques en Europe de l'Est depuis 1989, Paris, Editions Dunod, 1999, p. 36

* 247 La Croix, 26 avril 2004, p. 13

* 248 La Croix, 15 juin 2004, p. 10

* 249 La Croix, 29 juin 2004, p. 8

* 250 Idem.

* 251 Libération, « La République tchèque se donne à un jeune premier ministre », 27 juillet 2004, p. 9

* 252 Le Petit Larousse, [1993], p. 805

* 253 SOULET, Jean-François, Histoire de l'Europe de l'Est de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, Paris, Editions Armand Colin, 2006, p. 228

* 254 Idem, p. 229

* 255 Rapport d'information déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'UE sur l'adhésion de la République tchèque à l'UE, présenté par M. Nicolas DUPONT-AIGNAN, 8 avril 2003, p. 8, www.ladocumentationfrancaise.fr

* 256 Idem, p. 7

* 257 Nous employons ici le terme de sanction tel qu'il est utilisé par A. J. Greimas dans la grille du schéma narratif. Au cours de la phase de sanction, il s'agit « de statuer sur la véridiction des états transformés au cours de la phase de performance », GROUPE D'ENTREVERNES, Analyse sémiotique des textes : introduction, théorie, pratique, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1979, p. 49.

* 258 Le Monde, « La nouvelle Europe des investissements se dessine », 28 mai 2004, p. 17 

* 259 Le Monde, « Le petit cinéma tchèque, seul parmi les dix à résister encore à Hollywood », 29 avril 2004, p. 19

* 260 Le Monde, « Déménagement sous surveillance policière de l'usine Snappon, à destination de la République tchèque », 28 août 2004, p. 8

* 261 L'Humanité, 26 avril 2004, p. 11

* 262 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 263 L'Humanité, 26 avril 2004, p. 11

* 264 L'Humanité, 18 mai 2004, p. 9

* 265 Le Figaro, 22 juillet 2004, p. 29

* 266 Jiri Vecernik indique dans un article consacré à la réforme sociale tchèque que « si l'on se réfère au seuil de pauvreté mesuré dans l'UE (60% du revenu médian par tête), il y aurait 8% de pauvres en République tchèque contre 15% chez les Quinze », VECERNIK, Jiri, « Quelle réforme sociale en République tchèque ? », Le Courrier des pays de l'Est, n°1040, novembre-décembre 2003, p. 43.

* 267 Le Figaro, « Le recul de l'Etat et le choix de la compétitivité ; les nouveaux membres ont opté, en matière économique, pour la `thérapie de choc' », 4 mai 2004, p. 12

* 268 La Croix, 26 avril 2004, p. 13

* 269 Par exemple, Sandra Moatti écrit que « l'impact économique de l'élargissement peut paraître secondaire. Les économies des nouveaux pays membres sont déjà largement intégrées à celles des Quinze », dans « Elargissement : la solidarité européenne à l'épreuve », Alternatives économiques, n°225, mai 2004, p. 7

* 270 La Croix, 2 avril 2004, p. 28

* 271 La Croix, « A l'Est, une Europe de la biodiversité. Les Tchèques aspirent à un air encore meilleur », 27 avril 2004, p. 14

* 272 L'amélioration de la situation environnementale figurait parmi les objectifs de la reprise de l'acquis communautaire.

* 273 La Croix, La révolution tchèque n'est pas de velours. Les Tchèques craignent de ne pas profiter très vite de l'adhésion à l'Union européenne », 26 avril 2004, p. 13

* 274 La Croix, 27 avril 2004, p. 28

* 275 Libération, « Lodenice approfondit le sillon du vinyle », 30 avril 2004, p. 26

* 276 Libération, « La firme bio ; l'Europe à 25. Dana Hradecka, 37 ans, chef d'entreprise. Elle a créé Botanicus, une gamme de produits cosmétiques bio ainsi qu'une chaîne de boutiques dans son pays et en Angleterre », 20 juillet 2004, p. 32

* 277 Libération, « La force tchèque : sa faiblesse syndicale », 28 avril 2004, p. 7-8

* 278 Libération, « Pour les Berlinois, un petit chèque pour des obsèques tchèques », 30 avril 2004, p. 33

* 279 Libération, 2 avril 2004, p. 11

* 280 Le Figaro, « Les ambiguïtés de la mondialisation », 29 octobre 2004, p. 13-14

* 281 PERELMAN, [1977], p. 119

* 282 PERELMAN, [1977], p. 97

* 283 PERELMAN, [1977], p. 27

* 284 AMOSSY, [2000], p. 41-43

* 285 HAVEL, [1989], p. 67

* 286 HAVEL, Vaclav, Pour une politique post-moderne, Editions de l'Aube, 1999, p. 17

* 287 EVEN-GRANBOULAN, Geneviève, Václav Havel, président philosophe, La Tour d'Aigues, Editions de l'Aube, 2003, p. 239






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