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Les limites de la vision occidentale du vivant

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par Mathieu Néhémie
Université Blaise Pascal - Master 2 Philosophie 2007
  

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L'animisme occidental de Leibniz

Nombreux sont les penseurs à qui l'on peut attribuer des propos, des concepts ou des idées qui pourraient constituer des contre-exemples à la classification ontologique de Descolla. Cependant l'anthropologue n'attribue pas lui-même une validité universelle à sa typologie mais estime qu'elle concerne les modes de pensée globaux d'un peuple dans son ensemble. Ainsi il admet que certains occidentaux puissent accorder une âme à leur chien ou supposer une action des astres sur leur psyché. Pourtant sa classification conserve sa validité car ces raisonnements resteront marginaux par rapport au schème dominant qui veut que le monde soit fondamentalement régi par des lois physiques mais que l'intériorité des humains y fait figure d'exception.

La philosophie occidentale foisonne de systèmes qui tentent de rendre compte de l'universalité qui caractérise la nature et tous n'attribuent pas cette universalité à une matière inanimée et indifférente. Il ne nous est pas donné ici de retracer l'ensemble de l'histoire de la philosophie pour déterminer si les différents courants philosophiques successifs ont maintenu ou pas les postulat naturalistes que nous avons définis avec Descolla. Le système leibnizien, quoiqu'il soit un pur produit de la philosophie occidentale, place par exemple des âmes partout dans le monde. Cela nous semble particulièrement intéressant concernant la thématique qui est la nôtre puisqu'il ne s'agit pas là d'une considération secondaire sur des cas particuliers mais bien d'une affirmation ontologique qui ne semble pas correspondre à celles du schème de pensée dans lequel Leibniz est censé avoir construit son système.

Il ne s'agira pas de déterminer si Leibniz fut le seul à développer des idées aussi originales. Cela n'a pas de sens puisqu'on est en droit de penser que certaines philosophies antiques étaient également très proches de l'animisme. Le système leibnizien nous intéresse plus particulièrement parce qu'il se trouve à une époque charnière dans la construction de la science occidentale. Il est notamment contemporain de la découverte par Antoine van Leewenhoeck d'êtres vivants microscopiques, comme les protozoaires, les spermatozoïdes ou les globules rouges (quoique le savant ne soit pas à l'origine de ces dénominations), et tente d'en tirer les conséquences philosophiques qui s'imposent. Le succès et les limites de la mécanique cartésienne constituent également un leitmotiv du parcours philosophique de Leibniz. L'idéalisme de Berkeley nie lui-aussi l'universalité d'une nature matérielle mais ce n'est que pour renforcer l'autre postulat de l'ontologie naturaliste, à savoir l'exclusivité de l'intériorité humaine. La monadologie, comme nous allons le voir, admet une réalité objective dont l'existence est indépendante de la perception humaine, mais qui n'est pas définie selon les critères naturalistes.

Pour éclairer dans quelle mesure le système de Leibniz peut constituer une exception par rapport à la vision occidentale du vivant traditionnelle, retraçons tout d'abord succinctement les grandes lignes de la métaphysique leibnizienne. Nous serrons ensuite à même d'envisager sa place dans les classifications ontologiques de Descolla. Après quelques remaniements du système, nous pourrons mesurer comment celui-ci, en tant qu'alternative à l'ontologie naturaliste conventionnelle, peut nous aider à concilier la finalité de la vie avec l'universalité du monde.

Selon Leibniz, les monades sont les constituants ultimes de la réalité. Inétendues et indivisibles, elles constituent l'étendu et sont l'essence de la force que la physique peut constater à la source des mouvements. Ce sont des substances simples et les seules vraies substances de la création. La monade est fondamentalement un centre de perception, en communication avec toutes les autres substances du monde dans une certaine mesure. Dotée également d'appétition, la substance leibnizienne possède toutes les caractéristiques d'une âme.

Ainsi toute portion de matière est peuplée d'une infinité de ces points métaphysiques et peut donc être considérée comme animée. Mais cela ne signifie pas qu'elle soit consciente dans le sens où on l'entend généralement, c'est-à-dire comme une entité réflexive. Il y a une grande différence entre l'âme humaine et la matière inerte, mais c'est une différence de degré et non de nature. La sensation, la mémoire puis la raison sont des facultés qui se développent dans une âme à mesure de la complexité du corps auquel elle préside. Car c'est la clé de la notion de vie chez Leibniz que certaines monades aient une place privilégiée dans un agrégat de substances. C'est par l'organisation des substances simples qu'apparaît la vie ; pour ainsi dire, la centralisation des perceptions de toutes les monades d'un corps permettent à la monade qui y préside de bénéficier d'une perception bien plus distincte. Si l'on ne peut que vaguement attribuer l'origine du terme organisme au débat entre Leibniz et Georg Ernst Stahl, bien que le terme connaisse de nos jours quelques controverses, la conception leibnizienne de la vie compte parmi celles qui relatent le mieux l'intimité fondamentale entre organisation, complexité, intelligence et phénomène de la vie.

En réalité, toutes les substances simples peuvent être qualifiées de vivantes car elles appartiennent complètement au règne des causes finales. Cependant, tous les corps composés ne sont pas vivants car ils doivent être organisés autour d'une monade centrale, équivalente à la forme substantielle d'Aristote, pour constituer proprement une entité vivante.

Comme on le sait, l'intentionnalité que Leibniz place dans tout point métaphysique légitime l'application théorique de la finalité à l'étude de la réalité. Cependant il rejoindra, dans une certaine mesure la réforme cartésienne, en admettant que la considération des seules causes efficientes suffise dans l'étude de la réalité phénoménale des corps matériels ; quoiqu'il préconise, notamment en optique, de prendre en compte l'intelligence et le souci d'optimisation du créateur pour mieux comprendre ses lois.

Aussi, parce que la monade centrale d'un organisme vivant, à mesure de la complexité de ce dernier, développe un rapport à la finalité beaucoup plus poussé, l'être vivant nécessite, pour être compris, que sa dimension intentionnelle soit pleinement prise en compte. Ainsi, rejoignant Platon sur ce point, Leibniz déplore que l'on puisse penser expliquer mieux le choix de Socrate, de faire face à la justice athénienne, par son étude physiologique. On peut aisément étendre ce raisonnement à l'animal qui fuit à la vue du bâton qui l'a souvent frappé, phénomène qui ne peut être que difficilement étudié par une pure physique alors que la considération de l'entendement et de la mémoire dont peut faire preuve un chien suffit à en rendre compte et à le prévoir.

On peut être tenté de faire de Leibniz un philosophe occidental archétypique car c'était un grand conciliateur, tentant perpétuellement d'intégrer tous les courants dans son système, aussi bien le platonisme, l'aristotélisme, le christianisme que le cartésianisme. Ainsi il semble bien rentrer dans le cadre de l'ontologie naturaliste décrite par Descolla. Il accorde à tous les phénomènes de la nature un fonctionnement fondamentalement identique. Tous les corps sont composés des mêmes substances et c'est la même force qui est à la source de tous les mouvements. Aussi l'âme humaine est placée au sommet de la hiérarchie des êtres créés ici-bas. Elle développe des fonctions inédites et l'originalité humaine est clairement fondée à partir de là.

Pourtant, selon Leibniz, toute substance est une âme et tout corps, en dernière analyse, est composé entièrement d'âmes. On peut déceler dans le système leibnizien une continuité des intériorités que la typologie de Descolla attribue plutôt à l'animisme et au totémisme. Certes Leibniz maintient une continuité des physicalités mais elle est entièrement subordonnée à celle des intériorités. D'ailleurs toute la nature n'est composée que d'intériorités et la physicalité n'en est que le phénomène. En ce sens Leibniz s'écarte fortement du schème de pensée naturaliste pour se rapprocher de celui de l'animisme. La continuité dans le monde est assurée par les âmes qui animent tous les êtres. Certes tous les êtres divergent par leur enveloppe physique mais celle-ci n'appartient pas à la réalité fondamentale qui est spirituelle. Comme dans l'animisme, c'est cette nature spirituelle qui est le moteur des évènements du monde. Que l'on parle d'esprits comme des forces occultes qui gouvernent le monde, ou que l'on fasse consister la force physique dans la forme primitive de volonté qui caractérise toute les substances, l'idée est la même ; du moins ces descriptions restent toutes deux aussi éloignées des principes du naturalisme. Il n'est plus du tout question ici d'une nature physique universelle à laquelle l'homme rajouterait son intériorité originale.

Bien sûr Leibniz reste dans le détail un fervent naturaliste. En bon chrétien, il doit faire son possible pour maintenir l'originalité de l'âme humaine. Le système leibnizien accorde bien l'immortalité à toutes les substances puisque la monade qui préside à un organisme, avec la mort de celui-ci, retombera dans la même imperfection que n'importe quelle substance qui peuple la matière inerte. Mais Leibniz doit assurer la soumission de l'homme au jugement divin et rajoute pour cela à l'âme humaine une sauvegarde exceptionnelle et, somme toute, inintelligible de sa mémoire jusqu'à la fin du monde. Pourtant la logique de son système doit maintenir une radicale continuité entre toutes les âmes, l'idée que des substances disposent de propriétés supplémentaires que les autres ne posséderaient pas au moins dans une infime mesure, s'oppose aux principes même de Leibniz.

Celui-ci appuie également l'originalité de l'âme humaine sur l'accès aux vérités universelles qu'elle serait seule capable, qui lui permettrait d'entrer en rapport avec Dieu et de se soumettre à la justice divine. Là encore une telle discontinuité n'a pas lieu d'être selon les principes leibniziens. Par ailleurs, la perfection dans la perception d'une monade varie de l'infiniment petit à l'infiniment grand et rien n'indique que les âmes qui président aux corps humains sont les seules à pouvoirs accéder à ce type de vérités. Qui plus est nous avons précédemment pu remarquer comment toutes les formes de vie témoignent de facultés de computation qui surpassent amplement n'importe quel outil de calcul construit à partir de la logique et des mathématiques humaines. Rien de contradictoire ici avec l'idée de la monadologie car les vérités identiques qui permettent la computation logique se trouvent enfouies dans les replis de toutes les substances. Par contre on est en droit de douter que la perception de l'âme humaine soit la seule à toucher cette structure fondamentale du possible que constituent les vérités universelles.

Pour maintenir l'idée biblique de l'homme façonné à l'image de son créateur, Leibniz fait de l'âme humaine, ou esprit, un reflet, pas seulement du monde, mais de Dieu également. Les esprits sont architectoniques, c'est-à-dire qu'ils sont capables d'imiter Dieu dans ses capacités ordonnatrice et créatrice ; ils peuvent diriger dans leur département de la même manière que Dieu le fait dans le monde. Pourtant la biologie nous informe que les principes les plus fondamentaux du vivant aboutissent spontanément à la création, au maintien et à la croissance de structures ordonnées. Il y a solution de continuité entre l'activité des acides nucléiques de l'ADN et de l'ARN qui mettent en ordre des acides aminés lors de la synthèse des protéines, et la création d'ordre dont l'esprit humain est capable à son échelle. De même, l'histoire de l'évolution des espèces nous montre comment la vie, en tant que phénomène global, n'a cessé de créer de nouvelles formes, de nouvelles solutions et de nouveaux outils. Là encore, il n'y a aucune contradiction avec les principes leibniziens, seulement avec les aspects judéo-chrétiens du système. Au contraire, envisager que toute substance reproduit à sa mesure les aspects créateur et ordonnateur de Dieu est probablement plus fidèle au principe de continuité et à la définition de la monade que le palier anthropocentrique maintenu par Leibniz.

En fait Leibniz estime même que l'ensemble de la création a en fin de compte été faite, par Dieu, pour l'homme. Mais cela n'est qu'une conséquence de l'originalité de l'âme humaine. Puisque seuls les esprits peuvent comprendre Dieu, sa perfection et ses lois, qu'ils sont seuls susceptibles d'accéder au royaume de la Grâce, c'est qu'ils constituent la fin de toute la création. Si l'on abandonne cette originalité qualitative pour conserver uniquement une stricte différence de degrés entre les monades, il n'y a plus de raison que Dieu ait fait le monde pour certaines substances au détriment d'autres. Bien au contraire, s'il devait être complètement fidèle à ses principes, Leibniz admettrait que Dieu, par la perfection de ses attributs, doit avoir conçu le meilleur monde possible avec un souci maximal pour toutes les substances, sans exception. Cela n'exclut pas le finalisme mais il n'est plus nécessaire que l'homme en soit l'objet.

Si on conserve son ossature métaphysique en l'épurant de l'héritage chrétien de Leibniz, voyons comment son système peut constituer un bon exemple d'une ontologie de type animiste mais pourtant en adéquation avec les apports de la science moderne naturaliste.

« Téléonomie, morphogenèse autonome et invariance » sont les trois critères donnés par Monod pour définir les phénomènes vivants. La monade de Leibniz, parce qu'elle est entièrement régie par les causes finales, présente bien le fonctionnement téléologique qui caractérise les entités vivantes. La spontanéité de la monade est la source de tous ses changements puisque sa constitution interne, passée, présente et future, lui a été donnée à sa création. Sans forme ni structure, la monade demeure aussi autonome que les phénomènes vivants selon Monod. Il est difficile d'envisager ce que l'invariance pourrait signifier à l'échelle de la substance individuelle. On remarquera tout de même qu'elle est beaucoup plus conservatrice que l'ADN, tel que l'imaginait Monod, puisque tout ce qui arrive à une substance ne lui vient que de son propre fond et y est contenu en puissance depuis sa création. Bien que la monade soit indivisible et inaltérable, elle est pourtant soumise au changement, mais comme l'ontogenèse à partir de l'ADN selon le dogme central de biologie moléculaire, son histoire est le fruit d'un développement algorithmique déterminé de l'intérieur. Quoiqu'elle ne soit pas un objet empirique que la science pourra un jour analyser, si la monade existe, Leibniz a semble-t-il raison de l'envisager comme une entité vivante. Cela revient donc à accorder la vie aux briques fondamentales du réel. La question insoluble de l'origine de la vie se trouve ici dissoute puisque l'on abandonne alors l'idée que la vie est apparue à partir de la matière inanimée. Si toutes les substances sont des étincelles de vie, il n'y a rien d'étonnant à ce que leur agrégation organisée produise des entités vivantes plus complexes.

Le système leibnizien maintient pourtant une distinction précise entre les entités corpusculaires vivantes de celles inertes. Dans les deux cas il s'agit bien d'agrégats de substances mais les corps vivants se distinguent par leur organisation, leur structure ordonnée. Chaque monade perçoit toute les autres et, pour ainsi dire, toutes les monades maintiennent une communication d'information incessante. C'est lorsque cette transmission d'information est centralisée que l'on peut proprement parler de corps organisé. Cette centralisation peut cependant s'avérer particulièrement problématique.

On pourrait la placer dans le cerveau mais il s'agit lui aussi d'un organe dont l'activité devrait être localisée. Le cerveau lui-même a toujours intrigué puisqu'il s'agit d'un organe pair, c'est-à-dire qu'il est divisé en deux parties sensiblement identiques. Difficile alors de lui trouver un centre. C'est pourquoi Descartes, comme de nombreuses traditions religieuses et philosophiques de part le monde, ont fait de la glande pinéale le siège de l'âme ou le lieu du spirituel. Pourtant, quoiqu'elle semble en effet simple, on sait maintenant que la glande pinéale est elle aussi un organe conjugué mais ses deux hémisphères ayant quasiment fusionné, il est particulièrement difficile de les distinguer.

Le cas du myxomycète peut également s'avérer problématique si l'on soulève la question de la centralisation du traitement d'information dont il témoigne puisqu'il s'agit d'un amas d'êtres unicellulaires identiques. Mais en réalité cette amibe nous est d'un très grand secours puisqu'elle est un parfait exemple empirique d'une agrégation d'entités homogènes qui parvient, aussi bien que n'importe quelle autre forme de vie, à générer une computation et un comportement adaptatif globalisés.

Quoiqu'il en soit, la question de la localisation de la monade centrale d'un organisme n'a pas à se poser à la science puisque, par définition, les monades ne sont pas observables. Seule la métaphysique, à partir des données de l'expérience psychique en général et des principes de la logique, peut nous faire déduire que nous devons être une de ces substances. On retrouve bien là les cheminements intrinsèque et extrinsèque de Leibniz qui tendent à se rejoindre sans que leur jonction ne nous soit complètement accessible. Notre conscience réflexive nous fait connaître perception, raisonnement, volonté, bref le fond d'un comportement final, sa substance ; et cette spiritualité est à la fois une et multiple. La biologie nous décrit pour sa part, et toutes les autres formes de vie de la même manière, comme des objets physiques capables de régler savamment leur comportement grâce à la synchronisation d'entités plus petites.

La biologie établit l'origine de la téléologie dont témoigne un animal dans l'agencement de ses organes. Mais ceux-ci témoignent également de téléologie puisqu'ils semblent tout autant dotés d'un but ou d'un projet. Cette téléologie trouve alors sa source dans la réunion de cellules. Là encore ces composants présentent eux-aussi un comportement final indépendant. On trouvera alors son explication dans les protéines qui constituent la cellule et qui montrent également des dispositions téléologiques très poussées. La construction de ces protéines est assurée pour sa part grâce à l'information codée dans des acides nucléiques. Il est aisé d'imaginer comment Leibniz aurait trouvé cette description des organismes vivants en accord avec sa monadologie.

On peut cependant penser, avec Monod, qu'au stade suivant, les composants des acides nucléiques ne présentent plus aucune propriété téléologique. Il faut alors noter que Leibniz admettait un comportement final quasiment nul à l'agrégat non organisé de substances qu'est la matière inerte. Non pas que les substances qui la composent soient différentes de celles d'un organisme vivant, seulement, puisqu'elles n'ont pas leur place dans une organisation complexe comme celle des corps vivants, leur potentiel spirituel est comme atrophié et demeure à l'état de virtualité. Mais aucune monade n'est morte, par souci de continuité, on doit supposer que chacune possède toujours au moins un comportement final infinitésimal. Cependant, comme nous avons pu voir que le type de subjectivité que l'on pourrait accorder aux organismes vivants qui nous sont le plus éloignés morphologiquement, est particulièrement difficile à concevoir compte tenu probablement des limites de l'imagination empathique humaine, concevoir l'intériorité qui pourrait être celle de substances individuelles non organisées peut donc être considéré comme complètement hors de notre portée. Par conséquent, si certaines entités physiques ne témoignent pas d'un comportement final, c'est éventuellement parce que nous somme incapables d'en remarquer les indices. En effet, pour reconnaître un phénomène téléologique il faut, pour le moins, parvenir à envisager son projet constituant.

Comme nous l'avons vu, les formes de vie les plus complexes ne calculent pas ''mieux'' à partir des données de leur environnement mais traitent une plus grande quantité d'information pour générer le comportement adaptatif global de l'organisme. La hiérarchie des êtres de Leibniz n'a donc plus lieu d'être, du moins sous la forme d'une classification des espèces existantes dans un ordre de perfection. Par contre, le principe même de l'évolution est d'être dirigé vers une toujours meilleure adaptation à l'environnement. En effet les théoriciens de l'évolution s'entendent pour que cette dernière s'opère en général au profit des individus et des espèces les mieux adaptés à leur milieu. Aussi la plupart des biologistes s'accordent sur le fait que la computation qui se déroule, individuellement, dans toute cellule et, globalement, à partir de tout réseau de cellules, ait indéniablement pour vocation l'adaptation et consiste toujours à trouver la meilleure solution aux diverses contraintes environnementales qui s'exercent sur l'organisme. Sans se prononcer sur le sens théologique à donner à cette perfection, on rejoint l'idée leibnizienne qui veut que tout être tende vers une plus grande perfection.

Leibniz, enfant du naturalisme et père d'un animisme, n'a pas supprimé complètement une ontologie pour en substituer une nouvelle ; comme aucun philosophe ne peut parvenir à faire véritablement table rase des systèmes précédents pour construire le sien en toute objectivité. D'ailleurs cela n'a jamais été la vocation d'un penseur comme Leibniz qui tenta plutôt d'intégrer, de faire cohabiter et d'unifier des courants philosophiques en apparent désaccord. La construction du système leibnizien constitue pourtant un bon exemple d'un glissement d'une ontologie à une autre comme Descolla en évoque la possibilité. Les données empiriques glanées à son époque et les contradictions logiques des métaphysiques antérieures expliquent la nécessité qu'eut Leibniz de revoir fondamentalement sa vision du réel. Une bonne partie de son système peut être envisagé comme une solution aux problèmes soulevés par le dualisme cartésien qui constituait alors l'expression la plus radicale de l'ontologie naturaliste. Mais Leibniz n'a pas pour cela adhéré à une cosmologie étrangère construite par d'exotiques animistes, en bon chrétien européen du dix-huitième siècle, il devait mépriser généreusement leurs croyances. Il a plutôt construit par lui-même, avec autant de raison que possible et en prenant en compte les accords de la science de son époque, une ontologie que nous estimons, rétrospectivement et dépourvue de sa forme occidentale, plus proche de l'animisme que du naturalisme.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand