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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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ARNOULT Audrey 2005-2006

POCO 4ème année

LE TRAITEMENT MEDIATIQUE DE L'ANOREXIE MENTALE, ENTRE PRESSE D'INFORMATION GENERALE ET PRESSE MAGAZINE DE SANTE

Mémoire de fin d'études dirigé par Isabelle Garcin-Marrou et Isabelle Harre

Soutenu le 30 juin 2006

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier Isabelle Garcin-Marrou pour m'avoir permis de participer à son séminaire et donc d'écrire ce mémoire. Je la remercie également pour sa disponibilité et ses précieux conseils.

Je voudrais également remercier Isabelle Harre pour ses apports théoriques.

Enfin, merci à Caroline, Delphine, Sabine, Céline et Stéphanie pour leur relecture et leur soutien.

SOMMAIRE

INTRODUCTION 4

PREMIERE PARTIE 10

I. DU MOYEN ÂGE AU XVIIIÈME SIÈCLE : DES PRATIQUES « ANOREXIQUES » FORTEMENT LIÉES À LA RELIGION 10

A. Une société sous l'emprise de la religion 10

B. La littérature théologique atteste de comportements « anorexiques » 16

C. Le cas particulier de l'anorexie sainte 20

II. LE XIXÈME SIÈCLE : QUAND L'ANOREXIE DEVIENT UNE ENTITÉ CLINIQUE 27

A. Le contexte artistique et médical de l'apparition de l'anorexie 27

B. Les pères « fondateurs » de l'anorexie 31

C. Les tentatives thérapeutiques de la fin du XIXème siècle : des tentatives pas toujours fructueuses 39

DEUXIEME PARTIE 51

I. QUI EST ANOREXIQUE ? 51

A. Une définition médicale de l'anorexie et les caractéristiques des anorexiques 52

B. L'anorexique, un actant sujet dans les discours médiatiques 58

II. LES DIFFÉRENTS FACTEURS DÉCLENCHEURS DE L'ANOREXIE MENTALE 86

A. Les hypothèses médicales sur l'étiologie de l'anorexie 86

B. Le destinateur de l'actant sujet dans les discours de presse 94

III. LES PRATIQUES ANOREXIQUES OU COMMENT L'ANOREXIQUE DEVIENT ANOREXIQUE 117

A. Les pratiques anorexiques : une élaboration progressive 118

B. La performance de l'anorexique dans les discours de presse 127

IV. LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE DE L'ANOREXIE : UNE ÉTAPE VERS LA GUÉRISON 147

A. Les enjeux de la démarche thérapeutique 148

B. La phase de la sanction dans les discours de presse 157

CONCLUSION 189

BIBLIOGRAPHIE 190

TABLE DES MATIERES 196

INTRODUCTION

« Rien de plus simple au début. Une envie de maigrir. Parce que je ne me sentais pas bien dans ma peau. Maman me laissait, sans un mot, sur la table de l'entrée, le dernier numéro de son hebdomadaire : il y a toujours un régime à commencer ! On y voyait de superbes jeunes femmes à qui jamais je ne pourrai ressembler. Car je suis moche, très moche. Personne ne me le dit. Si, maman. Elle a eu la semaine dernière ce mot incroyable : `Tout le monde n'a pas la beauté en partage. Toi, tu as la détermination ; tu n'es pas belle mais ce n'est pas si important. Et puis, qu'y faire ?' Mais dans cette société, tout est dérisoire. Le paraître, il n'y a que ça ! Le pire c'est cette alimentation que je ne comprends pas. Je ne sais pas ce qui serait bon pour moi. Maman n'arrête pas de lui dire qu'il faut qu'il se surveille. Entre son diabète et son cholestérol, il n'a droit à rien. Qui me disait l'autre jour que je ressemblais à mon père ? »1(*). Ce témoignage est celui d'Aurélie, anorexique, qui raconte comment elle a décidé un jour de restreindre son alimentation. Mal dans sa peau, elle lit des magazines féminins où les jeunes femmes ont des corps « parfaits », un article propose un nouveau régime, pourquoi ne pas essayer ? Nous aurions pu citer une multitude de témoignages d'adolescentes qui, comme Aurélie, décident de maigrir et sans s'en rendre compte deviennent anorexiques.

L'anorexie mentale correspond au « refus plus ou moins systématique de s'alimenter. [Elle] apparaît le plus souvent lors de l'adolescence, touche majoritairement le sexe féminin (80% des cas). L'anorexique appelée également anorectique, est souvent brillante et très active et peut-être parfaitement bien insérée dans la vie professionnelle. Si parfois elle a faim, elle nie en souffrir. Obsédée par son poids, elle peut abuser de laxatifs ou de diurétiques dans l'intention de maigrir et avoir des périodes de boulimie plus ou moins associées à des vomissements provoqués »2(*). Même s'il est difficile de mesurer la fréquence exacte de ce trouble du comportement alimentaire, c'est-à-dire le nombre de cas nouveaux chaque année, le corps médical s'accorde pour dire que les adolescentes anorexiques sont de plus en plus nombreuses. Pour certains, il est indéniable que la société est en grande partie responsable de l'augmentation de cette maladie. En valorisant la minceur, la maîtrise de soi, la performance, elle inciterait les adolescentes à se conformer à des normes corporelles diffusées notamment par la presse magazine féminine. T. Vincent souligne qu'aujourd'hui « de nombreux magazines, en particulier féminins, n'hésitent pas à produire dans un même numéro un article sur l'augmentation de l'incidence des troubles des conduites alimentaires et un autre sur le dernier régime à la mode. Cela sans même vouloir s'apercevoir des effets médiatiques qui en découlent »3(*). Cette citation reflète bien l'ambiguïté de la position dans laquelle se trouvent les médias et plus particulièrement la presse magazine. Depuis, une dizaine d'années, les discours sur l'anorexie se sont multipliés : émissions télévisées, articles de presse, témoignages mais aussi ouvrages médicaux. Ainsi, la presse véhicule des informations quant à la maladie, lui conférant une certaine visibilité mais elle est parallèlement pointée du doigt par les professionnels de santé. Elle serait l'un des facteurs déclencheurs de la maladie. Une critique qui s'adresse principalement à la presse magazine féminine. Devant cet argument, il nous a paru intéressant de voir ce qu'en disaient les médias et essayer de comprendre les enjeux qui sous-tendent leurs discours. Ainsi, nous avons envisagé une analyse diachronique et comparative des discours de la presse magazine de santé avec les discours de la presse quotidienne d'information générale portant sur l'anorexie mentale. Notre étude aura donc pour objet les discours médiatiques autour de cette pathologie afin de voir comment la presse décrit l'anorexie et l'évolution de cette représentation. Nous nous attacherons également à déceler les similitudes et les divergences qui peuvent exister entre les différents discours. Nous estimons que cette réflexion sur les discours de la presse magazine et de la presse quotidienne est nécessaire puisqu'ils véhiculent des représentations qui influencent la société. La perception que nous avons de cette maladie est en grande partie structurée par ces discours. Nous nous intéresserons uniquement à l'anorexie pendant la période de l'adolescence, c'est-à-dire la forme la plus classique de cette maladie. En ce sens, nous n'aborderons pas les trois autres formes d'anorexie que sont l'anorexie du nourrisson, l'anorexie prépubère et l'anorexie des personnes âgées.

Nous avons choisi de travailler sur la presse magazine de santé parce qu'elle diffuse des représentations sociales qui ne sont pas remises en cause. En effet, alors que la presse quotidienne d'information générale n'a pas un statut d'expert pour aborder des sujets médicaux, la presse magazine de santé occupe une position particulière. Au XVIIIème siècle s'est développée une « `culture' médicale » qui visait à éclairer le peuple pour qu'il puisse se soigner et se prémunir de la maladie4(*). La naissance et l'essor des magazines médicaux d'information s'inscrit dans cette tradition. Aujourd'hui florissante, la presse magazine de santé compte une vingtaine de titres contre seulement un ou deux dans les années 70. Santé Magazine, le titre de presse que nous avons sélectionné pour notre étude était le premier mensuel de la presse féminine en 1999 et 42% de son lectorat était constitué d'employés et de membres des professions intermédiaires. Le rôle de ce type de magazine est double : en tant qu'expert dans la sphère médicale, il s'attache à fournir des informations sérieuses et précises sur tous les sujets relevant du domaine de la santé et il apprend à ses lecteurs comment détecter la maladie. Il joue donc à la fois un rôle d'information et de prévention. A l'inverse, la presse quotidienne nationale n'a pas un tel statut puisqu'elle remplit principalement un rôle d'information concernant la situation politique, économique et sociale de la France. Si certains quotidiens disposent d'une rubrique Médecine ou Santé, ces discours ne sont pas normatifs contrairement aux magazines de santé.

Nous n'avons pas inclu l'étude des discours de la presse magazine féminine dans notre analyse bien que cela aurait pu être assez révélateur. En effet, nous avons été confrontés à des contraintes techniques qui ne nous ont pas permis d'avoir accès à ce type de presse.

Notre travail repose sur les hypothèses suivantes :

La presse magazine de santé valorise un idéal de minceur et véhicule des normes corporelles, ce qui la place dans une posture différente de la presse quotidienne. Cette différence induirait des divergences dans la représentation de l'anorexie notamment en ce qui concerne le facteur déclencheur de la maladie. Il sera intéressant de voir si la presse magazine présente le régime comme facteur déclencheur de la maladie.

L'évolution de la compréhension de l'anorexie a conduit progressivement à un consensus dans la sphère médicale : l'anorexie est une maladie grave qui doit être soignée. A cet égard, la personne anorexique comme n'importe quel malade n'est pas responsable de son état. Nous pouvons supposer que l'établissement progressif de ce consensus s'est traduit dans les discours de presse par un « déplacement » des termes utilisés pour qualifier la personne anorexique. Celle-ci serait d'abord présentée comme responsable de sa maladie, puis désignée comme une « victime » souffrant d'un mal sur lequel elle n'a aucune prise. La position de victime appelant éventuellement la désignation d'un responsable.

Parallèlement à l'évolution de la compréhension de l'anorexie, des rôles spécifiques seraient attribués aux parents, aux professionnels de santé et à la sphère politique. En effet, si la personne anorexique est malade, les médecins ont pour devoir de la soigner, ses parents de l'aider et le la sphère politique de prévenir cette pathologie. Là aussi, cette évolution se traduirait dans les discours de presse par l'apparition de nouvelles figures auxquelles seraient confiées un rôle ; ou si ces figures sont déjà présentes par une modification des termes les désignant.

CORPUS ET METHODE D'ANALYSE

Afin d'infirmer ou de confirmer nos hypothèses, nous choisirons de travailler sur des articles de presse quotidienne et de presse magazine. Pour la presse quotidienne nationale, nous avons sélectionné les cinq quotidiens suivants : Le Monde, Libération, La Croix, L'Humanité et Le Figaro. De tendance politique différente, ils nous permettront de disposer d'un matériau discursif assez vaste afin de faire une analyse précise et de dégager la vision la plus juste possible des représentations médiatiques de l'anorexie dans la presse française. En ce qui concerne la presse magazine, notre corpus sera plus réduit à cause des contraintes techniques que représente le travail sur ce type de presse. En effet, la presse magazine est rarement archivée (quand elle l'est, il n'existe pas d'index thématique, ce qui implique de feuilleter un par un les magazines). En général, seuls les numéros de l'année en cours peuvent être consultés ce qui ne constituait pas une temporalité pertinente pour l'objet de notre étude. Nous avons donc choisi un seul magazine : Santé Magazine, représentatif du segment santé de la presse féminine.

Nous avons sélectionné les articles qui contenaient le terme « anorexie » dans leur titre (qui semblent faire de l'anorexie le sujet principal du discours), ceux dans lesquels le terme « anorexie » était récurrent et ceux dans lesquels le terme « anorexie » n'apparaissait qu'une ou deux fois suggérant au premier abord que l'article ne traite pas directement de la maladie. En réalité, il s'est avéré que ce type de discours aborde le sujet mais de façon détournée. Il témoigne donc d'un traitement médiatique spécifique, propre à certains quotidiens. Parmi ces articles, certains figurent dans les rubriques Littérature, Télévision-radio, nous les avons cependant également sélectionnés. En effet, un sujet médical ne relève pas a priori de ces rubriques cependant, en parler à cet endroit constitue déjà une indication de la représentation que va véhiculer le quotidien. Nous verrons que dans certains quotidiens, le sujet de l'anorexie est en grande partie traité dans ces rubriques ce qui nous a incité à les retenir. Nous avons exclu tous les articles dans lesquels le terme « anorexie » apparaissait mais ne faisait pas référence à l'anorexie en tant que pathologie ainsi que les articles abordant le thème de la santé ou de l'adolescence dans lesquels le mot « anorexie » ne figurait qu'au cours d'une énumération.

Notre corpus se compose d'articles allant du milieu des années 90 à 2005, là aussi pour des contraintes techniques. En effet, nous voulions constituer notre corpus à partir du milieu des années 70 cependant les archives des sites Internet des quotidiens ne remontent pas si loin. Pour L'Humanité, Le Figaro et Libération, les articles archivés datent respectivement de 1990, 1996 et 1995. Les archives du quotidien Le Monde débutent elles en 1989 et celles de La Croix en 1996. Pour Santé Magazine, les premiers articles sur l'anorexie sont plus anciens et datent du milieu des années 80. Nous utiliserons les articles publiés à la fin des années 80 uniquement à titre indicatif, pour voir quelle représentation de l'anorexie était véhiculée à cette époque afin de mettre au jour une éventuelle évolution.

Nous aurons recours à deux méthodes pour analyser notre corpus. Dans un premier temps, l'analyse du corpus sera une analyse essentiellement basée sur les champs lexicaux et les termes utilisés par les journalistes, ce qui nous permettra de comprendre les représentations que véhiculent les différents quotidiens/magazine. Ponctuellement, d'autres outils de l'analyse du discours seront utilisés s'ils se révèlent pertinents par rapport à notre étude et permettent de mettre en relief une spécificité du traitement médiatique. Nous nous intéresserons donc principalement au contenu des articles pour cerner de façon la plus précise possible les représentations médiatiques. Cependant, nous étudierons également la fréquence des articles et le rubricage adopté par les journaux afin de mettre au jour une éventuelle évolution du cadrage de notre sujet.

Nous utiliserons également la grille du schéma narratif construite par A. J. Greimas. Cette méthode permet de mettre en lumière la structure d'un récit, les relations entre les personnes et de comprendre le rôle de chacun. Nous pouvons identifier des schémas narratifs dans tous les discours de presse même s'ils ne sont pas toujours complets. A ce titre, il sera intéressant de voir dans quels journaux le schéma narratif est complet et dans le cas inverse, quelles sont les phases privilégiées.

A. J. Greimas distingue les actants « relevant d'une syntaxe narrative » des acteurs « reconnaissables dans les discours particuliers où ils se trouvent manifestés »5(*). Utiliser ce mode d'analyse dans notre travail nous semble justifié puisqu'il nous permettra de cerner les différents rôles qu'attribuent les journaux aux différents acteurs de la maladie qui sont l'anorexique, les parents, les médecins et la sphère politique. Nous verrons par exemple qu'un acteur comme les parents présents dans certains récits médiatiques n'a pas toujours le même rôle : tantôt ils sont présentés comme anti-sujet, tantôt comme adjuvant. Ce constat est aussi valable pour l'anorexique et le corps médical. Dans notre travail, l'anorexique sera l'actant sujet, son programme narratif étant de maigrir. Au cours de la quête de son objet, elle se trouve confrontée à des anti-sujets (les parents et le corps médical) qui tentent de l'empêcher de poursuivre son programme narratif. Nous verrons au fil de notre analyse que les discours médiatiques proposent une répartition des rôles plus nuancée et qui évolue.

L'analyse en terme de schéma narratif vise à distinguer quatre phases dans les récits qui sont la manipulation, la compétence, la performance et la sanction. Notre analyse s'appuiera sur ces différentes étapes, nous aurons donc recours au concept de performance, nous nous intéresserons également à la figure du destinateur et à la phase de sanction.

Cette méthode d'analyse nous semble donc nécessaire à la vérification de certaines de nos hypothèses puisqu'elle nous permettra de mettre en évidence l'évolution des rôles conférés aux différents acteurs impliqués dans l'anorexie.

Dans une première partie, nous nous intéresserons à l'histoire de l' « anorexie » du Moyen Âge au XIXème siècle puisque c'est au cours de cette période que sont apparus les premiers cas d' « anorexie » ; le XIXème étant lui considéré comme le siècle de la naissance de l'anorexie en tant qu'entité clinique. Cette étape est essentielle pour comprendre comment cette maladie est progressivement devenue une pathologie donnant lieu à divers traitements thérapeutiques, et comment se sont ensuite construites les représentations médiatiques. Dans une deuxième partie, nous procèderons à une analyse de contenu des discours sélectionnés dans notre corpus pour mettre au jour les représentations de l'anorexie qu'ils véhiculent. Ainsi, nous pourrons mettre en valeur les divergences et les similitudes entre les discours des quotidiens et de Santé Magazine mais également mesurer l'écart entre les discours de presse et les discours médicaux.

Nous tenons à faire une précision terminologique : nous parlerons des anorexiques au féminin comme dans la plupart des ouvrages scientifiques puisqu'il est admis que cette pathologie touche principalement les jeunes filles. D'autre part, pour la clarté de l'analyse, nous utiliserons le terme « les anorexiques » pour désigner les jeunes filles atteintes de cette maladie même si comme nous le montrerons, il n'y a pas un profil type d'anorexique contrairement à ce qui est parfois écrit, et que les comportements divergent même si des points communs entre ces malades existent.

PREMIERE PARTIE : HISTOIRE DE L'ANOREXIE

Etymologiquement, le terme anorexie signifie perte d'appétit, du grec an (privatif) et orexis (appétit). En réalité, il est aujourd'hui utilisé pour désigner le comportement des personnes (des adolescentes le plus souvent) qui restreignent leur alimentation délibérément, (tout du moins au début), afin de perdre du poids. L'anorexie est souvent pensée comme une maladie récente alors que ce type de comportement existait déjà il y a plusieurs siècles comme en témoigne la littérature théologique.

L'objectif de cette première partie est de retracer l'histoire de la maladie à travers l'évolution des comportements anorexiques, des symptômes et du regard de la société sur ces pratiques. Cette rétrospective nous permettra de voir comment s'est construite la représentation sociale de l'anorexie et comment elle affecte les représentations d'aujourd'hui. Cet historique sera divisé en deux périodes : une première période qui s'étend du Moyen Âge à la fin du XVIIIème siècle au cours de laquelle l'anorexie est essentiellement une anorexie sainte à laquelle la médecine s'intéresse peu puis une seconde période, le XIXème siècle, qui correspond au moment de l'individuation de la maladie, de la reconnaissance de l'anorexie comme entité clinique. Cette « division » de l'histoire de l'anorexie correspond au passage de la maladie du champ religieux au champ médical, un basculement qui a permis de concevoir l'anorexie comme une pathologie.

I. Du Moyen Âge au XVIIIème siècle : des pratiques « anorexiques » fortement liées à la religion

Parler d'anorexie au Moyen Âge est quelque peu difficile car l'anorexie est une entité clinique qui a été définie au XIXème siècle. Cependant, des auteurs comme R. Bell ou encore C. Bynum soutiennent la thèse que les comportements ascétiques des femmes mystiques au Moyen Âge correspondaient à ce que l'on nomme aujourd'hui anorexie. C'est pourquoi, outre les divergences qui subsistent sur cette question, il nous semble important d'aborder quelques cas, connus ou non, de femmes ascétiques, pour comprendre les « origines » de l'anorexie. Nous présenterons rapidement le contexte médical et artistique de cette période avant de nous intéresser aux comportements « anorexiques »6(*).

A. Une société sous l'emprise de la religion

Il est important de retracer les évolutions qui ont marqué cette époque et plus particulièrement sur les plans médical et artistique. En effet, les pratiques médicales comme les oeuvres d'art, sont intimement liées à l'état des connaissances, des croyances à une époque donnée. L' « anorexie » est une maladie féminine qui se situe à la croisée de la médecine et d'une certaine représentation du corps ; c'est pourquoi, s'attacher aux représentations du corps féminin et aux pratiques médicales qui existaient entre le Moyen Âge et le XVIIIème siècle, nous permettra de comprendre comment ont été identifiés et perçus les comportements « anorexiques ».

1. Des pratiques médicales peu évoluées

a) L'inexistence de la médecine comme science pendant la période médiévale

Le Moyen Âge désigne la période qui s'étend de la chute de l'empire romain en 476 à celle de Constantinople en 1453. Durant cette période, la « médecine » est très peu développée car tout état ou toute situation anormale a tendance à être interprété comme une manifestation divine. L'obscurantisme domine dans toute l'Europe occidentale. La médecine en tant que discipline scientifique telle que nous la connaissons aujourd'hui n'existait quasiment pas. Selon Claude Chastel, « elle se réfugia dans les monastères où l'on traitait [...] dans le plus grand empirisme »7(*). Cette citation met bien en valeur les deux caractéristiques de la « médecine » médiévale : l'empirisme et le lien étroit avec la religion. Ce n'est qu'à partir du XIVème que le monde occidental se réveille intellectuellement, pour reprendre l'image de C. Chastel, en redécouvrant les écrits grecs et arabes. Cette période est appelée la période scolastique et se caractérise par le développement des premières universités et écoles de médecine. Toutefois, l'enseignement y est encore limité et largement contrôlé par l'Eglise. La faculté de médecine de Paris est fondée en 1215 mais reste soumise aux autorités ecclésiastiques8(*) et se déclare hostile aux innovations. Les traitements thérapeutiques sont essentiellement à base de plantes et la saignée est le remède privilégié. Les hôpitaux chargés de soigner les malades dépendent de l'Eglise. Il n'est pas rare non plus de recourir aux saints guérisseurs, ce qui illustre une fois de plus l'emprise de la religion sur les pratiques médicales. La connaissance de l'être humain est limitée car les dissections sont interdites par le clergé ; il faut attendre la Renaissance pour que les pratiques médicales évoluent et acquièrent une dimension plus scientifique.

b) Quelques progrès à partir de la Renaissance

A partir du XVIème siècle, se développe un mouvement intellectuel appelé l'humanisme, mouvement qui place l'homme au centre de ses réflexions. A l'obscurantisme du Moyen Âge, les humanistes opposent la connaissance et l'épanouissement de l'homme. Ce renouveau intellectuel entraîne d'importants progrès dans différents domaines notamment en « médecine ». Les premières avancées ont trait à l'anatomie : les médecins découvrent la structure interne du corps, ce qui est un progrès considérable pour comprendre son fonctionnement. Le poids de la religion est encore considérable et seuls quelques savants osent défier la tradition et contester les données classiques tels que Ambroise Paré (1509-1590), un grand chirurgien. Une grande partie du travail accompli par ces « dissidents » reste lettre morte et n'est redécouverte que deux siècles plus tard.

Le XVIIème et le XVIIIème siècles marquent le début d'un raisonnement médical affranchi de la tradition. La physiologie est une nouvelle discipline qui naît grâce à la découverte de la circulation sanguine par William Harvey (1578-1657). Le progrès technique permet des avancées théoriques qui n'ont cependant qu'un effet limité sur l'exercice de la médecine (invention du thermomètre, découverte de la quinine et de la digitaline...). Ainsi, « la majorité des médecins continuaient à traiter par les méthodes du passé : saignées et lavements, rares médicaments d'origine végétale ou animale. Beaucoup étaient ignares et Molière n'avait pas tort lorsqu'il raillait dans ses pièces, leur ignorance et leur arrogance »9(*). Les pratiques médicales sont donc encore cantonnées dans un esprit traditionnel malgré quelques innovations qui restent au stade de découverte et ne sont pas intégrées dans la pratique quotidienne. A la fin du XVIIIème, la « médecine » laisse encore beaucoup à désirer : « les cliniciens et thérapeutes de cette époque n'ont pas fait franchir à la médecine de progrès décisifs. Mais grâce à une somme d'efforts conjugués, la nosologie commença à s'inspirer de principes rationnels » et des « conditions entièrement nouvelles étaient réalisées, qui allaient permettre à l'art de soigner de devenir une science »10(*). C'est au XIXème siècle que la médecine devient effectivement une science, un siècle qui est aussi celui de la naissance de l'anorexie en tant que pathologie.

2. La représentation du corps féminin dans la peinture

Il est intéressant de mettre en parallèle les représentations du corps de la femme avec la fréquence des comportements anorexiques à une époque donnée. En effet, aujourd'hui l'idée est largement répandue que les jeunes filles deviennent anorexiques après avoir fait un régime, influencées par les représentations11(*) de femmes très minces. L'étude de la représentation12(*) du corps féminin entre le Moyen Âge et la fin du XVIIIème siècle, nous fournira des indications permettant de juger la pertinence de cette hypothèse, que nous développerons dans la deuxième partie.

a) La femme : une tentatrice et une pécheresse

Les « choix esthétiques ou iconographiques ne sont certes pas le reflet immédiat de changements sociaux ou mentaux ; d'une manière ou d'une autre, ils y renvoient pourtant »13(*). En effet, l'étude des représentations picturales de la femme au Moyen Âge, nous révèle beaucoup sur sa place dans la société ainsi que le poids de la religion. Dans la société médiévale, la femme occupait un rôle mineur ; elle était essentiellement assimilée à la fécondité. Dans la peinture, la représentation de la femme est étroitement attachée à la religion comme le soulignent Georges Duby et Michelle Perrot : « si diverses que soient les effigies de la femme au Moyen Âge, elles appartiennent en majorité à l'univers religieux, et si parfois le quotidien ou le fantasme, se laissent deviner, c'est en filigrane et au travers du filtre de l'Eglise et de ses types religieux qui en constituent la commune référence »14(*).

Pendant le Moyen Âge, la femme est représentée de quatre façons, chacune ayant une dimension symbolique différente. La femme c'est d'abord Ève, qui incarne le péché et le vice. Beaucoup de fresques et de tableaux mettent en scène l'histoire d'Adam et Ève pour montrer la culpabilité de la femme. Ève est souvent nue mais ce n'est pas pour mettre son corps en valeur. La femme c'est aussi le Diable qui essaie de tenter les fidèles, en particulier les moines. Dans ce type de peinture, elle est vêtue de façon ordinaire. L'analogie entre le Diable et le sexe féminin symbolise la tentation que représente la femme. C'est aussi une mise en garde pour le fidèle : le démon est partout, il doit se méfier. Ensuite, la femme symbolise la tentation à travers le serpent qui prend un aspect anthropomorphe. En effet, il a souvent un visage de femme aux cheveux longs, symbole de la séduction. Enfin, la femme c'est aussi la Vierge, l'exaltation de la maternité et de la virginité. 

A travers ces quatre représentations de la femme, l'Eglise envoie un message clair à ses fidèles : les femmes « ne sont pas sujet commettant un péché, mais un moyen de pécher offert à l'homme »15(*), elles représentent le vice et la luxure. Seule Marie incarne des valeurs nobles. Elle est l'unique être humain à n'avoir pas péché. Dans les représentations médiévales de la femme, le corps n'a qu'une place secondaire. Il n'a aucune valeur en lui-même, en tant qu'objet. L'important est ce qu'il symbolise : la tentation, le péché, le vice, la séduction et la chasteté. Le corps est rarement nu et s'il l'est, cette nudité n'a pas de fonction esthétique. Ce mépris du corps doit être replacé dans le contexte de l'époque où l'âme et le corps étaient pensés en opposition. L'un devait être privilégié pour accéder au paradis ; l'autre méprisé, parce qu'il représentait le péché. La littérature médiévale véhicule les mêmes représentations : « la littérature religieuse masculine, celle des monastères essentiellement, représente une femme dépourvue de toute humanité et d'une quelconque richesse psychologique : elle n'est rien d'autre que la projection du désir, coupable, de l'homme »16(*).

Au XIVème siècle, la représentation de la femme évolue : elle commence à être peinte dans sa vie quotidienne. Cette période se situe dans un contexte d'effervescence économique qui se traduit par « le droit à l'image que la femme conquiert [...] et qui constitue une véritable nouveauté : je veux parler de la représentation de la femme ordinaire - et pas seulement celles de rang élevé ou des saintes - dans le cadre familial ou monastique »17(*). L'émergence de figures féminines reflète la lente mutation de la condition de la femme qui acquiert un rôle plus actif.

b) La femme séductrice et belle

A la fin du XVIème siècle se produit un changement majeur : la femme qui avait toujours été représentée vêtue (excepté Ève), est digne d'être peinte dans le plus simple appareil. Cependant, ce n'est qu'à partir du XVIIIème siècle que la représentation de la femme se détache complètement de la religion. Les premiers peintres ayant osé représenter une femme nue pour la beauté de son corps, vont à l'encontre des critères académiques et bouleversent les thèmes classiques de la peinture. Ces femmes nues se caractérisaient par leur embonpoint, une esthétique qui va durer jusqu'au XIXème siècle. Ce sont principalement les néo-classiques18(*) qui se sont attachés à une telle représentation de la femme. Ils vouent un « culte enthousiaste de la beauté idéale classique, exprimée à la perfection par les Grecs et les Romains de l'Antiquité, modèle absolu pour tous les artistes »19(*). Ainsi, les peintres néoclassiques vont peindre des personnages, notamment des femmes, aux corps « parfaits » comme l'avaient fait les artistes grecs. François Boucher est l'un des artistes représentatifs de cette tradition qui a beaucoup inspiré la peinture française. Pour lui « le plus beau thème de la peinture ne peut être que le nu »20(*), c'est pourquoi il représente aussi bien la femme ordinaire dans des pastorales que des femmes plus nobles, d'une façon telle que Louis Hourticq le qualifie de « virtuose de la nudité »21(*). Ses tableaux mettent en scène des nudités de façon gracieuse (cf. Diane sortant du bain - Annexe n°2 et L'Odalisque brune - Annexe n°3). Il réalise également des portraits, un genre nouveau qui devient de plus en plus courant. Des peintres tels que Jean Honoré Fragonard, Jean-Marc Nattier et Quentin de La Tour poursuivent cette démarche dans la représentation de la femme. En parlant de J.-M. Nattier, L. Hourticq écrit : « comme pour les portraitistes féminins, son oeuvre fixe moins les variétés personnelles que la mode d'un temps. Il est ainsi, au cours de l'histoire, des maîtres dont ce fut le mérite de nous montrer le type de beauté reconnu par chaque génération [...]. Les portraitistes de femmes ramènent fatalement les variantes de la nature au modèle dans lesquels les hommes d'un même temps reconnaissent plus ou moins consciencieusement leur idéal. Les peintres semblent ainsi les créateurs de chaque temps [...]. Nattier est le représentant de la beauté Louis XV. Ses modèles ont le visage plein et rond, encadré de cheveux poudrés, dont la blancheur accentue l'animation des fards et la vivacité des yeux ». Les personnalités « s'effacent sous le vernis »22(*). A travers cette citation, nous voyons comment à cette époque, l'art et plus particulièrement la peinture, se faisait le vecteur d'une représentation de la femme, de l'idéal masculin. L'imposition de normes corporelles n'est donc pas propre au XXIème siècle, ce sont juste les critères de la beauté qui ont évolué.

3. L'évolution des canons de beauté du Moyen Âge au XVIIIème siècle

a) De la minceur à l'embonpoint

A « l'idéal médiéval de la noble dame gracieuse, aux hanches étroites et aux seins menus, fait place à la fin du XVème et au XVIème siècle à un modèle féminin plus enveloppé dont les hanches larges et le décolleté généreux vont rester de mise jusqu'à la fin du XVIIIème siècle »23(*). Les goûts se transforment : la minceur auparavant valorisée devient synonyme de pauvreté tandis que l'embonpoint renvoie à une position élevée dans la hiérarchie sociale. Afin de ne pas ressembler aux femmes des milieux populaires dont le visage est vieilli, maigre et tanné avant l'âge, les bourgeoises entretiennent leur embonpoint. G. Duby et M. Perrot parlent d' « élaboration de la féminité » pour qualifier l'époque de la Renaissance. En effet, les femmes de l'aristocratie ne cherchent pas seulement à se distinguer des femmes du peuple par leurs formes avantageuses mais aussi des hommes, en adoptant un style vestimentaire et un comportement différent qui traduisent sensibilité et raffinement.

La beauté fait l'objet d'une nouvelle considération. Au Moyen Âge, elle était assimilée à la tentation et condamnée par les clercs ; dans l'esprit de la Renaissance, elle est « le signe visible et extérieur d'une bonté intérieure invisible »24(*). Elle est associée à une situation sociale et devient une obligation. Elle répond à des critères très stricts que définissent traités et poèmes : « peau blanche, cheveux blonds, lèvres et joues rouges, sourcils noirs. Le cou et les mains doivent être longues et minces, le pied petit, la taille souple. Les seins sont fermes, ronds et blancs, avec des aréoles roses. La couleur des yeux peut varier (de préférence verte en France, brune ou noire en Italie) et on fait parfois des concessions aux cheveux bruns, mais les canons de l'apparence féminine restent pratiquement identiques pendant quelques trois cent ans »25(*). Cette recherche de la beauté et de la perfection féminine entraîne l'apparition d'un nouveau genre littéraire au cours du XVIème siècle : le blason, un « poème en l'honneur d'une dame qui détaillent un ou plusieurs de ses charmes »26(*).

b) Une beauté qui s'entretient

« Vers 1550, la vogue de la description de la beauté féminine s'est ancrée dans les moeurs »27(*) et les femmes se réfèrent à ces critères pour modeler leur apparence usant de fards et de cosmétiques. Des ouvrages, écrits par des hommes, livrent des conseils pour se maquiller et cacher ses défauts. Ce sont là que les femmes vont chercher ces recettes qui « remplissent en général une ou deux fonctions : corriger les défauts ou améliorer la nature » et des astuces pour blanchir la peau par exemple28(*). Au cours de ces trois siècles d'artifice, se sont élevées critiques et protestations. Ainsi en témoignent les pamphlets, circulant pendant l'Ancien Régime, qui dénigrent les femmes fardées. Certains leur reprochent de travestir leur visage devant Dieu, d'autres craignent que ce visage maquillé ne cache une sorcière. Progressivement, le maquillage s'estompe « devant la montée d'une bourgeoisie critique (qui identifie le camouflage des cosmétiques à la malhonnêteté attribuée à l'aristocratie)», et « l'air naturel revient à la mode »29(*).

C'est ainsi qu'au XVIIIème siècle naît un nouvel idéal féminin : la grâce et la simplicité sont désormais recherchées. Les femmes sont jugées belles lorsqu'elles ont « un visage pâle aux grands yeux et une silhouette mince et langoureuse » signes de la sensibilité et de la délicatesse « qui devaient donner le ton au début du XIXème et inspirer la conception romantique de la féminité »30(*). Enfin, la révolution française marque un tournant dans l'évolution de l'idéal féminin : l'amincissement est à nouveau privilégié et mène à la redécouverte du style néogrec sous l'Empire.

Au Moyen Âge, les différentes sphères de la société sont sous l'emprise de la religion notamment la « médecine » et l'art. Peu à peu, ce primat de la tradition s'affaiblit entraînant des progrès dans le domaine médical et des évolutions dans la représentation picturale de la femme. Au début du Moyen Âge, l'art sacré prédomine mais son influence diminue laissant émerger un art profane. Les représentations de la femme évoluent passant ainsi de la femme tentatrice et pécheresse, à la femme séductrice. Corrélativement, le corps devient un signe de distinction sociale et le centre des attentions féminines. Ce cadrage socioculturel nous a permis de voir comment « le déclin graduel de la puissance temporelle de l'Eglise en libérant les esprits, libère les corps »31(*) et va nous permettre de comprendre comment s'est construite la représentation sociale de l' « anorexie » entre le Moyen Âge et la fin du XVIIIème siècle. Nous allons maintenant nous attacher à décrire les pratiques « anorexiques » qui ont existé durant cette période et examiner la façon dont elles ont été comprises et perçues.

B. La littérature théologique atteste de comportements « anorexiques »

Les récits dont nous disposons aujourd'hui rapportant des comportements « anorexiques » ayant existé entre le Moyen Âge et le XVIIIème siècle, sont essentiellement issus de la littérature théologique. Ces témoignages, le plus souvent écrits par des moines, décrivent des cas de jeunes filles qui jeûnent pendant une période relativement longue. Il n'existe pas d'estimations chiffrées des personnes ayant eu un comportement « anorexique » au cours de cette période ; cependant, les traces écrites laissent supposer que ces cas étaient relativement rares et disséminés.

1. Au 9ème siècle, Friderada von Treuchtlingen

En 895, le moine Wolfhard relate l'histoire de Friderada von Treuchtlingen, une jeune bavaroise, fille de serfs, qui cesse de s'alimenter32(*). Ce dégoût pour la nourriture intervient à la suite d'une succession d'événements. De nature plutôt robuste, la jeune fille tombe soudainement malade. Une fois rétablie, elle se met à tout dévorer (un comportement qui s'apparenterait aujourd'hui à de la boulimie) mais paradoxalement perd des forces. Elle est alors conduite au monastère de Sainte Walburgis, à Monheim en Bavière, un monastère réputé pour ses miracles. Les religieux conseillent à ses parents de prier sans relâche. Ils s'exécutent et progressivement les fringales de la jeune fille disparaissent mais elle éprouve un dégoût profond pour la nourriture. « A partir de là, Friderada ne se nourrit plus que de produits laitiers et adopte la désagréable habitude de vomir après chaque repas »33(*). Peu de temps après, elle cesse de s'alimenter. Des religieuses lui rendent visite et l'une d'entre elle la force à manger un morceau de viande causant le désespoir de la jeune fille qui devient aveugle. De nouveau conduite à Monheim, ses parents renouvellent leurs prières et la jeune fille retrouve la vue. Sur la décision de l'évêque qui souhaite s'assurer que Friderada ne mange vraiment rien, la jeune fille est cloîtrée pendant six mois et finit par mourir dans un état de maigreur extrême. Elle devient sainte de Walburgis34(*).

Anne Guillemot et Michel Laxenaire dans leur ouvrage Anorexie mentale et boulimie - le poids de la culture, expliquent que ce cas d' « anorexie » s'accompagne d'autres troubles (cécité, parapésie...) et qu'il est précédée d'une période de « boulimie » ; la perte d'appétit s'inscrit donc dans un ensemble de symptômes, une différence essentielle avec l'anorexie d'aujourd'hui. Il faut également préciser que nous ne savons pas si cette perte d'appétit est volontaire ou inconsciente. Il n'y a aucun détail concernant les motivations de ce comportement et ses conséquences. Le seul indice qui nous permette de parler de comportement « anorexique » est le refus de nourriture. En dépit de ce manque d'informations, A. Guillemot et M. Laxenaire précisent que pour T. Habermas le cas de Friderada von Treuchtlingen peut être considéré comme le cas médiéval le plus explicite s'apparentant à l'anorexie35(*).

2. Au XVIIème siècle, une adolescente anglaise jeûne

En 1667, Marthe Taylor, originaire du Derbyshire jeûne pendant plusieurs mois. Ce cas36(*) est resté célèbre car des médecins examinent la jeune fille sur la demande du Comte de Devonshire. Or, à cette époque, le « corps médical » ne prête que peu d'attention voire aucune à ces comportements « anorexiques ». Il est intéressant de noter que cette adolescente présente une aménorrhée, symptôme reconnu aujourd'hui comme l'un des critères de diagnostic de l'anorexie. La perte d'appétit intervient après une série d'incidents, comme dans le cas de Friderada. Paralysée des pieds suite à une chute, Marthe Taylor en retrouve progressivement l'usage mais devient dépressive. Elle éprouve des difficultés à dormir et consacre ses nuits à la lecture des Ecritures. A l'âge de 18 ans « elle vomit tout ce qu'elle mange et commence donc à restreindre ses apports alimentaires pour les arrêter complètement » 37(*).

Les ouvrages publiés de son vivant prétendent qu'elle ne mangea aucune nourriture solide pendant douze à treize mois. Nous pouvons noter que là aussi, d'autres troubles accompagnent la perte d'appétit et selon Hilde Bruch ces signes cliniques laisseraient plutôt penser à une névrose hystérique ou à une psychose qu'à une anorexie mentale38(*). Le cas de cette jeune fille illustre les évolutions qui commencent à naître : ce sont des médecins qui viennent la voir et non des religieuses, ce qui marque l'entrée progressive de l' « anorexie » dans le champ médical. Par ailleurs, la religion reste fortement présente puisque la jeune fille lit les Ecritures pendant ses nuits d'insomnie. Cette attitude peut être comparée à l'investissement scolaire dont font preuve les anorexiques aujourd'hui.

3. La première description clinique de l'anorexie par Richard Morton

Plusieurs auteurs attribuent la première description clinique détaillée de l'anorexie au médecin anglais, Richard Morton, dans son ouvrage Phtisiologia : or a treaty of consumptions (1689). Il rapporte le cas d'une de ses patientes, Miss Duke, une jeune fille de 22 ans. Il constate « une consomption du corps sans fièvre ni toux ni dyspnée s'accompagnant d'une perte de l'appétit et des fonctions digestives »39(*). R. Morton pense que cette maladie est d'origine nerveuse et résulte « d'une altération du principe vital et d'un bouleversement des forces nerveuses »40(*). Nous pouvons noter que l' « anorexie » de cette jeune fille ne s'accompagne d'aucun autre trouble et pourrait se rapprocher de l'anorexie telle que nous la connaissons aujourd'hui. La jeune fille refuse tous les traitements et meurt en quelques mois. R. Morton relate également le cas d'un jeune palefrenier âgé de 16 ans qui perd l'appétit41(*). Cette perte d'appétit serait due à des études difficiles et un investissement scolaire trop important. Suite à l'échec de différents traitements (antiscorbutiques, médecines artificielles ou naturelles), R. Morton conseille au jeune garçon de cesser les études pendant quelque temps et de s'éloigner de sa famille. Quelques mois après, il est entièrement guéri.

Confronté à un troisième cas d' « anorexie », R. Morton modifie son interprétation de la maladie et réfléchit au rôle du psychisme et des émotions. Voici un extrait de l'un de ses textes qui illustre cette évolution :

« Au mois de juillet [elle] souffrit de la suppression totale de ses règles due à une multitude de soucis et de passions occupant son esprit, mais sans aucun des symptômes qui accompagnent la chlorose. A partir de ce moment-là, son appétit commença à décliner, et sa digestion devint mauvaise ; aussi, sa chair devint de plus en plus flaccide et lâche, et son teint devint pâle [...]. Elle avait l'habitude, du fait qu'elle étudiait la nuit, et qu'elle était continuellement plongée dans ses livres, de s'exposer aux rigueurs de l'air, de jour comme de nuit [...]. Je ne me rappelle pas dans toute ma pratique pourtant considérable des êtres vivants, avoir vu une personne qui fût aussi affaiblie par un tel degré de consomption (qui la faisait ressembler à un squelette n'ayant que la peau sur les os), et cependant elle n'avait pas de fièvre, bien au contraire une froideur de tout le corps... Seul son appétit avait diminué et sa digestion était devenue difficile, avec des évanouissements qui la prenaient fréquemment »42(*).

Sans donner plus de détails, H.-E. Janas écrit que Morton est probablement le premier à évoquer « une sémiologie de l'anorexie, un diagnostic probable et des méthodes évolutives »43(*). En effet, il évoque les symptômes de sa patiente, les conséquences de son comportement et essaie d'identifier la maladie. Il la distingue de la chlorose, une maladie fréquente à l'époque qui se manifestait par une « anémie hypochrome »44(*) chez les jeunes filles. Nous pouvons souligner que certains éléments dans cette description permettent effectivement de considérer que cette jeune fille est atteinte d'anorexie mentale. En effet, le teint de sa peau, les problèmes de digestion et la froideur de son corps ne sont que les conséquences de la dénutrition et s'observent également chez les anorexiques aujourd'hui.

Nous pouvons également noter la place accordée au psychisme et aux émotions, qui seraient le facteur déclencheur de l'aménorrhée. Cette hypothèse est plutôt moderne car les explications organicistes sont encore dominantes à l'époque. L'intuition de R. Morton n'est pas totalement fausse puisque nous savons aujourd'hui que l'aménorrhée résulte de causes physiologiques et psychologiques. Les écrits de R. Morton révèlent donc l'existence de l' « anorexie » en Angleterre au XVIIIème siècle « même si elle se limitait encore à quelques cas isolés et considérés comme extraordinaires »45(*). Ces adolescentes qui jeûnent sont surnommées les « fasting girls ». Elles suscitent l'interrogation et le scepticisme des médecins. « Des débats [apparaissent] presque publics sur, par exemple, la possibilité de survivre sans s'alimenter ; il faut également préciser que la plupart des écrits de cette époque vont s'intéresser non pas à la cause du jeûne mais à sa réalisation en tant que performance »46(*). En effet, si les médecins commencent à s'intéresser à ces adolescentes et à leur jeûne ininterrompu, ce n'est pas dans l'intention de trouver un traitement mais d'évaluer leurs performances, de « faire » des expérimentations.

A partir de ces quatre exemples, nous pouvons faire plusieurs remarques. Tout d'abord, les cas rapportés concernent essentiellement des jeunes filles, ce qui permet effectivement de rapprocher ces comportements avec l'anorexie d'aujourd'hui et donc de les qualifier d'anorexiques. Du Moyen Âge au XVIIème siècle, ces récits se trouvent dans la littérature théologique puis vont peu à peu investir la littérature scientifique47(*). Ensuite, le terme d' « anorexie » n'est jamais employé pour désigner ces comportements même s'il est apparu pour la première fois dans la littérature française en 158948(*). La principale similitude avec l'anorexie réside dans la « perte d'appétit »49(*). Les descriptions sont peu détaillées et cette « perte d'appétit » s'inscrit le plus souvent dans un ensemble de symptômes. A la fin du XVIIème siècle, un tournant est amorcé avec le récit de R. Morton puisque c'est un médecin qui écrit et non un ecclésiastique. L' « anorexie » ne s'accompagne pas d'autres troubles et les conséquences de la restriction alimentaire sont évoquées pour la première fois. En ce sens, nous pouvons considérer que le cas rapporté par R. Morton annonce les descriptions que feront W. Gull et C. Lasègue au XIXème siècle.

C. Le cas particulier de l'anorexie sainte

Le terme d'anorexie sainte ou anorexie sacrée est utilisé pour parler des conduites ascétiques de jeunes femmes entre le XIIIème et le XVIème siècle qui, pour la plupart furent canonisées. Rudolf Bell dans son livre L'anorexie sainte - jeûne et mysticisme du Moyen Âge à nos jours, décrypte les comportements de ces jeunes femmes en les replaçant dans un contexte historique, social, culturel et familial. Pour cet auteur, l'anorexie mentale du XXème siècle « n'est pas apparue pour la première fois chez les jeunes danseuses et avec la vogue des régimes »50(*), elle n'est que la continuité de l'anorexie sainte du Moyen Âge. Ainsi, il est possible de trouver des points communs entre les saintes ascétiques et les jeunes filles anorexiques d'aujourd'hui. Cette position est partagée par d'autres chercheurs tels que Caroline Bynum, Marina Warner ou encore Marcello Craveri...51(*) ; c'est pourquoi il semble important d'en parler.

Nous présenterons les caractéristiques de l'anorexie sainte à travers l'exemple de Catherine de Sienne, l'un des cas les plus connus, avant de voir comment ce type de comportement était perçu par les autorités religieuses. Ensuite, nous soulignerons les points communs entre l'anorexie sainte et l'anorexie mentale d'aujourd'hui.

1. Une conduite anorexique qui relève de l'élection divine

a) Une enfance banale

Catherine Benincasa est née en 1347 à Sienne d'un père teinturier et d'une mère, fille de poète. Jumelle prématurée, elle est nourrie par sa mère tandis que sa soeur est confiée à une nourrice et meurt quelques mois plus tard. R. Bell souligne sa position « privilégiée » ; en effet, elle est la seule enfant de toute la fratrie à être allaitée jusqu'au sevrage. Son enfance est gaie. Elle se préoccupe très tôt de la religion puisque vers six ou sept ans, le Christ lui apparaît pour la première fois. Elle n'en parle pas pendant des années. Cette inclination religieuse semble plutôt normale à une époque où la religion joue un rôle très important. Néanmoins, c'est à cet âge qu'elle commence à ne plus manger de viande, une privation qui marque le début de sa « perte d'appétit ». Les différentes restrictions alimentaires qu'elle s'impose, les décisions qu'elle prend concernant son engagement dans la religion sont étroitement liés avec des événements familiaux. C'est pourquoi, sans relater toute la vie de Catherine de Sienne nous nous attarderons sur certains moments relativement importants afin de comprendre son comportement ascétique. L'ascèse se définissant comme une « discipline de vie, [un] ensemble d'exercices physiques et moraux pratiqués en vue d'un perfectionnement spirituel »52(*).

b) L'adolescence : le moment de l'engagement dans la religion

Durant toute son adolescence, Catherine fait des jeûnes « rigoureux, mais jamais sans excès par rapport aux normes à cette époque où l'on pratiquait un ascétisme héroïque »53(*). En effet, au XIIIème siècle, le jeûne est une pratique courante et se consiste en une « pénitence contrôlée dont le but [est] de purifier le corps »54(*). Son objectif est donc clair et sa durée limitée.

Catherine entre en conflit avec sa mère vers l'âge de douze ans. Cette dernière souhaite que sa fille apprenne à se tenir en société, à se maquiller... afin de trouver un époux, ce que refuse Catherine. Elle est alors confiée à l'une de ses soeurs aînées, Bonaventura car la jeune fille l'apprécie beaucoup et semble plus encline à lui obéir. Trois ans plus tard, Bonaventura meurt en couches : cet événement bouleverse Catherine qui s'engage dans la religion. Elle est persuadée que c'est « son engagement dans le monde »55(*) qui a provoqué la colère de Dieu qui s'est vengé sur Bonaventura. Catherine a alors quinze ans et prend la décision de se détacher du monde, son époux sera le Christ. Malgré les supplications de sa famille, elle refuse catégoriquement de se marier et dit devoir obéir à Dieu. A l'âge de seize ans, elle se convertit à un mysticisme radical et modifie profondément ses habitudes alimentaires qu'elle conserve jusqu'à sa mort. Elle limite ses repas à du pain, des herbes crues et de l'eau et perd rapidement la moitié de son poids56(*). Pour expliquer cet engagement, G. Raimbault et C. Eliacheff disent que « coupable d'être vivante, elle s'engage vers la solitude et la pénitence et entreprend méthodiquement de réduire son alimentation »57(*). A partir de ce moment-là, sa vie est entièrement dévouée à Dieu malgré les réticences de son entourage. Pendant trois ans, elle s'impose un voeu de silence complet excepté pour les confessions (elle vivait encore dans sa famille) et ne dort que trente minutes tous les deux jours. En plus de ses restrictions, elle s'administre des punitions. Par exemple, elle se flagelle avec une chaîne trois fois par jour58(*).

A travers ce récit de l'adolescence de Catherine de Sienne, nous voyons donc comment dans un contexte socio-historique particulier, un événement personnel est venu bouleverser la vie de cette jeune fille et l'a conduite progressivement à l'ascèse.

c) Un dévouement sans limite au Christ

A l'âge de 21 ans, un nouvel événement vient bouleverser sa vie et renforce son dévouement à Dieu. Son père, auquel elle était très attachée et qui était la seule personne de la famille à la soutenir, meurt. Pour la seconde fois, le Christ lui apparaît ; c'est alors qu'« elle perdit l'appétit et ne parvint plus à manger de pain »59(*). Cet exemple illustre bien comment différents facteurs (contexte familial, contexte socio-historique) se sont combinés, ont créé un terreau favorable au déclenchement de l' « anorexie » de Catherine. A 25 ans, les écrits racontent qu'elle ne mangeait quasiment rien ; d'autres estiment au contraire qu'elle avait du mal à surmonter la faim. Raymond de Capoue, son confesseur, raconte un épisode assez marquant qui révèle effectivement les difficultés auxquelles a été confrontées Catherine. Alors qu'« elle devait nettoyer les ulcères d'une femme atteinte d'un cancer du sein », son coeur fut « soulevé par l'odeur suffocante de la suppuration ». Elle voulut vaincre ses sensations corporelles et « recueillit soigneusement le pus dans une écuelle et le but entièrement. Cette nuit-là, Jésus lui apparut et l'invita à boire le sang qui coulait de son flanc perforé ; ce fut grâce à cette consolation que son estomac en fût à la fois rassasié et altéré »60(*). Son confesseur écrit qu'à partir de ce moment-là, les grâces divines descendues en son corps lui permirent de ne plus manger car la nature de son estomac en avait été transformée. Il l'explique ainsi : « non seulement elle n'avait plus besoin de nourriture matérielle, mais elle ne pouvait même pas en prendre sans douleur physique. Si on la forçait à en accepter, elle éprouvait de très vives souffrances, sa digestion ne se produisait pas, et les aliments étaient violemment rejetés au dehors »61(*). Chaque acte de sa vie est obéissance à son « époux » Jésus et elle refuse d'écouter les ordres et conseils de quiconque. Elle est entièrement convaincue de son union avec le Christ qui, selon elle, lui aurait placé un anneau de mariage à son doigt. Nous pouvons d'ores et déjà faire une remarque sur les pratiques de Catherine : sa difficulté à ingérer de la nourriture et les douleurs qu'elle éprouve ressemblent fortement au cas décrit par R. Morton, ce qui permet effectivement de qualifier son comportement d'anorexique.

A la suite de ces événements, elle décide de rejoindre la congrégation des soeurs de la Pénitence, composée de femmes laïques qui continuent à vivre chez elles. Cet ordre militant se consacre à la défense de la foi et de l'Eglise. G. Raimbault et C. Eliacheff précisent que ce choix est étonnant de la part de Catherine car ce sont d'ordinaire des femmes d'un certain âge, souvent veuves, qui rejoignent cette congrégation. Cependant, elles mettent en évidence la cohérence de ce choix « d'un ordre militant [qui] lui convient on ne peut mieux, le militantisme caractérisant le comportement anorexique quelle que soit la cause apparente »62(*). Catherine se consacre également à la Réforme de l'Eglise et joue un rôle important dans le retour du Pape Grégoire XI à Rome. La mort de celui-ci, l'élection d'Urban VI et peu après le Grand Schisme sont des événements qui l'affectent beaucoup. Elle décide alors de ne plus manger ni boire et meurt trois mois plus tard dans de grandes souffrances.

Les quelques épisodes de la vie de Catherine de Sienne que nous venons de mentionner mettent en évidence les liens entre religion et restriction alimentaire. Plus elle se dévoue au Christ, plus elle s'impose des sacrifices. Ainsi, R. Bell écrit que « son abstinence allait bien au-delà du jeûne rituel ou austère pratiqué par les plus saintes figures, hommes et femmes de son époque, et, bien souvent, elle enfreignait les injonctions explicites de ses confesseurs »63(*). En effet, il ne faut pas confondre jeûne et ascèse. Dans le cas de Catherine, les privations n'ont pas de fin et sont de plus en plus importantes, c'est pourquoi le terme d'ascèse semble préférable pour qualifier sa conduite. Contrairement aux cas décrits précédemment, la restriction alimentaire est motivée par le souhait d'accéder à une certaine pureté spirituelle. L'anorexie sainte ne diffère pas sur le plan des pratiques mais de la motivation. Ainsi, R. Bell « estime, bien que cela ne puisse être ni prouvé ni réfuté, que l'anorexie de Catherine de Sienne a été une conséquence non pas d'une lésion de son hypothalamus, mais de facteurs psychiques, en l'occurrence de sa volonté de maîtriser les exigences de son corps qu'elle voyait comme une entrave objecte à la sainteté »64(*). Cette explication permet non seulement de comprendre l'origine du terme « anorexie sainte » mais pointe aussi la différence essentielle qui existait entre ce type de comportement et les cas que nous avons évoqué précédemment.

2. Le jugement de la société civile et des autorités ecclésiastiques

Même si le jeûne est chose courante à l'époque de Catherine de Sienne, le fait de ne pas manger pendant une période relativement longue est considéré comme suspect. La question qui se pose alors est celle de l'origine de cette « performance ». Deux alternatives sont possibles : le fait de vivre sans manger est dû soit à Dieu soit au diable. La jeune fille qui présente un comportement ascétique est l'élue de Dieu ou possédée par le démon. Cette question n'est pas seulement soulevée par l'entourage mais principalement par l'Eglise. Dans le cas de Catherine nous nous intéresserons uniquement au jugement porté par les autorités ecclésiastiques puisque ce sont elles qui ont « permis » à l'anorexie sainte d'exister au sens où sans l'aval de l'Eglise, sans la reconnaissance de cette ascèse comme chemin vers la sainteté, l'anorexie sainte n'aurait pas été perçue comme telle.

a) La suspicion de l'Eglise

C'est d'abord par le biais des confesseurs de Catherine que les autorités ecclésiastiques ont sanctionné ou encouragé son comportement. Au début, ils étaient chargés de la surveiller et de la forcer à manger. Son comportement était donc jugé suspect. Ne souhaitant pas aller à l'encontre de la volonté de son premier confesseur, qui la pensait possédée par le démon, Catherine s'obligea à manger mais tomba malade. Son état empira et son confesseur dut renoncer à lui ordonner de s'alimenter. Il lui conseilla « d'agir désormais d'après les inspirations de l'Esprit Saint »65(*). Progressivement, il fut toléré qu'elle cesse de manger. Son comportement laissait perplexe et nombre de ses confesseurs la laissèrent agir à sa guise. Le droit de communier tous les jours lui fut octroyé, ce qui était exceptionnel à une époque où « même les religieuses ne communiaient pas plus de six à sept fois par an »66(*). Si les autorités religieuses reconnurent en grande partie que Catherine n'était nullement possédée par le démon, certains continuèrent à lui reprocher son comportement et elle dut affronter ses détracteurs toute sa vie. Ils prétendaient qu'elle mangeait en secret ou alors ils s'empressaient de lui rappeler la parole de Jésus qui disait à ses disciples : « mangez et buvez ce qui se trouve chez vos hôtes »67(*), lui signifiant ainsi qu'elle ne la respectait pas.

b) La sanction des autorités religieuses

Le comportement de Catherine était connu des autorités ecclésiastiques et elle fut convoquée à Florence pour se justifier devant une commission de l'Eglise. Elle convainquit les représentants de l'Eglise que son comportement était juste. Néanmoins, le pape décida de lui attribuer un nouveau confesseur, Raymond de Capoue dont la mission consistait, comme pour les précédents, à la surveiller.

Toujours sujette aux accusations de ses ennemis, Catherine se remit à manger pendant un temps. R. de Capoue souhaitait faire cesser les rumeurs d'éventuelles possessions démoniaques mais il n'était pas complètement convaincu non plus de l'élection divine de Catherine. Cependant, il lui conseilla d'ignorer ses ennemis et d'abandonner son mode d'alimentation. Finalement, grâce à sa conviction, elle réussit peu à peu à convaincre les gens qu'elle n'était pas possédée par le démon. Elle fut canonisée en1461 et reconnue Docteur de l'Eglise en 1970 par Paul VI.

Peu de temps après la mort de Catherine, R. de Capoue rédigea la biographie de la jeune femme. Le livre fut rapidement publié et eut un très grand succès : de plus en plus de jeunes filles suivaient l'exemple de Catherine de Sienne ce qui conduit R. Bell a parler d' « un exemple désormais classique d'expression religieuse féminine »68(*). Face à cet engouement, les hommes d'Eglise furent de plus en plus suspicieux et mirent en oeuvre des réformes afin de limiter ce type de comportement, l'une des raisons du déclin de l'anorexie sainte dont l'apogée est datée aux environs de 1500.

c) Le déclin de l'anorexie sainte

A travers l'anorexie sainte, la femme était valorisée : par sa volonté, elle s'unissait, se dévouait à Dieu endurant toutes les souffrances qu'il lui enjoignait de subir. Avec la Réforme, l'hypothèse d'une possession démoniaque resurgit ; les femmes anorexiques sont alors considérées comme folles, possédées ou hérétiques. Le nombre de comportements anorexiques baisse et les cas d'anorexie sainte rapportés deviennent rares.

Le refus des autorités religieuses de reconnaître le comportement de ces femmes comme de l'anorexie sainte, c'est-à-dire comme un moyen d'accéder à la sainteté, ouvre une brèche. Si Dieu n'est plus une explication plausible, le diable ne peut pas non plus être invoqué pour justifier des conduites de toutes ces femmes, relativement nombreuses. C'est la maladie qui va être avancée comme facteur explicatif mais, cela ne signifie pas pour autant que le comportement de ces femmes sorte du champ religieux. Cependant, ce recours à la maladie annonce en quelque sorte ce qui se jouera au XIXème siècle : l'entrée de l'anorexie dans le champ médical. A partir du XVIIème siècle, le chemin vers la sainteté est progressivement modifié : « les femmes attirées par des carrières de sainte ne furent plus intéressées par les mortifications et elles se tournèrent vers la charité, l'enseignement et les soins incessants, afin de pouvoir s'exprimer »69(*). La sainteté n'a progressivement plus aucun rapport avec l'anorexie qui glisse lentement d'un statut religieux vers un statut médical. Il faudra deux siècles pour que ce changement soit définitif.

3. Les points communs avec une jeune fille anorexique aujourd'hui

R. Bell met en évidence les points communs entre le comportement de Catherine de Sienne et celui des anorexiques d'aujourd'hui. Catherine commence par restreindre son alimentation de façon délibérée. Nous avons mentionné les difficultés qu'elle éprouvait à surmonter sa faim, ce n'est que dans un second temps qu'elle ne parvint plus à manger. Le même phénomène s'observe chez les anorexiques aujourd'hui qui prétextent qu'elles ne mangent pas parce qu'elles ne peuvent pas manger. En réalité, l'impossibilité d'ingérer toute nourriture est l'une des conséquences de la restriction alimentaire. Nous n'avons pas trouvé d'indications précises concernant l'amaigrissement de Catherine, excepté qu'elle perdit rapidement la moitié de son poids initial, ce qui correspond au critère médical en vigueur aujourd'hui pour diagnostiquer une anorexie. Parallèlement à la restriction alimentaire, Catherine instaura une hygiène de vie particulière comme le font les anorexiques aujourd'hui (cf. infra partie 2, III. A). Par exemple, Catherine était hyperactive et R. Bell raconte que « dès que se présentait une occasion d'honorer Dieu ou d'accomplir un acte charitable, elle redevenait vigoureuse sans l'aide de la médecine, surpassait en énergie ses compagnes sans jamais se fatiguer ; bref, elle devenait hyperactive »70(*). De même, les jeunes anorexiques se caractérisent par leur hyperactivité alors qu'elles sont physiquement épuisées. Catherine dormait peu comme nous l'avons souligné ce qui est aussi parfois une caractéristique des anorexiques modernes qui nient leur corps en lui imposant des restrictions.

L'autre point commun entre Catherine de Sienne et les anorexiques modernes est incontestablement la volonté avec laquelle elles s'imposent des restrictions alimentaires, même si la plupart du temps elles affirment le contraire. En effet, la restriction alimentaire résulte toujours et d'abord d'une décision consciente ; ce n'est que par la suite que l'anorexique perd le contrôle de son comportement, que les complications physiologiques lui rendent impossible toute ingestion de nourriture. Cette implacable volonté rencontre à un moment ou à un autre l'opposition de l'entourage. Dans le cas de Catherine, cette opposition est multiple puisqu'elle est confrontée à sa famille mais aussi aux autorités ecclésiastiques. Le récit de sa vie nous montre qu'elle a résisté jusqu'au bout puisqu'elle est morte de ses privations. Aujourd'hui, les anorexiques doivent « affronter » leurs parents et le corps médical, celui-ci ayant remplacé l'autorité de l'Eglise. Catherine était accusée par ses détracteurs « d'être une simulatrice, une égoïste, une impie et une sorcière »71(*). De même, les anorexiques sont souvent considérées comme des manipulatrices et des menteuses. Ainsi, nous voyons que le comportement ascétique des jeunes femmes au Moyen Âge est en beaucoup de points semblable au comportement anorexique des jeunes filles d'aujourd'hui et que quelle que soit l'époque il suscite des réactions. Cependant, il ne faut pas oublier que la motivation qui sous-tend le comportement anorexique des jeunes femmes au Moyen Âge n'a rien en commun avec celle des anorexiques aujourd'hui. En effet, alors que l'anorexique sainte veut s'unir à Dieu, l'adolescente anorexique est en quête de sa propre identité72(*).

Cette première partie nous a permis de souligner différents éléments essentiels à la compréhension de l'anorexie : les comportements « anorexiques » existent bien depuis le Moyen Âge comme nous l'ont révélé les différents écrits que nous avons mentionnés. Cependant, nous avons noté une évolution quant aux « symptômes ». Dans les premiers cas, la restriction alimentaire n'est qu'un trouble parmi d'autres. Il faut attendre la description de R. Morton au XVIIème siècle pour que l' « anorexie » soit le symptôme majeur. En outre, il met le doigt sur certains aspects de la « maladie » que nous retrouverons dans les écrits de C. Lasègue et W. Gull au XIXème siècle.

D'autre part, la prédominance de la religion explique les « méthodes thérapeutiques » utilisées au cours du Moyen Âge pour tenter de guérir les jeunes filles « anorexiques ». Dans un tel contexte, il n'était pas envisageable d'avoir recours à d'autres solutions. L'exemple de l'anorexie sainte nous a permis de mettre en évidence le poids du contexte socioculturel dans la perception de la « maladie » : à partir de Catherine de Sienne, les comportements ascétiques sont devenus un chemin vers la sainteté qui a perduré jusqu'à ce que les autorités religieuses mettent en oeuvre des réformes.

Enfin, l'étude du contexte artistique de cette période nous a permis de voir qu'il n'y avait pas de causalité entre représentation du corps et comportement « anorexique » puisqu'au XVIIème siècle par exemple, des jeunes filles restreignent leur alimentation alors même que c'est l'embonpoint qui est valorisé. Cette remarque nous permet de nuancer l'argument souvent invoqué aujourd'hui à savoir : le contexte socioculturel est l'un des facteurs déclencheurs de l'anorexie.

A deux reprises nous avons souligné que le XVIIème siècle constituait une rupture ou plutôt annonçait ce qui allait se jouer au XIXème siècle, nous allons donc maintenant aborder cette période au cours de laquelle l'anorexie est devenue une pathologie.

II. Le XIXème siècle : quand l'anorexie devient une entité clinique

Le XIXème siècle est considéré comme le siècle de la naissance de l'anorexie qui entre dans le champ de la médecine et sort ainsi totalement de la sphère religieuse. Elle devient une entité clinique distincte, les récits de cas d'anorexie disparaissent donc de la littérature religieuse pour investir la littérature médicale. Avant de présenter les premières descriptions cliniques de l'anorexie, nous replacerons cette « naissance » de l'anorexie dans le contexte artistique et médical de l'époque afin de mieux comprendre pourquoi l'anorexie en tant que pathologie est née au XIXème siècle.

A. Le contexte artistique et médical de l'apparition de l'anorexie

Afin de comprendre pourquoi les comportements « anorexiques » ont suscité l'attention de la sphère médicale au XIXème siècle, il nous faut dire quelques mots du contexte médical de l'époque. Cela nous permettra également de comprendre pourquoi l'anorexie a d'abord été qualifiée d' « hystérique » avant de devenir « mentale ». Enfin, toujours dans l'optique de mettre à jour les liens éventuels de cette maladie avec la représentation du corps de la femme, nous évoquerons rapidement les grands courants artistiques qui ont marqué le XIXème siècle.

1. L'essor de la médecine comme science

a) Les grandes découvertes

Le XIXème siècle est le siècle de l'entrée de l'anorexie dans le champ médical. Ce passage du religieux au médical ne peut se comprendre sans un bref rappel du contexte scientifique de l'époque. Le XIXème siècle est considéré comme un tournant dans beaucoup de domaines : progrès scientifiques, essor économique et industriel de la France... La dynamique de connaissances engendrée par les humanistes se poursuit : la connaissance de l'homme avance notamment grâce aux progrès techniques qui mettent à disposition des savants et des scientifiques des instruments plus adaptés à une connaissance en profondeur. La médecine est un des domaines qui bénéficie le plus de ce progrès technique grâce auquel de grandes découvertes ont été faites comme l'anesthésie générale, la radiologie, l'invention du stéthoscope... Ces innovations permettent aux médecins de mieux diagnostiquer les maladies et de trouver des traitements plus adaptés. Les avancées dans la connaissance des pathologies ainsi que l'esprit classificatoire de l'époque vont permettre la naissance de différentes disciplines médicales. Ainsi, « la tendance initiale dominante a été d'imaginer, de mettre en oeuvre, puis de développer des moyens objectifs d'examen et d'en confronter les résultats avec les constatations anatomiques correspondantes pour définir et classer les différentes maladies ». Parmi les disciplines nées au XIXème siècle nous pouvons citer : la neurologie, l'endocrinologie, la rhumatologie, la microbiologie....

Ces progrès médicaux s'accompagnent du développement d'une littérature scientifique spécialisée (journaux, magazines...) dans laquelle les médecins font part de leurs découvertes et de leurs avancées. Cette presse spécialisée a une audience réduite du fait de sa spécificité mais un rayonnement international : les articles français sont traduits en Angleterre notamment. Ainsi, les progrès médicaux, les hypothèses étiologiques (car bon nombre de maladies étaient encore inconnues) et les conseils thérapeutiques sont le fruit d'une collaboration internationale. Nous verrons plus loin le rôle qu'a joué la presse médicale dans le diagnostic de l'anorexie comme pathologie.

b) Le siècle des maladies mentales

Si de nombreuses disciplines naissent au XIXème siècle, c'est celle des maladies mentales qui domine largement, d'où l'appellation siècle des névroses pour désigner le XIXème siècle. Les névroses sont des « affections caractérisées par des conflits qui inhibent les conduites sociales et qui s'accompagnent d'une conscience pénible des troubles » et « suivant la prédominance de tel ou tel symptôme, on distingue l'hystérie, l'hystérie (ou névrose) d'angoisse, la névrose obsessionnelle et la névrose phobique »73(*). L'hystérie est la névrose qui a retenu le plus l'attention des médecins à cette époque. Elle se définit comme une « névrose caractérisée par la traduction dans le langage du corps des conflits psychiques (manifestation de conversion) et par un type particulier de personnalité marquée par le théâtralisme, la dépendance et la manipulation de l'entourage »74(*). Cette pathologie n'est pas spécifique au XIXème siècle puisqu'elle existait déjà dans l'Antiquité. Hippocrate l'avait alors décrite comme la maladie propre aux femmes privées de relations sexuelles. Au Moyen Âge, les hystériques sont considérées comme possédées par le Diable. L'augmentation du nombre de femmes affectées par cette maladie et son caractère particulièrement démonstratif explique l'intérêt que les médecins lui portent au XIXème siècle.

Cette maladie les laisse quelque peu perplexe car si toutes les patientes sont des jeunes femmes, les symptômes qu'elles présentent sont tellement différents qu'il est impossible de classer cette pathologie. Charles Lasègue et Pierre Briquet sont les premiers à s'intéresser à l'hystérie, même si aujourd'hui c'est plutôt le nom de Jean-Martin Charcot qui y est associé. C. Lasègue fait entrer cette pathologie dans le champ des maladies mentales et pense de cette maladie qu'elle est indéfinissable tant la variété des symptômes est étendue, et l'évolution imprévisible. P. Briquet ira plus loin en lui attribuant une origine nerveuse. En 1870, J.-M. Charcot se penche à son tour sur cette maladie et la classe dans les affections du système nerveux. Cependant, malgré cet effort classificatoire, l'hystérie reste entourée d'un profond mystère et J.-M. Charcot dira lui-même à la fin de sa vie que « la notion d'hystérie telle que la concevait la Salpêtrière était caduque et devait être révisée »75(*). Les dernières leçons de J.-M. Charcot laissent penser qu'il s'est tourné vers une hypothèse psychologique. La compréhension de l'hystérie ne s'arrête pas à la mort de J.-M. Charcot : Sigmund Freud et Pierre Janet prennent le relais et explorent d'autres hypothèses étiologiques. S. Freud montre que l'hystérie naît d'une confrontation entre des souvenirs refoulés et la réalité. Nous n'entrerons pas plus dans le détail de cette maladie qui ne concerne qu'indirectement notre sujet. Le mystère de cette maladie, le nombre de femmes affectées, la variété des symptômes permet de comprendre pourquoi l'hystérie a concentré toutes les attentions au XIXème siècle. Elle va occuper le devant de la scène éclipsant les autres maladies ou les intégrant dans son champ. En effet, l'étendue des symptômes était telle que toutes les manifestations somatiques et psychiques avaient tendance à être interprétée comme un symptôme hystérique, ce qui explique pourquoi l'anorexie a été qualifiée d'anorexie hystérique pendant plusieurs années.

Ce rappel historique du contexte médical au XIXème siècle nous permet de mettre trois choses en évidence : d'une part, la qualification de l'anorexie comme entité clinique ne pouvait se faire avant le XIXème siècle puisqu'elle nécessitait des connaissances étiologiques qui n'existaient pas encore. Ensuite, c'est au XIXème siècle que la femme et son corps deviennent l'objet de préoccupation médicale alors qu'au Moyen Âge, le corps, assimilé à la tentation et au péché, ne justifiait aucune attention. Enfin, l'importance accordée à l'hystérie permet de comprendre pourquoi il faut attendre le XXème siècle pour que l'anorexie devienne une identité clinique distincte.

2. Les représentations du corps féminin dans l'art

a) Les principaux courants du XIXème siècle

Au XIXème siècle, l'assimilation de la femme au péché et à la tentation est définitivement abandonnée, désormais c'est la beauté, la séduction (dans une acception positive) et l'amour que symbolise la femme. Le XIXème siècle est l'un des siècles au cours duquel la peinture a été la plus variée. Jacques Thuillier distingue trois courants principaux qui ont marqué la scène artistique. Le premier est sans doute le courant dominant, il s'agit de la peinture d'histoire dont Jacques Louis David, Théodore Géricault et Eugène Delacroix sont les principaux représentants. Les scènes de guerre, les événements historiques constituent les sujets phares de ces peintres qui s'inspirent aussi de la mythologie. La représentation de la femme n'est pas au coeur de leur travail. A côté de ce courant principal, J. Thuillier distingue la peinture symbolique, un mouvement plus diffus. Ces représentants sont à la recherche de la simplicité et peignent parfois des tableaux en lien avec le religieux. C'est dans ce courant qu'il classe Jean-Auguste Dominique Ingres, que d'autres considèrent comme un néoclassique. Le troisième courant correspond « à l'étude passionnée de la nature au sens large »76(*) et inclut le réalisme et l'impressionnisme. Si les paysages constituent le thème principal de ces artistes, ils s'attachent aussi à représenter le quotidien de façon la plus réaliste et la plus minutieuse possible. L'Ecole de Barbizon, Jean-François Millet (814-1875), Gustave Courbet (1819-1877), Claude Monet (1840-1926), Auguste Renoir (1841-1919) pour n'en citer que quelques uns, appartiennent à cette tendance artistique. Les sujets de leur peinture sont souvent des paysages dans lesquels ils s'efforcent de capter la lumière et ses changements. Cependant, la femme n'est pas un thème tabou et plusieurs artistes vont s'intéresser au nu toujours avec le souci de mettre l'accent sur la lumière.

La femme n'est pas un thème particulièrement privilégié par la peinture du XIXème siècle cependant, les artistes poursuivent la tendance inaugurée aux siècles précédents puisqu'ils ne se refusent pas à peindre la femme nue.

b) La femme dans les tableaux de Jean-Auguste Dominique Ingres

Nous avons choisi de nous attarder sur quelques tableaux de Jean-Auguste Dominique Ingres afin de comprendre comment la femme était représentée dans la peinture du XIXème siècle, car c'est l'un des artistes qui s'est le plus intéressé au corps de la femme. De nombreux tableaux pourraient être cités en exemple cependant, nous n'en retiendrons que quelques uns pour illustrer la représentation de la femme.

Les tableaux de Jean-Auguste Dominique Ingres (1780-1867) comme La Grande Odalisque (1814), Le Bain turc (1862) ou encore Vénus Anadyomène (1808-1848) sont particulièrement représentatifs de la vision néo-classique de la femme et illustrent la recherche d'un idéal de perfection (cf. Annexes n°4, n°5 et n°6). La Vénus Anadyomène77(*) symbolise la pureté et la beauté idéale, valeurs de l'art néo-classiques. La beauté nous est d'abord suggérée par le corps de la femme, mais elle est aussi symbolisée par le miroir que tient le petit ange à gauche78(*) et l'arc du petit ange à droite dont les flèches « sont une allusion à la beauté qui frappe le coeur des amoureux »79(*). Dans Le Bain turc, le corps des femmes est représentée d'une façon identique et symbolise la perfection. Enfin, dans La Grande Odalisque, nous pouvons voir que le peintre accorde une place très importante à la couleur mais au-delà de la technique picturale c'est encore la perfection que symbolisent le visage et le corps de la femme. Nous pouvons remarquer qu'il n'y a pas de profondeur dans l'expression des sujets, que les modèles n'ont pas de personnalité propre car ce qu'Ingres recherche ce n'est pas la représentation d'un caractère, d'une personnalité mais la représentation d'un corps féminin idéal. Le peintre n'a pas seulement peint la femme nue, il s'est aussi consacré au portrait80(*). Toutefois, que la femme incarne une déesse ou une personne de la haute société, elle possède un corps parfait et bien en chair. Ingres poursuit bel et bien la tendance inaugurée par les peintres du XVIIIème siècle car ses « nus féminins [...] représentent l'aboutissement de ses recherches formelles, qui cherchent à exprimer la pure beauté idéale 81(*)».

L'analyse de ces quelques tableaux nous révèlent que la peinture du XIXème siècle véhicule elle aussi une représentation de la femme considérée comme idéale. Pour les peintres, mais également pour la société, la femme doit avoir des formes arrondies, ce que Balzac confirme dans sa Théorie de la démarche en écrivant « la grâce veut les formes rondes »82(*). Ces quelques lignes consacrées à la représentation de la femme sont essentielles pour comprendre l'influence que peut jouer le contexte socioculturel dans le déclenchement de l'anorexie qui va être considérée comme une entité clinique au XIXème siècle, une période où la minceur est loin d'être valorisée. Il faut attendre la fin du XIXème pour que naisse le mouvement du culte de la minceur dans les couches les plus aisées de la population. Le corps devient alors un objet de mesure comme l'illustre cette citation : « côté mode l'obsession du tour de taille devient affaire de centimètres : les firmes des corsets pour vanter des bustiers qui garrottent encore plus impitoyablement la femme, arguent non sans toupet des proportions de la statuaire grecque »83(*).

Le XIXème siècle est celui de l'essor de la médecine qui devient une science à part entière. L'hystérie et plus généralement les maladies mentales sont le centre de toutes les attentions ce qui va nous permettre de comprendre pourquoi l'anorexie est qualifiée au début d' « hystérique ». En ce qui concerne les normes corporelles, nous venons de montrer que le culte de la minceur n'est pas encore à l'ordre du jour, soulignant là encore que les comportements anorexiques ne semblent pas liés aux représentations qui circulent à une époque donnée. Après avoir présenté ce contexte médical et artistique du XIXème siècle, attachons nous à ce qui constitue le coeur de notre sujet, à savoir la naissance de l'anorexie en tant que pathologie.

B. Les pères « fondateurs » de l'anorexie

Deux médecins sont généralement considérés comme les pères « fondateurs » de l'anorexie car ce sont les premiers à avoir écrit une description clinique très minutieuse de la maladie. Ils évoquent ses origines éventuelles, ses symptômes et tentent de trouver un traitement. Avant d'aborder plus en détail ces deux descriptions, il est important de préciser que cette pathologie a été mentionnée pour la première fois en 1859 par Louis Victor Marce, un docteur français surnommé par Silverman « l'oublié de l'anorexie »84(*). En effet, le 31 octobre 1859, ce médecin lit une communication intitulée Note sur une forme de délire hypocondriaque consécutive aux dyspepsies et caractérisée principalement par le refus d'aliments, devant la Société Médico-psychologique. Il y décrit l'anorexie en se basant sur ses propres observations. La même année, aux Etats-Unis, William Stout Chipley, un médecin chef de l'asile de Kentucky, écrit un article sur la sitomania, définie comme une crainte intense de manger et qui serait un symptôme secondaire des maladies mentales. Ces deux publications sont considérées par Henry Edouard Janas comme la « préhistoire de l'anorexie mentale » et « vont inaugurer l'ère pendant laquelle ce nouveau phénomène médical recevra une labellisation diagnostique formelle »85(*). Ainsi, il date la naissance de l'anorexie en 1859, année où ce phénomène nouveau commence à interpeller le champ médical. Cependant, nous nous intéresserons uniquement aux descriptions de C. Lasègue et W. Gull qui sont considérés comme les pères fondateurs de l'anorexie et qui vont ouvrir la voie à deux courants thérapeutiques distincts.

1. Charles Lasègue : fondateur d'une conception psychique de l'anorexie

a) Quelques éléments biographiques

Avant d'aborder la description que fait C. Lasègue de l'anorexie, il est intéressant d'évoquer quelques éléments biographiques qui éclairent son approche de la maladie. La carrière de C. Lasègue est « représentative de la grande tradition psychiatrique française du XIXème siècle »86(*). Cette carrière peut être divisée en trois moments : la première période se caractérise par son intérêt pour la psychologie : il écrit les Annales médico-psychologiques ainsi que des articles sur la thérapeutique mentale. La deuxième partie de sa carrière est plutôt tournée vers la psychiatrie. Il occupe successivement les postes d'inspecteur général adjoint des Maisons d'Aliénés, de médecin du dépôt spécial de la préfecture de police et d'expert médico-légal. Ce dernier poste est relativement important car la mission de C. Lasègue consistait à « déterminer le début des désordres mentaux et la fin de la responsabilité »87(*). Il apprend ainsi à observer les patients de façon très précise, précision qui se retrouve dans sa description de l'anorexie. Il faut noter qu'à cette époque, la fonction d'un psychiatre différait de celle que nous lui connaissons aujourd'hui. Au XIXème siècle, le psychiatre n'a pas pour fonction de soigner mais de « fournir un certificat légitimant la mesure d'internement »88(*) et de ce fait « d'observer les aliénés, de décrire et de classer leurs symptômes afin de les regrouper et de constituer une entité nosologique »89(*). La troisième période de sa carrière s'ouvre avec sa nomination comme professeur de pathologie générale en 1867. En 1869, il est nommé à la chaire de clinique médicale à la Pitié qu'il occupe jusqu'à sa mort en 1883. Pour couronner sa carrière, il est élu à l'Académie de Médecine en 1876.

Ses expériences dans le domaine psychologique, psychiatrique et somatique permettent de comprendre la richesse de sa description de l'anorexie qu'il écrit en 1873. En outre, pendant trente ans, il occupe le poste de rédacteur en chef de la prestigieuse revue Archives générales de Médecine dans laquelle il publie la plus grande partie de ses travaux. Une « tribune » qui lui permet de « servir ses idées et [de] modeler l'opinion »90(*).

b) Une description de l'anorexie en trois phases

C. Lasègue jette les bases de l'anorexie dans une monographie publiée en avril 1873 : De l'anorexie hystérique dans les Archives générales de Médecine. Son objectif initial est de comprendre le fonctionnement de l'hystérie. Il adopte une méthode réductionniste c'est-à-dire qu'il divise cette affection en plusieurs parties afin de les étudier successivement, l'anorexie constituant l'une de ces parties (d'où l'appellation anorexie hystérique). Il explique que son « sentiment est qu'on ne parviendra pas à constituer l'histoire des affections hystériques qu'en étudiant isolément chacun des groupes symptomatiques. Après ce travail préalable d'analyse, on réunira les fragments et on recomposera le tout de la maladie. Envisagée dans son ensemble, l'hystérie a trop de phénomènes individuels, d'incidents hasardeux, pour qu'on arrive à en saisir le particulier dans le général »91(*). Cette citation illustre la place qu'occupait l'hystérie à cette époque comme nous l'avons évoqué précédemment. La démonstration de C. Lasègue s'appuie sur l'observation de huit cas concrets et lui permet de fournir une description relativement détaillée. Il distingue trois phases dans l'évolution de la maladie. Il parle de l'anorexie hystérique comme d'une double perversion (perversion du système nerveux central et perversion du sens moral) qui se retrouve aux différents stades de la maladie.

Au début, les patientes refusent de s'alimenter prétextant des douleurs gastriques. Voici la description que fait C. Lasègue de ce premier stade de la maladie :

« L'hystérique, après quelques indécisions de courte durée, n'hésite pas à affirmer que la seule chance de soulagement qui lui soit acquise consiste dans l'abstention des aliments [...]. La répugnance à s'alimenter suit sa marche lentement progressive [...]. Les choses se prolongent ainsi pendant des semaines et des mois, sans que la santé générale paraisse défavorablement influencée, la langue est nette et fraîche, la soif nulle. La constipation persévérante cède à de légers laxatifs, le ventre ne se rétracte pas, le sommeil reste plus ou moins régulier. Il n' y pas d'amaigrissement quoique la nourriture représente à peine le dixième du régime accoutumé de la malade [...]. Un autre fait également acquis, c'est que loin d'abattre les forces musculaires, la diminution de la nourriture tend à accroître l'aptitude au mouvement. La malade continue à se sentir plus active, plus légère, elle monte à cheval, elle entreprend de longues courses à pied, elle reçoit et rend des visites, et mène au besoin une vie mondaine fatigante, sans accuser les lassitudes dont elle se serait plainte autrefois »92(*).

Cette description appelle plusieurs remarques. La jeune fille est qualifiée d' « hystérique », ce qui montre que l'anorexie est bel et bien pensée comme une forme d'hystérie ; puis de « malade » ce qui signifie qu'elle est affectée par un trouble qu'il faut comprendre puis traiter. L' « anorexie » n'appartient plus au champ de la religion, la jeune fille passe des mains des ecclésiastiques à celles de médecins. D'autre part, les symptômes énumérés tels que le refus de s'alimenter, la restriction alimentaire ou encore l'hyperactivité (même si elle n'est pas mentionnée explicitement c'est bien cela que C. Lasègue décrit) se retrouvent à l'identique chez les jeunes filles anorexiques aujourd'hui.

La seconde phase de la maladie correspond au moment où il est possible de parler d'anorexie hystérique car la perversion mentale apparaît. En effet, la jeune fille poursuit sa restriction alimentaire alors que son état de santé est bon, son comportement est donc anormal. Voici ce que C. Lasègue écrit :

« Après plusieurs mois [...] va se dessiner la perversion morale, qui à elle seule est presque caractéristique et qui justifie le nom que j'ai proposé faute de mieux d'anorexie hystérique. La famille n'a à son service que deux méthodes qu'elle épuise toujours : prier ou menacer, et qui servent l'une et l'autre comme pierre de touche [...]. L'excès d'insistance appelle un excès de résistance »93(*).

Cette citation révèle que déjà à l'époque de C. Lasègue, le comportement de la jeune fille suscitait des réactions et plaçait la famille dans une situation délicate. Au cours de cette seconde phase de la maladie, C. Lasègue se focalise sur l'état mental de ses patientes, l'anorexie est donc déjà en partie constituée comme une maladie mentale même si le terme « anorexie mentale » n'apparaîtra que dix ans plus tard sous la plume de Charles Huchard. C. Lasègue justifie cet intérêt pour le mental, qui peut surprendre à une époque où les maladies étaient essentiellement expliquées par des causes organiques :

« Si j'attache à l'état mental une attention toute particulière, c'est que toute la maladie se résume à cette perversion intellectuelle : supprimez là vous avez une affection banale destinée à céder à la longue aux procédés classiques de traitement [...]. Pendant cette seconde période ainsi constituée : défaut d'appétition, crainte d'une sensation indéfinie, refus absolu et croissant de se prêter aux essais de l'alimentation, la maladie reste uniforme. L'obstination dure des mois, sinon des années [...]. A la fin, la tolérance de l'économie, si merveilleuse qu'elle soit chez les hystériques, s'épuise et la maladie entre dans le troisième stade »94(*).

Là aussi, la description du comportement de l'hystérique met en avant certaines caractéristiques que nous retrouvons aujourd'hui chez les adolescentes anorexiques comme l'obstination et la résistance au traitement. Nous comprenons également pourquoi C. Lasègue est considéré comme le père fondateur de l'anorexie : il a réussi à cerner le point central de cette maladie, « la perversion intellectuelle ». Cet état mental entraîne un dégoût pour la nourriture et une obstination sans faille.

Le troisième stade est celui où la patiente devient réellement malade. Ne disposant pas de précisions sur cette période de la maladie, nous pouvons supposer que par le terme « réellement malade » C. Lasègue faisait allusion aux conséquences engendrées par la restriction alimentaire.

Cette description de l'anorexie illustre les trois moments de la carrière de C. Lasègue : le premier stade est somatique, le second mental et le dernier allie les deux. Il est indéniable que la richesse et la justesse de cette monographie sont en partie dues à l'expérience de C. Lasègue dans les diverses spécialités de la médecine. Ce texte est une référence incontournable dans l'histoire de l'anorexie mentale même si certains critères de l'anorexie, que nous connaissons aujourd'hui, n'apparaissent pas encore (par exemple l'aménorrhée). A. Guillemot et M. Lacenaire pensent qu'« il semble que ce soit le premier à pouvoir répondre sans équivoque au terme d'anorexie mentale, même si le contexte socioculturel de l'époque incitait les malades comme les médecins, à s'orienter plutôt vers l'hystérie. Il existait donc de vraies anorexiques mentales à la fin du XIXème siècle, même si les psychiatres, faute de cadre nosologique actuel, ne les définissaient pas comme telles »95(*). En effet, à cette époque, le cadre nosologique était très limité puisque peu de maladies étaient connues. L'hystérie, dont les symptômes étaient très variés, était difficilement classable ou rattachable à une catégorie. La compréhension d'une maladie est donc intimement liée au contexte médical et culturel.

c) Le traitement thérapeutique est « occulté »

Outre une description minutieuse de la maladie, C. Lasègue évoque également l'attitude que doivent adopter les médecins. C'est pourquoi, son texte est considéré comme ayant un but didactique : « La seule conduite sage est d'observer, de se taire et de se rappeler que, quand l'inanition volontaire date de plusieurs semaines, elle est devenue un état pathologique à longue échéance »96(*). Ce conseil peut nous paraître surprenant car le rôle d'un médecin est avant tout de soigner son patient mais il reflète l'incompréhension et l'impuissance des professionnels confrontés à l'anorexie à cette époque. Cette citation nous rappelle également la mission que C. Lasègue a remplie pendant plusieurs années : observer et décrire le comportement de ses patients.

Les attitudes des anorexiques face aux thérapeutes sont décrites en ces termes : « deux directions s'ouvrent alors devant la malade : ou elle est assez détendue pour devenir obéissante sans restriction et c'est le cas le plus rare, ou elle accède à une demi docilité avec l'espérance évidente qu'elle conjurera le péril sans renoncer à ses idées et peut-être à l'intérêt qu'inspire sa maladie. Cette seconde tendance est de beaucoup la plus commune complique énormément la situation »97(*). Il est intéressant de noter que C. Lasègue insiste sur un problème auquel les médecins sont encore confrontés aujourd'hui. Il est en effet très rare que la malade accepte d'emblée le traitement qui lui est proposé. La plupart du temps, elle résiste ou fait mine de coopérer et reperd du poids à la sortie de l'hôpital. D'après nos sources, C. Lasègue ne préconise pas de traitement précis mais se contente de donner des conseils sur l'attitude à adopter face à une patiente anorexique. Peut-être l'absence d'un éventuel traitement thérapeutique est-elle due à la méconnaissance de la maladie et à l'expérience de C. Lasègue qui a surtout été habitué à diagnostiquer les pathologies mais pas à définir un traitement.

Nous pouvons faire deux remarques par rapport à la description de l'anorexie faite par C. Lasègue. Il préconise au médecin de ne pas intervenir et de ne pas user de son autorité ; une recommandation qui ne sera guère suivie par ses contemporains puisque l'isolement est rapidement préconisé comme le traitement thérapeutique privilégié de l'anorexie. Le prestige de C. Lasègue n'a donc pas eu d'influence sur le choix du traitement et chaque médecin agit selon ses convictions. Ensuite, une des spécificités de son approche de l'anorexie réside dans le rôle attribué à l'entourage dans la prise en charge de la maladie. Il utilise les termes de « milieu » ou « entourage »98(*) pour désigner les parents mais aussi les amis et les médecins. Il insiste sur l'attention que le médecin doit porter à l'entourage : pour comprendre la maladie il ne faut en aucun cas se limiter à l'étude de la pathologie et de ses symptômes mais prendre en compte l'entourage. Il justifie cette approche médicale en ces termes : « qu'on ne s'étonne pas de me voir [...] mettre toujours en parallèle l'état morbide de l'hystérique et les préoccupations de son entourage. Ces deux termes sont solidaires et on aurait une notion erronée de la maladie en bornant l'examen à la malade »99(*). A l'inverse de Charcot ou S. Freud qui conçoivent la famille comme un milieu pathogène duquel il faut retirer le patient, C. Lasègue s'intéresse à l'attitude des parents face à leur enfant malade sans porter de jugement moral. Le rôle de l'entourage, malgré les préconisations de C. Lasègue, fut lui aussi occulté par ses contemporains. Il faut attendre le milieu du XXème siècle pour que les parents soient à nouveau associés au processus de guérison et considéré comme un élément indispensable. Enfin, il considère que l'anorexie hystérique ne conduit pas à la mort, probablement parce qu'aucune de ses patientes n'y a laissé la vie, mais il reste tout de même pessimiste quant aux possibilités de guérison : « si fondées que soient les inquiétudes, je n'ai encore vu l'anorexie se terminer directement par la mort... toujours les hystériques ont guéri plus ou moins complètement après des années »100(*). Nous pouvons là encore noter une similitude entre ses propos et ceux des médecins aujourd'hui : la guérison n'est pas toujours totale et prend du temps.

Force est de constater que la description que fait C. Lasègue de l'anorexie, rejoint en plusieurs points ce que les médecins continuent de constater aujourd'hui. Nous y reviendrons plus précisément dans la seconde partie. L'absence de conseils concernant la prise en charge thérapeutique peut aisément s'expliquer : C. Lasègue est le premier médecin à diagnostiquer cette maladie, il peut donc pas trouver de cas similaires dans la littérature médicale, de médecins qui auraient déjà été confrontés à cette pathologie. Il lui revient donc d'émettre les premières hypothèses et de donner les premiers conseils qui, comme nous l'avons signalé, ne seront pas suivis. Il faut attendre quasiment un siècle pour que les préceptes de C. Lasègue soient redécouverts ce qui révèle l'évolution de la compréhension de maladie. C'est grâce à l'avancement des connaissances médicales, aux erreurs thérapeutiques et aux hypothèses émises par le corps médical qu'a pu advenir la représentation de la maladie que nous avons aujourd'hui.

2. William Gull : le fondateur d'une conception organiciste de l'anorexie

a) Une description évolutive de la maladie

Sir William Withey Gull est le premier médecin anglais à s'intéresser à l'anorexie. Il est encore peu connu lorsqu'il lit au cours d'une réunion de la Medical British Association, une communication intitulée The adress in medecine delivered before the annual meeting of B. M. A. at Oxford en 1868. Cette communication fut ensuite publiée dans le Lancet, un journal médical réputé. Contrairement à C. Lasègue qui n'a écrit qu'un ouvrage sur l'anorexie, W. Gull modifie sa première description au fil du temps et de ses expériences. Nous reviendrons sur ses trois communications successives qui reflètent le « tâtonnement » des médecins face à une pathologie encore mal connue. Dans sa première communication, en 1868, il explique que les anorexiques « refusaient de manger alors qu'elles étaient devenues très maigres »101(*). W. Gull nomme cette maladie apepsia hysterica car il pense qu'elle est due à un « défaut de sécrétion de la pepsine gastrique »102(*) (d'où le terme apepsia) et qu'elle n'affecte que des filles (d'où le qualificatif hystérique). Ce sont les seules précisions dont nous disposons.

W. Gull fait une seconde communication devant la Medical British Association en 1874 soit six ans après avoir diagnostiqué l'apepsia hysterica. Il modifie son interprétation puisqu'il abandonne l'hypothèse gastrique et insiste sur le refus alimentaire, l'amaigrissement et l'aménorrhée. Il fait part également des symptômes annexes comme la faiblesse du pouls et la constipation. Logiquement, il abandonne le terme d'apepsia hysterica au profit de celui d'anorexia nervosa. Ce terme est toujours employé en Angleterre et aux Etats-Unis pour désigner l'anorexie mentale. Il justifie ce changement ainsi : « le défaut d'appétit est, je crois, dû à un état mental morbide. Que des états mentaux puissent supprimer l'appétit est un fait établi et il sera admis que les jeunes femmes aux âges donnés sont particulièrement exposées à la perversion mentale »103(*). Cet état mental morbide serait dû à « des troubles centraux héréditaires » mais W. Gull ne fournit pas d'explication plus détaillée. Il évoque la relation de la jeune fille avec ses parents en disant que ces derniers sont « ceux qui s'occupent le plus mal d'elle »104(*). Ces citations appellent plusieurs remarques. D'une part, les symptômes annexes que W. Gull mentionne sont effectivement des conséquences de l'anorexie et sont caractéristiques d'un stade assez grave de la maladie. D'autre part, il prend aussi en compte l'aspect mental mais celui-ci reste un facteur secondaire alors que pour C. Lasègue l'apparition de la perversion mentale caractérise une étape spécifique de la maladie. C'est pourquoi nous pouvons dire que W. Gull est le fondateur de la tradition organiciste, une tradition qui attribue comme cause première à l'anorexie un trouble organique. De plus le qualificatif « héréditaires » sous-entend que l'anorexie serait une maladie génétique, il ouvre ainsi la voie à l'hypothèse d'une origine génétique de la pathologie. L'analyse des discours de presse révèlera que l'hypothèse organiciste est encore aujourd'hui défendue par des médecins anglais. Enfin, contrairement à C. Lasègue, il considère la famille comme un milieu pathogène, duquel doit être retirée la malade. C'est cette conception de la famille qui va prédominer pendant plusieurs années, y compris en France.

En 1888, il complète ses précédentes communications en publiant un article dans le Lancet (cf. Annexe n°1). Il y décrit le corps d'une de ses patientes. La description est plus précise et basée sur l'observation d'une adolescente âgée de quatorze ans. Il aborde des points qu'il n'avait pas mentionnés auparavant tels que l'hyperactivité et le traitement thérapeutique. Il ne préconise pas l'isolement mais recommande la venue d'une infirmière à domicile qu'il conseille. Enfin, il évoque la gravité de cette pathologie et l'hypothèse que cette affection pourrait être « liée à une perversion de l'ego »105(*). Cette dernière hypothèse déclenche une polémique au sein de la Medical British Association, à laquelle le comité de rédaction de la revue prend part. Lors de la publication suivante, il mentionne à l'intention des lecteurs, qu'il ne faut pas prendre en compte l'hypothèse de W. Gull sur la perversion de l'ego ; en revanche, l'hypothèse évoquée lors de sa première communication est tout à fait crédible. Le comité de rédaction du Lancet n'est pas le seul à répondre à W. Gull. Plusieurs médecins britanniques s'opposent aussi à cette idée de la perversion de l'ego comme De Berdt Hovell, James Adam, S. Mackenzie, W. S. Playfair106(*)... Le débat sur les origines de l'anorexie ne se déroule donc pas uniquement entre deux pays, deux conceptions de la médecine mais également au sein d'une même communauté. Si W. Gull n'a pas été entendu par ses contemporains, son hypothèse sera reprise plusieurs dizaines d'années plus tard par le courant psychanalytique de l'anorexie. En effet, ce qu'il nomme « perversion de l'ego » renvoie à la conception de l'anorexie comme maladie du narcissisme, une idée défendue aujourd'hui par les psychanalystes. (cf. infra partie 2, II. A)).

b) Le conflit entre W. Gull/ C. Lasègue

La question de savoir qui de C. Lasègue ou W. Gull a été le premier à décrire l'anorexie n'a pas beaucoup d'importance pour nous ici. Ce qui est intéressant dans ce conflit, est qu'il a alimenté les pages des publications scientifiques pendant un certain temps, chacun défendant l'un ou l'autre des « fondateurs » de l'anorexie. Les publications scientifiques étaient donc le support de cette bataille. Il est intéressant de préciser qu'en septembre 1873, le texte de C. Lasègue a été traduit en anglais dans une revue107(*), soit quelques semaines avant que W. Gull ne fasse part de sa seconde communication sur l'anorexie. Certains auteurs comme Henry Edouard Janas évoque la possible influence de C. Lasègue sur W. Gull. Ce dernier aurait été incité à parler d'anorexia nervosa et non plus d'apepsia hysterica. W. Gull a revendiqué la paternité de la description de l'anorexie et a répondu à C. Lasègue dans un numéro du Lancet : « le docteur Lasègue, de l'hôpital de la Piété, à Paris, a publié en avril dernier des remarques sur cet état, qu'il désigne aussi sous le terme d'anorexia hysterica. Le docteur Lasègue semble n'avoir pas connu la description de cette affection morbide faite par l'auteur de cette communication à l'époque indiquée plus haut »108(*). L'auteur de la communication étant W. Gull lui-même. Il est vrai que chronologiquement la première publication du médecin anglais paraît avant celle de C. Lasègue, une antériorité qui pourrait laisser penser que W. Gull est bien le père « fondateur » de l'anorexie. Cependant, au regard des descriptions que nous avons mentionnées, la première hypothèse de W. Gull s'est révélée être fausse tandis que la description du psychiatre français se rapprochait beaucoup plus de la réalité d'aujourd'hui. Au-delà de ce conflit de paternité, cette querelle reflète l'incertitude des médecins concernant cette nouvelle pathologie et a donné naissance à deux courants d'interprétation de l'anorexie qui existent encore aujourd'hui.

Si le terme d'anorexie apparaît pour la première fois en 1859, ce n'est qu'à partir de 1873 que cette pathologie entre définitivement dans le champ médical. Henry Edouard Janas écrit que C. Lasègue « inaugure un esprit débarrassé de croyances et lance le mouvement de description scientifique de cette affection »109(*). La religion n'est plus invoquée comme modèle de compréhension des maladies et les médecins se retrouvent face à de nouveaux champs de recherche, de nouvelles pathologies à comprendre et à soigner. Les débuts sont balbutiants comme le montre l'exemple de l'anorexie qui va faire l'objet de diverses tentatives thérapeutiques.

C. Les tentatives thérapeutiques de la fin du XIXème siècle : des tentatives pas toujours fructueuses

Les descriptions de C. Lasègue et W. Gull marquent le début d'une longue période de suppositions. Comme pour l'hystérie, l'anorexie va devenir un sujet de recherche incontournable. De nombreuses hypothèses vont être émises quant à l'origine de cette affection, entraînant tout une diversité de traitements. Peu à peu, J.-M. Charcot va imposer l'isolement comme la méthode thérapeutique adaptée et S. Freud va tenter de pratiquer l'hypnose, une technique utilisée pour soigner l'hystérie.

1. Une multitude d'hypothèses et de traitements thérapeutiques

a) De nombreux termes pour désigner une seule pathologie

Un aperçu des termes qui ont été proposés à la fin du XIXème siècle pour qualifier l'anorexie reflète l'incertitude dans laquelle se trouvait la médecine. En 1883, dans son ouvrage Traité des névrosés, C. Huchard précise que « l'anorexie est entretenue par un état mental particulier sur lequel il est important de veiller [...]. A une maladie psychique, on doit opposer un traitement psychique »110(*). C'est lui-même qui emploie pour la première fois le terme « anorexie mentale ». P. Sollier conteste cette dénomination et propose celle de sitiergie hystérique (du grec « je repousse les aliments ») dans son ouvrage Les formes pathogéniques de l'anorexie hystérique. Il fait la distinction entre l'anorexie primitive (« hystérie monosymptomatique ») et l'anorexie secondaire (qui se manifesterait dans d'autres névroses). Il est partisan de l'isolement qu'il qualifie de « ressource suprême »111(*). Toujours la même année, Deniau écrit une thèse intitulée L'hystérie gastrique et distingue l'anorexie gastrique de l'anorexie mentale. Dans le premier cas, la patiente ne maigrit pas beaucoup et n'éprouve pas de dégoût vis-à-vis de la nourriture contrairement à l'anorexie mentale qui relève d'un trouble mental et non d'un trouble digestif112(*). Outre cette distinction, il insiste sur les rituels de ces jeunes filles : « telle malade ne pouvait manger que la croûte du fromage, telle autre ne pouvait prendre ses repas que debout, en portant son assiette de meuble en meuble »113(*). Il est intéressant de noter que cette observation est toujours d'actualité, nous reviendrons sur ces rituels dans la seconde partie. Enfin, Régis propose le terme d'« anorexie cachectique de la nubilité »114(*) mettant ainsi en valeur l'influence de la puberté. Il pense que la maladie résulte de troubles ovariens. J. Babinski parle d' « anorexie des vierges » ou « parthénoanorexie »115(*). Nous pourrions citer encore bien d'autres exemples, tant les travaux sur l'anorexie ont été nombreux à cette époque. Cependant, cet aperçu suffit à rendre compte de la lutte dont faisait l'objet la qualification de l'anorexie. Derrière la dénomination, c'est la définition même de la maladie qui est en jeu et ces « batailles » entre médecins qui se répondent au travers de publications scientifiques, de travaux de recherche.

Henry Edouard Janas précise qu'à partir de 1883, « l'anorexie mentale devient largement connue et diagnostiquée comme une maladie spécifique d'origine psychique sauf en Allemagne où Rosenthal la classe parmi les névroses de l'estomac »116(*). Si l'anorexie est bien devenue mentale comme C. Huchard l'a nommée, elle reste encore une maladie mystérieuse. Cette méconnaissance se traduit par une diversité de traitements assez surprenante qui relève parfois de la simple expérimentation. Il faut attendre la seconde moitié du XXème siècle pour que le traitement psychique que préconisait C. Huchard soit reconnu comme indispensable par les médecins et fasse partie intégrante de la thérapie.

b) Quelques exemples de traitements thérapeutiques

Nous avons déjà vu à la fin du XVIIIème siècle, que les traitements auxquels avaient recours les médecins pour tenter de remédier à l'état cachectique de leurs patientes étaient très variés et souvent inefficaces. Cette diversité subsiste à la fin du XIXème siècle, d'autant plus que la médecine n'est pas encore une science complètement développée. Nous citerons quelques exemples de thérapies qui ont été utilisées pour soigner les jeunes filles anorexiques afin de mettre en relief cette diversité. En 1891, Dujardin-Beaumetz écrit un livre sur les traitements thérapeutiques et préconise pour les anorexies hystériques l' « emploi courant de l'opium sous forme de vinaigre ou de chlorhydrate de morphine »117(*) et si cela ne fonctionne pas il conseille d'utiliser du chloroforme. D'autres posologies sont données : cocaïne en solution, extrait gras de chanvre indien ou encore du condurango (extrait de lianes)... Selon lui, « le praticien doit être aussi bon cuisinier que médecin expérimenté »118(*) ce qui laisse supposer que bien des expérimentations ont dû être réalisées pour essayer de guérir les anorexiques. Si la patiente s'obstine dans son refus, il recommande le gavage ou l'électricité, c'est-à-dire « une galvanisation bipolaire du pneumogastrique droit par application d'une électrode positive en dehors de l'extrémité interne de la clavicule, l'électrode négative étant tenu dans la main du malade ». L'électrothérapie est couramment utilisée à cette époque : par exemple, J.-M. Charcot y a beaucoup recours. Cette méthode thérapeutique fait même l'objet de l'un de ses sujets de conférence en 1880. Pierre Babin explique que « selon les courants employés, l'électricité avait trois propriétés curatives : fortifier les tissus, en stimuler la nutrition cellulaire, avoir une action sédative. L'emploi de l'électrothérapie dans les affections « nerveuses » étaient lié à une conception organique des troubles de la pensée et des émotions : il ne pouvait s'agir que de mauvaises conductions à travers les voies nerveuses »119(*).

D'autres méthodes sont utilisées comme l'hydrothérapie qui consiste en une douche à pression d'air, c'est donc d'un traitement à base d'eau. Tout comme l'électrothérapie, les formules sont variées et les médecins n'ont que l'embarras du choix : bains prolongés, douches à pression variable, verticales, en spirale, en jet...120(*). L'hôpital de la Salpêtrière où exerçait J.-M. Charcot disposait de ce type de dispositif ce qui laisse imaginer l'importance que ce traitement avait à l'époque. H.-E. Janas évoque une série d'auteurs qui ont décrit dans leurs ouvrages les techniques employées pour guérir l'anorexie. Par exemple, Bouchard propose « la méthode du tubage gastrique comme thérapeutique à base de toute affection alimentaire quelle qu'elle soit »121(*). Un traitement que nous pouvons apparenter à la sonde gastrique utilisée aujourd'hui dans les cas d'anorexie les plus graves. Enfin, en 1896, S. Dubois guérit une patiente anorexique en lui faisant des injections hypodermiques de morphine, et il recommande donc ce traitement dans un article Traitement de l'anorexie hystérique par les injections hypodermiques de morphine122(*). Bien d'autres traitements ont été proposés mais cet aperçu suffit à comprendre l' « expérimentation » dont faisait l'objet les anorexiques.

La majorité des traitements sont utilisés comme des médicaments : les médecins attendent un effet mécanique suite à la prise de la posologie (par exemple dans le cas de l'opium ou de la morphine). L'anorexie est encore largement perçue comme une pathologie de type organique : la patiente a des symptômes qui révèlent un trouble fonctionnel ou une lésion. Il suffit donc de trouver le traitement adapté pour guérir ce trouble. Les médecins ne pensent pas encore, ou très peu, à l'aspect psychologique de la maladie malgré les écrits de C. Lasègue. C'est principalement J.-M. Charcot qui va prendre en compte l'aspect mental et proposer une thérapeutique psychique : l'isolement thérapeutique.

2. Jean-Martin Charcot, l'initiateur de l'isolement

J.-M. Charcot est considéré comme le père de l'isolement en tant que méthode thérapeutique dans l'anorexie hystérique. H. E. Janas en donne la définition suivante : l'isolement est un « élément passif mais fondamental qui retire l'aliéné d'un milieu qui a causé et entretient son trouble »123(*). Au début de sa carrière J.-M. Charcot s'intéresse essentiellement aux maladies neurologiques puis se consacre à la neuropsychiatrie et à l'hystérie. Il est donc amené à soigner des patientes anorexiques puisque que cette pathologie est considérée comme une forme d'hystérie. En effet, « même si le qualificatif d'anorexie hystérique a disparu sous l'impulsion de C. Huchard, le modèle de compréhension reste l'hystérie »124(*). Si le nom de J.-M. Charcot est souvent associé à l'hystérie, il n'en demeure pas moins qu'il s'est intéressé de très près à l'anorexie dont il se sert pour illustrer ses leçons sur les maladies mentales au cours desquelles il effectue un tableau clinique de l'anorexique puis se penche sur l'isolement comme méthode de soins chez les anorexiques.

a) Un tableau clinique de l'anorexie

Afin de décrire l'anorexie et d'établir un diagnostic, J.-M. Charcot se base, comme la plupart de ses prédécesseurs, sur le cas d'une patiente qu'il a soignée. Voici la description qu'il en fait :

« Il s'agissait d'une jeune fille d'Angoulême, de treize ou quatorze ans qui avait considérablement grandi depuis cinq ou six mois et qui, depuis ce moment, refusait systématiquement toute nourriture, bien qu'il n'existât chez elle aucun trouble de déglutition, aucun désordre gastrique. C'était là un de ces cas qui confinent à l'hystérie, mais qui ne lui appartiennent pas en propre, et qui ont été si admirablement décrits par C. Lasègue en France et W. Gull en Angleterre, sous le nom d'anorexie nerveuse ou d'anorexie hystérique »125(*).

Nous remarquons l'influence de C. Lasègue quand J.-M. Charcot évoque l'absence de trouble gastrique. C'est aujourd'hui encore le premier point auquel s'intéressent les médecins : il faut éliminer toute possibilité de trouble organique avant de diagnostiquer l'anorexie, Le cas présenté ici est celui d'une adolescente qui devient anorexique au moment de la puberté. En utilisant le terme « confinent », J.-M. Charcot semble conscient que le lien entre anorexie et hystérie n'est pas si évident que cela. Toutes les hystériques n'étant pas anorexiques, l'anorexie ne serait peut-être pas un symptôme de l'hystérie mais une maladie à part entière. J.-M. Charcot introduit une nouveauté dans le tableau clinique de l'anorexie qui n'apparaît pas dans cette description. Il est le premier à évoquer la phobie du poids, qui sera ensuite reprise par Janet et « constitue un élément central de la compréhension de la psychopathologie de l'anorexie »126(*). Effectivement, la peur de grossir est constante chez l'anorexique et est considérée comme l'un des critères de diagnostic de la maladie (cf. infra partie 2, I. A) 1)). Enfin, contrairement à C. Lasègue, il considère que l'anorexie peut être mortelle et écrit que « la terminaison fatale est là menaçante, et je connais pour ma part au moins quatre cas où elle est survenue »127(*).

b) L'isolement dans un établissement hydrothérapique

Sollicité par les parents de la jeune fille, J.-M. Charcot leur conseille de placer l'adolescente dans un établissement hydrothérapique à Paris pour qu'elle guérisse. Comme nous l'avons mentionné, le traitement à base d'eau était relativement courant à cette époque. Les anorexiques n'étaient pas placées dans des asiles mais dans des établissements spécialisés dans l'hydrothérapie et tenus par des religieuses. J.-M. Charcot décrit le traitement qui y était administré aux anorexiques hystériques :

« Les malades sont placés sous la direction de personnes compétentes et expérimentées : ce sont habituellement des religieuses devenues par une longue pratique généralement très expertes dans le maniement de ce genre de malades. Une main bienveillante mais ferme, beaucoup de calme et de patience sont ici les conditions indispensables. Les parents sont systématiquement éloignés jusqu'au jour où, une notable amélioration s'étant montrée, on permet aux malades, à titre de récompense, de les voir, d'abord à intervalles éloignés, puis de plus en plus rapprochés, à mesure que la guérison s'accentue. Le temps et l'hydrothérapie, sans compter la médication intérieure, font le reste »128(*).

La façon dont doivent se comporter les religieuses n'est pas sans rappeler les conseils de C. Lasègue : patience et calme. Cependant, J.-M. Charcot semble plus entreprenant dans le traitement : la main bienveillante mais ferme laisse penser que les religieuses usaient de leur autorité pour se faire obéir. Nous pouvons relever un point commun avec les descriptions précédentes mais également un aspect novateur. Comme W. Gull, J.-M. Charcot délègue le soin de guérir les patientes à une tierce personne, à la différence près que W. Gull s'adressait à des nurses et J.-M. Charcot à des religieuses. Leur présence dans un hôpital est fréquente à l'époque. Cependant, J.-M. Charcot se distingue des traitements qui avaient été conseillés auparavant en introduisant l'hydrothérapie (les textes ne disent pas si ce mode de traitement était efficace pour les anorexiques hystériques) et l'éloignement parental : l'isolement est constitué et sera pratiqué jusque dans les années soixante-dix. Nous pouvons noter que déjà J.-M. Charcot pratique le procédé de la « récompense » à la base de ce mode de thérapie.

Le traitement échoue car l'état de la jeune fille empire mais J.-M. Charcot apprend que ses parents n'ont pas respecté la règle de l'éloignement et se sont installés près de l'établissement où était soignée leur fille. Persuadé que le mal réside dans la présence des parents, J.-M. Charcot les prient de s'éloigner au plus vite ou au moins de faire en sorte que leur fille ne les sache pas si près. Effectivement, peu de temps après ce nouvel éloignement, la jeune malade guérit car « l'isolement était constitué : ses résultats furent rapides et merveilleux [...]. On fit alors intervenir l'hydrothérapie et, après deux mois [...] elle pouvait être considérée comme presque complètement guérie »129(*). L'isolement ne consiste donc pas simplement à être séparé de sa famille, à n'avoir aucun contact avec elle. Il doit aussi s'accompagner d'un éloignement effectif des parents. Cette séparation physique ne doit pas laisser penser que le traitement thérapeutique de l'anorexie hystérique est un traitement uniquement physique. J.-M. Charcot a beaucoup insisté sur le facteur psychique induit par l'isolement qui est en réalité le facteur le plus important. Ainsi, au cours d'une leçon consacrée à cette « nouvelle » thérapie, il tient les propos suivants :

« Je ne saurais trop insister devant vous sur l'importance capitale que j'attache à l'isolement dans le traitement de l'hystérie, où, sans contestation possible, l'élément psychique joue dans la plupart des cas un rôle considérable quand il n'est pas prédominant. Il y a près de quinze ans que je suis fermement attaché à cette doctrine, et, tout ce que j'ai vu depuis quinze ans, tout ce que je vois journellement, ne fait que me confirmer de plus en plus dans mon opinion. Oui, il faut séparer les enfants, les adultes, de leur père et de leur mère dont l'influence, l'expérience le démontre, est particulièrement pernicieuse. L'expérience, je le répète, le démontre absolument, bien que la raison n'en soit pas toujours facile à donner, surtout aux mères qui ne veulent rien entendre et ne cèdent en général qu'à la dernière extrémité »130(*).

Quand J.-M. Charcot explique que l'isolement est positif parce qu'il introduit un effet psychique, il ne faut pas oublier que la psychothérapie est en train de naître. Cette discipline cherche à montrer l'interdépendance entre le corps et l'esprit : si l'esprit agit sur le corps, le corps, et les événements extérieurs qui l'affectent, agissent en retour sur l'esprit. Nous pouvons penser que J.-M. Charcot a été influencé par C. Huchard qui expliquait que toute maladie mentale appelle un traitement mental pour lequel « il est nécessaire de s'assurer du complet contrôle de la personne. Or, ce complet contrôle n'est possible que si cette personne se retrouve dans un milieu qu'elle ne peut par définition, pas maîtriser puisqu'il devra être le reflet du contrôle du médecin. De plus, l'influence néfaste des proches, parents ou non, sera abolie par cet isolement et cette influence ne viendra pas perturber l'ascendant thérapeutique du médecin, qui seul avec ses murs et la patiente, conduira, comme un père conduit sa fille, l'hystérique vers la guérison »131(*).

Non seulement l'isolement révolutionne le traitement thérapeutique de l'anorexie hystérique mais en plus, il ne repose pas sur l'expérimentation comme les traitements que nous avons mentionnés auparavant. J.-M. Charcot s'oppose d'ailleurs fortement aux traitements qui n'avaient aucun fondement médical. « A propos de la pratique de la saignée qui sévissait encore, Charcot déclare : `jetons un voile cependant sur le côté thérapeutique : saigner, saigner encore, toujours saigner, c'est à faire dresser les cheveux sur la tête' »132(*). Dans une citation précédente, nous avons vu qu'il s'appuyait sur son expérience pour justifier son traitement. En ce sens, il y a certainement un progrès majeur dans la prise en charge de l'anorexie qui doit lui être attribué. Après lui, l'isolement thérapeutique est devenu « la stratégie thérapeutique fondamentale de l'anorexie mentale »133(*). Ce mode de traitement est resté dominant jusqu'à la seconde moitié du XXème siècle puisque l'isolement était encore pratiqué dans les années soixante-dix. J.-M. Charcot est également le premier à évoquer la relation mère-fille comme ayant une influence sur la maladie. En effet, W. Gull souligne juste que les parents ne savent pas s'occuper de leur fille mais ne prétend pas qu'ils sont à l'origine de la maladie. Par le terme « influence », J.-M. Charcot fait référence aux rapports entre les parents et leur fille qui sont en eux-mêmes mauvais. La relation particulièrement forte qui unie la mère et la fille est également quelque chose de nouveau et annonce un problème auquel beaucoup de thérapeutes vont être confrontés : le déni des parents et le plus souvent de la mère devant la maladie de leur fille.

L'apport de J.-M. Charcot ne s'est pas limité à préconiser l'isolement comme mode de traitement pour les anorexiques hystériques, il est à l'origine de l'ouverture de presque toutes les maisons d'hydrothérapie134(*). Si l'isolement existait déjà avant, il est le premier à établir l'idée de l'isolement comme mode de soins pour l'hystérie et à mettre en oeuvre les dispositions pratiques le permettant.

3. Avec S. Freud, de nouvelles hypothèses étiologiques

S. Freud s'est sans doute moins intéressé à l'anorexie que C. Lasègue ou J.-M. Charcot mais plusieurs de ces textes témoignent cependant de ses tentatives pour guérir des patientes hystériques anorexiques. Il n'a consacré aucune publication spécifique à cette pathologie cependant, il a marqué l'histoire de l'anorexie par le biais de ses recherches sur des notions telles que l'inconscient, et l' « invention » de la psychanalyse.

a) Une tentative de guérison par l'hypnose

En 1885, S. Freud entre comme élève à la Salpêtrière où il bénéfice de l'enseignement de J.-M. Charcot dont « les travaux [...], révolutionnaires à l'époque, consistaient pour l'essentiel en l'étude et le traitement de l'hystérie par l'hypnose. S. Freud en revint avec l'idée que toutes les manifestations corporelles liées aux problèmes de l'hystérie ne sont pas d'origine somatique, mais psychique ce qui contredisait la science de son temps »135(*). Avec S. Freud, l'hypothèse d'une origine psychique de l'anorexie réapparaît et c'est en grande partie suite aux apports théoriques de J.-M. Charcot que ce neurologue se tourne vers de nouvelles méthodes thérapeutiques.

En 1893, dans son ouvrage Un cas de guérison par l'hypnose, S. Freud décrit le cas d'une jeune femme qui devient anorexique à la naissance respective de ses deux enfants. Appelé par la famille pour pratiquer des séances d'hypnose, il réussit à la guérir mais le trouble réapparaît à la naissance du troisième enfant136(*). S. Freud diagnostique une hystérie occasionnelle et échoue donc dans le traitement de l'anorexie.

b) L'anorexie : un trouble dû à des problèmes inconscients

En 1895, S. Freud publie les Etudes sur l'hystérie. C'est le deuxième ouvrage qui témoigne de son intérêt pour l'anorexie, de sa volonté de comprendre cette maladie. Il décrit le cas d'Emmy von N, une femme de quarante ans. Hystérique, elle présente des symptômes très variés parmi lesquels une perte d'appétit. Elle ne mange pas ou peu. Sous hypnose, elle raconte des souvenirs d'enfance liés à la nourriture qui l'ont traumatisés et l'empêchent aujourd'hui de manger. S. Freud fait disparaître ce sentiment de dégoût et écrit que « l'effet thérapeutique de ce travail hypnotique fut immédiat et permanent. Elle ne jeûna pas huit jours durant, mais but et mangea le jour suivant sans que cela n'entraîna d'effets fâcheux »137(*). Ce livre est d'autant plus intéressant que S. Freud nous livre sa conception de l'anorexie :

« L'anorexie de notre malade offre l'exemple le plus frappant de ce genre d'aboulie (inhibition de la volonté ou incapacité d'agir due à la présence d'une liaison affective non résolue qui s'oppose à la mise en oeuvre d'autres associations). Elle ne mange aussi peu que parce que les aliments ne lui plaisent pas et, si elle ne les trouve pas à son goût, c'est parce que l'idée de manger se trouve liée depuis son enfance à des souvenirs écoeurants dont la charge affective n'a pas subi de diminution. L'atténuation du dégoût provoqué par les repas ne s'est pas produite, parce que la malade a, à chaque fois, été obligée de la réprimer au lieu de s'en débarrasser par réaction : étant enfant, elle se voyait contrainte, par peur d'une punition, de manger avec répugnance son repas froid et, plus tard, par égard pour ses frères, elle se gardait d'exprimer les sentiments qu'elle éprouvait au cours des repas pris en commun »138(*).

Il faut préciser que S. Freud distingue deux types d'aboulies : la première est la conséquence d'une phobie, la seconde « repose sur l'existence d'associations teintées d'affects et non supprimées, qui s'opposent à l'enchaînement à de nouvelles associations et en particulier de celles qui sont insupportables »139(*). L'anorexie appartient à la seconde catégorie d'aboulie. Nous pouvons souligner plusieurs nouveautés dans cette définition au regard des précédentes : l'origine de l'anorexie n'est plus somatique ou organique mais psychologique. La maladie relèverait d'un problème inconscient qui empêcherait la patiente de manger. D'autre part, les problèmes sous-jacents sont à rechercher dans la petite enfance, une idée qui sera reprise par les psychanalystes au XXème siècle (cf. infra partie 2, II. B)).

Il est admis dans la littérature scientifique que c'est avec cette patiente que S. Freud inventa la méthode psychanalytique. Cette malade avait imposé à S. Freud le silence afin de lui raconter ses problèmes et refusait qu'il la touche contrairement aux habitudes du médecin. « La psychanalyse est née lorsqu'un médecin a accepté de ne plus être celui qui prescrit l'ordonnance - qui « ordonne » - mais, celui qui accepte de se mettre en position de réceptivité et d'apprendre quelque chose sur l'autre et sur lui-même »140(*). Ce livre marque la fin de l'utilisation de la technique de l'hypnose qui ne donnait pas des résultats très probants et l'introduction d'une nouvelle thérapie : la méthode psychanalytique. Celle-ci consiste à faire exprimer au patient ses émotions refoulées, afin de faire disparaître les symptômes. Si les anorexiques n'ont pas constitué la majeure partie de la clientèle de S. Freud, la naissance de la psychanalyse représente un tournant majeur dans la guérison de l'anorexie. La thérapie psychanalytique comme mode prise en charge de la maladie ne se développera réellement qu'au XXème siècle, à partir des années soixante-dix (cf. infra partie 2, IV. A)).

c) L'anorexie : une forme de mélancolie ?

Pour terminer, S. Freud apporte un nouvel élément à la compréhension de l'anorexie dans son ouvrage intitulé Mélancolie. Il assimile l'anorexie à une « névrose de la nourriture » et insiste sur le caractère dépressif des anorexiques : « la névrose alimentaire dite anorexie peut se comparer à la mélancolie. L'anorexie mentale des jeunes filles, qui est un trouble bien connu, apparaît, après observation poussée, comme une forme de mélancolie chez les sujets à sexualité encore inachevée. La malade assure alors ne pas manger seulement parce qu'elle n'a pas faim. Il y a donc une perte de l'appétit et, dans le domaine sexuel, une perte de libido »141(*). S. Freud nous présente l'anorexie comme une pathologie de l'adolescence, ce qui diffère donc de ses descriptions précédentes où la maladie touchait aussi bien des jeunes filles que des femmes. Nous pouvons noter qu'il assimile l'anorexie à une perte d'appétit, reprenant ainsi la définition étymologique, qui est en réalité erronée. Nous pouvons penser que cette « erreur » reflète l'incertitude qui entoure encore la maladie mais aussi le manque de « compétences » de S. Freud qui, contrairement à C. Lasègue ou W. Gull, n'était pas « spécialisé » dans l'anorexie. Enfin, il soulève ici deux aspects que nous retrouverons dans la littérature scientifique le siècle suivant : le lien entre l'anorexie et la dépression, et la perte de libido consécutive à l'amaigrissement.

Nous disposons d'un dernier élément qui témoigne de l'évolution de la compréhension de l'anorexie chez S. Freud. En 1899, dans une correspondance avec W. Fliess (un médecin berlinois), il voit en l'anorexie une dérivé du courant auto-érotique chez l'hystérisque142(*). Là encore, nous pouvons noter l'évolution des hypothèses concernant l'étiologie de la maladie.

Pour conclure sur S. Freud, nous pouvons faire plusieurs remarques. Il emploie le terme d'anorexie pour désigner une restriction alimentaire voire dans son sens premier une perte d'appétit. Dans les cas mentionnés ici, nous avons vu que la maladie était un trouble parmi d'autres et survenait chez une personne hystérique, quelque soit l'âge. Il est donc difficile de savoir si tous les cas rapportés par S. Freud correspondent réellement à l'anorexie hystérique telle que la décrivent C. Lasègue et W. Gull. De plus, il n'a laissé aucune description physique des hystériques anorexiques qu'il a soignées. Ainsi, nous pouvons penser que certaines des patientes de S. Freud présentaient effectivement une anorexie mais qui n'était peut être que passagère. De plus, la prédominance de l'hystérie à cette époque empêchait de considérer l'anorexie comme une pathologie à part entière. En outre, il y a peu de points communs entre les descriptions laissées par Freud et les patientes dont parlaient les pères de l'anorexie. Le traitement appliqué à l'anorexie n'est pas spécifique à cette pathologie puisque la technique de l'hypnose est utilisée pour toutes les hystériques. Dans le cas d'Emmy von N, le résultat fut concluant ce qui peut laisser penser qu'elle ne souffrait pas réellement d'anorexie. De plus, G. Raimbault et C. Eliacheff avancent que S. Freud n'a pas réussi à guérir l'anorexie malgré ce que ses écrits laissent entendre : « Freud n'a pas réussi à résoudre l'énigme de l'anorexie » et que « des textes révèlent ses difficultés en tant que thérapeute ».

Quelque soit l'issue des traitements auxquels S. Freud a eu recours, cette maladie ne faisait pas partie de son domaine de prédilection. Il s'est cependant attaché à décrire cette nouvelle pathologie et à essayer d'en comprendre les ressorts. Tentatives plutôt fructueuses puisque toutes les hypothèses soulevées dans ses trois publications ont été reprises et approfondies et constituent aujourd'hui les fondements de la pensée psychanalytique de l'anorexie.

Le XIXème siècle a bel et bien été le siècle de la naissance de l'anorexie puisqu'elle investit désormais le champ médical. Elle est identifiée comme pathologie et les cas d'anorexie relèvent dès lors de la compétence médicale. Cependant, les données sont encore fragmentaires et la maladie reste bien mystérieuse. Le contexte médical de l'époque et l'attrait des médecins pour l'hystérie les ont d'abord conduit à associer l'anorexie à un symptôme de cette névrose. Il faut attendre le début du XXème siècle pour que cette confusion soit levée. Les descriptions de C. Lasègue et W. Gull marquent le début d'une multitude de travaux sur l'anorexie, chaque médecin essayant de proposer des interprétations étiologiques ainsi qu'un mode de prise en charge. La densité des travaux portant sur l'anorexie était telle que nous nous sommes contentés d'évoquer les auteurs que nous considérions comme importants pour la compréhension et l'histoire de la maladie. En effet, nous avons souligné à plusieurs reprises que des hypothèses avancées par C. Lasègue, W. Gull, S. Freud et le traitement proposé par J.-M. Charcot allaient se retrouver au XXème siècle.

Dans cette première partie de notre travail, nous avons tenté de retracer l'évolution des comportements « anorexiques », des symptômes et du regard de la société afin de comprendre comment s'est construite la représentation de l'anorexie. Ainsi, nous avons mis en évidence le fait que la compréhension des comportements « anorexiques » est étroitement liée au contexte socioculturel comme l'a illustré l'anorexie sainte. Le poids de la religion dans la société ne permettait pas de concevoir l' « anorexie » autrement que comme un comportement en lien avec la religion. Outre cette emprise de la religion, l'inexistence de la médecine en tant que science rendait impossible une catégorisation en terme de maladie. C'est donc l'évolution du contexte socioculturel, l'affaiblissement du poids de la tradition qui ont permis de définir au XIXème siècle l'anorexie comme une pathologie. La représentation sociale de l'anorexie a bien évolué entre le Moyen Âge et le XIXème siècle mais de façon très lente puisqu'il a fallu presque quatorze siècles pour les comportements anorexiques basculent dans le champ médical.

Nous avons également montré l'évolution des canons de beauté en évoquant quelques courants artistiques qui ont marqué notre période d'étude. Ces analyses nous ont permis de voir que la représentation de la femme a évolué : au Moyen Âge, la femme est méprisé et assimilée à la tentation, les peintures qui la représentent ont donc une connotation péjorative ; puis, le corps de la femme devient un des sujets privilégié des peintres au XVIIIème siècle. C'est alors à une représentation du corps idéal qu'ils se consacrent. Nous pouvons faire deux remarques : les comportements « anorexiques » existaient alors même que la minceur n'était pas valorisée, au contraire nous avons expliqué que l'embonpoint constituait un signe de distinction sociale. Les représentations picturales de la femme sont le reflet d'un certain idéal et ce sont aujourd`hui les photos de la presse magazine, la mode qui véhiculent des normes corporelles.

Afin de poursuivre l'étude de la représentation sociale de l'anorexie et de voir comment cette maladie est perçue aujourd'hui, il nous faut maintenant se tourner vers les discours de la presse qui véhiculent les représentations qui structurent la société. Nous allons voir qu'il existe des poins communs entre la façon dont ils décrivent cette pathologie et ce qui avait été mis au jour au XIXème siècle. En outre, il sera intéressant d'observer si des hypothèses avancées par les pères fondateurs de l'anorexie et occultées de leur vivant se retrouvent dans les discours de presse.

DEUXIEME PARTIE : L'ANOREXIE DANS LES DISCOURS DE PRESSE AU XXEME ET AU XXIEME SIECLES

La première partie de notre travail nous a permis de comprendre comment s'était construite la représentation sociale de l'anorexie, comment et pourquoi les comportements anorexiques ont relevé pendant des siècles de la sphère religieuse avant de basculer dans le champ médical. Nous allons maintenant procéder à l'analyse des discours de presse de notre corpus pour mettre en valeur la représentation de l'anorexie que véhicule les médias au XXème et XXIème siècles.

Grâce à une analyse diachronique comparative des discours de la presse quotidienne et de la presse magazine sur l'anorexie mentale, nous montrerons quelle représentation de la maladie est véhiculée par les journaux et quels sont les enjeux qui sous-tendent ces discours. Nous nous attacherons à mettre au jour les divergences ou les similitudes dans le traitement médiatique dont fait l'objet cette pathologie. Enfin, nous nous intéresserons aux différences ou à l'adéquation entre les discours de presse sur l'anorexie et la représentation médicale de cette pathologie que nous avons pu établir à l'aide d'ouvrages scientifiques.

Notre analyse se composera de quatre parties, dont trois correspondent à des étapes du schéma narratif. Dans une première partie nous étudierons comment les journaux qualifient la maladie et comment ils désignent l'anorexique, autrement dit l'actant sujet. Puis, nous nous intéresserons aux facteurs déclencheurs de la pathologie, c'est-à-dire au destinateur de l'actant sujet avant de voir quel regard portent les journaux sur les pratiques anorexiques, autrement dit en quels termes est décrite la performance de l'actant sujet. Enfin, nous terminerons par l'étape de la prise en charge de l'anorexie, c'est-à-dire à la sanction dans une perspective actantielle. Dans chaque partie, nous procèderons à un descriptif médical avant de s'attacher à l'analyse des discours de presse.

Au cours de ces quatre étapes, nous nous attacherons à repérer les différentes figures qui apparaissent dans les récits médiatiques, regarder quels rôles leur sont attribués et si l'étude des discours témoigne d'une évolution. Nous verrons que loin de proposer des discours consensuels, les quotidiens construisent des figurent différentes dont les rôles varient.

I. Qui est anorexique ?

L'anorexie mentale est un trouble grave du comportement alimentaire qui déroute encore de nombreux médecins. Cependant, la compréhension de la maladie a beaucoup progressé depuis le début du XXème siècle et le diagnostic ne pose guère plus de problème aujourd'hui. Le corps médical constate une augmentation de la fréquence des cas d'anorexie depuis quelques années. Cette évolution soulève la question de savoir qui peut-être affecté par cette maladie et pourquoi. Nous allons nous attacher à décrire les critères médicaux qui permettent aujourd'hui de diagnostiquer l'anorexie mentale, ensuite nous aborderons la répartition géographique et socioculturelle de la maladie, puis nous terminerons en présentant les caractéristiques mentales des anorexiques.

A partir des précisions médicales que nous aurons fournies dans une première partie, nous analyserons les discours de presse pour voir comment est désigné l'actant sujet.

A. Une définition médicale de l'anorexie et les caractéristiques des anorexiques

Il y a encore quelques années, il était courant de lire que l'anorexie mentale était une maladie qui touchait principalement les jeunes filles issues des classes aisées, dans les pays développés. Aujourd'hui, la littérature scientifique nuance cette affirmation : l'anorexie mentale masculine est plus fréquente, la pathologie commence à apparaître dans des pays en voie de développement et s'étend à toutes les couches de la population.

1. L'anorexie, une maladie grave qui touche principalement des filles

a) La définition médicale de l'anorexie

Le syndrome clinique de l'anorexie est maintenant connu et considéré comme une entité distincte. L'anorexie mentale appartient à la catégorie des troubles du comportement alimentaire (TCA) qui regroupe également la boulimie ainsi que des comportements variés comme la compulsion alimentaire, l'hyperphagie... L'anorexie correspond à un tableau clinique très précis, elle affecte généralement une jeune adolescente entre 14 et 20 ans qui présente la triade symptomatique : amaigrissement-anorexie-aménorrhée. L'anorexie, l'amaigrissement et l'aménorrhée sont les trois symptômes principaux qui permettent de diagnostiquer une anorexie mentale. L'anorexie, c'est-à-dire la restriction alimentaire est le symptôme principal et annonce le début des troubles143(*). Cette restriction est volontaire, tout du moins au début. L'amaigrissement lui est secondaire et se traduit par une perte de poids supérieure à 25% du poids initial. Il peut atteindre 50% dans les cas les plus graves. Enfin, l'aménorrhée (arrêt des règles) peut précéder l'anorexie ou suivre de quelques mois le début de la restriction alimentaire. Les médecins parlent d'aménorrhée primaire si la jeune fille n'est pas encore réglée et d'aménorrhée secondaire dans le cas contraire. L'anorexie mentale peut être plus ou moins grave selon les cas, la forme la plus dangereuse étant lorsqu'elle se chronicise.

Outre cette triade symptomatique, le DSM IV144(*) est fréquemment utilisé par les médecins pour déceler une anorexie. Les différentes révisions dont il a fait l'objet ont contribué à modifier les critères de l'anorexie mentale. Elle a progressivement été considérée comme une maladie à part entière et les critères retenus pour la définir ont évolué en faveur d'une plus grande place pour les critères corporels. Le DSM IV inclut l'anorexie mentale dans la catégorie des troubles des comportements alimentaires et définit les critères cliniques suivants :

- Le refus de maintenir un poids corporel au niveau ou au-dessus d'un poids minimum normal pour l'âge et la taille.

- La peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale. Comme le précise H. Chabrol, la peur de grossir n'était pas mentionnée par C. Lasègue et W. Gull alors qu'elle est aujourd'hui un critère central dans la sémiologie de l'anorexie145(*).

- L'altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, l'influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l'estime de soi, ou le déni de la gravité de la maigreur actuelle.

- Chez les femmes post pubères, l'aménorrhée c'est-à-dire absence d'au moins trois cycles menstruels consécutifs146(*).

C'est à partir de ces quatre critères que le DSM IV établit le diagnostic de l'anorexie mentale.

Le DSM IV distingue deux formes d'anorexie : l'anorexie mentale restrictive (l'amaigrissement est provoqué par la restriction alimentaire, le jeûne ou l'hyperactivité physique) et l'anorexie mentale avec crises de boulimie et comportements de purge (vomissements et/ou prise de laxatifs). Les médecins sont de plus en plus confrontés à ces formes d'anorexie-boulimie ou la boulimie succède ou coexiste avec l'anorexie mentale. Environ 50% des anorexiques présenteraient des conduites boulimiques au cours de leur maladie147(*). C'est pourquoi l'anorexie et la boulimie sont souvent présentées comme les deux facettes d'un même trouble. Encore aujourd'hui, nous trouvons des divergences dans la littérature scientifique. P. Jeammet par exemple évoque « un couple paradoxal » car « l'anorexique est dans la maîtrise, la boulimique, elle, est dans la compulsion. Ces deux comportements, apparemment si opposés, sont en réalité profondément semblables et le symptôme alimentaire entraîne toujours des conséquences physiques et psychiques »148(*). De même, H. Chabrol explique qu' « anorexie et boulimie ne s'opposent que superficiellement » car « elles s'associent ou se succèdent souvent, alors que les adolescentes qui en sont affectées partagent les mêmes craintes obsédantes de la perte du contrôle du comportement alimentaire »149(*).

L'anorexie est considérée comme une pathologie par le corps médical cependant, certaines personnes réfutent s'opposent à cette qualification. Par exemple, J. Maîstre définit l'anorexie comme « une manière anorectique d'être au monde »150(*) qui traduirait un refus d'occuper la place assignée à la femme dans la société actuelle et la volonté de nier ses besoins corporels pour atteindre un au-delà. Dans un autre registre, les sites pro-anorexiques récusent également l'idée que l'anorexie est une maladie. Le plus souvent, ces sites se présentent sous la forme d'un blog créé par une jeune fille anorexique. Elle y détaille ses pratiques et fait l'éloge de son comportement alimentaire qu'elle considère comme un mode vie acceptable. Grâce à des photos révélant la maigreur de son corps, les conseils qu'elle prodigue, elle encourage les personnes qui viennent visiter le site à l'imiter. La plupart des professionnels de santé s'insurgent contre l'existence de tels sites, certains ont donc été interdits. Cependant, des chercheurs comme Maria Mastronardi trouvent qu'ils ont un côté positif car ils permettent de mieux comprendre le fonctionnement et les pensées de ces jeunes filles151(*).

b) L'anorexie : un problème de santé publique dont se seraient saisis les médias

Les médecins s'accordent pour dire que l'anorexie mentale est un problème de santé publique majeur. Par exemple Nathalie Godart, de l'Institut Mutualiste Montsouris à Paris, déclare que « l'anorexie mentale se caractérise par la gravité de son pronostic, qui la classe au premier rang des pathologies psychiatriques mettant en jeu le pronostic vital »152(*). De même, Christian Bourdeux estime que les troubles du comportement alimentaire du fait de leur fréquence et de leur gravité sont « l'une des priorités de santé publique »153(*). Aux yeux du corps médical, l'anorexie est donc considérée comme une maladie grave, un problème de santé publique.

Parallèlement, l'anorexie semble aussi avoir envahi la scène médiatique. En effet, de plus en plus de livres et d'émissions télévisées sont consacrés à cette maladie. Ainsi, J-P de Tonnac parle d'une « véritable mobilisation éditoriale et médiatique dans les sociétés occidentales »154(*) autour de l'anorexie et T. Vincent écrit que « la maladie elle-même est devenue médiatique : la presse mais aussi les radios et les télévisions s'en font l'écho, et il n'est pas rare de lire dans le même magazine féminin un article sur l'anorexie mentale et un autre sur le dernier régime amaigrissant en vogue »155(*). Cette dernière citation est assez révélatrice car elle met le doigt sur une réalité que nous avons évoquée au début de ce travail à savoir la double posture de la presse magazine féminin. La coexistence d'un article sur l'anorexie et d'un article sur les régimes amaigrissants dans un même magazine pose la question de la fonction de ce type de presse. Entend-elle informer sur une pathologie grave ou inciter ses lectrices à tester le dernier régime amaigrissant ? Nous tenterons d'apporter des éléments de réponse grâce à notre analyse des représentations médiatiques de l'anorexie mentale dans le magazine Santé Magazine. La citation de T. Vincent est également intéressante car elle évoque la médiatisation de l'anorexie, une médiatisation qu'il faudra relativiser. S. Bonnafous définit la médiatisation comme un « processus complexe résultant de l'interaction entre divers auteurs collectifs et individuels et aboutissant à la présence d'un sujet dans les médias de masse et à des conflits pour l'interprétation et l'affirmation de valeurs symboliques »156(*). Les analyses auxquelles nous allons procéder nous permettrons de voir si l'anorexie peut-être considérée comme un sujet qui fait l'objet d'une médiatisation. Enfin, pour certains auteurs, les médias seraient un véritable relais d'information sur cette pathologie. Ainsi, P. Alvin pense que « depuis quelques années toutefois, grâce aux médias et aux ouvrages de vulgarisation, le public semble un peu mieux informé des manifestations et de la réelle morbidité de ces troubles »157(*). Notre analyse nous permettra aussi de nuancer cette affirmation et de mesurer le décalage qui existe entre le traitement médiatique de l'anorexie mentale et la réalité médicale.

c) Une prévalence de l'anorexie mentale dans la population féminine

L'anorexie mentale est une maladie qui affecte principalement les adolescentes. Selon l'association Autrement, pour un autre regard sur son poids, elle toucherait environ neuf filles pour un garçon et la fréquence serait comprise entre 0,5% et 1% parmi les adolescents158(*). Pour les médecins cette prévalence féminine s'explique par les transformations psychiques mais surtout physiques auxquelles les adolescentes sont confrontées à la puberté. Ainsi, J-P de Tonnac conclut en disant que les hommes contourneraient naturellement les troubles du comportement alimentaire et notamment l'anorexie car ils ne subissent pas des modifications de morphologie aussi importantes que les filles. Cependant, « cette écrasante proportion de femmes et le silence que les hommes victimes de cette pathologie ont observé jusqu'à ce jour ont fait croire qu'on ne pouvait parler de l'anorexie qu'au féminin »159(*). Cette citation extraite de la quatrième de couverture du livre de J-P de Tonnac pointe du doigt une réalité souvent occultée : l'anorexie mentale masculine existe et devient de plus en plus fréquente. Aujourd'hui, elle serait de l'ordre de 10% des cas cependant, elle est certainement sous-estimée « en raison d'un diagnostic plus difficilement acceptable et repérable »160(*). En effet, peu d'études ont été menées jusqu'à présent et les statistiques ne prennent en compte que les malades qui se sont faits soignés or, beaucoup refusent les traitements. J. Chambry, M. Corcos, O. Guibaud et P. Jeammet se sont intéressés à l'anorexie mentale masculine en soulignant les enjeux que cela impliquait. En effet, reconnaître l'existence de l'anorexie mentale masculine pose plusieurs problèmes. D'une part, elle remet en cause un des critères majeurs du DSM IV à savoir l'aménorrhée ; d'autre part, elle soulève un certain nombre de questions : quelles sont les formes de cette anorexie (les garçons anorexiques se comportent-ils de la même façon que les adolescentes anorexiques ?), comment l'expliquer (l'hypothèse du culte de la minceur et de la pression médiatique perd de sa pertinence)... En dépit de ces interrogations qui n'ont pas encore trouvé de réponse, l'existence de l'anorexie mentale masculine n'est plus contestée que depuis vingt ans.

2. Une répartition géographique et socioculturelle qui évolue

a) Les pays développés et industrialisés sont les plus touchés

J-P de Tonnac souligne que « les sectateurs de l'ana, secrète communauté de l'ano, comptent désormais des représentants en chaque continent, chaque pays, chaque famille humaine et chaque âge, et bienheureux était le temps où on croyait les avoir repérées au sein des seuls milieux les mieux favorisés des sociétés les plus avancées »161(*). En effet, si pendant longtemps les cas de jeunes filles anorexiques se sont limités aux pays occidentaux, il semblerait qu'aujourd'hui cette pathologie s'étende aux pays en voie de développement. Il existe peu de d'études internationales mais plusieurs auteurs ont démontré que des pays auparavant épargnés par la maladie sont aujourd'hui concernés. Par exemple, Karine Tinat, montre que le Mexique connaît depuis quelques années une augmentation du nombre d'anorexiques162(*) alors qu'il présente un degré de développement économique peu élevé. La maladie ne se limiterait donc plus aux pays développés ayant un certain niveau économique.

L'Afrique est également concernée par l'apparition de l'anorexie mentale. Même si les données sont encore rares, deux études attestent de l'existence de l'anorexie mentale en Afrique noire (l'une en 1981 et l'autre en 1984). En Afrique du Sud, la présence de l'anorexie mentale est également confirmée mais elle ne touche que les populations blanches163(*). En Asie et plus particulièrement au Japon, le premier cas d'anorexie mentale a été rapporté dans les années cinquante c'est-à-dire au moment de la période d'occidentalisation et d'expansion économique. Les psychiatres japonais signalent que la maladie ne touche que les familles modernes « en rupture avec la tradition, appartenant à des milieux urbains et des couches sociales aisées »164(*). Enfin, en Europe de l'est, la maladie est aussi présente mais les données disponibles sont peu nombreuses. Une étude datant de 1986 révélait déjà que le nombre d'anorexiques soignées à l'hôpital de Prague augmentait depuis une dizaine d'années165(*).

En dépit de la faiblesse des données au niveau international, ces quelques exemples illustrent bien l'extension de l'anorexie mentale qui ne touche plus uniquement les pays industrialisés et développés. L'hypothèse que défendaient A. Guillemot et M. Laxenaire à la fin des années 90166(*) n'est plus vérifiée à l'heure actuelle : la corrélation entre degré de développement économique et fréquence de l'anorexie tend à s'affaiblir.

b) Une maladie qui s'étend à tous les milieux sociaux

Dans l'introduction d'un dossier consacré aux troubles du comportement alimentaire, G. Trabacchi assimile l'anorexie à une « ancienne maladie de la bourgeoisie urbaine »167(*), une définition qui reflète bien la catégorisation dont faisait l'objet cette pathologie avant. Aujourd'hui, cette distinction tend à disparaître et l'anorexie mentale touche tous les milieux socioculturels.

Il faut préciser que l'anorexie mentale peut également affecter des jeunes filles ou garçons qui pratiquent des sports « à risque »168(*). Ainsi, la danse ou encore la gymnastique sont des activités dans lesquelles les jeunes filles sont soumises à une certaine pression et parfois des régimes alimentaires car la réussite et la performance sont étroitement liées à la morphologie. Soumises à ces exigences, elles seraient plus sujettes à l'anorexie.

3. Les caractéristiques mentales des jeunes filles anorexiques

Chaque cas d'anorexie est différent néanmoins, les anorexiques partagent certaines caractéristiques communes. Daniel Rigaud en distingue onze qui sont présentes dans 90% des cas et selon des degrés variables mais il précise qu' « il est même rare que ces traits ne soient pas tous présents chez un même malade »169(*). La peur constitue la première caractéristique commune aux anorexiques. Tout d'abord, il y a la peur de grossir qui se traduit par le refus de prendre du poids et de peser un poids normal. Il s'accompagne souvent d'une altération de la perception de l'image corporelle, l'anorexique se trouvant toujours trop grosse. Plus la maladie avance, plus cette peur augmente. La peur c'est aussi la peur de manger d'où les stratégies pour échapper aux repas. Le manque de confiance en soi est le deuxième point commun aux malades. Selon D. Rigaud, il serait même à l'origine du trouble du comportement alimentaire. La jeune fille doute mais masque ses angoisses derrière un apparent sentiment de supériorité. C'est pourquoi, souvent elle pense être une personne à part, supérieure aux autres. Cependant, elle n'est pas consciente de ce comportement narcissique qui cache en réalité un manque de confiance en soi170(*). L'excès de perfectionnisme constitue le troisième trait dominant de la mentalité des anorexiques. La jeune fille est obsédée par la recherche de la perfection qui devient progressivement très handicapant. Ensuite, elle éprouve le besoin de tout maîtriser et de tout contrôler pour ne pas e laisser aller et exprimer ses désirs. De cette façon, rien d'imprévisible ne peut arriver et la malade est rassurée. D. Rigaud considère que la perte de l'image de soi est la cinquième caractéristique des anorexiques. De ce fait, la jeune fille est poussée à accorder beaucoup d'importance au regard des autres. Elle dépend de ces regards, des jugements portés sur elle. Ensuite, les anorexiques rejettent souvent l'image de la femme (ce qui conduit certains médecins à penser que l'anorexique rejette aussi la sexualité), et le plaisir qu'elles associent à un sentiment de culpabilité. Souvent, elles rencontrent des « difficultés d'expression verbale et émotionnelle »171(*) c'est-à-dire qu'elles ne parviennent pas à parler leur problème et affirment que tout va bien dans leur vie. Leur honte par rapport à la maladie les entraîne à adopter un comportement de dissimulation et de méfiance vis-à-vis des autres. Il n'est pas rare que l'anorexique soit très attachée à l'un de ses parents, souvent la mère, un lien qui peut compromettre la guérison. D. Rigaud souligne en dernier lieu la peur de ne pas y arriver que ressentent beaucoup de malades, une peur qui peut d'ailleurs les handicaper pendant la guérison. Le sentiment de maîtrise qu'elles peuvent sembler afficher n'est en réalité qu'une façade.

A cet ensemble de caractéristiques défini par D. Rigaud, nous pouvons ajouter le refus de la mort sur lequel insistent certains médecins. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'anorexique ne veut pas mourir et n'a aucun sentiment suicidaire. Ainsi, le terme d'autodestruction qui est parfois utilisé pour désigner leur comportement est inapproprié puisque la jeune fille ne souhaite pas mourir mais vivre (cf. Annexe n°7, témoignage n°2).

Le diagnostic de l'anorexie mentale ne pose plus de problème aujourd'hui même si les critères retenus présentent quelques limites notamment par rapport à la question de l'anorexie mentale masculine. La plupart des médecins insistent aujourd'hui sur l'unicité de la patiente comme le souligne cette phrase de P. Alvin : « il n'y a pas d'anorexie, de boulimie... mais autant de jeunes personnes souffrant de maladies chroniques particulières, dans un contexte personnel et climat familial toujours singuliers, dont la trajectoire, aléatoire, peut s'inscrire sur plusieurs années »172(*). Cependant, cela n'empêche pas certains de conserver une image stéréotypée des anorexiques qui seraient capricieuses, menteuses... Nous allons maintenant voir comment les discours de presse définissent cette maladie et quels termes sont utilisés pour qualifier l'anorexique.

B. L'anorexique, un actant sujet dans les discours médiatiques

Après avoir rappelé ce qu'est l'anorexie mentale et qui sont celles qu'elle affecte, nous allons nous intéresser à l'anorexique telle qu'elle est représentée dans les discours médiatiques : c'est-à-dire à l'actant sujet. La première étape de notre analyse consiste donc à repérer comment est dénommée la maladie et la façon dont sont désignées les anorexiques par les journalistes ou comment ils qualifient l'actant sujet. Notre analyse sera essentiellement fondée sur une étude terminologique mais nous prêterons attention au rubricage opéré par les journaux ainsi qu'à la fréquence des articles publiés sur l'anorexie puisque cela nous donnera des éléments qui nous permettrons de conclure sur la question de la médiatisation de l'anorexie. De même, l'étude des rubriques choisies pour publier un article sur cette pathologie nous fournira un premier indice quant à la façon dont le journal perçoit cette maladie.

Si le fil directeur de ce premier volet de notre analyse est bien la façon dont est qualifiée la maladie et l'actant sujet, nous tenterons également de répondre aux questions suivantes :

- Quelles sont les indications que les discours nous fournissent quant à la prévalence de la maladie ?

- Quelle est la répartition socioculturelle de la maladie ?

- Les discours nous livrent-ils des éléments qui nous permettent de dresser un portrait de l'anorexique ?

Dans chacun des discours nous chercherons des éléments qui nous permettront de répondre à ces questions. Ainsi, nous pourrons mesurer les similitudes ou les divergences entre les discours de presse mais également l'écart entre les représentations que véhicule la presse et celle que nous fournissent les discours médicaux.

Nous allons voir que dès cette première étape de notre analyse, un clivage se dessine entre des discours très précis et rigoureux sur l'anorexie et des discours peu détaillés voire confus qui fournissent parfois des représentations erronées.

1. La Croix : l'anorexie est une maladie grave

a) Un dossier spécial consacré à l'anorexie

Le premier article que le quotidien La Croix publie sur l'anorexie date de 1997. Entre 1997 et 2005 seuls dix articles traitent de cette maladie, ce qui est relativement peu. Au premier abord, cette faiblesse numérique semble refléter le désintérêt du journal pour cette pathologie. Cependant, La Croix est le seul quotidien à consacrer un dossier entier à l'anorexie, composé de cinq articles. Ce choix n'est pas anodin et introduit d'emblée une différence avec les autres quotidiens qui n'écrivent que quelques articles « éparpillés » sur cette maladie. En réalité, choisir de réaliser un dossier sur l'anorexie reflète l'importance que le journal accorde à cette pathologie. En outre, il témoigne de la volonté du quotidien d'informer ses lecteurs dans une logique de prévention, une posture assez spécifique pour un journal de presse d'information générale. Avant de s'intéresser plus précisément au vocabulaire employé par le journal pour qualifier la maladie et désigner l'anorexique, il faut mentionner le rubricage qu'opère le quotidien. Tous les articles du dossier se trouvent dans la rubrique Sciences et Ethique, un article figure dans la rubrique Interview, un autre dans la rubrique Education-famille, un dans la rubrique France, et deux dans la rubrique Critique livre. En publiant la majorité des articles dans la rubrique Sciences et éthique, le quotidien entend bien montrer qu'il considère l'anorexie comme un problème scientifique donc médical qui pose des questions éthiques. Nous verrons par la suite que La Croix est le seul quotidien à adopter un rubricage de ce type. Enfin, la longueur des articles vient confirmer l'importance accordée à cette maladie (cinq articles sont relativement longs, les autres étant de taille moyenne).

b) L'anorexie, une maladie « très grave »

Pour La Croix, l' « anorexie mentale »173(*) est une maladie et cela ne fait aucun doute puisqu'il utilise uniquement des termes appartenant à ce champ lexical pour la désigner. Ainsi, nous trouvons les termes « maladie »174(*), « affection »175(*), « pathologie »176(*), « mal-être » et « trouble alimentaire »177(*). Seul un article propose une qualification différente de l'anorexie qui serait « une façon particulière d'être au monde »178(*). En réalité, cette définition n'est pas celle du journal mais celle d'un syndicaliste, spécialiste de sociologie des religions au CNRS, Jacques Maître. Le quotidien présente le livre que cet auteur vient de publier dans lequel il compare les anorexiques mystiques avec les jeunes filles anorexiques d'aujourd'hui. Il prétend que « l'anorexie dite « mentale » » serait « une expression sécularisée de l'anorexie mystique ». Il récuse le terme de pathologie ainsi que l'adjectif « mentale » pour qualifier la maladie. Cet article a retenu notre attention car c'est le seul dans lequel figure le champ lexical de la religion alors que la religion est l'une des valeurs fondamentales du quotidien. L'absence de vocabulaire religieux dans les autres articles révèle que la religion ne permet pas de tout expliquer. Maladie et religion sont aujourd'hui deux sphères indépendantes. Ce choix du journal souligne qu'il ne remet pas en cause le basculement de l'anorexie du champ religieux au champ médical, malgré ses valeurs religieuses. La seconde remarque que nous pouvons faire concerne le jugement porté par La Croix sur la thèse de J. Maître. Différents indices nous indiquent que le quotidien ne cautionne pas son interprétation de l'anorexie. Par exemple, le journaliste écrit « quel drôle d'itinéraire que celui de Jacques Maître ! », une phrase qui semble mettre en doute sa légitimité à parler de l'anorexie. Nous pouvons citer une seconde phrase : « L'anorexie dite `mentale' [...] serait donc, selon l'auteur, une expression sécularisée de l'anorexie mystique ». L'expression « selon l'auteur » et l'emploi du conditionnel « serait » participent aussi à cette mise à distance, le quotidien souligne que ces propos ne sont pas les siens.

Outre les termes que nous venons de mentionner, le quotidien définit plus précisément l'anorexie en nous rapportant les propos d'un expert. Elle « se caractérise par une perte de poids rapide et brutale » et elle « serait [...] une façon de retarder la féminisation problématique [du] corps »179(*). Ce médecin fait référence à l'amaigrissement qui est l'un des symptômes clé de la maladie et au rejet de la féminité. L'ensemble des discours du quotidien se caractérise par un recours très fréquent aux experts, une stratégie discursive qui témoigne d'un souci de précision et tend à conférer une certaine légitimité aux propos du journal. En effet, en donnant la parole à des experts spécialisés dans les troubles du comportement alimentaire, La Croix souligne que les informations sont fiables car elles émanent de gens compétents.

A deux reprises, l'anorexie est comparée à un comportement d'autodestruction. P. Jeammet « souligne » que « l'anorexique s'autodétruit devant vous »180(*) et le quotidien écrit que des parents dont la fille est anorexique, éprouvent un sentiment de gâchis à « voir des jeunes filles [...] se détruire ainsi »181(*). Assimiler la maladie à une autodestruction sous-entend que l'anorexique crée sa propre mort, une idée que le corps médical ne partage pas comme vont nous le révéler les discours de Santé Magazine. En outre, le terme « autodestruction » a une connotation péjorative et laisse sous-entendre que le journal sanctionne les anorexiques. Cependant, nos prochaines analyses nous permettront de nuancer cette idée.

Un dernier détail qu'il faut mentionner concerne la nouveauté de la maladie. Dans deux articles, La Croix laisse penser que l'anorexie est une pathologie ancienne. Par exemple, il fait référence au livre de C. Eliacheff et G. Raimbault consacré à l'histoire de différentes anorexiques telles que C. de Sienne et Sissi182(*). Dans un autre article, c'est un expert qui « ajoute » que « l'anorexie mentale n'a pas attendu la période moderne pour exister », une phrase qui laisse sous-entendre que c'est également l'opinion du journal.

Dès le premier article du corpus, le journal met l'accent sur la gravité de la maladie en titrant « L'anorexie est une maladie sérieuse »183(*). Cette idée est à nouveau répétée dans le corps du texte avec la phrase suivante : « L'anorexie est une maladie à prendre au sérieux ». Cet article est une interview d'un médecin spécialisé dans l'étude de l'anorexie et de la boulimie, c'est donc à un expert scientifique que La Croix choisit de donner la parole pour renforcer son propos et ainsi attirer l'attention du lecteur. Afin de mettre en valeur la gravité de la maladie, le quotidien mentionne à plusieurs reprises que l'anorexie peut conduire à la mort. En effet, elle est « mortelle dans plus de 10% des cas »184(*), et Solenn « atteinte d'une grave anorexie mentale [...] s'est suicidée à l'âge de 18 ans »185(*). Préciser l'âge qu'avait Solenn est une façon de souligner la gravité de la maladie. 18 ans renvoie à l'âge de la jeunesse, une période de la vie qui n'est d'ordinaire pas associée à la mort. Dans un autre article des parents témoignent de la « très profonde anorexie »186(*), de « la profonde anorexie »187(*) ou encore de la « très grave anorexie de leur fille »188(*). Par ces qualificatifs, le quotidien souligne l'ampleur que peut prendre la maladie, une gravité renforcée par la particule « très ».

c) L'anorexie, une maladie de l'adolescence

L'anorexie est présentée comme une maladie « rare »189(*) de l'adolescence, « propre à la jeunesse »190(*) qui touche particulièrement les filles « entre 13 et 22 ans »191(*), une représentation de la pathologie similaire à celle que donne le milieu médical. Les termes employés pour qualifier les anorexiques, autrement dit les actants sujets, sont les suivants : « jeune fille »192(*), « fille adolescente »193(*), « adolescentes » mais aussi « enfant »194(*). Le terme « enfant » revêt deux significations dans les discours. Il est employé soit pour désigner un enfant qui souffre d'anorexie (c'est alors une anorexie prépubère), soit il renvoie aux paroles d'une mère qui parle de sa fille adolescente et la désigne donc comme son enfant.

Outre cette désignation de l'actant sujet, le quotidien précise dans plusieurs articles la prévalence de la maladie. Elle est « féminine dans neuf cas sur dix »195(*) et « touche 1% des jeunes filles ». Il est intéressant de noter qu'à partir de 2003, La Croix fournit cette prévalence en distinguant les filles des garçons : « 90% sont des femmes et 10% des hommes », « l'anorexie mentale touche en moyenne dix filles pour un garçon à l'âge de l'adolescence »196(*)... Nous pouvons considérer que cela correspond au moment de l'apparition de la figure de l'anorexique masculine, une apparition qui n'est que le reflet de la réalité. Cependant, cette reconnaissance de l'anorexie masculine est implicite car le terme « anorexie masculine » ne figure dans aucun des discours.

Enfin, le journal mentionne l'origine sociale des anorexiques. Si au début, la maladie affectait essentiellement les milieux bourgeois, aujourd'hui elle touche « des milieux plus larges »197(*) et « on assiste à un développement de cette pathologie chez les filles comme chez les garçons provenant de milieux socioculturels variés »198(*). La représentation de l'anorexie que véhicule le quotidien est pour le moment fortement semblable à la description qu'en fait le corps médical.

d) Les caractéristiques mentales des anorexiques

Nous avons trouvé dans les discours de presse plusieurs allusions à la personnalité des anorexiques. Un médecin souligne que « la jeune fille anorexique est très souvent une élève brillante »199(*) ; ailleurs, les anorexiques sont des « jeunes gens, doués, énergiques, déterminés » et la maladie « semble liée à des tempéraments forts et exigeants »200(*). Tous ces qualificatifs connotent une certaine « supériorité » intellectuelle de l'adolescente anorexique, associée à une forte volonté. D'autres articles permettent de compléter ce portrait de l'anorexique. La maladie touche des jeunes filles qui ont « une mauvaise image d'elle-même »201(*) et sont dépendantes du regard d'autrui. Un expert souligne que « l'adolescente a peur de perdre le contrôle, d'être débordée » et adopte un « comportement ascétique » qui lui procure un sentiment de maîtrise. Enfin, l'anorexique éprouve une véritable « phobie du désir »202(*) ce qui signifie qu'elle ne s'accorde aucun plaisir. Le journal met bien en valeur les deux facettes de la personnalité de l'anorexique qui n'a pas uniquement des facilités, elle doute aussi beaucoup d'elle-même. Ce portrait est donc assez juste même s'il n'est pas aussi complet que celui de D. Rigaud.

e) Les aspects spécifiques

L'analyse des discours du corpus nous a permis de mettre en lumière deux spécificités propres au traitement médiatique de l'anorexie par La Croix. Il est le seul quotidien à parler de l'anorexie prépubère. Même si nous avons choisi d'aborder uniquement la forme la plus classique de l'anorexie, il est intéressant de souligner cette différence. Il semble que cette précision aille de pair avec la posture préventive qu'adopte le journal. Nous trouvons les phrases suivantes : « on trouve aujourd'hui des conduites anorexiques avant la puberté », ensuite l'anorexie touche « une jeune ou très jeune fille »203(*) et des filles « plus jeunes, très jeunes parfois »204(*). Dans un dernier article205(*), un expert « souligne » que « depuis quelques années on assiste à une augmentation du nombre de cas chez des enfants de moins de très ans » alors qu' « il y a trente ans cela représentait un cas par an » et aujourd'hui deux à trois par mois. Le verbe introducteur « souligne » indique qu'en citant ces propos le quotidien veut insister dessus. Encore une fois, toutes les citations qui font référence à l'anorexie prépubère sont des propos d'experts rapportés au discours direct. De cette façon, La Croix met en valeur un phénomène bien réel auquel sont confrontés les médecins aujourd'hui.

La Croix est également le seul journal à souligner la faillibilité des statistiques concernant les cas d'anorexie. En effet, il précise que « le dénombrement des patientes varie notablement selon que l'on considère des critères stricts ou plus larges »206(*). Il est vrai qu'une grande partie des malades ne sont pas prises en charge, et donc exclues des statistiques. Cette précision témoigne là encore du souci de rigueur dont fait preuve le quotidien.

f) Le passage de la sphère privée à la sphère publique

La Croix parle de l'anorexie comme d'un problème public, une maladie avant « vécue dans le secret, aujourd'hui sur la place publique ». L'anorexie aurait basculé de la sphère privée où les problèmes particuliers sont du ressort des individus, à la sphère publique dans laquelle elle serait l'objet de débats et donnerait lieu à des interventions politiques. Cette idée d'un passage de l'anorexie du statut de sujet tabou à celui de problème public revient à deux reprises. Un médecin souligne que « l'anorexie est une maladie dont on n'hésite plus pas parler ce qui est un point positif »207(*) et le quotidien écrit que « des parents célèbres [...] ont mis sur la place publique une maladie que les familles vivent d'ordinaire dans le secret »208(*). Ces propos rejoignent ceux des auteurs déjà cités qui considèrent que l'anorexie fait l'objet d'une médiatisation. Certes, cette maladie est plus connue qu'avant et de nombreuses émissions télévisées lui sont consacrées cependant, cette médiatisation doit être relativisée. Le reste de nos analyses nous fournira des éléments supplémentaires qui nous permettrons de conclure sur cette question à la fin de notre étude.

La Croix considère l'anorexie comme une maladie très grave qui touche aujourd'hui tous les milieux sociaux. L'anorexique, ou l'actant sujet, est généralement une adolescente, mais le quotidien n'omet pas de préciser que les garçons sont aussi touchés. La prévalence que les discours nous fournissent est similaire à celle que nous avons trouvée dans la littérature médicale. Les quelques éléments concernant les caractéristiques mentales des anorexiques reflètent assez bien les deux facettes de leur personnalité. En outre, nous avons remarqué que dans plusieurs discours l'anorexique est individualisée. Le quotidien nous parle de Solenn ou encore de Laurence en nous précisant leur âge. Cette stratégie discursive est commune à tous les quotidiens, nous conclurons à la fin de notre analyse sur l'utilité d'un tel procédé dans un discours portant sur une maladie. Enfin, il faut souligner que La Croix rapporte fréquemment des paroles d'experts ce qui indique la rigueur avec laquelle il entend aborder ce sujet grave. En outre, les précisions d'ordre médical, les indications chiffrées ne font que confirmer ce souci d'exactitude.

2. Le Monde : l'anorexie est une maladie grave qu'il faut distinguer de la petite anorexie

a) L'anorexie, une préoccupation du journal depuis les années 80

Le Monde fait figure d'exception parmi les quotidiens sélectionnés pour notre étude, puisque dès 1989 deux articles paraissent sur l'anorexie. Sans les analyser en détail, nous mentionnerons à chaque étape de notre analyse les idées les plus importantes véhiculées par ces discours car elles indiquent comment le quotidien va aborder le sujet. Entre 1992 et 2005, le journal consacre seulement huit articles à l'anorexie soit un chiffre relativement faible. Le rubricage n'est pas constant puisque les discours sont répartis entre les rubriques Littérature, Télévision, Aujourd'hui et Aujourd'hui Sciences209(*). La maladie n'est donc pas perçue a priori comme un sujet relevant du domaine médical, ce qui n'empêche pas le quotidien de considérer l'anorexie comme une maladie. En effet, dès les deux premiers articles publiés en 1989, l'anorexie est qualifiée d'« affection psychiatrique »210(*) et de « trouble psychique »211(*), qui sont des termes médicaux. Le journal précise que cette maladie peut entraîner la mort, un détail important car ce thème reste présent dans plusieurs articles par la suite. En outre, il souligne que l'anorexie apparaît à l'adolescence chez des jeunes filles, souvent « au passé sans histoire »212(*), les garçons n'étant qu'exceptionnellement atteints.  

b) L'anorexie, une maladie grave qui traduit un refus de la féminité

Pour désigner l'anorexie, le quotidien utilise à plusieurs reprises l'acception médicale « anorexie mentale »213(*) mais également des synonymes tels que « pathologie »214(*), « trouble du comportement », « affection », et « symptôme physique d'origine mentale »215(*). Nous avons remarqué qu'à aucun moment ne figure le mot « maladie » ce qui peut sembler étrange. Cependant, les termes que nous venons de citer ont la même valeur sémantique et ne laisse aucun doute quant à la qualification de l'anorexie qui est bien une maladie. De plus, l'expression « souffre d'anorexie » et le mot « souffrance »216(*) renvoient également à la maladie.

Il faut noter que le quotidien établit une distinction intéressante entre l'anorexie mentale et la « petite anorexie », celle-ci résultant de régimes très stricts qui conduisent des jeunes filles voire des femmes « vers une maigreur proche de l'anorexie »217(*). Une précision qui a son importance puisque les conséquences engendrées par ces deux types d'anorexie n'ont pas la même ampleur. Nous verrons que Santé Magazine opère aussi cette distinction.

Comme La Croix, Le Monde souligne la gravité de la maladie cependant, cette idée ne revient qu'à deux reprises dans les expressions suivantes : « pathologie grave »218(*) et « grave anorexie mentale »219(*). De plus, l'anorexie n'est pas « très » grave comme l'écrit La Croix assez fréquemment. Le degré de gravité est donc moindre. D'ailleurs, Le Monde précise dans un autre article qu'il existe des « formes plus ou moins sévères et compliquées d'anorexie »220(*) ce qui tend à ne pas à nuancer la gravité de la maladie.

A deux reprises, Le Monde donne la parole à des experts pour définir l'anorexie. Le premier « explique » que la maladie est un refus « de s'identifier à la mère, à sa féminité »221(*) ; le second « explique » également que c'est « une réaction adaptative de défense qui survient à une période de la vie où se réorganisent l'image du corps et les relations avec l'environnement »222(*). Il insiste sur les deux symptômes qui doivent alerter les parents : « la perte de poids rapide, manifeste et qui perdure, ainsi que l'arrêt des règles ». Enfin, le quotidien mentionne que l'anorexie traduit un « refus obstiné de s'alimenter »223(*), lequel peut être accompagné de crises de boulimie. Comme La Croix, le recours à l'expert permet d'authentifier les propos qui émanent d'une personne qualifiée. Les verbes que le quotidien utilise pour introduire leurs paroles sont neutres, ce qui traduit une certaine distanciation.

c) Une pathologie qui affecte filles et garçons

Cette pathologie affecte « les jeunes filles à l'âge de la puberté »224(*) cependant, il faut préciser que l'un des articles225(*) nous raconte l'histoire de Séverine, douze ans et anorexique. Or, le corps médical considère qu'en dessous de treize-quatorze ans, il s'agit d'une anorexie prépubère, ce que le quotidien ne mentionne pas. Il n'y a pas de distinction entre ce type d'anorexie et l'anorexie à l'âge de l'adolescence. Nous pouvons penser que cette imprécision est liée à l'époque à laquelle a été écrit l'article. En effet, si aujourd'hui les médecins n'hésitent plus à informer les parents sur l'anorexie de l'enfant notamment à cause de son augmentation, en 1992 les cas devaient être encore relativement rares. L'anorexie « touche essentiellement les jeunes filles » ce qui représente « 1 à 2% des adolescentes », mais le quotidien n'exclut pas les garçons qui sont aussi concernés « dans la proportion d'un pour dix ». Le Monde attire l'attention sur l'augmentation de la maladie qui est « deux à trois fois plus fréquente aujourd'hui qu'il y a une trentaine d'années »226(*). Nous pouvons noter que toutes ces précisions médicales concernant l'anorexie se trouvent dans un seul et même article daté de 1998. Les autres discours de presse ne fournissent aucun élément chiffré.

Les qualificatifs utilisés pour désigner l'actant sujet nous rappellent que c'est une maladie qui affecte principalement les adolescentes. Nous trouvons par exemple les mots « adolescente anorexique », « adolescente »227(*), « jeune fille »228(*) ou encore « jeunes anorexiques »229(*). Seuls deux mots renvoient à l'enfance : « fillette » et « enfant »230(*) mais ils sont employés pour parler de Séverine, c'est-à-dire d'une anorexique prépubère comme nous l'avons mentionné. Dans plusieurs articles, l'anorexique prend un visage, a un nom : le quotidien nous raconte l'histoire de Séverine, de Nouk, nous apprend la mort de Solenn, nous « fait assister » à la consultation de Caroline ou encore laisse témoigner Anne. Ce recours à l'individualisation témoigne d'un souci de vérité, et donne au lecteur une représentation moins abstraite de la maladie.

d) L'anorexique, une jeune fille brillante

Les discours analysés donnent peu de détails concernant la personnalité de l'anorexique. Dans un article, le journaliste écrit que Nouk : « est une petite fille intelligente et brillante »231(*) qui « n'est jamais morbide ». Cette dernière précision illustre le paradoxe que nous avons mentionné : l'anorexique peut risquer sa vie mais n'a aucune intention suicidaire. Un autre discours nous révèle que les adolescentes touchées par la maladie sont « souvent de brillantes élèves, jamais rassasiées de travail ni de connaissances »232(*). Ces citations nous permettent de construire un portrait de l'anorexique beaucoup moins nuancé que pour La Croix. C'est uniquement la « supériorité » intellectuelle qui est mise en valeur et rien ne nous rappelle que l'adolescente anorexique est en réalité une jeune fille qui manque de confiance en elle et qui est animée par la peur.

Comme La Croix, Le Monde considère que l'anorexie est une maladie grave mais dans un degré moindre. Elle affecte des jeunes filles ainsi que des garçons comme le révèlent les indications chiffrées que nous fournit le journal. Le Monde fait preuve d'une certaine rigueur puisqu'il s'attache à distinguer l'anorexie de la petite anorexie. Par contre le portrait qu'il construit de l'anorexique est peu conforme à la réalité et ne met en évidence qu'un aspect peu révélateur de la personnalité de ces jeunes filles.

3. Le Figaro : l'anorexie est une maladie grave mais peu abordée

a) Un traitement médiatique quasi inexistant

Les articles dont nous disposons pour notre étude ont été publiés entre 1997 et 2005. Au cours de cette période, le Figaro écrit treize articles « sur » l'anorexie. Par l'usage des guillemets, nous nous permettons de souligner qu'en réalité peu d'articles sont véritablement consacrés à l'anorexie comme l'illustre le rubricage adopté par le quotidien. En effet, cinq articles relèvent de la rubrique Télévision-Radio, ce qui correspond quasiment à la moitié du corpus ; trois figurent dans la rubrique Société, deux dans La vie scientifique, un dans La vie à Paris, un dans Paris et Ile de France, et un à la dernière page dédiée à la rubrique Expliquez-vous. Ce rubricage plutôt inapproprié nous fournit déjà une idée de la façon dont Le Figaro va aborder le sujet de l'anorexie. En effet, parler de cette maladie dans une rubrique sans aucun lien avec la médecine ou la science, laisse penser que le quotidien ne traite pas l'anorexie dans une perspective médicale. L'analyse de notre corpus nous permettra de confirmer cette hypothèse et de l'interroger.

b) L'anorexie, une maladie grave

Malgré ce rubricage inapproprié, Le Figaro parle de l' « anorexie mentale »233(*) comme d'une « maladie »234(*) et la qualifie même de « véritable maladie »235(*). Le terme « véritable » permet d'insister et de souligner que l'anorexie n'est pas une maladie bénigne. Elle appartient aux « troubles graves des conduites alimentaires »236(*) et est également qualifiée de « trouble du comportement »237(*), « mal-être psychologique »238(*), « trouble du comportement alimentaire » et de « mal »239(*). Nous pouvons noter que les termes utilisés par le quotidien sont moins variés que dans le Monde ou La Croix qui utilisent également les mots : pathologie, affection...

L'étude des articles du corpus nous permet de faire cinq remarques quant à la qualification de l'anorexie. Un expert souligne que la pathologie « existait déjà au début du siècle » et dans le même article Le Figaro écrit que « l'anorexie et la boulimie sont les deux revers d'une même médaille »240(*). Ces deux indications sont isolées et ne sont répétées dans aucun autre discours cependant, il est important de les mentionner car elles font parties de la représentation de l'anorexie que véhicule le journal.

A travers plusieurs termes le quotidien met en exergue la gravité de la maladie. S'il précise que « toutes les variantes de sévérité peuvent s'observer [et qu']il en est de même pour la gravité »241(*), plusieurs articles révèlent que c'est pourtant la gravité de la maladie qui retient l'attention du journal. Ainsi, nous trouvons à deux reprises le qualificatif « grave[s] »242(*), mais aussi celui d'« inquiétant »243(*). De plus, un article du Figaro annonce une émission télévisée dont le « sujet douloureux »244(*) est l'anorexie. Par le biais de ces qualificatifs, le quotidien met donc l'accent sur la gravité de la maladie et la souffrance qu'elle engendre. Notons cependant que pour Le Figaro, l'anorexie n'est pas aussi grave que pour La Croix puisque l'adjectif « grave » n'est employé que deux fois sur toute la période. De plus, le quotidien ne lui adjoint jamais la particule « très ». Nous pouvons tout de même souligner le décalage entre cette perception de l'anorexie et la façon dont le quotidien traite le sujet. En effet, il peut sembler surprenant d'insister sur la gravité d'une pathologie mais de le ne lui consacrer quasiment aucun article de fond (seuls deux discours parlent « réellement » de l'anorexie). Nous pouvons interpréter ce parti pris par le journal comme le symptôme de la difficulté d'écrire sur une maladie, certes courante mais encore difficile à expliquer.

Un article en particulier a retenu notre attention, il s'agit de Jacqueline Kelen : `L'anorexie n'est pas une maladie »245(*) dans lequel Le Figaro interviewe J. Kelen. Nous avons montré que de par les termes que le quotidien emploie, qu'il considère l'anorexie comme une maladie. Cet article fait donc figure de discordance puisque l'auteur propose une « approche spirituelle de l'anorexie » et se refuse à qualifier l'anorexie de « maladie ». Elle prétend que les anorexiques sont en « quête d'immortalité » et que leur restriction alimentaire est une façon de « remettre en question [notre] société profondément matérialiste ». Ce n'est pas tant la définition que cet auteur donne de l'anorexie qui retient notre attention, mais les procédés utilisés par le quotidien pour signifier son désaccord. Nous pouvons déjà mentionner la rubrique à laquelle figure cette interview : « Expliquez-vous » qui donne d'emblée l'impression que Le Figaro lance un défi à Jacqueline Kelen. Ensuite, dans la première question de l'interview, le journal précise « vous n'êtes ni médecin ni psychanalyste. Qu'apportez-vous de nouveau ? ». L'emploi de la double négation « ni... ni » contribue à disqualifier les propos cet auteur qui comme le souligne le journal n'appartient pas au corps médical et n'a donc a priori aucune compétence scientifique pour parler de l'anorexie. La question qui succède ne fait que renforcer ce discrédit : « A travers leur refus de se nourrir, qu'est-ce que les anorexiques essaient de nous dire selon vous ? ». L'expression « selon vous » marque la distanciation du journal. Enfin, la question qui clôt l'interview « Si vous croisiez une jeune fille anorexique ou ses parents, que leur diriez-vous ? » est quelque peu ironique et met en demeure l'auteur de trouver une réponse pertinente. En effet, quel conseil peut-elle donner à une jeune fille malade qui risque de mourir, si elle ne considère pas l'anorexie comme une pathologie ?

Enfin, il nous semble que Le Figaro opère une confusion entre anorexie et malnutrition. En effet, dans l'un des articles246(*) qui nous relate la mort de Malika, la plupart des termes utilisés pour décrire l'état de la jeune femme appartiennent au champ lexical de la malnutrition. Elle est « morte de faim » et « victime de sous-nutrition », elle avait un « corps squelettique » et était « décharnée ». Si ces deux derniers mots peuvent tout à fait correspondre à la description d'une anorexique, les deux premiers en revanche, renvoie à la malnutrition. Il faut attendre la fin de l'article pour savoir que « Malika souffrait d'anorexie depuis dix ans ». Or, comme nous l'avons expliqué, l'anorexie ne se réduit pas à la restriction alimentaire qui n'est que l'un des symptômes de la maladie. Ainsi, nous pouvons penser que le journal réduit l'anorexie à la restriction alimentaire parce qu'il méconnaît les véritables caractéristiques de la maladie. Cependant, dans un article précédent, l'anorexie est bien définie comme « un trouble » qui « consiste à ne presque plus se nourrir sans qu'il y ait une absence d'appétit » et qui entraîne « une importante perte de poids et des perturbations hormonales, s'exprimant par une aménorrhée »247(*). Dans cet article, le quotidien rapporte à plusieurs reprises les propos d'un spécialiste des troubles du comportement alimentaire, nous pouvons donc supposer que cette phrase reprend au discours indirect libre les dires de cet expert. Cela expliquerait la discordance que nous venons de souligner. De plus, le vocabulaire employé relève du champ médical alors que les termes médicaux sont peu fréquents dans le reste des discours.

c) Un actant sujet essentiellement féminin 

Les mots employés pour qualifier l'anorexique sont peu nombreux ce qui montre encore une fois que le quotidien ne parle pas vraiment de l'anorexie. Seuls deux articles nous mentionnent que l'anorexie fait « des ravages chez les jeunes femmes des pays riches »248(*) et qu'elle « atteint majoritairement les filles, le plus souvent des adolescentes »249(*). Le terme de « garçon » ou « adolescent » n'apparaît jamais. Nous pouvons noter une différence dans la tonalité de ces deux phrases qui peuvent aisément s'expliquer. La première provient du discours propre du journal tandis que la seconde est issue des propos d'un expert (P. Jeammet) rapportés au discours indirect libre. Par le terme de « ravage », le journal veut insister sur l'augmentation des « cas d'anorexie » durant ces dernières décennies, « il y en aurait trois fois plus »250(*) et c'est environ « une jeune fille sur cent »251(*) qui en souffre. Notons que les données chiffrées sont moins nombreuses et moins précises que dans Le Monde et La Croix, ce qui témoigne d'une faible rigueur. Dans un autre article, le quotidien insiste sur le taux de mortalité et précise que « pis 10% des adolescentes anorexiques en meurent chaque année ». L'anorexie est donc bien une maladie grave puisque mortelle, pourtant Le Figaro y consacre peu d'articles. Nous pensons que le taux de mortalité que donne le quotidien est erroné. En effet, « la mortalité globale [...] est très variable d'une étude à l'autre, de nulle à plus de 10% »252(*), d'autre part un médecin précise que « la mortalité globale de l'anorexie mentale a été récemment estimée à 0,5-1% par année d'évolution »253(*), il n'y a donc pas 10% d'anorexiques qui meurent chaque année.

Comme dans les quotidiens précédemment étudiés, l'actant sujet est individualisé à deux reprises. L'un des discours du quotidien évoque la mort de Laurence, 15 ans, la fille de B. Chirac et un autre de Malika, 26 ans. Le Figaro ne s'attache pas à dresser le portrait des anorexiques comme le montre la seule indication que nous ayons trouvé : l'adolescente est « perfectionniste »254(*).

Les discours du Figaro se distinguent de ceux de La Croix et du Monde sur différents points. S'il considère bien que l'anorexie est une maladie grave, il insiste beaucoup moins sur cet aspect. De plus, il mentionne bien que cette pathologie affecte principalement les filles, ce qui sous-entend que des garçons sont également concernés cependant, le terme en lui-même n'apparaît pas. Ensuite, ses propos sont beaucoup moins rigoureux : la terminologie employée pour désigner la maladie est peu variée et les indications concernant la prévalence de l'anorexie sont faibles. De plus, certains propos sont erronés comme le taux de mortalité ou la répartition socioculturelle de la maladie. Enfin, il semble que le quotidien opère une confusion entre anorexie et malnutrition, ce qui laisse croire qu'il connaît mal cette pathologie. Pour terminer, il ne dit quasiment rien de la personnalité des anorexiques, un aspect pourtant important puisque comme nous l'avons montré la maladie ne survient pas chez n'importe qui.

3. L'Humanité : l'anorexie une maladie qui touche les femmes et les hommes

a) L'anorexie, une maladie qui apparaît au printemps

Entre 1993 et 2005, L'Humanité publie seulement huit articles sur l'anorexie, ce qui témoigne d'un faible intérêt pour la maladie. De plus, ces articles sont relativement courts excepté celui qui constitue le témoignage d'une anorexique. La plupart se trouvent dans la rubrique Société ou Médias, le quotidien n'ayant pas de rubrique Médecine ou Sciences. Cependant, L'Humanité considère bien l'anorexie comme une « maladie », un terme employé à cinq reprises sur toute la période255(*). C'est même une « maladie qui dévore le corps et l'esprit »256(*), une façon de dire que l'anorexie est à la fois une pathologie psychique et somatique. Le verbe « dévore » souligne l'ampleur de la maladie. Nous trouvons également les mots « troubles » et « labyrinthes mentaux de l'anorexie »257(*). Nous pouvons remarquer que le lexique employé est beaucoup moins riche que dans La Croix ou Le Monde. La terminologie n'est pas médicale, un constat que les autres analyses vont confirmer. Le quotidien sous-entend que l'anorexie est une maladie mentale qui se distingue de la « `folie' »258(*) même s'il n'emploie jamais l'acception médicale « anorexie mentale ». L'usage des guillemets pour le mot folie est une façon de mettre à distance ce qualificatif, le journal laisse entendre par ce procédé qu'il y aurait une dimension rationnelle à l'anorexie, une explication. Nous trouvons également l'expression « désordres alimentaires »259(*), qui contraste avec le terme usité par le corps médical : troubles alimentaires. Alors que le mot « trouble » renvoie à un problème d'ordre psychologique difficile à expliquer, celui de « désordre » donne l'impression que la maladie peut disparaître rapidement et facilement. Enfin, pour le quotidien il est possible d'« attraper une anorexie »260(*). Employer le verbe « attraper » qui renvoie à l'expression « attraper un rhume », revient à dire que l'anorexie est une maladie qui peut survenir à n'importe quel moment et qui peut également se guérir facilement. Malgré cette tonalité légère, le quotidien suggère que l'anorexie est une maladie douloureuse en employant à plusieurs reprises le mot « souffrance » : Solenn, la fille de Patrick Poivre d'Arvor « souffrait d'anorexie »261(*) et des jeunes femmes « souffrent d'anorexie »262(*) après avoir fait plusieurs régimes. Notons que contrairement aux autres quotidiens, le qualificatif « grave » n'est pas utilisé.

Un autre élément est révélateur de la légèreté avec laquelle L'Humanité parle de l'anorexie. A deux reprises il laisse entendre que cette maladie s'attraperait plus spécifiquement au printemps. L'anorexie est « diagnostiquée [...] lorsque le printemps revient »263(*) car « dès le retour du printemps, haro sur les kilos »264(*). Cette corrélation entre l'apparition de l'anorexie et l'arrivée du printemps s'explique facilement : pour L'Humanité, l'anorexie est la conséquence d'une succession de régimes et c'est le plus souvent au printemps que les femmes entreprennent un régime. (Nous développerons plus loin cet aspect car il nous renvoie à la performance de l'anorexique). Nous ne pouvons que souligner l'erreur commise par le journal qui reflète une méconnaissance de la maladie.

Les discours de presse nous fournissent un dernier élément concernant la qualification de l'anorexie : par deux fois nous retrouvons l'idée que l'anorexie et la boulimie constituent les deux facettes d'une même maladie : « l'anorexie/boulimie » et « l'anorexie et/ou la boulimie, deux facettes d'un même trouble »265(*). Cette idée est partagée par une partie du corps médical cependant, le journal n'a pas recours aux propos d'un expert pour appuyer ses dires. D'ailleurs, dans aucun article, L'Humanité ne donne la parole à aucun expert pour justifier ou renforcer ses propos. Seule une psychologue britannique266(*) apparaît dans un discours. Nous pouvons interpréter cette « absence » comme un parti pris du quotidien : il n'entend pas s'attarder sur les aspects médicaux de la maladie mais plutôt l'envisager comme un problème de société. A ce titre, il s'attachera plutôt à comprendre qui sont les destinateurs de la maladie. En effet, nous verrons que le régime et l'influence des médias sur les femmes sont des thèmes récurrents dans les discours.

b) L'actant sujet, une femme ou un homme

Dans les articles étudiés, nous avons distingué quatre façons de désigner l'anorexique. L'Humanité parle de « femmes »267(*), de « jeune femme », de « jeune »268(*), de « jeune fille »269(*) et d'« enfants anorexiques »270(*). Il est intéressant de noter que le terme de « femme » est plus récurrent que celui de « jeune fille ». De plus, le mot « adolescente » n'apparaît dans aucun article alors que l'anorexie est considérée comme une maladie de l'adolescence par le corps médical. Nous pouvons penser que cette différence dans la qualification des anorexiques résulte d'une mauvaise connaissance de la maladie : le journal confond les femmes qui font des régimes avec les jeunes filles anorexiques. Cependant, à quatre reprises l'actant sujet est individualisé et il s'agit soit d'une adolescente soit d'une jeune femme mais jamais d'une femme (Samantha, une britannique de 26 ans271(*), Solenn, dix-huit ans272(*) et Clara, anorexique à quinze ans273(*)). Malgré cette confusion entre « femme » et « jeune fille », à travers des exemples précis, le quotidien montre que l'anorexie est une maladie qui touche principalement les adolescentes.

Nous avons relever une seconde spécificité quant à la désignation de l'actant sujet : le quotidien parle à deux reprises des « hommes », des « mâles »274(*) et de « la gent masculine »275(*) qui pourraient bientôt être concernés par la maladie. Selon le journal, c'est parce qu'ils deviennent sensibles aux photos que proposent les magazines qu'ils sont susceptibles de devenir anorexiques. Cette allusion à l' « anorexie masculine » n'a aucun point commun avec l'anorexie masculine qui touche les adolescents. Il semblerait que le journal confonde encore une fois les hommes qui entreprennent des régimes et les adolescents atteints d'anorexie.

En ce qui concerne la fréquence de la maladie et sa prévalence parmi les adolescentes, le journal fournit très peu d'indications. Nous pouvons juste lire dans un article : « l'anorexie et/ou la boulimie, deux facettes d'un même trouble, qui touche à plus de 95% des femmes »276(*). Ce pourcentage est peu précis puisqu'il prend aussi en compte la boulimie. De même, L'Humanité parle peu de la répartition socioculturelle de la maladie et souligne que l'anorexie est « un problème de santé publique qui ne concerne pas que les bourgeoises [...] et qui fait des mortes chaque année »277(*) ; une façon de dire que toutes les classes sociales sont touchées aujourd'hui. L'Humanité évoque de façon implicite la gravité de la maladie qui peut conduire à la mort cependant, son discours ne s'appuie sur aucune donnée chiffrée. Cette absence de détails rappelle l'hypothèse que nous avons faite : le quotidien ne s'intéresse pas à la maladie d'un point de vue médical. Les deux termes qu'il utilise (« fléau social » et « problème de santé publique ») méritent quelques remarques. Un fléau se définit comme « une grande calamité publique »278(*), un terme qui est donc relativement fort, par lequel le journal met en valeur la gravité de la situation. Cependant, il semble qu'ici l'emploi de ce mot soit un peu exagéré. Certes l'anorexie est de plus en plus fréquente mais elle se limite à une partie de la population bien définie. Nous pensons qu'en utilisant ce mot, le quotidien souhaite attirer l'attention du lecteur mais aussi du gouvernement, l'enjoignant à agir. En qualifiant l'anorexie de « problème de santé publique », le journal se distingue des autres quotidiens puisque aucun n'y fait référence (seule La Croix évoque la sphère publique) et rejoint l'opinion du corps médical. Là encore il peut sembler étrange d'utiliser cette dénomination alors même qu'aucun discours ne s'intéresse en profondeur à la maladie. C'est donc bien une mise en demeure à laquelle L'Humanité procède, le gouvernement doit prendre en charge cette maladie qui concerne toute la société (nous y reviendrons dans la dernière étape de notre analyse).

c) Clara, le portrait d'une anorexique

Les caractéristiques mentales des anorexiques sont évoquées de façon indirecte dans le témoignage de Clara279(*). Le quotidien laisse la parole à cette anorexique qui nous raconte sa « lutte » contre la maladie. Celle-ci explique qu'au collège « c'était trop facile », que la gymnastique « ça a bien marché tout de suite » et que sans se forcer elle était première. Que ce soit à l'école ou pour des activités extra-scolaires, elle avait « l'impression de ne jamais faire d'effort, c'était bien ». Toutes ces expressions révèlent la facilité avec laquelle la jeune fille entreprenait ce qu'elle faisait. Peu à peu, elle raconte qu'elle a commencé à paniquer, à être stressée et à avoir peur : « je paniquais », « je ne vaux rien, pourquoi je n'y arrive pas », « je n'arrivais plus à rien », « ça m'a fait peur ». Ce contraste entre ses facultés intellectuelles, sportives et son manque de confiance, la peur qu'elle ressent illustre bien l'ambivalence dans laquelle se trouve l'anorexique. En nous rapportant les propos de Clara, le journal livre au lecteur un portrait assez fidèle d' « une anorexique », ou du moins il montre bien que l'adolescente anorexique n'est pas uniquement une jeune fille brillante et perfectionniste comme le laissent croire les discours de le Monde et Le Figaro. Une dernière remarque s'impose par rapport à cet article. Le journal adopte une stratégie discursive particulière, le témoignage, qui consiste à laisser la parole à un tiers et qui permet de donner plus de crédibilité aux propos puisqu'une personne a réellement vécu ce qu'elle raconte.

Si L'Humanité qualifie bien l'anorexie de maladie c'est quasiment le seul point commun avec la représentation que véhiculent les autres quotidiens. Les différentes remarques que nous avons pu faire nous indique qu'il ne connaît pas bien la maladie. Il opère une confusion entre les femmes qui font un régime et l'anorexie ce qui le conduit à désigner un actant sujet différent des autres quotidiens. Il occulte l'aspect médical de la maladie comme l'indique l'absence de termes médicaux, le manque de précision dans les données chiffrées (par exemple, le pourcentage qu'il donne ne nous fournit aucune indication fiable quant à la prévalence de l'anorexie). De façon implicite, il signale que la maladie touche aujourd'hui toutes les classes sociales. Enfin l'absence d'experts confirme que ce n'est pas l'aspect médical de l'anorexie qui intéresse le quotidien. Seul le témoignage de Clara nous fournit quelques éléments pertinents notamment en ce qui concerne le portrait de l'anorexique. D'ailleurs nous verrons au fil des analyses que ce témoignage fait figure de rupture par rapport aux autres discours de L'Humanité. Malgré ces imprécisions et ces erreurs, le quotidien considère l'anorexie comme un « fléau social » et un « problème de santé publique », des expressions intéressantes qui laissent supposer que l'intérêt du journal est ailleurs.

4. Libération : l'anorexie est une maladie dont le journal parle très peu

a) Un traitement quasi inexistant du sujet

Le premier article dont nous disposons sur l'anorexie date de 2000. Il y a donc une différence assez flagrante entre Libération et certains quotidiens comme Le Monde qui dès 1989, aborde le sujet. Cette quasi absence peut s'interpréter comme un désintérêt pour la maladie, Libération occulte un sujet qu'il ne considère pas comme important. Nous pouvons souligner le décalage entre l'apparition d'un discours relativement tardif sur cette maladie et l'importance que le corps médical lui accorde depuis plusieurs années. Entre 2000 et 2005, seuls dix articles abordent le thème de l'anorexie. Si quantitativement, ce traitement médiatique est supérieur à celui d'autres quotidiens comme Le Monde, il doit être relativisé. En effet, parmi ces dix articles, très peu abordent la maladie en elle-même et les discours du journal sont bien souvent des discours sur autre chose que l'anorexie. Le rubricage constitue la seconde spécificité du traitement médiatique de l'anorexie par Libération : les discours se répartissent entre la rubrique Télévision (trois articles), la rubrique Vous (trois articles), la rubrique Livres (deux articles), la rubrique Monde et la rubrique Multimédia (un article dans chaque). Ce rubricage diffère sensiblement de celui qu'adopte La Croix par exemple qui publie la plupart de ses articles sur l'anorexie dans la rubrique Médecine, ou de L'Humanité qui privilégie la rubrique Société. Cela laisse présager des discours peu rigoureux du moins d'un point de vue médical.

Le quotidien ne parle pas réellement de cette maladie au sens où il ne donne que très peu d'informations médicales : aucun article ne porte sur les facteurs de l'anorexie qui sont mentionnés de façon implicite, le seul article qui fournit des données chiffrées est une brève ce qui illustre bien le faible intérêt que porte le journal à cette maladie. Nous avons remarqué que dans un article, le mot « anorexie » figure uniquement dans le titre mais pas dans le corps de l'article280(*). En réalité, le journal s'intéresse aux mannequins américains « anorexiques ». Dans le reste du corpus, un article annonce l'émission de Julien Courbet sur l'anorexie et la boulimie, un autre est consacré à la fermeture des sites pro-anorexiques ou encore à la publication d'un livre sur l'anorexie. Le thème de ces discours souligne bien que le quotidien n'aborde pas l'anorexie directement en tant que pathologie mais à travers des événements qui y sont liés. A ce titre, nous pouvons préciser que Libération interviewe un sociologue (et non un médecin) qui évoque « le rapport des femmes au gras »281(*). Au cours de l'interview, cet expert précise qu'il parle « d'un point de vue sociologique - et pas pathologique ». Un indice intéressant qui révèle que le journal n'entend pas non plus parler de l'anorexie d'un point de vue pathologique, donc médical. Cependant, nous pouvons quand même déceler dans les discours de presse des indications relatives à la qualification de la maladie et à l'anorexique.

b) L'anorexie est une maladie

L'étude des articles du corpus révèle l'emploi de trois qualifications différentes pour dénommer l'anorexie. La première désignation de la maladie se trouve dans les discours propres de Libération, qu'il assume en tant que locuteur. Ainsi, il considère que l'anorexie est une « maladie » (un terme qui revient à plusieurs reprises)282(*), « psychique »283(*), et même « scandaleuse »284(*). Les termes « trouble du comportement alimentaire »285(*), et « phobie de la calorie »286(*) sont également utilisés. Comme L'Humanité, Libération suggère plusieurs fois la souffrance : « les adolescents [qui] souffrent d'anorexie »287(*) ou encore « ceux qui souffrent d'anorexie et de boulimie »288(*). Evoquer la souffrance est une façon de rappeler que l'anorexie est une maladie. Nous pouvons remarquer que Libération n'emploie jamais le terme médical « anorexie mentale » dans ses discours. Nous pouvons d'ores et déjà signaler le clivage qui se dessine entre les journaux qui recourent à une terminologie médicale et ceux qui n'utilisent que les termes vulgarisés.

Outre ces mots issus du discours propre du journal, d'autres termes plus médicaux sont utilisés pour parler de l'anorexie. Ils proviennent alors toujours de propos d'experts rapportés au discours direct ou indirect libre. L'article Tourments sans faim ; psychanalyse289(*), qui est un résumé du livre du professeur P. Jeammet, nous en fournit plusieurs exemples. Ainsi, le terme « anorexie mentale » est employé pour la première fois, tout comme les mots « pathologie », « conduite addictive », « addiction », « mal » ou encore « symptôme ». Cet auteur compare aussi l'anorexie à un comportement d'autosabotage. C'est également le seul article dans lequel figure le terme « patiente » qui nous rappelle que l'anorexie est bien une maladie et que les personnes qui en souffrent doivent être prises en charge. C'est aussi le seul discours qui nous livre une définition précise de l'anorexie. Tous ces mots, que Libération reprend à son compte le plus souvent au discourt indirect libre, sont ceux d'un expert. C'est pourquoi cette terminologie médicale tranche avec les termes employés par le journal dans les autres articles. La stratégie discursive adoptée par Libération nous permet de dire qu'il approuve les dires de l'expert. Si deux voix parlent, celles-ci s'unissent pour considérer l'anorexie comme une maladie.

Une troisième voix, cette fois-ci discordante, se fait entendre dans un article qui a pour thème les sites internet pro-anorexiques. Il faut préciser que c'est le seul quotidien qui s'intéresse à ce problème alors que l'existence de tels sites est réellement problématique. Le journal rapporte les propos des anorexiques que nous pouvons lire sur Internet. Elles prétendent que « l'anorexie est un art de vivre, pas une maladie », une « amie » et un expert ajoute qu'elles la considèrent une « super-victoire »290(*). Le quotidien ne cautionne pas cette représentation de la maladie et dénonce, par le biais d'experts, l'existence de tels sites.

Les discours divergent sur un autre aspect, celui de l'origine de la maladie. Il semble que Libération ne tranche pas entre ancien ou nouveau puisque dans deux articles, les avis divergent. En 2003, le quotidien publie une interview de Jean-Pierre Corbeau qui explique que l'anorexie n'est pas une maladie nouvelle. « La négation du corps ne date pas d'hier »291(*) et le sociologue récapitule en quelques phrases l'histoire de l'anorexie. Le mode de l'interview, sur lequel est basé cet article, ne permet pas de savoir si Libération est plutôt d'accord avec son interlocuteur ou non. Nous pouvons supposer que l'opinion de cet expert est celle du journal puisqu'il lui donne la parole. De même en 2005, nous trouvons la phrase suivante : « les troubles du comportement alimentaire sont loin d'être une pathologie nouvelle »292(*). Cependant, en 2005, une autre voix se fait entendre. Un article annonce la sortie du livre de Jean-Philippe de Tonnac, et le journal conclut en citant la phrase qui ouvre cet ouvrage : « c'est une maladie nouvelle qui tend comme un tamis entre la nourriture et l'estomac »293(*). Aucun indice ne nous permet de savoir pour quelle interprétation penche le quotidien.

Le quotidien fournit peu d'indications chiffrées quant à la prévalence de l'anorexie. En 2001, il mentionne une première fois qu' « en France, 5 à 13% des adolescents souffrent d'anorexie. Un chiffre qui augmente chaque année. Neuf sur dix sont des filles »294(*). Il est intéressant de relever que malgré cette indication de l'augmentation des cas d'anorexie, en 2005 Libération prétend à nouveau que « 5 à 13% des adolescents » souffrent d'anorexie, et que « neuf sur dix sont des filles »295(*). Il introduit ses propos en écrivant « les spécialistes estiment », une façon de se mettre à distance mais peut-être aussi de montrer qu'il n'est pas compétent pour parler de ce sujet. Nous pouvons souligner qu'il semble peu probable que la répartition fille-garçon soit restée inchangée en quatre ans. D'ailleurs nous verrons que les estimations données par Santé Magazine sont différentes, aujourd'hui l'anorexie touche plus d'un garçon sur dix. Il avance également que « 7 à 10% des ados en meurent »296(*) et n'y consacre que quelques lignes ce qui est pour le moins paradoxal. En effet, Libération montre, chiffres à l'appui, que l'anorexie est une maladie mortelle et ne consacre aucun article de fond sur le sujet (le seul article relativement complet est en réalité le résumé du livre de P. Jeammet). Les discours de presse nous fournissent un dernière indication concernant la répartition socioculturelle de la maladie : J.-P. Corbeau explique qu'« au XXème siècle, l'anorexie apparaît dans des trajectoires sociales bourgeoises »297(*), une affirmation erronée puisqu'en réalité aujourd'hui la maladie affecte toutes les classes sociales.

c) L'anorexique n'est pas toujours une adolescente

Le journal a recours à différents termes pour désigner les anorexiques. La plupart du temps c'est une « adolescente »298(*), « une jeune fille »299(*) comme Vanessa qui vient témoigner dans une émission télévisée. Cependant, Libération précise que la maladie peut également toucher des « jeunes adultes »300(*). Dans l'un des récits, l'anorexique prend un visage masculin. Le quotidien nous fait part de la sortie d'un livre écrit par un jeune homme, anorexique à l'adolescence. L'article révèle déjà en lui-même que les garçons peuvent être concernés par cette maladie. Le récit le confirme en précisant que « la communauté de l'ana » est une « société secrète » qui compte « des jeunes filles et quelques jeunes hommes ». Nous pouvons penser que le qualificatif de « jeune » est employé au même titre que celui d' « adolescent » et que le terme « jeune homme » renvoie à un adolescent. Un autre récit301(*) nous révèle que l'anorexique peut être une femme adulte. Le journal consacre un article à un restaurant allemand dédié aux anorexiques et aux boulimiques, dont la patronne de 33 ans est « elle-même anorexique ».

Il est intéressant de noter que Libération mentionne une « Miss Anorexie » dans le premier article de notre corpus302(*). Il est difficile de savoir si cette désignation résulte d'une confusion entre anorexie et maigreur ou s'il s'agit réellement d'un mannequin anorexique. En effet, le mot « anorexie » ne figure pas dans le corps de l'article, par contre nous y trouvons plusieurs termes appartenant au champ lexical de la maigreur tels que « si maigres » à deux reprises, « maigreur » et « maigres ». Cependant, certains mannequins américains sont effectivement connus pour leur anorexie, comme le rappelle l'un des discours de L'Humanité, ce qui ne permet pas de trancher.

Libération s'intéresse peu à l'anorexie comme l'indique le rubricage qu'il adopte. En effet, il se contente de qualifier l'anorexie de maladie et nous fournit peu de données médicales. En outre, celles dont nous disposons sont peu fiables. Par exemple, le pourcentage qu'il nous donne sur la proportion des adolescents affectés par la maladie n'évolue pas malgré les années. Certains propos sont erronés comme l'indication qui concerne l'origine sociale des anorexiques. La spécificité des discours du journal réside dans la qualification de l'actant sujet qui peut être tantôt une adolescente, un adolescent ou encore une adulte. Enfin, nous n'avons trouvé qu'un indice concernant la personnalité de l'anorexique, rapporté par un expert, qui souligne que l'« adolescente prend le pouvoir dans sa famille et impose ses lois »303(*), autrement dit qu'elle est tyrannique, un terme que nous trouvons dans la littérature scientifique mais auquel ne se réduit pas la personnalité d'une anorexique.

6) Santé Magazine : une approche médicale de l'anorexie

a) Un traitement médiatique rigoureux et précis

Entre 1985 et 2005, Santé Magazine publie neuf articles sur l'anorexie mentale, ce qui est relativement peu au regard du rôle d'information qu'est censé remplir un magazine de santé. Cependant, les articles consacrés à cette maladie sont relativement longs et complets et témoignent d'un souci de prévention que nous évoquerons dans le dernier volet de notre étude. Notre analyse ne portera que sur les articles écrits entre 1991 et 2005 néanmoins, nous allons évoquer rapidement les idées des deux premiers discours, ce qui nous permettra de comprendre comment a évolué la représentation de la maladie. Dans Peut-on guérir l'anorexie mentale ?304(*) et La haine de l'assiette305(*), le discours du magazine suit un schéma bien précis que nous retrouvons dans quasiment tous les articles : le journaliste commence par présenter la maladie et ses symptômes, puis il aborde les causes de l'anorexie, s'attache à décrire les pratiques des malades et termine par la question de la prise en charge médicale. Dans une perspective actantielle, nous pouvons dire que c'est autour de trois étapes du schéma narratif306(*) que Santé Magazine construit ces discours. Il faut préciser qu'il est le seul à adopter cette structure narrative. En effet, les autres quotidiens n'abordent jamais ces trois étapes du schéma narratif dans un même article ou du moins pas d'une façon aussi marquée. Cette construction discursive découle de la position de Santé Magazine : en tant que magazine d'information sur la santé, il ne peut traiter le thème de l'anorexie en faisant l'impasse sur l'une des facettes de la maladie. Il est donc assez logique de retrouver dans chacun des articles ces trois étapes du schéma narratif. Néanmoins, cela n'empêche pas des journaux comme La Croix de s'attacher à décrire tous les aspects de la maladie (dans certains articles), d'où une certaine similitude avec Santé Magazine dans la structure des discours.

Les deux premiers articles307(*) sur l'anorexie, publiés dans les années 80, sont classés dans la rubrique Médecine, ce qui nous indique d'emblée la perspective dans laquelle se place Santé Magazine. L'anorexie est une maladie, c'est donc d'un point de vue médical qu'il faut en parler. Ce rubricage reste constant tout au long de la période étudiée. Le titre du premier article Peut-on guérir l'anorexie ? nous fournit deux indications. Il révèle que l'une des préoccupations majeures du journal concerne la guérison de l'anorexie, une caractéristique que nous retrouverons dans les autres articles. Ensuite le terme « guérir » confirme que l'anorexie est bien considérée comme une maladie. En ce qui concerne la construction de la figure de l'anorexique, ces deux articles désignent la malade comme une adolescente issue d'un milieu aisé, qui refuse de manger. Ce refus traduit une peur de devenir adulte. Le terme « étrange » révèle que l'anorexie est à cette époque, encore une maladie mystérieuse.

b) Le recours à une terminologie médicale

A partir des années 90, la qualification de la maladie devient plus précise : l'anorexie est une maladie « psychique »308(*), « psychologique »309(*) d'où le qualificatif de « mentale », qui se manifeste « de façon physiologique »310(*). Toutefois, une part de d'incertitude subsiste comme le révèle cette succession de questions : « L'anorexie mentale, un syndrome culturel ? Une maladie psychosomatique ? Ou bien un trouble du comportement alimentaire ? En réalité, l'anorexie mentale est un peu tout cela à la fois »311(*). L'anorexie mentale est donc présentée comme une maladie composite au carrefour du psychisme et du somatique, et en rapport avec la nourriture. Il est intéressant de noter que Santé Magazine utilise presque toujours le terme médical « anorexie mentale » là où la plupart des quotidiens parlent simplement d' « anorexie ». Outre le terme de « maladie »312(*), nous trouvons celui de « pathologie », « syndrome », « trouble », « trouble du comportement alimentaire »313(*) qui servent à désigner l'anorexie. Ainsi, la terminologie utilisée par le magazine nous rappelle que c'est sous un angle de vue médical qu'il entend aborder le sujet. De plus, les termes et les adjectifs qualificatifs employés sont variés et plus nombreux que dans les discours des quotidiens que nous avons étudiés. Notons également que dans quasiment tous les articles, le magazine s'attache à décrire les trois symptômes de l'anorexie, à fournir « les données cliniques »314(*) que sont : l'amaigrissement, l'anorexie et l'aménorrhée. Par exemple, il précise que « l'anorexique peut perdre entre 25 et 50% de son poids d'origine en quelques mois [...] [que les règles] se font de plus en plus irrégulières jusqu'à disparaître complètement »315(*). Presque tous les discours du magazine fournissent des précisions de ce type, qui reflètent la rigueur avec lequel Santé Magazine parle de l'anorexie. Si ces trois symptômes sont parfois mentionnés dans les autres quotidiens comme nous l'avons souligné, c'est la plupart du temps de façon allusive. Les critères de la maladie sont juste évoqués sans détails. Notons d'emblée que ces précisions introduisent un clivage entre la représentation de l'anorexie que véhicule Santé Magazine et celle que nous livrent les quotidiens.

c) L'anorexie de l'adolescente, une maladie du refus qui ne vise pas à l'autodestruction

Santé Magazine ne se contente pas d'utiliser des termes médicaux pour nommer l'anorexie. Les discours nous livrent plusieurs définitions de la maladie qu'il est important de citer car elles nous permettront de comprendre comment le magazine construit la figure du destinateur de l'anorexique, évoque sa performance et la prise en charge de la maladie. Dans le premier article de la période, le magazine écrit que l'anorexie survient chez les jeunes filles qui « refusent, ont peur »316(*), une définition que les propos d'un médecin viennent confirmer voire même renforcer : « l'attitude de refus de la nourriture est une attitude de refus tout court ». Nous retrouvons ce thème du refus quelques lignes plus loin : l'anorexie « traduit un refus de grandir »317(*) et « de devenir adulte ». Cette fois-ci, c'est le témoignage d'une ancienne anorexique qui vient confirmer, légitimer cette interprétation. Elle « avait peur des hommes. Peur de la société des adultes toute entière [...] et voulai[t] rester une enfant ». Cet article de Santé Magazine nous fournit un dernier élément quant à la définition de l'anorexie qui peut « alterne[r] souvent avec des formes sévères de boulimie ». Une phrase qui renvoie au second type d'anorexie que nous avons identifié : l'anorexie-boulimie. Notons qu'à aucun moment, le magazine ne distingue explicitement les deux formes d'anorexie.

Dans deux article, l'anorexie est qualifiée de « conduite restrictive face à l'alimentation »318(*), le magazine ne fait que reprendre la définition courante de l'anorexie. En 1997, Santé Magazine délègue la parole à un expert qui assimile l'anorexie à une « `stratégie de défense' ». Le journaliste précise cette définition en écrivant que si « le refus de s'alimenter [peut] conduire à la mort, l'anorexie mentale n'est pas un comportement d'autodestruction, c'est une tentative désespérée d'affirmation de soi »319(*). Une précision importante qui introduit un clivage entre la façon dont Santé Magazine se représente la maladie et l'interprétation qu'en donnent certains quotidiens nationaux. En effet, nous avons montré dans les analyses précédentes Libération assimilait, par la vois d'un expert, l'anorexie à un autosabotage.

Enfin, le témoignage de Vanessa confirme ce refus de grandir et plus particulièrement le rejet de la féminité : « j'avais la sensation que mon état était une forme d'émancipation alors qu'il n'était que la peur de devenir femme, adulte. Grâce à l'anorexie j'avais le pouvoir d'aller contre et d'arrêter le cycle naturel de la vie, des métamorphoses corporelles »320(*).

A travers ces citations, nous voyons que Santé Magazine donne plusieurs dimensions à l'anorexie : l'adolescente refuse de grandir mais rejette aussi la féminité cependant, son comportement ne vise pas à l'autodestruction. Cette représentation de l'anorexie est identique à la définition que donne le corps médical de cette pathologie.

d) Ne pas confondre l'anorexie à l'adolescence avec les autres formes d'anorexie

L'étude de notre corpus nous a révélé qu'à plusieurs reprises Santé Magazine prend soin de distinguer l'anorexie des adolescentes des autres formes d'anorexie. Dans un premier temps, « la véritable anorexie mentale » ne doit pas être confondue avec « les conduites anorexiques - qui sont fréquentes »321(*). Une première distinction que le magazine établit à nouveau en 1997 : « il ne faut pas confondre les conduites anorexiques, fréquentes (celles des adolescents qui, se trouvant trop gros, se mettent à suivre un régime draconien pendant quelques semaines), avec la véritable anorexie mentale »322(*).

L'anorexie de l'adolescente se distingue également de l'anorexie de nourrisson323(*) auquel le magazine consacre un encart en 1991. En 1997, il est à nouveau précisé que « si l'anorexie est d'abord une maladie de l'adolescence [...] elle touche aussi des enfants, des femmes de la quarantaine, des personnes âgées et même des hommes »324(*). Santé Magazine délègue la parole à des experts scientifiques et s'appuie sur des données chiffrées pour décrypter ces autres formes d'anorexie. Des détails qui témoignent de la rigueur et de la qualité de l'information que diffuse le magazine.

Au cours de la période les informations se font plus précises. Si l'anorexie est bien décrite comme la maladie « des jeunes filles »325(*) qui survient à l'adolescence, le magazine n'omet pas de préciser que les garçons sont aussi concernés et que la maladie touche de plus en plus les pré-adolescents, donc des enfants. A ce titre, il consacre un article à l'anorexie des enfants afin d' « alerter parents et médecins »326(*), et un autre à l'anorexie des garçons prépubères327(*). Nous ne procèderons pas à une analyse détaillée de ces deux articles puisque notre étude concerne l'anorexie à l'âge de l'adolescence cependant, nous pourrons les utiliser à titre de comparaison. Le premier discours est en réalité une interview d'un psychiatre qui insiste sur l'augmentation des cas d'anorexie chez les enfants comme l'illustre la citation suivante : « c'était très rare avant, mais les enfants et les préadolescents représentent aujourd'hui près de 30% des patients anorexiques suivis dans le service où l'exerce ». Nous pouvons noter une évolution dans les discours de Santé Magazine puisque l'anorexie des enfants qui était reléguée dans un encart dans les années 90, devient le thème principal d'un article dans les années 2000. Le magazine ne peut plus se contenter de faire allusion à cette forme d'anorexie alors qu'elle devient de plus en plus fréquente et inquiète le corps médical. Cet exemple reflète encore une fois la rigueur du magazine et son souci de prévention.

e) L'anorexie est une maladie grave

Le magazine met l'accent sur « la gravité de la maladie » en employant des termes tels que « terrible maladie », « anorexie sévère »328(*), « conséquences graves »329(*) dans le corps du texte ; en titrant « Anorexie : le drame alimentaire » et en évoquant « l'horreur de l'anorexie »330(*) ou encore en sous-titrant « Quand cela devient grave »331(*). Nous pouvons noter que si l'anorexie n'est pas une maladie « très » grave comme l'écrivait La Croix, les qualificatifs auxquels recourt le magazine sont plus variés et connotent également la gravité. Dans l'un des discours nous apprenons que c'est « 5% [des anorexiques] qui en meurent »332(*). Enfin, la phrase suivante a retenu notre attention : « l'anorexie est une maladie grave, et non un caprice alimentaire »333(*), car nous trouvons des propos similaires dans un article de La Croix. Des parents témoignent et soulignent que la maladie de leur fille « ce n'était pas le caprice d'une adolescente qui commence un régime »334(*). Comme La Croix encore, le magazine souligne que « la vision dramatique que l'on se fait de l'anorexie vient aussi du fait que toutes les données connues sur cette maladie ne concernent que les cas sévères nécessitant une hospitalisation »335(*). Les statistiques sont donc à lire avec précaution. Ces deux citations nous permettent d'ores et déjà de signaler qu'il existe des similitudes entre le traitement médiatique de l'anorexie dans Santé Magazine et le traitement médiatique opéré par La Croix. En attirant l'attention du lecteur sur la gravité de l'anorexie, Santé Magazine le met en garde. Cette posture nous permettra de comprendre l'importance que le magazine accorde à la prévention dans l'ensemble des articles.

f) L'anorexie, une maladie plus fréquente

Le magazine nous fournit plusieurs chiffres quant à la fréquence de l'anorexie qui permettent de voir l'évolution de la maladie et notamment son augmentation chez les garçons. En effet, en 1991 l'anorexie « atteint en majorité les filles (9 fois sur 10) »336(*) ; une prévalence qui reste identique en 1996 et en 1997337(*) mais qui évolue en 2001 : « 75% des anorexiques sont des filles [...] et 25% des garçons »338(*). Le magazine précise qu'aux Etats-Unis, ce sont 40% des garçons qui sont touchés, remettant ainsi en cause l'idée d'une maladie féminine. Ces précisions nous révèlent que l'existence de l'anorexie masculine est bien réelle. Il faut également noter qu'en 1991, le magazine mentionne que l'anorexie peut toucher « quelques garçons, fils de mères anorexiques »339(*). Ce détail laisse deviner qu'il y aurait soit une hérédité, soit une influence de la mère sur son fils. Cette affirmation est erronée et les études actuelles s'accordent pour dire que les garçons anorexiques n'ont pas forcément une mère qui a été anorexique. Cependant, cette citation est intéressante car elle montre qu'au début des années 90, l'anorexie était une pathologie encore mal connue, notamment l'anorexie masculine.

L'évolution est aussi assez nette quant à la répartition socioculturelle de la maladie. Dès 1991 Santé Magazine précise qu' « aujourd'hui, le phénomène a évolué [et que] la maladie touche toutes les classes sociales »340(*). Néanmoins quelques années plus tard, il revient sur cette position et réduit l'anorexie à une maladie qui « touche de préférence les jeunes femmes occidentalisées, d'une classe sociale plutôt favorisée, faisant des études supérieures, appartenant à une famille `intacte' »341(*). Les articles suivant ne nous donnent pas d'indications supplémentaires.

La majorité des termes utilisés par Santé Magazine pour désigner les anorexiques renvoient à l'adolescence : « adolescente »342(*), « jeunes filles »343(*), « filles »344(*) cependant, dans deux articles apparaît le mot « enfant »345(*). Nous pouvons avancer les deux explications suivantes : d'une part, l'anorexie est présentée comme un refus de grandir et de devenir adulte, ce qui justifie l'emploi du terme « enfant » ; d'autre part, à plusieurs endroits le magazine s'adresse aux parents et leur parle logiquement de leur « enfant ». L'alternance dans l'emploi des termes « enfant » et « jeune fille » ou « adolescente » traduit bien la situation particulière dans laquelle se trouve l'anorexique : au seuil de l'adolescence, elle veut « rester une enfant »346(*)

g) Un portrait de l'anorexique très complet

Dans plusieurs discours nous avons trouvé des informations permettant de dresser un portrait d'une adolescente anorexique. Le premier article de la période avance que la fillette est « charmante, prévenante, obéissante, bonne élève, petite fille modèle »347(*). Des termes qui sont ceux d'un médecin, encore une fois. Plus loin, c'est un autre expert qui résume que l'adolescente « `renonce au plaisir alimentaire' ». Ces deux citations rejoignent les éléments déjà cités auparavant, à savoir de bonnes capacités intellectuelles et le rejet du plaisir.

Un discours intitulé Portrait d'une anorexique a retenu notre attention puisqu'il est entièrement consacré à la personnalité des anorexiques alors que les autres quotidiens ne nous donnaient que des informations succinctes. Nous avons choisi de citer plusieurs phrases ou expressions qui permettent d'avoir une idée relativement précise de la personnalité des anorexiques. Le magazine débute en écrivant que « les anorexiques sont des filles souvent supérieurement intelligentes et brillantes en études »348(*), une information qui n'est pas nouvelle en soi. L'adolescente est qualifiée d'« obsédée par la nourriture », un terme qui peut sembler péjoratif mais qui en réalité signifie que la nourriture est l'unique objet de préoccupation de la jeune fille. A cette obsession s'ajoute sa « hantise de grossir » et sa « volonté de contrôle », contrôle de ses pulsions et de ses désirs. D'ailleurs « elle perd toute notion de plaisir ». L'anorexique prétend que tout va bien dans sa famille, ce que le magazine nuance : « les relations familiales sont faussement harmonieuses ». Enfin, le magazine insiste sur « l'aspect suicidaire [qui] est souvent évoqué en présence d'anorexie ». « En vérité, l'anorexie mentale n'est pas un comportement suicidaire en tant que tel, la victime ne souhaite pas se laisser mourir de faim ». Santé Magazine insiste sur le refus de la mort car il répète dans un autre article que la maladie peut entraîner la mort « bien que ce ne soit pas une attitude suicidaire »349(*). Nous pouvons compléter ce portrait de l'anorexie en citant une dernière information que nous avons trouvée dans un article ultérieur. Le magazine évoque le « manque de confiance en soi » et la « très grande dépendance affective vis-à-vis de l'entourage notamment de la mère »350(*). Force est de constater que Santé Magazine dresse un portrait très complet et relativement juste de l'adolescente anorexique351(*). Contrairement aux quotidiens d'information générale, il ne réduit pas ses propos à la « supériorité » intellectuelle ou à la peur que ressent la malade mais insiste sur toutes les facettes de la personnalité des anorexiques, mettant ainsi en valeur la complexité de la maladie

Les discours de Santé Magazine sont incontestablement les plus détaillés et les plus précis de notre corpus. D'emblée il souligne que l'anorexie est une maladie grave et non un caprice alimentaire. Le magazine fait preuve d'une grande rigueur en s'attachant par exemple à distinguer l'anorexie des autres formes d'anorexie que sont les conduites anorexiques mais aussi l'anorexie du nourrisson et l'anorexie des enfants. Les indications chiffrées qu'il nous fournit sont particulièrement intéressantes car elles permettent de mesurer l'évolution de la maladie, ce que nous ne pouvions pas faire avec les données des autres quotidiens. Ainsi, le magazine souligne bien comme le fait le corps médical, que l'anorexie touche de plus en plus les garçons et s'étend à tous les milieux socioculturels. L'article qui a pour thème le portrait de l'anorexique est précis et révélateur de ce que les médecins s'attachent à souligner aujourd'hui. Enfin, Santé Magazine s'appuie très fréquemment sur les propos des experts qui viennent renforcer les discours et leur donner une certaine crédibilité.

Ce premier volet de notre analyse nous permet d'ores et déjà de pointer des divergences et des similitudes dans le traitement médiatique qu'opèrent les quotidiens et Santé Magazine de l'anorexie. En ce qui concerne les similitudes, nous avons souligné le fait que l'anorexie faisait l'objet d'un faible traitement médiatique, lequel est quantitativement identique dans tous les journaux. Cependant, les contenus des discours varient ainsi que les rubriques dans lesquels les articles sont publiés. Un autre point commun concerne la désignation de l'anorexie qui est reconnue par tous les journaux comme une maladie. Cependant, au-delà de ces similitudes, ce sont surtout des différences que l'analyse comparative nous a permis de mettre au jour.

L'objectif de cette première partie était de repérer les termes utilisés par les journaux pour qualifier la maladie. Nous avons souligné qu'il existait un clivage entre les quotidiens qui recouraient à une terminologie médicale et ceux dont le lexique était peu varié. Ainsi, La Croix, Le Monde et Santé Magazine emploient des termes médicaux tandis que dans Libération, L'Humanité et Le Figaro, le vocabulaire se veut moins riche. Les termes utilisés tout au long de la période pour qualifier la maladie n'évoluent pas. Une seconde différence concerne la gravité de l'anorexie. Nous avons souligné que Santé Magazine, La Croix, Le Monde et Le Figaro qualifiaient l'anorexie de maladie grave alors que L'Humanité et Libération n'en disent rien. Cependant, parmi les discours qui affirment que la maladie est grave, nous avons noté des nuances : La Croix parle d'une maladie très grave tandis que Le Monde souligne simplement qu'elle est grave et Le Figaro ne le précise que deux fois sur toute la période. Ces remarques nous permettent déjà de souligner qu'il y a des écarts dans la façon dont les journaux représentent la maladie.

En ce qui concerne la qualification de l'actant sujet, les journaux sont plus consensuels. Tous s'accordent à dire que l'actant sujet est une jeune fille adolescente même si L'Humanité opère une confusion et désigne également les femmes comme pouvant être anorexiques. De façon plus ou moins explicite, les discours désignent aussi les garçons comme actant sujet. Les articles de chaque quotidien étant peu nombreux, il est difficile de noter une évolution de la prévalence de la maladie. Seuls les discours de Santé Magazine reflètent l'augmentation des cas d'anorexie chez les garçons comme le souligne le corps médical.

Enfin, nous avons souligné que certains quotidiens comme L'Humanité, Le Figaro et Libération tenaient des propos erronés, se montraient peu précis dans leurs discours tandis que dans Santé Magazine, La Croix et Le Monde les discours se veulent plus rigoureux et se distinguent par un recours assez fréquent à des experts.

Un des éléments sur lequel nous devons insister à cette étape de l'analyse est la question de la publicité de l'anorexie. Nous avons montré que le corps médical considérait l'anorexie comme un problème de santé publique au regard de sa gravité tandis que les médias se contentent de souligner la gravité de la pathologie mais n'en font pas un problème public. E. Neveu explique qu'un problème public « n'est rien d'autre que la transformation d'un fait social quelconque en enjeu de débat public et/où d'intervention étatique ». Selon lui, « tout fait social peut potentiellement devenir un problème `social' s'il est constitué par l'action volontariste de divers opérateurs [dont la presse] comme une situation problématique devant être mise en débat et recevoir des réponses en terme d'action publique »352(*). Force est de constater que la faiblesse numérique des articles portant sur l'anorexie, les rubriques dans lesquelles ils sont publiés, ne permettent pas de considérer l'anorexie comme un problème public.

Maintenant que nous avons analysé comment les discours de presse qualifiaient l'anorexie et désignaient l'actant sujet, il nous faut s'intéresser aux facteurs déclencheurs de cette maladie.

II. Les différents facteurs déclencheurs de l'anorexie mentale

« Faut-il chercher [la] genèse [des troubles alimentaires] dans l'histoire individuelle, dans leur dimension familiale, ou faut-il y voir le reflet d'une société en changement ? »353(*). La question que posent A. Guillemot et M. Laxenaire est celle qui, aujourd'hui encore, préoccupe beaucoup de médecins confrontés à l'« énigme des facteurs étio-pathogéniques de ce trouble du comportement largement pluridéterminé »354(*). La question d'éventuels facteurs déclencheurs de l'anorexie mentale est pourtant essentielle afin de proposer un traitement adapté et mettre en place un système de prévention.

Dans un premier temps nous évoquerons les différentes hypothèses étiologiques qui ont été proposées au cours du XXème siècle, puis nous nous intéresserons aux facteurs qui sont aujourd'hui considérés comme déterminant dans le déclenchement de la maladie. A l'aide de ces éléments, nous analyserons les discours médiatiques pour comprendre quels facteurs de la maladie sont privilégiés par les journalistes, autrement dit quel est ou quels sont le(s) destinateur(s) de l'anorexique. C'est donc à la phase de manipulation que nous allons consacrer cette partie, à l'action du destinateur sur le sujet opérateur. Nous tenterons également de déceler une éventuelle évolution de la figure du destinateur.

A. Les hypothèses médicales sur l'étiologie de l'anorexie

L'anorexie mentale est encore une maladie mystérieuse même si le corps médical s'accorde pour la qualifier de maladie psychique et somatique. Nous récapitulerons brièvement les différentes hypothèses étiologiques qui ont été proposées au XXème siècle avant de voir quelle place est accordée à l'heure actuelle aux facteurs individuels, génétiques et environnementaux dans la compréhension de la maladie.

1. Récapitulatif des différentes hypothèses médicales émises depuis le début du XXème siècle

a) Pierre Janet et la clinique psychologique

L'anorexie mentale est une pathologie complexe qui a donné lieu à une multitude de schémas explicatifs « non sans conséquences sur la variété et même parfois l'antinomie des approches thérapeutiques proposées »355(*). Au début du XXème siècle, l'intérêt porté à l'hystérie s'estompe laissant la place aux doctrines psychopathologiques.

P. Janet est le médecin le plus représentatif de ce courant. Il distingue trois stades dans l'anorexie qu'il appelle cependant encore « anorexie hystérique » : le stade gastrique, le stade moral et le stade d'inanition356(*). Notons que cette division de la maladie en trois phases ressemble pour beaucoup aux trois stades décrits par C. Lasègue, ce qui reflète l'influence des hypothèses émises au XIXème siècle. P. Janet déclare que cette pathologie « est due à un grave trouble psychologique, dont le refus de se nourrir n'est que la manifestation extérieure »357(*). Même s'il dit ne pas être capable de déceler la nature précise de ce trouble, son raisonnement est « très novateur » au sens où il pense que l'anorexie n'est que le reflet d'un problème psychique358(*). Cependant, il ne fait que poursuivre l'idée de C. Lasègue qui pointait déjà l'importance de la perversion mentale. Son apport théorique est également important car c'est lui qui propose la triade symptomatique dite « des 3A », encore utilisée aujourd'hui pour diagnostiquer l'anorexie (cf. supra partie 2, I) A) 1)).

b) De 1914 à 1937, l'ère endocrinienne de l'anorexie

L'hypothèse psychique est abandonnée à partir de 1914 quand paraît l'article de M. Simmonds. Celui-ci prétend que l'anorexie serait liée à une altération cérébrale agissant sur l'équilibre hormonal qui expliquerait l'amaigrissement et l'aménorrhée. Cette idée est saluée par tous les médecins et marque un tournant dans la conception de l'anorexie mentale qui passe de l'ère psychique à l'ère endocrinienne. A partir de cette date, les médecins estiment que l'anorexie résulte d'une insuffisance endocrinienne, une hypothèse qui a deux conséquences : des traitements hormonaux sont préconisés sans succès, et les réflexions sur la maladie privilégiant une autre explication vont être plus ou moins ignorées. En dépit de cette erreur de diagnostic, l'hypothèse endocrinienne domine le paysage médical pendant une vingtaine d'années et n'est remise en cause qu'en 1937 par H. L. Sheehan. G. Raimbault et C. Eliacheff expliquent que le « traitement [endocrinien] n'ayant jamais fait les preuves de son efficacité, la confusion est à son comble jusqu'à ce que Sheehan en 1937 décrive la nécrose hypophysaire succédant à un accouchement. Cette découverte permet de reconsidérer la question de l'anorexie, mais pendant longtemps encore, psychiatres et endocrinologues oscilleront entre origine psychique et origine endocrinienne, quand ils n'essaient pas de les associer »359(*). Cette découverte marque « l'arrêt théorique » des conceptions exclusivement organiques de l'anorexie mentale puisque des travaux privilégiant l'origine endocrinienne de la maladie continuent à être publiés. A. Guillemot et M. Laxenaire estiment que l'ère organique ne prend réellement fin qu'en 1954 lorsqu'un endocrinologue déclare : « on voit encore mourir des malades que les médecins anciens eussent à coup sûr guéris »360(*). Aujourd'hui, il est admis que les troubles endocriniens ne sont pas la cause de l'anorexie mais une des conséquences de l'amaigrissement.

c) La naissance de la conception psychanalytique dans les années soixante-dix

A partir des années 70, se développe une approche psychanalytique de l'anorexie. Les modèles de compréhension sont variés cependant, les psychanalystes se rejoignent sur la question de la déficience des relations mère-enfant. Plusieurs analystes ont travaillé sur cette hypothèse mais nous nous limiterons à l'approche développée par Hilde Bruch, une spécialiste des troubles du comportement alimentaire, psychiatre et psychanalyste, qui a particulièrement marqué l'étiologie de l'anorexie. En 1973, elle publie Les yeux et le ventre, un ouvrage dans lequel elle propose une première interprétation des origines de la maladie. Cette pathologie est un trouble de l'image du corps lui-même secondaire à des troubles sous-jacents. La genèse de l'anorexie réside dans les défaillances de l'apprentissage de la fonction alimentaire. Les premiers apprentissages de l'enfant ont été perturbés : en le nourrissant, la mère a substitué ses propres sensations et ses propres besoins à ceux de son enfant. C'est pourquoi, il ne « pourra établir de distinction entre les diverses sensations corporelles et les expériences émotionnelles, ne différenciant pas la faim de la satiété »361(*). L'enfant est ainsi privé d'une partie de son identité et n'est pas réellement séparé de sa mère. En grandissant, la jeune fille aura tendance à satisfaire les atteintes des autres avant de se faire plaisir. De cette situation va naître une dépendance au regard d'autrui. Ce manque d'autonomie l'empêche de faire face aux transformations qui se font jour au moment de l'adolescence. Pour échapper à cette impasse, elle se réfugie dans l'anorexie. H. Bruch écrit que l'anorexie résulte de « la perception délirante du corps (trouble de l'image du corps), la confusion des sensations corporelles et un sentiment exagéré d'inefficacité »362(*). En 1978, elle écrit un nouvel ouvrage dans lequel elle affine sa première interprétation en considérant que la maladie est « l'expression d'une idée de soi défectueuse, [de] la crainte d'un vide intérieur, [de] la peur d'avoir quelque chose de mauvais en soi, et qu'il faut dissimuler en toute circonstance »363(*). La malade a peur d'agir avec spontanéité et d'exprimer ses véritables sentiments. Sans rentrer plus dans les détails, ces quelques éléments nous permettent de mesurer l'évolution de la représentation et de la compréhension de l'anorexie mentale mais aussi l'influence des premières descriptions de la maladie. H. Bruch ne fait que poursuivre l'idée que W. Gull puis J.-M. Charcot avait émise à savoir le rôle de la mère dans le déclenchement de la maladie. Il y a certes un écart entre l'hypothèse encore vague qu'avançait W. Gull ou J.-M. Charcot et les réflexions d'H. Bruch cependant nous ne pouvons pas nier que cette idée était déjà en germe dans les écrits du XIXème siècle.

A partir des années soixante-dix, la conception psychologique de l'anorexie mentale est privilégiée. Si l'hypothèse d'une affection mentale n'avait jamais réellement disparu y compris durant l'ère organique, elle devient à partir de ce moment l'explication prédominante. Aujourd'hui le versant psychologique de la maladie ne fait plus aucun doute, l'anorexie est avant tout une maladie « mentale » même si d'autres facteurs sont considérés comme déterminants dans le déclenchement de maladie.

2. Des facteurs individuels à l'origine de l'anorexie

Outre le fait que l'anorexie soit considérée comme une maladie de l'adolescence qui traduit la peur de devenir adulte et le refus des transformations psychiques et corporelles liées à cette époque, deux autres facteurs sont aujourd'hui envisagés dans le déclenchement de la maladie.

a) L'anorexie ou l'expression d'une problématique narcissique

Aujourd'hui, nombreux sont les psychanalystes qui considèrent l'anorexie comme une défaillance narcissique et l'assimilent à une quête identitaire. Pour eux, l'adolescence correspond à une période de réorganisation psychique du sujet ; un processus qui se bloque chez les anorexiques. Cette période de transformation du corps est aussi une période où l'adolescente cherche à affirmer sa propre identité. Chez la jeune fille anorexique, l'affirmation progressive de l'identité pose problème car ses assisses narcissiques ne sont pas assez solides. Elle a des failles narcissiques et identitaires. Ainsi, A. Perillat explique que « pour les sujets souffrant d'anorexie, l'adolescence met souvent au grand jour, une problématique narcissique et identitaire bien plus complexe et profonde que les remaniements psychiques classiques. L'anorexie mentale devient la dramatique expression d'une grande fragilité du Moi qui préexistait déjà chez la jeune fille malade. Ainsi, cette dernière ne peut surmonter et assumer les tumultes de l'adolescence : elle sombre alors dans la pathologie et développe une anorexie mentale »364(*).

L'anorexie mentale est l'expression d'une problématique narcissique car « l'investissement libidinal objectal laisse place à un investissement libidinal narcissique : l'énergie libidinal est retirée de l'extérieur pour être déposée sur le Moi »365(*). La relation objectale est une notion centrale en psychanalyse et dans le cas de l'anorexie elle s'effectue de façon anormale. Au lieu de désirer les objets extérieurs, la jeune fille va se tourner vers son propre corps. Les préoccupations corporelles envahissent alors son psychisme et ne laissent place à aucune autre pensée. L'anorexique se coupe du monde extérieur, un isolement que les psychanalystes assimilent à un repli narcissique.

Dans cette approche, l'anorexie est considérée comme une pathologie du narcissisme. Le symptôme est un moyen que la jeune fille utilise pour communiquer, un message que le psychanalyste doit décrypter afin de faire émerger la parole du sujet. Il est difficile de résumer en si peu de lignes l'approche psychanalytique de l'anorexie cependant, cette démarche est nécessaire à la compréhension de la représentation de l'anorexie aujourd'hui car cette interprétation de la maladie est partagée par la plupart des psychanalystes contemporains et donne lieu à un type de prise en charge spécifique. Cependant, cette approche ne fait pas l'objet d'un consensus dans la sphère médicale et certains médecins comme D. Rigaud réfute l'idée d'une adolescente narcissique366(*).

b) Les hypothèses d'une origine génétique de la maladie

L'hypothèse d'une origine génétique de l'anorexie mentale a été soulevée pendant plusieurs années. Aujourd'hui, la plupart des spécialistes pensent qu'il n'existe pas de corrélation entre le patrimoine génétique d'un individu et l'anorexie mentale cependant, des recherches sérieuses continuent dans cette direction. Par exemple, Howard Steiger, directeur du programme des troubles alimentaires à l'hôpital Douglas de Montréal, affirme que « la boulimie et l'anorexie sont liées à des gènes responsables de la production de la sérotonine, une hormone du cerveau qui contrôle l'humeur, l'appétit et le comportement »367(*). Nous reviendrons sur cette hypothèse au cours de notre analyse puisque l'un des articles publiés par Le Figaro en présente une identique.

P. Jeammet aborde également la question d'un facteur génétique de l'anorexie mais de façon plus nuancée. Selon lui, il est possible de retrouver des antécédents familiaux chez les anorexiques restrictives pures. Le risque d'avoir un enfant anorexique serait de 3% « si une personne apparentée en est atteinte » alors qu'il ne serait que de 0,3% dans le cas contraire368(*). Cependant, la vulnérabilité génétique ne repose pas uniquement sur un gène et plus le nombre de gènes mis en cause est important, plus le risque est grand de transmettre la maladie à la génération suivante. Toutefois, il précise qu'au bout de trois générations, la probabilité de devenir anorexique est équivalente que les personnes aient des antécédents anorexiques ou non. L'anorexie mentale ne se transmet donc pas de façon héréditaire mais certaines personnes sont susceptibles d'être davantage affectées que d'autres.

3. Des facteurs environnementaux à ne pas négliger

La littérature médicale emploie le terme de « facteurs environnementaux » pour désigner à la fois le rôle de la famille dans le déclenchement de la maladie et l'influence du contexte socioculturel.

a) La famille, un milieu pathogène ?

Au XIXème siècle, la question se posait déjà et divisait le corps médical qui tentait de comprendre les origines de l'anorexie. Aujourd'hui, la situation a quelque peu évolué mais les divergences demeurent. Dans un article assez récent369(*), N. Godart, F. Perdereau, M. Flament et P. Jeammet concluent à l'absence de causalité entre la famille et la survenue de l'anorexie chez l'un des enfants. Ce constat est partagé par d'autres professionnels comme T. Vincent : « voilà près de vingt ans que je tente de traiter des anorexiques, le plus souvent avec leur famille, et je ne peux toujours pas dire ce qu'est l'anorexie ni - encore moins - s'il existe un type de parents susceptibles de fabriquer des anorexiques. Bien sûr on retrouve quelques traits qui reviennent avec une certaine fréquence mais ils ne sont pas suffisamment constants pour pouvoir leur imputer de manière certaine un rôle essentiel dans l'étiologie de la maladie »370(*). Cette citation illustre bien la complexité du déterminisme de la maladie et infirme l'idée selon laquelle les parents seraient responsables du déclenchement de l'anorexie.

Cependant, tous les spécialistes ne partagent pas cette opinion et certains continuent de voir en la famille un élément déclencheur de l'anorexie. Ainsi, P. Alvin affirme que « les facteurs familiaux sont indiscutables dans l'anorexie mentale [...], de nombreuses enquêtes, sur de larges échantillons, ont également démontré le haut degré d'agrégation des troubles du comportement alimentaire au sein des familles de parents souffrant d'anorexie mentale ou de boulimie »371(*) tout en précisant qu'il faut se garder d'établir une causalité directe entre famille et anorexie mentale...

Au sein du corps médical, l'hypothèse de la famille comme facteur déclencheur de l'anorexie est également très répandue chez les psychanalystes. Deux explications coexistent : la première concerne les parents, la seconde la relation mère-enfant que nous avons déjà évoquée avec H. Bruch et qui est toujours d'actualité. Elle est aujourd'hui reprise par des psychanalystes comme B. Brusset dans son ouvrage L'assiette et le miroir, publié en 1985. En ce qui concerne la première approche, certains auteurs pensent que la famille peut être un milieu pathogène notamment quand les parents sont trop exigeants envers leur fille. Souvent, ils souhaitent qu'elle réalise ce que eux-mêmes n'ont pas pu faire au cours de leur enfance. L'enfant se conforme aux voeux de ses parents sans tenir compte de ses propres désirs. Elle s'efforce de ne pas les décevoir c'est pourquoi, elle est souvent comparée à une petite fille modèle. A l'adolescence, c'est-à-dire au moment d'affirmer leur propre identité, certaines jeunes filles veulent montrer qu'elles ne sont pas parfaites et briser l'image que leurs parents ont d'elles. Elles trouvent une échappatoire dans l'anorexie. A. Perillat explique que « la jeune fille anorexique, serait principalement aux yeux de sa mère, un `objet partiel', c'est-à-dire un prolongement de cette dernière : de son corps, de ses désirs et de ses projets. C'est ainsi que de nombreuses jeunes filles malades sont `utilisées' inconsciemment par leurs parents pour atteindre l'idéal de ceux-ci »372(*). En devenant anorexique, l'adolescente « veut tuer en elle la personnalité conforme aux attentes »373(*) de ses parents.

Cette dépendance aux attentes de ses parents l'empêche de se construire une identité propre, ce qui conduit B. Brusset à parler de « spectre de l'identité fortement restreint »374(*) car la jeune fille anorexique fonctionne par rapport aux attentes des autres et ne connaît pas ses propres désirs. Ce trouble de l'identité éclate à l'adolescence conduisant la jeune fille à se créer une identité : celle d'anorexique. Ainsi, l'anorexie apparaît comme une façon de mettre fin au trouble identitaire, l'adolescente devient une personne à part entière. Elle a la conviction de se réaliser et de s'être trouvée, de pouvoir enfin donner un sens à sa vie. Les psychanalystes estiment que l'anorexie répond au besoin de construction identitaire, ce qui explique la difficulté qu'ont les malades à concevoir leur vie sans l'anorexie. Elles ont le sentiment que si elles guérissent, elles ne seront plus rien car elles perdront l' « identité » qu'elles s'étaient forgées avec la maladie.

Il faut préciser que cette famille « pathogène » que décrivent les médecins répond à des caractéristiques bien précises. Les parents sont souvent très protecteurs surtout la mère, le père ayant plutôt tendance à être absent ou autoritaire.

b) L'influence du facteur socioculturel, un facteur controversé

L'influence du contexte socioculturel sur l'apparition de l'anorexie est très controversée. K. Tinat explique que cette hypothèse divise les auteurs en deux camps375(*) : pour certains le contexte socioculturel n'est qu'un facteur parmi d'autres, il a un rôle contextuel (M. Darmon, J. Maître, G. Raimbault et C. Eliacheff), tandis que pour d'autres, il est le facteur dominant (A. Guillemot et M. Laxenaire). La notion de contexte socioculturel est assez vague mais elle est généralement utilisée pour désigner le culte de la minceur et de la performance que diffusent notre société et plus particulièrement les médias. Depuis le début du XXème siècle, le corps s'affine comme le révèle la morphologie des mannequins lors des défilés de mode376(*), les photos de femmes sur les unes des magazines, la diététique prend de l'ampleur et les pratiques sportives telles que le fitness se développent. Les transformations sociales et culturelles contribuent à imposer des normes que beaucoup considèrent comme une « dictature ». Il est indéniable que le nombre de jeunes filles anorexiques a fortement augmenté ces dernières années et ce dans un contexte qui valorise de plus en plus la minceur, la question de la corrélation entre ces deux variables ne peut donc pas être occultée.

Observons les arguments respectifs de ces deux camps :

G. Raimbault et C. Eliacheff remettent en cause l'hypothèse de l'idéal de minceur comme facteur déclencheur de l'anorexie :

« Notre opinion concernant l'influence de la mode sur l'anorexie mentale est tout autre. Nous reconnaissons - pourrions-nous faire autrement ? - l'idéalisation de la minceur et, plus encore, la musculation du corps féminin. Souvent le début des restrictions alimentaires coïncide avec le souhait conscient de perdre quelques kilos, souhait reconnu comme culturellement légitime, et une hyperactivité sportive, elle aussi valorisée. Or, la description de Lasègue, dont la validité est insistante, date d'une époque où l'idéal culturel de la silhouette féminine n'était pas du tout la maigreur [...]. Le facteur déclencheur que serait le souhait d'être plus mince passe très rapidement au second plan d'une symptomatologie beaucoup plus complexe, et la crainte de la reprise de poids n'est pas ` culturelle' »377(*).

En effet, comme nous l'avons expliqué dans la première partie de ce travail, l'anorexie a existé bien avant que la minceur ne soit valorisée par la société. Il serait donc logique de conclure à l'absence de corrélation entre contexte socioculturel, et plus précisément la valorisation de la minceur, et l'anorexie mentale. Jacques Maître réfute lui aussi l'influence du contexte socioculturel et « insiste sur le fait de ne pas définir le syndrome à partir de la détermination qu'affirme la patiente de se modeler sur un idéal de minceur »378(*). Cet auteur appelle à chercher une signification plus profonde, un sens au delà du social.

A l'inverse, A. Guillemot et M. Laxenaire pensent qu'il faut accorder « une importance indéniable aux facteurs inhérents au contexte socioculturel » car dans la société actuelle, la minceur connote une certaine ambition sociale, alors que la rondeur est associée au manque d'intelligence et à l'incompétence professionnelle379(*). Nous serions passés du mépris du corps imposé par la religion au culte du corps comme le montrent l'importance prise par le sport et le « fétichisme de la diététique »380(*). La conclusion de ces auteurs est quelque peu contradictoire puisqu'elles affirment qu'il existe une objection à considérer le contexte socioculturel comme facteur déclencheur de l'anorexie mais que ledit contexte reste un facteur prédominant :

« Enfin, l'objection principale qu'on puisse faire à l'importance du contexte socioculturel dans la genèse des troubles du comportement alimentaire est sans doute l'existence de cas anciens. L'anorexie, et peut être la boulimie, ont existé dans les siècles ayant précédé le nôtre, à une époque où les caractéristiques socioculturelles étaient bien différentes », cependant, elles évoquent « l'influence indéniable du contexte socioculturel » et concluent qu' « anorexie et boulimie s'apparentent aux syndromes liés à la culture tels qu'ils ont été définis par Ritenbaugh »381(*).

Carolyn Bynum est elle aussi partisane de l'hypothèse d'une influence socioculturelle dans le déclenchement de l'anorexie. « Qu'elle prenne son origine dans la physiologie ou dans le passé familial de l'individu [l'anorexie] est précisément sous la forme très particulière qu'elle revêt, un comportement acquis et acquis au contact d'une civilisation qui a des traditions complexes et très anciennes en ce qui concerne les femmes, le corps et la nourriture. Quels que soient ses supports biologiques ou psychologiques, l'anorexie du XXème siècle s'inscrit dans le contexte d'une culture donnée »382(*).

Sans vouloir être exhaustive, il est important de consacrer quelques lignes à la thèse défendue par les féministes anglo-saxonnes telles que Kim Chernin et Susie Orbach. Si leurs idées ont eu peu d'écho en France, elles ont retenu l'attention dans les pays anglo-saxons. Ces auteurs, l'une américaine, l'autre anglaise, mettent en relation l'évolution du rôle de la femme dans la société avec l'augmentation des troubles du comportement alimentaire. Grâce au mouvement de « libération » de la femme, celle-ci a pu progressivement accéder à de nouveaux postes et son rôle dans la société a évolué. La femme aurait acquis un certain pouvoir que l'homme cherche à limiter. Ainsi, l'anorexie résulterait d'une tension entre l'affirmation de l'autonomie et de l'égalité de la femme, et sa situation réelle, une position d'infériorité et d'inégalité par rapport à l'homme. En restreignant leur alimentation, les femmes rejetteraient l'image que les hommes veulent leur imposer383(*). Cette thèse présente plusieurs limites : d'une part elle n'est pas partagée par toutes les féministes ; d'autre part, elles reposent sur l'idée fondamentale de l'oppression de la femme par l'homme, ce qui est un peu exagéré ; enfin, elle fait abstraction de la psychologie individuelle et ne permet pas d'expliquer l'anorexie masculine.

Il est impossible de conclure sur cette question d'une origine socioculturelle de l'anorexie mentale et P. Alvin estime qu'« aucune théorie ne peut prétendre tout expliquer à elle seule. Tout au plus peut-on dire que les troubles du comportement alimentaire sont polyfactoriels ». Il est relativement difficile de distinguer ce qui relève des facteurs prédisposants, de ce qui doit être considéré comme les éléments déclencheurs ou les facteurs d'entretien. La seule certitude étant que « des facteurs psychologiques, familiaux, sociaux et biologiques participent au déclenchement, au maintien et à l'aggravation des troubles du comportement alimentaire »384(*). Nous allons maintenant voir comment les discours de presse se positionnent par rapport à la question de l'origine de l'anorexie.

B. Le destinateur de l'actant sujet dans les discours de presse

La médecine reste indécise quant aux facteurs déclencheurs de l'anorexie et les hypothèses varient dans des proportions différentes selon l'orientation des médecins. C'est pourquoi, il est intéressant de repérer les partis pris des journalistes et de voir quelle figure du destinateur se dessine dans les discours de chaque quotidien. Nous attacherons une importance particulière à l'hypothèse du facteur socioculturel de la maladie puisque c'est un argument souvent invoqué aujourd'hui pour expliquer l'augmentation des cas d'anorexie. Enfin, nous essaierons de voir s'il y a une évolution dans la figure du destinateur que construisent les journaux.

Nous allons voir que loin de proposer une figure du destinateur consensuelle, les discours de presse divergent.

1. La Croix rejette l'hypothèse d'une famille comme milieu pathogène

a) L'anorexie, une maladie mystérieuse

La Croix est le seul quotidien à consacrer un article entier aux facteurs de l'anorexie, ce qui, dans une perspective actantielle, correspond aux destinateurs. Le titre de cet article reflète une certaine neutralité : « Une maladie mystérieuse. L'anorexie mentale est liée à des facteurs d'ordre génétique, social, familial, psychologique et environnemental »385(*). En énumérant les différentes hypothèses existantes, il ne fait que présenter les différentes pistes qui sont celles que le corps médical privilégie aujourd'hui. Cependant, cette neutralité n'est qu'apparente. En effet, l'étude des articles du corpus révèle que le quotidien penche pour certains facteurs et en écarte d'autres. Cette position n'est pas constante et des évolutions se font jour au cours de la période étudiée. Le titre de cet article nous fournit un second indice quant à la figure du destinateur : le terme « mystérieux » témoigne de l'incertitude du journal, une incertitude récurrente dans les discours de La Croix. Le quotidien est dans un dilemme : d'un côté, il tente de cerner les causes de l'anorexie, mais en même temps, il ne cesse de dire que cette maladie est mystérieuse. Cette incertitude est perceptible quand le journal emploie des termes appartenant au champ lexical du mystère ; des phrases interrogatives comme « Mais qu'est ce que l'anorexie au juste ? »386(*). Le fait même de poser cette question est révélateur de l'incompréhension du journal qui est renforcée par le « mais » et la locution adverbiale « au juste ». La seconde question « Un trouble mental ou une maladie organique ? »387(*) renforce encore l'interrogation et la réponse est révélatrice « une maladie rare en tout cas »388(*). La question de l'origine de l'anorexie sous-tend tous les articles de La Croix de façon plus ou moins explicite.

Le discours du quotidien tente de fournir une réponse mais se retranche derrière l'incertitude médicale « même lorsqu'ils ont des années d'expérience, les médecins ont le plus grand mal à fournir une réponse définitive à cette question ». Préciser la durée de leur expérience professionnelle permet de mettre en valeur le fait que même des médecins compétents ont du mal à assigner une cause précise à l'anorexie, une difficulté soulignée par un superlatif « le plus grand mal »389(*). L'impossibilité de définir précisément les causes de l'anorexie justifie l'emploi du terme mystère, utilisé à plusieurs reprises. Nous pouvons citer par exemple la phrase suivante : « Il plane encore un certain mystère autour de cette affection qui n'a pas de cause unique ». Malgré cette incertitude, La Croix n'exclut pas de ses propos la question de l'origine de l'anorexie. Une démarche tout à fait compréhensible si nous nous référons à la façon dont le quotidien définit cette pathologie et cherche à prévenir les parents dès le premier article qui paraît sur le sujet. Vouloir empêcher que ne se déclenche la maladie implique de réfléchir à ses causes.

b) Le facteur génétique de l'anorexie, une fausse piste

Si La Croix aborde cette question de façon rigoureuse sans écarter aucune des possibilités, l'étude des différents articles du corpus révèle une évolution de la position du journal. Dans le premier article, La Croix donne la parole à un médecin thérapeute au Groupe d'étude français sur l'anorexie et la boulimie, un expert qui considère que l'hypothèse des facteurs génétiques est une fausse piste. Il envisage une origine endocrinienne mais cette possibilité est tout de suite balayée par le « mais »390(*). Ces propos d'un expert, rapportés au discours direct, ne sont pas ceux du quotidien. Cependant, en donnant la parole à une autre personne, il met en exergue ces propos. L'absence d'indices linguistiques comme un verbe introducteur et la neutralité des questions nous permet de dire que les arguments de ce médecin sont aussi ceux du quotidien. Le facteur génétique est à nouveau mentionné dans deux articles mais toujours relativisé : M. Corcos391(*) explique que chez 90% des personnes souffrant de troubles alimentaires « les facteurs déclencheurs sont liés à l'environnement et à la famille » et que l'ancrage n'est que « partiellement génétique ». La structure même de la phrase rejette l'hypothèse d'un facteur génétique « non seulement [...] mais ceux-ci ne sont pas dominants et leur pénétrance est incomplète »392(*). Cependant, si l'hypothèse d'un facteur génétique semble minimisée, elle réapparaît à nouveau dans un article en 2005 dans lequel le quotidien parle de « prédisposition génétique » qui aurait été montrée par plusieurs études. L'absence de précision sur la nature de ces études laisse penser que le journal n'accorde que peu de crédit à cette hypothèse. Alors que La Croix recourt toujours à la parole d'un expert pour renforcer les hypothèses avancées, aucun discours rapporté ne vient soutenir l'hypothèse d'une prédisposition génétique. Nous pouvons donc en conclure que l'origine génétique ou organique de l'anorexie mentale est écartée.

c) Le rejet du facteur socioculturel

Le facteur socioculturel est la seconde hypothèse mentionnée par le quotidien. Dès le départ la thèse d'une influence socioculturelle est écartée. La Croix publie une interview du Dr Noëlle Chombart de Lauwe393(*) qui considère que « la norme de la minceur » peut jouer le « rôle d'un coup de pouce »394(*) mais que les facteurs prédominants sont d'ordre personnel. L'image du coup de pouce minimise le poids des normes culturelles qui reste une idée relativement répandue dans la littérature médicale. L'influence de normes corporelles est évoquée une seconde fois, et à nouveau mise à distance. Le quotidien parle de « `dictature de la minceur' »395(*) et montre par le biais de guillemets qu'il ne cautionne pas ce terme de dictature, une expression qui signifierait que les jeunes filles sont sous l'emprise d'une norme corporelle à laquelle elles ne peuvent déroger, il n'y aurait plus de place pour la liberté individuelle. En rejetant l'idée de dictature, La Croix montre implicitement qu'il penche pour une origine psychologique donc d'ordre individuel. En effet, refuser le terme de « dictature » c'est dire que l'individu reste libre de choisir ; même si les magazines féminins et la mode nous proposent des femmes au corps « idéal », les jeunes filles conservent leur libre arbitre. Cependant, La Croix fait état de l'incertitude médicale concernant cette éventuelle influence des facteurs socioculturels : « ce n'est pas la mode qui est la cause de l'anorexie mais, en même temps, cette maladie ne semble pas exister dans les pays où le corps est caché »396(*). Cette phrase, qui est celle d'un médecin397(*), révèle toute l'ambiguïté de la question. Le quotidien refuse de considérer la mode comme facteur de l'anorexie mais ne peut ignorer qu'il existe une corrélation entre anorexie et corps. La parole est alors donnée à un autre expert398(*) qui oppose au premier un argument historique : l'anorexie mentale existait avant le XXème siècle. Finalement il conclut à un environnement « fragilisant » pour des personnes à forte prédisposition aux troubles du comportement alimentaire. Nous pouvons remarquer que sur cette question d'une éventuelle origine socioculturelle de l'anorexie, La Croix délègue la parole à des experts dont elle ne fait que transposer les discours. Ils se répondent l'un à l'autre sans que le quotidien n'intervienne. Toutefois, nous pouvons souligner que la dernière phrase de l'article, rapportée au discours direct, est une façon pour le quotidien de nous donner son opinion. Le dernier article paru sur l'anorexie, le confirme : des parents témoignent et expliquent que leur fille n'a pas fait un régime « pour ressembler aux modèles des magazines »399(*). L'utilisation d'un témoignage est une stratégie discursive particulière qui permet ici non seulement de faire dire à un tiers ce que le journal pense mais également de donner du poids à cet argument. En effet, La Croix ne se contente pas d'affirmer à nouveau qu'il ne croit pas à une origine socioculturelle de l'anorexie mais prouve par le témoignage que cette thèse est plausible.

d) Le facteur familial, un destinateur qui s'efface

C'est par rapport à l'hypothèse d'un facteur familial que l'évolution du discours de La Croix est la plus significative. Dans les premiers articles, le quotidien postule, par le biais d'un expert, que beaucoup d'anorexiques ont « un rapport difficile à leurs parents » lesquels sont « surprotecteurs »400(*). L'adjectif « surprotecteurs » renvoie à l'idée qu'il existerait une famille type d'anorexique dont la caractéristique principale serait des parents surprotecteurs. Cette conception était relativement courante dans la littérature médicale il y a quelques années et reste défendue par certains médecins aujourd'hui. La Croix se range du côté des hypothèses médicales. Cette convergence se poursuit dans d'autres articles : par exemple, un sous-titre dit « des facteurs déclencheurs liés en majorité à la famille »401(*). Il n'y a aucune précision ou de distinction entre le comportement de la mère ou du père, ni de mention de la relation mère-enfant au cours de la petite enfance comme le font les psychanalystes qui défendent cette idée. Un basculement s'opère en 2005 quand La Croix termine un article par cette phrase « non seulement les parents ne sont pas responsables de ce qui arrive à leur enfant, mais ce sont des alliés thérapeutiques précieux »402(*). Ces paroles sont celles d'un médecin403(*) ce qui renforce la crédibilité du propos. Ce basculement dans la représentation de la figure du destinateur est encore plus évident dans l'article suivant. La Croix titre « Une maladie mystérieuse. L'anorexie mentale est liée à des facteurs d'ordre génétique, social, familial, psychologique et environnemental »404(*). La structure de l'article reprend successivement les facteurs mentionnés dans le titre sauf le facteur familial. Il n'y a aucune phrase explicite ou même une allusion qui fasse référence à la famille comme destinateur de l'anorexie. Nous pouvons interpréter ce silence comme l'expression d'un dilemme auquel est confronté le quotidien. Ce n'est pas une simple indécision comme nous avons pu le relever avant mais un refus de se prononcer. Le quotidien est pris dans une contradiction : choisir entre le discours médical qui prétend que la famille peut être à l'origine de la maladie et les valeurs qu'il défend. En effet, la famille est considérée par La Croix comme une valeur fondamentale. Le silence du quotidien est une suite logique à l'article précédent (qui se terminait sur cette phrase « les parents ne sont pas responsables »). Cette phrase fait rupture entre une période où le journal a considéré que la famille était un facteur déclencheur dominant et une seconde période où il rejette cette hypothèse. A partir de cet article, il n'y a plus aucune mention ni même une allusion à la famille comme responsable de l'anorexie de leur fille. Cette évolution dans la conception de la figure du parent est se retrouve dans la façon dont le quotidien aborde le problème de la prise en charge. Il y avait une position non tenable entre refuser la séparation familial et prétendre que la famille pouvait être la cause de l'anorexie. Pour être cohérent, le journal devait choisir entre accepter l'idée de la séparation familiale et donc pouvoir désigner les parents comme responsables ou refuser la séparation comme mode de prise en charge et pouvoir justifier ce refus.

Finalement, La Croix privilégie l'hypothèse d'une origine psychologique de l'anorexie mentale. Au début, l'idée que cette maladie relèverait de quelque chose de l'ordre personnel n'est présente qu'en filigrane à travers des expressions telles que « les causes du mal-être » ou « les troubles internes du malade »405(*). Puis elle est affirmée de façon plus nette à travers les propos d'experts : « des personnes ayant une forte prédisposition individuelle aux troubles du comportement alimentaire »406(*). Le témoignage des parents d'une jeune anorexique viennent renforcer la crédibilité de cette hypothèse : « Rétroactivement, on s'est rendu compte que le passage du collège au lycée avait été très dur pour elle »407(*). C'est bien un événement personnel qui est survenu dans la vie de leur fille qui a déclenché la maladie.

La Croix mentionne l'incertitude du corps médical qui règne autour des causes de l'anorexie et présente les thèses existantes. Cependant, il n'est pas entièrement neutre et nous dévoile sa conception du destinateur à travers un témoignage et des paroles d'experts. Les hypothèses génétiques et organiques sont à écarter, le facteur socioculturel est peu pertinent d'un point de vue historique, la famille ne peut être la cause de la maladie de leur propre fille ; c'est donc vers une origine psychologique, de l'ordre de l'individu que penche la représentation du destinateur de l'anorexique pour La Croix.

2. Le Monde oscille entre la famille comme milieu pathogène et un facteur psychologique de l'anorexie

Le Monde ne consacre pas un article particulier à la question de l'origine de l'anorexie mais les discours nous donnent çà et là quelques indications sur les hypothèses qu'il privilégie. En 1989, il évoque « la relation de dépendance avec [la] mère et la nourriture »408(*) et qualifie l'anorexie de « trouble profond de la personnalité ». L'anorexique est une adolescente « frappée de panique »409(*) face aux transformations liées à cet âge. Selon le quotidien, la maladie renvoie soit à un problème familial, soit à un problème psychologique, d'ordre personnel. Il conserve cette position dans les autres articles, sans trancher.

a) Un facteur familial suggéré à plusieurs reprises

L'hypothèse d'un facteur familial est évoquée dans trois articles. La première fois, c'est précisément la mère qui est désignée sans ambiguïté, comme le destinateur de la maladie. Le Monde nous raconte l'histoire de Séverine410(*), douze ans, « poupée de ses parents », qui suit des cours de danse depuis l'âge de deux ans et demi. Le quotidien accuse « la mère qui avait reporté sur [Séverine] ses rêves de danseuse étoile », qui projetait « dans sa fille son désir contrarié, sa frustration de n'avoir pas pu elle-même devenir danseuse ». L'exemple que nous donne Le Monde renvoie à la thèse que défendent les psychanalystes (cf. supra partie 2, II. A)). Quand les parents, en particulier la mère, projettent sur leur fille leurs attentes, ils l'empêchent de prendre conscience de ses propres désirs. L'enfance se déroule sans problème et la fillette est souvent comparée à une petite fille modèle. A l'adolescence, l'anorexie devient un moyen de « revendiquer » ses faiblesses mais traduit aussi le manque d'autonomie de la jeune fille et la dépendance qui la lie à ses parents. Ici, l'anorexie est également due à la discipline alimentaire qu'impose ce type d'activité sportive. Cependant, en parlant de « l'obsession de la minceur et [du] désir forcené de la mère », c'est bien sur celle-ci que Le Monde fait porter la sanction. « Les espoirs de ses parents, de sa maman » reposent sur « ses frêles épaules ». L'adjectif « frêle » vient accentuer le poids des exigences maternelles sur la fillette. Le quotidien utilise une stratégie discursive intéressante puisque c'est par le biais d'un récit, d'une histoire authentique qu'il avance l'idée que la mère peut-être responsable de l'anorexie de sa fille. A la fin de l'article, la parole est déléguée à un expert qui « explique » que l'anorexie « est souvent en relation avec des problèmes affectifs. Au centre de tout cela, on rencontre souvent la relation avec la mère ». Le verdict médical vient confirmer l'hypothèse avancée par Le Monde à travers l'histoire de Séverine. Dans un deuxième article, l'hypothèse de la famille comme destinateur est aussi avancée mais de façon plus nuancée. Anne, une ancienne anorexique explique qu'elle a « vécu une forme d'adolescence difficile ». La phrase est ambiguë car elle ne précise pas si ses difficultés ont pour origine un problème familial ou personnel, le destinateur n'est donc pas clairement identifié mais il peut s'agir de problèmes relationnels avec ses parents. En 2005, Le Monde revient à nouveau sur l'idée d'une famille pathogène en nous expliquant que l'anorexie de Caroline est « en partie due à la violence des rapports qu'elle entretient avec son père ». La figure du destinateur évolue légèrement puisque ce n'est plus la mère qui est jugée responsable mais le père. De plus, il ne s'agit pas de désir projeté sur l'enfant mais de violence. Ces nuances révèlent que derrière un facteur déclencheur de la maladie se cache en réalité des situations diverses qui dépendent des histoires personnelles. Enfin, l'expression « en partie due » souligne que la famille n'est pas l'unique destinateur de la maladie, une façon de rappeler que l'anorexie est une pathologie polyfactorielle.

b) Un facteur psychologique 

Le second facteur mentionné par Le Monde est le facteur psychologique, la maladie serait liée à un problème d'ordre personnel. En 1994, le discours de la journaliste n'avance qu'une seule cause de l'anorexique : la volonté propre de l'adolescente. Ainsi, le terme « volonté » revient à plusieurs reprises dans l'article : « volonté de fille de fer », « volonté effrayante », et « volonté de puissance absolue sur soi-même ». L'adolescente devient anorexique suite à sa décision de « ne plus jamais avoir faim »411(*). Ces citations nous mettent en présence d'un cas de figure particulier où l'actant sujet est son propre destinateur, l'adolescente décide par sa propre volonté de ne plus manger. Cependant, nous pouvons souligner qu'il est rare qu'une adolescente devienne anorexique seulement parce qu'elle a voulu arrêter de manger. Il y a souvent d'autres facteurs dont elle n'est pas toujours conscience qui se sont combinés et ont contribué à déclencher la maladie. Il faut préciser que le sujet de cet article n'est pas réellement l'anorexie mais un livre autobiographique dont l'auteur a été anorexique. La journaliste qui rend compte de cet ouvrage précise qu'il est normalement interdit d'écrire sur le livre d'un collaborateur du `Monde des livres' mais qu'elle a eu un coup de coeur. Nous pouvons considérer qu'au-delà de son opinion personnelle, c'est l'opinion du journal qu'elle nous livre.

Dans un autre article, P. Jeammet, un expert, « souligne » que la maladie se déclencherait chez les personnes qui ont une « vulnérabilité de fond »412(*), donc fragiles psychologiquement. Le facteur déclencheur serait d'ordre personnel. Le verbe introducteur traduit le jugement du quotidien qui approuve cette hypothèse.

Si Le Monde privilégie la cause familiale de l'anorexie et la cause psychologique, il est intéressant de noter qu'aucun discours ne fait référence à l'origine polyfactorielle de la maladie, pourtant reconnue par la sphère médicale. De plus, le journal exclut de ses propos l'hypothèse d'un facteur génétique. L'influence socioculturelle est quant à elle évoquée de façon ambiguë. En effet, si le quotidien mentionne bien « la dictature de la minceur »413(*) dans le titre d'un article, c'est de la « petite anorexie » dont il est question et non de l'anorexie mentale. Aucun indice ne permet de savoir si le journal envisage que cette dictature de la minceur soit aussi la cause de l'anorexie mentale.

3. Le Figaro : entre le facteur socioculturel et le facteur psychologique

Aucun article du corpus ne traite spécifiquement des causes de l'anorexie, autrement dit du destinateur, car l'origine de la maladie est difficile à comprendre. C'est du moins ce que suggèrent les phrases suivantes : l'anorexie est un « un mal-être psychologique si complexe à analyser »414(*), « un trouble du comportement alimentaire aux causes méconnues » et des spécialistes « tentent [...] de cerner ce mal »415(*) dans une émission télévisée. Si le « si » accentue la difficulté à expliquer l'origine de la maladie, la fait de spécifier que même des spécialistes ne parviennent pas à comprendre les causes de l'anorexie, sert de justification au quotidien. En effet, comment pourrait-il aborder la question des facteurs déclencheurs de la maladie, construire une figure du destinateur si même le corps médical est impuissant à décrypter l'origine de la maladie ? Malgré cette apparente impossibilité à désigner un destinateur, les discours de presse nous permettent de dégager quelques indices quant à la position du quotidien. Nous pouvons noter que comme La Croix, Le Figaro commence par souligner la complexité de l'origine de la maladie, avant de donner quelques indications au fil des discours.

a) Les facteurs génétique et organique : deux destinateurs écartés

Le premier article du corpus aborde la question du facteur organique de la maladie. Le quotidien titre « les batailles de l'anorexie », un terme révélateur de la « lutte » dont fait l'objet l'assignation d'une origine à la maladie. L'article nous présente les conclusions d'un colloque londonien : « une anomalie au niveau du cerveau expliquerait l'anorexie mentale », une hypothèse rejetée par les experts français qui défendent eux la thèse d'une origine psychologique. Il est intéressant de noter que l'hypothèse organique est défendue par un psychiatre anglais alors que l'hypothèse d'une origine psychologique est mise en avant par les psychiatres français. Cette opposition entre deux conceptions étiologiques de l'anorexie n'est pas sans rappeler la divergence entre C. Lasègue et W. Gull. Nous avions effectivement mentionné le fait que leur description de l'anorexie avait ouvert le champ à deux courants de pensée différents : l'un privilégiant une cause organique de l'anorexie, l'autre une origine psychologique. Cet article permet non seulement de comprendre pourquoi C. Lasègue et W. Gull sont considérés comme les pères fondateurs de l'anorexie mais aussi de voir que des hypothèses émises il y a maintenant plus d'un siècle continuent d'orienter les recherches sur l'anorexie. Ainsi, la façon dont est perçue la maladie aujourd'hui dépend en grande partie des hypothèses des siècles précédents. La construction de la représentation de la maladie est bien un processus de long terme et les théories avancées aujourd'hui ne font que reprendre des idées déjà en germe il y a un siècle. Plusieurs indices nous révèlent que le quotidien penche en faveur de l'hypothèse d'un facteur psychologique, défendue par P. Jeammet. En effet, l'équipe londonienne « a estimé » qu'« `une anomalie au niveau du cerveau expliquerait l'anorexie mentale' ». L'emploi du conditionnel souligne l'incertitude qui entoure cette hypothèse, laquelle est renforcée par le verbe introducteur. L'équipe londonienne estime mais ne prétend pas, n'affirme pas. Le quotidien écarte d'autant plus cette hypothèse qu'il souligne que « cette annonce en appelant à l'organicité de l'anorexie mentale fait plutôt sourire (jaune) les spécialistes du trouble du comportement alimentaire ». Le qualificatif de « jaune » rappelle l'expression « rire jaune » qui signifie « rire avec contrainte, pour dissimuler son dépit ou sa gêne »416(*), une façon d'indiquer la stupéfaction et le désappointement des médecins français. Le quotidien discrédite cette hypothèse qui prétend qu'une lésion au cerveau serait « `la' cause de l'anorexie ». L'usage des guillemets traduit la distance du Figaro. Enfin, P. Jeammet « s'exclame » qu' « on se croirait revenu en 1914, quand on a découvert l'hypophyse ». Par le verbe introducteur le journal traduit l'indignation du médecin français qui est aussi la sienne. L'allusion à Simmonds tend également à décrédibiliser l'éventuelle cause organique de l'anorexie puisque nous savons que l'hypothèse émise par Simmonds s'est avérée fausse deux décennies plus tard (cf. supra partie 2, II. A. 1)).

Le Figaro rejette l'hypothèse d'un facteur génétique de l'anorexie dans un autre article417(*). Le récit présente la thèse des partisans de la psychiatrie biologique en ces termes « pour les tenants de la psychiatrie biologique, la `sérotonine connection' serait au coeur du problème même si cette petite molécule [...] n'est pas le seul médiateur en jeu ». L'emploi du conditionnel suggère l'incertitude de cette hypothèse, et la façon dont le quotidien l'introduit : « pour les tenants... » contribue à la mettre à distance. Plus loin, le Figaro parle d'une « éventuelle composante génétique » que cherchent à mettre à jour des études scientifiques. Si le quotidien recourt à un expert pour présenter cette hypothèse, ce n'est pas pour conférer une plus grande crédibilité. L'expert convoqué « estime » et le journal ajoute que « sans aller jusqu'à dire qu'il existerait un gène de l'anorexie [...], ce spécialiste penche pour une vulnérabilité génétique liée à une personnalité particulière ». Le qualificatif « éventuelle », le verbe introducteur « estime » et l'expression « vulnérabilité génétique » sont autant d'indices qui viennent relativiser l'hypothèse d'un facteur génétique de l'anorexie. La dernière phrase de l'article le confirme, Le Figaro nous informe que des centres récoltent les échantillons sanguins des anorexiques et de leurs familles « afin de tenter de mettre au jour d'hypothétiques caractéristiques génétiques... ». le verbe « tenter », l'adjectif « hypothétiques » et la ponctuation utilisée sont également des indices qui révèlent que le quotidien ne partage pas cette idée.

b) Le facteur socioculturel : un destinateur ambiguë

La position du journal par rapport à l'hypothèse d'un facteur socioculturel de l'anorexie est ambiguë. Dans un premier récit, le quotidien pose la question à P. Jeammet en ces termes : « convient-il d'incriminer la mode, les mannequins, les couturiers, qui en influençant les jeunes filles, va jusqu'à les convaincre de se `faire maigrir' ? »418(*). Le fait de poser cette question à un expert n'est pas anodin et renvoie à la difficulté qu'éprouve le quotidien à trancher lui-même, à expliquer l'origine de la maladie. L'expert convoqué « n'en est pas pleinement persuadé » et fournit à l'appui un argument historique : certes l'anorexie est plus fréquente cependant, elle « existait déjà au début du siècle alors que la mode était tout sauf à la ligne longiligne ». Notons que cet argument est le même qu'un expert avance dans l'un des discours de La Croix. L'influence du contexte socioculturel et plus particulièrement de la mode, est donc rejeté par cet expert. Nous pouvons considérer que son opinion est aussi celle du journal qui aurait pu aisément convoqué un autre scientifique à l'avis différent. Cependant, trois mois plus tard, Le Figaro écrit que l'anorexie fait « des ravages chez les jeunes femmes des pays riches, malheureuses émules de ces `tops' aux traits émaciés et aux corps efflanqués »419(*). L'émule étant une « personne qui cherche à égaler, à surpasser une autre personne »420(*), le quotidien sous-entend que la quête de la minceur dans laquelle se lance ces jeunes filles est vaine. Les termes « émaciés » et « efflanqués » sont plutôt péjoratifs et laisse croire que le quotidien accuse ces mannequins qui n'ont rien des `tops'.

c) Le facteur familial : un destinateur implicite

Le facteur familial est la troisième hypothèse formulée par le quotidien. Il délègue la parole à un expert qui mentionne « le lien très ambivalent » que l'anorexique développe avec sa famille. Le récit ne fournit aucun détail supplémentaire qui permettrait d'expliquer le rôle que joue la famille dans l'apparition de l'anorexie. Nous ne pouvons donc pas savoir quel est le destinateur réel. S'agit-il d'une mère surprotectrice ? D'un père violent ? Cependant, l'idée d'un lien ambivalent renvoie à ce que la littérature médicale décrit une tension chez l'adolescente. Elle est partagée entre son désir d'autonomie et sa dépendance affective à l'un de ses parents.

La famille comme destinateur apparaît en filigrane dans un second article. Malika, « victime de sous-nutrition », vivait dans une « famille [...] très fragile psychologiquement » et le quotidien précise que le décès de la mère a marqué « un point de rupture ». Dans cet exemple, se mêlent des facteurs à la fois d'ordre personnel, psychologique et un facteur environnemental. En effet, si la famille semble être un terreau favorable au déclenchement d'une maladie, le décès est un événement d'ordre personnel. Aucun indice ne permet explicitement de savoir si le quotidien accuse la famille d'être le destinateur de l'anorexie de la jeune fille.

d) Un facteur psychologique incertain

Seul un discours nous fournit une indication quant à l'hypothèse d'une origine psychologique de l'anorexie. Un expert penche pour « la vulnérabilité psychologique liée à une personnalité particulière : perfectionniste chez l'anorexique »421(*). Cet indice est assez « maigre » pour prétendre que le quotidien privilégie le facteur psychologique comme origine de l'anorexie. De plus, si les anorexiques partagent des traits de caractère commun, le perfectionnisme ne semble pas être la caractéristique majeure de leur personnalité. C'est avant tout la peur et le manque de confiance en soi que pointait D. Rigaud qui peuvent constituer un terreau favorable à l'apparition de la maladie.

La figure du destinateur n'est pas très présente dans les discours du Figaro. Cependant, l'étude des articles nous a révélé que comme La Croix, le quotidien écarte l'hypothèse génétique et organique de l'anorexie, le facteur socioculturel est plus ambiguë. Contrairement à Le Monde qui désigne explicitement la mère comme destinateur, Le Figaro reste relativement prudent et suggère dans les discours de presse que la famille pourrait être parfois la cause de l'anorexie, mais ne l'affirme jamais explicitement. Cette ambiguïté témoigne peut être de l'incertitude et de la complexité de la maladie dont le journal parle. Il préfère se retrancher derrière l'avis de quelques experts et refuse de se prononcer clairement sur une question qu'il juge complexe.

4. L'Humanité : des facteurs socioculturel, individuel et environnemental

L'Humanité ne consacre pas un article spécifique aux facteurs de l'anorexie mais aborde cette question de façon plus ou moins explicite dans quatre articles. Trois destinateurs sont mis en avant : le facteur socioculturel, le facteur psychologique et le facteur environnemental. Cependant, le quotidien privilégie nettement l'hypothèse d'un facteur socioculturel qui apparaît dans trois récits. Les facteurs psychologique et environnemental ne sont évoqués que dans un témoignage que L'Humanité nous rapporte au discours direct. Les propos de cette ancienne anorexique ne sont donc pas ceux du quotidien mais contribue à construire la figure du destinateur.

a) Les médias, destinateur de l'anorexie

Le terme de « facteur socioculturel » n'est pas employé explicitement par le journal mais différentes expressions suggèrent que l'apparition de l'anorexie est liée à un contexte sociocuturel particulier. Le quotidien pointe un doigt accusateur sur les médias et plus particulièrement la presse magazine comme l'illustre la phrase suivante : « ne lisez pas les magazines féminins ». L'injonction à ne pas faire reflète le danger que peut représenter la lecture des magazines ; « ces journaux-là »422(*), un « - » qui connote un certain mépris. A cause du « reflet que leur renvoie les médias », de « l'image du physique masculin idéal »423(*) que diffuse la presse magazine, les femmes et les hommes risquent de devenir anorexiques. Le quotidien sous-entend qu'en lisant les magazines, les lectrices/lecteurs sont incité(e)s à faire un régime pour ressembler aux modèles qu'ils « admirent ». Le terme « régime » ne figure pas dans cet article cependant, la corrélation entre régime et anorexie est explicitement mentionnée dans d'autres discours.

Un deuxième article dénonce le rôle de la presse magazine qui « balance la photo d'un mannequin anorexique »424(*). Nous pouvons penser qu'ici le qualificatif d' « anorexique » ne renvoie pas à la maladie mais à l'apparence physique. Les mannequins sont parfois si minces qu'elles donnent l'impression d'être anorexique. L'expression « mannequin anorexique » porte en elle-même l'accusation du journal. En effet, ces modèles sont censés symboliser la beauté, la perfection alors que l'anorexique se distingue par sa maigreur. Il y a donc un paradoxe que le journal souligne grâce à cet oxymore. Il dénonce ainsi les canons de beauté d'aujourd'hui, véhiculés par la presse magazine féminine. Ainsi, « femmes » et hommes sont soumis(e)s à « la pression médiatique », à une véritable « dictature »425(*). Les termes de « pression » et « dictature » sont relativement forts et soulignent l'emprise sous laquelle sont les lectrices/lecteurs de ce type de presse. Nous pouvons noter qu'ici le récit de L'Humanité s'oppose à celui de La Croix qui rejetait ce terme de « dictature », préférant croire à la liberté individuelle et laisser une place à l'origine psychologique de la maladie.

Les normes corporelles que véhicule la presse magazine incitent les femmes à faire des régimes que le quotidien évoque non sans ironie. C'est avec une « boulimie maladive » que les médias se ruent « sur les dernières nouvelles en matière de régime », comme si le travail de la presse consistait à nous livrer les innovations les plus récentes dans ce domaine. Afin de mettre en valeur le ridicule de cette « compétition », le journal énumère différents titres de unes que proposent les magazines : « `Maigrir là où vous voulez' », « `Les régimes à la mode' », « `Spécial minceur' »... L'injonction à faire un régime se « décline à l'infini sur les pages glacées des magazines »426(*).

L'accusation du journal se poursuit dans un troisième article : les magazines sont montrés du doigt parce qu'ils érigent des « néo-Kate Moss [...] en idéal féminin » et le quotidien précise que cette dernière a « pourtant rendu publique ses souffrances causées par son anorexie ». La presse magazine est donc doublement accusée : non seulement elle diffuse des photos de mannequins dont la morphologie incite les femmes à faire des régimes mais en plus certains de ces modèles sont anorexiques donc malades. Il faut préciser que l'expression « mannequin anorexique » que nous avons mentionnée précédemment est ambiguë. En donnant l'exemple de Kate Moss, le journal nous rappelle que certains mannequins sont vraiment anorexiques cependant, il nous semble possible qu'il recourt à ces termes pour signifier également la maigreur des mannequins. L'imposition de normes corporelles n'est pas propre à la presse magazine et dans le même article, L'Humanité accuse aussi la télévision. Le journal prend pour exemple la série Ally Mc Beal dont l'héroïne est une « femme `moderne' », « avocate au profil filiforme, qui rétrécit à mesure que les épisodes avancent »427(*). Le quotidien dénonce là encore avec ironie la minceur de la jeune femme. Cette « norme du corps [serait] dictée aux femmes par une société viriarcale qui fâchée de nous céder peu à peu le droit de choisir notre maternité, voudrait nous imposer nos formes »428(*), une phrase qui n'est pas sans rappeler l'argument énoncé par les féministes anglo-saxonnes. Dans les deux articles que nous venons n'évoquer, le quotidien explicite le lien entre l'influence de la presse magazine et l'anorexie en évoquant la « pression médiatique [qui] a parfois des conséquences dramatiques »429(*), l'« auto-harcèlement » auquel ne peuvent échapper les femmes quel que soit leur poids et les « angoisses et frustrations quotidiennes » qu'elles ressentent, dont « l'expression ultime » est « l'anorexie/boulimie »430(*).

b) L'anorexie résulte aussi de facteurs psychologique et environnemental

Nous avons choisi de ne pas dissocier ces deux types de facteurs et de les aborder dans une même partie puisqu'ils figurent dans un seul et même récit : le témoignage de Clara431(*). Le journaliste débute par un récit qui décrit la situation de la jeune fille puis poursuit par un discours : le témoignage de Clara. Nous avons jugé utile de faire ici cette distinction entre discours et récit tels que la définit Georges-Elia Sarfati. Le plan énonciatif du discours mobilise surtout les pronoms personnels je/tu, tandis que le récit s'organise autour des pronoms il/elle, de même les formes temporelles diffèrent432(*). Le passage d'un mode à l'autre est ici évident. Ses paroles de la jeune fille sont rapportées au discours direct, ce qui permet de d'authentifier les propos. Les événements qu'elle raconte ont bel et bien été vécu et ne peuvent être mis en doute. Nous avons relever plusieurs phrases et expressions qui révèlent que dans le cas de Clara, l'anorexie avait une origine psychologique. Elle parle d'un « problème dans la tête », explique qu'elle « avai[t] tellement de problèmes à l'intérieur qu'[elle] avai[t] l'impression qu'[elle] allai[t] éclater ». La maladie a été une façon de « transformer [sa] douleur intérieure en douleur physique ». L'anorexie nous apparaît ici comme relevant d'un problème d'ordre personnel, difficile à résoudre : « je vois ça comme plein de ficelles qui viennent faire un noeud à un moment ». Nous voyons d'ores et déjà que la figure du destinateur qui se dessine ici ne correspond pas à celle que construisent les autres discours du journal.

Sans le définir comme tel, Clara met en avant un autre facteur déclencheur : le facteur environnemental, un terme qui est utilisé dans la littérature médicale pour désigner à la fois le facteur familial et des facteurs externes. En premier lieu, la jeune fille évoque la pression familiale à laquelle elle était soumise : « on me donnait toujours en exemple », « ils me mettaient sur un piédestal et je ne comprenais pas pourquoi » ou encore « ma famille a instauré la comparaison en mode de vie ». A travers ses propos, nous retrouvons une des causes de l'anorexie que mentionne le corps médical : l'exigence parentale. C'est bien sa famille que Clara désigne comme destinateur. Mettre sans cesse en valeur sa fille et exiger d'elle le meilleur, la conduit à un moment donné à vouloir montrer ses faiblesses. Dans le discours de cette ancienne anorexique, nous voyons qu'à cette exigence familiale s'est ajoutée la remarque d'un professeur « Soulève tes grosses fesses ». C'est suite à cette réflexion qu'elle prend la décision de perdre du poids. La figure du destinateur prend le visage d'un tiers. Notons qu'ici, la perte de poids n'est pas liée à une quelconque influence des médias comme l'insinue L'Humanité dans le reste du corpus. L'anorexie résulte de la conjonction de trois facteurs : mal-être intérieur, exigence familiale et « réflexion désobligeante ». Après une première hospitalisation, Clara entre en fac de journalisme. Elle est confrontée à de nouvelles exigences et rechute : « je me suis retrouvée dans un autre système de comparaison ambiance concours ». Ici l'exigence ne vient plus de sa famille mais du milieu universitaire dans lequel elle se trouve. Le témoignage de cette jeune fille est intéressant car il met en valeur la complexité de l'origine de la maladie. Il n'y a pas un facteur précis qui pourrait être désigné comme facteur déclencheur de l'anorexie mais un enchevêtrement de causes. L'exigence de ses parents, la réflexion d'un professeur auxquels s'ajoute un mal-être intérieur, un manque de confiance en soi se sont conjugués pour que la maladie apparaisse.

Le témoignage de Clara fait figure de discordance par rapport aux autres articles étudiés. Outre le système énonciatif qui diffère, ce sont aussi les propos qu'elle avance qui établissent une rupture avec le reste du corpus. Alors que L'Humanité présente la presse magazine et la télévision comme destinateurs, Clara raconte comment ses problèmes intérieurs et des pressions externes l'ont conduite à l'anorexie. Cette discordance nous permet de mettre le doigt sur une polyphonie du discours. Deux voix sont mêlées : celle du quotidien lui-même et celle de Clara rapportée par L'Humanité. Le témoignage n'a donc pas ici pour fonction de légitimer le discours du quotidien cependant, il ne disqualifie pas les dires de la jeune fille puisqu'il introduit ses propos en disant « Elle raconte SON histoire, insistant sur le fait que chacune est différente ». Cette phrase permet au journal de rester cohérent avec lui-même. Il peut difficilement modifier sa position en prétendant que les médias ne jouent aucun rôle dans le déclenchement de l'anorexie, mais il ne peut pas non plus réfuter les propos de Clara. Il conclut alors en se raccrochant à un détail : l'histoire de chaque anorexique est différente, une idée largement répandue dans le corps médical. La typographie utilisée met en relief cette « évidence ».

L'Humanité construit la figure du destinateur de l'anorexique de façon beaucoup moins rigoureuse que La Croix. En effet, aucun terme ne fait référence à la complexité de l'origine de la maladie et à son origine polyfactorielle. Aucun expert ne vient confirmer ou renforcer les affirmations du quotidien, une absence qui peut se justifier. Les spécialistes que convoquent La Croix nuançaient l'hypothèse d'une influence socioculturelle en s'appuyant sur un argument historique. Il est donc logique que L'Humanité ne délègue la parole à aucun expert puisqu'il désigne le facteur socioculturel comme le facteur déclencheur de la maladie. En outre, le journal occulte les autres hypothèses existantes à savoir les hypothèses génétique et organique. Finalement le quotidien ne tranche pas entre facteur socioculturel, facteurs environnementaux et origine psychologique.

5. Libération : le culte de la minceur est le facteur déclencheur de l'anorexie mentale

Libération n'aborde pas explicitement la question des facteurs déclencheurs de l'anorexie cependant, certains éléments des discours de presse nous donnent des indices quant aux hypothèses privilégiées. Ainsi, différents articles révèlent que le quotidien met en avant le facteur socioculturel, le facteur familial et le facteur psychologique. La figure du destinateur est donc multiple.

a) L''hypothèse d'un facteur socioculturel est privilégiée

L'hypothèse d'une influence socioculturelle est évoquée dès le premier article en 2000, et revient à plusieurs reprises, même si le terme « facteur socioculturel » n'apparaît dans aucun discours. En 2000, Libération publie un article intitulé « Une histoire. Miss Anorexie America »433(*). Le titre suffit à lui-même pour comprendre que le destinateur de la maladie est la mode. Le journal évoque « l'influence des concours de beauté sur la décision des jeunes femmes d'entreprendre un régime », une phrase qui sous-entend que le régime peut conduire à l'anorexie. De plus, le journaliste écrit que le docteur Caballero « dénonce la tendance à la maigreur des récentes Miss », mais en réalité c'est Libération qui dénonce. Nous pouvons noter qu'ici la figure du destinateur est identique à celle que construit L'Humanité mais s'oppose à celle que dessine la Croix qui ne considère pas la mode comme le facteur déclencheur de l'anorexie. Nous avons relevé un autre élément concernant la nature de l'expert. A l'inverse de La Croix qui délègue la parole à des spécialistes français des troubles du comportement alimentaire, Libération se tourne vers un expert étranger, peu connu, ce qui tend à conférer moins de légitimité à ses propos. Au-delà de la mode et des mannequins, nous pouvons faire l'hypothèse que ce sont les Etats-Unis que Libération accuse. Ce sont eux le « véritable » destinateur, le destinateur originel. En effet, le titre nous rappelle que la Miss dont il est question est américaine. Cette sanction que le journal fait porter sur les Etats-Unis apparaît dans un autre article : « Les fans de l'anorexie servent leur soupe sur le Web »434(*). Le quotidien dénonce les sites pro-anorexiques qui « font l'apologie » de la maladie, et précise qu'ils sont « surtout américains ». Un autre détail est révélateur : ces sites diffusent des « images de stars hollywoodiennes filiformes. Parfois trafiquées pour les amaigrir davantage », des stars hollywoodiennes qui nous renvoient donc aux Etats-Unis. Ce sont, là encore, à la fois la mode et les Etats-Unis qui sont désignés comme le destinateur de l'anorexie et de façon plus nuancée Internet.

En effet, au premier abord, l'objectif du récit semble être de dénoncer l'existence des sites pro-anorexiques, comme le souligne l'encart « l'apologie de ce trouble alimentaire inquiète les médecins ». Cependant, nous avons relevé plusieurs expressions appartenant au champ lexical de la « bataille » qui indiquent que ce qui intéresse également le quotidien c'est la « lutte » à laquelle se livrent les partisans et les opposants de ces sites. « Des associations sont montées au créneau » afin de dénoncer les sites pro-anorexiques et les portails qui les autorisent, des « contre-sites se sont montés », « des clubs de discussion ont également été fermés » ; des initiatives auxquelles les pro-anorexiques répondent d'un « ton vengeur ». Libération semble insister sur l'importance de cette bataille. Si les opposants aux sites pro-anorexiques gagnent, l'influence du Web diminuerait entraînant la disparition de ce « destinateur ». Nous nous permettons de mettre ce terme entre guillemets car le discours du journal est ambiguë et ne permet pas de désigner Internet comme le destinateur de l'anorexie. En effet, au cours du récit, il délègue la parole à un expert qui affirme que « ces sites ne plongent pas de gens dans la maladie, et entretiennent seulement ceux qui sont déjà anorexiques », des propos qui relativisent donc l'influence d'Internet et tend à complexifier la figure du destinateur. Aucun indice ne permet de savoir si finalement Libération considère Internet, donc un autre média, comme le destinateur de la maladie ou non.

En 2002, l'hypothèse de l'influence socioculturelle est à nouveau avancée. Le quotidien parle de l'anorexie comme de la conséquence dramatique « de l'idéologie de la minceur »435(*) qui font des adolescentes « obsédées par l'image des mannequins ». Le terme « obsédées » n'a pas ici une connotation péjorative mais permet d'insister sur le pouvoir qu'exercent les images sur les adolescentes. Il renvoie à quelque chose dont elles ne peuvent faire abstraction, qui envahit leurs pensées et dont elles sont « victimes ». Le terme « idéologie » renforce cette idée. Les jeunes filles seraient soumises à des normes corporelles auxquelles elles devraient se conformer. Le récit de Libération s'oppose à celui de La Croix qui ne cautionnait pas le terme de « dictature » mais rejoint celui de L'Humanité. Rien ne précise si par le mot « images », le quotidien désigne les images diffusées par la presse magazine, à la télévision ou encore sur Internet. C'est pourquoi, nous pouvons dire que la figure du destinateur reste assez floue.

L'année suivante, les discours de Libération deviennent plus précis. Le journal publie une interview de Jean-Pierre Corbeau436(*), un sociologue, qui souligne le rapport entre les valeurs de la société contemporaine et les normes corporelles. L'article est construit autour de deux champs lexicaux particulièrement révélateurs : celui de la maigreur et celui de l'efficacité. Le sociologue explique que la France est « lipophobe », que le modèle d'esthétique aujourd'hui est « la maigreur », « l'androgyne » devient « un modèle de beauté » parce que la maigreur symbolise « l'efficacité sociale » et « la performance », une idée qui rejoint la thèse de A. Guillemot et M. Laxenaire dont nous avons parlé. Pour illustrer ce rapport entre valeurs et normes corporelles, le journal prend l'exemple de la série Ally Mac Beal dans laquelle l'« actrice maigre » « incarne une femme à responsabilités qui nie ses formes féminines dans une logique d'efficacité et de productivité ». Il est intéressant de noter que L'Humanité a recours au même exemple pour souligner l'influence des valeurs de notre société sur les représentations du corps féminin. Au-delà des modèles féminins que nous proposent les médias, et plus particulièrement la télévision qui est implicitement montrée du doigt, c'est la société toute entière qu'accuse Libération par l'intermédiaire de Jean-Pierre Corbeau qui conclut : « notre société toute entière est lipophobe ». D'ailleurs, le journal écrit dans un autre article que les troubles du comportement alimentaire sont de plus en plus fréquents aujourd'hui « ce qui n'est pas sans renvoyer la question à la société dans son ensemble »437(*). Il précise plus loin cette idée en s'appuyant sur les arguments de P. Jeammet, qui pense que les troubles de l'adolescence sont liés à « l'évolution sociale et le comportement des adultes ». Nous vivons dans une société où il faut « `toujours faire mieux, aller plus loin, au-delà de sa propre limite, comme l'anorexique qui peut toujours perdre cent grammes supplémentaires ». P. Jeammet ne dénonce pas les médias mais les valeurs de la société dans laquelle nous vivons. Il serait mal venu de contester un expert, spécialiste reconnu des troubles du comportement alimentaire cependant, il nous semble que la réalité soit quelque peu plus complexe. D'ailleurs, nous avons montré dans la première partie de ce travail que l'anorexie existait déjà au Moyen Âge, une époque à laquelle la performance et la réussite n'étaient pas les valeurs fondamentales de la société.

b) La famille est également accusée de déclencher la maladie

Libération mentionne l'hypothèse d'un facteur familial dans deux articles. Un premier récit est consacré à l'ouverture d'un restaurant allemand dédié aux personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire. La patronne du restaurant, elle aussi anorexique, analyse les facteurs déclencheurs de sa maladie. A l'adolescence, « ses parents étaient en plein divorce » et elle a « petit à petit cessé de [se] nourrir normalement »438(*). C'est ici un problème familial qui a suscité le déclenchement de l'anorexie. Il n'est pas rare en effet, qu'une adolescente réagisse à un événement familial pesant en restreignant sa nourriture, un moyen pour elle d'attirer l'attention de ses parents.

Dans un article plus récent, la famille est dépeinte comme un milieu pathogène qui serait à l'origine de l'anorexie d'une adolescente. Avant d'expliquer comment le quotidien construit la figure du destinateur, autrement dit accuse la famille, il est intéressant de se pencher sur la « nature » de ce récit. Une nouvelle fois, Libération utilise une façon détournée d'aborder le sujet de l'anorexie en publiant un article sur un reportage télévisé diffusé par France 5, qui a pour sujet la Maison des Adolescents. Le journaliste a choisi de raconter comment se déroulait un entretien entre Marcel Rufo, pédopsychiatre et directeur de la Maison des Adolescents, une jeune anorexique Caroline, et ses parents. Deux procédés, l'un narratif, l'autre scénique, sont utilisés pour désigner les parents comme le destinateur de la maladie. Au plan narratif, le discours nous révèle pourquoi Caroline est devenue anorexique. L'accent est mis sur la pression qu'exerçait le père sur sa fille. Il était « très exigeant », voulait qu'elle ait des « bonnes notes » et qu'elle réussisse. M. Rufo analyse ce comportement et conclut que Caroline est une « compensation » des échecs de son père. Nous retrouvons ici un cas de figure déjà mentionné : les parents projettent sur leurs enfants leurs désirs, souvent non réalisés au cours de leur propre enfance. En plus de cette exigence, « pendant treize ans », le père a eu « à la fois de la violence verbale et physique par rapport » à Caroline. C'est bien la famille, notamment le père qui est considéré comme le destinateur de la maladie. Le journal renforce la culpabilité du père en évoquant la faiblesse et l' « isolement » de la jeune fille qui était « une petite fille » et qui « ne pouvai[t] pas se défendre ». La mère est aussi désignée comme le destinateur mais un destinateur indirect : elle n'a pas protéger sa fille.

Le dispositif scénique participe également à la désignation des parents comme destinateurs. Des détails comme « face à », « à gauche », « à droite » permettent au lecteur de visualiser la scène. A cela s'ajoutent des indications concernant la direction du regard du professeur : « regarde », « un bref regard au père », « observe le père », « regarde Caroline »... La mise en scène de l'entretien renforce la culpabilité des parents qui se trouvent en position d'infériorité face au « puissant » professeur. C'est lui qui distribue la parole. Les parents ne parlent que lorsqu'ils y sont invités et les verbes introducteurs utilisés par le journal révèlent leur infériorité : le père « glisse », « murmure » et la mère « geint ». Il faut par ailleurs préciser qu'à aucun moment, le journaliste ne mentionne explicitement l'origine familiale de l'anorexie de Caroline. L'histoire parle d'elle-même, ou plutôt le reportage. Cependant, il faut préciser que cet article annonce une émission sur la Maison des Adolescents, le journaliste a donc choisi de sélectionner cette scène et de nous la raconter. Un choix pas anodin qui laisse sous-entendre que c'est bien pour l'hypothèse du facteur familial que penche Libération.

Un dernier article privilégie également l'hypothèse d'un facteur familial mais de façon plutôt implicite. Ce discours est consacré au livre de P. Jeammet sur l'anorexie à l'adolescence et la quotidien débute l'article en écrivant : « La nourriture est l'un des carrefours essentiels de la relation de l'individu à son environnement. Quand les parents disent à leur bébé : `Une cuillerée pour maman, une cuillerée pour papa', `ils contribuent sans le savoir à faire de l'alimentation le véhicule de l'amour et de la soumission à leur propre désir' »439(*). Le quotidien ne fait que citer les propos de l'expert en ajoutant « à partir de là, tout peut déraper ; qu'on se rassure cela n'arrive pas souvent ! Mais quand ça arrive... L'anorexie mentale est une maladie scandaleuse... ». Ces propos nous renvoient à la théorie psychanalytique de l'anorexie selon laquelle, la maladie trouve ses origines dans les relations entre la mère et son enfant. En commençant l'article par cette citation, le quotidien sous-entend qu'il approuve cette hypothèse. Cependant, il faut noter qu'il est beaucoup plus difficile de cerner la position de Libération, où tout se joue sur des non-dits et des allusions, que celle de La Croix qui désigne de façon explicite le destinateur de l'anorexique.

c) Le facteur psychologique, un facteur éventuel de l'anorexie

Dans l'un des articles, Libération semble montrer que l'anorexie pourrait également avoir une cause psychique. En effet, il mentionne la « vulnérabilité psychique du sujet »440(*) dont parle P. Jeammet dans son ouvrage. Une adolescente plus fragile que d'autres serait susceptible d'être plus sujette à la maladie. Cependant, c'est la seule indication dont nous disposons dans tous les articles du corpus. Ainsi, il est peut être ambitieux de conclure que Libération privilégie l'hypothèse d'une origine psychologique de la maladie.

Libération ne consacre pas d'article particulier à la question de l'origine de l'anorexie cependant l'analyse des discours nous révèle que le facteur socioculturel est largement privilégié même si une ambiguïté subsiste par rapport à la question des sites pro-anorexiques. La famille est également désignée comme destinateur et le facteur psychologique de l'anorexie est mentionné de façon rapide ce qui ne nous permet pas vraiment de trancher.

6. Santé Magazine : la figure du destinateur, une figure qui évolue

La question de l'origine de l'anorexie est présente dans tous les articles de Santé Magazine, ce qui n'est guère étonnant. En effet, le magazine détient une mission d'information dans le domaine de la santé qui l' « oblige » à aborder cet aspect de la maladie. Cette démarche est d'autant plus nécessaire qu'il définit l'anorexie en mettant l'accent sur sa gravité et la nécessité de prévenir la maladie. En conséquent, il ne peut exclure de ses propos la question de l'origine de la maladie, démarche qui est similaire à celle de La Croix. L'étude du corpus révèle une évolution de la position du magazine assez significative. Dans les années 80, l'hypothèse d'un facteur familial domine comme l'indique la phrase suivante : « nous insistons sur la pathologie familiale fréquente qui entoure souvent l'anorexique »441(*). Même si le terme « souvent » tend à nuancer l'origine familiale de la maladie, l'auteur de l'article donne en guise d'exemple le cas d'une jeune fille dont les parents sont surprotecteurs ce qui tend à renforcer l'hypothèse d'un facteur familial. Malgré tout, l'auteur affirme ne pas vouloir « dénoncer l'attitude des parents, mais [...] les aider », ces propos contradictoires vont « contraindre » le magazine à abandonner progressivement l'idée de la famille comme destinateur de la maladie. Cependant, à la fin des années 80, l'hypothèse du facteur familial reste encore privilégiée. La maladie résulterait « de problèmes psychologiques profonds qui remontent à la petite enfance » ce qui n'est pas sans rappeler les théories psychanalytiques qui considèrent que l'anorexie a pour origine une perturbation des relations mère-enfant. L'article brosse le portrait d' « une famille candidate à l'anorexie », une expression assez révélatrice, où le père est soit absent soit autoritaire et la mère surprotectrice. Nous pouvons noter que la position de Santé Magazine est semblable à celle de La Croix dans les années 90, une position qui ne fait que refléter les hypothèses médicales en vigueur à cette époque.

a) La famille passe du rôle de destinateur à celui d'adjuvant

Santé Magazine souligne que « les causes de l'anorexie mentale sont multiples » dès le premier article du corpus. Cependant, cela ne signifie pas qu'il ne prend position. Il privilégie le facteur familial et le facteur socioculturel. L'hypothèse d'une famille comme milieu pathogène reste prépondérante pendant plusieurs années. En 1991442(*), le magazine avance que « pour la plupart des médecins [...] l'origine de cette maladie remonterait à la toute petite enfance, à l'âge où le seul lien entre la mère et l'enfant passe par la nourriture ». Au premier abord, l'emploi du conditionnel peut laisser penser que le magazine met à distance cette hypothèse. Toutefois, l'expression « pour la plupart des médecins » permet de lui conférer une certaine crédibilité. De plus, Santé Magazine délègue la parole à un expert dont les propos confirment cette hypothèse. En effet, celui-ci explique que « l'anorexie éclate sur un terrain préparé », c'est-à-dire survient chez des adolescentes « modèles », qui depuis leur enfance se conforment aux désirs de leurs parents. Cette exigence parentale rappelle les théories avancées par certains psychanalystes aujourd'hui. Dans le même article, le magazine dénonce les familles où la mère « obsédée » par l'idée de perdre du poids « suit un régime » entraînant sa fille à faire de même. Ici, le terme « obsédée » révèle la sanction que porte Santé Magazine. Afin de renforcer l'accusation, le journaliste laisse la parole à une ancienne anorexique qui explique que « les parents devraient bannir le mot `régime' [...] quand ils ont des filles adolescentes un peu trop rondes [...]. C'est cela qui donne des complexes ». Ce témoignage d'une ancienne anorexique, rapporté au discours direct, ne fait que confirmer l'hypothèse d'un facteur familial déclencheur de la maladie. Quelques années plus tard443(*), la famille est à nouveau désignée comme le destinateur de la maladie. Santé Magazine parle d' « environnement familial exigeant », de familles où « l'image du corps est sublimée ». En reprochant à leur fille d'être trop ronde, les parents déclenchent chez elle un sentiment d'imperfection qui l'incite à faire un régime. Il est intéressant de noter qu'ici ce n'est pas la société qui est responsable de l'imposition de normes corporelles mais les parents. Le sous-titre « Attention au culte du corps ! » ne renvoie pas au culte de la minceur que diffuserait la presse magazine, comme le dénonçait L'Humanité, mais à celui que les parents imposent à leur fille. Nous pouvons noter que c'est la première fois dans notre corpus que cette idée apparaît. Au premier abord, il peut sembler surprenant que le culte du corps ne renvoie pas à la société mais à la famille. En réalité, la position qu'adopte Santé Magazine s'explique facilement. En effet, présenter le culte du corps comme véhiculé par la presse magazine, conduirait le magazine à se désigner comme le destinateur. En 1996444(*), c'est encore la famille que Santé Magazine présente comme le destinateur de la maladie. Il décrit le manque d'autonomie de l'adolescente qui « fait tout pour [...] rassurer [sa mère] », « brillante à l'école, intelligente et facile ». Ses « conduites sont conformes au désir de ses parents [...] et ne préparent pas la jeune fille aux modifications de la puberté ». Une nouvelle fois, l'exigence des parents, la conformité de l'adolescente à leurs attentes et pointé par le magazine. Notons que le rôle du père est explicitement évoqué alors qu'en général c'est plutôt la mère qui fait l'objet d'accusations. Ainsi, le magazine souligne que le « rôle du père est aussi primordial : on retrouve de plus en plus de cas d'anorexie dans les familles où le père, débordé par son travail, est absent ou ne sait pas communiquer avec sa fille ». C'est ici l'absence du père qui est mise en exergue. Comme Le Monde le soulignait déjà, la figure du destinateur quand il s'agit de la famille peut se « dédoubler » et ce ne sont pas toujours les « parents » ou la mère qui prennent le visage du destinateur de l'anorexique.

A partir de 1997, la responsabilité des parents, en particulier de la mère, devient moins nette. Le magazine mentionne que « l'anorexie mentale a des origines aussi variées que les personnalités des adolescentes qui en sont victimes » même s'il existe des facteurs communs comme « la grande dépendance affective vis-à-vis de l'entourage, notamment de la mère »445(*). Cependant, cette allusion à la relation mère-fille ne signifie pas que la mère est surprotectrice, donc responsable. La figure du destinateur devient plus floue annonçant une évolution. Le basculement s'opère en 2001 lorsque Santé Magazine note que « contrairement à ce que l'on entend dire, l'anorexie ne serait pas due aux relations difficiles avec la mère » car « si une anorexique ne mange plus, ce n'est pas contre ou à cause de quelqu'un »446(*). Le comportement qu'adopte une mère vis-à-vis de sa fille anorexique n'est en réalité qu'une conséquence de la maladie et ce « n'est pas leur mode de fonctionnement initial qui fait l'anorexie ». A partir de ce moment-là, la famille passe du rôle de destinateur à celui d'adjuvant et de victime.

b) Une nouvelle définition du « facteur socioculturel »

Le facteur socioculturel est la seconde cause de la maladie qui apparaît dans les discours de Santé Magazine. Nous avons montré que plusieurs quotidiens, en particulier L'Humanité, accusaient très nettement la presse magazine d'être à l'origine de l'anorexie des jeunes filles. C'est pourquoi, il est intéressant de voir comment le magazine se positionne par rapport à cette hypothèse. En 1991, il présente explicitement le contexte socioculturel comme facteur déclencheur de la maladie. Celle-ci « est liée au contexte socioculturel qui favorise une image de la restriction, de la maîtrise de soi, de bonne santé, où les messages préventifs tournent autour de la restriction alimentaire »447(*). La norme qui serait imposée est celle de la restriction alimentaire. Ainsi, le sens que confère le magazine au terme « facteur socioculturel » diffère de celui que lui accordent les autres quotidiens. En effet, il semble difficile que Santé Magazine définisse le facteur socioculturel comme l'imposition de normes corporelles, l'idéologie de la minceur car cela reviendrait à se désigner comme destinateur. C'est pourquoi, au début de la période ce sont les parents qui sont accusés de valoriser un certain idéal corporel. Nous avons remarqué que dans les articles suivants, la définition du facteur socioculturel évolue mais n'inclut toujours pas la presse magazine. C'est alors la « publicité » que Santé Magazine dénonce car elle « n'arrange rien », « elle montre des mannequins sveltes, longilignes », « quant à la mode, elle n'est conçue que pour les minces ! ». Le terme de « publicité » est ambiguë car il peut désigner à la fois la publicité à la télévision mais également la publicité qui se trouve dans la presse magazine, ce qui là encore reviendrait à se désigner comme destinateur. Finalement, le magazine préfère écarter l'hypothèse d'un facteur socioculturel de l'anorexie et prétend qu'« on accuse beaucoup la mode de la minceur qui incite de nombreuses adolescentes à vouloir maigrir pour ressembler à leurs (top) modèles, mais ce courant (bien que significatif) ne serait qu'un paramètre parmi d'autres d'ordre purement psychologiques »448(*). Cette phrase révèle la contradiction dans laquelle est pris le magazine : d'un côté, il veut écarter le contexte socioculturel comme facteur de l'anorexie ; de l'autre, il ne peut nier qu'il y a bien une influence de la mode sur les adolescentes. Il faut attendre l'article suivant soit quelques années plus tard pour qu'il écarte définitivement l'éventualité d'une influence du contexte socioculturel avec cette phrase : « l'adolescent choisit la nourriture comme objet de maîtrise [...]. Ce choix particulier de l'aliment n'est en rien motivé par l'obsession de l'image de son corps »449(*). Le verdict est sans appel, la mode n'est pas le destinateur de l'anorexique, ainsi Santé Magazine rejoint la position de La Croix.

c) L'hypothèse d'une origine psychologique

Finalement, Santé Magazine privilégie l'hypothèse d'une origine psychologique de l'anorexie. Au début de la période, l'idée n'est présente que de façon embryonnaire : un médecin parle du « refus de grandir », une ancienne anorexique explique qu'elle « avai[t] peur des hommes. Peur de la société toute entière »450(*). Cette peur révèle qu'il s'agit d'un problème d'ordre personnel mais à aucun moment ne figurent les termes « psychologique » ou « personnel ». Dans un autre article, nous trouvons l'expression « pour aller mieux dans sa tête »451(*) qui suggère que la jeune fille a un problème. A plusieurs reprises le magazine insiste sur le rôle de la personnalité. Ainsi nous avons repéré les phrases suivantes : « chaque anorexique a une histoire, son propre vécu et sa personnalité »452(*), ou encore « l'anorexie mentale a des origines aussi variées que les personnalités des adolescentes qui en sont victimes »453(*) mais aussi « la maladie est une manière d'exprimer leur mal-être »454(*). Ces quelques citations laissent penser que l'anorexie pourrait avoir une origine psychologique cependant, c'est surtout sur la complexité de l'origine de la maladie que Santé Magazine met l'accent. En effet, prétendre que les origines sont aussi variées que la personnalité des victimes, c'est sous-entendre qu'il est quasiment impossible de trancher sur les facteurs déclencheurs prédominants.

Santé Magazine souligne à plusieurs reprises la multiplicité des facteurs déclencheurs de la maladie cependant, cela ne signifie pas qu'il ne prend pas position. L'analyse des articles de notre corpus nous a permis de mettre en valeur l'évolution de la figure du destinateur dans les discours de Santé Magazine, une évolution qui reflète les modifications des conceptions du corps médical qui a progressivement abandonné l'idée d'une famille type de l'anorexique, même si certains psychanalystes par exemple continuent de penser la famille comme milieu pathogène. Nous avons également souligné la spécificité des discours du magazine par rapport au facteur socioculturel. Ne pouvant pas définir le facteur socioculturel comme l'imposition de normes corporelles par la presse magazine, il renvoie à la famille la responsabilité de valoriser un certain idéal corporel. Cependant, comme La Croix, il rejette progressivement l'idée que la famille serait responsable de l'anorexie de leur enfant c'est pourquoi, il est contraint d'abandonner l'hypothèse du facteur socioculturel de l'anorexie. Finalement, toujours comme La Croix, il finit par privilégier une origine psychologique de la maladie tout en soulignant la complexité de la question.

Nos différentes analyses nous ont permis de voir que loin de proposer une figure du destinateur identique, les journaux privilégient chacun une hypothèse différente, voire des hypothèses, quant à l'origine de l'anorexie. Avant d'aller plus loin dans notre comparaison, il faut préciser que seuls La Croix et Santé Magazine propose des discours relativement détaillés sur la question des causes de l'anorexie ce qui nous a permis de déceler une évolution dans la conception du destinateur. A l'inverse, les autres quotidiens n'abordent le sujet que de façon allusive ou en quelques lignes ce qui ne nous fournit pas assez d'indications pour identifier une évolution.

En reprenant les différentes hypothèses existantes sur l'origine de l'anorexie nous pouvons distinguer les quotidiens qui privilégient le facteur socioculturel comme L'Humanité, Libération et de façon ambiguë Le Figaro de ceux qui penchent plutôt pour un facteur d'ordre psychologique comme c'est le cas pour La Croix, Santé Magazine et Le Monde. Cependant, certains quotidiens n'avancent pas qu'une seule hypothèse mais désignent plusieurs destinateurs. Ainsi, L'Humanité mentionne également les facteurs environnementaux et le facteur psychologique ; Libération désigne la famille comme destinateur éventuel et évoque également le facteur psychologique ; Le Monde envisage la possibilité d'une origine familiale de l'anorexie et Le Figaro reste assez prudent en soulignant que l'anorexie est une maladie complexe. Nous ne pouvons que souligner la diversité des destinateurs qui apparaissent dans les discours de presse, une diversité qui reflète l'incertitude qui persiste aujourd'hui autour de la question de l'origine de l'anorexie et d'éventuels facteurs déclencheurs.

Nous avions souligné en introduction de cette partie l'attention qu'il fallait porter à l'hypothèse d'un facteur socioculturel de l'anorexie. Il s'avère que certains quotidiens/magazine récusent l'idée d'un facteur socioculturel déclencheur de la maladie et convoquent des experts qui confirment que cette idée n'est pas pertinente puisque l'anorexie existait déjà les siècles précédents alors que le culte de la minceur n'était pas à l'ordre du jour. A l'inverse, les discours qui présentent la mode ou la presse magazine comme destinateurs de l'anorexique ne s'appuient sur aucun propos d'expert. L'absence d'expert tend à décrédibiliser l'hypothèse avancée et laisse penser malgré les discours de ces quotidiens que l'anorexie ne résulte pas d'une influence socioculturelle, d'une soi-disant pression médiatique comme le soulignait L'Humanité.

Enfin, concernant la question de l'évolution de la figure du destinateur, nous avons indiqué qu'elle n'est perceptible que dans les discours de La Croix et de Santé Magazine. Au début de la période, la famille est désignée comme destinateur puis peu à peu cette conception tend à disparaître révélant le déplacement qui s'est opéré dans les conceptions médicales. La famille est passée du statut de destinateur à celui de d'adjuvant.

Après avoir étudié la figure du destinateur dans les discours de presse, nous allons maintenant nous intéresser aux pratiques anorexiques.

III. Les pratiques anorexiques ou comment l'anorexique devient anorexique

L'anorexie est « le besoin obsessionnel de maigrir »455(*) qui pousse l'adolescente à restreindre son alimentation. Cependant, une jeune fille qui décide de commencer un régime n'est pas pour autant anorexique. En effet, l'anorexie résulte d'un ensemble de pratiques que l'adolescente met en place aussi bien au plan alimentaire que corporel ou encore sportif. C'est à ces pratiques anorexiques que nous allons maintenant nous attacher afin de comprendre comment la maladie s'installe.

Dans une perspective actantielle, cette étape correspond à la phase de la performance définie comme « toute opération du faire qui réalise une transformation d'état »456(*) qui « fait passer d'un état conjoint à un état disjoint »457(*) ou inversement. L'actant sujet met en place un ensemble d'opérations (les pratiques) qui transforme son état. Dans notre cas, l'anorexique est à la fois le sujet d'état en relation de disjonction avec son objet (maigrir) et sujet opérateur ou sujet du faire puisque c'est elle qui va réaliser la performance. Pour cela, elle doit être compétente c'est-à-dire être munie du devoir-faire, du vouloir-faire, du pouvoir-faire et du savoir-faire. Nous serons amenés à utiliser ces notions de façon ponctuelle. Au cours de la réalisation de sa performance, elle rencontre des opposants ou anti-sujets qui ont un programme narratif inverse au sien.

Dans un premier temps nous nous intéresserons aux pratiques que l'adolescente met en place pour atteindre son objet, des pratiques qui l'entraînent dans le « cercle vicieux et très grave de la maladie »458(*). A partir de ces éléments, nous analyserons les discours de presse pour voir comment la performance anorexique est décrite par les médias.

A. Les pratiques anorexiques : une élaboration progressive

Afin d'étudier la performance de l'anorexique, nous nous appuierons sur l'ouvrage de Muriel Darmon : Devenir anorexique - une approche sociologique, dans lequel elle étudie l'anorexie en terme de carrière459(*). Analyser la carrière de l'anorexique consiste à transformer l'individu en activités, à regarder ce qu'il fait et non ce qu'il est. « En faisant émerger et en construisant des phases communes aux diverses expériences individuelles »460(*), ce procédé permet de montrer ce qui est commun aux jeunes anorexiques engagées dans la même carrière, mais aussi de mettre l'accent sur les variations qui existent à l'intérieur de ces phases communes. M. Darmon distingue quatre phases dans la carrière anorexique : l'engagement dans une prise en main, le maintien de l'engagement, le maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance et la phase de la prise en charge hospitalière. Nous n'aborderons dans cette partie que les trois premières phases puisque la dernière correspond à la sanction médicale, la dernière étape de notre analyse.

1. Le commencement et le maintien de l'engagement

a) Les différentes modalités de commencement

M. Darmon explique que les anorexiques savent dater le commencement de leur maladie, un moment que l'auteur définit comme « la première phase d'engagement dans la carrière anorexique »461(*). Au cours de cette carrière, les anorexiques effectuent un travail de production qui est l'anorexie, autrement dit elle réalise un programme narratif dont l'objet est de maigrir. La plupart des médecins considèrent que le régime constitue le commencement de la maladie, comme le souligne cette phrase de H. Chabrol : « Le début est habituellement insidieux et apparemment banal : l'adolescence se sent grosse et décide de suivre un régime »462(*). M. Darmon nuance cette approche : s'il y a bien commencement au sens de rupture entre un avant et un après, d'une modification du comportement, toutes les anorexiques ne commencent pas en faisant en régime. Ainsi, elle distingue deux autres modalités de commencement qui sont : « ne pas commencer tout de suite par un régime », et « ne pas commencer seulement par un régime »463(*).

« Commencer par faire un régime » consiste à mettre en place une « pratique ayant pour objectif de transformer l'apparence corporelle par la perte de poids. La perte de poids initiale est alors le résultat de stratégies entreprises dans ce but »464(*). M. Darmon distingue trois types de rôles sociaux qui participent à la définition de ce régime : les « prescripteurs » (professionnels de santé qui prescrivent le régime), les « incitateurs » (les personnes qui incitent l'adolescente à faire ce régime, un proche ou des ami(e)s..) et les « accompagnateurs » qui font un régime en même temps que la jeune fille. L'auteur insiste sur les rôles de « ces trois acteurs [qui] sont des courroies de transmission de l'imposition normative »465(*) puisqu'ils légitiment les pratiques de la jeune fille qui visent à atteindre des normes corporelles. C'est pourquoi, les différentes opérations que réalise l'anorexique pour maigrir ne sont pas considérées comme déviantes mais « normées »466(*). M. Darmon précise que quand la jeune fille entre dans la carrière d'anorexique par un régime, elle ne se trouve pas dans « un vide relationnel »467(*) mais entourée d'acteurs qui remplissent ces trois rôles. A l'inverse, quand elle ne commence pas par un régime ou pas seulement par un régime, elle est souvent seule.

Ce que M. Darmon nomme « ne pas commencer tout de suite par un régime »468(*) correspond au cas où la jeune fille commence par perdre du poids mais sans avoir fait de régime et sans en avoir envie (par exemple suite à une opération). Enthousiasmée par cette perte de poids, elle va continuer en commençant un régime. Dans cette modalité de commencement, les prescripteurs, les incitateurs et les accompagnateurs sont absents. Le troisième mode de commencement se caractérise par un « engagement sur plusieurs fronts »469(*), le régime n'étant qu'une composante d'un ensemble de pratiques corporelles et sportives.

b) La « prise en main »470(*)

Quel que soit le mode de commencement, la jeune fille décide de « se `prendre en main' », une prise en main que M. Darmon définit comme étant la « mise en place d'un ensemble cohérent d'action de rupture avec les habitudes antérieures, une mise en pratiques, c'est-à-dire aussi une mise en action, de la modification de soi »471(*). Cette prise en main se caractérise par sa modalité volontaire et introduit une discontinuité, une rupture par rapport à un avant. La spécificité de cet « engagement dans une prise en main » est d'être accepté par les pairs. Le comportement anorexique (qui est au début une simple restriction alimentaire) n'est que la poursuite d'un comportement jugé normal c'est-à-dire accepté par la société. Ainsi H. Bruch explique que « dans la plupart des cas, au début, les restrictions alimentaires ressemblent à un régime ordinaire, où l'on s'abstient de nourriture qui `font grossir' »472(*). Généralement, lorsqu'une jeune fille débute un régime, l'entourage ne s'alarme pas. D. Rigaud explique que : « tout est banal au début, pire même : gratifiant. Car la société qui valorise les `gagnants' des régimes, renvoie à ceux qui perdent 10 kg l'image forte de quelqu'un qui sait se maîtriser. `Bravo' murmurent à l'unisson les copines, les copains et même les mères »473(*). Les parents ont tendance à banaliser le comportement de leur fille et sont souvent les derniers à prendre conscience de sa maladie. C'est pourquoi, il est assez courant de trouver le terme « insidieux » dans la littérature scientifique pour désigner l'apparition de la maladie : personne ne se doute qu'un régime peut conduire à l'anorexie. En ce sens, il est difficile de dater précisément le début de l'anorexie car faire un régime ne signifie pas automatiquement devenir anorexique, un détail que nous retrouverons dans les discours de Santé Magazine.

Cette première phase de la carrière anorexique qu'est l' « engagement dans la prise en main » varie d'une jeune fille à une autre (dans la chronologie et les fronts sur lesquels elle s'effectue). Elle n'est pas socialement désapprouvée. M. Darmon précise un aspect souvent négligé dans les écrits sur l'anorexie : les actions par lesquelles l'anorexique vise à transformer son corps ne se réduisent pas à la perte de poids. Elle peut également changer de style vestimentaire, de coupe de cheveux, travailler plus à l'école, valoriser les activités culturelles enrichissantes... La prise en main s'effectue donc à la fois au plan corporel, scolaire et culturel. (cf. Annexe n°7, témoignage n°3).

c) Le « maintien de l'engagement »

Après « l'engagement dans la prise en main », la jeune fille décide de continuer, de maintenir l'engagement. M. Darmon nomme cette seconde phase, la phase du « maintien de l'engagement » qui se fait grâce à un travail « réfléchi et volontariste »474(*) qui prend diverses formes. L'auteur distingue « le travail sur les techniques »475(*) et « le travail de mesure »476(*). Il serait trop long de détailler toutes ces pratiques anorexiques d'autant plus qu'elles varient d'un cas à un autre même s'il existe des points communs. Nous n'exposerons donc que les pratiques les plus courantes.

Ce que la sociologue nomme « travail sur les techniques » correspond à une intensification et une rationalisation des techniques de perte de poids utilisées dans la première phase. Par exemple, l'anorexique comptabilise de façon encore plus systématique la valeur calorique des aliments en s'appuyant les informations qu'elle peut trouver. C'est d'ailleurs souvent dans la presse féminine que l'adolescente se documente sur les différents types de régime, les valeurs caloriques des aliments... Ainsi, nous pouvons dire que la presse féminine est un adjuvant de l'anorexique, grâce à laquelle elle acquiert progressivement le savoir-faire. Plus ses connaissances diététiques augmentent, plus elle sélectionne les aliments. Elle pratique une véritable rationalisation de ses consommations alimentaires (pesée, calcul des calories, diminution de ses portions alimentaires...). A côté de cette restriction alimentaire, elle intensifie ses pratiques sportives et s'investit de plus en plus dans ses études.

« Le travail de mesure » concerne la mesure des résultats obtenus par les pratiques que l'adolescente a mises en oeuvre. Quatre instruments lui permettent d'évaluer la transformation de son corps : la balance, la glace en pied, les vêtements et la comparaison avec les autres477(*). Sans entrer dans les détails, ce travail de mesure permet l'anorexique de se fixer de nouveaux objectifs et de radicaliser sa prise en main si elle juge les résultats pas assez satisfaisants. Le « travail sur les techniques » et le « travail de mesure » supposent tout deux une forte volonté de la part de la jeune fille qui contrôle et maîtrise tous ses gestes. Les notions de contrôle et de maîtrise sont particulièrement importantes car elles constituent le fondement du comportement anorexique.

M. Darmon précise que l'engagement est certes maintenu mais aussi enduré, il ne va pas de soi. Les jeunes filles se forgent des habitudes qui les aident à maintenir leur engagement. Par exemple, elles se créent des dégoûts pour certains aliments qu'elles appréciaient auparavant ; elles mettent en place diverses stratégies pour oublier leur faim... Il ne faut pas oublier que contrairement à ce que l'étymologie du mot « anorexie » laisse entendre, la faim ne disparaît pas et les anorexiques luttent activement contre cette sensation. Le maintien de l'engagement est « un travail de la personne sur le temps [qui] peut devenir un travail du temps sur la personne »478(*) car la mise en place de pratiques, l'instauration d'un nouveau « `régime de vie' »479(*) va transformer les habitudes de la jeune fille et se traduire par l'incorporation de dispositions. Un basculement s'opère : l'adolescente ne se contrôle plus mais elle est sous l'emprise de sa maladie. Le contrôle devient une seconde nature, « la maladie a pris le pouvoir et c'est désormais elle qui dirige l'existence de la jeune fille anorexique. Cependant, elle leurre cette dernière en lui faisant croire qu'elle agit pleinement de son libre-arbitre »480(*) (cf. Annexe n°7, témoignage n°7).

2. Quand l'anorexique devient anorexique ou l'étiquetage de la déviance

a) L'apparition des anti-sujets

La jeune fille anorexique n'est pas tout de suite étiquetée anorexique puisqu'au début sa perte de poids est socialement acceptée. Ce n'est qu'après un certain laps de temps que des oppositions commencent à naître. Progressivement, son comportement est étiqueté comme déviant et il devient plus difficile pour elle de continuer à perdre du poids. M. Darmon précise que l'imputation de la déviance ne se fait pas au même moment pour toutes les anorexiques481(*). Par exemple, chez une jeune fille dont l'un des membres de la famille est médecin, l'anorexie sera plus vite décelée. L'auteur nomme cette troisième phase : « maintenir l'engagement malgré les alertes et la surveillance »482(*), une expression qui illustre bien le rapport de forces qui naît entre l'anorexique qui veut poursuivre son objectif et les personnes qui s'y opposent.

Au cours de cette phase, apparaissent des gens qui vont tenter d'empêcher l'anorexique de continuer à maigrir et la forcer à manger. Dans une perspective actantielle, ces personnes correspondent aux anti-sujets dont le programme narratif est de « guérir »483(*) l'anorexique. Chez certaines adolescentes, cette phase n'existe pas car elles choisissent d'être hospitalisées de leur plein gré. Nous ne parlerons donc que des anorexiques qui poursuivent la quête de leur objet.

Au cours de cette phase, de nouveaux agents apparaissent et remplissent le rôle d'anti-sujet. « L'alerteur » est « la première personne qui pointe publiquement que quelque chose ne va pas »484(*). C'est avec cette alerte que débute la troisième phase de la carrière anorexique. Il peut s'agir d'un parent ou d'un professionnel. Le moment de l'alerte varie d'une adolescente à une autre car il suppose la « visibilité du stigmate485(*) qui va faire déviance »486(*). Or, cette visibilité dépend de la situation et des normes de chacun. Par exemple, dans une famille où toutes les personnes sont minces, la maigreur d'une adolescente peut passer inaperçue, elle n'est pas visible. Dans d'autres cas, la maigreur peut être visible mais perçue comme normale, il n'y aura donc pas d'étiquetage en terme de déviance. Quand l'alerte est donnée, elle est souvent suivie d'une consultation médicale. L'adolescente « rencontre » alors de nouveaux anti-sujets, les professionnels de santé. Il faut préciser que le « circuit des professionnels »487(*) commence par la consultation d'un « médecin de la santé physique » ou « en santé mentale »488(*), cela dépend de la nature de l'alerte qui a été donnée. C'est au cours de ce circuit des professionnels que l'étiquette d'anorexie mentale va peu à peu s'imposer en dépit du déni de l'adolescente.

b) Des pratiques qui deviennent plus discrètes

Tous les agents que nous avons mentionnés vont constituer un « réseau de surveillance » et user de stratégies pour inciter l'anorexique à reprendre du poids. Les parents vont d'abord se montrer conciliant et essayer d'instaurer un dialogue. Cette stratégie est souvent vaine et les rapports entre l'adolescente et ses parents deviennent conflictuels. Les professionnels peuvent menacer d'hospitalisation pour faire réagir la jeune fille. Quelles que soient les stratégies employées, toutes participent à une stratégie plus générale de surveillance de l'anorexique. Un véritable réseau de surveillance se constitue : plus le temps passe et plus les agents sont nombreux. Au cours de cette phase, l'anorexique conserve ses pratiques et maintient son engagement cependant, elle doit faire un « travail de discrétion »489(*) pour pouvoir continuer malgré les alertes et la surveillance. Elle doit rendre moins perceptible ses pratiques considérées comme déviantes. Ce « travail de discrétion » aboutit souvent à un « travail de leurre »490(*) : l'anorexique finit par mentir, par faire semblant, voire par s'exclure de tous les endroits où elle est surveillée.

C'est pourquoi, l'adolescente est souvent qualifiée de manipulatrice, de menteuse ; elle semble nier sa maladie. En réalité, la plupart des médecins s'accordent aujourd'hui pour dire que ce mécanisme de déni est inconscient. L'anorexique n'a pas conscience de sa maigreur et affirme que tout va bien. Ainsi, nier qu'elle est malade ne signifie pas mentir. Inconsciente de la gravité de son état, elle ne s'inquiète pas de sa perte de poids et continue à être très hyperactive. Comme nous l'avons mentionné, à ce stade de l'anorexie, l'adolescente n'a plus de prise sur la maladie. Les médecins mettent l'accent sur le rapport paradoxal qu'elle entretient avec la nourriture : elle a peur de grossir et de manger mais la nourriture est une obsession qui envahit ses pensées. Ainsi, Maria Hornbacher explique : « ne croyez jamais une anorexique ou une boulimique qui vous dit qu'elle déteste manger, c'est faux. On est habité par la nourriture. Au lieu de manger, on ne pense qu'à ça »491(*).

3. Les conséquences de ces pratiques sur la malade et son entourage

Aborder les conséquences de l'anorexie mentale pour la malade et pour son entourage, revient à s'intéresser aux victimes de cette pathologie. La première victime est la malade elle-même, la particularité étant qu'elle ne se considère pas comme une victime du moins au début. Elle ne prendra conscience de sa position de victime qu'au cours de la prise en charge thérapeutique. L'entourage représente la seconde victime. La notion d'entourage est à comprendre au sens large : dans certains cas il s'agit des parents, dans d'autres des frères et soeurs... Différentes configurations sont possibles même si en général ce sont souvent les parents qui sont en priorité « touchés » par la maladie. Nous aborderons successivement les conséquences physiologiques et les conséquences psychologiques de l'anorexie avant de s'intéresser à l'impact de la maladie sur la famille.

a) Les conséquences physiologiques

L'anorexie mentale a des conséquences graves tant au niveau physiologique que psychique mais les jeunes filles ignorent souvent ces complications. Les perturbations physiques apparaissent et se multiplient au cours de la maladie. Elles sont plus ou moins graves et dépendent « de la vitesse de la perte pondérale, de la durée de l'évolution de la maladie, de l'association aux conduites boulimiques et purgatives... »492(*). Outre les symptômes de la maladie que nous avons déjà mentionné (anorexie, amaigrissement et aménorrhée), il existe beaucoup d'autres complications physiques. La plupart sont la conséquence de la dénutrition et sont réversibles avec la guérison. Il serait trop long d'énumérer tous les dégâts engendrés par l'anorexie, nous ne citerons donc que les plus importants afin de mieux saisir la gravité de la maladie.

La complication somatique la plus frappante est la dénutrition493(*). Plus la maladie est avancée, plus la maigreur s'accentue et plus le risque de décès augmente. P. Jeammet écrit que « physiquement, les anorexiques sont très reconnaissables. Leur visage pâle, émacié, ridé et comme sans âge est très impressionnant. L'ensemble de leur corps est squelettique, sans aucune enveloppe de graisse ni de masse musculaire, mais elles ont parfois des oedèmes de carence aux membres inférieurs »494(*). Ce portrait donne une idée assez précise de l'apparence physique de l'adolescente quand la maladie est avancée. L'amaigrissement engendré par la restriction alimentaire altère l'état général. L'organisme ne peut fonctionner normalement et très vite l'anorexique perd de la masse musculaire, les os sont aussi gravement touchés. Privée de masse grasse, le corps réduit ses dépenses et produit moins de chaleur c'est pourquoi, la plupart des anorexiques se plaignent d'avoir toujours froid. La dénutrition « altère également les muscles de l'estomac et des intestins »495(*) et rend la digestion plus difficile d'où l'argument souvent invoqué par les malades : elles ne peuvent pas manger car la moindre prise de nourriture leur provoque des douleurs gastriques. Notons que C. Lasègue mentionnait déjà ce détail ce qui illustre la pertinence de sa description de l'anorexie. La perturbation de l'appareil digestif entraîne une constipation quasi-constante et « plus de 65% des malades atteints d'anorexie mentale [...] s'[en] plaignent »496(*). Les carences alimentaires altèrent également le fonctionnement du cerveau, l'anorexique a plus de mal à se concentrer, perd parfois la mémoire, ce qui peut sembler contradictoire avec l'investissement scolaire dont elle fait preuve. En réalité, D. Rigaud explique que « la carence alimentaire déclenche une stratégie de veille [...] le cerveau maintient un état de veille alimentaire farouche »497(*), ce qui explique que souvent les malades ne parviennent pas à dormir et se réfugient dans le travail.

Ces complications sont en quelque sorte les conséquences immédiates de l'anorexie car liées à la dénutrition. Il faut savoir que cette maladie entraîne aussi des complications cardiaques, rénales, métaboliques, neurologiques, squelettiques et peut retarder la croissance. Certaines de ces complications apparaissent au bout de quelques mois de la maladie, d'autres se manifestent des années après.

Au-delà de toutes ces perturbations, la mort représente le risque majeur de la maladie. Quand l'anorexie est grave, l'aspect cadavérique de la jeune fille conduit souvent les personnes de son entourage à la comparer à un déporté498(*). Le paradoxe est qu'en réalité l'anorexique ne cherche pas à mourir même si sa quête de l'objet l'entraîne dans un état pathologique aux limites de la mort. Ce témoignage illustre bien l'envie de vivre des anorexiques :

« Vous me dîtes que vous allez m'enfermer, que c'est le seul moyen pour que je me mette à manger, que sinon je vais mourir. Vous me dîtes qu'il y a derrière tout cela un désir de mort, que mon refus de la nourriture est un suicide déguisé. Mais je ne veux pas mourir, ça n'est pas vrai ! J'ai toujours voulu vivre, et maintenant plus que jamais ! Je ne veux pas mourir, je ne veux pas grossir, ce n'est pas pareil. Je veux au contraire qu'on me laisse vivre comme je l'entends. D'ailleurs ma mort ferait bien trop de peine à mes parents, à toute ma famille, même si je pense parfois que ça simplifierait les choses »499(*).

Derrière un apparent mouvement de destruction, se cache en vérité l'envie de vivre. Pourtant, le risque de mort est bien réel. Selon, P. Jeammet, « 7 à 10% des adolescentes souffrant de ce trouble meurent, la moitié des conséquences de la dénutrition, l'autre moitié par suicide » et « dans 20% des cas l'anorexie peut devenir chronique »500(*).

b) Les conséquences psychiques

D. Rigaud souligne que les troubles du comportement alimentaire sont souvent considérés comme la conséquence de problèmes psychologiques, ce qui n'est pas toujours vrai et qui de plus, tend à faire oublier le fait que les troubles du comportement alimentaire sont responsables de bien des dégâts psychiques. Ainsi, la détresse et le désarroi sentimental, la distorsion du jugement, le dégoût de soi, le désintérêt pour tout, la dépression, le désir de suicide (il est plus rare chez les anorexiques restrictives que chez les anorexiques boulimiques), la désinsertion sociale (la nourriture occupe tout l'espace psychique de la malade qui ne peut plus penser à autre chose. A cette préoccupation s'ajoute sa faiblesse physique qui la conduit à se couper progressivement du monde extérieur...), et les troubles obsessionnels compulsifs seraient des dommages psychologiques engendrés par la maladie. Ces troubles ne sont pas toujours présents chez la patiente anorexique mais ils sont des conséquences possibles de la maladie501(*). Par exemple, la dépression est rare alors que les troubles obsessionnels compulsifs sont particulièrement fréquents. Ils sont souvent en rapport avec la nourriture. La malade instaure des rituels qui peuvent paraître « aberrants » de l'extérieur. Elle stocke des quantités importantes de nourriture, tri ses aliments dans l'assiette et les coupe en petits morceaux. Cette dimension du rituel va de pair avec le contrôle et la maîtrise qui caractérisent la malade. Répéter toujours les mêmes gestes lui procure une certaine sécurité et lui permet de ne pas s'angoisser.

Des médecins dont P. Jeammet, insistent sur une autre conséquence psychique qui est la dépendance. En effet, plus de 90% des anorexiques affirment que la maladie est une drogue pour elle502(*), c'est pourquoi certains spécialistes des troubles du comportement alimentaire ont de plus en plus tendance à classer l'anorexie parmi les conduites addictives au même titre que la toxicomanie. Dans son ouvrage, P. Jeammet explique le mécanisme de l'addiction présent dans la maladie : « on parle d'addiction lorsqu'un comportement procurant normalement plaisir et soulagement est employé selon un mode particulier. Celui qui s'y adonne se trouve dans l'incapacité de maîtriser ce comportement et a une propension à le répéter en dépit de ses conséquences négatives »503(*). Historiquement, la notion d'addiction a été utilisée pour désigner la toxicomanie puis l'alcoolisme cependant, P. Jeammet et d'autres spécialistes prétendent que ce concept peut s'étendre à d'autres comportements dont l'anorexie. En effet, l'anorexique est dépendante de son comportement « parce qu'il la protège de sa peur de devenir boulimique » et « parce qu'il lui apparaît indispensable à son équilibre psychique »504(*). Le comportement anorexique est comme une drogue pour la jeune fille : il la rassure et lui apporte un sentiment de bien-être.

La notion d'addiction est aussi pertinente pour expliquer pourquoi l'anorexique parvient à jeûner si longtemps. D. Rigaud insiste sur la « puissance illusoire du jeûne »505(*). Il explique que c'est un simple phénomène organique qui donne l'impression à l'anorexique d'être puissante alors même qu'elle ne mange pas. « Le fait d'être à jeun la stimule, la dope » car elle libère des hormones « dans le sang vers les muscles pour lui faire oublier » sa faim. Ce médecin explique que l'anorexique ne fait taire la sensation de faim qui la taraude qu'en s'épuisant physiquement. Il utilise la métaphore du piège pour décrire ce processus : en s'activant, la malade ne ressent pas la fatigue « dopée par les hormones qui lui donnent la sensation d'être pleine d'énergie » cependant, cette énergie n'est qu'illusoire. Les anorexiques n'en sont pas conscientes et disent éprouver un sentiment de légèreté et d'hyperpuissance au cours de la maladie, des sensations qui les incitent à maintenir leur engagement. Il faut préciser que cette hyperactivité ne peut durer éternellement et vient un moment où c'est la fatigue qui l'emporte (cf. Annexe n°7, témoignage n° 4). Pour conclure sur les complications engendrées par la maladie, nous reprendrons les propos de D. Rigaud qui souligne que « l'anorexique paie[...] cher et durablement le défi lancé à son corps et à son esprit »506(*).

c) L'impact sur la famille

L'anorexie d'une adolescente perturbe tout le fonctionnement familial, une réalité que R. Gordon résume assez bien avec cette phrase : « il n'existe probablement aucun symptôme plus capable de rendre fous les membres d'une famille que la détermination d'un enfant à se priver de nourriture »507(*). Au début, les parents sont désemparés face à la maladie de leur fille qu'ils mettent souvent du temps à déceler. Ensuite, l'incompréhension laisse place à la colère : ils ne comprennent pas pourquoi leur fille se détruit ainsi et éprouvent un sentiment de gâchis. Rappelons que C. Lasègue décrivait déjà au XIXème siècle les difficultés auxquelles sont confrontés les parents vivant avec une anorexique, une preuve là encore de la pertinence de ses propos. Finalement, c'est surtout un sentiment de culpabilité qui envahit les parents et suscitent de nombreuses interrogations : quelle erreur ont-ils pu commettre ? Pourquoi n'ont-ils rien vu ? les médecins insistent aujourd'hui sur l'importance des thérapies familiales et des réunions de parents afin de les aider à surmonter leur culpabilité. Si l'anorexique est bel et bien la première victime de la maladie, les parents souffrent également beaucoup et sont incontestablement eux aussi victime de l'anorexie.

M. Darmon en analysant cette pathologie qu'est l'anorexie a voulu décomposer « ces pratiques, des étapes d'un phénomène trop souvent réduit à une nature préexistante, en mettant en lumière les interactions, les institutions, les normes et les dispositions qui structurent une expérience extrême »508(*). En effet, le modèle d'analyse qu'elle a utilisé nous a permis d'insister sur des points souvent méconnus ou occultés des pratiques anorexiques. L'anorexique ne se contente pas de restreindre son alimentation mais se forge des habitudes qu'elle incorpore et qui contribuent à la faire glisser lentement vers la maladie. Progressivement son comportement est étiqueté comme déviant et elle doit faire face à des oppositions qui la conduisent à dissimuler. Elle devient victime de sa maladie, une pathologie psychologique qui entraîne de graves conséquences somatiques, lesquelles agissent sur son état psychique ce qui contribue à entretenir le trouble. Nous allons maintenant nous centrer sur les discours de presse afin de voir quelle représentation de la performance de l'anorexique ils véhiculent.

B. La performance de l'anorexique dans les discours de presse

Après avoir fourni quelques éléments qui nous permettent de comprendre le processus anorexique, les pratiques que l'adolescente met en oeuvre pour parvenir à maigrir et l'impact de cette maladie sur l'entourage, nous allons nous intéresser au traitement médiatique de cette étape.

L'objectif de cette partie est de repérer en quels termes est décrite la performance de l'anorexique dans les discours de presse afin de cerner la perception du comportement anorexique par les médias. Aujourd'hui, le corps médical s'accorde pour dire qu'une fois la maladie installée, l'anorexique n'est pas consciente de son comportement. Ainsi, il est intéressant d'observer si les discours de presse sanctionnent les pratiques de l'actant sujet ou s'ils se calquent sur les discours médicaux. Cette question sera le fil directeur de notre analyse cependant, nous nous attacherons également aux aspects suivants :

- quelle modalité de commencement est privilégiée par les médias ?

- comment s'effectue le maintien de l'engagement ?

- qui remplit le rôle de l'anti-sujet ?

- quelle place est accordée à la figure de la victime ?

Nous essaierons pour chacun des discours de presse de repérer des éléments qui nous permettront de répondre à ces questions et ainsi de mesurer l'écart ou l'adéquation des discours de presse avec les discours médicaux.

Nous allons voir que les quotidiens s'intéressent très peu à cette phase de l'anorexie, seul Santé Magazine décrit en des termes relativement précis la performance de l'anorexique.

1. La Croix : des discours qui s'organisent autour de la figure de la victime

a) Une performance quasi absente

La performance de l'anorexique est peu évoquée dans les discours de La Croix. Le commencement de la maladie n'est mentionné que de façon négative : le régime n'est pas la cause de l'anorexie. Cette idée revient à deux reprises : la première fois c'est un expert qui souligne que « ce n'est pas parce qu'on fait un régime qu'on va forcément développer une anorexie mentale »509(*) ; ensuite, ce sont des parents qui témoignent. Ces derniers expliquent que leur fille refusait de manger mais que ce n'était « pas le caprice d'une adolescente qui commence un régime »510(*). La connotation péjorative du terme « caprice » suffit à lui-même pour disqualifier le régime comme mode de commencement. Ici, le début de l'anorexie est présenté comme une restriction alimentaire soudaine : « elle s'est alors mise à refuser de manger », « elle refusait la nourriture ou alors elle en prenait très peu ». La répétition du terme « refuser » met l'accent sur une notion qui est au coeur du comportement anorexique. Les discours de presse ne nous donne aucun détail concernant la phase d'acceptation sociale par les tiers, un silence plutôt cohérent avec la position du quotidien qui refuse de considérer le régime comme le début de l'anorexie. La perte de poids n'a pas à être glorifiée mais signale le début de la maladie. Dans ce témoignage, le récit des parents passe de la phase du constat de la perte de poids au récit de la prise en charge. Ils ne donnent aucun détail sur la façon dont leur fille maigrissait, un silence là aussi révélateur. Nous avons souligné dans la première étape de notre analyse que La Croix considérait l'anorexie comme une maladie très grave qu'il faut donc soigner. En ce sens, ce ne sont pas les pratiques que l'anorexique met en place pour réaliser sa performance qui intéresse le quotidien mais les conséquences de la maladie et la façon dont elle peut-être prise en charge.

Une fois le refus installé, la description des pratiques qui permettent de continuer à perdre du poids est donc quasiment absente du discours du journal. Cependant, nous pouvons signaler trois points importants : à plusieurs reprises des experts évoquent le contrôle et la maîtrise dont fait preuve l'anorexique. Un médecin parle de l'« extraordinaire capacité de contrôle sur elle-même » et d'« ivresse du contrôle de soi »511(*). Le terme « extraordinaire » révèle la fascination que beaucoup de personnes, y compris les médecins, ressentent face à une anorexique. La littérature scientifique insiste sur cette notion de fascination qui peut parfois constituer un obstacle à la prise en charge de la maladie. En effet, en dépit des dangers qu'encourt la malade, le corps médical mais aussi les parents sont souvent plus ou moins fascinés par la volonté et la maîtrise dont fait preuve l'anorexique. Le terme d' « ivresse » renvoie à la jouissance et au sentiment d'euphorie que ressent l'adolescente au cours de la maladie. Ici, ces termes n'ont pas de connotation péjorative mais décrivent juste les sensations de la malade. Ce même médecin nous explique que l'anorexique cherche à « dissimuler son amaigrissement en devenant hyperactive ». Là encore, le terme « dissimuler » n'est pas employé de façon péjorative mais ne fait que décrire une réalité. Nous pouvons signaler que ces quelques allusions au comportement anorexique sont des propos d'expert, La Croix ne souhaitant pas s'intéresser à cette phase de la maladie.

Dans un second discours, nous trouvons quelques informations supplémentaires concernant la performance de l'actant sujet cependant, il s'agit là encore de propos rapportés. Le quotidien nous livre le témoignage d'une anorexique qui nous dit : « Je vais mal, mais tout va très bien »512(*). Cette opposition sémantique symbolise le déni dans lequel se trouve l'adolescente mais le terme de « déni » n'apparaît jamais en lui-même. La jeune anorexique évoque le « contrôle presque total sur [son] corps », qui lui permet d'avoir « un certain pouvoir sur les autres ». Elle explique que « tout tourne autour de l'axe poids-maigrir » et qu'elle « y pense jour et nuit ». Des propos qui mettent en valeur les « fondements » du comportement anorexique : le contrôle que s'impose la malade lui procure un sentiment d'hyperpuissance. Elle parvient à réguler ses désirs notamment la faim ce qui lui procure un sentiment de supériorité par rapport aux autres. Cependant, elle reste obsédée par la nourriture vers laquelle toutes ses pensées convergent. Elle affirme qu'elle a « enfin l'impression d'exister », une remarque qui nous rappelle la problématique identitaire à laquelle sont confrontées les anorexiques. Enfin, elle évoque « les stratégies à employer »513(*) pour éviter les repas mais le quotidien n'en dit rien, une façon de rappeler qu'il n'entend pas s'intéresser à la performance de l'anorexique. Le commentaire que fait la Croix de ce témoignage a attiré notre attention et est assez révélateur de la façon dont il conçoit la maladie : « ce témoignage [est] [...] d'une certaine façon rassurant tant il montre combien la personne sait prendre du recul par rapport à son propre cas »514(*). En réalité, les paroles de cette adolescente sont loin d'être rassurants et nous décrivent le comportement typique de l'anorexique. La Croix semble occulter un détail important : l'anorexique entre dans un cercle vicieux dont il est impossible de sortir seule, un engrenage dont elle n'est pas consciente. Ainsi, nous pouvons dire que les propos du quotidien sont un peu trop optimistes, optimisme que nous retrouverons dans d'autres discours du journal.

b) Une large place accordée aux victimes

La Croix accorde plus d'importance dans ses articles aux victimes de l'anorexie, c'est-à-dire à l'anorexique elle-même et à ses parents, une position qui est cohérente par rapport à ce que les analyses précédentes nous ont révélé. Le quotidien considère que l'anorexique n'est pas responsable de sa maladie, il est donc inutile de se concentrer sur ce qu'elle fait et de stigmatiser son comportement. En outre, il est important de montrer que l'anorexie fait des victimes. En ce qui concerne l'actant sujet, La Croix indique que les conséquences de la maladie sont à la fois physiques et psychiques comme le souligne la phrase suivante : « l'enfant, mal dans son corps, mal dans sa tête, [...] souffre jusqu'à mettre sa vie en danger ». Le discours ne nous fournit pas plus de détails mais il met l'accent sur l'issue qui peut être fatale. Cette idée est à nouveau évoquée quand le quotidien nous fait part du suicide de Solenn, la fille de Patrick Poivre d'Arvor. Outre les complications physiques, l'anorexie a aussi des conséquences sur la vie sociale de la malade. Des parents témoignent en disant de leur fille qu'« elle était perdue, repliée sur elle-même ». Ils ne nous parlent pas des conséquences physiques de l'anorexie excepté l'amaigrissement. « Très brutalement, [leur fille] s'est effondrée en perdant près de huit kilos en un mois »515(*). L'accent est mis sur la soudaineté de la perte de poids car « jusque là [elle était] [...] gaie, enjouée, entreprenante, [et] faisait beaucoup de sport. Puis brutalement... ». Le terme « brutalement » marque la rupture entre l'avant et l'après.

Les parents représentent la seconde victime à laquelle le quotidien s'attache de façon assez longue. L'accent est mis sur la contradiction dans laquelle ils sont prise : ils veulent aider leur fille mais ils sont impuissants. En d'autres termes nous pouvons dire qu'ils occupent le rôle d'ajduvant dont le programme narratif serait d'aider à guérir leur fille. Cependant, certaines compétences leur font défaut : s'ils ont le vouloir faire, ils n'ont pas le pouvoir faire. La difficulté réside dans l'impossibilité d'acquérir ce pouvoir faire. Ils se trouvent dans une position psychologiquement difficile : vouloir être adjuvant mais ne pas pouvoir l'être. Différents termes nous suggèrent cette impuissance : « impuissants »516(*), « démunis », « rien pouvoir faire »517(*). A cette impossibilité d'agir s'ajoute un sentiment de culpabilité, les parents sont « souvent très culpabilisés par la maladie de leur enfant ». L'adverbe « très » permet au quotidien d'insister sur l'épreuve que vivent les parents. Enfin, c'est avant tout un sentiment d'inquiétude qui les anime : ils sont « affolés » et « angoissés ». Les différents termes auxquels recourt le journal lui permettent de désigner les parents comme victimes de l'anorexie, de « l'enfer » qu'ils vivent au quotidien.

En guise de conclusion, nous noterons que La Croix ne s'intéresse pas à la performance de l'anorexique, aux pratiques qu'elle met en place pour atteindre son objet. En conséquent, les discours ne nous permettent pas de répondre aux questions qui nous servent de fil directeur dans cette étape de l'analyse. Le quotidien ne dit quasiment rien sur la façon dont l'anorexie commence et il occulte complètement le maintien de l'engagement ainsi que le maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. En conséquent, aucun anti-sujet n'apparaît dans les discours et nous ne trouvons aucune trace de stigmatisation des pratiques anorexiques. Ce sont les victimes de l'anorexie et plus particulièrement les parents qui retiennent l'attention du quotidien. Ils tentent d'être adjuvants mais n'ont pas les compétences nécessaires pour mener à bien leur programme narratif qui est de guérir leur fille. L'importance accordée à la figure des parents est une constante des discours de La Croix comme nous le verrons dans la dernière étape de notre analyse qui concerne la prise en charge de l'anorexique.

2. Le Monde : une performance peu détaillée

a) Quelques indices quant aux pratiques anorexiques

Le Monde mentionne peu tout ce qui à trait à la performance de l'actant sujet, aux pratiques que l'anorexique met en place pour atteindre son objectif. Un seul article fait référence à l'engagement dans la prise en main, en ces termes « elle décide de ne plus avoir faim » et « de ne manger que le minimum »518(*). De façon implicite, le journal suggère que l'anorexie de l'adolescente a commencé par un régime.

Le terme « régimes » apparaît dans un autre article, où ils sont qualifiés de « draconiens »519(*) cependant, ils sont imposés par la discipline qu'exige la danse classique et ne résultent pas d'un choix volontaire520(*). Ce ne sont pas directement les pratiques anorexiques que le journal évoque dans ce récit mais la difficulté des conditions de vie imposées à Séverine. Elle doit se plier à « la discipline de fer de la danse classique » et faire « des heures de barre par jour ». L'intensité de l'activité sportive, souvent associée à la restriction alimentaire, n'est pas une pratique que met en place la « fillette » mais qui lui est imposée, comme une contrainte extérieure. Nous sommes donc face à un cas particulier qui ne correspond pas vraiment à la performance de l'anorexique telle que nous l'avons définie au début de cette partie.

Le Monde détaille peu la phase du maintien de l'engagement et la phase du maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. Cependant, l'étude des articles nous a permis de trouver quelques indications. L'objet de l'actant sujet est de « maigrir »521(*). Sa performance consiste à « vomir »522(*), à réduire son alimentation à des « quarts ou [des] cinquièmes de biscuits »523(*) ou encore se dépenser « avec frénésie »524(*) est un « combat »525(*), « une lutte quotidienne »526(*). Ces deux termes sous-entendent que la réalisation de la performance est difficile mais aussi l'anorexique est confrontée à des anti-sujets que Le Monde désigne dans un autre article de la façon suivante : « lutter avec toute la famille et les médecins »527(*). La famille est souvent le premier anti-sujet qui s'oppose à la réalisation du programme narratif de l'anorexique. Les médecins apparaissent ensuite, au moment où débute le « circuit de professionnels ». C'est là que l'étiquette d'anorexique commence à s'imposer, l'adolescente doit alors lutter pour rejeter cette étiquette tout en continuant à réaliser sa performance. Le quotidien occulte ces détails et se contente de mentionner les anti-sujets. Enfin, nous avons relevé un détail qui n'apparaît dans aucun autre discours. Le journal nous raconte que c'est un « moniteur »528(*) de kayak qui a alerté les parents d'Anne, une adolescente anorexique. C'est donc la figure de l'alerteur qui apparaît, celui qui détecte la maladie. Ici, il n'appartient pas à l'entourage ce qui nous rappelle que bien souvent ce ne sont pas les parents qui s'aperçoivent de l'anorexie de leur fille.

b) Une volonté sans faille

Les autres indications que nous avons relevées concernent la mentalité de l'anorexique. Deux articles principalement insistent sur la forte volonté de l'adolescente. Dans son témoignage, Anne nous dit qu'« `elle voulait tout faire' » et qu'il n'était « `pas question de capituler' »529(*). Le quotidien ajoute plus loin : « même famélique, ce qui ne l'empêche immanquablement pas d'ailleurs de continuer à se trouver encore trop grosse, elle n'en démord pas ». Ces propos insistent sur l'altération de la perception corporelle à laquelle sont sujettes les anorexiques, sans toutefois la nommer. Les termes « immanquablement », « d'ailleurs » et « encore » renforcent cette distorsion. Enfin, c'est aussi l'obstination de l'actant sujet que le quotidien nous évoque. Il parle également du « refus obstiné de s'alimenter ». Comme dans La Croix, nous retrouvons la notion de refus à la différence que Le Monde le qualifie d' « obstiné ». Un qualificatif qui lui permet d'insister sur l'entêtement des adolescentes anorexiques. Toutefois, il faut noter que Le Monde reste modéré dans les termes qu'il utilise car il n'emploie pas le terme d' « obsession » et ne qualifie pas l'anorexique d' « obsédée » comme il est assez fréquent de le lire.

Le quotidien nous décrit également les sensations de l'anorexique au cours de la réalisation de sa performance : elle ressent un « plaisir indicible »530(*), un « effet grisant »531(*) ou encore une « jouissance »532(*). Tous ces termes soulignent le plaisir qu'éprouve l'anorexique à maigrir.

Enfin, le journal souligne que l'anorexique n'est pas consciente de son état, elle « souffr[e] sans le voir » parce qu'elle est persuadée d'être « indestructible » et a « une croyance fanatique en sa propre puissance »533(*). Une autre phrase indique cet aveuglement : «Tout va très bien, je fais juste un petit régime »534(*).

c) Les conséquences physiques de l'anorexie

Le quotidien s'intéresse essentiellement aux conséquences physiques de l'anorexie. Il met l'accent sur la maigreur avec par exemple des expressions comme « le visage si maigre » où la locution « si » vient renforcer la maigreur. Un « enquêteur effaré » dit de Séverine qu'« `il ne lui restait plus que la peau sur les os' »535(*). Rapporter les propos de cet enquêteur au discours direct, en précisant qu'il était « effaré » permet de souligner la gravité de la situation, la mort est proche. Dans un autre article, Le Monde recourt à des indications chiffrées pour signifier l'amaigrissement. Ainsi, le discours commence par « Trente kilos pour 1,60 », des chiffres qui révèlent que la maladie est assez avancée. Le journal ajoute juste après qu'Anne a perdu « 25 kilos en l'espace de deux-trois mois » et qu'elle « ressemblait à un Giacometti ». La rapidité de l'amaigrissement est mis en exergue et renforcé par la métaphore de la marionnette.

En dépit de l'hyperactivité de l'anorexique, il ne faut pas oublier que l'amaigrissement entraîne l'épuisement et la fatigue, ce que le quotidien souligne à deux reprises. Séverine est « à bout de forces »536(*) et « Caroline a un beau visage mais [...] le corps épuisé »537(*). Cependant, au-delà de l'amaigrissement et de l'épuisement, c'est le risque de mort qui plane et qui sous-tend plusieurs articles. L'histoire de Séverine est une « danse avec la mort », elle a « failli en mourir » et elle « dépérit »538(*). Ailleurs nous trouvons l'expression « risquant la mort »539(*). Caroline en est à « sa troisième tentative de suicide »540(*) mais la mort n'est pas seulement un risque, elle peut aussi devenir réalité comme le montre le cas de Solenn qui « s'est suicidée »541(*).

Si le terme de « victime » n'apparaît dans aucun article, c'est tout de même ce que Le Monde suggère. En effet, comment considérer autrement que comme des victimes des personnes qui peuvent perdre leur vie à cause d'une maladie ?

d) Des parents qui culpabilisent

La figure des parents est beaucoup moins présente dans les discours du Monde que dans ceux de La Croix cependant, quelques indices nous permettent de dire qu'ils sont là aussi considérés comme des victimes même si le terme n'apparaît pas. Le journal intitule l'un des articles « Venir en aide aux jeunes anorexiques et à leur famille »542(*), ce qui révèle bien la difficulté dans laquelle se trouve les parents. Ils « sont tétanisés par leur sentiment de culpabilité » et « confrontés » à des difficultés. Le terme « tétanisés » est particulièrement fort et signifie leur incapacité à agir. A cette impuissance s'ajoute l'isolement et « l'influence morbide du comportement de leur enfant ». Ces quelques propos permettent à Le Monde de souligner la difficulté dans laquelle se trouvent les parents qui ont un enfant anorexique. Cependant, il s'implique moins que La Croix qui utilise des termes comme « épreuve » pour qualifier cette situation. Les discours sont peu détaillés et il faut préciser que tous les éléments que nous venons d'évoquer se trouvent dans un seul et même article.

Pour conclure nous pouvons dire que Le Monde détaille peu la performance de l'anorexique. Il semblerait qu'elle commence un régime afin de maigrir. Les phases du maintien de l'engagement et du maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance sont juste mentionnées. Les pratiques de l'anorexique sont également peu détaillées et les anti-sujets juste évoqués. Le journal nous fait comprendre que l'anorexie est une maladie dont les conséquences physiologiques sont graves mais occulte la dimension psychique. Enfin, il suggère que les parents se sentent coupables et impuissants, sans plus s'engager.

3. Le Figaro n'évoque pas directement la performance de l'anorexique

a) Un discours délégué à un expert

Comme nous l'avons déjà signalé, Le Figaro ne consacre quasiment aucun article de fond à l'anorexie, en conséquent les indications qui nous permettraient d'étudier les pratiques anorexiques dans les discours du journal sont peu nombreuses. Les informations dont nous disposons se trouvent presque toutes dans le même article, celui que le quotidien consacre aux « batailles de l'anorexie »543(*). Le Figaro délègue la parole à un expert, P. Jeammet, qui explique que les anorexiques « sont prises entre désir et répulsion de la nourriture » et qu'elles « s'impose[nt] une contrainte intérieure ». Aucun mode de commencement n'est clairement défini cependant, le terme de « contrainte intérieure » suggère que l'anorexie est le résultat d'une série de restrictions que s'est imposées volontairement l'adolescente. L'allusion au désir et à la répulsion face à la nourriture traduit l'ambiguïté de l'anorexique qui ne veut pas manger, réduit son alimentation mais doit tromper sa faim et ne pense en réalité qu'à la nourriture. Cela nous rappelle que l'anorexie n'est pas une perte d'appétit et que c'est au contraire une véritable lutte contre la faim qu'entreprend la malade. Le verbe « s'impose » renvoie lui aussi à la volonté propre de l'anorexique. P. Jeammet explique que l'anorexique adopte « un comportement qui donne un sentiment de force et de maîtrise ». Ainsi, il rappelle que la « force » et le « contrôle » sont les conditions de la réussite de la performance de l'actant sujet cependant, il risque de « s'enfermer dans ce sentiment ». Il fait ici référence au moment où l'adolescente a intériorisé les pratiques qu'elles s'étaient forgées et n'a plus de prise sur la maladie, elle est entrée dans un cercle vicieux.

Nous avons remarqué que dans un autre article, Le Figaro parlait aussi de « refus alimentaire »544(*), ce qui montre là encore que l'anorexique décide volontairement de restreindre son alimentation.

Enfin, dans un article sur l'effet pervers de la télévision sur les adolescents, Le Figaro interview P. Jeammet et lui demande si « la télévision ne pourrait-elle pas aider des parents à réaliser que leur enfant est sur la pente de l'anorexie ou de la boulimie ? »545(*). Avec cette question, le quotidien sous-entend que les parents n'ont pas conscience de la maladie de leur enfant, ce qui est effectivement souvent le cas.

b) La figure des victimes, une figure assez floue

Si le quotidien mentionne bien que la maladie « endommage la santé physique et psychologique des patients »546(*), aucun détail supplémentaire n'est donné. Le Figaro parle de Laurence, la fille de Bernadette Chirac, qui a été « frappée » par la maladie. Un terme révélateur qui signifie bien que le quotidien considère la jeune fille comme une victime de l'anorexie même si le mot ne figure pas dans cet article. Cependant, il apparaît dans un autre récit, celui de la mort de Malika. La description est ici plus détaillée. La jeune femme « victime de sous nutrition » est « morte de faim ». L'article nous apprend qu'elle souffrait d'anorexie, sa mort ne peut donc faire d'elle qu'une victime. Le thème de la mort est également présent dans les termes employés pour décrire son état physique : elle avait un « corps squelettique », « elle était décharnée et n'avait plus de figure humaine ». Une description qui rappelle l'image des déportés à laquelle sont souvent comparées les anorexiques.

La figure des parents apparaît dans un seul article qui donne la parole à Bernadette Chirac. Celle-ci témoigne du « parcours long et difficile que connaissent tous les parents d'adolescentes dans cette situation »547(*). Si les parents ne sont pas désignés explicitement comme des victimes, les termes « long » et « difficile » laissent entendre qu'ils sont affectés par la maladie de leur fille. Les informations sont donc peu nombreuses c'est pourquoi nous considérons que la figure des victimes est assez floue.

Les indications que nous livrent les discours de presse sont trop peu nombreuses pour que nous puissions conclure, identifier des spécificités quant au traitement médiatique que fait Le Figaro de la performance de l'anorexique. Nous avons juste mis en lumière le fait que l'anorexie débute par un refus de nourriture. L'actant sujet fait preuve de force et de contrôle. Excepté ces indications, Le Figaro occulte toutes les phases qui composent la performance de l'anorexique. Aucun anti-sujet n'apparaît et les victimes restent assez floues. Hormis, la maigreur, aucun détail concernant les complications physiques et psychiques de la maladie ne nous ait donné. Nous pouvons souligner que la plupart des éléments que nous avons mis au jour sont issus de discours rapportés. Face à une maladie « complexe à expliquer et difficile à analyser », Le Figaro refuse de parler des pratiques anorexiques et délègue la parole à un expert.

4. L'Humanité : entre le discours propre et le témoignage de Clara

a) Un premier mode de commencement : le régime

Dans les articles de L'Humanité, nous retrouvons deux des modes de commencement de l'anorexie évoqués par M. Darmon : le régime et « ne pas commencer tout de suite par un régime ». Le régime est le mode de commencement que le journal évoque le plus souvent. Dans le premier article de la période, il apparaît de façon implicite : le journaliste fait uniquement référence à la lecture des magazines féminins et explique que l'anorexie est « diagnostiquée chez les femmes quand le printemps revient »548(*). L'allusion au printemps nous permet de déduire que les femmes deviennent anorexiques suite à un régime. Deux articles du corpus viennent confirmer cette hypothèse : L'Humanité désigne explicitement le régime comme modalité de commencement : « un régime de trop, trop long et on bascule dans l'enfer »549(*), et évoque ces « jeunes femmes, qui après plusieurs régimes souffrent d'anorexie et d'anémie, accompagnés des troubles divers »550(*). L'Humanité n'aborde pas les autres phases de la carrière de l'anorexique.

b) Le témoignage de Clara, une illustration des pratiques anorexiques

La seconde façon de « commencer » correspond à ce que M. Darmon nomme « commencer mais pas par un régime » : Clara a commencé à perdre du poids suite à une opération pour les dents de sagesse551(*). Ensuite, ses propos révèlent le cercle vicieux du comportement anorexique car elle dit : « en une semaine j'ai perdu cinq kilos, et ça ne s'arrêtait plus » puis elle précise que « les gens qui font des régimes sont contents quand ça s'arrête, mais là, il fallait que ça descende encore, et encore ». D'un côté elle donne l'impression de vouloir perdre du poids de façon consciente (emploi du pronom personnel « je ») mais de l'autre, elle semble sous soumise à un processus qu'elle ne peut pas contrôler (tournure impersonnelle « ça »). La jeune fille nous donne peu d'indications quant à ses pratiques. L'une concerne son activité sportive : « je forçais sur le ski pour brûler des calories », et l'autre sa restriction alimentaire : « je ne mangeais presque pas », des pratiques qui permettent à Clara d'atteindre son objectif : perdre du poids. Cependant, très vite cette restriction n'apparaît plus comme volontaire : « elle ne pouvait pas manger », « je ne peux pas » et « ce n'était plus parce que je ne voulais plus grossir, mais parce que je ne pouvais pas ». Cette dernière phrase illustre le basculement qui se produit au cours de la maladie : l'anorexique passe d'une phase de restriction volontaire qu'elle contrôle à une phase de « restriction agie » où elle est contrôlée par la maladie. La performance n'est plus du ressort du pouvoir faire ni du vouloir faire.

Cet article est le seul qui relate la phase du maintien de l'engagement. En effet, des indications sur le poids de Clara scandent le récit : « en une semaine, j'ai perdu cinq kilos », « l'été d'avant la terminale, je suis descendue à 44 kilos », et « je suis descendue à 39 kilogrammes en un mois ». Cette accumulation de données chiffrées met en valeur la vitesse de l'amaigrissement. Généralement, c'est au cours de cette phase que l'adolescente est étiquetée anorexique et que son comportement est stigmatisé comme déviant. Or, ici aucun terme péjoratif ne vient qualifier les pratiques de Clara de déviantes. De plus, les parents et les amis ne sont pas présentés comme des anti-sujets mais tentent au contraire d'aider Clara : « mes parents, mes amis me demandaient : `comment peut-on t'aider ?' ». Ils essaient de comprendre le comportement de leur fille : « pourquoi est-ce que tu ne manges pas ? ». Les pratiques de dissimulation, de leurre ou de manipulation propres à cette phase, qui permettent à l'actant sujet d'atteindre son objectif, ne sont pas évoquées. Seules des phrases telles que « C'est pas grave, ça va revenir » ou « ça va bien, ça va bien » mettent en évidence « l'aveuglement » de Clara. La notion de déni, couramment employée par les médecins pour désigner cet aveuglement, ne figure pas ici. Le recours au témoignage permet de ne pas stigmatiser Clara puisque c'est elle qui raconte sa propre histoire, ne laissant « aucune » place pour l'intervention du journaliste. Cependant, nous avons déjà signalé que L'Humanité n'infirmait pas les propos de Clara et que cet article faisait figure de dissonance dans l'ensemble du corpus.

c) Des complications à la fois physiologiques et psychiques

L'Humanité accorde une plus large place à la figure de victime que sont l'anorexique et sa famille. Les complications engendrées par la maladie sont évoquées dans trois articles mais seul le témoignage de Clara présente à la fois les conséquences physiologiques et psychiques. Dans un premier article, le quotidien mentionne les conséquences physiologiques de la maladie mais de façon vague et imprécise. Les jeunes femmes « souffrent d'anorexie et d'anémie, accompagnés des troubles divers (problème de peau, chute des cheveux) »552(*). Il est vrai que ces complications, liées à la dénutrition, existent ; cependant, elles ne sont pas les plus importantes. Ce manque de rigueur nous rappelle que L'Humanité n'aborde pas l'anorexie dans une perspective médicale, ce qui explique que les discours soient peu techniques.

Dans un deuxième article, il mentionne la mort comme une conséquence possible de l'anorexie mais c'est avant tout pour renforcer la culpabilité des médias. En effet, Samantha ne peut pas bénéficier du traitement qui lui permettrait de guérir car il est trop cher. Elle est contrainte de vendre son image aux médias pour récolter la somme nécessaire à son hospitalisation mais la mort est proche. Nous avons relevé plusieurs termes qui appartiennent au champ lexical de la mort : « disparaît » à deux reprises, « fin », « jeune mourante », « mourir », « morte » et « tuer ». Sa mort « prochaine » est accentuée par la mise en valeur du temps qui passe : « à deux doigts de », « à mesure que » à deux reprises, « approche », « le temps presse », « lentement », « trois semaines », « chaque jour » et la description du corps qui « disparaît ». Un jeu sur la consonance des mots renforce encore ce lien entre mort et temps : « à mesure que la faim s'éloigne d'elle, à mesure que sa fin approche »553(*). La mort n'est ici que la conséquence hypothétique d'une absence d'hospitalisation.

Seul le témoignage de Clara554(*) évoque à la fois les complications physiologiques et psychiques de l'anorexie qui « dévore le corps et l'esprit ». L'article débute par un portrait physique de la jeune fille lorsqu'elle était encore malade. Elle avait des « bras squelettiques », une « peau translucide », et « flottait tel un fantôme ». Ces termes renvoient au champ lexical du squelette, du cadavre et mettent en valeur la maigreur de la jeune fille qui, même une fois guérie, a encore les « mains excessivement fines » et les « épaules anguleuses ». Viennent ensuite les conséquences physiologiques : Clara fait allusion à l'aménorrhée mais n'emploie pas le terme médical : « la première fois que mes règles se sont arrêtées, c'était en février 1995 », puis à la fatigue : « en bas de la rue j'étais déjà fatiguée » et au froid : « j'avais tout le temps froid ». Ces complications sont effectivement liées à la dénutrition. Nous pouvons noter que les problèmes auxquels elle fait allusion ne sont pas ceux évoqués par le journal dans les articles vus précédemment. Une différence qui s'explique facilement : ce témoignage est celui d'une anorexique tandis les autres discours sont ceux du quotidien. Ainsi, cette différence de contenu rappelle que L'Humanité connaît peu l'anorexie d'un point de vue médical.

En ce qui concerne les complications psychiques, nous trouvons dans le discours plusieurs termes qui renvoient aux champs lexicaux de la peur et de la panique et qui traduisent le désarroi de Clara. Elle « paniquai[t] », « ça m'a fait peur », « je n'arrivais plus à rien », « j'ai pensé que je ne tiendrais pas le rythme », « je me tapais la tête contre les murs ». Tous ces termes révèlent que malgré la maîtrise et le contrôle dont font preuve les anorexiques, elles sont en réalité en proie à une grande souffrance psychique. Une souffrance à laquelle s'ajoute l'isolement, elle « [s]'étai[t] coupée de [s]es amis, [elle] ne sortai[t plus ».

Enfin, nous avons trouvé un terme qui traduisait l'impact de l'anorexie sur la famille de la malade. Patrick Poivre d'Arvor raconte dans un livre « le calvaire vécu par sa fille, lui-même et leur famille en raison de la maladie de Solenn »555(*). Nous pouvons noter que ce terme est assez révélateur de la souffrance des parents même si aucun détail supplémentaire ne figure dans l'article. En outre, là encore ce n'est pas le journal qui s'exprime directement, il ne fait que reprendre les termes utilisés par P. Poivre d'Arvor, ce qui nous permet de dire que L'Humanité ne considère pas vraiment les parents comme victime de la maladie de leur fille.

Comme Le Monde et Le Figaro, L'Humanité s'attarde peu sur les pratiques anorexiques. Cependant, nous devons distinguer les discours propres du journal, du témoignage de Clara qui diffèrent dans la façon d'aborder cette étape de la maladie. L'Humanité considère que l'anorexie commence par un régime mais occulte la phase du maintien de l'engagement ainsi que le maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. En conséquent, l'anti-sujet n'apparaît dans ses discours. En ce qui concerne les complications de la maladie, ses propos sont en partie erronés et la figure des parents comme victime est plutôt implicite.

A l'inverse, le témoignage de Clara se veut plus précis et plus juste même si les détails ne sont pas très nombreux non plus. Elle n'omet pas d'évoquer à la fois les conséquences physiques et psychiques de sa maladie.

Nous pouvons penser que le journal ne s'attache pas à décrire la performance de l'anorexique parce que ce qui l'intéresse c'est surtout le destinateur de la maladie autrement dit les médias. Nous verrons en effet dans la prochaine étape de l'analyse que c'est encore par le biais des médias que L'Humanité aborde la phase de la prise en charge.

5. Libération : la performance de l'anorexique, une performance insensée

a) Internet, un adjuvant de l'anorexique

Libération ne s'intéresse pas plus aux pratiques de l'anorexique, à sa performance qu'aux causes de l'anorexie. Sans rien mentionner qui pourrait tenir lieu de commencement, les allusions à l'idéologie de la minceur et aux mannequins anorexiques, que nous avons évoqués dans l'analyse du destinateur, laissent deviner que pour le journal l'anorexie débute par un régime.

Deux articles seulement nous donnent quelques indications quant aux pratiques anorexiques. Dans Les fans de l'anorexie servent leur soupe sur le Web556(*), Libération se contente de citer les témoignages qui se trouvent sur les sites pro-anorexiques. Ainsi, nous pouvons lire : « J'aime sentir mes os saillir. J'aime me sentir vide. J'aime me dire que j'ai passé une journée sans manger. J'aime perdre du poids ». Ici, en citant ces paroles au discours direct, le journal prouve que des propos qui pourraient paraître invraisemblables, sont pourtant véridiques. L'anaphore du mot « j'aime » reflète la dépendance de l'anorexique à son comportement, un processus psychique que nous avons déjà évoqué. Ce témoignage met en valeur la recherche du sentiment de légèreté et l'addiction au jeûne, une addiction que le titre suggère en qualifiant les anorexiques de « fans ». D'ailleurs, dans un autre article, le journal confirme cette dépendance. Ce n'est « pas à une substance que l'anorexique est dépendante mais bel et bien à son propre comportement »557(*). Un second témoignage permet d'illustrer les stratégies de dissimulation et de manipulation auxquelles se livrent les anorexiques comme celle de « tromper [sa] faim ». Un détail a retenu notre attention : Libération précise que ces sites sont le lieu d' « échanges de photographies » et de « conseils pour maigrir et maigrir encore ». Internet est ici présenté comme une source d'apprentissage pour les anorexiques donc un adjuvant dans la réalisation de la performance. En effet, au cours de la phase de l'engagement dans la prise en main, les anorexiques recourent à différentes sources de documentation pour trouver des informations qui leur permettent de se forger leur hygiène de vie. C'est pourquoi les sites Internet jouent ici le rôle d'adjuvant, permettant aux malades d' « enrichir » leurs pratiques. Un expert confirme effectivement que ces sites « entretiennent ceux qui sont déjà anorexiques ».

b) Un seul indice : la restriction alimentaire

D'autres récits médiatiques évoquent les pratiques anorexiques mais de façon allusive. Ainsi, la patronne, anorexique, d'un restaurant allemand explique qu'elle a « petit à petit cessé de [se] nourrir »558(*). Dans un autre article, Caroline répond à M. Rufo qu'elle ne mange « rien » parce qu'elle n'y « arrive pas » sauf quand sa mère l'y oblige559(*). Le premier témoignage révèle que la restriction alimentaire s'est faite progressivement tandis que le second met l'accent sur l'impossibilité de manger, un ne pas pouvoir faire dont beaucoup d'anorexiques témoignent. Cette indication suggère que Caroline est déjà à un stade avancé de la maladie, celui où elle n'a pas plus de prise sur la maladie. Il est intéressant de noter que ces propos, comme les témoignages des sites Internet, sont rapportés au discours direct et ne sont donc pas ceux du journal, comme si Libération ne voulait pas ou ne pouvait parler des pratiques anorexiques. L'un des articles nous permet de confirmer cette idée. Le quotidien annonce la sortie du livre-témoignage de J.-P. de Tonnac sur l'anorexie et évoque les « rituels complexes et insensés » des anorexiques. Cette citation appelle deux remarques. D'une part, Libération reprend ici, sur le mode du discours indirect libre, les propos de Jean-Philippe de Tonnac. Cette stratégie discursive laisse une assez grande liberté au locuteur qui peut à sa guise rajouter ou enlever des propos. Nous pouvons en conclure que Libération reprend à son compte ses propos et nous donne ainsi son opinion. Dès lors, nous pouvons interpréter le silence du quotidien sur la performance de l'anorexique. En effet, les termes « complexes » et « insensés » signifient à la fois la difficulté à comprendre le comportement des anorexiques mais également la difficulté à les concevoir.

c) Le déni de l'actant sujet peut l'entraîner vers la mort

Un expert explique que les anorexiques « refusent de reconnaître leur trouble et ses risques »560(*), une manière de dire qu'elles sont dans le déni. L'absence d'indices linguistiques laisse penser que Libération acquiesce à ce jugement. Dans un autre article, le journal confirme cette idée en reprenant à son compte les propos de P. Jeammet : les anorexiques « se détruisent sans que la non-satisfaction d'un besoin premier et aussi vital qu la faim soit pour elle source d'interrogation ou d'inquiétude »561(*). Ainsi, l'aveuglement les empêche de réaliser que leur comportement peut entraîner la mort. Le quotidien insiste sur cet aspect paradoxal du comportement anorexique en citant un témoignage : « ` je ne me sens bien que quand je vois la forme de mes os dans la glace' » dit une anorexique « en suppliant les médecins de ne pas la laisser mourir »562(*).

d) L'actant sujet est victime de sa propre performance

Les conséquences physiologiques et psychiques de la maladie ne retiennent pas vraiment l'attention du quotidien. Nous trouvons juste la phrase suivante : Caroline est « épuisée, physiquement, psychiquement »563(*) qui indique que les complications de l'anorexie sont à la fois physiques et psychiques. Le journal ne donne aucun détail clinique et occulte donc l'aspect médical de la maladie cependant, il accorde tout de même de l'importance aux victimes de l'anorexie. Nous trouvons quelques indications qui révèlent l'ampleur des complications engendrées par la maladie, le quotidien mettant surtout l'accent sur l'aspect physique. Il évoque les « photos de côtes saillantes, décharnées » visibles sur les sites pro-anorexiques et décrit une anorexique comme une « jeune femme au visage creusé ». Celle-ci précise qu'il « lui est arrivé de peser moins de 45 kilos ». C'est la seule indication chiffrée dans tout le corpus qui nous donne une idée de la perte de poids liée à l'anorexie. Libération ne dit rien des complications physiologiques de la maladie qui pourtant peuvent entraîner la mort. En revanche, le thème de la mort figure dans plusieurs articles. Il faut également préciser qu'il qualifie explicitement l'anorexique de victime. Ainsi, les adolescentes sont « victimes » de l'idéologie de la minceur564(*), ce qui laisse entendre que le quotidien ne considère pas les anorexiques comme responsables de leur maladie. De même, M. Rufo explique que Caroline est agressive et « attaque son corps »565(*). Cette parole n'est certes pas celle du journal cependant, le journaliste a choisi cette scène pour écrire l'article, ce qui ne peut-être anodin. L'utilisation du terme « attaque » est révélateur du statut de victime de l'anorexique. Il révèle aussi l'une des spécificités de la maladie : l'anorexique est à la fois actant sujet et victime, victime de sa propre performance.

Enfin, nous avons remarqué que le thème de la mort revenait à plusieurs reprises dans différents récits ce qui n'est pas anodin. La mort, qui peut être l'une des conséquences de la maladie, constitue l'anorexique en victime. Nous aborderons ce thème dans la dernière partie de notre analyse qui concerne la prise en charge de l'anorexique.

Nous avons trouvé une dernière indication concernant les conséquences de la maladie. Un expert « souligne » que : « personne n'est plus isolé qu'un anorexique »566(*). Cette citation ne vient pas appuyer ou illustrer les propos du journal qui laisse la parole à cette psychiatre. Nous pouvons penser qu'il recourt à cet expert parce qu'il connaît mal l'anorexie, une maladie « complexe ».

Pour conclure nous pouvons avancer que Libération ne détaille pas la performance de l'anorexique parce qu'il la trouve « complexe » et « insensée ». Les informations que nous fournissent les discours de presse ne permettent pas de définir le mode de commencement de l'anorexie, ni les pratiques mises en place au cours du maintien de l'engagement. De même, aucun anti-sujet n'apparaît. Si l'actant sujet est bien défini comme une victime ce n'est pas aux conséquences médicales de l'anorexie que le quotidien s'attache. Il insiste seulement sur le risque de mort qu'encourt l'anorexique, une façon de rappeler que l'anorexie est une maladie grave. Les parents n'apparaissent que dans un article dans lequel Libération écrit qu'il ne faut pas « culpabiliser plus qu'il ne faut les parents de ces patients, d'ordinaire passablement mis sur la sellette, voire carrément accusés »567(*). La spécificité de la représentation que le journal nous livre de la performance de l'anorexique réside dans la place attribuer aux sites Internet. Il dénonce les sites pro-anorexiques sur lesquels circulent des conseils qui permettent à l'actant sujet d'acquérir des compétences supplémentaires.

6. Santé Magazine : un discours sur la performance similaire au discours médical

Les deux articles que publient Santé Magazine dans les années 80, brossent un portrait de l'anorexique en des termes plutôt péjoratifs : elle est manipulatrice, menteuse... Elle restreint son alimentation de façon volontaire, « à la recherche implacable d'une excessive minceur »568(*) et use de stratégies les plus diverses pour ne pas manger.

a) Le commencement de l'anorexie, le plus souvent un régime

Dans ses discours, Santé Magazine n'omet aucune des phases de la carrière anorexique que sont l'engagement dans la prise en main, le maintien de l'engagement et le maintien de l'engagement malgré la surveillance et les alertes. Nous analyserons la façon dont le magazine qualifie les pratiques anorexiques respectives à chacune de ces phases. En ce qui concerne le commencement de l'anorexie, les discours mettent en évidence une seule modalité d'engagement dans la prise en main : le régime. Il est intéressant de noter que ce commencement est explicitement présenté comme tel : « tout commence habituellement par l'envie de perdre quelques kilos »569(*), « elle fait un régime »570(*), « l'adolescente prétexte quelques kilos en trop [...] pour commencer un régime »571(*). Le magazine semble donc se ranger du côté du corps médical qui tend généralement à désigner le régime comme le début de l'anorexie. Cependant, Santé Magazine précise en 1995 que le régime peut « prendre une tournure pathologique »572(*). Il n'existe donc pas toujours de corrélation entre régime et anorexie. Quelques années plus tard573(*), le magazine insiste sur cette réalité de façon très nette en sous-titrant : « une adolescente qui fait un régime n'est pas n'est pas une anorexique en puissance » ou encore « ado au régime, ado anorexique, deux profils, deux attitudes ». Cet article, à visée préventive, tente de discerner le « régime banal » de « l'anorexie débutante ». En effet, alors que l'adolescente qui décide de faire un régime cesse « une fois l'objectif de minceur atteint », l'anorexique elle, « veut maîtriser la nourriture, maigrir est pour elle sans effort, c'est secondaire ». La distinction qu'opère le journal permet de rapprocher son discours de celui du discours médical. En outre, elle va de pair avec l'amélioration de la connaissance de la maladie qui a conduit l'ensemble du corps médical à nuancer l'idée que toute anorexie commençait par un régime, même si cet argument existe encore. Le régime est effectivement la modalité d'engagement dans la prise en main la plus fréquente.

b) Les phases de prise en main et de maintien de l'engagement

Quasiment tous les articles nous livrent des indications quant au comportement de l'anorexique, à sa performance, c'est-à-dire les opérations du faire grâce auxquelles elle transforme son état. Nous ne retiendrons que les plus significatives car les détails que nous fournissent les discours de Santé Magazine sont relativement denses. L' « objectif » du programme narratif de l'actant sujet, son « leitmotiv »574(*) est clairement défini dans plusieurs articles : l'anorexique veut « maigrir, maigrir, maigrir... »575(*), « brûler ses calories... pour maigrir »576(*). Afin d'atteindre cet objectif, « elle adopte une conduite-réponse face à ses problèmes » et c'est « elle qui décide »577(*). L'expression « conduite-réponse » nous rappelle que les pratiques anorexiques résultent d'un travail, que la malade se forge un comportement. Ce travail nécessite une volonté et une forte capacité de contrôle que le magazine met en valeur en utilisant les termes suivants : « elle est capable de s'autocontrôler », de « lutter contre la sensation de faim qui ne disparaît pas », elle a une « volonté de contrôle », « l'anorexique contrôle tout »578(*), elle fait preuve d'une « inimaginable volonté » et enfin elle a « la volonté de prendre le pouvoir sur le temps, leur corps, la réalité, la vie »579(*). Avec ces expressions, Santé Magazine souligne que c'est bien la volonté de l'actant sujet qui sous-tend la réalisation de la performance, du moins au début. Toutes les pratiques que l'anorexique met en place le sont consciemment et dans un but précis.

L'adolescente commence le plus souvent par réduire son alimentation, « elle ne mange pratiquement pas, [elle] surveille la manière de cuisiner de sa mère et devient tyrannique »580(*). Le terme « tyrannique » est utilisé également dans les discours médicaux pour désigner l'attitude de l'anorexique par rapport à sa famille. Elle étend parfois son contrôle à toute la famille, vérifie la préparation des repas et exerce une certaine autorité. En ce qui concerne ses pratiques alimentaires, le magazine insiste sur la dimension du rituel : son « attitude alimentaire [est] très ritualisée » et « [ce] rituel est très particulier ». Santé Magazine énumère toute une série de rituels auxquels peut procéder l'anorexique, ces rituels variant d'une adolescente à une autre. Elle peut chronométrer le temps de son repas, choisir un aliment et ne manger que celui-ci, pratiquer un découpage « obsessionnel et méthodique » de ce qui se trouve dans son assiette... Un témoignage d'une ancienne anorexique vient confirmer ces propos : elle avait « des obsessions compulsives pour certains aliments » et « ne mangeai[t] que des oignons crus »581(*). La mise en place de ces pratiques s'accompagne d'un travail de rationalisation comme M. Darmon l'expliquait, auquel le magazine fait référence : l'anorexique comptabilise les calories et pèse régulièrement ces aliments582(*). Outre cette prise en main sur le front alimentaire, l'anorexique « très active »583(*). Par exemple, le magazine écrit qu'elle peut faire « des longueurs et des longueurs de piscine, des joggings à n'en plus finir »584(*), qui font donc référence à l'hyperactivité caractéristique du comportement anorexique.

c) Des anti-sujets implicites qui finissent par disparaître

Ces pratiques qui au début passent inaperçues deviennent de plus en plus suspectes et des oppositions commencent à naître : c'est la phase du maintien de l'engagement malgré les alertes et la surveillance. L'actant sujet doit alors opérer un travail de discrétion puis de leurre pour tromper les anti-sujets. Il est intéressant de noter que Santé Magazine aborde les stratégies de dissimulation et de manipulation sans évoquer les anti-sujets qui sont donc implicites. Les anorexiques ont des « astuces extraordinaires »585(*), elles « brouillent les pistes », et « toute leur organisation consiste à masquer leur perte de poids »586(*). Consciente que son comportement peut susciter des désapprobations, l'anorexique doit se montrer plus discrète. Nous pouvons remarquer que le magazine qualifie leurs astuces d' « extraordinaires », un terme qui révèle la fascination devant l'ingéniosité des anorexiques. Quand les dissimulations ne sont plus suffisantes, les anorexiques évitent de se trouver « confronté[es] à la nourriture » et « écartent habilement les situations quotidiennes de leur trajectoire » en d'autres termes, elles essaient d'échapper au réseau de surveillance qui s'est constitué. Le magazine énumère les différents prétextes qu'invoque l'actant sujet pour échapper aux scènes de la vie sociale où son comportement pourrait être étiqueté. Ces pratiques les conduisent progressivement à « se couper de toute vie sociale » et à mentir à leur entourage. Cependant, certaines anorexiques maintiennent un « semblant de vie sociale » qui se caractérise par « des relations superficielles avec l'entourage »587(*). Le magazine conclut en disant qu' « il est difficile pour l'entourage d'identifier les signes d'une anorexie [...] tant qu'elle n'est pas visible physiquement ».

Les parents occupent une place moindre que dans les discours de La Croix mais sont tout de même évoqués. Ainsi, deux parents témoignent que « `vivre avec une anorexique c'est l'enfer !' »588(*), ils ne savent plus « comment s'y prendre ». Ce sont les seules indications que nous ayons trouvées et qui nous révèlent que contrairement à La Croix, Santé Magazine s'attache moins à l'impact de la maladie sur la famille mais nous livre une description de la performance de l'actant sujet beaucoup plus précise.

Enfin, Santé Magazine insiste sur la nécessité d'expliquer aux parents que « le refus de manger de leur fille est une sorte de `règlement de comptes inconscient' mais qu'elle ne le fait pas exprès » et il ajoute qu'« il ne faut ni lui en vouloir ni se culpabiliser »589(*). Il sous-entend ainsi que qu'il ne faut pas s'opposer au comportement d'une anorexique, ni la réprimer ; les parents ne remplissent plus le rôle d'anti-sujet. Cette disparition de l'anti-sujet est tout à fait compréhensible par rapport à la position du magazine. L'anorexie est une maladie grave, son propos n'est donc pas de stigmatiser la performance de l'anorexique mais d'essayer de prévenir la maladie. D'ailleurs, nous avons remarqué que contrairement à Le Monde qui explique que l'anorexique lutte contre sa famille et les médecins, les discours de Santé Magazine font figure de rupture en écrivant « comment lutter avec l'adolescent qui est sur le mauvais chemin ? ». A cette question, il ajoute que « l'anorexique n'est pas un opposant mais dans le refus d'une maladie puisqu'il ne la voit pas »590(*). L'anti-sujet n'a donc plus lieu d'exister si l'actant-sujet ne s'oppose à personne.

d) Le mécanisme de déni : l'actant-sujet n'est pas conscient de sa maladie

Dans la plupart des discours, Santé Magazine s'attache à expliquer le mécanisme du déni à l'oeuvre dans le comportement anorexique. C'est « un mécanisme qui existe depuis le début de la trajectoire anorexique, à divers degrés »591(*) et qui se renforce progressivement. Le terme de déni ne revêt pas une connotation péjorative mais décrit l'état psychique dans lequel se trouve l'anorexique. Le magazine souligne à plusieurs reprises que la jeune fille est « dans l'impossibilité de reconnaître sa maladie », elle « ne se voit pas comme malade », elle « est dans l'incapacité de `voir', au sens premier du terme, sa différence »592(*), c'est-à-dire son apparence physique. Le « déni n'est pas dirigé contre l'entourage », une phrase qui révèle à nouveau que l'anorexique ne s'oppose pas à sa famille.

Quand l'anorexique est dans ce processus, cela signifie qu'elle ne contrôle plus la maladie mais qu'elle a basculé dans un « engrenage », dans le « cercle vicieux et très grave de la maladie ». Santé magazine explique que « l'engrenage se met en route, plus elle maigrit, plus elle veut maigrir. L'anorexique ne se voit pas comme elle est et se trouve toujours trop grosse », une altération de la perception corporelle que confirme une anorexique : « à 30 kilos je me trouvais encore énorme »593(*). Ces citations soulignent bien le passage de la phase où l'anorexique contrôle sa maladie, à celle où elle est contrôlée par la maladie. Ainsi, ce qui était à l'origine un refus de manger volontaire devient une incapacité à manger : « l'anorexique n'est pas quelqu'un qui ne veut pas manger mais c'est quelqu'un qui ne peut pas manger »594(*). Par la typographie, le magazine insiste sur cette vérité que beaucoup de personnes tendent à oublier. Aujourd'hui, le corps médical est conscient de l'incapacité des anorexiques à manger mais les personnes peu informées sur la maladie pensent souvent que la restriction alimentaire est un refus pur et simple. Afin d'insister encore sur ce détail, le magazine répète dans le même article, dans un encart : « L'anorexie n'est pas ue volonté de ne pas manger, mais un interdit qui s'impose à la volonté de l'adolescente ».

e) L'anorexie, une maladie qui entraîne « un cortège de pathologies associées »595(*)

Santé Magazine s'attache à énumérer les différentes complications qu'engendre l'anorexie. L'anorexique est désignée comme une « victime [qui] ne souhaite pas se laisser mourir de faim »596(*) mais dont « la perte de poids est sans limite, jusqu'à la mort parfois »597(*). Un paradoxe qui s'explique par l'inconscience de la malade, une notion qui revient à plusieurs reprises. Ainsi, le magazine écrit que l'anorexie est une maladie qui « hélas » s'accompagne d'une multitude de pathologies dont l'anorexique « n'a pas conscience »598(*) ; ou encore les anorexiques « n'ont plus conscience » de leur corps et « mettent très longtemps à concevoir que les maladies parallèles à leur anorexie [...] viennent de leur anorexie »599(*).

Les discours de presse nous fournissent des indications très détaillées sur les conséquences à la fois physiologiques et psychiques de la maladie. Sans toutes les énumérer, nous pouvons d'emblée souligner que Santé Magazine utilise une terminologie médicale et décrit de façon très précise ces complications, une rigueur qui nous permet de rapprocher ses discours des discours médicaux. Les conséquences de la maladie sont d'abord physiologiques : l'anorexique a des carences, les cheveux et la peau deviennent plus fragiles, des oedèmes sont causés par l'insuffisance d'apports en protéines, son corps est envahi par le froid... Santé Magazine précise aussi que l'anorexique perd la masse musculaire et peut être sujette à des pertes de concentration600(*). Ce quelques détails nous permettent de constater la très forte similitude entre les discours du magazine et la littérature scientifique, ce qui n'est pas très étonnant. En effet, de par sa position Santé Magazine se doit d'informer de tout ce qui à trait au domaine médical, il ne peut donc occulter des aspects aussi important que les conséquences de l'anorexie. Enfin, il précise que malgré « le mécanisme de résistance », le corps ne peut pas tenir indéfiniment et la maladie peut conduire à la mort causée par des troubles cardiaques ou une déficience du système immunitaire601(*).

Pour ce qui est de l'aspect psychique, le magazine revient sur des notions que nous avons déjà abordées telles que l'absence de plaisir, la hantise de grossir qui s'accentue au fur et à mesure que la maladie avance... qui au final conduisent l'anorexique à se couper de ses amis pour éviter de manger.

Santé Magazine est le seul à s'attacher à toutes les phases de la performance de l'anorexique. Le régime est la modalité de commencement de l'anorexie la plus fréquente cependant, le magazine nuance cette idée. Faire un régime ne signifie pas devenir anorexique. Tous les détails que les discours nous fournissent concernant la phase du maintien de l'engagement contribuent à insister sur le contrôle dont fait preuve l'anorexique, la restriction alimentaire et l'hyperactivité, c'est-à-dire aux différents fronts de la prise en main. Le magazine insiste sur la dimension inconsciente de la maladie ce qui explique que les pratiques de l'anorexique ne soient pas stigmatisées et que les anti-sujets disparaissent. L'actant sujet est victime de sa maladie et ne s'oppose pas à son entourage. Cette position est relativement cohérente avec l'idée qui sous-tend tous les articles du magazine : l'anorexie est une maladie.

Ce troisième volet de notre analyse ne nous permet pas vraiment de répondre à notre question de départ, à savoir la stigmatisation de la performance de l'actant sujet. En effet, nous avons montré qu'excepté Santé Magazine, les quotidiens s'intéressent très peu aux pratiques anorexiques voire occultent complètement les phases qui la composent. En conséquent, aucun anti-sujet n'apparaît sauf dans les discours de Le Monde où il est juste mentionné. L'anorexique est bien considérée comme une victime même si le terme n'est pas toujours employé cependant, en général peu d'éléments nous sont fournis quant aux conséquences physiologiques et psychiques engendrées par la maladie. L'accent est souvent mis sur la maigreur et le risque de mort comme dans les discours de Libération et du Figaro, mais l'aspect psychique est occulté. Aucune donnée clinique ne nous est fournie. La figure des parents apparaît de façon très brève dans les propos de Le Monde, du Figaro et de Libération qui se contentent de souligner la difficulté dans laquelle ils se trouvent, voire parfois leur sentiment de culpabilité. Seul La Croix accorde une large place aux parents en insistant sur leur souffrance, une différence qui peut s'expliquer par l'importance que le quotidien attache à la famille. Il y a donc un clivage très net entre la façon dont Santé Magazine aborde la performance de l'anorexique (son discours est en adéquation avec les discours médicaux et il ne sanctionne pas la performance de l'anorexique) et le traitement qu'en font les quotidiens, un écart qui s'explique par la position du magazine. En outre, nous pouvons interpréter les silences ou les manques de précision des quotidiens comme le reflet d'une difficulté à parler d'une maladie qu'ils connaissent mal comme le suggèrent explicitement Le Figaro ou encore Libération. Après la performance de l'anorexique, c'est maintenant à la phase de la sanction que nous allons consacrer ce dernier volet de notre analyse.

IV. La prise en charge thérapeutique de l'anorexie : une étape vers la guérison 

« Ces dernières années ce sont multipliés les traitements thérapeutiques afin de guérir l'anorexie mentale. Leur aspect parfois contradictoire peut placer le clinicien dans une situation difficile renforcé par le fait que les données de la recherche ne sont pas d'un grand secours, seules quelques données indiscutables existent »602(*). En effet, si la prise en charge thérapeutique est une étape essentielle et indispensable dans la guérison de l'anorexique, elle confronte les soignants à différents problèmes : comment venir à bout de la résistance qu'opposent les anorexiques à la prise en charge ? Comment leur faire comprendre qu'elles ont besoin d'aide et que leur devise « je veux m'en sortir par moi-même »603(*) n'est qu'une illusion ? Nous allons voir quelles solutions sont aujourd'hui envisagées par le corps médical pour prendre en charge cette maladie polyfactorielle qu'est l'anorexie.

Dans une perspective actantielle, cette phase de prise en charge correspond à l'étape de la sanction ou de la reconnaissance. C'est au cours de cette phase qu'« il s'agit de statuer sur la véridiction des états transformés au cours de la phase de performance ». « Des rôles caractéristiques » apparaissent puisque des « acteurs prennent en charge l'interprétation des états transformés par le sujet opérateur »604(*). Ils sanctionnent positivement ou négativement le sujet opérateur de la performance. Dans le cas de l'anorexie, la sanction ne peut être que négative : la prise en charge vise à stopper la performance de l'anorexique et lui faire prendre conscience de sa maladie. La sanction constitue bien une évaluation des états transformés mais indépendamment de la volonté de l'anorexique qui cherche à poursuivre une performance qu'elle considère encore inachevée. La quête de l'objet n'est pas terminée.

En appliquant ce mode d'analyse à notre objet étude, nous pouvons expliquer la phase de la prise en charge de l'anorexie de la façon suivante : le corps médical va tenter de guérir la malade notamment en l'empêchant de maigrir. Cependant, il faut distinguer trois possibilités. Soit l'anorexique décide de son plein gré de se faire hospitaliser, dans ce cas il n'y a aucun anti-sujet. Les médecins et la famille sont alors des adjuvants qui vont l'aider à réaliser son second programme narratif dont l'objet est guérir. Cette première possibilité est la moins courante. La plupart du temps, le corps médical est confronté à un cas de figure plus difficile : quand le pronostic vital est en jeu, l'anorexique doit être hospitalisée, souvent contre son gré. Dans ce cas, elle oppose une stratégie de résistance au traitement. Son objectif est de continuer à maigrir et les médecins sont alors des anti-sujets. Après un certain laps de temps, elle peut prendre conscience de sa maladie et accepter les soins. Elle commence alors un second programme narratif dont l'objet est de guérir. Parfois, l'anorexique poursuit sa stratégie de résistance et réussit à sortir de l'hôpital avant que le poids fixé par le corps médical ne soit atteint. Elle peut aussi remplir les exigences du contrat de soins dans l'unique but de sortir ; une fois sortie de l'hôpital, elle recommence à maigrir. La reprise de poids ne constitue pas un nouveau programme narratif mais juste une parenthèse au cours de son programme principal. Dans les deux cas, l'hospitalisation est alors un échec et l'actant sujet ne modifie pas son programme narratif. Il faut préciser que chaque cas d'anorexie est différent, en conséquent il existe une multitude de chemins possibles pour atteindre la guérison. Souvent, plusieurs hospitalisations seront nécessaires avant de parvenir à une guérison totale. Enfin, notons que beaucoup d'anorexiques ne sont pas prises en charge car rappelons-le, la démarche thérapeutique repose en grande partie sur leur volonté.

Dans un premier temps, nous présenterons les différentes formes de prise en charge qui existent actuellement ainsi que les problèmes auxquels sont confrontés les soignants. Ensuite, les analyses comparées des discours de presse nous permettront de dégager la représentation que se font les médias de la prise en charge de l'anorexie.

A. Les enjeux de la démarche thérapeutique

L'objectif de la prise en charge thérapeutique de l'anorexique est de remédier en premier lieu aux « conséquences physiques et psychiques de la dénutrition » mais aussi aux « difficultés psychologiques », aux « interactions familiales autour de l'anorexie »605(*). Il existe aujourd'hui une diversité de traitements thérapeutiques qui permettent d'atteindre cet objectif cependant, quel que soit le mode prise en charge la réussite dépend en grande partie des relations entre le médecin et sa patiente et de la place accordée aux parents au cours de la démarche thérapeutique.

1. Les différentes modalités de prises en charge

a) L'isolement, un mode de traitement qui fait débat

Pendant près d'un siècle, l'isolement a été le traitement thérapeutique privilégié pour soigner l'anorexie. Même si aucune étude n'a mesuré ses impacts réels606(*), les détracteurs sont aujourd'hui plus nombreux que les partisans. D. Rigaud démontre que les arguments invoqués par les médecins qui utilisent cette thérapie ne sont pas valables607(*). D'abord, l'isolement repose sur l'idée que la famille est un milieu pathogène or, ce n'est pas en séparant l'adolescente de son entourage que les problèmes familiaux peuvent se résoudre. Les médecins qui recourent à l'isolement semblent oublier qu'une fois l'hospitalisation terminée, la patiente doit retourner vivre dans sa famille. Ensuite, les partisans de l'isolement considèrent que la malade refuse de se soigner, il faut donc l'y contraindre. Cette démarche a pour risque d'entraîner un rapport de force entre la patiente et les soignants au lieu d'instaurer un climat de confiance. De plus, la peur de grossir panique la malade qui essaie de perdre du poids (ou au moins de ne pas en prendre), ce qui la conduit à adopter des stratégies de dissimulations, et de manipulation. Enfin, les partisans de l'isolement prétendent que sans contrat de poids, la malade ne peut pas atteindre un objectif pondéral satisfaisant puisqu'elle refuse de grossir. Ce contrat va de pair avec l'isolement : si la patiente respecte les objectifs de poids fixés, elle obtient le droit de téléphoner, de recevoir une visite... D. Rigaud pense que cette « méthode [est] vide de sens »608(*) car la plupart des malades se résignent à manger afin d'obtenir le droit de sortir mais rechutent peu de temps après. La reprise de poids est illusoire et n'entraîne aucune amélioration psychique alors que l'anorexie est avant tout une maladie mentale (cf. Annexe n°7, témoignage n°6). Il s'insurge contre cette pratique qui coupe la patiente du monde extérieur. En effet, au cours de la maladie, la jeune fille s'isole jusqu'à perdre toute vie sociale. Un des objectifs de la guérison est de lui apprendre à renouer des liens avec les autres. En ce sens, l'isolement est une aberration totale : il prive la malade de contacts alors que ce sont justement les liens avec les autres qui lui font défaut. T. Vincent pointe un dernier inconvénient posé par l'isolement : les parents peuvent vivre cette séparation comme une sanction, pour ne pas avoir réussi à sortir leur enfant de la maladie, voire à ne pas l'avoir soupçonnée609(*) (cf. Annexe n°7, témoignage n°5).

Une anorexique témoigne de l'isolement qu'elle a vécu :

« Je suis enfermée [...]. Le médecin est passé, je ne sais pas à qui il s'adressait. Je n'entendais qu'à peine : `Mademoiselle, ici, vos contacts avec vos parents seront coupés. Pas de visite, pas de permissions, pas de lettres ni coups de téléphone. Vous n'aurez pas le droit de sortir de la chambre. Pour vous protéger contre vous-même, la porte sera fermée à clé, les toilettes aussi, afin que vous ne puissiez pas vomir. Tant que vous n'aurez pas repris du poids, pas question de thérapie, de psychologue ni de visites' »610(*).

Suivait l'énumération de ce à quoi elle avait droit quand elle prenait du poids. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres mais nombreux sont les livres de jeunes anorexiques qui témoignent d'un traitement similaire. La littérature scientifique diverge sur la question de la pratique de l'isolement : certains médecins comme D. Rigaud affirment que ce mode de prise en charge existe encore tandis que d'autres prétendent que ce traitement est maintenant dépassé et qu'il est très rarement utilisé dans les hôpitaux.

Cependant, quand il est encore pratiqué, l'isolement n'est plus conçu comme une fin mais comme un moyen. Il s'inscrit dans une prise en charge plus globale comme en témoigne P. Jeammet :

« Les conditions de l'hospitalisation pour anorexie mentale à l'adolescence sont actuellement le centre d'une polémique médiatique considérable sur laquelle nous ne pouvons rester silencieux. Nous hospitalisons les sujets anorexiques avec un contrat de poids incluant une période de séparation d'avec leur milieu habituel de vie, ce qui est actuellement bruyamment décrié et, à tort, qualifié « d'isolement » ou de « parentectomie » par les détracteurs de cette méthode »611(*).

Le professeur P. Jeammet explique qu'historiquement l'isolement était un isolement « familial et sensoriel » de la malade, alors qu'aujourd'hui il s'agit plutôt d'une séparation. La patiente n'est pas enfermée dans sa chambre mais participe à des « activités de médiation » animées par des ergothérapeutes, des psychologues, des psychomotriciens... Une prise en charge au plan « psychique, somatique et nutritionnel » est mise en place, ce qui diffère de l'isolement tel qu'il était pratiqué au XIXème siècle. P. Jeammet utilise le terme de « contrat de soins » pour qualifier cette séparation, un terme qui met en évidence que l'objectif recherché n'est plus uniquement une reprise de poids. Selon lui, « ce type de soins » serait « la pratique de référence en France, même s'il est contesté par certains »612(*).

b) L'hospitalisation et la prise en charge en ambulatoire : des thérapies pluridisciplinaires

La prise en charge de l'anorexie est subordonnée à la volonté de la malade et « la majorité des patients atteints d'anorexie mentale ne sera jamais hospitalisée »613(*). A l'inverse, si la malade décide ou est contrainte d'être prise en charge, deux cas de figure s'offrent à elle : soit le suivi se fait en ambulatoire, soit elle est hospitalisée. Excepté la dissension sur la pratique de l'isolement, les soignants s'accordent sur la nécessité d'une prise en charge de l'anorexie « globale, pluridisciplinaire, longue et complexe »614(*). Très souvent, elle se fait en ambulatoire dans un service spécifiquement dédié aux troubles des comportements alimentaires ou dans un service plus généraliste destiné aux adolescents. Dans ce cas, la malade n'est pas hospitalisée mais suivie régulièrement par un médecin référent et un psychologue, l'un prenant en charge les complications physiologiques, l'autre l'aspect psychique de la maladie. Les spécialistes des troubles du comportement alimentaire insistent sur la qualité de ce suivi qui dure souvent des années. Le choix de la structure ou du médecin référent dépend fortement « des ressources thérapeutiques disponibles à proximité du domicile du sujet, des orientations théoriques des équipes impliquées, ou encore du symptôme ayant déclenché la première consultation, que de schémas thérapeutiques validés scientifiquement »615(*). Aujourd'hui, le nombre de structures aptes à prendre en charge les patientes anorexiques est insuffisant en France, ce qui explique la variété des prises en charge possibles. Le problème est accru quand il s'agit de malades majeures car c'est à elles que revient la décision de se faire soigner.

L'hospitalisation est jugée nécessaire uniquement si le pronostic vital est en jeu, si des troubles dépressifs ou un risque suicidaire existent. C'est au corps médical de prendre la décision de l'hospitalisation avec l'accord de la patiente et des parents. P. Jeammet explique que l'hospitalisation est relativement rare et n'a concerné que 7% des anorexiques vues en consultation dans son service. Lorsqu'une patiente est hospitalisée pour dénutrition importante, les médecins recourent à la nutrition assistée (par sonde gastrique) pour que la malade atteigne un « poids de sécurité » qui permette ensuite de poursuivre les soins en ambulatoire et d'envisager un suivi psychologique. Dans la plupart des cas, la pose de la sonde ne pose pas de problème cependant, les soignants sont parfois confrontés à une résistance de la patiente qui assimile cette renutrition à un gavage. Des médecins témoignent : « le refus de la prise pondérale conduit certaines anorexiques à des tentatives de mise en échec des soins (arrêt de la pompe, vidange des poches de nutrition dans les toilettes, par la fenêtre ou dans le matelas...) »616(*). Cette citation illustre bien les cas où l'actant sujet décide de poursuivre son programme narratif, les médecins ont alors le rôle d'anti-sujet.

Quel que soit le mode de prise en charge dont bénéficie l'anorexique, l'objectif est toujours de l'aider à atteindre un poids normal avant de comprendre les raisons qui ont conduit au déclenchement de l'anorexie. Ainsi, H. Bruch écrit qu' « une psychothérapie individuelle n'est que l'un des aspects du traitement dont l'anorexique a besoin [...] un certain rétablissement nutritionnel est indispensable avant qu'on puisse procéder à une exploration psychothérapeutique valable »617(*).

Le corps médical souligne aujourd'hui la nécessité d'une prise en charge psychologique dont les modalités sont très variées. Il est important d'évoquer ces différentes thérapies afin de souligner leur diversité mais aussi leurs spécificités. La « démarche de type analytique »618(*) ou psychothérapie est considérée par certains médecins comme le meilleur traitement mais relativement difficile à mettre en place. L'anorexique consulte un médecin (psychiatre) ou un psychothérapeute (psychologue, psychanalyste...) qui cherchera à comprendre les raisons inconscientes ou non qui ont déclenché le processus anorexique. Nous n'entrerons pas plus dans les détails mais il faut savoir que la démarche analytique varie selon si la personne consultée est un psychanalyste ou un psychiatre, chacun ayant en outre des méthodes différentes. Quelque soit la solution choisie, les bénéfices ne sont pas immédiats et la psychothérapie doit durer au moins deux ans619(*). La malade peut également participer à un groupe de parole qui consiste à réunir des patientes au même stade de la maladie, et qui sont déjà dans une optique de guérison. Elles peuvent ainsi échanger leurs expériences et mieux comprendre leur trouble. Les résultats de cette thérapie sont mitigés et la mise en place d'un groupe de parole dépend pour beaucoup de la personnalité des patientes620(*).  Enfin, l'approche cognitivo-comportementale constitue une dernière possibilité qui s'offre aux patientes. Ce type de thérapie vise à « corriger les raisonnements erronés liés aux principaux symptômes du trouble »621(*). Le thérapeute cherche à identifier les raisons qui ont conduit l'anorexique à adopter un tel comportement pour ensuite modifier « ses comportements mal adaptés » mais contrairement à la thérapie analytique, il n'aborde pas « les conflits psychiques sous-jacents ni la vie fantasmatique »622(*). Il existe peu d'études prouvant l'efficacité de ces thérapies, notre objectif n'étant pas de toutes façons de trancher entre les différentes possibilités existantes. Une étude de P. Jeammet révèle que sur la population étudiée, « 24% des anorexiques n'ont pas suivi de psychothérapie et 29% l'ont interrompu avant un an »623(*).

c) La guérison : une étape longue et difficile

D. Rigaud écrit que « guérir n'est jamais simple. C'est un voyage, une quête où l'on perd quelqu'un et où l'on va, dans le brouillard, élaborer, construire quelqu'un d'autre »624(*). Il double cette quête d'une métaphore très pertinente pour évoquer la guérison : celle de la guerre, et plus spécifiquement la guerre de tranchées. Une guerre peut-être perdue ou gagnée, l'anorexique peut guérir ou mourir. Une guerre de tranchées « n'est jamais une guerre éclair »625(*), il peut y avoir des victoires puis des défaites ; l'anorexique peut reprendre du poids puis rechuter. Une guerre ne se fait pas seul, il faut des alliés ; l'anorexique ne peut pas guérir isolée, elle doit être aidée. L'hôpital ne constitue qu'une étape vers la guérison et « pensez qu'on sort guéri de l'hôpital est une erreur, qui peut même invalider tous les efforts mis en oeuvre à l'hôpital par le malade tout autant que l'équipe soignante. L'hôpital doit être envisagé comme un lieu d'entraînement, où l'on apprend à combattre et où on se donne les moyens de le faire, là d'abord, puis dehors »626(*). Les rechutes sont très fréquentes et concernent 50% des cas mais ne signifient en aucun cas que la malade ne guérira pas. Elles sont au contraire considérées comme une étape normale dans la guérison. P. Jeammet estime qu'entre 7 et 10% des anorexiques meurent et que dans 20% des cas l'anorexie se chronicise. « Environ 70% des anorexiques retrouvent un poids et une alimentation `normaux' »627(*) mais la moitié peut continuer à souffrir de troubles psychologiques plus ou moins importants. Malgré le risque de mortalité qu'il ne faut pas occulter, l'évolution de l'anorexie est globalement favorable. En outre, il faut préciser que les statistiques ne se fondent que sur les patientes hospitalisées et sont donc en partie erronées. Les spécialistes des troubles du comportement alimentaire estiment qu'au-delà de quatre à cinq ans de poids normal et sans crise ni vomissement, la guérison est établie628(*).

Sur le plan médical, la disparition de l'aménorrhée est considérée comme le signe de la fin du trouble anorexique. C'est le dernier symptôme qui disparaît des mois, voire des années après la reprise d'un poids normal et le rétablissement de l'équilibre alimentaire. Pour ce qui est des complications survenues au cours de la maladie, les troubles corporels disparaissent quand le comportement redevient normal excepté l'ostéoporose et la chute des cheveux629(*). Contrairement à l'opinion commune, il n'y a aucun risque d'infertilité une fois que l'anorexique est guérie et le « comportement antérieur n'a pas de conséquences sur le bébé »630(*).

2. Les enjeux relationnels

a) De bons rapports entre patiente et soignant : une condition nécessaire à la guérison

La relation qui s'établit entre le médecin et la patiente est primordiale dans le processus de guérison quel que soit le mode de prise en charge. Souvent, elle est difficile à établir et l'anorexique nie sa maladie, refuse de coopérer. Il est important que le médecin sache repérer ces mécanismes de déni et de refus pour réussir à les contourner. En effet, ce n'est qu'une fois le déni levé que la prise en charge peut réellement débuter. Dans son ouvrage La jeune fille et la mort : soigner les anorexies graves, T. Vincent explique qu'un changement s'est opéré dans la façon de considérer ce type de patientes, une évolution qui a entraîné une modification des positions soignantes par rapport aux patientes631(*). Les médecins prêtent plus attention à la personnalité de chacune et se détachent de l'image stéréotypée qui prévalait avant. Cette modification dans les rapports entre soignants et patientes est généralement datée des années soixante-dix. H. Bruch est considérée comme « l'artisan majeur de ce changement de conception »632(*) car elle invitait les thérapeutes à se défaire d'une représentation négative des anorexiques et à écouter leur malade. En effet, auparavant, les psychanalystes mais aussi les médecins méprisaient souvent la parole de leur patiente qu'ils assimilaient à une menteuse, une manipulatrice. En écoutant ses patientes, H. Bruch a apporté « une dignité nouvelle tant aux paroles des anorexiques qu'au traitement qu'elle leur propos[ait] »633(*). Aujourd'hui, c'est à partir d'un engagement réciproque de la part du médecin et de la patiente que s'organise la démarche thérapeutique. Toutefois, il ne faut pas oublier que la « prise en charge [est] longue, difficile et parfois décourageante mais essentielle »634(*).

En effet, cette évolution ne doit pas masquer les difficultés auxquelles sont confrontées les soignants, surtout dans le cas de l'hospitalisation. Il est rare que les patientes anorexiques acceptent la prise en charge immédiatement sans résister. La plupart du temps, elles tentent de sauvegarder les pratiques mises en place au cours de la maladie à travers des dissimulations, des manipulations... Les médecins doivent souvent faire face aux stratégies de résistance de la patiente. M. Darmon en distingue quatre : la malade peut « résister à la transformation des pratiques exigée par l'institution hospitalière »635(*), injurier les médecins, remettre en cause leurs compétences ou se retrancher derrière un silence totale. Cette dernière stratégie étant considérée comme la forme de résistance la plus extrême puisque le dialogue avec les médecins est indispensable à la guérison. Les soignants, qui sont alors dans le rôle de l'anti-sujet, tentent de transformer les dispositions acquises par l'actant sujet au cours de sa maladie, en faisant preuve de patience et de fermeté sans instaurer un rapport de forces qui risquerait de mener à l'échec. Aujourd'hui, les médecins privilégient une démarche qui s'appuie sur la collaboration avec la patiente.

b) La nécessité d'associer les parents à la prise en charge thérapeutique

Aujourd'hui, le rôle des parents dans la prise en charge thérapeutique est considéré comme indispensable que leur fille soit hospitalisée ou suivie en ambulatoire. Ils sont les alliés du traitement et doivent aider leur enfant à guérir. En cas de prise en charge ambulatoire, les parents sont reçus par le médecin en présence de leur fille. C'est le moment où s'établit « l'alliance thérapheutique »636(*) autour du suivi de la malade. Même en cas de séparation, P. Jeammet explique que « les parents sont largement impliqués par l'équipe soignante dans les soins pour leur enfant pendant toute l'hospitalisation, et tout particulièrement pendant la période de séparation d'avec eux »637(*). Les parents ont des contacts réguliers avec les médecins afin de mieux comprendre les objectifs du traitement et de partager leurs inquiétudes avec le personnel. Le traitement thérapeutique repose sur une relation de coopération entre les parents et le personnel médical. Cependant, dans certains cas, la famille peut intervenir pour soutenir leur fille et la faire sortir de l'hôpital. Les parents sont alors dans le rôle de l'anti-sujet par rapport au programme narratif des médecins. En effet, il faut rappeler que la plupart du temps les parents prennent conscience assez tardivement de la maladie de leur enfant, et ont souvent du mal à l'admettre. Le médecin doit alors convaincre à la fois la malade et sa famille de la nécessité d'une prise en charge.

Outre leur participation à la démarche thérapeutique, les parents peuvent également demander à être suivis. Cette prise en charge a pour objectif de les déculpabiliser et de ne pas les stigmatiser comme étant la « cause » de la maladie de leur enfant. En effet, « bien souvent, les parents se sentent culpabilisés par le corps médical, et revaloriser leur position est indispensable, sinon leur ambivalence face aux soignants risque d'être dommageable aux soins »638(*). Le groupe de paroles constitue la forme de prise en charge la plus courante. Il est encadré par un professionnel de santé et composé uniquement de parents d'adolescentes anorexiques qui peuvent échanger leurs expériences. La naissance de ce type de structure reflète une évolution fondamentale : l'anorexique n'est pas la seule victime de la maladie, les parents en souffrent aussi.

Historiquement, ils sont donc passés du rôle de destinateur de la maladie à celui d'adjuvant, un déplacement qui a modifié en profondeur le traitement thérapeutique de l'anorexie mentale. L'isolement, qui était la sanction infligée aux parents responsables, a progressivement disparu pour laisser place à une participation active des parents dans la démarche thérapeutique. Notons également l'importance de plus en plus grande que les médecins accordent à la thérapie familiale, une démarche dans laquelle sont inclus les frères et soeurs, qui vise à comprendre les dysfonctionnements de la famille. Nous voyons donc que l'implication de la famille dans le traitement est devenue indispensable cependant, elle est difficile à obtenir quand la patiente anorexique est majeure ou ne vit plus au domicile familial.

3. La prévention, une démarche indispensable

Actuellement, de plus en plus d'initiatives sont prises par le corps médical afin de prévenir la maladie. La prévention ne concerne pas uniquement les adolescentes, elle s'adresse également aux parents et aux médecins.

a) La formation des médecins

De plus en plus de médecins généralistes connaissent l'existence de la maladie et sont capables d'orienter une adolescente anorexique vers un spécialiste ou une structure adaptée. Cependant, il n'est pas rare que certains médecins confondent les symptômes de l'anorexie avec une autre maladie. Leur tâche est d'autant plus difficile que l'adolescente a tendance à nier son état et affirmer que tout va bien. C'est pourquoi, il est nécessaire de former les médecins pour qu'ils puissent détecter les signes d'une anorexie mentale mais également qu'ils aient connaissance des enjeux psychiques de la maladie. Ainsi, il leur sera plus facile de repérer les mécanismes de déni et de refus de prise en charge de l'adolescente. Aujourd'hui, des structures proposent de former les médecins en leur fournissent des indications quant aux différentes formes de traitements, en leur apprenant à repérer les symptômes de la maladie... Ils sont ainsi mieux armés pour orienter les patientes mais aussi les parents. La position des médecins généralistes n'est pas simple puisque c'est à eux qu'il revient, le plus souvent, de diagnostiquer la maladie. Cependant, ils doivent faire attention à ne pas tomber dans l'excès inverse et s'alarmer au moindre signe. Ainsi, H. Pennachio écrit qu'« il faut éviter de traiter dans l'urgence un surpoids modéré, sans tenir compte des spécificités de l'adolescent et de son environnement génétique et familial, à cette période de la vie où le corps change et parfois s'enrobe un peu (notamment chez la fille), avant la poussée de la croissance »639(*).

b) L'information des parents

La prévention concerne également les parents, qui, comme nous l'avons souligné, sont souvent les derniers à prendre conscience que leur fille souffre d'anorexie. Il est plus difficile d'informer les familles sur l'existence de l'anorexie et de ses enjeux que les médecins. En effet, de par leur position médicale, les soignants ne peuvent se désintéresser de cette pathologie alors que les parents n'ont a priori « aucune » raison de s'informer sur ce qu'est l'anorexie. En ce sens, la prévention vise surtout à leur apprendre à reconnaître les symptômes de la maladie pour que leur fille soit prise en charge le plus tôt possible.

c) La sensibilisation des adolescentes

Enfin, les adolescentes sont les « premières » concernées par la prévention. L'anorexie n'est plus une maladie inconnue mais il est fondamental d'informer les jeunes filles sur l'existence et les conséquences de cette pathologie. La prévention peut également prendre la forme de conseils diététiques puisque le plus souvent l'anorexie débute par un simple régime. Il n'est pas négligeable d'insister sur l'hygiène alimentaire, sur l'équilibre des repas... C'est alors au médecin généraliste de dialoguer avec l'adolescente pour lui faire comprendre dans quels cas un régime est indispensable.

Pour conclure, H. Pennachio souligne que « même si aucune étude n'a été menée en terme de prévention des troubles du comportement alimentaire »640(*), il existe quatre pistes à ne pas négliger. Il faut savoir reconnaître et dépister un éventuel trouble du comportement alimentaire quand une jeune fille évoque le souhait de maigrir ; ne pas considérer le régime entrepris comme anodin ; si un régime est vraiment nécessaire, le médecin doit éviter de le prescrire sans effectuer de contrôle ou éviter de faire une mauvaise prescription et enfin, les parents doivent être attentifs aux signes de mal-être de son enfant. Malgré l'augmentation du nombre d'associations et de structures qui visent à informer sur cette pathologie, l'auteur souligne que la prévention est relativement difficile dans une société paradoxale « où l'abondance ordonne aux femmes la restriction »641(*). Cette citation révèle toute la complexité de prévenir une maladie que l'influence des facteurs socioculturels semble favoriser

La prise en charge de l'anorexie est une étape difficile tant pour les patientes que pour le corps médical, pourtant elle est essentielle à la guérison. Les différents traitements thérapeutiques ont beaucoup évolué depuis la fin du XIXème siècle, accordant une place prépondérante au rôle des parents et une attention grandissante à la patiente. Comme nous l'avons montré il n'existe pas de traitement univoque de l'anorexie, il est donc intéressant d'observer maintenant ce que nous disent les discours de presse de cette phase de la sanction.

B. La phase de la sanction dans les discours de presse

L'anorexie est une maladie polyfactorielle qui rend impossible un traitement unique. A partir des éléments que nous venons de mettre au jour dans la partie précédente, il est intéressant d'observer comment la presse présente la prise en charge de l'anorexie, une démarche qui implique trois questions :

- Qui est pris en charge ? Si à première vue la réponse peut sembler évidente, nous venons de montrer que les parents sont aujourd'hui considérés comme des « victimes » de la maladie et sont appelés en conséquent à bénéficier d'une prise en charge.

- Qu'est-ce qui est pris en charge ? Le corps médical insiste sur la nécessité d'une thérapie à la fois nutritionnelle et psychologique, nous allons donc observer si les quotidiens nous décrivent une « thérapie `bifocale' » ou s'ils se contentent d'évoquer l'aspect nutritionnel.

- Quel type de traitement thérapeutique est privilégié par les médias ?

- En quels termes sont décrits les rapports entre soignant et patiente ?

- Quels sont les pronostics concernant la guérison ?

- Les discours des journaux ont-ils une visée préventive ?

En répondant à ces questions, nous essaierons également de voir si les évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexique au XXème siècle, se retrouvent dans les discours médiatiques.

1. La Croix refuse l'isolement thérapeutique et accorde une place privilégiée aux parents

a) L'isolement, une pratique refusée

La Croix reconnaît la nécessité d'allier un traitement psychologique avec une prise en charge nutritionnelle642(*). Cinq articles dans le dossier sont consacrés à la question de la séparation familiale, un mode de prise en charge que rejette le quotidien. Le fait de publier autant d'articles sur la question du traitement thérapeutique de l'anorexie reflète l'importance que cette étape revêt pour le quotidien, nous allons rapidement en comprendre les raisons. Il est partagé entre laisser l'anorexique dans sa famille et l'exigence médicale de séparation, d'autant plus justifiée si les parents sont responsables de la maladie. En effet, La Croix accorde une place importante à la famille, et retirer une anorexique de sa famille c'est en quelque sorte considérer que les parents ne sont pas capables d'aider et de soigner leur fille, c'est briser la communauté familiale et les dessaisir de leur rôle. Malgré la modération terminologique du quotidien quand il évoque la séparation, différents indices révèlent qu'il est favorable à des hospitalisations sans séparation.

Avant de consacrer un dossier entier à cette question, le journal avait déjà soulevé le problème dans un article précédent. Ainsi, il écrivait qu' « il y a des divergences quant au traitement et à la prise en charge », que « la question de l'hospitalisation fait l'objet d'une âpre discussion ». Le terme « âpre » indique que la question ne concerne pas uniquement le corps médical mais que le quotidien est également impliqué. Au premier abord le discours semble relativement neutre, le quotidien présente successivement les arguments respectifs des partisans et des opposants de l'isolement : « pour certains [...], pour d'autres... ». Cependant, le quotidien conclut en disant que pour certains « au contraire, les relations familiales difficiles ne sont que la traduction des troubles internes du malade : il ne faut donc pas aggraver les choses en l'extrayant de son milieu familial »643(*). Présenter en dernier l'argument des opposants à l'isolement est une façon de montrer c'est dans ce camp que se range La Croix, ce que confirment les articles du corpus.

La Croix écrit que l'anorexie « pose, entre autres multiples questions [...] celle de la place des parents dans les soins à donner à leurs enfants, presque adultes » ce qui indique d'emblée que la phase de prise en charge constitue l'étape la plus importante pour le quotidien. En effet, nous avions souligné dans les analyses précédentes que le quotidien s'intéressait peu aux pratiques anorexiques par exemple. Cette citation rappelle la spécificité du traitement thérapeutique de l'anorexie. Pour d'autres maladies, le patient est pris en charge par un médecin, il s'agit donc d'une relation bilatérale. Dans le cas de l'anorexie, les parents ne peuvent être exclus de la démarche thérapeutique car ils sont eux aussi victimes de la maladie.

C'est essentiellement par le recours aux témoignages que le quotidien laisse entendre qu'il rejette l'isolement comme mode de prise en charge thérapeutique. Lorsque le journal écrit que « des parents célèbres ont exprimé leur désaccord à l'égard d'une pratique médicale qu'ont vécue leurs filles » c'est-à-dire « des périodes d'isolement d'avec leur famille », c'est en fait son propre désaccord qu'il formule. Le journal ne critique pas l'isolement d'un point de vue médical comme le fait D. Rigaud mais d'un point de vue affectif. La séparation est jugée « cruelle » et assimilée à une « forme de chantage ». En précisant que « certains soignants, même, la refusent », La Croix met en évidence que si des professionnels rejettent ce mode de soins, il peut légitimement s'y opposer. En dernier lieu, il consent qu'« elle n'a d'efficacité que si les parents et le jeune en comprennent et en acceptent le sens », ce qui est peu probable.

Un second article644(*) est entièrement consacré à l'hospitalisation avec « séparation familiale », « une pratique qui fait débat », ce qui mérite que nous nous y intéressions de manière plus approfondie afin de comprendre pourquoi et par quels procédés le journal rejette-t-il ce mode de traitement, qui est pourtant parfois indispensable. L'article s'ouvre avec les témoignages de B. Chirac et P. Poivre d'Arvor qui qualifient le séjour dans un hôpital de « prison », une pratique « barbare » car l'adolescente « est enfermée dans sa chambre ». La connotation péjorative de ces termes est révélatrice. La référence à la prison comme aux Barbares renvoient à l'exclusion, à une sorte de déshumanisation que La Croix ne peut tolérer. Comment légitimer l'isolement d'une malade qui n'est en rien responsable de sa maladie et doit au contraire être soutenue ? Afin d'accentuer la cruauté de ce mode d'hospitalisation, le quotidien donne la parole à P. Poivre d'Arvor qui décrit l'isolement qu'a subi sa fille et qui était imposé aux anorexiques graves à une certaine époque : « [elles] étaient empêchés de voir leurs parents, de leur téléphoner, de leur écrire parfois pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois ». Le recours à l'énumération, les indications temporelles mettent en valeur l'absence de communication qu'impose ce mode de traitement. Le quotidien ne se contente pas de pointer du doigt ce mode d'hospitalisation, il souligne également la souffrance des parents. C'est « la douleur d'un père » dont la « blessure [est] toujours à vif, dix ans après » que le reportage nous montre. Le journal ajoute que cette douleur est même « impossible à cicatriser ». Plus loin, nous trouvons le terme « souffrance », et l'expression « douleur chevillée au coeur » qui décrivent les sentiments de B. Chirac et P. Poivre d'Arvor. En utilisant ces termes, le quotidien fait appelle à la sensibilité du lecteur qui ne peut légitimer une telle pratique face à la souffrance des parents. Notons que La Croix utilisait aussi le terme de « souffrance » pour parler de l'anorexique. En employant le même mot pour désigner les sentiments des parents, il nous rappelle que si la malade est la première victime de l'anorexie, les parents le sont aussi.

Nous avons relevé plusieurs questions dans l'article qui traduisent l'incompréhension de La Croix : « Pourquoi les hôpitaux séparent-ils ainsi les anorexiques de leurs proches ? Ces établissements seraient-ils des lieux totalement déshumanisés où l'on pratiquerait une sorte de chantage affectif à la reprise de poids ? [...] Mais pourquoi aller jusqu'à cette séparation totale avec la famille ? ». A ces interrogations qui sont aussi celles des parents, des médecins répondent et relativisent le recours à l'isolement aujourd'hui qui « ne concerne qu'une minorité de patients anorexiques », la majorité de la prise en charge s'effectuant en ambulatoire. Le quotidien délègue la parole à un expert qui retrace un rapide historique de l'isolement et qui confirme que dans les années 70, ce mode de prise en charge existait encore en France. Pratiqué dans des situations « très exceptionnelles », « l'isolement a aujourd'hui disparu des hôpitaux ». Toutefois, le quotidien apporte une nuance : « Mais pas celle de la séparation familiale » qui, précise-t-il, « reste encore utilisée par une majorité des équipes spécialisées », une façon de sous-entendre que c'est encore trop. Ces deux pratiques ont en commun l'absence de communication totale d'avec la famille. C'est pourquoi, même si dans le cadre d'une séparation familiale la patiente est « libre de ses mouvements dans le service », La Croix ne peut pas non plus tolérer ce mode d'hospitalisation qui rompt le lien familial. A la question du journal « Mais pourquoi aller jusqu'à la séparation totale avec la famille ? » répondent plusieurs experts, partisans de ce mode de prise en charge. Ils « argumente[nt] », « explique[nt] », « renchérisse[nt] » mais leurs propos ne peuvent convaincre un quotidien pour qui la famille est une valeur fondamentale. Ainsi, « sans nier la nécessité d'aménager un `temps thérapeutique' en dehors de la présence des parents », le journal souligne que « certains services se refusent à pratiquer ces séparations totales ». Un autre expert nous fait part de son expérience et estime que « ce n'est pas très humain », que la psychiatrie « par le passé, a beaucoup fait souffrir les parents d'anorexiques ». Ces propos constituent en quelque sorte la « preuve » médicale que la séparation familiale n'est pas utilisée par tous les médecins et qu'elle n'est pas un obstacle à la guérison de l'anorexie. Un dernier exemple vient compléter l'argumentation : « la Maison des Adolescents [...] ne pratiquera pas, elle non plus, la séparation ». Qu'une nouvelle structure ne recourt pas à la séparation familiale signifie en quelque sorte qu'après l'abandon de l'isolement, c'est la séparation familiale qui doit être délaissée. Une phrase a retenu notre attention : « couper tout contact, c'est quand même une manière de stigmatiser les parents d'une certaine façon, de les rendre responsables de la pathologie de leur enfant ». En laissant un expert tenir de tels propos, le quotidien souligne que le corps médical partage sa position. De plus, cette phrase révèle le basculement que nous avions mentionné dans l'analyse de la figure du destinateur : les parents ne sont plus considérés comme responsables de l'anorexie de leur enfant, la séparation n'a plus lieu d'être. Le quotidien insiste sur cette idée puisqu'il laisse un autre expert souligner que « non seulement les parents ne sont pas responsables de ce qui arrive à leur enfant, mais ce sont des alliés thérapeutiques précieux ». Les propos de ces deux experts viennent légitimer, renforcer la position du quotidien. Cependant, malgré le rejet la séparation, nous avons noté que le dernier expert que convoque La Croix est favorable à cette séparation familiale. Toutefois, il insiste sur la collaboration entre le corps médical et les parents qui s'effectue par le biais « d'entretiens très réguliers », « les parents ne sont pas seuls dans la nature », alors qu'avant « on faisait des séparations en ignorant les parents ». Nous pouvons penser que malgré l'opposition du journal à ce mode de prise en charge, il ne peut nier que dans certains cas la séparation est inévitable. Ainsi, il ne peut contredire cet expert qui toutefois accorde une place importante aux parents dans la démarche thérapeutique, un objectif qui est aussi celui du journal. Enfin, notons que la structure de l'article est relativement équilibré : le quotidien laisse successivement la parole aux partisans de la séparation puis à ces opposants, ce qui témoigne d'un souci de rigueur et d'une certaine neutralité, neutralité qui se révèle illusoire.

b) Des parents témoignent : l'isolement est une « épreuve »

Nous avons choisi de consacrer une partie spécifique à la figure des parents qui occupe une large place dans les articles de La Croix. Plusieurs discours nous font part des témoignages de parents qui ont vécu la séparation familiale.

Dans le premier article de la période, un médecin explique qu'« il convient donc de soutenir les familles sans culpabiliser les parents »645(*). Si les parents ne sont pas encore désignés comme victimes, le verbe « soutenir » révèle déjà qu'ils sont dans une situation difficile.

Afin de mettre l'accent sur la souffrance des parents, La Croix laisse la parole le temps d'un article à une mère qui nous raconte son « épreuve »646(*). Nous pouvons formuler plusieurs remarques par rapport à ce témoignage. La première concerne le rôle actantiel des parents : dès le départ, le récit les désigne comme adjuvants. En effet, ce sont eux qui sont allés voir avec leur fille un psychiatre, lequel « l'a orienté vers un médecin généraliste ». Les parents ont pour objet la guérison de leur fille mais aucun détail ne précise si la malade a aussi pour objet la guérison. Leur rôle d'adjuvant permet de comprendre pourquoi, ils souffrent de la séparation. Ensuite, nous avons remarqué que l'article est construit autour de deux thèmes principaux : la mère insiste sur la souffrance et l'épreuve qu'elle a vécue mais elle souligne aussi le soutien et l'aide dont elle a bénéficiés. Emma raconte que la séparation a été un « moment atroce », ces périodes étaient « terribles à vivre », « c'était déchirant », elle et son mari étaient « minés par le chagrin ». Les termes qu'elle emploie sont relativement fort et met en valeur la douleur qu'ils ont éprouvée. Outre cette souffrance, cette mère met l'accent sur son impuissance qui était « totale », « on ne peut rien faire ». Notons ici que le « ne pas pouvoir faire » est un obstacle auquel sont confrontés tous les parents et qui tend à renforcer leur sentiment de culpabilité. Une phrase est assez révélatrice du dilemme qui anime La Croix : « On sait que son enfant va mal, qu'il a besoin d'être soutenu, entouré, mais on ne peut plus aller le voir, lui parler ». Même si cette phrase n'est pas celle du quotidien, nous pouvons dire qu'elle reflète son opinion. « Il » exprime ce qu'il considère être le rôle que les parents et le problème que pose la séparation familiale. En effet, il n'est pas acceptable de choisir un mode d'hospitalisation qui prive la malade du soutien parental. Cependant, en dépit de cette souffrance et de « l'épreuve » que représente la séparation, Emma insiste sur « deux choses [qui les] ont beaucoup aidés », qui leur ont été « d'un grand secours » et « d'un grand soutien » : les rencontres avec l'équipe médicale et les échanges au sein des groupes de parents. Notons que la place accordée aux relations parents-soignants était déjà évoquée dans un article précédent par un médecin. Pour terminer, nous remarquerons que cet article est destiné aux familles qui sont confrontées à la même épreuve mais « c'est difficile de donner des conseils à d'autres parents ». La tonalité de l'article est optimiste car c'est sur le mot de « confiance » que conclut Emma. La « confiance à l'équipe soignante » et la confiance dans les « ressources de son enfant ». La Croix est le seul quotidien a souligné que la confiance est essentielle pour surmonter cette « épreuve » ce qui semble un peu optimiste. Si les anorexiques ont des « ressources », nous avons expliqué le cercle vicieux que constituait la maladie, l'aveuglement dans lequel se trouvaient les malades qui rend peu probable une prise de conscience soudaine. Le quotidien sous-entend que l'anorexique veut s'en sortir et ne s'oppose pas à la prise en charge, un cas qui est en général très rare.

Il faut préciser que malgré la souffrance qu'ont éprouvée ces parents, la mère avoue que la séparation procure un « sentiment de soulagement », que c'est un moment qui permet de « souffler un peu » car « c'est l'enfer de voir son enfant dépérir sous ses yeux sans rien pouvoir faire ». Ainsi, même si le quotidien s'oppose à la séparation familiale, les propos de cette mère soulignent la difficulté de vivre au quotidien avec une anorexique, une réalité que ne peut pas nier le journal. Enfin, une dernière remarque concerne la place de la fratrie dans la prise en charge de l'anorexie. Emma explique que « [sa] fille cadette a beaucoup souffert pendant cette épreuve », et qu'elle regrette qu'elle n'ait pas pu bénéficier d'un soutien. A travers ces propos, le quotidien souligne que ce ne sont pas uniquement les parents qui souffrent de la séparation mais que toute la famille est affectée.

c) L'hospitalisation, une question importante même dans la rubrique Littérature

Il est intéressant de noter qu'à deux reprises La Croix utilise cette rubrique pour présenter un livre sur l'anorexie, ce qui en soi n'est pas particulièrement original puisque d'autres quotidiens le font également. Ce qui est plus spécifique, c'est que les livres présentés sont destinés aux parents et ont pour thème l'hospitalisation. Par exemple, dans l'article consacré au livre de P. Jeammet, Anorexie, boulimie, les paradoxes de l'adolescence, le journal centre son attention sur le « chapitre consacré au traitement » et précise que l'auteur aborde « longuement le rôle des parents, ces `alliés du traitement' et tout l'intérêt des groupes de parents qu'il a mis en place, dans son service il y a 25 ans ». Le quotidien précise que P. Jeammet « s'explique sur la nécessité, parfois, de séparer l'anorexique de sa famille lors de l'hospitalisation »647(*). Nous pouvons noter que cette critique insiste sur la collaboration des parents dans la démarche thérapeutique et minimise le recours à la séparation familiale qui est « parfois » nécessaire. Or, P. Jeammet est un fervent défenseur de la séparation d'avec la famille qu'il pratique dans son service, ce qui n'exclut pas l'association des parents au traitement.

Dans cette même rubrique, le quotidien mentionne de la parution d'un livre intitulé Comment vivre avec une anorexique ? et le présente comme un ouvrage destiné à répondre aux questions des parents. « Comment identifier la maladie ? Quels soins existent-ils ? Que faire pour l'aider ? Faut-il l'hospitaliser ? »648(*) : toutes ces interrogations sont celles des parents qui sont confrontés à la maladie mais ce sont aussi les préoccupations du journal auxquelles il essaie d'apporter des solutions dans les articles qu'il publie.

d) La guérison et la prévention

Les discours donnent peu d'indications sur l'espoir de guérison. Un expert affirme que « les deux tiers des patientes anorexiques guérissent de façon satisfaisante »649(*) et un autre souligne qu' « il apparaît nettement en tout cas que la probabilité de guérison est plus élevée lorsque le trouble est détecté précocement »650(*). Nous pouvons souligner que le journal ne parle pas du taux de mortalité de l'anorexie mais se veut optimiste, un discours cohérent avec les propos qu'il tenait sur la capacité des enfants à surmonter leur maladie. Pour La Croix, il est plus important de prévenir la maladie. Un expert conseille qu'« une jeune fille [qui veut] commencer un régime [doit] être suivie par un médecin »651(*), c'est donc en partie au corps médical que revient la responsabilité de prévenir la maladie mais aussi de façon implicite aux parents qui doivent conduire leur enfant chez le médecin.

Outre ces experts que le journal sollicite pour formuler des conseils, nous pouvons considérer les livres conseillés par La Croix dans sa rubrique Littérature participe à cette démarche de prévention. Par exemple, un article débute par la question suivante : « Quels sont les signes de l'anorexie mentale ? » et poursuit en disant « Comment ne pas en arriver là ? »652(*). En posant ces questions, le quotidien considère l'anorexie peut être décelée et ainsi évitée.

L'analyse des articles du corpus de La Croix nous permet de pointer différents éléments. Au premier abord, le quotidien semble se ranger du côté du corps médical en évoquant la nécessité d'une prise en charge nutritionnelle et psychique. L'étude des articles ne remet pas en cause cette position mais permet de la nuancer. En réalité, le journal ne dit rien des différentes modalités de prise en charge qui existent pour soigner l'anorexie. Il inscrit ses propos dans le débat médical autour de la séparation familiale et se montre clairement contre cette pratique. C'est bien la question de la séparation qui est au centre des préoccupations du journal. En conséquent, ce n'est pas aux relations entre le corps médical et l'anorexique ni aux éventuelles stratégies de résistance de la malade que le quotidien s'intéresse. Ce sont les parents et leur souffrance qui sont au coeur des propos du journal. Notons que La Croix est le seul quotidien à accorder une telle place aux parents dans ses discours. Etant donné la valeur que revêt la famille pour le quotidien, la façon dont il aborde la question de la prise en charge de l'anorexie n'est pas surprenante. Cette analyse nous a également permis de confirmer l'évolution de la figure des parents : le destinateur est devenu adjuvant, un adjuvant victime qui doit aussi être pris en charge par la corps médical. Sur ce dernier point, le discours de La Croix ne fait que refléter l'évolution de la prise en charge de la maladie qui englobe aujourd'hui les parents.

2. Le Monde : des propos qui semblent contradictoires

En 1989, Le Monde fait un rapide historique des traitements utilisés depuis C. Lasègue pour guérir l'anorexie afin de souligner la « multitude de traitements proposés »653(*). Il écarte l'isolement comme mode de prise en charge et insiste sur la nécessité d'un suivi psychothérapeutique. Il précise également que « l'hospitalisation est souvent nécessaire » et « les rechutes fréquentes »654(*). Parmi les articles étudiés, seuls trois abordent la question de la prise en charge de façon plutôt contradictoire. Nous les étudierons séparément car leur analyse respective n'a pas permis de dégager des points communs ou des idées forces qui seraient communes aux à ces trois discours.

a) Des parents exclus de la prise en charge

En 1992, Le Monde écrit que « Séverine a été admise d'urgence à l'hôpital de Nancy-Brabois dans un état de maigreur extrême ». Avec l'adjectif « extrême », le journal insiste sur la gravité de l'état de santé de l'enfant. Or, quand le pronostic vital est en jeu, l'hospitalisation est nécessaire. Le champ lexical de la mort présent dans ce discours témoigne de l'urgence de la situation. Le journal fournit également des indications médicales sur l'état de santé de Séverine : elle pèse « 19 kilos » et sa « tension artérielle » est à 5. Une fois entrée à l'hôpital, elle va sera « prise en charge par des médecins qui vont la réalimenter et tenter de trouver avec elle l'origine de cette terrible rupture d'équilibre qui l'a amenée au bord de la mort ». Le discours ne donne pas d'autres détails mais le terme « ensemble » laisse penser que la démarche thérapeutique est basée sur une relation de coopération entre la patiente et le médecin, celui-ci remplissant un rôle d'adjuvant. Aucun indice ne permet de dire si la fillette s'oppose à l'hospitalisation cependant, nous avions précisé qu'il s'agit d'une anorexie prépubère et dans ce cas la prise en charge est moins conflictuelle. C'est pourquoi, nous pouvons supposer que l'objectif de Séverine est de guérir, le corps médical jouant le rôle d'adjuvant.

Les parents sont ici dans une situation particulière : ils ne sont pas considérés comme des alliés du traitement, des adjuvants, mais sont sanctionnés. Cette sanction est à la fois narrative et légale : ils sont « interpellé[s] » par la police, « inculpé[s] » par le juge d'instruction pour « défaut de soins » et ont l' « interdiction formelle » d'aller voir leur fille hospitalisée. Considérés comme « adultes responsables », ils sont punis par la loi pour n'avoir pas fait hospitaliser leur enfant, mineure. Cependant, ils ne sont pas les seuls à être mis en cause et le récit fait état d'une « lutte » pour assigner la responsabilité de ce défaut de soins....En effet, l'avocat des parents a déposé « une plainte contre le médecin traitant qui soignait leur fille pour non-assistance à personne en danger ». Toutefois, Le Monde précise que c'est lui qui a diagnostiqué l'anorexie mentale, ce qui suffit à écarter la sanction. Ce premier cas de figure est assez particulier puisque Séverine est encore une enfant. Son anorexie s'est déclarée suite aux régimes « draconiens » imposés par la danse et les exigences que sa mère faisait peser sur elle. Nous avions montré que le journal désignait la mère comme le destinateur de l'anorexie, c'est donc logiquement elle qui est sanctionnée ici.

b) Des relations conflictuelles entre patiente et soignant

Un deuxième article évoque la question de la prise en charge d'une façon tout à fait différente et relativement succincte. La journaliste, qui résume le livre de G. Brisac, raconte que la protagoniste du livre est enfermée dans une clinique où « on lui fait violence, on veut la `dompter' ». Le mot « dompter » suggère que la jeune fille oppose une certaine résistance au traitement, ce qui est confirmé juste après : « elle résiste ». Le texte mentionne également la lutte « avec les médecins ». Nous pouvons penser qu'il s'agit d'une hospitalisation avec isolement comme le suggère le mot « enferme ». Le quotidien ne s'attarde pas sur les différentes modalités de prise en charge de l'anorexie et se contente de donner une image conflictuelle des rapports patient-soignant, ce qui n'est en rien représentatif de la réalité. « La lente remontée » révèle que la guérison est longue et nécessite des adjuvants qui sont ici les « amis », « l'amour » et le « grand-père ». La présence des adjuvants sous-entend qu'après une phase de résistance, la jeune fille a accepté de se faire soigner, l'actant sujet a changé de programme narratif.

c) La nécessité d'une prise en charge impliquant les parents

Un dernier article655(*) aborde la question de la prise en charge sous un angle encore différent. Le titre « Venir en aide aux jeunes anorexiques et à leur famille » nous suggère d'emblée que la prise en charge est double : elle concerne bien sûr l'anorexique mais aussi sa famille. Le Monde présente comme une évidence l'opposition de l'anorexique au traitement mais ne détaille pas les stratégies de résistance qu'elle peut mettre en oeuvre. Ainsi, il écrit : « bien sûr, il faudra parfois batailler ferme pour réussir à emmener l'intéressée chez le médecin ». En ce qui concerne la modalité de la prise en charge, le quotidien se contente de formuler des conseils. Il recommande d'aller voir « un spécialiste pédopsychiatre » ou de se rendre dans « un service hospitalier de médecine pour adolescents » car les généralistes sont parfois « insuffisamment avertis » et peuvent ne pas diagnostiquer la maladie. Le quotidien précise que « le traitement n'est pas simple et univoque ». Les possibilités sont donc ouvertes et le journal délègue la parole à un expert pour tenter d'avancer des solutions plus précises. Ainsi, c'est le professeur, P. Jeammet qui « préconise » le recours aux thérapies familiales, lesquelles « impliquent souvent l'ensemble de la fratrie ». Le verbe introducteur employé laisse penser que derrière les paroles du professeur, c'est de l'opinion du quotidien dont il s'agit. Nous pouvons noter qu'ici la prise en charge ne concerne pas uniquement les parents mais aussi les frères et soeurs. Le recours à la thérapie familiale est considéré comme un outil « précieux », afin de sortir les parents de leurs « difficultés » et de leur « isolement ». L'adjectif mélioratif « précieux » indique que le quotidien privilégie fortement ce type de prise en charge. Si les parents doivent bénéficier d'une aide, ils sont aussi considérés comme des alliés thérapeutiques de la guérison de leur fille. Le Monde estime que leur « collaboration au projet thérapeutique » est « bien sûr indispensable ». Le qualificatif « indispensable » souligne ici la nécessité d'une implication des parents dans la démarche thérapeutique, une nécessité que renforce la locution « bien sûr ». Le journal appelle donc les parents à s'investir dans la guérison de leur enfant, comme le préconise le corps médical aujourd'hui. La position du journal est identique à celle de La Croix cependant, des différences peuvent être notées. Les termes employés par Le Monde sont plus neutres. Par exemple, il parle de « difficultés » là où La Croix insiste sur la souffrance. Le récit est moins détaillé, ce qui nous permet de dire que le quotidien s'implique moins que La Croix qui soutient explicitement les parents.

La position du quotidien dans cet article peut sembler contradictoire avec la sanction qu'il faisait porter sur la mère de Séverine ; en effet, comment demander à des parents qui sont responsables de la maladie de leur fille, d'être aussi les alliés de son traitement ? En d'autres termes, comment demander au destinateur de devenir adjuvant ? La contradiction devient encore plus nette quand Le Monde aborde la question de l'isolement, qui rappelons-le interdit aux parents tout contact avec leur fille, leur signifiant ainsi qu'ils sont les destinateurs de la maladie. L'isolement est présenté comme une éventualité si « la gravité de [l'] amaigrissement et/ou de [la] dépression l'exige ». Le Monde semble ne pas prendre position puisqu'il renvoie la décision au médecin cependant, il nous livre le témoignage d'Anne qui « se souvient [de l'isolement] comme une période `de réflexion et d'introspection, un long mûrissementqui lui a permis grâce à une psychothérapie, de trouver son chemin ». Le recours au témoignage, malgré la neutralité du verbe introducteur, laisse penser que le journal cautionne l'isolement ou du moins montre par le biais d'un exemple authentique que dans certains cas il peut être bénéfique. Là aussi, nous pouvons noter une dissonance par rapport au discours que nous avons analysé dans lequel l'isolement se résumait au mot « violence ». Quoiqu'il en soit, le journal privilégie une thérapie nutritionnelle mais aussi psychologique puisqu'il précise que le médecin « doit assurer le suivi rigoureux et régulier de l'état physique et psychologique de la jeune fille » et parle plus loin de la nécessité d'« un accompagnement psychothérapeutique individuel » sans lequel le risque est de « s'enferrer dans une dépressivité chronique ». Au regard de ces citations, nous pouvons faire deux remarques : les mots « régulier » et « rigoureux » soulignent l'importance de la prise en charge qui doit reposer sur une relation solide entre la patiente et le médecin ; le journal insiste sur la nécessité d'un traitement à la fois au plan somatique et psychique. Le Monde ne fait que reprendre les conseils formulés par le corps médical aujourd'hui, une façon de ne pas trop s'impliquer. Le terme « guérison » ne figure dans aucun discours cependant, le journal nous donne une indication en précisant qu'Anne est « à l'aube d'une quarantaine épanouie » ce qui sous-entend qu'elle est entièrement guérie de son anorexie.

d) Un manque de structures pour prendre en charge les anorexiques

Enfin, Le Monde dénonce le manque de structures destinées à accueillir les adolescentes anorexiques656(*) en nous faisant le récit du « combat » de Bernadette Chirac « contre l'anorexie » de sa fille. Le quotidien précise qu'elle et son époux ont frappé « à toutes les portes, dans les hôpitaux publics et les cliniques privés, à Paris, en province, en Europe et même aux Etats-Unis » mais qu' « il n'y avait rien ». L'énumération produit un effet d'accumulation qui met en valeur l'absence d'établissements spécialisés dans la prise en charge de l'anorexie mentale, en particulier pour les adolescentes de plus de dix-huit ans. La difficulté du combat qu'a mené B. Chirac est accentuée par « l'isolement presque total » qu'elle mentionne, la durée du combat qui s'est poursuivi « pendant plusieurs années » et le fait que même sa notoriété n'a pas permis de faire avancer les choses. Une nouvelle fois, Le Monde a recours au témoignage pour nous faire par de son opinion.

Contrairement à La Croix qui prend position contre la séparation familiale, Le Monde s'implique peu et se contente de souligner l'importance d'une prise en charge à la fois nutritionnelle et psychologique, une évidence aujourd'hui aux yeux des spécialistes. Il délègue souvent la parole à un expert ce qui lui permet de prendre ses distances. De plus, certains éléments que nous avons mis au jour ne permettent pas de cerner la façon dont le quotidien se représente la prise en charge de l'anorexie. Par exemple, l'histoire de Séverine est un cas particulier qui ne peut être généralisé ; les quelques propos tenus sur l'isolement s'opposent au témoignage d'une anorexique... Le Monde reste donc plutôt silencieux sur cette phase de la prise en charge. Enfin, nous pouvons souligner qu'il ne dit quasiment rien de la guérison et s'abstient sur la question de la prévention, pourtant essentielle.

3. Le Figaro : la prise en charge de l'anorexie, une étape peu détaillée

a) Une seule modalité de prise en charge : la séparation familiale

La prise en charge thérapeutique de l'anorexie ne fait l'objet d'aucun article en particulier dans le corpus du Figaro. Un seul discours de presse657(*) propose comme traitement de la maladie « la séparation d'avec le milieu familial » qui est « déterminante ». L'objectif de cette séparation est double : permettre à la malade de manger sans qu'elle culpabilise et rompre « le lien ambivalent développé avec la famille ». Il faut préciser que c'est encore aux dires de P. Jeammet que recourt le quotidien pour aborder cette phase de la maladie. Cependant, si ces propos ne sont pas ceux du quotidien lui-même, la façon dont il les introduit est relativement neutre, ce qui peut laisser penser que Le Figaro acquiesce. La séparation d'avec le milieu familial est la seule modalité de traitement « évoqué » dans les articles du corpus. Dans un second article, le journal se contente de faire allusion à « une hospitalisation et une prise en charge globale ». Le terme de « globale » renvoie à l'association d'une prise en charge nutritionnelle et psychologique. Ces propos amènent deux remarques : la phase de la prise en charge de l'anorexie est évoquée de manière succincte et partielle puisque la séparation à laquelle le journal fait allusion ne représente qu'une possibilité parmi d'autres. Contrairement à Santé Magazine qui s'attache à présenter toutes les possibilités offertes aux malades, Le Figaro propose une vision très réductrice de la façon dont les anorexiques sont prises en charge.

b) L'anorexie, une maladie difficile à soigner

A deux reprises, le quotidien suggère que l'anorexie est une maladie difficile à soigner. Une première fois elle est qualifiée de « mal-être psychologique si complexe à analyser et difficile à combattre »658(*), ce qui peut expliquer la « démission » du journal qui préfère ne pas se prononcer et occulter la phase de la sanction. La difficulté à prendre en charge cette maladie l'empêche de proposer un discours argumenté et de nous dire quel traitement thérapeutique il privilégie. Nous avons trouvé deux autres phrases dans le corps des articles qui permettent de mieux comprendre le « silence » du journal. L'anorexie est « un mal face auquel [notre] société n'est pas assez armée pour lutter »659(*) et « le personnel de l'Education nationale est souvent désarmé pour déceler ce genre de trouble »660(*). Nous pouvons faire deux remarques : d'une part, les termes « armée », « lutter », et « désarmé » renvoie au combat et donc à la difficulté de soigner et de dépister cette maladie. D'autre part, c'est ici l'impuissance de nouvelles figures qui nous est signifiée. Le ne pas pouvoir narratif de la société et de l'Education nationale résulte d'un manque de compétence, qui les empêche de mettre un terme au programme narratif de l'anorexique. Evoquer leur impossibilité à agir est une façon de dire que l'anorexie est une maladie grave contre laquelle tout le monde doit se mobiliser, aussi bien la société civile et que les acteurs institutionnels. Le Figaro n'en appelle pas explicitement au gouvernement comme le fait L'Humanité mais salue l'initiative du Ministre de la Santé qui a lancé « une série de mesures destinées à renforcer la médecine scolaire »661(*), parmi lesquelles se trouve le « dépistage » de l'anorexie. Enfin, en insistant sur la difficulté de soigner cette maladie, le Figaro justifie en quelque sorte son silence. Si la société n'est pas assez armée pour lutter contre l'anorexie, il ne peut guère fournir une représentation de la prise en charge.

Un des articles du corpus a retenu notre attention car il met en valeur la résistance d'une anorexique à la prise en charge662(*). Plusieurs termes soulignent l'impuissance des acteurs du corps médical et de la société civile. Ainsi, les services sociaux ont « vainement tenté de [...] porter secours » à Malika ; l'une de ses visites à l'hôpital s'est « soldée par un échec » car les deux soeurs ont refusé l'aide proposée. C'est à nouveau un ne pas pouvoir faire narratif qui est souligné, et explicitement dit : « conscients du danger, mais impuissants à lutter contre ces velléités autodestructrices », les médecins n'avaient finalement pu que leur adresser une lettre de mise en garde. Cet épisode nous met en présence de l'un des programmes narratifs évoqués, celui d'une anorexique qui refuse les soins et poursuit son objet : maigrir. Les termes « conscients » et « impuissants » soulignent la difficulté à laquelle est confronté le corps médical : ne pas réussir à soigner des anorexiques qui refusent les soins et mettent ainsi leur vie en danger, un problème que Libération qualifie de « déontologique ». Ce récit est le seul à nous fournir quelques éléments sur la relation patients-soignant, une relation spécifique puisque justement elle ne parvient pas à s'établir. C'est donc encore la difficulté que souligne le quotidien et qui peut expliquer qu'il n'aborde quasiment pas la question de la diversité des traitements thérapeutiques.

c) Un nouvel « allié » : les médicaments

Le Figaro est le seul quotidien à évoquer le rôle que peuvent jouer les médicaments dans la guérison de l'anorexie. L'article663(*) nous raconte que des chercheurs ont expérimenté l'effet des anti-dépresseurs sur les comportements boulimiques, lesquels auraient « une action positive » sur un « état d'esprit transitoirement négatif » mais pas sur « la sensation de faim ». La question est de savoir s'ils pourraient également contribuer à « soigner » l'anorexie. Même si le quotidien fait état des recherches en cours, il doute de l'efficacité d'une telle solution et nuance l'impact de ces études. Le discours nous révèle que ce sont seulement « quelques études » qui « commencent à montrer que [les anti-dépresseurs] diminueraient les rechutes » fréquentes au début de la guérison. Par l'emploi du conditionnel, le terme « commencer », et terme « quelques », le journal suggère qu'il ne faut pas accorder trop d'importance à ces recherches, les données étant « encore très fragmentaires » dans « un domaine si complexe ». En outre, Le Figaro conclut en disant qu'« on est loin d'avoir découvert le médicament miracle de l'anorexie », une conclusion qui relativise d'autant plus l'efficacité des anti-dépresseurs et des médicaments en général. Rappelons, que l'anorexie n'est pas une maladie uniquement somatique et qu'elle concerne tout autant le psychisme, ce qui rend peu probable la guérison par la seule voie médicamenteuse. Si certains médecins recourent effectivement aux anti-dépresseurs, ils le font dans des cas bien précis et ces médicaments ne permettent en rien de guérir une anorexique.

d) La guérison et les pronostics de l'anorexie

L'un des articles du Figaro nous fait par de l'impact de l'anorexie sur une éventuelle maternité. Si les conclusions du professeur Gerald Russel font « froid dans le dos », elles sont rapidement minimisées par le journal. En effet, d'après cet expert, les enfants d'anciennes anorexiques seraient, pour la majeure partie, mal alimentés. Cependant, le quotidien lui oppose les conclusions d'un autre expert : P. Jeammet explique que « la grossesse chez des femmes anorectiques » n'est pas « exceptionnelle » et les complications ont « un caractère exceptionnel ». Ses constations s'appuient sur une étude Inserm, « une des plus grandes séries suivies », ce qui renforce d'autant leur légitimité et contribue à discréditer les paroles de l'expert anglais. Une adolescente anorexique peut avoir une maternité tout à fait normale.

Le quotidien évoque les pronostics de guérison en recourant aux propos de P. Jeammet. « L'évolution à moyen et long terme est très variable » et peut aller de « la guérison définitive et complète au passage à la chronicité, voire, exceptionnellement à la mort ». Le quotidien n'exclut donc pas une guérison totale même s'il ne précise pas le nombre d'années nécessaires à cette guérison. Nous pouvons remarquer qu'ici la mort est présentée comme exceptionnelle alors qu'un autre article semblait, au contraire, mettre l'accent sur le taux assez élevé de mortalité664(*). Nous pouvons interpréter cette discordance comme le signe d'une polyphonie du discours. Ici, c'est à un expert qu'est donnée la parole alors que dans l'article précédemment mentionné, c'est le quotidien qui parle. Le Figaro évoque les différents cas de figure même s'il ne les accompagne d'aucune indication chiffrée : certaines anorexiques conservent « une conduite anorectique à minima », d'autres alternent des phase « d'anorexie et de boulimie » et enfin les « tendances dépressives » peuvent s'observer malgré la « `guérison' » (la guérison n'est alors pas totale d'où l'usage des guillemets).

L'analyse des discours de presse du Figaro révèle la « démission » du journal qui ne dit quasiment rien de la problématique de la prise en charge de l'anorexie, pourtant fondamentale. Cette démission contraste avec la gravité de la maladie que le quotidien soulignait. Il se contente de mentionner la nécessité d'une prise en charge globale et n'évoque qu'un seul mode de traitement : la séparation familiale. Nous ne pouvons guère conclure sur la question des relations entre soignant et patiente puisque le seul exemple que nous fournit le quotidien concerne une anorexique qui refuse d'être prise en charge. Enfin, la guérison semble possible mais dépend des chaque cas et aucune donnée chiffrée ne nous est donnée. Les informations que nous venons de mentionner permettent de penser que le journal ne se refuse pas à parler de la maladie mais qu'il n'y parvient pas celle-ci étant trop complexe.

4. L'Humanité : une prise en charge qui s'écarte du schéma classique

Le quotidien ne consacre aucun article entier au problème de la prise en charge thérapeutique de l'anorexie mais trois discours nous fournissent quelques indications quant à la façon dont le quotidien se représente la démarche thérapeutique. Comme pour Le Monde nous analyserons ces trois articles séparément puisqu'ils présentent des perspectives différentes.

a) Les médias comme anti-sujets

Dans Le poids de l'argent665(*), Samantha, une jeune anorexique, doit être hospitalisée dans une clinique canadienne spécialisée dans les troubles du comportement alimentaire. Cependant, son entrée dans la clinique ne dépend ni de sa volonté, ni de celle des médecins mais des médias. En effet, le traitement est si cher que la jeune fille est obligée de leur vendre son image pour récolter les fonds nécessaires. L'image de Samantha fait l'objet d'une lutte dans laquelle les « deux géants des médias britanniques » sont en compétition. Contrairement au « schéma classique », les anti-sujets ne sont ni les médecins ni les parents mais les médias « américains et britanniques » désignés par les termes suivants : « pas très catholiques », « avides », « aux dents longues ». Ces adjectifs péjoratifs montre que L'Humanité sanctionne les médias, les rend responsable de l'éventuelle mort de la jeune fille. Le quotidien accuse également le gouvernement « qui ne fournit pas ce type de soins gratuitement » et la clinique qui « attend [elle] aussi la réponse des magnas [...] avant d'investir dans la guérison de Samantha ». Ici, l'enjeu de la prise en charge thérapeutique n'est pas de convaincre la malade de se faire soigner mais de trouver la somme nécessaire pour payer l'hospitalisation. La thématique de l'article révèle cet enjeu puisqu'il est construit autour de deux champs lexicaux : celui de la mort et celui de l'argent. La survie de Samantha n'est qu'une question financière, qui oppose des médias tout puissants et une jeune anorexique, faible. Elle signe de « petits contrats » avec des « géants des médias britanniques ». La sanction du quotidien tombe tel un verdict à la fin de l'article : « Alors, qui va tuer Samantha ? L'anorexie ? Le cynisme des médias et celui de la clinique ? Les gouvernements qui n'offrent pas ce type de soins gratuitement ? ». La dernière question indique que c'est au gouvernement que L'Humanité fait appel, il l'enjoint à agir. Quelques années plus tard, le quotidien réitère cet appel dans un autre article : « les politiques publiques prennent à prendre de front la question »666(*). L'hypothèse que nous avions émise dans notre première analyse est donc confirmée, face au « fléau social » qu'est l'anorexie, le gouvernement doit prendre des mesures. Ce premier discours nous met en présence d'un cas de figure atypique qui n'a aucun point commun avec la prise en charge de l'anorexie telle que la décrivent les spécialistes. Cependant, la position du journal est cohérente avec ce que nous avons mis au jour dans les autres discours : les médias étaient désignés comme le destinateur de l'anorexie, ce sont donc logiquement aux qui viennent sanctionner la performance de l'anorexique.

b) Une prise en charge volontaire

A travers le témoignage de Clara, la question de la prise en charge est abordée d'une toute autre façon. La jeune fille a décidé elle-même « d'aller voir un psy » puis « d'aller dans les Alpes dans un centre spécialisé pour les comportements anormaux ». En conséquent, aucun anti-sujet n'est mentionné et aucune indication ne révèle une résistance quelconque une fois à l'hôpital. Clara relate brièvement son hospitalisation et la phrase « j'étais coupée du stress d'ici, de la famille » laisse penser qu'elle a été isolée. Toutefois, cet isolement n'est pas décrit en termes péjoratifs, bien au contraire. Le personnel médical est présenté dans le rôle d'adjuvant : « grâce à la psy »667(*). Ce modèle de prise en charge thérapeutique correspond à l'un des programmes narratifs que nous avons identifié (cf. supra partie 2, IV.) mais c'est celui qui est le moins courant. Nous pouvons supposer que L'Humanité a voulu mettre en valeur la volonté de la malade. Même si nous sommes en présence d'un témoignage qui rend « impossible » l'intervention du journal, aucun indice linguistique péjoratif ne vient discréditer, disqualifier les propos de Clara. Enfin, notons que c'est surtout la prise en charge psychologique qui est mise en avant dans les propos de Clara, même si l'aspect nutritionnel est implicitement suggéré quand elle évoque le centre spécialisé pour les comportements anormaux.

c) L'isolement, un mode de prise en charge rejeté

Un dernier article668(*) nous présente en quelques lignes l'isolement thérapeutique qui est donc la seule modalité de prise en charge évoquée dans les discours de L'Humanité669(*). Le terme d' « isolement » n'est pas employé par le journal qui indique juste que l'entrée à l'hôpital « se fait sur la base d'un contrat de poids ». Cependant, le récit qu'il fait de cette hospitalisation nous permet de dire qu'il s'agit de l'isolement. La description est assez schématique comme l'indique les termes suivants : « contrat de poids », « ingurgiter », « chambres, avec toilettes, fermées à clé », « les glaces sont en hauteur »... Nous pouvons d'ores et déjà souligner le manque de rigueur du quotidien dans la façon dont il décrit cette prise en charge. En effet, comme nous l'avons dit, l'isolement n'est quasiment plus pratiqué aujourd'hui, la séparation familiale étant privilégiée. L'Humanité choisit donc de décrire un traitement thérapeutique qui nous donne une représentation erronée de la prise en charge telle qu'elle s'effectue aujourd'hui. Tous les détails que nous donnent le récit servent à dénoncer ce mode de prise en charge dans lequel la vie des anorexiques semble être réduite au néant. Le terme d' « internées » met en valeur l'isolement des malades. Les patientes sont ingénieuses et mettent en place des stratégies de résistance, elles « planquent des laxatifs dans leurs chaussettes ou boivent deux litres d'eau juste avant la pesée du médecin pour augmenter leur poids ». Aucun adjuvant et aucun anti-sujet n'apparaissent dans ces quelques lignes cependant, le médecin est désigné de façon implicite comme anti-sujet puisque les malades boivent avant « la pesée du médecin ». De plus, les stratégies de résistance des anorexiques sont bien destinées à mettre en échec le protocole de guérison, « l'arsenal » mis en place par les médecins. Cette description de l'isolement thérapeutique est en réalité extraite du témoignage d'une ancienne anorexique que L'Humanité reprend à son compte. Cette stratégie discursive qui consiste à s'approprier les propos d'un autre sans les présenter comme un discours rapporté, nous indique que le journal fait siennes les paroles de cette anorexique.

d) Une guérison possible ?

L'Humanité aborde le thème de la guérison essentiellement à travers le témoignage de Clara670(*). Des indications temporelles mettent l'accent sur la durée de cette étape : ce fut « cinq années de lutte », une « bataille [...] a livrer pendant cinq ans », qui « a pris cinq ans, c'est long ». A ces indices temporels s'ajoutent des termes tels que « bataille » ou « lutte » qui renvoient à la difficulté qu'ont les anorexiques à se débarrasser des pratiques qu'elles se sont forgées. Nous pouvons noter que les « cinq ans » dont parle Clara, correspondent à la durée moyenne que les médecins estime nécessaire pour guérir. Le terme de « bataille » n'est pas non plus sans rappeler la métaphore de D. Rigaud sur la guerre (voir supra partie 2, IV. A). Les risques de rechute sont également mentionnés : « je croyais que c'en était fini de l'anorexie. Mais je me suis retrouvée dans un autre système de comparaison, ambiance concours. Ca a été un échec total et la chute du poids qui va avec ». Cependant, la rechute est considérée comme une étape normale vers la guérison, ce dont témoigne le récit de Clara puisqu'elle réussit à guérir. A travers les propos de cette jeune fille, le quotidien met en valeur le double objectif de la prise en charge qui doit être à la fois nutritionnelle et psychologique. Par exemple, elle explique que « reprendre du poids, ce n'est pas guérir » et l'expression « grâce à la psy » met en évidence le rôle de la psychothérapie. La guérison est présentée comme une renaissance : « j'en suis sortie beaucoup plus forte », une renaissance qui débouche sur une nouvelle identité, une identité propre : « j'ai mes propres amis, je sais ce que je veux. J'ai des projets de vie pour moi ». Dans ce témoignage, le quotidien semble dire que l'anorexie est une maladie curable qui dépend de la volonté de la malade.

Cependant, la même année, le quotidien publie un autre article671(*) dans lequel il est beaucoup plus pessimiste. La guérison n'est plus qu'une éventualité : « si elles s'en sortent, les séquelles n'en restent pas moins considérables : l'espérance de vie est réduite, les carences sont à vie ». Force est de constater que ce pronostic est particulièrement pessimiste et erroné. En effet, le corps médical estime qu'environ 70% des patientes guérissent complètement. L'espérance de vie peut effectivement être réduite mais cela ne concerne que les anorexiques chroniques. Les spécialistes des troubles du comportement alimentaire insistent sur la réversibilité des complications engendrées par la maladie : aucune carence n'est à vie excepté l'ostéoporose. L'Humanité ajoute que « beaucoup de femmes rechutent en sortant » lorsqu'elles ont été isolées, ce qui est véridique. De cette façon, il met l'accent sur l'inefficacité d'un tel mode de prise en charge, ce qui contribue encore à disqualifier cette pratique.

Les discours propres du journal tendent à dramatiser l'évolution de l'anorexie et la guérison reste très hypothétique ; à l'inverse, le témoignage de Clara révèle que la guérison est longue mais possible. Il y a donc une dissonance entre ces deux récits comme nous l'avions pointée mais le journal n'infirme pas les propos de la jeune fille. Enfin, L'Humanité, en évoquant le suicide de la fille de Patrick Poivre d'Arvor montre que l'anorexie peut être fatale. Solenn « s'est donnée la mort » causée par la souffrance672(*). Le discours du quotidien met donc en avant la gravité de la maladie qui peut déboucher sur la mort.

e) La prévention : un seul conseil, ne pas lire les magazines

Pour L'Humanité, prévenir l'anorexie ne consiste pas à informer les parents comme le fait La Croix mais à mettre en garde les lectrices/lecteurs de magazine. En effet, les médias, de par les normes corporelles qu'ils imposent aux femmes et aux hommes, sont responsables du déclenchement de la maladie. Cela nous permet de comprendre pourquoi le seul conseil que donne le journal en matière de prévention est de ne pas lire les magazines féminins673(*). Ainsi, il s'adresse directement au destinataire du journal en leur disant : « ne lisez pas les magazines féminins messieurs »674(*).

L'analyse de ces trois articles nous a montré que la représentation de la prise en charge de l'anorexie telle que la décrit l'Humanité s'éloigne des « schémas traditionnels »675(*) excepté le témoignage de Clara qui établit une rupture par rapport au reste du corpus. Chacun des discours met en avant un aspect particulier de la prise en charge qui ne permet pas de répondre aux questions que nous avions posées. En effet, dans les discours propres du journal, aucune indication ne nous est donnée concernant le type de prise en charge excepté le fait que L'Humanité dénonce la pratique de l'isolement, le journal ne dit rien non plus d'un éventuel soutien aux parents, il nous suggère que les rapports entre patiente et soignant sont plutôt conflictuels et la guérison de l'anorexie reste une éventualité. A l'inverse, dans son témoignage, Clara nous suggère la nécessité d'une prise en charge psychologique est nutritionnelle. Volontairement hospitalisée, elle semble avoir des rapports pacifiques avec le personnel médical. Elle ne nous dit rien d'une éventuelle prise en charge dont aurait bénéficié ses parents. Enfin, son témoignage illustre sa guérison.

Les discours propres du quotidien diffèrent donc sensiblement de la représentation médicale de la prise en charge et les propos erronés que tient le journal nous rappellent que s'il considère bien l'anorexie comme une maladie, il n'aborde pas le sujet dans une perspective médicale. Il vise plutôt à dénoncer le rôle des médias dans la phase de la prise en charge comme dans le déclenchement de la maladie. Toutefois, nous avons pu noter une constante : la malade n'est jamais sanctionnée. En effet, dans l'article qui évoque l'isolement, les stratégies de résistance sont plutôt présentées comme des réactions compréhensibles face aux privations qui sont imposées aux patientes et L'Humanité semble accuser les médecins plus que dénoncer les anorexiques.

5. Libération : la prise en charge occultée

Le quotidien ne parle pas réellement de la prise en charge et de ses enjeux, aucun article n'y étant entièrement consacré. Nous trouvons quelques allusions qui ne font l'objet que de quelques lignes dans quatre articles mais elles ne nous permettent pas de définir précisément la position du journal. Par exemple, Libération écrit que l'anorexie « est une maladie psychique qui doit être suivie médicalement »676(*) cependant, il ne détaille pas la façon dont la patiente doit être prise en charge.

a) L'anorexique comme anti-sujet

Dans un premier article, le quotidien délègue la parole à une psychiatre qui reconnaît que « la médecine a pu faire des erreurs dans le traitement de ces pathologies, mais aujourd'hui les aspects psychiatriques aussi bien que somatiques sont pris en charge »677(*). Ici, les « erreurs » font sans doute référence aux traitements endocriniens utilisés au début du XXème siècle qui ont entraîné la mort d'un certain nombre de malades, ou encore à l'isolement qui s'est révélé être inefficace dans le traitement de l'anorexie. Cet expert préconise un mode de prise en charge globale comme la plupart des médecins aujourd'hui. Elle ajoute que l'anorexie leur pose « un problème déontologique : soigner des gens qui ne le veulent pas ». Elle présente donc de façon implicite les rapports entre soignants et patients comme des rapports conflictuels, une lutte entre d'un côté un devoir faire et un vouloir faire (celui de médecins) et de l'autre un ne pas vouloir faire (l'actant sujet refuse d'être pris en charge). Autrement dit, le programme narratif du corps médical s'oppose au programme narratif de l'anorexique. Enfin, elle termine en disant que « c'est long, on stagne, mais on ne les laisse pas tomber. Ce serait de la non-assistance à personne en danger ». Elle met en valeur à la fois la difficulté de la prise en charge des anorexiques mais aussi la détermination des soignants qui juridiquement mais aussi moralement doivent agir. Il est intéressant de noter qu'ici la prise en charge ne dépend pas des compétences du corps médical puisqu'ils ont à la fois le savoir faire, le devoir faire et le vouloir faire mais du vouloir faire de l'actant sujet. Par le biais de cette psychiatre, Libération nous livre une vision assez réductrice de la prise en charge des anorexiques qui ne correspond qu'à l'un des trois programmes narratifs possibles : la patiente refuse les soins. Cependant, le discours est ambiguë car aucun indice ne nous dit si la malade refuse d'être prise en charge ou résiste aux soins une fois hospitalisée. L'exemple des créateurs de sites pro-anorexiques vient renforcer l'idée d'une anorexique comme anti-sujet (par rapport au programme narratif des médecins). En effet, la psychiatre les qualifie d'« électrons libres » et de « personnes en souffrance qui refusent les soins ». Ces paroles d'un expert clôturent l'article, ce qui peut laisser penser que derrière l'avis d'une psychiatre c'est son opinion que leur journal nous donne. Nous avons remarqué que dans ces deux articles, la parole est donnée aux médecins qui témoignent de la difficulté de soigner des patientes anorexiques mais les discours ne nous livrent aucun témoignage de malades. Cette conception de la prise en charge se poursuit dans le reste du corpus.

Dans un second article l'anorexie est présentée comme un « véritable défi pour les spécialistes (pédopsychiatres et psychanalystes principalement) » qui doivent « comprendre le fonctionnement psychique de ces patientes qui `meurent de plaisir' ». Cette citation est empruntée à P. Jeammet qui insiste sur la difficulté et parfois l'incapacité des médecins à comprendre l'anorexie. Cependant, là ne réside pas toute la difficulté de la prise en charge. Si l'aspect psychique est effectivement un enjeu majeur pour le corps médical, la prise en charge nutritionnelle avec toutes les stratégies de résistance que peut opposer la malade est tout aussi importante. Libération fait allusion à la structure hospitalière du service de P. Jeammet, que présente le livre, et mentionne les parents, considérés comme « `alliés du traitement' » notamment grâce à la mise en place de « groupes de parole dans lesquels ils s'écoutent et s'aident entre eux ». Il est difficile de dire si l'usage des guillemets traduit une mise à distance ou s'il signifie simplement que cette expression est celle de P. Jeammet.

L'étude des articles du corpus nous permet de faire deux autres remarques par rapport à la façon dont Libération aborde la prise en charge. Un journaliste écrit que Caroline n'« est pas prête à reprendre du poids »678(*). Par cette courte phrase, le journal rappelle que la prise en charge thérapeutique dépend en grande partie du malade et qu'elle n'est bénéfique que si la patiente collabore au projet de soins. Accepter de manger à nouveau marque le début de la guérison. Alors que dans ce récit l'anorexique semble dans une attitude de refus de la prise en charge (cela n'est pas dit explicitement mais nous pouvons supposer que si elle refuse de reprendre du poids, elle s'oppose également à la prise en charge), un autre article nous présente le cas de figure inverse. Libération écrit que « Katja a décidé de se soigner, pour dit-elle, `sauver [sa] fille' et ensuite pour [se] `sauver [elle]-même' »679(*). La malade prend la décision d'être hospitalisée, autrement dit l'actant sujet change de programme narratif puisque son objet n'est plus de maigrir mais de guérir. Il faut préciser que nous sommes face à un cas de figure particulier puisque cette anorexique n'est pas adolescente mais adulte.

Ces deux exemples n'occupent que quelques lignes dans l'ensemble du corpus cependant, il nous a semblé intéressant de les mentionner parce que le quotidien n'aborde quasiment pas la phase de la prise en charge de l'anorexie ; les rares indications dont nous disposons sont à cet égard relativement importantes.

b) La guérison semble peu probable

Libération considère que l'anorexie « n'est pas incurable mais peut-être mortelle »680(*). Nous pouvons d'ores et déjà noter que le « mais » contribue ici à insister sur le risque de mortalité, reléguant ainsi l'éventualité de la guérison au second plan. De plus, le quotidien parle de la guérison sur le mode de la négation contrairement à Santé Magazine qui affirme que l' « on en guérit ». Le recours à la négation tend à effacer l'aspect positif de la guérison. La suite de l'article confirme que le quotidien attache plus d'importance au risque de mortalité car il ajoute que « 7 à 10% des ados meurent [de l'anorexie]. Soit par arrêt cardiaque à cause de la dénutrition, soit par suicide. 70% des anorexiques retrouvent un poids normal et une alimentation équilibrée, mais la moitié conserve toutefois des difficultés psychologiques (dépression, phobie, hypersensibilité, paranoïa..). Cette citation appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, cet article est très court, obligeant donc le journaliste à concentrer les informations qu'il souhaite nous donner. Nous devons donc noter qu'ici Libération choisit de nous livrer plus de précisions sur la mortalité que sur la guérison en elle-même. Ensuite, la structure de la phrase, l'utilisation du « mais » contribue une fois encore à mettre l'accent sur les conséquences négatives de l'anorexie. Enfin, il est important de souligner que Libération emprunte ces chiffres à P. Jeammet dans son livre Anorexie, boulimie, les paradoxes de l'adolescence, nous avons donc comparé les propos de cet auteur avec l'article de journal. Il en ressort que le quotidien a délibérément supprimé des indications. En effet, P. Jeammet précise que le suicide concerne « presque exclusivement les anorexiques ayant des excès de boulimie »681(*), que dans 20% des cas l'anorexie se chronicise et que les difficultés psychologiques sont plus ou moins importantes et durables. Quant à la dépression, il signale que ce sont plutôt « des troubles d'ordre dépressifs se rattachant à une `déprime' de fond plus qu'à un syndrome dépressif majeur qui reste relativement rare (5 à 10% des cas) ». « [La] dépression, [la] phobie et [la] sensitivité » sont « plus ou moins associés »682(*). Ainsi, la reprise des propos de P. Jeammet au discours indirect libre, permet au quotidien d'éluder certaines informations. Nous pouvons y voir une volonté de dramatiser la maladie en donnant l'impression au lecteur que les chances de guérison sont infimes au regard de toutes les complications qui peuvent subsister.

Il est intéressant de noter que dans la même édition, Libération consacre un article entier au livre de P. Jeammet que nous venons d'évoquer. Cette fois-ci, le quotidien se réfère à l'ouvrage du médecin de façon plus rigoureuse et prend en compte les éléments précédemment « oubliés ». Cependant, ce sont toujours les aspects négatifs de la maladie qui sont mis en valeur. Par exemple, il mentionne que dans 20% des cas l'anorexie peut devenir chronique, « ces patientes étant toutes leur vie en proie à de très grandes difficultés psychiques ». Ces précisions sont exactes et formulées par P. Jeammet en ces termes cependant, le journal occulte des éléments pourtant essentiels. D'une part, l'auteur précise que la chronicité de l'anorexie ne dépend pas de la durée de la maladie mais de l'état psychique de la malade. Une anorexique, malade depuis plusieurs années, mais qui accepte d'être hospitalisée n'est pas considérée comme une anorexique chronique. En outre, l'anorexie chronique n'est pas irréversible, des personnes touchées par la maladie depuis plus de dix ans peuvent un jour guérir. Enfin, grâce à l'amélioration des traitements l'anorexie chronique est en train de diminuer683(*). D'autres détails ont retenu notre attention dans cet article : le quotidien écrit que « sans compter le fait qu'une proportion importante de celles qui s'en sortent fait des rechutes... ». Il met encore une fois l'accent les aspects négatifs de la guérison et de façon erronée. En effet, les rechutes font partie intégrante de la guérison et ne signifient en aucun cas que l'adolescente ne va pas guérir. Un dernier détail est tout aussi frappant. Le quotidien énumère les symptômes qui persistent même quand les anorexiques retrouvent un poids normal, et écrit : « sans compter l'alcoolisme et parfois une pratique toxicomaniaque ». Le livre de P. Jeammet (dont il est toujours question) ne dit rien de tel et nous n'avons trouvé dans la littérature médicale aucune trace de la tendance à l'alcoolisme des anorexiques.

c) Les destinateurs doivent prendre en charge la prévention

Le thème de la prévention apparaît à plusieurs endroits dans les discours de presse. Seulement elle n'est pas le fait du corps médical mais de figures plutôt surprenantes : c'est le destinateur qui doit prendre en charge la prévention, c'est-à-dire empêcher que la maladie ne survienne. Rappelons nous des destinateurs que désignait Libération : la mode, les organisateurs de concours de beauté et les sites pro-anorexiques : ce sont eux, qui, de façon plus ou moins direct doivent prévenir la maladie. Par exemple, un docteur a demandé aux organisateurs de concours de beauté « de refuser dorénavant les candidatures de jeunes filles trop maigres » « afin de promouvoir un message de santé »684(*), c'est donc le destinateur de la maladie qui est appelé à prendre des mesures. Dans un autre discours la prévention semble venir de la télévision : Libération annonce une émission sur l'anorexie et la boulimie, une initiative qu'il qualifie de « bonne idée »685(*). Ce serait donc à la télévision qu'échouerait le rôle d'informer les téléspectateurs de ce qu'est l'anorexie. Enfin, le quotidien souligne l'existence de sites Internet qui remplissent un rôle d'information et de prévention sur l'anorexie686(*). La posture du quotidien est assez étrange puisqu'il renvoie à d'autres médias le rôle de prévention alors même que l'anorexie est considérée comme un problème de santé publique, dont la presse quotidienne devrait se soucier.

Comme L'Humanité et Le Figaro, les indications sur le mode de prise en charge que privilégie le quotidien sont peu nombreuses. La nécessité d'une prise en charge somatique et psychique de l'anorexique n'est évoquée qu'une seule fois. De même, dans un discours, un expert mentionne les thérapies familiales ce qui suggère que les parents doivent bénéficier d'une prise en charge. Comme Le Figaro, Libération nous décrit une anorexique qui refuse les soins, il n'y a donc pas de relation qui puisse s'établir entre la patiente et les soignants. Le journal se montre plutôt pessimiste quant à la guérison et insiste sur les risques de mortalité. Enfin, la prévention n'est pas très classique puisque c'est aux destinateurs de s'en charger.

6. Santé Magazine : une description de la prise en charge qui reflète les évolutions qui ont marqué le traitement thérapeutique de l'anorexie

a) L'importance accordée à la phase de la sanction

Santé Magazine est sans aucun doute celui qui aborde la question de la prise en charge de l'anorexie de la façon la plus détaillée et rigoureuse. Quasiment tous les articles consacrent un voire plusieurs paragraphes à cette étape majeure que représente la guérison. Cependant, si cela contribue à établir un clivage avec les autres quotidiens de notre corpus, le traitement médiatique de la prise en charge de l'anorexie n'est pas surprenant dans un magazine de santé. Il aurait même été étonnant que Santé Magazine occulte cet aspect. Il est donc intéressant de voir si le traitement thérapeutique préconisé évolue au cours de la période, reflète les évolutions médicales que nous avons mentionnées dans la partie précédente. En 1985, la guérison de l'anorexie reste encore de l'ordre de l'hypothèse puisque Santé Magazine titre Peut-on guérir l'anorexie ?687(*). Cependant, cela ne signifie pas que la question de la prise en charge est absente de l'article. Les experts convoqués insistent déjà sur la nécessité d'un traitement nutritionnel et psychothérapeutique. L'auteur, un médecin, s'appuie sur son expérience professionnelle pour nous relater deux cas de prise en charge totalement différents : dans le premier, l'anorexique entretient des relations difficiles avec les médecins et refusent le traitement, alors que dans le second, la malade décide de se faire hospitaliser. L'anorexique n'est donc pas réduite au rôle d'anti-sujet par rapport au programme narratif des médecins. Nous n'irons pas plus loin dans l'analyse puisque cet article ne fait pas partie de notre période d'étude mais il faut d'ores et déjà souligner les nuances que proposent les discours du magazine. Nous devons également évoquer quelques propos d'un article publié en 1988688(*), qui sont ceux aussi assez révélateur de la façon dont Santé Magazine aborde la question de la prise en charge. L'hospitalisation avec isolement est décrétée « indispensable » si la patiente ne reprend pas de poids avec un suivi en ambulatoire. Le magazine précise que la reprise de poids « ne signifie pas que l'adolescente est guérie », un détail qui fait preuve d'une certaine précision médicale. L'auteur conclut en disant que la maladie est « parfaitement guérissable si elle prise à temps », une façon de mettre en garde parents et médecins, de les appeler à être vigilants. Les quelques traits saillants des discours que nous venons de dégager se retrouvent dans quasiment tous les articles suivants. Cependant, au-delà de ces points communs, les récits médiatiques que nous propose le journal témoignent d'une évolution similaire aux avancées thérapeutiques.

L'étude des articles du corpus nous a permis de distinguer quatre aspects dans la façon dont Santé Magazine évoque la prise en charge de l'anorexie.

b) La prise en charge de l'anorexie, un parcours en plusieurs étapes

Les articles publiés dans Santé Magazine distinguent clairement les différentes étapes de la prise en charge qui doit être à la fois nutritionnelle et psychique. Le magazine souligne l'individualisation du traitement qui « varie en fonction de la gravité de la maladie »689(*). Elle peut se résorber en quelques jours dans le cas d'une anorexie passagère ou nécessiter plusieurs hospitalisations, « c'est donc individuellement que sera adapté le traitement »690(*). Les discours répètent à plusieurs reprises que la prise en charge doit se faire sur deux fronts. Quand le journaliste écrit qu'« il est préférable de proposer [...] une prise en charge psychologique en même temps qu'un suivi médical `classique' », il donne ensuite la parole à un médecin qui « insiste » sur le fait que « cette thérapie `bifocale' est très importante »691(*). La citation vient ici renforcer les propos du journal. D'un côté, le « médecin référent » contrôle le poids de la patiente et prend en charge l'aspect somatique de la maladie ; de l'autre, le psychothérapeute a « un rôle d'écoute » et s'occupe de l'aspect psychique de l'anorexie. Un autre article précise que « le suivi médical et la prise en charge psychologique sont indissociables »692(*).

Presque tous les articles présentent, de façon plus ou moins détaillé, la prise en charge comme un processus en plusieurs étapes. Santé Magazine préconise de « montrer à un généraliste »693(*) l'adolescente malade afin de diagnostiquer ou non une anorexie mentale cependant « il n'est pas rare qu'elle vienne consulter spontanément »694(*) car elle ne veut pas mourir. Une précision qui nous rappelle l'aspect paradoxal de cette maladie : l'anorexique risque sa vie mais n'a aucune intention suicidaire. Le contrat de poids constitue la seconde étape identifiée par le magazine : afin de renutrir la patiente, « le médecin établit avec elle un `contrat' auquel elle s'engage à se tenir »695(*). Contrairement à certains médecins qui considèrent le contrat comme quelque chose de rigide, imposé par le thérapeute, Santé Magazine met l'accent sur la collaboration de l'anorexique à cette démarche. Ainsi, nous trouvons les termes « avec elle » et «ensemble »696(*) qui illustrent cette coopération, une coopération qui « implique une relation de confiance entre médecin et patiente »697(*). L'hospitalisation n'est envisagée que dans un troisième temps, si le contrat de poids de donne pas de résultats probants. Santé Magazine ne semble pas être favorable à ce mode prise mais « il faut s'[y] résigner »698(*) si l'adolescente de reprend pas de poids et que le pronostic vital est en jeu. Dans les articles suivants la terminologie est plus neutre et c'est le champ lexical de la nécessité qui domine : l'hospitalisation est « nécessaire »699(*), « inévitable », « indispensable », « s'impose »700(*). Nous pouvons noter que les propos du magazine font écho aux préconisations médicales, ce qui illustre l'adéquation d'avec les discours scientifiques.

La prise en charge par étapes dont parle Santé Magazine est une constante sur toute la période cependant, nous avons décelé des évolutions notamment par rapport à la question de l'isolement. Les premiers articles décrivent l'hospitalisation avec isolement tel qu'il était pratiqué au XIXème siècle mais peu à peu le journal abandonne cette représentation. En 1991, le témoignage d'une ancienne anorexique sous-entend qu'elle a été isolée puisque le « médecin [lui] avait confisqué tous [ses] objets personnels et [lui] faisait du chantage »701(*). Cependant, le terme « isolement » ne figure pas dans l'article et le magazine ne décrit pas le déroulement de l'hospitalisation. Dans l'article suivant le discours est explicite : « la patiente [reste] isolée de son entourage familial pour instaurer une distance » et « chaque progrès de l'anorexique est récompensé »702(*). Aucun indice ne permet de dire que le magazine rejette ce mode prise en charge, les termes sont plutôt neutres et aucun expert n'est convoqué pour contredire cette thérapie. En 1997703(*), Santé Magazine signale que « l'isolement du jeune anorexique de son entourage familial [...] est toujours de mise ». Le magazine semble parler au nom des parents quand il se pose la question : « Pourquoi cette séparation ? ». A la différence de La Croix qui pose une question identique pour mieux critiquer ce mode de prise en charge, Santé Magazine laisse la parole à deux experts qui viennent argumenter cette pratique. P. Jeammet « explique » que la séparation du milieu familial permet à la malade de devenir plus autonome, et le docteur Bochereau « confirme » que dans un premier temps « la séparation avec la famille est catégorique ». Le droit aux visites est une récompense qui sanctionne la reprise de poids. En convoquant ces deux experts, le magazine nous donne son opinion, il légitime l'isolement. Cependant, l'isolement dont il est question dans cet article n'est pas l'isolement tel qu'il était pratiqué au XIXème siècle et jusque dans les années soixante-dix. La description qu'en fait le docteur Bochereau laisse plutôt penser à une séparation familiale au sens où la définit P. Jeammet (cf. supra partie 2, IV) A) 1)) car la malade n'est pas enfermée dans sa chambre mais participe à des activités de groupe. A partir de l'article suivant, une évolution est perceptible puisque l'isolement et plus largement l'hospitalisation ne sont pas mentionnés. Le basculement se produit en 2003704(*) quand Santé Magazine interviewe un expert qui qualifie l'isolement de « trop rigide » parce qu'« il crée une rupture, alors que l'objectif est que chacun retrouve sa place dans la famille ». L'enjeu est de « dénouer les conflits familiaux et [de] rétablir le dialogue » ce que ne permet pas l'isolement. Cette critique est celle d'une psychiatre spécialisée dans la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent, ce qui renforce d'autant plus les propos. Il faut noter que l'argument principal qu'elle invoque est identique à celui que D. Rigaud oppose aux partisans de l'isolement. Le refus de cette thérapie est donc assez répandu dans la sphère médicale. Le dernier article semble confirmer le basculement de la position du magazine puisque le journaliste précise que l'hospitalisation est nécessaire quand l'état de santé générale est mauvais mais ne dit rien d'une éventuelle séparation familiale. Il faut ajouter qu'en plus d'une prise en charge nutritionnelle et psychologique, Santé Magazine évoque la « thérapie cognitive [qui] complète les stratégies comportementales » et qui permet d'identifier « les croyances erronées »705(*) qui ont conduit l'adolescente à la maladie. Ce détail révèle le souci de précision du magazine qui aborde la question de la prise en charge de façon rigoureuse, en informant le lecteur de toutes les possibilités existantes. Il précise également qu'en cas d'angoisses, des antidépresseurs peuvent être prescrits. Ces informations sont exactes d'un point de vue médical et rappellent que le rôle de ce type de magazine est d'informer ses lecteurs sur des problèmes médicaux.

Nous pouvons remarquer que dans l'un des articles706(*), l'isolement est attribué à C. Lasègue et aurait été repris par Charcot. D'après ce que nous avons pu lire, il semble que ces propos sont erronés et reflètent peut être un manque d'information de la part du magazine ou une confusion quant à l'origine de cette pratique.

c) L'anorexique face aux médecins

Nous avons vu qu'au cours du XXème siècle, les relations entre le corps médical et les anorexiques ont peu à peu évolué pour aboutir à des rapports moins conflictuels. Les discours de Santé Magazine témoignent de ses évolutions. Dans les articles publiés avant 1990, l'anorexique est décrite comme résistante et menteuse, elle nie « obstinément » sa maladie707(*). Plusieurs termes ou expressions connotent la fermeté du médecin. Par exemple, « il ne [...] tutoie jamais » sa patiente », et prend la décision de l'hospitaliser « sans faiblesse »708(*). Dans les discours suivants, la confiance et la collaboration remplacent la rigidité des rapports médecin/patiente. Le psychiatre « tente d'instaurer un dialogue »709(*), établit « le contrat avec elle »710(*). L'article publié en 1997 est sans doute celui qui met le plus en valeur cette évolution dans les rapports entre le soignant et la malade car Santé Magazine donne la parole au docteur Archambeaud, un médecin généraliste, qui explique comment il procède avec ses patientes. Il reçoit les jeunes filles en leur « consacrant du temps » et les aident « à réfléchir à ce qui lui arrive »711(*). Ce témoignage illustre l'attention portée à la malade, et la position d'écoute dans laquelle se place le thérapeute. Même dans la description de l'hospitalisation, Santé Magazine emploie des termes qui révèlent cette prise en compte du patient : « on lui propose de prendre ses repas en commun [...] en offrant des menus variés », la sonde gastrique qui n'est utilisée qu'en dernier recours est qualifiée de « forcing alimentaire », l'hôpital étant conçu comme « un nouvel espace dont l'anorexique a besoin pour se `restaurer' ». L'article suivant712(*) confirme que la relation entre la patiente et le médecin n'est plus basée sur l'autorité et la supériorité mais sur l'égalité. Ainsi, Santé Magazine écrit que qu' « aujourd'hui, les médecins semblent s'accorder à dire qu'ils ne faut pas user de la force : elle ne fait que renforcer l'anorexique dans ses positions ». Cet abandon de l'autorité laisse place à l'impuissance : « même le médecin ne peut imposer la vérité médicale, il doit donner à l'anorexique les connaissances suffisantes pour assurer sa propre surveillance ». Dans cet article, c'est l'impuissance du corps médical qui est mise en valeur dont les compétences professionnelles ne suffisent pas à guérir les anorexiques. Il doit se limiter à « donner les armes, les connaissances » qui permettront à l'adolescente de comprendre qu'elle est malade, une démarche qui suppose « beaucoup de temps, d'écoute et de patience ». La représentation de la prise en charge dans les discours de Santé Magazine est similaire à ce que la plupart des spécialistes recommandent aujourd'hui en terme de thérapie pour l'anorexie. Pour le magazine, le traitement thérapeutique se base donc sur une relation de coopération dans laquelle la patience et l'écoute sont primordiales. C'est pourquoi, aucun discours n'évoque les stratégies de résistance de l'anorexique qui « n'est pas un opposant, mais dans le refus d'une maladie puisqu'il ne la voit pas »713(*).

d) Les parents, des alliés thérapeutiques à ne pas négliger

La figure des parents est présente dès les premiers articles de Santé Magazine mais là aussi une évolution est perceptible. En effet, dans les années quatre vingt, la mère d'une patiente est pointée du doigt car elle a refusé que sa fille ne suive une psychothérapie pourtant indispensable à sa guérison714(*). Dans un autre article, le magazine affirme que la guérison dépend « du changement d'attitude [des] parents »715(*). Les parents représentent donc un handicap pour la guérison. Toutefois, dans les articles suivants publiés dans les années 90, ces propos accusateurs disparaissent. Au début, le magazine écrit juste que la prise en charge est vécue par les parents, « en particulier la mère » comme une « situation douloureuse »716(*). Il faut préciser que dans les deux articles qui suivent les parents n'occupent aucun rôle dans la prise en charge. Nous pouvons mettre en rapport ce silence avec la thérapie proposée par Santé Magazine. En effet, il est difficile d'être favorable à l'isolement et en même temps de considérer les parents comme des alliés thérapeutiques. Cependant, le journal résout cette « tension » en 1997, date à laquelle le rôle des parents est explicitement présenté comme « énorme dans la guérison ». il précise que la séparation familiale ne signifie pas le désinvestissement des parents avec lesquels « toutes les décisions sont prises ». Outre leur participation à la démarche thérapeutique, les discours insistent sur l'aide à apporter aux parents. Santé Magazine sous-titre par exemple : « il faut aider aussi les parents »717(*) et répète donc le corps de l'article qu' « il est important de les aider ». Ils ne doivent pas « culpabiliser » mais « lutter ensemble contre cette maladie ». Pour les aider, « des entretiens avec des psychothérapeutes » mais aussi « des rencontres avec d'autres parents sont proposés régulièrement ». Afin de mettre en valeur les difficultés auxquelles sont confrontées les familles, il donne la parole aux parents d'une malade qui racontent leur « enfer ». Un expert renchérit : « en plus de se sentir coupables, les parents souffrent de cette séparation ». Cet article peut sembler original puisqu'il recommande la séparation familiale comme mode de prise en charge tout en insistant sur le rôle des parents dans la thérapie de leur enfant. En réalité, il révèle que la séparation familiale telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui est bien loin de l'isolement, un mode de prise en charge qui excluait totalement les parents. Cet article fait figure de rupture, les parents sont désormais considérés comme des alliés thérapeutiques et « il est essentiel de [les] associer [...] à la thérapie, à travers des `entretiens familiaux', pour les rassurer et les déculpabiliser »718(*). Dans le dernier article de notre corpus, le magazine sous-titre « soutenir le jeune et sa famille » ce qui met bien en évidence la nécessité d'accompagner les parents. De plus, la « psychothérapie familiale » y est présentée comme faisant partie intégrante de la prise en charge alors qu'en réalité elle n'est pas indispensable. Cela révèle que le magazine y est favorable, elle doit permettre d'aider les parents « souvent désespérés ». Nous pouvons donc dire que les discours de Santé Magazine ne sont le reflet de l'évolution de la place des parents dans la prise en charge de l'anorexie au cours du XXème siècle.

Pour Santé Magazine, le rôle des parents ne se limite pas seulement à la participation active à la démarche thérapeutique. A plusieurs reprises le magazine interpelle les parents qui doivent surveiller leur enfant, le conduire chez le médecin si besoin il y a. Des conseils sont formulés tels que : « dans l'absolu, il faut savoir qu'une adolescente qui commence à perdre plusieurs kilos rapidement est à surveiller. La solution la plus sage consiste à la montrer à un généraliste »719(*). Si l'interpellation n'est pas directe, c'est pourtant bien aux parents que le magazine s'adresse. Il adopte également une posture préventive en décrivant

Dans plusieurs articles, le système énonciatif est modifié suggérant un « dialogue » avec les parents. Par exemple, Santé magazine fournit des recommandations : « si vous avez du mal à dialoguer avec votre enfant, surtout ne baissez pas les bras »720(*), ou « si vous parents, avez l'impression que votre fille mange de moins en moins ou devient obsédée par la minceur et les calories [...] il est important de ne pas négliger ce qui ressemble fort à l'un des signes d'alerte »721(*). Il revient donc aux parents de faire attention afin de déceler un éventuel signe de l'anorexie. Dans cette perspective, Santé Magazine informe les parents des symptômes de l'anorexie et adopte une démarche didactique. Ainsi, nous trouvons des encarts intitulés : L'avis médical, retenez bien ceci qui explique comment repérer les signes de l'anorexie mentale722(*) ou encore « les signes que les parents doivent apprendre à détecter », « retenez bien ceci [...] il est relativement simple de constater les signes d'anorexie »723(*), « Comment détecter chez un ado les premiers signes au plus vite »724(*), « parents soyez attentifs si... »725(*)... La démarche de prévention vise uniquement à informer les parents afin qu'ils soient capables de repérer éventuellement le trouble de leur enfant.

e) Une guérison de plus en plus certaine

Le thème de la guérison est sans doute celui qui permet de mesurer le mieux l'évolution des discours du magazine, une évolution qui reflète les progrès thérapeutiques. En effet, comme nous l'avons évoqué la guérison est présentée au milieu des années 80 comme une incertitude. Peu à peu, cette incertitude va laisser place à l'affirmation et les propos du magazine se font plus optimistes : « On peut en guérir » nous dit Santé Magazine faisant ainsi écho à la question posée dans les années 80, à une période où la maladie était encore mal connue. Nous avons également remarqué que les pronostics concernant la guérison évoluaient. Dans les années 80 ce sont seulement un tiers des anorexiques qui « évoluent favorablement » ce qui « signifie que l'aménorrhée disparaît, les conduites alimentaires se normalisent et l'insertion sociale réapparaît de manière favorable », un tiers qui « présente une amélioration incomplète » et le dernier tiers qui peut « évoluer soit vers la chronicité avec risque de mort, soit vers la dissociation psychotique schizophrénique ». Dans les articles publiés en 1988 et en 1991, la répartition reste identique cependant, le magazine ne se montre pas pour autant pessimiste. Il affirme que « malgré ce sombre tableau, il faut savoir que l'anorexie mentale est une maladie parfaitement guérissable si elle est prise à temps »726(*), que « surtout on peut en guérir »727(*). En 1996, « on considère que 70 à 80% des anorexiques `guérissent' » néanmoins « des troubles psychologiques persistent souvent » mais le magazine indique que « des aides existent. Il ne faut pas attendre pour consulter »728(*). Enfin, en 1997, Santé Magazine ne mentionne plus que les « deux tiers des anorexiques » qui sont rétablies sur le plan physique même si chez certaines « on retrouve des séquelles, des difficultés psychologiques [...] d'où l'importance de poursuivre une psychothérapie »729(*). Nous pouvons noter que non seulement les chiffres ont évolué mais aussi que le magazine ne mentionne plus la part d'anorexiques qui ne guérit pas, ce que nous pouvons interpréter comme une volonté de se montrer optimiste par rapport à l'évolution de la maladie. A ce titre, nous avons remarqué que peu de discours nous fournissent le taux de mortalité de l'anorexie : en 1996, ce sont 5% qui en meurent et en 2001 « 10% en meurent, à ce qu'il paraît »730(*).

Enfin, la guérison est longue et « nécessite plusieurs années »731(*) c'est pourquoi Santé Magazine répète à plusieurs reprises que les parents « doivent donc s'armer de patience et de persévérance »732(*), il « faut beaucoup de patience et de compréhension »733(*) aux anorexiques. Les différents éléments que nous avons mentionnés nous permettent de dire que les parents sont non seulement des alliés indispensables pour la guérison de leur enfant mais qu'ils doivent aussi prévenir la maladie en apprenant à en détecter les symptômes.

Les discours de Santé Magazine se rangent indiscutablement du côté du corps médical et tous les éléments que l'analyse des articles de presse nous a révélés sont le reflet des évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexique au cours du XXème siècle. Le magazine insiste sans surprise sur la nécessité d'une prise en charge nutritionnelle et psychique de la malade. Dans les années 80, c'est l'isolement qui est privilégié comme modalité de traitement, puis il est progressivement abandonné pour laisser la place à la séparation familiale. En 2003, un expert condamne définitivement cette pratique, une condamnation qui symbolise le rejet de cette thérapie par le corps médical. La séparation familiale disparaît elle aussi des discours du magazine. Les relations entre l'anorexique et les médecins témoignent eux aussi de l'évolution qui s'est fait jour dans la seconde moitié du XXème siècle. La fermeté du médecin laisse place à une relation de collaboration sur un pied d'égalité. Enfin, les parents, qui étaient pointés du doigt dans les premiers discours sont progressivement considérés comme des alliés thérapeutiques indispensables qui doivent néanmoins bénéficier d'une prise en charge.

Dans ce dernier volet de notre analyse, nous avons montré que le clivage subsistait entre d'un côté la presse magazine de santé, de l'autre la presse quotidienne en ce qui concerne la précision des discours. Comme Santé Magazine, tous les quotidiens affirment la nécessité d'allier une prise en charge nutritionnelle à une prise en charge psychologique de façon plus ou moins détaillée, c'est le seul élément qui fasse consensus. En ce qui concerne le traitement thérapeutique privilégié nous pouvons distinguer ceux qui se prononcent sur le mode du refus de ceux qui optent pour une prise en charge précise. Ainsi, La Croix rejette l'isolement et la séparation familiale et L'Humanité dénonce également l'isolement. La position de Le Monde par rapport à l'isolement est ambiguë mais il affirme qu'il n'y a pas de traitement simple et univoque. Le Figaro délègue la parole à un expert qui nous parle de la séparation familiale tandis que Libération se contente de présenter l'anorexique comme refusant les soins.

Les évolutions qui ont marqué les relations entre le corps médical et les patientes anorexiques ne sont évoquées dans aucun des quotidiens. La Croix n'y fait aucune allusion, Le Figaro et Libération nous racontent l'histoire d'anorexiques qui refusent d'être hospitalisées tandis que L'Humanité et Le Monde nous décrivent les stratégies de résistance des patientes face au corps médical. Ces éléments ne figurent souvent que dans un seul et même article, ce qui ne permet pas de déceler une évolution sur notre période d'étude. A l'inverse, les discours de Santé Magazine sont le reflet des évolutions qui ont affecté la prise en charge de l'anorexie au XXème siècle, il y a donc adéquation avec les discours médicaux.

Santé Magazine et La Croix insiste sur la prise en charge des parents qui sont également considérés comme des alliés thérapeutiques, une position qui est aussi celle de Le Monde si nous faisons abstraction du cas particulier que représente l'histoire de Séverine. Par contre, L'Humanité et Le Figaro ne font aucune allusion à la prise en charge des parents. Enfin, nous avons mentionné l'ambiguïté de la position de Libération.

La question de la guérison de l'anorexie ne fait pas non plus l'unanimité : La Croix se veut optimiste alors que Libération et L'Humanité envisagent plutôt les aspects négatifs notamment le risque de mortalité ; Le Monde suggère implicitement qu'une guérison complète est possible et Le Figaro laisse croire à une guérison d'un degré variable selon les cas. Les discours de Santé Magazine soulignent quant à eux l'amélioration du pronostic de guérison de l'anorexie.

Enfin, la prévention est absente des discours de Le Monde et du Figaro tandis qu'elle revêt des formes atypiques dans les discours de L'Humanité et de Libération : pour l'un il suffit d'arrêter de lire la presse magazine, pour l'autre c'est aux destinateurs de prendre en charge la prévention. Enfin, en ce qui concerne Santé Magazine nous avons souligné la démarche préventive qu'il adoptait, une prévention essentiellement destinée aux parents.

CONCLUSION

L'objectif de ce travail était de comparer les représentations de l'anorexie véhiculées par la presse d'information générale et par la presse magazine de santé afin de mettre au jour des similitudes et/ou des divergences dans le traitement médiatique dont cette pathologie fait l'objet. Notre première hypothèse était que la presse magazine de santé valorise un idéal de minceur et véhicule des normes corporelles, ce qui la place dans une posture différente de la presse quotidienne. Nous pensions que cette différence induirait des divergences dans la représentation de l'anorexie notamment en ce qui concerne le facteur déclencheur de la maladie. Nos analyses nous permettent en partie de confirmer cette hypothèse : il y a bien un clivage entre la représentation de l'anorexie mentale que véhicule la presse magazine et celle que véhicule la presse d'information générale, que nous avons souligné dans chaque volet de notre étude. Les discours de la presse magazine de santé se calquent sur les discours médicaux pour nous fournir une représentation de l'anorexie précise tandis que la plupart des quotidiens n'abordent pas vraiment la maladie et tiennent parfois des propos erronés. Cependant, il nous faut nuancer cette conclusion puisque nous avons relevé des clivages au sein même de la presse quotidienne. Les discours de La Croix par exemple sont souvent similaires à ceux de Santé Magazine, ceux de Le Monde font preuve d'une certaine rigueur. Ce sont essentiellement les articles publiés par Le Figaro, Libération et L'Humanité qui présentent des erreurs, des imprécisions quant à la représentation de la maladie qu'ils véhiculent. En ce qui concerne le facteur déclencheur de la maladie, le clivage ne s'établit pas entre la presse magazine de santé et la presse quotidienne. En effet, si Santé Magazine rejette le facteur socioculturel comme facteur déclencheur de l'anorexie, cette position est aussi celle de La Croix et leur position s'appuient sur des discours d'experts. Nous pouvons souligner que le type de presse influence bien les représentations véhiculées puisque les discours de Santé Magazine sont les seuls à être si précis et à fournir une information de type médicale, ce qui en soi n'est pas étonnant. Le magazine remplit bien le rôle qui lui est dévolu : informer et prévenir. De même, l'absence ou la faiblesse des données médicales dans les discours de presse d'information générale est à imputer à leur position : leur mission est essentiellement d'informer des événements politiques, économiques et sociaux. Même si un quotidien comme Le Monde dispose d'une rubrique Médecine, les sujets médicaux ne relèvent pas de leurs compétences. En outre, nous avons souligné que Le Figaro mais aussi Libération assimilaient l'anorexie à une maladie complexe ce qui peut également expliquer leur « silence » sur la maladie.

Notre deuxième hypothèse concernait l'évolution des termes employés pour désigner l'anorexique qui serait passée du statut de responsable de sa maladie à la position de victime. Nos analyses ne permettent pas de confirmer qu'au début de la période l'anorexique était considérée comme responsable de sa maladie par contre plusieurs quotidiens la qualifient explicitement de victime. Libération considère que les anorexiques sont victimes de l'idéologie de la minceur et Santé Magazine déclare également que les anorexiques sont des victimes. Les autres discours de presse suggèrent également que l'anorexique est une victime en évoquant les conséquences physiques de la maladie et souvent le risque de mort.

Enfin notre dernière hypothèse était liée à l'évolution des rôles attribués aux parents, aux professionnels de santé et à la sphère politique. Seuls les discours de La Croix et Santé Magazine permettent de confirmer qu'il y a bien eu un déplacement de la figure des parents et de celle des médecins entre la fin des années 80 et aujourd'hui. Les parents sont passés du statut de destinateur de la maladie à celui d'alliés thérapeutiques, c'est-à-dire d'adjuvants dans la guérison de leur fille. Cette évolution reflète les modifications qui ont affecté la prise en charge de l'anorexie. De même, le rôle du corps médical a évolué comme nous l'ont révélé les discours de presse ou plus exactement les rapports entre soignants et patiente. La collaboration et la confiance se sont substituées aux rapports de force et d'autorité, une évolution dans les discours qui ne fait que refléter ce qui s'est réellement joué dans la sphère médicale.

La représentation de l'anorexie n'a donc pas réellement évolué au cours de notre période d'étude excepté en ce qui concerne les rôles attribués aux parents et aux médecins. De plus, il faut souligner que ces représentations ont été particulièrement influencées par les représentations du XIXème siècle et que la plupart des idées évoquées dans les discours avaient déjà été émises au siècle précédent.

Afin d'affiner nos analyses, il aurait été intéressant d'utiliser également des discours de la presse magazine féminine comme Elle, Marie-Claire... Cependant, nous avons mentionné les raisons pour lesquelles nous n'avons pas pu inclure dans notre corpus ce type de magazine. Nous aurions pu également procéder à une analyse synchronique d'un événement afin de voir si les similitudes et les divergences que nous avons pointées se confirmaient.

Enfin, nous avons souligné l'écart entre le discours médical qui considère l'anorexie comme un problème de santé publique et le traitement médiatique dont fait l'objet cette pathologie dans la presse. Un écart qui nous permet de dire comme le souligne E. Neveu qu' « il n'existe pas de lien mécanique entre l'importance « objective » d'un fait social et sa percée en tant que problème ». Il s'interroge sur la question de la médiatisation et pose les questions suivantes : « pourquoi certains problèmes réussissent-ils mieux que d'autres ? Comment expliquer les différences de médiatisation et d'accès à l'espace public ? Pourquoi les distorsions observables entre la façon dont un problème donne lieu (ou non) à un débat public et à une action publique (ou pas)... la seconde pouvant être déconnectée de la première et réciproquement ? »734(*). En ce qui concerne la question de l'anorexie comme « problème public », les analyses auxquelles nous avons procédées nous permettent d'apporter quelques éléments de réponse : nous pensons pouvoir dire que contrairement à d'autres faits scientifiques telles que l'ESB ou les OGM, l'anorexie n'a pas suscité une médiatisation particulière parce qu'elle concerne qu'un nombre limité de personnes et n'a pas un impact direct sur la société. En effet, les OGM par exemple posent des questions de sécurité alimentaire qui peuvent potentiellement affecter l'ensemble de la société tandis que l'anorexie mentale de l'adolescente ne peut pas s'étendre au-delà d'un cercle bien limité. Ensuite nous pouvons dire qu'il y a une légère distorsion entre le « débat public » dont fait l'objet l'anorexie et l'action publique. En effet, nous pouvons considérer que toutes les émissions télévisées participent d'un débat public sur l'anorexie alors qu'elle ne fait pas encore ou peu l'objet d'action publique.

Nous pouvons avancer une autre raison qui pourrait expliquer l'absence de médiatisation de l'anorexie : certains événements ou faits scientifiques sont étroitement liés à la sphère politique. Par exemple, l'affaire du sang contaminé qui relève bien de la sphère médicale, est devenue un scandale parce que liée à la sphère politique. Cette remarque n'est pas spécifique aux faits scientifiques, tout événement qui se trouve avoir un lien avec la sphère politique fait l'objet d'une médiatisation importante. Or, l'anorexie est un problème de santé publique mais reste l'objet de la sphère médicale et n'a a priori pas de liens particuliers avec la sphère politique, ce qui peut-être également l'une des raisons de l'absence de médiatisation, de la non-existence de l'anorexie comme problème public. D'ailleurs nous avons noté que dans plusieurs discours de presse que B. Chirac présentait sa notoriété comme un handicap pour sa lutte contre la maladie de sa fille, ce qui illustre bien l'absence de lien entre anorexie et sphère politique. De plus, si Patrick Poivre d'Arvor et Bernadette Chirac sont bien des personnes issues de la sphère politico-journalistique, lorsque leurs propos sont rapportés par les quotidiens, ce n'est pas en tant qu'acteur politique mais en tant que parents au même titre que n'importe quel parent d'adolescente anorexique. Enfin nous avons pu remarquer la spécificité des experts convoqués. Outre le clivage entre les quotidiens qui recourent souvent aux experts et ceux dont les récits donnent peu la parole à un tiers ; les experts sont presque exclusivement des experts scientifiques. Aucun acteur institutionnel ou politique ne participe à l'élaboration du récit, ce qui indique bien que l'anorexie n'est pas encore un problème public dont se seraient saisis les hommes politiques.

La transformation d'un fait social en problème public nécessite « un travail de construction symbolique du problème »735(*) auquel participent les discours de presse, un travail qui reste encore à faire afin que cette pathologie grave devienne un problème public.

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TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE 3

INTRODUCTION 4

PREMIERE PARTIE 10

I. DU MOYEN ÂGE AU XVIIIÈME SIÈCLE : DES PRATIQUES « ANOREXIQUES » FORTEMENT LIÉES À LA RELIGION 10

A. Une société sous l'emprise de la religion 10

1. Des pratiques médicales peu évoluées 11

a) L'inexistence de la médecine comme science pendant la période médiévale 11

b) Quelques progrès à partir de la Renaissance 11

2. La représentation du corps féminin dans la peinture 12

a) La femme : une tentatrice et une pécheresse 12

b) La femme séductrice et belle 14

3. L'évolution des canons de beauté du Moyen Âge au XVIIIème siècle 14

a) De la minceur à l'embonpoint 15

b) Une beauté qui s'entretient 15

B. La littérature théologique atteste de comportements « anorexiques » 16

1. Au 9ème siècle, Friderada von Treuchtlingen 16

2. Au XVIIème siècle, une adolescente anglaise jeûne 17

3. La première description clinique de l'anorexie par Richard Morton 18

C. Le cas particulier de l'anorexie sainte 20

1. Une conduite anorexique qui relève de l'élection divine 20

a) Une enfance banale 20

b) L'adolescence : le moment de l'engagement dans la religion 21

c) Un dévouement sans limite au Christ 22

2. Le jugement de la société civile et des autorités ecclésiastiques 23

a) La suspicion de l'Eglise 23

b) La sanction des autorités religieuses 24

c) Le déclin de l'anorexie sainte 24

3. Les points communs avec une jeune fille anorexique aujourd'hui 25

II. LE XIXÈME SIÈCLE : QUAND L'ANOREXIE DEVIENT UNE ENTITÉ CLINIQUE 27

A. Le contexte artistique et médical de l'apparition de l'anorexie 27

1. L'essor de la médecine comme science 27

a) Les grandes découvertes 27

b) Le siècle des maladies mentales 28

2. Les représentations du corps féminin dans l'art 29

a) Les courants principaux du XIXème siècle 29

b) La femme dans les tableaux de Jean-Auguste Dominique Ingres 30

B. Les pères « fondateurs » de l'anorexie 31

1. Charles Lasègue : fondateur d'une conception psychique de l'anorexie 32

a) Quelques éléments biographiques 32

b) Une description de l'anorexie en trois phases 33

c) Le traitement thérapeutique est « occulté » 35

2. William Gull : le fondateur d'une conception organiciste de l'anorexie 37

a) Une description évolutive de la maladie 37

b) Le conflit entre W. Gull/ C. Lasègue 38

C. Les tentatives thérapeutiques de la fin du XIXème siècle : des tentatives pas toujours fructueuses 39

1. Une multitude d'hypothèses et de traitements thérapeutiques 40

a) De nombreux termes pour désigner une seule pathologie 40

b) Quelques exemples de traitements thérapeutiques 41

2. Jean-Martin Charcot, l'initiateur de l'isolement 42

a) Un tableau clinique de l'anorexie 42

b) L'isolement dans un établissement hydrothérapique 43

3. Avec S. Freud, de nouvelles hypothèses étiologiques 46

a) Une tentative de guérison par l'hypnose 46

b) L'anorexie : un trouble dû à des problèmes inconscients 46

c) L'anorexie : une forme de mélancolie ? 47

DEUXIEME PARTIE 51

I. QUI EST ANOREXIQUE ? 51

A. Une définition médica le de l'anorexie et les caractéristiques des anorexiques 52

1. L'anorexie, une maladie grave qui touche principalement des filles 52

a) La définition médicale de l'anorexie 52

b) L'anorexie : un problème de santé publique dont se seraient saisis les médias 54

c) Une prévalence de l'anorexie mentale dans la population féminine 55

2. Une répartition géographique et socioculturelle qui évolue 56

a) Les pays développés et industrialisés sont les plus touchés 56

b) Une maladie qui s'étend à tous les milieux sociaux 57

3. Les caractéristiques mentales des jeunes filles anorexiques 57

B. L'anorexique, un actant sujet dans les discours médiatiques 58

1. La Croix : l'anorexie est une maladie grave 59

a) Un dossier spécial consacré à l'anorexie 59

b) L'anorexie, une maladie « très grave » 60

c) L'anorexie, une maladie de l'adolescence 62

d) Les caractéristiques mentales des anorexiques 62

e) Les aspects spécifiques 63

f) Le passage de la sphère privée à la sphère publique 63

2. Le Monde : l'anorexie est une maladie grave qu'il faut distinguer de la petite anorexie 64

a) L'anorexie, une préoccupation du journal depuis les années 80 64

b) L'anorexie, une maladie grave qui traduit un refus de la féminité 65

c) Une pathologie qui affecte filles et garçons 66

d) L'anorexique, une jeune fille brillante 66

3. Le Figaro : l'anorexie est une maladie grave mais peu abordée 67

a) Un traitement médiatique quasi inexistant 67

b) L'anorexie, une maladie grave 67

c) Un actant sujet essentiellement féminin 69

3. L'Humanité : l'anorexie une maladie qui touche les femmes et les hommes 70

a) L'anorexie, une maladie qui apparaît au printemps 71

b) L'actant sujet, une femme ou un homme 72

c) Clara, le portrait d'une anorexique 73

4. Libération : l'anorexie est une maladie dont le journal parle très peu 74

a) Un traitement quasi inexistant du sujet 74

b) L'anorexie est une maladie 75

c) L'anorexique n'est pas toujours une adolescente 77

6) Santé Magazine : une approche médicale de l'anorexie 78

a) Un traitement médiatique rigoureux et précis 78

b) Le recours à une terminologie médicale 79

II. LES DIFFÉRENTS FACTEURS DÉCLENCHEURS DE L'ANOREXIE MENTALE 86

A. Les hypothèses médicales sur l'étiologie de l'anorexie 86

1. Récapitulatif des différentes hypothèses médicales émises depuis le début du XXème siècle 87

a) Pierre Janet et la clinique psychologique 87

b) De 1914 à 1937, l'ère endocrinienne de l'anorexie 87

c) La naissance de la conception psychanalytique dans les années soixante-dix 88

2. Des facteurs individuels à l'origine de l'anorexie 89

a) L'anorexie ou l'expression d'une problématique narcissique 89

b) Les hypothèses d'une origine génétique de la maladie 90

3. Des facteurs environnementaux à ne pas négliger 90

a) La famille, un milieu pathogène ? 90

b) L'influence du facteur socioculturel, un facteur controversé 92

B. Le destinateur de l'actant sujet dans les discours de presse 94

1. La Croix rejette l'hypothèse d'une famille comme milieu pathogène 95

a) L'anorexie, une maladie mystérieuse 95

b) Le facteur génétique de l'anorexie, une fausse piste 96

c) Le rejet du facteur socioculturel 96

d) Le facteur familial, un destinateur qui s'efface 97

2. Le Monde oscille entre la famille comme milieu pathogène et un facteur psychologique de l'anorexie 99

a) Un facteur familial suggéré à plusieurs reprises 99

b) Un facteur psychologique 100

3. Le Figaro : entre le facteur socioculturel et le facteur psychologique 101

a) Les facteurs génétique et organique : deux destinateurs écartés 101

b) Le facteur socioculturel : un destinateur ambiguë 103

c) Le facteur familial : un destinateur implicite 103

d) Un facteur psychologique incertain 104

4. L'Humanité : des facteurs socioculturel, individuel et environnemental 104

a) Les médias, destinateur de l'anorexie 104

b) L'anorexie résulte aussi de facteurs psychologique et environnemental 106

5. Libération : le culte de la minceur est le facteur déclencheur de l'anorexie mentale 108

a) L''hypothèse d'un facteur socioculturel est privilégiée 108

b) La famille est également accusée de déclencher la maladie 110

c) Le facteur psychologique, un facteur éventuel de l'anorexie 112

6. Santé Magazine : la figure du destinateur, une figure qui évolue 112

a) La famille passe du rôle de destinateur à celui d'adjuvant 113

b) Une nouvelle définition du « facteur socioculturel » 114

c) L'hypothèse d'une origine psychologique 115

III. LES PRATIQUES ANOREXIQUES OU COMMENT L'ANOREXIQUE DEVIENT ANOREXIQUE 117

A. Les pratiques anorexiques : une élaboration progressive 118

1. Le commencement et le maintien de l'engagement 118

a) Les différentes modalités de commencement 118

b) La « prise en main » 119

c) Le « maintien de l'engagement » 120

2. Quand l'anorexique devient anorexique ou l'étiquetage de la déviance 121

a) L'apparition des anti-sujets 121

b) Des pratiques qui deviennent plus discrètes 122

3. Les conséquences de ces pratiques sur la malade et son entourage 123

a) Les conséquences physiologiques 123

b) Les conséquences psychiques 125

c) L'impact sur la famille 126

B. La performance de l'anorexique dans les discours de presse 127

1. La Croix : des discours qui s'organisent autour de la figure de la victime 127

a) Une performance quasi absente 127

b) Une large place accordée aux victimes 129

2. Le Monde : une performance peu détaillée 130

a) Quelques indices quant aux pratiques anorexiques 130

b) Une volonté sans faille 131

c) Les conséquences physiques de l'anorexie 132

d) Des parents qui culpabilisent 133

3. Le Figaro n'évoque pas directement la performance de l'anorexique 133

a) Un discours délégué à un expert 133

b) La figure des victimes, une figure assez floue 134

4. L'Humanité : entre le discours propre et le témoignage de Clara 135

a) Un premier mode de commencement : le régime 135

b) Le témoignage de Clara, une illustration des pratiques anorexiques 136

c) Des complications à la fois physiologiques et psychiques 137

5. Libération : la performance de l'anorexique, une performance insensée 138

a) Internet, un adjuvant de l'anorexique 138

b) Un seul indice : la restriction alimentaire 139

c) Le déni de l'actant sujet peut l'entraîner vers la mort 140

d) L'actant sujet est victime de sa propre performance 140

6. Santé Magazine : un discours sur la performance similaire au discours médical 141

a) Le commencement de l'anorexie, le plus souvent un régime 141

b) Les phases de prise en main et de maintien de l'engagement 142

c) Des anti-sujets implicites qui finissent par disparaître 143

d) Le mécanisme de déni : l'actant-sujet n'est pas conscient de sa maladie 144

e) L'anorexie, une maladie qui entraîne « un cortège de pathologies associées » 145

IV. LA PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE DE L'ANOREXIE : UNE ÉTAPE VERS LA GUÉRISON 147

A. Les enjeux de la démarche thérapeutique 148

1. Les différentes modalités de prises en charge 148

a) L'isolement, un mode de traitement qui fait débat 149

b) L'hospitalisation et la prise en charge en ambulatoire : des thérapies pluridisciplinaires 150

c) La guérison : une étape longue et difficile 152

2. Les enjeux relationnels 153

a) De bons rapports entre patiente et soignant : une condition nécessaire à la guérison 153

b) La nécessité d'associer les parents à la prise en charge thérapeutique 154

3. La prévention, une démarche indispensable 155

a) La formation des médecins 155

b) L'information des parents 156

c) La sensibilisation des adolescentes 156

B. La phase de la sanction dans les discours de presse 157

1. La Croix refuse l'isolement thérapeutique et accorde une place privilégiée aux parents 157

a) L'isolement, une pratique refusée 157

b) Des parents témoignent : l'isolement est une « épreuve » 160

c) L'hospitalisation, une question importante même dans la rubrique Littérature 162

d) La guérison et la prévention 162

2. Le Monde : des propos qui semblent contradictoires 163

a) Des parents exclus de la prise en charge 164

b) Des relations conflictuelles entre patiente et soignant 164

c) La nécessité d'une prise en charge impliquant les parents 165

d) Un manque de structures pour prendre en charge les anorexiques 166

3. Le Figaro : la prise en charge de l'anorexie, une étape peu détaillée 167

a) Une seule modalité de prise en charge : la séparation familiale 167

b) L'anorexie, une maladie difficile à soigner 167

c) Un nouvel « allié » : les médicaments 168

d) La guérison et les pronostics de l'anorexie 169

4. L'Humanité : une prise en charge qui s'écarte du schéma classique 170

a) Les médias comme anti-sujets 170

b) Une prise en charge volontaire 171

c) L'isolement, un mode de prise en charge rejeté 171

d) Une guérison possible ? 172

e) La prévention : un seul conseil, ne pas lire les magazines 173

5. Libération : la prise en charge occultée 174

a) L'anorexique comme anti-sujet 174

b) La guérison semble peu probable 176

c) Les destinateurs doivent prendre en charge la prévention 177

6. Santé Magazine : une description de la prise en charge qui reflète les évolutions qui ont marqué le traitement thérapeutique de l'anorexie 178

a) L'importance accordée à la phase de la sanction 178

b) La prise en charge de l'anorexie, un parcours en plusieurs étapes 179

c) L'anorexique face aux médecins 181

d) Les parents, des alliés thérapeutiques à ne pas négliger 182

e) Une guérison de plus en plus certaine 184

CONCLUSION 189

BIBLIOGRAPHIE 190

TABLE DES MATIERES 196

ARNOULT Audrey 2005-2006

POCO 4ème année

ANNEXES

Le traitement médiatique de l'anorexie, entre presse d'information générale et presse magazine de santé


* 1 RIGAUD, Daniel, Anorexie, boulimie et compulsions - Les troubles du comportement alimentaire, Editions Marabout 2003, p. 47.

* 2 Larousse médical, Paris, 2003, p. 70.

* 3 VINCENT, Thierry, La jeune fille et la mort : soigner les anorexies graves, Toulouse, Editions Arcanes, Collection « Les Cahiers d'Arcanes », 2000, p. 16.

* 4 VIGARELLO, Georges, « De la `médecine du peuple' aux magazines de santé », Esprit, « Quelle culture défendre ? », mars-avril 2002, p. 224.

* 5 GREIMAS, Algirdas Julien, Du sens II, Paris, Editions du Seuil, 1983, p. 49.

* 6 Nous mettons entre guillemets le terme « anorexique » et « anorexie » puisque le terme n'existait pas encore à cette époque.

* 7 CHASTEL, Claude, Une petite histoire de la médecine, Paris, Editions Ellipses, Collection « L'esprit des Sciences », 2004, p. 18.

* 8 HALIOUA, Bruno, Histoire de la médecine, Paris, Editions Masson, 2001, p. 78.

* 9 CHASTEL, [2004], p. 26.

* 10 JANAS, Henry Edouard, Aspects historiques et évolutifs de la notion d'anorexie mentale et de ses stratégies thérapeutiques - revue de la littérature et analyse, thèse présentée à l'Université Claude Bernard - Lyon 1 et soutenue publiquement le 22 décembre 1994 pour obtenir le grade de Docteur en médecine, p. 32.

* 11 Nous entendons ici par représentations essentiellement les photos dans la presse magazine, les publicités à la télé...

* 12 A cette époque la représentation relève principalement de la peinture et de la sculpture, nous restreindrons notre étude à la peinture, art le plus développé.

* 13 DUBY, Georges et PERROT, Michelle, Histoire des femmes en Occident, Tome 2 : Le Moyen Âge, Paris, Editions Perrin, Collection « Tempus », 2002, p. 422.

* 14 Idem, p. 441.

* 15 DUBY et PERROT, [2002], p. 465.

* 16 Idem, p. 461.

* 17 Idem, p. 489-490.

* 18 Le néo-classicisme est un mouvement né au milieu du XVIIIème siècle.

* 19 CREPALDI, Gabriele, L'art au XIXème siècle, Paris, Editions Hazan, 2005, p. 8.

* 20 HOURTICQ, Louis, La peinture française au XVIIIème siècle, Paris, 1939, p. 59.

* 21 Idem, p. 59.

* 22 Idem, p. 68.

* 23 DUBY, Georges et PERROT, Michelle, Histoire des femmes en Occident, Tome 3 : XVIème - XVIIIème siècle, Paris, Editions Perrin, Collection « Tempus », 2002, p. 76.

* 24 Idem, p. 78.

* 25 Idem, p. 79.

* 26 Idem, p. 80.

* 27 Idem, p. 80.

* 28 Le blanc était associé à la pureté et à la chasteté.

* 29 Idem, p. 85.

* 30 Idem, p. 85.

* 31 GUILLEMOT, Anne et LAXENAIRE, Michel, Anorexie mentale et boulimie, le poids de la culture, Paris, Editions Masson, Collection « Médecine et Psychothérapie », 1997, p. 40.

* 32 JANAS, [1994], p. 10.

* 33 JANAS, [1994], p. 11.

* 34 Cet épisode est relaté par Habermas T. dans Friderada : a case of miraculous fasting, [1986] cité par JANAS, [1994], p. 10-11.

* 35 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 3.

* 36 Il est rapporté par Silverman en 1986, GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 4.

* 37 JANAS, [1994], p. 10.

* 38 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 4.

* 39 JANAS, [1994], p. 25.

* 40 Idem, p. 25.

* 41 Idem, p. 26.

* 42 MORTON cité par JANAS, [1994], p. 26.

* 43 JANAS, [1994], p. 26.

* 44 Le Petit Larousse Compact, Editions Larousse, [1993], p. 222.

* 45 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 6.

* 46 JANAS, [1994], p. 20.

* 47 Nous entendons ici par littérature scientifique l'ensemble des livres écrits par les médecins. La médecine étant encore peu développée, il n'existe pas de revues scientifiques.

* 48 JANAS, [1994], p. 12.

* 49 Nous verrons dans la deuxième partie que la perte d'appétit est à nuancer

* 50 BELL, Rudolph, L'anorexie sainte - Jeûne et mysticisme du Moyen Âge à nos jours, Paris, Editions Presses Universitaires de France, Collection « Le Fil Rouge », 1994, p. XI.

* 51 Idem, p. IX.

* 52 Le Petit Larousse Compact, [1993], p. 96.

* 53 BELL, [1994], p. 36.

* 54 Idem, p. 36.

* 55 BELL, [1994, p. 45.

* 56 RAIMBAULT, Ginette et ELIACHEFF, Caroline, Les indomptables - figures de l'anorexie, Paris, Editions Odile Jacob, 1989, p. 243

* 57 Idem, p. 242.

* 58 BELL, [1994], p. 63.

* 59 Idem, p. 36.

* 60 CAPOUE (DE) cité par BELL, [1994], p. 37.

* 61 CAPOUE (DE) cité par BELL, [1994], p. 37.

* 62 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 250.

* 63 BELL, [1994], p. 33.

* 64 Idem, p. 20.

* 65 CAPOUE (DE), Raymond, Legenda, p. 413. cité par BELL, [1994], p. 37.

* 66 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 245.

* 67 Luc 10, 7 cité par BELL, [1994], p. 38.

* 68 Idem, p. 244.

* 69 BELL, [1994]. p. 252.

* 70 Idem, p. 38.

* 71 Idem, p. 42.

* 72 Idem, p. 41.

* 73 Le Petit Larousse Compact, [1993], p. 697.

* 74 Idem, p. 528.

* 75 BONDUELLE, Michel ; GELFAND, Toby ; GOETZ, Christopher, Charcot un grand médecin dans son siècle, Paris, Editions Michalon, 1996, p. 182.

* 76 THUILLIER, Jacques, Histoire de l'art, Paris, Editions Flammarion, 2002, p. 449.

* 77 Cela signifie qui sort des eaux«

* 78 Le miroir est un symbole de la beauté et de la séduction

* 79 CREPALDI, Gabriele, L'art au XIXème siècle, Paris, Editions Hazan, 2005, p. 247.

* 80 Il fut portraitiste de la haute société.

* 81 CREPALDI, [205], p. 247.

* 82 BALZAC cité par GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 48.

* 83 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 33.

* 84 JANAS, [1994], p. 47.

* 85 Idem, p. 52.

* 86 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 14.

* 87 Idem, p. 15.

* 88 Idem, p. 17.

* 89 Idem, p. 17.

* 90 BONDUELLE, GELFAND, GOETZ, [1996], p. 153.

* 91 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 20.

* 92 LASEGUE cité par JANAS, [1994], p. 59.

* 93 LASEGUE cité par JANAS, [1994], p. 59.

* 94 Idem, p. 60.

* 95 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 8.

* 96 LASEGUE cité par RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 26.

* 97 Idem, p. 62.

* 98 LASEGUE cité par RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 30.

* 99 JANAS, [1994], p. 61.

* 100 LASEGUE cité par JANAS, [1994], p. 62.

* 101 GULL cité par JANAS, [1994], p. 53.

* 102 Idem, p. 53.

* 103 Idem, p. 65.

* 104 Idem, p. 65.

* 105 JANAS, [1994], p. 89.

* 106 Idem, p. 92.

* 107 Peut-être s'agit-il du Lancet mais nous ne disposons pas du titre de cette revue.

* 108 GULL cité par JANAS, [1994], p. 67.

* 109 JANAS, [1994], p. 63.

* 110 HUCHARD cité par JANAS, [1994], p. 76.

* 111 DENIAU cité par JANAS, [1994], p. 77.

* 112 JANAS, [1994], p. 77.

* 113 Idem, p. 77.

* 114 Idem, p. 102.

* 115 Idem, p. 103.

* 116 Idem, p. 77.

* 117 JANAS, [1994], p. 95.

* 118 Idem, p. 96.

* 119 BABIN, Pierre, Sigmund Freud - un tragique à l'âge de la science, Editions Gallimard, Collection « Découvertes Gallimard », 1990, p. 38.

* 120 Idem, p. 218.

* 121 JANAS, [1994], p. 78.

* 122 JANAS, [1994], p. 104.

* 123 JANAS, [1994], p. 39.

* 124 JANAS, [1994], p. 87.

* 125 CHARCOT cité par JANAS, [1994], p. 79.

* 126 JANAS, [1994], p. 87.

* 127 CHARCOT cité par RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 20.

* 128 Idem, p. 81.

* 129 CHARCOT cité par JANAS, [1994], p. 81.

* 130 Idem, p. 84.

* 131 JANAS, [1994], p. 84.

* 132 BONDUELLE, GELFAND, GOEZ, [1996], p. 225.

* 133 JANAS, [1994], p. 87.

* 134 Idem, p. 86.

* 135 CHARTIER, Jean-Pierre, Introduction à la pensée freudienne, Paris, Editions Payot et Rivages, Collection « Petite Bibliothèque Payot », 2001, p. 20.

* 136 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 33.

* 137 FREUD, Sigmund et BREUER, Joseph, Etudes sur l'hystérie, Paris, Editions Presses Universitaires de France, Bibliothèque de Psychanalyse dirigée par Jean Laplanche, 1956, p. 64.

* 138 FREUD cité par JANAS, [1994], p. 102.

* 139 FREUD et BREUER, [1956], p. 75.

* 140 CHARTIER, [2001], p. 32.

* 141 FREUD cité par JANAS, [1994], p. 103.

* 142 JANAS, [1994], p. 106.

* 143 Il faut distinguer le symptôme qui est la manifestation d'un trouble, du syndrome qui est l'affection en elle-même. L'anorexie mentale est un syndrome dont l'un des symptômes est l'anorexie.

* 144 DSM = Diagnostical and Statistical Manual of Mental Disorders. C'est une classification psychiatrique américaine. Le DSM I date de 1952, le DSM II de 1968, le DSM III de 1980, le DSM III-R (revised) de 1987 et la version la plus récente, le DSM IV de 1994.

* 145 CHABROL, Henri, L'anorexie et la boulimie de l'adolescence, Paris, Editions Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1991, p. 8.

* 146 ALVIN, Patrick, Anorexies et boulimies à l'adolescence, Paris, Doin Editeurs, Collection « Conduites », 2001, p. 13.

* 147 ALVIN, Patrick, revue Soins, « Anorexie mentale et boulimie nerveuse à l'adolescence », p 33-36 dans le dossier Les troubles du comportement alimentaire, p. 31-52, revue Soins n°694, avril 2005.

* 148 JEAMMET, Philippe, Anorexie, boulimie, les paradoxes de l'adolescence, Paris, Editions Hachette Littératures, 2004, p. 11.

* 149 CHABROL, [1991], p. 5.

* 150 MAÎTRE cité par TONNAC (DE), Jean-Philippe, Anorexia, une enquête sur l'expérience de la faim, Paris, Editions Albin Michel, 2005, p. 144.

* 151 TONNAC, [2005], p. 96.

* 152 GODART cité par VINCENT, Thierry, L'anorexie, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, p. 327.

* 153 BOURDEUX, Christian, « Les troubles des conduites alimentaires », dans la revue Soins Psychiatrie, n°227, juillet/août 2003, p. 17.

* 154 TONNAC, [2005], p. 335.

* 155 VINCENT, [2000], p. 30.

* 156 BONNAFOUS, Simone, « La médiatisation de la question immigrée : état des recherches » dans Etudes de Communication, La médiatisation des problèmes publics, n°22, 1999, p. 60.

* 157 ALVIN, [2005], p. 36.

* 158 TRABACCHI, Ghislaine, Dossier « Les troubles du comportement alimentaire » dans la revue Soins, n°694, avril 2005, p. 31.

* 159 TONNAC, [2005], quatrième de couverture.

* 160 CHAMBRY, Jean ; CORCOS, Maurice ; GUBAUD, Olivier ; JEAMMET, Philippe, « L'anorexie mentale masculine : réalités et perspectives », dans Annales de Médecine Interne, Vol 153 - N° SUP 3 - Mai 2002

* 161 TONNAC, [2005], p. 20.

* 162 TINAT, Karine, « L'anorexie et la féminité à Mexico : des représentations du corps à l'influence des facteurs socioculturels », colloque Sciences, Médias et Société, 15-17 juin 2004, Lyon, ENS-LSH, http://sciences-medias.ens-lsh.fr/article.php3 ?id_article=69.

* 163 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 31.

* 164 Idem, p. 32.

* 165 Idem, p. 33.

* 166 Selon les auteurs, l'anorexie mentale n'apparaîtrait que dans les pays ayant un certain de niveau de développement économique et dans les couches les plus aisées des pays en voie de développement.

* 167 TRABACCHI, Ghislaine, Dossier « Les troubles du comportement alimentaire », revue Soins n°694, avril 2005, p. 31.

* 168 Nous entendons ici par « risque », la probabilité de devenir anorexique.

* 169 RIGAUD, Daniel, Dossier « Les troubles du comportement alimentaire », Caractéristiques mentales des malades atteints de TCA, dans la revue Soins, n°694, avril 2005, p. 39.

* 170 PERILLAT, Audrey, Mémoire de psychologie, Les dimensions narcissiques et identitaires dans l'anorexie mentale, 2004, p. 20.

* 171 RIGAUD, [2005], p. 40.

* 172 ALVIN, [2005], p. 36.

* 173 La Croix, « Dossier. Anorexie. Les anorexiques doivent-elles être séparées de leur famille ? Le rôle des parents », 18 janvier 2005, p. 13. ; « Face à des anorexiques graves, certains services spécialisés ont parfois recours à des hospitalisations avec séparation familiale, une pratique qui fait débat », 18 janvier 2005, p. 13. ; « Une maladie qui reste mystérieuse. L'anorexie mentale est liée à des facteurs d'ordre génétique, social, familial, psychologique et environnemental », 18 janvier 2005, p. 14. ; « Pour comprendre et faire face à l'anorexie », 18 janvier 2005, p. 15.

* 174 La Croix, « `L'anorexie est une maladie sérieuse' », 27 septembre 1997, p. 28. ; « Mieux comprendre l'anorexie et l'anxiété », 14 mai 1999, p. 11. ; « `Je suis anorexique mais tout va très bien' », 30 septembre 2003, p. 6. ; 18 janvier 2005, p. 13. ; 18 janvier 2005, p. 14. ; « `Il faut croire dans les ressources de son enfant' », 18 janvier 2005, p. 15.

* 175 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14. 

* 176 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28. ; 18 janvier 2005, p. 13. ; 18 janvier 2005, p. 14. 

* 177 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6. 

* 178 La Croix, Ces femmes qui veulent à tout prix dominer leur corps. Anorexies religieuses, anorexie mentale, 4 mars 2000, p. 14.

* 179 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28. 

* 180 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 181 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 182 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 183 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 184 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 185 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 186 La Croix, 16 novembre 2004.

* 187 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 188 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 189 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 190 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 191 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 192 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28. ; 18 janvier 2005, p. 13.

* 193 La Croix, 14 mai 1999, p. 11.

* 194 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 195 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 196 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 197 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 198 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 199 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 200 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 201 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 202 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 203 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 204 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 205 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 206 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 207 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 208 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 209 Il y a trois articles pour lesquels nous ne connaissons pas la rubrique.

* 210 Le Monde, Le contrat de poids, 22 mars 1989, p. 20.

* 211 Le Monde, La tragédie bouffe, 22 mars 1989, p. 20.

* 212 Idem.

* 213 Le Monde, Danse avec la mort. Sa mère avait reporté sur elle ses rêves de danseuse étoile. Séverine, douze ans, a failli en mourir, 25 juillet 1992, p. 9. ; L'une des filles de Patrick Poivre d'Arvor, Solenn, atteinte d'anorexie mentale, s'est suicidée, 31 janvier 1995, p. 21. ; Le combat personnel de Bernadette Chirac contre l'anorexie, 17 avril 2000, p. 7. ; Sociologues et nutritionnistes s'inquiètent de la dictature de la minceur - Quatre parcours conduisant vers la petite anorexie, 22 novembre 2003, p. 26.

* 214 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9. ; Venir en aide aux jeunes anorexiques et à leur famille, 2 avril 1998, p. 30.

* 215 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 216 Le Monde, Maux d'adolescents plonge dans la nouvelle structure de soins dirigée par Marcel Rufo, 25 avril 2005, p. 12.

* 217 Le Monde, 22 novembre 2003, p. 26.

* 218 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9. 

* 219 Le Monde, 17 avril 2000, p. 7.

* 220 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 221 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9. 

* 222 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 223 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 224 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9. 

* 225 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9. 

* 226 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 227 Le Monde, `Une volonté de fille de fer', 4 février 1994, p. 3. ; 2 avril 1998, p. 30.

* 228 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30. ; 25 avril 2005, p. 12.

* 229 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30. 

* 230 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9. 

* 231 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 232 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30. 

* 233 Le Figaro, Congrès de la psychiatrie biologique à Nice ; boulimie et anorexie sous l'influence de la sérotonine, 25 juin 1997 ; Un colloque à Londres sur les désordres alimentaires ; les batailles de l'anorexie, 25 avril 1997.

* 234 Le Figaro, France 2 ; `Savoir plus santé', 1er juin 2000 ; Bernadette Chirac évoque la maladie de sa fille, 6 décembre 2004.

* 235 Le Figaro, 1er juin 2000.

* 236 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 237 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 238 Le Figaro, France 2 ; `Mourir de faim', 27 mai 2000.

* 239 Le Figaro, 1er juin 2000 ;

* 240 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 241 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 242 Le Figaro, 25 juin 1997 ; 6 décembre 2004.

* 243 Le Figaro, Face à la progression de l'anorexie, de l'obésité et de la dépression, Xavier Darcos lance aujourd'hui une série de mesures destinées à renforcer la médecine scolaire, 26 février 2003.

* 244 Le Figaro, 27 mai 2000.

* 245 Le Figaro, Jacqueline Kelen : `L'anorexie n'est pas une maladie', 1er novembre 2002.

* 246 Le Figaro, XIVème Arr - Enfermées dans la misère, l'isolement, le chagrin et la folie ; deux soeurs au bout de la faim, 21 novembre 1998.

* 247 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 248 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 249 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 250 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 251 Le Figaro, 26 février 2003.

* 252 ALVIN, [2001], p. 30.

* 253 Idem.

* 254 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 255 L'Humanité, Suicide de l'une des filles de Patrick Poivre d'Arvor, 30 janvier 1995 ; Clara une jeune anorexique reprend goût à la vie, 27 juin 2000 ; La chronique de Clémence Autain la rentrée des glaces, 7 septembre 2000.

* 256 L'Humanité, 27 juin 2000. 

* 257 L'Humanité, brève, 18 février 1994.

* 258 Idem.

* 259 L'Humanité, Le poids de l'argent, 27 mai 1994.

* 260 L'Humanité, Attention à l'anorexie, 7 avril 1993.

* 261 L'Humanité, 30 janvier 1995.

* 262 L'Humanité, Régimes : la chair est triste, 1er avril 1999.

* 263 L'Humanité, 7 avril 1993.

* 264 L'Humanité, 1er avril 1999.

* 265 L'Humanité, 7 septembre 2000.

* 266 L'Humanité, 7 avril 1993.

* 267 L'Humanité, 7 avril 1993 ; 7 septembre 2000.

* 268 L'Humanité, 27 mai 1994.

* 269 L'Humanité, 30 janvier 1995 ; 1er avril 1999.

* 270 L'Humanité, 1er avril 1999.

* 271 L'Humanité, 27 mai 1994.

* 272 L'Humanité, 30 janvier 1995.

* 273 L'Humanité, 27 juin 2000.

* 274 L'Humanité, 7 avril 1993. 

* 275 L'Humanité, 1er avril 1999.

* 276 L'Humanité, 7 septembre 2000.

* 277 Idem.

* 278 Le Petit Larousse Compact, [1993], p. 443.

* 279 L'Humanité, 27 juin 2000.

* 280 Libération, « Une histoire. Miss Anorexie America», 23 mars 2000, p. 12.

* 281 Libération, « `Depuis les années 60, la France est lipophobe' ; Jean-Pierre Corbeau, sociologue, sur le rapport des femmes au gras, », 5 novembre 2003, p. 31.

* 282 Libération ; « 5 à 13% des adolescents atteints », 3 février 2005, p. 27. ; « A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p. 27. ; « Tourments sans faim ; psychanalyse », 3 février 2005, p. 10.

* 283 Libération, « A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p. 27. 

* 284 Libération, « Tourments sans faim ; psychanalyse », 3 février 2005, p. 10.

* 285 Libération, 23 mars 2000, p. 12.

* 286 Libération, « Les fans de l'anorexie servent leur soupe sur le Web », 20 août 2001, p. 15.

* 287 Libération, 20 août 2001, p. 15. ; « 5 à 13% des adolescents atteints », 3 février 2005, p. 27.

* 288 Libération, « A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p. 27. 

* 289 Libération, 3 février 2005, p. 10-11.

* 290 Libération, 20 août 2001, p. 15.

* 291 Libération, 5 novembre 2003, p. 31.

* 292 Libération, « Tourments sans faim ; psychanalyse », 3 février 2005, p. 10.

* 293 Libération, « Jean-Philippe de Tonnac. Anorexia. Enquête sur l'expérience de la faim ; psychanalyse. Vient de paraître », 3 février 2005, p. 10.

* 294 Libération , 20 août 2001, p. 15.

* 295 Libération, 5 à 13% des adolescents atteints, 3 février 2005, p. 27. 

* 296 Libération, 5 à 13% des adolescents atteints, 3 février 2005, p. 27. 

* 297 Libération, 5 novembre 2003, p. 31.

* 298 Libération, 5 novembre 2003, p. 31.

* 299 Libération, 8 mai 2000, p. 30.

* 300 Libération, 9 avril 2002, p. 42.

* 301 Libération, « A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques », 3 février 2005, p. 27. 

* 302 Libération, 23 mars 2000, p. 12.

* 303 Libération, 5 novembre 2003, p. 31.

* 304 Santé Magazine, « Peut-on guérir de l'anorexie mentale ? », n°112, avril 1985, p. 42-44.

* 305 Santé Magazine, « Anorexie, la haine de l'assiette », n°152, août 1988, p. 54-55.

* 306 La manipulation, la performance et la sanction.

* 307 Santé Magazine, avril 1985, p. 42-44. ; août 1988, p. 54-55.

* 308 Santé Magazine, « L'anorexie des jeunes filles », n°182, février 1991, p. 54-55. 

* 309 Santé Magazine, « Portrait d'anorexique », n° 244, avril 1996, p. 70-72. ; « Anorexique, il faut l'aider ! », n° 263, novembre 1997, p. 64-65.

* 310 Santé Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55. 

* 311 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72.

* 312 Santé Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55. ; n°244, avril 1996, p. 70-72. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65. ; « Anorexie : le drame alimentaire », n° 311, novembre 2001, p. 100-105. ; « De plus en plus d'enfants anorexiques », n° 336, décembre 2003, p. 92. ; « Anorexie, les garçons en souffrent aussi », n° 360, décembre 2005, p. 140-142.

* 313 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 314 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72.

* 315 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72.

* 316 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. 

* 317 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55.

* 318 Santé Magazine, n° 244, avril 1996, p. 70-72. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 319 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 320 Santé Magazine, n° 311, novembre 2001, p. 100-105. 

* 321 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72. 

* 322 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 323 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55.

* 324 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 325 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55.

* 326 Santé Magazine, n°336, décembre 2003, p. 92.

* 327 Santé Magazine, n°360, décembre 2005, p. 140-142.

* 328 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. 

* 329 Santé Magazine, n° 244, avril 1996, p. 70-72. ; n° 336, décembre 2003, p. 92.

* 330 Santé Magazine, n° 311, novembre 2001, p. 100-105. 

* 331 Santé Magazine, n° 244, avril 1996, p. 70-72.

* 332 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72.

* 333 Santé Magazine, n°360, décembre 2005, p. 140-142.

* 334 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 335 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 336 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. 

* 337 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 338 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 339 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. ;

* 340 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. 

* 341 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72. 

* 342 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. ; Anorexie, boulimie, pourquoi ?, n°238, octobre 1995, p. 108-109. ; n°244, avril 1996, p. 70-72. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65. ; n°311, novembre 2001, p. 100-105.

* 343 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. ; n°244, avril 1996, p. 70-72. 

* 344 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72. ; n°238, octobre 1995, p. 108-109. ; n°263, novembre 1997, p. 64-65. 

* 345 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. ; n°238, octobre 1995, p. 108-109.

* 346 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. 

* 347 Santé Magazine, n° 182, février 1991, p. 54-55. 

* 348 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72. 

* 349 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65. 

* 350 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65. 

* 351 Par rapport aux caractéristiques mentales telles que nous les avons définies dans la première partie.

* 352 NEVEU, Erik, « L'approche constructiviste des `problèmes publics'. Un aperçu des travaux anglo-saxons », Études de Communication, n°22, « La médiatisation des problèmes publics », Lille, Université Charles-de-Gaulle - Lille 3, décembre 1999, p. 42.

* 353 GUILLEMOT et LAXENAIRE, |1997], p. 1

* 354 VINCENT, Thierry, La jeune fille et la mort : soigner les anorexies graves, Toulouse, Editions Arcanes, Collection « Les Cahiers d'Arcanes », 2000, p. 9.

* 355 ALVIN, [2005], p. 35.

* 356 Nous pouvons remarquer que cette division de la maladie ressemble fortement à celle que C. Lasègue a établie dans sa description de l'anorexie.

* 357 JANET, cité par JANAS, [1994], p. 114.

* 358 JANAS, [1994], p. 114.

* 359 RAIMBAULT et ELIACHEFF, [1989], p. 42.

* 360 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p.11.

* 361 CHABROL, [1991], p. 103.

* 362 BRUCH, Hilde, Conversations avec des anorexiques, Paris, Editions Payot, Collection « Petite Bibliothèque Payot », 1990, p. 8.

* 363 Idem, p. 9.

* 364 PERILLAT, [2004], p. 24.

* 365 Idem, p. 24.

* 366 RIGAUD, [2003], p. 161.

* 367 « Origine génétique de la boulimie et l'anorexie », revue Vigie Médecine-Pharmacie, www. vigies.com

* 368 JEAMMET, [2004], p. 46.

* 369 GODART, Nathalie ; PERDEREAU, Fabienne ; FLAMENT, Martine et JEAMMET, Philippe, « La famille des patients souffrant d'anorexie mentale ou de boulimie » dans Revue de la littérature des données cliniques et implications thérapeutiques, Paris, Editions Masson, vol. 153, n°6, octobre 2002, www.masson.fr.

* 370 VINCENT, La jeune fille et la mort : soigner les anorexies graves, Toulouse, Editions Arcanes, Collection « Les Cahiers d'Arcanes », 2000, p. 155.

* 371 ALVIN, [2005], p. 36.

* 372 PERILLAT, [2004], p. 37.

* 373 COMBE, Colette, Soigner l'anorexie, Paris, Editions Dunod, 2002, p. 34.

* 374 BRUSSET, cité par PERILLAT, [2004], p. 49.

* 375 TINAT, [2004].

* 376 Des études ont montré que depuis une cinquantaine d'années les mensurations des mannequins diminuent.

* 377 RAIMBAULT et ELIACHEFF, [1989], p. 57.

* 378 DARMON, [2003], p. 72.

* 379 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 52.

* 380 Idem, p. 2.

* 381 Idem, p. 103.

* 382 BYNUM cité par TONNAC, [2005], p. 105.

* 383 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 73.

* 384 CHABROL, [1991], p. 76.

* 385 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 386 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 387 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 388 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 389 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 390 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 391 Il est psychiatre de l'enfant et du jeune adulte à l'Institut mutualiste Montsouris à Paris

* 392 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 393 Elle est médecin thérapeute au groupe d'études françaises sur l'anorexie et la boulimie (Gefab)

* 394 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 395 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 396 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 397 Le Dr Renaud de Tournemire, pédiatre dans le service de médecine des adolescents de l'hôpital Bicêtre

* 398 Le Dr Patrick Alvin, responsable du service de médecine des adolescents de l'hôpital Bicêtre

* 399 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 400 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 401 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 402 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 403 Le professeur Venisse

* 404 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 405 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 406 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 407 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 408 Le Monde, Le contrat de poids, 22 mars 1989, p. 20.

* 409 Le Monde, La tragédie bouffe, 22 mars 1989, p. 20.

* 410 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9.

* 411 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 412 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 413 Le Monde, 22 novembre 2003, p. 26.

* 414 Le Figaro, 27 mai 2000.

* 415 Le Figaro, 1er juin 2002.

* 416 Le Petit Larousse Compact, [1993], p. 572.

* 417 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 418 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 419 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 420 Le Petit Larousse Compact, [2003], p. 383.

* 421 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 422 L'Humanité, 7 avril 1993.

* 423 Idem.

* 424 L'Humanité, 1er avril 1999.

* 425 Idem.

* 426 Idem.

* 427 L'Humanité, 7 septembre 2000.

* 428 Idem.

* 429 L'Humanité, 1er avril 1999.

* 430 L'Humanité, 7 septembre 2000.

* 431 L'Humanité, 27 juin 2000.

* 432 SARFATI, Georges-Elia, Eléments d'analyse du discours, Paris, Editions Nathan, Collection 128, 1997, p. 44.

* 433 Libération, 23 mars 2000, p. 12.

* 434 Libération, 20 août 2001, p. 15.

* 435 Libération, 9 avril 2002, p. 42.

* 436 Libération, 5 novembre 2003, p. 31.

* 437 Libération, 3 février 2005, p. 10-11.

* 438 Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27. 

* 439 Libération, 3 février 2005, p. 10-11.

* 440 Libération, 3 février 2005, p. 10-11.

* 441 Santé Magazine, n°112, avril 1985, p. 42-44.

* 442 Santé Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55.

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* 450 Santé Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55.

* 451 Santé Magazine, n°238, octobre 1995, p. 108-109.

* 452 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-71.

* 453 Santé Magazine, n263, novembre 1997, p. 64-65.

* 454 Santé Magazine, n°336, décembre 2003, p. 92.

* 455 RIGAUD, [2003], p. 21.

* 456 GROUPE D'ENTREVERNES, Analyse sémiotique des textes, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1979, p. 16.

* 457 Idem, p. 21.

* 458 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72.

* 459 Elle s'appuie elle-même sur H. Becker et E. Goffman

* 460 DARMON, Muriel, Devenir anorexique, une approche sociologique, Paris, Editions La Découverte - textes à l'appui / laboratoire des sciences sociales, 2003, p. 87.

* 461 Idem, p. 108.

* 462 CHABROL, Henri, L'anorexie et la boulimie de l'adolescente, Paris, Editions Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 1991, p. 12.

* 463 DARMON, [2003], p. 124. et p. 130.

* 464 Idem, p. 112.

* 465 Idem, p. 121.

* 466 Idem, p. 122.

* 467 Idem, p. 121.

* 468 Idem, p. 124.

* 469 Idem, p. 131.

* 470 Nous empruntons ce terme à M. Darmon.

* 471 Idem, p. 133.

* 472 BRUCH citée par GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 66.

* 473 RIGAUD, Daniel, Anorexie, boulimie et compulsions - Les troubles du comportement alimentaire, Paris, Editions Marabout, 2003, p. 32.

* 474 DARMON, [2003], p. 143.

* 475 Idem, p. 143.

* 476 Idem, p. 154.

* 477 Idem, p. 156.

* 478 Idem, p. 165.

* 479 Idem, p. 166.

* 480 PERILLAT, Audrey, Les dimensions narcissiques et identitaires dans l'anorexie mentale, mémoire de fin d'études de psychologie, Ecole de psychologues praticiens, Lyon, 2004, p. 19.

* 481 DARMON, [2003], p. 95.

* 482 Idem, p. 174.

* 483 Nous employons le terme « guérir » car les anti-sujets en l'empêchant de continuer à maigrir, lui permettent d'échapper à la mort.

* 484 DARMON, [2003], p. 178.

* 485 La maigreur peut être stigmatisée mais aussi certaines pratiques.

* 486 DARMON, [2003], p. 179.

* 487 Idem, p. 185.

* 488 Idem, p. 186.

* 489 Idem, p. 210.

* 490 Idem, p. 210.

* 491 HORNBACHER citée par TONNAC, [2005], p. 32.

* 492 ALVIN, Patrick, Anorexies et boulimies à l'adolescence, Paris, Editions Doin, Collection « Conduites », 2001, p. 35-36.

* 493 Médicalement, on estime qu'il y a dénutrition quand l'indice de masse corporelle (IMC) est < 18,5kg/m2. En dessous de 14, le pronostic vital est en jeu.

* 494 JEAMMET, [2004], p. 16.

* 495 RIGAUD, Daniel, Anorexie, boulimie et compulsions - Les troubles du comportement alimentaire, Paris, Editions Marabout, 2003, p. 170.

* 496 Idem, p. 171.

* 497 Idem, p. 172.

* 498 Des témoignages d'anorexiques mais aussi de parents nous ont révélé que cette comparaison était fréquente.

* 499 VINCENT, Thierry, L'anorexie, Paris, Editions Odile Jacob, 2000, p. 167.

* 500 JEAMMET, Philippe, Anorexie et boulimie, les paradoxes de l'adolescence, Paris, Editions Hachette Littératures, 2004, p. 170.

* 501 RIGAUD, [2003], p. 190-196.

* 502 Idem, p. 133.

* 503 JEAMMET, [2004], p. 81.

* 504 Idem, p. 83.

* 505 RIGAUD, [2003], p. 116.

* 506 RIGAUD, [2003], p. 117.

* 507 GORDON cité par TONNAC, [2005].

* 508 DARMON, [2003], p. 18.

* 509 La Croix, 18 janvier 2005, p. 14.

* 510 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 511 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 512 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 513 Idem.

* 514 Idem.

* 515 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 516 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 517 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 518 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 519 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9.

* 520 Nous avons déjà évoque cet article dans lequel Séverine, douze ans, devient anorexique suite aux exigences maternelles et la pratique de la danse classique.

* 521 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 522 Idem.

* 523 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 524 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 525 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 526 Le Monde, 25 avril 2005, p. 12.

* 527 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 528 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 529 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 530 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 531 Le Monde, 25 avril 2005, p. 12.

* 532 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 533 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 534 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 535 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9.

* 536 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9.

* 537 Le Monde, 25 avril 2005, p. 12.

* 538 Le Monde, 25 juillet 1992, p. 9.

* 539 Le Monde, 4 février 1994, p. 3.

* 540 Le Monde, 25 avril 2005, p. 12.

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* 543 Le Figaro, 25 avril 1997.

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* 548 L'Humanité, 7 avril 1993.

* 549L'Humanité, 7 septembre 2000.

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* 568 Santé Magazine, n°112, avril 1985, p. 42-44.

* 569 Santé Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55.

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* 577 Idem.

* 578 Idem.

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* 604 GROUPE D'ENTREVERNES, [1979], p. 49.

* 605 GODART, Nathalie ; PERDEREAU Fabienne ; AGMAN Gilles et JEAMMET Philippe, Dossier sur « Les troubles du comportement alimentaire », [La prise en charge thérapeutique, ambulatoire et hospitalière des TCA] dans la revue Soins, n°694, avril 2005, p. 42.

* 606 Idem, p. 44.

* 607 RIGAUD, Dossier sur « Les troubles du comportement alimentaire », [Pour ou contre l'isolement thérapeutique ?] dans la revue Soins, n°694, avril 2005, p. 41.

* 608 RIGAUD, [2003], p. 215.

* 609 VINCENT, [2000], p. 36.

* 610 RIGAUD, [2003], p. 215.

* 611 GODART, PERDEREAU, AGMAN et JEAMMET, [2005], p. 43.

* 612 Idem, p. 44.

* 613 ALVIN, [2001], p. 80.

* 614 GODART, PERDEREAU, AGMAN et JEAMMET, [2005], p. 42.

* 615 Idem, p. 42.

* 616 TOURNEMIRE (DE), Renaud ; ENNIL, Amina ; AUTRET, Dominique ; HARAT, Omar, Dossier sur « Les troubles du comportement alimentaire », [Nutrition assistée chez l'adolescente anorexique] dans la revue Soins, n°694, avril 2005, p. 46.

* 617 BRUCH, [1990], p. 11.

* 618 Idem, p. 229.

* 619 Idem, p. 230.

* 620 TAESCH, Caroline, « Anorexie et boulimie, expérience d'un groupe de parole » dans la revue Soins psychiatrie, n°230, janvier/février 2004, p. 44.

* 621 MOREL, Séverine ; GUYOMARCH, Sarah ; SATORI, Nadine, « Anorexie mentale et approche cognitivo-comportementaliste » dans la revue Soins psychiatrie, n°22, juillet/août 2003, p. 24-2.

* 622 ALVIN, [2001], p. 105.

* 623 CHABROL, [1991], p. 119.

* 624 RIGAUD, [2003], p. 260.

* 625 Idem, p. 260.

* 626 RIGAUD, [2003], p. 215.

* 627 JEAMMET, [2004], p. 173.

* 628 RIGAUD, [2003], p. 272.

* 629 JEAMMET, [2004], p. 174.

* 630 JEAMMET, [2004], p. 175.

* 631 VINCENT, [2000], p. 84.

* 632 TONNAC, [2005], p. 212.

* 633 RAIMBAULT et ELIACHEFF, [1989], p. 44.

* 634 ALVIN, [2001], p. 79.

* 635 DARMON, [2003], p. 318.

* 636 ALVIN, [2001], p. 86.

* 637 GODART, PERDEREAU, AGMAN, et JEAMMET, [2005], p. 43.

* 638 GODART, Nathalie ; PERDEREAU, Fabienne ; FLAMENT, Martine ; JEAMMET, Philippe, « La famille des patients souffrant d'anorexie mentale ou de boulimie » dans la revue de la Littérature des données cliniques et implications thérapeutiques, Paris, Editions Masson, vol. n°153, n°6, octobre 2002, www.masson.fr

* 639 PENNACHIO, Hélène, « Peut-on prévenir les troubles du comportement alimentaire ? » dans la revue Soins, n°694, avril 2005, p.51.

* 640 Idem, p. 51.

* 641 Idem, p. 51.

* 642 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 643 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 644 La Croix, 18 janvier 2005, p. 13.

* 645 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 646 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 647 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 648 La Croix, 14 mai 1999, p. 11.

* 649 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 650 La Croix, 30 septembre 2003, p. 6.

* 651 La Croix, 27 septembre 1997, p. 28.

* 652 La Croix, 18 janvier 2005, p. 15.

* 653 Le Monde, Le contrat de poids, 22 mars 1989, p. 20.

* 654 Le Monde, La tragédie bouffe, 22 mars 1989, p. 20.

* 655 Le Monde, 2 avril 1998, p. 30.

* 656 Le Monde, 17 avril 2000, p. 7.

* 657 Le Figaro, 25 avril 1997.

* 658 Le Figaro, 27 mai 2000.

* 659 Le Figaro, 1er juin 2002.

* 660 Le Figaro, 26 février 2003.

* 661 Le Figaro, 28 février 2003.

* 662 Le Figaro, 21 novembre 1998.

* 663 Le Figaro, 25 juin 1997.

* 664 Le Figaro, 26 février 2003.

* 665 L'Humanité, 27 mai 1994.

* 666 L'Humanité, 7 septembre 2000.

* 667 L'Humanité, 27 juin 2000.

* 668 L'Humanité, 7 septembre 2000.

* 669 Nous parlons ici des discours propres du journal et non des discours rapportés comme le témoignage de Clara.

* 670 Clara une jeune anorexique reprend goût à la vie, 27 juin 2000.

* 671 La chronique de Clémence Autain, la rentrée des glaces, 7 septembre 2000.

* 672L'Humanité, 30 janvier 1995.

* 673 L'Humanité, 7 avril 1993.

* 674 L'Humanité, 7 avril 1993.

* 675 Nous entendons par schémas traditionnels, les trois programmes narratifs que nous avons détaillé dans le IV. A.

* 676 Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27. 

* 677 Libération, 20 août 2001, p. 15.

* 678 Libération, 28 avril 2005, p. 30.

* 679 Libération, A Berlin, le couvert est mis pour les sans-appétit ; restau. Unique en Europe, le Sehnsucht est dédié aux anorexiques, 3 février 2005, p. 27. 

* 680 Libération, 5 à 13% des adolescents atteints, 3 février 2005, p. 27.

* 681 JEAMMET, [2004], p. 170.

* 682 Idem, p. 173.

* 683 Idem, p. 170.

* 684 Libération, 23 mars 2000, p. 12.

* 685 Libération, 9 avril 2002, p. 42.

* 686 Libération, 20 août 2001, p. 15.

* 687 Santé Magazine, avril 1985, p. 42-44.

* 688 Santé Magazine, août 1988, p. 54-55.

* 689 Santé Magazine, février 1991, p. 54-55.

* 690 Santé Magazine, avril 1996, p. 70-72.

* 691 Santé Magazine, novembre 1997, p. 64-65.

* 692 Santé Magazine, décembre 2003, p. 92.

* 693 Santé Magazine, février 1991, p. 54-55.

* 694 Santé Magazine, novembre 1997, p. 64-65.

* 695 Santé Magazine, avril 1996, p. 70-72.

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* 734 NEVEU, [1999], p. 42.

* 735 NEVEU, [1999], p. 43.






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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite