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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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b) Une description de l'anorexie en trois phases

C. Lasègue jette les bases de l'anorexie dans une monographie publiée en avril 1873 : De l'anorexie hystérique dans les Archives générales de Médecine. Son objectif initial est de comprendre le fonctionnement de l'hystérie. Il adopte une méthode réductionniste c'est-à-dire qu'il divise cette affection en plusieurs parties afin de les étudier successivement, l'anorexie constituant l'une de ces parties (d'où l'appellation anorexie hystérique). Il explique que son « sentiment est qu'on ne parviendra pas à constituer l'histoire des affections hystériques qu'en étudiant isolément chacun des groupes symptomatiques. Après ce travail préalable d'analyse, on réunira les fragments et on recomposera le tout de la maladie. Envisagée dans son ensemble, l'hystérie a trop de phénomènes individuels, d'incidents hasardeux, pour qu'on arrive à en saisir le particulier dans le général »91(*). Cette citation illustre la place qu'occupait l'hystérie à cette époque comme nous l'avons évoqué précédemment. La démonstration de C. Lasègue s'appuie sur l'observation de huit cas concrets et lui permet de fournir une description relativement détaillée. Il distingue trois phases dans l'évolution de la maladie. Il parle de l'anorexie hystérique comme d'une double perversion (perversion du système nerveux central et perversion du sens moral) qui se retrouve aux différents stades de la maladie.

Au début, les patientes refusent de s'alimenter prétextant des douleurs gastriques. Voici la description que fait C. Lasègue de ce premier stade de la maladie :

« L'hystérique, après quelques indécisions de courte durée, n'hésite pas à affirmer que la seule chance de soulagement qui lui soit acquise consiste dans l'abstention des aliments [...]. La répugnance à s'alimenter suit sa marche lentement progressive [...]. Les choses se prolongent ainsi pendant des semaines et des mois, sans que la santé générale paraisse défavorablement influencée, la langue est nette et fraîche, la soif nulle. La constipation persévérante cède à de légers laxatifs, le ventre ne se rétracte pas, le sommeil reste plus ou moins régulier. Il n' y pas d'amaigrissement quoique la nourriture représente à peine le dixième du régime accoutumé de la malade [...]. Un autre fait également acquis, c'est que loin d'abattre les forces musculaires, la diminution de la nourriture tend à accroître l'aptitude au mouvement. La malade continue à se sentir plus active, plus légère, elle monte à cheval, elle entreprend de longues courses à pied, elle reçoit et rend des visites, et mène au besoin une vie mondaine fatigante, sans accuser les lassitudes dont elle se serait plainte autrefois »92(*).

Cette description appelle plusieurs remarques. La jeune fille est qualifiée d' « hystérique », ce qui montre que l'anorexie est bel et bien pensée comme une forme d'hystérie ; puis de « malade » ce qui signifie qu'elle est affectée par un trouble qu'il faut comprendre puis traiter. L' « anorexie » n'appartient plus au champ de la religion, la jeune fille passe des mains des ecclésiastiques à celles de médecins. D'autre part, les symptômes énumérés tels que le refus de s'alimenter, la restriction alimentaire ou encore l'hyperactivité (même si elle n'est pas mentionnée explicitement c'est bien cela que C. Lasègue décrit) se retrouvent à l'identique chez les jeunes filles anorexiques aujourd'hui.

La seconde phase de la maladie correspond au moment où il est possible de parler d'anorexie hystérique car la perversion mentale apparaît. En effet, la jeune fille poursuit sa restriction alimentaire alors que son état de santé est bon, son comportement est donc anormal. Voici ce que C. Lasègue écrit :

« Après plusieurs mois [...] va se dessiner la perversion morale, qui à elle seule est presque caractéristique et qui justifie le nom que j'ai proposé faute de mieux d'anorexie hystérique. La famille n'a à son service que deux méthodes qu'elle épuise toujours : prier ou menacer, et qui servent l'une et l'autre comme pierre de touche [...]. L'excès d'insistance appelle un excès de résistance »93(*).

Cette citation révèle que déjà à l'époque de C. Lasègue, le comportement de la jeune fille suscitait des réactions et plaçait la famille dans une situation délicate. Au cours de cette seconde phase de la maladie, C. Lasègue se focalise sur l'état mental de ses patientes, l'anorexie est donc déjà en partie constituée comme une maladie mentale même si le terme « anorexie mentale » n'apparaîtra que dix ans plus tard sous la plume de Charles Huchard. C. Lasègue justifie cet intérêt pour le mental, qui peut surprendre à une époque où les maladies étaient essentiellement expliquées par des causes organiques :

« Si j'attache à l'état mental une attention toute particulière, c'est que toute la maladie se résume à cette perversion intellectuelle : supprimez là vous avez une affection banale destinée à céder à la longue aux procédés classiques de traitement [...]. Pendant cette seconde période ainsi constituée : défaut d'appétition, crainte d'une sensation indéfinie, refus absolu et croissant de se prêter aux essais de l'alimentation, la maladie reste uniforme. L'obstination dure des mois, sinon des années [...]. A la fin, la tolérance de l'économie, si merveilleuse qu'elle soit chez les hystériques, s'épuise et la maladie entre dans le troisième stade »94(*).

Là aussi, la description du comportement de l'hystérique met en avant certaines caractéristiques que nous retrouvons aujourd'hui chez les adolescentes anorexiques comme l'obstination et la résistance au traitement. Nous comprenons également pourquoi C. Lasègue est considéré comme le père fondateur de l'anorexie : il a réussi à cerner le point central de cette maladie, « la perversion intellectuelle ». Cet état mental entraîne un dégoût pour la nourriture et une obstination sans faille.

Le troisième stade est celui où la patiente devient réellement malade. Ne disposant pas de précisions sur cette période de la maladie, nous pouvons supposer que par le terme « réellement malade » C. Lasègue faisait allusion aux conséquences engendrées par la restriction alimentaire.

Cette description de l'anorexie illustre les trois moments de la carrière de C. Lasègue : le premier stade est somatique, le second mental et le dernier allie les deux. Il est indéniable que la richesse et la justesse de cette monographie sont en partie dues à l'expérience de C. Lasègue dans les diverses spécialités de la médecine. Ce texte est une référence incontournable dans l'histoire de l'anorexie mentale même si certains critères de l'anorexie, que nous connaissons aujourd'hui, n'apparaissent pas encore (par exemple l'aménorrhée). A. Guillemot et M. Lacenaire pensent qu'« il semble que ce soit le premier à pouvoir répondre sans équivoque au terme d'anorexie mentale, même si le contexte socioculturel de l'époque incitait les malades comme les médecins, à s'orienter plutôt vers l'hystérie. Il existait donc de vraies anorexiques mentales à la fin du XIXème siècle, même si les psychiatres, faute de cadre nosologique actuel, ne les définissaient pas comme telles »95(*). En effet, à cette époque, le cadre nosologique était très limité puisque peu de maladies étaient connues. L'hystérie, dont les symptômes étaient très variés, était difficilement classable ou rattachable à une catégorie. La compréhension d'une maladie est donc intimement liée au contexte médical et culturel.

* 91 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 20.

* 92 LASEGUE cité par JANAS, [1994], p. 59.

* 93 LASEGUE cité par JANAS, [1994], p. 59.

* 94 Idem, p. 60.

* 95 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 8.

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