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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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2. Au XVIIème siècle, une adolescente anglaise jeûne

En 1667, Marthe Taylor, originaire du Derbyshire jeûne pendant plusieurs mois. Ce cas36(*) est resté célèbre car des médecins examinent la jeune fille sur la demande du Comte de Devonshire. Or, à cette époque, le « corps médical » ne prête que peu d'attention voire aucune à ces comportements « anorexiques ». Il est intéressant de noter que cette adolescente présente une aménorrhée, symptôme reconnu aujourd'hui comme l'un des critères de diagnostic de l'anorexie. La perte d'appétit intervient après une série d'incidents, comme dans le cas de Friderada. Paralysée des pieds suite à une chute, Marthe Taylor en retrouve progressivement l'usage mais devient dépressive. Elle éprouve des difficultés à dormir et consacre ses nuits à la lecture des Ecritures. A l'âge de 18 ans « elle vomit tout ce qu'elle mange et commence donc à restreindre ses apports alimentaires pour les arrêter complètement » 37(*).

Les ouvrages publiés de son vivant prétendent qu'elle ne mangea aucune nourriture solide pendant douze à treize mois. Nous pouvons noter que là aussi, d'autres troubles accompagnent la perte d'appétit et selon Hilde Bruch ces signes cliniques laisseraient plutôt penser à une névrose hystérique ou à une psychose qu'à une anorexie mentale38(*). Le cas de cette jeune fille illustre les évolutions qui commencent à naître : ce sont des médecins qui viennent la voir et non des religieuses, ce qui marque l'entrée progressive de l' « anorexie » dans le champ médical. Par ailleurs, la religion reste fortement présente puisque la jeune fille lit les Ecritures pendant ses nuits d'insomnie. Cette attitude peut être comparée à l'investissement scolaire dont font preuve les anorexiques aujourd'hui.

3. La première description clinique de l'anorexie par Richard Morton

Plusieurs auteurs attribuent la première description clinique détaillée de l'anorexie au médecin anglais, Richard Morton, dans son ouvrage Phtisiologia : or a treaty of consumptions (1689). Il rapporte le cas d'une de ses patientes, Miss Duke, une jeune fille de 22 ans. Il constate « une consomption du corps sans fièvre ni toux ni dyspnée s'accompagnant d'une perte de l'appétit et des fonctions digestives »39(*). R. Morton pense que cette maladie est d'origine nerveuse et résulte « d'une altération du principe vital et d'un bouleversement des forces nerveuses »40(*). Nous pouvons noter que l' « anorexie » de cette jeune fille ne s'accompagne d'aucun autre trouble et pourrait se rapprocher de l'anorexie telle que nous la connaissons aujourd'hui. La jeune fille refuse tous les traitements et meurt en quelques mois. R. Morton relate également le cas d'un jeune palefrenier âgé de 16 ans qui perd l'appétit41(*). Cette perte d'appétit serait due à des études difficiles et un investissement scolaire trop important. Suite à l'échec de différents traitements (antiscorbutiques, médecines artificielles ou naturelles), R. Morton conseille au jeune garçon de cesser les études pendant quelque temps et de s'éloigner de sa famille. Quelques mois après, il est entièrement guéri.

Confronté à un troisième cas d' « anorexie », R. Morton modifie son interprétation de la maladie et réfléchit au rôle du psychisme et des émotions. Voici un extrait de l'un de ses textes qui illustre cette évolution :

« Au mois de juillet [elle] souffrit de la suppression totale de ses règles due à une multitude de soucis et de passions occupant son esprit, mais sans aucun des symptômes qui accompagnent la chlorose. A partir de ce moment-là, son appétit commença à décliner, et sa digestion devint mauvaise ; aussi, sa chair devint de plus en plus flaccide et lâche, et son teint devint pâle [...]. Elle avait l'habitude, du fait qu'elle étudiait la nuit, et qu'elle était continuellement plongée dans ses livres, de s'exposer aux rigueurs de l'air, de jour comme de nuit [...]. Je ne me rappelle pas dans toute ma pratique pourtant considérable des êtres vivants, avoir vu une personne qui fût aussi affaiblie par un tel degré de consomption (qui la faisait ressembler à un squelette n'ayant que la peau sur les os), et cependant elle n'avait pas de fièvre, bien au contraire une froideur de tout le corps... Seul son appétit avait diminué et sa digestion était devenue difficile, avec des évanouissements qui la prenaient fréquemment »42(*).

Sans donner plus de détails, H.-E. Janas écrit que Morton est probablement le premier à évoquer « une sémiologie de l'anorexie, un diagnostic probable et des méthodes évolutives »43(*). En effet, il évoque les symptômes de sa patiente, les conséquences de son comportement et essaie d'identifier la maladie. Il la distingue de la chlorose, une maladie fréquente à l'époque qui se manifestait par une « anémie hypochrome »44(*) chez les jeunes filles. Nous pouvons souligner que certains éléments dans cette description permettent effectivement de considérer que cette jeune fille est atteinte d'anorexie mentale. En effet, le teint de sa peau, les problèmes de digestion et la froideur de son corps ne sont que les conséquences de la dénutrition et s'observent également chez les anorexiques aujourd'hui.

Nous pouvons également noter la place accordée au psychisme et aux émotions, qui seraient le facteur déclencheur de l'aménorrhée. Cette hypothèse est plutôt moderne car les explications organicistes sont encore dominantes à l'époque. L'intuition de R. Morton n'est pas totalement fausse puisque nous savons aujourd'hui que l'aménorrhée résulte de causes physiologiques et psychologiques. Les écrits de R. Morton révèlent donc l'existence de l' « anorexie » en Angleterre au XVIIIème siècle « même si elle se limitait encore à quelques cas isolés et considérés comme extraordinaires »45(*). Ces adolescentes qui jeûnent sont surnommées les « fasting girls ». Elles suscitent l'interrogation et le scepticisme des médecins. « Des débats [apparaissent] presque publics sur, par exemple, la possibilité de survivre sans s'alimenter ; il faut également préciser que la plupart des écrits de cette époque vont s'intéresser non pas à la cause du jeûne mais à sa réalisation en tant que performance »46(*). En effet, si les médecins commencent à s'intéresser à ces adolescentes et à leur jeûne ininterrompu, ce n'est pas dans l'intention de trouver un traitement mais d'évaluer leurs performances, de « faire » des expérimentations.

A partir de ces quatre exemples, nous pouvons faire plusieurs remarques. Tout d'abord, les cas rapportés concernent essentiellement des jeunes filles, ce qui permet effectivement de rapprocher ces comportements avec l'anorexie d'aujourd'hui et donc de les qualifier d'anorexiques. Du Moyen Âge au XVIIème siècle, ces récits se trouvent dans la littérature théologique puis vont peu à peu investir la littérature scientifique47(*). Ensuite, le terme d' « anorexie » n'est jamais employé pour désigner ces comportements même s'il est apparu pour la première fois dans la littérature française en 158948(*). La principale similitude avec l'anorexie réside dans la « perte d'appétit »49(*). Les descriptions sont peu détaillées et cette « perte d'appétit » s'inscrit le plus souvent dans un ensemble de symptômes. A la fin du XVIIème siècle, un tournant est amorcé avec le récit de R. Morton puisque c'est un médecin qui écrit et non un ecclésiastique. L' « anorexie » ne s'accompagne pas d'autres troubles et les conséquences de la restriction alimentaire sont évoquées pour la première fois. En ce sens, nous pouvons considérer que le cas rapporté par R. Morton annonce les descriptions que feront W. Gull et C. Lasègue au XIXème siècle.

* 36 Il est rapporté par Silverman en 1986, GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 4.

* 37 JANAS, [1994], p. 10.

* 38 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 4.

* 39 JANAS, [1994], p. 25.

* 40 Idem, p. 25.

* 41 Idem, p. 26.

* 42 MORTON cité par JANAS, [1994], p. 26.

* 43 JANAS, [1994], p. 26.

* 44 Le Petit Larousse Compact, Editions Larousse, [1993], p. 222.

* 45 GUILLEMOT et LAXENAIRE, [1997], p. 6.

* 46 JANAS, [1994], p. 20.

* 47 Nous entendons ici par littérature scientifique l'ensemble des livres écrits par les médecins. La médecine étant encore peu développée, il n'existe pas de revues scientifiques.

* 48 JANAS, [1994], p. 12.

* 49 Nous verrons dans la deuxième partie que la perte d'appétit est à nuancer

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