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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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6. Santé Magazine : la figure du destinateur, une figure qui évolue

La question de l'origine de l'anorexie est présente dans tous les articles de Santé Magazine, ce qui n'est guère étonnant. En effet, le magazine détient une mission d'information dans le domaine de la santé qui l' « oblige » à aborder cet aspect de la maladie. Cette démarche est d'autant plus nécessaire qu'il définit l'anorexie en mettant l'accent sur sa gravité et la nécessité de prévenir la maladie. En conséquent, il ne peut exclure de ses propos la question de l'origine de la maladie, démarche qui est similaire à celle de La Croix. L'étude du corpus révèle une évolution de la position du magazine assez significative. Dans les années 80, l'hypothèse d'un facteur familial domine comme l'indique la phrase suivante : « nous insistons sur la pathologie familiale fréquente qui entoure souvent l'anorexique »441(*). Même si le terme « souvent » tend à nuancer l'origine familiale de la maladie, l'auteur de l'article donne en guise d'exemple le cas d'une jeune fille dont les parents sont surprotecteurs ce qui tend à renforcer l'hypothèse d'un facteur familial. Malgré tout, l'auteur affirme ne pas vouloir « dénoncer l'attitude des parents, mais [...] les aider », ces propos contradictoires vont « contraindre » le magazine à abandonner progressivement l'idée de la famille comme destinateur de la maladie. Cependant, à la fin des années 80, l'hypothèse du facteur familial reste encore privilégiée. La maladie résulterait « de problèmes psychologiques profonds qui remontent à la petite enfance » ce qui n'est pas sans rappeler les théories psychanalytiques qui considèrent que l'anorexie a pour origine une perturbation des relations mère-enfant. L'article brosse le portrait d' « une famille candidate à l'anorexie », une expression assez révélatrice, où le père est soit absent soit autoritaire et la mère surprotectrice. Nous pouvons noter que la position de Santé Magazine est semblable à celle de La Croix dans les années 90, une position qui ne fait que refléter les hypothèses médicales en vigueur à cette époque.

a) La famille passe du rôle de destinateur à celui d'adjuvant

Santé Magazine souligne que « les causes de l'anorexie mentale sont multiples » dès le premier article du corpus. Cependant, cela ne signifie pas qu'il ne prend position. Il privilégie le facteur familial et le facteur socioculturel. L'hypothèse d'une famille comme milieu pathogène reste prépondérante pendant plusieurs années. En 1991442(*), le magazine avance que « pour la plupart des médecins [...] l'origine de cette maladie remonterait à la toute petite enfance, à l'âge où le seul lien entre la mère et l'enfant passe par la nourriture ». Au premier abord, l'emploi du conditionnel peut laisser penser que le magazine met à distance cette hypothèse. Toutefois, l'expression « pour la plupart des médecins » permet de lui conférer une certaine crédibilité. De plus, Santé Magazine délègue la parole à un expert dont les propos confirment cette hypothèse. En effet, celui-ci explique que « l'anorexie éclate sur un terrain préparé », c'est-à-dire survient chez des adolescentes « modèles », qui depuis leur enfance se conforment aux désirs de leurs parents. Cette exigence parentale rappelle les théories avancées par certains psychanalystes aujourd'hui. Dans le même article, le magazine dénonce les familles où la mère « obsédée » par l'idée de perdre du poids « suit un régime » entraînant sa fille à faire de même. Ici, le terme « obsédée » révèle la sanction que porte Santé Magazine. Afin de renforcer l'accusation, le journaliste laisse la parole à une ancienne anorexique qui explique que « les parents devraient bannir le mot `régime' [...] quand ils ont des filles adolescentes un peu trop rondes [...]. C'est cela qui donne des complexes ». Ce témoignage d'une ancienne anorexique, rapporté au discours direct, ne fait que confirmer l'hypothèse d'un facteur familial déclencheur de la maladie. Quelques années plus tard443(*), la famille est à nouveau désignée comme le destinateur de la maladie. Santé Magazine parle d' « environnement familial exigeant », de familles où « l'image du corps est sublimée ». En reprochant à leur fille d'être trop ronde, les parents déclenchent chez elle un sentiment d'imperfection qui l'incite à faire un régime. Il est intéressant de noter qu'ici ce n'est pas la société qui est responsable de l'imposition de normes corporelles mais les parents. Le sous-titre « Attention au culte du corps ! » ne renvoie pas au culte de la minceur que diffuserait la presse magazine, comme le dénonçait L'Humanité, mais à celui que les parents imposent à leur fille. Nous pouvons noter que c'est la première fois dans notre corpus que cette idée apparaît. Au premier abord, il peut sembler surprenant que le culte du corps ne renvoie pas à la société mais à la famille. En réalité, la position qu'adopte Santé Magazine s'explique facilement. En effet, présenter le culte du corps comme véhiculé par la presse magazine, conduirait le magazine à se désigner comme le destinateur. En 1996444(*), c'est encore la famille que Santé Magazine présente comme le destinateur de la maladie. Il décrit le manque d'autonomie de l'adolescente qui « fait tout pour [...] rassurer [sa mère] », « brillante à l'école, intelligente et facile ». Ses « conduites sont conformes au désir de ses parents [...] et ne préparent pas la jeune fille aux modifications de la puberté ». Une nouvelle fois, l'exigence des parents, la conformité de l'adolescente à leurs attentes et pointé par le magazine. Notons que le rôle du père est explicitement évoqué alors qu'en général c'est plutôt la mère qui fait l'objet d'accusations. Ainsi, le magazine souligne que le « rôle du père est aussi primordial : on retrouve de plus en plus de cas d'anorexie dans les familles où le père, débordé par son travail, est absent ou ne sait pas communiquer avec sa fille ». C'est ici l'absence du père qui est mise en exergue. Comme Le Monde le soulignait déjà, la figure du destinateur quand il s'agit de la famille peut se « dédoubler » et ce ne sont pas toujours les « parents » ou la mère qui prennent le visage du destinateur de l'anorexique.

A partir de 1997, la responsabilité des parents, en particulier de la mère, devient moins nette. Le magazine mentionne que « l'anorexie mentale a des origines aussi variées que les personnalités des adolescentes qui en sont victimes » même s'il existe des facteurs communs comme « la grande dépendance affective vis-à-vis de l'entourage, notamment de la mère »445(*). Cependant, cette allusion à la relation mère-fille ne signifie pas que la mère est surprotectrice, donc responsable. La figure du destinateur devient plus floue annonçant une évolution. Le basculement s'opère en 2001 lorsque Santé Magazine note que « contrairement à ce que l'on entend dire, l'anorexie ne serait pas due aux relations difficiles avec la mère » car « si une anorexique ne mange plus, ce n'est pas contre ou à cause de quelqu'un »446(*). Le comportement qu'adopte une mère vis-à-vis de sa fille anorexique n'est en réalité qu'une conséquence de la maladie et ce « n'est pas leur mode de fonctionnement initial qui fait l'anorexie ». A partir de ce moment-là, la famille passe du rôle de destinateur à celui d'adjuvant et de victime.

* 441 Santé Magazine, n°112, avril 1985, p. 42-44.

* 442 Santé Magazine, n°182, février 1991, p. 54-55.

* 443 Santé Magazine, n°238, octobre 1995, p. 108-109.

* 444 Santé Magazine, n°244, avril 1996, p. 70-72.

* 445 Santé Magazine, n°263, novembre 1997, p. 64-65.

* 446 Santé Magazine, n°311, novembre 2001, p. 100-105.

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