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Le traitement médiatique de l'anorexie mentale, entre presse d'information générale et presse magazine de santé

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par Audrey Arnoult
 - Institut d'Etudes Politiques de Lyon 2006
  

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b) L'adolescence : le moment de l'engagement dans la religion

Durant toute son adolescence, Catherine fait des jeûnes « rigoureux, mais jamais sans excès par rapport aux normes à cette époque où l'on pratiquait un ascétisme héroïque »53(*). En effet, au XIIIème siècle, le jeûne est une pratique courante et se consiste en une « pénitence contrôlée dont le but [est] de purifier le corps »54(*). Son objectif est donc clair et sa durée limitée.

Catherine entre en conflit avec sa mère vers l'âge de douze ans. Cette dernière souhaite que sa fille apprenne à se tenir en société, à se maquiller... afin de trouver un époux, ce que refuse Catherine. Elle est alors confiée à l'une de ses soeurs aînées, Bonaventura car la jeune fille l'apprécie beaucoup et semble plus encline à lui obéir. Trois ans plus tard, Bonaventura meurt en couches : cet événement bouleverse Catherine qui s'engage dans la religion. Elle est persuadée que c'est « son engagement dans le monde »55(*) qui a provoqué la colère de Dieu qui s'est vengé sur Bonaventura. Catherine a alors quinze ans et prend la décision de se détacher du monde, son époux sera le Christ. Malgré les supplications de sa famille, elle refuse catégoriquement de se marier et dit devoir obéir à Dieu. A l'âge de seize ans, elle se convertit à un mysticisme radical et modifie profondément ses habitudes alimentaires qu'elle conserve jusqu'à sa mort. Elle limite ses repas à du pain, des herbes crues et de l'eau et perd rapidement la moitié de son poids56(*). Pour expliquer cet engagement, G. Raimbault et C. Eliacheff disent que « coupable d'être vivante, elle s'engage vers la solitude et la pénitence et entreprend méthodiquement de réduire son alimentation »57(*). A partir de ce moment-là, sa vie est entièrement dévouée à Dieu malgré les réticences de son entourage. Pendant trois ans, elle s'impose un voeu de silence complet excepté pour les confessions (elle vivait encore dans sa famille) et ne dort que trente minutes tous les deux jours. En plus de ses restrictions, elle s'administre des punitions. Par exemple, elle se flagelle avec une chaîne trois fois par jour58(*).

A travers ce récit de l'adolescence de Catherine de Sienne, nous voyons donc comment dans un contexte socio-historique particulier, un événement personnel est venu bouleverser la vie de cette jeune fille et l'a conduite progressivement à l'ascèse.

c) Un dévouement sans limite au Christ

A l'âge de 21 ans, un nouvel événement vient bouleverser sa vie et renforce son dévouement à Dieu. Son père, auquel elle était très attachée et qui était la seule personne de la famille à la soutenir, meurt. Pour la seconde fois, le Christ lui apparaît ; c'est alors qu'« elle perdit l'appétit et ne parvint plus à manger de pain »59(*). Cet exemple illustre bien comment différents facteurs (contexte familial, contexte socio-historique) se sont combinés, ont créé un terreau favorable au déclenchement de l' « anorexie » de Catherine. A 25 ans, les écrits racontent qu'elle ne mangeait quasiment rien ; d'autres estiment au contraire qu'elle avait du mal à surmonter la faim. Raymond de Capoue, son confesseur, raconte un épisode assez marquant qui révèle effectivement les difficultés auxquelles a été confrontées Catherine. Alors qu'« elle devait nettoyer les ulcères d'une femme atteinte d'un cancer du sein », son coeur fut « soulevé par l'odeur suffocante de la suppuration ». Elle voulut vaincre ses sensations corporelles et « recueillit soigneusement le pus dans une écuelle et le but entièrement. Cette nuit-là, Jésus lui apparut et l'invita à boire le sang qui coulait de son flanc perforé ; ce fut grâce à cette consolation que son estomac en fût à la fois rassasié et altéré »60(*). Son confesseur écrit qu'à partir de ce moment-là, les grâces divines descendues en son corps lui permirent de ne plus manger car la nature de son estomac en avait été transformée. Il l'explique ainsi : « non seulement elle n'avait plus besoin de nourriture matérielle, mais elle ne pouvait même pas en prendre sans douleur physique. Si on la forçait à en accepter, elle éprouvait de très vives souffrances, sa digestion ne se produisait pas, et les aliments étaient violemment rejetés au dehors »61(*). Chaque acte de sa vie est obéissance à son « époux » Jésus et elle refuse d'écouter les ordres et conseils de quiconque. Elle est entièrement convaincue de son union avec le Christ qui, selon elle, lui aurait placé un anneau de mariage à son doigt. Nous pouvons d'ores et déjà faire une remarque sur les pratiques de Catherine : sa difficulté à ingérer de la nourriture et les douleurs qu'elle éprouve ressemblent fortement au cas décrit par R. Morton, ce qui permet effectivement de qualifier son comportement d'anorexique.

A la suite de ces événements, elle décide de rejoindre la congrégation des soeurs de la Pénitence, composée de femmes laïques qui continuent à vivre chez elles. Cet ordre militant se consacre à la défense de la foi et de l'Eglise. G. Raimbault et C. Eliacheff précisent que ce choix est étonnant de la part de Catherine car ce sont d'ordinaire des femmes d'un certain âge, souvent veuves, qui rejoignent cette congrégation. Cependant, elles mettent en évidence la cohérence de ce choix « d'un ordre militant [qui] lui convient on ne peut mieux, le militantisme caractérisant le comportement anorexique quelle que soit la cause apparente »62(*). Catherine se consacre également à la Réforme de l'Eglise et joue un rôle important dans le retour du Pape Grégoire XI à Rome. La mort de celui-ci, l'élection d'Urban VI et peu après le Grand Schisme sont des événements qui l'affectent beaucoup. Elle décide alors de ne plus manger ni boire et meurt trois mois plus tard dans de grandes souffrances.

Les quelques épisodes de la vie de Catherine de Sienne que nous venons de mentionner mettent en évidence les liens entre religion et restriction alimentaire. Plus elle se dévoue au Christ, plus elle s'impose des sacrifices. Ainsi, R. Bell écrit que « son abstinence allait bien au-delà du jeûne rituel ou austère pratiqué par les plus saintes figures, hommes et femmes de son époque, et, bien souvent, elle enfreignait les injonctions explicites de ses confesseurs »63(*). En effet, il ne faut pas confondre jeûne et ascèse. Dans le cas de Catherine, les privations n'ont pas de fin et sont de plus en plus importantes, c'est pourquoi le terme d'ascèse semble préférable pour qualifier sa conduite. Contrairement aux cas décrits précédemment, la restriction alimentaire est motivée par le souhait d'accéder à une certaine pureté spirituelle. L'anorexie sainte ne diffère pas sur le plan des pratiques mais de la motivation. Ainsi, R. Bell « estime, bien que cela ne puisse être ni prouvé ni réfuté, que l'anorexie de Catherine de Sienne a été une conséquence non pas d'une lésion de son hypothalamus, mais de facteurs psychiques, en l'occurrence de sa volonté de maîtriser les exigences de son corps qu'elle voyait comme une entrave objecte à la sainteté »64(*). Cette explication permet non seulement de comprendre l'origine du terme « anorexie sainte » mais pointe aussi la différence essentielle qui existait entre ce type de comportement et les cas que nous avons évoqué précédemment.

* 53 BELL, [1994], p. 36.

* 54 Idem, p. 36.

* 55 BELL, [1994, p. 45.

* 56 RAIMBAULT, Ginette et ELIACHEFF, Caroline, Les indomptables - figures de l'anorexie, Paris, Editions Odile Jacob, 1989, p. 243

* 57 Idem, p. 242.

* 58 BELL, [1994], p. 63.

* 59 Idem, p. 36.

* 60 CAPOUE (DE) cité par BELL, [1994], p. 37.

* 61 CAPOUE (DE) cité par BELL, [1994], p. 37.

* 62 RAIMBAULT, et ELIACHEFF, [1989], p. 250.

* 63 BELL, [1994], p. 33.

* 64 Idem, p. 20.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery