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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

( Télécharger le fichier original )
par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

Faculté de Droit

École Doctorale
12, Place du Panthéon
75005 PARIS

Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de Sa Majesté la
Reine Élisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

The Judicial Committee of the Her Majesty's Privy Council and the laws of Mauritius

Thèse de Doctorat
par

Parvèz A. C. DOOKHY

Secrétaire général de la Société des Juristes Francophones du Commonwealth

Soutenue publiquement le 26 février 1997 à la Faculté de Droit de Paris

Le Jury est composé de :

Directeur de thèse

- Monsieur Gérard CONAC, Professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Directeur de l'École Doctorale ;

Rapporteurs :

- M. Marck FREEDLAND, Professeur à l'Université d'Oxford (St John's College) ;

- M. Etienne PICARD, Professeur associé à l'Université d'Oxford, Professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ;

Membres du Jury :

- Mme Camille JAUFFRET-SPINOSI, Professeur à l'Univesité de Paris II Panthéon-Assas ; - Mme Muir WATT-BOUREL, Professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ;

REMERCIEMENTS ET AVANT-PROPOS

L'étude du Comité Judiciaire du Conseil Privé de Sa Majesté la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le droit mauricien a été une longue aventure pleine de difficultés. Le sujet est vaste et comporte plusieurs thèmes de réflexion et il existe un manque remarquable de documents sur les deux composants de notre sujet. Il a fallu effectuer des recherches dans trois pays, à savoir, la France, l'Angleterre et l'île Maurice (voir lieux de recherches, infra).

Pourtant nous avons choisi cette difficulté, conscient du profond intérêt de notre sujet. Au terme de cet effort, les mérites reviennent naturellement à tous ceux dont la contribution a été déterminante à la réalisation de cet ouvrage. Notre pensée va à l'endroit de tous ceux-là:

D'abord notre Maître, Monsieur le Professeur Gérard CONAC, Directeur du Centre de Recherche de Droit Constitutionnel, qui nous a suggéré le sujet et souvent inspiré. C'est une importante dette que nous avons contractée auprès de lui. Pour son soutien, nous voulons lui attribuer les mérites que recèlerait ce travail tout en précisant que les défauts sont l'oeuvre d'un disciple qui a mal assimilé l'enseignement de son Maître. Nous lui exprimons notre reconnaissance sans fin.

Nous voulons également remercier Monsieur Christian PUR TSCHET, Maître de Conférences à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, qui a gracieusement voulu nous faire de précieuses suggestions.

Nous renouvelons notre profonde gratitude:

à Monsieur D. H. O. OWEN, Secrétaire du Conseil Privé, qui nous a communiqué des documents et aidé dans nos recherches

à Monsieur Etienne PICARD, Professeur à l'Université d'Oxford et à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

à Monsieur le Professeur Jean-Paul COSTA, Conseiller d'Etat

à Maître Riyad DOOKHY de Gray's Inn, avocat au Conseil Privé de Sa Majesté la Reine Elisabeth II et à la Chambre des Lords

au collège des Professeurs et Enseignants de l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne

à tous les amis trop nombreux pour être cités. Nous ne saurions faire du tort aux autres en citant quelques uns. Qu'ils soient tous rassurés que notre sentiment pour chacun ne variera pas.

LIEUX DE RECHERCHES

France

Bibliothèque Cujas de la Faculté de droit de Paris

Bibliothèque du Centre Georges Pompidou

Bibliothèque de droit comparé de la Sorbonne

Bibliothèque de droit public de l?Université de Paris 1, Centre Malher Bibliothèque de la Documentation Française, Paris

Bibliothèque de la Faculté de droit d?Aix-en-Provence

Bibliothèque du Centre Pierre Mendès France de l?Université de Paris 1 Bibliothèque Nationale de France

Bibliothèque Sainte-Geneviève

Bibliothèques de la ville de Paris

Salle de droit public de la Faculté de droit de Paris

Angleterre

British Library

Commonwealth Library

Institute of International and Comparative Law

Institute of Legal Advanced Studies (University of London) King?s College (University of London) Law Library

Privy Council Library

The Bar Library

The Honourable Society of Gray?s Inn Library The Honourable Society of Inner Temple Library The Honourable Society of Lincoln?s Inn Library

The Honourable Society of Middle Temple Library The Supreme Court Library

Ile Maurice

Archives de l?Assemblée Nationale (Législative) Bibliothèque de l?Université de Maurice Bibliothèque de la Cour Suprême

ABRÉVIATIONS

AC: The Law Reports, Appeal Cases

ADP: Archives de la Philosophie du Droit

AIJC: Annuaire International de Justice Constitutionnelle

AJCL: The American Journal of Comparative Law

ALJ: The Australian Law Journal

All ER: All England Law Reports

APOI: Annuaire des Pays de l?Océan-Indien

ASCL: Annual Survey of Commonwealth Law

BLR: Business Law Review

BSJFC: Bulletin de la Société des Juristes Francophones du

Commonwealth

Bull, crim: Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation Française, chambre criminelle

C.Cas: Cour de Cassation Française

CA: Arrêt de la Cour d?Appel anglaise en date du...

CAR: Criminal Appeal Reports

CBM: Chronique du Barreau de l?île Maurice

CBR: Canadian Bar Review

CCAS: Décision de la Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud

en date du...

CCF: Décision du Conseil Constitutionnel Français en date du...

CDHNU: Avis du Comité des Droits de l?Homme des Nations-Unies

en date du...

CE: Arrêt du Conseil d?Etat Français en date du...

CEDH: Arrêt de la Cour Européenne des Droits de l?Homme

en date du...

CILJSA: Comparative and International Law Journal of South Africa

CJCP: Arrêt du Comité Judiciaire du Conseil Privé en date du...

CL: Arrêt de la Chambre des Lords en date du...

CLB: Commonwealth Law Bulletin

CLJ: Cambridge Law Journal

CLP: Current Legal Problems

CLR: Criminal Law Review

CM: de la Constitution mauricienne

Com.L: The Commonwealth Lawyer

CSC: Arrêt de la Cour Suprême du Canada en date du...

CSEAU: Arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique

en date du...

CSI: Arrêt de la Cour Suprême de la République Indienne en date

du...

CSM: Arrêt de la Cour Suprême de Maurice en date du...

DC: Décision du Conseil Constitutionnel Français de conformité

ou de non-conformité à la Constitution

DCSM: Decisions of the Suprême Court of Mauritius

dir: Sous la direction de

DLR: Dominion Law Reports

DP: Dalloz Périodique (Dalloz Jurisprudence Générale)

DR: Droits

ER: English Reports

Gaz. Pal: Gazette du Palais

HC: Arrêt de la Haute Cour de Justice anglaise en date du...

HLR: Harvard Law Review

HMSO: Her Majesty?s Stationery Office

ICLQ: International and Comparative Law Quaterly

ICR: Industrial Cases Reports

IFB: Independent Forward Block

IR: Irish Reports

JA: Jeune Afrique

JCL: Journal of Criminal Law

JCP: Juris-Classeur Périodique

JSPTL: Journal of the Society of Public Teachers of Law

JUM: Journal of the University of Mauritius

KBD: The Law Reports, King?s Bench Division

LAD: Legislative Assembly Debates

LGDJ: Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence

LJPC: The Law Journal Reports, Privy Council and Appeal Cases

LMD: Le Monde Diplomatique

LPA: Les Petites Affiches

LQR: Law Quaterly Review

LRC: The Law Reports of the Commonwealth

LRS: The Law Reports Statutes

LT: The Law Times

MLA: Mauritius Legislative Assembly

MLR: The Modern Law Review

MMM: Mouvement Militant Mauricien

MR: The Mauritius Reports

MSM: Mouvement Socialiste Militant

MtsLR: The Mauritius Law Review

OLR: Otago Law Review

ORHRC: Official Records of the Human Rights Committee

PA: Politiques Africaines

PCEDH: Publications de la Cour Européenne des Droits de l?Homme

PL: Public Law

PSM: Parti Socialiste Mauricien

PTr: Parti Travailliste Mauricien

PUF: Presse Universitaire de France

Q BD: The Law Reports, Queen?s Bench Division

QC: Avocat ayant obtenu le titre honorifique de Conseiller de la

Reine (Queen's Counsel)

Q Q: Queen?s Quaterly

RA: Revue Administrative

RADIC: Revue Africaine de Droit International et Comparé

RCSP: Revue Canadienne de Science Politique

RDCE: Recueil des Décisions du Conseil d?Etat (Lebon)

RDP: Revue du Droit Public et de la Science Politique

RDPros: Revue de Droit Prospectif

RFAP: Revue Française d?Administration Publique

RFDC: Revue Française de Droit Constitutionnel

RGD: Revue Générale de Droit

RGDIP: Revue Générale de Droit International Public

RGDP: Revue Générale de Droit Processuel (Justices)

RIDC: Revue Internationale de Droit Comparé

RIDP: Revue Internationale de Droit Pénal

RJPIC: Revue Juridique et Politique: Indépendance et Coopération

RM: Revue Madagascar

RPM: Roupie(s) mauricienne(s)

RPP: Revue Politique et Parlementaire

RSC: Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal Comparé

RUDH: Revue Universelle des Droits de l?Homme

SAJHR: The South African Journal on Human Rights

SALJ: The South African Law Journal

SALR: The South African Law Reports

SCR: The Supreme Court Reports (Inde)

SI: Statutory Instruments

TLR: The Times Law Reports

US: United States Reports

vol.: volume(s)

v. p: voir page(s)

WE: Week-End

WLR: Weekly Law Reports

A mon père, ma mère et Yildiz

INTRODUCTION

Il est de grandes institutions comme il en est de grands hommes. A l?image de ces derniers, elles s?inscrivent dans l?Histoire et évoluent avec elle. Chacune détient un passé et une identité forte.

Le Comité Judiciaire du Très Honorable Conseil Privé de Sa Gracieuse Majesté la Reine d?Angleterre fait partie de ces rares institutions du monde qui ont pu peser lourdement sur le devenir des peuples. D?âge fort respectable1, cet organe2 londonien de dernier recours des colonies de l?Empire britannique qui, techniquement conseillait le Souverain sur la solution à donner aux litiges, était doté d?une compétence juridictionnelle s?étendant, avant la deuxième guerre mondiale, à un ensemble de territoires représentant plus d?un cinquième des terres émergées. Le Comité Judiciaire était la juridiction suprême d?une masse de population de près de cinq cents millions d?habitants, soit, à l?époque, le quart de la population du globe. Il statuait sur des litiges importants dans lesquels étaient en cause, non seulement la Common Law3 d?Angleterre telle qu?elle s?appliquait dans les dominions et colonies de la Couronne britannique, mais aussi l?ancien droit français, la coutume de Paris4, au Canada dans la province de Québec, de vieilles coutumes françaises5 dans les îles Anglo- Normandes (Channel Islands), les Codes napoléoniens (Code Civil6, Code de Commerce et Code Pénal) à l?île Maurice et aux Seychelles7, le droit mi-italien et mi-français dans l?île de Malte8, le droit romano-hollandais (Roman-D utch Law) en Afrique du Sud9 et au Ceylan10, le droit musulman11 en Chypre, en Inde et

1 Le Comité Judiciaire trouve son origine directe dans la Curia Regis.

2 Le Comité Judiciaire est-il une juridiction ou un organe consultatif ? Nous examinerons ultérieurement sa nature.

3 Certes, comme le dit Monsieur le Professeur André TUNC (in CRABB John H.: «Le système juridique anglo-américain», Louvain, Nauwelaerts, 1972, 248 p., v. Préface, p. 6), il faut qu?une langue soit anglaise ou française, nous estimons que la traduction de certains termes juridiques anglais les dépouillerait de leur bagage historique. Ainsi, le terme Common Law?, comme ceux de Commonwealth? et Westminster?, devraient résister à la traduction.

Sur le débat s?il faut dire le ou la Common Law, nous suivrons la pratique française qui favorise le genre grammatical féminin. V. en ce sens DAVID René: «Les grands systèmes de droit contemporains», Précis Dalloz, 1988, 9e édition, 734 p., v. p. 349 et s. V., sur la thèse inverse, LEGRAND Pierre: « Pour le Common Law», RIDC, 1992, pp. 941 à 947.

4 CJCP: 23 décembre 1868, Alexandre Kierkowski c/ Jean Baptiste Théophile Dorion, LJPC, 1869, pp. 12 à 21, affaire du Canada, Lord-Chancelier Hatherley rédacteur de l?arrêt.

5 CJCP: 28 juin 1872, Thomas Phillipe La Coche c/ Thomas La Coche, LJPC, 1872, pp. 51 à 54, affaire des îles Anglo-Normandes, Lord-Juge James rédacteur de l'arrêt.

6 CJCP: 17 février 1866, Her Majesty?s Procureur and Advocate-General c/ Virginie Bruneau, LRPC, 1865-67, pp. 169 à 197, affaire de Maurice, Lord-Juge Turner rédacteur de l'arrêt.

7 CJCP: 10 février 1910, Saïd c/ Mamode Hadee, LJPC, 1916, pp. 141 à 145, affaire des Seychelles, Lord Atkinson rédacteur de l'arrêt.

8 CJCP: 16 mai 1864, Francesco Sant c/ Genrroso, LJPC, 1864, pp. 73 à 78, affaire de l?île de Malte, Sir James Hannen rédacteur de l'arrêt.

9 CJCP: 14 mai 1902, Douglas c/ Franz Sander and Co., LJPC, 1902, pp. 91 à 94, affaire de l?Afrique du Sud, Lord Roberston rédacteur de l'arrêt.

dans certains pays d?Afrique, le droit hindou également en Inde12, le droit chinois à Hongkong et les coutumes des tribus dans certaines colonies africaines13.

Quant aux matières qui faisaient l?objet de pourvois, leur variété était tout aussi extrême. Le Comité Judiciaire statuait sur des affaires de droit privé (civil matters), de droit pénal (criminal matters) et aussi de droit public, notamment constitutionnel.

En effet, le Conseil Privé fut l?inventeur du contrôle juridictionnel des Lois14 et Monsieur le Professeur Dominique Turpin soutient avec raison que la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique se soit inspirée des précédents du Conseil Privé lors de l?instauration en 1803 du contrôle juridictionnel des Lois. Avant même la mise en place du Comité Judiciaire, le Conseil Privé, statuant en formation juridictionnelle, contrôlait la conformité des lois adoptées dans les colonies de l?Empire aux grands principes de Common Law. Etaient sanctionnées les normes contraires aux principes de justice et de la bonne morale. Le Comité Judiciaire, conçu comme un organe nécessaire au développement de l?Empire britannique15, s?inscrivait dans la poursuite des fonctions de censeur des lois16 et assurait la subordination des colonies à l?égard de la métropole17. La Loi britannique de 1865 sur la validité des lois coloniales (Colonial Laws Validity Act) conférait expressément au Comité Judiciaire le pouvoir d?annuler les lois des colonies qui étaient contraires aux lois de la Grande-Bretagne18. Cependant,

10 CJCP: 19 décembre 1879, Angeltina Dias c/ Alfred de Livera, LJPC, 1880, pp. 26 à 32, affaire de Ceylan, Sir Robert P. Collier rédacteur de l'arrêt.

11 CJCP: 10 février 1894, Parapano c/ Happez, LJPC, 1894, pp. 63 à 68, affaire de la Chypre, Lord Hobhouse rédacteur de l'arrêt.

12 CJCP: 6 février 1835, Sumboo Chunder Chowdry c/ Narain Dibeh, affaire de Bengale, Sir Baron Parke rédacteur de l'arrêt, ER, vol 12, Privy Council, pp. 568 à 584, rapporté par Jerome William Knapp.

13 «Almost all the laws and customs of the world, civilised and uncivilised, come up for discussion in that dingy, little room where the Judicial Committee of the Privy Council hold their sittings» Sir Courtenay Ilbert in RANKIN George, Sir: « The Judicial Committee of the Privy Council«, CLJ, 1939, pp. 2 à 22, v. p. 11.

14 V. TURPIN Dominique: «Contentieux Constitutionnel», PUF, 1994, 543 p., v. p. 38.

15 «Even though not statutorily acknowledged, the Judicial Committee remains a part of the apparatus of imperial governance.», BETH Loren P.: « The Judicial Committee: its development, organisation and procedure», PL, 1975, pp. 219 à 241, v. p. 223.

16 BETH Loren P.: «The Judicial Committee of the Privy Council and the development of judicial review», AJCL, 1976, pp. 22 à 42.

17 «(Le Comité Judiciaire) permit d?insuffler une bouffée d?air juridique anglais à des pays étrangers à ses (la Grande-Bretagne) lois, comme le Québec, le Ceylan, l?île Maurice ou l?Afrique du Sud.» ARGOSTINI Eric: «Droit Comparé», PUF, 1988, 339 p., v. p. 271.

18 «Les coutumes sont soumises par la domination coloniale à un processus d?intégration. Partout, tant bien que mal, elles doivent s?insérer dans l?ordonnancement juridique de l?Etat métropolitain. Elles n?y sont tolérées que dans la mesure où elles n?en violent pas les principes fondamentaux.», CONAC Gérard: «La vie du droit en Afrique» in CONAC Gérard (dir): «Dynamiques et finalités des droits africains», Economica, 1980, 509 p., v. p. XI.

suite aux travaux de la Commission Balfour de 192819, la Loi de 1931 intitulée Statut de Westminster proclama l?égalité de statut entre la Grande-Bretagne et ses dominions et abolit la Loi de 1865.

En revanche, le Comité Judiciaire poursuivait sa politique impériale. Certes, il manifestait sa volonté de ne pas déformer ou d?angliciser les droits des colonies qui ne s?inspiraient pas de la Common Law, mais maintenait autant que possible une uniformité de droit dans l?ensemble des dominions et colonies20. S?estimant lié (bound by) par les décisions de la Chambre des Lords21, il servait de relais de transmission du droit anglais dans les dominions et colonies. Il y a lieu de souligner aussi que le Comité Judiciaire avait pour objectif d?unifier la Common Law22 dans tout le Commonwealth23.

L?autorité et l?influence du Comité Judiciaire avaient considérablement été modifiées après la deuxième grande guerre. Comme les circonstances de guerre avaient permis une certaine émancipation des dominions et colonies sur le plan international et diplomatique24, leur dirigeants avaient ensuite été très critiques et réticents à l?égard du système institutionnel centralisé de Londres. Les revendications à l?autonomie et à l?indépendance grandissaient et les institutions coloniales, notamment le Comité Judiciaire, étaient mal supportées par les dominions et les grandes colonies soucieux de détenir la maîtrise de leur juridiction suprême. Ainsi, tour à tour, certains dominions et certaines grandes colonies accédant à l?indépendance avaient aboli le droit de leurs justiciables de se pourvoir au Comité Judiciaire25.

19 La Commission était présidée par Lord Balfour et était chargée de suggérer des solutions tendant à résoudre les difficultés survenues dans les relations entre, d?une part, la Grande- Bretagne et d?autre part, ses dominions et colonies.

20 «Quant à ceux qui ont la charge d?appliquer la Loi sont étrangers... ils n?hésitent pas à greffer sur le droit du pays des concepts ou même des institutions en provenance étrangère», DAVID Annoussamy: «Pour un droit comparé appliqué, réflexions à partir de l?influence des Lois dans l?Inde», RIDC, 1986, pp. 57 à 76.

21 «(The House of Lords) is the supreme tribunal to settle English law, and that being settled, the colonial court, which is bound by English law, is bound to follow it», CJCP: 17 février 1927, Robins c/ National Trust Company Ltd., AC, 1927, pp. 515 à 522, affaire du Canada, Vicomte Dunedin rédacteur de l'arrêt.

22 «Le Comité Judiciaire a joué un grand rôle dans le maintien de la cohésion entre les différents systèmes de la Common Law», ALLOT Anthony: « L?influence du droit anglais sur les systèmes juridiques africains» in CONAC Gérard (dir): « Dynamiques et finalités des Droits africains», précité, note 18, v. p. 9.

23 CJCP: 4 avril 1979, Ferdinand Perez de Lasala c/ Hannelore de Lasala, AC, 1980, pp. 546 à 562, affaire de Hongkong, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

24 Le Canada, par exemple, avait conclu des arrangements avec les Etats-Unis d?Amérique. V. GRIMAL Henri: «De l?Empire britannique au Commonwealth», Paris, Armand Colin, 1971, 404 p., v. p. 283.

25 La décision canadienne d?abolir le droit d?appel à Londres avait été avalisée par le Comité Judiciaire. CJCP: 13 janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/ Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 127 à 155, affaire de Canada, Lord-Chancelier Jowitt rédacteur de l'arrêt. Pour une traduction française de cet arrêt, v. MARX Herbert: « Les grands arrêts de la jurisprudence constitutionnelle du Canada», Les Presses de l?Université de Montréal, 1974, 761 p., v. p. 17 à 30.

Depuis, un mouvement de suppression des structures impériales avait gagné les moyennes et petites colonies. Elles avaient accédé à la souveraineté avec une rapidité extrême. La Grande-Bretagne avait doté chaque nouvel Etat du Commonwealth d?une Constitution, suivant en cela le mouvement universel de réaction politique et institutionnelle contre les régimes du Nazisme. La conception d?infaillibilité de la Loi, proche de la théorie de Dicey sur la Souveraineté du Parlement26 était apparue très dangereuse et peu protectrice des libertés dans ces nouveaux pays au lendemain incertain. Après la guerre, les juristes et politiques avaient cherché à donner à la société des institutions capables d?empêcher la violation en série des droits primaires27. Le rôle des Etats-Unis d?Amérique dans la victoire militaire de 1944 et la libération de l?Europe continentale avait conféré un prestige considérable aux institutions judiciaires américaines et plus particulièrement à la Cour Suprême fédérale qui assurait un contrôle de conformité des Lois aux droits fondamentaux de la Constitution. Le système judiciaire des Etats-Unis d?Amérique avait en grande partie servi de modèle au constitutionnalisme du nouveau Commonwealth28. Ce constitutionnalisme présentait trois grandes caractéristiques bien affirmées dans les Constitutions octroyées par la Grande-Bretagne aux nouveaux Etats29. Les Constitutions avaient un caractère rigide et étaient érigées en norme supérieure (lex superior) dans l?ordonnancement juridique. Il y existait un catalogue des droits fondamentaux largement inspiré de celui de la Convention Européenne des Droits de l?Homme30. Il était prévu, comme aux Etats-Unis d?Amérique, un système de contrôle juridictionnel des Lois pour assurer de façon

26 En Grande-Bretagne, le principe de la suprématie du Parlement est un des fondements du système constitutionnel. La Loi est la norme supérieure et ne peut être annulée par le juge. V. DICEY Albert Venn, KC: «Introduction to the study of the law of the Constitution», 1885, Londres, Macmillan and Co. Ltd., 1962, 535 p.

27 ROUSSEAU Dominique: « La justice constitutionnelle en Europe», Monchrestien, Clefs Politique, 1992, 160 p., v. p. 25.

28 «Le droit constitutionnel des Etats-Unis... a pris le relais du droit constitutionnel anglais dans plusieurs Etats anglophones», CONAC Gérard, précité note 18, v. p. XIV.

29 Le Parlement britannique avait établi plus d?une trentaine de Constitutions finales. Elles avaient, à l?origine, la forme d?une Loi ordinaire du Parlement de Westminster ou d?une Ordonnance de la Reine en Conseil. «We have something of a phenomenon: Whitehall lawyers must have drafted at least 33 complete and final independence Constitutions during this period, to say nothing of a deluge of intermediate instruments. And this from almost the only country in the world to be itself without a written Constitution...», DALE William: «The making and remaking of Commonwealth Constitutions», ICLQ, 1993, pp. 67 à 83, v. p. 67.

30 La Grande-Bretagne, Etat signataire de la Convention, avait étendu celle-ci à quarante-deux de ces colonies, dont l?île Maurice. Ensuite les Constitutions avaient traduit dans l?ordre interne les dispositions de la Convention. V. DE SMITH Stanley A.: «The new Commonwealth and its Constitutions», Londres, Stevens and Sons, 1964, 312 p., v. p. 177 à 183.

Sur la similarité entre les Constitutions et la Convention, v. CJCP: 14 février 1979, Minister of Home Affairs c/ Collins Mac Donnald Fisher, AC, 1979, pp. 319 à 331, affaire des Bahamas, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt, v. p. 328.

efficace le respect des normes constitutionnelles31. La Constitution de l?île Maurice du 4 mars 1968 répond parfaitement à ce modèle32.

Le Comité Judiciaire, qui contrôlait aussi les Lois de certains dominions aux règles de partage des compétences entre les Etats fédérés et l?Etat fédéral devenait, en outre, pour les nouveaux Etats du Commonwealth qui avaient maintenu sa juridiction, un tribunal constitutionnel de second degré. Il se lançait à partir des années soixante dans une défense des libertés fondamentales et de l?indépendance du judiciaire. Cependant, ce nouveau dynamisme du Comité Judiciaire, s?il continue à se propager dans certains pays, dont principalement l?île Maurice, s?est rapidement arrêté dans les pays d?Afrique du Commonwealth qui avaient suspendu l?application de leur Constitution. Le modèle de Constitution octroyé par la Grande-Bretagne, qualifié de Westminster du fait qu?il reproduit le système parlementaire britannique, avait connu des inadaptations, voire des rejets. Les dirigeants africains du Commonwealth, comme ceux d?Afrique francophone, avaient d?abord voulu construire la nation, l?unité nationale et l?Etat et promouvoir le développement économique33. Au nom de la thèse développementaliste, le droit du peuple avait primé les droits de l?homme. Ces derniers étaient considérées comme un luxe34. La protection des droits de l?homme ne pouvait être une priorité dans des sociétés où des hommes vivaient dans le dénuement. L?impératif du développement économique commandait des sacrifices dans le domaine des libertés. L?abandon du modèle de Westminster était accompagné de l?instauration du monopartisme et d?une présidentialisation du régime35, plus proche de l?image de la chefferie traditionnelle, et de la suppression du droit de recours au Comité Judiciaire36.

31 DE SMITH Stanley A., précité, note 29., p. 77.

32 «Ce catalogue (des droits) permet de classer l?île Maurice parmi les Etats qui se sont dotés - relativement tôt- d?une Constitution de type moderne», PHILLIPE Xavier: «Les nouvelles Constitutions mauricienne et malgache», intervention au deuxième Congrès Français de droit constitutionnel, 13 au 15 mai 1993, Bordeaux.

33 «Il était inévitable que des principes, des pratiques et des institutions aussi nettement reliés à l?idéologie extérieure à l?Afrique subissent des déformations. Il fallait prévoir que la transplantation provoquerait des phénomènes de rejet... Les impératifs de la construction nationale, l?influence des idéologies de développement... ont conduit dans un deuxième temps à modifier le contenu et la portée des garanties juridiques reconnues aux individus», CONAC Gérard: «Les Constitutions des Etats d?Afrique et leur effectivité», pp. 385 à 413, in CONAC Gérard, précité, note 18, v. p. 393.

34 «Mr Kawawa said: A Bill of Rights merely invites conflict between the executive and the judiciary; that is the kind of luxury which we could hardly afford to entertain?», DE SMITH Stanley A., précité note 29, v. p. 2 13-4.

V. aussi AJAVON Ata: «La protection des droits de l?homme dans les Constitutions des Etats de l?Afrique noire francophone», RJPIC, 1992, pp. 79 à 87 et MBAYE Kéba: «L?Afrique et les droits de l?homme», RJPIC, 1994, pp. 1 à 16.

35 NWABUEZE B. O.: «Presidentialism in Commonwealth Africa», Londres, C. Hurst and Co., 1974, 442 p.

36 MARSHALL H. H.: «The future of received English law in the countries of the Commonwealth», CILJSA, 1982, pp. 87 à 91.

Aujourd?hui seuls l?île Maurice en Afrique, quelques petits pays dans le monde et Hongkong, la Jamaïque et la Nouvelle-Zélande ont maintenu la juridiction de Sa Majesté la Reine d?Angleterre. Ces pays, à l?exception de la Nouvelle-Zélande, du fait de leur petite dimension géographique, ont des difficultés financières et techniques pour assurer eux-mêmes le bon fonctionnement d?un tribunal suprême37. En outre, à l?île Maurice, la juridiction de la Downing Street est conçue comme un élément primordial au maintien de la paix et la cohésion sociale. L?île Maurice étant un pays multicommunautaire, les politiques et juristes ont préféré la perpétuation des recours à Londres malgré l?accession du pays au statut de République en mars 1992. L?extériorité même de Conseil Privé et la haute autorité morale de ses juges constituent la meilleure garantie de son indépendance et impartialité38 et sont une source d?apaisement. Autrement dit, le Comité Judiciaire permet de purifier le débat juridique dans un pays où l?équilibre intercommunautaire a été une des premières préoccupations du constituant britannique.

Par ailleurs, si les relations entre la Cour Suprême de l?île Maurice et le Comité Judiciaire sont généralement harmonieuses, il s?avère que les divergences de vue entre les deux institutions se sont amplifiées depuis les années quatre-vingts. Le Comité Judiciaire, moins soucieux du développement d?un droit national autonome que la Cour Suprême locale, se sent de plus en plus tenu d?appliquer aux contentieux mauriciens les solutions dégagées par la Cour Européenne des Droits de l?Homme et des grandes juridictions étrangères telles la Chambre des Lords et la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique. Se séparant des règles d?interprétation des normes utilisées par le juge ordinaire anglais, le Conseil Privé pratique une politique d?interprétation généreuse et téléologique des normes fondamentales et accorde peu de place dans ses arrêts aux considérations de politique du gouvernement (public policy) souvent invoquées par la Cour Suprême de Maurice pour limiter l?exercice des droits. La Haute Instance londonienne a voulu renforcer le contrôle de constitutionnalité dans les pays soumis à sa juridiction.

*

37 «Where it (the Privy Council) was once a court primarily for the Dominions, now it is a court for the smaller Commonwealth territories who do not have the resources to finance a second -tier court of appeal of their own», OWEN D. H. O.: «The Judicial Committee of the Privy Council», Londres, document non-publié, février 1994, 9 p., v. p. 6.

38 «... the Privy Council offered a forum for the determination of appeals free from local passion and partisanship and was therefore uniquely qualified for the task of protecting minorities against victimisation», SWINFEN David B.: «Imperial appeal, the debate on the appeal to the Privy Council 1833-1986», Manchester, Manchester University Press, 1987, 268 p., v. p. 17.

A ce stade de notre exposé, il convient de souligner l?intérêt de notre sujet et préciser le champ de nos investigations, les difficultés gigantesques que nous avons rencontrées, les principaux axes de notre recherche et démonstration. Qu?il soit d?abord souligné que notre souci, en tant que chercheur, a été d?élaborer un travail scientifique exempt de tout subjectivisme.

L?intérêt premier des études auxquelles on s?est livré est, du moins double. Premièrement, il consiste en l?analyse en soi d?une grande institution qui n?a que rarement éveillé l?attention de la doctrine à son égard39. Il est, en effet, étonnant de constater qu?en dehors de quelques travaux d?étudiants de la maîtrise en droit des universités britanniques40, les ouvrages les plus récents sur le fonctionnement de cette institution datent d?avant la deuxième guerre mondiale41 ! Deuxièmement, l?intérêt de notre sujet consiste en l?analyse du Comité Judiciaire en tant que juridiction suprême de l?île Maurice, pays où il n?existe, malheureusement pas de tradition doctrinale en matière juridique. Ainsi, nos recherches représentent une matière non seulement inexploitée mais extrêmement immense. S?attacher à observer le Comité Judiciaire et suivre son oeuvre en droit mauricien, c?est bien entendu reprendre souvent, pour une meilleure compréhension, l?étude du droit dans tout le Commonwealth, l?Angleterre incluse. L?île Maurice étant de surcroît un pays où le droit d?origine française subsiste, notre tâche a été davantage compliquée. Le droit mauricien évolue dans un désordre inextricable dans lequel et le profane et le juriste s?y perdent.

Le problème de l?immensité de notre sujet débouche tout naturellement sur les difficultées de clarification et de mise en ordre qui en sont le prolongement. On nous pardonnera d?avoir beaucoup fait usage des notes de bas

39 Selon une anecdote, en 1900, un député britannique, l?honorable Stanley Leighton, avait cherché pendant dix années pour savoir où se situait le Comité Judiciaire. N?ayant eu la réponse de personne, il décida de frapper à toutes les portes du centre politique de Londres pour demander s?il était bien au Comité Judiciaire. «Au cours de ses investigations, il trouva un agent de police devant une porte, qui, en répondant à sa question, lui indiqua un petit escalier, et en entrant dans une salle du premier étage, il se trouva devant cette majestueuse assemblée», The Parliamentary Debates (Hansard), House of Commons, 4ème série, vol. 83, 14 mai 1900, v. p. 103-4.

40 THORTON Jennifer Anne: «A review of the Privy Council Decisions (1966-1986) on individual rights and fundamental freedoms entrenched in Commonwealth Constitutions», mémoire de maîtrise (Master of Laws), Université de Cambridge, 1987 et WAREN A. E.: «The Judicial Committee of the Privy Council and the British Commonwealth 1955-65», mémoire de maîtrise (Master of Arts), Université de Dundee, 1983.

Il existe aussi une thèse de doctorat en langue allemande. V. PHILLIP Christiane: «Das Judicial Committee of the Privy Council und seine Gerichsbarkeit für das Commonwealth», thèse de doctorat, Albrechts Universität Zu Kiel, 1990, 262 p.

41 BENTWICH Norman: «The practice of the Privy Council in judicial matters», Londres, Sweet and Maxwell, 1937, 353 p. et PATEY Jacques: «La Commission Judiciaire du Conseil Privé du Roi d?Angleterre», thèse, Paris, 1938, 254 p.

de page. Nous avons voulu concilier notre argumentation avec notre devoir d?explication afin de ne pas briser la fluidité dans le développement de nos idées.

Conscient de la portée de notre sujet, il n?a tout de même pas pu être question, dans le cadre obligatoirement étroit de cette thèse, de présenter dans son intégralité la très riche histoire du Comité Judiciaire. Il nous a paru, cependant, indispensable d?analyser sous un angle neuf et, notamment au regard du droit mauricien, la mise en place de l?institution et son évolution, c'est-à- dire, sa légitimité historique et juridique, avant de s?attarder plus longuement sur l?organisation et le fonctionnement de l?institution.

Nous avons ensuite analysé, par référence à la Haute Juridiction londonienne, le fonctionnement de la justice constitutionnelle à Maurice. Nous avons mesuré les effet des décisions du Comité Judiciaire sur le droit mauricien, plus particulièrement le droit constitutionnel au sens large du terme, dans un cadre chronologique défini: les trente dernières années, autrement dit, depuis la mise en vigueur de la Constitution mauricienne de mars 1968.

Notre plan procède d?un certain pragmatisme. Nous nous sommes attaché dans un titre premier à démontrer la haute qualité, les vertus et la grandeur de l?institution du Comité Judiciaire, et, dans le deuxième titre, l?apport considérable du Comité Judiciaire à l?exercice du contrôle constitutionnel des normes à Maurice.

Il nous faut enfin apporter une précision d?ordre méthodologique. Analysant une institution anglaise et un système juridique dominé par la culture britannique, il nous a fallu traduire en français des termes juridiques et des concepts anglais42. Phénomène linguistique, les méthodes de traduction acquièrent une importance particulière dans le rapprochement des termes juridiques, en ce sens que bien des termes communs ont des sens précis et se distinguent d?un pays à l?autre. La traduction des termes par nos soins a obéi à un triple souci: souci de compréhension, souci de conservation des sens et souci de simplification. Nous avons voulu privilégier une approche systémique, c'est-à- dire, une méthode qui consiste à traduire des mots en tenant compte de leur rapprochement au système juridique français, afin de ne pas déformer notre

42 Nous suivrons les trois méthodes sus-mentionnées distinguées par Maître Riyad DOOKHY, avocat au Conseil Privé et à la Chambre des Lords, avec qui nous avons eu plusieurs entretiens. V. en ce sens également ARMINJON Pierre, NOLDE Baron Boris et WOLFF Martin: «Traité de droit comparé», LGDJ, 1952, 3 tomes, v. tome 1, pp. 14 à 33.

langage. La traduction implique d?abord une transposition de sens43. Certains termes sont rebelles à cette méthode. La traduction littérale est alors à préférer44. Il nous a été, dans des cas, nécessaire de distinguer les termes anglais des termes équivalents français. Aussi, quelques termes ont été traduits dans une perspective historique de façon à conserver leur attachement à l?histoire 45.

Notre étude ne prétend pas à l?exhaustivité. Le temps imparti s?y opposait. Nous formulons, cependant, le voeu qu?elle ouvre quelques pistes de recherches futures sur le droit du Commonwealth, le droit institutionnel britannique et le droit public mauricien.

Enoncé du Plan

Titre I. La grandeur de l?institution du Comité Judiciaire

Chapitre 1. La forte légitimité historique et juridique du Comité Judiciaire

Chapitre 2. Les hautes qualités du Comité Judiciaire

Titre II: L?apport du Comité Judiciaire à l?exercice du contrôle des normes Chapitre 1. La richesse du système mauricien de contrôle modelé par le Comité Judiciaire

Chapitre 2. Les grandes lignes de la protection constitutionnelle

Conclusion générale

43 Par exemple, pour désigner le Judge?, on a cherché à définir le rôle de celui-ci dans la mécanique juridique. C?est pourquoi on l?a traduit par haut magistrat? au lieu de haut juge?. Le premier est, conformément à la méthode systémique, plus réel et indicatif. Le terme juge? comporte dans une analyse savante une idée différente de magistrat?.

44 Etymologiquement traducere? veut dire faire passer?. Dans la méthode littérale, il s?agit de communiquer les signifiants par des signifiés d?une autre langue alors que l?approche systémique consiste à rapprocher les signifiants au détriment des signifiés. A titre illustratif, en privilégiant la méthode littérale nous avons traduit High Court? par Haute Cour? et non de Tribunal de Grande Instance? alors même qu?elle statue sur des grandes affaires en première instance.

45 Certains termes ont formé leur sens historiquement en français. Par exemple, dans des cas nous avons traduit Act? par Acte?. Le terme historique véhicule l?idée originelle du système anglais.

TITRE I. LA GRANDEUR DE L'INSTITUTION DU COMITÉ JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ

Institué il y a plus d?un siècle et demi, le Comité Judiciaire appartient paradoxalement à l?histoire constitutionnelle anglaise récente et aussi très ancienne tout en présentant la particularité d?être l?un des rares organes britanniques pourvus d?une base légale. Bien qu?il soit créé par une Loi de 1833, ses origines remontent bien au-delà du dix-neuvième siècle. Il nous apparaît que le Comité Judiciaire émane, comme les grandes institutions anglaises, tel le Parlement de Westminster, de la coutume, de la pratique, voire des conventions constitutionnelles. Il est le produit d?une longue évolution historique.

En effet, le droit anglais dans son ensemble a évolué en une grande continuité historique46 et n?a connu, de fait, ni un renouvellement complet par le droit romain47, ni un renouvellement systématique par la codification, qui sont les caractéristiques du droit français et des autres droits de la famille romano- germanique (civil law). Il s?est développé lentement et de façon presque autonome même s?il a subi une certaine influence des Normands48. La connaissance de l?histoire est dès lors indispensable lorsque l?on envisage d?étudier une institution anglaise. Il y a lieu de rechercher dans le passé les éléments de sa rationalité.

Le Comité Judiciaire nécessite donc d?être examiné, d?abord, sous l?angle historique en tenant compte de l?évolution de ses liens avec l?île Maurice (chapitre 1). Son histoire, si longue et continue, constitue indubitablement la première facette de sa grandeur.

Mais, du Comité Judiciaire, les justiciables attendent de la compétence, l?indépendance et l?efficacité. La composition de la Haute Instance répond-elle à ces impératifs ? Aussi, une juridiction doit disposer des moyens nécessaires pour assurer ses missions. La délibération doit s?exercer dans des conditions permettant la sérénité des réflexions et le sérieux des décisions. Le

46 «English law represented an unbroken development from prehistoric time. There has been no conscious act of creation or adoption», BAKER J. H.: «An introduction to English legal history», Londres, Butterworths, 1990, 673 p., v. p. 1.

47 Sur l?apport des romains, v. BABINGTON Anthony: «The Rule of Law in Britain from the Roman occupation to the present day», Chichester, Barry Rose, 1995, 318 p. L?auteur soutient que: «The system of law which the Romans brought to Britain was an admixture of the sophisticated and primitive... It bestowed on Britain four centuries of civilising influence and of the Pax Romana», v. p. 12 et SCHWARZ-LIBERMANN Von Wahlendorf H. A.: «Introduction à l?esprit et à l?histoire du droit anglais», Paris, LGDJ, 1977, 138 p., v. p. 25 et s.

48 DAVID René et JAUFFRET-SPINOSI Camille: «Les grands systèmes de droit contemporain», Précis-Dalloz, 1992, 10e édition, 523 p., v. p. 254-5.

fonctionnement du Comité Judiciaire répond-il également à ces besoins ? Nous voudrions oeuvrer à élucider ces questions en étudiant l?organisation et le fonctionnement du Comité Judiciaire (chapitre 2) et démontrer par là même les hautes qualités de l?institution.

CHAPITRE 1. LA FORTE LÉGITIMITÉ HISTORIQUE ET JURIDIQUE DU COMITÉ JUDICIAIRE

L?histoire d?une institution est le gage de sa légitimité et de sa force. Une institution, surtout juridictionnelle, qui n?a pas à son actif une histoire, un passé, est souvent confrontée à une serieuse difficulté de reconnaissance. Tout organe public met un certain temps avant de pouvoir s?imposer, d?être dignement reconnu et accepté par le peuple. A titre indicatif, on peut citer le Conseil d?Etat français qui n?a pu conquérir qu?avec une lenteur extrême une place définitive dans le système juridique français.

L?histoire du Comité Judiciaire s?est formée dans une double direction: d?une part, de façon exclusive en Angleterre et éventuellement dans tout l?Empire et ensuite le Commonwealth, et, d?autre part, en relation avec les pays soumis à sa juridiction et, en ce qui nous concerne, l?île Maurice. Autrement dit, il existe une histoire générale et une histoire particulière à chaque pays.

A la lumière de cette observation, nous aborderons dans un premier temps l?évolution du Comité Judiciaire en Angleterre et dans le Commonwealth (section 1) et dans un deuxième temps le développement de ses liens avec l?île Maurice (section 2).

SECTION 1. LA LENTE ÉVOLUTION DU COMITÉ JUDICIAIRE EN ANGLETERRE ET DANS LE COMMONWEALTH

L?évolution du Comité Judiciaire fut lente et prudente. Le Comité Judiciaire a succédé et émané de plusieurs organes du Conseil du Souverain. Il nous faut remonter très haut dans l?histoire, tout au début de l?unification du royaume anglais, pour trouver son point de départ (sous-section 1).

Par la suite, avec le développement de l?Empire britannique, le Comité Judiciaire a connu un essor considérable (sous-section 2), mais a été en déclin une fois l?Empire lui-même affaibli (sous-section 3). Il convient d?analyser ce flux de l?histoire du Comité Judiciaire et de démontrer comment il a néanmoins permis de lui donner une nouvelle place dans le Commonwealth.

Sous-section 1. Les origines lointaines du Comité Judiciaire

L?origine du Comité Judiciaire remonte à la création même de la monarchie, la Couronne, sinon de l?Etat britannique.

La Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire49, votée sous le règne du Roi Guillaume IV (1830-1837) et qui a mis en place ladite institution n?a en réalité apporté que des innovations de pure forme au fonctionnement juridictionnel du Conseil Privé. La Loi n?a pas tant eu pour objet de déterminer les compétences d?un nouveau comité autonome que de rationaliser l?administration de la justice du Roi (paragraphe 3), telle qu?elle était pratiquée au sein du Conseil Privé (paragraphe 2), successeur de la Curia Regis (paragraphe 1).

Paragraphe 1. La Curia Regis ou la Cour du Roi

Dès les premiers temps de l?histoire de l?Angleterre, les Rois anglo-saxons étaient entourés d?un certain nombre de personnes de grande valeur et de grande probité qui composaient son Grand Conseil, le Witan aussi dénommé le Witenagemot. Cependant, ce Grand Conseil n?était pas perçu comme un bon instrument susceptible d?imposer un gouvernement centralisé. La soumission au Roi dépendait de sa plus ou moins grande personnalité que de son autorité institutionnelle. Les Rois normands avaient donc introduit la Curia Regis (A) telle qu?elle existait et évoluait en France50, c'est-à-dire une institution qui exerçait les fonctions d?un gouvernement centralisé. Mais avec l?évolution de la société, qui devenait de plus en plus demanderesse de droit, cet organe a subi des scissions (B).

A. L'introduction de la Curia Regis

La Curia Regis touchait à l?essence même de la monarchie. Elle en était une institution majeure dont la connaissance met en situation d?en comprendre les mécanismes profonds.

La Curia Regis avait une double fonction: instaurer et consolider la féodalité (a) et exercer des fonctions de gouvernement et de justice (b).

49 The Judicial Committee Act of 1833.

50 SUEUR Phillipe: «Histoire du droit public français», PUF, Thémis, 1989, 2 vol., v. vol. 1 «La constitution monarchique», 440 p.

a. L'unification féodale

Le Roi Guillaume I (1066-1087) se disait être un Roi loyal alors même qu?il demeure un fait qu?il était un conquérant. Les normands devaient imposer un pouvoir fort sur une population qui n?avait pas beaucoup confiance en eux. Guillaume avait promis, lors de son serment de couronnement, à l?Angleterre le respect de tout le système qui existait avant lui bien qu?il eût établi une société militaire dotée d?une administration pyramidale.

La féodalité permettait l?implantation d?une administration forte et centralisée51 et l?unification complète du royaume52. La société anglaise était peu évoluée et il existait une tendance naturelle chez le plus faible à chercher appui auprès du plus fort. Les normands avaient consolidé ces liens en créant une dépendance réelle du petit au grand. L?administration royale avait conféré sous condition de foi au suzerain, le protecteur, un droit sur les terres du protégé, le vassal. Le système aboutissait à ceci: chaque terre était tenue d?un suzerain, qui tenait lui-même d?un autre suzerain supérieur. C?était la pyramide féodale, au sommet de laquelle se trouvaient le Roi et son Grand Conseil, qui seuls ne tenaient rien de personne53. Le Roi était le suzerain de tous et selon la devise des normands, «le Roi est la source de toute justice dans l?ensemble de ses dominions et exerce cette compétence au sein de son Conseil, lequel donne des avis à la Couronne»54. Le Roi Guillaume cumulait les fonctions de commandeur et de juge. La Curia Regis lui avait permis de pénétrer dans la conscience de ses sujets et son autorité avait accru autant que l?étendue de sa justice.

b. La dualité des fonctions de gouvernement et de justice

La Curia Regis n?avait pas connu à l?origine de différenciation entre les diverses fonctions régaliennes de l?Etat. Elle les exerçait toutes. Les membres de la Curia Regis conseillaient leur Seigneur, le Roi, sur une variété d?affaires sur lesquelles il demandait leur avis. Les pouvoirs de la Curia Regis étaient peu précisés mais étaient très importants dans la mesure où ils permettaient au Roi

51 LOVELL Colin Rhys: «English constitutional and legal history», Oxford University Press, 1962, 589 p., v. p. 64. V. également, STENTON F. M.: «The first century of English feudalism 1066-1166», Oxford, Clarendon Press, 1932, 311 p., v. p. 7 à 40.

52 LAMOINE Georges: «Histoire constitutionnelle anglaise», PUF, Que sais-je ?, 1995, 128 p., v. p. 13 et s.

53 «Norman feudalism was grounded upon a logical theory of tenure from which all the rights and duties of Lords and tenants flowed», HOLDSWORTH William, Sir: «A history of English law», Londres, Sweet and Maxwell, 1966, 17 vol., v. vol. 1, p. 32.

V. aussi PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 15.

54 «The King is the fountain of all justice throughout his dominions and exercises jurisdiction in his Council, which acts in an advisory capacity to the Crown».

Ce principe est affirmé dans l?arrêt CJCP: 13 janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/ Attorney-General for Canada, cité note 24.

de les utiliser au maximum. C?était grâce à des prérogatives inhérentes à la fonction du Roi que celui-ci avait fait de la Curia Regis l?organe le plus efficace et centralisé qui existait en Europe de l?ouest55.

Comme une Cour ultime en toutes les matières, tant en droit privé qu?en droit pénal, les membres de la Curia Regis agissaient comme les délégués (justitiarii) du Roi à la justice. Parfois le Roi envoyait ses conseillers dans les comtés pour y percevoir les impôts et aussi rendre la justice en son nom. La Cour, quant à elle, accompagnait toujours le Roi dans ses déplacements et conquêtes et rendait justice là où il le fallait. Le Conseil était ambulatoire. Le Roi était toujours présent en son Conseil. Il faut aussi retenir que la Curia Regis tranchait les litiges assez rapidement56 tant le Roi était lui-même le mieux placé pour apprécier les règles du royaume.

Les conseillers, appelés aussi Officiers de la Maison du Roi (Royal Household Officers) vivaient au Palais et étaient au nombre de dix à trente57. A leur tête se trouvait le Chancelier (Chancellor).

55 HOLDSWORTH William, Sir, cité note 53, v. p. 34.

56 Ibid.

57 LOVELL Colin Rhys, cité note 51, v. p. 62.

B. La désintégration de la Curia Regis

Avec le développement de l?Etat, l?existence de nouveaux enjeux tel le besoin de financement du royaume, la Curia Regis fut démembrée.

Elle avait subi deux grandes scissions qui aboutissaient à la création des cours autonomes (a) et du Parlement, concurrent direct du Conseil (b).

a. La création des cours autonomes et souveraines

La centralisation de l?administration de la justice exigeait bien plus que l?envoi en mission des légistes dans le pays. La centralisation impliquait l?implantation à Londres des cours permanentes et non plus itinérantes pouvant trancher des litiges compliqués. C?est ainsi qu?au treizième siècle trois cours royales, séparées de la Curia Regis tout en utilisant son personnel, avaient été établies à Westminster58.

Sous le règne du Roi Henri II (1154-1189), la Chancellerie commençait déjà à se distinguer et devenait plus tard un département spécialisé au Conseil à la tête duquel se trouvait le Chancelier59. Ensuite au sein du petit corps des délégués du Roi à la justice (justitiarii), une grande séparation s?était produite. Un groupe de juges continuait à suivre le Roi dans ses déplacements et forma peu après la Cour du Banc du Roi (Court of King's Bench)60. Une autre cour, qui siégeait à Westminster, avait pour nom la Cour des Plaids Communs (Court of Common Pleas). Cette dernière était la traduction d?une disposition de la Grande Charte (Magna Carta) de 1215, par laquelle le Roi Jean Sans Terre (1199-1219) avait promis que les plaids communs ne devraient plus suivre sa personne mais seraient examinés dans un lieu fixe car il était souvent difficile aux justiciables de savoir où était le Roi61.

Ces trois cours étaient connues sous le nom de Cours de Common Law.

b. La création du Parlement

58 KINDER-GEST Patricia: «Droit anglais», Paris, LGDJ, 1993, 671 p., v. p. 225.

59 L?influence personnelle du Roi Henri II semble avoir été prépondérante dans la mise en place de cette nouvelle administration. V. FITZROY Almeric, Sir: «The history of the Privy Council», Londres, John Murray, 1928, 348 p., v. p. 5.

60 Cette cour doit son nom au fait que le Roi avait pris l?habitude de s?asseoir sur un banc lui aussi à côté des juges. Elle avait une compétence tant en droit pénal qu?en droit privé.

61 Holdsworth William, Sir, cité note 53, v. p. 34.

Les officiers du Roi le conseillaient quand il légiférait. Lorsque le souverain avait besoin de moyens financiers lors des événements inhabituels liés à la vie féodale ou à la politique étrangère, il devait demander des impôts aux villes et aux comtés.

La levée de l?impôt par le Roi exigeait le consentement de ses sujets et il était pratiquement impossible pour tous les chevaliers de la Couronne de venir siéger à la Curia Regis, réunie en assemblée plénière. Une majorité d?entre eux ne voulaient pas y siéger. Il avait donc été décidé que les chevaliers pouvaient déléguer certains de leurs pairs pour exprimer leurs voeux, consentements et autres opinions au Roi. De là a surgi le principe de la représentation62.

Au treizième siècle, le mot Parlement apparaissait pour signifier l?assemblée de la Curia Regis qui comprenait plus de membres que ceux qui y étaient présents tous les jours et se réunissait pour discuter des questions de grande importance. A la fin de cette période, la réunion du Parlement désignait aussi le fait pour le Conseil de statuer sur des requêtes et pétitions retenues par le clerc de ladite institution.

Ainsi, lorsque le Parlement se séparait définitivement du Conseil, il emportait avec lui certains pouvoirs de la Curia Regis, surtout en matière juridictionnelle, et qui étaient qualifiés désormais d?attributions du Roi en Son Parlement (the King in His Parliament). Pour aider cette nouvelle institution à remplir ses fonctions judiciaires, des receveurs (receivers) étaient nommés pour accueillir et classer les pétitions. Les décisions des cours subalternes, notamment celles de la Cour du Banc du Roi, étaient susceptibles d?appel devant le Parlement63.

Toutefois, malgré le démembrement opéré au sein du Conseil du Roi, celui-ci avait conservé un résidu de justice (retenue) par opposition aux autres cours qui n?étaient compétentes qu?en vertu d?une délégation royale. Cette délégation ne pouvait priver le Roi de la prérogative d?exercice de son pouvoir judiciaire initiale64

Paragraphe 2. La réorganisation du Conseil

62 LOVELL Colin Rhys, cité note 51, v. p. 159-60.

63 C?est ainsi que la Chambre des Lords est encore aujourd?hui la juridiction suprême en Grande- Bretagne.

64 DICEY Albert Venn: «The Privy Council», Londres, Macmillan and Co., The Arnold Prize, 1847, 147 p., v. p. 12-13.

Suite à ces développements, il était nécessaire de doter le Conseil du Roi d?une nouvelle structure. Si ses compétences originaires étaient dispersées entre divers organismes, il avait conservé des compétences vagues et mal définies. Tout ce qui n?étaient pas délégué lui appartenait toujours. Il avait ainsi suffi qu?une désorganisation fût causée dans l?Etat par des troubles pour que les pouvoirs du Conseil fussent accrus. Le Conseil regagna son prestige et sa suprématie d?autrefois par la création en son sein de la Chambre Etoilée (A). Par ailleurs, devant l?incapacité des cours de Common Law et du Parlement de rendre justice en matière coloniale, le Conseil avait été doté d?une compétence additionnelle (B).

A. La création de la Chambre Etoilée

En 1487, sous le règne de Henri VII (1485-1509), le Parlement avait adopté une Loi portant création de la Cour de la Chambre Etoilée (The Court of the Star Chamber). Cette Loi avait, semble-t-il, pour objectif de mettre sur pied un tribunal détaché du Conseil et doté d?une compétence d?attribution. La Loi fut interprétée différemment et les attributions du nouveau tribunal avaient été absorbées par la Chambre Etoilée du Conseil qui existait de facto déjà65. Sans entrer davantage dans la discussion technique de ce point d?histoire, qu?il nous soit permis d?étudier en revanche la mise en place (a) et le fonctionnement (b) de la Chambre Etoilée afin d?apprécier son apport au développement des compétences du Conseil.

a. Sa mise en place

La Chambre Etoilée, nommée ainsi à cause des étoiles en cercle qui se trouvaient au plafond, était une chambre du Palais de Westminster construite en 1347 et était utilisée pour des audiences juridictionnelles du Conseil. Dans le langage courant de l?époque, la Chambre Etoilée désignait aussi la réunion de certains membres du Conseil pour juger des affaires et avait plutôt tendance à acquérir une autonomie et se séparer du Conseil.

Selon l?énoncé de la Loi de 1487, la Chambre Etoilée devait être composée exclusivement du Chancelier, du Trésorier, du Lord-Garde du Sceau Privé et des juges en chef (Chief Justices) des cours de Common Law. Toutefois, la pratique

65 Cependant, Sir Edward Coke et Sir William Holdsworth pensent que la Loi de 1487 n?avait pas supprimé la juridiction du Conseil et investi une nouvelle dénommée Chambre Etoilée?. Elle avait simplement conféré la charge de la justice en matière de crime et d?ordre public à une chambre du Conseil. Sur cette thèse, v. PATEY Jacques cité note 41, v. p. 27.

voulait que tous les membres du Conseil pussent siéger dans la Chambre66. Aussi, ses compétences, limitées selon les dispositions de la Loi, étaient devenues universelles. Par conséquent, la Chambre Etoilée était presque identifiée au Conseil. Le Roi présidait souvent les audiences et le Roi Jacques I (1603-1625) avait même siégé dans un procès pendant cinq jours consécutifs67. Le Souverain rendait lui-même les jugements. Quand il n?avait pas assisté aux débats, il prenait l?avis de ses conseillers, tout en conservant le droit de modifier la sentence proposée68.

b. Son fonctionnement

Sous le règne de la dynastie des souverains de la maison des Tudors, la criminalité constituait l?un des problèmes majeurs de la Couronne. La Chambre Etoilée, telle qu?elle était, offrait l?avantage de pouvoir juger les accusés sans la constitution d?un jury et pouvait imposer plusieurs types de peine. Elle permettait au gouvernement de poursuivre les auteurs des délits de sédition rapidement.

Cependant, ce tribunal était vite devenu un instrument de l?arbitraire et de la tyrannie. Il menait l?instruction dans la clandestinité. L?accusé ne pouvait contre-interroger les témoins adverses. Son silence était considéré comme un aveu de culpabilité 69 . La Chambre Etoilée avait le pouvoir d?arracher des aveux par des tortures qui étaient aussi barbares les unes que les autres: brûlures au fer chaud, la mise au pilori et le fouettement. Mais elle ne pouvait prononcer la peine de mort en vertu d?un principe de Common Law qui voulait que seul un tribunal composé d?un jury populaire eût un tel droit70 Elle rendait la justice à l?image d?une société archaïque et violente.

Les juristes de Common Law et l?opinion publique désapprouvaient ces pratiques d?autant plus que parfois les juges participaient eux-mêmes à l?exécution des sentences. Le Lord-Chancelier Wriothesley, par exemple, avait serré les vis de l?instrument de torture qui avait écartelé une femme à la Tour de Londres (London Tower)71. Devant ces actes de barbarie, certains juristes de Common Law avaient adressé à la Reine Elisabeth I (1558-1603) une humble

66 CARTER A. T.: «Council and Star Chamber», LQR, 1902, vol. 18, pp. 247 à 254.

67 DICEY Albert Venn, cité note 64, v. p. 101.

68 PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 29.

69 FITZROY Almeric, Sir, cité note 53, v. p. 118 à 126.

70 LOVELL Colin Rhys, cité note 45, v. p. 275. Le jury avait pour objectif de légitimer la sentence. V. MILSON S.F.C.: «Historical foundation of the Common Law», Londres, Butterworths, 1981, 475 p., v. p. 410 et s.

71 FITZROY Almeric, Sir, cité note 53, v. p. 125.

supplique contre les abus des membres du Conseil et contestaient la légalité de la Chambre Etoilée.

Il était revenu au Roi Charles I (1625-1649) de convoquer en 1640 le Parlement72 qui adopta une Loi portant abolition de la Chambre Etoilée et réglementation du Conseil Privé73. La Loi reprenait des dispositions de la Grande Charte dans son préambule et rappela que les juges de la Chambre n?avaient pas agi dans les limites de la Loi74.

B. La compétence du Conseil Privé en matière coloniale

Le Conseil Privé, la nouvelle appellation du Conseil du Roi75, qui avait survécu à l?abolition de la Chambre Etoilée était une institution dotée d?une compétence plus réduite que le Conseil du Roi. Le Conseil Privé se réunissait en secret que pour délibérer sur la politique du gouvernement76 et exercer un pouvoir juridictionnel d?appel à l?encontre des décisions des cours coloniales. Après avoir été l?instrument clé de la consolidation du royaume britannique, le Conseil Privé devint un élément majeur de la logistique conquérante de la Grande-Bretagne. En effet, sous le règne du Roi Henri VII (1485-1509), des justiciables des colonies avaient pris l?habitude de recourir au Roi pour trancher des litiges (a). Avec le regain d?intérêt des plaideurs pour l?institution, des comités spécialisés avaient été créés au sein du Conseil Privé pour entendre ces appels (b).

a. L'origine des recours des justiciables au Roi

Les habitants des îles Anglo-Normandes (Channel Islands) avaient revendiqué avec succès le privilège d?un appel gracieux au Roi en tant que Duc de Normandie en vertu d?un droit acquis77. Ces îles étaient considérées comme étant trop petites pour pouvoir elles-mêmes disposer d?une cour souveraine78.

72 Cette réunion était connue sous le nom de Long Parlement?. V. sur le sujet MAUROIS André: «Histoire d?Angleterre», Paris, Librairie Arthème Fayard, 1937, 754 p., v. p. 423 et s.

73 «An Act for the regulation of the Privy Council and for the taking away of the Court commonly called the Star Chamber.»

74 HOLDSWORTH William, Sir, cité note 47, v. p. 515.

75 Selon Albert Venn Dicey, l?expression Conseil Privé était apparue bien auparavant sous le règne du Roi Henri V (1399-1413). Les termes Conseil? et Conseil Privé? évoquaient à l?époque l?ancien Conseil du Roi. V. DICEY Albert Venn, cité note 58, v. p. 43.

76 Le cabinet prit naissance de cette pratique. Son fonctionnement ne s?était jamais codifié. Aussi, c?est ce qui explique que le Comité Judiciaire, qui est un organe du Conseil Privé tout comme le Cabinet, se trouve à la Downing Street.

77 «Ce devait être le bien modeste début de la juridiction la plus étendue au monde», PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 24.

78 Sur le début de ces appels, v. SMITH Joseph Henri: «Appeals to the Privy Council from the American plantations», Columbia University Press, 1950, 770 p., v. p. 11.

Une Ordonnance en Conseil (Order in Council)79 prise par le Roi Henri VII en 1495 disposait que les appels en provenance de ces îles ne devaient être portés à aucune autre cour d?Angleterre, mais au Roi et à son Conseil (au Roy et a Consaill). Avec l?émergence de nouvelles colonies, le recours au Conseil devenait un moyen pour la Couronne de contrôler les affaires de ses colonies d?autant que les ressortissants britanniques de l?Inde désapprouvaient la justice de la Compagnie des Indes Orientales (East-India Company). La justice royale devenait le contrefort du pouvoir impérial et un facteur d?unification et d?intégration des possessions acquises.

Une Ordonnance en Conseil de 1580 avait fixé les premières règles de procédure devant le Conseil à l?égard de l?île de Guernesey. L?Ordonnance réglementait le délai dans lequel l?appel devait être interjeté, la manière pour l?appelant de faire transmettre par les autorités de l?île le dossier et les questions de frais et de cautions conformément aux anciennes coutumes de l?île80.

Le Conseil Privé, dépourvu de toute compétence juridictionnelle en droit interne depuis l?abolition de la Chambre Etoilée, était plutôt composé de conseillers personnels et de conseillers politiques du Roi que de juristes, hormis le Lord-Chancelier et le Lord-Garde du Sceau. En certaines occasions, il avait été nécessaire aux conseillers du Roi de consulter des juristes non-membres du Conseil pour trancher des litiges. Aussi, le traitement des appels n?était-il fondamentalement pas différencié des affaires politiques81.

En revanche, il y avait là un début de spécialisation. Mais le droit général d?appel au Roi n?était pas encore expressément proclamé et certains dirigeants des colonies déniaient son existence82. Par la suite, le Roi affirmait et revendiquait sa prérogative dans ses communications avec ses représentants dans les colonies.

b. La création des comités spécialisés

Il était devenu nécessaire de mettre au point une organisation dont la finalité était la spécialisation en matière juridique et, par voie de conséquence,

79 L?Ordonnance en Conseil est une décision exécutoire à portée générale ou individuelle signée par le Souverain.

80 SAFFORD Frank: «The practice of the Privy Council in judicial matters», Londres, Sweet and Maxwell, 1901, 1136 p., v. p. 702.

81 SMITH Joseph Henri, cité note 78, v. p. 24.

82 Ibid.

l?efficacité de la justice royale. Ainsi, en 1661, le Roi Charles II (1660-1685) créa avec peu de succès une instance spécialisée dénommée Comité d?Appel (Appellate Committee) au sein du Conseil. En 1681, il fut constitué au Conseil un Comité pour les Affaires Commerciales (Committee for the Business and Trade). C?était un comité permanent (Standing Committee) devant s?occuper de tout ce qui concernait les colonies de Guernesey83. La procédure n?était pratiquement pas réglementée, mais une Ordonnance en Conseil de 1683 avait prévu un dépôt de cautionnement (sufficient security) alors que la même année, Lord Keeper North, dans un arrêt célèbre84, affirmait le principe selon lequel dans les endroits tenus en don de la Couronne, il existait un droit de recours au Roi en Son Conseil.

En 1687, il avait été décidé que tous les Lords du Conseil Privé devaient composer le Comité pour le Commerce et les Plantations (Committee for Trade and Plantations) ainsi créé. Ce comité avait plus ou moins les mêmes compétences que le précédent. Cependant, il ne fonctionnait pas comme une juridiction. Il pouvait rendre sa décision sans avoir entendu une des parties et la procédure était informelle.

Après la Glorieuse Révolution de 1688-89, un Comité de Lords Commissaires de Commerce et des Plantations (Committee of Lords Commissioners of Trade and Plantations) avait été créé. Il fallait en priorité contrôler et diriger le commerce extérieur du royaume et trancher les litiges dans le sens le plus favorable à celui-ci. Un élément de procédure fut institué. Une Ordonnance en Conseil de 1696 disposait qu?un quorum de trois Lords du Conseil Privé était nécessaire pour statuer sur des appels venant des plantations85. Le Comité devait établir un rapport à Sa Majesté sur chaque affaire86.

Avec le développement de l?Empire britannique aux dix-septième et dix- huitième siècles, le nombre de pourvois au Conseil augmenta considérablement87. La lenteur de la procédure constituait, toutefois, un problème majeur tant la communication avec la métropole n?était pas rapide et le Conseil était essentiellement un organe exécutif plus préoccupé de l?administration que de

83 BENTWICH Norman, cité note 41, v. p. 2.

84 Haute Cour d?Equité: 14 julli 1683, Jennet and Ux? c/ Bishopp and Al?, ER, vol. 23, Chancery, affaire n° 181 p., 403, Lord Keeper rédacteur de l'arrêt, rapporté par Thomas Vernon.

85 SAFFORD Frank cité note 80, v. p. 704-5.

86 Ibid.

87 De 1674 à 1694, le Comité avait statué sur 60 appels des plantations américaines. De 1726 à 1833, il y avait 300 pourvois de la seule Cour Suprême de l?Inde.

rendre la justice. En 1833, il était impératif de rationaliser le système et créer un tribunal permanent.

Paragraphe 3. La création du Comité Judiciaire

Les juges siégeant dans les différents comités du Conseil Privé n?étaient familiers qu?avec le droit anglais88 alors qu?ils statuaient sur des affaires impliquant le droit de plusieurs familles juridiques. Ils avaient des difficultés techniques et il leur fallait chercher de l?aide de l?extérieur89. Le Conseil fonctionnait de manière défectueuse. Il fallait, pour que cette juridiction conservât son prestige, créer un corps judiciaire de grande valeur. Ainsi, la Loi de 1833 instituant le Comité Judiciaire au sein du Conseil Privé rationalisa la justice en matière coloniale (A). Accessoirement, la Loi consolida la compétence du Conseil en droit interne (B).

88 Auparavant, les juges statuaient sur des litiges commerciaux de Common Law. Avec le peuplement des colonies, les affaires avaient changé de nature et les juges durent appliquer les droits locaux.

89 Par exemple, en 1827, deux pourvois de l?Afrique du Sud dans lesquels étaient en cause le droit hollandais avaient été déférés à un juge hollandais et deux avocats parisiens. V. BURGE William, KC: «Observations of the supreme appellate jurisdiction of Great-Britain as it is now exercised by the Courts of the Queen in Council and the House of Lords», Londres, Saunders and Benning, Legal Pamphlet, 1841, 63 p., v. p. 21 à 23.

A. La rationalisation de la justice en matière coloniale

Le projet de loi de réforme de 1833 avait été inspiré par le Lord - Chancelier90 Henry Brougham91. L?objectif avéré était que la formation juridictionnelle du Conseil Privé fût composée de personnes connaissant non seulement la Common Law mais aussi des droits étrangers92. Selon la Loi de 1833 et des Lois ultérieures, le Comité Judiciaire du Conseil Privé ainsi créé, devait être composé de professionnels du droit, c'est-à-dire, à l?exception du Lord-Président du Conseil, des membres du Conseil qui avaient exercé de très hautes fonctions dans la magistrature: les Lords judiciaires (Law Lords)93, les Lords-Juges d?appel (Lords Justices of Appeal)94 et aussi de deux hauts magistrats des dominions95, de la Cour Suprême de l?Inde ou celle d?autres colonies. Les membres non-juristes du Conseil ne pouvaient y siéger pour trancher des litiges.

Aussi, la Loi, tout en posant le principe d?un droit de recours des justiciables des colonies au Conseil, juridicisait et uniformisait la procédure utilisée devant les anciens comités96.

Il convient de souligner que la Loi de 1833 régit encore aujourd?hui en grande partie le fonctionnement du Comité Judiciaire. Certaines de ses dispositions ont été réformées et complétées, notamment par l?Ordonnance en Conseil du 24 novembre 1982 intitulée «Règles sur la compétence d?appel du Comité Judiciaire»97.

Ainsi, l?institution du Comité Judiciaire, nouveau organe du Conseil Privé, était conçu pour assumer une fonction à la fois lourde et difficile. Il devait être une institution pouvant dire le droit à l?égard de plusieurs pays et systèmes juridiques. Etant une institution suprême, ses décisions devaient être

90 Le Lord-Chancelier exerce les fonctions d?un ministre de la justice.

91 SWINFEN David B.: «Henry Brougham and the Judicial Committee of the Privy Council», LQR, 1974, pp. 396 à 411 et HOWELL P. A.: «The Judicial Committee of the Privy Council 1833-1876, its origins, structure and development», Cambridge, Cambridge University Press, 1979, 262 p., v. p. 23 et s.

92 Le Lord-Chancelier Henry Brougham avait déclaré que: «... the judges (of the Privy Council) should be men of the largest legal and general information, accustomed to the study of other systems of laws besides our own, and associated with lawyers who have practised or presided in the colonial courts», in BURGE William, KC, cité note 89, v. p. 15-16. V. également HALDANE R. B.: «The work for the Empire of the Judicial Committee of the Privy Council», CLJ, 1921 -23, pp. 143 à 155.

93 Les Lords judiciaires sont membres de la chambre haute du Parlement britannique.

94 V. la Loi sur le Comité Judiciaire de 1881, in CRACKNELL D. G.: «Law students? companion, English legal system», Kent, Old Bailey Press, 1995, 320 p., v. p. 73.

95 V. la Loi de réforme du Comité Judiciaire de 1895, ibid., p.74.

96 Nous laisserons pour le moment cet aspect de la Loi pour le retrouver en son temps.

97 Judicial Committee (General Appellate Jurisdiction) Rules Order 1982, S.I, N° 1676. Cette Ordonnance annule celle de 1957.

d?une qualité supérieure à celles des juridictions qui lui étaient subordonnées. Le Comité Judiciaire fut créé pour permettre sans grande difficulté la soumission des pays conquis et leur population à la justice du Roi.

B. L'extension de la compétence d'attribution du Conseil en droit interne

La Loi de 1833 et d?autres Lois ultérieures ont élargi la compétence ratione materiae du Conseil Privé en droit anglais98. Il serait utile de mentionner, même très brièvement, l?exercice de ces compétences par le Comité Judiciaire. Nous serions incomplet si nous ne faisons un rapide panorama des attributions de la Haute Instance londonienne en droit anglais.

Le Comité Judiciaire est la juridiction de dernier ressort en matière d?amirauté et des prises maritimes. Il peut réviser les décisions de la Cour d?Amirauté. Cette compétence est tombée en désuétude depuis la fin des guerres avec l?Empereur Napoléon.

Par contre, le Comité Judiciaire statue encore aujourd?hui en matière ecclésiastique. L?Eglise d?Angleterre, qui s?était dégagée de sa dépendance à l?égard de Rome en 153399, est soumise au Roi et celui-ci, en tant que Chef de l?Eglise d?Angleterre, assure la justice ultime en la matière. Cette charge est conférée au Comité Judiciaire.

Par ailleurs, la Haute Instance londonienne exerce une juridiction de dernier ressort des décisions des Ordres de médecins, celui des dentistes et des opticiens. Il peut aussi être saisi d?une requête visant à destituer un député de son siège à la Chambre des Communes (House of Gommons) pour des raisons strictement disciplinaires100.

Enfin, le Comité Judiciaire peut agir pour le compte du Conseil Privé comme un conseil juridique à l?égard de la Couronne et du gouvernement. La Loi de 1833 dispose qu?il est loisible à Sa Majesté de déférer au Comité Judiciaire toute question pour avis par la procédure dite de consultation extraordinaire (special reference). C?est un moyen pour le gouvernement d?avoir l?opinion d?une

98 On attribue à Lord Brougham l?idée d?avoir élargi le domaine du Conseil Privé en droit interne dans le but d?absorber ultérieurement tout pouvoir juridictionnel de la Chambre des Lords.

99 Sur le sujet, v. MAUROIS André, cité note 72, v. p. 315 et s.

100 HALSBURRY?S LAWS OF ENGLAND: «The Judicial Committee of the Privy Council», Londres, Butterworths, 1975, 56 vol., v. vol. 10, pp. 355 à 389, v. p. 389. V. article 7 de la Loi de 1975 sur la destitution des membres de la Chambre des Communes (House of Commons Disqualification Act 1975).

haute autorité judiciaire sur un sujet'0'. Cette fonction consultative peut rapprocher le Comité Judiciaire du Conseil d?Etat français.

*

Telle est en résumé l?auguste histoire de l?origine du Comité Judiciaire du Conseil Privé. L?Angleterre a récupéré une institution d?origine française, imposée à elle par les normands. Bien que la Curia Regis, devenue Conseil Privé, eût évolué pratiquement en parallèle avec son homologue de l?Hexagone pendant des siècles, le Conseil du Souverain britannique devint, dans la deuxième phase de son histoire, un organe essentiel de la géostratégie des britanniques, ce qui conforta sa grandeur.

Il nous faut analyser la montée en puissance du Comité Judiciaire au sein de l?Empire britannique.

Sous-section 2. La montée en puissance du Comité Judiciaire

Le Comité Judiciaire demeurait un organe discret'02 de l?Empire britannique. En réalité, il exerçait une influence déterminante sur les colonies à la fois sur le plan politique et juridique'03 malgré l?existence au sein du gouvernement britannique des structures spécialisées tel le ministère des colonies (The Colonial Office). La politique des colonies faisait partie d?une sorte de domaine réservé du Souverain. Le rôle du Comité Judiciaire y était déterminant'04. Sa compétence était aussi vaste et immense que l?Empire britannique. Lorsque celui-ci s?agrandissait, la compétence du Comité Judiciaire s?étendait également.

Il semble donc qu?une étude du développement de l?Empire britannique (paragraphe 1) est importante à une bonne mise en valeur des compétences

101 V. par exemple CJCP: 7 mai 1958, Re Parliamentary Privilege Act 1770, AC, 1958, pp. 331 à 354, Vicomte Simmonds rédacteur de l?avis. Le Comité Judiciaire était dans cette affaire composé de sept Lords judiciaires.

102 Les grands ouvrages d?histoire sur l?Empire britannique n?évoquent jamais le rôle joué par le Conseil Privé.

103 «In the nineteenth century the Privy Council was seen as part of the... cement which bound the British Empire together as one coherent unit», CLARKE W. S.: «The Privy Council, politics and precedent in the Asia-Pacific region», ICLQ, 1991, pp. 741 à 756 v. p. 741.

104 «(The Judicial Committee was) the keystone of the great edifice of Imperial federation», Nebit Wallace in PIERSON G. Coen: «Canada and the Privy Council», Londres, Stevens and Sons, 1960, 115 p., v. p. 47.

Mr Reeve, Secrétaire du Conseil Privé, avait écrit en 1875 que: «The Supreme Appellate authority of the Empire or the realm is unquestionably one of the highest functions and duties of sovereignty. The power of construing, determining and enforcing the law in the last resort is, in truth, a power which overrides all other powers», in SWINFEN David B.: cité note 38, v. p. 3 8-39.

ratione loci et ratione materiae du Comité Judiciaire (paragraphe 2) et de son influence sur les différents systèmes juridiques de l?Empire. Cette démonstration pourrait, à première vue, nous éloigner de notre sujet mais il y a lieu, pour apprécier convenablement la montée en puissance du Comité Judiciaire dans le monde, de s?arrêter un instant sur le développement de l?Empire britannique. Le pouvoir de la Haute Instance londonienne dépendait directement de l?évolution de l?Empire.

Paragraphe 1. Le développement de l'Empire britannique

La création de l?Empire britannique fut l?un des grands faits de l?histoire du monde. L?Empire permit à une modeste île européenne, la Grande-Bretagne, de demeurer pendant de longues années la première puissance politique au monde105. Par l?Empire la Grande-Bretagne exporta hors de ses frontières sa civilisation, notamment sa langue, ses institutions et ses lois, surtout la Common Law, et contribua au vaste mouvement d?occidentalisation du globe.

Les historiens distinguent en général trois empires qui s?étaient succédé. Le premier prit naissance avec le début de la colonisation anglaise et prit fin avec la déclaration d?indépendance des Etats-Unis d?Amérique. Le second, qui succède au premier, connut son apogée avant la première guerre mondiale. Il disparaît définitivement après la deuxième guerre mondiale. Le troisième naquit après la deuxième grande guerre. Il fut transformé et devint le Commonwealth.

Pour notre part, nous passerons en revue les deux premiers empires, et analyserons le troisième dans la sous-section suivante lors de l?examen du déclin du Comité Judiciaire.

105 BONIFACE Pascal (dir): «Atlas des relations internationales», Paris, Institut des Relations Internationales et Stratégiques, 1993, 171 p., v. p. 106.

A. Le premier Empire

Le premier Empire prit naissance sous le règne de la Reine Elisabeth I (1558-1603) même si l?activité de conquête par l?Angleterre avait débuté bien avant. Les marchands de Londres voulaient réaliser de grands profits dans le commerce des épices comme leur homologues étrangers. Les anglais étaient devancés et voulaient eux aussi se lancer dans la quête du Nouveau Monde. Un grand aventurier, Sir Francis Drake, qui avait participé à la destruction de l?invincible Armada espagnole en 1588 avait, lors d?un tour du monde, observé la richesse des pays à épices. Il avait fortement inspiré l?ambition expansionniste des anglais. La Reine Elisabeth I se faisait la championne de la doctrine du mercantilisme ou ce qui est aujourd?hui qualifié de conquête indirecte (a) et encouragea les anglais à la convoitise commerciale. L?Empire connut vite une grande expansion (b).

a. La doctrine de la conquête indirecte ou du mercantilisme

Les britanniques avaient mis en place une stratégie d?approche indirecte pour maîtriser le monde. Ils voulaient bâtir l?Empire par l?économie106 et non seulement par la conquête militaire.

En effet, les corsaires avaient compris que le développement dépendait de l?acquisition des établissements au-delà des mers. Il existait dans le nouveau monde des zones libres dans lesquelles il était nécessaire de s?établir pour découvrir et exploiter de l?or107. Ces établissements pourraient aussi permettre l?expansion du protestantisme108.

Par ailleurs, le système mercantiliste tendait à faire des colonies des dépendances économiques de la métropole, destinées à alimenter son commerce d?importation et d?exportation, à stimuler son industrie et en définitive à lui assurer de gros profits.

L?Etat britannique ne devait pas s?engager directement. Il encourageait les initiatives privées et accordait son patronage à des associations de citoyens désireux d?ouvrir de nouveaux marchés dans le commerce maritime. Des

106 MATHEY Jean-Marie: « Comprendre la stratégie», Economica, 1995, 112 p., v. p. 27 et s. sur la stratégie des britanniques.

107 «... the dominant motive was the pursuit of wealth and the comfort and power that go therewith», WALKER Eric: «The British Empire, its structure and spirit 1497-1953», Cambridge, Bowes and Bowes, 1953, 352 p., v. p. 5.

108 BAKER Ernest: «The ideas and ideals of the British Empire», Cambridge, Cambridge University Press, 1946, 165 p.

compagnies de colonisation furent créées. Le Royaume leur accordait le droit d?administrer et de peupler les terres conquises.

Parmi les nombreuses compagnies qui avaient reçu une charte à la fin du seizième siècle, deux avaient particulièrement contribué au développement du premier Empire. La première s?appelait la Compagnie de Virginie et fut à l?origine de l?installation anglaise en Amérique du Nord. La seconde, la Compagnie (anglaise) des Indes, avait le monopole du commerce aux Indes Orientales et la pleine propriété des territoires acquis.

b. Les expansions coloniales

Le premier Empire, suivant l?implantation des deux grandes compagnies, s?édifia à partir de deux pôles: l?Amérique du Nord et les Indes.

La création des colonies de l?Amérique anglaise s?échelonnait sur plus d?un siècle, de 1607 à 1732. Chaque colonie de l?Amérique avait une structure propre. Les premiers colons envoyés en 1606 par la Compagnie de Virginie pour chercher des mines d?or avaient fondé le James Town. Lord Baltimore avait créé en 1633 le Maryland qui devint une colonie de propriétaires. Au nord se fondèrent la Nouvelle-Angleterre, une colonie sans charte et spontanée109, et le Massachusetts. En 1664, la Nouvelle-Amsterdam fut ravie aux hollandais et devint New York. L?éminent quaker William Penn donna son nom à une colonie, la Pennsylvanie.

Au Canada, les français et les anglais se disputaient de 1690 à 1697 et de 1702 à 1713. Suite aux Traités d?Urecht de 1713, la France renonçait à la Terre- Neuve et aux territoires de la Baie d?Hudson. Lors de la signature du Traité de Paris le 10 février 1763, elle renonçait au Canada qui devint une possession de la Couronne britannique.

La Compagnie des Indes Orientales (East India Company) connut un essor rapide. Elle tira des profits immenses de son trafic. Bien qu?au début elle se limitât strictement aux activités commerciales, elle eut en 1624 le droit d?administrer ses possessions de l?Inde. Plus tard, elle fut investie de privilèges

109 Des puritains qui avaient la même vision du monde que les Lumières voulaient s?installer dans un territoire vierge pour appliquer les règles démocratiques de l?âge moderne. Ils avaient quitté l?Angleterre à bord du Mayflower. Ils s?installèrent dans la Nouvelle-Angleterre et furent à l?origine de la déclaration d?indépendance. Ils reçurent le titre de Pères Pèlerins (The Pilgrim Fathers). V. HUSSEY W. D.: «The British Empire and Commonwealth, 1500-1961», Cambridge University Press, 1963, 363 p., v. p. 24.

régaliens: celui d?avoir des troupes, des armes, de déclarer la guerre aux souverains indigènes, de rendre la justice, de battre monnaie, de conclure la paix et ainsi de suite. Sur la route des Indes Orientales, les anglais acquirent de nouvelles bases, tels la Sainte Hélène en 1674 et le Gibraltar en 1704.

D?autre part, les navigateurs anglais conquirent quelques terres en Indes Occidentales (West Indies). Entre 1620 et 1630, ils prirent possession de Saint Christophe, Nevis, Barbade et, aussi, la Jamaïque. Par le Traité de Madrid de 1670, l?Espagne céda aux anglais ses possessions des Caraïbes.

Au dix-huitième siècle, l?Angleterre posséda la meilleure marine du globe. Elle dominait un riche Empire colonial (voir tableau 1 en annexe). Cependant, cet Empire devint victime de sa gestion. L?Angleterre voulait toujours contrôler et monopoliser les commerces. Mais les colons voulaient vendre leurs produits à ceux qui les payaient plus cher. Les colons américains considéraient comme un abus de pouvoir toute législation faite uniquement dans l?intérêt de la métropole.

Les treize colonies d?Amérique se dressèrent contre le gouvernement de Londres et proclamèrent leur indépendance110. Le premier Empire n?était plus.

B. Le deuxième Empire

Le deuxième Empire surgit après la Révolution industrielle qui transforma profondément la condition humaine et le mode de vie (a). Devenue la première force industrielle du globe, l?Angleterre poursuivit ses conquêtes (b).

a. La Révolution industrielle

La Révolution industrielle apporta une transformation fondamentale dans le monde, l?une des plus importantes dont l?homme ait tiré profit depuis la découverte du feu aux âges néolithiques. Cette transformation consistait essentiellement en la substitution de la machine à l?outil et la découverte des sources nouvelles de force motrice grâce à la vapeur.

L?évolution se répercutait tout d?abord sur l?industrie du textile et atteignit à la suite d?autres productions, telles la sidérurgie et la construction

110 V. ibid., le chapitre sur «The loss of the thirteen American colonies», pp. 119 à 137.

des navires à vapeur, des routes et de nouveaux moyens de transport. Par exemple, l?Angleterre inventa la locomotive utilisant les voies ferrées.

Avec le développement de son industrie métallurgique, la Grande - Bretagne augmenta tant sur mer que dans les colonies la marge de sa supériorité et put créer des escales sur toutes les routes du monde. Sa marine, son commerce et sa richesse111 crûrent prodigieusement alors que s?édifiaient en même temps un nouvel Empire colonial, plus vaste que le précédent.

b. Les conquêtes

Le deuxième Empire britannique débordait le cadre des deux pôles du premier Empire. Le Canada, contrairement à son voisin, les Etats-Unis d?Amérique, demeurait loyal à la Couronne et devint un dominion en 1931. Après la grande mutinerie des cipayes en 1857, la mainmise anglaise fut rétablie en Inde au bout de plus d?une année de durs combats. A partir de 1858, l?Inde dépendait uniquement de la Couronne britannique.

Afin de garantir la route des Indes, les britanniques intervinrent en Egypte en 1882, contrôlaient Aden et étendirent leur domination à la Birmanie. En Extrême-Orient, Hongkong et Singapour et la Péninsule Malaise devenaient leurs relais commerciaux avec la Chine.

Avec la découverte des mines d?or et des diamants, les britanniques occupèrent des territoires de l?Afrique du Sud en 1806. Ils établirent ensuite une domination coloniale du Caire au Cap après l?occupation du Soudan, de la Rhodésie et l?annexion de Tanganyika.

Au dix-neuvième siècle, les îles de l?Océan-Indien devenaient une véritable Mer Impériale?112. Sauf quelques exceptions, les îles passèrent toutes sous la domination britannique. A titre indicatif de la conquête, on peut citer les Seychelles, Maldives, Laquedives, Andaman, Nicobar, Chagos, Keeling, Isle de France (Maurice) et Rodrigues.

111 Les grandes importations d?Europe venaient de la seule Grande-Bretagne.

112 CROKAERT Jacques: «Histoire du Commonwealth britannique», PUF, Que sais-je ?, 1949, 120 p., v. p. 58.

Grâce aux oeuvres du capitaine Cook, l?Angleterre prit également possession de l?Australie et de la Nouvelle-Zélande113 à la fin du dix-huitième siècle.

*

Telles étaient, en bref, les expansions de l?Empire britannique qui atteignirent les limites même de notre planète (voir tableaux 2 et 3 en annexe). L?Empire britannique était de loin le plus vaste et le plus peuplé des Empires. Chaque pays conquis tombait automatiquement dans le ressort du Comité Judiciaire. Il devint leur juridiction suprême.

L?administration du second Empire différait du premier. La colonisation fut souple et l?Angleterre pratiquait une politique libérale. La colonisation fut même définie comme une colonisation anticolonialiste?114.

La Grande-Bretagne n?imposa plus sur les pays conquis le droit anglais et laissa subsister les droits locaux. En effet, si en 1608, la Cour du Banc du Roi (King's Bench Division)115 avait posé le principe selon lequel les lois d?un pays païen conquis étaient vouées à l?abrogation 116, en 1774, les juges anglais opérèrent un revirement du principe. Les pays conquis pouvaient maintenir leurs droits quel que soit leur degré de christianisation117. Cette tolérance amena le tribunal de la Downing Street à statuer sur le droit de plusieurs familles juridiques.

Enfin, la Grande-Bretagne accordait aux dominions le droit de se gouverner eux-mêmes (the right to self-government). Ce libéralisme s?expliquait par les difficultés rencontrées par Londres avec les colons américains.

113 HUSSEY W. D., cité note 109, v. p. 168 à 183.

114 GRIMAL Henri: «Histoire du Commonwealth britannique», PUF, Que sais-je ?, 1965, 128 p., v. p. 37.

115 Cour du Banc Roi: 1608, affaire Calvin, ER, King?s Bench, vol. 77, pp. 377 à 411, le LordChef-Juge Edward Coke rédacteur de l'arrêt.

116 «If a king comes to a Christian kingdom by conquest seeing that he hath vitae et necis protestam, he may at his pleasure alter and change the laws of that kingdom, but until he doth make an alteration of the laws, those of the kingdom remain. But if a Christian king should conquer a Kingdom of an infidel and bring them under his subjection, there, ipso facto, the laws of the infidel are abrogated for that they are not against Christianity, but against the laws of God and Nature contained in the Decalogue», ibid., p. 398.

117 Cour du Banc du Roi: 1774, Campell c/ Hall, ER, King?s Bench, vol. 98, pp. 848 à 899, Lord Mansfield rédacteur de l'arrêt, rapporté par Lofft.

Cependant, le Comité Judiciaire substituait subtilement le droit anglais aux lois locales à travers plusieurs techniques, notamment celles de l?interprétation de la norme et l?importation du droit anglais en cas de lacune de la loi locale. V. MATSON J. N.: «The Common Law abroad: English and indigenous law in the British Commonwealth», ICLQ, 1993, pp. 753 à 779.

Paragraphe 2. L'étendue de la compétence du Comité Judiciaire en matière coloniale

En tant que juridiction suprême de l?Empire britannique, le Comité Judiciaire était investi d?une compétence ratione loci aussi vaste que l?Empire lui-même. Norman Bentwich soutenait à juste titre, en 1936, que le Comité Judiciaire était le plus grand tribunal connu de l?histoire118. Ainsi, du fait que la Couronne laissait en vigueur les normes juridiques des pays conquis, le Comité Judiciaire dut statuer sur des litiges portant sur le droit de plusieurs familles juridiques. Sa compétence matérielle fut tout aussi immense.

Analyser en détail la compétence territoriale et matérielle de la Haute Instance londonienne conduirait à une intéressante et démonstrative étude de l?influence du Comité Judiciaire dans le développement du droit de nombreux pays. Mais ce serait trop prouver de la grandeur du juge londonien. Bornons- nous simplement à examiner de manière assez succincte le traitement par le Comité Judiciaire des pourvois provenant de certains pays seulement, des dominions (A) et colonies (B) dont les systèmes juridiques furent étrangers à celui de la Common Law.

A. Les dominions

Le terme dominion désignait les grands territoires de l?Empire où vivaient des populations blanches et qui s?administraient eux-mêmes. Le gouvernement de chaque pays était responsable devant l?Assemblée locale. Il bénéficiait d?une autonomie complète dans les affaires intérieures119. Avant la deuxième grande guerre, il existait cinq dominions, à savoir, le Canada, la Terre-Neuve, l?Australie, la Nouvelle-Zélande et l?Afrique du Sud.

Aux fins de cette étude, nous avons choisi deux dominions, le Canada (a) et l?Afrique du Sud (b). Il y subsiste encore aujourd?hui des droits différents de la Common Law. Le choix de l?exemple du Canada se justifie également par le caractère très riche et passionné de ses relations avec le Comité Judiciaire.

118 «Its jurisdiction is more extensive, whether measured by area, population, variety of nations, laws and customs, than that enjoyed by any court known in history», BENTWICH Norman: «The rôle of equity in the jurisdiction of the Judicial Committee of the Privy Council» in BENTWICH, DE BUSTAMENTE et autres: «Justice and equity in the international sphere», Londres, Constable and Co. Ltd., 1936, 59 p., v. p. 40.

119 BAKER Phillip Noël: «Le statut juridique actuel des dominions britanniques dans le domaine du droit international», Recueil des Cours de l?Académie de Droit International, 1927, vol. IV, pp. 247 à 491.

a. L'exemple du Canada

Quand le dominion du Canada fut créé, il existait 60,000 colons français. Le Canada était composé de neuf provinces dont le Québec. Hormis ce dernier où les francophones constituaient 82 % de la population, les anglophones étaient majoritaires dans les provinces. Dans l?ensemble politique canadien, les francophones ne représentaient que 28 % de la population.

Les français, après une lutte pour la défense de leurs libertés linguistique, religieuse et culturelle, avaient obtenu du gouvernement britannique l?adoption de la Loi de 1774 sur le Québec qui garantissait la reconnaissance du culte catholique et la législation française en vigueur en 1763, c?est-à-dire, la Coutume de Paris. Bien que celle-ci fût abolie en août 1866, elle avait été remplacée par un Code Civil inspiré du Code Napoléon.

Chaque province disposait d?une organisation juridictionnelle complète. Les justiciables pouvaient interjeter appel des décisions des cours des provinces soit à la Cour Suprême du Canada et, ensuite, au Comité Judiciaire à Londres, soit directement à celui-ci.

A ce niveau de notre analyse, une interrogation intéressante mérite d?avoir lieu: le Comité Judiciaire fut-il protecteur de la minorité française ? Cette question est complexe et difficile et tout élément de réponse doit, à notre avis, être considéré avec prudence.

La Loi de 1867 sur l?Amérique du Nord Britannique (The British North America Act), qui avait valeur constitutionnelle à l?égard du Canada120, avait, dans ses articles 93 et 133, accordé des garanties en matière d?enseignement et d?usage de la langue française. Mais, saisi d?un pourvoi fondé sur les deux articles, la jurisprudence du Comité Judiciaire n?offrait aucune originalité et n?était pas plus favorable à la minorité française que celle offerte par la Cour Suprême du Canada121. Ainsi, dans l?arrêt Ville de Winnipeg c/ Barret 122, le Comité Judiciaire avait débouté la minorité catholique. Dans une autre

120 Pour une description du système constitutionnel du Canada, v. WOEHRLING José: «La Constitution canadienne et l?évolution des rapports entre le Québec et le Canada anglais de 1867 à nos jours», RFDC, 1992, pp. 196 à 250.

121 Sur le Comité Judiciaire et la protection des minorités au début du dix-neuvième siècle, v. SCOTT F. R.: «The Privy Council and the minority rights», QQ, 1930, pp. 668 à 678.

122 CJCP: 30 juillet 1892, City of Winnipeg c/ Barret, AC, 1892, pp. 445 à 459, affaire de Canada, Lord Macnaghten rédacteur de l'arrêt.

affaire123, l?instance londonienne approuvait la solution de la Cour locale tout en reconnaissant à la minorité le droit de se pourvoir par la voie politique, sous la forme d?un recours au Gouverneur-Général.

Par contre, le Comité Judiciaire interprétait la Loi sur l?Amérique du Nord Britannique dans un sens favorable aux provinces 124. La Loi constitutionnelle énumérait dans son article 91, les matières qui étaient du ressort du Parlement du Canada. Le pouvoir délibérant fédéral pouvait légiférer «pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement du Canada»125. L?article 92 désignait les matières qui expressément relevaient de la compétence législative des provinces. Les juges de la Cour Suprême du Canada, nommés par le pouvoir fédéral, tranchaient les litiges dans le sens le plus favorable à la fédération alors que le Comité Judiciaire adoptait une démarche inverse. Il était, dans de nombreux litiges, question de savoir si le Parlement du Canada avait une compétence générale ou simplement subsidiaire. Autrement formulée, la question était celle-ci: le constituant britannique avait-il voulu créer une confédération ou une fédération ? Le Comité Judiciaire apporta à cette interrogation des réponses qui eurent de grands retentissements. Il avait plus ou moins neutralisé l?article 91 de la Loi126. Par exemple, dans l?arrêt Hodge c/ la Reine127, le Comité Judiciaire précisait qu?en vertu de la Constitution, les Parlements provinciaux étaient souverains et avaient la même compétence que le Parlement fédéral. Aussi, le Comité Judiciaire annula-t-il plusieurs dispositions des lois sociales dans les années précédant la deuxième guerre mondiale. En 1935, le Parlement du Canada institua les assurances de chômage. La Loi fut contestée par les autorités du Nouveau-Brunswick. Le gouvernement faisait valoir que la Loi litigieuse était conforme à la distribution constitutionnelle des pouvoirs et que le chômage fût un problème national. Le Comité Judiciaire déclara la Loi contraire à la Constitution parce qu?elle entrait, selon lui, dans le champ de compétence des provinces128. Quant au Québec, en tant que province minoritaire, il tirait profit de la lecture

123 CJCP: 29 janvier 1895, Brophy c/ Attorney-General for Manitoba, AC, 1895, pp. 202 à 229, affaire de Canada, Lord-Chancelier Watson rédacteur de l'arrêt.

124 BROWNE G. P.: «The Judicial Committee and the British North America Act», University of Toronto Press, 1967, 246 p.

125 «For peace, order and good government of Canada».

126 Sur le conflit entre les deux institutions, v. GUIFFAULT Didier: «La Cour Suprême canadienne dans l?ordre constitutionnel fédéral», thèse, Université de Lyon III, 1978, 662 p.

127 CJPC: 15 décembre 1883, Archibald G. Hodge c/ The Queen, AC, 1884-85, pp. 117 à 135, affaire du Canada, Sir James Peacock rédacteur de l'arrêt.

128 CJCP: 28 janvier 1937, Attorney-General for Canada c/ Attorney-General for Ontario, AC, 1937, pp. 355 à 367, affaire de Canada, Lord Atkin rédacteur de l'arrêt.

provincialiste de la Constitution par le Comité Judiciaire129. Bénéficiant d?une plus grande autonomie, sa spécificité était mieux protégée.

b. L'exemple de l'Afrique du Sud

Lorsque les anglais acquirent définitivement la souveraineté sur l?Afrique du Sud, il y vivait déjà, dans les colonies du Cap, du Natal, de l?Orange et du Tansvaal, des colons hollandais, c?est-à-dire, des Boers. Suite à des guerres de défense de leurs libertés, les boers obtinrent du gouvernement britannique l?adoption de la Loi sur l?Afrique du Sud de 1909 qui fondait l?Union Sud Africaine. Cette Loi, de valeur constitutionnelle, disposait que la langue anglaise et la langue hollandaise étaient l?une et l?autre langue officielle du pays et devaient être traitées sur un pied d?égalité. Par ailleurs, le droit hollandais et le droit romano-hollandais (Roman-Dutch law) demeuraient en vigueur.

Les dirigeants hollandais manifestaient une hostilité contre le droit de recours au Comité Judiciaire130. Ils ne voulaient pas qu?un tribunal anglais, si éminents qu?en fussent ses juges, administrât un droit différent du sien. Ils étaient d?avis que les tribunaux locaux étaient mieux placés pour appliquer le droit hollandais et que la Cour Suprême locale devait trancher en dernier ressort leurs différends.

Vu ces réticences, le Comité Judiciaire était principalement saisi des seules affaires portant sur le droit romano-hollandais131 dans lesquelles des questions d?ordre constitutionnel étaient soulevées 132.

Cependant, en 1933, le Comité Judiciaire accorda une autorisation spéciale d?appel portant sur une affaire impliquant des questions de droit romano-hollandais en matière contractuelle133. Le Comité Judiciaire cassa la décision de la Cour Suprême de l?Afrique du Sud. L?arrêt du Comité Judiciaire

129 Mr Bradeur dit: «As to Canada, there is no part of Canada more pleased with the decisions of the Privy Council than the province of Quebec», in PIERSON G. Coen, cité note 104, v. p. 42.

130 C. J. G.: «The Privy Council», SALJ, 1935, pp. 277 à 285.

131 L?article 106 de cette Loi avait déjà considérablement restreint le droit de se pourvoir au Comité Judiciaire. Ainsi, de 1909 à 1949, le juge londonien ne fut saisi que de dix pourvois.

132 CJCP: 8 juillet 1920, Whittaker c/ Durban Corporation, LJPC, 1921, pp. 119 à 126, affaire de l?Afrique du Sud, Vicomte Haldane rédacteur de l'arrêt.

133 CJPC: 10 juillet 1934, Pearl Assurance Company c/ Government of the Union of South Africa, AC, 1934, pp. 570 à 586, affaire de l?Afrique du Sud, Lord Tomlin rédacteur de l'arrêt.

provoqua de vives critiques134 sur sa compétence de la part des juristes et politiques de l?Afrique du Sud.

B. Les colonies et territoires d'outre-mer

Parmi les grandes colonies, l?Inde occupait une place primordiale et mérite qu?on s?y arrête (a). Nous évoquerons aussi les îles Anglo-Normandes qui se distinguaient des territoires conquis par leurs particularités (b).

a. L'exemple de l'Inde

Il existait en Inde, avant de la deuxième guerre mondiale, plus de trois cent cinquante-cinq millions d?habitants composant plusieurs communautés ethniques135. Les législations variaient d?une communauté à l?autre. Par exemple, en droit de la famille, les hindous et les musulmans avaient conservé leurs droits propres136. Ces législations étaient peu respectueuses des droits fondamentaux de l?homme. Le Conseil Privé se prononçait sur la régularité de ces normes. Le contrôle portait sur la moralité et la civilité des lois religieuses. Il privait d?effet les normes inhumaines. A titre indicatif, en 1831, le Conseil Privé avait revu en appel une décision de la Compagnie des Indes Orientales. Les requérants, des hindous de Calcutta, demandaient au Conseil Privé l?annulation d?une décision du Gouverneur-Général interdisant la pratique de sutti?137. Selon cette coutume hindoue, à la mort de l?époux, l?épouse devait se sacrifier et se donner la mort elle aussi pour prouver sa fidélité envers le défunt. Le Conseil Privé rejeta le pourvoi en vertu d?une jurisprudence constante et de sa vocation à civiliser les normes juridiques des pays conquis. Il confirma la décision du Gouverneur-Général.

Quant au droit musulman, qui existait aussi bien en Inde que dans certains pays d?Afrique, le Comité Judiciaire s?était entrepris de l?unifier. Il considérait que le juge d?un pays soumis à son autorité devait appliquer le droit

134 «It was suggested... that the members of the Judicial Committee were charged with impossible task in trying to apply a system of law with which they were slightly acquainted», MARSHALL H. H.: «The Judicial Committee of the Privy Council: a waning jurisdiction», ICLQ, 1964, pp. 697 à 712, v. p. 705 et WELSH R. S.: «The Privy Council Act, 1950», SALJ, 1950, vol. LXVII, pp. 227 à 230.

135 Les hindous formaient 72 % de la population, les musulmans 21 %, les chrétiens 3 %, les bouddhistes et autres 3 %.

136 «It was a fundamental and persisting British policy that, in matters of family law, inheritance, caste and religion, Indians were not to be subjected to a single general territorial law», GALANTER Marc: «Law and society in modern India», Delhi, Oxford University Press, 1992, 329 p., v. p. 18.

137 OWEN D. H. O., cité note 37, p. 2.

musulman tel qu?il l?avait défini et appliqué même dans des affaires en provenance d?autres pays138.

b. L'exemple des îles Anglo-Normandes

Les îles Anglo-Normandes étaient des possessions françaises du Roi d?Angleterre en tant que Duc de Normandie139. Ces îles possèdent encore des statuts juridiques et constitutionnels médiévaux140.

Les pourvois des îles Anglo-Normandes au Comité Judiciaire peuvent poser des difficultés juridiques aux juges anglais du fait de l?extrême ancienneté de leurs lois. Par exemple, le Comité Judiciaire a statué sur une affaire impliquant un clameur de haro? et une pétition de doléance?. Devenir un clameur de haro est une solution médiévale. Il suppose une situation dangereuse et permet de protéger le propriétaire dans la jouissance de ses biens. S?il y a une violation de la propriété d?une personne et que celle-ci crie à haute voix haro, haro, haro?, l?intéressé doit immédiatement cesser le trouble141. De même, le Comité Judiciaire a eu à appliquer la Charte aux Normands de 1314 dans une affaire relative à la succession et la prescription de l?action civile142. La Charte a été promulguée par le Roi français Louis X (1314-1316). Elle était rédigée en un vieux français, peu lucide à la compréhension comme leurs Seigneuries l?ont souligné dans leur décision143. Les Lords y ont invoqué plusieurs autorités françaises sur les lois et coutumes de Guernesey.

*

Ces exemples démontrent l?extrême diversité du champ de compétence du juge londonien. L?inventaire de l?étendue de ce pouvoir avait incité les

138 CJCP: 10 octobre 1951, Fatuma Binti Mohamed Bin Salim Bakhshuwen c/ Mohamed Bin Salim Bakshuwen, AC, 1952, pp. 1 à 14, affaire de l?Afrique Orientale (Ethiopie), Lord Simmonds rédacteur de l'arrêt, v. p. 14.

139 PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 167.

140 LEMASURIER René: «Le droit de l?île de Jersey», thèse, Paris, Editions A. Pédone, 1956, 344 p.

141 OWEN D. H. O., cité note 37, v. p. 4-5.

142 CJCP: 9 juin 1973, Adolphus Henri Vaudin c/ Adolphus John Hamon, WLR, 1973, vol. 3, pp. 257 à 267, affaire de Guernesey, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt.

143 «The earlier law to which both statutes refer is contained in la Charte aux Normands promulgated by King Louis X in 1314. The relevant passage reads: «Item, que prescription ou la tenue de quarante ans suffise à chacun en Normandie dorénavant, pour titre compétent, ou toute justice haute ou basse, ou de quelconque autre chose que ce soit. Et s?aucun de la duché de Normandie de quelconque condition ou état qu?il soit possédé par quarante ans paisiblement, qu?il ne soit sur ce molesté, en aucune manière de nos justiciers, ne souffert être molesté...». This text, though not simple, on careful examination, leads to conclusions upon which the present appeal can be decided» ibid.

dirigeants locaux, une fois l?Empire affaibli, à redéfinir la place qu?occupait le Comité Judiciaire dans le système institutionnel des territoires de la Couronne.

Sous-section 3. Le déclin du Comité Judiciaire

L?après deuxième guerre mondiale ouvrit l?ère de la décolonisation. Il déclencha dans tous les pays soumis à la domination anglaise, des révoltes contre l?impérialisme. La grandeur, l?autorité et la compétence matérielle du Comité Judiciaire furent réduites. Dans tous les territoires occupés, le nationalisme se déchaîna (paragraphe 1) au nom des principes de démocratie et du droit des peuples à disposer d?eux-mêmes. Les populations des colonies réclamèrent l?indépendance politique et judiciaire. Le Comité Judiciaire ne pouvait s?adapter à cette évolution. La légitimité de sa juridiction fut sévèrement mise en cause dès lors que les autorités britanniques n?eussent parvenues à le transformer en une cour suprême du Commonwealth (paragraphe 2).

Paragraphe 1. La montée du nationalisme

A l?instar de la France, l?Angleterre était contrainte de s?engager dans un processus de décolonisation après la guerre (A).

Le Comité Judiciaire, perçu dans le Commonwealth comme un organe de l?Empire britannique, devenait incompatible avec le statut d?Etats indépendants des anciennes colonies. La mise en cause de l?institution s?était intensifiée (B).

A. L'émancipation des territoires

Les colonies et dominions se rangèrent aux côtés de la Grande-Bretagne lors des deux grands conflits mondiaux. Les Premiers ministres des dominions étaient en conséquence invités, dès le premier conflit, à participer aux séances du Conseil de guerre (War Cabinet) qui devint, par la suite, le Conseil de guerre impériale(Imperial War Cabinet). L?Inde, compte tenu de son importance démographique, était elle aussi représentée dans les conférences ultérieures.

Les dominions participèrent à la définition de leurs politiques extérieures et, notamment, aux négociations de paix de 1919. Ils signèrent le Traité de Versailles de la même année. Ils devinrent ensuite membres de la Société des Nations.

Ce nouveau rapport de force avait contraint la Grande-Bretagne à négocier elle-même avec ses dominions et colonies (a) et, éventuellement, à leur accorder l?indépendance (b).

a. Le processus d'émancipation des territoires

Pour maintenir l?unité de l?Empire dans les prises de position sur le plan international, la Grande-Bretagne organisa, en 1926, une conférence sur le devenir de l?Empire. Le gouvernement de Londres était déterminé à faire disparaître les dispositions juridiques de l?Empire contraires à l?égalité de statut entre l?Angleterre et les dominions. Il fut adopté une résolution dite «la déclaration de Lord Balfour» selon laquelle le Royaume-Uni et les dominions seraient des communautés autonomes et égales en statut et ne seraient subordonnées les unes aux autres sous aucun aspect de leurs affaires intérieures ou extérieures.

Cette déclaration constatait l?existence au sein de l?Empire d?un groupe de nations indépendantes, dont le seul lien organique entre elles et la Grande- Bretagne était l?institution royale. La Loi britannique de 1931 sur le Statut de Westminster (Statute of Westminster Act), qui reprenait les termes de la déclaration de Lord Balfour, disposait que le Parlement de Londres ne pouvait légiférer à l?égard d?un dominion qu?à la demande expresse de celui-ci. Les Parlements des dominions devenaient entièrement souverains. La Loi de 1931 abrogea la Loi de 1865 sur la validité des lois coloniales. Quant au Comité Judiciaire144, les dominions possédaient la faculté d?abolir à leur égard sa j uridiction145.

En ce qui concerne les colonies, leur volonté de s?émanciper atteignit un point culminant après la deuxième guerre. L?Inde réclamait le départ des anglais. Dans les autres pays d?Asie, un sentiment anti-européen avait pris naissance et la population se dressa contre la tutelle européenne146. De même, les colonies africaines revendiquaient le droit à l?indépendance.

Devant cette poussée du nationalisme, le gouvernement de Londres décida de conduire les territoires coloniaux au stade du gouvernement autonome (self-

144 JENNING Ivor: «The Statute of Westminster and appeals to the Privy Council», LQR, 1936, pp. 173 à 188.

145 Les dominions s?étaient émancipés en 1931. A l?exception de l?Afrique du Sud, qui accéda au statut de République en 1961, les dominions demeurent des monarchies constitutionnelles où le souverain est la Reine Elisabeth II. V. BRADY Alexander: «Democracy in the Dominions», Londres, University of Toronto press, 1955, 614 p.

146 GRIMAL Henri, cité note 114, v. p. 98.

government)147 dans le cadre du Commonwealth148. L?Angleterre ne s?était pas opposée à l?émancipation de ses colonies et avait proclamé son attachement au droit de ses colonies à disposer d?elles-mêmes.

147 L?Angleterre renonça volontairement à sa souveraineté politique pour s?assurer, grâce à un climat de bonne entente, le maintien de ses liens commerciaux et monétaires. V. GRIMAL Henri: «La décolonisation, de 1919 à nos jours», Bruxelles, Editions Complexes, 1985, 351 p., y. p. 179.

148 CONAC Gérard, in CONAC Gérard (dir), cité note 18, y. p. XI.

b. Le transfert de souveraineté

L?objectif du gouvernement de Londres était d?accélérer l?évolution politique et constitutionnelle des territoires d?outre-mer afin que des conditions d?installation d?un gouvernement stable et responsable fussent présentes. Le Commonwealth des Nations, organisation créée juridiquement par la Loi de 1931 sur le Statut de Westminster et qui s?était substituée progressivement à l?Empire, fut un élément favorable à la politique évolutive mise en oeuvre par l?Angleterre149. La Communauté des Nations avait permis le passage en douceur des colonies de l?Empire au stade d?Etats indépendants du Commonwealth.

Ainsi, dès la fin de la deuxième guerre mondiale, les autorités locales des grandes colonies, tels l?Inde150 et le Ceylan (Sri Lanka), étaient appelées à former des gouvernements qui devaient progressivement prendre la direction des affaires politiques des dirigeants britanniques, notamment du Gouverneur. Les institutions créées, le Conseil Exécutif et le Conseil Législatif, qui devenaient ensuite respectivement le gouvernement et le Parlement, traduisaient profondément la nature des institutions du régime parlementaire de la Grande - Bretagne. L?Inde obtint, même si le modèle d?évolution n?avait pas fonctionné parfaitement, son indépendance en 1947151 et le Ceylan en 1948.

Le processus d?évolution vers l?émancipation fut très rapide en Afrique anglaise152. L?introduction des autochtones dans les conseils locaux avait accéléré les revendications nationalistes. Chaque réforme et chaque avancée proposée et octroyée par la Grande-Bretagne furent dépassées par de nouvelles revendications jusqu?à l?accession des pays à l?indépendance. L?Angleterre établissait alors une Constitution dite finale? pour chaque nouveau pays.

B. Le retrait des nouveaux Etats du champ de compétence du Comité Judiciaire

Depuis la promulgation de la Loi de 1931 sur le Statut de Westminster, les juristes et politiques de certains dominions, puis des nouveaux Etats du

149 JUDD Denis et SLINN Peter: «The evolution of the modern Commonwealth 1902-80», Londres, Macmillan, 1982, 171 p., v. p. 97 et s.

150 FISCHER Georges: «Le Parti travailliste et la décolonisation de l?Inde», Paris, Librairie François Maspéro, 1966, 341 p.

151 PARSAD Rajendra: «The new Indian Constitution», pp. 123 à 133, in BAILEY Sydney D. (dir): «Parliamentary Government in the Commonwealth», Londres, Hansard Society, 1951, 217 p.

152 «L?avance constitutionnelle était l?aspect le plus important de la nouvelle politique. Elle ne posait, en principe, du côté de la Grande-Bretagne, aucune difficulté doctrinale: les territoires africains auraient simplement à suivre la voie déjà tracée par les dominions et Ceylan», GRIMAL Henri, cité note 147, v. p. 225.

Commonwealth, avaient mis en avant les imperfections et l?archaïsme de l?institution londonienne et demandait par conséquent sa dissolution.

Il serait utile de recenser les critiques émises à l?encontre du Comité Judiciaire (a) avant d?évoquer l?appauvrissement de sa compétence (b).

a. Les griefs invoqués par les nouveaux Etats

Les critiques à l?égard du Comité Judiciaire furent nombreuses et variées. La réticence fondamentale au droit de recours au Comité Judiciaire provenait, non pas des imperfections du système, mais plutôt de son existence même. En accédant à l?indépendance, les nouveaux Etats considéraient les appels à Londres comme incompatibles avec leur souveraineté parlementaire et judiciaire. Cet argument tenace fut le refrain de toute réflexion sur la justice londonienne par les autorités des nouveaux Etats. Le Comité Judiciaire représentait un des derniers insignes du colonialisme153. Aussi, certains juristes du Canada considéraient que la Haute Instance londonienne portait atteinte à la crédibilité de la Cour Suprême et inhibait le développement de son statut et de son prestige154. La Cour Suprême s?éclipsait devant le Comité Judiciaire.

Les dirigeants politiques canadiens voyaient dans le maintien de la juridiction londonienne une anomalie. Les litiges d?ordre constitutionnel d?un grand pays, tel le Canada, ne pouvaient être tranchés par un organe juridictionnel étranger, autrement dit un tribunal anglais155. L?éloignement géographique du Comité Judiciaire portait préjudice à la légitimité de ses décisions. Le juge londonien ne disposait pas d?une bonne connaissance des situations et des subtilités locales nécessaires à la bonne administration de la justice156 d?autant que le Comité Judiciaire était composé à majorité ou unanimement de juges anglais. Très peu de juges des ex-colonies furent nommés membres du Conseil Privé malgré l?existence de dispositions législatives à cet effet157. Par ailleurs, la composition de la formation de jugement du Comité

153 GORDON G. M., DE B. FARRIS J. W. et SCOTT F. R.: «Abolition of appeals to the Privy Council: A symposium», CBR, 1947, pp. 557 à 572. v. p. 571.

154 «The existence of the Privy Council undermined the credibility of the Supreme Court and inhibited the development of its status and prestige», CAIRNS Alain.: «The Judicial Committee of the Privy Council and its critics», RCSP, 1971, pp. 301 à 345, v. p. 344-5.

155 GUIFFAULT Didier, cité note 126, p. 14.

156 «The real complaint against the Committee in terms of judicial competence was that, its very nature, being composed in practice of entirely of U.K. judges, it could not possibly match local practitioners in their knowledge of local law and conditions», SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 11.

157 Les Etats du Commonwealth n?avaient pas les mêmes garanties de représentation au Comité Judiciaire que les écossais en ont à la Chambre des Lords. Seuls les dominions et l?Inde pouvaient avoir un de leurs juges siéger au Comité Judiciaire.

Judiciaire variait de temps en temps. Le personnel n?était pas stable car les juges étaient désignés de manière occasionnelle'58 et la jurisprudence, en ce qui concernait le Canada, fut fluctuante, voire contradictoire d?autant que le Comité Judiciaire n?était pas lié par ses propres décisions.

L?égalité d?accès de tous les justiciables à la justice londonienne n?était pas assurée. Très coûteuse, la justice londonienne était fondamentalement injuste. Les moins fortunés furent défavorisés. L?aide juridictionnelle prévue (qui a pour appellation formâ pauperis?) ne permettait pas à tous les justiciables de revenus modestes d?en bénéficier. Seuls ceux qui ne possédaient pas plus, à l?époque, de £ 5 pouvaient recevoir cette aide.

b. L'appauvrissement du champ de compétence du Comité Judiciaire

Plusieurs pays mirent fin à la compétence du Comité Judiciaire à leur égard et il serait utile de rappeler quelques grandes dates.

Le premier pays à abolir le droit d?appel au Comité Judiciaire fut l?Etat Libre d?Irlande (The Irish Free State). La Constitution de 1922 avait établi une Cour Suprême mais elle ne comportait aucune disposition relative au droit de recours au Souverain d?Angleterre. Le Comité Judiciaire s?était reconnu compétent à l?égard de l?Etat Libre d?Irlande en considérant que son pouvoir relevait d?une convention constitutionnelle bien établie. En 1933, le Parlement irlandais adopta une Loi Constitutionnelle annulant le droit de recours au Roi d?Angleterre.

L?histoire de l?abolition des appels par le Canada fut passionnée. En 1926, une première tentative d?abolition partielle du droit de recours fut tenue en échec par le Comité Judiciaire. Le tribunal londonien annula la disposition législative qui lui est relative en vertu de la Loi de 1865 sur la validité des lois coloniale s'59.

Nous avons vu qu?en 1931 la Loi sur le Statut de Westminster proclama la souveraineté des parlements des dominions. Ainsi en 1933, le Parlement canadien vota une Loi réformant le Code Pénal dans le but de revenir sur le

158 «(It was) a court of fluctuating personnel characterised by the intermittent appearance and quick disappearance of many members», MAC DONNALD Vincent: «The Privy Council and the Canadian Constitution», CBR, 1951, pp. 1021 à 1037, v. p. 1024.

159 CJCP: 25 février 1926, Nadan c/ The King, AC, 1926, pp. 482 à 496, affaire canadienne, Vicomte Lord-Chancelier Cave rédacteur de l'arrêt. Selon le juge, la loi canadienne violait la Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire.

dispositif de la précédente décision du Comité Judiciaire. En vertu du nouvel ordonnancement juridique, le Comité Judiciaire confirma la validité de la Loi canadienne160.

Le droit d?appel demeurait en droit privé et public (civil matters), mais les décisions du Comité Judiciaire furent mal accueillies au Canada. L?activisme judiciaire de la Haute Juridiction donnait l?impression qu?elle poursuivait une politique colonialiste dans l?interprétation de la Constitution canadienne161. Le Comité Judiciaire avait, selon ses adversaires, substitué son idéologie politique aux lois votées par les représentants du peuple canadien162. Il semble qu?au-delà des argumentations étayées, la réticence canadienne envers le Comité Judiciaire se situait sur un plan politique. Les autorités fédérales voulaient consolider la nation canadienne. Le Comité Judiciaire, soutenant le gouvernement britannique, tenait à empêcher la montée en puissance d?une telle nation qui aurait pu suivre le pas des Etats-Unis d?Amérique et se déclarer indépendante.

Une proposition de loi tendant à abolir le recours juridictionnel à Londres fut adoptée en 1939163. Déférée au Comité Judiciaire, le juge prononça la conformité de la Loi à la Constitution164.

Quant à l?Inde, elle supprima, une fois la République proclamée en 1947, tout droit de recours au Comité Judiciaire165 et délégua toute la compétence de ce dernier à une Cour fédérale suprême. Depuis son retrait du champ de compétence du Comité Judiciaire, le nombre général de pourvois des pays à Londres s?était diminué considérablement. Il y a lieu de souligner que les appels de l?Inde, du fait de leur nombre, étaient tranchés par une formation spéciale du Comité Judiciaire166.

Le conflit entre le Comité Judiciaire et la Haute Cour de l?Australie fut intense167. La Haute Cour avait refusé d?appliquer les précédents du Comité Judiciaire et refusait systématiquement d?accorder aux requérants une

160 CJCP: 6 juin 1935, British Coal Corporation c/ The King, AC, 1935, pp. 500 à 523, affaire du Canada, Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt.

161 CAIRNS Alain, cité note 154, v. p. 312 et s.

162 MARSHALL H. H., cité note 134, v. p. 701. Lors des débats sur la proposition de loi tendant à abolir le droit de recours à Londres, un député fit remarquer que: «Le droit d?appel existait pour les colonies. Le Canada n?est pas une colonie», ibid.

163 LIVINGSTON William S.: «Abolition of appeals from Canadian courts to the Privy Council», HLR, 1950-51, vol. 64, pp. 104 à 112.

164 CJCP: 13 janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/ Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 127 à 155, affaire de Canada, Lord-Chancelier Jowitt rédacteur de l'arrêt.

165 EDDY J. P.: «India and the Privy Council: the last appeal», LQR, 1950, vol. 66, pp. 206 à 215.
166 CAMPELL Enid M.: «The decline of the jurisdiction of the Privy Council», ALJ, 1959, pp. 196 à 209.

167 SAWER G.: «Appeals to the Privy Council», OLR, 1970, vol. 2, pp. 138 à 149.

autorisation de se pourvoir au Conseil Privé. Réagissant à cette attitude, le juge de la Downing Street admettait plus libéralement les demandes d?autorisation de se pourvoir devant lui. Les autorités politiques de l?Australie réagissaient à leur tour en limitant de manière progressive les cas d?ouverture d?un pourvoi à Londres. En 1975, le droit de former un pourvoi contre un arrêt de la Haute Cour fédérale au Comité Judiciaire fut aboli. Seuls les Etats fédérés pouvaient encore maintenir le droit de recours au Conseil Privé à l?encontre des décisions des cours suprêmes fédérées. Aussi, la Haute Cour fédérale affirmait sa souveraineté en déclarant que ses précédents prévalaient sur ceux du Comité Judiciaire en cas de conflit. Le Comité Judiciaire dénonça sévèrement cette prise de position168. Suite à un accord entre tous les Premiers ministres des Etats fédérés de l?Australie, il fut adopté, en 1985, une Loi mettant définitivement fin au droit des australiens de se pourvoir au Souverain.

Au cours des années soixante-dix et quatre-vingts, nombreux Etats africains du Commonwealth avaient suivi l?exemple des dominions. Le Comité Judiciaire s?affaiblit et ne s?adaptait pas à l?évolution du Commonwealth. L?institution ne s?était pas transformée malgré les propositions faites en ce sens par des pays alors encore soumis à sa juridiction et par des dirigeants britanniques.

Paragraphe 2. L'échec de transformation du Comité Judiciaire

Le déclin rapide et de surcroît irréversible de la juridiction du Comité Judiciaire après la guerre déclencha un processus de réflexion sur la réforme de l?institution par certains personnages politiques et juristes britanniques et ceux des anciennes colonies. Ils étaient conscients que, faute d?une évolution, voire d?un remplacement, le Comité Judiciaire disparaîtrait169. Plusieurs propositions de réforme furent élaborées (A), mais toutes furent rejetées faute de consensus entre les parties concernées (B).

A. Les propositions de réforme

Les propositions de réformes étaient aussi variées que multiples, mais deux grandes idées s?en dégageaient: faire du Comité Judiciaire une Cour

168 CJCP: 10 juillet 1980, Port Jackson Stevedoring PTYL c/ Salmond and Spraggon, WLR, 1981, vol. 1, pp. 138 à 153, affaire de l?Australie, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt.

169 Sir Alfred Green a déclaré en 1943 que: «... unless steps are taken to place the Judicial Committee in a position of authority which will be accepted by dominions the disappearance of its jurisdiction in appeals from the Dominions in a comparatively short time is inevitable», STEVENS Robert: «The independence of the judiciary», Oxford, Clarendon Press, 1993, 221 p., v. p. 151.

Suprême du Commonwealth (a) et/ou élaborer une Déclaration des droits du Commonwealth qui aurait été appliquée par le successeur du Comité Judiciaire (b).

a. Une Cour Suprême du Commonwealth

L?idée de faire du Comité Judiciaire une juridiction suprême du Commonwealth est vieille. Elle appartient au Lord-Chancelier Selbourne qui, en 1873, avait voulu fusionner la Chambre des Lords et le Comité Judiciaire170. Il voulait que les ressortissants anglais et ceux du Commonwealth saisissent une seule et même cour en cassation et abolir ainsi la dualité juridictionnelle. La proposition ne fut pas acceptée mais la Couronne britannique augmenta de quatre le nombre de Lords judiciaires (Law Lords) pouvant siéger au Comité Judiciaire de sorte que le personnel des deux juridictions fût plus ou moins similaire.

La proposition refit surface après la deuxième guerre mondiale. Elle consistait cette fois non pas en la fusion des deux juridictions mais en leur remplacement171 par une Cour Suprême du Commonwealth172. Il fallait qu?il existât une juridiction qui pouvait maintenir l?unicité de la Common Law. La proposition, qui obtint le soutien de certains députés, fut discutée au sein des conférences des Premiers ministres du Commonwealth 173. La Cour Suprême du Commonwealth aurait été une juridiction supranationale contrairement au Comité Judiciaire et la question d?abandon de souveraineté judiciaire par les Etats n?aurait pas été posée. La Cour aurait été instituée par un traité.

Selon ses partisans, cette Cour aurait été un gardien vigilant des droits de l?homme et aurait promu les grands principes de droit et le règne du droit

170 STEVENS Robert B.: «The final appeal, reform of the House of Lords and the Privy Council, 1867-1876», LQR, 1964, pp. 343 à 369.

171 BOUVIER Vincent: «L?avenir de la Chambre des Lords», RIDC, 1983, pp. 509 à 556. V. aussi BAILEY Sidney Dowson: «The future of the House of Lords: a symposium», Londres, Hansard Society, 1954, 180 p.

Les difficultés de réforme de la Chambre des Lords montrent que les secondes chambres ont, dans les pays de l?Occident, l?appui d?une fraction considérable de l?opinion publique. V. MARX F. G.: «La Chambre des Lords», RDP, 1968, pp. 334 à 354.

172 Les appellations variaient. Certains la dénommaient Cour d?Appel du Commonwealth et d?autres Cour Constitutionnelle du Commonwealth.

La proposition de mise en place d?une Cour Suprême en Angleterre est toujours d?actualité. L?Institut de Recherches sur les Politiques Publiques a établi un projet de Constitution écrite pour l?Angleterre et prévoit, dans son article 96, le remplacement de la Chambre des Lords et le Comité Judiciaire. La Cour Suprême pourrait, par accord entre le gouvernement anglais et les pays du Commonwealth intéressés, exercer une compétence à leur égard. V. INSTITUTE FOR PUBLIC POLICY RESEARCH: «A written Constitution for the United Kingdom», Londres, Mansell, 1991, 286 p., v. également BRAZIER Rodney: «Constitutional reform», Oxford, Clarendon Press, 1991, 172 p., v. p. 159 et s. et BENN Tony Hood Andrew: «A new Constitution for Britain», Londres, Hutchinson, 1993, 43 p.

173 SWINFEN David, cité note 38, p. 179.

(rule of law)174. Sa compétence ratione loci aurait eu pour étendue le Commonwealth, l?Angleterre incluse, et son personnel aurait été représentatif de tous les Etats membres du Commonwealth. Elle aurait tenu ses audiences dans plusieurs pays membres et non uniquement à Londres175. Elle aurait été une cour itinérante. Ainsi, elle aurait apaisé les revendications nationalistes et renforcé l?égalité entre les anciennes colonies et la Grande-Bretagne. Or, le Comité Judiciaire, dans son fonctionnement, n?assurait une telle égalité. Il était perçu comme un organe imposé par la Grande-Bretagne et composé uniquement de vieux nobles siégeant à Whitehall?176 alors que la Cour Suprême du Commonwealth, elle, aurait été instituée sur la base du principe de la libre soumission des Etats à sa juridiction.

L?objectif était de maintenir la cohésion entre les systèmes juridiques dans la famille de la Common Law et de protéger en commun un bloc de valeurs juridiques propres au Commonwealth. Ces deux missions étaient autrefois poursuivies par le Comité Judiciaire. Avec le rejet de l?institution du Comité Judiciaire, il fallait qu?une juridiction ne possédant pas les caractères impérialistes de celui-ci le remplaçât.

b. Une Cour des droits de l'homme

La deuxième proposition, plus récente que la précédente et moins détaillée, constituait en la création d?une Cour qui aurait uniquement été un gardien des droits de l?homme contenus dans une Charte du Commonwealth. La Cour aurait eu à peu près les mêmes fonctions que la Cour Européenne des Droits de l?Homme. Elle aurait sanctionné les violations de la Charte par les Etats du Commonwealth. La Cour des droits de l?homme aurait été une juridiction internationale. Elle n?aurait fait partie de la hiérarchie des tribunaux internes. Sa compétence ratione materiae aurait été limitée aux dispositions de la Charte.

174 Les dirigeants britanniques craignaient que les droits fondamentaux ne fussent bafoués par les cours souveraines des nouveaux Etats.

175 «The Court should be wide in jurisdiction, representative in personnel and as various in venue as the Commonwealth itself. It should sit, as required, in the capitals and various sovereign nations which compose the Commonwealth», L?Honorable Hudges, House of Commons, Hansards, debates, 3 novembre 1953, p. 107. La proposition fut aussi soutenue par Lord Denning. Selon lui: «Le seul espoir de conférer au Comité Judiciaire quelque chose comme sa gloire d?auparavant est de le transformer en une Cour Suprême du Commonwealth. Tout comme Henri II a révolutionné l?administration de la justice en Angleterre en envoyant des juges itinérants dans tout le pays, je pense que l?administration de la justice au Commonwealth peut être révolutionnée en envoyant le Conseil Privé siéger dans les pays qui acceptent sa juridiction», in STEVENS Robert, cité note 169, v. p. 159.

176 L?Honorable Graham Page, House of Commons, Hansard, debates, 29 juin 1956, v. p. 955.

Cependant, autant les propositions sus-mentionnées furent séduisantes, autant elles n?eurent reçu l?adhésion des autorités britanniques et celles des grands pays du Commonwealth.

B. Le rejet des propositions

La Grande-Bretagne et les dominions ne donnèrent pas de suite favorable aux propositions de réforme ou de remplacement du Comité Judiciaire bien qu?elles n?eussent jamais été rejetées officiellement par un vote. La Grande - Bretagne avait préféré maintenir le statu quo. A quoi cela tient-il en réalité ? Il y a lieu d?en rechercher les raisons politiques (a) et juridiques (b).

a. Les motifs politiques

Le motif politique déterminant semble être celui-ci. Selon la première proposition de réforme, la Cour Suprême du Commonwealth aurait été composée, à égalité, de juges de chaque pays membre. Les dirigeants politiques anglais étaient très hostiles à cette idée et ne pouvaient consentir à ce que des litiges britanniques de pur droit interne fussent tranchés par une majorité de juges étrangers. Les juges indiens et africains ne présentaient pas de garanties de compétence suffisantes pour être à la hauteur de la fonction de la cour de remplacement de la Chambre des Lords177. Autant la Cour Suprême du Commonwealth fut une solution acceptable au rétablissement de la souveraineté judiciaire des nouveaux Etats, autant elle apparut comme un abandon inadmissible de souveraineté aux britanniques. Les australiens et canadiens ne voulaient non plus que leurs litiges fussent examinés par des juges indiens et africains178.

L?abolition de la Chambre des Lords et du Comité Judiciaire était politiquement impossible à réaliser en Grande-Bretagne car ce pays était attaché à son histoire. Les deux juridictions faisaient partie d?un noble patrimoine institutionnel. Une réforme de la Chambre des Lords n?était réalisable que si les politiques auraient parvenu à démontrer que celle-ci améliorait la qualité de l?administration de la justice en Grande-Bretagne179. Or, l?Angleterre faisait toujours valoir qu?elle avait les meilleurs juges au monde.

b. Les motifs juridiques

Le choix du siège de la Cour du Commonwealth avait posé des difficultés non seulement politiques mais également techniques. Les partisans de la réforme voulaient qu?elle pût siéger dans plusieurs pays membres ou même dans deux ou plusieurs pays à la fois si elle était au moins composée de deux chambres. Ce système aurait offert l?avantage de célérité de traitement des litiges. La procédure aurait été plus rapide et moins coûteuse. Cependant, les juges d?une chambre de la Cour auraient rencontré rarement leurs collègues de l?autre chambre. La jurisprudence aurait été divergente d?une chambre à

177 «... in some colonies, the standards of the Bench and Bar were not high», Le Duc d?Edimbourg in STEVENS Robert, cité note 169, v. p. 157.

178 Ibid., v. p. 153.

179 «It was clear that no radical change regarding the House of Lords could seriously be contemplated unless it could be shown to be... achievable without damage to the administration of justice in the U.K.». SWINFEN David B., cité note, 38, v. p. 204.

l?autre180. Aussi, des nouveaux Etats ne pouvaient offrir les infrastructures et bibliothèques adéquates pour accueillir les juges de la Cour du Commonwealth. Une telle juridiction aurait eu besoin, dans la recherche de la solution au litige, de procéder à une analyse et comparaison des différentes jurisprudences et législations des pays du Commonwealth. Tous les Etats ne disposaient pas d?un fond de documentation suffisant.

Quelle aurait été la politique jurisprudentielle mise en oeuvre par la Cour du Commonwealth ? Les britanniques doutaient de sa capacité à développer et uniformiser la Common Law tant le droit était hétérogène dans les pays du Commonwealth. Le Pakistan avait adopté le droit musulman et les lois coraniques y étaient élevées au sommet de la hiérarchie des normes 181. Selon la Constitution pakistanaise, les lois devaient être conformes au droit et à la pratique de la tradition musulmane. Cette fonction de contrôle de la conformité des normes aux grands principes de l?Islam ne pouvait être exercée par une cour composite. L?Inde, qui avait aussi conservé une partie du droit musulman et hindou, avait opté pour une politique économique proche du communisme182. L?Inde voulait établir une justice sociale et économique préalable à la jouissance des libertés. Les dirigeants ne voulaient pas qu?une juridiction supranationale n?entravât la politique du gouvernement183.

Faute de consensus, la Cour du Commonwealth ne vit jamais le jour. Le Comité Judiciaire demeurait statique. Plusieurs pays mirent fin à sa compétence.

180 Dans un rapport, le secrétaire du Lord-Chancelier, W. B. Rankin, avait souligné en 1955 que: «... it seems to me that an itinerant Board, instead of increasing the influence of the Judicial Committee, might just easily provoke premature demands for the abolition of the right of appeal altogether», STEVENS Robert, cité note 169, v. p. 156.

181 MEHDI Rubya: «The Islamization of the Law in Pakistan», Surrey, Curzon Press Ltd., 1994, 329 p., v. p. 71 et s.

182 ZINS Max-Jean: «La politique de l?Inde», PUF, Qus sais-je ?, 1994, 128 p., v. p. 60-61: «Le Parti du Congrès réuni à Avadi en 1955 se fixe comme objectif d?établir un modèle socialisant de société où les principaux moyens de production seront placés sous la propriété ou contrôle social», ibid.

183 SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 214-15.

*

Le Conseil Privé, l?inventeur du contrôle juridictionnel des normes législatives, n?est certes plus le grand tribunal du monde tant sa compétence s?est effritée au fil des ans. D?aucuns pensent qu?il se dirige peut-être vers sa disparition.

Néanmoins, malgré l?appauvrissement de sa compétence, le Comité Judiciaire a su se maintenir grâce au soutien, d?une part, de petits Etats: une quinzaine d?îles des Caraïbes, dont la Jamaïque, la Barbade, les Bahamas, la Trinité et Tobago, les Bermudes et le Gibraltar, et l?île Maurice et d?autre part, de Hongkong et de la Nouvelle-Zélande184. Le maintien du droit de recours au Comité Judiciaire dans certains pays a permis au juge londonien d?y jouer un rôle de première importance dans le développement de l?Etat de droit. Il semble que le Comité Judiciaire y a définitivement trouvé une place privilégiée et s?y est intégré dans le système juridique.

L?affaiblissement du Comité Judiciaire a eu pour mérite de modifier l?essence de l?institution. Le Comité Judiciaire n?a plus pour objectif, à l?égard des pays souverains, la poursuite d?une mission de nature impériale. Il faut voir dans l?affaiblissement de la Haute Instance londonienne un bienfait qui a permis à cette dernière de retrouver un nouveau dynamisme et, par conséquent, une nouvelle légitimité.

Il convient maintenant, après avoir mis en avant la grandeur du Comité Judiciaire, d?étudier le développement de ses liens avec l?île Maurice.

SECTION 2. LE DÉVELOPPEMENT DU LIEN DU COMITÉ JUDICIAIRE AVEC L'ÎLE MAURICE

L?île Maurice résiste à la tendance générale des nouveaux pays du Commonwealth à abolir le droit de recours au Comité Judiciaire. Les raisons de cette exception mauricienne sont à rechercher. Nous voudrions oeuvrer dans cette direction.

Les historiens n?auraient probablement pas grand-peine à démontrer que le poids de l?histoire est un élément déterminant de réponse à notre recherche.

184 EAST Paul, QC, MP, L?Honorable: «Judicial independence, the right of appeal to the Privy Council», The Parliamentarian, avril 1996, LXXWII, n° 2, pp. 140 à 143.

Il existe entre ce pays francophone185 et la Haute Instance londonienne des liens historiques noués au fil de son évolution constitutionnelle et politique (sous- section 1), lesquels méritent d?être mis en valeur.

Mais à s?arrêter à ce constat, on risque de manquer à une autre explication de la nature profonde de l?attachement du peuple mauricien à la justice londonienne. Il transparaît que les relations entre Maurice et le Tribunal de la Downing Street sont renforcées et soutenues par le rôle particulier, fût-il implicite, que les constituants originaires (britanniques) et dérivés (mauriciens) lui ont attribué. En effet, le Comité Judiciaire, par son existence même, son autorité et extériorité, permet de maintenir l?ordre social et représente l?ultime recours contre l?arbitraire dans ce petit pays pluriethnique (sous-section 2).

Enfin, il convient de rappeler que ces liens sont davantage consolidés par l?étendue de la compétence ratione materiae du Comité Judiciaire à l?égard de l?île Maurice (sous-section 3).

Sous-section 1. L'évolution constitutionnelle et politique de l'île Maurice

L'île Maurice est un jeune pays entièrement créé par la colonisation (paragraphe 1). Elle était inhabitée à la l?arrivée des premiers colons. La population, les institutions, l?économie et la société de l?île Maurice, toutes sont la conséquence directe de son histoire coloniale. C?est dans la phase même de la constitution de la société mauricienne qu?on trouve les racines et les motifs du lien mauricien avec la Haute Instance londonienne.

Après avoir accédé à l?indépendance en mars 1968 (paragraphe 2), l?île Maurice ne fut pas épargnée du mouvement de renouveau du constitutionnalisme dans les années quatre-vingt-dix en changeant de statut. L?île devint une République. Ce changement de statut confère au juge londonien une nouvelle légitimité.

Paragraphe 1. La colonisation

L?histoire de l?île Maurice se confond avec la succession des colonisateurs. L?île fut, peut-être, visitée au Moyen Age, par les arabes, puis repérée au

185 L?île Maurice fut le pays organisateur du Sommet de la francophonie en octobre 1993. V. Le Monde, 9 octobre 1993, p. 9

seizième siècle par les portugais186. Les hollandais prirent possession de l?île en 1596 mais ne s?y installèrent qu?en 1638187. Cette première occupation laissa à l?île Maurice son nom Mauritius?188. D?autres colons avaient essayé de s?y installer en 1644, mais l?entreprise échoua189. Les néerlandais abandonnèrent définitivement l?île en 1710.

Cinq années après, l?occupation française commença. Celle-ci laissa une marque profonde dans la sociologie et dans le système juridique de l?île, nommée Isle de France (A). Bien que la colonisation française fût antérieure à toute affirmation des pouvoirs de la Haute Instance londonienne à l?égard de Maurice, il convient, pour la compréhension du développement du droit mauricien, de s?y arrêter.

En 1810, les britanniques succédèrent aux français190 (B) et le Conseil Privé affirma sa compétence.

A. La période française

Nous étudierons la colonisation française à l?île Maurice en deux périodes successives, à savoir, d?abord, celle relative à l?Ancien Régime (a) et, ensuite, celle qui dure de la Révolution de 1789 à la fin de l?occupation française (b).

a. Sous l'Ancien Régime

Les premiers colons français vinrent à l?île Bourbon (aujourd?hui île de la Réunion) en 1721. L?île de France était concédée à la Compagnie (française) des Indes. L?île n?était constitutionnellement considérée que comme la propriété

186 Les portugais appelèrent l?île Maurice Cierne? et l?île Rodrigues, toujours une dépendance de Maurice, Diego Rodrigues? et d?autres îles Chagos?, qui font constitutionnellement partie du territoire mauricien. V. article 111-1-c de la Constitution mauricienne.

Sur l?histoire de l?île Rodrigues v. LANGELLIER Jean-Pierre: «L?île Rodrigues, cendrillon des Mascareignes», Le Monde, 2-3 février 1992, p. 6.

Une polémique oppose le gouvernement mauricien avec son homologue britannique sur la souveraineté mauricienne sur l?île de Diégo Garcia. V. ORAISON André: «Les avatars du BIOT, le processus de l?implantation militaire américaine à Diégo Garcia», APOI, 1979, pp. 117 à 207.

187 L?île Maurice permettait aux hollandais de se ravitailler sur leur longue route aux Indes.

188 On présume que ce nom dérive de Maurice de Nassau.

189 Le peuplement fut insuffisant. On comptait à peine 300 occupants, esclaves compris, dont deux fois plus d?hommes que de femmes. V. TOUSSAINT Auguste: «Histoire de l?île Maurice», PUF, Que sais-je ?, 1971, 128 p., v. p. 26.

190 L?île Maurice fait donc partie de ces pays qui ont subi une occupation coloniale effectuée dans le désordre. V. CONAC Gérard, «La vie du droit en Afrique» in CONAC Gérard, cité note 18, v. p. XIII. «Les crises et les conflits européens n?ont pas manqué d?avoir leur contrecoup en terre africaine. Des territoires ont changé de souveraineté pour passer du vaincu au vainqueur... Ainsi, plusieurs Etats africains ont-ils été marqués par l?empreinte de deux, voire trois colonisateurs», ibid.

privée de la Compagnie191. La Compagnie exploita mal sa concession192, et l?île fut rétrocédée au Roi de France en 1764.

La contrôle de l?île par le Roi de France prit effet à partir du 14 juillet 1767 lorsque débarquèrent à Port-Louis les premiers administrateurs royaux. Ils étaient deux: un Gouverneur-Général nanti de l?autorité suprême et du commandement des forces navales et militaires, et un Intendant chargé plus particulièrement de l?administration des finances. Les deux représentants du Roi assumaient, en outre, en commun un certain nombre de tâches, avec cependant voix prépondérante du Gouverneur-Général.

L?administration royale instaura de nouveaux tribunaux, les juridictions royales, qui jugeaient en première instance. Un Conseil Supérieur statuait en appel sur recours contre des décisions de ces dernières.

b. Depuis la Révolution française

Malgré son éloignement géographique, la Révolution française de 1789 eut des répercussions sur l?organisation judiciaire et politique de l?île193.

Les colons revendiquèrent et obtinrent rapidement le droit de gérer eux- mêmes les affaires de l?île. Une Assemblée de quelques soixante membres fut convoquée en avril 1790, et fut légalisée sous le nom d?Assemblée coloniale par un décret de la Constituante (juin 1789-octobre 1791)194. La République fut proclamée en février 1793 par l?Assemblée coloniale195.

Les bases des institutions de la Constituante, inspirées du principe de la séparation des pouvoirs, étaient reproduites localement. Le pouvoir législatif

191 NAPAL D.: «Les Constitutions de l?île Maurice», Port-Louis, Mauritius Archives Publications, 1962, 150 p., v. p. 1 à 18 sur l?histoire constitutionnelle de l?île Maurice et particulièrement la page 1 sur la Compagnie.

192 Les soldats étaient indisciplinés. L?île de France était dans une situation lamentable par rapport à l?île Bourbon. Toutefois, Mahé de Labourdonnais débarqua à l?île de France en 1735 et transforma considérablement la colonie en moins de cinq ans. Il aménagea Port-Louis en un centre de construction maritime et créa la première sucrerie à Pamplemousses. V. TOUSSAINT Auguste: «Histoire de l?île Maurice», cité note 189, v. p. 38.

193 MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «Histoire politique de l?isle de France: 1789-1791», Port-Louis, Mauritius Archives Publications, 1975, 193 p.

194 FAVOREU Louis: «L?île Maurice», Encyclopédie Politique et Constitutionnelle, BergerLevrault, 1970, 117 p., v. p. 22.

La Constituante, consacrant le principe de la suprématie de l?Assemblée, était hostile à l?affermissement du pouvoir royale. V. GICQUEL Jean: «Droit constitutionnel et institutions politiques», Monchrestien, Domat droit public, 14e édition, 1995, 806 p., v. p. 441. et v. aussi CHEVALLIER J. J. et CONAC G.: «Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours», Dalloz, 1991, 1028 p., v. p. 27 à 54.

195 FAVOREU Louis: «L?An I de la République mauricienne», pp. 26 à 28, in UNIVERSITY OF MAURITIUS: «Reflexion on the Republic», Le Réduit, 1992, 35 p.

était exercé par l?Assemblée coloniale de l?isle de France, le pouvoir exécutif par les représentants du Roi et le pouvoir judiciaire par les tribunaux.

Les dénominations de Juridictions royales? et Conseil Supérieur? furent remplacées respectivement par celles de Tribunaux de Première Instance et de Tribunal d?Appel. Comme le Roi portait le titre de Roi des français et non plus Roi de France, les juges locaux étaient désormais choisis par les justiciables et non plus désignés par le Roi196. Par ailleurs, sous le Directoire, un Tribunal de Commerce fut établi et l?Assemblée adopta le Code Pénal du 25 septembre 1791197.

Sous l?Empire Napoléonien (1799-1814), les bases du droit privé mauricien furent posées avec la promulgation à l?île de France des trois codes napoléoniens: le Code Civil, le Code de Procédure Civile et le Code de Commerce.

Le Code Civil fut promulgué le 1er Brumaire An XIV (23 octobre 1805) par un arrêté du Général Capitaine Decaën intitulé «Arrêté supplémentaire au Code Civil, pour étendre son application aux isles de France et la Réunion». Toutefois, ce code fut adapté à la division de la population de l?île de France en trois catégories: les blancs, les gens de couleurs et les esclaves198. Le Code de Commerce fut promulgué le 14 juillet 1809, à l?exception de certaines dispositions d?importance secondaire eu égard aux conditions locales199.

B. La période anglaise

Les Mascareignes, malgré leur petitesse constituaient un avant poste bien situé pour contenir la résistance française contre la poussée anglaise dans l?Inde200. Les anglais lancèrent une attaque contre l?île de la Réunion en juillet 1810. Les français n?offrirent aucune résistance tant les anglais étaient numériquement les plus forts.

196 TOUSSAINT Auguste: «Histoire du droit et des institutions de l?île de France et de l?île Bourbon jusqu?en 1815», pp. 35 à 42, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de droit privé français et mauricien», Annales de la Faculté de droit d?Aix en Provence, PUF, 1969, 230 p., v. p. 38.

197 Ibid.

198 Les esclaves demeuraient les biens meubles?. V. MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit civil mauricien», pp. 89 à 108, in CONAC Gérard : «Etudes de droit privé français et mauricien», cité note 196, v. p. 93.

199 ROBERT André: «L?évolution du droit commercial mauricien», pp. 109 à 125, in CONAC Gérard: «L?évolution du droit privé français et mauricien», cité note 196.

200 Monsieur Pitt, très clairvoyant, avait déclaré que: «Tant que les français tiendront l?île de France, les anglais ne seront pas les maîtres de l?Inde», in TOUSSAINT Auguste, cité note 189, v. p. 77.

Aussitôt, l?île de France devenait la prochaine cible. En décembre 1810, la flotte anglaise effectua un débarquement sur la côte nord de l?île après avoir été battue sur mer à la bataille de Vieux Grand Port. Les français capitulèrent entre les mains du Général Sir John Abercomby le 3 décembre 1810.

Le nouveau colonisateur, conformément à sa tradition, maintint la population française assujettie à ses lois (a) tout en procédant progressivement à la réforme de certaines institutions (b).

a. L'application des codes français

L?Acte de Capitulation signé par les Commandants anglais et français le 3 décembre 1810 conservait aux habitants de l?île de France leurs religion, lois et coutumes?201 en application de la jurisprudence de principe posée par Lord

M ans field202.

L?anglicisation de l?île Maurice, préconisée en 1828 par la Commission des Colonies Orientales nommée par le ministre britannique des colonies, n?a jamais eu complètement lieu en ce sens que la conquête anglaise n?avait pas été suivie d?un afflux d?immigrants anglais. Les codes français demeuraient en vigueur et le Comité Judiciaire, devenu juridiction suprême de l?île, avaient dans un appel venant du Canada, étendu aux colonies une règle posée par la Chambre des Lords selon laquelle un code de lois devait être interprété sans restrictions ni adjonctions203. Le Comité Judiciaire veilla en général avec soin l?application correcte des codes français204 et reconnaissait les autorités jurisprudentielles et doctrinales françaises205 dans la mesure où le droit français, contrairement aux autres droits autochtones, était dans la finalité très proche de la Common Law.

201 La Cour Suprême de Maurice confirma en 1902 que le droit d?un pays conquis demeurât jusqu?à ce qu?il fût changé par le conquérant. V. CSM: 15 septembre 1902, The Colonial Government c/ Veuve Laborde, MR, 1902, pp. 19 à 71, le juge Brown rédacteur de l'arrêt.

Par le Traité de Paris du 30 mai 1814, l?Angleterre accepta de rendre à la France la Réunion, mais conserva en toute propriété et souveraineté l?île de France et ses dépendances, notamment les Seychelles et l?île Rodrigues?. L?île de France reprit son nom néerlandais de Mauritius? (Maurice en français).

202 Cour du Banc du Roi: 1774, Campell c/ Hall, cité note 117.

203 CL: 5 mars 1891, The Governor and Company of the Bank of England c/ Vagliano Brothers, AC, 1891, pp. 107 à 172, Lord-Chancelier Halsburry rédacteur de la décision principale. Le Comité Judiciaire étendit le principe de cet arrêt aux colonies dans CJCP: 23 juillet 1892, Robinson c/ Canadian Pacific Railways Company, AC, 1892, pp. 481 à 490, affaire de Canada, Lord Watson rédacteur de l'arrêt.

204 CJCP: 21 février 1883, The Heirs of Martin c/ Marie Boulanger, LJPC, 1883, pp. 31 à 35, affaire mauricienne, Lord Blackburn rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire il était question de l?application de l?article 474 du Code de Procédure Civile.

V. aussi FLOISSAC V. F.: «The interpretation of the Civil Code of Saint Lucia», RGD, 1983, pp. 409 à 489.

205 CJCP: 29 janvier 1873, Emma Lagesse c/ Lucie Allard, LJPC, 1873, pp. 37 à 45, affaire de Maurice, Sir James W. Colville, rédacteur de l'arrêt. Le juge cite des articles des revues Sirey et Dalloz.

L?Administration britannique locale n?avait jamais été fermement désireuse de supprimer les codes napoléoniens au profit de la Common Law. Malgré la présence ultérieure de juges anglais à la Cour Suprême de Maurice, le droit substantiel demeurait tel qu?il était en 1810. Toutefois, le législateur introduisit de profondes réformes dans deux domaines: celui de la procédure et du mode d?administration des preuves par les tribunaux206. Les Règlements Intérieurs de la Cour (Rules of Court) d?inspiration strictement anglaise succédèrent aux règles de procédure civile et pénale207. Le droit anglais de la preuve avait vite reçu l?adhésion des juges et des auxiliaires de justice. Dès 1843, le terme anglais de preuve (evidence) était admis dans le langage du barreau mauricien208.

Les juges locaux appliquaient le Code Civil209 à la lumière des arrêts de la Cour de Cassation française210, tout en gardant une indépendance vis-à-vis de la juridiction suprême de l?ancienne métropole. Dans l?affaire Mungroo c/ Dahal de 1937211, le juge Le Conte de la Cour Suprême de Maurice refusait d?appliquer le revirement de la jurisprudence des Chambres réunies de la Cour de Cassation française à propos d?une interprétation de l?article 1384 alinéa premier du Code Civil212 en matière de responsabilité du fait des choses dans l?affaire Jand?heur213. Les arrêts de la Cour de Cassation n?avaient désormais qu?une forte autorité morale (persuasive authority) et non obligatoire à l?égard du juge local et celui-ci ne voulait trahir sa nouvelle fidélité et loyauté au Comité Judiciaire et était lié par ses décisions214.

206 HAREL Pierre: «L?Angleterre et la loi civile française à l?île Maurice», thèse, Paris, 1889, 215 p. et MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit civil à l?île Maurice», thèse, Aix en Provence, 1968, publiée chez Best Graphics Ltd, 1995, 436 p.

207 Avec cette réforme, par exemple, l?organe du Président de la Cour ne dirigeait plus les débats. D?autres réformes furent fondamentalement incompatibles avec le Code Civil. Une Ordonnance de 1945 sur les cours autorisa, par exemple, l?emploi des jurés dans les procès civils.

208 MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit civil mauricien», in CONAC Gérard (dir), cité note 198, v. p. 106.

209 VENCHARD L. E.: «Le Code Civil annoté», Port-louis, Law Publishers Ltd., 1983, 789 p.

210 CSM: 24 février 1952, The Queen c/ L?Etendry, MR, 1953, pp. 15 à 36, Sir Francis Herchenroder rédacteur de l'arrêt. Le juge fait dans cet arrêt une abondante référence au droit français et soutient que: «...we see no valid reason for departing from the normal rule of construction laid down time and again by this Court and which is to the effect that when our law is borrowed from French law we should resort for guidance as to its interpretation of French doctrine and case law», ibid., p. 29 et s.

211 CSM: 4 novembre 1936, Toolseeram Mungroo c/ Seejooparsad Dahal, MR, 1937, pp. 43 à 139, Juge Le Conte rédacteur de l'arrêt. L?arrêt est traduit en français par Attias C. in RDPros, 1982, pp. 307 à 345.

212 ANGELO A. H.: «The Mauritian approach to article 1384 of the French Civil Code», CILJSA, 1971, pp. 57 à 71.

213 CCF: 13 février 1930, Jand?heur c/ Les Galeries Belfortaises, DP, 1930, vol. 1, p. 129.

214 «Quand ces juridictions (françaises) interprètent un texte incertain, il nous faut hésiter très longtemps avant de statuer à l?encontre de leur opinion. Mais si nous considérons qu?elles ont atténué un texte de loi ou ajouté à ses dispositions, nous ne devons certainement pas les suivre. Si nous sommes dans l?erreur, l?autorité convenable pour nous remettre dans le droit chemin est le Comité Judiciaire du Conseil Privé à Londres», in CSM: 4 novembre 1936, Toolseeram

L?anglicisation du Code Pénal n?a que partiellement eu lieu. Le Code Pénal de 1791 fut remplacé en août 1838 par un code basé essentiellement sur le droit pénal français d?alors. Le Code, qui est toujours en vigueur, fut rédigé à la fois en français et en anglais, étant entendu qu?en cas de divergence entre les deux textes, le premier primerait215. Mais cette prédominance du français ne dura longtemps. Une Ordonnance en Conseil de 1842 disposait que toute modification législative et toute nouvelle loi devraient être rédigées en anglais. L?évolution du droit civil et du droit pénal s?opérait désormais dans un contexte anglais. Certaines nouvelles lois françaises furent traduites et reproduites par le législateur. Les termes quasi-intraduisibles furent reproduits entre parenthèse dans les lois nouvelles et ce ne fut qu?en 1962 que la Couronne permît les réformes en français lorsqu?il s?agissait des textes d?origine française

216.

b. Le développement institutionnel

Si le droit privé et le droit pénal de l?île Maurice de source française témoignèrent d?une résistance sélective à l?égard du colonisateur britannique, le droit public anglais s?implanta sans grande difficulté217. Les autorités anglaises effectuèrent une greffe juridique sur le droit francais de Maurice. Elles supprimèrent progressivement presque toute référence aux normes d?origine française en matière de droit public en agissant au cas par cas selon les besoins du moment.

Dès 1831, la Cour d?Appel de l?île Maurice fut reconnue officiellement sous le nom de Cour Suprême218. Mais en mai 1851, en vertu d?une Ordonnance en Conseil, la Cour d?Appel fut supprimée et remplacée par la Cour Suprême qui était alors dotée des mêmes pouvoirs que la Cour du Banc du Roi (King's Bench)

Mungroo c/ Seejooparsad Dahal, cité note 211. Pour une analyse de l?arrêt, v. DOMAH Gupt Satyabhooshan: «Une analyse des droits français, anglais et mauricien en matière de la responsabilité du fait des choses», thèse, Aix Marseille, 1979, 229 p., v. p. 164 à 166.

215 VENCHARD L. E.: «Le Code Pénal annoté», Port-Louis, Best Graphics Ltd, 1994, 3 vol., 2404 p. Les annotations font références à la jurisprudence et aux articles du Code Pénal français. V. également KENYON Careton W.: «Mauritius: the law of criminal procedure», Washington D.C., Library of Congress, Law Library, 1983, 45 p.

216 V. L?Ordonnance en Conseil de 1962 sur le langage des lois.

217 V. DAYOCHAND Napal: «British Mauritius: 1810 à 1948», Port-Louis, 1985, 278 p.

218 L?Ordonnance en Conseil du 13 avril 1831 dispose que: «Where it is necessary to make provision for the better administration of justice in His Majesty?s island of Mauritius and its dependencies, His Majesty doth therefore, by and with the advice of His Privy Council, order and it is hereby ordered that His Majesty?s Supreme Court of Civil and Criminal Justice within the said colony, called the Cour d?Appel?...».

et la Cour d?Equité (Court of Equity)219. Le Tribunal de Première Instance fut aussi aboli et sa compétence absorbée par la Cour Suprême. Celle-ci comportait désormais trois juges. Un pourvoi contre un arrêt de la Cour Suprême pouvait être fait au Conseil Privé dans les matières de £ 1,000 et au-dessus220. En 1894, le montant du litige pouvant faire l?objet d?un appel au Comité Judiciaire (the appellate value) fut fixé à RPM 10,000.

L?anglicisation des institutions judiciaires fut achevée avant l?accession de l?île Maurice à l?indépendance. La langue anglaise devint la langue officielle des tribunaux en 1945221. Aussi, le ministère public, créé sous l?Empire Napoléonien en 1808 et dirigé par le Procureur-Général, fut complètement anglicisé dans son organisation au point d?être dénaturé 222.

Quant aux institutions politiques, la Couronne reproduisit fidèlement les institutions britanniques à l?île Maurice223 comme dans les autres colonies224. Elle y implanta, au cours de l?évolution constitutionnelle de l?île, le régime parlementaire et représentatif225. Il fut créé, avant l?indépendance, un Conseil Exécutif, le gouvernement, dirigé par le Premier qui était nommé par le Gouverneur «selon les conventions observées en Grande-Bretagne». Cette

219 De même, la Loi sur les Cours (Courts Act) du 7 mai 1945 dispose en son article 17 que la Cour Suprême a les mêmes pouvoirs que la Haute Cour de Justice anglaise in ATTORNEYGENERAL?S OFFICE: «Revised laws of Mauritius», Port-Louis, Précigraph, 1981, vol. 2, pp. 5 à 37.

220 Le Comité Judiciaire déclina sa compétence en matière de divorce dans un appel de Maurice, v. CJCP: 9 mai 1844, Alceste Florentin Antoine D?Orliac c/ La Dame D?Orliac, ER, Privy Council, vol. 13, pp. 347 à 349, affaire de Maurice, Lord Brougham rédacteur de l'arrêt, rapporté par Edmund F. Moore.

221 La Loi du 7 mars 1945 sur les Cours dispose néanmoins en son article 131 que toute personne peut de droit communiquer aux cours inférieures en français.

Selon une anecdote, la vieille du jour où la langue anglaise devenait obligatoire, Maître Antelme, qui plaida devant la Cour d?Assises, prolongea sa plaidoirie jusqu?à minuit. Lorsque minuit sonna à l?horloge de la Cathédrale en face de la Cour, il s?arrêta et reprit sa plaidoirie en anglais. V. BOULAN F.: «L?organisation judiciaire de l?île Maurice», APOI, 1976, pp. 197 à 211, v. p. 200.

222 L?Ordonnance de 1957 abolit les postes de Procureur-Général et ses substituts et les remplaça par ceux du ministre de la justice (Attorney-General), du Soliciteur-General (Solicitor-General), le fonctionnaire en chef du parquet, et des avocats du parquet (State Counsels). La Loi du 30 décembre 1808 sur le Ministère Public demeure toujours en vigueur. V. ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité note 219, vol. 4, p. 7. Sur le ministre de la justice, v. DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: « L?attroney-General est-il un député ?», Le Mauricien, 17 août 1995, p. 11.

223 LEBLANC Jean-Claude: «La vie constitutionnelle et politique de l?île Maurice de 1945 à 1968», mémoire de troisième cycle, Faculté de droit de Tananarive, 1968, 167 p.

224 Seule la deuxième Chambre parlementaire anglaise, la Chambre des Lords, ne fut jamais exportée dans les dominions et colonies. V. WIGHT Martin: «British Colonial Constitutions», Oxford, Clarendon Press, 1952, 471 p.

225 BAILEY Sydney D.: «Parliamentary government in the Commonwealth», Londres, Hansard Society, 1951, 217 p.

formule signifiait que le Gouverneur désignait celui qui commandait la majorité au Conseil Législatif226 aux fonctions de Premier.

Ainsi, donc, à la fin de la colonisation anglaise, le droit mauricien fut fortement métissé. A ce titre, nous pouvons conclure avec Monsieur le Professeur Xavier Blanc-Jouvan qui affirme que ce qui caractérise le droit mauricien «c?est surtout qu?il réalise une sorte de synthèse en entre deux systèmes qui s?opposent sur le terrain de la technique juridique et qui appartient... à deux familles différentes»227. Le colonisateur anglais avait maintenu dans l?ensemble le droit privé d?origine française considéré à certains égards comme la législation personnelle des habitants et qui, même maintenue en l?état, ne pouvait porter atteinte à l?exercice de la souveraineté des anglais sur l?île228. A propos des institutions publiques et administratives, le colonisateur avait établi ses propres organes afin d?assurer sa domination229 jusqu?à l?accession de l?île Maurice à l?indépendance.

Paragraphe 2. L'indépendance

Comme dans d?autres pays du Commonwealth, le gouvernement travailliste britannique déclencha à partir de 1948 un processus devant conduire par étapes l?île Maurice à l?autonomie (self-government)230. Il fut mis en place des organes permettant aux mauriciens de s?administrer eux-mêmes. Les changements constitutionnels furent généralement préparés par des Commissions Royales d?Enquête (Royal Commissions of Inquiry) chargées de recueillir l?expression des voeux des divers courants et des cinq conférences sur la Constitution réunies, dans les années précédant l?indépendance, à Londres et présidées par le Ministre des Colonies qui s?efforçait de concilier les diverses

226 FAVOREU Louis, cité note 194, v. p. 28.

227 BLANC-JOUVAN Xavier: «L?introduction à l?étude comparée des droits de l?Océan indien», pp. 23 à 33, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de droit privé français et mauricien», cité note, 196, v. p.31.

228 Après 1918, en vertu du traité de Versailles consacrant le droit des peuples à disposer d?euxmêmes, un mouvement en faveur de la rétrocession de l?île Maurice à la France avait pris naissance du fait que bon nombre de mauriciens avaient combattu aux côtés de la France au cours de la première guerre mondiale. V. TOUSSAINT Auguste, Dr.: «Le mouvement rétrocessionniste», WE, 28 juillet 1994, p. 20 à 21.

229 MINISTERE DE LA JUSTICE DE L?ILE MAURICE: «L?application du droit mixte à l?île Maurice», APOI, 1980, pp. 119 à 129, v. p. 119-20. V. aussi TANCELIN Maurice: «Problématique de la mixité du droit, le cas de deux pays de l?Océan Indien, Maurice et les Seychelles», APOI, 1981, pp. 95 à 101.

230 DE SMITH Stanley A.: «The new Commonwealth and its Constitutions», Londres, Stevens and Sons, 1964, 312 p., v. chapitre 2, p. 38 et s.

revendications et de rédiger, avec l?accord de tous, les textes à soumettre au Parlement de Westminster.

A la dernière conférence en 1967, la discussion porta sur le point de savoir si l?île Maurice devait ou non accéder à l?indépendance au terme de son évolution. Le Parti Mauricien Social Démocrate de Gaétan Duval, était hostile au principe de l?indépendance231 et avait souhaité que ce choix fût fait sur consultation du peuple par référendum. Mais les experts britanniques préconisèrent l?organisation des élections générales (législatives) et si l?Assemblée élue se prononçait à la majorité simple en faveur de l?indépendance, celle-ci serait proclamée232. Les élections furent organisées en 1967 et les partisans de l?indépendance les avaient remportées.

Des négociations avaient eu lieu avec les dirigeants des principaux partis de l?île. Un Commissaire dit constitutionnel, Stanley A. De Smith, alors professeur à l?Université de Cambridge, était chargé d?établir un rapport sur les grandes lignes de la future Constitution. Celle-ci fut ensuite adoptée233 par le Parlement britannique234 et octroyée à l?île Maurice par le Souverain. La Constitution de 1968 dota l?île Maurice d?une organisation classique en régime parlementaire et le pays devint une monarchie indépendante (A).

Dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, le constitutionnalisme mauricien, comme celui de beaucoup de pays d?Afrique, entra, selon l?expression de Monsieur le Professeur Gérard Conac, brusquement dans une phase d?intense

231 Le PMSD fit campagne pour l?association avec le Royaume-Uni ou même pour l?intégration de Maurice dans la Grande-Bretagne. Si cette proposition était acceptée, l?île Maurice serait devenue un territoire d?outre-mer de la Grande-Bretagne. Mais le gouvernement britannique l?avait rejetée.

«Mauritius was a most unlikely colony to be made part of the United Kingdom... the anglophiles were not supporters of the PMSD», HOUBERT Jean: «Mauritius: Politics and pluralism at the periphery», APOI, 1982-83, pp. 225 à 264, v. p. 234.

232 Le gouvernement britannique avait refusé le recours au référendum qui aurait pu permettre à la population d?apprécier les mérites de l?association, comme le droit à la citoyenneté anglaise et à l?émigration en Grande-Bretagne.

233 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, WLR, 1976, vol. 2, pp. 366 à 397, affaire de la Jamaïque, Lord Diplock rédacteur de la décision majoritaire. Selon Lord Diplock: «They (Constitutions of the Commonwealth) embody what is in substance an agreement reached between representatives of the various shades of political opinion in the State as to the structure of the organs of the government through which the plenitude of the sovereign power of the State is to be exercised in the future. All of them were negotiated as well as drafted by persons nurtured in the tradition of that branch of the Common Law of England that is concerned with public law...», ibid., p. 372.

234 Le Parlement britannique avait agi en tant que pouvoir constituant à l?égard de Maurice. La Constitution mauricienne initiale, comme beaucoup d?autres, est dite fabriquée en Angleterre? (made in England).

activité volcanique?235. L?île changea de statut. La monarchie fut abolie et Maurice devint une République (B).

Sous le bénéfice de cette présentation, on s?interrogera sur la survivance de l?institution du Comité Judiciaire dans les deux phases de l?évolution constitutionnelle de Maurice.

A. La monarchie

Comme il avait été admis avant la deuxième guerre mondiale que le Roi George VI (1936-1952) était Roi du Canada aussi bien que celui du RoyaumeUni236, les Constitutions de type Westminster reconnurent le principe de la divisibilité de la monarchie. Selon ce principe, la Reine Elisabeth II était jusqu?à 1992 le Chef de l?Etat de Maurice 237 représentée sur place par un Gouverneur-Général. Ce dernier, comme en régime parlementaire classique et conformément à la pratique des Souverains d?Angleterre238, n?agissait qu?avec l?accord ou le vouloir du Premier ministre239. En revanche, en matière d?administration de la justice royale, il revenait à la Reine elle-même de traduire en Ordonnances les avis du Comité Judiciaire sur les litiges mauriciens240. Le fonctionnement de cette justice royale provoqua des interrogations sur sa légitimité (a). Mais la tentative d?abolition du droit de recours à Londres échoua (b).

235 CONAC Gérard: «Le processus de démocratisation en Afrique», pp. 11 à 41 in CONAC Gérard (dir): «L?Afrique en transition vers le pluralisme politique», La vie du droit en Afrique, Economica, 1993, 517 p., v. p. 11.

236 DALE William, cité note 29, v. p. 69.

237 Le titre de la Reine pour le Royaume-Uni est le suivant: Elisabeth la seconde, par la Grâce de Dieu, Reine de Royaume-Uni, de la Grande-Bretagne et de l?Irlande du Nord et de ses autres royaumes et territoires, Chef du Commonwealth et défenseur de la foi.

238 Les grandes conventions constitutionnelles évoquées par Albert Venn Dicey furent expressément traduites dans les nouveaux Etats. Sur les conventions v. BEAUD Oliver: «Les conventions de la Constitution. A propos de deux thèses récentes», DR, 1983, pp. 125 à 135. Sur l?utilité des conventions v. AVRIL Pierre: «Les conventions de la Constitution», RFDC, 1993, pp. 327 à 340.

239 Le Souverain possède en théorie le droit d?accorder ou non sa sanction aux lois votées par le Parlement. Dans la pratique, l?assentiment à une Loi n?est qu?une clause de style et ressemble à la procédure française de la promulgation. V. GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 246.

Sur les pouvoirs du Gouverneur-Général v. DALE William, Sir: «The modern Commonwealth», Londres, Butterworths, 1983, 345 p., v. p. 113 à 117.

Il convient de noter qu?en Australie le Gouverneur-Général s?était montré plus actif. V. DE SMITH Stanley A.: «Constitutional and administrative law», Londres, Penguin Books, 728 p., v. p. 124.

240 Le Comité Judiciaire ne conseillait pas le Gouverneur-Général. L?administration de la justice royale avait demeuré centralisée.

a. La mise en cause de la légitimité de la justice royale

L?île Maurice ne fut pas complètement épargnée du mouvement de suppression du droit de se pourvoir au Comité Judiciaire. Les mêmes griefs que ceux invoqués dans d?autres pays furent mis à l?avant pour étayer la thèse abolitionniste. Il était notamment fait reproche à la nature coloniale des relations entre le Comité Judiciaire et l?ordre juridique mauricien. Les dirigeants mauriciens voulaient que le système de droit mixte mauricien poursuivît une finalité différente de celle de l?époque coloniale. Autrefois, les autorités importaient le droit de l?Angleterre et éventuellement de la France. Durant la décennie quatre-vingt, le législateur avait voulu satisfaire des finalités proprement mauriciennes241 car l?île Maurice a ses propres moeurs et est une île à pluralité religieuse242.

Il était aussi fait reproche au fait que le gouvernement ne possède aucun moyen de contrôle sur le Comité Judiciaire, dont l?existence est fixée par une Loi britannique de 1833. Le Comité Judiciaire s?est déclaré complètement autonome, non soumis au Souverain britannique, donc à l?époque, mauricien aussi. Dans un pourvoi venant du Canada, la Haute Instance avait même fait ressortir que le Souverain était pratiquement tenu d?agir conformément à son avis243. La juridiction du Conseil Privé applique ses propres politiques jurisprudentielles, des fois jugées contraires à l?intérêt public national par la Cour Suprême. Une analyse de la jurisprudence permet de constater que le Comité Judiciaire se sent de plus en plus tenu d?appliquer à Maurice les grands principes de droit développés en Europe occidentale. La divergence de politique entre les deux institutions s?était accentuée. La Cour locale privilégiait le droit au développement économique au détriment des droits et libertés de première génération. Par exemple, le droit de propriété était mieux protégé par le Conseil Privé qu?à la Cour locale qui privilégiait l?intervention de l?Etat dans le domaine é con o mi q ue244.

241 «Désormais à Maurice le droit est français et anglais dans ses sources mais mauricien dans son objet et ses effets, poursuivent un seul but: la satisfaction d?une finalité mauricienne», HEIN Yves: «La réforme du mariage à l?île Maurice: pour une unification du droit», thèse, Université d?Aix Marseille, 1984, 138 p., v. p. 86.

242 Par exemple, en droit civil, le législateur accorde une certaine reconnaissance aux mariages religieux en vue d?adapter la législation à la culture mauricienne. V. Loi sur l?état-civil de 1981 (civil status Act 1981).

243 Voir infra.

244 Ibid.

Certains juges locaux avaient réagi en essayant de limiter les effets des décisions du Comité Judiciaire en droit mauricien. La Cour Suprême appliquait de moins en moins les précédents du Comité Judiciaire statuant sur des litiges venant d?autres pays du Commonwealth. Juridiquement, le juge mauricien n?était pas tenu de les appliquer. Il préférait invoquer des décisions d?autres cours britanniques, notamment celles de la Chambre des Lords245. Ensuite, s?agissant des arrêts du Comité Judiciaire prononcés en contentieux mauricien, certains juges locaux, par un travail de distinction des cas, refusaient d?appliquer les précédents aux situations qu?ils considéraient en toute discrétion différentes246 ou les appliquaient avec beaucoup de réserves247.

b. La tentative de remplacement du Comité Judiciaire

En 1983, le gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth248 avait tenté d?abolir la monarchie et exclure le Comité Judiciaire de l?ordre judiciaire mauricien. Le projet de loi fut préparé sous son premier gouvernement qui dura un an. Lors des élections anticipées de 1983, le projet de faire de l?île Maurice une République fut au centre des débats. Un projet de révision à cet effet fut adopté en Conseil des ministres du 29 septembre 1983.

Le projet tendait à remplacer le Comité Judiciaire par une Haute Cour d?Appel dotée plus ou moins des mêmes pouvoirs que la juridiction londonienne249. La Haute Cour aurait été composée d?anciens Chefs-Juges de la Cour Suprême de Maurice, nommés par l?éventuel Président de la République. Selon le ministre de la justice d?alors et initiateur du projet, Sir Gaétan Duval, après cessation de fonction d?un membre de la Haute Cour, seuls ses pairs aurait

245 COLOM Jacques: «La Cour Suprême de l?île Maurice et le contrôle de la constitutionnalité des textes fondamentaux de 1964 à 1984», thèse, Aix Marseille, 1989, 283 p. L?auteur fait à la page 129 une étude sur l?application des précédents du Comité Judiciaire. Sur un échantillon de 62 arrêts allant de 1965 à 1981, seulement dans une quinzaine de cas, les juges mauriciens ont expressément fait référence à des décisions du Comité Judiciaire.

246 CSM: 28 octobre 1987, Curpen c/ Regina, jugement n° 328 de 1987, les juges A. G. Pillay et R. Proag rédacteurs de l'arrêt. V. infra.

247 CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol. criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. V. infra.

248 Sur l?histoire des partis politiques et des élections depuis l?indépendance, v. PANTER-BRICK S. Keith: «Trois exceptions à la règle: le multipartisme à Maurice, au Botswana et au Nigeria», in CONAC Gérard (dir), cité note 235, p. 423 et s.

249 La révision tendait en la substitution du terme de pourvoi à Sa Majesté en Conseil en celui de pourvoi à la Haute Cour d?Appel.

eu le pouvoir de nommer son successeur parmi les avocats disposant au moins de dix années d?expérience professionnelle250.

Sir Seewoossagur Ramgoolam, ancien premier ministre, qui aurait devenu le premier Président de la République si le projet était adopté, s?opposa fermement à l?idée de remplacement du Comité Judiciaire251. La Haute Cour n?aurait offert les mêmes garanties d?impartialité que le Comité Judiciaire à l?île Maurice pluriethnique, selon Sir Seewoossagar Ramgoolam. D?autres dirigeants à la fois de la majorité et de l?opposition s?étaient opposés au projet252.

B. La République

La proclamation de la République était considérée par les principaux partis politiques de l?île Maurice comme une étape supplémentaire du processus d?acquisition d?une pleine et entière souveraineté de l?Etat. En réalité, le fait d?instituer une présidence de la République, de surcroît une dyarchie au sommet de l?Etat et un partage, fût-il non équilibré, des pouvoirs entre le Premier ministre et le Président, était aussi un moyen de consolider l?unité nationale et l?équilibre intercommunautaire253.

Le projet d?instauration d?une République fut au centre des débats lors des élections générales de 1987254 qui furent à nouveau remportées par le gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth. Toutefois, par un spectaculaire remaniement ministériel et revirement des alliances politiques, l?opposition

250 V. LEBRASSE Jossie: «Les amendements instituant la République devant le Parlement», WE, 2 octobre 1983, v. p. 1 et s.

251 LEBRASSE Jossie: «SSR à Week-End: Pas du tout d?accord avec l?institution d?une Haute Cour d?Appel», WE, 2 octobre 1983, p. 1. L?ancien Premier ministre avait déclaré: «Je ne suis pas du tout d?accord avec ce changement. S?il n?y avait pas le Conseil Privé, mon camarade Badry se serait retrouvé en prison... Je pense que pour ce genre d?appel, il faut continuer de recourir à l?étranger». Monsieur L. Badry fut ministre du gouvernement de Ramgoolam et reconnu coupable pour outrage à la Cour. L?arrêt de la Cour Suprême fut cassé en grande partie par le Comité Judiciaire.

252 Monsieur Paul Bérenger, ministre des affaires étrangères en 1991 et grand inspirateur du projet de République, parla du projet d?abolir le recours au Conseil Privé en ces termes: «... that shame of a draft bill, he (the Minister of justice) proposed to do away with appeal to the Privy Council. I refused to discuss this kind of rubbish. Yes, I agree, this was not a draft bill, this was a shame», LAD, n° 9 de 1991, p. 214.

253 HOOKOOMSING V. Y., CHAN LOW J. et REDDI S. J.: «Mauritius: The Republic, 199 years after», pp. 5 à 12, in UNIVERSITY OF MAURITIUS, cité note 195,

254 Lors de ces élections il y avait deux thèses en présence. Le gouvernement sortant proposait son projet de 1983, c'est-à-dire l?instauration d?une République parlementaire. L?opposition MMM voulait présidentialiser le régime politique en créant un Président à la française, élu au suffrage universel. La proposition de l?opposition reprenait les articles 5, 8, 9, 10, 12, et 18 de la Constitution française de la Vème République. V. WE du 1er mars 1987, p, 1 et s.

MMM entra peu après au gouvernement tandis que deux autres partis de la majorité passèrent dans l?opposition255.

Au terme d?un compromis entre les deux partis au pouvoir, le Mouvement Socialiste et le Mouvement Militant256, le projet d?une République parlementaire fut adopté par le Parlement en assemblée constituante par une majorité qualifiée257. Le Président de la République conserve les pouvoirs classiques attribués à la Reine d?Angleterre, mais il est nommé par l?Assemblée Nationale à la majorité absolue pour une durée de cinq ans sur proposition du Premier ministre258. L?Assemblée ratifie le choix du Premier ministre.

Le droit de recours au Comité Judiciaire est maintenu259. Le constituant de 1991 a plus ou moins conservé le statu quo (b) faute d?avoir une alternative crédible à la juridiction londonienne (a).

a. L'absence d'alternative au Comité Judiciaire

Le gouvernement ne dispose pas d?un projet fiable permettant le remplacement du Comité Judiciaire260. Le projet de création d?une Haute Cour d?Appel manque de rationalité en soi. Il prévoyait que le Président de la Cour Suprême demeurât le chef du judiciaire. La Cour Suprême aurait été soumise au contrôle d?une cour (mauricienne) supérieure. La cour supérieure aurait été notamment composée d?anciens Présidents de la Cour Suprême261. La hiérarchie des tribunaux aurait devenu davantage incongrue. Or, tout projet sérieux de

255 Aux élections de 1987, le MMM affrontait une triple alliance du MSM de Monsieur Aneerood Jugnauth, du PTr et du PMSD de Sir Gaétan Duval. Cependant, à mi-mandat, le PTr et le PMSD quittèrent le gouvernement et le MMM y entra. V. PANTER-BRICK S. Keith, cité note 248, v. p. 430.

256 De nouvelles élections eurent lieu en septembre 1991. Le gouvernement sortant remporta une victoire écrasante.

257 LANGELLIER Jean-Pierre: «Maurice est devenue une République», Le Monde, 14 mars 1992, p. 7. «L?idée républicaine n?est pas neuve. Elle avait surgi au début des années 1970, lorsque les anciens soixante-huitards, devenus d?honorables ministres, prônaient une République libertaire», ibid.

258 L?actuel Président, Monsieur Cassam Uteem tend à dynamiser la fonction présidentielle. V. notre article, DOOKHY Parvèz A. Cader: «Le Président de la République, deux ou trois choses que je sais de lui», Le Mauricien, 14 janvier 1994, p. 7.

259 PHILIPPE Xavier: « Mutation et révisions constitutionnelles dans les pays de l?Océan-Indien», AIJC, 1994, vol. X (imprimé en 1995), pp. 157 à 165.

260 Lors de la révision de 1991, le gouvernement avait pris soin de dissocier la question du Comité Judiciaire de l?accession du pays au statut de République pour ne courir aucun risque de censure au Parlement.

261 Les juristes furent très discrets à propos de ce projet. V. OSMAN A. M.: «La justice et la Haute Cour d?Appel», Le Mauricien, 11 novembre 1983, p. 3.

réforme invite à repenser préalablement la place, le rôle et la dénomination même de la Cour Suprême. Sujet ardu s?il en est, mais dont la discussion devrait s?ouvrir aussi sur tout le système juridictionnel de Maurice.

Certains s?étaient prononcés pour l?instauration d?une cour

constitutionnelle. La question s?était déjà posée en 1965 mais Stanley A. De Smith rejeta la proposition262. La cour constitutionnelle n?aurait eu qu?un pouvoir de veto suspensif de 6 mois à la promulgation de la loi votée. Le contrôle aurait été exercé a priori. Comme celle de la Haute Cour d?Appel, la composition même de la cour constitutionnelle suscitait les plus importantes appréhensions263. L?existence du monocaméralisme rendait, en outre, impossible l?utilisation du mode français de nomination au Conseil Constitutionnel. La solution la plus proche aurait été de conférer au Président de la République, le Président de l?Assemblée Nationale et le Chef de l?Opposition un pouvoir de nomination.

Il convient de relever aussi le peu de souci de certains juges de la Cour Suprême de faire respecter les grands principes de droit. Des arrêts de la Cour Suprême ont été sujets à de sévères critiques de ce point de vue264 et ont mis en lumière la faiblesse de la protection offerte par le juge local. La protection locale est en deçà du niveau des juridictions étrangères et internationales. Le juge avait, par exemple, refusé de consacrer un principe d?égalité entre l?homme et la femme265. En ce sens Monsieur le Bâtonnier Anil Gayan soutient que la jurisprudence mauricienne a besoin d?être guidée par une cour bénéficiant d?une grande autorité266 d?autant que le barreau et les juges ont perdu leur prestige267.

262 DE SMITH Stanley A.: «Report of the Constitutional commissioner», MLA, sessional paper, n° 2, 1965, 15 p.

263 Pour que les membres d?une cour supérieure à la Cour Suprême disposent d?une autorité convenable, il faut qu?ils soient d?anciens juges de la Cour Suprême. Or il se pourrait qu?un jour un nombre insuffisant d?anciens juges soit en vie dans la mesure où ils prennent leur retraite à 65 ans. V. FORGET Adeline: «Enquête sur la justice», Le Mag, 13 août 1994, pp. 13 à 21. Le Chef-Juge Sir Victor Glover, est sceptique sur les possibilités de fonctionnement d?une telle cour. V. ibid., p. 21.

264 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1991, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire mauricienne, Lord Goff of Chievely rédacteur de l'arrêt.

265 CSM: 3 octobre 1991, Guyot c/ Government of Mauritius, MR, 1991, pp. 156 à 161, juge Yeung Sik Yeun rédacteur de l'arrêt.

266 Monsieur le bâtonnier Anil Gayan pense que: «Maurice étant un petit pays, parce qu?il y a, entre les gens ici, toutes sortes d?associations, il est important que nous maintenons le Conseil Privé comme cour d?appel final», in LEBRASSE Jossie: «Entretien avec Me Anil Gayan», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15, v. p. 15. V. aussi DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Me Anil Gayan, Président du Bar Council», Le Mauricien, 3 octobre 1994, p. 6.

267 Le barreau mauricien était au départ très florissant. V. HEIN R.: «A. Herchenroder 1865-
1982», MtsLR, 1986, pp. 141 à 144 et HEIN R.: «L. Leconte», MtsLR, 1982, pp. 247 à 251. Mais le

b. Le statu quo

Devant l?absence d?une solution adaptée à l?île Maurice, le constituant de 1991 a maintenu le droit de se pourvoir au Comité Judiciaire268 en opérant toutefois une adaptation technique de l?appellation de l?institution au statut de République de Maurice.

En effet, deux types de réforme étaient envisageables. Un pays où la Reine Elisabeth II n?est plus le chef de l?Etat mais qui veut maintenir la juridiction du Comité Judiciaire, peut, en accord avec les autorités anglaises, décider que les pourvois seraient adressés au nouveau chef de l?Etat qui saisirait le Comité Judiciaire pour avis et prendrait ensuite une Ordonnance judiciaire sur la teneur de l?avis269. La deuxième solution serait que les recours ne soient plus adressés à Sa Majesté en Conseil

barreau fut en déclin dans les années quatre-vingt-dix. V. L?Express du 9 avril 1994, p. 9: «Propositions pour un barreau plus performant».

268 «There appears to be a general feeling not only in the legal profession but in every section of the population that, if Mauritius becomes a Republic, the Judicial Committee of the Privy council (as distinct from Her Majesty in Council) should remain our highest Court», Sir Aneerood Jugnauth, Premier ministre, LAD, 2ème lecture sur le projet de révision de la Constitution n° IX de 1991, p. 9.

269 Cette procédure fut utilisée par la Malaisie. Le Comité Judiciaire adressait un rapport au Chef de l?Etat de la Malaisie, le Yang di Pertuan Agong. V. par exemple, CJCP: 19 juillet 1979, Zainal Bin Hashim c/ Government of Malaysia, WLR, 1980, vol. 2, pp. 136 à 143, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt.

(Her Majesty in Council)270 mais simplement et directement au Comité Judiciaire qui prononcerait des arrêts271, des décisions directement exécutables.

Le constituant mauricien a opté pour la deuxième solution. Le recours intenté devant le Comité Judiciaire correspond désormais à un recours direct à une juridiction extérieure, du moins sur le plan géographique, à l?île Maurice. Cette solution est commode et s?inscrit dans la continuité. Ainsi, depuis 1991, le Comité Judiciaire bénéficie d?une légitimité accrue car il a été inséré dans la Constitution par le constituant dérivé, c?est-à-dire mauricien.

Outre que de dire le droit, le Comité Judiciaire est un élément indispensable au bon équilibre des institutions à Maurice. A ce titre, il a conquis une position éminente.

Sous-section 2. Les raisons particulières du maintien de la juridiction du Comité Judiciaire

Il est bien certain que le traditionalisme, le désir de maintenir la continuité a joué un rôle important dans la conservation du droit de recours à Londres. Le Comité Judiciaire a beau être une juridiction un peu inadaptée au statut souverain des Etats par les événements, il demeure néanmoins à Maurice un élément important au maintien de la paix sociale et au fonctionnement de la démocratie. La Haute Instance londonienne est un facteur de stabilité dans la vie nationale. Elle résume le consensus à tout moment où celui-ci est affecté. Ce prestige, cette situation exceptionnelle est la rançon de sa suppression. C?est ainsi que personne à l?heure actuelle ne songe sérieusement à la supprimer272.

En effet l?île Maurice est un petit pays273 composé d?une mosaïque de peuples. La pluralité ethnique marque la vie du pays au point où l?on peut douter de l?existence d?une véritable nation mauricienne274. Les génocides275 qui

270 Telle était la clause de style utilisée dans les pays soumis au Comité Judiciaire et où la Reine d?Angleterre est le Chef de l?Etat.

271 DE SMITH Stanley, cité note 239, v. p. 163.

272 «There are no plans to abolish the possibility of appealing to the Privy Council although it can be doubted whether the Privy Councillors, meeting in London, are really a body suitable to decide cases arising in a society about which they know very little... Perhaps the fact that the present Prime Minister of Mauritius is a Privy Councillor (though he does not sit in the Judicial Committee) make appeals to the Privy Council more palatable from the Mauritian point of view», BOGDAN Micheal: «The Law of Mauritius and Seychelles: a study of two small mixed legal systems», Lund, Jurisfôfloget, 1989, 54 p., v. p. 22.

273 Elle est d?une superficie de 1865 km2, mais a plusieurs dépendances dont l?île Rodrigues d?une superficie de 105 km2, Agaléga de 70 km2 et de l?Archipel de Chargados Carajos qui regroupe vingt-deux îles.

274 La question est posée par M. DUPON J. François au terme d?une intéressante présentation de la société mauricienne. V. DUPON Jean-François: «La société mauricienne», RJPIC, 1969, pp. 337 à 356.

ont eu lieu dans les années quatre-vingt-dix, notamment en ex-Yougoslavie et au Rwanda, sont venus confirmer la fragilité de tout équilibre intercommunautaire et du danger de la démocratie276. Une justice totalement impartiale et indépendante, voire extérieure, est un élément nécessaire au maintien de cet équilibre.

Par ailleurs, la Constitution mauricienne établit un système de collaboration plutôt que de séparation des pouvoirs. Le monocaméralisme, conjugué avec la rationalisation de l?activité parlementaire et de la discipline majoritaire, sacrifie tout pouvoir de contrôle du Parlement. Le Cabinet détient tout pouvoir décisionnel. Les institutions judiciaires purement mauriciennes, par la faiblesse de leur structure, ne jouent que difficilement leur rôle de contre-pouvoir.

Ces deux raisons, la pluralité ethnique de l?île Maurice (paragraphe 1) et l?absence d?équilibre entre les pouvoirs publics (paragraphe 2) font que la perpétuation des recours à Londres soit nécessaire. Il s?avère, dès lors, de s?y attarder.

Paragraphe 1. La pluralité ethnique de l'île Maurice

L?histoire coloniale, la succession des colonisateurs, a façonné le peuplement de l?île Maurice. Le fait multiracial marque le fonctionnement du système et du jeu politique (B) du fait même qu?il est évoqué dans le texte constitutionnel (A).

275 TERNON Yves: «L?Etat criminel, les génocides au XXème siècle», Editions du Seuil, 1995, 459 p.

276 «La démocratie ne se résume-t-elle qu?en la souveraineté du nombre ? Dans ce cas il faut admettre que le processus électif peut conduire à la dictature (les Nazis sont arrivés au pouvoir avec la majorité relative des suffrages), et c?est encore le cas aujourd?hui de nombreux régimes autoritaires», ROULAND Norbert, PIERRE-CAPS Stéphane et POURAMEDE Jacques: «Droit des minorités et des peuples autochtones», PUF, Collection droit fondamental, 1996, 581 p., v. p. 11.

A. Les données sociales et constitutionnelles

La population mauricienne est juridiquement composée de quatre ethnies (a). La prise en compte des dissensions ethniques s?est traduite par l?introduction dans la Charte fondamentale des garanties et des moyens de protection des minorités. L?examen de ces garanties nous conduit également à s?interroger sur leur efficacité (b).

a. La composition de la population

Dès l?origine de la colonisation française, la population de l?île de France fut composée de trois communautés277, les noirs esclaves venus de l?Afrique, des affranchis (les noirs libres, ou, la population de couleur) et les blancs. Suite à l?abolition de l?esclavage par les anglais, ces derniers, à la recherche d?une main d?oeuvre docile et moins coûteuse, furent appel aux indiens qui immigraient en masse à partir de 1835278. Les immigrants furent employés aux durs travaux dans les plantations et ils constituaient ainsi un prolétariat bien misérable279. Ce flux d?immigrants indiens, qui fut arrêté en 1842 pour des raisons humanitaires, était constitué de 5/6 d?hindous et de 1/6 de musulmans qui, contrairement aux hindous, étaient principalement venus comme ouvriers qualifiés et commerçants280. Enfin, une faible communauté chinoise de la Chine du sud fut venue compléter le peuplement281.

Cette diversité des origines ethniques282 a donné naissance à une grande diversité religieuse283. Les hindous (l?ensemble des populations non musulmanes d?origine indienne dont les tamouls) représentent à eux seuls près de 52 % de la population totale, soit la majorité absolue. Dans cinq des six districts ruraux,

277 DURAND Jean-Pierre: «L?île Maurice et ses populations», Bruxelles, Editions Complexes, 1978, 188 p.

278 Les indiens étaient employés au terme d?un contrat. QUENETTE Rivaltz L.: «En marge de l?abolition de l?esclavage: la fin d?une légende», Port-Louis, 1960, 116 p. et v. MIEGE Jean- Louis: «L?indenture labour dans l?Océan-Indien et le cas particulier de l?île Maurice», rapport présenté au colloque du Centre for History of European Expansion, Leyde, 21-23 avril 1982, 35 p.

279 HAZAREESING K.: «Histoire des indiens à l?île Maurice», Paris, Librairie d?Amérique et d?Orient, 1973, 223 p.

280 DELVAL RAYMOND: «La communauté musulmane à l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 49 à 77. V. aussi EMRITH Moomtaz: «History of Muslim in Mauritius», Bruxelles, Editions le Printemps, 1994, 376 p.

281 TIO-FANE H. Ly: «La diaspora chinoise dans l?Océan-Indien», Aix en Provence, Association des Chercheurs de l?Océan-Indien, 1981, 408 p.

282 LAU THI KENG Jean-Claude: «La multiethnicité à Port-Louis, île Maurice», RM, 1990, p. 121 à 127.

283 «The visitor to Mauritius is at once struck by the variety of religions to be found in the island. Temples, pagodas, mosques and churches, as well as distinctive shrines are to be seen along the roads», BURTON Benedict: «Indians in a plural society: a report on Mauritius», HMSO, 1961, 168 p., v. p. 138. V. aussi DUPON Jean-François: «Aperçu sur les résultats du dernier recensement sur la population de l?île Maurice», APOI, 1974, pp. 345 à 351.

les hindous représentent 60 à 70 % de la population. La population générale? recouvre l?ensemble des groupes dont le critère de définition est résiduel. Il s?agit de tous les groupes qui ne sont pas d?origine asiatique. Cette dénomination rassemble les mauriciens d?origine européenne (les blancs), ceux d?origine africaine peu métissés (les créoles) et ceux métissés (les mulâtres). Cette communauté hétérogène284 est la seconde du point de vue numérique avec près de 29 % de la population totale. La communauté musulmane, avec 16 % de la population forme une nette minorité plus ou moins cohérente285. La communauté sino-mauricienne, 3 % de la population, regroupe les mauriciens d?origine chinoise286.

b. Les protections constitutionnelles et leur efficacité

Dans la transposition à Maurice du régime parlementaire de Westminster, le constituant a beaucoup insisté sur la protection des droits des minorités287 pour maintenir l?équilibre intercommunautaire288.

Ainsi, les droits fondamentaux des individus et des groupes sont nettement affirmés dans la Charte fondamentale. Celle-ci s?ouvre par une proclamation selon laquelle les droits fondamentaux sont reconnus à tous «sans discrimination à raison de la race, du lieu d?origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du sexe»289. La Constitution garantit les droits classiques et a institué une procédure juridictionnelle de sanction des violations des droits fondamentaux.

Le constituant a mis en place une série d?institutions et de mécanismes tendant à assurer la protection des minorités. A ce titre l?institution de l?Ombudsman290 est une garantie pouvant rassurer les minorités. En outre de sa mission de remédier à la mal administration, l?institution mauricienne est conçue comme l?antidote idéal aux risques de discrimination raciale par

284 Ils partagent néanmoins une identité culturelle et cultuelle: la langue française et le catholicisme romain.

285 Les musulmans sont fortement concentrés dans la capitale, Port-Louis.

286 Ils sont actifs dans le commerce de détail.

287 PALLEY C.: «Constitutional law and minorities», Londres, Minority Rights Group Ltd., rapport n° 36, 1978, 23 p.

288 «... the Westminster model has undergone a number of modifications in its journey overseas. Most of the modifications have been designed either to give concrete expression to principles which in Britain rest upon unwritten understandings or to afford reassurance to minority groups», DE SMITH Stanley cité note 30, p. 107.

289 Article 3 CM. V. ISSALYS Pierre-François: «Ethnic pluralism and public law in selected Commonwealth countries», thèse de Doctor of philosophy? (Phd), Université de Londres, 1972, 522 p. v.sur l?île Maurice, pp. 352 à 435.

290 Article 96 à 102 CM. V. FLAUSS Jean-François: «L?Ombudsman mauricien», RA, 1986, pp. 172 à 175.

l?Administration. L?île Maurice ne dispose pas la Grande-Bretagne d?une Commission pour l?Egalité Raciale. Le titulaire de la fonction est nommé par le Chef de l?Etat. A la différence de celle du Médiateur de la République française, la saisine de l?Ombudsman est largement ouverte. Il peut être saisi directement par des administrés, sans condition de citoyenneté. L?exercice de cette saisine populaire est, en droit, facilité par la gratuité et l?absence de tout formalisme dans la procédure. Pourtant, il faut se méfier de céder à la tentation du culte de cette institution mauricienne. L?Ombudsman n?a jamais pu s?ériger en un véritable contre-pouvoir puissant faute d?une médiatisation et publicité de ses travaux291 et a même exercé ses pouvoirs dans un sens inverse292. On s?étonnera de cette prise de position.

Par ailleurs, il est prévu dans la Constitution et la loi électorale des dispositions permettant une meilleure représentation des communautés religieuses à l?Assemblée Nationale293. Le mode de scrutin est majoritaire à un tour. Sont élus dans chaque circonscription294 les trois candidats (deux à Rodrigues) qui ont obtenu les plus grands nombres de voix. Les électeurs sont tenus de choisir trois candidats, sous peine de nullité, sur une liste de l?ensemble des postulants de la circonscription295. Aux soixante-deux candidats directement élus, s?ajoutent huit candidats meilleurs perdants (Best losers)296 désignés par la Commission de Contrôle des Elections (Electoral Supervisory Commission) en vertu de l?article 5 de l?Annexe à la Constitution de Maurice. Les quatre premiers sièges sont attribués aux non-élus appartenant à la ou les communautés297 sous représentées à l?Assemblée Nationale au plus fort pourcentage des voix recueillis, quel que soit leur parti d?origine298. Les quatre

291 Malgré l?accroissement en 1991 de ses compétences en matière de corruption active et passive, l?Ombudsman est demeuré très passif. Mais le premier titulaire de la fonction, un magistrat suédois, Monsieur Gurnor Lindh, avait joué un rôle très actif. V. notre article, DOOKHY Riyad et Parvèz: «L?Ombudsman, ses faiblesses», 5-Plus dimanche, 24 avril 1994, p. 8. V. aussi MAURITIUS LEGISLATIVE ASSEMBLY: «The Ombudsman, circumtances leading to the resignation of Mr Gurnor Lindh», Sessional paper n° 1, 1972, 4 p.

292 Monsieur Suleiman Hattea, titulaire de la fonction à Maurice, a déclaré que l?Ombudsman constitue également un rempart pour l?Administration contre les accusations injustifiées?, in WE, 13 février 1994, p. 20.

293 «The electoral system would appear to have attempted to reconcile, in some measure, certain communal considerations, to encourage multi-communal parties while at the same time ensuring that the result of the elections would not hereby be frustrated», CSM: 21 janvier 1995, Valayden c/ The President of Mauritius, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, Les juges Rajsoomer Lallah, V. Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yeun rédacteurs de l'arrêt.

294 Il y a vingt et un circonscriptions.

295 Avec la bipolarisation l?électeur serait amené à voter pour les trois candidats de différentes communautés présentés par les partis.

296 Ce procédé peut se révéler antidémocratique. Un candidat écarté par l?électorat peut être retenu par l?autorité nommante, la Commission de Contrôle des Elections. En 1983, Monsieur Ismaël Nawoor n?avait obtenu que 16,2 % des suffrages exprimés mais avait été désigné.

297 Les éventuels candidats sont tenus de déclarer leur appartenance communautaire lors de leur inscription en tant que candidat.

298 En 1982, l?alliance MMM et PSM et OPR remporta tous les 62 sièges à pourvoir. La
Commission de Contrôle avait refusé de désigner les meilleurs perdants à cause de

autres sièges sont attribués selon le même procédé mais en rétablissant l?équilibre numérique entre les partis à l?Assemblée Nationale. Ce procédé est considéré comme un facteur de développement et d?encouragement de la pratique du communautarisme299 et incite les partis politiques à pratiquer une stratégie électorale basée sur les dissensions ethniques300. Le député nommé ou correctif est également incité à se comporter davantage en représentant de sa communauté religieuse que celui de la nation301. Mais Stanley A. De Smith avait considéré ce système comme un mal nécessaire au fonctionnement d?une démocratie pluri-ethnique302.

Enfin, le constituant a créé une série d?autorités administratives indépendantes, telle la Commission de la Fonction Publique (Public Service Commission), compétente pour statuer sur la discipline et pour effectuer les nominations des fonctionnaires, la Commission du Service de la Justice (Judicial Service Commission), chargée des mêmes fonctions à l?égard des magistrats et la Commission de Contrôle des Elections (Electoral Supervisory Commission) chargée du bon déroulement des opérations électorales303.

Ces mécanismes, tout en protégeant les minorités, ne freinent pas pour autant le réflexe identitaire, les dissensions raciales, donc des discriminations.

B. La pratique des discriminations ethniques et religieuses

l?impossibilité d?appliquer la loi dans la mesure où tous les candidats de la majorité avaient été élus. La Cour Suprême de Maurice infirma partiellement la décision de la Commission et attribua les quatre premiers sièges meilleurs perdants aux candidats des partis non représentés à l?Assemblée Nationale qui constituent l?opposition. V. CSM: 1er juillet 1982, Roussety c/ The Electoral Supervisory Commission, MR, 1982, pp. 208 à 213, le Chef-Juge Cassam Moolan rédacteur de l'arrêt. De même en 1991 et 1995, seuls les quatre premiers sièges avaient été alloués pour des raisons pratiquement identiques.

299 Le juge puîné Garrioch, dans une opinion dissidente dans CSM: 4 juin 1974, Duval c/ Commissioner of Police, MR, pp. 130 à 165, le juge Ramphul rédacteur de l?arrêt majoritaire, avait écrit ceci: «Communalism is a reality not only recognised but also likely to be perpetuated by our Constitution», ibid., p. 159. V. aussi BOOLELL Satcam, Sir,: «The case for reform», 5- Plus dimanche, 6 mars 1994, p. 8. Il écrit que: «The good loser system has outlived its usefulness and it is hightime to get rid to this complicated and cumbersome system», ibid.

300 D.A.: «Le système correctif à la ferraille, l?opinion publique le réclame», WE, 4 juillet 1982, p. 8. Des députés de base (backbenchers) et trois ministres avaient en 1982 demandé par voie de pétition l?abrogation du système correctif. Le Premier ministre s?y était opposé. V. Le Mauricien, 13 juillet 1982, p. 1. V. aussi SELVON Sydney: «Abolissons le best-loser communal et proclamons l?avènement de la nation une et indivisible», WE, 4 juillet 1982, p. 8.

301 GABRIEL G.: «Communalisme, structures sociales et dépendances économiques à l?île Maurice», PA, 1983, pp. 97 à 112. En français mauricien, l?idéologie et la pratique des réflexes identitaires sont exprimées par le terme communalisme?.

302 «... in the present social and political climate of Mauritius, it may be that to afford such a guarantee... will be the least of evils, but I believe it to be an evil nonetheless», DE SMITH Stanley A., cité note 262, p. 8.

303 «Our conclusion also takes account of the vital role ascribed by the Constitution in particular to the Commission as an impartial, independent and apolitical body charged, not only with the responsibility for among other things, the conduct of elections of members of Parliament», CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp. 29 à 47, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt, v. p. 38.

Le fait des dissensions ethniques s?est développé au fil du peuplement et de l?évolution politique de Maurice (a) pour demeurer pratiquement irréversible au plan politique (b).

a. Le développement du réflexe identitaire

Le phénomène de l?esclavage, bien qu?aboli dès le dix-neuvième siècle, a continué à avoir des répercussions sur l?organisation de la société mauricienne. Les franco-mauriciens, les descendants des colons, ont conservé une prééminence sur le plan économique et affichent, selon certains, un certain mépris à l?égard des autres groupes ethniques304. Ils sont les détenteurs de grandes industries sucrières et entreprises et tiennent à l?écart le reste de la population générale aux postes d?encadrement les plus élevées305. Dans ces conditions, la course à la blancheur, autrement dit la course à l?occidentalisation, constitue, pour le reste de la population générale, un besoin de promotion sociale306.

L?Administration coloniale britannique avait renforcé ce phénomène en collaborant, au besoin, avec les franco-mauriciens307 pour atténuer certaines revendications des indo-mauriciens jusqu?à l?accession de l?île à l?indépendance308. Mais la démocratisation du régime et l?introduction du suffrage universel accentuèrent la naissance d?une force politique d?origine indienne309. Une petite bourgeoisie fut créée au sein de la communauté hindoue310 après la guerre. L?indépendance de l?Inde fit revivre la confiance et la fierté dans la culture de la Grande Péninsule311. Le Parti Travailliste mauricien, porte- parole des éléments moins favorisés de la population et des indiens, remporta des succès électoraux.

304 FAVOREU Louis, cité note 194, p. 17.

305 La Commission Avramovic, présidé par Monsieur Raj Virashawmy, a constaté que six familles constituent une oligarchie financière. Ce sont six familles franco-mauriciennes. Ces dernières détiennent la plus grande banque de dépôt de Maurice. V. COLOM Jacques, cité note 245, p. 20.

306 Ibid.

307 L?Ordonnance royale du 20 juillet 1831 avait prévu que certains principaux propriétaires seraient désignés membres du Conseil de gouvernement.

308 «L?on n?est pas sans savoir que sauf exception, tous les hauts postes tant dans la fonction publique que dans le secteur privé... étaient occupés par les membres de la classe privilégiée. C?était tout cela le régime colonial britannique», DOMINGO A. F.: «Les mauriciens de la dernière guerre mondiale», WE, 18 décembre 1983, p. 24.

309 MANNICK A. R.: «Mauritius: the development of a plural society», Londres, Spokesman, 1979, 174 p., v. p. 147 et s. sur les hindous.

310 Puisque le secteur privé était fermé aux indiens, ceux-ci occupaient des fonctions dans la fonction publique.

311 «The independence of India had revived confidence and pride in the language and cultures of the sub-continent», HOUBERT Jean cité note 231, p. 229.

A l?accession de Maurice à l?indépendance, le danger était que les indo - mauriciens fissent des fonctions gouvernementales et administratives une véritable chasse gardée pour eux ou utilisassent l?appareil d?Etat pour s?émanciper et renverser le rapport de forces entre les communautés en leur faveur. Le débat politique fut dès lors hautement basée sur l?appartenance ethnique des candidats en présence lors des élections de 1967. Le communautarisme312 était installé.

b. La politique sur la base du réflexe identitaire

La bipolarisation du débat sur l?accession de Maurice à l?indépendance masqua en réalité une opposition entre les indo-mauriciens et la population générale.

A la montée en puissance du Parti Travailliste mauricien, les minorités ethniques répondirent par la création du Ralliement Mauricien, alliance des catholiques et des musulmans, transformé en 1952 en le Parti Mauricien Social Démocrate. En 1958, les musulmans créèrent le Comité d?Action Musulmane, qui se sépara progressivement du Parti Mauricien pour conclure une alliance électorale avec le Parti Travailliste et faire campagne en faveur de l?indépendance. Le Parti Mauricien fut hostile à l?indépendance dans la mesure où le suffrage universel donnerait nécessairement l?avantage aux indo - mauriciens et serait préjudiciable à la communauté franco-mauricienne313. Mais la défection des musulmans du Parti Mauricien déboucha en 1968 sur un début de guerre civile entre les créoles et les musulmans qui fut jugulée grâce à l?intervention de l?armée britannique314.

312 «Communautarisme signifie que la société est structurée par le clan, le lignage, le village, la tribu ou l?ethnie, la caste aussi. L?individu se définit à travers ses rapports avec la communauté. Il n?est qu?un élément du groupe auquel il est subordonné. Une solidarité générique s?établit entre ses membres dans l?intérêt de tous», ARDANT Philippe: «Les problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en voie de développement», pp. 107 à 124 in ASSOCIATION FRANCAISES DES CONSTITUTIONNALISTES: «Droit constitutionnel et droits de l?homme», IIe Congrès Mondial de l?Association Internationale de Droit Constitutionnel, 31 août 5 septembre 1987, Paris, Economica, 1987, 512 p., v. p. 111.

313Le PMSD souligna «la nécessité, si l?on veut préserver la culture occidentale, de faire preuve de cohésion devant le bloc oriental», BOISSON J. M. et Louis M.: «Les élections législatives du 20 décembre 1976 à l?île Maurice: l?enjeu économique et politique», APOI, 1976, pp. 217 à 265, v. p. 223.

314 SMITH A. Simmons: «Modern Mauritius: The politics of decolonization», Bloomington, Indiana University Press, 1980, 242 p.

Le jour des élections décisives sur l?indépendance, les musulmans proches du CAM s?étaient violemment opposés aux militants créoles du PMSD dans le fief musulman de la capitale, la Plaine Verte, ibid.

Après l?indépendance, le Mouvement Militant Mauricien prit naissance et se voulait être au-dessus des rivalités ethniques315. Ce parti, proche à l?origine de l?idéologie marxiste, importa à Maurice de nouvelles idées, notamment la lutte des classes, tendant à diminuer l?intensité de la politique des discriminations ethniques (ethnic politics). Selon un slogan, le Mouvement Militant voulait remplacer «la lutte des races par la lutte des classes»316. Mais la volonté de Mouvement Militant de maintenir l?équilibre politique intercommunautaire (ethnic political balance), qui permit au parti de devenir national dans les années quatre-vingts317, consolida la pratique du commun au taris me.

Les dissensions ethniques sont l?enjeu principal de chaque campagne électorale. L?île Maurice n?est pas une société matériellement et moralement intégrée et ne dispose d?une relative unité culturelle de ses citoyens. L?EtatNation ne s?y est pas installé encore318. L?Etat a précédé la Nation, entité qui reste à construire319. Aucun parti politique n?est aujourd?hui véritablement national. Le Mouvement Militant, au fil des défections de ses éléments320, est devenu principalement un parti des minorités au même titre que le Parti Mauricien Social Démocrate321. Le Mouvement Socialiste Militant de l?ancien

315 «The MMM started as a radical movement of young educated Mauritians of different ethnic origins dedicated to rid the island of communalism?», HOUBERT Jean, cité note 231, p. 242.

Le MMM fut créé notamment par MM.Paul Bérenger, soixante-huitard de Paris, Jooneed Jorebarkhan et Dev Virashawmy.

316 Toutefois, le MMM, par réalisme, choisit ses candidats pour les différentes circonscriptions sur la base de leur appartenance ethnique. Dès sa première participation électorale, le parti investit Dev Virashawmy, de confession hindoue, comme candidat dans une circonscription à majorité hindoue, fief du Premier ministre d?alors. Vingt-trois ans après, M. Paul Bérenger reconnaît l?impossibilité de faire abstraction du communautarisme: «On a regardé de plus près les racines de notre histoire et on a bien mesuré combien étaient fragiles les sociétés pluriethniques, plurireligieuses comme Maurice... Nous avons fait des choix délicats aussi. Comme celle de l?élection partielle de Triolet où nous avons présenté Dev Virashawmy. On a fait un compromis. Si nous étions toujours les idéalistes que nous étions en 1969, nous aurions présenté Paul Bérenger», in CAUNHYE Fouad: «Entretien avec Paul Bérenger», Le Mag, 4 septembre 1994, pp. 14 à 18, v 17.

317 Le MMM ne s?était pas allé contre certaines moeurs. M. Paul Bérenger, véritable chef du parti, choisit de jouer un profil bas. En 1993, bien qu?il commandait la majorité dans l?opposition, il renonça à assumer les fonctions de Chef de l?opposition au profit d?un hindou, Monsieur Navin Ramgoolam.

318 DOOKHY Parvèz A. Cader: «Les causes de l?instabilité ministérielle», Le Mauricien, 11 novembre 1993, p. 7.

319 «L?Etat est lui aussi à construire. Il précède la nation. Sa première tâche est de la mettre au monde... Les sociétés en voie de développement sont composites, les divisions ethniques, religieuses, linguistiques se sont cristallisées au cours des siècles, entraînant des affrontements, des sujétions, une tradition de coexistence pacifique plus souvent belliqueuse», ARDANT Philippe, cité note 312, v. p. 111.

320 NITISH G.: «1973, 1983, 1993... Les dissidences et les cassures au MMM», 5-Plus dimanche, 31 octobre 1993, p. 5.

321 A titre anecdotique, il convient de souligner que Sir Gaétan Duval, quelques semaines avant son décès, avait vu en M. Paul Bérenger son héritier politique.

Premier ministre, Sir Aneerood Jugnauth, et le Parti Travailliste partagent la faveur de l?électorat hindou.

Trente années après l?indépendance, la vie politique se ramène pour l?essentiel à une lutte d?influence entre la majorité hindoue et le bloc des minorités. Au-delà des slogans sur l?unité nationale, les partis politiques n?ont jamais pu s?affranchir de cette réalité tenace 322. L?Etat a pu se maintenir grâce à un dosage subtil entre les passions divergentes des communautés323. Cet équilibre est très fragile.

Paragraphe 2. L'absence d'équilibre entre les pouvoirs institutionnels

Le régime parlementaire classique avait été originairement conçu pour réaliser un équilibre entre le Parlement et le gouvernement. En théorie, cet équilibre devrait mettre les deux partenaires à égalité et sous le contrôle d?un troisième pouvoir, le judiciaire324. Cependant, l?égalité est toujours difficile à maintenir. Le régime parlementaire évolue soit vers la prédominance du Parlement soit vers celle de l?exécutif325.

A l?opposé de la tradition politique française, le régime parlementaire de Westminster a toujours favorisé le gouvernement. Adossé à la majorité électorale, l?exécutif, au nom du Chef de l?Etat, exerce une action dominante (A) au point d?affaiblir le pouvoir de contrôle du judiciaire (B). Ces phénomènes, conjugués avec les réalités de l?île Maurice, s?y sont amplifiés

A. La puissance de l'Exécutif

322 MARYLENE François: «Entretien avec le Muveman Anti-Kominalis: L?idéologie communaliste a intégré le système», WE, 28 mai 1995, p. 10.

323 GERBAU Hubert et CARTER Marina: «L?Etat et le communautarisme: le cas de l?île Maurice», Cultures et Conflits, 1994, n° 15/16, pp. 86 à 126, v 105.

324 L?objectif de la séparation des pouvoirs préconisée par Locke, puis Montesquieu, est ainsi défini: «Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutive, il n?y a point de liberté», MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat: «L?Esprit des lois», 1748, Gallimard, 1995, 2 vol., v. vol. 1, Livre XI, Chapitre VI, p. 328.

325 BAGEHOT W.: «The English Constitution», 1867, Oxford University Press, 1968, 312 p.

En sus des missions et pouvoirs normaux de tout gouvernement quant à la détermination de la politique intérieure et extérieure du pays, le Cabinet mauricien326, personnalisé par le Premier ministre, décide de la politique nationale avec une indépendance particulièrement grande327 au point où l?homme de la rue se plaint d?une dictature du gouvernement328. Le Parlement de Maurice329 est affaibli330. L?opposition est souvent inexistante331.

Deux périodes sont à distinguer dans l?histoire constitutionnelle de Maurice depuis l?indépendance: l?ère Ramgoolam (a) et l?ère Jugnauth (b).

a. L'ère Ramgoolam

Sir Seewoossagur Ramgoolam332 fut Premier ministre de l?île Maurice indépendante de 1968 à 1982333. Cette période répond au vouloir du Premier ministre d?affermir l?Etat tout jeune, d?assembler une nation afin de sortir le pays du sous-développement. Ces tâches, selon le gouvernement, justifiaient la concentration des moyens, la poursuite d?une politique définie d?une main ferme. Mais en réalité, l?autoritarisme avait permis au Premier ministre de se maintenir au pouvoir et de surcroît d?empêcher le libre fonctionnement des institutions.

326 Selon l?article 61-1 CM, le Cabinet est composé du Premier ministre et des autres ministres. Les ministres délégués (junior ministers) n?en font pas partie. Mais le Cabinet de Maurice, à la différence de celui de la Grande-Bretagne, n?est pas seulement un noyau dur de principaux ministres. La notion peut se confondre avec celui de gouvernement. La fonction de ministre délégué a été crée par la Loi constitutionnelle du 31 janvier 1996 (article 32 nouveau de la Constitution).

Sur le fonctionnement du Cabinet en Grande-Bretagne, v. WALKER P. G.: «The Cabinet», Londres, Fontana, 1973, 191 p. et HENNESY P.: «Whitehall», Londres, Fontana, 1990, 857 p.

327 DOOKHY Parvèz: «La dictature élective du Premier ministre», 5-Plus dimanche, 12 mars 1995, p. 12.

328 Le phénomène se reproduit en Grande-Bretagne. Le Cabinet est la clef de voûte de l?édifice politique britannique. V. MARX F.: «La Grande-Bretagne vit-elle sous un régime présidentiel ?», RDP, 1969, pp. 5 à 47.

329 MATHUR Hansraj: «Parliament in Mauritius», Rose-Hill, Editions de l?Océan-Indien, 1991, 321 p. et DOOKHY Parvèz: «Les institutions politiques de Maurice», BSJFC, janvier 1997, pp. 2 à 7.

330 «Le contrôle parlementaire du Cabinet est une illusion derrière laquelle se dissimule le contrôle du Parlement par le Cabinet»,. MARX F., cité note 328, v. p. 38. Il est à noter que depuis une Loi constitutionnelle du 16 janvier 1996 (article 32 nouveau CM), le Président de l?Assemblée Nationale peut être une personne extérieure au Parlement, un non-élu. Désormais, le Premier ministre peut intervenir directement dans la désignation du Président de l?Assemblée Nationale.

331 DOOKHY Riyad: «L?opposition et le fonctionnement régulier des institutions», Le Défi Plus, 4 au 10 mai 1996, p. 10.

332 SELVON Sydney: «Sir Seewoosagur Ramgoolam», Editions de l?Océan-Indien, 1986, 161 p. et CAUNHYE Fouad: «S. S. Ramgoolam est-il mort ?», Le Mag, 18 septembre, pp. 15 à 20.

333 Il était chef de gouvernement, Premier, depuis 1964.

Il serait peut être utile de faire un petit détour par un rappel des faits afin de mieux comprendre l?enjeu de la politique plus ou moins dictatoriale du Premier ministre. Dès 1969, l?alliance gouvernementale fut scindée avec le départ d?un parti, le Bloc Indépendant pour le Progrès (Independent Forward Bloc). Cependant, le Premier ministre s?allia avec le parti d?opposition d?alors334, le Parti Mauricien. Cette alliance amena le gouvernement à tempérer sa politique en matière sociale pour favoriser le développement du capitalisme. Avec la contestation populaire, le Mouvement Militant prit naissance335 et utilisa des moyens extraparlementaires, notamment les grèves et manifestations pour faire prévaloir ses points de vue. En 1971, des mouvements très durs paralysèrent le pays336 et le gouvernement appliqua à plusieurs reprises l?état d?urgence337 dans un but de réprimer les contestations sociales338.

Les pouvoirs de crise à l?île Maurice, d?inspiration britannique 339 confèrent au gouvernement des pouvoirs exorbitants340. L?article 3 de la Loi mauricienne sur les pouvoirs de crises (Emergency Power Act) donne aux mesures gouvernementales une force supérieure à la Loi, et la Constitution permet l?atteinte à de nombreuses libertés fondamentales lors de la mise en vigueur de la Loi précitée341. Treize associations syndicales furent suspendues de 1971 à 1974. Les réunions publiques de plus de cinq personnes furent interdites et la presse fut censurée. Les mauriciens nés à l?île Rodrigues pouvaient être

334 RAMSAMY Vony: «La coalition Ptr/PMSD/CAM de novembre 1969. Au nom de l?unité nationale», 5-Plus dimanche, 20 novembre 1994, p. 10.

335 Comme tous les partis politique de Maurice, le MMM a, selon la classification de Monsieur le Professeur Maurice Duverger, une origine électorale ou parlementaire?. Aucun parti, même pas le Ptr, à l?inverse de celui de la Grande-Bretagne, n?a une origine extérieure?. V. DUVERGER Maurice: «Les partis politiques», Paris, Armand Colin, 1981, 10e éditions, 572 p., v. p. 22 et s.

336 OODIAH Mallenn: «Histoire du syndicalisme mauricien», Port-Louis, Fédération des Travailleurs Unis, 1988, 39 p.

337 FINNIS J. M. et GOULD B. C.: «Constitutional law», ASCL, 1972, p. 1 à 100, v. p. 59 à 60. Monsieur Paul Bérenger fut victime d?une tentative manquée d?assassinat en 1971 et près de 300 proches du MMM furent emprisonnés. V. LE MOUVEMENT MILITANT MAURICIEN: «L?histoire d?un combat 1969-1983», Port-Louis, Editions MMM, 1983, 62 p.

Sur la montée en puissance du MMM, v. LANGELLIER J. P.: «Les vingt ans du Mouvement Militant», Le Monde, 3 octobre 1989, p. 6. et TURQUIE Selim: «Irruption d?un mouvement populaire militant à l?île Maurice», LMD, 1er juiller 1977, p. 15 et LEMARIE Phillipe: «L?irresistible ascension de la gauche à l?île Maurice», LMD, 1er juin 1982, p. 10.

338 Ce phénomène se reproduisit dans plusieurs Etats du tiers-monde. V. CADOUX Charles: «L?Inde: la crise politique des années 1975-1980», RDP, 1980, pp. 1515 à 1561 et PASBECQ Chantal: «L?Inde: d?un état d?urgence à l?autre», RDP, 1977, pp. 1253 à 1281.

339 BULLIER Antoine J.: «L?organisation du maintien de l?ordre en Angleterre», RSC, 1991, pp. 432 à 436.

340 L?état-d?urgence peut être maintenu par le gouvernement pour un temps illimité sauf si les députés adoptent une résolution à la majorité des 2/3 tendant à sa suppression, alors qu?en Grande-Bretagne, il est proclamé pour un mois renouvelable et les mesures doivent être approuvées par les deux chambres du Parlement.

341 Article 18-1 CM.

reconduits à leur île natale sur simple décision de l?autorité de police selon le Règlement de 1971 sur les pouvoirs342.

Débordant son cadre originel, l?état d?urgence permit au gouvernement de repousser la tenue des élections de 1972 à 1976 343. Le parti Mauricien était donné gagnant et le gouvernement pensa que le report lui aurait permis de combler son retard344. Des élections partielles étaient obligatoires en 1973, mais le gouvernement les repoussaient à plusieurs reprises en vertu de ses pouvoirs exorbitants345. Un ancien magistrat, Monsieur France Vallet, engagea, avec peu de succès, contre le gouvernement une véritable bataille judiciaire pour le contraindre à procéder à la tenue des élections346. Le gouvernement, utilisant ses prérogatives, fit réviser la Constitution347 en novembre 1973 pour empêcher tout contrôle judiciaire et abolir les élections partielles et les remplacer par un système de nomination basé sur celui des meilleurs perdants. Le système, peu équitable, ne tint pas compte de l?évolution des forces parlementaires et désigna des députés sans lien avec leur nouvelle circonscription. L?opposition perdit même un siège au terme des nominations.

En 1976, des élections furent organisées348. Le gouvernement perdit les élections mais conclut une alliance avec le Parti Mauricien pour former un nouveau gouvernement sous la direction de Sir Seewoossagur Ramgoolam. Le Mouvement Militant constituait seul une opposition numériquement très forte. Paradoxalement, le contrôle effectué par l?Assemblée était nettement insuffisant car le gouvernement recevait du Parlement l?autorisation de prendre par décret les mesures qui sont du domaine de la Loi349. Des nouvelles élections eurent lieu en 1982 et l?opposition remporta tous les sièges à pourvoir350.

342 OLIVRY Guy, intervention à l?Assemblée Législative, le 21 décembre 1971, LAD, pp. 2559 à 2562.

343 Les précédentes élections avaient eu lieu avant l?indépendance en 1967 et le mandat des députés avait expiré en 1972.

344 COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 29. V. aussi SAYED Hossen: «L?évolution des forces politiques de l?opposition à l?île Maurice», Mémoire de IEP, Bordeaux, 1976, 136 p., v. p. 116 à 123.

345 FINNIS J. M.: «Constitutional law», ASCL, 1974, pp. 1 à 102, v. p. 43.

346 CSM: 31 janvier 1973, F. Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp. 29 à 47, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt.

347 LEKENE Donfack Charles Etienne: «La révision des Constitutions en Afrique», RJPIC, 1989, pp. 45 à 71.

348 BOISSON J. M. et LOUIT M.: «Les élections législatives du 20 décembre 1976, l?enj eu économique et politique», APOI, 1976, pp. 215 à 265.

349 LOUIT Christian: «Chronique politique et constitutionnelle: l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 309 à 332, v. p. 327. V. LOUIT Christian: «Chronique: Ile Maurice», APOI, 1981, pp. 291 à 299.

350 LOUIT Christian: «Chronique: Ile Maurice 1982-83», APOI, 1982-83, pp. 401 à 431.

b. L'ère Jugnauth

Sir Aneerood Jugnauth, Premier ministre de 1982 à 1995, pratiqua une politique de rigueur et sans partage un peu à la manière de celle pratiquée par Madame Margaret Thatcher351 malgré l?introduction de certaines réformes tendant à renforcer la démocratie352. Le Premier ministre affirma d?emblée ses prérogatives et pouvoirs constitutionnels en refusant de suivre le bureau politique de son parti, le Mouvement Militant, dirigé en fait par Monsieur Paul Bérenger qui voulait reproduire à Maurice le système politique stalino - brejnévien353. Le Mouvement Militant avait décidé de rompre l?alliance gouvernementale avec le Parti Socialiste, le partenaire minoritaire de l?alliance gouvernementale, mais le Premier ministre refusa de révoquer ce parti du gouvernement et exerça son droit de dissolution du Parlement en représailles à la scission opérée au sein de son parti.

Les élections de 1983 introduisirent dans le régime parlementaire mauricien un élément de gouvernement direct. Le Premier ministre tira l?essentiel de sa force de l?appui populaire en remportant les élections. Il utilisa depuis systématiquement l?arme de la dissolution pour retrouver une majorité qui s?était effilochée en 1987 et en 1991 354.

Au fil de ses victoires électorales, le Premier ministre devint plus responsable devant le corps électoral355 que devant le Parlement qu?il dirigea comme dans une relation de chef à troupes. En raison de la logique majoritaire

351 LURUEZ Jacques: «Le phénomène Thatcher», Bruxelles, Editions complexes, 1991, 336 p., v. p. 121 à 130.

352 Le report des élections est rendu quasiment impossible. Selon l?article 52-2 CM, une législature dure au maximum cinq années. La révision de cet article prévue à l?article 47 CM, ne peut être intervenue qu?après (a) une vote par voie référendaire par une majorité des 3/4 et (b) une ratification du projet par l?Assemblée Nationale à l?unanimité. La procédure de vote- ratification est curieusement inversée.

353 Le régime d?assemblée ne s?était pas non plus installé malgré la tentative de certains députés de la majorité. V. SALESSE Finlay: «13 ans après, pour une véritable démocratie parlementaire», 5-Plus dimanche, 18 juin 1995, p. 12.

354 A l?instar de la Grande-Bretagne, l?arme de la dissolution est maniée comme une arme de discipline et de consolidation de la majorité.

355 «One important element affecting any Prime Minister?s influence is his own standing, and his government?s standing in the eyes of the general public. Other things being equal, the greater a Prime Minister?s public prestige - or more precisely - the greater a Prime Minister?s public prestige is thought to be by his cabinet colleagues - the greater is likely to be his capacity to bend those colleagues to his will», KING Anthony: «Margaret Thatcher: The style of the Prime Minister» pp. 96 à 140 in KING Anthony (dir): «The British Prime Minister», Londres, Macmillan, 1985, 275 p., v. p. 107.

et du phénomène d?osmose qui découla entre les députés et le gouvernement, la responsabilité politique de celui-ci et de son chef cessa d?être parlementaire et devenint électorale. Aucune motion de censure ne pouvait aboutir. En ce sens, le gouvernement de Cabinet (Cabinet Gouvernment), qui implique un processus décisionnel collégial, fut supplanté par la volonté de puissance du seul Premier ministre356.

Disposant d?une autorité sans précédent, le Premier ministre contrôla personnellement à différents moments plusieurs secteurs de la vie mauricienne357 dont les principaux ministères, tels que celui de l?économie, de la justice, de l?intérieur et de la défense. Sir Aneerood Jugnauth mit aux leviers de commande des gens en qui il avait totalement confiance et élimina progressivement ceux qui lui paraissaient déloyaux.

Il était revenu à la presse de jouer seule le rôle de contre-pouvoir358. Elle mèna parfois de véritables investigations à la manière d?un juge d?instruction359 tant l?opposition parlementaire était laminée360. L?affrontement entre le gouvernement et la presse fut une constante de l?histoire politique de Maurice361.

La personnalisation de l?autorité de l?Etat au profit du seul Premier ministre suscite un débat fondamental relatif à l?évolution et à la nature des institutions mauriciennes. Il est question d?alléger la fonction du Premier ministre afin de tempérer son hégémonie. Le Président de la République devrait jouer un rôle d?arbitre plus actif en intervenant dans une certaine mesure dans le processus décisionnel362. Il devrait se situer, non pas à l?extérieur des institutions, mais bien à l?intérieur de celle-ci pour encadrer l?action du Premier

356 LANGELLIER Jean-Pierre: «Aneerood Jugnauth et Paul Bérenger dominent une vie politique fortement personnalisée», Le Monde, 9 novembre 1989, p. 8.

357 TSANG MANG KIN Joseph: «Sir Aneerood Jugnauth et nos institutions», 5-Plus dimanche, 24 juillet 1994, pp. 7 à 10, v. p. 7. et DARLMAH Naëck: «Le Prime Ministership et le pouvoir», 5- Plus dimanche, 9 octobre 1994, pp. 8 à 9.

358 Sur l?histoire de la presse, v. MARTIAL Yvan: «Plus de mille titres», JA, 30 septembre 1993, pp. 55 à 57.

359 AHNEE Gilbert: «La presse, bien au-delà de Bacha...», Le Mauricien, 1er août 1994, p. 5.

360 En 1982, 1991 et 1995, l?opposition parlementaire était composée de moins de huit députés sur soixante-six.

361 G. L. «Le bras de fer entre le pouvoir et la presse: des rapports tumultueux», 5-Plus dimanche, 23 octobre 1994, p. 10.

362 DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «La légitimité du Président», Le Mauricien, 8 novembre 1995, p. 7.

ministre363. L?institution parlementaire devrait être revalorisée, notamment en instaurant le bicaméralisme364.

B. Le judiciaire

L?organisation judiciaire de Maurice, d?inspiration typiquement anglosaxonne365, ne connaît pas de séparation entre les juridictions des ordres judiciaire et administratif. Les juges mauriciens, à la manière des Lords du Conseil Privé, cumulent les pouvoirs des deux ordres. Un certain nombre de règles visent à garantir l?indépendance du judiciaire et la justice est investie d?un assez grand prestige. Le Président de la Cour Suprême est le troisième personnage de l?Etat366. Néanmoins, au-delà des garanties constitutionnelles367, le judiciaire est cantonné dans une structure embryonnaire (a) et fonctionne en état de crise (b).

a. La structure rudimentaire

La Cour Suprême368 est à la tête du système judiciaire à Maurice au sens géographique du terme369. Elle est composée de seulement huit juges et d?un Chef-Juge. Celui-ci est nommé par le Président de la République après simple consultation du Premier ministre. Le doyen des juges puînés (Senior Puisne Judge), qui assure aussi les fonctions de vice-Président de la Cour Suprême, est nommé par le Président de la République sur avis conforme du Chef-Juge. Les juges puînés (Puisne Judges) sont désignés par le Chef de l?Etat en accord avec les recommandations de la Commission du Service Judiciaire. Les conditions de recrutement des juges de la Cour Suprême ne sont pas sévères. Il suffit de

363 En août 1995, le Président de la République s?est écarté d?une tradition westminstérienne en refusant de donner son assentiment à une projet de loi adoptée par l?Assemblée. V. BERENGER Paul R.: «The President?s powers in the Republic of Mauritius», L?Express, 19 août 1995, p. 7.

364 DOOKHY Riyad et Parvèz: «Proposition pour un Sénat», L?Express, 7 décembre 1995, p. 12. et CADERVALOO Soondess: «Un Sénat, pourquoi et de quel type ?», Le Mag, 14 mai 1995, pp. 24 à 27.

365 PANTER-BRICK S. K.: «Histoire des Cours Suprêmes des Etats anglophones d?Afrique», pp. 99 à 102 in CONAC Gérard (dir): «Les Cours Suprêmes d?Afrique», Economica, 1988, tome 1, 437 p.

366 Le Chef-Juge a préséance sur tous les ministres et en fin d?année, il appartient au ministre de la justice de lui présenter ses voeux dans son bureau.

367 Les juges sont inamovibles et la Commission du Service Judiciaire, qui peut être rapprochée du Conseil Supérieur de la Magistrature de France, veille à l?indépendance du judiciaire.

368 DAUDET Y. et MEETARBHAN M.: «La Cour Suprême de l?île Maurice», pp. 278 à 289 in CONAC Gérard (dir), cité note 365. et HENNE J. P.: «L?organisation judiciaire mauricienne», Recueil Penant, 1978, n° 759, pp. 79 à 83.

369 De 1904 à 1975, la Cour Suprême de Maurice avait exercé à l?égard des Seychelles une compétence d?appel.

pouvoir justifier de cinq années de pratique professionnelle au barreau de Maurice370 pour les satisfaire.

La Cour Suprême, se situant principalement dans un vieil immeuble de l?époque coloniale française, exerce une compétence étendue sur plusieurs degrés de la hiérarchie juridictionnelle. La Cour Suprême statue en première instance dans un nombre considérable d?affaires: lorsque l?intérêt du litige est supérieur à RPM 50,000, en matière d?état des personnes (droit de la famille, nationalité et succession) et de protection des droits fondamentaux, en matière de discipline contre les auxiliaires de justice, en formation d?assises et en matière des faillites371 (voir tableau 4 en annexe). En première instance, la Cour statue en formation unique372.

La Cour Suprême est également une juridiction de deuxième ressort et statue en appel sur des points de fait et de droit. En appel, les juges de la Cour Suprême peuvent siéger en trois types de formation. La Cour Civile d?Appel (Court of Civil Appeal)373 est compétente pour statuer sur les appels interjetés contre les jugements rendus en première instance par la Cour Suprême. La Cour Criminelle d?Appel (Court of Criminal Appeal)374 exerce une compétence similaire en matière pénale. La Cour d?Appel en matière civile et criminelle (Court of Civil and Criminal Appeal) statue sur les appels interjetés contre les jugements des tribunaux inférieurs (lower courts), telles la Cour Intermédiaire (Intermediate Court), qui correspond au Tribunal Correctionnel en France, les Cours de districts (Districts Courts), c?est-à-dire les cours de base comparables aux tribunaux d?instance et de police français, et la Cour Industrielle (Industrial Court) assimilable au Conseil des Prud?hommes français.

370 Articles 76 et 77 CM. Mais la pratique veut que, pour être nommé juge, l?avocat doit aussi avoir fait carrière au sein de la magistrature assise ou debout (avocat au parquet). V. ANGELO A. H.: «Mauritius: the basis legal system», CILJSA, 1970, pp. 228 à 241. Pour cet auteur, le cursus s?inspire de la tradition française de magistrat de carrière.

371 Cette compétence est exercé par le greffier-secrétaire (Master and Registrar) de la Cour Suprême qui n?est pas, sur le plan organique, un juge.

372 Comme en Angleterre, l?île Maurice est attachée à la tradition du juge unique en première instance. Cependant, le Chef-Juge peut discrétionnairement décider qu?une affaire en première instance soit entendue par deux ou plusieurs juges. V. BOULAN F.: «L?organisation judiciaire de l?île Maurice», APOI, pp. 197 à 211, v. p. 203.

373 Elle fut instituée par une Ordonnance de 1963. V. ATTORNEY-GENERAL, cité note 219, vol. 2, p. 1 et s.

374 Elle fut institué par l?Ordonnance de 1954, in ATTORNEY-GENERAL, ibid., vol. 2, p. 51 et s.

Ces cours d?appel n?ont aucune structure autonome. Elles ne constituent que des divisions, d?ailleurs non permanentes, de la Cour Suprême. Elles prennent existence dès lors que le Chef-Juge investisse deux ou trois magistrats de la Cour Suprême à statuer en deuxième ressort sur une affaire. Elles sont donc composées de juges qui, hiérarchiquement, sont du même niveau que celui ou ceux qui ont rendu le jugement en première instance, exception faite si l?appel est interjeté contre une décision d?une cour inférieure. Tous les juges de la Cour Suprême sont inter pares. Par conséquent, les cours d?appel ne sont pas organiquement de véritables juridictions de deuxième instance.

Il convient de faire ressortir aussi que le juge mauricien qui propose la solution a à sa disposition peu de moyens pour la rédaction d?un arrêt. Il ne bénéficie d?aucun assistant pour l?aider dans ses fonctions de recherche documentaire. D?ailleurs, la bibliothèque de la Cour Suprême est moyennement fournie d?ouvrages des droits anglais, français et Commonwealth. Le rayon sur le droit mauricien ne comporte que des journaux officiels, des recueils de jurisprudence des arrêts de la Cour Suprême et des recueils de lois. La doctrine est pratiquement inexistante375.

b. Le fonctionnement en crise

Alors que l?organe délibérant s?est effacé devant la montée en puissance de l?exécutif, le judiciaire a pu, dans une certaine mesure, s?imposer en tant que pouvoir surtout avec l?aide et l?impulsion du Comité Judiciaire. Néanmoins, les atteintes au bon fonctionnement des institutions juridictionnelles purement mauriciennes sont fréquentes. Déjà en 1967, avant l?indépendance, l?administration anglaise avait, par une Ordonnance à effet rétroactif, enlevé à la Cour Suprême la compétence de sanctionner un acte administratif alors que le litige était pendant devant la juridiction376.

375 «Le premier réflexe de l?avocat ainsi confronté à un droit qu?il ne connaît pas est de consulter les ouvrages de référence car sa formation de juriste lui a appris comment trouver le droit. Mais voilà qu?il s?aperçoit que cette doctrine est pratiquement inexistante», MEETARBHAN J. N.: «Problèmes pratiques posés au juriste par un système de droit mixte», pp. 213 à 225 in UNIVERSITE DE DROIT, D?ECONOMIE ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE: «La formation du droit national dans les pays de droit mixte, les systèmes juridiques de Common Law et de droit civil», Press Universitaire d?Aix-Marseille, 1989, 242 p., v. p. 217.

376 CSM: 30 mars 1967, Roussety c/ Attorney-General, MR, 1967, pp. 45 à 69, le juge Rivalland rédacteur de l'arrêt.

Les nominations dans le judiciaire ont été l?objet de grandes controverses377. Il était de tradition que la nomination du Chef-Juge et du doyen des juges puînés se fasse au vu du principe de l?avancement à l?ancienneté. A cet égard, en 1970, le Gouverneur-Général, s?était opposé au voeu du Premier ministre de procéder à des nominations au choix378. La nomination à l?ancienneté fut mise à l?écart dans les années quatre-vingt-dix. Les attaches politiques, supposées ou réelles, et la confession religieuse des juges sont des critères déterminants dans leur désignation. Qui plus est, certains juges ont été reconduits dans leur fonction379 alors même qu?ils avaient atteint la limite d?âge. Certes, l?article 113 de la Constitution, aujourd?hui partiellement abrogé, prévoyait une disposition à cet effet mais dans l?esprit du constituant il ne devrait être appliqué qu?en cas de situation de crise380.

Cette mainmise de l?exécutif sur le judiciaire pourrait donner un élément de réponse au fait que dans les grandes affaires contre l?exécutif, peu de décisions ont été rendues à son encontre381. L?opinion publique a fortement l?impression que l?exécutif est protégé et que le ministère public refuse d?intenter des actions contre des membres du gouvernement contre lesquels il existe de sérieux soupçons, ou qui ont commis des infractions.

Ces faits ont dévalorisé les institutions judiciaires de l?île Maurice. Elles sont régulièrement la proie de sévères critiques des journalistes382 et des hommes politiques383, tant dans le Parlement que lors des réunions publiques.

Le Comité Judiciaire à Londres représente seul, dans ces circonstances, l?ultime tribunal indépendant disposant d?une autorité non mise en cause sur le plan de l?impartialité. Au vu de la perte de crédibilité de la Cour Suprême conjuguée avec le développement de réflexe identitaire dans le domaine politique, le Comité Judiciaire a gagné en légitimité et est de plus en plus

377 ANTOINE Jean-Claude: «Controverse dans le judiciaire, une nomination qui divise», WE, 13 août 1995, p. 6.

378 BOOLELL Satcam, Sir, QC: «Judges also deserve justice», l?Express, 18 août 1995, p. 10.

379 DOOKHY Riyad: «La nomination du Chef-Juge est entachée d?une erreur», L?Express, 9 novembre 1995, p. 10.

380 MEETAHBHAN Raj: «Le judiciaire dans un tourbillon», L?Express-dimanche, 14 avril 1996, p. 6.

381 V. CSM: 2 juin 1993, Attorney-General c/ Ramgoolam, LRC, 1993, vol. 3 pp. 82 à 93, le juge Lallah rédacteur de l'arrêt.

382 TEELUCK Dinesh: «Justice en crise, nothing seen to be done», Le Mag, 19 avril 1996, pp. 15 à 17 et O?HAMAMY David: «Judiciary in the dock», L?Express-dimanche, 24 mars 1996, p. 10.

383 Sir Gaétan Duval, ancien ministre de la justice, a, par exemple, fortement dénoncé la pratique et méthode du Chef-Juge. V. DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Sir Gaétan Duval», Le Mauricien, 8 octobre 1994, p. 6.

souvent sollicité (voir tableau en annexe 5). En conséquence, il se prononce sur une plus grande variété d?affaires.

L?importance et l?utilité de la Haute Instance londonienne étant dégagées, il s?avère indispensable d?examiner la compétence ratione materiae du Comité Judiciaire en droit mauricien. L?amplitude de la compétence du Comité Judiciaire nous permettra d?apprécier davantage les liens juridiques de la Haute Instance avec l?île Maurice.

Sous-section 3. La compétence matérielle du Comité Judiciaire en contentieux mauricien

Le Comité Judiciaire se trouve seul au sommet de la hiérarchie des institutions judiciaires de l?île Maurice. Il est en réalité la véritable juridiction suprême, au sens rationnel du terme384, de l?île Maurice. La Cour Suprême, située à Port-Louis, n?est a fortiori qu?une cour de deuxième instance. Il appartient au Comité Judiciaire de statuer en cassation sur les pourvois dont sont l?objet les arrêts de la cour locale385. Théoriquement, il a le pouvoir d?examiner en appel l?ensemble des points de droit et de fait que soulève une affaire mais il retient les faits tels que les lui présente le juge local. L?appréciation des faits relève, selon le juge londonien, de la souveraineté des juges du fond, la Cour Suprême de Maurice386. A la manière de la Cour de Cassation française, le Comité Judiciaire veille exclusivement au respect de la norme, à sa bonne application par le juge local. Sa mission se limite au jugement des arrêts déférés à sa censure même lorsqu?il est saisi directement en cassation par la procédure de la voie d?action en vertu d?une requête tendant à l?annulation d?une Loi. Juge suprême, il fixe l?orthodoxie de la jurisprudence et veille à son respect par la Cour Suprême locale.

384 En droit anglais, la Cour Suprême de Justice désigne trois composantes: la Haute Cour (High Court), la Cour d?Assises (Crown Court), cours de première et de deuxième instance, et la Cour d?Appel (Court of Appeal), cour de deuxième instance. La Chambre des Lords coiffe ces trois juridictions. Elle se trouve au plus au niveau de la hiérarchie judiciaire anglaise et est qualifiée de cour d?appel final? (final Court of Appeal). V. KINDER-GEST Patricia: «Droit anglais, institutions politiques et judiciaires», LGCJ, 1993, 671 p., v. p. 341.

385 V. La définition de Cour suprême donnée par Monsieur le Professeur André Tunc dans sa synthèse in BALLET Pierre et TUNC André (dir): «La Cour suprême, une enquête comparative», Recherches Panthéon-Sorbonne, Economica, 1978, 486 p., v. p. 8 st s.

386 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, WLR, 1983, vol. 2, pp. 161 à 171, affaire de Maurice, Lord-Chancelier Hailsham of St. Marylebone rédacteur de l'arrêt. Le juge souligne que: «... their Lordships... find themselves bound by the findings of fact of the Supreme Court, who, after all, saw the witnesses and observed the demeanour», ibid., p. 165.

En l?absence de toute séparation entre les ordres de juridiction, le Comité Judiciaire est l?unique juridiction suprême de Maurice. Sa compétence matérielle est générale. Aucune matière échappe a priori à ses attributions. Malgré certaines limites posées par le constituant aux cas d?ouverture du pourvoi à Londres, le Comité Judiciaire peut statuer sur tout litige au moment où il accorde au demandeur au pourvoi une autorisation, dite spéciale, de saisine (special leave to appeal)387. Le Comité Judiciaire dispose d?une compétence d?exception universelle, ou pour le dire sans ambiguïté, d?une compétence de droit commun.

Faisant abstraction de la prérogative d?origine royale de pouvoir entendre tout litige, la compétence d?attribution du Comité Judiciaire varie selon qu?il statue, d?une part, sur une affaire relevant du droit privé et public (civil law) (paragraphe 1) et, d?autre part, sur une affaire de droit pénal et de responsabilité des hauts magistrats (paragraphe 2).

Paragraphe 1. En droit public et privé (civil law)

Le terme droit civil? englobe dans la terminologie anglaise le droit public388 (A) et le droit privé (B). Il se définit de manière résiduelle comme tout ce qui ne relève pas du droit pénal. Le droit civil? constitue dès lors un champ juridique très large389.

A. En droit public

La compétence du Comité Judiciaire en droit public mauricien est particulièrement vaste. Aux termes de l?article 81-1-a de la Constitution, il peut être saisi d?un pourvoi contre toute décision définitive390 du juge local dans une affaire impliquant une question d?interprétation d?une norme

387 Article 81-5 CM dispose que: «Aucune disposition du présent article n?affectera tout droit du Comité Judiciaire d?accorder une autorisation spéciale pour l?exercice d?un pourvoi contre toute décision rendue par une cour quelconque en matière civile ou pénale».

388 Selon la conception de Albert Venn Dicey, un seul droit régit les relations entre les particuliers et l?Administration. Les droits public et administratif, rejetés par Albert Venn Dicey, ne sont que des composants du droit civil?.

389 Le terme droit civil? désigne aussi les matières du droit social. V. CJCP: 1er février 1993, Sundry Workers c/ Antigua Hotel, WLR, 1993, vol. 1, pp. 1250 à 1259, affaire d?Antigua et Barbuda, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt. Par contre, la Cour Suprême indique, à tort sans doute, que les matières de responsabilité disciplinaires ne font partie ni du droit civil?, ni du droit pénal. V. CSM: 2 novembre 1993, Geemul c/ Supreme Court of Mauritius, MR, 1993, pp. 226 à 230, Le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.

390 Un jugement interlocutoire ne peut en principe faire l?objet d?un recours au Conseil Privé. V. CSM: 30 novembre 1990, Ramlagun c/ Indian Ocean International Bank Ltd., MR, 1990, pp. 229 à 231, le juge Ahmed rédacteur de l'arrêt.

constitutionnelle391. Or, la Constitution mauricienne est excessivement abondante et comporte cent vingt-deux longs articles. Chaque article est divisé en plusieurs paragraphes et sous-paragraphes. La Constitution contient, comme nous l?avons déjà mentionné, une déclaration des droit s?inspirant de celle de la Convention Européenne des Droits de l?Homme. Le constituant originaire a été volontairement explicite, pointilleux et détaillé dans la reproduction des rapports entre l?exécutif, le Parlement et le judiciaire392. La Constitution mauricienne comporte également des dispositions qui, en France, relèveraient de la Loi organique. C?est ainsi qu?il existe à Maurice au moins deux modes de révisions de la Constitution, suivant la nature de l?article en question. Les dispositions d?application des principes fondamentaux sont révisables sur vote à la majorité qualifiée de deux tiers des députés tandis que les principes ne peuvent être révisés que sur vote positif de trois quarts des députés. Aussi, nombreux corps administratifs et institutions administratives indépendantes sont constitutionnalisés.

En dépit de cette constitutionnalisation accrue, l?activité du contrôle constitutionnel393 peut apparaître faible à première vue même si le nombre de saisine du Comité Judiciaire a considérablement augmenté dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix394. Il demeure, toutefois, que le Comité Judiciaire est systématiquement saisi de toutes les grandes affaires constitutionnelles mauriciennes395 et ses décisions ont permis de développer à Maurice un droit constitutionnel moderne396.

Aussi, selon l?énoncé de l?article 37-6 de la Constitution, le Comité Judiciaire est le juge de cassation397 du contentieux des élections législatives398, de la déchéance des mandats parlementaires et des élections internes à l?Assemblée Nationale.

391 Selon la classification opérée par Monsieur le Doyen Louis Favoreu, on peut soutenir que le Comité Judiciaire est une juridiction constitutionnelle. V. FAVOREU Louis: «Les Cours constitutionnelles», PUF, Que sais-je ?, 1986, 110 p., v. p. 3.

392 DE SMITH Stanley, cité note 30, p. 82 et s.

393 L?exercice du contrôle constitutionnel peut découler de la confrontation de toute norme juridique et d?une décision juridictionnelle ou administrative à la Constitution. V. infra sur les modes d?exercice du contrôle constitutionnel.

394 Le Comité Judiciaire a été saisi de huit affaires mauriciennes en 1989 et 1990.

395 COLOM Jacques: «L?exercice de la justice constitutionnelle par le Conseil Privé», AIJC, 1987, pp. 607 à 622.

396 Certains grands arrêts mauriciens du Comité Judiciaire sont publiés dans les recueils de jurisprudence britanniques.

397 CJCP: 22 mars 1994, Fakeemeeah Chel Mohammad c/ Essouf Amanoullah Ahmad, WLR, 1994, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt.

398 L?article 48-A de la Loi de 1968 sur la Représentation du peuple, qui reprend les termes de l?article 37-6 de la Constitution, dispose que le recours à Londres peut être intenté de droit en matière des élections.

Enfin, le juge londonien est compétent pour statuer sur toute affaire relevant d?une importance générale ou publique399 en vertu de l?article 81-2 de la Constitution. Cet article, interprété libéralement, permet au juge londonien d?être saisi de litiges purement administratifs.

B. En droit privé

Si en droit public le critère de compétence du Comité Judiciaire est d?ordre matériel, en droit privé le critère quantitatif intervient. La valeur de la prétention est prise en compte selon l?article 81-1-b de la Constitution de Maurice. Le Comité Judiciaire peut être saisi d?un pourvoi contre toute décision rendue dans un procès civil lorsque l?objet du litige est égal ou excède RPM 10,000400 ou lorsque le recours implique, directement ou indirectement la revendication d?un tel montant401. Cette disposition a une origine fort ancienne et remonte à une Ordonnance en Conseil de 1831 qui avait fixé le montant autorisé aux fins d?appel (appealable amount) de £ 1,000 pour les affaires mauriciennes. Ce montant fut converti en RPM 10,000 en 1894. Le taux de compétence du Comité Judiciaire n?a pas été revu à la hausse par le constituant en 1968. Il représente aujourd?hui le plus petit coût d?un procès en première instance en Cour Suprême. Ce critère quantitatif ne joue plus son rôle de filtrage en excluant de la compétence du Comité Judiciaire les petites affaires civiles ou commerciales. C?est pourquoi le législateur ordinaire a, par une Loi de 1990 sur le fonctionnement de la justice (Judicial Provisions Act), fixé le montant autorisé de la demande à RPM 150,000402. Il y lieu de s?interroger sur la régularité de cette Loi dont la constitutionnalité est douteuse. La Loi est en contradiction manifeste avec l?article 81-1-b de la Constitution même si elle n?a soulevé aucune difficulté pratique et n?a jamais été contestée. Le coût très élevé d?un procès au Comité Judiciaire403 empêche de facto qu?il soit saisi de petits litiges.

On ne manquera pas non plus de faire ressortir que cette limitation apportée à la compétence du Comité Judiciaire peut exclure de son prétoire des

399 CSM: 30 juillet 1993, Republic of France c/ Heeralall, MR, 1993, pp. 151 à 154, le juge Froget rédacteur de l'arrêt.

400 Approximativement FRF 3,000.

401 Le montant de l?affaire est apprécié non en capital mais en principal. Le principal comprend outre le capital, les fruits et intérêts qui sont dus au jour de la demande. Toutefois, les dépens incombés à la partie succombante ne sont pas pris en compte dans la détermination du montant autorisé pour appel. V. CJCP: 5 décembre 1876, The Crédit Foncier of Mauritius c/ Patureau, LT, septembre 1876 à février 1877, vo 35, pp. 869 à 870, affaire de Maurice, Sir Barnes Peacock rédacteur de l'arrêt.

402 Article 13 de la Loi. Celle-ci réforme l?Ordonnance en Conseil de 1968 sur les pourvois mauriciens au Conseil Privé (The Mauritius Appeals to the Privy Council Order 1968).

403 Un procès coûte au minimum RPM 500,000.

litiges assez importants relatifs à l?état des personnes. Le critère quantitatif privilégie les litiges de nature commerciale. Il serait souhaitable que le juge local, qui autorise le recours, ou le juge londonien lui-même, assouplisse les conditions de recevabilité des pourvois dans ce secteur.

Paragraphe 2. En droit pénal et responsabilité des hauts magistrats

La compétence du Comité Judiciaire en droit pénal mauricien apparaît ambiguë et mérite d?être clarifiée (A). Par contre, la compétence de la Haute Instance est pleine et entière en matière de responsabilité disciplinaire des hauts magistrats (B).

A. En droit pénal

Il est d?une pratique constante des Lords judiciaires de restreindre leur domaine de contrôle en droit pénal. Selon la Loi anglaise sur l?administration de la Justice de 1960, la Chambre des Lords ne peut être saisie d?un pourvoi en matière pénale que si la Cour d?Appel atteste que l?affaire soulève un problème d?intérêt général. Un système de filtrage similaire existe au Comité Judiciaire. Dès 1867, le Comité Judiciaire s?était imposé des limites à sa compétence du fait des inconvénients qui résultent de son contrôle en matière pénale sur l?administration de la justice404.

Or, le législateur mauricien, en vertu de l?article 81-1-d de la Constitution de 1968 qui l?autorise à accroître le domaine de compétence du Comité Judiciaire, a, en 1980, accordé à tout appelant le droit de se pourvoir au Comité Judiciaire contre toute décision de dernier ressort en matière pénale405. Le gouvernement voulait que les pouvoirs de la Haute Instance londonienne fussent aussi larges que ceux dont elle dispose en droit privé406. Mais le Comité Judiciaire, dans l?arrêt Badry407 a réaffirmé les principes directoires concernant les pourvois dans cette branche du contentieux exprimés dans le grand arrêt Ibrahim408. Le Comité Judiciaire déclare recevable un pourvoi que s?il y a eu

404 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General for the Colony of New South Wales c/ Henry Louis Bertrand, LRPC, 1865-67, vol. 1, pp. 520 à 536, affaire de l?Australie, Sir John Coleridge rédacteur de l'arrêt. Selon le Comité Judiciaire: «...interference by Her Majesty in Council in criminal cases is likely, in so many instances, to lead to mischief and inconvenience, that in them the Crown will be very slow to entertain on appeal», ibid., p. 529.

405 Article 7 de la Loi de 1980 sur les cours.

406 Attorney-General, LAD, 26 juin 1980, 4ème session, p. 3298.

407 CJCP, cité note 386.

408 CJCP: 6 mars 1914, Ibrahim c/ The King, AC, 1914, pp. 599 à 618, affaire de Hongkong, Lord Summer rédacteur de l'arrêt.

dans l?affaire une grande méconnaissance des objectifs de la justice409 ou une grave violation de la procédure et du principe d?impartialité des juges410. Le Comité Judiciaire considère qu?il n?est pas une juridiction d?appel en matière pénale411. Une simple irrégularité non substantielle commise dans la procédure ne constitue pas un cas d?ouverture de saisine412. Par contre, il peut être saisi si le juge du fond a interprété de manière erronée une loi et si cette mauvaise interprétation risque de créer un précédent incorrect413.

Les pouvoirs du Comité Judiciaire en matière pénale sont très étroits414 malgré l?élargissement opéré par le législateur mauricien. Le Comité Judiciaire a systématiquement décliné sa compétence dans les affaires mauriciennes ne tombant pas dans le cadre qu?il a posé415 et a complètement neutralisé les effets de la Loi de 1980. Le juge londonien précise néanmoins que des aménagements à ses principes pourraient être apportés aux pourvois mauriciens416.

Cette pratique restrictive du Comité Judiciaire a contraint le législateur mauricien à modifier la Loi sur les cours de 1980. La Loi sur le fonctionnement de la justice de 1990 (Judicial Provision Act) prévoit dans son article 2 que le Comité Judiciaire statuera en matière pénale que lorsque l?affaire soulève une question d?importance publique417, autrement dit, dans des circonstances exceptionnelles ou sur autorisation du Comité Judiciaire suivant les règles qu?il

409 «Where some clear departure from the requirements of justice exists», ibid., p. 614-5.

410 «A disregard of the forms of natural justice or, otherwise, substantial and grave injustice has been done», ibid., p. 615.

411 «Their Lordships have repeated ad nauseam the statement that they do not sit as a Court of Appeal», CJCP, cité note 386, p. 166.

412 Le Comité Judiciaire déclare que la Cour Suprême est souveraine pour apprécier la régularité de la procédure: «Their Lordships note the grounds of appeal relied before them... were exclusively concerned with procedural points, on which the courts in Mauritius could be expected to exercise an authoritative judgment», CJCP: 6 mars 1991, G. R. Banymandhub c/ The Q ueen, affaire de Maurice, Lord Lowry rédacteur de l'arrêt. V. également CJCP: 26 mars 1990, Samad Ramoly c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.

413 CJCP: 25 février 1991, Y. Mamodeally c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Brandon rédacteur de l'arrêt.

414 Même saisi directement après la décision de première instance, le Comité Judiciaire refuse d?exercer une compétence de deuxième ressort. V. CJCP: 29 mars 1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, WLR, 1993, vol. 3, pp. 242 à 248, affaire de Hongkong, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt.

415 V., par exemple, CJCP: 2 octobre 1990, A. C. Gaffoor c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt, et CJCP: 11 novembre 1991, S. M. A. Goolfee c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.

416 CJCP: 19 mai 1988, Buxoo c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt. «It is to be remarked however, that these principles are not necessarily to be applied with the most extreme rigidity where an important point of law of general application is raised by an appeal, and the decision in question is capable, if not reversed, of continuing a precedent not conducive to the public interest in the proper administration of justice, the appeal may be capable of being accommodated within the intendment of the principles». Un résumé de cet arrêt est publié in CLB, 1988, p. 1290.

417 CSM: 2 août 1991, Doomun c/ Regina, MR, 1991, pp. 252 à 253, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt et CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204 à 205, Le Chef-Juge rédacteur de l'arrêt.

a fixées. La Haute Instance a interprété la Loi mauricienne de 1990 comme voulant traduire en somme les principes précités418.

Cependant, vu la constitutionnalisation abondante du droit pénal mauricien grâce notamment à l?existence d?une charte des droits fondamentaux dans la norme suprême, le Comité Judiciaire peut être saisi si le demandeur au pourvoi invoque à l?appui de sa requête la méconnaissance d?une norme constitutionnelle. La saisine est alors de droit.

418 «The necessary exceptional circumstances have been said to exist in cases where some clear departures from the requirements of justice has been taken place», CJCP, cité note 413.

B. La responsabilité disciplinaire des hauts magistrats

La mise en jeu de la responsabilité disciplinaire d?un juge de la Cour Suprême obéit à une procédure très lourde conjuguée avec une obligation de référer, sauf en cas de non-lieu préliminaire, l?affaire au Comité Judiciaire. Le constituant britannique a voulu protéger les hauts magistrats au maximum dans l?exercice de leur fonction notamment parce qu?ils sont investis du pouvoir de contrôler les lois419. Un juge à la Cour Suprême ne peut être démis de ses fonctions que pour incapacité (inability) ou inconduite (misbehaviour) constatée par le juge londonien selon l?article 78-3 de la Constitution mauricienne. Le terme d?inconduite n?a pas été défini en droit mauricien ou même par la Common Law420. Le terme trouve son origine dans la vieille Loi anglaise d?Etablissement du 12 juin 1701 (Act of Settlement) et a été repris par la Loi de même nature sur la Cour Suprême de Justice de 1981 selon lequel le juge supérieur ne peut être révoqué que pour inconduite sur pétition des deux chambres du Parlement au Souverain421. Face à l?imprécision du terme, la doctrine n?a pas manqué de fournir des éléments de définition. Selon Stanley A. De Smith, la notion d?inconduite englobe la turpitude et la négligence grave et perpétuelle422. Il nous semble, pour exprimer notre opinion personnelle, qui corrobore avec celle de Monsieur le Professeur Mauro Cappelletti, que la notion désigne principalement le fait pour un juge, dans ses fonctions, d?agir contrairement aux obligations qu?il a envers la société, d?être impartial423.

Le constituant originaire a mis en place un mécanisme évitant la mise en cause constante des juges à Maurice. Ce mécanisme, contrairement à ce qui existe en Angleterre, est entièrement juridicisé et s?inscrit dans le droit fil de l?évolution du droit constitutionnel moderne. En somme, un juge à la Cour Suprême ne peut être démis de sa charge que par le Chef de l?Etat et que si un Tribunal composé de trois membres ayant exercé de hautes fonctions dans la magistrature assise de droit commun dans des pays du Commonwealth. Ce tribunal ad hoc adresse un rapport au Président de la République mauricienne

419 «... It is clearly of great importance that a judge who may be called upon to interpret a justiciable bill of rights... shall not be intimated by fear of loss of office», DE SMITH Stanley, cité note 30, p. 140-41.

420 L?absence de jurisprudence sur la responsabilité disciplinaire des hauts magistrats est un fait courant dans beaucoup de pays.

421 Une condamnation pénale hors de l?exercice de ses fonctions de juge ne constitue pas une inconduite. En 1975, un juge de la Haute Cour britannique avait été reconnu coupable de conduite d?un véhicule en état d?ébriété mais n?avait pas été sanctionné. Depuis la Loi de 1701, un seul juge fut démis de ses fonctions pour fait de corruption.

422 «Misbehaviour would include conviction for an offence involving moral turpitude and persistent neglect of duties», DE SMITH Stanley, cité note 239, v. p. 375.

423 CAPPELLETI Mauro: «Le pouvoir des juges», Economica, 1990, 397 p., v. p. 152. «Le juge qui agit selon sa bonne foi ne contrevient ainsi à aucune obligation mais il en va autrement de celui qui agirait pour nuire (maliciously) ou parce qu?il a été acheté», ibid.

et lui recommande, le cas échéant, de référer la question de démettre l?intéressé au Comité Judiciaire424. Ce dernier donnera son avis au Chef de l?Etat mauricien425.

On est frappé par l?imprécision du droit en la matière426. Le droit procédural applicable est peu précisé. Le Comité Judiciaire dispose d?une grande latitude. Cependant, une jurisprudence de la Haute Juridiction a fourni une donnée fondamentale même si elle est loin d?épuiser l?interrogation du juriste. Dans une affaire de Trinité et Tobago, le juge londonien a affirmé l?exclusivité de la procédure constitutionnelle427 et a prôné l?application des principes généraux du droit lors du déclenchement de la procédure. Le juge dont la responsabilité est engagée a droit de se faire entendre et représenter428.

*

La compétence du Comité Judiciaire à l?égard de l?île Maurice relève de trois modalités: compétence générale en matière constitutionnelle, compétence limitée à la cassation en droit privé et pénal et compétence exclusive en matière de responsabilité des hauts magistrats. Dans ces conditions, on peut affirmer que le Comité Judiciaire est la vraie, la seule et unique juridiction suprême de l?île Maurice.

424 CJCP: 9 avril 1870, Memorandum of the Lords of the Council on the removal of colonial judges, ER, Privy Council, vol. 16, partie 6, pp. 827 à 830, rapporté par Moore.

425 Article 78-3, 4 et 5 CM. C?est le seul cas où le Comité Judiciaire conseille le Président de la République. La saisine par le Chef de l?Etat s?apparente à celle dite de «consultation extraordinaire» (special reference) de l?article 4 de la Loi de 1833.

426 Il est une question que l?on peut se poser. Le Comité Judiciaire a-t-il été habilité en droit anglais à se prononcer sur saisine du Président de la République de Maurice ? L?Ordonnance en Conseil du 15 juillet 1992 autorise le Comité Judiciaire à statuer sur les pourvois mauriciens selon les termes de l?article 81 de la Constitution mauricienne. A contrario, la Haute Instance n?a pas été habilitée à se prononcer sur la base de l?article 78 de la Constitution. V. sur le sujet, DOOKHY Parvèz et DOOKHY Riyad: «La révocation du Chef-Juge: les aspects juridiques», L?Express, 31 août 1995, p. 12.

427 CJCP: 14 février 1994, Evan Rees c/ Richard Alfred Crane, WLR, 1994, vol. 2, pp. 476 à 499, affaire de Trinité et Tobago, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt. Il souligna que: «... if judicial independence is to mean anything, a judge cannot be suspended nor can his appointment be terminated by others or in other ways», ibid., p. 484.

428 BENTWICH Norman, cité note 41, pp. 154 à 158.

CONCLUSION DU CHAPITRE 1

En 1968, lors de l?accession de l?île Maurice à l?indépendance, le Comité Judiciaire n?était sans doute qu?une institution de type transitoire d?ailleurs en voie de disparition tant son rôle était affaibli et sa compétence ratione loci réduite. Toute l?histoire du Commonwealth depuis la deuxième grande guerre témoigne de l?hostilité des anciennes colonies britanniques envers la justice londonienne. L?abolition du droit de se pourvoir à la Downing Street fut le prix à payer pour la survivance de la nature impériale de l?institution.

Les institutions mauriciennes mises en place en 1968 bénéficiaient toutes d?une grande estime de la part de la population sur laquelle elles reposaient. Elles étaient aussi nouvelles que porteuses de beaucoup d?espoir. Ce qui entraîna, pour certaines d?entre elles, l?adhésion du peuple à leurs activités. Face à elles, le Comité Judiciaire représentait l?ordre ancien. Il était en position de faiblesse. Le peu d?intérêt des plaideurs mauriciens à accéder à son prétoire n?était-il pas l?expression la plus évidente de sa situation ?

Or, le juge londonien se révèle aujourd?hui être plus que jamais nécessaire au bon équilibre des institutions. Les garde-fous posés par le constituant n?ont empêché la dérive des institutions. Le communautarisme persiste et domine les activités politiques. Les institutions publiques suprêmes se sont effacées devant la montée en puissance de l?exécutif et inspirent peu de confiance.

Seul le Comité Judiciaire présente les conditions d?impartialité et de compétence technique nécessaire pour pouvoir s?imposer en contre-pouvoir et pour garantir l?autorité de la justice.

Une étude de l?organisation du tribunal du Whitehall est dès lors indispensable pour poursuivre notre démonstration.

CHAPITRE 2. LES HAUTES QUALITÉS DU COMITÉ JUDICIAIRE

Les historiens auront grand-peine à trouver dans le monde un précédent à l?aventure institutionnelle du Comité Judiciaire. Cette institution particulière, ni internationale, ni nationale au sens strict des termes, imaginée par Lord Brougham en 1833, est toujours marquée par ses originalités. Sa mutation n?ayant pas eu lieu, le Comité Judiciaire a conservé des caractéristiques des cours médiévales du Roi même s?il s?est fortement rationalisé.

La désignation de ses membres est laissée en théorie à la seule discrétion du Souverain britannique. La nature de l?institution est incertaine. La doctrine y est fortement partagée. Davantage encore, son fonctionnement est plus ou moins complexe même pour le juriste.

Il convient de vérifier comment ces caractéristiques particulières lui permettent néanmoins d?être une institution efficace et compétente. Un examen de son organisation et de son fonctionnement peut faciliter la compréhension de ses arrêts, ses prises de position et la hauteur de son raisonnement. Il nous fournira aussi des éléments essentiels afin de mieux apprécier l?autorité et la compétence technique de son personnel.

Il faut donc à présent visiter de fond en comble la composition du Comité Judiciaire (section 1) et sa nature et son fonctionnement (section 2).

SECTION 1. LES MEMBRES DU COMITÉ JUDICIAIRE

L?étude des membres du Comité Judiciaire répond à un souci de mise en perspective des vertus de la composition de l?institution (sous-section 1) et du statut de ses membres (sous-section 2) afin de démontrer l?originalité de l?institution parmi les juridictions et cours constitutionnelles.

Sous-section 1. Les vertus de la composition du Comité Judiciaire

Une institution dépend toujours pour une large part de la personnalité des hommes qui l?incarnent et la font vivre. La politique du recrutement des membres par une institution détermine sa grandeur.

En vertu de ce postulat, nous nous interrogerons d?abord sur l?ingéniosité du mode des nominations et affectations au Comité Judiciaire (paragraphe 1) et nous procèderons ensuite à une analyse sociologique et empirique de la

composition de l?institution (paragraphe 2). Cette analyse nous permettrons de mieux apprécier les valeurs de la Haute Instance et sa place dans la société.

Paragraphe 1. Analyse de la politique des nominations et affectations

Au regard de l?organisation du Comité Judiciaire, la composition de l?institution mérite d?être analysée sous un angle particulier. L?examen des seules règles et pratique des nominations (A) serait incomplet si on ne s?interroge pas sur la composition des formations de jugement surtout à l?égard des pourvois venant de Maurice (B) car le Comité Judiciaire, contrairement à la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique et le Conseil Constitutionnel français, ne siège pas en assemblée plénière pour rendre une décision, mais en sous- comité ad hoc composé au cas par cas.

A. Les règles et la pratique des nominations

Peu de règles juridiques (a) déterminent les conditions de nomination des membres du Comité Judiciaire429. Le Comité Judiciaire recrute ses membres de la haute magistrature, au sein de laquelle le critère de compétence (b) joue un rôle déterminant.

a. Les règles juridiques relatives à la composition du Comité Judiciaire

Le Comité Judiciaire est composé430 premièrement du Lord-Président du Conseil (Lord-President of the Council) qui a rang d?un ministre d?Etat à la française (senior minister). Le Lord-Président n?est pas un magistrat et n?est pas inamovible. Il est membre du gouvernement britannique et son sort est lié à celui du Cabinet, organe responsable devant le Parlement. Il n?a pas besoin d?être un pair et il ne siège pratiquement pas au Comité Judiciaire bien qu?il préside celui-ci. Sont aussi membres du Comité Judiciaire les anciens Lords- Présidents du Conseil et les Lords judiciaires (Law Lords). Le terme Lords judiciaires désigne les membres juristes de la Chambre des Lords, c'est-à-dire les anciens Lords-Chanceliers (former Lord Chancellors), les Lords-Chefs-Juges

429 Il serait erroné de classer les membres du Comité Judiciaire en groupe de membres nommés et membres de droit tant les Lords-Juges d?Appel sont dans la pratique membres ex officio du Conseil Privé.

430 On est en réalité nommé membre du Conseil Privé (Privy Councillor) et non du Comité Judiciaire. Le Conseil Privé comprend dans les 400 membres. Les membres du Cabinet britannique, les principaux juges, les éminents politiciens, les grandes personnalités du Commonwealth, dont l?ancien Premier ministre de l?île Maurice, Sir Aneerood Jugnauth QC, en sont membres à vie.

Les conseillers privés doivent prêter serment d?allégeance à la Couronne et un serment de conseiller privé. Ils bénéficient du titre de Très Honorable (Right Honourable) et suivent les Chevaliers de l?Ordre de la Jarretière (Knights of the Garter) dans les cérémonies. Mais les Lords judiciaires, en raison de leur dignité, ont préséance sur les chevaliers précités.

à la retraite (Lord Chief Justices in retirement), les Lords d?Appel en Ordinaire (Lords of Appeal in Ordinary) à la retraite et en fonction, le Lord-Chancelier et le Lord-Chef-Juge en fonction431. Les Lords-Juges d?Appel432 (Lord Justices of Appeal) sont aussi membres du Comité Judiciaire mais n?y siègent pratiquement pas. Enfin, les autres membres juristes du Conseil Privé, parmi lesquels un certain nombre de juges et d?anciens juges des Etats du Commonwealth et des juges de la Haute Cour de Justice anglaise, font partie du Comité Judiciaire. Leur nomination au Conseil Privé dépend de la seule discrétion du Souverain.

Toutefois, dans la pratique, l?activité juridictionnelle est exercée principalement par des Lords d?Appel en Ordinaire, c'est-à-dire, le même personnel que celui de la Chambre des Lords. Ceux-ci ne constituent pas a priori un bloc de juges très monolithique. Il est d?une convention constitutionnelle acceptée qu?au moins deux Lords soient écossais433 et qu?un autre au moins provienne de l?Irlande du Nord434. Mais ils constituent néanmoins une petite élite de hauts magistrats435 bien compacte, homogène et soudée436.

Dans des cas exceptionnels, un juge anglais de la Haute Cour de Justice qui est membre du Conseil Privé437 ou un juge du Commonwealth peut s?adjoindre aux Lords pour composer la formation de jugement du Comité Judiciaire. Au temps où le Comité Judiciaire était la juridiction suprême de l?Empire britannique, il était composé régulièrement de hauts magistrats du Canada, de l?Afrique du Sud, de l?Australie de la Nouvelle-Zélande et de l?Inde. Aujourd?hui, seules la Nouvelle-Zélande, les Bahamas et la Jamaïque y sont, peut-on dire, représentées438. Il est regrettable que l?île Maurice soit toujours tenue à l?écart quant à sa représentation alors que cinq anciens Chefs-Juges de la Cour Suprême de Maurice sont à la retraite. La compétence technique des

431 Autrement dit, les Lords judiciaires sont les pairs qui ont occupé ou qui occupent une haute fonction dans la magistrature et détiennent leur dignité à titre viager.

432 Les Lords-Juges d?Appel sont membres de la Cour d?Appel, juridiction de deuxième degré.

433 Actuellement, en sus de la convention, l?actuel Lord-Chancelier, Lord Mackay of Clashfern, est d?origine écossaise.

434 Un peu comme à la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique, la représentation géographique des juges y est très respectée. V. WALKER T. et EPSTEIN Lee: «The Supreme Court of the United States», New York, St. Martin?s Press, 1993, 207 p., v. p. 37-38.

435 BLOOM-COOPER Louis et DREWRY Gavin: «Final Appeal: a study of the House of Lords in its judicial capacity», Oxford, Clarendon Press, 1972, 584 p., v. p. 153-54.

436 Les Lords judiciaires n?ont pas d?assistant de recherche et ont peu d?aide de secrétariat. JOLOWICZ J. A: «Les décisions de la Chambre des Lords», RIDC, 1979, pp. 521 à 537.

437 Dans les affaires mauriciennes, par exemple, ont siégé, Sir Robert Megary et Sir Micheal Hardie Boys.

438 «In spite of the express provisions allowing representation of Dominion Judges on the various boards of the Privy Council... cases before the Privy Council have been heard almost exclusively by English and Scottish law Lords», MC WHINNEY Edward: «Judicial review in the English speaking world», University of Toronto Press, 1965, 244 p., v. p. 50.

hauts magistrats mauriciens, jugée peut-être non suffisante, explique sans doute leur absence au prétoire du Comité Judiciaire.

La composition du Comité Judiciaire demeure très britannique. Les juges du Commonwealth sont rarement désignés à siéger. Le facteur géographique ne permet pas qu?ils soient régulièrement sollicités. En somme, les membres réellement actifs du Comité Judiciaire sont globalement de quinze à vingt, c'est- à-dire les onze Lords judiciaires en fonction et, éventuellement, les autres juges des tribunaux britanniques et du Commonwealth. Ce nombre de juges est légèrement dérogatoire à la tendance des juridictions constitutionnelles à ne comporter qu?un nombre restreint de juges mais s?explique par le caractère même du Comité Judiciaire.

b. Le critère de compétence

Le Comité Judiciaire appartient à la catégorie des cours de Common Law quant au mode de recrutement de ses membres. Les cours de Common Law sont composés d?anciens grands praticiens du droit, tandis que les cours de droit commun du modèle romano-germanique sont composés de magistrats de carrière. Le système judiciaire britannique ne prévoit aucun système de déroulement de carrière pour les titulaires d?une fonction au sein de la magistrature439. Pour être nommé juge de première instance à la Haute Cour de Justice de Londres, il faut être un avocat disposant d?au moins de dix années de pratique au barreau de l?Angleterre et du Pays de Galles440. Les nominations sont effectuées par le Souverain sur proposition du Lord-Chancelier441. Le Lord-Chancelier apprécie la performance des avocats selon les avis qu?il reçoit des juges sur leurs activités et réputations. Le ministre de la justice anglais assure une véritable notation des avocats contenue dans un dossier désigné par sa couleur, le jaune (the yellow book). L?avocat ne fait pas acte de candidature à la fonction de juge. Il est invité par le gouvernement à accepter sa nomination. Ce mode de sélection des juges est hautement élitiste et s?apparente à la cooptation. Ce sont les juges qui nomment les juges, leurs successeurs et en général ils choisissent ceux qui leur ressemblent. Ils donneront un avis négatif sur l?avocat qui paraît déroger aux

439 «... the British judiciary is not a career service. No young law student can actually set out to become a judge, since there is no special school nor any competitive or other examination for entry to the judiciary», KINDER-GEST Patricia, cité note 58, v. p. 400.

440 «The system of recruitment which has prevailed up to the present day has always assumed that a good barrister will automatically make a good judge and therefore that he had no need of any particular in-depth training to prepare him for his new position», ibid., p. 401.

441 Dans la pratique, le Lord-Chancelier demeure en fonction plus longtemps que les autres ministres et peut effectuer ou proposer de nombreuses nominations. A titre indicatif, Lord Hailsham of St. Marylebone fut Lord-Chancelier de 1979 à 1987. Lord Makay of Clashfern est en fonction depuis 1987.

moeurs de la profession442. Le choix du Lord-Chancelier porte sur les quelques sept cent cinquante avocats en exercice ayant obtenu le titre honorifique de Conseiller de la Reine (Queen's Counsel), c'est-à-dire, le titre d?avocat émérite443. En moyenne les éminents avocats sont nommés à la Haute Cour de Justice444 à l?âge de cinquante ans445. Certains, après une expérience de huit à dix années seront promus à la Cour d?Appel qui comprend vingt-sept Lords-Juges. Ceux-ci sont nommés par le Souverain sur recommandation du Premier ministre446. Une petite minorité d?entre eux seront nommés à la Chambre des Lords et deviendront, en tant que Lords judiciaires447, membres actifs du Comité Judiciaire. Les magistrats britanniques ne sont élevés à la pairie avant d?avoir atteint en moyenne soixante-deux ans, c?est-à-dire, un niveau de maturité élevé. Ce modèle de recrutement des juges est qualifié de «professionnel» par rapport à celui dit «bureaucratique» du système continental, dans lequel les juges sont choisis par concours ouvert aux jeunes étudiants après leurs études universitaires. Le recrutement au Comité Judiciaire est donc centré sur des juristes de profession comme prôné par Hans Kelsen à propos des juridictions constitutionnelles448 (voir tableau 6 en annexe). La Grande-Bretagne recherche dans ses hauts magistrats une grande expérience des problèmes pratiques plutôt que de la compétence théorique449.

On peut, par contre, s?interroger sur la dépendance du système britannique de recrutement sur le bon vouloir de l?exécutif, du Lord-Chancelier en particulier, qui conseille le souverain à cet effet. Mais les moeurs et les usages propres à l?Angleterre font que le juge, une fois investi dans ses fonctions, oublie l?autorité qui l?a nommé pour ne penser qu?à sa charge

442 «A man or woman whose social or personal habits are unconventional or uncertain is not likely to be risk», GRIFFITH J. A. G.: «The politics of the judiciary», Londres, Fontana Press, 1991, 4e édition, 352 p., v. p. 29.

443 La Loi de 1990 sur les cours et le service judiciaire (Court and legal services Act 1990) prévoit que les avoués (Solicitors) de grande expérience pourraient être recrutés comme juges.

444 La Haute Cour de Justice, tribunal de première instance, comprend quelques quatre-vingt- cinq juges et est unique en Angleterre.

445 «La nomination à une fonction judiciaire dans une cour supérieure est toujours considérée comme le signe d?une éclatante réussite et le couronnement d?une carrière poursuivie avec succès au barreau», DAVID René: «Le droit anglais», PUF, Que sais-je ?, 1975, 126 p., v. p. 24.

446 A ce stade, les juges seront membres du Conseil Privé, mais y sont peu actifs.

447 Les Lords bénéficient d?une image de prestige et sont largement décorés. Leur statut leur permet d?incarner le respect qu?il faut pour la justice.

448 KELSEN Hans: «Le contrôle de la constitutionnalité des lois: une étude comparative des constitutions autrichienne et américaine», RFDC, 1990, pp. 17 à 30 et du même auteur: «La garantie constitutionnelle de la Constitution», RDP, 1928, pp. 197 à 257. Il soutient que: «Il est de plus grande importance d?accorder à la composition de la juridiction constitutionnelle une place adéquate aux juristes de profession... Le tribunal a en effet le plus grand intérêt à renforcer lui-même son autorité en appelant à lui des spécialistes éminents», ibid., pp. 227.

449 Les théoriciens du droit (academic lawyers) ne sont jamais affectés à la haute magistrature. V. SHETREET Shimon: «Judges on trial, a study of the appointment and accountability of the English judiciary», Oxford, North-Holland Publishing Company, 432 p., v. p. 58 et s.

éminente450. Il faut néanmoins se méfier de croire qu?avec ce système la Grande- Bretagne ne permet l?infiltration d?éléments politiques dans le judiciaire. Le Lord-Chancelier, juriste de formation, est un homme politique451. Aussi, certains Lords judiciaires ont été nommés en considération de leurs engagements politiques antérieurs452 ou de leur affinité idéologique avec le parti au pouvoir.

B. La composition des formations de jugement

La composition des formations de jugement (Boards) du Comité Judiciaire présente une particularité qu?il convient de mettre en relief. Il appartient au Lord-Chancelier de désigner pour chaque affaire les membres du Conseil qui composeront le comité ad hoc qui la jugera453. Dans la pratique, il semble que le Lord-Chancelier veille à une certaine régularité et stabilité dans le choix des juges (a). Nous verrons ensuite si ce principe est respecté à l?égard de l?île Maurice (b).

a. La stabilité dans le choix des juges

Les théoriciens du droit du Commonwealth n?avaient pas manqué d?être très critiques à l?égard de tout changement fréquent de personnel composant le Comité Judiciaire en séance454 et de l?appel aux juges qui ne possédaient pas une connaissance approfondie du système juridique concerné455. Le changement de personnel avait provoqué une instabilité de la jurisprudence vérifiée dans l?interprétation de la Constitution canadienne de 1867456. Selon la composition du tribunal londonien, la Constitution canadienne faisait l?objet soit d?une interprétation décentralisante, favorisant les droits et pouvoirs des provinces, soit d?une interprétation centralisante protégeant le pouvoir central du Canada.

450 PERROT Roger: «Institutions judiciaires», Monchrestien, 1995, 7e édition, 599 p., v. p. 302.

451 Aucun texte de loi ne prescrit les modalités de recrutement du Lord-Chancelier. Mais la tradition veut qu?il soit issu des avocats ayant exercé les fonctions d?officier de justice de la couronne, avocats du ministère public, ou de la haute magistrature.

452 «Atkinson and Shaw were appointed by Balfour and Asquith because they were party men, and party men were needed to ensure that the appellate functions of the House were handled from the appropriate political view point», STEVENS Robert: «Law and politics, the House of Lords as a judicial body 1800-1976», The University of North California Press, 1978, 701 p., v. p. 246.

453 Le Lord-Chancelier exerce une fonction similaire à la juridiction de la Chambre des Lords.

454 «To imagine that we shall ever get consistent and reasonable judgments from such a casualty selected and untrained court (as the Judicial Committee) is merely silly», SCOTT F. R.: «The consequences of the Privy Council decisions», CBR, 1937, pp. 485 à 494, v. p. 494.

455 BURNS P.: «The Judicial Committee of the Privy Council: constitutional bulkmark or colonial remnant ?», OLR, 1984, vol. 15, n°4, pp. 503 à 522.

456 Un juriste canadien avait écrit que le Comité Judiciaire fut: «a court of fluctuating personnel characterised by the appearance and quick disappearance of many members, a fact which has not been conducive to familiarity with our Constitution or conditions, and which has also led to the dominance of a few personalities whose attendance was more regular and prolonged», MAC DONNALD Vincent: «The Privy Council and the Canadian Constitution», CBR, 1951, pp. 1021 à 1037, v. p. 1024. Un autre juriste parlait d?un «shifting body of judges» à propos du Comité Judiciaire. V. CAIRNS Alain: «The Judicial Committee and its critics», RCSP, 1971, pp. 301 à 345, v. p. 331.

Le tandem des Lords Waston et Haldane protégeait les provinces de toute immixtion du pouvoir fédéral dans leur champ de compétence alors que Lord Sankey adoptait une approche inverse457.

En dehors du cas canadien qui ne présente plus qu?un intérêt historique, il nous est possible d?affirmer que le Lord-Chancelier choisit des spécialistes de la matière en instance pour siéger dans le comité ad hoc (panel)458 et le même groupe de juges est appelé à composer le Comité Judiciaire en séance pour juger des affaires similaires. Le Lord-Chancelier assure une mission complexe. Il veille à l?unicité de la jurisprudence. En même temps, il est soucieux du développement de la jurisprudence. C?est ainsi qu?il peut parfois solliciter l?assistance des Lords judiciaires à la retraite ou des rares juges du

C o mm on w e alt h 459.

Il est utile de faire remarquer que ce mode de sélection des juges permet à une cour de Common Law tel que le Comité Judiciaire, qui a une compétence générale, de se doter d?une certaine spécialisation interne de facto et donc d?une division fluide du personnel de la cour460.

b. Le cas mauricien

La composition du Comité Judiciaire dans les affaires mauriciennes reflète la même tendance du maintien de la stabilité461. La spécialisation de certains Lords en droit public mauricien est marquante Lord Keith of Kinkel, d?origine écossaise, a siégé pendant quinze années, de 1977 à 1992 et une fois sur deux dans les formations de jugement statuant sur des affaires relevant du droit public mauricien (voir tableau 7 en annexe). De même, Lord Templeman siège depuis 1982 et apparaît également en moyenne une fois sur deux.

457 «The vagaries of judicial interpretation of the Canadian Constitution are indeed an excellent index to the uncertainty of tenure of the personnel of the Privy Council», MC WHINNEY Edward, cité note, v. p. 52.

458 Le Lord-Chancelier est conseillé dans cette tâche par son secrétaire permanent (permanent secretary), le clerc principal du ministère de la justice (principal clerk of the judicial office) et le clerc du Conseil Privé (judicial clerk of the Privy Council).

459 «Past pattern of practice as to the constitution of such boards of the Privy Council indicates a remarkable element of consistency and regularity in the actual choosing of the judges, the same judicial names tending to recur, year after year, for the same general categories of cases and being determined either by technical backgrounds or by expressed personal preference... or by original casual accident of choice», MC WHINNEY Edward: «Supreme Courts and judicial law making: constitutional tribunals and constitutional review», Martinus Nijroff Publishers, 1986, 305 p., v. p. 29.

460 Les Lords provenant de la division de la chancellerie (Chancery Division) de la Haute Cour ne siègent que dans les affaires commerciales et non dans des affaires pénales et administratives réservées à ceux venant de la division du Banc de la Reine.

461 A titre de comparaison, trente personnes ont été membres du Conseil Constitutionnel français de 1977 à 1994 alors que trente-deux membres du Conseil Privé ont participé aux affaires mauriciennes de droit public durant la même période.

La pratique veut que chaque comité ad hoc de jugement comprenne deux ou trois juges d?un noyau dur de quatre à cinq Lords. Par exemple, de 1982 à 1991, au moins deux des Lords Keith of Kinkel, Brandon of Oakbrook, Templeman, Bridge of Harwich et Roskill ont participé aux formations de jugement statuant sur des affaires de droit public mauricien. Le même phénomène réapparaît entre 1987 et 1988 sur les six affaires jugées durant cette période. Le noyau dur était composé des Lords Griffiths et Akner et de Sir John Stephenson. Aussi, sur les sept arrêts prononcés de 1992 à 1993 trois des quatre Lords judiciaires Jauncey, Goff of Chieveley, Lowry et Oliver y étaient présents.

Toutefois, la spécialisation et la régularité apparaissent moins nettement en matière de droit pénal bien que les mêmes principaux Lords judiciaires, à savoir Lords Templeman, Keith of Kinkel, Bridge of Harwich, Oliver, Jauncey of Tullichettle et Brandon forment les comités de jugement (voir tableau 8 en annexe). Mais la présence de quelques chevaliers du Conseil, dont des juges de la Nouvelle-Zélande, sont à noter dans les affaires pénales462. A ce titre Sir Maurice Casey y est particulièrement régulier.

On insistera, enfin, sur les avantages que représente le mode de composition des formations de jugement du Comité Judiciaire. Le système présente deux bienfaits. Il assure avec la longue durée d?exercice des Lords, l?autorité de l?institution et évite, par le renouvellement constant, les ruptures brutales au profit d?une évolution souple. Les nouveaux Lords qui entrent en fonction dans les affaires mauriciennes apprennent progressivement leur métier au contact des anciens tout en questionnant toute jurisprudence que ces derniers pouvaient considérer comme acquise ou clairement évidente. Dans la pratique, le système retenu par le Conseil Privé peut être rapproché du renouvellement triennal du Conseil Constitutionnel français.

Paragraphe 2. Analyse sociologique et empirique de la composition du Comité Judiciaire

Notre analyse du recrutement des juges du Comité Judiciaire ne serait intégrale si nous ne procédons à une étude sociologique et empirique de la composition de la Haute Instance londonienne (A).

462 Le fait d?adjoindre des juges néo-zélandais répond, semble-t-il, à un souci de prise en considération des difficultés rencontrées en général par les autorités publiques des pays du Commonwealth sur le plan procédural aux procès pénaux, notamment sur le problème des délais à respecter, vérifiées dans les arrêts publiés.

Par ailleurs, il nous apparaît opportun de comparer le Comité Judiciaire, du moins dans sa composition, à la fois avec une grande juridiction et une cour constitutionnelle (B).

A. Les membres du Comité Judiciaire

Deux séries d?observation s?imposent sur la composition du Comité Judiciaire. La première porte sur la personnalité des juges (a) et la deuxième sur les éventuelles tendances de leur désignation (b).

a. Des personnalités incontestables

Le mode de recrutement des Lords permet de combiner la compétence et l?expérience. Comme nous l?avons souligné, les juges sont tous des juristes de profession et beaucoup d?entre eux ont acquis une grande expérience, soit au gouvernement, soit au Parlement, soit même dans l?Administration. Le Comité Judiciaire peut se prévaloir d?une grande richesse de talents.

Les Lords463 ont reçu jadis une formation technique appropriée dans les prestigieuses universités, notamment de Cambridge et d?Oxford464 et dans une des quatre écoles de formation à la profession d?avocat465, la Lincoln?s Inn, le Middle Temple, l?Inner Temple et la Gray?s Inn466. En ce qu?il s?agit de leur cursus universitaire467, ils sont tous au moins titulaires d?une licence en droit avec mention honorable (Bachelor's degree in law with Honours). Nombreux d?entre eux détiennent une maîtrise en droit (Master's degree) et tous ont pratiquement obtenu le titre honorifique de docteur en droit des universités britanniques ou étrangères468. On notera que les Lords ont en moyenne plus d?une quarantaine d?années d?expérience du droit, d?abord comme avocat ensuite comme juge à la Haute Cour de Justice et à la Cour d?Appel. Certains Lords ont aussi enseigné dans des facultés de droit469 et publié des ouvrages de droit470. D?autres Lords se sont spécialisés dans certaines branches du droit, tel Lord Diplock en droit constitutionnel du Commonwealth471.

En sus des qualités strictement techniques, les juges du Conseil Privé ont généralement acquis une expérience professionnelle dans l?administration publique472, ce qui est fort utile lorsqu?ils ont à statuer, comme c?est le cas fréquemment, sur le fonctionnement de la machine étatique des pays du Commonwealth. Il est aussi d?une pratique constante en Angleterre de confier

463 Ils sont en général issus de la haute bourgeoisie et de l?aristocratie.

464 Sur le système très élitiste anglais v. CHARLOT Claire: «L?Enarchie à l?anglaise», Presse Universitaire de Lille, 1986, 260 p.

465 ROCHE Marc: «The Judge, en Grande-Bretagne», Le Monde, 12 septembre 1991, p. 14.

466 Dans ces écoles, les élèves-avocats sont formés à acquérir des méthodes de raisonnement et d?expression de leurs pensées, de persuasion et de négociation.

467 Sur la sociologie des Lords v. BLOOM-COOPEER Louis et DREWRY Gavin, cité note 435, v. chapitre 3, p. 158 à 169.

468 Lord Denning a obtenu une vingtaine de titres de docteur et Lord Scarman dix-huit.

469 Par exemple, Lord Slynn a enseigné le droit à l?Université de Londres, l?Université de Durham, de Cornell et à l?Univerrsité de Sydney. Lord Templeman est professeur invité à l?Université d?Essex. Lord Fraser a enseigné le droit constitutionnel à l?Université de Glasgow, puis à Edimbourg.

470 Lord Hailsham of St. Marylebone a publié une vingtaine de titres.

471 STEVENS Robert, cité note 452, v. p. 562 et s.

472 Lord Templeman était ministre délégué à la Justice (Attorney-General), Lord Roskill fut fonctionnaire au ministère des transports, Lord Hailsham of St. Marylebone fut député, ministre de l?éducation, puis de la science et de la technologie et Lord Elwyn-Jones fut secrétaire parlementaire privé du ministre délégué à la justice.

aux Lords la direction des commissions royales chargées de conseiller le gouvernement sur les grands problèmes de société473 ou des commissions d?enquêtes474.

Par ailleurs, tous les Lords judiciaires sont ex officio des parlementaires à vie475. Ils prennent part aux débats politiques à la deuxième chambre476 et peuvent s?engager très ouvertement477 tout en siégeant en non-apparentés à la chambre.

b. L'évolution

L?âge de nomination à la Chambre des Lords est originairement très élevé et est de soixante-huit ans de moyenne478. Depuis quelques années, il semble que l?âge moyen des Lords judiciaires diminue légèrement. Les dispositions de la Loi britannique de 1990 sur les cours et le service judiciaire (Court and legal service Act 1990) favorisent la nomination des juges plus jeunes479. Lord Woolf a été nommé à la pairie à l?âge de cinquante-huit ans. Aussi, trois des cinq juges qui avaient statué sur les affaires mauriciennes en 1994 avaient moins de soixante- trois ans. Néanmoins l?âge moyen des juges du Comité Judiciaire demeure assez élevé. Mais il nous est possible d?affirmer que le grief de l?âge des juges a peu d?intérêt car le Comité Judiciaire est composé d?hommes pleinement aptes à exercer leurs fonctions.

473 SMITH P. F. et BAILEY S. H.: «The modern English legal systems», Londres, Sweet and Maxwell, 1984, 700 p., v. p. 171 à 172.

474 Hailsham of St. Marylebone, Lord: «The British legal system», Londres, Stevens and Sons, The Hamlyn Lectures, 1983, 89 p. Le Lord-Chancelier Hailsham s?oppose à l?attribution des fonctions extrajudiciaires aux juges: «There is of course the constant and popular clamour for public enquiries whenever anything goes wrong in public life, and when this happens, all often the Lord-Chancellor is asked to find a High Court Judge to head it even though the inquisitorial method involved is somewhat alien to his experience, and the political sensitivity of the issues only to manifest», ibid., p. 46.

475 La juridiction de la Chambre des Lords et le Comité Judiciaire n?échappent pas en théorie au reproche de l?engagement politique de leurs membres comme les juridictions allemandes et italiennes.

476 A titre indicatif, deux des plus hauts magistrats à la Chambre des Lords ont, en janvier 1997, sévèrement critiqué un projet de Loi du ministre britannique de l?Intérieur. V. COPLEY Joy et SYLVESTER Rachel: «Senior judges attack Howard over scatter-gun? sentencing», The Daily Telegraph, 28 janvier 1997, p. 2. V. également, sur l?engagement politique des Lords, BELL John: «Justice et politique: le cas du Royaume-Uni», RGDP, janvier-juin 1996, pp. 25 à 39, v. p. 31.

477 Lord Hailsham of St. Marylebone n?a jamais caché qu?il est un conservateur.

478 Similairement à la tendance au Conseil Constitutionnel en France, la fonction de juge au Comité Judiciaire et à la Chambre des Lords, si elle n?est pas une fonction pour les retraités, elle en est au moins une pour les retraitables. V. MOTAMED-NEJAD Raya: «Composition du Conseil Constitutionnel», mémoire de DEA, Paris 1, 1985, 156 p., v. p. 102.

479 Le Lord-Chancelier avait même proposé en 1992 la réduction de l?âge de retraite des Lords judiciaires de 75 à 70 ans. V. KINDER-GEST Patricia, cité note 58, v. p. 402.

En revanche, le privilège de la masculinité s?impose au Comité Judiciaire. Pas un seul membre actif de l?institution n?est du sexe féminin. Une sorte de loi salique y demeure en vigueur480.

B. Une étude comparée

Il nous semble intéressant, du point de vue comparatif, de rapprocher les juges du Comité Judiciaire de ceux d?une grande juridiction et une cour constitutionnelle, à savoir, la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique (a) et le Conseil Constitutionnel français (b).

a. La Cour Suprême des Etats-Unis d'Amérique

Bien que la Cour Suprême des Etats-Unis481 ait servi de modèle aux juridictions suprêmes des pays du Commonwealth et du Japon, elle est peu régie par la Constitution américaine de 1787482. Celle-ci ne prévoit aucune condition concernant l?âge, la profession, la formation et les qualifications ou titres requis pour être juge à la Cour. Cependant, le statut et l?inamovibilité des juges permettent de dégager une même loi sociologico-juridique reproduite chez les Lords judiciaires. Malgré l?absence de condition concernant l?âge, il apparaît difficile qu?un jeune juriste inexpérimenté puisse être nommé. L?âge moyen des juges à la date de leur nomination à la Cour Suprême est de cinquante-quatre ans depuis la deuxième guerre mondiale. Ils sont de quatre à six ans les cadets des Lords judiciaires. Du fait que les juges américains sont nommés à vie, il faut observer l?âge moyen de leur décès ou leur départ à la retraite. Ceci est de soixante-neuf ans. L?âge moyen de départ des Lords est plus élevé et était fixé à soixante-quinze ans, puis est réduit à soixante-dix ans.

En ce qui concerne la première profession exercée par les juges américains, il semble que le rapprochement avec les Lords soit plus facile à établir du fait même de la tradition observée dans les pays de Common Law, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis en particulier. Dans ces pays, aucune

480 Ce n?est qu?en 1965 qu?une femme ait été nommée à la Haute Cour de Justice et en 1987 à la Cour d?Appel. Elle a été alors membre de droit (non active) du Comité Judiciaire. A l?inverse, aux Etats-Unis d?Amérique, une femme, Madame Sandra O?Connor, a siégé en 1981 à la Cour Suprême et qu?en France, une femme, Madame Noëlle Lenoir-Fréaud siège au Conseil Constitutionnel.

V. WALKER R. J.: «The English legal system», Londres, Butterworth, 6e édition, 1985, 709 p., v. p. 230.

481 DAVIS H. Micheal: «Les juges constitutionnels: Etats-Unis», AIJC, 1988, vol. IV, pp. 133 à 139, MACLSKEY Robert: «The American Supreme Court», University of Chicago Press, 1960, 260 p. et HYNEMAN Charles S.: «The Supreme Court on trial», Atterson Press, 1963, 308 p.

482 LEVASSEUR Alain A.: «Droit des Etats-Unis», Précis-Dalloz, 1994, 388 p., v. p. 25 à 37 sur le système judiciaire.

formation spécialisée n?est prévue pour les juges. Les éventuels juges ont reçu une formation à la profession d?avocat et ont été recrutés comme juge d?un Etat ou ont fait carrière dans l?administration publique ou exercé des activités publiques. Ils sont donc issus, comme les Lords, soit du judiciaire, soit de l?Administration.

Le modèle américain présente toutefois une particularité du point de vue de mode de nomination des juges. Il revient au Président des Etats-Unis de désigner un candidat et de le proposer à l?approbation du Sénat. La procédure d?approbation au Sénat est devenue longue483 au fil des ans et pratiquement inquisitoire. Une commission judiciaire (The Judiciary Committee) examine le cas et demande l?avis du barreau américain (The American Bar Association). Le barreau certifie si le candidat est, selon la formule utilisée, très bien qualifié, bien qualifié, qualifié ou non qualifié484. Ensuite, une commission sénatoriale interroge les témoins, analyse les preuves et vote la nomination. En vérité, la commission cherche, à travers ces examens, à découvrir les vraies tendances politiques et idéologiques du juge et cet exercice est très important. Car bien que le Président des Etats-Unis n?est pas lié par l?avis de la commission, si elle rejette son candidat, il propose en général un autre. Il peut aussi demander à ce que le Sénat examine lui-même la candidature. En pratique, le choix du Président est accepté sauf dans le cas où le juge est manifestementt incompétent.

Par rapport à ce mode de nomination, celui pratiqué en Angleterre paraît moins politisé en dépit du fait qu?il revient aux Lord-Chancelier et Premier ministre de proposer des noms au Chef de l?Etat. Le facteur politique joue, paraît-il en Grande-Bretagne un rôle moins déterminant qu?en Amérique485, mais le Lord-Chancelier examine bien le comportement politique des juges virtuels.

b. Le Conseil Constitutionnel français

Le Conseil Constitutionnel486 est composé de membres nommés, qui sont au nombre de neuf et de membres de droit, les anciens Présidents de la

483 Elle dure de six à huit semaines.

484 Exceptionally well qualified, well qualified, qualified, not qualified.

485 «Le processus de nomination tient toujours compte des opinions politiques des juges, si non au sens étroit de leurs positions idéologique, du moins au sens plus large des retombées politiques possibles de leur interprétation de la Constitution.», CESAR James: «La Cour Suprême des Etats-Unis: le processus de sélection des juges», Pouvoirs, 1991, n° 59, pp. 31 à 43.

486 LUCHAIRE François: «Le Conseil Constitutionnel», Economica, 1980, 435 p., AVRIL Pierre et GICQUEL Jean: «Le Conseil Constitutionnel», Monchrestien, 1993, 2e édition, 156 p., et ROUSSEAU Dominique: «Droit du contentieux constitutionnel», Monchrestien, 1993, 4e édition, 438 p.

République, à la manière des sénateurs inamovibles de la IIIe République. Les membres nommés sont désignés par les trois autorités politiques suprêmes, le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l?Assemblée Nationale. Ce mode de nomination pose en France un problème concernant des choix partisans. Il est d?une pratique acceptée que les gaullistes choisissent des conseillers proches de leurs idées politiques et que les socialistes procèdent de manière similaire. Mais cette politisation de la juridiction s?efface devant l?indépendance manifestée des conseillers constitutionnels. C?est ainsi que le Conseil, composé à majorité de personnalités nommées par les socialistes, a censuré plusieurs fois des lois votées par la majorité socialiste de 1988 à 1993487.

Le Conseil Constitutionnel présente la particularité de pouvoir comporter des personnes n?ayant reçu aucune formation juridique. En principe, les conseillers constitutionnels, appelés à remplir une fonction juridictionnelle dans un cadre procédural déterminé, devraient être tous des juristes. Mais la Constitution de 1958 et l?Ordonnance organique d?application du 7 novembre 1958 ne prévoient aucune disposition sur les qualifications juridiques des membres à la différence des lois anglaises sur les conditions requises pour être Lord judiciaire. Il s?avère qu?en France certains théoriciens considèrent le droit constitutionnel comme un droit politique. Ils pensent qu?il serait donc souhaitable que les juges constitutionnels ne soient pas tous des juristes et soient, pour certains d?entre eux, d?anciens hommes politiques. Néanmoins, la composition du Conseil Constitutionnel depuis son origine se caractérise par la présence d?un nombre important de juristes souvent parmi les plus éminents.

Un aspect particulier du fonctionnement du Conseil Constitutionnel mérite d?être souligné. Le Conseil Constitutionnel, à l?inverse de la Chambre des Lords et du Comité Judiciaire, est fortement présidentialisé. Le Conseil Constitutionnel comporte un Président actif désigné par le Chef de l?Etat. Les différents Présidents du Conseil ont, chacun à leur manière, joué un rôle déterminant et l?évolution de l?institution peut facilement être caractérisée en fonction des personnes ayant dirigé la présidence. Il est évident que le tournant de 1974 sur l?ouverture du droit de saisine était inspiré par le Président Robert Frey. Monsieur le Professeur Robert Badinter a marqué son passage à la tête du Conseil autant au plan de la jurisprudence qu?au plan institutionnel par un souci constant de défense des droits fondamentaux. Il a, à plusieurs reprises,

487 Monsieur Robert Badinter, Président du Conseil Constitutionnel, avait prononcé, lors de sa première intervention au Conseil que: «Nous avons un devoir d?ingratitude envers ceux qui nous ont nommés», in ROUSSILLON Henry: «Le Conseil Constitutionnel», Dalloz, 1994, 149 p., v. p. 15.

proposé des réformes ou des innovations qui n?ont pas toujours réussi à se traduire dans les faits. Les Lords, au contraire, sont privés d?un véritable Président puissant. Sont-ils pour autant moins enclins à défendre et promouvoir leur institution ? Le Lord-Chancelier, chef de la magistrature, a l?avantage de pouvoir agir également comme un ministre de la justice en plus d?être le chef des Lords. Certaines réformes et adaptations de l?institution peuvent se concrétiser plus facilement. Aussi, certains Lords ont considérablement influencé la ligne jurisprudentielle du Comité Judiciaire, tel Lord Diplock, qui a été le rédacteur régulier des décisions de la Haute Instance en matière constitutionnelle. De même, la grande réforme de 1966 autorisant les membres du Conseil Privé à exprimer leurs éventuels opinions dissidentes aux décisions majoritaires est la conséquence d?une revendication des Lords. Enfin, il peut exister au Comité Judiciaire une présidentialisation de fait, menée souvent par le doyen des Lords (the Senior Law Lord), qui donne à la Haute Instance l?impulsion nécessaire d?un Président.

*

Il nous est possible d?affirmer que le Comité Judiciaire est un prestigieux tribunal. Ses juges cumulent la noblesse et la compétence. Le corps judiciaire du Conseil Privé est très restreint et suffisamment homogène. Le recrutement des juges se fait à l?intérieur d?une même classe sociale, la haute bourgeoisie, voire l?aristocratie. Ce mode de recrutement peut tout à fait être qualifié d?aristocratique488. Ce système est tempéré par la sollicitation de certains juges du Commonwealth à siéger dans les formations de jugement du Comité Judiciaire. Aussi, un équilibre subtil est maintenu dans le recrutement des Lords purement juristes et ceux qui sont à la fois juristes et politiques.

Les Lords sont également très considérés. Ils jouissent des prérogatives protocolaires importantes et bénéficient des titres nobiliaires et décorations les plus hauts, un peu à la manière des juges français sous l?Empire Napoléonien489.

Leur statut est aussi exceptionnel et n?est comparable à aucune catégorie d?agents de l?Etat.

Sous-section 2. Le statut des juges du Comité Judiciaire

488 GARAPON Antoine: «Le gardien des promesses, le juge et la démocratie», Paris, Editions Odile Jacob, 1996, 281 p., v. p. 53.

489 BADINTER Robert: «Une si longue défiance», Pouvoirs, 1995, n° 74, pp. 7 à 12, v. p. 8.

Un postulat anime le pouvoir de toute institution juridictionnelle: la puissance d?un tribunal dépend du statut de ses membres.

Une étude de cet aspect de l?organisation du Comité Judiciaire est nécessaire pour apprécier l?autorité de ses membres.

Deux traits de leur statut méritent d?être mis en évidence. Bien que les Lords judiciaires fassent partie à la fois du judiciaire et du législatif, même de l?exécutif pour certains, le système juridique anglais se caractérise par une indépendance solide du pouvoir judiciaire, au sommet duquel se trouvent les Lords (paragraphe 1). A la différence du système juridique des pays du continent européen, le système de Common Law consacre l?existence d?un véritable pouvoir judiciaire (judicial power) qui confère aux Lords une autorité exceptionnelle (paragraphe 2).

Paragraphe 1. L'indépendance des juges du Comité Judiciaire

En Angleterre, comme dans les pays du Commonwealth, le Parlement s?associe étroitement avec le pouvoir exécutif. Contrairement au système politique français, les membres du gouvernement sont obligatoirement issus du rang des parlementaires. En contre partie de la collaboration des pouvoirs législatifs et exécutifs, le pouvoir judiciaire revêt une importance particulière490.

Dans ces conditions, plusieurs moyens concourent à protéger l?indépendance des juges (A). Ces moyens sont renforcés à l?extrême à l?égard de l?île Maurice et des pays du Commonwealth (B).

A. Les moyens de l'indépendance

Les juges du Comité Judiciaire sont pratiquement inamovibles (a). Ils bénéficient des avantages et sont soumis à des obligations tendant à préserver leur indépendance (b).

a. L'inamovibilité des juges du Comité Judiciaire

Théoriquement, tout membre du Conseil Privé peut être destitué selon le bon vouloir du Souverain. Il suffit à celui-ci non pas de le révoquer mais d?enlever le nom du conseiller en question du registre des membres du Conseil (the Council Book). Toutefois, il y a lieu de se méfier de la théorie quand il s?agit d?une institution britannique. Les Lords judiciaires sont inamovibles dans leur fonction de juge à la Chambre des Lords et la prérogative royale précitée ne possède qu?une valeur de clause de style.

En effet, si avant 1701 les juges britanniques en général tenaient leur fonction que du bon vouloir du Roi (during the King's pleasure) et pouvaient être révoqués selon le même bon plaisir de ce dernier (at the will of the King), depuis la Loi d?Etablissement (Act of Settlement) du 12 juin 1701, tous les juges des juridictions supérieures, à l?exception du Lord-Chancelier qui assure également une fonction politique491, sont inamovibles. Tout juge peut demeurer en fonction aussi longtemps que sa conduite est bonne (quamdiu se bene gesserint). Le droit constitutionnel britannique consacre désormais le principe selon lequel les juges

490 FRISON Danièle: «Droit anglais: institutions politiques», Paris, Ellipses, 1993, 254 p., v. p. 148 et s.

491 Le Lord-Chancelier, en quittant ses fonctions, demeure membre de la Chambre des Lords et juge à la même juridiction.

doivent être libres dans leur pensée et indépendants dans leur jugement492. Un Lord judiciaire ou un juge d?une cour supérieure ne peut être relevé de ses fonctions que sur décision du Souverain prise sur requête des deux chambres du Parlement493. Cette procédure de mise en accusation (impeachment) ne peut être déclenchée que pour mauvaise conduite ou déni de justice flagrant du juge494. Depuis plus d?un siècle, aucun Lord judiciaire n?a été destitué tant les Lords ont une conduite exempte de tout reproche et, peut-être, tant aussi la procédure de leur destitution est lourde. Mais, en 1927, la démission du Lord-Chancelier Atkinson fut demandée par le gouvernement495 pour assouplir la jurisprudence du Comité Judiciaire à l?égard des affaires australiennes496. Il demeure tout de même exact de souligner que le Lord-Chancelier, en tant que membre du gouvernement, dispose d?un véritable pouvoir d?influence ou de sanction du fait qu?il choisit discrétionnairement les Lords qui siégeront dans les différentes formations de jugement du Comité Judiciaire. Il peut faire en sorte que tel Lord n?y siège pas pour l?empêcher d?influencer la décision du Comité dans tel ou tel sens. Mais il s?avère que ce pouvoir demeure plus théorique qu?effectif. Les Lords judiciaires sont à l?abri de toute pression.

b. Les avantages et obligations de la fonction

Il relève de l?évidence que l?impartialité des Lords judiciaires résulte en premier lieu de leurs qualités d?esprit personnelles. Ils ont tous des compétences notoires et ont une expérience plus que quarantenaire dans le judiciaire. Mais le système juridique anglais fournit aussi des moyens de maintenir l?indépendance fonctionnelle et matérielle des Lords vis-à-vis des autorités politiques. A cet égard, la rémunération perçue par les juges anglais mérite d?être soulignée, tant le régime de leur salaire est dérogatoire. Alors qu?en France, un magistrat à la Cour de Cassation reçoit un traitement comparable à l?indemnité d?un parlementaire, un Lord judiciaire bénéficie du quadruple de la rémunération d?un parlementaire britannique et du double de celle d?un ministre. Leur salaire

492 «Judges must be free in thought and independent in judgment» avait affirmé la Cour d?Appel anglaise. V. CA: 30 juillet 1974, Sirros c/ Moore, All ER, 1974, vol. 3, pp. 776 à 796, Lord Denning rédacteur de la décision principale, v. p. 785.

493 Selon l?article 6 nouveau de la Loi de 1876 sur les juridictions d?appel (Appellate Jurisdiction Act 1876) «every Lord of Appeal shall hold his office during his good behaviour but may be removed from such office on address of both Houses of Parliament».

494 LEE Simone: «Judging Judges», Londres, Faber and Faber, 1988, 218 p.

495 HEUSTON R. F. V.: «Lives of Lord Chancellors, 1885-1945», Londres, Oxford University Press, 1964, 632 p., v. p. 303-4.

496 De même en 1940, le Lord-Chef-Juge Hewart a appris sa démission (resignation) d?un appel téléphonique du bureau du Premier ministre et sa démission a été annoncée le lendemain au public. V. BRAZIER Rodney: «Constitutional practice», Oxford, Clarendon Press, 1994, 2e édition, 330 p., v. p. 287.

est classé hors échelle497 et n?est soumis au contrôle du Parlement de Westminster lors du vote du budget. Les Fonds Consolidés (Consolidated Funds), lesquels contiennent des crédits affectés au judiciaire, sont autorisés automatiquement par le Parlement sans limitation de durée. Les salaires des juges sont révisés, c'est-à-dire réévalués, par le Lord-Chancelier chaque année. En ce sens, en 1994, un Lord judiciaire recevait un traitement annuel de £ 103,790 et le Lord-Chef-Juge £ 112,082498, soit respectivement Frs 1,037,900 et Frs 1,120,820.

Le traitement des Lords judiciaires est exceptionnellement élevé afin d?attirer les éminents avocats à accepter leur recrutement en tant que juges et de les dissuader à commettre éventuellement toute corruption dans l?exercice de leurs fonctions499.

Enfin, l?âge d?élévation et la durée d?exercice des fonctions judiciaires suprêmes par les Lords sont deux gages de leur indépendance. Ils sont nommés à vie à la Chambre des Lords et au Comité Judiciaire. N?ayant pas de mandat à faire renouveler et dès lors qu?ils sont à la fin de leur carrière, ils peuvent se consacrer avec sérénité à la cause de l?Etat de droit, sans souci de ménager les autorités politiques.

Par contre, les Lords ont obligation de se retirer d?une affaire dans laquelle ils ont un intérêt. Le principe a été posé par la Chambre des Lords dans une affaire impliquant le Lord-Chancelier concernant l?exercice de son pouvoir réglementaire à l?égard d?une société dans laquelle il était actionnaire500 au motif que nul ne peut être juge et partie à la fois. Ce principe vaut pour tous les juges anglais dont ceux du Comité Judiciaire.

B. L'absence d'interférence des autorités politiques mauriciennes

Les garanties d?indépendance prévues pour les juges du Comité Judiciaire, principalement les Lords, sont en fait renforcées à l?extrême lorsque le Comité Judiciaire exerce la fonction de juridiction suprême de l?île Maurice ou d?autres pays du Commonwealth. La Haute Instance est composée pratiquement de Lords

497 RIDLEY Fédéric: «La rémunération des fonctionnaires en Grande-Bretagne», RFAP, 1983, pp. 869 à 888.

498 BRAZIER Rodney, cité note 496, v. p. 272.

499 SMITH P. F. et BAILEY S. H.: «The modern English system», Londres, Sweet and Maxwell, 1984, 780 p., v. p. 170-71.

500 CL: 29 juin 1852, William Dimes c/ Ther Propiretors of the Grand Canal Junction Canal, ER, House of Lords, vol. 10, pp. 301 à 322, Lord Campbell rédacteur de l'arrêt, rapporté par Lord St. Leonards.

judiciaires. Peu de juges du Commonwealth participent aux travaux du Comité et encore ils ne siègent que de façon aléatoire. Les juges des petits Etats, comme l?île Maurice, ne sont appelés à y siéger. Ces pays sont complètement tenus à l?écart du processus de désignation des juges du Comité et n?ont par conséquent aucun pouvoir ou moyen de pression sur l?institution. Par voie de conséquence, les membres du Comité Judiciaire sont prémunis contre toute forme de pression des autorités publiques mauriciennes. Le seul pouvoir de sanction de Maurice contre l?institution consisterait à abolir le droit de recours au Comité Judiciaire, ce qui est une réaction fort disproportionnée et politiquement difficile à mettre en oeuvre.

Ainsi, l?originalité majeure du système de justice du Comité Judiciaire repose dans l?abandon par des pays, souverains pour certains, de l?administration de leur justice suprême à un corps de juges extérieurs. L?Etat qui a recours à ce système n?a pas encore acquis, du moins sur un plan théorique, une totale souveraineté judiciaire. La justice n?y est pas soumise à l?autorité étatique. Elle est non seulement souveraine en soi mais aussi pleinnement autonome.

Paragraphe 2. L'autorité des juges du Comité Judiciaire

En Angleterre, les juges supérieurs, principalement les Lords, bénéficient d?un très grand prestige qui n?est pas purement théorique ou symbolique501 mais tout à fait réel. La Common Law contraint les justiciables au respect des juges (A). Ceux-ci jouissent, par convention, d?une très grande autorité morale (B).

A. Les moyens juridiques de se faire respecter

Les juges du Comité Judiciaire ont le pouvoir de se faire respecter (a) et de faire respecter leur institution et le fonctionnement de la justice (b) par l?application des règles juridiques anglaises relatives à l?atteinte à l?autorité de justice (contempt of Court)502.

501 Lors de l?ouverture solennelle des cours chaque automne, les juges de la Cour Suprême de Justice arrivent en grande procession en costume d?apparat.

502 Ce droit est classiquement divisé en, d?une part, l?atteinte de nature civile (par exemple, le refus d?exécuter une décision de justice) et, d?autre part, celle de nature pénale, sous la forme d?un délit (par exemple, l?outrage à un magistrat). Il paraît qu?en Common Law la notion d?atteinte à l?autorité de justice est bien plus large que les notions d?entrave au fonctionnement de la justice et l?atteinte à l?autorité de la justice des articles 434-24 et suivants du Nouveau Code Pénal français.

«L?atteinte à l?autorité de justice est basée sur les principes les plus larges, notamment celui que les cours ne peuvent pas et ne permettront aucune ingérence dans le fonctionnement de la justice. Son application est universelle», CA: 17 juillet 1987, Attorney-General c/

a. La protection de la personne du juge

Les juges sont protégés contre des critiques à l?égard de leurs personnes dans l?exercice de leur fonction503. Le fait de porter atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction d?un magistrat constitue un outrage sévèrement puni par la Common Law504. Celle-ci a prévu une forme rapide et simplifiée de sanction de tout outrage commis à l?audience (contempt in the face of the Court)505. Il revient aux juges en formation de jugement de statuer eux-mêmes et sur le champ sur tout propos ou agissement considéré comme outrageant et de sanctionner l?auteur. Dans le cadre de ce contentieux, les juges en formation de jugement agissent à la fois comme juges et parties et dérogent aux grands principes de la procédure pénale anglaise.

L?outrage à un juge peut aussi être commis par des paroles ou écrits de toute nature rendus public, en dehors de l?audience. Ce sont notamment les commentaires visant à jeter le discrédit sur l?intégrité d?un juge. Par exemple, selon la jurisprudence, le fait d?accuser le Lord-Chef-Juge d?avoir agi arbitrairement et illégalement constitue au sens de la Common Law un outrage506. Le discrédit est un abus de la critique507.

Les juges anglais sont en général très bien respectés et ils recourent rarement à la procédure dérogatoire au droit commun (summary procedure) pour sanctionner les abus. Il n?y a eu que quatre ou cinq cas d?outrage à un juge depuis un siècle et il faut remonter loin dans le temps pour trouver des décisions de justice sur le sujet.

b. La protection de l'institution judiciaire

La Common Law réprime tout discrédit jeté sur une institution de justice (scandalising the court) et sur les décisions juridictionnelles. Le mode

Newspaper Publishing, All ER, 1987, vol. 3, pp. 276 à 315, Sir John Donaldson rédacteur de la décision principale.

V. MILLER C. J.: «Contempt of Court», Oxford, Clarendon Press, 1989, 492 p.

503 MACKAY of Clashfern, Lord, The Right Honourable: «The Administration of Justice», Londres, Stevens and Sons, The Hamlyn Lectures, 1994, 91 p., v. p. 2.

504 Sir Alfred Denning (plus tard Lord Denning) soutint qu?il est essentiel que l?indépendance des juges soit reconnue et acceptée parce que: «If they should be libelled by traducers, so that people lost faith in them, the whole Administration of Justice would suffer», DENNING Alfred, Sir: «The Road to justice», Londres, Stevens and Sons, 1955, 118 p., v. p. 73.

505 L?outrage commis à l?audience désigne l?entrave commise devant le juge et qu?il a lui-même vue. Il n?a pas besoin de recourir aux témoignages pour être persuadé. V. DENNING Lord: «The due process of law», Londres, Butterworth, 1980, 263 p., v. p. 5.

506 MILLER C. J., cité note 502, v. p. 366.

507 CJCP: 22 juillet 1899, McLead c/ St. Aubyn, AC, 1899, pp. 549 à 562, affaire de St. Vincent, Lord Morris rédacteur de l'arrêt.

d?expression du discrédit importe peu. Il peut être le fait des actes, paroles, écrits ou images de toute nature. Par contre, le discrédit doit être proféré dans des conditions de nature à porter atteinte à l?autorité de la justice tout entière. Prise en tant qu?institution, elle est atteinte à travers les critiques visant la décision émanant d?une juridiction.

Néanmoins, la Common Law autorise l?expression des critiques même virulentes d?une décision ou du fonctionnement des cours de justice, notamment les commentaires techniques, publiées dans les revues juridiques spécialisées. Critiquer un jugement pour des motifs de droit ne saurait être considéré comme une atteinte à l?autorité de justice508. La Common Law ne supprime pas la liberté de la presse509 et ne considère pas le judiciaire comme infaillible510.

Enfin, il convient de faire ressortir que la Common Law englobe dans la notion d?entrave au fonctionnement de la justice tout refus d?un justiciable ou autre autorité publique d?exécuter ou de concourir à l?exécution d?une décision ou ordonnance d?un juge ou d?obéir à son ordre.

B. L'autorité morale des juges du Comité Judiciaire

En dehors des obligations de la Common Law, l?état des moeurs en Grande-Bretagne impose aux justiciables et praticiens du droit un respect, voire une admiration511, envers les hauts magistrats, en particulier les Lords judiciaires (a). L?autorité morale accordée par les juridictions à leurs décisions traduit parfaitement cette autorité (b).

a. La révérence à l'égard des Lords judiciaires

Nous avons vu que les Lords judiciaires constituent un petit groupe de juristes clos faisant partie de la noblesse britannique. Les praticiens et théoriciens du droit entretiennent peu de relations avec eux en dehors de leurs

508 CJCP: 2 mars 1936, Ambard c/ Attorney-General, AC, 1936, pp. 322 à 337, affaire de Trinité et Tobago, Lord Atkin rédacteur de l'arrêt.

509 Sur la liberté de la presse de critiquer les institutions judiciaires v. GOODHART Arthur L.: «Newspapers and contempt of court», HLR, 1935, vol. 48, pp. 885 à 910.

510 «We do not fear criticism, nor do we resent it... It is the right of every man, in Parliament or out of it, in the press or over the broadcast, to make fair comment, even outspoken comment, on matters of public interest. Those who comment can deal faithfully with all that is done in a court of justice. They can say that we are mistaken and our decisions are erroneous», CA: 26 février 1968, Regina c/ Metropolitan Police Commissionner, ex parte Blackburn n° 2, All ER, 1968, vol. 2, pp. 319 à 321, Lord Denning rédacteur de l'arrêt.

511 Lord Hewart disait en 1936 que les juges de Sa Majesté étaient universellement admirés. V. PANNICK David: «The Judges», Oxford University Press, 1987, 255 p., v. p. 174.

fonctions512. La doctrine s?abstient de critiquer sévèrement les Lords tant elle leur doit un grand respect513.

Selon une ancienne règle coutumière de la déontologie des avocats britanniques, un avocat à la barre devant une formation composée de Lords judiciaires ne devait invoquer à l?appui de ses arguments aucune autorité doctrinale britannique514 ou une décision de justice d?une cour inférieure dans la mesure où aucune autorité, notamment celle des théoriciens, ne pouvait être supérieure à celle des Lords515. Cette règle non écrite obligeait les avocats à présenter comme les leurs les arguments doctrinaux. Les Lords, dans leurs décisions, faisaient très rarement référence à la doctrine alors que les juges de la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique et ceux des autres pays de Common Law l?invoquaient fréquemment516.

Cette règle de non-référence est tombée en désuétude à partir des années soixante avec le développement de l?Etat providence. Lord Reid fut particulièrement attentif aux opinions des théoriciens du droit (academic lawyers)517 et l?influence de la doctrine fut déterminante dans certaines affaires décidées par les Lords518. Au Comité Judiciaire, les références à la doctrine sont désormais fréquentes même en matière de Common Law519.

512 Ce caractère très élitiste et renfermé du système judiciaire anglais permet de protéger davantage les institutions juridictionnelles et valoriser les décisions de justice.

513 PATERSON Alan: «The law Lords», Londres, Macmillan, 1982, 288 p., v. p. 12.

514 C?était la règle dite de non-référence devant les Lords (non-citation rule before the Lords).

515 Monsieur Alan Paterson relève dans son étude que peu de Lords lisaient les revues juridiques. L?auteur cite même un cas où un avocat faisait référence aux écrits de Albert Venn Dicey lors de sa plaidoirie. Le Lord-Chancelier Jowitt lui demanda: «What have the views of Professor Dicey to do with us ? Is he an authority ?», PATERSON Alan, cité note 513, v.p. 220.

516 Cette attitude des Lords du Conseil Privé fut sévèrement critiquée pour son irrationalité. V. ELLIOT J. H. S.: «Appeals from overseas to the Privy Council», MLR, 1963, pp. 311 à 315.

Par ailleurs, Sir Robert Megarry, membre du Comité Judiciaire, écrit que: «It cannot be right to allow an English judge to decide a point of law in ignorance of the fact that, say the High Court of Australia or the Supreme Court of Canada has recently decided just the opposite... If a rash generalisation is permissible, it could be said that English judgments tend to be stranger on principle and reasoning than are exhaustive of the authorities, whereas Commonwealth judgments devote more space to the authorities», MEGARRY Robert E., Sir: «Lawyer and litigant in England», Londres, Stevens and Sons, 1962, 205 p., v. p. 162.

517 REID Lord: «The Judge as a law-maker», JSPTL, 1972, pp. 22 à 29. Lord Reid écrit que: «We turn a blind eye to the rule that an academic writer is not an authority until he is dead, because then he can no longer change his mind», ibid., p. 22.

518 PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 16 et 17.

519 CJCP: 14 février 1994, Evan Rees c/ Richard Alfred Crane, cité note 427. Lord Slynn rédacteur de l'arrêt, se réfère aux travaux des Professeurs Wade et De Smith sur le droit administratif.

La règle de non-référence n?a pas été formellement abolie. Monsieur Alan Paterson cite dans son étude l?affaire CJCP: 15 février 1971, Sigismund Palmer c/ The Queen, WLR, 1971, vol. 2, pp. 831 à 846, affaire de Jamaïque, Lord Moris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt, dans laquelle Lord Avonside, président de la formation de jugement du Comité Judiciaire, interdit à un avocat la citation d?un passage de l?ouvrage de Monsieur le Professeur Gordon sur le droit pénal écossais. V. PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 17.

Par ailleurs, les avocats au Conseil Privé, en tant qu?auxiliaires de justice, doivent participer de manière responsable à l?administration de la justice. Ils ne doivent présenter des moyens frivoles et inconsistants qui manifestement n?auraient aucune chance d?être retenus par les Lords judiciaires. Dans l?affaire Chel Mohamed c/ E. A. Ahmad de l?île Maurice, les Lords ont souligné que l?avocat du demandeur au pourvoi n?a pas invoqué, à juste titre, devant le Comité Judiciaire le grief selon lequel l?élection contestée n?était pas libre et loyale, argument avancé devant la Cour Suprême locale520. De même dans l?affaire Wong Ng, le Procureur Général (Solicitor-General) de Maurice ne défendit devant les Lords la jurisprudence erronée de la Cour Suprême521. Les avocats ne doivent recourir qu?aux arguments pertinents (tenable arguments) pouvant valablement influencer les Lords. Pour faire respecter ce principe et sanctionner l?emploi des moyens surabondants et inutiles, les Lords peuvent attribuer les frais de procédure aux dépens de la partie fautive522.

b. L'autorité de leurs décisions

Les décisions du Comité Judiciaire sur saisine des justiciables mauriciens s?imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités juridictionnelles mauriciens. Le Comité Judiciaire étant au sommet de la hiérarchie des institutions judiciaires mauriciennes, ses décisions ne sont susceptibles d?aucun recours en droit interne. Selon la règle du précédent, principe issu de la Common Law, la Cour Suprême locale est liée par la jurisprudence du Tribunal de la Downing Street intervenue en contentieux mauricien. Le principe du précédent interdit aux juges locaux de s?arroger du pouvoir d?opérer un revirement de jurisprudence élaborée par le juge londonien523. Les juges locaux ne sont non plus autorisés à atténuer les effets d?un précédent de la Haute Instance londonienne par la technique de distinction des cas de l?espèce. Le

520 CJCP: 22 mars 1994, Chel Mohamad c/ Essouf A. Ahmed, WLR, 1994, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «It should be said at once that this second contention was rejected by the Supreme Court and very properly not pursued by Mr Cox on behalf of the petitioners before the Judicial Committee», ibid., p. 700.

521 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, WLR, 1987, vol. 1, pp. 1356 à 1360, affaire de Maurice, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «It should be said at once that the Solicitor-General very properly did not seek to uphold their convictions», ibid., p. 1358.

522 PATERSON Alan cité, note 513, v. p. 29.

523 «So long as there is an appeal to their Lordships? Board or to the House of Lords, the Court of Appeal should... leave it to the final appellate tribunal to correct any error in law which may have been crept into any previous decision of the Court of Appeal. Neither their Lordships? Board nor the House of Lords is now bound by its own decisions and it is for them, in very exceptional cases in which this Board or the House of Lords has plainly erred in the past, to correct those errors, just as it is for them alone to correct errors of the Court of Appeal», CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of St. Christopher c/ John Reynolds, WLR, 1980, vol. 2, pp. 171 à 189, affaire des Antilles anglaises, Lord Scarman rédacteur de l'arrêt, v. p. 186.

Comité Judiciaire casse systématiquement les arrêts de la Cour Suprême de Maurice qui méconnaissent ses précédents524. Par contre, le juge mauricien revendique le droit d?écarter un précédent du Comité Judiciaire intervenu antérieurement à l?entrée en vigueur de la Constitution de 1968 si celui-ci est contraire à la Norme Fondamentale525.

Aussi, les décisions du Comité Judiciaire rendues hors contentieux mauricien ne lient pas le juge local en vertu du principe selon lequel le Comité Judiciaire, statuant sur une affaire, agit en tant que l?autorité suprême du seul pays d?où provient le recours526 sauf s?il a statué, dans la décision en question, sur un texte de loi similaire à celui que le juge local a à en connaître527.

Cependant, il y lieu de souligner que le Comité Judiciaire, attribuait à ses précédents une autorité obligatoire (binding authority) dans toutes les colonies de l?Empire. Sa politique consistait à unifier les droits des diverses colonies528. Il ne poursuit plus une telle finalité. Il agit désormais en tant que tribunal des Etats souverains. Il ne faut pas pourtant pas conclure que ses décisions rendues en contentieux étranger n?ont aucune valeur morale. Le juge mauricien est appelé à suivre la ligne jurisprudentielle du Comité Judiciaire pour ne pas courir le risque de cassation de ses arrêts.

Enfin, il convient de faire ressortir que les décisions du Comité Judiciaire jouissent d?une grande autorité en Grande-Bretagne du fait qu?elles sont l?oeuvre des Lords judiciaires, les plus hauts magistrats britanniques529. L?analyse faite par les Lords judiciaires du Comité Judiciaire et leurs

524 CJCP: 2 décembre 1987, M. Moraby c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt et CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff rédacteur de l'arrêt.

525 L?Ordonnance royale de 1968 sur l?indépendance de Maurice (The Mauritius Independence Order 1968) prévoit en son article 5 que les lois antérieures sont maintenues sous réserve de leur mise en conformité à la Constitution. V. CSM: 27 juillet 1972, Director of Public Prosecutions c/ Masson, MR, 1972, pp. 204 à 216, le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt.

526 ROBERTS-WRAY Kenneth, Sir: «Commonwealth and colonial law», Londres, Stevens and Sons, 1966, 1008 p. L?auteur y écrit que: «... when determining an appeal from one country, (the Judicial Committee) is not sitting as part of the judicial hierarchy of other countries within its jurisdiction, from which the conclusion is to be drawn that the courts of other countries are not obliged to follow its own decisions», ibid., p. 573.

527 CSM: 7 décembre 1981, Société United Docks c/ Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 805 à 821, le Chef-Juge Sir Maurice Rault rédacteur de l'arrêt. Il fait observer que: «The decisions of the Privy Council are binding upon us when they apply Mauritian law. In the Malaysia case, they were construing Malaysian law, and their decision would be binding only if it were first shown that, on the point in issue, Malaysian law and Mauritian law are identical», ibid., pp. 811-12.

528 CJCP: 10 octobre 1951, Fatuma Binti Mohamed Bin Salim Bakshuwen c/ Mohamed Bin Salim Bakshuwen, cité note 138.

529 MARSHALL H. H.: «The binding effect of decisions of Judicial Committee of the Privy Council», ICLQ, 1968, pp. 743 à 749.

conclusions sont souvent suivies par les juges anglais530 et les Lords eux-mêmes en formation juridictionnelle à la Chambre des Lords531.

530 HC: 8 février 1962, Regina c/ Patents Appeal Tribunal, ex parte Swift and Company, QBD, 1962, vol. 2, pp. 647 à 664, le Lord-Chef-juge Parker rédacteur de l'arrêt. Il souligne qu?il est important que le droit anglais et les droits d?origine anglaise soient identiques: «That desirability must result in a tendency of our courts to follow those (of the Privy Council) decisions if it is possible to do so.»

531 «Les décisions du Conseil Privé ont une autorité presque aussi importante que celle de la Chambre des Lords. Ainsi, les grands arrêts en matière de responsabilité de l?Administration sont des décisions du Conseil Privé statuant comme cour suprême de la Nouvelle-Zélande et de Hongkong...», BELL John: «Le droit adminsitratif comparé au Royaume-Uni», RIDC, 1989, pp. 887 à 892, v. p. 888. V. également THE DIGEST: «Annotated British, Commonwealth and European cases», Londres, Butterworth and Company, 1992, 51 vol., v. vol. 30, pp. 373 à 375.

*

Les développements qui précèdent nous conduisent à constater que les membres du Comité Judiciaire ne constituent pas un simple corps au sein de l?Etat mais exercent bien un pouvoir comparable aux pouvoirs législatif et exécutif. La fonction de juger en Angleterre n?est pas simplement un aspect de la fonction publique. La position sociale des membres du Comité Judiciaire est exceptionnelle. Une fois nommé, le Lord judiciaire devient détenteur d?un pouvoir totalement autonome. De sorte que, par exemple, toute idée pour les hauts magistrats britanniques, et les Lords judiciaires par excellence, de présenter une revendication professionnelle par la voie syndicale est une incongruité absolue. Les Lords sont assimilés au pouvoir et pratiquent le pouvoir.

Le juge du Comité Judiciaire exerce une fonction indépendante, exclusive de toute subordination au moment de la prise de sa décision. Pourtant, son autonomie, si forte soit-elle, ne n?est pas si apparente du point de vue organique tant la structure à laquelle il appartient est complexe.

La nature du Comité Judiciaire est à définir. Il a lieu de voir, comment, au-delà et en vertu même de la complexité de la structure du Tribunal de la Downing Street, la justice londonienne acquiert une dimension exceptionnelle, voire une magnificence. Dans ce même ordre d?idées, nous examinerons le fonctionnement du Comité Judiciaire.

SECTION 2. LA NATURE ET LE FONCTIONNEMENT DU COMITÉ JUDICIAIRE

La nature du Comité Judiciaire est incertaine et variable. Cette institution n?a pas d?équivalent au monde. Elle constitue une catégorie en elle- même et peut être qualifiée sans dérobade d?institution sui generis532. Sa nature reste controversée. En faire une analyse ne relève pas de la pure spéculation intellectuelle mais démontre l?étendue de la charge et de la responsabilité de la Haute Instance londienne. Bien de conséquences juridiques pratiques et importantes peuvent s?attacher au fait que l?on qualifie le Comité Judiciaire de tel ou tel type d?organisme (sous-section 1).

On verra dans un deuxième temps comment l?essence indéterminée et variable du Comité Judiciaire qui, tout en influant sur le fonctionnement de

532 MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 49. L?auteur parle d?une institution anormale.

l?institution, accorde aux procès constitutionnels des normes juridiques une forme contentieuse très affirmée (sous-section 2).

Sous-section 1. La nature du Comité Judiciaire

Deux séries de questions se posent à propos de la nature du Comité Judiciaire. La première est relative à sa nature administrative ou juridictionnelle: est-il un organe consultatif ou une juridiction (paragraphe 1) ? La deuxième a trait à sa nature nationale ou étrangère: est-il un tribunal mauricien ou britannique (paragraphe 2) ?

Il convient surtout, en répondant à ces questions, non pas de prendre position en faveur d?une des thèses en présence, mais de souligner au mieux la nature variable, donc plurielle, du Comité Judiciaire. Cette caractéristique du Comité Judiciaire nous permettra de tirer un enseignement majeur sur la haute qualité de l?institution.

Paragraphe 1. La problématique organe consultatif ou juridiction

Dans le silence des textes, la doctrine en général et le Comité Judiciaire lui-même expriment la thèse juridictionnelle de la Haute Instance (B). Mais les traits de son caractère d?organe purement administratif demeurent très apparents (A).

A. Un organe administratif et consultatif

Plusieurs traits généraux (a) caractérisent sa nature de simple comité et principalement son moyen d?action, la rédaction des avis (b).

a. Les traits généraux

En premier lieu, il convient d?observer que le législateur a choisi comme nom de l?institution la dénomination de comité, terme prosaïque des organes administratifs. Le Comité Judiciaire est un comité au sein d?une instance exécutive et consultative, le Très Honorable Conseil Privé de Sa Majesté le Souverain d?Angleterre533. Dans sa forme initiale il n?a pas d?autonomie

533 Monsieur Coen G. Pierson constate que «le Comité Judiciaire n?était pas institué comme une cour. Il était et est toujours techniquement un organe d?investigation (an investigating body) qui rapporte ses constatations». V. PIERSON Coen G., cité note 104, v. p. 9.

Aussi, lors d?un débat à la Chambre des Lords, Lord Cairns avait soutenu que: «... the Judicial Committee of the Privy Council has no jurisdiction whatever. It is a consultative body», in SWINFEN B. David, cité note 38, v. p. 18.

organique et de structure propre. Le Comité Judiciaire n?a aucune existence en dehors du Conseil Privé. Il est un organe interne du Conseil et est supplanté par ce dernier à la fois dans l?opinion publique et officiellement. L?avis du Comité Judiciaire est publié dans les recueils de jurisprudence britanniques comme celui du Conseil Privé.

En second lieu, comme nous l?avons déjà fait allusion, les membres du Comité Judiciaire ne sont pas, du point de vue de la stricte théorie juridique, en tant que conseillers privés, inamovibles comme le sont les hauts magistrats. Au sein du Comité Judiciaire, ils occupent leur fonction à la seule discrétion et au bon vouloir du Monarque, comme de vrais conseillers. Ils ne sont inamovibles qu?en tant que juges à leurs juridictions d?appartenance et non en tant que conseillers mis à la disposition du Souverain bien que les moeurs politiques anglaises confondent les deux situations.

Il convient de relever que les membres du Conseil Privé, parce qu?ils sont des conseillers, ne portent pas de costume judiciaire, la toge, l?épitoge, et la perruque comme le font les hauts magistrats britanniques534. Egalement, l?architecture même de l?édifice dans lequel se trouve le Comité Judiciaire ne ressemble en rien à celui d?un palais de justice traditionnel. L?hôtel du Conseil Privé a la forme d?un bâtiment abritant des services administratifs plutôt qu?une architecture qui, par son style et ornementation535, rend intelligible ses fonctions juridictionnelles.

Par ailleurs, du moins en théorie, le Comité Judiciaire n?a jamais, contrairement aux cours de Common Law, été lié par sa propre jurisprudence. Sa nature administrative et non juridictionnelle l?exempte de la règle du précédent536.

Enfin, il convient de souligner que le juge réel est le Souverain. La justice est retenue et non déléguée pour la majorité des pays ayant conservé le droit de recours à Londres. Le Comité Judiciaire avait affirmé ce principe avec force en critiquant une loi qui prévoyait la saisine du Conseil Privé d?Angleterre car le pourvoi était en réalité adressé à Sa Majesté en Conseil (Her Majesty in

534 Au Comité Judiciaire, seuls les auxiliaires de justice sont contraints de porter leurs habits traditionnels.

535 La chambre d?audience du Comité Judiciaire ne comporte aucun faste de type de la première chambre civile de la Cour de Cassation française. Elle est néanmoins une chambre élégante et est décrite comme «a pleasant looking room, the size of a largish dining room in a country house and having the same smell of leather, English gentlemen and old, old dust», in RANKIN George, Sir, cité note 13, v. p. 11.

536 MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 54-55.

Council)537. Il revient au Souverain de trancher en Son Conseil les litiges qui sont portés devant lui et le Comité Judiciaire ne donne théoriquement qu?un avis au Souverain sur la décision à donner au litige.

b. La fonction de donner des avis

Le critère matériel, la nature stricte de la mission du Comité Judiciaire, fait de l?institution un organisme administratif. Est une juridiction, notamment du point de vue français, l?organisme faisant partie de la hiérarchie des tribunaux habilité à rendre des décisions, à trancher des litiges et à dire le droit538, ce qui implique a contrario l?exclusion du caractère juridictionnel dès lors qu?il n?a que le pouvoir de formuler des propositions539. Or le Comité Judiciaire ne peut que préparer au nom du Conseil Privé un véritable rapport qui est soumis au Souverain540. Le rapport est rédigé sous la forme d?un avis et conclut par une formule de recommandation au Souverain telle que: «Leurs Seigneuries conseilleront humblement Sa Majesté en ce sens»541. Le Souverain traduit en Ordonnance542, qui a valeur de décision de justice, les dispositifs du rapport543.

Ce rapport ne devait, jusqu?en 1966, comporter que l?avis majoritaire du collège des Lords. L?avis devait être unique (a single opinion). Il était rédigé par un Lord appelé techniquement le rapporteur. L?avis était considéré comme ayant été délivré par le Conseil Privé dans son entité. A l?inverse de la tradition observée dans les juridictions anglaises de droit commun,544 l?expression d?une opinion dissidente par un juge était interdite au Comité Judiciaire. Deux raisons imposaient cette conduite: les juges de la Haute Instance sont a priori des conseillers privés du Souverain et, en tant que conseillers, ils étaient tenus par une vieille obligation de garder secrètes les délibérations du Conseil

537 CJCP: 9 décembre 1896, The Dominion of Canada c/ Attorney-General for Ontario, AC, 1897, pp. 199 à 213, affaire canadienne Lord Watson rédacteur de l'arrêt. Le juge souligne que: «The concluding part of that enactment ignores the constitutional rule that an appeal lies to Her Majesty and not to this Board; and that no such jurisdiction can be conferred upon their Lordships, who are merely advisers of the Queen...», ibid., p. 208.

538 WEIDERKEHR Georges: «Qu?est-ce qu?un juge ?», pp. 575 à 586, in MELANGES EN L?HONNEUR DE ROGER PERROT: «Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs ?», Dalloz, 1996, 598 p., v. p. 581-82.

539 GOHIN Olivier: «Qu?est-ce qu?une juridiction pour le juge français ?», DR, 1989, n° 9, pp. 93 à 105.

540 Article 3 de la Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire.

541 «Their Lordships will humbly advise Her Majesty accordingly».

542 L?Ordonnance équivaut à un acte juridictionnel (judicial act). V. CJCP: 11 décembre 1963, Ibralebbe c/ Reginam, All ER, 1964, vol. 1, pp. 251 à 261, affaire de Ceylan, Vicomte Radcliffe rédacteur de l'arrêt.

543 L?Ordonnance vise le rapport en ces termes: «Attendu qu?en ce jour a été lu au Conseil un rapport du Comité Judiciaire du Conseil Privé...».

544 Dans les cours britanniques, chaque juge rend son propre jugement (seriatim judgment). Un juge peut soit faire un exposé pour renforcer les raisons apportées par un autre juge (concurring opinion) et se rallier à lui soit encore exprimer une opinion dissidente (dissenting opinion).

Privé545. Une Ordonnance de 1627 disposait qu?aucune publication ou diffusion ne pouvait être faite des votes et de la manière dont ils étaient émis546. Aussi, comme le rapport établi par le Comité Judiciaire est adressé au Souverain, ce dernier ne devait recevoir qu?un avis faisant l?objet d?une unanimité de la part des conseillers547.

Cependant, depuis 1966, l?expression d?une ou plusieurs opinions dissidentes par les conseillers est autorisée548, ce qui a juridicisé davantage l?institution.

B. Une juridiction

Malgré la survivance de ses traits administratifs, la nature juridictionnelle du Comité Judiciaire transparaît dans son fonctionnement comme une cour de justice (a) et, à l?égard de Maurice, du fait que le Souverain lui a délégué ses pouvoirs juridictionnels (b).

545 V. le texte du serment prêté par tous les conseillers privés in ANSON William R., Sir: «The law and custom of the Constitution», volume II, tome 1, «The Crown», Oxford, Clarendon Press, 1935, 325 p., v. p. 153.

546 SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 222.

547 M. Reeve, secrétaire du Conseil Privé, disait que: «What would be the position of the Sovereign if at the very moment when a report is laid before Her for approval... a particular representation is laid before Her Majesty from a minority of the Committee... advising Her Majesty not to give effect to the report of the Committee but to interpose the Royal authority for the purpose of suspending or defeating it ?», in SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 266.

548 V. Ordonnance du 4 mars 1966 sur les opinions dissidentes (Dissenting Opinions Order 1966).

a. Le fonctionnement comme une cour de justice

De même qu?en matière politique le Souverain détient tous les pouvoirs exécutifs mais dans la pratique ne les exerce que sur proposition du gouvernement, en matière juridictionnelle, il suit l?avis exprimé par le Comité Judiciaire. La pratique, qui se démarque de la théorie, fait du Comité Judiciaire une cour de justice549. L?existence d?une convention constitutionnelle propre à l?Angleterre a permis au Comité Judiciaire de s?auto-proclamer comme une cour de justice550 dans un arrêt de 1935. Dans cet arrêt, le Lord-Chancelier Vicomte Sankey écrivit qu?il «est évident que le Comité Judiciaire est considéré par la Loi (de 1833) comme un organe juridictionnel ou une cour... En vertu d?une convention constitutionnelle, ce serait un fait non encore produit et impossible à imaginer que Sa Majesté en Conseil n?accorde au rapport du Comité Judiciaire, qui est en réalité une juridiction suprême, tout son effet»551. L?Ordonnance en Conseil, qui donne force juridique au rapport, ne fait que se référer à celui-ci de manière laconique et entérine, sans nouvelle délibération, la décision du Comité Judiciaire. L?Ordonnance ne vaut que pour la forme.

Par ailleurs, comme nous l?avons vu, le Comité Judiciaire est en réalité composé de juges professionnels552 et la procédure suivie devant le Comité est complètement juridictionnalisée553. L?audience est publique et chaque plaideur peut se faire assister par un ou deux avocats. A l?audience, les membres du Comité Judiciaire ont tous les pouvoirs juridictionnels nécessaires à la conduite du procès, tels ceux d?interroger les éventuels témoins, de trancher eux-mêmes les questions incidentes. Le Comité Judiciaire a le pouvoir d?établir, sans intervention du Souverain, certaines règles de procédure à suivre devant lui554 et les membres du Comité sont protégés comme des juges au moyen du droit

549 «The Judicial Committee of the Privy Council is in form an executive organ, but is in fact an independent court of law», BRADLEY A. W. et EWING K. D.: «Constitutional and administrative law», Londres, Longman, 1994, 11e édition, 782 p., v. p. 60.

550 CJCP: 6 juin 1935, British coal Corporation c/ The King, AC, 1935, pp. 500 à 523, affaire de Canada, Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt.

551 «It is clear that the Judicial Committee is regarded in the Act (of 1833) as a judicial body or court... According to constitutional convention it is unknown and unthinkable that His Majesty in Council should not give effect to the report of the Judicial Committee who is thus in truth an appellate court of law», ibid., pp. 510-11.

552 Selon Lord Haldane: «We are really judges... the Judicial Committee is made up of men who are already or have been judges in the higher English appellate courts or the House of Lords itself», in BETH Loren P., cité note 15, v. p. 224. V. aussi CJCP: 25 juillet 1923, Alexander E. Hull and Company. c/ A. E. M?Kenna, IR, 1926, pp. 402 à 410, affaire de l?Irelande, Vicomte Haldane rédacteur de l'arrêt. Il atteste que: «We are not ministers in any sense: we are a committee of Privy Councillors who are acting in the capacity of judges...», ibid., p.403.

553 Le Comité Judiciaire est administré par un greffier-secrétaire (Registrar).

554 Article 11 de la Loi de 1844 sur le Comité Judiciaire.

britannique de l?outrage à magistrat555.. Ainsi, le critère procédural fait du Comité Judiciaire une véritable juridiction. D?ailleurs la chambre d?audience du Comité, qui exprime en structure la nature de la procédure, ressemble en tout point à celle d?une cour de justice.

Enfin, il est à souligner que l?avis du Comité Judiciaire est rendu public avant même qu?il ne soit adressé au Souverain du fait qu?il est considéré comme le véritable arrêt comportant les motifs de droit de la décision. En outre, il est publié dans les recueils.

b. La justice déléguée

Lors de la modification du statut de Maurice en République en mars 1992, le Monarque britannique, n?étant plus le Chef de l?Etat de l?île Maurice, a délégué au Comité Judiciaire ses pouvoirs juridictionnels à l?égard de cet ancien dominion, l?île Maurice, en vertu d?une convention implicite avec les autorités mauriciennes. Une Ordonnance en Conseil du 15 juillet 1992556 a substitué le système de justice déléguée (au Comité Judiciaire) à celui de justice retenue. Le Comité Judiciaire est désormais investi d?un pouvoir propre de décision concernant les appels interjetés contre les décisions des cours mauriciennes comme celles de certaines Républiques du Commonwealth, telle Trinité et Tobago. Le Comité Judiciaire est devenu autonome et s?est affranchi organiquement de la tutelle royale. Sa fonction est de dire le droit lui-même à l?égard de ces pays. Il répond aux critères nécessaires pour être qualifié de juridiction.

En droit positif mauricien, le Comité Judiciaire est donc une véritable cour de justice. L?interrogation du juriste n?est pas pour autant épuisé sur la nature de la Haute Instance londonienne.

555 V. supra. Il est à noter qu?à l?entrée du Comité Judiciaire à la Downing Street, un panneau indique que le fait de prendre une photographie à l?intérieur de l?institution constitue un délit d?entrave au bon fonctionnement de la justice comme dans toute autre cour en Angleterre.

556 The Mauritius Appeals to the Judicial Committee Order 1992 (N° 1716).

Paragraphe 2. La problématique tribunal anglais ou mauricien

Le Comité Judiciaire n?est pas un tribunal international557 car il n?a pas été créé par un Traité ou accord entre des Etats et il n?est pas a priori un juge de l?application du droit international558. Dans quelle catégorie de juridiction peut-on alors le classer ? Est-ce un tribunal étranger, donc anglais (A) ou transnational (ou multinational), c'est-à-dire mauricien selon le cas (B) ? La présente étude, comme la dernière sur la nature administrative ou juridictionnelle du Comité Judiciaire, n?a pas pour objet de résoudre le problème, ce qui nous aurait amené à n?avoir qu?une vision réduite du Comité Judiciaire. Notre objectif, en traitant les questions que nous avons posées, est de mettre de l?avant le fait que la Haute Instance londonienne appartient à plusieurs systèmes juridiques et d?en tirer ensuite les conséquences en droit mauricien.

A. Un tribunal anglais

Nous prendrons la liberté d?évoquer l?hypothèse et de démontrer du point de vue juridique le caractère anglais de la juridiction du Whitehall (a). Nous verrons ensuite comment, si cette hypothèse est retenue, elle peut influer sur l?administration de la justice par le juge londonien (b).

a. Les caractères

La doctrine fonde son opinion sur le fait que le Comité Judiciaire est régi par les lois anglaises uniquement559. L?institution a été instituée par la Loi britannique de 1833 et réformée par des lois successives du Parlement de Westminster et des Ordonnances du Souverain britannique. On a vu que l?origine même de l?institution provient du droit du Souverain de faire justice entre ses sujets560. Il n?est point besoin d?en insister davantage.

557 Il est des fois considéré ainsi par certains auteurs. V. par exemple SCHABAS William A.: «Soering?s legacy: the Human Rights Committee and the Judicial Committee of the Privy Council. Take a walk down death row», ICLQ, pp. 913 à 923, v. p. 914. De même, Monsieur le Doyen Louis Favoreu le qualifie de juridiction supranationale dans sa préface dans l?ouvrage de COLOM Jacques: «La justice constitutionnelle dans les Etats du nouveau Commonwealth: le cas de l?île Maurice», Economica, 1994, 244 p., v. p. 5.

558 Selon la définition donnée par Monsieur le Professeur Michel Virally, une organisation internationale est une «association d?Etats, établie par accord entre ses membres, disposant d?organes permanents chargés de réaliser les objectifs d?intérêt commun par une coopération entre eux». V. «Organisations internationales», La Documentation Française, 1993, 146 p., v. p. 11. Le Comité Judiciaire ne répond pas à ces critères.

559 DOOKHY Parvèz: «Le Privy Council est-il un tribunal mauricien ou anglais ?», Le Mauricien, 29 août 1995, p. 7.

560 Monsieur Jacques Colom avance dans sa thèse que: «Cette juridiction (le Comité Judiciaire) d?essence britannique est étrangère au système juridique mauricien à tous les niveaux», COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 126.

Il appartient aux autorités anglaises d?assurer le fonctionnement du Comité Judiciaire561. Il est symptomatique de relever que la procédure suivie quant au mode de saisine de l?institution par le plaideur mauricien est décrite par les Ordonnances royales, dont principalement celle de 1968562. Les pouvoirs publics mauriciens, ou ceux des autres pays du Commonwealth, n?exercent aucun contrôle sur les règles de procédure. Les relations entre Maurice et la Grande - Bretagne relatives au fonctionnement du Comité Judiciaire ne répondent pas au modèle traditionnel des rapports entre Etats souverains. Ces relations ne sont pas entretenues sur une base synallagmatique, sur une rencontre des volontés563 mais par des actes unilatéraux de l?ancienne métropole. Ainsi, lors du changement de statut de Maurice en 1992, le gouvernement mauricien n?a que sollicité des autorités anglaises une mise en conformité des règles anglaises régissant le Conseil Privé à l?évolution constitutionnelle de Maurice sans pour autant participer, ne serait-ce que sur le plan des consultations, à l?élaboration des nouvelles règles.

Par ailleurs, le Comité Judiciaire, manifestant son caractère étranger, rejette expressément toute extension de sa compétence en matière pénale par le législateur mauricien bien que la Constitution mauricienne, originellement une loi britannique, investisse ce dernier d?un tel pouvoir. L?article 81-1-d de la Constitution dispose qu?un pourvoi contre les décisions rendues en dernière instance à Maurice peut aussi avoir lieu dans les cas prescrits par le Parlement. En ce sens, l?article 7 d?une Loi mauricienne sur la justice de 1980 (Courts Act 1980) avait élargi la compétence materiae du Conseil Privé à toutes les affaires pénales. Le Comité Judiciaire ne s?était estimé lié par cette disposition. Il avait décliné sa compétence et écarté de son prétoire les affaires pénales entrant dans les termes de la Loi mauricienne564 en considérant que cette Loi était contraire aux règles de la pratique du Comité Judiciaire.

561 En dehors des lois spécifiques, le fonctionnement du Comité Judiciaire se conforme au droit commun anglais. Par exemple, le plaideur mauricien qui commet un outrage à l?égard des membres du Comité Judiciaire à l?audience est punissable selon le droit commun anglais et non mauricien.

562 The Mauritius Appeals to Privy Council Order 1968.

563 «... l?égalité entre les Etats souverains qui est à la base du droit international, la nécessité d?un accord entre eux pour établir par le libre consentement des obligations mutuelles, donnent à ce droit un caractère essentiellement concerté», COMBACEAU Jean et SUR Serge: «Droit international public», Monchrestien, 1995, 2e édition, 827 p., v. p. 47.

564 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386. Le Lord-Chancelier Hailsham of St. Marylebone indique que: «By these words, their Lordships, notwithstanding any new legislation in the territories of the Commonwealth from which appeals may be brought in criminal matters, continue to feel themselves bound, and in that instant appeal, their Lordships consider that they have been guided by them», ibid., p. 166.

V. aussi sur la critique de cette attitude du Comité Judiciaire, GUJADHUR Madhan, QC: «Is there parliamentary sovereignty in Mauritius ? A serious question», CBM, 1989, n° 1, pp. 10 à 14.

La fiction établie sur la localisation du Comité Judiciaire ne résiste pas à l?analyse. Dans un arrêt de 1923, la Haute Instance avait fait ressortir qu?elle ne se situait aucune part tout en étant dans tout l?Empire britannique565. Aujourd?hui, avec l?émancipation du Comité Judiciaire et l?évolution constitutionnelle survenue dans les nouveaux Etats du Commonwealth, le recours porté devant le Comité Judiciaire se fait bien à la Downing Street à Londres.

Enfin, dernier indice principal de sa nature britannique, le Comité Judiciaire, en formation de jugement est composé majoritairement, si non uniquement, de juges anglais sans jamais un seul juge mauricien. Il revient au Monarque britannique seul de nommer les membres de la Haute Instance.

b. Les conséquences sur l'administration de la justice

Au vu de ce qui précède, il ne fait aucun doute que le Comité Judiciaire peut être considéré comme faisant partie des institutions anglaises d?autant que dans le cas où le mode de justice administré est encore retenu (à l?égard des dominions et colonies britanniques), le juge nominal réside dans la personne même de la Reine d?Angleterre. Le Comité Judiciaire assure donc l?exécution d?un service public britannique financé entièrement par l?Etat britannique. La mission du Comité Judiciaire ne fait pas partie du service public mauricien telle que cette notion est définie dans la Constitution mauricienne566. En tant qu?institution publique anglaise, le Comité Judiciaire ou le Souverain, devrait respecter, dans l?exécution de leurs fonctions juridictionnelles les droits anglais et international, notamment européen.

Sur la base de ce postulat, l?Etat britannique pourrait voir sa responsabilité engagée dès lors que, par exemple, le service public judiciaire de la Haute Instance londonienne devienne défectueux. Un dysfonctionnement de l?institution devrait donner droit à réparation des préjudices causés selon les termes du droit anglais. Dans le même cas de figure, le fonctionnement du Comité Judiciaire devrait être respectueux du droit de la Convention

565 CJCP: 25 juillet 1923, Alexander E. Hull and Company c/ A. E. M?Kenna, cité note 552. Lord Haldane écrit que: «The Judicial Committee of the Privy Council is not a body, strictly speaking, with any location. The Sovereign is everywhere throughout the Empire in the contemplation of the law», ibid., p. 404.

566 L?article 111 de la Constitution mauricienne dispose que «service public signifie le service de l?Etat (la République de Maurice) en sa capacité civile pour le gouvernement de Maurice». Cette tautologie exclut la mission du Conseil Privé.

Européenne des Droits de l?Homme567 qui lie l?Etat britannique. Par exemple, une lenteur excessive accusée par le Comité Judiciaire dans le traitement d?une affaire serait de nature à engager la responsabilité de l?Etat britannique aux termes de l?article 6 de la Convention susmentionnée568.

L?hypothèse selon laquelle le Comité Judiciaire est un tribunal anglais pourrait-elle, dans une perspective plus large, avoir des conséquences sur le droit substantiel que doit appliquer le juge londonien? En principe, seules les lois locales entrent en ligne de compte. Il est tout de même permis d?en douter en ce sens que la Convention Européenne des Droits de l?Homme oblige les Etats membres à faire appliquer par leurs juridictions et toute autre autorité publique le droit de la Convention. L?article premier de celle-ci stipule que «Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et les libertés définis au titre I de la présente Convention». Selon cet article, les titulaires des droits et libertés reconnus par la Convention sont toutes les personnes relevant de l?autorité et compétence (juridiction) des Etats contractants569 dont, selon notre hypothèse, les justiciables du Conseil Privé. Il se pourrait qu?en vertu de cette clause, la Haute Instance londonienne soit contrainte d?appliquer le droit local en l?ayant au préalable mis en conformité avec les normes de la Convention car dans le cas contraire la responsabilité de l?Etat britannique pourrait être engagée pour violation de celle-ci.

A titre illustratif, le Comité Judiciaire avait dans des pourvois en provenance principalement de Maurice570 et de la Jamaïque571, autorisé l?application de la peine de mort par les autorités locales à certains condamnés conformément aux droits locaux. Or cette peine, dont la mise en exécution est autorisée en dernier par une autorité anglaise572, est susceptible de violer les stipulations de l?article 3 de la Convention Européenne relative à l?interdiction des pays membres d?appliquer une sentence inhumaine et dégradante. Ce n?est pas l?autorité anglaise qui procède à l?exécution des décisions de la Haute

567 La dénomination exacte de la Convention est Convention de Sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libertés Fondamentales. Elle fut signée à Rome le 4 novembre 1950.

568 Cet article dispose dans son premier alinéa que: «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable...»

569 CARRILLO-SALCEDO Juan Antonio: «Article 1», pp. 135 à 141 in PETTITTI Louis-Edmond, DECAUX Emmanuel et IMBERT Pierre-Henri: «La Convention Européenne des Droits de l?Homme, commentaire article par article», Economica, 1995, 1234 p., v. p. 135.

570 CJCP: 2 octobre 1984, Louis Léopold Myrtile c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt.

571 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General, WLR, 1982, vol. 3, pp. 557 à 570, affaire de la Jamaïque, Lord Bridge of Harwich rédacteur de la décision majoritaire.

572 Le Comité Judiciaire ne déclarait pas la mise à exécution de la peine de mort, même après une longue période de détention du coupable, contraire à la protection constitutionnelle contre les traitements inhumains. V. ibid.

Instance londonienne mais ce sont les autorités locales, et en ce qui nous concerne, l?autorité mauricienne, qui ont la charge de leur application. Cependant, l?analyse de la jurisprudence européenne démontre qu?il est permis de penser que, même dans ce cas de figure, l?Etat britannique pourrait être tenu responsable. En effet, la Cour Européenne a décidé que la responsabilité de l?Etat contractant peut «entrer en jeu à raison d?actes émanant de leurs organes et déployant leurs effets en dehors dudit territoire (de l?Etat contractant)»573. L?Etat contractant est responsable des décisions prises par ses autorités dès lors qu?elles entraînent des conséquences contraires à la Convention, même si elles sont exécutées en dehors des limites de son territoire conformément au droit international classique574. Ainsi, en matière d?extradition, la Cour Européenne a considéré que la décision prise par un Etat, l?Etat requis, d?extrader un individu vers un pays tiers à la Convention, l?Etat requérant, où celui-ci courra le risque réel d?être soumis à des peines inhumaines et dégradantes, entraîne pour l?Etat contractant une violation de la Convention575. Le rapprochement du raisonnement de la Cour Européenne avec le prononcé des arrêts par le Comité Judiciaire peut légitimement avoir lieu.

L?hypothèse que nous avons évoquée est audacieuse mais est juridiquement inévitable. Il nous a paru obligatoire dans notre analyse de l?institution du Comité Judiciaire d?établir les réels enjeux et l?ouverture que représente pour le plaideur mauricien la justice londonienne. Il serait souhaitable que le caractère anglais du Tribunal londonien soit reconnu.

B. Un tribunal mauricien

Si la thèse de la nature britannique du Comité Judiciaire peut être soutenue, les arguments en faveur de la thèse inverse sont aussi nombreux que pertinents.

Le Comité Judiciaire se présente aussi comme une institution mauricienne à l?analyse des données (a) et surtout au regard du droit international classique (hors européen) (b).

573 CEDH: 26 juin 1992, Drozd et Jarouzek c/ France et Espagne, PCEDH, 1992, série A, vol. 240, 72 p., v. p. 29 paragraphe 91.

574 NGUYEN Quoc Dinh, DAILLER Patrick et PELLET Alain: «Droit international public», LGDJ, 1994, 1317 p., v. p. 484 à 487.

575 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, PCEDH, 1989, série A, vol. 161, 83 p.

V. également MARKS Susan: «Yes, Virginia, Extradition may breach the European Convention on Human Rights», CLJ, 1990, pp. 194 à 197 et SUDRE Fédéric: «Extradition et peine de mort: arrêt Soering de la Cour Européenne des Droits de l?Homme du 7 juillet 1989», RGDIP, 1990, pp. 103 à 121.

a. Le faisceau de critères

Si l?origine de la Haute Instance émane du droit de tous les sujets de l?Empire de faire appel à la justice du Roi d?Angleterre, l?évolution politique et constitutionnelle de l?Empire, puis celle du Commonwealth récusent désormais la doctrine de l?indivisibilité de la personne du Monarque. Nous avons indiqué qu?avant le Statut de Westminster de 1937 la Couronne britannique représentait le pouvoir suprême, non seulement dans le Royaume-Uni mais aussi dans tous les dominions et colonies, c'est-à-dire dans l?Empire dans sa globalité. Le Roi de l?Angleterre, en tant que tel, était le Chef d?Etat de tous les dominions et colonies576. Ceux-ci n?avaient pas la capacité juridique d?agir internationalement577. Il appartenait à la métropole de les représenter.

Cependant depuis 1937, la Couronne est divisible et le Monarque prête serment, du moins sur un plan théorique, en sa qualité de Chef d?Etat de chaque Etat578. Le Souverain porte son titre selon la Loi de chaque dominion qui le reconnaît comme Chef de l?Etat. Il réalise une pluralité en sa personne. Il remplit les fonctions de Chef d?Etat des dominions à titre personnel et non en tant que Chef de l?Etat de la Grande-Bretagne579. En ce sens, la Reine Elisabeth II a été proclamée Reine de Maurice par le Gouverneur le 8 février 1952580 et est demeurée Chef de l?Etat de l?île Maurice jusqu?à l?accession de celle-ci au statut de République en mars 1992. Les jurisprudences britannique et mauricienne corroborent cette théorie. La Cour d?Appel anglaise a estimé, à propos de la nature d?un passeport délivré à Maurice au nom de la Reine Elisabeth II, qu?à «Maurice la Reine est Reine de Maurice»581. De même le juge mauricien a affirmé que le terme de «Reine en Son Parlement de Maurice» est tout différent de la

576 Exception doit être faite des îles Anglo-Normandes. Le recours des habitants de ces îles se faisait, selon une ancienne fiction, au Roi en tant que Duc de Normandie.

577 BAKER Phillip Noël, cité note 119.

578 COUTEAU Armelle: «Le Commonwealth et le droit international public: la renaissance du Commonwealth», thèse, Université de Rouen, 1988, 604 p.

579 V., en ce qui concerne l?île Maurice, l?Ordonnance du 25 avril 1968 sur les titres du Souverain (Royal Style and Titles Order 1968). «We do have thought and we do hereby, at the request of the Prime minister of Mauritius, appoint and declare that... Our Style and Titles shall henceforth be accepted, taken and used as the same as set forth in the manner and form following: Elizabeth the Second, Queen of Mauritius and of Her other Realms and Territories and Head of the Commonwealth?».

580 V. L?Ordonnance du même jour: «Accession of Her Majesty Queen Elizabeth II. Where as it has pleased Almighty God to call to His Mercy our late Sovereign, Lord King George the Sixth... We, therefore, Governor of Mauritius, associated with the Members of the Executive and Legislative Councils... and other inhabitants of this island do now hereby with one voice and consent of tongue and heart publish and proclaim that the High and Mighty Princess Elizabeth Alexandra Mary is now, by the Death of our Late Sovereign of Happy Memory, become Queen Elizabeth the Second, by the Grace of God, Queen of all her Realms and Territories... to whom Her lieges do acknowledge all faith... beseeching God... to bless Princess Elizabeth the Second with long and happy years to reign over us», in ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité note 219, v. vol. 1, 148 p., v. p. 75.

581 «In Mauritius the Queen is Queen of Mauritius. The Government there is the Queen?s Government of Mauritius», CA: 17 août 1967, Regina c/ Secratary of State for Home Department, QBD, 1968, vol. 1, pp. 266 à 268, Lord Denning rédacteur de l'arrêt, v. p. 284.

«Reine en Son Parlement de Westminster»582. La Reine Elisabeth était la Souveraine de l?île Maurice, pays indépendant, et agissait en tant que telle lors de l?exercice de ses fonctions juridictionnelles. Sa Majesté en Conseil (Her Majesty in Council) faisait donc partie des institutions mauriciennes583.

Lors du changement de statut de Maurice en 1992, les autorités publiques y ont aboli la monarchie. L?institution judiciaire dénommée Sa Majesté en Conseil a été substituée par le Comité Judiciaire584. Cette nouvelle juridiction suprême s?appréhende comme une institution certes extérieure d?un point de vue géographique mais qui a un engagement avec l?Etat mauricien en vertu d?une convention et de la Loi anglaise du 18 juin 1992 sur la République de Maurice585 et, de ce fait, est une institution mauricienne586. En dépit du fait que le Comité Judiciaire siège à Londres, sa compétence demeure principalement extraterritoriale587. Il est d?ailleurs significatif de souligner que les avocats au barreau de Maurice ont droit d?audience devant le Comité Judiciaire.

b. Au regard du droit international (hors européen)

Il ne fait aucun doute qu?au regard du droit international classique, les Lords du Conseil Privé agissent pour le compte du service judiciaire mauricien. Ils sont comme mis à la disposition de l?autorité mauricienne pour appliquer le droit mauricien. C?est l?Etat mauricien en toute souveraineté qui confère au Comité Judiciaire des pouvoirs juridictionnels à son égard. L?île Maurice peut, du point de vue théorique, à tout moment y abolir ce système juridictionnel. Ainsi, dans le cas où la Haute Instance n?applique pas un engagement international de l?île Maurice, la responsabilité de celle-ci serait engagée.

Ce raisonnement vaut aussi pour d?autre pays retenant encore le droit de recours à Londres. Ainsi, en Jamaïque où certains plaideurs, après avoir été déboutés par le Comité Judiciaire, ont saisi le Comité des Droits de l?Homme des Nations Unies, organisme international. En effet, dans l?arrêt Robinson c/ La Reine588 le Comité Judiciaire a considéré que les droits de la défense ont été respectés mais le Comité des Droits de l?Homme, constatant une violation de

582 CSM: 17 juin 1983, Esther c/ The Prime Minister, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 429 à 437, les juges Espitalier-Noël et Lallah rédacteurs de l'arrêt.

583 Article 81 de la Constitution de 1968.

584 Article 81 nouveau CM.

585 The Mauritius Republic Act 1992.

586 PHILLIPE Xavier, cité note 32.

587 KINDER-GEST Patricia: «Les institutions britanniques», PUF, Que sais-je ?, 1995, 128 p., v. p. 103.

588 CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, WLR, 1985, vol. 3, pp. 84 à 98, affaire de la Jamaïque, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt majoritaire.

l?engagement international de la Jamaïque, a retenu la responsabilité de celleci589. D?autres plaideurs déboutés par le Comité Judiciaire ont saisi avec succès la Commission Interaméricaine des Droits de l?Homme590. Par ailleurs, le Comité Judiciaire a soutenu à juste titre que le recours à Londres est un recours de droit interne591.

589 CDHNU: 30 mars 1989, Robinson c/ La Jamaïque, ORHRC, 1988/89, vol. 2, pp. 426 à 427.

590 SANTOSCOY Bertha: «La Commission Interaméricaine des Droits de l?Homme et le développement de sa compétence par le système des pétitions individuelles», PUF, 1995, 209 p.

591 CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ The Minister of Public Safety and Immigration, WLR, 1995, vol. 2, pp. 390 à 396, affaire des îles Bahamas, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt. Il soutient que: «The process of exhausting the domestic rights of appeal, including an appeal to their Lordships...», ibid., v. p. 394.

*

Il transparaît à la lecture du présent ouvrage que, nous-même, nous prenons partie pour la thèse juridictionnelle de la Haute Instance et la plaçons au sommet de la hiérarchie des cours de justice de Maurice. Sa nature demeure néanmoins complexe et est à géométrie variable. Si le Comité Judiciaire a accédé au rang de juridiction pleine et entière en droit positif mauricien, il demeure aussi, dans le cas particulier de la mise en jeu de la responsabilité des hauts magistrats, un conseil du Chef de l?Etat mauricien, en l?occurrence, désormais, le Président de la République. De même, il est en droit anglais un organe de conseil du Monarque. Sa nature anglaise, du point de vue du droit mauricien, est tout aussi réelle et peut difficilement être occultée par le théoricien du droit.

Le Comité Judiciaire assume des fonctions pour le compte et des responsabilités à l?égard de plusieurs autorités. Il est le conseil des Chefs d?Etat (la Reine d?Angleterre en tant que souveraine de nombreux pays et le Président de la République de Maurice dans le cas sus-mentionné). Il est une autorité juridictionnelle suprême à la fois dans plusieurs pays du Commonwealth, dont l?île Maurice. Cette multitude de fonctions, font du Comité Judiciaire un organe dont la charge est éminente.

On aurait pas grand-peine à relever, lors de l?analyse du fonctionnement du Comité Judiciaire, à laquelle on va se livrer, des éléments de la pluralité de son caractère.

Sous-section 2. Le fonctionnement du Comité Judiciaire

Le Comité Judiciaire est juge de cassation. Il statue sur des décisions de justice attaquées devant lui. Le pourvoi au juge londonien est une voie de recours grave. Ainsi s?explique la réglementation stricte de la saisine. Les grandes règles de procédure n?ont pas fondatalement changé depuis la création du Comité Judiciaire.

L?action, la procédure pour être entendu, au Comité Judiciaire comprend deux phases bien distinctes: d?abord celle de l?autorisation de saisine de l?institution (paragraphe 1), puis celle du déroulement de l?instance, la procédure comme devant toute juridiction (paragraphe 2). Aussi, serait-il utile

dans le cadre de la présente étude, d?analyser le jugement rendu à l?issue de la procédure (paragraphe 3) qui met fin à l?action592.

L?examen de ces phases de la procédure nous conduira à nous interroger sur les vertus du fonctionnement du Comité Judiciaire notamment dans le cadre du contentieux constitutionnel, discipline sur lequel nous nous attarderons dans le deuxième titre de notre étude.

Paragraphe 1. L'obtention de l'autorisation de saisine du Comité Judiciaire

Le pourvoi au Comité Judiciaire appelle quelques commentaires. A l?inverse du système français du pourvoi en cassation, le recours à Londres n?est pas ouvert automatiquement aux parties à l?instance qui a conduit à la décision attaquée. La procédure est lourde. Mais, à y regarder de plus près, elle se justifie par le caractère exceptionnel du recours. Elle permet aussi d?accorder au litige toute son importance et sa civilité.

Le pourvoi à Londres est soumis à une condition: l?obtention de l?autorisation de saisine. Celle-ci peut être délivrée soit par la Cour locale, la Cour Suprême de Maurice (A), soit, le cas échéant, par le Comité Judiciaire lui- même (B).

A. Autorisation délivrée par la Cour Suprême de Maurice

A la fin d?une affaire jugée par la Cour Suprême, la partie succombante peut demander l?autorisation de porter l?affaire devant le Comité Judiciaire. La Cour locale elle-même exerce un filtrage593. Le législateur britannique a estimé que la Cour qui a rendu la décision que l?on se proposait de frapper d?un recours est la mieux placée pour se prononcer, au cours d?un procès distinct, sur l?opportunité d?accorder l?autorisation de saisine. Ce système de filtrage est très serré et s?explique par l?étendue de la compétence territoriale du juge londonien.

Deux cas de figure se présentent. Dans certaines matières prévues, la Cour a une compétence liée et doit accorder l?autorisation (a) et dans d?autres matières, la Cour dispose d?une compétence d?appréciation souveraine (b).

a. La compétence liée de la Cour de Maurice

592 On exprime l?extinction de l?instance par la formule suivante: «Lorsque la décision est prononcée, le juge cesse d?être juge (lata sententia desinit esse judex)».

593 C?est ce qui en partie explique le faible nombre de recours au Comité Judiciaire.

Les affaires dans lesquelles la Cour locale a une compétence liée pour accorder l?autorisation, le droit britannique594 leur a consacré l?expression de recours de plein droit (appeal as of right). Ces affaires sont expressément prévues par la Constitution mauricienne de 1968, et éventuellement des Lois ordinaires. Nous savons que les recours existent de droit contre les décisions définitives en matière d?interprétation d?une norme constitutionnelle, dans tout litige d?un montant supérieur à RPM 10,000 595 et en matière du contentieux des élections législatives596. Ces dispositions, selon le Comité Judiciaire, doivent être interprétées strictement597 mais le juge mauricien s?estime contraint d?accorder l?autorisation dans les cas mentionnés quand bien même que le pourvoi apparaisse futile et vexatoire598. La demande d?autorisation doit être enregistrée au rôle de la Cour Suprême dans un délai de 21 jours à compter du prononcé de l?arrêt du dernier ressort599. Ce court délai se justifie par le fait qu?on ne saurait admettre que la chose jugée puisse rester en suspens. Il correspond à ce qui est nécessaire à la partie perdante pour apprécier l?opportunité du recours à Londres. Un juge (unique) de la Cour Suprême statuera sur la requête et accorde éventuellement une autorisation conditionnelle de se pourvoir (conditional leave to appeal)600. Le demandeur au pourvoi doit, dans un délai ne dépassant pas quatre-vingt-dix jours, déposer une somme, déterminée par le juge, en cautionnement601 et s?engager à faire toute diligence pour suivre la procédure602 afin d?obtenir une autorisation définitive de recours (final leave to appeal). Au cas contraire, la Cour peut rapporter son autorisation603. La Cour peut, en outre, autoriser en toute discrétion604

594 V. par exemple les Règles sur le Comité Judiciaire de 1925.

595 Article 81 CM.

596 Article 37-6 CM et 48 A de la Loi sur la représentation du peuple (Representation of People Act) de 1968.

597 CJCP: 16 juin 1994, Alceo Zuliani c/ Verson S. Veira, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1149 à 1155, affaire de St. Christopher et Nevis, Lord Nolan rédacteur de l'arrêt.

598 CSM: 18 mai 1970, Ramdharry Insurance Company Ltd. c/ O?Shea, MR, 1970, pp. 114 à 115, le juge Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt. «As guardian of the Constitution, the Court is bound to give effect to the applicant?s right no matter what its views as to the merits of the appeals may be», ibid., p. 114.

599 Article 3 de l?Ordonnance sur les recours mauriciens au Conseil Privé du 12 mars 1968, in ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité note 219, vol. 1, p. 71 et s.

600 L?Ordonnance de 1968 prévoit que la décision du juge peut être frappée d?appel devant une formation composée de trois juges. Dans la pratique, si le juge unique rejette la demande, l?appelant tend à demander l?autorisation auprès du Comité Judiciaire.

601 Le montant fixé peut être amoindri par la Cour même après l?expiration du délai de quatre- vingt-dix jours. V. CSM: 15 décembre 1986, De Boucherville c/ Regina, MR, 1986, pp. 237 à 240, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.

602 Article 4, de l?Ordonnance de 1968, cité note 599.

603 Article 11, ibid.

604 CSM: 2 avril 1993, Ah Chuen c/ Ah Chuen, MR, 1993, pp. 1 à 8, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de l'arrêt.

l?exécution de la décision frappée de recours même si elle a accordé l?autorisation de saisir le Comité Judiciaire605.

Ainsi, dans les affaires relevant de la compétence liée de la Cour Suprême, les pouvoirs du juge local sont en apparence médiocres, mais peuvent, par le biais de la fixation du cautionnement et l?exécution provisoire de la décision frappée d?appel, dissuader les plaideurs à intenter des recours à Londres.

b. La compétence quasi discrétionnaire de la Cour Suprême

La Cour Suprême de Maurice a, si l?affaire en question ne relève pas d?un des cas expressément prévus par un texte de loi, un pouvoir quasi discrétionnaire d?accorder l?autorisation de se pourvoir au Comité Judiciaire. Selon la Constitution, la Cour délivre une permission de saisine si elle estime que l?affaire relève d?une «grande importance générale ou publique ou autrement»606. La notion de grande importance générale ou publique est interprétée strictement par la Cour locale. Une affaire qui intéresse une grande communauté religieuse607 ou qui est médiatique608 peut ne pas relever d?une importance générale ou publique. Cette notion signifie plutôt que l?affaire doit impliquer une difficulté juridique, un problème de droit sérieux à propos de l?application des principes généraux et qui est susceptible de comporter de grandes conséquences pour l?avenir. Par exemple, une grande divergence de vue entre les juges de la Cour Suprême lors d?une affaire confère à celle-ci le caractère important609. En revanche, la Cour Suprême a revendiqué que le terme «autrement» de la Constitution lui permet d?autoriser un pourvoi lorsque le cas de l?espèce présente des difficultés techniques même s?il n?est pas d?une importance générale610. Sa discrétion est dans ce cas totale. La Cour veut dans certains cas faciliter la saisine du Comité Judiciaire afin que sa décision puisse davantage être légitimée.

605 CSM: 26 janvier 1880, Boulanger c/ Martin, DCSM, 1880, pp. 13 à 15, le Chef-Juge A. G. Ellis rédacteur de l'arrêt. V. également CSM: 15 décembre 1993, Ramphul c/ Bodhea, MR, 1993, pp. 370 à 371, le juge Lallah rédacteur de l'arrêt.

606 Article 81-2-a CM et article 70 A nouveau (Loi de 1990) de la Loi de 1945 sur les Cours.

607 CSM: 6 décembre 1915, Marie c/ Congrégation des Hindous de Maurice, 1916, DSCM, pp. 88 à 94, le juge Sir A. Herchenroder rédacteur de l'arrêt.

608 CSM: 11 septembre 1924, Corson Lagesse c/ Colonial Government, DSCM, 1924, pp. 96 à 99, le juge Serret rédacteur de l'arrêt.

609 CSM: 3 février 1992, Regina c/ Kristanah, MR, 1992, pp. 17 à 21, le juge Lallah rédacteur de l'arrêt.

610 CSM: 21 mars 1940, The Surtee Soonee Musulman Society c/ Mamode Nazroo, MR, 1940, vol. 2, pp. 14 à 17, le juge G. Tracey Watts rédacteur de l'arrêt.

Les mêmes critères sont appliqués dans les affaires pénales611.

B. Autorisation délivrée par le Comité Judiciaire

Le Comité Judiciaire, du fait de son essence royale, conserve un pouvoir absolu et même exorbitant612 d?accorder aux parties une autorisation dite «autorisation spéciale» (ou «autorisation extraordinaire») de recours (special leave to appeal).

Nous envisagerons l?étendue de la compétence du Comité d?accorder l?autorisation telle qu?il l?a définie lui-même (a) et ensuite, les modalités de demande de l?autorisation (b).

a. L'étendue de la compétence

Que la compétence du Comité Judiciaire est générale n?est guère douteux. Il suffit, pour s?en convaincre, de savoir que le juge londonien peut accorder une autorisation d?accès à son prétoire dans trois cas: dans les affaires pour lesquelles la Cour Suprême a refusé de donner l?autorisation, dans celles où elle n?a pas le pouvoir d?en donner, ce qui est purement théorique, et, en dernier lieu, dans celles où il s?agit d?interjeter appel d?une décision d?une cour inférieure à la Cour Suprême613. Il est évident que ces cas d?ouverture ne limitent en aucune manière sa compétence mais consacre son caractère global.

Ces compétences appellent toutefois quelques commentaires. Le Comité Judiciaire n?a jamais largement ouvert son prétoire. Il soumet l?autorisation spéciale à des règles de fond strictes. En matière de droit privé et public, l?autorisation est accordée, outre dans les cas expressément prévus par la Constitution, lorsque le litige soulève une question d?intérêt général (matters of dominant public interest)614 ou un point de droit important, même si le montant du litige est inférieur à celui prévu pour le pourvoi. Ces critères peuvent être rapprochés de ceux utilisés par le juge local.

611 CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204 à 205, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.

612 Il peut, par exemple, sur simple saisine par voie de pétition ordonner, quelques heures après le prononcé de la décision de dernier ressort, le sursis de l?exécution d?une sentence de mort. V. CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ Minister of Public Safety and Immigration, WLR, 1995, vol. 3, pp. 390 à 396, affaire des Bahamas, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt. V. également, CJCP: 26 juillet 1994, Guerra c/ The State, TLR, 29 juillet 1994, pp. 441 à 442, affaire de Trinité et Tobago, Lord Nolan rédacteur de l'arrêt.

613 Article 81-5 CM: «Aucune disposition du présent article n?affectera tout droit du Comité Judiciaire d?accorder une autorisation spéciale pour l?exercice d?un pourvoi contre toute décision rendue par une cour quelconque en matière civile ou pénale».

614 CJCP: 20 mars 1960, R. S. Lopes c/ N. K. V. Chettiar, AC, 1968, pp. 887 à 894, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt.

Le Comité Judiciaire, du fait de son éloignement géographique, est réticent à trancher de simples hypothèses d?école (academic questions) ou des questions juridiques abstraites615. Il rejette toute demande ne comportant que des intérêts doctrinaux616.

En matière pénale, selon une jurisprudence séculaire, l?autorisation spéciale n?est accordée que dans des cas exceptionnels617, notamment lorsqu?il apparaît qu?il y a dans le litige une violation de la procédure ou que les principes fondamentaux de justice (principles of natural justice) n?ont pas été respectés618. Il faudrait, en sus, qu?une grande injustice ait été commise. Une simple violation non substantielle des formes entraînerait l?octroi de l?autorisation extraordinaire que s?il apparaît qu?elle peut comporter des conséquences néfastes ou résulter en une sentence injuste.

b. Les modalités de demande de l'autorisation spéciale

La demande de l?autorisation spéciale est faite par voie de pétition619 dans la mesure où la délivrance de l?autorisation est par excellence une prérogative régalienne. La pétition, en six exemplaires, doit être adressée dans le plus bref délai620 à partir du prononcé de l?arrêt contre lequel l?appelant désire se pourvoir. Dans des cas exceptionnels, par exemple, lorsqu?un revirement de jurisprudence a été opéré, le juge londonien peut accorder une autorisation longtemps après le prononcé de la décision en dernier ressort621.

La pétition doit être motivée. Elle expose la nature du procès, le fondement de la décision attaquée et les raisons pour lesquels le demandeur au pourvoi considère la décision comme erronée et tout élément touchant à l?importance ou l?intérêt public de la question soulevée622. La pétition est débattue à l?audience devant une formation de trois juges. Le Comité Judiciaire

615 CJCP: 24 juillet 1967, Australian Consolidated Press c/ Uren, All ER, 1967, vol. 3, pp. 523 à 538, affaire de l?Australie, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.

616 CJCP: 20 juillet 1992, Mastan E-Allam Bhewa c/ The Government of Mauritius, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt.

617 CJCP: 19 mars 1887, In re Abraham Mallory Dillet, AC, 1887, pp. 459 à 470, affaire de l?Honduras britannique (Bélize), Lord Watson rédacteur de l'arrêt.

618 CJCP: 6 mars 1914, Ibrahim c/ The King, cité note 408.

619 Article 3 des Règles sur le Comité Judiciaire du 24 novembre 1982.

620 Article 4, ibid.

621 CJCP: 2 novembre 1993, Trevor Walker c/ The Queen, WLR, 1993, vol. 3, pp. 1017 à 1021, affaire de la Jamaïque, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire, plusieurs condamnés attendaient à être pendus. Entre-temps, le Comité Judiciaire avait interdit certaines exécutions de la sentence de mort.

622 Article 3-1-a des Règles sur le Comité Judiciaire de 1982, citées note 619.

peut aussi statuer par défaut de représentation du défendeur au pourvoi623. Le Comité Judiciaire rendra sa décision non-motivée au vu des seuls éléments produits sans se prononcer sur le fond de l?affaire. Si le juge londonien conclut à l?octroi de l?autorisation spéciale, il fixe la caution à fournir par l?appelant624 et statue éventuellement sur l?exécution provisoire de la décision attaquée.

Paragraphe 2. La procédure

Le procès au Comité Judiciaire est très formaliste et comporte deux grandes phases successives. Nous étudierons d?abord les actes de procédure (A) et ensuite la structure de l?instance (B). Le même aspect de lourdeur apparaît également ici. L?accomplissement des actes de procédures nécessite l?intervention de plusieurs autorités afin de préparer le débat contradictoire devant les juges londoniens et de permettre à ce qu?il se déroule de façon tout à fait honorable et digne de la contestation finement organisée.

A. Les actes de procédure

Après avoir obtenu l?autorisation de saisine, l?appelant envoie un dossier (record) au Comité Judiciaire (a) et ultérieurement produit les mémoires (b).

623 BENTWICH Norman, cité note 41, v. p. 127.

624 Article 6-1 des Règles sur le Comité Judiciaire de 1982.

a. L'envoi du dossier

Le dossier est minutieusement préparé sous le contrôle de la Cour locale625. Tous les documents nécessaires, et ceux-là seuls, doivent trouver place. Le dossier doit être établi en format 21,0 X 29,7 cm (A4) et avec des caractères déterminés626. Si le dossier est imprimé hors Angleterre, notamment à Maurice, trente exemplaires doivent en être adressés par le demandeur au pourvoi au secrétariat-greffe du Conseil Privé, dont un certifié par le greffier de la Cour locale. S?il est imprimé en Angleterre, il suffit au greffier de la Cour locale d?en envoyer un seul exemplaire certifié conforme627. Cette différence de traitement est frappante. On se prendra à regretter que cette discrimination, qui relève d?un autre temps, n?a pas été supprimée en cette fin du vingtième siècle.

Le demandeur au pourvoi est tenu de faire diligence et envoyer le dossier dans le temps attribué par la Cour locale, faute de quoi l?autorisation d?appel, qui est provisoire, pourra lui être rapportée ou la requête pourra être déclarée irrecevable par le juge londonien628.

Le demandeur au pourvoi doit aussi comparaître (enter in appearance) devant le secrétariat-greffe et en aviser le défendeur. Il peut se faire représenter par un des avoués (solicitors) britanniques. Seuls ceux-là ont droit d?accomplir les actes de procédure devant le tribunal de la Downing Street. L?exclusion des avoués mauriciens se comprend. Pour des raisons d?ordre pratique, il faut que le mandataire soit constamment disponible pour suivre la procédure, fonction difficile à remplir par un avoué exerçant sa profession à Maurice.

b. Le dépôt de la pétition d'appel et la production des mémoires

Dans un délai de deux mois, à partir de l?arrivée du dossier à Londres, le demandeur au pourvoi doit déposer sa pétition d?appel (lodge his petition of appeal)629. Celle-ci est en réalité un résumé de la procédure suivie sur le plan local, duquel est exclue toute argumentation sur le fond de l?affaire630. Après l?avoir déposée, le demandeur au pourvoi a obligation d?en signifier une copie au défendeur dès que celui-ci a comparu. Au cas où il n?a pas comparu dans les

625 Article 8-1 de l?Ordonnance sur les recours mauriciens au Conseil Privé du 12 mars 1968.

626 Annexe A des Règles de 1982, cité note 619.

627 Article 14-1, ibid.

628 CJCP: 27 juillet 1979, Dorothy Roulstone c/ O. L. Panton, WLR, 1979, vol. 1, pp. 1465 à 1468, affaire de la Jamaïque, Lord Russel of Killowen rédacteur de l'arrêt.

629 Article 29-a des Règles sur le Comité Judiciaire de 1982, citées note 619.

630 Article 30, ibid.

deux mois suivant le dépôt de la pétition, le demandeur peut demander que l?affaire soit entendue par défaut631.

Ensuite, les parties doivent préparer un mémoire (the case). Le mémoire est rédigé et signé par l?avocat. Il doit obéir à des règles de formes strictes632 et être établi en vingt exemplaires633 et remis au secrétariat-greffe du Conseil Privé. Cinq exemplaires doivent être signifiés au défendeur au pourvoi. Celui-ci dispose d?un délai d?un mois, à compter de la signification, pour remettre au secrétariat-greffe un mémoire en réponse.

Le mémoire, acte de procédure très important, contient les moyens (reasons and contentions) invoqués contre la décision attaquée et les conclusions. En principe, un point de droit ne peut être soulevé pour la première fois devant les Sages du Whitehall. Cette règle étant non écrite, les Lords judiciaires peuvent dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu?il est question de l?intérêt même de la justice, y déroger634 et statuer sur le point soulevé en demandant, le cas échéant, le point de vue de la Cour locale635.

Il faut noter que la procédure peut être annulée d?office et le demandeur considéré comme débouté s?il n?a pas fait les diligences nécessaires (dismissal of appeal for non-prosecution). Aussi, le demandeur peut se désister et retirer son pourvoi (withdraw his appeal) en informant le secrétariat-greffe de sa décision636.

Après l?étude des actes de saisine du tribunal londonien, il convient, suivant l?ordre chronologique de la procédure, de s?arrêter sur la structure de l?instance.

B. La structure de l'instance

A ce stade, l?affaire est en l?état d?être jugée. Afin de conserver au débat toute sa sérénité et loyauté, dignes des juges de cassation, des règles précises régissent le procès. Il serait évidemment hors de propos d?entrer dans le détail

631 HALSBURRY?S LAWS OF ENGLAND, cité note 100, v. p. 375, paragraphe 802.

632 Article 61 des Règles sur le Comité Judiciaire de 1982, citées note 619.

633 Article 62, ibid.

634 CJCP: 19 février 1996, Consolidated Investment and Enterprises Ltd. c/ The Commissioner of Income Tax, affaire de Maurice, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt et CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, WLR, 1975, vol. 3, pp. 113 à 131, affaire de Jamaïque, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

635 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, LRC, 1992, vol. constitutional, pp. 401 à 411, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt.

636 Articles 32 et 33 des Règles sur le Comité Judiciaire de 1982, citées note 619.

de la pratique. Mais du moins peut-on dégager les grandes orientations qui l?inspirent et qui caractérisent la Haute Instance.

Il convient dès lors d?exposer comment se déroule l?audience (a) et les débats oraux (b).

a. Les règles de l'audience

La date de l?audience est fixée par le secrétaire-greffier du Conseil Privé mais il est d?usage de rechercher un accord avec les représentants des parties637. La composition du tribunal est arrêtée par le Lord-Chancelier en accord avec le Lord-Président du Conseil.

Pour les besoins de l?audience, les juges obtiennent au préalable un volume substantiel de documents: le dossier, la pétition d?appel et les mémoires. Autrefois, il n?était pas d?usage que les Lords judiciaires aient lu les documents de l?affaire avant l?audience mais la pratique actuelle veut qu?ils prennent connaissance du dossier avant l?ouverture des débats.

La police de l?audience est conférée au président de séance (the Presiding Law Lord), en principe le doyen des Lords, qui dirige et ouvre les débats. Il donne la parole aux parties ou à leurs représentants pour qu?elles soutiennent leurs arguments. Les avocats ont tendance à s?adresser au président de séance, sauf quand ils répondent à une question d?un autre Lord638. Le président peut jouer un rôle fondamental et déterminant en dirigeant à sa guise les débats. Il peut mettre l?accent sur les points de droit qu?il veut bien faire ressortir et, par là même, orienter la réflexion de ses collègues-assesseurs.

La parole est d?abord donnée à l?avocat du demandeur au pourvoi, puis à celui du défendeur. Selon certains avocats au Conseil639, l?avocat du demandeur peut, par ce biais, disposer d?un avantage sur son adversaire, car devant les Lords, la façon de présenter les faits et d?ouvrir les débats est très cruciale640.

637 L?accord n?est pas facile à trouver d?autant que des avocats à la Cour de Port-Louis pourraient être amenés à effectuer un long voyage pour venir à Londres.

638 Selon Lord Guest: «... the tendency of the discussion is very largely governed by the presiding judge», in PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 67.

639 Entretien avec Maître Riyad DOOKHY de Gray?s Inn, avocat au Conseil Privé et à la Chambre des Lords.

640 Selon Maître Louis Bloom-Cooper QC, «the way the case is opened, the first two hours, particularly if the law Lords have not read the case, is crucial», in PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 57.

A l?issue des interventions des parties, le Comité Judiciaire peut autoriser ou même ordonner un second exposé des arguments des parties lorsque l?espèce soulève des difficultés juridiques considérables ou lorsque le juge a soulevé d?office un point de droit sur lequel il souhaite entendre les parties. Ainsi, l?audience peut s?étaler sur plusieurs jours641. En principe, les Lords écoutent avec grande attention et courtoisie aux exposés des avocats mais le président de séance peut écourter (to curtail) les observations présentées par une partie lorsque la juridiction s?estime éclairée642.

b. Les débats oraux

Les débats oraux revêtent devant les Lords judiciaires une suprématie et une importance essentielle malgré la technicité et la précision du contentieux de l?appel ultime. La prestation orale des parties permet de débrouiller et expliquer les points essentiels du litige. La procédure devant le Comité Judiciaire étant contradictoire et non inquisitoire, la plaidoirie est l?acte majeur de l?avocat et, de ce fait, est illimitée en théorie. Il s?agit pour les parties d?emporter la conviction des juges643 contrairement à ce qui se passe devant la Cour de Cassation française644 où l?essentiel est constitué dans les conclusions écrites des avocats, ou encore, contrairement au Conseil Constitutionnel français où l?audience et de surcroît la plaidoirie des auteurs de la saisine sont exlues. Les Lords judiciaires, pour statuer, attachent beaucoup d?importance à la plaidoirie. Les Sages de la Downing Street se disent sensibles à la parole de l?avocat.

L?importance de l?oralité ne doit pas surprendre. Dans les pays de Common Law, la justice, bien que très formaliste, cherche à être soustraite de tout caractère bureaucratique et impersonnel. L?admission de l?élément oral de la procédure permet d?humaniser le litige même de droit public. Cette conception emporte notre conviction. Le principe de l?oralité constitue une garantie de bonne justice et l?exemple des juridictions d?assises en est la meilleure preuve. Avec l?oralité, le contradictoire est mieux assuré.

641 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General, WLR, 1993, vol. 3, pp. 995 à 1016, affaire de Jamaïque, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire l?audience a duré 11 jours.

642 La formule utilisée par les Lords est la suivante: «Leurs Seigneuries ne voudraient vous inquiéter davantage...» («Their Lordships would not trouble you any further...»).

643 Le débat oral s?apparente plutôt à une conversation très courtoise entre l?avocat et les juges qu?à un débat entre les représentants des deux parties de sorte qu?on l?a même qualifié de «conversation entre gentilshommes sur un sujet d?intérêt commun», PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 50.

644 PERROT Roger, cité note 450, v. p. 505.

Au Comité Judiciaire, où principalement seuls les éminents avocats qui ont été élevés au grade de Conseiller de la Reine plaident, ces derniers y mettent en oeuvre tout un art de persuasion et d?argumentation645. Il arrive que des Lords judiciaires acquièrent une autre vision de la solution à donner au litige à la fin de l?audience.

Paragraphe 3. L'acte juridictionnel ou la décision

La décision du juge londonien est un acte d?une extrême importance. Non seulement il met définitivement fin au litige mais aussi elle fixe l?autorité de chose jugée et la vérité juridique (res judicata pro veritate labetur).

L?étude de la décision du Comité Judiciaire suppose que l?on examine successivement la prise de la décision elle même (A) et ensuite sa forme (B). Ces deux aspects du prononcé de l?arrêt par le juge du Whitehall présentent des particularités intéressantes dont il importe de mettre en évidence.

A. La prise de décision

A la fin de l?audience, le juge londonien indique, sauf quand il s?agit d?une demande d?autorisation de saisine, qu?il «réservera sa décision»646, autrement dit que l?affaire sera mise en délibéré (a), la cour voulant prendre le temps de la réflexion647.

Toutefois, le Comité Judiciaire, contrairement à la Chambre des Lords, qui rend une série de décisions individuelles à propos d?une même affaire (seriatim judgments), prononce un arrêt rédigé par un rapporteur et est accompagné éventuellement par une ou deux opinions dissidentes. Nous analyserons le mode de rédaction de la décision (b).

a. La délibération

Que la plupart du temps le Tribunal du Whitehall estime qu?il a besoin de plusieurs jours pour délibérer n?est guère surprenant. Seuls les litiges complexes et suffisamment sérieux lui sont déférés. La délibération est secrète.

645 En Angleterre, l?élève-avocat reçoit une formation soutenue en psychologie juridique et rhétorique dans une des écoles de formation du barreau. V. BOON Andy: «Advocacy», Londres, Cavendish Publishing Ltd., 1993, 200 p.

646 Dans le cas d?une autorisation spéciale les Lords judiciaires, sans quitter la salle d?audience, se concertent à voix basse sur la décision à prendre et une fois qu?ils trouvent un accord, l?arrêt est prononcé séance tenante (sur-le-champ) et s?intitule décision orale (oral judgment) ou ex- t e m pore.

647 La mention «curia advisori vult» est alors indiquée dans l?arrêt.

Ne peuvent y participer que les juges, en nombre impair devant lesquels l?affaire a été débattue. Cela dit, la pratique des Lords judiciaires oblige à pousser plus avant l?analyse de la délibération.

En effet, il existe au Comité Judiciaire et à la Chambre des Lords une pratique de délibération officieuse et diluée dans le temps (continuous consultation). Dès le début d?une audience, les Lords judiciaires échangent entre eux informellement leurs points de vue. A la fin de la séance, normalement à l?heure du déjeuner, la discussion peut se prolonger et devient plus intense648. De même, l?après-midi, à la fin d?une journée d?audience, les Lords se concertent au moment où ils empruntent le couloir ou l?ascenseur pour regagner leurs bureaux649. S?il existe une grande différence de vue entre les juges, la discussion peut continuer dans le bureau du président de séance ou dans la salle de conférence. Les Lords qui, à ce stade des débats, ont déjà arrêté avec conviction leurs décisions essaient, lors des discussions, d?influencer leurs collègues encore indécis.

Au delà de la délibération officieuse, la délibération officielle débute après la clôture des débats oraux dans la salle de conférence du Conseil Privé. Le président de l?audience donne la parole aux plus jeunes des Lords judiciaires en ordre croissant d?ancienneté. Chaque juge délivre un monologue de son opinion. Si à la fin des discours le président aperçoit une différence de vue entre eux, il engage alors une véritable discussion afin de rechercher l?adhésion de ses collègues à l?opinion majoritaire. A la fin de la concertation, le président désigne un rapporteur chargé de rédiger l?opinion majoritaire et, au cas où la décision ne sera pas prise à l?unanimité, les juges minoritaires auront la faculté de rédiger leurs opinions dissidentes.

L?enjeu d?un tel type de délibération est important. Il atteste le caractère sérieux et hautement professionnel des membres du Conseil Privé. Il accorde à la décision prise toute sa dignité ô combien indispensable pour une bonne justice. L?importance d?une délibération soutenue est trop connue pour qu?on y insiste davantage.

b. Le mode de rédaction de la décision

648 PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 89.

649 La discussion dure environ d?une quinzaine de minutes. Selon Lord Cross: «You are discussing the case the whole time with your colleagues and... it is infinitely helpful. From what they have been saying, you may suddenly see a thing in a new light», ibid., v. p. 90.

Le Conseil Privé diffère des cours de Common Law quant au mode de rédaction de ses décisions. A l?inverse de la Chambre des Lords où chaque juge peut rendre sa propre décision, ou selon la terminologie exacte, fait son propre discours (speech), au Comité Judiciaire l?arrêt (la décision majoritaire) est unique mais il peut être accompagné de l?expression des opinions dissidentes650. Autrement dit, les opinions concurrentes (concurring opinions) majoritaires sont interdites au Comité Judiciaire651 comme à la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique. Les motifs de la décision majoritaire doivent être uniques pour des raisons pratiques. Une multiplicité des motifs, les uns en conflit avec les autres, provoquerait un désordre jurisprudentiel susceptible de perturber le rôle unificateur du Conseil Privé.

Le rapporteur (rédacteur de l?arrêt) est désigné par le président de l?audience même si ce dernier fait partie du groupe des minorités. Dans ce cas, selon la pratique, il désigne le juge de la majorité ayant le point de vue le plus proche des minorités ou il laisse à la majorité le soin de désigner elle-même le rapporteur. Eventuellement, le critère de la disponibilité, de l?emploi du temps, est pris en considération lors du choix du rapporteur.

Le prononcé de l?arrêt a lieu quelques semaines après la première délibération. Si à la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique la décision majoritaire doit être rédigée en premier et ensuite les opinions dissidentes, au Conseil Privé, aucun ordre n?est établi. Certains juges minoritaires rédigent assez rapidement leurs opinions dissidentes dans l?ultime espoir d?influencer leurs collègues. Par contre, certains Lords judiciaires peuvent accuser un retard assez considérable et ce pour trois raisons. Il se peut qu?ils ont beaucoup d?autres décisions à rendre, au sein de la Chambre des Lords par exemple, ou ont d?autres activités extrajudiciaires. Il se peut qu?ils attendent la publication de l?opinion d?un collègue pour décider ensuite s?ils vont concourir ou en cas de grande divergence entre eux, certains attendent que leurs collègues écrivent leurs décisions avant d?en faire de même.

Ce mode de rédaction des décisions attribue à la justice du Conseil Privé sa magnificence. La délibération est longue et ne vaut pas uniquement pour la forme. La collégialité y gagne toute sa signification. Le droit d?exprimer une

650 Les juges de la Chambre des Lords sont très attachés à la pluralité des décisions qu?ils considèrent comme un facteur de développement du droit par rapport au système plutôt civiliste du Comité Judiciaire: «If you compare the quality of Privy Council judgments with speeches in the House of Lords, I think you will agree that from the point of view of developing the law, the Privy Council judgments have been much inferior», REID Lord, cité note 517, v. p. 29.

651 Par contre les opinions concurrentes minoritaires sont tout à fait autorisées.

opinion dissidente consolide la collégialité en ce sens qu?une véritable discussion entre les juges est nécessaire afin d?éviter qu?un des membres du tribunal entre en dissidence.

B. La forme de la décision

Deux caractéristiques qui rapprochent cette fois le Comité Judiciaire des cours de Common Law méritent d?être soulignées. Les juges minoritaires peuvent, comme nous l?avons mentionné, exprimer leur désaccord (a) avec la décision elle-même. Aussi, le style discursif de la décision fait qu?elle ressemble plutôt à un article de doctrine ou à une conclusion du commissaire du gouvernement devant le Conseil d?Etat français (b).

a. L'expression de l'opinion dissidente

La publication d?une opinion dissidente a été pendant longtemps interdite au Comité Judiciaire. En tant qu?organe administratif, les conseillers privés étaient tenus de garder secret le délibéré. Cette question ayant été précédemment étudiée, il suffit de renvoyer sur ce point aux explications antérieures. Il faut néanmoins faire ressortir que l?interdiction d?exprimer une opinion dissidente était justifiée par le besoin d?attribuer aux décisions du Conseil Privé une forte autorité pour pouvoir être respectées et appliquées dans toutes leurs vigueurs dans des territoires lointains652. Toutefois, de nombreux juristes du Commonwealth avaient vivement critiqué ce qu?ils avaient qualifié d?une «anomalie» et, de surcroît, le signe même de la nature impériale de l?institution. La décision unique représentait une grande discrimination entre la justice administrée aux sujets britanniques et ceux du reste du Commonwealth653. Du point de vue strictement technique, le jugement unique bien que non anonyme654, incitait l?émergence de deux types de situations mis en évidence par Monsieur le Professeur Edward Mc Whinney. Lorsque le rapporteur était un éminent Lord judiciaire doté d?une forte personnalité, la décision même prise après ample délibération était le fruit d?une seule personne et assez hardie. Par contre, lorsque le rapporteur était un juge modeste, la décision était

652 «... there are cases in which great divergence of opinion has been displayed by courts overseas, and in which it is a special advantage to have an authoritative decision by a court which does not publish dissenting views and is under no obligation to refute all opinion that differ from its own», RANKIN George, Sir, cité note 13, v. p. 19.

653 «... the attitudes of Australia and South Africa to the single judgment issue were essentially political while that of Canada remained practical. In the opinion of the former, the Privy Council was inferior in status to the House of Lords, and appeals to it from the Dominions were incompatible to the idea of political equality between the United kingdom and the self-governing Dominions», SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 289.

654 Le nom du rapporteur de la décision est publié.

floue, ambiguë, marquant le désaccord entre les juges655. Cette situation était préjudiciable à l?image du Conseil Privé et à la stabilité de sa jurisprudence.

Une réforme du système fut dès lors nécessaire d?autant plus qu?il fallait juridiciser davantage le Comité Judiciaire. Une Ordonnance en Conseil du 4 mars 1966 a permis aux conseillers privés d?exprimer publiquement leurs désaccords avec le contenu et l?argumentation de la décision majoritaire.

Dans la philosophie de la Common Law, le jugement pluriel permet de démocratiser la justice. Chaque juge est autorisé à exercer un contrôle sur ses collègues. Il confère à la justice de la souplesse et permet aux juges d?accomplir plus facilement leur mission d?adaptation de la Constitution aux changements de valeurs, à l?évolution sociale. Une opinion dissidente annonce souvent un revirement de jurisprudence. Enfin, la personnalité du juge est exaltée et il est davantage responsabilisé.

Ces règles ne doivent pas faire oublier que la publication d?une opinion dissidente demeure assez rare au Comité Judiciaire. Dans les affaires mauriciennes depuis 1970, seulement trois opinions dissidentes ont été formulées et à propos de deux affaires. Au Conseil Privé, un juge ne fait état de sa désapprobation que s?il a de solides raisons de le faire, autrement formulé, que s?il est frontalement opposé à ses collègues656. Dans ce cas, il publie son opinion comme pour faire appel à l?histoire, à ses successeurs.

b. Le style discursif

Le style d?une décision du Comité Judiciaire, conformément à la pratique des juridictions de Common Law, est très vivant et fécond657 alors même qu?aucune règle de droit ne fait obligation aux juges des juridictions suprêmes de motiver leurs décisions. Les Lords judiciaires considèrent qu?une motivation trop elliptique à la française méconnaît le devoir moral qu?ont les juges

655 «With the old Imperial Privy Council, the rapporteur was always expressly defined by name and where these were strong judicial personalities the per curiam opinion was invariably evident as their own, solo work, the deference of collegiality and collegial participation in decision-making and opinion writing being nominal at best. With other, less wilful judges as rapporteur, the Privy Council?s per curiam opinions particularly in the great political causes célèbres begin to acquire a quality of cloudiness in formulation or non-sequential to the intellectual qualities of the rapporteur concerned...», MC WHINNEY Edward, cité note 459, v. p. 26.

656 Selon Lord Denning: «I don?t think any of us would want to dissent unless we felt strongly about it... I don?t dissent unless I feel sufficiently strongly in a sense», in PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 107.

657 Pour une étude comparative du style des décisions du juge français, britannique et américain, v. GOUTAL Jean-Louis: «Characteristics of judicial style in France, Britain and the USA», AJCL, 1976, pp. 43 à 72.

d?expliquer leurs décisions658. L?emploi des formules brèves comportant des mots qui se prêtent à toutes les interprétations, engendre de l?incertitude et la confusion. C?est pourquoi les juges londoniens expliquent longuement, parfois dans un langage simplifié et claire, leur raisonnement juridique. Afin que celui- ci puisse être compris dans le contexte, il est de pratique courante que les juges décrivent longuement et dans le détail les faits auxquels se réfère la décision, alors même que ces faits n?aient pas donné lieu à un différend entre les parties devant eux659. En raison de l?importance de l?oralité des débats devant les Lords, ces derniers font nécessairement référence, dans leur décision, aux arguments et moyens de droit étayés par les avocats. Les juges passent en revue les principaux arguments pour exposer ensuite les motifs, parfois surabondants, pour lesquels ils admettent ou les rejettent660. C?est ainsi qu?ils font référence aux précédents et aux textes de loi et principes constitutionnels. Ils les analysent et les discutent souvent longuement dans le but d?en faire une synthèse. Il s?agit aussi pour les juges d?éclairer leur successeurs.

Par ailleurs, la décision peut comporter les facteurs extrajuridiques qui ont aidé le juge à établir son raisonnement (obiter dictum). Les juges peuvent retenir les considérations sociales, les possibles effets qu?aurait une décision dans un sens comme dans l?autre. En ce sens, l?arrêt des Lords judiciaires peut ressembler à une véritable leçon de droit constitutionnel, de droit pénal ou de toute autre branche du droit. Cette méthode est très utile et prend toute son importance dans un pays comme Maurice où la doctrine est quasi inexistante.

Toutefois, si les motifs et les visas de la décision sont minutieusement élaborés, les dispositifs de la décision sont très brefs. S?il s?agit d?un rapport à Sa Majesté la Reine, la formule sera la suivante: «Leurs Seigneuries aviseront humblement Sa Majesté en ce sens». S?il s?agit d?un acte juridictionnel, comme dans le cas de Maurice, le juge londonien dira ou «le pourvoi est rejeté (appeal dismissed)» ou «la cassation est prononcée (appeal allowed)».

*

658 MACCORMICK D. N.: «The motivation of judgments in the Common Law», pp. 167 à 194 in PERELMAN Ch. et FOIRIERS P.: «La motivation des décisions de justice», Bruxelles, Etablissements Emile Bruylant, 1978, 428 p.

659 CL: 5 août 1901, Quinn c/ Leathem, AC, 1901, pp. 495 à 543, Lord-Chancelier Halsburry rédacteur de l'arrêt principal. Il soutient que «tout jugement doit être lu dans l?optique de son applicabilité à des faits particuliers prouvés», ibid., p. 506.

660 JOLOWICZ J. A.: «Les appels civils en Angleterre et au Pays de Galles», RIDC, 1992, pp. 355 à 379.

Que le Comité Judiciaire est peu adapté au contentieux de masse résulte du cheminement des affaires devant son prétoire. Chaque dossier est minutieusement et paisiblement traité par étapes. Au Tribunal de la Downing Street, la procédure est sereine, loin des passions politiques. Ce qui permet au Comité Judiciaire d?utiliser des trésors d?énergie et de compétence pour atteindre le dogme de l?infaillibilité jurisprudentielle.

Dès à présent, on peut soutenir que le contentieux constitutionnel mauricien, qui obéït aux règles de procédure que nous avons analysées, bénéficie d?emblée d?une forte juridicisation et un fort degré de considération.

CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE I

La légitimité, le prestige et les qualités de l?institution du Comité Judiciaire, mis de l?avant tout au long des deux chapitres précédents, ne doivent pas, toutefois, dissimuler un problème profond, partiellement évoqué: l?accès des plaideurs mauriciens à cette même justice. Une justice saine, digne d?une société démocratique, suppose que tous les justiciables disposent d?un droit égal à en bénéficier. Un tel principe n?est guère discutable661. Mais force est de constater que la lourdeur de la procédure de saisine du juge londonien représente nécessairement un coût élevé qui défavorise les plaideurs pauvres. Il est fondamentalement injuste que les moins fortunés soient dissuadés de défendre leurs droits en cassation. La justice londonienne leur est d?ailleurs mal connue et paraît à la fois mystérieuse et lointaine.

On aurait peut-être tort de croire que le Conseil Privé ne s?est pas efforcé de porter remède à ce problème. Une aide juridictionnelle avait été instituée depuis fort longtemps au bénéfice des justiciables de la Haute Instance londonienne. Mais le système mis en place, traditionnellement dénommé «formâ pauperis», est extrêmement restreint. Seuls peuvent en bénéficier les indigents, c'est-à-dire, les personnes substantiellement démunies. Le demandeur à l?aide au Comité Judiciaire doit attester sous serment (by way of affidavit duly sworn) ne posséder pas plus de £ 500. Ce système est peu adapté aux réalités du monde moderne. De nos jours, les lois sont aussi nombreuses que variées. Il en résulte que le procès atteint des couches de population qui, sans être vraiment démunies de ressources, ne sont pas suffisamment fortunées pour introduire un pourvoi à Londres. Sauf à avoir une conception fort étroite de la démocratie, rien ne justifie la mise à l?écart de la classe moyenne au droit d?accès à la juridiction suprême662.

Dans cette perspective, il conviendrait à notre sens, de prendre des mesures tendant à assurer l?égalité de tous devant le service public de la justice. L?Etat mauricien, qui est exempté de toute participation financière au frais de fonctionnement du Comité Judiciaire, doit en contre partie, instituer un système

661 CEDH: 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, PCEDH, 1980, série A, vol. 32, 30 p.

662 «Il ne suffit pas de construire l?Etat de droit au sommet, il faut l?enraciner à la base. Les responsables politiques, gouvernants et législateurs, doivent notamment se soucier de faire en sorte que le plus grand nombre accède à la justice officielle et les plus faibles sachent que le juge peut les protéger efficacement dans l?exercice de leurs activités les plus modestes», CONAC Gérard: «Le juge et la construction de l?Etat de droit en Afrique francophone», pp. 105 à 119 in MELANGES EN L?HONNEUR DE GUY BRAIBANT: «L?Etat de droit», Dalloz, 1996, 817 p., v. p. 115.

d?aide juridictionnelle, d?application étendue à la saisine du Tribunal du Whitehall. Une telle obligation pèse sur la collectivité publique.

Deux solutions sont envisageables663. Ou l?Etat met à la disposition des justiciables des auxiliaires de justice, des avoués et avocats, fonctionnaires rétribués à cet effet. Ou il rémunère, selon des tarifs adéquats préétablis, des praticiens du droit exerçant dans le privé lorsque leurs services sont retenus par des personnes pourvues de moyens modestes664. Ce deuxième mode emporte notre faveur. Il permet aux justiciables d?être assistés par des avocats et avoués les plus éminents et les plus réputés.

663 Pour une étude comparative de l?aide judiciaire, v. HIRTE Héribert A.: «Access to the courts for indigent persons: A comparative analysis of the legal framework in UK, US and Germany», ICLQ, 1991, pp. 91 à 123, et sur le système français v. RIALS André: «L?accès à la justice», PUF, Que sais-je ?, 1993, 126 p.

664 ZANDER Micheal: «L?aide judiciaire aux personnes pauvres», pp. 41 à 48 in CAPPELLETTI Mauro: «Accès à la justice et Etat-Providence», Economica, 1984, 361 p., v. p. 43.

TITRE II. L'APPORT DU COMITÉ JUDICIAIRE À L'EXERCICE DU CONTRÔLE CONSTITUTIONNEL DES NORMES

Le Comité Judiciaire est une institution ambiguë et peut exercer sur les chercheurs une fascination. Il est toujours rattaché à la royauté et demeure encore aujourd?hui à l?égard de certaines colonies665 une juridiction à vocation impériale ou un élément de la géostratégie. Aussi est-il devenu au fil de son histoire un tribunal complètement indépendant, voire autonome à l?égard de Maurice. Par son extériorité et l?étendue de son pouvoir juridictionnel, le Comité Judiciaire a joué un rôle déterminant dans le maintien à Maurice d?une Constitution de type Westminster, à l?inverse d?autres pays d?Afrique anglophone où le modèle n?a pas survécu après l?indépendance à cause des nécessités du développement économique. Le Comité Judiciaire a progressivement modelé à Maurice, il est vrai avec une certaine collaboration de la Cour Suprême locale, un système de contrôle juridictionnel des Lois, phénomène qui s?est répandu après la deuxième guerre mais qui a une racine philosophique profonde dans la tradition juridique de la Common Law. L?Angleterre pratique depuis fort longtemps un contrôle juridictionnel fluide des Lois aux grands principes de droit.

Le système mauricien de contrôle (chapitre 1) s?insère difficilement dans son intégralité dans la typologie des principaux modèles américain et européen666 en raison de ses originalités. En effet, il importe de souligner que l?île Maurice est un des rares pays unitaires où peut s?exercer un contrôle juridictionnel des Lois par la voie d?action (direct control of legislative acts) sur la base d?un double contrôle juridictionnel par deux juridictions de hiérarchie différente. Le contrôle constitutionnel peut aussi s?effectuer par la voie d?exception alors que dans certaines grandes démocraties, les Etats-Unis et la France notamment667, un seul des deux types est pratiqué668.

Le modèle mauricien, reproduit dans d?autres pays du Commonwealth, est peut-être un troisième grand modèle regroupant les bienfaits des deux modèles.

665 A l?égard de Hongkong principalement.

666 PLILLIP Loïc: «Les cours constitutionnelles», in GRAWITZ Madelaine et LECA Jean: «Traité de science politique: les régimes politiques contemporaines», PUF, 1985, 4 vol., v. vol. 3, p. 442 le tableau des modèles de justice constitutionnelle.

667 Sur le cumul du contrôle abstrait et concret, v. PEYROU-PISTOULEY Silvie: «La Cour Constitutionnelle et le contrôle des Lois en Autriche», Economica, 1993, 455 p.

668 Le projet français d?instaurer un contrôle concret préjudiciel n?a pas abouti. V. MATHIEU Bertrand: «La saisine du Conseil Constitutionnel: l?exception d?inconstitutionnalité et l?Etat de droit», LPA, 4 mai 1992, n° 54, pp. 50 à 52.

Le système de contrôle mauricien veut être très libéral en ce sens qu?il permet la censure d?une Loi ou autre norme à tout moment de son existence.

Comment le juge londonien a-t-il mis en oeuvre ce système de contrôle ? Quel bilan peut-on tirer de la pratique ? En répondant à ces questions il nous sera aussi possible d?affirmer que le Comité Judiciaire a considérablement transformé la notion de Constitution à l?île Maurice comme dans d?autres pays du Commonwealth. La Constitution n?est plus seulement une Loi Fondamentale mais est en pleine vitalité. La Constitution mauricienne est devenue une charte jurisprudentielle des droits et des libertés véhiculés par le juge londonien. La liste des droits et des libertés constitutionnels n?est pas close mais est développée et affermie au fil des décisions du Comité Judiciaire et éventuellement celles de la Cour Suprême qui reprennent les grandes politiques jurisprudentielles définies par le juge de la Downing Street (chapitre 2). Par sa jurisprudence, le Comité Judiciaire a conféré à la Constitution mauricienne une effectivité sans doute substantiellement non envisagée par le constituant britannique.

CHAPITRE 1. LA RICHESSE DU SYSTÈME MAURICIEN DE CONTRÔLE MODELÉ PAR LE COMITÉ JUDICIAIRE

L?analyse du système mauricien du contrôle de constitutionnalité exige au préalable un examen de ses origines et inspirations. Il ne faut pas perdre de vue que le système mauricien a été conçu par la Grande-Bretagne et est mis en oeuvre par des hauts magistrats britanniques. Il n?a pas pris naissance et n?évolue pas indépendamment du constitutionnalisme du Commonwealth, l?Angleterre incluse. Ce postulat nous conduit à l?analyser dans son cadre doctrinal et jurisprudentiel (section 1).

Ensuite seulement, dans un deuxième temps, pourront être examinés les moyens et les techniques utilisés par le juge londonien pour contrôler la Loi et les normes inférieures à la Constitution à Maurice (section 2).

SECTION 1. LE CONSTITUTIONNALISME DANS LES PAYS DE LA FAMILLE DE COMMON LAW ET À MAURICE

Il ne fait aucun doute que l?Angleterre a contribué à la concrétisation du constitutionnalisme au monde669 depuis le dix-huitième siècle, par l?influence de ses grands théoriciens et la pratique de ses tribunaux, notamment le Conseil Privé et, encore aujourd?hui dans une certaine mesure, la Chambre des Lords et les juridictions suprêmes de ses anciennes colonies (sous-section 1).

Le constitutionnalisme mauricien, transmis par l?ancienne métropole est particulièrement sophistiqué et prévoit tout un mécanisme luxueux de contrôle juridictionnel des normes (sous-section 2) tel que développé dans le Commonwealth.

Sous-section 1. Le constitutionnalisme en Angleterre et dans le reste du Commonwealth

Bien avant la naissance du constitutionnalisme dans le Commonwealth (paragraphe 2), s?était développée au Royaume-Uni une théorie permettant aux tribunaux de limiter et amenuiser l?action du Souverain et du Parlement dans certaines circonstances. Cette pratique se perpétue encore aujourd?hui (paragraphe 1). On ne saurait faire l?économie d?une présentation du constitutionnalisme britannique.

Paragraphe 1. En Angleterre

Si le concept de la Souveraineté du Parlement (B), le légicentrisme prôné par Albert Venn Dicey est, théoriquement du moins, au coeur des institutions politiques britanniques, il n?en demeure pas moins vrai qu?il existe en Angleterre des Lois Fondamentales faisant partie de ce que l?on pourrait appeler aujourd?hui un bloc de constitutionnalité (A) distinct des Lois ordinaires.

Il convient d?analyser et démontrer comment se concilient en Angleterre ces deux notions antinomiques.

669 Sur la migration du constitutionnalisme britannique aux Etats-Unis d?Amérique v. STONER James Reist: «Common Law and liberal theory: Coke, Hobbes and the origin of American constitutionalism», University Press of Kansas, 1982, 287 p.

A. Les Lois fondamentales ou le bloc de constitutionnalité

Deux catégories de normes fondamentales sont à distinguer: les normes écrites (a) et celles dites «non écrites» ou jurisprudentielles (b). Une telle classification, classique chez les juristes, pourra apporter quelque rationalité à un système très riche.

a. Les normes écrites

Il est scientifiquement erroné de soutenir que la Constitution britannique est totalement non écrite et ou simplement coutumière tant il existe en Grande- Bretagne plusieurs textes à valeur constitutionnelle670. L?affirmation contraire ne nous paraît pas pouvoir être conservée. La Grande Charte (Magna Carta) de 1215, votée par le Parlement anglais avant même la création de la Grande - Bretagne et qui est toujours en vigueur671, a posé de grands principes de droit portant sur l?indépendance de l?Eglise, sur l?administration de la Cité de Londres, la liberté individuelle et la protection contre l?arbitraire. De même, les Pétitions des droits (Bill of Rights), de 1628 et de 1689 notamment protègent les individus contre l?arrestation arbitraire, rétablissent la monarchie constitutionnelle, fondent le principe de l?immunité parlementaire, le droit du détenu à la liberté provisoire et affirment la prééminence des lois du pays sur le droit discrétionnaire du Roi. La Loi d?Etablissement (Act of Settlement) du 12 juin 1701 dispose que le Souverain doit se conformer à la communion de l?Eglise d?Angleterre et que les juges sont inamovibles672. Par ailleurs, d?autres textes, particulièrement les Lois sur le Parlement de 1949 et de 1958 et le Statut de Westminster de 1937 (qui politiquement ne peut plus être révisé), régissent les rapports entre les principales institutions publiques. Seul le fonctionnement du Cabinet échappe substantiellement à la législation et est régi par les conventions constitutionnelles673.

Certes, ces textes n?ont pas en droit strict une force surpalégislative mais disposent d?une forte autorité morale qui politiquement leur confère un caractère supérieur aux Lois ordinaires. La Constitution britannique est dite souple dans la mesure où le droit constitutionnel matériel n?est pas formalisé.

670 Il faut néanmoins souligner que les normes constitutionnelles britanniques ne diffèrent pas profondément des normes ordinaires quant à leur mode d?élaboration. Le Parlement britannique est à la fois une assemblée constituante et législative.

671 Sur le rôle de la Grande Charte en droit positif anglais, v. HOLT J. C.: «Magna Carta», Cambridge, Cambridge University Press, 1994, 2e édition, 553 p.

672 OBERDOFF Henri: «Les Constitutions de l?Europe des douze», La Documentation Française, 1994, 391 p., v. p. 165 à 175 sur la Constitution écrite anglaise.

673 UWANNO Boworsnak: «Les conventions de la Constitution en Grande-Bretagne», thèse, Université de Paris X, 1982, 544 p.

D?un point de vue technique, les Lois constitutionnelles peuvent être révisées selon la procédure ordinaire de vote de la Loi674. Cette conception doit être nuancée. Il existe une pratique constante à la Chambre des Lords qui veut que les rares projets de loi constitutionnelle soient examinés avec plus d?attention par une commission élargie des pairs actifs de la Chambre alors que les projets de loi ordinaires ne sont examinés que par une commission restreinte675.

Si l?objectif d?une Constitution formalisée est d?assurer la stabilité de la Norme Fondamentale, le constitutionnalisme britannique est, sur ce plan, une très grande réussite. La Grande-Bretagne est un des rares pays à avoir connu une histoire constitutionnelle continue et suffisamment pacifique. Sa Constitution apparaît comme le fruit d?une lente et constante évolution alors que des pays qui ont des Constitutions écrites ont connu, pour la plupart, des renversements constitutionnels violents.

La Constitution britannique est, en Europe, la plus ancienne. Sans doute l?Angleterre eut-elle bien l?initiative dans l?essor du constitutionnalisme moderne: l?écriture des droits fondamentaux.

Cependant, il ne faut perdre de vue que le droit fondamental britannique comporte une part non moins importante de normes jurisprudentielles.

b. Les normes jurisprudentielles

Le droit britannique se distingue de la famille juridique romano- germanique sur le point suivant. L?énonciation des grands principes du droit s?y effectue aussi dans une large mesure par les juridictions. La Loi n?apporte que des correctifs et additifs aux principes du droit commun (la Common Law) créé par le juge676. L?Angleterre est ainsi, peut-on dire, un Etat de jurisprudence.

La Common Law peut être divisée en deux catégories de normes jurisprudentielles. La première catégorie est composée de normes techniques et ordinaires et la deuxième, de normes fondamentales qui constituent les grands

674 A titre comparatif, il convient de souligner que dans tous les pays d?Europe une part importante du droit constitutionnel échappe à la formalisation. Tel est, par exemple, le cas en France des lois électorales. Aussi, une part des règles provient des conventions constitutionnelles. Pour s?en tenir qu?à la France, le droit parlementaire y est largement coutumier. V. AVRIL Pierre et GICQUEL Jean: «Droit parlementaire», Monchrestien, 1988, 261 p., v. p. 12 à 22.

675 BRADLEY A. W. et EWING K. D., cité note 549, v. p. 16.

676 V. ATTIYAH P. S.: «Common Law and Statute law», MLR, 1995, pp. 317 à 320.

principes du droit anglais677. Albert Venn Dicey soutenait à juste titre que la Common Law contient en elle les garanties posées par la Déclaration des Droits des Etats-Unis d?Amérique de 1787678. La Common Law consacre, par exemple, le principe de la séparation des pouvoirs, l?indépendance de la justice et l?impartialité des juges, les principaux droits de la défense et le principe d?une justice équitable et impartiale (rules of natural justice), la liberté individuelle et la liberté d?expression679 , autant de principes jurisprudentiels qui ont été ensuite formalisés dans les Constitutions du Commonwealth. Aussi, le concept du principe de légalité ou règne du droit? (rule of law)680 permet aux tribunaux de contrôler l?Administration et les actes de prérogative royale et éventuellement des lois681 sans pour autant les censurer formellement.

Il semble que la Common Law de nature constitutionnelle forme un corps de règles supérieures aux Lois (Acts of Parliament). Cette doctrine682 fut appliquée par Lord Coke dans la célèbre affaire du Docteur Bonham en 1610. Lord Coke considérait que: «Nos recueils montrent que dans de nombreux cas, la Common Law revient sur des actes du Parlement (Lois) et parfois les déclare absolument nuls. Car si un acte du Parlement est contraire au droit et au sens commun, ou répugnant ou inapplicable, la Common Law reviendra dessus et le déclara nul»683. Lord Coke part de l?idée selon laquelle la Common Law n?est que la Raison. En tant que telle, elle s?impose au pouvoir législatif684.

677 DIXON Owen, Sir: «The Common Law as the ultimate constitutional foundation», ALJ, 1957, vol. 31, pp. 240 à 254.

678 BARENDT Eric: «Dicey and civil liberties», PL, 1985, pp. 596 à 608.

Lord Scarman affirme que: «When the Americans made into fundamental constitutional law what they saw as the basic rights vouchsafed to them by the heritage of Common Law...», in CL: 11 février 1982, Harman c/ Secretary of State for Home Department, AC, 1983, pp. 280 à 327, Lord Diplock rédacteur de l?arrêt principal, publié aussi in ALLEN Micheal, THOMPSON Brian et WALSH Bernadette: «Cases and materials in constitutional and administrative law», Blackstone Press Ltd., 1990 537 p., v. p. 302.

Un autre auteur estime que: «The Common Law, British justice and remedies such as habeas corpus and the prerogative writs were regarded as of mere worth in protecting the individual than elaborate and exotic list of abstract rights in foreign countries», LESLIE Zines: «Constitutional change in the Commonwealth», Cambridge University Press, 1991, 118 p., v. p. 33.

679 HEARN Micheal: «Grande-Bretagne: Liberté et Constitution», RPP, mai-juin 1992, pp. 63 à 66.

680 Le règne du droit? en droit anglais peut être rapproché de la notion française de l?Etat de droit?. V. RAZ J.: «The rule of law and its virtue», LQR, pp. 195 à 202 et aussi ALLAN T. R. S.: «Law, liberty and justice, the legal foundation of British constitutionalism», Oxford, Clarendon Press, 294 p., v. p. 4. «In the absence of a higher constitutional law proclaimed by a written Constitution and venerated as a source of unique legal authority, the rule of law serves in Britain as a form of Constitution. It is in this fundamental sense that Britain has a Common Law Constitution», ibid.

681 ALLAN T. R. S.: «Legislative supremacy and the rule of law: Democracy and constitutionalism», CLJ, 1985, pp. 111 à 143.

682 PLUCKNETT Théodore F. T.: «Bonham?s case and judicial review», HLR, 1926-27, vol. XL, pp. 30 à 70.

683 Banc du Roi: 1610, Affaire du Dr Bonham, ER, King?s Bench, vol. 77, pp. 646 à 658, Lord Coke rédacteur de l'arrêt, v. p. 652. «And it appears that in our books that in many cases the Common Law will control Acts of Parliament and sometimes adjudge them to be utterly void. For when an Act of Parliament is against common right or reason or repugnant or impossible to be performed, the Common Law will control it and adjudge such act to be void», ibid.

Cette idée n?a pas expressément triomphé en Angleterre. Le contrôle constitutionnel direct et exprès des Lois n?y est pas pratiqué685. Mais le juge britannique n?applique vraiment une Loi qu?après l?avoir interprétée686 ou même après l?avoir rendue conforme aux grands principes de la Common Law687. Cette méthode ressemble à celle de l?interprétation constructive et neutralisante employée par le juge constitutionnel français et les Lords du Conseil Privé.

Le contrôle par l?interprétation est susceptible de revêtir deux formes. Premièrement, toute législation est interprétée de telle manière à ce que soient évités les conflits avec les droits fondamentaux de la Common Law. Le deuxième type d?interprétation implique une présomption encore plus nette en faveur de la liberté.

En effet, une disposition qui transgresse clairement et ouvertement un droit protégé par la Common Law est réputée comme non écrite à moins qu?elle ne soit précédée d?une déclaration sans équivoque faisant ressortir que le contenu de la Loi en question produit son effet en dépit de tel principe de la

V. GOUGH John Wiedhoff: «L?idée de la Loi fondamentale dans l?histoire constitutionnelle anglaise», PUF, Léviathan, 1992, 250 p., v p 40.

684 BEAUTE Jean: «Un grand juriste anglais: Sir Edward Coke 1552-1634», PUF, 1975, 230 p., v. p. 72 à 82.

685 Les idées de Lord Coke ont été toutefois reprises par certains théoriciens du droit, dont Arthur Goodhart. Ce dernier prônait la soumission du Parlement au droit. «... under the unwritten Constitution there are certain established principles which limit the scope of Parliament... Those who exercise power in the name of the State are bound by law and there are certain definite principles which limit the exercise of that power», GOODHART Arthur: «English law and moral law», Londres, Stevens and Sons, The Hamlyn Lectures, 1953, 151 p., v. p. 55 et 61.

686 «Les principes contenus dans la Loi ne sont... pleinement reconnus par les juristes de la Common Law que lorsqu?ils ont été appliqués, formulés et développés par des décisions de la jurisprudence», DAVID Réné et JAUFFRET-SPINOSI Camille, cité note 48, v. p. 317.

687 «A court either not having the power to annul or override enactments of the legislative as unconstitutional? says, in effect, in the process of interpretation of a Statute that the legislative may or may not have the claimed legislative power, but, it has not, in the language it has used in the enactment now in question, employed that power. This latter type of judicial action, a form of indirect judicial review frequently referred to as «judicial braking» though it will be significant principally in the case of countries with flexible, uncontrolled Constitutions like the United Kingdom...», MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 13.

«There is a constant control exercised by the interpretation of courts... and there is the dominant principle never absent in the mind of judges, that the Common Law is wider and more fundamental than Statute and that wherever possible legislative enactments should be construed in harmony with established Common Law principles rather than in antagonism with them», CARELETON Kemp Allen, Sir: «Law in the making», Oxford, Clarendon Press, 1964, 649 p., v. p. 456.

V. par exemple, un arrêt récent de la Haute Cour, Division du Banc de la Reine, HC: 9 février 1994, Regina c/ Chief Constable of South Wales, ex parte Mennick, WLR, 1994, vol. 1, pp. 663 à 680, le Lord-Juge Gibson rédacteur de l'arrêt principal. Il interprète constructivement la Loi sur la police et les preuves (Police and Criminal Evidence Act) de 1984 qui confère à toute personne détenue au commissariat le droit de consulter un avoué. Le juge considère que cette Loi ne restreint pas la Common Law qui accorde à toute personne détenu le droit à un conseil à tous les stades de la procédure même lorsque celui-ci ne se trouve pas au commissariat. «The right of a person in custody of a court to consult a Solicitor can, in my judgment, be no less than that of a person in detention in the course of investigation of a suspected offence under the rules of Common Law which preceded the Act of 1984 and which were not abrogated by the Act», ibid., pp. 675-76.

Common Law688. Une dérogation expresse aux droits fondamentaux est nécessaire mais est politiquement difficile à obtenir. Par ailleurs, le juge britannique, dans son contrôle concret des lois, se permet de critiquer fermement celles-ci pour leurs ambiguïtés689. Certes le Parlement conserve toujours la faculté de corriger toute interprétation judiciaire considérée comme erronée à travers une nouvelle législation mais les principes constitutionnels de la Common Law sont des normes quasi immuables et font surtout partie des principes généraux du droit commun des Etats membres de l?Union Européenne690. De surcroît, ils sont érigés en normes supranationales.

La supériorité de la Common Law jurisprudentielle est dissimulée et n?est jamais proclamée expressément par le juge britannique sans doute pour des raisons tenant à l?image démocratique691 du système institutionnel du Royaume- Uni. On peut sérieusement se demander si la supériorité de la Common Law ne se cache pas derrière le principe, fictif, mais affirmé avec vigueur, de la souveraineté du Parlement.

B. La souveraineté du Parlement

La doctrine de la souveraineté du Parlement est considérée comme le principe fondateur du droit constitutionnel britannique moderne. Le concept demeure très vivant (a) malgré les évolutions et les aménagements qui y sont formellement apportés (b) pour les besoins de la construction européenne.

a. Le concept

Selon Albert Venn Dicey, la «Reine d?Angleterre en Son Parlement» (the Q ueen of England in Her Parliament) peut faire ou abroger toute loi et aucune

688 «There is a presumption which can be stated in various ways. One is that in the absence of any clear indication to the contrary, Parliament can be presumed not to have altered the Common Law further than was necessary to remedy the mischief», CL: 5 mars 1975, BlackClawson International Ltd. c/ Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg, AC, 1975, pp. 591 à 652, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 614.

689 Selon Lord Diplock: «But what the law is... ought to be plain. It should be expressed in terms that must be easily understood by those who have to apply it... Absence of clarity is destructive of the rule of law: it encourages those who wish to undermine it», CL: 21 avril 1983, Merkur Island Shopping Company c/ Loughton, WLR, 1983, vol. 2, pp. 778 à 791, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt de l?arrêt principal.

690 PESTACORE Pierre: «Le recours dans la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes à des normes déduites de la comparaison des droits des Etats membres», RIDC, 1980, pp. 337 à 359.

691 La Grande-Bretagne est une société qui est restée fortement aristocratique. Le premier personnage de l?Etat n?est pas désigné par le suffrage universel et n?est responsable devant personne. Le Parlement n?est que partiellement démocratisé. Seuls les membres de la Chambre des Communes sont élus par des électeurs au suffrage universel.

autre autorité ne peut annuler une Loi692. La source de toute norme est Sa Majesté en Son Parlement693. Les textes législatifs s?imposent à tous et sont, en théorie, supérieurs aux autres sources de droit694. Le Parlement est totalement libre dans sa législation695. La Loi est exaltée comme dans la Constitution française de 1791. Les tribunaux n?ont le pouvoir de contrôler ni la validité interne ni externe d?une Loi promulguée696. Les juges ne doivent être que la bouche de la loi. Aussi, le principe de la souveraineté du Parlement implique que le législateur n?a pas la faculté de restreindre le contenu futur de la loi par autolimitation ou limiter le pouvoir de son successeur697. Le Parlement doit disposer en permanence des mêmes pouvoirs et ne peut pas abandonner sa souveraineté.

Albert Venn Dicey concevait toutefois un auto contrôle du Parlement lui- même afin de respecter les valeurs constitutionnelles698. En réalité, le principe même de la souveraineté du Parlement repose sur une convention constitutionnelle et des moeurs propres à l?Angleterre qui sont des garde-fous du système 699.

692 DICEY Albert Venn KC, cité note 26. Il écrit que: «... that no person or body of persons who can, under the English Constitution, make rules which override or derogate from an Act of Parliament or which will be enforced by the courts in contravention of an Act of Parliament», ibid. p. 40.

693 BELL John: «Que représente la souveraineté pour un britannique ?», Pouvoirs, 1993, n° 67, pp. 107 à 116.

694 «First there is no law which Parliament cannot change... Secondly, there is under the English Constitution no marked or clear distinction between laws which are not fundamental or constitutional», DICEY Albert Venn KC, cité note 26, v. p. 88-89.

695 HAGUENAU Catherine: «Le domaine de la Loi en droit français et droit anglais», RFDC, 1995, pp. 247 à 285.

696 CL: 22 mars 1842, The Proprietors of the Edinburg and Dalkeith Railway Company c/ John Wauchope, ER, House of Lords, vol. 8, pp. 279 à 285, Lord Cottenham rédacteur de l'arrêt, rapporté par C. Clark et W. Finneley, publié également in HOOD Phillips O.: «Leading cases in Constitutional and Administrative law», Londres, Sweet and Maxwell, 1973, 4e édition, 395 p., v. p. 1 à 3. Le juge indique que: «All that a court of justice can do is to look to the Parliament roll. If from that it should appear that a Bill has passed both Houses and received the Royal assent, no court of justice can inquire into the mode in which it was introduced into Parliament, nor into what was done previous to its introduction, or what passed in Parliament during its progress in its various stages through both Houses».

V. aussi WINTERTON George: «Parliamentary supremacy and the judiciary», LQR, 1981, pp. 265 à 274.

697 Ceci constitue une des raisons pourquoi il demeure techniquement difficile de doter l?Angleterre d?une Constitution écrite, une Déclaration des droits à valeur supralégislative. V. ANDREWS Neil H.: «L?Angleterre doit-elle adopter une déclaration des droits assortie d?un contrôle juridictionnel des lois», AIJC, 1989, pp. 35 à 56. V. également DWORKIN Ronald: «A bill of rights for Britain», Londres, Chatto and Windus, 1990, 57 p. L?auteur conteste l?interdiction faite au Parlement de limiter sa compétence, v. p. 26.

698 «The rule, therefore, that Parliament must meet once a year, though in strictness a constitutional convention which is not a law and will not be enforced by the courts, turns out nevertheless to be an understanding which cannot be neglected», DICEY Albert Venn KC, cité note 26, v. p. 448-9.

699 «The boundaries of (legislative) sovereignty must be determined in the light of the prevailing moral and political climate when difficult questions of constitutional authority arise», ALLAN T. R. S.: «The limits of Parliamentary Sovereignty», PL, 1985, pp. 614 à 629, v. p. 627.

D?autres théoriciens, Sir William Blackstone700 et John Locke notamment, pensent que le pouvoir parlementaire doit être limité et respectueux des droits naturels701. Toutefois cette idée de la supériorité des droits naturels doit relever de la morale et la Raison car aucune sanction juridictionnelle n?est prévue en cas de méconnaissance par le législateur de ces droits fondamentaux. John Locke ne prévoit qu?un hypothétique droit à la résistance du peuple le cas échéant.

En revanche, certains hauts magistrats, dont Lord Woolf of Barnes, souscrivent à la thèse selon laquelle au cas où le Parlement méconnaît manifestement les droits fondamentaux, le juge sera alors tenu de sanctionner ouvertement la Loi702. Dans la pratique, si un projet de loi apparaît violer un principe général de Common Law, les Lords judiciaires, en tant que parlementaires, feront connaître leurs points de vue dès le stade de la discussion sur le projet ou même dès sa préparation703 et le gouvernement prend soin de se conformer aux avis juridiques des Lords judiciaires.

b. Les aménagements

Bien qu?il n?y a pas eu en Angleterre de revirement de jurisprudence de type opéré dans l?arrêt Nicolo704 en France pour consacrer en droit interne la primauté de la norme européenne sur la Loi, le juge anglais respecte et applique le principe de la supériorité du droit communautaire posé par la Cour de Justice des Communautés Européennes. En effet, la Loi anglaise sur les Communautés Européennes de 1972705 dispose que les normes juridiques doivent être interprétées dans le sens qui les rend conformes aux stipulations des Traités

700 Selon William Blackstone, le législateur doit légiférer en respectant les droits naturels. «This law of nature, being co-equal with mankind and dictated by God himself, is of course superior in obligation to any other. It is binding over all the globe, in all countries, and at all times. No human laws are of any validity if contrary to this and such of them as are valid derive all their force and all their authority, mediately or immediately from this original», BLACKSTONE William, Sir: «Commentaries on the laws of England», vol. 1, «Of the Rights of persons» (1765), The University of Chicago Press, 1979, 473 p., v. p. 41.

701 Ainsi, la loi de nature subsiste comme une règle éternelle pour tous les autres», LOCKE John: «Essai sur le pouvoir civil», Bibliothèque de la Science Politique, PUF, 1953, 223 p., v. p. 151, paragraphe 135. V. également STRAUSS Léo et CROSPEY Joseph: «Histoire de la philosophie politique», PUF, Léviathan, 1994, 1076 p., v. p. 533.

702 «If Parliament did the unthinkable, then I would say that the courts would also be required to act in a manner which would be without precedent... I myself would consider there were advantages in making it clear that ultimately there are even limits on the supremacy of Parliament which it is the courts? inalienable responsibility to identify and uphold», WOOLF of Barnes, Lord, The Right Honourable: «Droit public, English style», PL, 1995, pp. 57 à 71, v. p. 69.

703 V. par exemple, DYER Clare et TRAVIS Alan: «Judge scorns idea of fixed jail sentences», The Guardian Weekly, 17 mars 1996, p. 8.

704 CE: 20 octobre 1989, affaire Nicolo, RDCE, 1989, pp. 190 à 199, conclusion du commisaire du gouvernement Frydman.

705 Loi du 17 octobre 1972 sur les Communautés Européennes (European Communities Act), LRS, 1972, pp. 1947 à 1983.

instituant la Communauté et aux normes dérivées706. L?article 3 de la même Loi affirme l?autorité supérieure de la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés sur celle des cours anglaises707. Ces dernières n?ont manifesté aucune réticence à l?égard de la nouvelle hiérarchie des normes (la supériorité du droit européen sur le droit national) et se sont ralliées assez tôt au mécanisme de sanction de la primauté du droit communautaire.

En pratique, le juge anglais tend d?abord à réconcilier la norme interne à la disposition européenne708. Au cas où le juge anglais ne peut estomper le conflit entre les deux normes, il écarte la norme interne709. Ainsi, le juge anglais, comme son homologue français, opère aujourd?hui un contrôle de conventionnalité de la Loi qui est en réalité un contrôle de constitutionnalité déguisé710.

La Loi anglaise est désacralisée et le dogme de la souveraineté de la Loi affaibli. Le juge exerce un contrôle de l?applicabilité de la Loi. Même s?il ne l?annule pas, il l?écarte du procès et l?exception d?inconventionnalité devient pour les justiciables britanniques un moyen efficace de protection de leurs droits fondamentaux.

Par ailleurs, si la Convention Européenne des Droits de l?Homme du Conseil de l?Europe n?a pas été incorporée en droit interne britannique, le juge

706 L?article 2-4 de la Loi sur les Communautés Européennes de 1972 dispose que: «... any such provision as may be made by Parliament and any enactment passed and to be passed... shall be construed and have effect subject to the foregoing provisions of this section».

707 DE BERRANGER Thibault: «Constitutions nationales et constitution communautaire», LGDJ, Bibliothèque de droit public, 1995, 564 p., v. p. 114 à 119.

708 CL: 22 avril 1982, Garland c/ British Rail Engineering Ltd., AC, 1983, vol. 2, pp. 751 à 772, v. arrêt de Lord Diplock. Il souligne que: «... it is a principle of construction of the United Kingdom that a Statute passed after the Treaty (of Rome) has been signed and dealing with the subject matter of the international obligation of the United Kingdom, are to be construed, if they are reasonably capable of bearing such meaning, as intended to carry out the obligation, and not to be inconsistent with it».

WADE H. W. R.: «What has happened to the Sovereignty of Parliament ?», LQR, 1991, pp. 1 à 4 et WINTERTON George: «The British Grunnorm: Parliamentary supremacy re-examined», LQR, 1976, pp. 591 à 617.

709 CA: 19 juillet 1979, Macarthys Ltd c/ Smith, ICR, 1979, pp. 785 à 799, Lord Denning rédacteur de l'arrêt. Il fait ressortir que: «In construing our Statute, we are entitled to look to the treaty as an aid to its construction, and even more, not only as an aid but as an overriding force. If on close investigation it should appear that our legislation is deficient -or is consistent with community law- by some oversight of our draftsmen, then it is our bounden duty to give priority to community laws», ibid., p. 789.

Dans une décision ultérieure concernant la même affaire, CA: 17 avril 1980, Macarthys Ltd c/ Smith, QBD, 1981, pp. 180 à 202, Lord Denning soutient que: «... the provisions of article 119 of the European Economic Community Treaty take priority over anything in our English Statute on equal pay which is inconsistent with article 119», ibid., p. 200.

710 WOOLRIDGE Frank et D?SA Rose: «The House of Lords as a constitutional court, the EOC case», BLR, 1994, pp. 180 à 185. Les auteurs soulignent que: «...the House of Lords effectively treated as unconstitutional relevant provisions of an Act of Parliament because they could not objectively be justified and were therefore incompatible with community law», ibid., p. 181. V. WADE William H. R., Sir, QC: «Sovereignty - Revolution or evolution ?», LQR, 1996, pp. 568 à 575.

cherche à mettre la Loi en conformité avec elle711. Il existe une présomption selon laquelle le législateur n?a pas voulu méconnaître la norme de la Convention712.

Le constitutionnalisme britannique est complexe. Aussi est-il camouflé à la différence de celui du Commonwealth.

Paragraphe 2. Dans le Commonwealth

Le constitutionnalisme dans le Commonwealth713 est plus affirmé et manifesté qu?en Grande-Bretagne714. La Constitution y prend toute sa dimension tant sous l?angle matériel715 que formel. Les pays du Commonwealth sont, du moins dans leur essence, des Etats de droit constitutionnel (A) où la hiérarchie des normes est sanctionnée ouvertement par le juge (B).

A. L'Etat de droit constitutionnel

La Constitution forme dans les anciennes colonies britanniques, dont l?île Maurice, un bloc de normes suprêmes (a) et rigides (b).

a. La suprématie de la Constitution

Dans les nouveaux Etats du Commonwealth, la Constitution acquiert une dimension formelle et se distingue de la Constitution anglaise qualifiée de souple et non formelle. Le droit a gagné dans le Commonwealth une structure hiérarchique conformément à la doctrine de Hans Kelsen716. Les grands principes de la Common Law sont constitutionnalisés.

Norme Fondamentale, la Constitution doit être respectée par tous les pouvoirs publics. La pyramide des normes part de la Constitution et il importe

711 BELL John: «Le règne du droit et le règne du juge. Vers une interprétation substantielle de l?Etat de droit», pp. 15 à 28, in MELANGES EN L?HONNEUR DE GUY BRAIBANT: «L?Etat de droit», Dalloz, 1996, 817 p., v. p. 20.

712 CL: 1er mai 1974, Waddington c/ Miah, WLR, 1974, vol. 1, pp. 683 à 696, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 694.

713 MARSHALL Geoffrey: «Parliamentary sovereignty and the Commonwealth», Oxford, Clarendon Press, 1957, 277 p.

714 Historiquement, la suprématie constitutionnelle s?explique par le fait que les colonies anglaises avaient été fondées par des compagnies privées. Elles étaient administrées en conformité aux chartes octroyées par la Couronne. Ces chartes représentaient les premières constitutions et s?imposaient à ceux qui faisaient les lois dans les colonies.

715 La Constitution nigériane de 1959 constitue un nouveau type de Constitution octroyée par le Grande-Bretagne. Le champ constitutionnel est élargi. La Constitution n?est plus seulement un ensemble de règles portant sur les pouvoirs publics, mais comporte aussi un catalogue dynamique des droits fondamentaux.

716 KELSEN Hans: «Théorie pure du droit», (1960), Suisse, Edition de la Baconuière, 1988, 296 p., v. chapitre IX, p. 131 et s.

de vérifier la régularité de la Loi à son égard717. La Loi est création du droit vis- à-vis du règlement mais en est application vis-à-vis de la Constitution de sorte que celle-là est soumise à celle-ci. Pour être effective, la supériorité de la Constitution peut être vérifiée et les atteintes qui lui sont portées pourront être sanctionnées. Le contrôle de la constitutionnalité des normes, la Loi aussi bien que les règlements, est confié à l?organe juridictionnel. Les juges ont pour mission de rendre concrètes et faire appliquer les formules inévitablement vagues que comporte les Constitutions. De cette manière, les valeurs proclamées sont destinées à devenir des réalités politiques. En ce sens, la notion de l?Etat de droit constitutionnel dépasse celle de l?Etat légal.

b. La rigidité de la Norme Fondamentale

La rigidité des Constitutions dans le Commonwealth renforce leur suprématie. La Constitution ne peut pas être révisée par une loi ordinaire, comme c?est le cas théoriquement en Angleterre. La révision est un acte institué, prévu par la Constitution elle-même. Elle doit obéir à des règles précises de forme comme de fond718. En général, la procédure de révision prévue est largement dérogatoire à la procédure législative normale. Dans certains pays du Commonwealth, la révision ne peut intervenir qu?après l?expiration d?un certain délai entre la proposition de révision et le vote. Dans d?autres Etats du Commonwealth, la Loi constitutionnelle ne peut être adoptée qu?à une majorité renforcée ou qualifiée. Aussi, pour certaines révisions, l?adoption nécessaire du texte par référendum est prévue.

Davantage encore, la compétence du constituant dérivé ou constitué, par opposition au constituant originaire, n?est pas totale. Un noyau de dispositions ou de principes jugés intangibles sont soustraits à la révision. Il existe dans les Constitutions du Commonwealth un groupe de normes dites «supraconstitutionnelles»719 se rapportant à certaines valeurs, telles la séparation des pouvoirs, la démocratie ou encore la forme républicaine du gouvernement. Une hiérarchie des normes constitutionnelles a été opérée par le

717 La Constitution nigériane de 1959 dispose dans son article 5, alinéa 1er que toute loi contraire à la Constitution serait nulle. Cette disposition fondamentale est reprise par toutes les Constitutions octroyées par la Grande-Bretagne par la suite. V. article 2 de la Constitution de Maurice de 1968.

718 CJCP: 25 juillet 1967, Mohamed Samsudeen Kariapper c/ S. S. Wijesinha, WLR, 1967, vol. 3, pp. 1460 à 1476, affaire de Ceylan, Sir Douglas Menzies rédacteur de l'arrêt.

719 Sur le sujet en général v. ARNE Serge: «Existe-t-il des normes supra- constitutionnelles ?», RDP, 1993, pp. 459 à 512. V. également sur la supraconstitutionnalité en Afrique du Sud, RUSSEL Alec: «Court throws out South African?s new Constitution», The Daily Telegraph, 7 septembre 1996, p. 7.

Comité Judiciaire. Dans l?affaire Akar720, le juge londonien a annulé une Loi constitutionnelle qui établit une discrimination raciale au motif que cette Loi est contraire à la lettre et l?esprit même de la Constitution. En ce sens, la Cour Suprême de la République de l?Inde a également considéré que le Parlement ne peut modifier la structure de base de la Constitution721.

A l?île Maurice l?article premier de la Constitution proclame le caractère démocratique de l?Etat mauricien qui est politiquement non révisable du fait de la lourdeur de la procédure de révision prévue722. Seule une double expression de la souveraineté nationale est suffisamment légitime pour modifier ce pilier du système politique et juridique de Maurice. Autrement dit, le constituant dérivé n?est pas hors du droit et une Loi constitutionnelle nouvelle peut être invalidée soit au motif d?un non-respect de la procédure, soit pour incompatibilité avec une norme supraconstitutionnelle.

Il est permis de se demander si ces limitations au pouvoir constituant ne sont, en réalité, plus de nature politique que strictement juridique. Le pouvoir constituant dérivé n?est pas un pouvoir d?une autre nature que le pouvoir constituant initial. Si la Constitution prévoit une procédure rigide de révision de certaines normes, celle-ci peut faire l?objet d?une révision selon la voie normale. Il serait ensuite aisé de réviser toute la Constitution selon la nouvelle voie établie.

B. Le contrôle juridictionnel des Lois

Dans de nombreux pays du Commonwealth, le droit traverse et régit tout l?ordre juridique. Le droit se prolonge dans l?institution d?une hiérarchie des normes dont la sanction suprême est le contrôle juridictionnel des Lois. Le principe exige une vérification des normes juridiques au regard de la norme suprême. Aux dix-septième et dix-huitième siècles, le Conseil Privé contrôlait

720 CJCP: 30 juin 1969, John Joseph Akar c/ Attorney-General, AC, 1970, pp. 853 à 873, affaire de Seria Leone, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt majoritaire.

721 V. CSI: 24 avril 1973, His Holiness Kesavananda Bharati Sripadagalavary c/ State of Kerala, SCR, 1973, vol. suppélmentaire, pp. 1 à 1002. Cette arrêt comporte les décisions de plusieurs juges, dont Sikri, Shelat/Grover, Hedge/Mukherjea, Ray, Jaganmohan Reddy, Khanna, et est très long. V. également dans le même sens CSI: 31 juillet 1980, Minerva Milles Ltd c/ Union of India, SCR, 1981, vol. 1, pp. 206 à 342, le Chef-Juge Chadrachund rédacteur de l'arrêt principal.

722 V. supra note 352. On se pendra à regretter que le Comité Judiciaire n?a accordé à l?article premier de la Constitution aucune valeur supraconstitutionnelle. V. CJCP: 22 mars 1977, Henri Lilcoln c/ The Governor-General, affaire de Maurice, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt. On peut penser que cette jurisprudence est susceptible d?un revirement vu les changements opérés dans le caractère de la norme depuis lors.

les lois des colonies723 aux grands principes du droit anglais724 et éventuellement aux lois anglaises. Ceux-ci servaient de constitution pour les colonies (a). Aujourd?hui, le principe du contrôle de la Loi est très répandu dans le Commonwealth et est maintenu dans nombreux de pays qui ont aboli le recours au Comité Judiciaire. Le contrôle y est alors exercé par les Cours Suprêmes locales (b).

a. Par le Conseil Privé

On sait déjà que le Conseil Privé contrôlait la conformité des Lois locales adoptées par le législateur de chaque colonie par rapport aux normes fondamentales de la métropole725 et également à la morale. Cet examen d?impérialité (imperial review)726 fut très large, tant selon le principe constitutionnel dominant, seule la loi anglaise était souveraine. La Loi sur la validité des Lois coloniales de 1865 légalisait le principe de l?infériorité des lois locales727.

Parallèlement, il s?était développé au Comité Judiciaire un véritable contentieux constitutionnel à partir de la confrontation des Lois du Parlement canadien à la Loi anglaise sur l?Amérique du Nord Britannique de 1867. Le caractère constitutionnel de cette Loi fut rapidement affirmé par le Conseil Privé. Plusieurs Lois canadiennes avaient été annulées par le Conseil Privé pour avoir méconnu la Loi constitutionnelle de 1867. Ce même type de contrôle s?était aussi manifesté dans le contentieux australien728.

b. Par les cours suprêmes du Commonwealth

Le contrôle constitutionnel des Lois fut légué par le Comité Judiciaire aux cours suprêmes des pays du Commonwealth729. Quand ces dernières avaient accédé au plus haut niveau de la hiérarchie des tribunaux à la fin de leur

723 Le Parlement local avait un pouvoir limité. Il ne pouvait adopter des lois contraires aux grands principes de la Common Law et celles abolissant la monarchie et le Conseil Privé. V. ELIAS Olawale T.: «British colonial law», Londres, Stevens and Sons, 1962, 323 p., v. p. 52.

724 Selon une étude qui n?est pas très certaine, le nombre de lois adoptées dans les colonies et déclarées nulles par le Conseil Privé de 1696 à 1782 s?élève à plus de six cents. V. WAGNER W. J.: «The federal states and their judiciary», Mouton and Company, 1959, 390 p., v. p. 87.

725 SWINFEN David B.: «Imperial control of colonial legislation 1813-1865», Oxford, Clarendon Press, 1970, 202 p.

726 L?expression a été empruntée de BETH Loren P., cité note 16, v. p. 33.

727 ROBERTS-WRAY Kenneth, Sir, cité note 526, v. p. 366 à 409. V. également WHEARE K.C: «The constitutional structure of the Commonwealth», Londres, Greenwood Press, 1982, 201 p., v. p. 45 et s.

728 V. par exemple CJCP: 17 juillet 1936, James c/ Commonwealth of Australia, AC, 1936, pp. 578 à 634, affaire de l?Australie, Lord Wright rédacteur de l'arrêt.

729 «The Supreme Court of these Commonwealth countries can be seen as the lineal successors of the Privy Council», BREWER-CARIAS Allan R.: «Judicial review in comparative law», Cambridge University Press, 1989, 406, v. p. 179.

soumission au Comité Judiciaire, telles la Cour Suprême du Canada en 1947, la Haute Cour d?Australie en 1986 et la Cour Suprême indienne en 1949, elles ont hérité toute la compétence du Comité Judiciaire en matière de contentieux constitutionnel.

La Cour Suprême de la République indienne est sans doute l?une des cours du Commonwealth ayant affronté avec beaucoup de vigueur le législatif et l?exécutif dans l?exercice de ses pouvoirs de gardien de la Constitution tant le contrôle exercé par elle était poussé. Si dans les années cinquante et soixante, le juge indien ne faisait qu?interpréter littéralement la Constitution, il opéra en 1967 un revirement dans le mode d?interprétation des normes constitutionnelles afin de dynamiser les droits fondamentaux, notamment le droit de propriété730. Depuis ce revirement, une série de lois ont été invalidées, en particulier les Lois de nationalisation des banques et celles mettant fin aux privilèges des anciens princes du pays. La hardiesse du contrôle de la Cour a parfois incité le constituant à réagir en révisant la Constitution afin d?atténuer les effets de sa jurisprudence731. Aussi, la déclaration de l?état d?urgence le 25 juin 1975732 avait restreint le champ de contrôle du juge. La Constitution fut pratiquement suspendue jusqu?à la fin de l?état d?urgence en 1977.

Ces confrontations entre la Cour et les autorités politiques ont renforcé la place et le rôle de la Cour Suprême au sein des institutions de la République indienne733.

L?exemple de la Cour Suprême indienne est caractéristique de la réussite, dans certains pays, du maintien et du développement du contentieux constitutionnel initié par le Conseil Privé. Le principe de l?Etat de droit constitutionnel est profondément ancré dans la majorité des pays du Commonwealth et les juges ont créé tout un droit prétorien sur le contrôle de la constitutionnalité.

Aux termes de cette présentation générale sur le constitutionnalisme du Commonwealth, il convient d?examiner le mode de contrôle des normes à Maurice.

730 CSI: 27 février 1967, I. L. Golak Nath c/ State of Punjab, SCR, 1967, vol. 2, pp. 762 à 948, le Chef-Juge Subba Rao rédacteur de l'arrêt principal.

731 DUDEJA Vijay Lakshmi: «Judicial review in India», Radiant Publishers, 1988, 162 p.

732 ZINS Max Jean: «Histoire politique de l?Inde indépendante», PUF, Politique d?Aujourd?hui, 1992, 335 p.

733 Sur le rôle de la Cour Suprême en matière de droits fondamentaux, v. GHANY Joseph: «Les droits fondamentaux des citoyens en Inde et leur mode de protection», RJPIC, 1982, pp. 410 à 422.

Sous-section 2. Le mode de contrôle de la constitutionnalité des normes à

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Le système de la justice constitutionnelle à Maurice s?organise dans le cadre du constitutionnalisme du Commonwealth. Sous l?apparente simplicité de cette affirmation se dissimule un système en réalité infiniment complexe. Certes, le système de contrôle ne peut ni être rattaché au modèle américain, ni au modèle européen. Mais les deux systèmes ont exercé certaines influences de sorte que s?est développé, comme dans beaucoup d?autres pays du Commonwealth dotés d?une Constitution de type néo-nigérian, un véritable modèle hybride ou autrement dit «mixte»734. Des particularités des deux grands systèmes, américain et européen, se retrouvent dans le modèle mauricien. Dès lors, il convient de décrire le mode de justice constitutionnelle à Maurice sous l?angle des deux typologies dominantes. On examinera successivement les éléments du modèle européen (paragraphe 1) et du modèle américain (paragraphe 2) qui sont présents à Maurice.

Paragraphe 1. Les éléments du modèle européen

Le modèle européen735, inspiré par Hans Kelsen736, est principalement caractérisé par la concentration du contentieux constitutionnel (A) et le caractère direct du contrôle (B).

A. La concentration du contentieux constitutionnel

La concentration est un principe de la justice constitutionnelle à Maurice (a). Elle obéit aussi à une particularité (b).

a. La similitude entre le système mauricien et le modèle européen

Le système concentré ou centralisé de contrôle signifie qu?un seul organe étatique est autorisé à exercer les pouvoirs d?un juge constitutionnel. En ce sens, selon le modèle autrichien, une seule juridiction, souvent spéciale et en dehors de la hiérarchie des tribunaux, est dotée du pouvoir de contrôler la constitutionnalité de la Loi. Le contentieux constitutionnel se distingue nettement du contentieux de droit commun. Ce monopole permet d?assurer un

734 Le contrôle des Lois est prévu par plusieurs articles de la Constitution de Maurice. V. les articles 2, 17, 45-1, 81-1-a et c, 83, 84, et 119.

735 FAVOREU Louis, cité note 391.

736 KELSEN Hans, cité note 448.

équilibre entre le principe de la séparation des pouvoirs qui nécessairement récuse toute immixtion du juge dans le pouvoir législatif, et la théorie de l?ordre juridique hiérarchisé qui fonde le constitutionnalisme, plus exactement, le contrôle de constitutionnalité737.

Ce modèle européen n?a pas été en soi introduit à l?île Maurice. L?idée d?instaurer un Conseil Constitutionnel doté d?un pouvoir suspensif des Lois a été écartée par Stanley A. De Smith. Mais une solution assez proche de la finalité d?une juridiction spécialisée a été retenue. Le contentieux constitutionnel est du ressort exclusif de la Cour Suprême locale dans la hiérarchie des juridictions strictement mauriciennes. Elle peut exercer ce pouvoir selon deux procédures. Elle peut être saisie directement par les justiciables aux fins d?examiner une Loi de manière objective738 et, sur renvoi, par une juridiction inférieure d?une question constitutionnelle préjudicielle739. La contestation de la régularité d?une Loi étant un litige important et grave, le constituant a voulu habiliter les seuls hauts magistrats à trancher les litiges y relatifs. Les juges inférieurs doivent renvoyer toute question d?interprétation d?une norme constitutionnelle à la Cour Suprême.

b. Les atténuations

La comparaison avec le modèle européen mérite d?être tempérée. La concentration du contentieux au profit de la seule Cour Suprême n?est pas absolue et est assortie d?une limite essentielle. Comme dans toutes les autres matières, la Cour Suprême est en contentieux constitutionnel soumise au contrôle du Comité Judiciaire740. Celui-ci peut statuer en cassation sur toute interprétation des normes constitutionnelles par la Cour Suprême741. Le contrôle

737 «Le système de contrôle centralisé correspond à une manière différente de concevoir la séparation des pouvoirs... Aux yeux de Montesquieu et de Rousseau... toute interprétation des Lois par des juges... constituait en conséquence un empiétement sur le pouvoir exclusif qu?avait le législateur de créer le droit. Aujourd?hui encore, même s?il a été reconnu souhaitable d?instituer un certain contrôle sur la constitutionnalité des Lois, on continue à voir dans ce contrôle une fonction de caractère essentiellement politique», CAPPELLETTI Mauro: «Le pouvoir des juges», Economica, 1990, 397 p., v. p. 201.

738 Article 81-1-2 CM.

739 L?article 84-1 CM dispose que: «Lorsqu?une question concernant l?interprétation de la Constitution est soulevée devant une cour de justice de Maurice... et que la cour estime que la question touche un point de droit important, la Cour Suprême renvoie cette question à la Cour Suprême».

740 La Cour Suprême peut agir comme une juridiction de première instance. V. CSM: 10 octobre 1972, Virahsawmy c/ The Commissioner of Police, MR, 1972, pp. 255 à 260, le Chef-Juge Sir Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt.

741 L?article 81-1-a CM dispose qu?un «pourvoi contre les décisions de la Cour d?Appel ou de la Cour Suprême devant le Comité Judiciaire existe de plein droit... à l?encontre des décisions définitives dans toute procédure civile ou pénale sur des questions d?interprétation de la Constitution».

constitutionnel peut s?exercer en deux temps et par deux juridictions de hiérarchie différente, ce qui constitue une sorte de contrôle à double détente.

Aussi, cette particularité mauricienne crée un effet contraire à l?objectif même du système centralisé de contrôle juridictionnel de la Loi. Le système concentré a pour mérite d?assurer une certaine sécurité juridique des normes législatives par opposition au système diffus qui laisse planer le doute sur la constitutionnalité des Lois tant que la juridiction suprême ne s?est pas prononcée. Dans le système centralisé, une seule juridiction statue et clarifie la situation. Sa décision a une valeur absolue et l?unité jurisprudentielle est maintenue à son comble742. Or, le duopole mauricien peut créer l?exacte situation inverse. La Cour Suprême locale peut déclarer inconstitutionnelle une Loi, qui par voie de conséquence est écartée, voire disparaît de l?ordre juridique, et les juges de la Downing Street peuvent redonner vie à la Loi déclarée non conforme743. Ce système de double contrôle peut appeler des réserves du fait du risque de l?instabilité juridique qu?il comporte mais demeure néanmoins nécessaire à l?unification de la jurisprudence constitutionnelle.

La deuxième caractéristique du modèle européen, le contrôle direct, à la différence du premier, ne souffre d?aucune exception en droit mauricien.

B. Le contrôle direct

Le contrôle direct de la Loi ou la voie d?action (direct control of legislative action) est nécessairement une caractéristique du modèle européen, notamment français, dans la mesure où cette modalité du contrôle est inexistante dans le modèle américain. Il convient d?analyser la voie d?action telle qu?elle s?est développée à Maurice (a) et les règles de procédure de sa mise en oeuvre (b) afin d?apprécier son efficacité.

a. La voie d'action

742 ROUSSEAU Dominique, cité note 27, v. p. 23.

743 CJCP: 23 juillet 1992, The Governement of Mauritius c/ Union Flacq Sugar Estates Company Ltd., WLR, 1992, vol. 1, pp. 903 à 912, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. La Cour Suprême avait sanctionné une Loi portant sur la direction des sociétés commerciales pour violation du droit constitutionnel de propriété. Mais le Comité Judiciaire, en cassation, a renversé la décision de la Cour locale et considéré la Loi constitutionnelle.

V. également CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, WLR, 1984, vol. 3, pp. 174 à 185, affaire de la Gambie, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt. La Cour Suprême de la Gambie avait déclaré une Loi conforme à la Constitution. La Cour d?Appel avait infirmé la décision des premiers juges. En cassation, le Comité Judiciaire avait déclaré la Loi partiellement conforme.

La voie d?action est conçue à Maurice comme le moyen principal du déclenchement du procès constitutionnel tant elle est largement ouverte744. Le recours peut être intenté par des particuliers. A l?inverse du système français, aucune autorité n?est expressément investie d?un tel pouvoir. Le système permet une certaine démocratisation du mode de contrôle juridictionnel de la Loi, conformément à la tendance observée dans les grandes démocraties occidentales de conférer à la justice constitutionnelle une légitimité qui lui est souvent déniée. Le système mauricien permet aux citoyens de contrôler sur le plan juridique, les pouvoirs publics745 en habilitant le juge de première instance et le juge de cassation de contrôler de façon abstraite la norme dont la constitutionnalité est critiquée746.

La Constitution mauricienne prévoit deux modes d?exercice de la voie d?action. La distinction a peu d?intérêt mais doit être soulignée. L?article 17 de la Constitution permet à la Cour Suprême de prendre toute mesure appropriée pour faire cesser toute violation des droits contenus dans le chapitre deux de la Loi Fondamentale747, s?il n?existe, selon le juge londonien, d?autre voie de recours juridictionnel748. L?article 83 confère à la Cour Suprême des pouvoirs similaires pour faire respecter les dispositions résiduelles de la Constitution749.

744 GLOVER Victor, Sir, GOSK: «L?universalité des droits fondamentaux et la diversité culturelle», in Colloque International sur l?Effectivité des Droits Fondamentaux dans les Pays de la Communauté Francophone organisée par AUPELF-UREF à Maurice le 28 septembre au 1er octobre 1993, 18 p., v. p. 12.

745 «Le vote... est à la fois l?acte par lequel le peuple exprime sa volonté et celui par lequel il délègue l?expression, pour un temps déterminé, à des représentants. Cette délégation aboutit à un abandon de son pouvoir de décision entre deux élections. Les cours constitutionnelles atténuent cette logique-là du vote. La délégation n?est plus un abandon dans la mesure où les cours, en statuant au nom de la souveraineté populaire, adoptent une référence qui les met en position de faire prévaloir cette dernière, de restaurer la volonté populaire en rétablissant la soumission de la volonté représentative», ROUSSEAU Dominique, cité note 27, v. p. 45.

746 La voie d?action permet aussi de juridiciser et de purifier le débat politique entre la majorité et l?opposition. Celle-ci, comme tout citoyen, détient le pouvoir de saisir le juge pour contester les lois adoptées par la majorité.

747 Cette article dispose dans son alinéa premier que: «Quiconque allègue que l?une des dispositions 3 à 16 a été, est ou est susceptible d?être violée à son encontre, pourra, indépendamment de tout autre recours légalement possible, s?adresser à la Cour Suprême pour faire respecter ses droits».

748 La rédaction de l?article 17 CM est ambiguë. En dépit des dispositions de l?alinéa premier, le second alinéa prévoit que le juge peut ne pas exercer ses pouvoirs si le requérant dispose d?autres voies de recours. CJCP: 11 décembre 1995, J. Subramanien c/ The Government of Mauritius, affaire mauricienne, Sir Micheal Hardie Boys rédacteur de l'arrêt. Il fait ressortit que: «A constitutional action is not an appropriate vehicle for a contractual or tortious claim, nor indeed for judicial review, which has procedural requirements of its own».

749 La distinction entre l?article 17 et l?article 83 est curieuse et répond à peu de rationalité. CSM: 26 avril 1982, A. R. Mahboob c/ The Government of Mauritius, MR, 1982, pp. 135 à 143, le Chef-Juge Sir Maurice Rault rédacteur de l'arrêt principal. V. l?opinion concurrente du juge Glover. Il dit que: «I confess that I do not see the reason for the distinction», p. 143.

C?est pourquoi un règlement de la Cour du 1er juin 1990 a rapproché davantage les deux dispositions constitutionnelles dans leur mise en oeuvre quant aux conditions de délai et de forme. Il demeure que la saisine de la Cour soit encore plus souple dans le cadre de l?article 17.

Le juge mauricien dispose des pouvoirs pratiquement illimités pour faire cesser toute atteinte aux droits fondamentaux. Il peut annuler la norme incriminée ou donner toute injonction tendant à l?inexécution de la loi litigieuse750. La Loi réformée sur les Cours de 1945 confère à la Cour Suprême les mêmes pouvoirs que ceux dont dispose la Haute Cour anglaise751. Allant même plus loin, la Cour a estimé que son pouvoir dépasse celui des cours anglaises car elle est investie du rôle de gardien de la Constitution752. Cette compétence permet à la Cour de déroger aux principes de la procédure administrative anglaise753 au cas où les règles du contentieux sont inadaptées au contentieux constitutionnel.

b. Les règles de procédure

On peut penser que les dispositions des articles 17 et 83 de la Constitution permettent au juge d?exercer un contrôle a priori de la Loi. Ces articles peuvent être mis en oeuvre dès lors qu?il y a un risque vraisemblable qu?une norme constitutionnelle soit «susceptible d?être violée». Mais la Cour Suprême a privilégié le contrôle a posteriori de la Loi et a expressément écarté toute idée de contrôle a priori. On se prendra à regretter cette négation par la Cour Suprême de ses compétences. On voit mal en quoi la procédure existante, la saisine du juge des référés (judge in chambers) en vue de lui demander d?ordonner au Parlement de ne pas légiférer ou au Chef de l?Etat de ne pas donner son assentiment à la Loi, avait apparu aux juges mauriciens comme une entorse trop manifeste au principe de la séparation des pouvoirs754. Les juges,

750 L?article 17-2 CM dispose que «(la Cour Suprême) pourra faire telles injonctions (orders) et délivrer telles ordonnances (issue such writs) qui lui semblent appropriées pour faire respecter ou assurer le respect des dispositions de l?article 3 à 16».

751 L?article 17 de la Loi de 1945 dispose que «The Supreme Court shall have original jurisdiction to hear, conduct and pass decisions in civil suits, actions, causes, and any matter may be brought and may be pending before the Supreme Court and the judges shall sit and proceed to and conduct and carry on business in the same manner as the High Court of Justice in England and its judges».

752 CSM: 2 juin 1993, Attorney-General c/ Ramgoolam, LRC, 1993, vol. 3, pp. 82 à 93. Le juge Lallah rédacteur de l'arrêt. Selon le juge: «We also indicated, however, that our Constitution has conferred on the Supreme Court a fundamental jurisdiction concerning constitutional matters unknown to the courts in the United Kingdom and that Erskine May necessarily had to be read subject to the particular jurisdiction which the Constitution has so vested in the Supreme Court», ibid., p. 85.

753 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité note 303. Le juge Garrioch indique que lors d?un contrôle de constitutionnalité et «where the form of redress applied for is an order of mandamus, the court should and will, as far as possible, follow the English principles applicable to that order (but) it is obvious that, having regard to its special powers and duties under the Constitution, the Court may find it necessary to evolve principles of its own, in certain circumstances, which may not always accord with those applicable in England», ibid., p. 34.

754 CSM: 9 novembre 1973, Lincoln c/ The Governor of Mauritius, MR, 1973, pp. 290 à 291, le juge Rault rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire, le juge, statuant en référé, rejette la requête d?injonction à l?Assemblée Législative et au Gouverneur-Général de ne pas continuer l?examen d?un projet de loi constitutionnelle visant à supprimer les élections législatives partielles. Le juge a indiqué que: «If a Court of law sought to prevent or even delay the introduction of a bill, it would not be exercising a judicial power, but usurping a legislative function», ibid., p. 291. L?effet de cette jurisprudence mérite d?être relativisé en ce sens que la décision de la Cour a été

pour la plupart formés en Angleterre, sont encore, semble-t-il, assujettis à un certain dogme même fictif de la souveraineté de la Loi. A l?inverse, le Comité Judiciaire, statuant sur un litige en provenance de Hongkong s?est montré moins réticent au développement d?un véritable contrôle a priori755. Sa jurisprudence n?a pas été suivie par le juge local d?autant que les justiciables mauriciens ne l?ont pas invoquée.

Il convient de faire ressortir néanmoins, que la Cour Suprême de Maurice a utilisé libéralement ses pouvoirs pour développer le contrôle a posteriori. La politique de la Cour a été de simplifier l?exercice des recours en suivant certains développements opérés au sein de la justice administrative britannique et surtout la jurisprudence libérale et audacieuse du Comité Judiciaire756. Ainsi, par exemple, la notion d?intérêt à agir (locus standi)757 n?est plus appliquée strictement aux simples individus. Le contrôle constitutionnel est considéré comme un litige d?intérêt public (public interest litigation) et le droit d?agir est étendu aux demandeurs simplement idéologiques758. La Cour Suprême exige un intérêt à agir d?autant plus réduit que la violation de la Loi Fondamentale apparaît importante.

Il ne faut pourtant pas céder à la tentation de conclure que cette ouverture du prétoire a permis la création d?une sorte de recours populaire (actio popularis) comme il avait été le cas en Angleterre dans les années soixante-dix à propos du contrôle de la légalité des actes administratifs (judicial

rendue pendant une période d?état d?urgence et à propos d?une loi constitutionnelle quelques années seulement après l?indépendance. Le Parlement siégeait comme une assemblée constituante.

Le juge mauricien n?a pas retenu la solution française du contrôle juridictionnel de la Loi. Cette solution pourait, selon nous, être transposée à Maurice. La saisine de la Cour pourrait avoir lieu après adoption de la Loi par l?Assemblée et le Chef de l?Etat donnerait éventuellement son accord après décision de la Cour.

755 CJCP: 15 avril 1970, Rediffusion (Hong-Kong) Ltd. c/ the Attorney-General, AC, 1970, pp. 1136 à 1170, affaire de Hongkong, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

756 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ The Director of Public Prosecutions, WLR, 1985, vol. 3, pp. 73 à 84, affaire de la Jamaïque, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. Le juge londonien écrit que: «The Solicitor-General... submits that the application to the Supreme Court should have been made by writ and not by notice of motion. Without entering into a consideration of the rules of procedure which apply in Jamaica and are best determined by the Courts in Jamaica, their Lordships reject this submission. The applicant fairly raised before the appropriate court his complaint that his fundamental right guaranteed by the Constitution had been infringed», ibid., p. 77.

757 SCHIEMANN Konrad, Sir: «Locus standi», PL, 1990, pp. 342 à 353.

758 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité note 303. Le juge Garrioch souligne que: «We think that in a matter of such great public interest, as in the present case is in our view, no useful purpose will be gained by insistence of form which would have consequence only to postpone a decision on its merits», ibid., p 35. Le juge applique dans cette affaire une jurisprudence du Conseil Privé. V. CJCP: 25 juillet 1967, Mohamed Samsudeen Kariapper c/ S. S. Wijensinha, cité note 718.

La même attitude est adoptée dans CSM: 29 octobre 1986, Noordally c/ Attorney-General, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 599 à 606, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. V. également CSM: 23 janvier 1995, Rama Valayden c/ The President of the Republic, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, les juges Rajsoomer Lallah, V. Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yuen rédacteur de l'arrêt.

review of administrative action). Lord Denning, Président de la Division Civile de la Cour d?Appel anglaise (Master of the Rolls) avait affirmé que tout sujet de sa Majesté avait qualité pour faire respecter le droit759. A Maurice, la Cour Suprême a estimé qu?un simple intérêt au respect de la Constitution ne suffit pas pour que la requête soit recevable. La seule qualité d?électeur ne suffit pas pour contester l?éventuelle discrimination opérée entre deux députés démissionnaires760. Cette solution est tout de même proche de celle appliquée actuellement en Angleterre en matière de contrôle des actes administratifs. L?ouverture opérée par Lord Denning a été relativisée par le législateur britannique761.

Par ailleurs, les conditions de forme régissant le contrôle par voie d?action ont été simplifiées et unifiées depuis 1990762. Auparavant, l?article 17 de la Constitution (concernant la protection des droits fondamentaux) devait être invoqué par la voie d?assignation (writ of summons)763 et l?article 83 (portant sur les articles résiduels de la Constitution) sous la forme d?une pétition (by way of petition)764. Désormais la procédure classique d?assignation est étendue à l?application de l?article 83765.

Le délai pour agir par la voie d?action était limité à six mois à compter de l?entrée en vigueur de l?acte766. La Cour, conformément à sa politique d?ouverture n?avait accordé à ce délai aucun caractère impératif et le distinguait de la forclusion. Le juge pouvait ne pas prononcer une fin de non-recevoir même si ce délai était expiré767. Ce délai de six mois correspondait à celui retenu en Angleterre pour déclencher un recours en annulation d?un acte administratif

759 CA: 14 avril 1976, Regina c/ Greater London Council, ex parte Blackburn, All ER, 1976, vol. 3, pp. 184 à 200, Lord Denning rédacteur de l'arrêt principal. Il écrit ceci: «Je considère ceci comme un principe constitutionnel très important. Lorsqu?un ministère ou une autorité publique est en train d?enfreindre le droit ou presque d?une façon qui offense ou injurie des milliers de sujets de Sa Majesté, toute personne qui a été offensée ou injuriée peut porter le cas à l?attention des cours», ibid., p. 192.

760 CSM: 14 mai 1974, Lincoln c/ Governor-General, MR, 1974, pp. 112 à 127, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt.

761 L?article 53 de la Loi anglaise sur la Cour Suprême de 1981 (Order 53 of the Supreme Court Act 1981) exige que le requérant justifie d?un intérêt suffisant. V. FLOGAITIS Spyridon: «Administrative law et droit administratif», LGDJ, 1986, 256 p., v. p. 172 et s.

762 Colom Jacques, cité note 557, v. p. 92 et s.

763 L?assignation (writ of summons) constitue le mode classique d?introduction d?une affaire en justice.

764 La saisine par la voie de pétition est indirecte. Le requérant doit obtenir d?un juge (en chambre) l?autorisation de saisir la Cour.

765 V. Les règles sur la protection des normes constitutionnelles par la Cour Suprême (Supreme Court Constitutional Relief Rules) de 1990.

766 Article 8 des Règles sur la protection des normes constitutionnelles de 1967 (Constitutional Rights Application For Redress or Relief Rules).

767 CSM: 5 juin 1981, Monty c/ Public Service Commission, MR, 1981, pp. 244 à 253, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. Selon la Cour: «We are not dealing with a Statute of limitation or a period of extinctive prescription laid down in the Code Napoléon, but with those procedural rules which govern application for judicial review», ibid., p. 246.

pour violation d?une Loi. Mais une réforme locale de 1990 a réduit, comme dans la nouvelle réglementation de la procédure anglaise du contentieux administratif, le délai à trois mois.

*

Au terme de cette présentation un constat s?impose. Le modèle mauricien de la voie d?action est libéral et très ouvert. Le droit de saisine est large. Tout citoyen justifiant d?un intérêt peut saisir le juge constitutionnel en vue de censurer une Loi. Ce droit constitue une garantie essentielle du maintien de l?Etat de droit.

Cependant, la richesse et l?ingéniosité du constitutionnalisme mauricien ne sont pas réduites aux seuls bienfaits du système européen. Le contrôle constitutionnel peut aussi être déclenché selon les modalités du modèle américain.

Paragraphe 2. Les éléments du modèle américain

Le modèle de contrôle diffus de la Loi est répandu dans les pays de Common Law du fait de l?unicité de l?ordre juridictionnel et du rapprochement structurel des Cours Suprêmes des Etats du Commonwealth de celle des Etats- Unis d?Amérique.

A l?île Maurice, où le système juridique appartient en grande partie à la famille de Common Law, certains éléments du modèle américain de contrôle, notamment le contrôle diffus (A) et la voie d?exception (B) sont utilisés dans le contentieux constitutionnel.

A. Le contrôle diffus

Du fait même de l?existence d?un contrôle par voie d?action centralisé, le contrôle diffus mauricien (b) se démarque légèrement du modèle américain (a).

a. Le modèle diffus stricto sensu

Le modèle américain est conçu d?après l?idée que le juge ordinaire doit, dans tous les procès, non seulement appliquer la Loi mais le droit768. Il en

768 GREWE Constance et RUIZ Fabri Hélène: «Droits constitutionnels européens», PUF, 1995, 661 p., v. p. 70.

résulte que tout juge, peu importe son niveau dans la hiérarchie des juridictions, est habilité à écarter des normes, y compris législatives, qui se trouveraient en contradiction avec la norme supérieure. Tout juge a un pouvoir propre de vérifier la régularité des Lois. Le contrôle de constitutionnalité est donc déconcentré et il appartient en dernier lieu à la juridiction suprême d?assurer l?unification de la jurisprudence par le biais de la règle du précédent (stare decisis).

b. La variante mauricienne

L?article 84-1 de la Constitution mauricienne dispose que lorsqu?une question d?interprétation de la Constitution est soulevée devant un tribunal inférieur à la Cour Suprême et qu?il estime que la question touche à un point de droit important, il surseoit à statuer et renvoie la question devant celle-ci. Cette disposition peut être l?objet d?une double lecture. D?abord elle enlève de la compétence des tribunaux inférieurs (les Cours de District, la Cour Intermédiaire, la Cour Industrielle et le Tribunal Anti-Corruption) le pouvoir d?interpréter la Constitution. Ce pouvoir est conféré aux seuls juges de la Cour Suprême. Mais une seconde lecture, découlant de la pratique des juges a quo, leur permet d?appliquer eux-mêmes la Constitution. En effet, l?article 81-1 leur permet a contrario d?examiner toute norme constitutionnelle dès lors que la question préjudicielle ne touche pas à un point de droit jugé important769 et il leur revient d?apprécier souverainement l?importance du point soulevé. Dès lors, le juge du principal peut interpréter lui-même toute norme constitutionnelle qu?il ne considère pas importante. En éludant le renvoi pour interprétation, le juge inférieur se prononce nécessairement sur le contenu et la portée du texte constitutionnel770. Il se prononce également sur la constitutionnalité de la Loi litigieuse mais conclut nécessairement, dans ce cas de figure, à sa conformité à la norme supérieure. Il est une stratégie commune à tous les juges de limiter le

769 Cette solution est proche du modèle italien. En Italie, la question constitutionnelle préjudicielle est renvoyée si elle est déterminante à l?issue du litige. V. VEDUSSEN Maro: «Les recours des particuliers devant le juge constitutionnel dans une perspective comparative», pp. 153 à 192, in DELPEREE Françis: «Les recours des particuliers devant le juge constitutionnel», Economica, 1991, 221 p.

770 CSM: 13 février 1969, Mootee c/ The Queen, MR, 1969, pp. 34 à 48, le Chef-Juge Sir Michel Rivalland rédacteur de l'arrêt et CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District magistrate of Flacq, LRC, 1990, vol. constitutional, pp. 570 à 577, les juges Glover et Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt. Ils soulignent que: «The District magistrate held... that no substantial question of law pertaining to the interpretation of the Constitution had arisen», ibid., p. 572. Dans ce dernier arrêt, la Cour Suprême, en déboutant le requérant, confirme le pouvoir d?interprétation d?une norme constitutionnelle jugée, à bon droit, non importante par le juge du principal.

renvoi des questions préjudicielles car les juges veulent assurer eux-mêmes leur mission de dire le droit771.

Par ailleurs, le caractère diffus du système mauricien de contrôle résulte du fait que plusieurs juridictions ont compétence pour assurer un contrôle de constitutionnalité des Lois, à savoir, la Cour Suprême (en première instance), la formation d?appel de la Cour Suprême (en deuxième instance), la formation d?assises de la même cour772, éventuellement la Cour Martiale773, et, évidemment, le Comité Judiciaire774.

B. L'exception d'inconstitutionnalité

Le contrôle de constitutionnalité par la voie d?exception constitue le critère majeur du modèle américain depuis sa découverte par le juge en chef John Marshall en 1803 dans l?arrêt Marbury c/ Madison775 alors même que la Constitution américaine n?a pas expressément prévu le contrôle juridictionnel de la Loi776. Le contrôle ne s?exerce qu?à titre incident777. Une partie à un procès conteste la constitutionnalité d?une Loi qui est appliquée778. Le tribunal, avant d?examiner l?affaire au fond, examine la Loi pour décider si elle est ou non constitutionnelle et applicable au cas d?espèce. Le contrôle est donc concret (in concreto) et s?exerce à propos d?un cas précis. Il n?est pas abstrait comme dans la voie d?action. L?intérêt majeur de l?exception d?inconstitutionnalité est qu?il permet au juge, à tout moment de la vie d?une Loi, de la contrôler et éventuellement de l?écarter du corpus juridique779 d?autant plus qu?une Loi peut être conforme à la norme supérieure à un certain moment de son existence et cesser de l?être plus tard. La Constitution est une norme en constante évolution et création en vertu de l?interprétation qu?en font les juridictions.

Comme aux Etats-Unis, le contrôle par la voie d?exception n?est pas expressément prévu par la Constitution mauricienne. L?article 84 de la

771 Cette attitude n?encourage pas les procédures dilatoires qui ralentiraient ou paralyseraient l?action de la justice. Ce filtrage serré des juges a quo évite un allongement inconsidéré des procédures.

772 Article 80-1 CM.

773 Article 84-1 CM.

774 Articles 81-1-a et 84-2 CM.

775 LEVASSEUR Alain: «Droit des Etats-Unis», Précis-Dalloz, 1994, 388 p., v. p. 42.

776 TOINET Marie-France: «Le système politique des Etats-Unis», PUF, Thémis, 1987, 629 p., v. p. 96.

777 Sur la pratique de l?exception d?inconstitutionnalité en droit comparé v. CONAC Gérard et MAUSS Didier: «L?exception d?inconstitutionnalité», STH, Les Cahiers Constitutionnels de Paris 1, 1990, 143 p.

778 RENOUX Thierry S.: «L?exception telle est la question», RFDC, 1990, pp. 651 à 658.

779 CSM: 16 octobre 1990, Babajee c/ Appadoo, MR, 1990, pp. 175 à 180, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire, le juge mauricien censure l?article 1463 du Code Napoléon pour cause de discrimination sexuelle.

Constitution n?évoque pas l?hypothèse d?un renvoi des questions d?interprétation de la Constitution qui permet aux parties d?obtenir dès l?instance du premier degré une interprétation de la Cour Suprême. Mais une authentique exception d?inconstitutionnalité a été développée de façon prétorienne dans les niveaux supérieurs de la hiérarchie juridictionnelle. L?exception d?inconstitutionnalité est devenue un moyen de recours à la fois à la formation d?appel de la Cour Suprême et au Conseil Privé. Elle constitue en appel et en cassation un moyen de droit nouveau accepté sans grande réticence par le juge local780 et le Comité Judiciaire781. La Cour Suprême se permet aussi d?invoquer d?office (proprio motu) l?irrégularité d?un texte en appel et invite alors les parties à s?expliquer sur le point782 ou, dans le cas d?une inconstitutionnalité manifeste, statue directement sur la question.

780 CSM: 27 juillet 1972, Director of Public Prosecutions c/ Masson, MR, 1972, pp. 205 à 216, le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt.

781 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635.

782 CSM: 24 juin 1970, Ng Yelim c/ Chinese Chamber of Commerce, MR, 1970, pp. 125 à 131, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt. «The parties to these appeals have been heard on a point raised proprio motu by this court concerning the effect of section 82(2) of the Constitution of Mauritius on section 3(3) of the Landlord and tenant (control) Ordinance 1960...», ibid.

*

Schématiquement, le système mixte de contrôle de constitutionnalité applicable à Maurice peut être présenté ainsi. Si le système se définit de façon organique, par le fait que c?est le juge ordinaire qui intervient, il devrait être rattaché au contrôle diffus américain. En revanche, si on privilégie le critère fonctionnel, l?existence d?un véritable contentieux constitutionnel, il est indéniable qu?il existe à Maurice une bonne dose de concentration.

Enfin, un constat s?impose: le système mixte représente indéniablement l?apogée du constitutionnalisme. La participation du citoyen au contrôle de la Loi permet d?affermir la justice783. Le système mauricien mérite d?être davantage mis en oeuvre et exploité par les justiciables. Les auxiliaires de justice mauriciens doivent accroître leur connaissance en contentieux constitutionnel. Naturellement, l?efficacité du contrôle dépend aussi largement des moyens que s?offre le juge, en l?occurrence, le juge londonien.

SECTION 2. LES MOYENS DU CONTRÔLE

Le Comité Judiciaire, en tant que juge constitutionnel, a repris à son compte les moyens communs aux juridictions ayant pour oeuvre de confronter une norme à la Constitution. Il existe des moyens de contrôle faisant partie d?un fonds commun à toute juridiction constitutionnelle et le Comité Judiciaire, tribunal de la famille de Common Law, les a utilisés selon une manière propre et spécifique aux Constitutions du Commonwealth. Devant l?apparente simplicité de cette présentation se dissimule en réalité le pouvoir même de la Haute Instance. Les moyens de contrôle utilisés dépassent le cadre du contrôle des normes pour démontrer l?étendue de l?office du Tribunal de la Downing Street.

Parmi les différents moyens que le Comité Judiciaire emploie, l?un d?entre eux, par son importance et sa portée dans l?ensemble des pays du Commonwealth, mérite de retenir en premier notre attention: le mode d?interprétation des textes fondamentaux (sous-section 1). Il convient ensuite d?analyser les différentes techniques mises en oeuvre pour assurer le contrôle de constitutionnalité et les différents types de contrôle assurés, c'est-à-dire, les différents types de décisions prononcées (sous-section 2).

783 Sur le sujet v. ROUSSILLON H. et PATRZALEK A. (dir): «Le citoyen et le contrôle de la constitutionnalité des Lois en Pologne et en France», Faculté de droit de Toulouse, Presses de l?Institut d?Etudes Politiques de Toulouse, 1994, 204 p.

Sous-section 1. L'interprétation des textes fondamentaux

Avant d?être appliqué, tout texte mérite une interprétation par le juge. En réalité, il n?y a pas en droit de texte si clair qui puisse échapper à l?interprétation784. L?adage selon lequel l?interprétation s?arrête devant un texte clair (interpretatio cessat in claris), si éloquent soit-il, ne résiste pas à l?analyse. Il doit être rejeté.

La règle de droit est édictée en vue de s?appliquer à des situations concrètes. Dans la mesure où les rédacteurs de la norme ne peuvent prévoir les hypothèses qui seront soumises à son empire, ils procèdent par voie de dispositions générales. Mais l?édiction des normes générales confère une fonction supplémentaire au juge chargé d?appliquer la règle de droit. En vertu de la généralité des termes, il lui appartient de dissiper les ambiguïtés que la norme contienne afin de donner au texte toute sa signification véritable. Interpréter, c?est déterminer le sens et la portée d?un texte785. L?interprétation peut se faire de manière objective. Elle est alors un acte de connaissance. Elle peut se faire de manière subjective. Elle est dans ce cas un acte de volonté786.

Sur la base de cette observation, l?examen des méthodes d?interprétation suivies par le Conseil Privé est nécessaire (paragraphe 2). Cependant pour affiner l?analyse, il est d?une importance primordiale de s?arrêter sur les méthodes d?interprétation du juge anglais en général (paragraphe 2) car le Comité Judiciaire, malgré son autonomie, n?en a pas moins été influencé par l?évolution opérée par les Lords judiciaires agissant en tant que juges de la Chambre des Lords tout en se démarquant, au besoin, de ces derniers.

784 TROPER Michel: «Justice constitutionnelle et démocratie», RFDC, 1990, pp. 31 à 49, v. p. 35.

785 PERELMAN Charles: «L?interprétation juridique», ADP, 1972, pp. 29 à 37.

786 TROPER Michel: «La liberté d?interprétation par le juge constitutionnel», pp. 235 à 245 in AMSELEK Paul (dir): «Interprétation et droit», Bruxelles, Emile Brylant, 1995, 245 p.

Paragraphe 1. Les méthodes et attitudes du juge anglais en général

Deux périodes sont à distinguer dans l?attitude du juge britannique en matière d?interprétation. Il a pendant assez longtemps plus ou moins été statique et formaliste (A). Cette attitude est révolue et ne conserve principalement qu?un intérêt historique. A partir des années soixante, le juge adopte une démarche progressiste et dynamique (B).

A. L'attitude statique

L?approche statique implique que le juge interprète littéralement la règle de droit (a) et qu?il se tient rigoureusement aux décisions précédemment prononcées par lui (b).

a. L'interprétation littérale et stricte

Certes le juge anglais a créé (ou, selon la fiction, a déclaré)787 la Common Law de manière inductive et était par excellence le juge le plus créateur de normes. Par contre, au début du vingtième siècle, avec l?avènement de la démocratie et du suffrage universel, le juge anglais se voulait être complètement apolitique. Les Lords judiciaires faisaient valoir que la fonction du juge était mécanique dans l?application du droit788. Ils appliquaient le droit de manière désintéressée789 depuis que la doctrine de la souveraineté de la Loi, prônée par Albert Venn Dicey, ait triomphé en Angleterre. Le juge anglais voulait donner l?impression que lui-même ait cru en cette fiction. Le juge se soumettait à la Loi, qu?il interprétait de manière stricte et littérale790 et exégétique791. Il était

787 «Those with a taste for fairy tales seem to have thought that in some Aladdin?s cave there is hidden the Common Law in all its splendour and that on a judge?s appointment there descends on him knowledge of the magic words open sesame», REID, Lord, cité note 517, v. p. 22.

788 STEVENS Robert, cité note 452, v. p. 196. Selon l?auteur: «(The Law Lords) exhibited an increasing tendency to articulate a declaratory theory of law and to insist that the judicial function, even in the final appeal court, was primarily the formalistic or mechanical one of restating existing doctrines», ibid.

789 JAFFE Louis L.: «English and American judges as lawmakers», Oxford, Clarendon Press, 1969, 116 p., v. p. 1.

790 CL: 12 décembre 1946, Wicks c/ Director of Public Prosecutions, AC, 1947, pp. 362 à 368, Vicomte Simon rédacteur de l'arrêt principal. Le juge souligne que: «... the intention of Parliament is not to be judged by what is in its mind, but by what its expression of the Statute itself».

791 Il y a en droit anglais trois grandes règles (major rules) d?interprétation d?une norme écrite: la règle littérale (literal rule), la règle d?or ou souple (golden rule), permettant au juge de déroger à l?approche littérale dans le cas où celle-ci provoquerait un résultat ou une solution absurde, et la règle de la finalité (mischief rule) autorisant au juge de faire une lecture de la règle de droit selon son objet. V. sur le sujet CROSS Rupert, Sir, BELL John et ENGLE George, Sir, QC: «Statutory Interpretation», Londres, Butterworths, 1995, 211 p., v. chapitre 3.

De ces trois règles précitées, la première a primé et a été plus couramment utilisée. Le juge était attaché au mythe de la Loi (basic legal myth).

respectueux de la lettre de la Loi792 et la transcrivait fidèlement. Il ne voulait pas s?arroger du pouvoir parlementaire de définir les politiques publiques et s?immiscer dans les domaines de l?exécutif793.

Il s?ensuivait que le juge ne recherchait pas réellement l?intention du législateur794. Il ne pouvait pas, contrairement à son homologue français, se référer aux travaux préparatoires et avait, de ce fait, de grandes difficultés à interpréter certains textes de loi795. Enfin, la Common Law d?origine jurisprudentielle était devenue plus ou moins statique et était sclérosée en ce sens que les juges s?interdisaient de développer le droit.

b. La règle de stare decisis

La règle du précédent constitue un des fondements majeurs de la Common Law796. Selon la théorie classique, la Common Law existe depuis un temps immémorial et est inchangée et immuable sauf par la Loi. Etant un droit unificateur et unique, elle doit être stable et prévisible (certain). Elle tire sa légitimité de la sécurité juridique et de la rationalité qu?elle offre. Le juge suprême britannique a posé le principe selon lequel il ne doit pas s?éloigner de ce qu?ont décidé ses prédécesseurs sur l?interprétation d?une norme écrite ou de leur déclaration de la Common Law. Le juge est tenu par la cohérence du droit.

Selon la hiérarchie des tribunaux, les cours inférieures à la Chambre des Lords, notamment la Haute Cour de Justice et la Cour d?Appel, doivent obligatoirement statuer dans le sens indiqué par le Palais de Westminster. Celui-ci était, en vertu de ce qui vient d?être dit, lié par sa propre jurisprudence797. Le système du précédent attribue une force contraignante à la

792 «Nor was there anything in the British Constitution which compelled the Victorian Law Lords and their successors to limit their powers by adopting literal rules for the interpretation of Acts of Parliament. Yet, they decided that to avoid making laws, they were compelled to give effect to the plain and unambiguous language of a Statute... no matter how absurd might be the result of the literal interpretation», LESTER Anthony, QC: «English judges as lawmaker», PL, 1993, pp. 269 à 290, v. p. 272.

793 CL: 3 novembre 1941, Liversidge c/ Sir John Anderson, AC, 1942, pp. 206 à 283, Vicomte Maugham rédacteur de l'arrêt principal.

V. également DIPLOCK Kenneth, Sir, The Right Honourable: «The court as legislators», pp. 265 à 287 in HARVEY Brian W. (dir): «The lawyer and justice», Londres, Sweet and Maxwell, 1978, 304 p.

794 CL: 9 mars 1978, Davis c/ Johnson, AC, 1979, pp. 264 à 350, Lord Denning rédacteur de l'arrêt principal.

795 Une Loi sur le vol de 1968 a été qualifiée de «cauchemar judiciaire» (judicial nightmare) par un juge de la Cour d?Appel anglaise. V. CA: 9 novembre 1971, Regina c/ Royle, All ER, 1971, vol. 3, pp. 1359 à 1366, Lord-Juge Edmund Davies rédacteur de l'arrêt, v. p. 1363.

796 GOLSTEIN Laurence (dir): «Precedent in law», Oxford, Clarendon Press, 1987, 279 p., CROSS Rupert, Sir: «Precedent in English law», Oxford, Clarendon Press, 1977, 242 p. et JOLOWICZ J. A.: «La jurisprudence en droit anglais, aperçu sur la règle du précédent», ADP, 1985, tome XXX, pp. 105 à 115.

797 Selon Lord Campell: «A decision of this high court in point of law is conclusive upon inferior
tribunals. I consider it the constitutional mode in which the law is declared, and that, after

jurisprudence de principe et aux motifs déterminants (ratio decidendi)798 qui ont conduit à la solution juridique de l?arrêt. Mais, le cas d?espèce d?une affaire est souvent différent d?un autre et comme la règle de droit énoncée par le juge est en général formulée en des termes concrets et est relative au fait de la première affaire, ce système s?adaptait mal à l?élaboration et à la classification de grands principes pour la conduite de la vie en société. Devant cette difficulté, le juge a développé une pratique de distinction des cas lorsque l?application d?une jurisprudence à une affaire donnée causerait une absurdité. La distinction devait être fondée799 et être en parfait accord avec la règle posée800.

Le juge suprême britannique répugnait le revirement de jurisprudence (overruling a precedent) considéré comme étant contraire au principe fondamental de non-rétroactivité des normes juridiques801. Un revirement produit son effet immédiatement, aux faits régis par l?ancienne jurisprudence. Aussi, l?idée de création d?un nouveau droit par les juges est en conflit avec les valeurs mêmes de la Common Law: la certitude, la prévisibilité du droit et le principe de non-rétroactivité de la Loi802.

Les difficultés de fonctionnement de ce système avaient nécessité son abandon.

such a judgment has been pronounced, it can only be altered by an Act of Parliament», CL: 25 avril 1898, The London Street Tramways Company Ltd c/ The London Councty Council, AC, 1898, pp. 375 à 381, le Lord-Chancelier Comte de Halsburry rédacteur de l'arrêt.

798 Dans un arrêt, les motifs déterminants (ratio decidendi) se distinguent de l?opinion simplement incidente du juge non nécessairement au raisonnement stricte (obiter dictum).

799 JAUFFRET-SPINOSI Camille: «Comment juge le juge anglais ?», DR, 1989, n° 9, pp. 57 à 67, v. p. 64.

800 «Le droit jurisprudentiel est casuistique, souvent approprié à un seul litige, discontinu et dans une large mesure il est lié au sort d?espèces concrètes déterminées», CAPPELLETTI Mauro, cité note 737, v. p. 77.

801 DEVLIN Patrick: «The Judge», Oxford University Press, 1979, 207 p., v. p. 11.

802 En réalité, il arrive que les juges anglais créent de nouveaux délits. V. infra.

B. L'attitude dynamique et évolutive

Le rôle et l?attitude du juge britannique, comme ses homologues des pays continentaux, changent radicalement après la deuxième guerre mondiale (a). Le juge devient un activiste (b) dans la mise en oeuvre des grandes politiques.

a. Le rôle nouveau du juge

Après la deuxième guerre mondiale ce fut en réalité le rôle de l?Etat qui changea dans les sociétés modernes. La deuxième guerre mondiale avait bouleversé les données traditionnelles des sociétés d?Europe. Le poids des conflits et des opérations militaires avait affaibli l?Europe sur le plan physique, démographique, économique et sociale803. L?Etat avait dû accentuer considérablement son intervention804 dans les sphères de droit privé et de l?économie. Le secteur public s?étendait et l?Etat assumait de larges responsabilités, notamment en matière sociale. L?Etat avait pour objet de créer une société nouvelle. Il mit en oeuvre une politique promotionnelle et, par là même, élaborait des droits sociaux. A la différence des droits traditionnels pour lesquels il suffit que l?Etat sanctionne leur violation, les droits sociaux exigent une action active, souvent prolongée dans le temps par tous les appareils de l?Etat. Les législations sociales posent des principes généraux et il appartient aux juges, comme d?autres autorités publiques, de sanctionner ces droit afin de les rendre applicables directement (self-executing).

L?attitude formaliste des juges était inadaptée au développement de l?Etat-Providence. L?activité des juges devait prendre un aspect nouveau dans sa manière d?interpréter les Lois, en vue de donner un contenu concret à la législation et aux droits sociaux. Des écoles contre le formalisme judiciaire se faisaient vivement entendre aux Etats-Unis d?Amérique805 et en Angleterre806. Certains Lords judiciaires s?étaient insurgés contre l?idée selon laquelle les précédents pourraient dicter une solution toute faite au juge surtout quand ils étaient divers et imprécis.

Un aspect particulier de l?évolution opérée chez les Lords judiciaires mérite d?être mis en lumière. A partir des années cinquante, les Lords étaient

803 SUR Serge: «Relations internationales», Monchrestien, 1995, 587 p., v. p. 75.

804 L?Etat-Providence (welfare state) avait pris le relais à l?Etat-Gendarme. Le gouvernement travailliste britannique s?était embarqué sur un programme gigantesque de développement.

805 MICHAULT Françoise: «Le rôle créateur du juge selon l?Ecole de la sociological jurisprudence? et le mouvement réaliste américain. Le juge et la règle de droit», RIDC, 1987, pp. 343 à 371.

806 V. en général sur le sujet EDMUND-DAVIES, Lord: «Judicial activism», CLP, 1975, pp. 1 à 14.

convaincus qu?ils avaient aussi pour mission de combler les vides juridiques car, exécutant un service public, le juge est nécessairement au service de l?homme807. Davantage encore, les Lords avaient décidé d?assouplir la règle du précédent obligatoire afin de permettre à la Chambre des Lords d?effectuer, dans certains cas, des revirements de jurisprudence808.

On assiste depuis à une nouvelle définition du rôle et de la fonction du juge. Il doit désormais être dynamique et il pèse sur lui une responsabilité politique lorsqu?il rend une décision. En tranchant un litige, le juge doit avoir à l?esprit les suites pratiques et implications morales et politiques de son choix809. C?est ainsi que le juge britannique accepte depuis 1993 de recourir comme ses homologues français et mauricien810 aux travaux préparatoires afin de découvrir la pensée du législateur811.

b. L'activisme du juge

Avec le développement de l?Etat-Providence, les transformations sociales et économiques se produisent à un rythme précipité et les pouvoirs législatif et exécutif accusent un retard dans la réglementation de nouvelles activités. En de telles circonstances, les possibilités de mise en oeuvre d?un dynamisme judiciaire sont très grandes812.

Les juges privilégient le mode d?interprétation téléologique des Lois et des principes fondamentaux afin d?appliquer leur politiques jurisprudentielles. D?une manière active, les juges britanniques formulent et précisent des règles, surtout en matière administrative et sur la bonne conduite des agents publics. La Chambre des Lords, à la manière du Conseil d?Etat français, a élaboré après

807 «The judges in modern society are not potentates: they are rather servants, servants of the people in the highest and most honourable sense of that term», MCLACHLIN Beverly: «The role of judges in modern Commonwealth society», LQR, 1994, pp. 260 à 269, v. p. 262.

808 CL: 26 juillet 1966, Practice statement (Judicial Precedent), WLR, 1966, vol. 1, p. 1234, le Lord-Chancelier Gardiner auteur de la déclaration. Il fait ressortir que: «Their Lordships nevertheless recognise that too rigid adherence to precedent may lead to injustice in a particular case and also unduly restrict the proper development of the law», ibid.

809 «... the new race of judges are not mere technicians but are men of the world as well. We can - indeed we must- trust them to acquaint themselves with public policy and apply it in a reasonable way to such new problems as will arise from time to time», REID, Lord, cité note 517, v. p. 27.

810 Le Comité Judiciaire, statuant en contentieux mauricien, utilise les travaux préparatoires. CJCP: 19 mai 1988, S. Buxoo c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt.

811 SLAPPER Gary: «Statutory interpretation, a new departure», BLR, 1993, pp. 56 à 58.

812 «... if the judges had not used their law-making power to develop greater judicial protection of public powers, we can be certain that no government would have sought to persuade Parliament to do so», LESTER Anthony, QC, cité note 792, v. p. 279.

la deuxième guerre mondiale un droit administratif autonome813. En l?absence de textes précis, le juge britannique est appelé à porter sur la question du litige un jugement de valeur qui implique une vision de la société de demain et à soumettre le pouvoir public et politique à une éthique de bonne conduite814. Le contrôle de l?Administration est renforcé et les cas d?ouverture d?un recours en annulation d?un acte administratif se sont considérablement multipliés815 et sont en Angleterre souples et flexibles816. Un acte administratif peut être annulé non seulement pour violation de la Loi et incompétence comme autrefois, mais également pour détournement de pouvoir et vice de procédure817. Une grande partie du droit administratif est de création prétorienne818 et le juge britannique a repris son activité créatrice819.

Cette esquisse de la nouvelle place et fonction du juge, en particulier les Lords, dans la société britannique nous permettra de porter un jugement plus précis sur l?attitude des membres du Conseil Privé en ce qui concerne l?interprétation des normes fondamentales.

813 DISTEL Michel: «Aspects de l?évolution du contrôle juridictionnel de l?Administration en Grande-Bretagne», RIDC, 1982, pp. 41 à 100.

814 BELL John: «Le juge administratif anglais, est-il un juge politique ?», RIDC, 1986, pp. 791 à 809.

815 Le droit britannique du contentieux administratif est sensiblement similaire de celui pratiqué en France.

816 «There is a definite judicial desire that grounds for intervention be sufficiently flexible to accommodate the particular circumstances of any individual case», FORDHAM Micheal: «Judicial review handbook», Londres, Wiley Chancery Law Publishing, 1994, 701 p., v. p. 270.

817 V. infra.

818 WOOLF Harry, Sir, The Right Honourable: «Protection of the public: a new challenge», Londres, Stevens and Sons,The Hamlyn Lectures, 1990, 132 p., SCHWARTZ Bernard: «Lions over the throne. The judicial revolution in the English administrative law», New-York, New-York University Press, 1987, 223 p. et GRIFFITH J. A. G.: «Judicial decision-making in public law», PL, 1985, pp. 564 à 582.

819 «Over the last 40 years, the courts have developed general principles of judicial review», CL: 3 décembre 1992, Regina c/ Lord President of the Privy Council, ex parte Page, AC, 1993, pp. 682 à 712, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 701.

Paragraphe 2. Les méthodes et attitudes propres du Comité Judiciaire

Que le Comité Judiciaire présente dans son fonctionnement des différences de celui de la Chambre des Lords n?est guère discutable. A la Downing Street, la règle du précédent n?a jamais été obligatoire bien que dans la pratique cette règle soit depuis fort longtemps suivie avec rigueur. Le Comité Judiciaire s?est toujours réservé le droit de déroger à sa propre jurisprudence820. Cette attitude d?avant-garde lui a permis d?élaborer une jurisprudence plus souple que celle du Palais de Westminster et de poser de nouveaux principes821. En revanche, on regrettera que sa jurisprudence ait été assez fluctuante sur certains principes (A). Toutefois, prolongeant dans les années soixante-dix le rôle dynamique de la Chambre des Lords, le juge du Whitehall a développé une nouvelle politique jurisprudentielle tendant à assurer aux particuliers une protection toujours plus large et plus forte de leurs droits fondamentaux à l?instar des cours constitutionnelles d?Europe occidentale. Pour ce faire, il a, à travers une interprétation téléologique, vitalisé la Constitution (B).

A. Oscillation de la jurisprudence

La jurisprudence du Comité Judiciaire a été au demeurant dans bien des cas imprévisible et sans suite logique. Vu la multiplication des opinions dissidentes dès lors que le litige portait principalement sur l?interprétation d?une Norme Fondamentale, il ne fait de doute que la Haute Juridiction, comme la Chambre des Lords, a connu une opposition virulente entre, d?une part, les juges favorables à une interprétation ordinaire des droits fondamentaux (a) et, d?autre part, les juges en faveur d?une interprétation spécifique ou large (b).

820 CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, cité note 634. Lord Diplock écrit que: «The Judicial Committee of the Privy Council is not strictly bound to follow the ratio decidendi of its previous decisions. It has always claimed the power to overrule its previous decisions even where they are fully reasoned although in the interest of certainty of law this is a power that it will exercise only in exceptional circumstances», ibid., p. 123.

821 «... the Judicial Committee of the Privy Council, which had always been free to depart from its prior decision and therefore has been better able than the House (of Lords) to develop its jurisprudence», HILLER Jack A.: «The law-creative role of appellate courts in the Commonwealth», ICLQ, 1978, pp. 85 à 126, v. p. 107. Cette affirmation de Monsieur Jack Hiller est à distinguer de celle de Lord Reid, citée note 650.

a. L'interprétation ordinaire

Le Comité Judiciaire, influencé par la Chambre des Lords, a pendant longtemps privilégié le mode d?interprétation stricte et littérale822 des lois ordinaires et fondamentales en raison de son éloignement géographique avec les pays concernés. Leurs Seigneuries laissaient entendre qu?ils manquaient de connaissance des affaires locales suffisante pour pouvoir faire évoluer le droit dans le cadre d?une politique jurisprudentielle appropriée. Ils accordaient aux juges locaux le pouvoir d?apprécier souverainement, non seulement les faits de l?espèce823 mais aussi le contexte juridique824 ou les conséquences de telle ou telle interprétation possible d?une Loi825. Dans ces conditions, le mode d?interprétation stricte et formaliste était le mieux adapté à l?oeuvre du Comité Judiciaire.

A ce titre, la modération judiciaire (judicial restraint) était souvent de mise dans les affaires impliquant la protection d?une ou des libertés publiques. La jurisprudence de la Haute Juridiction n?offrait pas d?originalité. Elle ne faisait appel qu?à des techniques contentieuses traditionnelles. La doctrine avait émis d?acerbes critiques contre certaines décisions et parla de «l?austérité d?un légalisme systématique» (the austerity of tabulated legalism)826 et «d?une conception naïve de la justice constitutionnelle» (unsophisticated philosophy of constitutional adjudication). Un exemple de modération du juge provient de l?arrêt Runyowa c/ La Reine. Le Comité Judiciaire y déclina de sanctionner la peine de mort alors que la Loi Fondamentale interdit tout traitement inhumain et la torture827. Dans les cas où la peine capitale était prévue par la Constitution, le Comité Judiciaire considérait que le mode d?exécution de la

822 Certains juges sont très attachés à cette méthode. V. par exemple, CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. l?opinion dissidente de Vicomte Dilhorne et de Lord Fraser. Ils disent que: «A written Constitution must be construed like any other written document. It must be construed to give effect to the intentions of those who made and agreed to it and those intentions are expressed in or to be deduced from the terms of the Constitution itself... It must not be construed as if it was partly written and partly not», ibid., p. 396.

823 CJCP: 2 octobre 1990, Abdool Cader Abdool Gaffoor c/ The Queen, cité note 415.

824 CJCP: 30 avril 1985, Hubert Bell c/ Director of Public Prosecutions, cité note 756. Le juge précise que «... their Lordships accept the submission of the respondents that in general courts of Jamaica are best equipped to decide whether in any particular case delay from whatever cause contravenes the fundamental rights by the Constitution of Jamaica», ibid., p. 82.

825 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/ Espérance Company Limited, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt majoritaire. V. l?opinion dissidente de Lord Bridge of Harwich qui affirme que: «... it seems entirely right to attribute to that court (of Mauritius) a greater familiarity than this Board can claim with the somewhat imprecise style of draftmanship which appears to characterise legislation in Mauritius».

826 EWIG K. D.: «A Bill of Rights: lessons from the Privy Council», pp. 231 à 249 in FINNIE W., HIMSWORTH C. et WALKER N. (dir): «Edinburgh essays in public law», Edinburgh University Press, 1991, 380 p., v. p. 236-7, ZELLICK Graham: «Fundamental rights in the Privy Council», PL, 1982, pp. 344 à 346 et BARKER Kent: «Final appeal to a remnant Empire», The Independant, 31 mai 1991, p. 15.

827 CJCP: 19 janvier 1966, Simon Runyowa c/ The Queen, AC, 1967, vol. 1, pp. 26 à 49, affaire de la Rodhésie, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.

sentence, la pendaison, n?était non plus une peine dégradante ou inhumaine828. De même dans une affaire mauricienne, le juge avait privilégié l?interprétation grammaticale d?une Loi malgré les effets complexes que sa décision pourrait comporter829 et dans une affaire de la Jamaïque, le juge avait privilégié le sens grammatical de la Loi même si une telle lecture était susceptible de créer des absurdités juridiques830.

b. L'interprétation spécifique au droit constitutionnel

La méthode précédente n?était pas convenable. Les Lords du Conseil Privé opérèrent à la fin des années soixante-dix un tournant interprétatif qui bouleversa l?évolution du droit constitutionnel. En réalité, ils firent un retour au procédé inauguré par le Lord-Chancelier Vicomte Sankey qui avait consacré la spécificité et l?autonomie de l?interprétation constitutionnelle par rapport aux autres branches du droit. Vicomte Sankey faisait appel aux méthodes de l?interprétation logique et systémique pour interpréter la Constitution canadienne. Dans un arrêt de 1929, dont le paragraphe de la motivation principale mérite d?être reproduit, il déclara que la Loi sur l?Amérique du Nord Britannique (la Constitution du Canada), a «planté au Canada un arbre vivant susceptible de croître et de se développer dans ses limites naturelles. L?objet de cette loi était de donner au Canada une Constitution... Leurs Seigneuries n?estiment pas qu?il soit de leur devoir -ce n?est en tout cas certainement pas leur désir- de restreindre l?effet des dispositions de cette loi par une lecture étroite et technique de ses termes mais il leur appartient bien plutôt de lui donner une interprétation large et libérale»831. La conception du Vicomte Sankey se justifiait par le fait que la Constitution était destinée à régir la société durant une longue période. N?étant pas facilement modifiable, elle devait pouvoir s?adapter aux situations nouvelles832. La métaphore de l?arbre vivant833

828 V. infra.

829 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/ Espérance Company Ltd., cité note 825.

830 CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, cité note 634. Lord Salmon, auteur d?une opinion dissidente, a estimé que: «The function of a court is to give effect to the intention of the legislative as expressed in the language of the Statute under consideration. If the language is capable of bearing only one meaning then that is the meaning which the courts are bound to apply even if to do so leads to injustice», ibid., p. 125.

831 «(The British North America Act) planted in Canada a living tree capable of growth and expansion within its natural limits. The object of the Act was to grant a Constitution to Canada... Their Lordships do not conceive it to be the duty of this Board -it is certainly not their desire- to cut down the provisions of the Act by a narrow and technical construction, but rather to give it a large and liberal interpretation», CJCP: 18 octobre 1929, Henrietta Muir Edwards c/ Attorney-General for Canada, AC, 1930, pp. 124 à 143, affaire de Canada, le Lord- Chancelier Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt.

832 BRUN Henri et TREMBLAY Guy: «Droit constitutionnel», Québec, Editions Yvon Blais, 1990, 2e édition, 1232 p., v. p. 206 et s.

833 WILSON Bertha: «The making of a Constitution: approaches to judicial interpretation», PL, 1988, pp. 370 à 384, v. p. 378.

et des juges agissant comme des jardiniers fut appliquée avant d?être abandonnée dans quelques affaires portant sur la répartition des pouvoirs entre l?Etat fédéral et les Etats fédérés834.

Le rejet de la spécificité de l?interprétation constitutionnelle dura jusqu?en 1975 lorsque Lord Diplock redéfinit dans le célèbre arrêt Moses c/ La Reine835 la discipline du droit constitutionnel des pays du Commonwealth836. Il pose définitivement les règles de la lecture des normes constitutionnelles afin d?éviter la multiplication des opinions dissidentes en la matière.

Reprenant l?analyse de Monsieur le Professeur Michel Troper837, il est possible de soutenir que Lord Diplock a injecté dans les nouvelles décisions du Conseil Privé un double syllogisme, un syllogisme secondaire concernant le type d?interprétation à donner au texte fondamental et un syllogisme primaire relatif au cas de l?espèce. En effet, ce qui est nouvellement en cause, c?est le sens des termes de la majeure, autrement dit, l?interprétation de la règle constitutionnelle qu?il s?agit d?appliquer. C?est cette interprétation que le juge justifie. L?analyse du texte constitutionnel trouve son fondement dans une proposition plus générale que lui. Le syllogisme secondaire a pour règle majeure une règle d?interprétation.

L?appel au procédé de la dualité des syllogismes a lieu lorsque le juge cherche à mettre en oeuvre une politique constitutionnelle définie au préalable838. Le type d?interprétation choisi est dans ce cas fonction des finalités que le juge attribue à la Constitution. S?agissant du Conseil Privé, sa nouvelle méthode d?interprétation est guidée par l?objectif de maintenir un équilibre de type Westminster entre les pouvoirs publics et de protéger les droits de l?homme. L?objet et le but de la Constitution occupent une place primordiale dans le système jurisprudentiel du juge londonien. Ainsi, les Lords judiciaires commencent par choisir une interprétation qui pourra corroborer avec le sens

834 CJCP: 6 juin 1935, British Coal Corporation c/ The King, cité note 160.

835 CJCP: 5 novembre 1975, Moses c/ The Queen, cité note 233.

836 Le retour à l?interprétation téléologique était nécessaire d?autant que certains tribunaux des pays qui avaient aboli le droit de recours au Conseil Privé élaboraient une jurisprudence plus libérale sur certains points. V. OKPALUBA Chucks: «Judicial approach to constitutional interpretation», Matt Madek and Company, 1992, 570 p.

837 TROPER Michel: «Le problème de l?interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle», pp. 133 à 151 in RECUEIL D?ETUDES EN L?HOMMAGE DE CHARLES EISENMANN, Editions Cujas, 1975, 467 p., v. p. 147.

838 Cette méthode de Lord Diplock a été dénoncée par deux membres du Conseil Privé, Vicomte Dilhorne et Lord Fraser of Tullybelton, in CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 396.

attribué au texte839. L?interprétation n?est pas simplement un acte de connaissance mais surtout de volonté. L?interprète crée le sens qu?il substitue au texte840.

Lord Diplock part de l?idée suivante: les nouvelles Constitutions du Commonwealth, dont celle de l?île Maurice, sont des textes juridiques de nature complètement différente de celle d?une Loi ordinaire. La Constitution est un document de compromis entre les représentants des principaux groupes politiques. Elle n?a pas été élaborée par une Assemblée constituante. Elle n?a constitutionnalisé que de manière évolutive et non révolutionnaire les institutions publiques841. Le caractère évolutif impose nécessairement au juge l?obligation de poursuivre la politique convenue par les représentants lors de l?écriture de la Constitution. Le juge doit faire appel à la logique interne du texte, à sa cohérence globale et à ses finalités842, en somme, à l?esprit de la Constitution.

Les jurisprudences successives du Comité Judiciaire sont très illustratives de cette approche. Dans l?arrêt Ministère de l?Intérieur c/ Fisher843, Lord Wilberforce met l?accent sur la similarité des Constitutions du Commonwealth, notamment leurs catalogues de droits fondamentaux, avec de grands textes internationaux telles la Convention Européenne des Droits de l?Homme et la Déclaration Universelle des Droits de l?Homme844. Autrement dit, les Constitutions sont rédigées en de termes généraux comme des manifestes politiques845. Il s?ensuit que les Constitutions doivent être interprétées dans un

839 «Ainsi, la motivation cherche à faire illusion, à faire croire que la décision est rigoureusement déduite de normes juridiques supérieures», TROPER Michel: «La motivation des décisions constitutionnelles», pp. 287 à 302 in PERELMAN C. et FOIRIERS P.: «La motivation des décisions de justice», Bruxelles, Etablissement E. Bruyant, 1978, 428 p., v. p. 295.

840 AGUILA Yann: «Le Conseil Constitutionnel et la philosophie du droit», LGDJ, Travaux et Recherches Panthéon-Assas,1993, 123 p., v. p. 57.

841 «They (the Constitutions) embody what is in substance an agreement reached between representatives of various shades of political opinion in the state as to the structure of the organs of government... The new Constitutions... were evolutionary, not revolutionary», in CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 372.

842 «To seek to apply to constitutional instruments the canons of construction applicable to ordinary legislation in the fields of substantive criminal or civil law would, in their Lordships? view, be misleading», ibid.

843 CJCP: 14 février 1979, Minister of Home Affairs c/ Collins Mac Donnald Fisher, cité note 30.

844 «It is known that this chapter, as similar portions of other constitutional instruments drafted in the post-colonial period... was greatly influenced by the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms. That Convention was signed and ratified by the United Kingdom and applied to dependent territories... It was in turn influenced by the United Nations Universal Declaration of Human Rights of 1948», ibid., p. 328-9.

845 «They are statement of principles of great breath and generality expressed in the kind of language more commonly associated with political manifestos», CJCP: 27 novembre 1979, Torence Thornhill c/ Attorney-General, WLR, 1980, vol. 2, pp. 510 à 520, affaire de Trinité et Tobago, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt, v. p. 516.

sens approprié à leur nature, c'est-à-dire, de manière généreuse et libérale846. Ce principe a été appliqué par les Sages du Whitehall avec la même constance à tous les pays entrant dans le champ de leur compétence, dont l?île Maurice847. De même cette jurisprudence fait l?objet d?une attention particulière par la Cour Suprême locale qui dans certains arrêts prolonge avec hardiesse la logique de l?activisme judiciaire848.

Le tournant interprétatif opéré par le Comité Judiciaire représente une avancée significative dans la dynamisation de la Loi Fondamentale. A ce titre, elle peut résolument être vitalisée.

B. La vitalisation de la Constitution

Puisque le Comité Judiciaire a pour fonction de redécouvrir et dynamiser la Constitution, il tend à actualiser la Loi Fondamentale, notamment le catalogue des droits fondamentaux. Son travail d?interprétation prend désormais le caractère d?une activité créatrice (a) et d?impulsion (b).

846 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Mamoudou Jobe, cité note 743. Lord Diplock soutient que: «A Constitution, and in particular that part of it which protects and entrenches fundamental rights and freedoms to which all person in the state are entitled, is to be given a generous and purposive construction», ibid., p. 183.

847 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ The Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 801 à 850, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt de l?arrêt, v. p. 841.

848 CSM: 27 octobre 1995, Marie Gérard Christian Pointu c/ The Minister of Education and Science, Le Mauricien, 28 octobre 1995, pp. 6 à 7, les juges Paul Lam Shang Leen, Vinod Boolell et Eddy Balancy rédacteurs de l'arrêt.

a. La création des droits non écrits ou l'extension du bloc de constitutionnalité

Les conseillers privés ont une conception vivante du droit constitutionnel et ont développé une fonction de suppléance du Comité Judiciaire au constituant. Ils comblent certains vides juridiques au bloc de constitutionnalité car la liste des droits fondamentaux ne doit pas être limitée. Lord Diplock considère que les Constitutions du Commonwealth, du fait qu?elles sont des textes de compromis politiques, comportent nécessairement des notions vagues et indéterminées et des lacunes dans leurs énoncés849. Certains principes fondamentaux n?ont pas été mentionnés dans les Constitutions. Des normes de rang constitutionnel existent en dehors de la Loi constitutionnelle. Le Comité Judiciaire attribue valeur constitutionnelle à certaines pratiques ou certaines lois antérieures à l?entrée en vigueur des Lois constitutionnelles des pays du Commonwealth. Cette méthode d?élévation des normes à la dignité constitutionnelle s?apparente à la technique française de création des principes à valeur constitutionnelle. Ceux-ci ne sont pas prévus par la Constitution. Dans certains cas, le juge prolonge une norme constitutionnelle et dans d?autres, il crée ex nihilo des principes. Par exemple, le juge londonien considère que le droit accordé à toute personne gardée à vue de pouvoir communiquer et d?être assisté d?un conseiller juridique impose aux services de police judiciaire un devoir d?information à l?égard du gardé à vue850. De même, il dégage avec force de l?article 10 de la Constitution de Maurice sur l?impartialité et l?indépendance des tribunaux le principe selon lequel il appartient exclusivement aux juges devant lesquels une affaire a été débattue d?en délibérer851. Aussi, le Conseil Privé considère que le principe de la séparation des pouvoirs est inhérent au modèle Westminster de Constitution. Ce principe n?est rattaché à aucun texte mais le juge londonien l?engendre852. Ici, le lien avec un texte constitutionnel n?apparaît pas mais le juge proclame le principe.

L?interprétation du texte de la Constitution a lieu dans une perspective normative853. Le droit constitutionnel perd sa signification sans la réinterprétation continuelle de son contenu normatif. L?attitude des Lords

849 «Because of this a great deal can be, and in drafting practice often is, left to necessary implication from the adoption in the new Constitutions of a governmental structure which makes provision for a legislature, an executive and legislature... As respects the judicature, particularly if it is intended that the previously existing courts shall continue to function, the Constitution may even omit any express provision concerning judicial power upon the judicature», CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 372.

850 CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, WLR, 1991, vol. 2, pp. 1200 à 1205, affaire de Trinité et Tobago, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt. V. infra.

851 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 521.

852 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 384. V. infra.

853 STAMANTIS Constantin M.: «Argumenter en droit, une théorie critique de l?argumentation juridique», Paris, Publisud, 1995, 241 p., v. p. 72 et s.

judiciaires rejoint la théorie de Monsieur le Professeur Ronald Dworkin pour qui le juge ressemble à un écrivain chargé d?ajouter un chapitre dans un roman entamé par d?autres personnes, ce qui est un processus intellectuel sans fin. La cohésion est assurée par l?obligation des juges de retenir l?interprétation la plus conforme aux principes généraux de droit, de justice et d?équité854.

b. L'impulsion

Si le Comité Judiciaire ne s?est pas attribué un pouvoir d?invocation d?office d?un moyen d?annulation d?une Loi, en revanche, il s?autorise à statuer au-delà des termes d?un pourvoi. Il assure un contrôle global du point de droit soulevé. Le juge londonien ne tend pas seulement à trancher un litige mais remédie aux situations objectives. Sa juridiction est dans ce cas volontaire et non obligatoire. Il exerce des fonctions extrajuridictionnelles. Par exemple, il peut critiquer les malfaçons rédactionnelles d?une Loi855. De même, lorsque le juge londonien crée un principe à valeur constitutionnelle, il donne par là même des directives aux autorités locales sur sa mise en oeuvre. Par exemple, en créant le principe de l?identité obligatoire entre les juges à l?audience et les juges du délibéré, les Lords suggèrent aux autorités publiques mauriciennes de prendre des mesures pour son application et leur proposent de se référer à la loi anglaise y relative856. Par ailleurs, la création des droits nouveaux amplifie le problème de conciliation que posent les applications concrètes des principes constitutionnels et le juge de la Downing Street tend par anticipation à résoudre les difficultés en formulant des conseils. Concernant le problème d?engorgement des tribunaux, le Conseil Privé recommande aux autorités, en l?occurrence celles de la Jamaïque, de trouver une solution qui maintiendra un équilibre entre le droit fondamental de tout individu d?être jugé dans un délai raisonnable et l?intérêt public de conserver une bonne justice non expéditive. Il récuse l?idée de remédier aux faits de retard par la simple création de tribunaux additionnels857. A la fin d?un arrêt, le Conseil Privé peut analyser les défectuosités législatives

854 DWORKIN Ronald: «Law?s Empire», Londres, Fontana Press, 1991, 470 p., v. p. 229 et s.

855 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/ Espérance Company Ltd., cité note 825. Dans cette affaire Lord Bridge of Harwich parle du «style imprécis qui caractérise les législations à Maurice».

856 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt. «it would, in their (Lordships?) opinion, be possible for such a provision to be made, in an appropriate case consistently with section 10(1) of the Constitution of Mauritius. Examples of provisions of this kind are to be found in section 9 of the Criminal Justice Act 1967 applicable in England, concerned with the admissibility of written statements in evidence...», ibid., p. 125.

857 «Delays are inevitable. The solution is not necessarily to be found in an increase in the supply of legal services by the appointment of additional judges, the creation of new courts and qualification of additional lawyers... An injudicious attempt to expand an existing system of courts, judges and practitioners could lead to the deterioration in the quality of the justice administered», CJCP: 30 avril 1985, Hubert Bell c/ The Director of Public Prosecutions, cité note 756, v. p. 81 à 82.

et réglementaires et appeler des réformes. Il exerce ainsi une sorte de fonction d?appel au législateur ou à l?exécutif858.

*

Devient-il alors un juge qui gouverne ? Ce risque peut apparaître

imminent du fait que le Comité Judiciaire est juge du législateur et de l?exécutif, donc du pouvoir. Il serait en mesure d?exercer une influence politique surtout lorsqu?il fait oeuvre créatrice859. Il pourrait faire prévaloir ses propres conceptions et faire échec aux décisions émanant des organes investis de la confiance du peuple. Il serait erroné de conclure que le spectre du gouvernement des juges londoniens est réel. Ceux-ci usent de leurs moyens avec beaucoup de prudence tout en demeurant rigoureux sur le respect des principes fondamentaux. Le juge londonien refuse de faire ce qu?il qualifie d?être de la divination, c'est-à-dire, aller à l?encontre du texte fondamental860.

Après l?étude de l?interprétation par le juge londonien du texte fondamental, qui lui permet de définir le champ constitutionnel, il convient maintenant d?analyser les techniques de contrôle des normes inférieures à l?égard de la norme supérieure redéfinie et éventuellement les sanctions prononcées par le juge.

Sous-section 2. Les techniques et les types de contrôle

L?interprétation large de la Constitution permet de vivifier la Norme Fondamentale. La confrontation d?une norme ordinaire, notamment la Loi et le règlement, à la Constitution amène le Comité Judiciaire à mettre en oeuvre des techniques d?élargissement des bases du contrôle (paragraphe 1). Ces techniques d?élargissement des bases du contrôle peuvent se distinguer de celle d?extension du champ constitutionnel par l?interprétation. L?élargissement des bases du contrôle est une technique complexe qui vise d?abord à accroître le pouvoir de

858 A l?inverse de la Cour de Cassation française qui établit annuellement un rapport, le Conseil Privé, en dépit du principe de la séparation des pouvoirs, participe régulièrement à l?élaboration des lois futures.

859 Selon Monsieur le Doyen George Vedel, «la vraie pierre de touche du gouvernement des juges se trouve dans la liberté que le juge constitutionnel s?octroie non d?appliquer la Constitution ou de l?interpréter même de façon constructive, mais, sous quelque forme que ce soit, de la compléter sinon de la corriger par des règles qui sont sa propre création», in ANGUILA Yann: «Cinq questions sur l?interprétation constitutionnelle», RFDC, 1995, pp. 9 à 46, v. p. 9.

860 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, affaire de Maurice, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt. Le juge londonien applique ici le raisonnement du juge constitutionnel de l?Afrique du Sud. V. CCSA: 5 avril 1995, State c/ Zuma, SALR, 1995, vol. 1, pp. 642 à 664, le juge Kentridge rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «If the language used by the lawgiver is ignored in favour of a general resort to values?, the result is not interpretation but divination», v. p. 653.

contrôle du juge en ce sens qu?il permet de confronter la norme, non à un texte, mais à des valeurs extérieures.

Au terme de son contrôle, le Comité Judiciaire prononce plusieurs types de décision en vue de faciliter leur exécution (paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les techniques d'élargissement des bases du contrôle

Deux traits majeurs caractérisent le travail d?extension de la sphère du contrôle du juge: le recours au droit comparé (A) et le contrôle de l?opportunité (B).

A. La méthode comparative

On insistera sur la portée de la méthode comparative (a) et on abordera ensuite son application concrète dans le contentieux constitutionnel (b).

a. La portée de la méthode comparative

Le droit public est, dans les pays du Commonwealth et de Common Law, un droit ouvert. Cette caractéristique confère au juge un devoir de comparaison entre le droit qu?il a à appliquer et celui des autres pays de la même famille juridique861. Pour interpréter les Lois Fondamentales, le juge londonien cherche souvent appui auprès des solutions retenues à l?étranger ou par lui-même, statuant en tant que juridiction suprême d?un Etat autre que Maurice862. Le recours au droit comparé devient dans certains cas pratiquement spontané dès lors que la norme en question est commune à plusieurs pays, tels les grands principes contenus dans les Constitutions de type Westminster, ou dérive d?un autre texte, tel le catalogue des droits et des libertés qui n?est substantiellement que la transcription dans l?ordre interne des stipulations de

861 «Within the Common Law world... a great deal of borrowing of precedent and legal principles has accrued. Some of it has been intentional and conscious, some unintentional and probably unconscious», HILLER Jack A., cité note 821, v. p. 107.

V. CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR, 1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «Reference was also made in the judgments in the Sin Yau-Ming case (1992) 1 HKCLR, 127 to decisions in other Common Law jurisdictions, including the United States of America and Canada and of the European Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms (1953) Cmd. (8969). Such decisions can give valuable guidance as to the proper approach to the interpretation of the Hong-Kong Bill, particularly where the decisions in other jurisdictions are in relation to an article in the same and substantially the same terms as that contained in the equivalent provision of the Hong-Kong Bill», v. p. 338.

862 Ce procédé distingue les juridictions constitutionnelles de la Common Law et celles de la famille romano-germanique qui cherchent le soutien des précédents étrangers seulement de manière officieuse. V. LEGEAIS Raymond: «L?utilisation du droit comparé par les tribunaux», RIDC, 1994, pp. 347 à 358.

la Convention Européenne des Droits de l?Homme. Le juge londonien a épousé une conception plutôt universaliste, voire naturaliste863, des droits de l?homme et a rejeté le positivisme strict.

Avec la méthode comparative, le juge londonien poursuit la méthode de travail du législateur ou du constituant. Celui-ci lors de l?élaboration d?une norme s?informe des solutions étrangères qui peuvent l?inspirer et lui donner matière à réflexion. Le juge exploite la solution étrangère et dans le cas mauricien, cette méthode est très légitime vu les bases pluralistes du droit mauricien.

La référence aux décisions étrangères (des juridictions proprement nationales ou du Conseil Privé lui-même) permet au juge de cassation londonien d?accentuer le développement du droit public mauricien. En attribuant une forte autorité morale (persuasive authority), voire une force contraignante, à des décisions étrangères à l?égard du cas d?espèce qu?il a à résoudre, le droit mauricien retrouve une dynamique et son développement et sa perfection peuvent se faire à un rythme accéléré malgré le faible nombre de recours porté au Comité Judiciaire. Avec cette méthode, l?île Maurice peut bénéficier des progrès constitutionnels réalisés dans les pays du Commonwealth, aux Etats- Unis d?Amérique, en Europe et en Angleterre. Il est intéressant de noter que la dynamique du droit comparé est doublée d?intensité lorsque la Cour Suprême locale met elle aussi en pratique cette méthode de travail864. Les bases du droit national sont élargies.

b. La pratique du recours aux droits étrangers

863 La vision naturaliste des Lords est conforme au caractère même des Constitutions du Commonwealth qui comporte une déclaration des droits. En effet, une déclaration n?est pas un acte créateur. Les droits de l?homme qu?elle énonce existent. Elle ne fait que constater leur existence. A cet égard, l?article 3 de la Constitution de Maurice énonce bien qu?il «est reconnu et proclamé qu?il a existé et qu?il continue d?exister à Maurice... tous les droits de l?homme...». V. sur le caractère d?une déclaration, RIVERO Jean: «Les libertés publiques, droits de l?homme», PUF, Thémis, 1991, 318 p., v. p. 58 et s.

864 CSM: 27 octobre 1995, Marie Gérard Christian Pointu c/ The Minister of Education and Science, cité note 848. Les juges mauriciens posent la question de savoir s?il faut dans les affaires de droit public avoir recours au droit comparé et ils concluent de manière positive en suivant la voie du Comité Judiciaire. «...We feel necessary to deal with the question whether, in the interpretation of our Constitution it is proper for us to seek guidance from other national and international sources... The better view, according to us, is that a Constitution, more particularly that part of it which embodies fundamental rights, should be interpreted in the light of its history, its sources and whenever applicable, pronouncements on provisions similar to ours either by national courts of by international institutions», ibid., p. 6. V. également CSM: 21 décembre 1994, The Comptroller of Customs c/ P. Rogers, L?Express, 28 décembre 1994, p. 4, les juges J. Forget et R. Narayen rédacteurs de l?arrêt. Ils appliquent à Maurice le nouveau pouvoir des juridictions britanniques d?émettre des injonctions à l?encontre des autorités publiques, y compris la Couronne.

Si le droit commun des codes napoléoniens constitue le fondement d?une partie du droit mauricien865, il demeure que la Common Law, bien qu?elle n?a jamais été introduite dans son ensemble à Maurice866, fait aussi partie dans une certaine mesure du corpus juridique local. Il existe dans certains textes de loi mauriciens des dispositions de renvoie aux normes de la Common Law867. Il a appartenu surtout au Conseil Privé d?exporter la Common Law aux colonies868. Son autorité de juge de cassation lui a permis d?influencer significativement la pratique des tribunaux et l?évolution du droit. Les juges du Conseil Privé ont été formés et évoluent dans le cadre d?un système juridique et, par conséquent, les transplantations de ce système sur le système mauricien sont inévitables. Le juge londonien applique fréquemment dans les affaires mauriciennes les solutions de la jurisprudence anglaise. Par exemple, dans l?arrêt Goinsamy Chinien869, il exporte au droit mauricien le principe fondamental de la Common Law selon lequel une juridiction répressive ne peut sanctionner le prévenu que pour les délits pour lesquels il est poursuivi. L?exportation de la Common Law se fait quasi automatiquement lorsqu?il existe un vide juridique dans le droit local870.

Par ailleurs, en appliquant une loi mauricienne similaire à une loi anglaise, le juge londonien peut invoquer la jurisprudence anglaise à l?appui de la motivation de sa décision871. A cet égard, comme la Loi mauricienne sur les contrôles des changes est une reproduction de la Loi anglaise portant sur la

865 CSM: 18 novembre 1968, Harel Frères Ltd c/ Veerasamy, MR, 1968, pp. 218 à 226, le juge Garrioch rédacteur de l?arrêt. Il fait ressortir que les principes du Code Civil des obligations sont applicables en matière des contrats de travail.

866 CSM: 22 novembre 1990, Lagesse c/ Director of Public Prosecutions, MR, 1990, pp. 194 à 201, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de l'arrêt. Il soutient que: «We may at once observe that the approach in the United Kingdom, and in other jurisdictions based on Common Law, although it may be of some guidance to indicate the degree of restraint which the judiciary must observe in relation to those who have discretionary prosecutional functions, should not indicate our interpretation of the relevant constitutional provisions», ibid., p. 196.

867 L?article 55 de la Loi du 7 mars 1945 sur les Cours de justice renvoi aux lois anglaises toute question de procédure soulevée au cours d?un procès pénal. De même, l?article 162 de la même Loi se réfère au droit britannique de la preuve. CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204 à 205, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de l'arrêt.

868 «The decisive factor leading to the application of current English decisions of the Privy Council as the ultimate Court of appeal from colonies», MASTON J. N.: «The Common Law in the British Commonwealth», ICLQ, 1993, pp. 753 à 779, v. p. 754.

869 CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, WLR, 1993, vol. 1, pp. 329 à 336, affaire de Maurice, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.

870 CJCP: 26 mai 1982, Central Electricity Board of Mauritius c/ Bata Shoe Company. (Mauritius) Ltd., WLR, 1982, vol. 3, pp. 1061 à 1064, affaire de Maurice, Lord Brandon of Oakbrook rédacteur de l'arrêt. Il estime que: «Their Lordships are therefore of the opinion that they have jurisdiction, which has in one case at least been described, whether rightly or wrongly, as a Common Law jurisdiction, to order the CEB...», v. p. 1064.

871 Par contre, le Comité Judiciaire n?invoque pas le précédent britannique s?il n?existe à Maurice aucune Loi similaire. «These statutory provisions, however desirable as they may be, only serve to illustrate the fact that, without them, Commissions and Committees of Inquiry are not protected at Common Law. Driven up against this difficulty, it was seriously argued for the respondent that their Lordships should extend the law of contempt to such bodies by a bold act of legislation. This their Lordships resolutely decline to do...», CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386, v. p. 170.

même matière872, le juge applique le précédent britannique approprié873 au cas de l?espèce.

La référence aux sources du Commonwealth, européennes et américaines est aussi fréquente dans la jurisprudence mauricienne du Conseil Privé. Le recours aux décisions du Commonwealth a lieu fréquemment dans les affaires constitutionnelles controversées, telles celles mettant en cause les libertés fondamentales contenues dans la Constitution, alors que les décisions des juridictions anglaises en matière de la Common Law sont appliquées le plus souvent en droit pénal et éventuellement administratif. Lorsqu?il s?agit d?interpréter la Constitution mauricienne, le Comité Judiciaire applique en général les solutions qu?il a retenues à propos des litiges portant sur des constitutions du modèle de Westminster d?autant que le juge met l?accent sur les caractères communs des Constitutions de ce modèle dans ses décisions874. En conséquence, la motivation de certains arrêts mauriciens est essentiellement construite à l?appui des précédents du Comité Judiciaire statuant sur des pourvois en provenance d?autres pays du Commonwealth875. Dans ces cas, le juge londonien exporte sa propre jurisprudence et intervient comme un relais de transmission du droit tout comme lorsqu?il recourt aux autorités des juridictions anglaises. Il assure une certaine unification du droit entre les pays concernés876.

Aussi, la référence aux jurisprudences européennes, celles de la Cour Européenne des Droits de l?Homme, devient de plus en plus fréquente notamment parce qu?elles sont riches et dynamiques877 et que certains Lords judiciaires ont occupé des fonctions de juge ou d?avocat-général à la Cour Européenne. Enfin, le juge londonien applique des précédents américains en

872 «The Exchange Control Act which is an almost exact reproduction of the United Kingdom Exchange Control Act 1947...», CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869, v. p. 331.

873 CA: 22 février 1968, Regina c/ Goswani, WLR, 1968, vol. 2, pp. 1163 à 1172, le Lord-Juge Salmon rédacteur de l'arrêt.

874 «... a written Constitution on the Westminster model?. Many such Constitutions are to be found in the Commonwealth and a considerable body of case law now exists in the various countries which have such Constitutions and in the Privy Council», CJCP: 17 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, WLR, 1985, vol. 3, pp. 84 à 94, affaire de la Jamaïque, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt majoritaire, v. opinion dissidente des Lords Scarman et Edmund-Davies, p. 94.

875 V. par exemple CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ The Government of Mauritius, cité note 847.

876 RODIERE Réné: «Introduction au droit comparé», Précis-Dalloz, 1979, 161 p., v. p. 82 et s.

877 CJCP: 13 décembre 1995, Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

matière constitutionnelle878 et des décisions des juridictions des pays du

C o mm on w e alt h879.

Le recours au droit comparé par le juge londonien comporte par contre une sévère limite. Le Conseil Privé, à l?inverse de la Cour Suprême de Maurice, n?invoque systématiquement en droit public des jurisprudences françaises. Dans le grand arrêt Société United Docks880, le Chef-Juge Sir Maurice Rault cite la décision du Conseil Constitutionnel français sur l?extension du bloc de constitutionnalité881 pour soutenir son raisonnement. Or, le Conseil Privé, statuant sur la même affaire en cassation, bien qu?il confirme l?approche libérale du Chef-Juge, ne se réfère à la jurisprudence française utilisée par ce dernier. Ce refus implicite d?accorder une valeur d?autorité aux décisions françaises en droit public est quelque peu décevant en ce sens qu?il nie le caractère mixte du droit mauricien dans sa globalité et anéantit dans une certaine mesure la dynamique de la pluralité des précédents des différentes familles juridiques dans les décisions mauriciennes. Une telle attitude ne nous paraît pas pouvoir être encouragée. Il serait souhaitable que les avocats convainquent les Lords de la justesse de certaines solutions françaises en droit public.

B. Le contrôle d'opportunité

Le Comité Judiciaire s?autorise à introduire dans son contrôle des normes une bonne dose du critère d?opportunité. Ce contrôle très poussé est apparent lors de la confrontation d?un acte réglementaire ou d?une décision administrative à la Constitution (a) et commence à prendre naissance lors du contrôle de la Loi (b).

a. D'un acte réglementaire ou d'une décision administrative

L?inopportunité d?un acte administratif est en droit anglais un moyen opérant en vue de son annulation par le juge. Lord Diplock a importé dans le droit anglais le principe de la proportionnalité utilisé par la Cour Européenne

878 CJCP: 6 avril 1992, Ponsamy Poongavanam c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.

879 CJCP: Radhakrishan Kunnath c/ The State, WLR, 1993, vol. 1, pp. 1315 à 1321, affaire de Maurice, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.

880 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ Government of Mauritius, cité note 847.

881 CCF: 16 juillet 1971, Liberté d?association (77-44 DC) in FAVOREU Louis et PHILLIP Loïc: «Les grandes décisions du Conseil Constitutionnel», Dalloz, 1995, 8e édition, 961 p., v. p. 244 à 261.

des Droits de l?Homme et la Cour de Justice des Communautés Européennes882. Dans l?affaire communément intitulée GCHQ883, Lord Diplock confirme l?existence de trois cas d?ouverture884 du recours pour excès de pouvoir (grounds for judicial review) contre un acte administratif. Ces trois moyens sont: la violation de la règle de droit et l?incompétence (illegality/error of law), le vice et l?irrégularité de procédure (procedural impropriety/violation of principles of natural justice) et le détournement de pouvoir (irrationality). Le juge élargit la perspective et ouvre la voie à un quatrième moyen, l?absence de proportionnalité885. Les deux derniers cas d?ouverture permettent au juge de contrôler en partie l?opportunité de tout acte administratif886. Ainsi, en matière d?aménagement du territoire, le juge britannique opère comme son homologue du continent887 une appréciation sur les avantages et les désavantages du plan d?aménagement de l?Administration. Il établit un bilan et évalue le caractère raisonnable du projet888. Celui-ci est considéré comme inopportun si le coût est disproportionné aux avantages qu?il peut procurer.

L?attitude du Comité Judiciaire s?inscrit dans cette dynamique en matière du contrôle de l?expropriation pour cause d?utilité publique, prévue à l?article 8 de la Constitution de Maurice. Les Sages du Whitehall sont favorables à un contrôle maximum et approfondi des actes administratifs intervenus dans ce secteur889 à l?inverse de la Cour Suprême locale qui, reléguant le droit de propriété à une sorte de droit fondamental de second rang, n?a contrôlé que la légalité stricte de la décision administrative890. Le juge mauricien n?a pas

882 JOWELL Jeffrey et LESTER Anthony, QC: «Proportionality: neither novel nor dangerous», pp. 51 à 72, in JOWELL J. L. et OLIVIER D.: «New directions in judicial review», Londres, Stevens and Sons, 1988, 91 p.

883 CL: 2 novembre 1984, Council of Civil Service Unions c/ The Ministry of State for the Civil Service, WLR, 1984, vol. 3, pp. 1174 à 1208, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt principal.

884 Sur l?application de ce précédent par le Comité Judiciaire v. CJCP: 28 février 1994, Mercury Energy Ltd. c/ Electricity Corporation of New Zealand, WLR, 1994, vol. 1, pp. 521 à 229, affaire de la Nouvelle-Zélande, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt.

885 Lord Diplock écrit que: «... one can conveniently classify under three heads the grounds upon which administrative action is subject to control by judicial review. The first ground I would call «illegality», the second «irrationality» and the third «procedural impropriety». That is not to say that further development on a case by case basis may not in course of time add further grounds. I have in mind particularly the possible adoption in the future of the principle of «proportionality» which is recognised in the administrative law of several fellow members of the European Economic Community», ibid., p. 1196.

886 XYNOPOULOS Georges: «Le contrôle de proportionnalité dans le contentieux de la constitutionnalité et de la légalité en France, Allemagne et Angleterre», thèse, Univeristé de Parsi II Panthéon-Assas, 1993, 516 p.

887 CE: 28 mai 1971, Ministère du Logement c/ Fédération de Défense des Personnes Concernées par le Projet Ville Nouvelle Est, RDCE, 1971, pp. 409 à 413, conclusion du commissaire du gouvernement Guy Braibant.

888 CL: 28 février 1980, Newburry District Council c/ Secretary of State fot the Environment, AC, 1981, p. 578 à 629, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt principal.

889 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères c/ The Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, LRC, 1988, vol. constitutional, pp. 472 à 476, affaire de Maurice, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.

890 CSM: 7 mai 1986, Harel Frères Ltd c/ Ministry of Housing, Lands and Town and Country Planning, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 760 à 764, le Chef-Juge rédacteur de l'arrêt.

apprécié le bien fondé (the merits) de la décision du ministère du logement et n?a voulu substituer son appréciation à celle du ministère891. Il a méconnu ses pouvoirs en ne conservant qu?une marge réduite de sanction au cas où le gouvernement commettrait une erreur manifeste ou prendrait, selon la formule, une décision qu?aucune personne raisonnable n?aurait prise892. Le Comité Judiciaire, en cassant l?arrêt de la Cour Suprême, étend considérablement la sphère du contrôle de la constitutionnalité et de la légalité de la Cour. Il estime que le recours porté devant la juridiction locale s?appréhende à un recours hiérarchique, c'est-à-dire, à un véritable appel (full scale appeal). Le juge ne doit pas se tenir à la seule appréciation de la légalité. Il doit se livrer à un examen approfondi de l?acte d?expropriation et apprécier son opportunité893. L?Administration est dans l?obligation de fournir à la Cour894 tous les éléments nécessaires et elle doit justifier le caractère d?intérêt public de l?expropriation projetée, montrer qu?elle est nécessaire et bien fondée et que ses effets positifs emportent sur ses inconvénients.

L?attitude du Comité Judiciaire est fort louable. Il impose à la Cour locale le devoir d?effectuer en matière d?expropriation un contrôle maximum. Il subordonne la légalité et la constitutionnalité de la décision administrative à sa proportionnalité895.

b. De la Loi

A Maurice, le domaine de la Loi est limité à la réalisation du bohneur du peuple. L?article 45 alinéa premier de la Constitution, qui traduit dans l?ordre interne les valeurs de la doctrine du droit naturel de Thomas Hobbes896 et de

891 «The government is entrusted to the Executive and it falls within the sole province of the Executive to determine what measures may best achieve the public purposes for the fulfilment of which it is charged with responsibility under the Constitution and the law... In other words, it is not part of our functions to substitute our own judgment for this is inherently a matter of judgment in the making of a decision and the law has conferred it on the respondent (the Ministry of Housing).», ibid., pp. 762 à 763.

892 «Unless... the material before us shows no reasonable person placed in the position of the respondent would have reached the conclusions he did in the circumstances», ibid., p. 763.

893 «... it must be for the court, not for the minister to be satisfied that the proposed compulsory acquisition is indeed necessary or expedient to enable the intended development to be carried out and that there is reasonable justification for causing any hardship to the landowner which will result», CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Ministry of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889, v. p. 475.

894 Le Comité Judiciaire renverse la charge de la preuve. La Cour Suprême l?avait incombée à l?exproprié.

895 Il semble que le juge londonien a voulu unifier le degré de contrôle des actes administratifs portant sur l?exercice d?un droit constitutionnel. En certaines matières de police administrative, la Cour Suprême avait depuis fort longtemps examiné la nécessité des mesures de police.

896 Thomas Hobbes, lorsqu?il écrivit en 1651 réagissait contre la guerre civile qui affectait l?Angleterre. La recherche de la paix était un objectif prioritaire pour le Souverain. La paix était la seule conduite rationnelle et juste. V. HOBBES Thomas: «Léviathan», (1651), Edition Sirey, 1971, 780 p., v. chapitre XVII, p. 179 et s.

Jeremy Bentham897, dispose que le «Parlement peut légiférer pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement de Maurice»898 et l?article premier du texte proclame le caractère démocratique de l?Etat. Ces deux articles créent les conditions nécessaires permettant aux cours de justices de mesurer l?adéquation des dispositions législatives aux objectifs constitutionnels. La Cour Suprême de Maurice, en s?appuyant sur un précédent du Conseil Privé899, a considéré que le constituant britannique a investi les cours mauriciennes du pouvoir de déterminer les caractéristiques et les valeurs d?une société démocratique et de confronter la Loi à celle-ci. Autrement dit, la Constitution confère au juge un pouvoir d?appréciation étendu. Il peut utiliser la technique anglaise de l?examen de la raisonnabilité (test of reasonableness) pour contrôler les Lois900. Cependant, la montée en puissance de l?exécutif a entraîné la relativisation, voire l?abandon, de cette jurisprudence par la Cour Suprême. Désormais, pour les juges locaux, le contrôle de constitutionnalité ne peut avoir lieu que sur la base d?un examen de la Loi par rapport à une norme. Le juge ne veut définir le concept de démocratie901. Reprenant une formule devenue classique, ils affirment que le juge ne peut substituer son appréciation à celle du Parlement902 ou qu?il n?a pas un pouvoir d?appréciation identique à celui du Parlement903.

L?attitude du Comité Judiciaire se démarque de celle de la Cour Suprême. Certes il affirme que l?iniquité d?une Loi est un moyen inopérant dans le contentieux constitutionnel904, mais il examine les griefs tirés d?un

897 Pour Bentham, le bien-être (le bonheur) est la fin de l?homme. La recherche du plaisir et la fuite de la douleur constituent les motifs de toutes les actions. BENTHAM Jeremy: «A fragment on Government and an introduction to the principles of morals and legislation», (1789), Oxford Basil Blackwell, 1960, 435 p., v. chapitre 1er «Of principle of utility», p. 125 et s.

898 «Parliament may make laws for peace, order and good government of Mauritius».

899 CJCP: 19 octobre 1966, Oliver c/ Buttigieg, All ER, 1966, vol. 2, pp. 459 à 469, affaire de Malta, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.

900 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité note 303. Le juge déduit que: «Rightly or wrongly the framers of our Constitution have placed on the shoulders of the Judges of this Court the invidious task of determining, in particular instances, the norms of a democratic society. In chapter II of the Constitution, which provides for the protection of fundamental rights and freedoms of the individual, several sections contain a saving that nothing in those sections shall invalidate any law or action, passed or taken for certain specified purposes, that is reasonably justified in a democratic society», ibid., p. 40.

901 CSM: 14 juin 1990, Union Démocratique de Maurice, c/ The Governor-General, LRC, 1991, vol. constitutional, pp. 328 à 332, les juges Glover et Lallah rédacteurs de l'arrêt. Ils estiment que: «In short, this is that it is neither necessary nor appropriate to travel outside our supreme law for the purpose of discovering what the framers of our Constitution had in mind when they used the words democratic state? and still less to invoke certain conventions which underlie British constitutional law. What section 1 means is that our state is to be administered in accordance with other provisions of the Constitution which contain the essence of democratic principles governing us», ibid., p. 330.

902 «We certainly agree and have no wish to substitute ourselves for the law maker», ibid., p 331.

903 «If a law passes the test of constitutionality, then it would be none of our business even to think of questioning the reasonableness, or wisdom of the measure», CSM: 29 octobre 1986, Noordally c/ The Attorney-General, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 599 à 606, le Chef-Juge Moolan rédacteur de l'arrêt.

904 CJCP: 23 juillet 1992, Government of Mauritius c/ Union Flacq Sugar Estates Company Ltd.,
cité note 743. Lord Templeman précise que: «Sir Marc David (Counsel) submitted that... the

détournement de pouvoir (improper purposes) commis par le législateur mauricien. Il vérifie si le Parlement use bien de ses compétences en vue d?atteindre les objectifs pour lesquels il a été investi. L?admission de ce cas d?inconstitutionnalité conduit les Sages du Whitehall à intervenir dans le champ subjectif du législateur dans la mesure où ils recherchent les intentions véritables de l?auteur de l?acte au-delà de celles explicitement affichées. En ce sens, le Comité Judiciaire a indiqué que le gouvernement mauricien ne peut pas, par le biais d?une Loi à effet rétroactif priver d?effet juridique une sentence arbitrale (award) qui s?impose à lui en vertu de ses engagements contractuels avec des syndicats905.

Par ailleurs, le Comité Judiciaire, s?il affirme à l?instar du Conseil Constitutionnel français que le pouvoir judiciaire ne saurait concurrencer le pouvoir universel dans l?appréciation de l?opportunité de la Loi906, laisse entendre en réalité que son pouvoir d?appréciation est d?une autre nature. Il ne fait aucun doute que les Constitutions de type Westminster offrent au juge la possibilité de convertir des éléments d?opportunité en critère de constitutionnalité. Le Comité Judiciaire considère que la disposition commune à plusieurs Constitutions qui délimite le domaine du Parlement à la législation pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement, investisse le pouvoir délibérant d?une compétence pour apprécier ce qui est nécessaire et opportun à l?intérêt général et à la sauvegarde de l?ordre public. Cette appréciation implique la prise en compte des considérations de politique générale et se forme sur la base des informations appartenant au gouvernement et, par conséquent, elle se situe en dehors de la sphère de contrôle du juge907. Le Comité Judiciaire présume que le Parlement a raisonnablement apprécié les données et a pris la bonne décision. Il souligne que cette présomption en faveur du législateur est réfragable (rebuttable). Il pourra substituer son appréciation à celui du législateur si ce

legislature was unfair when by the Act of 1984 it removed the power of a minority to control a company. But the question of fairness of legislation is a matter for Parliament», ibid., p. 910.

905 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, LRC 1985, vol. constitutional, pp. 801 à 850, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «The Amendment Act has thus deprived and was intended to deprive each worker damages for breach by the MMA of its contract of employment», ibid., p. 849.

906 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233. Selon Lord Diplock: «... in deciding whether any provisions of a law passed by Parliament of Jamaica as an ordinary law are inconsistent with the Constitution of Jamaica, neither the courts in Jamaica nor their Lordships? Board are concerned with the propriety or expediency of the law impugned. They are concerned solely with whether those provisions, however reasonable and expedient, are of such a character that they conflict with an entrenched provisions of the Constitution...», ibid., p. 374.

907 «... the power to make laws for the peace, order and good government of Jamaica is vested in the Parliament and prima facie it is for Parliament to decide what is or is not reasonably required in the interests of public safety or public order. Such a decision involves considerations of public policy which lie outside the field of judicial power and may have to be made in the light of information available to government of a kind that cannot effectively be adduced in evidence by means of judicial process», ibid., p. 383.

dernier opère un choix disproportionné908 ou excessif ou a commis une erreur manifeste d?appréciation909.

*

La marge d?appréciation du Comité Judiciaire est fort grande même si le critère d?opportunité est rarement utilisé. Celui-ci peut apparaître comme une technique mal adaptée à la nature du contrôle de constitutionnalité. Le juge londonien préfère habiller sa décision, c'est-à-dire, la faire apparaître comme logiquement déduite des dispositions constitutionnelles. Nul ne doit ignorer que le juge peut toujours justifier sa décision par la référence à une norme constitutionnelle. L?opportunité n?a pas besoin d?être invoquée pour qu?un contrôle sur cette base ait lieu. Le juge londonien est prudent.

Il s?agit maintenant de vérifier cette dernière proposition dans l?exercice de ses pouvoirs de sanction.

Paragraphe 2. Les types de décision

Du fait que le Comité Judiciaire est une juridiction de cassation (on peut dire de deuxième degré lorsqu?il contrôle la Loi par la voie d?action), ses décisions prennent une variété de formes afin d?être mieux exécutées et modulées selon les circonstances propres à chaque affaire.

En effet, un texte peut être déclaré absolument conforme à la Constitution ou conforme sous réserves. Dans cette dernière hypothèse, le Comité Judiciaire, bien qu?il dégage à l?issue de son examen des imperfections au texte litigieux au regard de la Constitution, ne le déclare pas pour autant contraire à celle-ci. Il rétablit la constitutionnalité de la norme en la donnant une nouvelle signification ou une nouvelle lecture, la seule autorisée (A).

A l?inverse, il peut aussi annuler une norme en la déclarant non conforme à la Loi Fondamentale (B).

908 NORDELL Gordon: «Presumed innocence, proportionality and the Privy Council», LQR, 1994, pp. 223 à 228.

909 «The presumption is rebuttable. Parliament cannot evade a constitutional restriction but a colourable device: Ladore v. Bennet (1939), AC, 468, 482. But in order to rebut the presumption their Lordships would have to be satisfied that no reasonable member of Parliament who understood correctly the meaning to the relevant provision of the Constitution could have supposed that hearings in camera (provisions of the Act impugned) were reasonably required for the protection of any of the interests referred to, or in other words, that Parliament in so declaring was either acting in bad faith...»,CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, p. 383.

A. La lecture (construction) de la Loi

Une analyse approfondie de la jurisprudence londonienne nous amène à constater ceci. Plutôt que de déclarer inconstitutionnelle une Loi, le Comité Judiciaire préfère, pour ne pas dire que les représentants du peuple ont méconnu la Constitution, façonner lui-même la norme à travers des techniques sophistiquées, subtiles et souples ou faire, selon la terminologie anglaise, une construction de la norme de sorte à la rendre conforme à la Constitution.

Cette attitude s?inscrit dans une logique que nous avons déjà souligné. Le Comité Judiciaire accorde aux Lois une présomption réfragable de conformité910 en vertu de la maxime d?interprétation selon laquelle on doit dans la mesure du possible attribuer un sens à tous les termes d?une norme (magis est ut res valeat quam pereat). Si l?inconstitutionnalité d?une Loi est minime ou repose sur un doute quant à la manière selon laquelle elle serait appliquée, le juge londonien réécrira la Loi et la présomption ne sera pas renversée. En ce sens également, l?article 5-1 de l?Ordonnance en Conseil du 4 mars 1968 portant sur l?indépendance de Maurice dispose que les tribunaux doivent interpréter et construire des textes édictés avant l?entrée en vigueur de la Constitution conformément à celle-ci911.

Il est classique en droit public français de distinguer la lecture (ou l?interprétation) constructive (a) de la lecture neutralisante (b). Nous suivrons, pour la commodité de la synthèse la même typologie.

a. La lecture constructive

La lecture constructive est une méthode par laquelle le juge londonien ajoute une signification supplémentaire au texte afin de supprimer l?éventuel risque de non-conformité à la Constitution. Il y a lieu de distinguer cette technique de la vitalisation de la Constitution déjà rencontrée. Ici, le juge complète la Loi qui est trop vague et abstraite ou délègue trop de pouvoirs à une autorité. Le juge donne des directives précises aux autorités publiques sur le sens supplémentaire à donner au texte litigieux. L?exemple le plus

910 «It should be presumed, until the contrary is established clearly, that legislation adopted by Parliament is valid and within the Constitution», CJCP: 22 mars 1994, Fakeemeah Chel Mohamad c/ Essouf Amanoullah Ahmad, WLR, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt, v. p. 704.

911 «... any existing laws... shall be construed with such modifications, adaptations, qualifications and exceptions as may be necessary to bring them into conformity with the Mauritius Independence Act 1968 and this Order», in ATTORNEY GENERAL?S OFFICE, cité note 219, vol. 1, p. 63 et s.

caractéristique et manifeste d?une lecture constructive par le Comité Judiciaire se trouve dans une affaire antillaise912. Une Ordonnance en Conseil de 1959 avait prévu que le Gouverneur était habilité en période de crise à prendre toute mesure qu?il jugeait opportune pour maintenir l?ordre public. Il disposait d?un pouvoir exécutif et législatif étendu. Le Comité Judiciaire considère que doit être rajouté à l?Ordonnance précitée la condition selon laquelle le Gouverneur ne pouvait prendre les mesures normatives proportionnées et raisonnables par rapport aux circonstances913.

De même dans l?arrêt Momoudou Jobe914, les Lords avaient à interpréter une loi elliptique915 et avaient incorporé dans le texte les dispositions manquantes916 dans le but de prévenir son inconstitutionnalité.

Cette technique d?interprétation positive de la norme ordinaire a aussi été utilisée dans des affaires mauriciennes. Par exemple, dans l?affaire Wong Ng917, les Sages de la Downing Street admettent que la constitutionnalité de l?article 124 de la Loi de 1945 sur les juridictions sous réserve de l?interpréter selon sa lecture. Cet article prévoit le remplacement des magistrats empêchés au cours du déroulement de l?instance. Les juges londoniens posent des conditions à la déclaration de conformité de cet article. Le changement de magistrat ne peut avoir lieu pendant le procès sauf si l?audition des témoins, autrement dit la procédure, soit recommencée. Cette condition est impérative à la constitutionnalité de l?article 124 au regard de l?article 10-1 de la Constitution de Maurice garantissant le droit à un procès équitable918.

912 CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of Christopher Nevis and Aguilla c/ John Joseph Reynolds, WLR, 1980, vol. 2, pp. 171 à 189, affaire antillaise, Lord Salmon rédacteur de l'arrêt.

913 «Their Lordships are of opinion that the Order in Council should be construed in accordance with section 103-1 and in the light of section 14 of the Constitution as follows: The Governor of State may make such laws... to the extent that those laws authorise the taking of measures that are reasonably justifiable for dealing with the situation that exists in the State during any such period of public emergency», p. 182.

914 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.

915 «... sections 8 and 10 of the Act which their Lordships have just been examining is characterised by an unusual degree of ellipsis that has made it necessary to spell out explicitly a great deal that is omitted from the actual words appearing in the sections and has to be deprived by implication from them», ibid., p. 184.

916 «... their Lordships have found no difficulty in construing sections 8 and 10 of the Act as incorporating by necessary implication provisions which prevent these portions of the Act from contravening any of the provisions of chapter III of the Constitution», p. 184.

917 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.

918 «This section (124 of the Courts Act) cannot bear the construction placed upon it by the Court of Appeal, for to do so would conflict with the right to a fair trial provided by section 10(1) of the Constitution. If after part of the evidence has been heard in a trial which the accused pleads not guilty, it becomes necessary to replace a magistrate, there is no alternative but to recommence the trial and recall the evidence that all magistrates hear all the evidence and the submissions made on behalf of the accused», ibid., p. 1360.

Il est possible de soutenir que le juge londonien, en statuant ainsi, s?arroge d?un quasi pouvoir normatif et prononce des arrêts de règlement. Pour notre part, nous pensons qu?une telle conclusion est davantage imagée que rigoureuse. Le juge ne fait que combler les vides inconstitutionnels de la Loi. L?interprétation constructive de la Loi apporte des garanties supplémentaires aux citoyens et impose des obligations aux seuls pouvoirs publics.

L?interprétation neutralisante produit l?effet inverse en ce sens qu?elle diminue le pouvoir des organismes publics à l?encontre des citoyens.

b. La lecture neutralisante

L?interprétation neutralisante est une méthode de contrôle fluide de la Loi couramment utilisée en droit britannique. Nous avons précédemment vu comment le juge anglais, à travers son pouvoir interprétatif, rend la Loi conforme aux grands principes de la Common Law. La mise en oeuvre de cette technique dans le contentieux constitutionnel du Commonwealth poursuit la même logique du contrôle souple britannique. Le Comité Judiciaire ne peut exercer qu?un contrôle a posteriori de la Loi. La nécessité de maintenir la stabilité de celle-ci justifie sa conciliation à la Norme Fondamentale. Cette méthode appartient au domaine de prédilection du Comité Judiciaire.

La déclaration de conformité d?un texte juridique à la Constitution sous réserve de la lecture opérée par le Comité Judiciaire tend à rendre inopérantes les dispositions du texte qui sont potentiellement contraires à la norme de référence. Ainsi, dans l?affaire Reynolds précitée919, le Comité Judiciaire considère que les termes «si le gouverneur estime qu?une personne ait commis un acte de sédition» de l?Ordonnance relative aux pouvoirs de crise de 1967 ne peuvent en aucun cas conférer un pouvoir absolu ou dictatorial au Gouverneur lors de son appréciation, mais signifient qu?il doit fonder sa décision et utiliser ses pouvoirs qu?en cas de nécessité. Les juges londoniens écartent l?interprétation de l?Ordonnance qui la mettrait en contradiction avec la Constitution du pays920.

La décision de conformité sous réserve d?interprétation neutralisante n?est pas encore appliquée par le Comité Judiciaire dans les affaires

919 CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of Christophern Nevis and Anguilla c/ John Joseph Reynolds, cité note 912.

920 «Their Lordships consider that it is impossible that a regulation made on May 30, 1967... could be properly construed as conferring dictatorial powers on the Governor», ibid., p. 183.

mauriciennes. Cette technique a été simplement évoquée par le juge londonien dans l?affaire La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée921. Cependant, la Cour Suprême, de tendance conservatrice, utilise la technique même dans des cas d?inconstitutionnalité flagrante afin de ne pas censurer expressément les représentants du peuple. Par exemple, la Loi sur la nationalité mauricienne de 1968 attribue au ministre des naturalisations le pouvoir discrétionnaire d?accorder ou de refuser la naturalisation à l?étranger qui en fait la demande. L?article 17-2 de la Loi dispose que la décision du ministre n?est susceptible d?aucun contrôle du juge. Or cet article est en conflit avec l?article 76 alinéa premier de la Constitution qui dispose que la Cour Suprême est investie d?une compétence générale pour entendre ou juger tout procès civil ou pénal. La Cour, dans l?arrêt Esther922 constate que le législateur n?est pas habilité à exclure du contrôle juridictionnel une décision administrative. La Cour Suprême est investie d?un pouvoir de contrôle général de la légalité des actes administratifs. La neutralisation partielle de la Loi sur les naturalisations est discrète alors même que sa conciliation avec la Constitution est difficile.

B. Invalidation de la norme

Comme le modèle mauricien de contrôle de constitutionnalité est mixte, les décisions d?inconstitutionnalité prononcées par le Comité Judiciaire connaissent deux types de figure. Certes la Constitution énonce dans son article 2 que toute loi non conforme à elle est, dans la mesure de sa non-conformité, nulle et non avenue (void). A l?occasion d?un contrôle par la voie d?action, le Comité Judiciaire peut invalider la norme qui disparaît de l?ordre juridique. La décision produit ses effets erga omnes et possède une valeur de res judicata. Par contre, une incertitude subsiste quant à l?effet de l?annulation de la norme lorsque le Comité Judiciaire statue par la voie d?exception. Dans certains cas, les juges déclarent dans le dispositif de la décision que la norme litigieuse est invalidée923, donc son application n?est pas seulement écartée. Dans d?autres cas, le juge peut simplement déclarer que la Loi viole la Constitution mais ne prononce pas son annulation924. Dans l?affaire Marine Workers, la procédure

921 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

922 CSM: 17 juin 1983, Esther c/ The Prime Minister, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 429 à 437, les juges Espitalier-Noël et Lallah rédacteurs de l'arrêt.

923 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, 635. Lord Keith of Kinkel écrit que: «it follows that the constitutional vice which their Lordships have found to exist stems from section 38(4) of the 1986 Act which must accordingly be held to be invalid», ibid., p.411.

924 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité, note 905. Lord Templeman déclare que: «It suffices that the Amendment Act was a coercive act of the Government which alone deprived and was intended to deprive the appellants of property without compensation and thus infringed the Constitution», ibid., p. 850.

utilisée -une action en déclaration (declaratory action)- justifie la décision du juge londonien. En effet, dans le cadre d?un tel type de recours925, le juge ne se prononce que sur les droits des parties sans trancher le litige. Dans le contentieux constitutionnel, la déclaration ne produit qu?un effet inter partes. Mais, l?effet erga omnes de la décision peut être obtenu indirectement grâce à l?application par les juridictions de la règle du précédent.

Sous le bénéfice de cette observation d?ordre général, on abordera les deux types de décisions d?invalidation, l?invalidation partielle (a) et l?invalidation totale (b).

a. L'invalidation partielle

A défaut de pouvoir interpréter une Loi pour la rendre conforme à la Constitution, le Comité Judiciaire, dans l?objectif d?éviter autant que possible tout conflit avec le législateur, cherche à invalider que les dispositions contraires à la Loi. La Haute Instance applique deux critères, les mêmes que le Conseil Constitutionnel français utilise pour apprécier le caractère détachable (severable) des dispositions inconstitutionnelles de la Loi.

D?abord, la Haute Instance recherche si malgré l?amputation des dispositions censurées, la Loi reste applicable. Au cas où les dispositions annulées sont inextricablement liées à l?ensemble de la Loi, cette dernière ne sera plus appliquée926. A supposer que la Loi demeure applicable, le juge londonien analyse alors si les dispositions censurées avaient une importance telle que les parlementaires, sans elles, n?auraient adopté la Loi927. Toute la Loi est annulée si les dispositions censurées constituaient l?élément essentiel de la Loi. Ce dernier critère, malgré la référence aux travaux préparatoires, entraîne nécessairement le juge dans un examen subjectif de l?intention du législateur. Il s?efforce d?imaginer, dans une sorte de considérant de balai, ce qu?aurait fait le législateur 928.

925 Une action en déclaration est une procédure d?origine de droit privé. V. WADE William, Sir: «Administrative law», Oxford, Clarendon Press, 1995, 7e édition, 1039 p., v. p. 591.

926 «The real question is whether what remains is so inextricably bound up with the part declared invalid that what remains cannot independently survive», CJCP: 27 juillet 1947, AttorneyGeneral for Alberta c/ Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 503 à 520, affaire de Canada, Vicomte Simon rédacteur de l'arrêt, v. p. 518.

927 «... or as it has sometimes been put, whether on a fair review of the whole matter it can be assumed that the legislature would have enacted what survives without enacting the part that is ultra vires at all», ibid.

928 «It can, in their Lordships? view, be confidently assumed that the Parliament of Gambia would have enacted the remainder of the Act without enacting section 8(5) at all», CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743, v. p. 185.

Cependant, souvent aussi, le Comité Judiciaire ne se prononce pas sur la séparabilité de la disposition annulée et, ainsi, elle ne se dégage qu?implicitement du dispositif929.

b. L'invalidation totale

L?invalidation totale d?une Loi est rarement prononcée par le juge londonien. Il opère nécessairement un contrôle a posteriori de la Loi. Le juge de la Downing Street ne statue qu?après un minimum de deux années suite à l?entrée en vigueur de la Loi et une déclaration de non-conformité totale pourrait causer de graves conséquences et un grand vide juridique930. L?annulation partielle offre aux autorités publiques l?avantage de pouvoir procéder à une conformisation de la Loi de manière chirurgicale. Une Loi peut réformer la seule disposition invalidée en tenant compte de la décision du Comité Judiciaire. Ainsi, lors de la procédure législative, les parlementaires et surtout le gouvernement bénéficient de l?avantage de ne devoir examiner une multitude d?amendements qu?auraient pu déposer les groupes de l?opposition s?il avait fallu reprendre l?examen de tous les articles de la Loi.

Toutefois dans le cas particulier où la procédure d?élaboration de la Loi est irrégulière, l?annulation totale de celle-ci est la sanction inévitable. Le juge apprécie alors le caractère substantiel de l?irrégularité qui seul justifie la sanction suprême.

929 V. par exemple CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635.

930 V. par exemple CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233. Le juge invalide les dispositions déterminantes de la Loi créant la Cour des Armes à Feu (Gun Court) mais n?annule pas complètement la Loi.

CONCLUSION DU CHAPITRE 1

Le système mauricien de contrôle des normes témoigne non seulement de l?étendue du pouvoir du Comité Judiciaire, mais surtout d?une certaine confiance placée par le peuple mauricien en cette institution. Le contrôle de constitutionnalité des Lois a pu légitimement être banalisé, rendu possible à tout moment du procès et même à tout moment de la vie de la Loi. La démocratie mauricienne, pour reprendre une formule célèbre, n?est pas réduite à la simple expression de la volonté des députés ou du gouvernement. L?équilibre politique est modifié. Le législateur est contraint de prendre en compte les interdits posés et les prescriptions formulées par le juge londonien.

La conjugaison de deux voies de contestation des normes permet au juge londonien de protéger au maximum les droits et libertés fondamentaux. C?est ce que nous constaterons en examinant les grandes lignes de la jurisprudence constitutionnelle du Tribunal de la Downing Street.

CHAPITRE 2. LES GRANDES LIGNES DE LA PROTECTION CONSTITUTIONNELLE

Le droit constitutionnel mauricien a considérablement gagné en développement jurisprudentiel. Au gré des décisions prononcées dans des affaires mauriciennes et celles de caractère étranger produisant néanmoins un effet relativement direct par le biais de la règle du précédent, les Sages du Whitehall ont élaboré, par leur travail de mise en valeur et même de création des normes fondamentales, une jurisprudence très riche en matière des libertés publiques et des droits fondamentaux931. La Constitution mauricienne est devenue un acte vivant, ouvert à la création continue des droits. Très détaillée et longue, elle pose les bases de l?ensemble des branches du droit. Le champ de l?exploitation jurisprudentielle est immense. Le Comité Judiciaire n?a pas manqué d?être l?instrument de promotion et l?instrument de rendre effectif les droits constitutionnels.

Eu égard, cependant, aux types de recours portés au Comité Judiciaire, la protection constitutionnelle qu?il a offerte s?est développée sur deux axes: le droit pénal (section 1) et le droit public, au sens large du terme, (section 2). Le plan est donc tracé.

SECTION 1. EN DROIT PÉNAL

Nous avons vu que le catalogue des droits fondamentaux contenu dans la Constitution mauricienne ressemble sémantiquement à celui véhiculé par la Convention Européenne des Droits de l?Homme, notamment en ce qui concerne les grands principes pénaux.

Le droit pénal mauricien est amplement constitutionnalisé. Les principes directeurs y relatifs sont de deux ordres: tantôt ils intéressent toutes les branches du droit et donc de manière générale le droit pénal, tantôt ils intéressent spécifiquement celui-ci. Aussi, l?infiltration constitutionnelle en droit pénal s?accroît au fur et à mesure du prononcé des décisions par le Comité Judiciaire.

Pour la commodité de présentation nous distinguerons l?apport de la Haute Juridiction effectué en droit pénal procédural ou en matière des grands

931 DE SMITH Barbara: «The Judicial Committee as a Constitutional Court», PL, 1984, pp. 557 à 562.

principes de sauvegarde des libertés (sous-section 1) du droit pénal général et substantiel (sous-section 2).

Sous-section 1. En droit pénal procédural ou en matière des principes de sauvegarde des libertés

La jurisprudence du Comité Judiciaire est plus ou moins rebelle à une bonne systématisation tant elle est touffue et s?élabore à partir d?innombrables espèces d?autant plus variées qu?elles évoluent dans des systèmes juridiques divers. Pour autant, nous envisagerons d?en dégager une cohérence et, par conséquent, une classification en retenant les décisions intéressant le droit mauricien.

Nous distinguerons ainsi les exigences posées par le Conseil Privé en vue de garantir une bonne justice (paragraphe 1) de celles tendant au respect des droits de la défense (paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les exigences d'une bonne justice

Dans un véritable Etat de droit et dans une société démocratique, le citoyen bénéficie, outre des libertés proclamées, des droits de sauvegarde des garanties fonctionnelles et effectives de ses libertés.

L?un de ces droits est la garantie promise à chaque citoyen, pour la défense de sa personne, de bénéficier d?un procès équitable (A), ce qui assure la sauvegarde d?une bonne justice. La célérité du procès est aussi un aspect de l?équité. Toutefois, du fait de l?importance des problèmes posés par la lenteur de la procédure en contentieux mauricien, nous traiterons séparément la question de la célérité (B).

A. Le droit à un procès juste et équitable

A la manière de la Convention Européenne des Droits de l?Homme, la garantie du procès juste et équitable est consubstantielle à l?esprit même des catalogues des droits fondamentaux qui existent dans les pays ayant des Constitutions du type Westminster.

Dans les affaires portées au Comité Judiciaire, les exigences de l?équité se sont focalisées sur l?organe même du tribunal et le procès: sur le tribunal le grief invoqué par les requérants était tiré des manquements à son caractère

adéquat (a) et sur le procès, il a souvent été question de la garantie de l?innocence de l?accusé ou du prévenu pendant le déroulement du procès (b).

a. Le caractère adéquat du tribunal

Vu la spécificité de l?organisation judiciaire et de la profession d?avocat à l?île Maurice, la loi et la jurisprudence locales ont autorisé le changement de composition d?une formation de jugement survenu même au cours d?un procès. L?article 124 de la Loi de 1945 sur les juridictions (section 124 of the Courts Act 1945) dispose en effet qu?en cas d?empêchement d?un magistrat à la Cour de District ou à la Cour Intermédiaire (District or Intermediate Court), le Chef- Juge peut désigner un magistrat pour le remplacer. Le magistrat remplaçant poursuit l?audience, éventuellement jusqu?à son terme et prononce la décision.

Une illustration de cette pratique se trouve dans l?affaire Wong Ng, évoquée plus haut dans d?autres contextes. Le procès de Sieur Wong Ng avait débuté en décembre 1981 devant la Cour Intermédiaire composée de deux magistrats mais avait été ajourné plusieurs fois. Il ne prit fin qu?en octobre 1984. Entre-temps un changement était intervenu dans la composition du tribunal. Le magistrat remplaçant, qui avait participé au délibéré, n?avait pas assisté à toutes les audiences de la cause alors que son appréciation des faits avait été déterminante dans la mesure où la Loi de 1945 exige une décision unanime quand le tribunal est composé de deux magistrats932.

Les juges du Comité Judiciaire933 n?endossent pas une telle pratique934 à l?inverse de la Cour locale. Ils considèrent que le droit à un procès juste et équitable contenu dans l?article 10 de la Constitution mauricienne constitue un des fondements essentiels du système juridique. Dans un procès pénal, les magistrats ou les jurés qui se prononcent sur la culpabilité du prévenu ou de l?accusé doivent avoir entendu et examiné personnellement tous les témoignages produits à l?audience935. En effet, la procédure devant les juges répressifs doit privilégier le caractère oral du fait de la règle de l?intime conviction des magistrats. Ils doivent se décider qu?au vu des preuves soumises au débat. L?appréciation de la véracité des témoignages oraux dépend en large partie de la

932 Article 85 de la Loi de 1945 sur les juridictions.

933 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.

934 La jurisprudence du Comité Judiciaire est sensiblement proche de celle de la CEDH: 6 décembre 1988, Barberà c/ Espagne, PCEDH, 1989, série A, vol. 146, 51 p.

935 «Those charged with returning a verdict in a criminal case have the duty cast upon them to assess and determine the reliability and veracity of the witnesses who give oral evidence and it is upon this assessment that their verdict will ultimately depend», CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851, v. p. 1359.

prestation même des témoins. Certains éléments conditionnent la véracité du témoignage, tels le ton de la voix et les gestes. Ces éléments n?apparaissent pas à la lecture par le magistrat remplaçant du rapport et des notes établis par le magistrat remplacé. Le Comité Judiciaire considère que les juges qui n?ont pas assisté à l?intégralité des opérations de justice à propos desquelles ils statuent doivent se récuser936. En cas de défaillance et remplacement de l?un des magistrats au cours de la procédure du jugement, la cour doit recommencer les audiences tout au début. Les Lords ont dans cette affaire invoqué à l?appui de leur raisonnement plusieurs précédents anglais937 et un du Conseil Privé938.

La Cour Suprême a été constamment hostile à reconnaître au principe d?équité une portée aussi large. Dans l?arrêt Wong Ng939, elle n?exprime qu?un regret à propos de la méconnaissance d?une telle institution940. Elle accorde à la Loi coloniale sur les juridictions de 1945 un brevet de constitutionnalité et la considère comme faisant écran à l?exigence de l?équité.

En réaction au précédent et au principe protecteur de la défense posé par le Comité Judiciaire dans l?affaire Wong Ng941, la Cour Suprême locale marque sa désapprobation de deux manières bien qu?elle s?estime liée par l?arrêt des juges londoniens. Dans un cas, la Cour reconnaît la force obligatoire et impérative de l?arrêt de la juridiction supérieure, mais analyse et présente longuement, parfois même en outrepassant la mesure, des difficultés pratiques posées à l?administration de la justice dans l?hypothèse où la jurisprudence du Conseil Privé serait appliquée942. Le principe du Conseil provoquerait un accroissement excessif de la durée du procès, voire un désordre et chaos

936 «If they have not had the opportunity to carry out this vital part of their function as judges of the facts, they are disqualified from returning a verdict and any verdict they purport to return must be quashed», ibid.

937 V. par exemple HC: 3 novembre 1936, Fulker c/ Fulker, All ER, 1936, vol. 3, pp. 636 à 640, Sir Boyd Merriman rédacteur de l'arrêt.

938 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General of our Lady the Queen for the Colony of the New South Wales c/ Henry Louis Bertrand, cité note 404.

939 CSM: 24 juin 1985, Pierre S. André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, Le Chef-Juge Moollan et le juge Forget rédacteurs de l'arrêt. Ils y appliquent la jurisprudence de principe posée par la Cour. V. CSM: 22 janiver 1980, Audibert c/ Raghoonundun, MR, 1980, pp. 7 à 11, le juge Moollan rédacteur de l'arrêt.

940 «Although it is a matter of regret that the two magistrates who heard most of the evidence could not deliver the final judgment, yet, at least one was present throughout», in CSM: 24 juin 1985, Pierre S. André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note, 939.

941 Les Sages du Whitehall ont appliqué la même exigence dans une affaire de la Jamaïque. V. CJCP: 20 juillet 1987, Beswick c/ Regina, LRC, vol. criminal, pp. 6 à 10, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt. Le Lord-Chancelier Mackay of Clashfern faisait partie de la formation du jugement ayant prononcé cet arrêt.

942 Les juges mauriciens invoquent l?éloignement géographique des Lords et leur manque de connaissance des situations locales. «Now, the delays inherent to our judicial process, for a number of reasons which those who do not operate in Mauritian Courts are certainly not aware of...», CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol. criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt, v. p. 16.

administratif943. Aussi, les juges mauriciens suggèrent que la Loi de 1945 ne devrait être interprétée dans le sens indiqué par le Comité Judiciaire944. Dans un autre cas945, les juges opèrent une distinction entre le principe posé par les Lords dans l?affaire Wong Ng et le problème du cas de l?espèce. Les juges locaux distinguent les témoins qui à la fois déposent à l?audience et sont contre- interrogés de ceux qui ne produisent principalement qu?une affirmation écrite946 et qui ne sont pas contre-interrogés ou pas contre-interrogés substantiellement (not seriously cross-examined). S?agissant de ce dernier type de témoins (formal witnesses), la Cour soutient que le magistrat remplaçant (substitute magistrate) n?a pas l?obligation de les entendre de nouveau et peut simplement prendre connaissance de leurs déclarations écrites. Les juges locaux considèrent irrégulièrement que dans le cas de l?affaire Curpen947, les témoins entendus et contre-interrogés par l?avocat du prévenu avant le changement de composition du tribunal correctionnel tombaient dans la catégorie des témoins qui ne déposent principalement que par écrit (formal witnesses).

Le Comité Judiciaire948 rejette et la classification manifestement erronée de la Cour Suprême949, car les témoins en question ont bien été contre-interrogés et ainsi ont déposé oralement, et la distinction opérée par elle entre l?affaire Curpen et Wong Ng. Le Comité Judiciaire consacre une conception rigoureuse de l?unicité de la composition du tribunal. Le juge britannique, conformément à la tradition de la Common Law, attache aussi un facteur d?apparence à la justice exprimé dans l?adage «il ne suffit pas que la justice soit rendue, mais encore faut-il qu?elle soit apparente, que chacun puisse voir qu?elle soit rendue»950. L?image de la justice, voire de la fiction qu?elle englobe, doit être préservée. Si un magistrat statue sans avoir entendu les témoins ayant déposé à la barre, le

943 «... to start every single case partly heard by a differently constituted Court, whatever the circumstances would be illogical, would cause chaotic administrative problems and cause injustice in the sense that the accused would not, at the end of the day, have had a fair trial within a reasonable time», ibid., p. 13-14.

944 «With great respect, we venture to suggest that if a certain interpretation of what the law is produces chaotic results, it may be opportune to consider whether that interpretation is the correct one», ibid., p. 14.

945 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, les juges Pillay et Proag rédacteurs de l'arrêt.

946 Par exemple un agent de police judiciaire qui a mené un interrogatoire et recueilli les déclarations de la personne poursuivie et a donc dressé le procès-verbal de l?interrogation.

947 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, cité note 945.

948 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol. criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.

949 «Before their Lordships, Mr Ollivry submitted that the reasoning of the Supreme Court was open to serious criticism... he directed particular criticism to the treatment by the Supreme Court of the evidence given on the 28 November 1985, which they dismissed as evidence of formal witness who were not cross-examined at all or who were not seriously cross-examined... Their Lordships are of opinion that Mr Ollivry?s criticism are well-founded», ibid., p. 124-5.

950 «Justice must not only be done but also seen to be done».

justiciable peut ne pas être convaincu que la justice ait été réellement rendue951 même s?il a été amplement démontré que le prévenu est coupable d?avoir commis les faits incriminés.

Le Comité Judiciaire privilégie les considérations de caractère organique au détriment du critère fonctionnel, autrement dit, le procès juste sur la politique répressive. Les deux juridictions ne favorisent les mêmes valeurs.

La divergence de vue entre le juge du fond et le juge de cassation est-elle patente en matière de présomption d?innocence ?

b. La présomption d'innocence

Un procès juste et équitable implique également que les pouvoirs de l?autorité de poursuite soient cantonnés et l?office du juge répressif soit réglementé. L?individu traduit devant le tribunal doit bénéficier d?une protection particulière: le droit au respect de la présomption de son innocence952 jusqu?à ce que sa culpabilité ait été établie par une décision de justice953. Il doit exister un statut protecteur de l?inculpé.

Le principe de la présomption d?innocence, défendu par les philosophes des Lumières954, est affirmé à peu près partout dans le monde955 même s?il n?est ni toujours exprimé dans les mêmes sources du droit, ni de la même manière. A Maurice, l?article 10-2-a dispose que «toute personne accusée d?une infraction pénale est présumée innocente jusqu?à ce que sa culpabilité ait été établie ou qu?elle ait plaidé coupable». Cette disposition est sensiblement similaire à l?article 6-2 de la Convention Européenne des Droits de l?Homme qui se lit ainsi: «Toute personne accusée d?une infraction est présumée innocente jusqu?à ce que sa culpabilité ait été légalement établie». En réalité, la version mauricienne est la transcription dans l?ordre constitutionnel d?un principe de la Common Law exprimé dans le célèbre arrêt Woolmington956 de 1935 dans lequel Vicomte Sankey a magistralement indiqué que «dans la toile du droit pénal anglais, un

951 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851. Lord Griffiths déduit dans cette affaire que: «Whether or not justice was done in the present case, it was certainly not seen to be done», p. 1360.

952 LOMBOIS Claude: «La présomption d?innocence», Pouvoirs, 1990, n° 55, pp. 81 à 94.

953 Certains auteurs considèrent qu?en la Common Law, la présomption d?innocence cesse avec la condamnation par le premier juge alors qu?en droit français elle joue jusqu?à la condamnation définitive. V. RASSAT Michèle Laure: «Procédure pénale», PUF, Droit Fondamental, 1995, 2e édition, 861 p., v. p. 303.

954 V. article 9 de la Declaration Française des Droits de l?Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

955 PRADEL Jean: «Le droit pénal comparé», Paris, Précis-Dalloz, 1995, 733 p., v. p. 379.

956 CL: 22 mai 1935, Woolmington c/ The Director of Public Prosecutions, AC, 1935, pp. 462 à 483, Vicomte Sankey rédacteur de l'arrêt principal.

fil d?or se voit toujours, c?est un devoir du poursuivant de prouver la culpabilité de l?accusé»957. Ce principe souffre d?un aménagement. Le juge prévoit que le moyen de défense fondé sur l?aliénation mentale ou toute autre exception prévue par la loi est à la charge de l?accusé958.

D?un point de vue global, le principe de la présomption d?innocence implique que la personne poursuivie n?a pas à faire la preuve de son innocence. La preuve incombe au demandeur (actori incumbit probatio) et la charge de la preuve (onus probandi) pèse sur lui tout au long du procès. La personne poursuivie n?a pas à répondre aux charges qui pèsent sur elle. En principe, l?accusation doit établir l?élément matériel (actus reus) et moral ou psychologique (mens rea) de l?infraction. Le principe comporte une conséquence sur la prise de décision. Il impose de faire bénéficier à la personne poursuivie du doute sur la balance des preuves pénales959. Cette règle du bénéfice du doute qui profite à l?accusé ou le prévenu (in dubio pro reo) impose, selon le cas, l?acquittement ou la relaxe de l?individu. La condamnation ne peut survenir que lorsque la poursuite ait été si persuasive qu?il ne reste plus aucun doute raisonnable (beyond reasonable doubt).

Néanmoins, autant le principe de la présomption d?innocence est universel, autant sa portée est relativisée. Il existe à l?égard de certaines infractions minimes une sorte de présomption de culpabilité sur l?élément moral en droit français et anglais, parfois même de manière identique, et l?on peut parler de véritables correspondances960. La Cour Européenne des Droits de l?Homme considère, dans l?arrêt Salabiaku, qu?il est conforme à la Convention d?ériger en infraction un fait matériel considéré en soi, qu?il précède ou non

957 «Throughout the web of the English criminal law, one golden thread is always to be seen, that it is the duty of the prosecution to prove the prisoner?s guilt», ibid., p. 481.

958 La Constitution mauricienne prévoit dans son article 10-11-a de telles exceptions. V. CSM: 1 juillet 1993, Simandree c/ The State, MR, 1993, pp. 333 à 334, le juge Pillay rédacteur de l'arrêt. V. aussi à propos des Constitutions de Westminster CJCP: 29 juin 1994, Dean Edwardo Vasquez c/ The Queen, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1304 à 1306, affaire de Bélize, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.

959 CSM: 29 juin 1993, Callychurn c/ The State, MR, 1993, pp. 330 à 333, le juge Ahnee rédacteur de l'arrêt.

960 Par exemple, le fait de vivre avec une prostituée et de ne pouvoir justifier de ses propres ressources constitue un cas de proxénétisme. En France, ce délit est prévu à l?article 255-6,3° du Code Pénal: «Est assimilé au proxénétisme... le fait... de ne pouvoir justifier de ses ressources correspondant à son train de vie tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution». En Angleterre, l?article 30 de la Loi sur les infractions contre les moeurs sexuelles de 1956 (Sexual offences Act 1956) dispose également que: «... a man who lives with or is habitually in the company of a prostitute... shall be presumed to be knowingly living on her earnings of prostitution unless he proves the contrary». V. sur le sujet ANDREWS John A. et HIRST Micheal: «Criminal Evidence», Londres, Sweet and Maxwell, 1992, 696 p., v. «Statutory presumptions against the accused», p. 110 et s.

d?une intention délictueuse961. Les difficultés de preuves que pourrait parfois rencontrer le ministère public incitent les juges à donner au prévenu un rôle plus important dans sa défense.

Dans ce secteur, un point de vue commun unit la Cour Suprême locale au Conseil Privé. En effet, la Cour de Maurice attribue au principe de la présomption d?innocence une portée similaire à celle de la jurisprudence anglaise962. Le principe était respecté bien avant l?entrée en vigueur de la Constitution de 1968 en vertu de l?application à Maurice du droit britannique de la preuve. La Loi Fondamentale n?a que constitutionnalisé les normes jurisprudentielles963. L?exception prévue par l?article 10-11-a de la Constitution et qui attribue à l?accusé le devoir de rapporter exceptionnellement la preuve de certains faits ne renverse en aucun cas la charge, le fardeau même de la preuve qui pèse sur le ministère public964. Ce ne sont que des faits justificatifs d?exonération (law ful authority or excuse) qui peuvent être à la charge du prévenu. Il est le seul à avoir connaissance de ces faits et c?est ainsi qu?il lui appartient de les rapporter. Par ailleurs, bien que la Constitution n?en fait pas mention, le juge considère que le législateur peut établir des présomptions de faits. Par un lien particulièrement étroit, certains faits sont liés à des infractions965. L?infraction est alors fondée sur la vraisemblance. Cependant, poursuit le juge, ces exceptions ne renversent pas la charge de la preuve, mais déterminent des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le procureur peut prouver plus facilement certains éléments des délits ou contraventions966. Il ne peut s?agir en aucun cas d?une présomption de culpabilité967. Ainsi, une

961 Le Code des Douanes français crée une présomption légale de responsabilité du détenteur des marchandises de fraude. V. CEDH: 7 octobre 1988, Salabiaku c/ la France, PCEDH, 1989, série A, vol. 141, 45 p. et JUNOSZA-ZDROJEWSKI: «La présomption d?innocence contre la présomption de culpabilité», Gaz.Pal, 1989, Chronique, pp. 308 à 309 et VIRIOT-BARRIAL Dominique: «La preuve en droit douanier et la Convention Européenne des Droits de l?Homme», RSC, 1994, pp. 537 à 547.

962 RAMSEWAK Doorgesh, QC: «Mauritian law, the Constitution, its legal aspect and political philosophy», Port-Louis, Proag Printing Ltd, 1991, 177 p., v. p. 65 et s.

963 CSM: 28 janvier 1972, Police c/ Moorbanoo, MR, 1972, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «But it is no less known that in this country, as also in all those countries where the English law of evidence has been and is still applied... that principle, in the very form in which it is stated in our Constitution has been a cardinal and most carefully guarded commandment of the criminal law», ibid., p. 24.

964 «To say that an accused party is to be presumed innocent is really to say that the burden is on the prosecution to prove every ingredient of the charge against him», ibid., p. 25.

965 «... certain facts will be prima facie evidence of some other facts which it is incumbent on the prosecution to prove under charge... In other words, the basic fact is of the kind that could according to common experience reasonably warrant the inference of the other fact...», ibid., p. 26.

966 «It has for effect not to dispense the prosecution with the onus of proving the elements of the offence charged but to determine what evidence would in certain circumstances be sufficient to prove those elements in the absence of proof to the contrary», ibid., p. 27.

967 «In my view a Statute is repugnant to the Constitution not only when it casts on the accused the whole burden of proving his innocence, but also when it provides that upon proof which is pima facie innocent, and which is a common incident of daily life, it shall be for the accused to prove that no crime was committed», CSM: 13 septembre 1973, Velle Vidron c/ The Queen, MR,

Ordonnance mauricienne qui prévoit que la cassure des scellés d?un compteur d?électricité fait présumer que le client a frauduleusement soustrait et consommé de l?énergie est contraire au principe car elle exige, au-delà de ce qui est raisonnable, une participation du prévenu à l?effort probatoire968.

La ligne jurisprudentielle adoptée par le Comité Judiciaire en la matière est sensiblement similaire à celle de la Cour de Maurice. Dans une affaire de Hongkong969, le juge londonien a défini de manière générale le principe de la présomption d?innocence et sa portée dans la famille juridique de la Common Law.

Citant de prime abord les arrêts Woolmington de la Chambre des Lords et Salabiaku de la Cour Européenne des Droits de l?Homme précités, le Comité Judiciaire soutient que la présomption d?innocence, comme tout principe constitutionnel, est sujette à la flexibilité. Des aménagements peuvent y être portés sans méconnaître l?essentiel du principe. Des exceptions sont admissibles dès lors qu?il appartient toujours au ministère public de prouver la culpabilité selon le niveau (standard) requis, c'est-à-dire, au-delà des doutes, et que l?exception est raisonnable970. L?exception sera d?autant plus autorisée qu?elle est minime. Elle violerait, par contre, le principe si elle fait présumer la commission de l?infraction pénale ou attribue les diligences probatoires à la personne poursuivie971. Le Comité Judiciaire soutient à juste titre que s?il appartient à l?accusé de prouver son innocence, il pourrait alors être condamné s?il subsiste un doute sur sa culpabilité. Le bénéfice du doute profiterait alors à la partie poursuivante au détriment de l?accusé.

L?adhésion de la Cour Suprême à la jurisprudence britannique et londonienne sur la présomption d?innocence n?a pas entraîné la sanction de ses

1973, pp. 245 à 255, les juges Garrioch et Rault rédacteurs des arrêts concurrents, v. opinion du juge Rault à la page 254. Il invoque à l?appui de son raisonnement la jurisprudence CJCP: 26 mars 1936, Attygale c/ The King, AC, 1936, pp. 338 à 345, affaire de Ceylan, Lord-Chancelier Vicomte Hailsham rédacteur de l'arrêt.

968 V. dans le même sens CSM: 9 mars 1965, Director of Public Prosecutions c/ Labavarde, MR, 1965, pp. 72 à 76, le Chef-Juge Sir Rampersad Neerunjun rédacteur de l'arrêt.

969 CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR, 1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt.

970 «Some exceptions will be justifiable, others will not. Whether they are justifiable will in the end depend upon whether it remains primarily the responsibility of the prosecution to prove the guilt of an accused to the required standard and whether the exception is reasonably imposed...», ibid., p. 341.

971 «The less significant the departure from the normal principle, the simpler it will be to justify an exception. If the prosecution retains responsibility for proving the essentials ingredients of the offence, the less likely it is that an exception will be regarded as unacceptable... If the exception requires certain matters to be presumed until the contrary is shown, then it will be difficult to justify that presumption...», ibid.

décisions par le Comité Judiciaire. La présomption d?innocence n?est pas un droit nouveau. Elle fait partie d?une longue tradition.

Par contre, la démarche de la Cour Suprême est différente sur le droit d?être jugé dans un délai raisonnable, droit plus récent.

B. Le droit d'être jugé dans un délai raisonnable

La Constitution mauricienne pose le principe visant à ce que la justice ne soit pas rendue avec un retard qui compromettrait son efficacité, sa crédibilité et surtout les droits de la défense. La notion de «procès équitable dans un délai raisonnable» a été diversement interprétée et appliquée par la Cour locale et le Conseil Privé.

Deux séries de questions ont été formulées, d?abord à propos de la computation du délai (a) et ensuite du caractère raisonnable du délai (b).

a. La computation du délai au déclenchement des poursuites

Est-ce que le délai raisonnable pour être jugé commence à courir au jour de la commission de l?acte délictueux ou criminel ou au jour de la mise en examen de l?inculpé, du déclenchement des poursuites ?

L?article 10-1 de la Constitution mauricienne dispose que «toute personne accusée d?avoir commis une infraction (charged with a criminal offence)... a droit à un procès juste et équitable tenu dans un délai raisonnable». La Cour locale, dans l?affaire Police c/ Labat972, interprète de manière littérale et stricte les dispositions de l?article précité. Elle considère que le point de départ du délai (dies a quo) ne survient pas au moment de la commission des faits, c'est-à-dire, avant la saisine du tribunal973 par le ministère public lors de l?arrestation de l?auteur suspecté de l?infraction. Toutefois, les juges Latour-Adrien et Garrioch estiment que le délai écoulé avant la saisine de la juridiction du jugement, pourrait, s?il est excessif, selon le cas de l?espèce, affecter le caractère équitable du procès. Le juge du premier degré, chargé de veiller à la loyauté du procès, a éventuellement le devoir de déclarer irrecevables les poursuites si elles

972 CSM: 19 novembre 1970, Police c/ Labat, MR, 1970, pp. 214 à 234, le Chef-Juge Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt majoritaire et le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt d?une opinion concurrente.

973 «The expression «reasonable time» has thus no relation in the section to the time elapsed before the preferment of the information», ibid., p. 221.

paraissent contraires à l?équité974 dans des cas exceptionnels. Autrement dit, les juges Latour-Adrien et Garrioch soutiennent l?existence d?un principe éteignant l?action publique pour cause de prescription. Par contre le juge Ramphul, rédacteur d?une opinion concurrente dans l?arrêt précité, dénie l?existence de l?institution de la prescription et l?exigence de toute célérité975.

Dans un arrêt plus récent976, la Cour Suprême, en approuvant le juge Ramphul, manifeste une virulente opposition à l?extinction de l?action publique par la prescription977. Les faits de l?affaire méritent d?être soulignés afin que la position de la Cour Suprême soit mieux analysée. Sir Gaétan Duval est arrêté sous le chef d?accusation d?avoir été l?instigateur d?un assassinat commis dix- huit ans auparavant. Dans un recours à la Cour Suprême pour garantir ses droits constitutionnels (constitutional redress) il invoque la nécessaire prescription du crime car s?il est traduit devant la formation d?assises de la Cour, le procès ne serait pas juste et équitable. Il subirait des préjudices dans la préparation de sa défense. Certains de ses témoins sont décédés et d?autres ne mémorisent plus les faits. Le risque d?une erreur judiciaire est grande. La Cour Suprême marque son désaccord à ces arguments978. La Constitution mauricienne ne garantit, selon elle, que la célérité du procès. Elle soutient, à tort, que le droit mauricien, comme celui de l?Angleterre979 ne pose aucun délai à l?exercice

974 «It seems, however, that undue delay in the institution of proceedings against the accused party may be a factor, viewed in the context of the particular circumstances of each case, which a court of trial is entitled to take into account when considering whether the delay has not had for effect to prevent the accused from having a fair trial, a result which is incumbent on the court of trial to ensure. If, therefore, a court of trial comes to the conclusion that delay in preferring a charge against a person has made it impossible for him to be fairly tried, the court of trial, it seems to us, would be entitled to dismiss the information», ibid.

975 «There is no duty cast on the Director of Public Prosecutions or any other person or authority to prosecute within a reasonable time a person arrested on a criminal charge and subsequently released on bail», ibid., p. 232.

976 CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 1), LRC, 1990, vol. constitutional, pp. 570 à 577, les juges Glover et Yeung Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt.

977 Dans un deuxième recours à la Cour Suprême, constituée différemment, celle-ci approuve la première décision. V. CSM: 5 juin 1990, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 2), LRC, 1990, vol. criminal, pp. 245 à 251, les juges Lallah et Pillay rédacteurs de l'arrêt.

978 V. également dans le sens des arrêts précités, CSM: 24 novembre 1992, Lutchmeeparsad c/ The State, MR, 1992, pp. 271 à 281, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt majoritaire. Le juge Ahnee, auteur d?une opinion dissidente, tranche le cas de l?espèce dans le sens indiqué par le Conseil Privé. V. ibid., p. 279 à 281.

979 En Angleterre, les infractions légères (summary offences) sont systématiquement prescrites au bout de six mois. D?autres lois particulières prévoient un obstacle à la poursuite, même parfois pour des infractions graves. V. EMMINS Christopher J.: «A practical approach to criminal procedure», Londres, Blackstone Press Limited, 1990, 4e édition, 500 p., v. p. 20 et s.

Aussi, la juridiction du fond (trial court) dispose d?un pouvoir général aux fins de déclarer irrecevables les poursuites lorsqu?elle estime que celles-ci seraient contraires à l?équité ou seraient déloyales. V. DELMAS-MARTY Mireille (dir): «Procédures pénales d?Europe», PUF, Thémis, 1995, 638 p., v. p. 169 et CHOO Andrew L. T.: «Halting the criminal prosecutions: the abuse of process doctrine revisited», CLR, 1995, pp. 864 à 874.

de l?action publique980. Elle fait valoir que la préscription nuit au devoir de la société de faire justice.

Le Comité Judiciaire, conformément à sa politique libérale et progressiste, récuse une telle interprétation stricte de l?article 10-1 de la Constitution de Maurice et rétablit le raisonnement qui convient. Que la formule de l?article 10-1 soit maladroite est évident puisque prise à la lettre elle ne devrait avoir qu?une portée réduite à laquelle le juge de la Downing Street ne s?est pas résigné981. Il étend considérablement la portée de la norme. Il lui donne un sens autonome. Dans l?affaire Mungroo982, Lord Templeman déclare que l?article 10-1 de la Constitution protège en premier lieu la partie poursuivie contre tout préjudice qu?elle pourrait subir dans sa défense à cause des faits de retard983. Poursuivant son analyse, le juge londonien rejette intégralement la thèse de la Cour Suprême soutenue dans l?affaire Police c/ Labat précitée. Ils considèrent que l?article 10-1 englobe tout retard, donc aussi celui qui court à partir de la commission de l?infraction. Poursuivre quelqu?un pour une infraction très ancienne dont les preuves ont disparu ou sont devenues incertaines est contraire au principe d?équité984. Pour éviter l?erreur judiciaire et dans l?intérêt même de la justice répressive, il convient de renoncer à l?action publique.

Ainsi, le juge londonien inclut dans la Constitution de Maurice la théorie anglaise de l?abus de procès (abuse of process) qui permet à l?accusé de se protéger contre les atteintes à l?établissement de sa défense985. En réalité, il traduit juridiquement le vieil adage lapidaire «justice rétive, justice fautive» (justice delayed, justice denied). Le juge britannique s?est toujours attribué le pouvoir d?annuler tout procès dans lequel la défense est défavorisée (is

980 «Our law like the law in England, does not set, as a general rule, any limit for a criminal prosecution to be stated», CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 1), cité note 976, v. p. 573.

981 En revanche, si la Loi prévoit un délai de prescription court (de douze mois pour exportation illicite de devises), il advient que le juge londonien renferme l?application de la prescription strictement dans les termes de la Loi. V. CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869.

982 CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, LRC, 1992, vol. constitutional, pp. 591 à 595, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt (également publié in JCL, 1992, pp. 168 à 171).

983 «The right to a trial «within a reasonable time secures, first, that the accused is not prejudiced in his defence by delay...», ibid., p. 592.

984 Indeed, it may be that in some cases, in considering whether a reasonable time has elapsed before the conclusion of a hearing of criminal proceedings, it would be proper to take into account the period before the accused was arrested. For present purposes it is sufficient to say that the decision in Police c/ Labat... can no longer be relied upon in any respect», p. 594.

985 HC: 31 juillet 1984, R c/ Derby Crown Court, ex parte Brooks, CAR, 1985, vol. 80, pp. 164 à 169, Sir Roger Omrod rédacteur de l'arrêt.

prejudiced), notamment à cause des faits de retard986 au cours du déroulement du procès pénal.

Depuis 1993, le juge mauricien s?est rallié à la jurisprudence londonienne987 pour ne pas courir le risque d?une sanction.

986 CA: 13 avril 1992, Attorney-General?s reference (N° 1 of 1990), QBD, 1992, vol. 1, pp. 630 à 644, le Lord-Chef-Juge Lane rédacteur de l?avis. Il soutient que: «There is no statutory limitation period for criminal proceedings such as those in the instant case. The court is not however powerless to regulate its own proceedings in this area... there must be a residual discretion to prevent anything which savours of abuse of process», ibid., p. 640-1.

987 CSM: 2 novembre 1993, Dahal c/ The State, MR, 1993, pp. 220 à 225, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.

b. La durée du procès pénal

La Constitution mauricienne garantit expressément la célérité du procès pénal. Une fois que le ministère public déclenche les poursuites à l?égard d?une personne, celle-ci a droit d?être jugée dans un délai raisonnable. La Haute Juridiction londonienne988 considère que le principe est fondé, non seulement sur le besoin de ne pas défavoriser la défense, mais également sur la nécessité de protéger psychologiquement la personne poursuivie. Considérée comme innocente jusqu?à preuve du contraire par un tribunal, elle ne doit vivre dans l?inquiétude et l?angoisse que pour une période la plus courte possible989. Le juge londonien marque son souci de préserver la liberté individuelle sur le plan psychologique et de limiter, dans la mesure du possible, les contraintes abusives du procès. La Haute Juridiction opte pour la conception la plus libérale en matière de protection contre la durée excessive du procès.

Poursuivant cette logique, le Conseil Privé s?efforce d?aligner sa jurisprudence en la matière sur des modèles (standards) internationaux. Le Comité Judiciaire épouse une conception universelle de la garantie procédurale. Il ne réduit pas son analyse de l?article constitutionnel à son simple énoncé mais le considère comme un principe universel proclamé dans d?autres pays. Les Sages du Whitehall se démarquent des juges mauriciens qui cherchent, dans bien des cas, à distinguer les articles correspondants des autres pays du texte constitutionnel mauricien. Leur démarche est de type privatiste et syntaxique. Le Comité Judiciaire pratique la comparaison alors que la Cour mauricienne se livre dans certains cas à la distinction. Ainsi, le Comité Judiciaire soutient que l?article 10-1 de la Constitution mauricienne est identique (indistinguishable) à l?article correspondant de la Constitution de la Jamaïque qu?il a interprété et appliqué dans l?arrêt Bell990. Dans cette affaire, Lord Templeman transpose en totalité une jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique991 sur le droit constitutionnel à un procès rapide (right to a speedy trial)992. Le juge

988 Le moyen tiré d?une durée excessive est opérant sur un pourvoi au Comité Judiciaire. Il semble que le même moyen n?est pas une cause de nullité de la décision des juges du fond à la Cour de Cassation française. V. C.Cas: 3 février 1993, Kemmoche Michel c/ Cour d?Assises du Var, Bull, crim, 1993, pp. 132 à 137, n° 57.

989 «The right to a trial «within a reasonable time» secures... that the period during which an innocent person is under suspicion and any accused suffers from uncertainty and anxiety is kept to a minimum», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 592.

990 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public Prosecutions, cité note 756.

991 CSEUA: 23 juin 1972, Baker c/ Wingo, Warden, US, 1972, vol. 407, 3e partie, pp. 514 à 538, le juge Powell rédacteur de l'arrêt.

992 «Their Lordships acknowledge the relevance and importance of the four factors lucidly expanded and comprehensively discussed in Baker v. Bingo. Their Lordships also acknowledge the desirability of applying the same or similar criteria to any Constitution, written or unwritten, which protects an accused from oppression by delay in criminal proceedings», CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public Prosecutions, cité note 756, v. p. 81.

américain a posé quatre critères d?appréciation de la notion du délai, pratiquement similaires à ceux retenus par la Cour Européenne des Droits de l?Homme993. D?abord le délai doit s?apprécier suivant la complexité de l?affaire en question994. La complexité inclut plusieurs données, de fait ou de droit, considérées globalement. Les comportements des autorités compétentes doivent entrer en ligne de compte pour déterminer les lenteurs imputables à l?Etat. Etant entendu, souligne le juge, que les problèmes d?administration de la justice, de dysfonctionnement, d?engouement des cours relèvent de la responsabilité de l?Etat et non de la personne poursuivie995. Ensuite, le juge doit peser la force de la revendication par la personne poursuivie de son droit à un procès rapide car plus elle se sentira privée de ce droit, plus elle l?invoquera. Enfin, le juge doit apprécier le préjudice subi par l?intéressé en prenant en considération la durée de la détention provisoire, les troubles psychologiques subis et les atteintes aux droits de la défense.

Par ailleurs, le Comité Judiciaire a renforcé au fil des arrêts, la garantie contre la lenteur juridictionnelle en créant une sorte de présomption de préjudice subi par l?accusé. Plus la lenteur est considérable, plus elle sera imputée au ministère public et plus elle sera considérée comme ayant désavantagé l?accusé996. Il déduit que la présomption fait peser sur l?autorité poursuivante la charge de démontrer que la lenteur n?est pas imputable à l?Etat, à la justice et qu?elle résulte par contre du caractère délicat et complexe de l?affaire ou de l?attitude abusive ou dilatoire du justiciable997.

La justice prend une nouvelle dimension avec la jurisprudence du Conseil Privé. Elle n?est pas réduite au simple fait de trancher des litiges mais obéit à une éthique.

993 CEDH: 31 mars 1992, X c/ France, PCEDH, 1992, série A, vol. 234, pp. 77 à 104.

994 Sur l?appréciation de ce critère v. CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.

995 Le juge du Whitehall précise toutefois, que pour apprécier les faits de retard, il faudrait prendre en compte le système de fonctionnement des organes de justice et la situation économique propre à chaque pays du Commonwealth. V. CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 594.

996 «Normally, the longer the delay the more likely it will be that the prosecution is at fault, and that the delay has caused prejudiced to the defendant, and the less that the prosecution has to offer by explanation, the more easily can fault be inferred», CJCP: 29 juin 1992, George Tan Soon Gin c/ Judge Cameron, AC, 1992, vol. 2, pp. 205 à 228, affaire de Hongkong, Lord Mustill rédacteur de l'arrêt, v. p. 225.

997 «Their Lordships consider that, in any future case in which excessive delay is alleged, the prosecution should place before the court an affidavit which sets out the history of the case and the reasons (if any) for the relevant periods of delay», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 595. V. également CJCP: 29 mars 1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, cité note 414.

Sous le bénéfice de cette conception de la justice, les droits de la défense gagnent en importance.

Paragraphe 2. Les droits de la défense

Dans le système accusatoire de la procédure pénale de la Common Law998, l?intérêt de la société de punir avec plus ou moins de sévérité les infractions est contrebalancé de manière fort convenable avec l?intérêt de l?individu au respect de sa liberté999. Si la justice commande que le coupable de l?infraction soit puni, elle exige aussi non moins impérieusement que celui qui est poursuivi ait toute la possibilité de se défendre et ne puisse jamais être frappé d?une sanction que si sa culpabilité ait été établie conformément au droit1000. Le droit pénal est soucieux du respect de la liberté de l?individu et des droits de la défense sans le respect desquels il ne saurait y avoir une bonne justice répressive. Il importe à la dignité et à l?autorité même de la Justice et au respect qu?elle doit inspirer de ne mettre en oeuvre aucun moyen qui attente aux grandes valeurs de l?équité et la loyauté.

Le droit pénal constitutionnel mauricien s?inspire de cette perspective fondamentale de la Common Law. Les prérogatives procédurales accordées à l?accusé pour pouvoir répondre à la poursuite sont proclamées dans le catalogue constitutionnel des droits et les juges du Conseil Privé les ont appliquées avec hardiesse. Les droits de la défense sont aujourd?hui en phase d?expansion.

La montée générale du principe de l?égalité des armes est affirmée dans les deux phases du contentieux répressif: au stade policier ou avant l?audience du jugement (A) et lors du procès, lors de l?audience du jugement (B).

A. Au stade policier ou avant l'audience du jugement

Les Constitutions du Commonwealth confèrent au suspect gardé à vue deux privilèges. Il n?est pas tenu de répondre aux questions des enquêteurs1001 et

998 Pour un aperçu historique, v. SEITZ Emile F.: «Les principes directeurs de la procédure criminelle de l?Angleterre», thèse, Nancy, 1928, Rousseau, 1928, 339 p.

999 «There is thus the need to ensure that the police have adequate measures to protect the public without at the same time conferring powers that undermine the very freedom which the police are employed to defend», BRADLEY A. W. et EWING K. D., cité note 549, v. p. 468.

1000 CJCP: 12 juillet 1993, The Police c/ Rajandah Coomar Kristamah, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadmey rédacteur de l'arrêt. Les Lords sanctionnent la fabrication des éléments de culpabilité par les autorités de police.

1001 Le droit de ne pas déposer au Commissariat est maintenant reconnu en France. V. article 62 alinéa 2 nouveau (Loi du 4 janvier 1993) du Code de Procédure Pénale.

aucune conséquence adverse ne peut être tirée de ce silence1002. On ne s?attardera pas sur cette première garantie qui n?a suscité aucune divergence jurisprudentielle. On retiendra par contre le deuxième privilège, celui du droit à l?assistance d?un défenseur au commissariat et pendant la détention provisoire (a) et ses modalités de mise en oeuvre, notamment en ce qui concerne l?avertissement au suspect de ses droits (b).

a. Le principe du droit à l'assistance d'un défenseur au commissariat et pendant la détention

A Maurice, comme dans les pays de la Common Law y compris le Q uébec1003, la présence de l?avocat lors de l?enquête est très largement admise1004. L?article 5-3 de la Constitution prévoit expressément cette garantie en disposant que «Quiconque est arrêté ou détenu... se verra accorder les facilités raisonnables afin de consulter un défenseur de son choix». Cette protection s?explique par le fait que les enquêtes de police sont menées sous la direction et de la seule responsabilité de la police et non d?un magistrat instructeur comme en France. Si l?inculpation et la détention sont relatives à la commission d?un crime, un magistrat du siège sera amené à exercer un contrôle de légalité lors de l?audience préliminaire (au jugement de l?affaire au fond) afin d?établir si celle- ci devra être renvoyée devant la formation d?assises de la Cour Suprême. L?absence de l?instruction confère aux investigations policières une grande importance et justifie l?intervention de l?avocat. La procédure pénale organise déjà à ce stade une certaine confrontation entre les parties en présence et l?égalité devant la Loi trouve son prolongement dans l?assistance accordée à la personne gardée à vue ou détenue.

Le droit constitutionnel à un avocat au commissariat a pour origine une extension du Règlement des juges d?Angleterre de 1964 (The Judges' Rules of England of 1964)1005 par arrêté du ministre britannique des colonies en 1965 à diverses colonies dont l?île Maurice. Le Règlement a été élaboré par les magistrats de la Cour d?Appel d?Angleterre. Il ne devait avoir de force juridique mais le non-respect de ses dispositions entraîne l?exclusion des éléments de

1002 En principe, l?agent de police doit indiquer à l?intéressé que: «Vous pouvez ne rien dire à moins que vous désiriez parler, mais tout ce que vous diriez peut être utilisé comme un élément de preuve contre vous». V. article 15 de la Loi sur les Cours de district et intermédiaire du 5 novembre 1888.

1003 BELIVEAU Pierre: «Les garanties juridiques dans les chartes des droits», Montréal, Les Editions Thémis, 1991, 658, p., v. p. 473.

1004 KACHKOUSH Hoda: «L?arrestation, étude de la procédure pénale comparée, France, Egypte, Angleterre, Islam», thèse, Université de Pau, 1989, 472, p., v. p. 200 p. et s.

1005 CA: 24 janiver 1964, Practice Note, Judges? Rules, WLR, 1964, vol. 1, pp. 152 à 158, le LordChef-Juge Parker rédacteur du Règlement.

preuve irrégulièrement obtenus au vu du Règlement1006. Le Règlement1007 encadre les modes de preuves et les pratiques policières et prévoit avec minutie le droit du suspect de communiquer en privé avec son conseiller.

Le Comité Judiciaire a consolidé et poursuivi la constitutionnalisation des normes du Règlement, notamment en ce qui concerne le droit à l?assistance d?un défenseur. Dans l?affaire Thornhill1008, les juges londoniens tiennent le raisonnement suivant. La Constitution1009 dispose que tout individu a droit à la protection de la loi. Le Règlement fait partie du corpus juridique dont a joui de jure ou de facto le citoyen. Conjuguant ces deux propositions, le juge londonien soutient que l?interdiction par l?autorité de police à une personne gardée à vue de communiquer, selon les termes du Règlement, avec son défenseur équivaut non moins à une violation de la Constitution.

1006 HAMPTON Celia: «Criminal Procedure and Evidence», Londres, Sweet and Maxwell, 1973, 470 p., v. p. 22 et s.

1007 En Angleterre, le Règlement est aboli et remplacé par la Loi sur la Police et les Preuves en droit pénal (The Police and Criminal Evidence Act) de 1984. V. sur le sujet REID Anne: «Un nouveau départ pour la procédure pénale anglaise, le Police and Criminal Evidence Act», RSC, 1987, pp. 577 à 587 et ZANDER Micheal: «The Police and Criminal Evidence Act», Londres, Sweet and Maxwell, 1990, 475 p.

1008 CJCP: 27 novembre 1979, Terence Thornhill c/ Attorney-General, cité note 845.

1009 Article 1er de la Constitution de 1962 de Trinité et Tobago et article 3 de la Constitution de Maurice.

b. L'obligation aux autorités de police d'informer la personne gardée à vue de ses droits

Le principe des garanties accordées aux personnes retenues au commissariat exige-t-il aussi que celles-ci soient informées par l?autorité de police de leurs droits ? Le Comité Judiciaire a rendu une décision capitale sur le sujet dans l?affaire Whiteman1010. Le précédent posé par le juge londonien a été appliqué dans son intégralité par certains juges de la Cour Suprême de Maurice, alors que d?autres, de tendance conservatrice, s?y sont opposés.

Le Comité Judiciaire impose à la police de fournir au suspect, dès qu?il soit retenu pour un interrogatoire, un certain nombre d?informations sur ses droits alors même que la Constitution ne prévoit pas une telle obligation. L?information est nécessaire afin que le suspect soit à même d?exercer ses droits. Le Comité Judiciaire part de l?idée selon laquelle le droit constitutionnel (constitutional right) du suspect de communiquer avec un conseil pourrait être dépourvu de sens si la personne n?est pas informée de ce droit. Il considère que beaucoup de personnes ne connaissent pas leurs droits ou si elles en sont au courant, les troubles psychologiques provoqués par l?état d?arrestation leur feraient oublier leurs prérogatives1011. Selon le juge londonien, c?est le Règlement des juges qui précise en effet les modalités d?application de ce droit constitutionnel. Le Règlement prévoit ainsi que la personne gardée à vue doit être informée verbalement des facilités et droits qui lui sont accordés et au surplus que les autorités de police doivent afficher des avis indiquant les susdits droits dans des lieux convenables, c'est-à-dire, à portée de vue, dans le commissariat1012. Les Sages du Whitehall élèvent encore une fois le Règlement des juges à une certaine dignité constitutionnelle. La violation de ses dispositions entraîne une méconnaissance de la Constitution1013.

Par ailleurs, la Haute Juridiction s?est montrée particulièrement audacieuse en posant une exigence supplémentaire aux devoirs des autorités de police et outrepasse par là même incontestablement les termes non pas seulement du texte constitutionnel mais également du Règlement des juges. Statuant de façon tout à fait prétorienne, elle déclare notamment qu?il appartient aux agents de police de s?assurer que la personne gardée à vue ait effectivement pris connaissance de l?existence de ses droits. La personne gardée

1010 CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, cité note 850.

1011 Ibid., p. 247.

1012 Annexe B, paragraphe 7-b du Règlement des juges de 1964 d?Angleterre.

1013 «Their Lordships accordingly consider that persons who have been arrested or detained have a constitutional right to be informed of their right to communicate with a legal adviser», CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, cité note 850, v. p. 248.

à vue peut être analphabète ou peut ne pas être familière avec le langage (juridique) employé1014.

Il semble que la Haute Juridiction a voulu rapprocher les Constitutions du Commonwealth du cinquième Amendement à la Constitution des Etats-Unis d?Amérique selon lequel «nul ne pourra être obligé de témoigner contre luimême»1015. Comme son homologue américain, le juge londonien a mis en place un système phare de protection, un code protecteur, des droits de la défense afin d?éviter que le suspect fasse de déclarations qui nuiraient à son intérêt.

Certains juges mauriciens ont suivi le raisonnement effectué par le Conseil Privé et transposé avec pertinence le précédent Whiteman en droit local1016. Ils conclurent que l?obligation pour les autorités de police d?informer la personne gardée à vue de ses droits est une garantie de nature constitutionnelle1017. D?autres juges de la Cour Suprême ont rejeté le principe posé par le juge londonien1018. Récusant toute interprétation dynamique et évolutive, ils attribuent au texte constitutionnel et au Règlement des juges que leurs sens les plus stricts. Dans l?arrêt Samserally1019, ils ne font pas mention dans la motivation de l?arrêt de la jurisprudence Whiteman du Comité Judiciaire.

Une telle lecture de la Constitution ne nous paraît pas pouvoir être conservée. La lecture formaliste et étroite des normes fondamentales retarde considérablement le développement des droits de l?homme et, par conséquent, celui de la société. Le précédent mauricien mérite d?être sanctionné d?autant qu?il méconnaît l?autorité de la jurisprudence du juge londonien.

B. Lors de l'audience du jugement

1014 «They (their Lordships) would add that it is incumbent upon police officers to see that the arrested person is informed of his right in such a way that he understands it. He may be illiterate, deaf or unfamiliar with the language», ibid.

1015 COLAS Dominique: «Textes constitutionnels français et étrangers», Larousse, 1994, 814 p., v. p. 187 et s.

1016 CSM: 9 décembre 1991, Regina c/ Boyjoo, MR, 1991, pp. 292 à 301, le juge Boolell rédacteur de l'arrêt et CSM: 27 août 1993, State c/ Pandiyan, MR, 1993, pp. 169 à 181, le juge Boolell rédacteur de l'arrêt.

1017 «This would mean that the rule requiring the accused to be informed of his right to counsel is protected by our Constitution», CSM: 9 décembre 1991, Regina c/ Boyjoo, cité note 1016, v. p. 295.

1018 CSM: 18 juin 1993, Samserally c/ The State, MR, 1993, pp. 94 à 100, les juges Forget et Yeung Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt.

1019 Ibid.

La notion de justice naturelle? (natural justice)1020 ou de principes fondamentaux de justice? est une des plus solides garanties des droits de la défense. Elle pose, outre le principe de l?impartialité du juge, celui selon lequel toute personne a droit à ce que sa cause ou défense soit équitablement et loyalement entendue (audi alteram partem). Dans la famille juridique de Common Law, le principe de justice naturelle s?applique aussi à l?égard de l?Administration1021 et s?avoisine de la garantie américaine de procédure légale en bonne et due forme (due process of law)1022 reprise par certaines Constitutions du Commonwealth1023. Il s?agit, dans la famille juridique de Common Law, de ne pas priver la défense, dans les circonstances de la cause, d?une part de ses chances.

Deux exigences constitutionnelles de la notion de justice naturelle? ont fait l?objet d?une interprétation et application par le Conseil Privé. Ainsi, nous examinerons d?abord l?étendu du droit au ministère d?avocat (a) et ensuite le droit à un interprète (b).

a. Le droit au ministère d'avocat

A l?audience, l?assistance d?un avocat est un droit fondamental1024 dans son principe mais est concilié avec les nécessités de fonctionnement de la cour et de l?administration de la justice. Il existe un relatif accord entre la Cour locale et le Conseil Privé sur la portée d?un tel droit1025.

Dans l?arrêt Robinson1026, les Lords majoritaires soulignent l?importance pour l?accusé d?être assisté d?un défenseur surtout lorsqu?il encourt une peine capitale1027. L?assistance d?un auxiliaire de justice est indispensable. Leurs Seigneuries ont estimé que le droit au ministère d?avocat n?est pas un privilège absolu et intangible. Il est limité afin d?éviter les abus et tout détournement de l?exercice de ce droit par l?accusé1028. Un accusé peut être privé d?un défenseur

1020 MARSHALL Hedley Herbert: «Natural justice», Londres, Sweet and Maxwell, 1959, 201 p. 1021 V. infra.

1022 Article 1er du XIVe Amendement à la Constitution des Etats-Unis d?Amérique. 1023 V. par exemple la Constitution de Trinité et Tobago.

1024 Pour un étude de droit comparé v. TRECHSEL Slefan: «Ensuring the right to effective counsel for the defence», RIDP, 1992, pp. 717 à 728.

1025 Toutefois, ce droit a été considéré comme étant inaliénable par la Cour Suprême de Maurice. V. CSM: 23 décembre 1981, Ameer c/ The Queen, MR, 1981, pp. 545 à 554, le juge Ahnee rédacteur de l'arrêt.

1026 CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, cité note 588.

1027 «Their Lordships do not for one moment underrate the crucial importance of legal representation of those who require it», ibid., p. 91.

1028 «Their Lordships cannot construe the relevant provisions of the Constitution in such a way as to give rise to an absolute right to legal representation which if exercised to the full could all too easily lead to manipulation and abuse», ibid.

lors de l?audience si l?absence de celui-ci relève de sa seule et entière responsabilité. En l?occurrence, l?accusé, Sieur Robinson, a décliné les services de l?aide judiciaire et a retenu les services de deux avocats qui, n?ayant finalement pas été rémunérés par lui, se retirent de l?affaire dont l?audience a été renvoyée à plusieurs reprises, alors que le premier juge les a commis d?office.

Si le Comité Judiciaire a relativisé, pour des raisons pratiques, la portée de ce droit fondamental, il apprécie, en revanche, les conséquences que le défaut d?assistance a pu provoquer sur le bien fondé de la décision du juge du fond. Soulignant aussi que l?avocat commis d?office qui renonce à assurer la défense de l?accusé se rendrait coupable d?une faute disciplinaire, le juge londonien recherche si dans le cas de l?espèce, le risque d?une erreur judiciaire (risk of miscarriage of justice) existe, autrement dit, si l?accusé était dans une situation si désavantageuse qu?il n?avait pas pu valablement se défendre.

Dans l?affaire Robinson l?analyse des juges majoritaires est pour le moins sévère1029. Ils soutiennent qu?en vertu du fait que le coaccusé bénéficiait de l?aide d?un avocat, les témoins à charge (witnesses for the prosecution) ont été contre- interrogés par un des défenseurs. Comme leur témoignage est apparu probant au juge du fond, ce dernier, dans son intime conviction, a valablement pu conclure sur la culpabilité de l?accusé principal, Sieur Robinson. Nous ne nous permettrions point de critiquer cette décision quand bien même elle ne se justifierait, selon nous, au regard de la poursuite d?une bonne politique répressive, mais nous conclurons avec les Lords dissidents, Scarman et EdmundDavies, qui soutiennent qu?il n?y a de plus grand intérêt public que d?accorder à un accusé passible de la peine de mort une réelle opportunité de se défendre1030.

Dans une affaire plus récente1031, le Conseil Privé, tout en maintenant la jurisprudence, Robinson assouplit sa rigidité. Sans doute, le juge eut perdu une occasion de procéder à un revirement de jurisprudence mais fit évoluer considérablement celle-ci dans un sens favorable aux droits de la défense. Désormais, au cas où un avocat se retirait d?un procès pour une cause non

1029 PRICE Nigel S.: «Constitutional adjudication in the Privy Council and reflections on the Bill of Rights debate», ICLQ, 1986, pp. 946 à 950.

1030 «First, there can... be no greater public interest than that one who is accused of an offence, conviction of which carries with it the sentence of death has, a proper opportunity of defending himself», CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, cité note 588, v. p. 97. La jurisprudence Robinson du Comité Judiciaire fut sévèrement désapprouvée par le doctrine. V. supra sur l?interprétation ordinaire par le Comité Judiciaire.

1031 CJCP: 4 octobre 1994, Erol Dunkley c/ The Queen, WLR, 1994, vol. 3, pp. 1124 à 1133, affaire de la Jamaïque, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.

imputable à l?accusé, l?intérêt de la justice exigerait que l?accusé bénéficie de la possibilité de retenir les services d?un autre défenseur. La discrétion du juge du fond d?ajourner le procès est limité et devient pratiquement obligatoire dans un tel cas.

b. L'assistance d'un interprète

L?assistance linguistique au cours d?un procès est expressément prévue par la Constitution mauricienne1032. Tout accusé peut se faire assister gratuitement d?un interprète s?il ne comprend pas la langue employée à l?audience. La disposition constitutionnelle mauricienne est sensiblement identique à celle de la Convention Européenne des Droits de l?Homme1033. L?objectif est que l?accusé soit mis à même de comprendre les charges retenues et les éléments de preuve produits contre lui afin de pouvoir les réfuter.

Quel est le caractère de ce droit: doit-il être revendiqué par l?accusé pour pouvoir en bénéficier ou est-il une obligation générale pesant sur l?Etat ? L?opposition entre la Cour Suprême et le Comité Judiciaire sur la question est fondée sur la valeur de ce droit. Pour la Cour Suprême, le conseil de l?accusé doit exiger l?assistance linguistique devant les juges du fond (trial judge)1034. Le moyen tiré d?une violation de ce droit est inopérant en appel si le plaideur s?était abstenu de l?invoquer en première instance1035. A l?inverse, pour le juge londonien, le droit à un interprète est de nature d?une règle d?ordre public et doit être appliqué d?office par le juge du fond. L?obligation incombant aux tribunaux n?est pas subordonnée à la demande de l?accusé1036. En ce sens, le manquement à l?exercice de ce droit peut être invoqué pour la première fois en appel pour attaquer la décision rendue en première instance. Le juge londonien attribue au premier juge un rôle actif dans la conduite des débats. Il doit s?assurer que l?interprète prête effectivement son concours et que l?accusé bénéficie d?un procès équitable1037. Cette conception du rôle actif du juge répressif dans la conduite des débats est quelque peu proche de la pratique

1032 Article 10-2-f CM.

1033 Article 6-3-e CM.

1034 CSM: 20 mars 1990, Radhakrishan Kunnath c/ The Queen, les juges Glover, Ahmed et Pillay rédacteurs de l'arrêt.

1035 Les juges mauriciens appliquent dans l?affaire Kunnath (ibid.) une jurisprudence de la Cour Suprême de Nigéria: 18 mars 1983, The State c/ Gwonto, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 890 à 908, le juge Nnamani rédacteur de l'arrêt.

1036 CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State, WLR, 1993, vol. 1, pp. 1315 à 1321, affaire de Maurice, Lord Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt (également publié in JCL, 1994, pp. 74 à 75).

1037 «... their Lordships consider it plain that, by virtue of the judge?s duty to ensure that the defendant has a fair trial, the judge is in any event bound to ensure that, in accordance with established practices, effective use is made of the interpreter pro vided for the assistance of the defendant», ibid., p. 1319.

juridictionnelle française1038. Disposant des pouvoirs généraux, le président de l?audience doit assurer l?équité des débats.

Le Comité Judiciaire motive son insistance sur le droit à un interprète par le fait qu?en Common Law, le jugement par défaut (in absentia) est interdit pour les infractions graves (indictable offences)1039. Par extension, il déduit de la présence obligatoire de l?accusé non seulement une exigence quant à la présence physique mais aussi intellectuelle de l?accusé. Sa présence est nécessaire afin de lui permettre de suivre le procès et qu?il puisse par conséquent se défendre et faire éventuellement entendre des témoins à décharge1040. Les juges londoniens appliquent au cas mauricien une jurisprudence bien établie de la Cour d?Appel anglaise1041 et soutiennent que l?intérêt du prévenu ou de l?accusé prime les inconvénients posés par la traduction.

Dans l?affaire Kunnath précitée, le Comité Judiciaire affirme avec force son raisonnement. La Constitution mauricienne, qui prévoit le droit à un interprète, ne saurait en aucun cas être interprétée dans un sens qui produit une protection des droits de la défense en deçà des exigences de la Common Law. Une Constitution, affirme le juge londonien, a pour objet de protéger les droits et doit être interprétée dans un tel objectif1042. Les Sages de la Downing Street distinguent trois types de protection jurisprudentielle: celui de la Cour de Nigeria et qui est également appliqué par la Cour Suprême de Maurice, celui des juridictions britanniques et le sien qui pourrait se situer au-delà du niveau des cours anglaises. C?est pourquoi les Sages affirment que le droit à un interprète subsiste alors même qu?il existe des preuves concordantes et déterminantes à l?encontre de l?accusé. Le Comité Judiciaire casse la décision attaquée même s?il ne peut, faute de dispositions juridiques à cet effet, renvoyer l?affaire devant la juridiction locale du fond.

*

1038 C. Cas: 18 juillet 1991, Kamiri Nasseri Mohran c/ Ministère Public, Bull, crim, 1991, pp. 761 à 762, n° 302.

1039 CJCP: 20 juillet 1933, B. R. Lawrence c/ The King, AC, 1933, pp. 699 à 709, affaire de Nigéria, Lord Atkin rédacteur de l'arrêt.

1040 «...the basis of this principle is not simply that there should be corporal presence but that the defendant, by reason of his presence, should be able to understand the proceedings and decide what witnesses he wishes to call...», CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State, cité note 1036, v. p. 1319.

1041 CA: 17 décembre 1915, Rex c/ Lee Kun, KBD, 1916, vol. 1, pp. 337 à 345, le Lord-Chef-Juge Reading rédacteur de l'arrêt principal.

1042 «... it appears that the Constitution must have been intended to produce a result no less favourable to a defendant than that resulting from existing Common Law principles. Indeed, it would be surprising if a Constitution intended to protect the rights of individual should be construed to have the opposite effect», CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State, cité note 1036, v. p. 1320.

Analyser le niveau des droits accordés à la défense est un des plus sûrs moyens d?appréciation de la qualité de la justice d?un pays. Une justice n?est bonne que si la défense est à même de se faire entendre. Le souci du Comité Judiciaire en matière des droits de la défense et l?effet de sa jurisprudence marquent l?avancement dont a bénéficié le système mauricien dans ce domaine.

Après l?étude des droits procéduraux, il importe d?examiner l?oeuvre du Conseil Privé en droit pénal substantiel.

Sous-section 2. En droit pénal substantiel et général

A l?instar du droit pénal procédural, le droit pénal général puise ses bases directrices dans la Constitution.

A ce titre, la question de la peine de mort a occupé une place essentielle dans la jurisprudence du Comité Judiciaire (paragraphe 1) et poursuivant son travail de création des normes, le juge londonien a érigé certaines règles pénales au rang de grands principes de droit (paragraphe 2).

Paragraphe 1. La question de la peine de mort

Comme dans beaucoup sociétés, le problème de la peine capitale1043 a provoqué dans le Commonwealth, notamment devant le Tribunal de la Downing Street, la passion dans les discussions théoriques et juridiques et de remarquables revirements dans l?application pratique.

Le débat s?est porté sur la constitutionnalité de la sanction (A) et s?est évolué ensuite sur la mise à exécution de la peine (B).

A. La constitutionnalité de la peine

Le Conseil Privé a déclaré la peine de mort conforme à la Constitution (a). Ce point de vue, bien que maintenu, s?inscrit-il dans l?évolution historique de la jurisprudence des juridictions des droits de l?homme sur ladite peine (b) ? Une étude de droit comparé nous permettra d?effectuer une appréciation critique de la jurisprudence du Comité Judiciaire et pousser plus avant notre analyse.

1043 NORMAND Marcel: «La peine de mort», PUF, Que sais-je ?, 1980, 127 p.

a. La déclaration de constitutionnalité

Les peines corporelles et la peine de mort, le châtiment suprême, avaient existé dans tous les pays. Au Royaume-Uni, la peine corporelle fut maintenue jusqu?au vingtième siècle. Les coups de fouet ne furent abolis qu?en 19481044 mais le châtiment corporel survécut dans l?île de Man jusqu?en 19781045. En Angleterre, la légitimité juridique de la peine de mort n?est pas totalement mise en cause bien que les exécutions n?aient plus lieu. Elle subsiste en cas de haute trahison et fut abolie de manière progressive pour les crimes (felonies) de droit commun. Une Loi de 1965 avait supprimé la peine pour une durée de cinq années et une autre Loi, promulguée en 1969, déclara l?abolition permanente. L?Angleterre n?est toutefois pas signataire du Protocole n° 6 relatif à l?abolition de la peine de mort à la Convention Européenne des Droits de l?Homme1046.

La République de Maurice est considérée juridiquement comme un pays rétentionniste, ou plutôt à l?heure actuelle, un pays abolitionniste de fait. La peine de mort fut sérieusement contestée par une majorité de députés. Après avoir fait procéder à quelques exécutions, le gouvernement de Sir Aneerood Jugnauth fit adopter en 1995 par l?Assemblée Nationale un projet de loi1047 suspendant la sentence de mort1048. Cependant, ce projet ne reçut l?assentiment du Chef de l?Etat et fut renvoyé à l?Assemblée pour une nouvelle délibération1049. Il ne fut plus inscrit à l?ordre du jour de l?Assemblée qui s?était renouvelée après.

A Maurice, comme dans les pays ayant une Constitution de type Westminster, la peine capitale en soi (per se) est considérée comme conforme à la Norme Fondamentale1050. En effet, les Constitutions du Commonwealth1051, à la manière de la Convention Européenne des Droits de l?Homme, proclament le droit à la vie sous réserve notamment d?une limitation: la sanction de la peine

1044 FRY Margery: «La réforme pénale anglaise de 1948», RSC, 1951, pp. 619 à 631. 1045 CEDH: 25 avril 1978, Tyrer c/ Royaume-Uni, PCEDH, 1978, série A, vol. 26, 32 p.

1046 Il semble qu?il se dessine en Europe une norme d?ordre public d?interdiction de la peine capitale. V. CE: 15 octobre 1993, affaire Madame Aylor, RDCE, 1993, pp. 283 à 293, conclusion du commissaire du gouvernement Vigouroux.

1047 Projet de loi de Sir Maurice Rault, ministre de la justice, intitulé abolition de la peine de mort.

1048 MARIMOOTOO Henri: «Le crime d?Etat en sursis», WE, 6 août 1995, p. 7.

1049 Le Président de la République contestait la peine substitutive, la réclusion criminelle à vingt ans qu?il jugeait insuffisante.

1050 CJCP: 15 octobre 1980, Ong Ah Chuan c/ Public Prosecutor, AC, 1981, pp. 648 à 674, affaire de Singapour, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt. Il affirme que: «it was not suggested on behalf of the defendants that capital punishment is unconstitutional per se. Such an argument is foreclosed by the recognition in article 9(1) of the Constitution that a person may be deprived of life in accordance with law», ibid., p. 672.

1051 L?article 4-1 de la Constitution de Maurice est ainsi rédigé: «Nul ne peut être intentionnellement privé de la vie sauf en exécution d?une décision de justice le condamnant pour crime».

capitale prononcée par une cour de justice compétente. Aussi, les Constitutions du Commonwealth, comportent une clause conférant une sorte de brevet de constitutionnalité à tout type de peine pratiqué ou prévu juridiquement avant l?entrée en vigueur de la Constitution ou avant une date fixée1052. Ces peines et sanctions ne peuvent être considérées comme étant inhumaines et dégradantes1053.

En vertu de ces dispositions, le Comité Judiciaire s?interdit de contrôler la peine de mort, ou, comme le formule le juge, de substituer son propre jugement à celui du législateur sur la question1054. Le juge londonien se range à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l?Homme. La peine de mort ne viole pas la protection contre les peines inhumaines et dégradantes. L?exception prévue au droit à la vie est une exception générale, à tous les articles du catalogue des droits1055. Il y a lieu de lire toute la Constitution en harmonie avec l?exception au droit à la vie afin que celle-ci ne soit pas réduite à néant. Davantage encore, le Comité Judiciaire affirme que, du moment où la peine de mort était prévue par une loi antérieure à la Constitution, elle échappe au contrôle du juge1056. Si aucune loi antérieure à la Constitution n?avait prévu le mode d?exécution de la sentence, le juge londonien considère que la pratique de la Common Law comble le vide juridique1057. Aussi, le juge londonien ne contrôle ni la proportionnalité entre la gravité de l?infraction et le degré de la peine ni l?absence de discrétion laissée au juge du fond quant au prononcé de la peine si la culpabilité est retenue. Il considère que la peine de mort peut constitutionnellement être une peine obligatoire1058.

Si logiques et si bien construits qu?ils soient, les arrêts du Comité Judiciaire n?en apparaissent pas moins regrettables. L?indifférence, la neutralité, la rigueur juridique du Comité Judiciaire sur la question de la peine de mort ont provoqué les plus grandes réserves et contestations de la doctrine. En ce sens, Monsieur le Professeur David Pannick soutient qu?en contentieux constitutionnel (constitutional adjudication) la solution donnée par le juge est

1052 Article 7 CM. 1053 Ibid.

1054 CJCP: 15 mai 1975, Micheal de Freitas c/ George Ramoutar Benny, AC, 1976, pp. 239 à 248, affaire de Trinité et Tobago, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

1055 CEDH: 29 janvier 1989, Soering c/ Royaume-Uni, 1979, série A, vol. 161, 83 p., v. p. 40, paragraphe 103.

1056 CJCP: 19 janvier 1966, Simon Runyowa c/ The Queen, cité note 827.

1057 CJCP: 3 avril 1995, Larry Raymond Jones c/ Attorney-General, WLR, 1995, vol. 1, pp. 891 à 897, affaire des Bahamas, Lord Lane rédacteur de l'arrêt.

1058 «There is nothing unusual in a capital sentence being mandatory. Indeed its efficacy as a deterrent may be to some extent diminished if it is not. At Common Law all capital sentences were mandatory?, CJCP: 15 octobre 1980, Ong Ah Chuan c/ Public Prosecutor, cité note 1050, v. p. 673.

toujours empreinte d?une discrétion. En vertu de cette proposition, le juge londonien aurait dû prêter attention aux considérations humaines et affectives. Il aurait dû, dans les cas difficiles, faire primer le jus? sur le lex?. Or, le Comité Judiciaire avait privilégié la solution inverse1059.

Il ne faut pourtant sombrer dans une vision pessimiste de la jurisprudence londonienne. On assiste dans des cas mauriciens à une volonté des juges de la Downing Street de remettre en cause, fût-ce de manière indirecte, la peine capitale. En effet, la Haute Juridiction a, au cours de cette décennie, fait reculer à Maurice la peine de mort même si elle demeure une sanction valide. Auparavant, il faisait preuve d?une grande retenue à l?égard des moyens de vice de forme et de procédure invoqués par les plaideurs mauriciens dans les affaires impliquant la sanction capitale1060. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, elle a annulé la Loi prescrivant cette sentence aux personnes reconnues coupables de trafic de stupéfiants au motif qu?elle viole le principe de la séparation des pouvoirs1061, et dans une autre affaire, a commué la peine en emprisonnement à vie1062.

Une nouvelle jurisprudence est peut-être en train de voir le jour. Nous voici à un tournant, à un moment crucial de l?acceptation de la peine de mort dans les sociétés modernes du Commonwealth. Un regard sur le droit comparé est dès lors intéressant et pourrait éventuellement servir de guide au développement à la jurisprudence londonienne.

b. La constitutionnalité de la peine de mort en droit comparé

Comme de nombreux textes primaires de droit international1063, ni les Constitutions du Commonwealth, ni le Comité Judiciaire n?ont aboli la peine de mort. Cette position conservatrice est aussi conforme à celle de la majorité des juridictions constitutionnelles du monde. Elle pourrait être remise en cause en ce sens que la peine de mort est de plus en plus considérée comme une peine cruelle, inhumaine et dégradante.

La moitié des Etats des Etats-Unis d?Amérique n?ont pas encore aboli la peine de mort et la Cour Suprême fédérale a déclaré cette sentence en soi

1059 PANNICK David: «Judicial review of death penalty», Londres, Duckworth, 1982, 245 p. 1060 CJCP: 2 octobre 1984, Louis Léopold Myrtile c/ The Queen, cité note 570.

1061 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635.

1062 CJCP: 18 avril 1994, Roger France Pardayan De Boucherville c/ The State, affaire de Maurice, Lord Keith rédacteur de l'arrêt.

1063 SCHABAS William A.: «The abolition of death penalty in international law», Cambridge, Grotius Publications Ltd, 1993, 384.

constitutionnelle parce que prévue expressément par la Loi Fondamentale1064. Cependant, la Cour met l?accent sur la nécessité de respecter les garanties procédurales et se déclare compétente pour contrôler les lois répressives qui enlèvent au juge du fond sa discrétion quant au prononcé de la sentence ou une autre peine une fois la culpabilité de l?accusé reconnue. La Cour, contrairement au Comité Judiciaire, considère que la peine de mort obligatoire (mandatory) n?est pas constitutionnelle. Elle dénie au juge le droit de faire bénéficier au coupable des circonstances atténuantes (mitigating circumstances). Aussi, la Cour interdit l?application de la peine aux mineurs et aux déficients mentaux1065.

Des organes supranationaux, seul le Comité des Droits de l?Homme des Nations Unies du Pacte relatif aux droits civils et politiques1066 a posé les premiers jalons tendant à interdire la peine de mort alors même que le Pacte susmentionné l?autorise expressément. Le droit à la vie de l?article 6 du Pacte est considéré comme un droit pratiquement intangible et le droit le plus suprême1067. Cette lecture implique que l?article 6 n?est sujet à aucun aménagement et s?inscrit à l?encontre de la lettre de l?énoncé du texte dans son ensemble. Le raisonnement du Comité des Droits de l?Homme se développera en reconnaissant dans une décision majoritaire que la peine de mort peut en soi être considérée comme inhumaine et dégradante aux termes de l?article 7 du Pacte1068. Le Comité des Droits de l?Homme marque définitivement sa volonté de ne pas être lié par le texte quels que soient ses degrés de contraintes afin de pouvoir faire évoluer le débat sur la peine capitale et répandre l?idée selon laquelle l?abolition de cette sentence, conformément au Préambule du deuxième Protocole Facultatif se rapportant au Pacte, «contribue à promouvoir la dignité humaine et le développement progressif des droits de l?homme»1069.

La Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud aura le mérite de s?être livrée à une interprétation très dynamique et concrète de la notion de

1064 CSEUA: 2 juillet 1976, Gregg c/ Georgia, US, 1976, vol. 428, pp. 153 à 241, le juge Stewart rédacteur de l'arrêt majoritaire. V. Kauffmann Sylvie: «Aux Etats-Unis, une exécution capitale par semaine», Le Monde, 22-23 septembre 1996, p. 12.

1065 VROOM Cynthia: «La nouvelle jurisprudence de la Cour Suprême américaine sur la peine de mort», RSC, 1989, pp. 832 à 841.

1066 MC GOLDRICK Dominic: «The Human Rights Committee: its role in the development of International Convenant on Civil and Political Rights», Oxford, Clarendon Press, 1994, 576 p.

1067 «La valeur de la vie est incommensurable pour tout être humain et le droit à la vie consacré par l?article 6 du pacte est le droit suprême», CDHNU: 30 juillet 1993, Joseph Kindler c/ Canada, Communication n° 470/1991, RUDH, 1994, pp. 165 à 181, v. avis de Bertil Wennegrenn, p. 175.

1068 «Le Comité est conscient de ce que, par définition, toute exécution d?une sentence de mort peut être considérée comme constituant un traitement cruel et inhumain au sens de l?article 7 du Pacte», CDHNU: 5 novembre 1993, Ng c/ Canada, Communication n° 469/1991, RUDH, 1994, pp. 150 à 165, v. p. 159, paragraphe 16.2.

1069 Deuxième Protocole Facultatif se rapportant au Pacte International relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort du 15 décembre 1989.

traitement inhumain1070. Soucieuse de donner plein effet au droit à la vie, la cour s?est montrée particulièrement audacieuse en déclarant avec une très grande force que la peine de mort, indépendamment de la Constitution Sud Africaine de 1993, est une peine cruelle et dégradante parce qu?elle enlève à la personne condamnée toute dignité1071 et la considère comme un objet à éliminer par l?Etat1072. Elle souligne que l?exécution d?une personne ne met pas seulement fin à l?exercice du droit à la vie mais à tous les autres droits constitutionnels. Cette conception de la peine capitale a pour mérite de la définir de manière concrète et non juridique et abstraite. Cette conception est proche de celle mise à l?avant par Amnesty International1073.

Le juriste pourrait souhaiter d?avantage de juridicité dans l?appréciation de la Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud, mais très pragmatique, elle exerce son contrôle avec intensité et même sur l?opportunité de la sanction afin d?être progressiste dans la protection des droits. En engageant un véritable débat sur la légitimité de la sanction1074, le juge soutient que la peine capitale ne comporte aucun caractère intimidant et dissuasif (is not deterrent)1075. Le risque d?erreur judiciaire (risk of miscarriage of justice), inhérent au système même de la justice, impose que ladite sentence ne soit plus appliquée. La condamnation par erreur d?un homme à une peine d?emprisonnement peut donner lieu à réparation et non l?exécution erronée d?un homme1076. La peine capitale est une peine irréparable 1077.

On aurait sans doute aimé que le Comité Judiciaire montre, à l?instar du Comité des Droits de l?Homme et de la Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud, plus d?audace sur la question de la constitutionnalité de la peine de mort, mais il est en somme bloqué par le caractère lacunaire des moyens invoqués par les requérants. Ceux-ci n?ont pas soutenu l?inopportunité de la sanction ou

1070 KEIGHTLEY Raylène: «Torture and cruel inhuman and degrading treatment of punishment in the UN Convention against torture and other instruments of international law: Recent developments in South Africa», SAJHR, 1995, pp. 379 à 400.

1071 GRAHL-MADSEN A.: «The death penalty, the moral, ethical and the human rights dimensions: the human rights perspective», RIDP, 1987, pp. 567 à 581.

1072 «Death is a cruel penalty... and it is degrading because it strips the convicted person of all dignity and treats him or her as an object to be eliminated by the state», CCAS: 6 juin 1995, The State c/ Makwanyane, SALR, 1995, vol. 3, pp. 391 à 521, le Président Chakalson rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 409-10.

1073 AMNESTY INTERNATIONAL: «La peine de mort, quand l?Etat assassine», Editions Amnesty International, 1989, 120 p.

1074 THORSTEN Sellin: «The penalty of death», Londres, Sage Library of Social Research, 1980, 190 p.

1075 CCAS: 6 juin 1995, The State c/ Makwanyane, cité note 1072, v. p. 443.

1076 Ibid., p. 421.

1077 Le Comité Judiciaire s?accorde sur ce point et ainsi exige des autorités locales le devoir d?accorder aux condamnés la possibilité d?exercer tout moyen de recours avant leur exécution. «Execution of a death warrant is an uniquely irreversible process», CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ Minister of Public Safety and Immigration, cité note 591, v. p. 396.

encore sa violation constitutionnelle du fait qu?elle ne porte pas seulement atteinte au droit à la vie, ce qui est autorisé, mais à tous les droits fondamentaux. Une fois exécutée, une personne perd tous ses droits. Mais que nul n?en disconvient ! La Haute Instance londonienne a manifesté une attention particulière à propos de la mise en exécution de la peine.

B. La constitutionnalité de la mise à exécution de la peine

Une fois l?indépendance acquise, les nouveaux Etats du Commonwealth ont évolué politiquement et socialement très vite. Cette transformation, ce changement de moeurs, a souvent contraint le Comité Judiciaire à adapter sa jurisprudence aux données nouvelles.

Comme dans beaucoup d?autres matières, les Sages ont opéré un revirement de jurisprudence sur la question de la mise à exécution ou les circonstances d?application de la sentence de mort. Dès lors, il convient d?analyser la jurisprudence antérieure (a) et, ensuite, la jurisprudence récente (b).

a. La jurisprudence antérieure

Des avocats au Conseil Privé avaient tenté d?attaquer de front la constitutionnalité des retards accusés dans la mise à exécution de la sentence de mort à l?égard des condamnés. Est-ce que le fait de ne pas avoir pendu1078 le condamné après écoulement d?un certain temps ne rend-t-il pas son exécution désormais contraire à la Constitution au regard de la protection contre les peines inhumaines et dégradantes ? Le Comité Judiciaire reconnaissait qu?un délai excessif est un facteur à prendre en considération par le Chef de l?Etat lors de l?exercice de ses pouvoirs de grâce1079 et déplorait la pratique de l?exécution retardée1080. Néanmoins, la Haute Instance faisait preuve d?une prudence et même d?une timidité inhabituelles. Son raisonnement était le suivant. La Constitution autorisait l?application de tout type de peine pratiqué avant son entrée en vigueur. Puisqu?il n?existait aucun recours contre le délai intervenu dans l?exécution pendant la période précédant l?indépendance, l?exécution demeure, même retardée, une sanction valide.

1078 Dans tous les pays de Common Law, le condamné à mort est traditionnellement pendu et non guillotiné.

1079 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General, cité note 571.

1080 CJCP: 12 juin 1979, Stanley Abott c/ Attorney-General, WLR, 1979, vol. 1, pp. 1342 à 1349, affaire de Trinité et Tobago, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

Cette attitude a été l?objet des critiques les plus vives à la fois de la doctrine1081 et de certains Lords judiciaires eux-mêmes. Regrettant l?interprétation austère de la Constitution par leurs pairs, les Lords Scarman et Brightman ont, dans l?affaire Noël Riley, estimé que l?attente par un prisonnier de sa pendaison lui provoque des souffrances mentales et une angoisse d?une intensité particulière qui deviendrait cruelle si elle dure pendant plusieurs années1082.

Le Comité Judiciaire fut par la suite sensible aux arguments des juristes des droits de l?homme et au développement de la jurisprudence des cours internationales.

b. La jurisprudence nouvelle

Le Comité Judiciaire a fait un spectaculaire revirement de jurisprudence et pose des principes non encore consacrés par ses homologues étrangers en vue de témoigner de sa volonté à résoudre des situations tragiques1083. Les sept Lords judiciaires composant la formation de jugement dans l?affaire Earl Pratt1084 indiquent qu?ils interpréteront la Constitution «de façon à ce qu?elle préserve les règles de civilité qui interdissent tout acte inhumain quand bien même il ne serait assimilable à la barbarie du génocide»1085. Ils confèrent à l?article protégeant l?individu contre les traitements dégradants, conçu initialement comme une réponse aux crimes abominables du nazisme, un nouveau dynamisme et une place prééminente dans la sauvegarde de la dignité de l?homme.

Le raisonnement de la Haute Juridiction de Londres est très humaniste, notamment en raison de la belle part attribuée aux sentiments de bienveillance que tout individu doit éprouver à l?égard d?un condamné à mort. Elle déclare avec éloquence que l?homme nourrit une répulsion instinctive contre la perspective d?exécution de quelqu?un qui a vécu sous la sentence de la mort pendant des années. Il est inhumain de faire vivre longtemps un homme dans

1081 ANTOINE R. M. B.: «The Judicial Committee of the Privy Council, as inadequate remedy for death row prisoners», ICLQ, 1992, pp. 179 à 190 et ZELLICK Groham: «Fundamental rights in the Privy Council», PL, 1982, pp. 344 à 346.

1082 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General, cité note 571, v. opinion dissidente des Lords Scarman et Brightman, pp. 561 à 570.

1083 SCHABAS William A, cité note 557, v. p. 915.

1084 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General, cité note 641

1085 «... their Lordships... prefer an interpretation of the Constitution that accepts civilised standards of behaviour which will outlaw acts of inhumanity, albeit they fall short of the barbarity of genocide», ibid., p. 1014.

l?angoisse, dans ce qui est communément appelé le couloir de la mort1086. Par cette prise de position, le Comité Judiciaire s?aligne ici sur la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l?Homme1087. La sentence de mort, pour être admissible, doit être exécutée rapidement, telle qu?elle était pratiquée en Angleterre.

Déterminé à protéger davantage les droits fondamentaux, le juge de la Downing Street poussera son analyse à l?extrême et se départira, à bon droit à notre avis, des grandes juridictions de droits de l?homme tels le Comité des Droits de l?Homme des Nations Unies et la Cour Européenne des Droits de l?Homme. Le Comité Judiciaire franchit un pas salutaire dans son appréciation du délai d?attente dans le phénomène du couloir de la mort.

Le Comité des Droits de l?Homme est formel. Une longue période d?incarcération avant l?exécution n?est pas cruelle tant qu?elle est imputable au condamné qui a emprunté toutes les voies de recours possibles1088. Il semble que la Cour Européenne n?a pas souhaité trancher expressément le débat sur la question. Dans l?affaire Soering précitée1089, elle souligne qu?il est impossible d?éviter l?écoulement d?un certain délai entre le prononcé et l?exécution de la peine à cause du caractère démocratique de l?Etat, en l?occurrence la Virginie, qui organise la contestation et les voies de recours. L?attente provenant de la contestation juridique engagée par le condamné est considérée comme étant de son propre fait et est régulière.

Le raisonnement susmentionné était soutenu par l?Etat défenseur devant le Comité Judiciaire. Il ne pouvait être, soutenait le procureur de la Jamaïque, inhumain d?accorder au condamné les moyens de prolonger sa vie en engageant tous les recours juridictionnels existants1090. Leurs Seigneuries rejettent cette

1086 «There is an instinctive revulsion against the prospect of hanging a man after he has been held under sentence of death for many years. What give rise to this instinctive revulsion ? The answer can only be our humanity. We regard it as an inhuman act to keep a man facing the agony of execution over a long period of time», ibid., p. 1010.

1087 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, cité note 575 et v. aussi SUDRE Fédérick: «Extradition et peine de mort: Arrêt Soering», RGDIP, 1990, pp. 103 à 121.

1088 CDHNU: 30 juillet 1993, J. Kindler c/ Canada, Communication n° 470/1991, RUDH, 1994, pp. 165 à 181. «Quant à la question de savoir si le phénomène du quartier des condamnés à mort, phénomène lié à la peine capitale, constitue une violation de l?article 7, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle des périodes prolongées de détention dans des conditions sévères, dans un quartier des condamnés à mort, ne peuvent être considérées comme constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant si le condamné se prévaut simplement des recours en appel?», ibid., p. 172, paragraphe 15.2.

1089 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, cité note 575, v. p. 44, paragraphe 111. La Cour Européenne sanctionne toutefois la très longue durée, de six à huit ans, à passer dans le couloir de la mort à cause des circonstances particulières du cas de l?espèce.

1090 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General, cité note 641, v. p. 1011.

argumentation et appliquent l?approche de la Cour Suprême indienne1091. L?Etat qui maintient la peine capitale doit en contrepartie instaurer un système de recours rapide, et si la procédure juridictionnelle s?échelonne sur plusieurs années, la responsabilité de la durée excessive de l?attente devra être imputée au système, donc à l?Etat. Elle ne peut reposer sur le condamné1092. Ce dernier instinctivement tentera de prolonger au maximum sa vie. Sur la base de cette proposition, le Comité Judiciaire conclut que la lenteur de la justice n?est pas compatible avec le maintien de la sanction ultime de la peine de mort. Le juge londonien cherche à éradiquer dans les pays soumis à sa juridiction le phénomène dit du couloir de la mort et déclare que l?attente prolongée est contraire à la Constitution de type Westminster. Cette approche est digne de la plus grande approbation.

Au terme de leur analyse, les Sages de la Downing Street posent une règle rigoureuse. Toute exécution qui intervient au-delà de cinq années après le prononcé de la sentence violerait la Constitution1093 parce que tombant dans le seuil de souffrance interdit. Au-delà de cette période, le condamné peut saisir la Cour locale d?une requête tendant à commuer sa peine en réclusion criminelle à perpétuité1094. Cette règle a été étendue par le Conseil Privé à plusieurs pays du Commonwealth1095 dont l?île Maurice1096. Par ailleurs, le Comité Judiciaire a récemment considéré que le délai de cinq années n?est pas rigide1097 et qu?il peut être réduit1098.

1091 CSI: 16 février 1983, T. V. Watheeswaran c/ The State of Tamil Nadu, SCR, 1983, vol. 3, pp. 348 à 362, le juge Chinnappa Reddy rédacteur de l'arrêt, v. p. 353.

1092 «In their Lordships? view a state that wishes to retain capital punishment must accept the responsibility of ensuring that execution follows as swiftly as practicable after sentence, allowing a reasonable time for appeal and consideration of reprieve. It is part of the human condition that a condemned man will take every opportunity to save his life through use of appellate procedure. If the appellate procedure enables the prisoner to prolong the appellate hearings over a period of years, the fault is to be attributed to the appellate system that permits such delay and not to the prisoner who takes advantage of it. Appellate procedure that echo down the years are not compatible with capital punishment. The death row phenomenon must not become established as part of our jurisprudence.», CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General, cité note 641, v. p. 1014.

1093 «These considerations lead their Lordships to the conclusion that in any case in which execution is to take place more than five years after sentence, there will be strong grounds for believing that the delay is such as to constitute inhuman and degrading punishment or other treatment?», ibid., p. 1016.

1094 CJCP: 2 novembre 1993, Trevor Walker c/ The Queen, WLR, 1993, vol. 3, affaire de la Jamaïque, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt.

1095 V. par exemple CJCP: 24 mai 1995, Peter Bradshaw c/ Attorney-General, WLR, 1995, vol. 1, pp. 936 à 944, affaire de la Barbade, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt.

1096 CJCP: 18 avril 1994, Roger France Pardayan De Boucherville c/ The State, cité note 1062.

1097 CJCP: 6 novembre 1995, Linclon Anthony Guerra c/ C. Priani Baptiste, AC, 1996, pp. 397 à 420, affaire de Trinité et Tobago, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l?arrêt, v. p. 414.

1098 CJCP: 14 octobre 1996, Henfield c/ The Attorney-General of the Commonwealth of the Bahamas, WLR, 1996, vol. 3, pp. 1079 à 1092, affaire des Bahamas, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l?arrêt. Dans cette affaire, le juge réduit le délai à 3 ans et demi. V. ibid. p.1084

La décision du Comité Judiciaire a pour effet de rendre inexécutables les sentences de mort. Le délai de cinq années est court et le condamné peut, par utilisation d?une multitude de voies de recours, faire écouler ce temps. Après sa condamnation par la cour d?assises, le condamné pourrait engager un recours sur un point de droit devant la cour d?appel et se pourvoir en cassation au Comité Judiciaire. Nous avons vu que la procédure au Comité Judiciaire est longue. Si son pourvoi est rejeté, il pourrait contester la constitutionnalité de la sanction devant la cour locale et interjeter appel de la décision de ladite cour devant le juge londonien. S?il est une nouvelle fois débouté, il pourrait engager alors des procédures devant les instances internationales. Le Comité Judiciaire a encouragé la saisine de ces instances, tel le Comité des Droits de l?Homme des Nations Unies1099 en faisant ressortir que l?internationalisation des droits de l?homme est un progrès important de la civilisation depuis la deuxième grande guerre. Il invite les Etats à accorder à leurs décisions une grande autorité morale1100. En dernier lieu, le condamné à mort pourrait solliciter du Chef de l?Etat, l?exercice de ses pouvoirs de grâce. Dans la pratique, l?épuisement de ces voies de recours n?intervient qu?après un minimum de six à sept années après le prononcé de la peine.

On pourrait peut-être soutenir que le Comité Judiciaire interdit en réalité la peine de mort. Son raisonnement ne serait qu?une façade de motivation juridique d?une prise de position relevant plutôt de la morale1101. La morale occupe une place privilégiée dans la réflexion du juge londonien. Le juge veut défendre la dignité humaine même s?il s?agit d?un criminel.

Paragraphe 2. Les divers principes généraux de droit pénal

Le droit répressif, puisqu?il porte atteinte à la liberté individuelle, doit sérieusement être encadré afin d?éviter tout abus, toute irrégularité.

Le Comité Judiciaire a affirmé une règle cardinale, clé de voûte du droit criminel, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) (A) et a posé divers principes encadrant le pouvoir de sanction du juge répressif (B).

1099 CJCP: 24 mai 1995, Peter Bradshaw c/ Attorney-General, cité note 1095, v. p. 941. 1100 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General, cité note 641, v. p. 1015.

1101 «Indeed, when the law Lords of the Judicial Committee argue tersely that the real reason the death row phenomenon is contrary to law is because there is an instinctive revulsion?, they cannot be far from condemning the noose altogether», SCHABAS William A., cité note 557, v. p. 922.

A. Le principe de la légalité des délits et des peines

Le principe légaliste est consacré par les règles de droit international1102 et de droit interne1103. Il implique qu?une action ou abstention, si préjudiciable soit-elle à l?ordre social, ne peut être sanctionnée par le juge que lorsque le législateur l?a visée dans un texte et interdite sous la menace d?une peine. Toutefois, la portée du principe légaliste est incertaine dans les pays de Common Law. Le droit pénal mauricien étant aussi d?inspiration de ce système juridique, il convient dès lors de se livrer à une analyse du principe de la légalité au sein de cette famille juridique (a) avant de voir son application par le Conseil Privé en droit mauricien (b).

a. Dans le système de Common Law

La Common Law a été élaborée par les juges et, en Angleterre, il a toujours été reconnu aux juges le droit de prononcer des arrêts de règlement en droit pénal1104. Le pouvoir des juges de créer des normes répressives est aujourd?hui sévèrement contesté par la doctrine. Elle condamne la violation du principe de la règle du droit (the rule of law) qui veut que l?autorité publique, y compris le juge, ne puisse agir qu?en conformité avec le droit. Plusieurs raisons justifient le principe de légalité des délits et des peines. Il est bien évident qu?il est une condition fondamentale de la sécurité juridique et de la liberté individuelle et sert de fondement même à la réalisation d?un Etat de droit1105. La sécurité juridique impose une obligation générale à l?Etat de rendre prévisible le droit. Le droit doit aussi être certain, donc rédigé dans un langage clair et précis et non ambigu1106 afin d?exclure l?arbitraire1107.

Or, le juge anglais peut, à l?occasion d?un litige, incriminer un fait non encore interdit juridiquement. Ce pouvoir a été confirmé par les Lords judiciaires dans l?arrêt Shaw1108. Ils revendiquent un pouvoir résiduel de veiller à la moralité publique (custos morum), un pouvoir de compléter les vides

1102 Articles 9, 10, et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l?Homme et article 7 de la Convention Européenne des Droits de l?Homme.

1103 Article 10-4 de la Constitution mauricienne.

1104 SMITH A. T. H.: «Judicial law making in the criminal law», LQR, 1984, pp. 46 à 76.

1105 CL: 5 mars 1975, Black-Clawson International Ltd c/ Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg, AC, 1975, pp. 591 à 652, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt principal, v. aussi opinion de Lord Diplock qui soutient: «The acceptance of the rule of law as a constitutional principle requires that a citizen, before committing himself to any course of action, should be able to know what are the legal consequences that will follow from it», p. 638.

1106 PRADEL Jean: «Droit pénal général», Editions Cujas, 1995, 10e édition, 911 p., v. p. 169 à 183.

1107 CCF: 19-20 janvier 1981, Loi Sécurité et liberté, JCP, 1981, II, n° 19701, note de Frank Claude.

1108 CL: 4 mai 1961, Shaw c/ Director of Public Prosecutions, AC, 1962, pp. 220 à 294, Vicomte Simmonds rédacteur de l'arrêt principal.

juridiques de la Loi1109, donc de créer de nouvelles infractions. Le juge peut condamner le prévenu à une peine si le législateur a omis d?en prévoir une. Il peut réformer les règles imparfaites afin de les rendre cohérentes à une bonne politique répressive1110. Cependant, une analyse des arrêts postérieurs de la Chambre des Lords nous permet de constater que la jurisprudence anglaise fut instable sinon fluctuante. D?abord, les Lords ont neutralisé l?approche effectuée dans l?arrêt Shaw1111 en la privant d?effet. Ensuite, ils ont opéré un revirement de jurisprudence en affirmant que le législateur détient le monopole de création des délits et des crimes1112 mais que les juges britanniques conservent le droit de faire tomber sous le coup d?une loi étroite un acte que le législateur n?a pas expressément prévu1113. Le juge peut ne pas donner une interprétation stricte à la loi pénale (poenalia sunt restringenda), le corollaire direct du principe de la légalité pénale. Mais, les Lords firent de nouveau usage de leur pouvoir d?incrimination dans une affaire récente. Le droit anglais ne sanctionnait pas le fait pour un époux d?imposer sans violence à son épouse des rapports sexuels avec lui en vertu de l?adage «on ne viole pas sa femme». La femme était considérée comme étant, dans une certaine mesure, la propriété de l?époux1114. Il existait une présomption irréfragable de consentement de l?épouse. En 1991, la Chambre des Lords mit un terme au principe de l?immunité maritale1115 qualifié d?absurdité juridique par la doctrine1116. La Chambre des Lords établit désormais l?égalité juridique dans les rapports conjugaux entre les deux partenaires. Cette jurisprudence, pour compréhensible qu?elle soit sur le plan d?équité, est défaillante en droit dès lors qu?elle viole le principe de légalité de la Convention Européenne des Droits de l?Homme. La Common Law, qui a caractère de loi selon la Cour Européenne1117 a été modifiée lors du jugement de l?affaire et produit un effet rétroactif alors que l?article 7-1 de la Convention dispose que «nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été

1109 «In the sphere of criminal law, I entertain no doubt that there remains in the courts of law a residual power to enforce the supreme and fundamental purpose of the law, to conserve not only the safety and order, but also the moral welfare of the state», opinion de Vicomte Simmonds, ibid., p. 267.

1110 Pour une critique de l?arrêt Shaw précité de la Chambre des Lords, v. GOODHART A. L.: «The Shaw case: the law and public morals», LQR, 1961, pp. 560 à 568.

1111 CL: 14 juin 1972, Knuller c/ Director of Public Prosecutions, AC, 1973, pp. 435 à 497, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal.

1112 CL: 20 novembre 1974, Director of Public Prosecutions c/ Withers, AC, 1975, pp. 842 à 878, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt principal.

1113 «To say that there is now no power in the judges to declare new offences does not, of course, mean that well-established principles are not to be applied to new facts», opinion de Vicomte Dilhorne, ibid., p. 859.

1114 ASHWORTH Andrew: «Principles of criminal law», Oxford, Clarendon Press, 1991, 434 p., v. p. 301 et s.

1115 CL: 23 octobre 1991, Regina c/ R, WLR, 1991, vol. 3, pp. 767 à 777, Lord Keith rédacteur de l'arrêt principal.

1116 GILES Marianne: «Judicial law-making in the criminal courts: the case of marital rape», CLR, 1992, pp. 407 à 417.

1117 CEDH: 26 avril 1979, The Sunday Times c/ Royaume-Uni, PCEDH, 1979, série A, vol. 3, 69 p.

commise, ne constituait pas une infraction d?après le droit national et international».

b. En droit mauricien

La situation à Maurice diffère sur de nombreux points de celle existante en Grande-Bretagne. Il y existe un Code Pénal d?inspiration française mais certaines infractions sont régies à la fois par le droit écrit et jurisprudentiel de la Common Law. Tel est, par exemple, le cas du délit d?outrage à la cour (contempt of court). Le Code Pénal mauricien prévoit dans son article 156 le délit d?outrage envers une personne dépositaire de l?autorité publique(outrage against depository of public authority), qui correspond à l?article 433-5 alinéa 2 du nouveau Code Pénal français, et l?article 18-A-1 de la Loi mauricienne de 1945 sur les juridictions incrimine toute publication visant à provoquer une ingérence (interference) dans le cours de la justice. En sus, le concept d?outrage à la cour, qui est d?origine anglaise1118, est appliqué dans son intégralité à Maurice1119 aussi bien aux procès civils que pénaux et publics1120. Le concept anglais d?outrage est très large et vaste et recouvre plusieurs types de délit. Il sanctionne notamment l?outrage proprement dit à la cour, c'est-à-dire, le fait de jeter du discrédit sur la juridiction ou d?injurier un juge (scandalising the court)1121, la subordination des témoins par le moyen de représailles exécutées contre eux après la clôture de l?instance, toute conduite tendant à pervertir le cours de la justice (obstructing or interfering with the due course of justice or the lawful process of court) et le refus d?obtempérer aux ordonnances du tribunal.

Le juge mauricien a-t-il par conséquent le pouvoir de faire évoluer le droit d?outrage à la cour ? Peut-il édicter des normes en la matière ? L?essence même de la Common Law implique un pouvoir de création prétorienne des normes alors que le principe constitutionnel de la légalité des délits et des peines récuse une telle faculté au juge. L?affaire Badry1122, tranchée par le Comité Judiciaire, est illustrative de ce conflit dans les sources d?inspiration du droit mauricien.

Le Gouverneur-Général avait créé une commission d?enquête (Commission of Inquiry) ad hoc aux fins d?instruire une affaire de corruption impliquant deux

1118 MILLER C. J., cité note 502.

1119 MARYLENE François: «Les outrages d?un temps», WE, 3 avril 1994, p. 18.

1120 CSM: 17 mai 1982, Sir Gaétan Duval c/ François, MR, pp. 171 à 177, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. Il déclare que: «The power of this court to punish persons for contempt are of course similar to those exercised by English courts», ibid., p. 173.

1121 WALKER C.: «Scandalising in the eighties», LQR, 1985, pp. 359 à 384.

1122 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386.

ministres. La commission était composée d?un magistrat en exercice à la Cour Suprême, Monsieur Victor Glover1123, et avait conclu à la culpabilité des deux ministres pour faits de corruption et de manoeuvres frauduleuses. Un des ministres, Monsieur Lutchmeeparsad Badry, avait lancé de sévères accusations de partialité contre la commission et la Cour Suprême et avait tenu des propos à caractère injurieux à l?encontre de Monsieur Victor Glover à la fois en sa capacité de juge et de commissaire. Il fut traduit devant la cour notamment sous le chef d?accusation d?outrage à la cour aussi bien pour les faits de mise en cause de Monsieur Victor Glover en sa qualité de juge que commissaire. En effet, l?Ordonnance de 1945 sur les commissions d?enquête (Commission of Inquiry Ordinance of 1945) ne prévoit dans son article 11 qu?un simple pouvoir disciplinaire permettant au commissaire d?infliger des amendes n?excédant pas RPM 500 en guise de sanction des faits de troubles se rapportant aux travaux de la commission. Le droit écrit mauricien est lacunaire pour réprimer les allégations de Monsieur Lutchmeeparsad Badry. Ainsi, la Cour de Maurice élargit la notion d?outrage à la cour et l?appliqua aussi à la condition de commissaire1124 tout en reconnaissant qu?une telle extension n?était prévue par aucun texte de loi. Elle invoquait en l?occurrence la nécessité d?adapter et de faire évoluer le droit en fonction de l?intérêt général, tel qu?elle l?a défini.

L?ancien ministre Badry se pourvut en cassation au Comité Judiciaire contre l?arrêt de la Cour locale. Les Sages de la Downing Street sanctionnent1125 ce qu?ils qualifient d?être une «erreur manifeste de droit» (fundamental error of law) des juges locaux. Le Lord-Chancelier Hailsham of St Marylebone, président de la formation de jugement, confirme d?abord l?évolution libérale de la jurisprudence de la Haute Juridiction londonienne sur le délit d?outrage à la cour1126 dans lequel Lord Atkin soutenait que «l?individu qui exerce de bonne foi, en public ou privé, son droit général de critique d?une décision de justice ne commet aucun mal» et concluait que «la justice n?est pas une institution cloîtrée: elle doit être soumise à l?examen et aux commentaires, même acerbes, des profanes». Le droit anglais et celui du Commonwealth sur le délit d?outrage ont évolué vers l?admission d?une plus grande liberté de critique de la part du public

1123 Sur la pratique d?attribuer aux hauts magistrats des fonctions extrajudiciaires d?investigation v. COLOM Jacques, cité note 557, v. p. 62 et s.

1124 CSM: 23 octobre 1980, Director of Public Prosecutions c/ L. Badry, MR, 1980, pp. 254 à 260, les juges P. Y. Espitalier-Noël et A. N. G. Ahmed rédacteurs de l'arrêt.

1125 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386.

1126 CJCP: 2 mars 1936, Ambard c/ Attorney-General, cité note 508. Lord Atkin affirme que: «... no wrong is committed by any member of the public who exercises the ordinary right of criticising, in good faith, in private or public, the public act done in the seat of justice... Justice is not a cloistered virtue: she must be allowed to suffer the scrutiny and respectful, though outspoken, comments of ordinary men», ibid., p. 335.

et de la presse envers la justice1127. Dans le cas d?espèce de l?affaire Badry, le Lord-Chancelier Hailsham of St Marylebone souligne que l?ancien ministre visait Monsieur Victor Glover en tant que commissaire et non en tant que juge. Or, la Common Law sur le délit d?outrage ne protège que le juge dans l?exercice de ses fonctions. En Angleterre, les membres des commissions d?enquête bénéficient d?une protection que parce que le législateur en a disposé ainsi. Leurs Seigneuries rejettent formellement l?invitation du Directeur des Poursuites Publiques mauricien à créer, sur la base de la jurisprudence Shaw précité de la Chambre des Lords, une nouvelle infraction qui aurait protégé les commissaires mauriciens1128.

Certes, les Lords ne proclament à aucun moment le principe de la légalité des délits mais en fait bien une application. Le principe de la légalité des peines est également reconnu par les Lords. Le Comité Judiciaire a ainsi annulé une amende retenue sur le traitement d?un fonctionnaire par la Commission du Service Public en guise de sanction disciplinaire en l?absence de toute autorisation législative à cet effet1129. Le corollaire des deux principes, la non- rétroactivité des lois mêmes constitutionnelles, est également consacré par la jurisprudence londonienne1130.

B. Les principes encadrant les pouvoirs de sanction du juge répressif

Dans le cadre du contentieux mauricien, le juge de la Downing Street a édicté deux directives fondamentales relatives au pouvoir de la Cour locale quant au prononcé de la peine.

Tout en qualifiant le principe posé d?axiomatique, les Lords ont rappelé que le juge du fond ne peut sanctionner une personne venant d?être reconnue coupable que pour les chefs d?accusation ou infractions retenus par le ministère public et pour lesquels elle a été poursuivie. L?accusé est exempt de toute

1127 Le Parlement britannique fut contraint de légiférer sur le délit d?outrage après une condamnation de l?Angleterre en 1979 par la Cour Européenne des Droits de l?Homme. Le Lord- Chancelier Hailsham of St Marylebone présenta le projet de loi au Parlement. V. BAILEY S. H.: «The contempt of court Act», MLR, 1982, pp. 301 à 316.

Il se pourrait qu?un nouvel assouplissement de la Loi soit rendu nécessaire suite à une nouvelle condamnation de l?Angleterre par la Cour Européenne. V. DYER Clare: «Journalist wins battle over sources», The Guardian Weekly, 7 avril 1996, p. 10.

1128 «... it was seriously argued for the respondent that their Lordships should extend the law of contempt to such bodies (commissions of inquiry) by a bold act of judicial legislation. This, their Lordships resolutely decline to do...», CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386, v. p. 170.

1129 CJCP: 15 décembre 1987, Micheal Robert Eddy Norton c/ The Public Service Commission, LRC, 1988, vol. constitutional, pp. 944 à 948, affaire mauricienne, Lord Ackner rédacteur de l'arrêt.

1130 COLOM Jacques: «Le principe de non-retrocativité des lois à Maurice», AIJC, 1990, pp. 383 à 388.

condamnation pour des infractions, même si sa culpabilité a été établie au cours du procès, pour lesquelles le procureur n?a pas, en toute discrétion, choisi d?en saisir le tribunal. Or le juge mauricien, dans l?affaire Chinien 1131, a condamné le prévenu non seulement pour association de malfaiteurs en vue d?exporter illégalement des devises (conspiracy to export currency) -actes pour lesquels le prévenu était poursuivi- mais aussi pour association de malfaiteurs en vue de réaliser un trafic de stupéfiants1132. Le juge justifie sa décision de sanctionner ultra petita en mettant en exergue la connexité entre les deux délits susmentionnés. L?arrêt est cassé par le Comité Judiciaire1133.

Par ailleurs, contrôlant la proportionnalité de la sanction, le Conseil Privé a posé la règle selon laquelle le délit d?association de malfaiteurs (conspiracy) ne peut être puni plus sévèrement que l?infraction principale1134. En effet, le délit de participation à une association de malfaiteurs implique une entente entre les participants en vue de commettre une infraction, dite «infraction principale» (substantive offence). Le premier délit ne vise que la préparation des délits ou crimes et se distingue de l?infraction principale ellemême1135. Si celle-ci est consommée, la participation à une association de malfaiteurs est alors retenue comme une circonstance aggravante au regard de l?infraction principale. Le Comité Judiciaire a, à juste titre, sanctionné les errements de la Cour locale. Le juge ne doit se laisser emporter par la passion répressive.

Le juge londonien est un Sage. Le même constat se dégage en examinant la jurisprudence du Comité Judiciaire en droit public.

SECTION 2. EN DROIT PUBLIC

L?apport du Comité Judiciaire au développement du droit public mauricien est considérable. Nous avons auparavant analysé la contribution de la Haute Instance au contentieux constitutionnel1136 et démontré comment elle a participé à la mise en place d?un système effectif de contrôle juridictionnel des Lois et des

1131 CSM: 19 octobre 1989, Goinsamy Chinien c/ The Queen, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de l'arrêt majoritaire.

1132 «We are of the view that the charges before us, be it those of conspiracy or of those of sequestration, revolve around drug trafficking», ibid.

1133 CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869.

1134 Ibid., p. 336. Les Lords appliquent en l?occurrence une jurisprudence de la Chambre des Lords. CL: 20 octobre 1966, Verrier c/ Director of Public Prosecutions, AC, 1967, pp. 195 à 224, Lord Pearson rédacteur de l'arrêt principal.

1135 ALLEN Micheal J.: «Text-book on criminal law», Londres, Blackstone Press Limited, 1993, 2e édition, 396 p., v. p. 202 et s.

1136 V. Titre II, chapitre 1er du présent ouvrage.

actes administratifs dans les pays du Commonwealth. Il n?est pas nécessaire d?en insister davantage. On délimitera notre présente étude à l?examen de l?influence du Comité Judiciaire sur la formation du droit public substantiel et fondamental de l?île Maurice.

La protection des libertés fondamentales et le fonctionnement des institutions publiques sont moyennement satisfaisants à Maurice. Même si elle a connu à la fois l?esclavage et la colonisation, l?île Maurice, à l?inverse des pays d?Afrique noire, a efficacement réceptionné les valeurs de la démocratie libérale. Plusieurs facteurs expliquent cette réussite1137. L?absence d?une population autochtone n?a pas nécessité une conciliation de la vision individuelle et européenne des droits de l?homme avec les valeurs traditionnelles de la tribu, comme en Afrique noire1138. Le développement économique s?étant opéré assez rapidement à partir de la fin des années quatre-vingts, l?application des droits de l?homme et le respect de la démocratie politique n?ont pas été longuement différés. L?impératif du développement économique sur les droits civils et politiques n?a pas survécu.

Il convient néanmoins au terme de cette présentation de ne pas céder à la tentation de considérer l?exception mauricienne comme étant l?antithèse de la situation africaine. La réussite mauricienne n?est que relative et certaines entorses aux valeurs de la démocratie libérale ont été relevées et sanctionnées par le Conseil Privé, qui, au surplus, a renforcé et consolidé les principes. D?autres libertés et droits ne sont pas encore consacrés, tels les droits économiques et sociaux1139 et les droits de l?homme de la troisième génération, mais le mode d?interprétation téléologique des normes constitutionnelles par le Conseil Privé pourrait permettre la naissance, à partir du texte initial, des droits économiques et sociaux1140.

Le nombre restreint de recours au juge londonien et la disparité entre les matières traitées empêchent une bonne classification de la jurisprudence londonienne en droit public. On s?en tiendra dès lors, selon une commodité de présentation choisie délibérément, à un regroupement des décisions du Comité

1137 «Vous n?ignorez rien des joutes de la démocratie. Vous en viviez les inconvénients. Mais à côté de ces inconvénients quels avantages ! Avec le respect des droits fondamentaux, la liberté d?expression, la liberté de circulation... Vous avez réussi cette rencontre exceptionnelle entre la démocratie et le développement. Comment ne pas aimer l?île Maurice ?», François Mitterrand, le 12 juin 1990 à Port-Louis in GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 405.

1138 MADIOT Yves: «Droits de l?homme», Paris, Masson, 1991, 230 p., v. p. 93 à 97.

1139 Un certain développement de l?Etat-Providence (welfare state) a toutefois permis l?accès de tous les citoyens à la santé et à l?éducation.

1140 ALLEN Tom: «Commonwealth Constitutions and implied social and economic rights», RADIC, décembre 1994, pp. 555 à 570.

Judiciaire en deux parties, en droit administratif et droit public institutionnel (sous-section 1) et en droit public des biens (sous-section 2).

Sous-section 1. En droit administratif et public institutionnel

Les Sages du Whitehall sont scrupuleux dans leur contrôle des réglementations des libertés fondamentales par les autorités publiques et des activités de l?Administration (paragraphe 1). Aussi ont-ils revivifié la notion démocratique de la dévolution du pouvoir ou de la doctrine de séparation des pouvoirs (paragraphe 2).

Paragraphe 1. Les libertés fondamentales et le contrôle de l'Administration

Deux questions essentielles doivent nécessairement être formulées. Quelles sont les grandes libertés qui ont été protégées par le Comité Judiciaire (A) ? Et comment la Haute Juridiction a développé son contrôle de l?Administration (B) ?

A. Les libertés fondamentales

Dans les jeunes démocraties, seule une conception dynamique et activiste des libertés peut renforcer le caractère effectif de l?Etat de droit. Le Conseil Privé s?inscrit, notamment après les années soixante-dix, dans le droit fil de cette conception. Sans qu?il soit besoin de multiplier les exemples, il s?agit de le démontrer dans deux secteurs de libertés primordiaux à la démocratie: la liberté d?expression (a) et la liberté individuelle (b).

a. La liberté d'expression

La liberté d?expression, dans toutes ses manifestations, est consacrée à l?article 12-1 de la Constitution mauricienne qui est ainsi rédigé: «Sauf avec son propre consentement, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque à la liberté d?expression, c'est-à-dire, à la liberté d?opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans ingérence, et le droit au secret de la correspondance». La liberté d?expression constitue l?un des fondements essentiels de toute société démocratique1141, qui implique dans son fondement même la confrontation des idées, le pluralisme1142, la tolérance et

1141 MARSHALL Goeffrey: «Press freedom and free speech theory», PL, 1992, pp. 40 à 60.

1142 «It is of the highest importance that a democratically elected governmental body... should be opened to uninhibited public criticism», CL: 18 février 1993, Derbyshire County Council c/ Times

l?esprit d?ouverture1143 et rejette la pensée unique. John Stuart Mill, dont les idées influencèrent considérablement le développement de la Common Law, soutenait que la vérité jaillit du débat et que la liberté d?expression est nécessaire à l?épanouissement de l?homme et au progrès de toute société1144. Le constituant originaire considère la liberté d?expression comme une liberté si fondamentale que les ingérences de l?Etat et la limitation de ce droit, sont sujettes à deux conditions. Pour être licite, une limitation doit correspondre à l?un des motifs énoncés à l?article 12-2 de la Constitution, c'est-à-dire correspondre globalement aux besoins de maintien de l?ordre public ou à la protection de la vie d?autrui ou à la protection de l?autorité du pouvoir judiciaire. Aussi l?ingérence doit être raisonnablement compatible avec le bon fonctionnement d?une société démocratique1145.

Toutefois certaines atteintes à ce droit fondamental ont été révélées au point où un auteur a qualifié la liberté d?expression de droit inférieur1146. L?aménagement du droit d?information s?est réalisé à travers deux types de procédés juridiques. Premièrement, les autorités publiques l?ont astreint à un régime de droit dit préventif. La liberté ne pouvait alors s?exercer qu?avec le consentement de l?Administration. Le régime préventif est peu libéral et entraîne souvent non un aménagement de la liberté mais sa négation même1147. Deuxièmement, les autorités publiques ont fait usage de diverses techniques de répression pénale pour sanctionner toute transgression de la loi.

Ainsi, pendant la période de l?Etat d?urgence des années soixante-dix, la presse était soumise à la censure et un contrôle préalable portant sur des articles à publier. En 1984, le gouvernement avait projeté d?instituer un système de consignation obligatoire d?une somme de RPM 500,000 par les entreprises de presse auprès du gouvernement. Selon l?objectif affirmé, ce cautionnement permettrait de dédommager effectivement les victimes des délits de presse en cas d?impossibilité de paiement par l?entreprise sanctionnée. L?influence du Comité Judiciaire bien qu?indirecte, fut déterminante dans cette affaire. Suite

Newspaper Ltd, WLR, 1993, vol. 2, pp. 449 à 461, Lord Keith rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 456.

1143 FENWICK Helen: «Civil liberties», Londres, Cavendish Publishing Ltd, 1994, 546 p., v. p. 116.

1144 MILL John Stuart: «On liberty and considerations on representative government», (1859), Oxford, Basil Blackwell, 1946, 324 p., v. chapitre II Of the Liberty of thought and discussion?, p. 13 à 48.

1145 CJCP: 19 avril 1966, Honourable Dr. Paul B. Oliver c/ Honourable Dr. Anton Buttigieg, WLR, 1966, affaire de l?île de Malte, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.

1146 COLOM Jacques: «Liberté d?information à l?île Maurice, droit fondamental de second rang ?», AIJC, 1987, pp. 353 à 358.

1147 RIVERO Jean: «Les libertés publiques, les droits de l?homme», PUF, Thémis, 1995, 7e édition, 262 p., v. p. 181 et s.

aux vives protestations des journalistes, une commission dirigée par Sir Maurice Rault, ancien Chef-Juge de la Cour Suprême, fut instituée. Celui-ci, se référant à un précédent du Comité Judiciaire, déclare dans son avis le projet du gouvernement inopportun1148.

En effet, le Comité Judiciaire, dans l?affaire Antigua Times1149, similaire au cas d?espèce mauricien, a estimé que le paiement préalable d?une somme d?argent imposée par la loi à l?exercice de la liberté d?expression pourrait constituer une entrave à celle-ci au regard de la Constitution1150 mais que la Loi peut à bon droit poursuivre un objectif de protection des droits d?autrui. Certes, la restriction de la liberté d?expression pour un tel motif est expressément prévue par la Constitution1151. Mais le Comité Judiciaire se réserve le droit d?exercer un contrôle de proportionnalité afin de vérifier l?adéquation du dispositif de la loi à son objectif, de sa compatibilité avec les valeurs de la démocratie, et de sanctionner tout détournement ou abus de pouvoir.

Dans un arrêt postérieur, le Tribunal de la Downing Street a analysé sous un angle novateur la liberté d?expression. Afin de comprendre l?originalité que revêt la décision londonienne, il convient de situer le contexte dans lequel elle intervient.

A Maurice, comme dans beaucoup de pays du Commonwealth, les délits de presse se caractérisent par une particularité qui constitue leur dénominateur commun. Il s?agit de l?imprécision des dispositions de droit pénal en ce qui les concerne. Par exemple, le droit pénal mauricien punit les auteurs d?écrits susceptibles de troubler la paix publique1152 et d?écrits séditieux1153. Il punit également le délit d?atteinte à l?autorité de justice1154. Ces délits sont formulés

1148 COLOM Jacques, cité note 1146, v. p. 354-55.

1149 CJCP: 19 mai 1975, Attorney-General c/ Antigua Times Ltd, AC, 1976, pp. 16 à 34, affaire des Antilles, Lord Fraser of Tullybelton rédacteur de l'arrêt.

1150 «It can be argued that any expenditure, required by law from those responsible for the publication of a newspaper, is a hindrance to its freedom of expression in that such expenditure must reduce the resources of the paper which might otherwise be available for increasing its circulation», ibid., p. 34.

1151 Article 12-2-b CM et article 10-2-a-ii de la Constitution d?Antigua de 1967. En ce qui concerne la Convention Européenne des Droits de l?Homme, v. article 10-2.

1152 CSM: 16 novembre 1993, Director of Public Prosecutions c/ Sydney Selvon, Le Mauricien, 17 novembre 1993, p. 8, les juges V. Glover, R. Proag et V. Boolell rédacteurs de l'arrêt.

1153 CSM: 27 juillet 1972, Director of Public Prosecutions c/ Masson, cité note 525.

1154 CSM: 5 juillet 1978, Director of Public Prosecutions c/ Cateaux, MR, 1978, pp. 141 à 145, le Chef-Juge Rault rédacteur de l'arrêt. Il souligne que le délit d?atteinte à l?autorité de justice est constitué par tout écrit qui est susceptible d?influencer ou la décision de la juridiction du fond ou le public ou les témoins.

V. également en ce sens, CSM: 9 mars 1994, Director of Public Prosecutions c./ Gilbert Ahnee, les juges J. Forget et Y. K. J. Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt. Cette décision est l?objet d?un pourvoi au Comité Judiciaire.

en des termes très vagues et ainsi le juge dispose d?un large pouvoir pour en apprécier les contours. Sa décision devient largement imprévisible. Le journaliste, au moment où il écrit, ne sait avec une bonne certitude si son texte sera considéré ou non comme tombant sous le coup de la Loi. Quand l?infraction est large, elle permet de frapper des comportements qui, initialement, n?avaient pas été prévus.

Devant ce système répressif dangereux pour l?exercice effectif de la liberté, le Comité Judiciaire accorde une attention particulière au droit de débattre, de contester et à la liberté d?opinion ou du journaliste1155. L?affaire Hector1156 est illustrative de cette prise de position. Une Loi d?Antigua et de Barbuda réprimait la publication de fausses nouvelles susceptibles de troubler la confiance du public en l?Administration. Un journaliste était poursuivi sous ces chefs d?accusation. Dans un motif essentiel, le Comité Judiciaire ouvre considérablement le champ de la liberté d?expression dans le débat politique et rappelle la fonction d?information et de contrôle de la presse. «Dans une société démocratique libre, soutient le juge, il est trop évident pour affirmer que les membres du gouvernement, les responsables de l?administration publique, doivent toujours se prêter à la critique. Toute tentative d?entraver ou de restreindre les critiques équivaut à une censure politique du type les plus dangereux et répréhensibles. Aussi, n?est-il pas moins évident que le but de toute critique formulée à l?égard des dirigeants de l?Etat par leurs adversaires politiques est d?ébranler la confiance du public en leur capacité de gestion et de convaincre l?électorat que l?opposition ferait mieux que ceux qui sont actuellement au pouvoir»1157.

Dans le prolongement de cette idée, le Tribunal de la Downing Street met l?accent sur le fait qu?il faut se garder de décourager les citoyens et en particulier les journalistes qui, par crainte de sanction pénale, ne se prononcent de manière critique sur des sujets politiques. Avec une grande hardiesse, le juge conclut de façon catégorique qu?il constituerait à tout point de vue «une grave

La légalité du délit d?atteinte à l?autorité de justice en droit mauricien est incertaine. Il est peu défini dans les textes de loi. Il puise son origine principalement dans la Common Law alors qu?en Angleterre ce délit est désormais régi en grande partie par la Loi.

1155 BRADLEY A. W.: «Press freedom, governmental constraints and the Privy Council», PL, 1990, pp. 453 à 461.

1156 CJCP: 22 janvier 1990, Leonard Hector c/ Attorney-General, AC, 1990, vol. 2, pp. 312 à 320, affaire d?Antigua et Barbuda, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.

1157 «In a free democratic society it is almost too obvious to need stating that those who hold office in the government and who are responsible for public administration must always be open to criticism. Any attempt to stifle or fetter such criticism amounts to political censorship of the most insidious and objectionable kind. At the same time, it is no less obvious that the very purpose of criticism levelled at those who have the conduct of public affairs by their opponents is to undermine public confidence in their stewardship and to persuade the electorate that the opponents would make a better job of it than those presently holding office», ibid., p. 318.

entorse à la liberté de la presse si ceux qui impriment et a fortiori ceux qui distribuent des articles de presse comportant des réflexions critiques sur la conduite des affaires publiques ne pouvaient le faire en toute impunité que s?ils parvenaient d?abord à vérifier l?exactitude matérielle des faits sur lesquels est basé le raisonnement»1158.

La Haute Instance consacre-t-elle un droit de publication et de distribution de fausses nouvelles ? Il serait peu judicieux de répondre à la question mais il semble que le juge londonien admet que le défaut d?exactitude de la matérialité des faits rapportés et publiés ne soit pas un motif de condamnation. Jusqu?alors le journaliste et le distributeur devaient, pour se défendre, invoquer leur bonne foi et solliciter l?indulgence du juge. Or désormais, la mauvaise foi du journaliste et du distributeur n?est pas un élément de culpabilité en soi1159. On conçoit aisément que le souci du Comité Judiciaire est de préserver la liberté de la presse contre un régime répressif dangereux d?autant plus qu?il est mal défini et on est obligé de reconnaître ici que les pays qui ont conservé la compétence du juge londonien sont parvenus à des solutions inconcevables ailleurs.

b. La liberté individuelle et la sûreté

Dans les pays de Common Law, les cas de privation de liberté sont minutieusement prévus par le constituant et, éventuellement, le législateur. Ces pays sont paradoxalement très formalistes sur le principe de la liberté individuelle contrairement aux pays de tradition romano-germanique1160. En Angleterre, la crainte de l?arbitraire a été l?une des préoccupations constantes de l?opinion au dix-septième siècle et le Roi Charles II (1660-1685) avait ainsi institué en 1679, la procédure très efficace de l?habeas corpus1161, étendue ensuite à toutes les colonies de l?Empire. Aujourd?hui encore, les principaux pouvoirs dont disposent les autorités de police afin de priver de leur liberté les citoyens sont soumis à des conditions strictes1162. Ces pouvoirs sont

1158 «(Their Lordships) observe, however, that it would on any view be a grave impediment to the freedom of the press if those who print, or a fortiori, those who distribute matter reflecting critically on the conduct of public authorities could only do so with impunity if they could first verify the accuracy of all statements of fact on which the criticism was based», ibid., p. 318.

1159 «On this basis it was submitted that it was unobjectionable to penalise false statements made without taking due care to verify their accuracy. Their Lordships do no find it necessary for present purposes to examine the question what element of mens rea is required as an ingredient of the offences», ibid.

1160 PRADEL Jean, cité note 955, v. p. 494 et s.

1161 Littéralement, l?habeas corpus signifie «soit présent avec ton corps».

1162 LEIGH Leonard H.: «La Convention Européenne des Droits de l?Homme. Des délais en matière de rétention policière, garde à vue et détention provisoire. Note sur le droit anglais», RSC, 1989, pp. 45 à 53.

substantiellement définis dans un seul texte, la Loi sur la police et les preuves en matière pénale de 1984. Ce procédé s?apparente à une certaine codification du droit dans ce secteur1163.

A Maurice, l?article 5 de la Constitution de 1968 assure que nul ne doit être arbitrairement dépouillé de sa liberté physique. Cet article se substitue à l?ancienne procédure de l?habeas corpus. Il s?avère que le principe de la liberté individuelle dans son fondement n?a pas eu à être rappelé fréquemment par les juridictions. Cette relative absence de contentieux est un signe. Le principe de la liberté personnelle paraît tellement naturel et de solide tradition que les autorités politiques ont rarement essayé de le remettre en cause.

Mais, n?étant pas un principe absolu, la Constitution mauricienne a prévu des cas où un individu peut être privé de sa liberté. Les catégories de cas, limitativement énumérées, concernent notamment l?incarcération après condamnation par un tribunal compétent et la détention provisoire d?une personne suspectée d?avoir commis une infraction pénale. Dans ce dernier cas, la mesure prise porte des conséquences graves sur la liberté individuelle et est conciliée avec la présomption d?innocence. En réalité, l?intéressé subit l?équivalent d?une peine sérieuse alors qu?il n?a pas encore été jugé1164. C?est pourquoi la Constitution impose l?exercice d?un contrôle maximum par un tribunal. Ce tribunal apprécie le caractère raisonnable des motifs de la détention invoqués par la police au cours d?une audience publique et contradictoire. Le juge peut prononcer à tout moment la libération de l?individu s?il estime que sa détention n?est plus nécessaire à la poursuite de l?enquête. Ainsi, la Constitution mauricienne prévoit que si le détenu n?est pas jugé dans un délai raisonnable, il doit être remis en liberté1165.

Par ailleurs, la législation des pays de Common Law privilégie une mesure traditionnelle alternative à la détention provisoire: la libération du détenu en contrepartie d?un cautionnement ou le paiement par l?individu d?une somme d?argent (bail)1166. Le montant de cette somme d?argent est fixé par le juge et est versé au greffe de la juridiction. Cette pratique est très courante et est régie à Maurice par la Loi sur la libération sous caution de 1989 (The Bail

1163 STONE Richard: «Textbooks on civil liberties», Londres, Blackstone Press Limited, 1994, 367 p., v. p. 30.

1164 BADINTER Robert: «Un pré-jugement: la détention provisoire», Le Monde, 12-13 avril 1970, p. 11.

1165 Article 5-3, alinéa c CM.

1166 LEIGH Leonard: «La détention provisoire en droit anglais», pp. 125 à 130 in PRADEL Jean (dir): «Les atteintes à la liberté avant jugement en droit pénal comparé», Travaux de l?Institut de Sciences Criminelles de Poitiers, Editions Cujas, 1992, pp. 424 p.

Act 1989) et la Loi sur les Cours de District et la Cour Intermédiaire du 5 novembre 1888.

Quelle peut être l?étendue constitutionnelle de la liberté individuelle au regard de ces diverses dispositions ? Le législateur peut-il interdire ou restreindre considérablement la libération sous caution (bail) des suspects d?un type déterminé d?infraction pénale ?

Le Comité Judiciaire adopte une démarche mesurée empreinte de grande sagesse. Selon la Haute Instance, la Constitution ne garantit pas le droit à la remise en liberté sous caution pendant la procédure de l?enquête et il est donc loisible au législateur de restreindre ou d?abolir ce droit d?origine législative1167. Toutefois les Lords marquent leur souci de préserver la liberté individuelle en mettant en relief l?interdiction de toute détention excessive. Si la durée de la détention dépasse le délai raisonnable à la conduite de l?enquête, le délai butoir, la libération est de droit. La motivation est juste et on voit mal comment elle aurait pu être autrement.

Le point de vue de la Cour Suprême locale, certainement plus libéral que celui du Comité Judiciaire sur la question, est mal construit et motivé en droit dès lors qu?elle opère une confusion entre trois notions voisines: le droit constitutionnel d?être libéré par un magistrat si la détention apparaît purement arbitraire, celui de ne pas être détenu pendant une durée excessive et le droit d?origine législative (ou jurisprudentiel) d?être mis en liberté sous caution. Il y a lieu de souligner que les deux premières protections (constitutionnelles) ont pour objet d?éviter à ce que la détention ne soit arbitraire, dans le premier cas, au simple regard des faits, du caractère non sérieux de l?action publique, et dans le deuxième, au regard de sa durée. La remise en liberté sous caution (protection légale ou jurisprudentielle) poursuit une finalité différente. La détention de l?individu n?est plus nécessaire aux fins de l?enquête. Il est maintenu en détention afin qu?il ne se soustrait à la justice, ne disparaît pour échapper au jugement et, éventuellement, à la peine. Le caractère arbitraire n?est pas en jeu. Dans ce cas de figure, il peut être libéré sous caution. Le cautionnement sert de garantie à sa présentation devant le juge le moment venu. Ayant mal distingué les trois situations, la Cour Suprême de Maurice soutient qu?une loi qui méconnaît le droit à la libération sous caution des

1167 «There is nothing in the Constitution which invalidates a law imposing a total prohibition on the release on bail of a person reasonably suspected of having committed a criminal offence, provided that he is brought to trial within a reasonable time after he has been arrested and detained», CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.

personnes suspectées de s?être livrées à un trafic de stupéfiants viole la Constitution1168. Cependant, la jurisprudence de la Cour Suprême a pour mérite de maintenir le caractère exceptionnel du placement en détention et d?interdire son automaticité. Mais, l?effet de cette jurisprudence a été anéanti suite à une révision de la Constitution. La Loi constitutionnelle nouvelle prévoit désormais que certains détenus suspectés de trafic de stupéfiants ne peuvent être libérés sous caution jusqu?au prononcé du jugement au fond les concernant1169. A notre avis, le droit constitutionnel d?être libéré si la détention est arbitraire ou excessive demeure. La jurisprudence du Comité Judiciaire, mieux construite, conserve toute son utilité.

B. La protection contre l'Administration

Le Comité Judiciaire a élaboré et diffusé vers les pays du Commonwealth des moyens nouveaux de protection des administrés. Les autorités politiques considéraient que la possibilité d?exercer des recours juridictionnels contre les décisions de l?Administration offrait aux citoyens une protection suffisante contre les risques d?excès ou d?abus de pouvoir. Mais, voulant démocratiser l?action administrative et créer de meilleures conditions pour la prise des décisions régulières et opportunes, le Comité Judiciaire a mis en valeur et posé des garanties préalables. Le juge londonien impose dans certains cas à l?autorité administrative de ne pas décider sans que les intéressés aient été à même de faire valoir leur point de vue et de présenter leurs objections à la décision projetée. La procédure administrative non contentieuse doit obéir à des principes: le principe du contradictoire (a) et le principe de l?enquête préalable en matière d?expropriation (b).

a. Le droit d'être entendu

En Angleterre1170, les cours de justice avaient depuis fort longtemps accordé à toute personne qui serait sanctionnée le droit de développer devant l?Administration pour la défense de ses intérêts, des objections contre la décision que l?Administration elle-même s?apprête à prendre. L?obligation pour celle-ci de respecter le principe du contradictoire (audi alteram partem), qualifié

1168 CSM: 26 octobre 1986, Noordally c/ Attorney-General, cité note 758.

1169 Article 5-3-A (Loi consitutionnelle du 1er août 1994) CM.

1170 Pour une étude de droit comparé, v. BREWEER-CARIAS Allan R.: «Les principes de la procédure administrative non contentieuse, étude de droit comparé, France, Espagne, Amérique Latine», Economica, 1992, 167 p. et aussi LEFAS Aubert: «Essai de comparaison entre le concept de natural justice? en droit administratif anglo-saxon et les principes généraux de droit? ainsi que les règles générales de procédure? correspondants en droit administratif français», RIDC, 1978, pp. 745 à 775.

aussi de principe général de droit (rules of natural justice), avait été affirmé en 1615 dans l?affaire Bagg1171 et en 1723 dans l?affaire du Docteur Bentley1172. Monsieur Bagg était privé de sa qualité de bourgeois sans être averti et entendu préalablement à la sanction. Le Docteur Bentley, à la suite d?une procédure expéditive, avait été dépouillé de ses diplômes par l?Université de Cambridge. Les juges avaient annulé les deux décisions pour vice de procédure1173. Cependant, l?analyse de la jurisprudence britannique démontre que le principe avait été écarté pour des besoins d?efficacité et de promptitude de l?Administration durant la première moitié du vingtième siècle1174 et avait été rétabli avec force en 19621175 à la suite d?une réforme du droit administratif intervenue après 1957 sur la base des recommandations du rapport du Comité dénommé Franks1176. Depuis, le respect des droits de la défense a été étendu à toute personne intéressée par une décision faisant grief notamment lorsqu?elle intervient dans le domaine des droits de la personne ou du droit de propriété1177. Il est accepté que les droits procéduraux soient un élément essentiel dans un régime démocratique car «la démocratie est un système de gouvernement dans lequel chacun a une possibilité loyale d?être entendu»1178.

Inspiré par la jurisprudence britannique, le Comité Judiciaire applique le principe des droits de la défense non seulement aux mesures administratives présentant un caractère de sanction1179, même provisoire1180, mais aussi aux décisions pouvant légalement revêtir d?un caractère discrétionnaire. En effet, dans une affaire des Bahamas1181, le ministre compétent avait refusé d?accorder la naturalisation à un individu qui en avait fait la demande en vertu d?une loi

1171 Banc du Roi: 1615, affaire James Bagg, ER, série King?s Bench, vol. 77, pp. 1271 à 1281, Sir Edward Coke rédacteur de l'arrêt.

1172 Banc du Roi: 1723, The King c/ The Chancellor of the University of Cambridge (Doctor Bentley?s case), ER, série King?s Bench, vol. 92, pp. 818 à 820, le juge John Lord Fortescue rédacteur de l'arrêt.

V. DISTEL Michel: Le droit d?être entendu dans la procédure administrative en Grande- Bretagne», thèse, Univerité de Paris II, 1979, 757 p., v. p. 156.

1173 Dans l?affaire du Docteur Bentley, le juge John Lord Fortescue justifie l?annulation de la décision de l?Université de Cambridge en affirmant que même Dieu n?avait condamné Adam avant de l?avoir fait comparaître pour se défendre.

1174 CL: 20 juillet 1914, Local Government Board c/ Arlidge, AC, 1915, pp. 120 à 151, Vicomte Lord-Chancelier Haldane rédacteur de l'arrêt principal.

1175 CL: 14 mars 1962, Ridge c/ Baldwin, AC, 1964, pp. 40 à 142, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal.

V. GOODHART A. L.: «Ridge c/ Baldwin: Administration and natural justice», LQR, 1964, pp. 105 à 116.

1176 ROBSON William A.: «Administrative justice and injustice: A commentary on the Franks report», PL, 1958, pp. 12 à 31.

1177 CLARK D. H.: «Natural justice: susbtance and shadow», PL, 1975, pp. 27 à 63.

1178 «Democracy is a system of government under which everyone is given a fair chance to be heard», GOODHART A. L.: «Legal procedure and democracy», CLJ, 1964, pp. 51 à 59, v. p. 57.

1179 CJPC: 13 novembre 1972, Paul Wallis Furnel c/ Whangane High Stchools Board, AC, 1973, pp. 660 à 691, affaire de la Nouvelle-Zélande, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt majoritaire

1180 CJCP: 14 février 1994, Rees c/ Crane, cité note 427.

1181 CJCP: 24 juillet 1979, Attorney-General c/ Thomas d?Arcy Ryan, WLR, 1980, vol. 2, pp. 143 à 155, affaire des Bahamas, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

l?autorisant à prendre de telle décision pour des motifs impérieux d?ordre public (reasons of public policy). Les juges londoniens s?appuient essentiellement sur le devoir de loyauté (fairness)1182 et d?impartialité (rule against bias) de l?Administration1183 et le fait que seule une procédure contradictoire peut l?emmener à prendre des mesures conformes aux devoirs d?un Etat de droit. L?obligation de loyauté est dans les pays de Common Law un principe de service public lié à son essence même. Sur la base de ce raisonnement, les Lords annulent la décision du ministre des naturalisations.

b. L'enquête préalable en matière d'expropriation

Par une sorte d?arrêt de règlement, le Comité Judiciaire a imposé aux autorités mauriciennes l?organisation d?une enquête préalable aux mesures de cession forcée des biens (compulsory acquisition of property) afin d?assurer au maximum la protection des propriétaires d?immeubles.

Dans l?affaire Harel1184, les Lords soulignent que la Loi mauricienne de 1973 sur le transfert des terres (Land Acquisition Act 1973) n?institue aucune enquête préalable à l?opération d?expropriation mais simplement un recours juridictionnel à la différence des Lois anglaises sur la cession forcée des biens1185. En effet, depuis les recommandations du Comité Franks, il est établi en Angleterre une enquête préalable, conduite par une personne qualifiée, et à laquelle l?exproprié peut participer1186. Le commissaire-enquêteur recueille les observations, les contre-projets et tout autre moyen invoqué en vue de contester le projet d?expropriation. L?expropriant est tenu de fournir tous les éléments essentiels à l?appréciation de l?utilité publique du projet, notamment une notice explicative, un plan de situation, une appréciation sommaire des dépenses ou une étude d?évaluation socio-économique. Le commissaire-enquêteur exerce un contrôle poussé et réel sur ces données et apprécie l?opportunité de l?opération1187. Le ministre ne prend un arrêté de cessibilité qu?au vu des

1182 CJCP: 21 février 1983, Attorney-General c/ Ng Yuen Shui, AC, 1983, vol. 2, pp. 629 à 639, affaire de Hongkong, Lord Fraser of Tullybelton rédacteur de l'arrêt.

1183 SEEPERSAD C. P.: «Fairness and audi alteram partem», PL, 1975, pp. 242 à 258.

1184 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889.

1185 «There is no provision in the Act for any inquiry into the merits of the proposed acquisition to be held or otherwise giving the landowner objecting to the acquisition any opportunity to be heard before the Minister makes his decision to acquire...», ibid., p. 474.

1186 DISTEL Michel: «Aspects de l?évolution du contrôle juridictionnel de l?Administration en Grande-Bretagne», RIDC, 1982, pp. 41 à 100, v. p. 94-95 sur le développement des procédures administratives contradictoires.

1187 FOULKES David: «Administrative law», Londres, Butterworths, 1990, 7e édition, 554 p., v. p. 109 et s.

conclusions du commissaire-enquêteur et sa décision est éventuellement soumise au contrôle de légalité par le juge.

Face à l?absence de telles procédures administratives à Maurice, le Comité Judiciaire instaure un système sui generis d?enquête devant le juge préalablement au transfert de propriété sur saisine de l?exproprié. Lors de l?enquête-procès, l?expropriant est tenu de fournir à la cour un dossier détaillant le projet, de justifier son utilité publique et de communiquer tous les documents y relatifs dont il dispose. L?expropriant peut être soumis à un contre-examen par l?exproprié. En dernier lieu, il revient à la Cour, et non au ministre, de statuer sur l?opportunité du projet1188. Le Comité Judiciaire réunit ici les deux étapes, présentes dans la procédure anglaise, en une seule tout en faisant preuve d?une grande création prétorienne.

Dans un Etat de droit, les décisions de l?Administration doivent être démocratiques, c'est-à-dire, prises au vu des consultations avec les usagers et citoyens. Le juge londonien veut exporter cette valeur aux pays retenant encore sa compétence.

L?Etat de droit implique aussi que chaque institution publique soit cantonnée dans un rôle spécifique.

Paragraphe 2. En droit public institutionnel

Toute Constitution instaure un système de partage de compétences entre les organes suprêmes de l?Etat et il appartient au juge constitutionnel de régler les litiges qui ne peuvent manquer de survenir à ce propos.

Dans les nouveaux Etats du Commonwealth, la distribution constitutionnelle des pouvoirs n?est pas affirmée expressément dans le texte suprême mais y est implicite (A), selon le Tribunal de la Downing Street.

Le Comité Judiciaire a davantage défini et complété ce principe dans l?objectif de valoriser et de défendre les prérogatives du judiciaire (B).

1188 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889.

A. La distribution constitutionnelle des pouvoirs

Le Comité Judiciaire a accordé pleine valeur constitutionnelle au principe de la séparation des pouvoirs et son corollaire, l?indépendance du judiciaire (a) et a cantonné le législateur dans son domaine d?attribution (b).

a. L'affirmation du principe de la séparation des pouvoirs et l'indépendance du judiciaire

Suite aux travaux de John Locke1189, auteur de référence en Angleterre après la Glorieuse Révolution de 1688-89, l?indépendance du judiciaire y fut affirmée dans la Loi d?Etablissement (Act of Settlement) du 12 juin 1701. La Couronne demeurait la «fontaine de la justice» mais les juges étaient nommés et demeuraient en fonction aussi longtemps que leur conduite était bonne et non plus selon le bon plaisir du Souverain. Leur salaire était garanti. Pour autant, la doctrine stricte de la séparation des pouvoirs n?a jamais été formellement appliquée en Angleterre bien que Montesquieu ait fondé sa théorie sur les institutions britanniques1190. Le Lord-Chancelier cumule encore aujourd?hui des fonctions au sein des trois organes suprêmes de l?Etat. Il a rang d?un ministre d?Etat (Senior Minister). Il assure la présidence de la deuxième chambre parlementaire et est un des plus hauts magistrats. De même, la Reine en Son Conseil exerce des fonctions juridictionnelles en droit interne. La chambre haute du Parlement, la Chambre des Lords, est une des juridictions suprêmes1191 du Royaume-Uni1192. On se méfiera tout de même de toute conclusion hâtive. Les juges britanniques se sont affranchis de la double tutelle du Parlement et de l?exécutif. Seuls des juges professionnels et inamovibles siègent à formation juridictionnelle de la Chambre des Lords, à l?exception du Lord-Chancelier qui assure la synthèse entre les trois pouvoirs. De même, la tutelle royale sur le Conseil Privé n?est que symbolique.

Le modèle de distribution constitutionnelle des pouvoirs fut rationalisé dans les nouveaux Etats du Commonwealth. L?indépendance des juges est assurée organiquement1193 et le domaine de compétence du Parlement est limité.

1189 LOCKE John: «Deuxième traité du gouvernement civil», Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1967, 255 p., v. p. 159, paragraphe 143.

1190 MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat: «De l?Esprit des Lois», (1748), Paris, Editions Sociales, 1969, 333 p., v. Livre X, chapitre VI, pp. 118 et s.

1191 SHELL Donald: «The House of Lords», Harvester, Wealsheaf, 1992, 276 p.

1192 BRADLEY A. W. et EWIG K. D., cité note 549, v. chapitre 4: «The relationship between legislature, executive and judiciary», p. 52 et s.

1193 ALLOT Anthony: «The independence of the judiciary in the Commonwealth countries: problems and provisions», CLB, 1994, pp. 1428 à 1446.

Le Comité Judiciaire a démontré qu?il est très attaché au principe de la séparation des pouvoirs et l?a affirmé de manière solennelle. Dans l?affaire Hinds1194, Lord Diplock, dans une motivation surabondante qui ressemble davantage à un cours de droit qu?à une décision de justice1195, rappelle les principes de base du système institutionnel des nouveaux Etats du Commonwealth, le modèle Westminster. Plaçant son analyse dans une perspective historique, il soutient que le principe de la séparation des pouvoirs y était appliqué précédemment à l?entrée en vigueur des nouvelles Constitutions qui, de surcroît, n?ont que consolidé les institutions existantes. Les Constitutions ont été élaborées sur la base d?un consensus entre les différentes forces politiques en présence. Documents de compromis, les Constitutions contiennent nécessairement des principes non affirmés expressément, parmi lesquels se trouve celui de la séparation des pouvoirs. En général, elles ne comportent aucune disposition formelle tendant à interdire l?usurpation des compétences du judiciaire par le Parlement ou l?exécutif1196 mais la séparation des pouvoirs est un principe implicite et accepté. Ainsi, faisant partie de la nature même du régime, le principe de la séparation des pouvoirs, est érigé par le juge londonien en valeur quasi supraconstitutionnelle.

Quant à l?indépendance des institutions judiciaires élevées, elle se manifeste, affirme Lord Diplock, par le principe qui veut que le gouvernement ne puisse exercer aucune pression directe ou indirecte sur les hauts magistrats (Judges). Tout un chapitre de la Constitution pose des garanties protectrices concernant le recrutement des hauts magistrats et le cheminement de leur carrière1197. Ils sont inamovibles et leur responsabilité disciplinaire ne peut être engagée que sur la base d?une procédure lourde nécessitant la saisine du Conseil Privé.

b. Le cantonnement du législatif

Le principe de la séparation des pouvoirs sert devant le Conseil Privé de principe gigogne?, tel le principe d?égalité en contentieux constitutionnel

1194 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233.

1195 Lord Diplock qualifie lui-même sa longue motivation de «règle de droit» (ratio decidendi) et non d?affirmation incidente (obiter dicta), ibid., p. 371.

1196 «Thus the Constitution does not normally contain any express prohibition upon the exercise of legislative powers by the executive or of judicial powers by either executive of the legislature», ibid., p. 372.

1197 «The Chapter dealing with the judicature invariably contains provisions dealing with the method of appointment and security of tenure of the members of the judiciary which are to assure to them a degree of independence from the other two branches of government», ibid., p. 373.

français1198, en ce sens qu?il se décompose en une multitude de cas d?application. Il est invoqué de manière quasi systématique par les requérants car chaque Loi peut se lire à travers un aspect particulier du principe de la séparation des pouvoirs, notamment de l?indépendance du judiciaire.

Le domaine de la Loi est circonscrit. Comme nous l?avons déjà indiqué, le législateur ne peut légiférer que pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement1199, c'est-à-dire, il ne peut pas s?immiscer dans le domaine d?attribution du judiciaire.

Le Comité Judiciaire a affirmé qu?il n?appartient pas au législateur de censurer les décisions des juridictions ou de se substituer dans le jugement des litiges relevant de leur compétence. Une illustration de ce principe se trouve dans l?affaire Liyanage1200. Une Loi ceylanaise avait institué une procédure dérogatoire au droit commun pour le jugement des auteurs d?un coup d?Etat. L?étendue de cette Loi ne permettait au juge que de constater l?infraction et la culpabilité de certaines personnes visées. Le législateur lui avait pratiquement dicté la décision à rendre. La Haute Instance londonienne sanctionne ce qu?il qualifie d?être «un jugement législatif» et affirme que «si une telle Loi n?est pas censurée, tout le pouvoir judiciaire pourra être absorbé par le législateur»1201. Le même principe a été rappelé par le juge londonien dans une affaire mauricienne dans laquelle une Loi à effet rétroactif infirmait une sentence arbitrale prononcée contre le gouvernement. Avant l?entrée de la Loi nouvelle, la sentence arbitrale était susceptible d?une exécution forcée en vertu d?une ordonnance d?exequatur, délivrée par la Cour Suprême. Désormais, le ministre de la justice (the Attorney-General) pouvait s?y opposait, ce qu?il fit dans le cas d?espèce. Le Comité Judiciaire sanctionne la violation de la séparation des pouvoirs1202.

La Cour de Maurice s?inscrit dans le droit fil de la jurisprudence du Comité Judiciaire et sanctionne la Loi dite de validation1203. Celle-ci est une catégorie de Loi qui tend à valider un acte qui ne l?était pas initialement du fait de la censure du juge. La Loi est promulguée après le jugement ayant déclaré

1198 MICLO François: «Le principe d?égalité et la constitutionnalité des lois», AJDA, 1982, pp. 115 à 135.

1199 Article 45-1 CM.

1200 CJCP: 21 décembre 1965, Don John Francis Douglas Liyanage c/ The Queen, AC, 1967, vol. 1, pp. 259 à 292, affaire de Ceylan, Lord Pearce rédacteur de l'arrêt.

1201 If such Acts were valid, the judicial power could be wholly absorbed by the legislative and taken out of the hands of the judges», ibid., p. 129.

1202 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité note 905, v. p. 849-50.

1203 Un regard rétrospectif permet de constater que le gouvernement britannique avait avant la deuxième guerre mondiale tenté d?annuler une décision du Conseil Privé. V. LOWE A. V. et YOUNG J. R.: «An executive attempt to rewrite a judgment», LQR, avril 1978, pp. 255 à 275.

l?acte nul avec effet rétroactif de sorte que l?acte litigieux devienne conforme à la Loi. La Cour de Maurice se montre, à juste titre, très exigeante et applique avec rigueur le principe de la séparation des pouvoirs1204 tel qu?énoncé par le Comité Judiciaire dans l?affaire Liyanage précitée. Selon la Cour, le législateur ne peut avoir le pouvoir de censurer les décisions des juridictions ou de méconnaître le principe de l?autorité de chose jugée (the doctrine of res judicata). Le Parlement ne peut pas trancher des litiges et s?ériger en une cour de dernier ressort. Il n?y aurait, poursuit la Cour, d?Etat de droit (rule of law) s?il en fut autrement1205.

B. La défense des prérogatives des organes juridictionnels

Le Comité Judiciaire a jalousement préservé le pouvoir des institutions judiciaires. Il exerce un contrôle maximum et n?admet aucune atténuation à l?exercice des prérogatives du juge en général (a) et de celles des hauts magistrats (b).

a. De la magistrature en général

Le juge est la seule autorité compétente à autoriser des atteintes à la liberté individuelle, tel est semble-t-il le principe qu?a posé le Comité Judiciaire dans le grand arrêt Ali1206. Afin de comprendre la portée de cet arrêt, il serait utile de faire un bref rappel des circonstances de l?affaire. Une Loi mauricienne, votée un peu à la hâte en 1986 suite à une série de scandales, avait prévu que le procureur de Maurice pouvait, selon sa discrétion, déférer quelqu?un suspecté de trafic de stupéfiants soit devant un magistrat (unique) de la Cour Suprême, soit devant la Cour Intermédiaire (le tribunal correctionnel) soit encore devant la Cour de District (tribunal de police). Si l?accusé était reconnu coupable par un juge de la Cour Suprême dans des circonstances aggravantes spéciales, il devait impérativement être sanctionné de la peine de mort1207. S?il était reconnu coupable dans les mêmes conditions par un autre tribunal, la sanction qu?il encourrait pouvait être différente, c'est-à-dire, inférieure.

1204 DAUDET Y. et MEETARBHAN M., cité note 368, v. p. 284 et s.

1205 CSM: 26 avril 1982, A. R. Mahboob c/ The Government of Mauritius, MR, 1982, pp. 135 à 145, le Chef-Juge Sir Maurice Rault rédacteur de l'arrêt principal. Dans cette affaire, la Cour de Maurice avait déclaré nulle et non avenue une vente immobilière entre un individu et une organisation étrangère. Le législateur avait adopté une Loi qui déclarait ladite vente valide.

1206 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635.

1207 Articles 28-1 et 28-8 et 38 de la Loi de 1986 sur les stupéfiants (Dangerous drugs Act).

Est-ce que la discrétion attribuée au procureur, en l?occurrence le Directeur des poursuites publiques1208, quant au choix du tribunal et, par conséquent, de la peine encourue est une violation des pouvoirs du juge répressif1209 ? Le Comité Judiciaire, saisi de la question, marque sa volonté de consacrer une conception stricte de la séparation des pouvoirs. Le Directeur des poursuites publiques, bien qu?il soit considéré comme étant indépendant de toute autorité publique1210, est qualifié par le juge londonien d?agent de l?exécutif, autrement dit, d?agent public. Il ne peut donc pas, même indirectement, choisir la peine à appliquer sans violer la distribution constitutionnelle des pouvoirs, les prérogatives du judiciaire.

Le Comité Judiciaire, dans son analyse reconnaît que le législateur peut prévoir des peines impératives (mandatory sentences) pour une catégorie d?infraction1211. La fixation de la peine par le législateur est une disposition d?ordre général et se distingue de l?énoncé de la Loi mauricienne. Dans le premier cas, il revient en dernier lieu au juge d?appliquer la peine alors que dans le deuxième, le procureur, en choisissant le tribunal préalablement au procès, choisit également au cas par cas la peine qui serait appliquée. Le Comité Judiciaire distingue encore la discrétion attribuée au procureur mauricien de la pratique tolérée dite de la correctionnalisation des crimes1212. La technique de la correctionnalisation (the referring of a case before the magistrate court) consiste pour l?autorité chargée des poursuites à négliger une qualification plus grave, souvent criminelle, des faits pour ne retenir qu?une qualification plus faible ou correctionnelle. Cette pratique revient à tourner les règles légales relative à la compétence juridictionnelle afin que le juge saisi prononce une peine moins sévère. Cette discrétion de l?autorité poursuivante ne viole aucun principe constitutionnel selon le Comité Judiciaire. Par contre, celle du procureur mauricien, en vertu de la Loi litigieuse, lui permettait non seulement de choisir le tribunal mais aussi la peine qui devait obligatoirement être appliquée si la culpabilité de l?accusé était reconnue. Sa discrétion n?aurait pas été contraire à

1208 LABAUVE D?ARIFAT Cyrille, QC: «Le Directeur des poursuites publiques à l?île Maurice», APOI, 1976, pp. 513 à 578.

1209 La Cour Suprême avait dans sa décision opéré une neutralisation de la discrétion du procureur en soutenant que le prévenu suspecté d?avoir agi dans des circonstances aggravantes ne pouvait être déféré que devant un juge de la Cour Suprême. V. CSM: 20 septembre 1991, Muktar Ali c/ Regina, MR, 1991, pp. 138 à 146, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.

1210 L?article 72-6 CM dispose que: «Dans l?exercice des pouvoirs qui lui son conférés par le présent article, le Directeur des poursuites publiques n?est pas soumis à l?autorité ou au contrôle de nulle autre personne ou autorité».

1211 Certains Lords judiciaires, dont Lord Donaldson, ancien président de la Division civile de la Cour d?Appel anglaise conteste aujourd?hui les législations qui diminuent la liberté du juge dans le choix de la peine. V. DONALDSON Lord: «Beware of this abuse», The Guardian, 1er décembre 1995, p. 21.

1212 CJCP: 11 décembre 1978, The Cheng Poh alias Char Meh c/ Public Prosecutor, AC, 1980, pp. 458 à 476, affaire de la Malaisie, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.

la Constitution si le juge du jugement pouvait déterminer le quantum de la peine1213. La combinaison des deux éléments, choix du tribunal et peine impérative, rend la Loi non conforme à la Constitution et viole les prérogatives du juge.

b. De la haute magistrature

Le Comité Judiciaire a constitutionnalisé la compétence des hauts magistrats1214. Cette constitutionnalisation est importante parce qu?elle met un obstacle juridique à tout dessaisissement des juges des cours supérieures (higher judiciary) de leur compétence par les autorités publiques. Le législateur ne peut créer de nouvelles juridictions composées de simples magistrats1215 qui ne bénéficient pas d?une totale indépendance pour connaître des litiges relevant, avant l?entrée en vigueur de la Constitution, de la compétence exclusive de la Cour Suprême.

L?argumentation du Comité Judiciaire est fort juste. La Constitution, en évoquant les cours supérieures, se réfère implicitement aussi aux magistrats composant ces juridictions1216. Seuls ceux-ci, en raison de leur indépendance, leur statut et leur mode de recrutement1217 peuvent exercer, même en première instance, certaines fonctions juridictionnelles et appliquer certaines peines, notamment celle de réclusion criminelle à vie ou la peine de mort, à l?inverse des magistrats des cours inférieures1218.

*

1213 «... a discretion vested in a prosecuting authority to choose the court before which to bring an individual charged with a particular offence is not objectionable if the selection of the punishment to be inflicted on conviction remains at the discretion of the sentencing court», CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635, v. p. 410.

1214 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233.

1215 Dans les nouveaux pays du Commonwealth, les tribunaux sont classés en deux catégories: les cours supérieures (higher judiciary) et les cours inférieures (lower judiciary). Une cour supérieure, telle la Cour Suprême peut statuer en première instance sur un nombre important d?affaires. Elle ne correspond pas toujours à une cour de second degré. Les cours inférieures statuent sur de petites affaires en première instance.

1216 «Thus, where a Constitution on the Westminster model speaks of a particular court already in existence when the Constitution comes into force, it uses this expression as a collective description of all those individual judges who, whether sitting alone or with other judges or with a jury, are entitled to exercise the jurisdiction exercised by that court before the Constitution came into force», CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 373.

1217 CJCP: 19 mars 1957, Attorney-General c/ The Queen, AC, 1957, pp. 288 à 324, affaire de l?Australie, Vicomte Simmonds rédacteur de l'arrêt.

1218 Les cours inférieures ne sont pas évoquées dans les Constitutions du modèle Westminster mais sont bien des juridictions valides. V. CJCP: 4 octobre 1993, Commissioner of Police c/ Skip Patrick Davies, AC, 1994, vol. 1, pp. 283 à 302, affaire des Bahamas, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.

La séparation des pouvoirs est un des principes fondamentaux d?un Etat de droit. Le judiciaire, du fait de son rôle dans la défense des valeurs de la République et de la démocratie libérale, doit être sérieusement protégé contre les atteintes du pouvoir politique à sa compétence.

Après l?examen de l?apport du Comité Judiciaire en droit administratif et droit public institutionnel, il convient d?analyser enfin la protection du droit de propriété par le juge du Whitehall.

Sous-section 2. En droit public des biens

A l?île Maurice, le droit public des biens puise son origine à la fois dans le Code Civil de 1804, la Déclaration des Droits de l?homme et du Citoyen de 17891219 et la Common Law. L?article 544 du Code Civil mauricien énonce encore aujourd?hui, comme celui du Code Civil français, que «la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue». De même, la Common Law a attribué, depuis les écrits de John Locke1220 et de William Blackstone1221, le caractère d?un droit pratiquement naturel, voire d?une liberté1222 à la propriété.

Cependant, la Constitution mauricienne, élaborée dans un contexte moderne, prend acte de l?évolution des conditions d?exercice du droit de propriété survenue après la deuxième grande guerre, lors du développement de l?Etat-Providence, et s?abstient de toute affirmation du caractère presque divin et sacré du droit de propriété. L?essence divine et inviolable du droit est remise en cause pour des motifs impérieux d?intérêt général à l?instar des pays de Common Law1223 et de tradition romano-germanique1224. L?intervention du

1219 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Governement of Mauritius, cité note 860.

1220 ALLIOT Brigitte: «Locke et l?économie politique», mémoire de DES, Paris, 1963, 81 p., v. p. 16 et s.

1221 BLACKSTONE William, Sir: «Commentaries of the laws of England», vol. 2 «Of the right of things», (1766), Londres, The University of Chicago Press, 1979, 520 p., v. p. 2. L?auteur affirme que: «There is nothing which so generally strikes the imagination and engages affections of mankind as the right of property; or that sole despotic dominion which one man claims and exercises over the external things of the world, in total exclusion of the right of any other individual of the universe».

1222 COVAL S., SMITH J. C. et COVAL S.: «The foundations of property and property law», CLJ, 1986, pp. 457 à 475.

1223 «But property law has lost its traditional constitutional status. For decades property has ceased to serve as a significant formal boundary between individual rights and governmental power», NEDELSKY Jennifer: «Private property and the limits of American constitutionalism», Londres, The University of Chicago Press, 1990, 343 p., v. p. 223.

V. aussi CRAIG P. P.: «Constitutions, property and regulation», PL, 1991, pp. 538 à 554. 1224 «... on est conduit à en conclure que le droit de propriété est une liberté ou un droit de second rang par opposition aux droits et libertés de premier rang telle la liberté de la presse ou la liberté de l?enseignement», FAVOREU Louis et PHILIP Loïc, cité note 881, v. p. 471.

législateur dans le domaine foncier, d?aménagement du territoire et dans la régulation des activités commerciales est fréquente. Ainsi, la Constitution mauricienne a été libellée de façon à ce qu?il en résultât en réalité que de minimes limitations au pouvoir de la puissance publique de porter atteinte au droit de propriété. La Constitution déclare de manière anodine que tout individu a droit à la protection de ses biens et que nul ne peut en être privé ou dépossédé, dans ce dernier cas uniquement que pour cause d?utilité publique, sans indemnité.

Devant un tel dispositif constitutionnel peu contraignant, il eut apparu qu?une violation du droit de propriété tirée de l?énoncé de la Loi Fondamentale eût été impossible tant le pouvoir public conservait une trop grande discrétion et la majorité des hauts magistrats de la Cour Suprême ne voulait contrer, fût- ce sur un plan strictement juridique, la politique de l?Etat dans un secteur aussi sensible que ce droit de l?homme de nature économique. Or, l?incertitude n?est plus permise aujourd?hui1225. Depuis un arrêt de principe du Comité Judiciaire de 19841226, le juriste est obligé d?apporter un regard neuf sur le droit de propriété. La Haute Instance londonienne a donné une consistance élevée à ce dernier dans la hiérarchie des normes (paragraphe 1) et entreprend depuis de le définir assez libéralement de façon à étendre considérablement le champ d?application de la protection constitutionnelle réorganisée et dynamisée (paragraphe 2). Véritable tournant jurisprudentiel, l?arrêt de 1984 constitue le point de départ de tout une riche élaboration dont il est important de mettre en valeur les principaux résultats.

Paragraphe 1. Le fondement constitutionnel du droit de propriété

Comme nous l?avons évoqué, la protection constitutionnelle des biens se décompose en deux séries de normes qui correspondent à deux niveaux d?atteinte. La première énonce le principe d?interdiction de toute privation (deprivation) des biens par l?autorité publique sans indemnité1227 (A) et la deuxième soumet à des conditions la cession forcée d?une propriété (compulsory acquisition of property) (B).

V. également FROMONT Michel: «Le droit de propriété dans les jurisprudences constitutionnelles européennes, République Fédérale d?Allemagne», AIJC, 1985, pp. 214 à 218. 1225 COLOM Jacques: «La protection constitutionnelle du droit de propriété à l?île Maurice», pp. 155 à 189 in UNIVERSITE DE DROIT ET D?ECONOMIE ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE, cité note 375.

1226 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ Government of Mauritius, cité note 847.

1227 Dans ce dernier cas, tous les attributs du droit de propriété n?ont pas été enlevés au titulaire de ce droit. La privation peut être une limitation de l?exercice de ce droit, une gêne non supportable qui vide le droit de son contenu.

A. Le respect des biens ou la protection contre la privation des biens

L?existence dans la Constitution d?une norme à effet direct protégeant contre la privation des biens a été sérieusement contestée devant le juge londonien (a), qui, tranchant le débat dans un sens positif a également déterminé la portée de la privation (b).

a. Le caractère de la protection constitutionnelle

L?article 3 de la Constitution dispose, à la manière d?un préambule, qu?il «est reconnu et proclamé qu?il a existé et qu?il continue d?exister à Maurice... le droit de tout individu à la protection... contre toute atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans compensation». Le gouvernement a fait valoir que cet article ne comporte aucun caractère impératif en vertu de la jurisprudence locale et londonienne1228.

En effet, la Cour de Maurice rejetait la thèse que l?article 3 fût une disposition opérationnelle (fully operative). Les garanties posées par cet article seraient soumises aux articles suivants et correspondants de la Constitution, c'est-à-dire, à l?article 8 de la Constitution en ce qui concerne le droit de propriété. L?article 3 n?aurait aucune autonomie1229. Le juge local répugnait à lui reconnaître toute valeur positive sans doute à cause de son caractère imprécis et vague1230. De même, le Comité Judiciaire avait manifesté une grande hésitation à accorder au préambule des Constitutions du Commonwealth une valeur positive. Tout au plus, le préambule n?était qu?une partie préliminaire à laquelle le juge pouvait recourir pour interpréter des normes constitutionnelles1231. Sur la base de ces jurisprudences, le gouvernement mauricien soutenait que le propriétaire n?était pas protégé contre la privation de ses biens.

Seul le Chef-Juge Sir Maurice Rault, minoritaire sur ce point à la Cour locale, remet en question la survivance des jurisprudences précitées en droit mauricien de la fin du vingtième siècle1232. Le juge utilise la technique des distinctions pour écarter les précédents invoqués et fonder sa décision sur

1228 Aucune Loi ordinaire ne protégeait non plus effectivement les citoyens contre la privation de leurs biens.

1229 «The guarantee in section 3 has consequently no separate existence», CSM: 3 mai 1976, Jaulim c/ Director of Public Prosecutions, MR, pp. 96 à 109, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt, v. p. 99.

1230 CSM: 14 novembre 1980, Reufac c/ Minister of Agriculture and Natural Resources, MR, 1980, pp. 264 à 278, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.

1231 CJCP: 19 avril 1966, Honourable Dr Paul Borg Oliver c/ Honourable Dr Anton Buttigieg, cité note 1145.

1232 CSM: 7 décembre 1981, Société United Docks c/ Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 805 à 828, v. opinion individuelle du Chef-Juge Rault.

d?autres autorités. Sa motivation se divise en deux branches. D?abord, il insiste sur l?inclusion de l?article 3 dans le bloc de constitutionnalité en citant une décision plus récente du Conseil Privé1233 et une décision du Conseil Constitutionnel français1234 dans lesquelles ces deux juridictions opèrent une extension du champ des normes constitutionnelles en y incluant le préambule. Ensuite, il applique une décision des juges londoniens consacrant le droit pour un individu de ne pas être privé de ses biens, par opposition à la dépossession1235.

Le Comité Judiciaire approuve la solution retenue par le juge Rault1236 et dans un motif dont il est difficile de rendre compte sans le paraphraser, les Lords affirment que l?article 3 n?est pas simplement un préambule mais dispose d?une pleine autonomie. Ils renversent la hiérarchie des normes au sein même de la Constitution. Désormais, l?article 3 a pleine valeur juridique et toutes les dispositions subséquentes du catalogue des droits doivent s?interpréter à la lumière de ses énonciations1237. L?article 3 prévaut sur l?article 8 qui prévoit les cas de cession forcée. Leurs Seigneuries déclarent d?une manière assez provocante que si le droit contre la privation de la propriété n?est pas effectif, la puissance publique pourrait détruire toute propriété privée sans compensation. Et, comme pour bien affermir leur jurisprudence, ils rappellent l?existence en Common Law d?un principe de responsabilité de la puissance publique à raison des dommages causés par elle aux biens des personnes privées même en temps de guerre1238. Le même principe de responsabilité joue également en matière de privation des biens1239.

b. La signification de la privation des biens

Une fois déterminées l?existence et la valeur de la norme contenue dans l?article 3 de la Constitution, il est nécessaire de s?attarder sur la portée du

1233 CJCP: 27 novembre 1979, Terence Thornhill c/ Attorney-General, cité note 845. 1234 CCF: 16 juillet 1971, Liberté d?Association, cité note 881.

1235 «Their Lordships agree that a person may be deprived of his property by a mere negative or restrictive provision but it does not follow that such a provision which leads to deprivation also leads to compulsory acquisition», CJCP: 11 janvier 1977, Government of Malaysia c/ Selangor Pilot Association, AC, 1978, pp. 337 à 359, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt majoritaire, v. p. 347-48.

1236 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/ Governement of Mauritius, cité note 847.

1237 «Their Lordships have no doubt that all provisions of Chapter II, including section 8, must be construed in the light of the provisions of section 3. The wording of section 3 is only consistent with an enacting section; it is not a mere preamble or introduction», ibid., p. 841.

1238 CL: 21 avril 1964, Burmah Oil Company Ltd c/ Lord Advocate, AC, 1965, pp. 75 à 171, Lords Reid et Upjohn rédacteurs des arrêts principaux.

1239 CSC: 3 octobre 1978, Manitoba Fisheries c/ The Queen, DLR, 1979, vol. 88, pp. 462 à 474, le juge Ritchie rédacteur de l'arrêt.

terme de privation des biens. Qu?est-ce qui constitue, selon l?interprétation du Comité Judiciaire, une privation des biens ?

Les Sages de la Downing Street découvrent une véritable richesse juridique enfouie sous le terme privation dans l?affaire La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Limitée1240. Ils analysent de façon concrète les mesures administratives susceptibles de porter atteinte au droit de propriété à la manière de la Cour Européenne des Droits de l?Homme dans l?arrêt intitulé Sporrong et Lönnroth1241 auquel ils se réfèrent abondamment1242. Selon eux, pour classer une mesure administrative ou législative parmi celle de privation des biens, ce qui compte n?est pas son intitulée mais l?effet réel qui en découle pour le particulier. Il faut rechercher si la décision de la puissance publique ne porte pas une atteinte disproportionnée aux attributs de la propriété1243. Le juge londonien rabaisse le seuil toléré d?ingérence aux attributs de la propriété en s?appuyant sur un précédent de la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique1244. Pour la Cour Suprême de Maurice, il ne fallait pas que la mesure de l?autorité politique ou administrative dévidât la propriété complètement de ses éléments. La propriété ne devait pas, selon la formule utilisée, être réduite à une coquille vide. Ce seuil est considéré trop élevé par les Sages de la Downing Street. Désormais, la mesure législative ou administrative ne peut toucher à la substance de la propriété, c'est-à-dire, en restreindre substantiellement son exercice sans constituer une privation1245. Le juge londonien consacre le droit de l?individu à «la jouissance paisible de ses biens» (peaceful enjoyment of his property), notion employée dans la version anglaise de l?article premier du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l?Homme1246. Ce principe comporte une limite: toute législation ou réglementation portant sur l?usage d?une propriété n?équivaut pas à une violation du droit à une jouissance paisible. De nos jours, le droit de propriété est soumis à des impératifs économiques, sociaux et esthétiques. Ainsi, une Loi

1240 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1241 CEDH: 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c/ La Suède, PCEDH, 1982, série A, vol. 52, 50 p.

1242 Dans l?arrêt La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée précité Lord Woolf identifie les articles 3 et 8 de la Constitution de Maurice aux dispositions de l?article du Premier Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l?Homme.

1243 Les trois attributs de la propriété sont (i) le droit d?user de la chose (jus utendi), (ii) le droit de percevoir les fruits de la chose (jus fruendi) et (iii) le droit de disposer de la chose (jus abutendi).

1244 CSEUA: 11 décembre 1922, Pennsylvania Coal Company c/ H. J. Mahon, US, 1922, pp. 393 à 422, le juge Holmes rédacteur de l'arrêt, v. p. 415-6.

1245 «It is right as Lord Lester also argues that to refer to a valueless shell? is to overstate the situation which needs to exist before there is a constructive deprivation», in CJCP: 13 décembre 1995, Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité, 860.

1246 La notion de la jouissance paisible des biens a été, à notre avis, maladroitement traduite dans la version française du texte de la Convention en «respect de biens».

qui fait obligation au propriétaire de renouveler un bail de métayage sur demande de l?exploitant1247 ne porte pas une atteinte démesurée au droit du propriétaire1248. L?intervention du pouvoir public dans les rapports contractuels est fréquente dans beaucoup de pays. En France par exemple, il est traditionnellement reconnu au locataire d?un immeuble dans lequel il exploite un fond de commerce, un droit particulier de se maintenir dans les lieux. Aussi, le fermier a droit de continuer son exploitation agricole même après expiration de son bail. Il apparaît que les juges londoniens admettent que la puissance publique puisse réglementer le jus abutendi du propriétaire sans porter atteinte à son droit de jouissance. La Loi mauricienne n?a pour effet que d?imposer un contrat, ce qui bien évidemment, est dérogatoire au principe de l?autonomie de la volonté des contractants1249.

B. La protection contre la dépossession des biens

La Constitution de Maurice protège dans un article séparé des dispositions de l?article 3, l?individu contre la cession forcée des biens à la puissance publique.

Il s?agit d?analyser le dispositif constitutionnel (a) et voir comment, malgré les dispositions peu libérales, le Comité Judiciaire a imposé un contrôle puissant des mesures de dépossession des biens (b).

a. Le dispositif constitutionnel

L?article 8 de la Constitution de Maurice a été révisé partiellement en 1983 sous l?impulsion du second gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth afin de dynamiser le développement économique du pays1250. Les remparts juridiques contre la dépossession ont été affaiblis. Le texte de 1983 a introduit une philosophie socialisante dans l?énoncé de l?article 8, absente dans le texte initial et le Code Civil de 1804 d?inspiration libérale. Quatre grandes modifications ont été apportées. Il est désormais autorisé d?exproprier ou

1247 Article 5-A nouveau (Loi de 1993) de la Loi mauricienne de 1988 sur la Production de l?Industrie Sucrière (Sugar Industry Efficiency Act).

1248 «The ownership of land has a multiplicity of incidents and every regulation of those incidents in the public interest does not attract a prima facie right to compensation. This is especially true where, as here, the regulation is part of the general control of an industry which is already subj ect to substantial regulation in the interest of all those involved in the industry, including the appellants», CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1249 BENABENT Alain: «Droit civil, les obligations», Domat droit privé, Monchrestien, 1995, 5e édition, 492, v. p. 35-6.

1250 V. discours de Monsieur Aneerood Jugnauth, Premier Ministre, au Parlement, LAD, 1983, n° 6, pp. 753 à 756.

nationaliser pour «le développement social ou économique du peuple de Maurice»1251. Le constituant a supprimé l?obligation du paiement rapide de l?indemnité et a prévu, à la place, un système de dédommagement étalé sur une période de dix ans1252. Le mode de calcul de l?indemnité compensatoire a été modifié. L?indemnité a perdu son caractère adéquat. Elle est évaluée en terme d?équité, ce qui veut dire qu?elle pourrait éventuellement être inférieure à la valeur vénale du bien en question1253. Le terme équitable traduit l?idée d?un partage du coût entre l?exproprié et la puissance publique. Le dédommagement n?est plus intégral. Enfin, la Loi constitutionnelle de 1983 a soustrait au contrôle du juge toute Loi de nationalisation approuvée par au moins trois quarts des députés1254.

La révision de 1983 est inspirée de l?expérience indienne1255, et peut être aussi italienne1256, tendant à permettre un plus grand contrôle de l?Etat sur les secteurs clés de l?économie. Elle constitue un cas d?affermissement du droit au développement sur un droit de l?homme1257. Le droit de propriété, du fait de ses implications économiques, n?est plus une véritable liberté publique.

b. Le contrôle juridictionnel des mesures de cession forcée des biens

Les finalités autorisées de la dépossession sont larges et peuvent englober tous les besoins publics, de l?objectif de protéger la moralité publique à celui de promouvoir l?intérêt public en passant par le besoin d?assurer le développement social et économique du peuple1258. Une condition est toutefois posée par la Constitution. La cession forcée doit être raisonnablement justifiée au regard des difficultés (hardships) causées par l?opération1259. Le juge londonien entend cette condition de façon sévère puisqu?il enjoint à la Cour locale, juridiction souveraine des faits, de censurer les décisions de l?autorité publique non équilibrées1260 entre les intérêts de la nation et ceux de l?exproprié1261. Les

1251 Article 8-1-a CM.

1252 Article 8-4-c-i CM.

1253 Article 8-1-c-i CM.

1254 Article 8-4-A-a CM.

1255 HIDAYATULLAH M.: «Constitutional law of India», Liverpool, Lucas Publications, 1986, 2 vol., v. vol. 2, pp. 355 à 382 «Right to property and article 300 A».

1256 ZAGREBELSKY Gustavo: «Le droit de propriété dans les jurisprudences constitutionnelles, Italie», AIJC, 1985, pp. 219 à 227.

1257 COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 43.

1258 Article 8-1-a CM.

1259 Article 8-1-b CM.

1260 Le juge londonien emprunte à la Cour Européenne des Droits de l?Homme le critère du juste équilibre entre les exigences de l?intérêt général et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux des individus. V. CEDH: 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c/ La Suède, cité note 1241, v. p. 26, paragraphe 69.

1261 «... the executive director of the Sugar Authority gave ample evidence as to the background of
the statutory sugar regime to enable the balancing exercise to be performed between the

inconvénients que l?opération représente ne doivent pas être excessifs par rapport aux avantages qu?elle offre. L?autorité expropriante, s?il s?agit d?une expropriation, doit démontrer à la Cour en quoi les atteintes à la propriété privée, le coût financier de l?opération sont proportionnés ou mieux inférieurs à l?intérêt qu?elle représente1262.

La jurisprudence du bilan du Comité Judiciaire appelle toutefois une remarque pertinente. Elle n?aboutit qu?exceptionnellement à une annulation du projet par le juge du fond. Alors que les requérants soutiennent très souvent que le bilan de l?opération, au sens de la jurisprudence des Sages de la Downing Street, est négatif, ils n?arrivent à emporter la conviction des juges du fond locaux. Le contrôle du bilan ressemble au contrôle de l?erreur manifeste d?appréciation. Le juge ne peut annuler une décision de l?autorité publique que lorsqu?il a le sentiment que les inconvénients de l?opération l?emportent très largement sur ses avantages. Il faudrait qu?il soit confronté à un projet manifestement déraisonnable de l?Etat. Mais il demeure que l?article 3 de la Constitution, par la généralité de ses dispositions et son autonomie telle qu?elle a été consacrée par la Haute Instance londonienne, a acquis une vitalité primordiale dans la défense du droit de propriété.

Ainsi, une fois déterminés l?agencement entre les deux normes constitutionnelles et le caractère constitutionnel de la protection du droit de propriété, le Comité Judiciaire a eu le souci d?élargir la perspective de la notion de propriété.

Paragraphe 2. Le contenu du droit de propriété

Il était nécessaire que le terme du droit de propriété fût défini au plus haut niveau de judiciaire mauricien. Aujourd?hui, les formes de propriété s?étendent à des domaines nouveaux1263. Le Comité Judiciaire prend acte de ce développement. Les Lords confirment que les normes constitutionnelles relatives au droit de propriété doivent être interprétées libéralement et de manière large1264 et en prenant en considération le caractère mixte du droit mauricien1265.

interests of the community at large and the planters», CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Surcrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1262 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889, v. p. 475.

1263 CHABAS François: «Leçons de droit civil (tome II, deuxième volume), Biens, droit de propriété et ses démembrements», Paris, Monchrestien, 1994, 471 p., v. sur l?évolution du droit de propriété, pp. 10 à 20.

1264 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743, v. p. 183.

Ainsi, le Comité Judiciaire donne à la propriété un champ d?application large (A) tout en demeurant pragmatique dans sa définition (B).

A. Une jurisprudence extensive

Les Codes Civils français et mauriciens ne donnent pas une définition claire et nette ou une liste de biens pouvant faire l?objet d?un droit de propriété. La Constitution non plus ne détermine pas la portée du terme mais déclare protéger toutes les formes de propriété (property of any description)1266. Le Comité Judiciaire n?est donc pas lié par aucun texte et peut donner à la propriété le sens et l?étendue qu?il souhaite.

Les cours de justice du Commonwealth ont dégagé des critères d?appréciation du caractère de propriété à la fois des biens corporels et incorporels (tangible and intangible properties)1267. Est notamment une propriété si le titulaire a le droit d?interdire à toute autre personne la jouissance du bien en question (the right to exclude others from the enjoyment of a given thing) ou si la chose peut se transmettre (right to transfer a thing) ou si le titulaire bénéficie de la chose d?un droit de jouissance (right to enjoyment)1268. Le Comité Judiciaire semble privilégier le dernier critère tout en élaborant sa propre conception de la propriété.

Il découle de l?analyse de la jurisprudence londonienne deux conséquences: les droits patrimoniaux, toutes les composantes confondues, sont une propriété au sens de la Constitution (a) ainsi que le salaire (b).

a. Les droits patrimoniaux

Le caractère de biens de propriété des meubles et immeubles classiques évoqués dans le Code Civil, n?a pas été contesté au Comité Judiciaire1269. A côté des biens classiques, le juge londonien a reconnu l?existence de formes nouvelles de propriété.

1265 «When construing the language of sections 3 and 8 of the Constitution... it is also appropriate to give weight to the legal traditions which exist in Mauritius», CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1266 Article 8-1 CM.

1267 CL: 14 décembre 1959, Belfast Corporation c/ O. D. Cars, AC, 1960, pp. 490 à 527, Vicomte Simmonds rédacteur de l'arrêt principal. «... anyone using the English language in its ordinary signification would... agree that property? is a word of very wide import, including intangible and tangible property», ibid., p. 517.

1268 ALLEN Thomas: «Commonwealth Constitutions and the right not to be deprived of property», ICLQ, 1993, pp. 523 à 552.

1269 V. par exemple à propos d?un bien foncier CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889.

Les droits fondés sur une valeur pécuniaire ont obtenu la protection constitutionnelle. Le Comité Judiciaire a étendu le champ d?application de la propriété aux droits de créance (chose in action)1270, c'est-à-dire, aux intérêts découlant des rapports à contenu économique. Une Loi ne peut valablement permettre les autorités de police d?ordonner le blocage de tout compte bancaire d?un suspect de faits de corruption. L?épargnant-client dispose d?un droit contractuel absolu de retirer sur sa demande tout montant d?un dépôt de fond lui appartenant de l?établissement bancaire1271 concerné.

Par ailleurs, il est un secteur dans lequel l?extension de la sphère d?application de la protection constitutionnelle par le juge londonien au-delà du droit de propriété au sens matériel du terme est à noter: le fonds de commerce ou la valeur de la raison sociale (goodwill)1272. Le fonds de commerce s?analyse comme composé d?un ensemble d?éléments corporels (le matériel, l?outillage, les marchandises) et incorporels (le droit au bail, le nom, l?enseigne, les brevets, les marques, l?achalandage) qui appartient à un commerçant et qui en détient un droit d?usage exclusif.

b. La rémunération, le salaire

Les solutions retenues concernant l?application des dispositions constitutionnelles dans le domaine de la rémunération des salariés ou le traitement des fonctionnaires sont moins claires et nettes. Il semble que la jurisprudence londonienne pivote sur le caractère contractuel de la rémunération1273 et, par conséquent, celui d?un droit de créance.

La jurisprudence Marine Workers Union1274 est illustrative de cette approche. Dans cette affaire, le gouvernement, en désaccord avec une sentence arbitrale tranchant en faveur d?une augmentation du salaire des ouvriers, avait

1270 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743. Le juge précise que «property... includes chose in action such as a dept owed by a banker to his customer», ibid., p. 183.

1271 «To confer upon a member of the public service... a power at his own executive discretion to prevent the bank?s customer from exercising his contractual right against the bank to draw on his account on demand would, in their Lordships? view, amount to a compulsory acquisition of a right over or interest in the customer?s property», ibid., p. 183.

1272 «If the Act had deprived the appellants of any goodwill, then the appellants would have been entitled to compensation equal to the value lost», CJCP: 24 octobre 1984, Société United Docks c/ Government of Mauritius, cité note 847, v. p. 845.

1273 BOWERS John et HONEYBALL Simon: «Textbook on labour law», Londres, Blackstone Press Limited, 1993, 3e édition, 417 p., v. p. 28 à 54 «The contract of employment».

1274 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité note 905.

en 1981 fait réformer le Code de Procédure Civile1275, afin d?anéantir la décision condamnant l?autorité publique. L?analyse auquel se livre le Comité Judiciaire est encore une fois très pragmatique. Avant l?entrée en vigueur de la réforme du Code de Procédure Civile, les employés disposaient du droit de saisir le juge ordinaire aux fins de faire exécuter la sentence et de recouvrer l?augmentation salariale. La Loi de 1981 a, par ricochet, privé les ouvriers de ce droit de créance, d?une action en paiement1276. Cette privation équivaut à une violation du droit de propriété. Les Sages ont retenu une solution voisine s?agissant de la retenue irrégulière opérée par l?Administration sur le traitement d?un fonctionnaire1277.

En revanche, le Comité Judiciaire a refusé d?incorporer dans le droit constitutionnel de propriété le traitement du fonctionnaire. Selon les Sages, la rémunération du fonctionnaire est déterminé par les Lois et règlements et ne donne lieu à aucun échange de consentement entre ce dernier et l?autorité publique. La rémunération peut être modifiée à tout instant par la collectivité publique sans que le fonctionnaire déjà recruté puisse faire valoir de prétendus droits acquis1278. Les fonctionnaires n?ont droit à une rémunération minimale en l?absence de toute disposition expresse de la Constitution1279. Tout laisse à penser, par contre, que les Sages analyseraient différemment la situation juridique des fonctionnaires à l?égard de leur traitement après service fait, après qu?ils eurent exécuté leurs obligations. A ce moment, les fonctionnaires deviendraient créanciers de leur traitement échu.

1275 L?article 1026 nouveau permet au ministère de la justice de former une opposition contre les sentences arbitrales.

1276 «The Amendment Act has thus deprived and was intended to deprive each worker of a chose in action, namely the right to sue for and recover damages for breach by the MMA of its contract of employment», CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité note 905, v. p. 849.

1277 CJCP: 15 décembre 1987, Norton c/ Public Service Commission, cité note 1129.

1278 CJCP: 3 mai 1994, Gladwyn Ophelia King c/ Attorney-General, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1560 à 1563, affaire de la Barbade, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt.

1279 «The appellant had no right to a minimum salary. If she had no right to a minimum salary, she had no property protected by... the Constitution», ibid., p. 1563.

B. Une jurisprudence pragmatique

La jurisprudence londonienne est très prudente sur certaines questions de pur droit commercial. Le Tribunal de la Downing Street s?oppose à ce que toute réglementation des activités économiques ou commerciales ne soit considérée comme une atteinte au droit de propriété afin de ne pas restreindre la liberté politique du gouvernement et du législateur.

En ce sens, le Comité Judiciaire a déclaré1280 qu?une Loi mauricienne relative à la démocratisation du mode de désignation des membres du conseil d?administration d?une société privée ne viole pas le droit de propriété d?un groupe d?actionnaires qui, sous l?empire de l?ancienne législation, détenait un pouvoir quasi exclusif de nomination au conseil d?administration. L?action est un bien1281 contrairement au droit de vote attaché à l?action. Le droit d?un actionnaire de participer à la désignation des dirigeants de la société n?est pas un attribut essentiel de l?action mais simplement une incidence du droit d?associé. L?actionnaire privé de son droit de vote selon le régime antérieur n?est pas exproprié de ses droits1282. Cette solution est voisine de celle retenue par le Conseil Constitutionnel français dans sa décision du 19 et 20 juillet 19831283.

Le retrait d?une licence d?exploitation d?une entreprise par

l?Administration est à rapprocher de la jurisprudence précédente1284 de même qu?une nouvelle réglementation des conditions d?exercice d?une profession qui exclue certaines personnes ne remplissant désormais plus les nouvelles conditions.

Une évolution de ces approches, en quête de solutions plus libérales, serait peut-être souhaitable. Mais, aussi est-il nécessaire de permettre au gouvernement de réglementer des secteurs de la vie économique dans l?intérêt public et celui des consammateurs.

1280 CJCP: 23 juillet 1992, Government of Mauritius c/ Union Flacq Sugar Estates Company Ltd, cité note 743.

1281 «Each ordinary shareholder remains entitled to his property namely his share and the dividends and capital to which he was entitled by virtue of his shareholding», ibid., p. 911.

1282 «The property owed by a shareholder is his share. The right of a shareholder to his share in general meetings of the company is not an interest in or right over the property of the company and is not property in its own right», ibid., p. 909-10.

1283 CCF: 19 et 20 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, décision n° 83-162 DC, in DUBOURG-LAVROFF Sonia et PANTELIS Antoine: «Les décisions essentielles du Conseil Constitutionnel», Editions l?Harmathan, 1994, 699 p., v. p. 195 à 212.

1284 CJCP: 11 janvier 1977, Government of Malaysia c/ Selangor Pilot Association, cité note 1235, v. p. 345-6.

La protection assurée par le Comité Judiciaire en matière de propriété est dans l?ensemble fort louable. Sa jurisprudence peut valablement être comparée avec celle des cours constitutionnelles d?Europe et est proche de celle de la Cour Européenne des Droits de l?Homme.

CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE II

Le droit est l?art du bon et du juste (ars boni et aequi). La justice londonienne participe fortement à la réalisation de cet idéal. Grâce à elle, le droit mauricien n?est pas rigide, n?est pas conçu comme un univers clos de règles techniques qui approche la réalité sans se soucier de leur conformité avec la vie, le bien-être. Le juge suprême a montré qu?il n?est pas soumis à la Loi et ne tire pas son droit de trancher des litiges que d?elle. Le juge londonien s?est hissé au- dessus de la Loi pour devenir directement diseur de droit.

La protection constitutionnelle des droits et des libertés opérée par les conseillers privés est vivante. Les juges, plutôt que de raisonner de manière abstraite ou théorique sur les atteintes aux droits fondamentaux, exercent leur contrôle en se plaçant au plus près des situations et de la réalité. Le Comité Judiciaire, bien qu?il soit éloigné, apprécie de manière concrète les conséquences de la Loi et des décisions administratives tout en respectant la souveraineté des juges du fond sur des points de fait. La jurisprudence londonienne est également novatrice. Le juge crée de nouveaux droits. Ni le législateur, ni le constituant ne détient le monopole d?expression juridique de la volonté générale.

Enfin, les règles juridiques créées par le législateur ont perdu leur autonomie. Les règles ne peuvent produire leur effet, si elles ne sont contraires à la Constitution et à un principe général de droit, que par rapport au système de valeurs, autrefois extérieur au droit. Ce système englobe des valeurs telles que la Morale, l?Ethique, l?Humanisme et l?Equité, en somme une vision moderne de la Justice et de la Raison1285. Ces valeurs, ces repères vitaux font aujourd?hui partie intégrante de la justice londonienne. Ils complètent les règles juridiques abstraites.

1285 La conception du droit par le Comité Judiciaire est proche de celle prônée par Monsieur le Professeur Ronald Dworkin. Celui-ci soutient notamment que tous les hommes ont des droits en dehors de la sphère strictement juridique contre l?Etat. V. DWORKIN Ronald: «Prendre les droits au sérieux», (1977), Paris, PUF, Léviathan, 1995, 517 p.

CONCLUSION GÉNÉRALE

L?étude qui vient d?être faite comporte quatre démonstrations majeures. Dans le chapitre premier nous avons établi la légitimité historique et juridique du Comité Judiciaire et dans le deuxième la compétence technique des juges et les qualités de l?institution londonienne. Au cours du chapitre premier du titre deux, l?étendue du pouvoir du Comité Judiciaire du contrôle des actes des autorités politiques et administratives mauriciennes a été mise en lumière et enfin, dans le dernier chapitre, l?utilisation de ce pouvoir de contrôle, c'est-à- dire, l?oeuvre de protection des droits et des libertés fondamentaux opérée par la Haute Instance. Ces quatre démonstrations peuvent se réduire en une seule observation. Juridiction suprême de la République de Maurice, le Comité Judiciaire du Conseil Privé de Sa Majesté la Reine Elisabeth II d?Angleterre doit le demeurer. La Cour locale n?a pas, à regret, atteint un niveau d?indépendance, de compétence et d?impartialité suffisant pour pouvoir raisonnablement être élevée au plus haut niveau de la hiérarchie des tribunaux de Maurice. Nous avons suffisamment souligné les faiblesses de la justice locale pour qu?on y insiste davantage.

Il reste qu?on ne saurait mésestimer la tentation des nationalistes convaincus de mettre fin au droit de se pourvoir à Londres. Un mouvement de mauricianisation du droit mauricien, inspiré par certains hauts magistrats, et qui avait aussi gagné le milieu politique, avait pris naissance dans les années quatre-vingts. En ce sens, une tentative d?abolition de la juridiction du Conseil Privé à l?égard de Maurice avait eu lieu en 1983 mais avait, à juste titre, été tenue en échec. En revanche, les tenants de l?autonomisation du droit mauricien avaient obtenu du législateur mauricien une réforme1286 des conditions d?accès aux professions d?auxiliaire de justice1287. Avant la réforme, toute personne inscrite au barreau de l?Angleterre et du Pays de Galles pouvait de droit exercer la profession d?avocat à Maurice. De 1993, date de l?entrée en vigueur de la réforme, jusqu?à août 1996, les diplômés en droit devaient impérativement poursuivre une formation professionnelle dispensée par l?Ecole du barreau (Council of Legal Education) ainsi créée et effectuer un stage auprès d?un avocat mauricien. A également été mise sur pied une Ecole de droit à l?Université de M au rice1288.

1286 LALLAH Rajsoomer: «Report of the Committee on the review of legal studies in Mauritius», JUM, juillet-décembre 1983, pp. 162 à 235.

1287 Loi du 12 décembre 1984 sur les auxiliaires de justice (The law practitioners Act 1984).

1288 PILLAY A. G.: «Overall control of the legal profession in Mauritius», Com.L, décembre 1986, pp. 26 à 32. V. également DAUDET Yves: «L?enseignement du droit dans un pays de droit mixte:

Cette politique de mauricianisation ne s?était pas arrêtée à la seule formation des juristes mais avait atteint d?autres secteurs du droit. Le gouvernement avait manifesté sa volonté de reconnaître un droit de la famille religieux1289, notamment musulman, dérogatoire au Code Civil1290. Aussi, n?étaitil pas surprenant que la jurisprudence de la Cour Suprême se montrât peu encline à appliquer avec rigueur les précédents du Conseil Privé. Le juge local préférait définir une politique jurisprudentielle propre, estimée, à tort sans doute, plus conforme aux nécessités d?un pays en développement.

Que cette volonté de mauricianisation aveugle du droit local ait été un échec n?est guère douteux. Il suffit pour s?en convaincre de constater son abandon. Le droit religieux de la famille n?a jamais pu valablement être édicté. Les nouveaux juges de la Cour Suprême ont renoncé à la jurisprudence développementaliste du fait de l?industrialisation rapide de l?île Maurice. La Loi de 1984 sur la formation des auxiliaires de justice, après avoir été sérieusement contestée1291, a été réformée par le législateur1292. De nombreux juristes et politiques se rendent compte que la mauricianisation ait été une fausse lutte.

L?analyse de cet échec pourrait nous permettre de mieux apprécier la place du Comité Judiciaire dans le système judiciaire mauricien. Le droit mauricien est dans sa nature fortement sinon totalement européanisé à la différence des droits des pays d?Afrique et de l?Inde où le droit traditionnel subsiste. La Loi Fondamentale1293 mauricienne a créé un régime parlementaire, qualifié à bon droit par le juge londonien de modèle Westminster, et consacre une protection des droits substantiellement liée à la civilisation occidentale, aux sociétés capitalistes et d?ailleurs pratiquement similaire à celle du texte de la Convention Européenne des Droits de l?Homme. De même, les normes inférieures, les Codes napoléoniens, notamment le Code Civil, et la Common Law traduisent ce même modèle libéral et individualiste d?organisation de la vie et de la société. Nul ne contestera que le Code Civil de 1804 assure le triomphe des

le cas de l?île Maurice», pp. 227 à 239 in UNIVERSITE DE DROIT, D?ECONOMIE ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE, cité note 375.

1289 Loi du 21 décembre 1990 sur l?état-civil (Civil status Act of 1990).

1290 CJCP: 20 juillet 1992, Mastan E-Allam Bhewa c/ The Government of Mauritius, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt.

1291 V. déclaration de Monsieur le bâtonnier Anil Gayan in LEBRASSE Josie: «Rencontre avec le nouveau Président du Bar Council», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15, v. p. 15. et v. également DOOKHY Riyad: «French Bar must be recognised in Mauritius», Le Mauricien, 26 août 1996, p. 6.

1292 Loi du 15 août 1996 sur la réforme des auxiliaires de justice (The Law Practioners Amendment Act 1996). V. également MARIMOOTOO Henri: «Le Premier ministre confirme l?imminence de la commission présidentielle», WE, 1er décembre 1996, p. 19.

1293 «Le droit constitutionnel, droit protecteur de l?individu confronté au pouvoir est une invention de l?Occident», GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 21.

valeurs bourgeoises et est l?expression civiliste de la Déclaration des Droits de l?Homme et du Citoyen de 17891294. Force est de reconnaître aujourd?hui que le modèle occidental de droit a remarquablement bien fonctionné à Maurice. Nous avons minutieusement mis en valeur le crédit du juge londonien dans cette réussite et il est peu utile d?y revenir pour se persuader.

L?occidentalisation du droit mauricien doit, à notre avis, être maintenue et même poursuivie avec plus de vigueur. L?hésitation n?est plus permise. L?île Maurice est un pays géographiquement trop petit pour pouvoir se doter d?un modèle de droit propre ou départir du modèle occidental d?autant que la réflexion juridique de qualité y est quasi inexistante. En l?absence de théoriciens du droit, le processus de mauricianisation ne peut avoir lieu. Tout système juridique est au moins composé de trois éléments: un corps de règles, une autorité juridictionnelle et la doctrine. Le dernier élément est manquant à Maurice. L?Ecole de droit de l?Université de Maurice ne dispense aucun cours au- delà du niveau de licence (Bachelor's degree) en droit. La bibliothèque de l?Université est mal fournie et peu d?enseignants ont eux-mêmes acquis une formation adéquate et suffisamment élevée1295. On ne peut imaginer un système juridique sans doctrine. On se permettra de rappeler que la doctrine est nécessaire à la clarification et à la mise en ordre du droit. Sans elle le droit n?est qu?un amas de règles et de décisions qui constituerait un désordre inextricable. Les théoriciens, par leurs réflexions et constructions, servent à guider la jurisprudence et le législateur et, par là même, participent puissamment à la formation du droit. Par opposition, la justice londonienne, elle, offre l?avantage d?être un système complet. Les trois éléments y sont présents. La jurisprudence du Comité Judiciaire est analysée et commentée, fût- ce de manière occasionnelle, ensemble avec celle de la Chambre des Lords par des théoriciens britanniques du droit. Nous avons à ce titre révélé certaines critiques de la doctrine à l?égard des décisions du Tribunal de la Downing Street. Ces critiques ont fortement influencé la jurisprudence londonienne.

Si sur un plan technique, le maintien de la juridiction de Comité Judiciaire demeure nécessaire, peut-on, par contre sérieusement s?interroger sur la légitimité démocratique de l?institution et de sa jurisprudence ? Comment expliquer que des juges extérieurs sinon étrangers, du moins du point de vue

1294 CARBONNIER Jean: «Droit civil, introduction», PUF, Thémis, 1994, 22e édition, 318 p., v. p. 108.

1295 V. VENKATASAMY Coll: «Entretien avec le Vice-Chancelier de l?Université de Maurice», WE, 24 septembre 1995, p. 13. Le Vice-Chancelier de l?Université, Monsieur le Professeur Goolamhussen Mohamedbai déclare que seulement 25% des enseignats, les étrangers inclus, sont titulaires d?un diplôme de docteur.

géographique, désignés en toute discrétion par le pouvoir de l?ancienne métropole, puissent s?opposer à la volonté des représentants élus de la nation mauricienne ? Comment peut-on consentir à ce que des juges londoniens puissent encore, par leur nécessaire travail d?interprétation, créer des normes fondamentales et participer à la formation de la loi ? Ces questions sont aussi récurrentes qu?aiguës. Un travail doctrinal de redéfinition et de réévaluation du concept de démocratie de la République de Maurice est dès lors nécessaire afin de concilier la fonction de défenseur des droits fondamentaux du juge du Whitehall et le principe démocratique de l?Etat mauricien1296. Nous voudrions essayer, pour notre modeste part, d?oeuvrer dans cette direction.

Aucune configuration politique n?est immuable. L?histoire de l?île Maurice indépendante, puisqu?elle est récente et se rallie aux grandes tendances de l?évolution de l?Occident, se développe à un rythme rapide. La démocratie représentative égalitaire, introduite à Maurice après la deuxième grande guerre, a pris une forme nouvelle. Jadis, elle était réduite à la simple organisation des élections législatives au suffrage universel direct. La démocratie ne devait être, pour reprendre la célèbre définition d?Abraham Lincoln, que le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple1297. Dans cette configuration, le juge ne devait être que la bouche de la Loi1298. La définition d?Abraham Lincoln comporte une bonne part de croyance et d?artifice. Jean-Jacques Rousseau avait, un siècle auparavant, écrit à cet égard avec beaucoup de justesse que: «A prendre le terme dans la rigueur de l?acception, il n?a jamais existé de véritable démocratie, et il n?en existera jamais»1299. La conception lincolnienne est insuffisante, voire dépassée.

En conséquence, une autre conception de la démocratie prévaut dans les sociétés contemporaines, dont l?île Maurice1300. La nouvelle démocratie implique non pas simplement la tenue des élections mais une organisation rationalisée de la contestation politique et l?existence des droits et des libertés au profit de l?individu, des groupes et surtout des minorités. Elle suppose un système efficace de leur protection contre les décisions du pouvoir même majoritaire. La démocratie n?est plus seulement la loi de la majorité, mais aussi et surtout le

1296 Article 1 CM.

1297 Formulation prononcée lors du discours de Gettysburg, le 19 novembre 1863.

1298 MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat, cité note 324, v. vol. 1, livre XI, chapitre VI «La Constitution d?Angleterre», p. 337.

1299 ROUSSEAU Jean-Jacques: «Du contrat social ou principes du droit politique» (1762), Paris, Bibliothèque Bordas, 1972, 256 p., v Livre III, chapitre 4, p. 141.

1300 Sur le démocratie mauricienne v. BOWMAN Larry W.: Mauritius: Democracy and development in the Indian Ocean», Londres, Dartmouth Publishing, 1991, 208 p. et DOOKHY Riyad, de Gray?s Inn: «La démocratie mauricienne garantit quoi au juste ?», Le Mauricien, 11 septembre 1996, p. 6.

respect des règles et valeurs fondamentales. L?histoire a montré que la démocratie, dans son acception règne de la majorité, pouvait donner lieu aux pires des barbaries. Le suffrage universel sans garde-fou peut aboutir aux périls des libertés et à la tyrannie des minorités.

Par ailleurs, il est foncièrement illusoire de penser que les représentants de la nation mauricienne expriment la volonté de la nation. La logique représentative est dénaturée et pervertie. En effet, les députés agissent plutôt selon les impératifs électoraux et selon la volonté de leur parti1301 et même de leur communauté religieuse.

Dans ces conditions, les pouvoirs de l?Etat, en particulier celui des autorités politiques suprêmes, doivent être encadrés. L?Etat doit être assujetti au droit. Selon cette nouvelle conception de la démocratie, traduite par la notion d?Etat de droit, la volonté démocratique est canalisée par le droit pour le bien être du peuple. Déjà en 1920, Raymond Carré de Malberg soutenait que l?Etat doit se soumettre à un régime de droit1302. L?assignation du pouvoir à un domaine restreint de compétence sert à protéger les droits et les libertés afin d?atteindre un degré de Justice digne de la civilisation moderne1303. Il y a lieu de placer une confiance sans réserve dans le droit, dans les vertus de la dogmatique juridique et élargir le champ de la juridicité1304. La Constitution mauricienne de 1968 a fondé un système politique et institutionnel conforme à l?idée de l?Etat de droit.

La démocratie moderne déborde la sphère strictement politique et exige l?entrée en scène d?un juge suprême fort et complètement indépendant des pouvoirs politiques. Le juge suprême doit être à l?abri des influences et des pressions. Sa place est plus que jamais imminente dans la Cité. Le juge suprême est amené à exercer une fonction de critique et de contrôle des actions de l?Etat. Il peut et doit annuler la Loi irrégulière. Afin de maintenir ce nouvel équilibre, la justice doit non seulement être forte, mais aussi et essentiellement positive et constructive. La justice constitutionnelle, contrairement à la justice ordinaire de droit privé et de droit pénal, ne doit pas être passive, négative et punitive.

1301 BAECHLER Jean: «Précis de la démocratie», Editions UNESCO, Calmann Lévy, 1994, 214 p., v. p. 173 et s. sur «Les corruptions démocratiques».

1302 «La théorie moderne de l?Etat est pénétrée de l?idée que la puissance de domination étatique, étant une puissance de nature juridique est par là-même une puissance soumise au droit, donc aussi et nécessairement une puissance limitée», CARRE DE MALBERG Raymond: «Contribution à la théorie générale de l?Etat», Librairie de la Société du Recueil Sirey, 1920, 2 tomes, v. tome 1, p. 220, paragraphe 78 B.

1303 «Dans l?Etat de droit, le droit limite les pouvoirs de l?Etat mais l?Etat garantit le respect du droit», CONAC Gérard: «Etat de droit et démocratie», pp. 483 à 508 in CONAC Gérard (dir), cité note 235, v. p. 494.

1304 CHEVALIER Jacques: «L?Etat de droit», Clefs, Politique, Monchrestien, 1994, 158 p., v. p. 135.

Le juge suprême est investi de la mission d?éclairer et guider les gouvernants dépouillés de la hauteur de vue nécessaire.

Il ne faut pas se lasser de répéter que le Comité Judiciaire, juge constitutionnel suprême, a parfaitement répondu aux attentes de la démocratie moderne. Le juge londonien a montré qu?il est un Sage et qu?il peut garder et promouvoir les valeurs et les moeurs de la société mauricienne. Il a mis en avant une Ethique qui s?impose aux pouvoirs publics. Alors que la Cour Suprême locale accuse volontiers un certain retard sur les moeurs, le Comité Judiciaire a manifesté sa volonté de porter les espoirs du changement, de l?évolution et de la Justice. Le juge de la Downing Street incarne la Raison, qui, depuis le rejet de la croyance en l?autorité divine ou, pour reprendre une expression philosophique, la mort de Dieu1305, peut seule emporter l?adhésion du peuple.

Contester la légitimité du Comité Judiciaire au nom d?un déficit démocratique et au nom de la souveraineté nationale relève du pur contresens. Si la démocratie signifie le contradictoire, la contestation organisée, comment le démocrate peut-il récuser la justice londonienne ?

Sauf à changer de système, tout porte à croire qu?à Maurice la justice constitutionnelle, telle qu?elle est développée par le Comité Judiciaire du Conseil Privé, sera davantage florissante à l?avenir. C?est du moins, aussi, le voeu que, pour notre part, nous formons.

ANNEXE

1305 NIETZCHE Friedrich Wilhem: «Ainsi parlait Zarathoustra», Banquis Gèneviève, 1992, 687 p.

Tableau 1: L'expansion britannique vers 1775

Source: CHALIAND G. et ROGEAU J. P.: «Atlas des Empires», Payot, 1993, 96 p., v. p. 73.

Tableau 2: L'Empire britannique à son apogée en 1920

Source: CHALIAND G. et ROGEAU J. P.: «Atlas des Empires», Payot, 1993, 96 p., v. p. 87.

Tableau 3: Les principales dates de l'expansion britannique

1577-1580 Françis Drake réalise le tour du monde

1588- 1592 Gambie, Sierra Leone, Gold Coast

Afrique Orientale, Trinité,

1595 Guyane, Amérique Centrale

1600-1683 Colonisation en Amérique du Nord

Virginie (1606), Massachusetts (1620) Maryland (1637), New York,

New Jersey (1667)

1639-1680 Premiers comptoirs en l?Inde: Madras,

Bombay, Calcutta...

1655 Jamaïque

1703 Gibraltar

1713 Baie d?Hudson (annexion)

1755-1761 Conflit franco-anglais: prise de Québec

(1759), prise de Pondichéry (1761).

Traité de Paris: la France cède à l?Angleterre ses colonies d?Amérique

1768-1779 Explorations de James Cook (Océans

Indien et pacifique)

1788 Botany Bay en Australie

1806-1815 Colonie du Cap

1810 Ile de France (Maurice)

1819 Singapour

1821-1874 Gold Coast (Afrique Occidentale)

1825-1840 Australie

1840 Nouvelle-Zélande

1842 Hongkong

1852 La conquête de l?Inde est achevée

1861-1902 Nigeria

1867 Canada: création du dominion

1874 Malaisie, îles Fidji (Pacifique)

1882 Egypte

1884-1902 Possessions d?Afrique Orientale (Somalie,

Kenya, Rhodésie...)

1889-1902 Guerre des Boers: annexion du Transvaal et de l?Orange

1919 Sous mandat de la Société des Nations:

Palestine, Transjordanie, Irak, Tanganyika

Source: CHALIAND G. et ROGEAU J. P.: «Atlas des Empires», Payot, 1993, 96 p., v. p. 72 et 86.

COMITÉ JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ

(juridiction de cassation)

FORMATIONS D'APPEL DE LA COUR SUPRÊME

(juridictions de deuxième instance)

COUR SUPRÊME

 

(juridiction de première instance)

Contrôle

Litiges supérieurs à

direct de

RPM 50,000

constitutionna

Etat des Personnes

lité

Action disciplinaire

Contrôle des

contre les auxiliaires de

élections

justice

 

Formation d?Assises

 

Matière des Faillites

 

Redressement

 

Judiciaires

 

Référé

 

Matière administrative

 

(Recours pour excès de pouvoir)

 

M iti

COUR

INTERMÉDIAIRE (juridiction de première instance)

Matière Correctionnelle

COUR DE DISTRICT
(juridiction de première
instance)

COUR
INDUSTRIELLE

(juridiction de première

instance)

Conflits de travail

INSTANCES QUASI

JURIDICTIONNELLES

AUTORITÉS ADMINISTRATIVES

INDÉPENDANTES

(Instances quasi juridictionnelles)

Matière de police Contrôle des atteintes à la liberté individuelle, de l?arrestation

Renvoi devant la formation d?assises Petites affaires

Tableau 4: Tableau de l'Organisation Judiciaire de l'île Maurice

(c) Dookhy, 1997

Tableau 5: Nombre d'affaires mauriciennes portées au Comité Judiciaire

1970:

3

1983:

5

1971:

0

1984:

2

1972:

1

1985:

3

1973:

0

1986:

5

1974:

0

1987:

8

1975:

2

1988:

5

1976:

0

1989:

8

1977:

0

1990:

8

1978:

2

1991:

3

1979:

1

1992:

4

1980:

2

1993:

1

1981:

3

1994:

3

1982:

2

 
 

Source: Rôle du Conseil Privé, document interne et non publié.

Tableau 6: Tableau Comparatif de Composition des Juridictions et Cours
Constitutionnelles

Comité Judiciaire Conseil Cour Suprême des

du Conseil Privé Constitutionnel Etats-Unis

Français

Nombre de moyenne de 15 9 9

membres

Chef de l?Etat, Présidents de

l?Assemblée Nationale et du Sénat

9 ans, Mandat non renouvelable

Président sur acceptation du Sénat

Mandat à vie

Autorités de Chef de l?Etat sur

désignation proposition du

Premier Ministre

Durée du mandat En fonction active

jusqu?à 75 ans (demeure membre à vie)

Limite d'âge 75 ans non obligatoire Aucune Aucune

Qualités Avocat de 15 années Aucune Aucune

professionnelles d?expérience ou être

haut magistrat

(c) Dookhy, 1997

Tableau 7: La composition des formations de jugement du Comité
Judiciaire en contentieux public mauricien

numéro des arrêts en ordre chronologique

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 N° Vicomte Dilhorne x x 2

Lord Morris x 1

Lord Edmund Davies x 1

Lord Fraser x 1

Lord Keith x x x x + x + + + + + 11

Lord Russel x 1

Lord Hailsham + 1

Lord Scarman x x

Lord Roskill x x x x x x

Lord Brandon x + + x x x x x

Lord Templeman x + x x x x + x x + + x x

Lord Bridge - + + x + + x x x x

Lord Diplock x x

Lord Brightman x x

Lord Griffiths + x x x x

Lord Ackner x x + x x x x x

Lord Jauncey x x x x x x x + x x

Lord Oliver x x x x

Lord Goff x x + + x x x x x x x

L. Browne Wilkinson x x x +

Lord Lowry x x x x x x x

Lord Slynn x x + x x

Lord Lane x

Lord Woolf x + +

Lord Lloyd x x x

Lord Nicholls x x

Lord Steyn x

Gault J. x

Sir D. Buckley -

Sir J. Megaw x

Sir R. Megarry x

Sir D. McMillan x

Sir J. Stephenson x x x x

Sir M. Casey x x

Sir M.Hardie Boys + x x

13

10

10

11

2

4

4

2

6

8

7

5

2

2

1

5

8

4

1

1

3

3

3

2

1

1

1

1

x = membre de la formation de jugement 16. 11 novembre 1991, Curpen

+ = rédacteur de la décision majoritaire ou unanime 17. 18 février 1992, Ali

- iéUlinMPi U'PnMIRSKERQUIWUMQM 18. 18 février 1992, Rassool

1. 22 mars 1977, Lincoln 19. 18 février 1992, Joseph Francis

2. 7 mars 1979, Dustagheer 20. 6 avril 1992, Poongavanam

3. 15 novembre 1982, Badry 21. 23 juillet 1992, Government of Mauritius

4. 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax 22. 23 juillet 1992, Government of Mauritius

5. 25 octobre 1984, The Société United Docks 23. 25 juillet 1992, Bhewa

6. 25 octobre 1984, The Marine Workers Union 24. 27 juin 1993, Kunnath

7. 3 mars 1985, Alliminium Enterprises 25. 22 mars 1994, Chel Mohammad

8. 20 juillet 1987, Wong Ng 26. 18 avril 1994, De Boucherville

9. 2 décembre 1987, Moraby 27. 11 décembre 1995, Subramanien

10. 2 décembre 1987, Bahorun 28. 13 décembre 1995, Bel Ombre Ltée

11. 15 décembre 1987, Norton 29. 19 février 1996, Consolidated Investment

12. 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd

13. 20 octobre1988, Simon Ah Tong

14. 10 avril 1989, Lotun

15. 9 octobre 1991, Mungroo

Tableau 8: La composition des formations de jugement du Comité
Judiciaire en contentieux pénal mauricien

numéro des arrêts en ordre chronologique

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22

Lord Hailsham x 1

Lord Scarman x x + 3

Lord Roskill x + x 3

Lord Brandon x x x x x x + x x 9

Lord Templeman x x x x x + x x x x x 11

Lord Keith x x x + + + x x x 9

Lord Brightman x x 2

Sir Robin Cooke x x 2

Lord Elwyn-Jones x x 2

Lord Bridge x x + + + x x + x x x 11

Lord Oliver x x x x x x 6

Lord Goff + x x x x + x + + x 10

Lord Griffiths + x x 3

1
1

Sir Robert Megarry x

Sir Duncan McMullin x

Lord Ackner x x x 2

Sir John Stephenson x

1

Lord Jauncey x x x x x + + x 8

Lord Lowry x x x x x x 6

Lord Browne-Wilkinson x x x x x 5

Sir Maurice Casey x x x x 4

Lord Mustill x 1

Lord Slynn x x +

3

Gault Judge x x 2

x = membre de la formation de jugement 12. 25 février 1991, Mohamedally

+ = rédacteur de la décision 13. 6 mars 1991, Banymandhub

1. 15 novembre 1982, Badry 14. 9 ocotbre 1991, Mungroo

2. 2 octobre 1984, Myrtile 15. 11 novembre 1991, Curpen

3. 29 avril 1985, Damree 16. 11 novembre 1991, Manon

4. 28 avril 1987, Vithaldas 17. 11 novembre 1991, Goolfee

5. 20 juin 1987, Wong Ng 18. 18 février 1992, Francis

6. 2 décembre 1987, Moraby 19. 6 avril 1992, Poongavanam

7. 19 mars 1988, Buxoo 20. 17 décembre 1992, Chinien

8. 10 avril 1989, Lothun 21. 27 juin 1993, Kunnath

9. 26 mars 1990, Ramoly 22. 12 juillet 1993, Police

10. 23 mai 1990, Heeraman 23. 18 avril 1994, De Boucherville

11. 2 octobre 1990, Gafoor

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1.4. LE COMMONWEALTH

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1.5. LES DROITS COMPARÉ ET ÉTRANGERS

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CAPPELLETI Mauro: «Le pouvoir des juges», Economica, 1990, 397 p. CARBONNIER Jean: «Droit civil, introduction», PUF, Thémis, 1994, 22e édition, 318 p.

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MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat: «L?Esprit des lois», 1748, Gallimard, 1995, 2 vol.

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STAMANTIS Constantin M.: «Argumenter en droit, une théorie critique de l?argumentation juridique», Paris, Publisud, 1995, 241 p.

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2. ARTICLES DE REVUE ET RAPPORTS

2. 1. LE CONSEIL PRIVÉ

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BETH Loren P.: « The Judicial Committee: its development, organisation and procedure», PL, 1975, pp. 219 à 241.

BETH Loren P.: «The Judicial Committee of the Privy Council and the development of judicial review», AJCL, 1976, pp. 22 à 42.

BRADLEY A. W.: «Press freedom, governmental constraints and the Privy Council», PL, 1990, pp. 453 à 461.

BURNS P.: «The Judicial Committee of the Privy Council: constitutional bulkmark or colonial remnant ?», OLR, 1984, vol. 15, n°4, pp. 503 à 522.

C.J. G.: «The Privy Council», SALJ, 1935, pp. 277 à 285.

CAIRNS Alain: «The Judicial Committee of the Privy Council and its critics», RCSP, 1971, pp. 301 à 345.

CAMPELL Enid M.: «The decline of the jurisdiction of the Privy Council», ALJ, 1959, pp. 196 à 209.

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CLARKE W. S.: «The Privy Council, politics and precedent in the Asia-Pacific region», ICLQ, 1991, pp. 741 à 756.

COLOM Jacques: «L?exercice de la justice constitutionnelle par le Conseil Privé», AIJC, 1987, pp. 607 à 622.

DE SMITH Barbara: «The Judicial Committee as a Constitutional Court», PL, 1984, pp. 557 à 562.

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EDDY J. P.: «India and the Privy Council: the last appeal», LQR, 1950, vol. 66, pp. 206 à 215.

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MAC DONNALD Vincent: «The Privy Council and the Canadian Constitution», CBR, 1951, pp. 1021 à 1037.

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2.4. LE COMMONWEALTH

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2.5. LES DROITS COMPARÉ ET ÉTRANGERS

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TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS ET AVANT-PROPOS i

LIEUX DE RECHERCHES . iii

ABRÉVIATIONS iv

INTRODUCTION 1

TITRE I.

LA GRANDEUR DE L'INSTITUTION DU COMITÉ JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ .... 10

CHAPITRE 1.

LA FORTE LEGITIMITE HISTORIQUE ET JURIDIQUE DU COMITE JUDICIAIRE 11

Section 1. La lente évolution du Comité Judiciaire en Angleterre et dans le Commonwealth 11

Sous-section 1. Les origines lointaines du Comité Judiciaire 12

Paragraphe 1. La Curia Regis ou la Cour du Roi 12

A. L'introduction de la Curia Regis 12

a. L'unification féodale . 13

b. La dualité des fonctions de gouvernement et de justice 13

B. La désintégration de la Curia Regis 15

a. La création des cours autonomes et souveraines 15

b. La création du Parlement 15

Paragraphe 2. La réorganisation du Conseil 16

A. La création de la Chambre Etoilée 17

a. Sa mise en place 17

b. Son fonctionnement 18

B. La compétence du Conseil Privé en matière coloniale 19

a. L'origine des recours des justiciables au Roi . 19

b. La création des comités spécialisés 20

Paragraphe 3. La création du Comité Judiciaire 22

A. La rationalisation de la justice en matière coloniale 23

B. L'extension de la compétence d'attribution du Conseil en droit interne . 24

Sous-section 2. La montée en puissance du Comité Judiciaire 25

Paragraphe 1. Le développement de l'Empire britannique . 26

A. Le premier Empire 27

a. La doctrine de la conquête indirecte ou du mercantilisme 27

b. Les expansions coloniales 28

B. Le deuxième Empire 29

a. La Révolution industrielle 29

b. Les conquêtes 30
Paragraphe 2. L'étendue de la compétence du Comité Judiciaire en matière

coloniale 32

A. Les dominions 32

a. L'exemple du Canada . 33

b. L'exemple de l'Afrique du Sud 35

B. Les colonies et territoires d'outre-mer 36

a. L'exemple de l'Inde . 36

b. L'exemple des îles Anglo-Normandes 37

Sous-section 3. Le déclin du Comité Judiciaire 38

Paragraphe 1. La montée du nationalisme 38

A. L'émancipation des territoires 38

a. Le processus d'émancipation des territoires 39

b. Le transfert de souveraineté 41

B. Le retrait des nouveaux Etats du champ de compétence du Comité Judiciaire 41

a. Les griefs invoqués par les nouveaux Etats 42

b. L'appauvrissement du champ de compétence du Comité Judiciaire 43

Paragraphe 2. L'échec de transformation du Comité Judiciaire . 45

A. Les propositions de réforme 45

a. Une Cour Suprême du Commonwealth 46

b. Une Cour des droits de l'homme . 47

B. Le rejet des propositions 48

a. Les motifs politiques 49

b. Les motifs juridiques 49
Section 2.

Le développement du lien du Comité Judiciaire avec l'île Maurice 51

Sous-section 1. L'évolution constitutionnelle et politique de l'île Maurice . 52

Paragraphe 1. La colonisation 52

A. La période française 53

a. Sous l'Ancien Régime 53

b. Depuis la Révolution française 54

B. La période anglaise 55

a. L'application des codes français 56

b. Le développement institutionnel 58

Paragraphe 2. L'indépendance . 60

A. La monarchie 62

a. La mise en cause de la légitimité de la justice royale 63

b. La tentative de remplacement du Comité Judiciaire 64

B. La République 65

a. L'absence d'alternative au Comité Judiciaire . 66

b. Le statu quo 68

Sous-section 2. Les raisons particulières du maintien de la juridiction du Comité Judiciaire 69

Paragraphe 1. La pluralité ethnique de l'île Maurice 70

A. Les données sociales et constitutionnelles 71

a. La composition de la population 71

b. Les protections constitutionnelles et leur efficacité 72

B. La pratique des discriminations ethniques et religieuses 74

a. Le développement du réflexe identitaire 75

b. La politique sur la base du réflexe identitaire 76

Paragraphe 2. L'absence d'équilibre entre les pouvoirs institutionnels 78

A. La puissance de l'Exécutif 78

a. L'ère Ramgoolam 79

b. L'ère Jugnauth . 82

B. Le judiciaire 84

a. La structure rudimentaire 84

b. Le fonctionnement en crise 86
Sous-section 3. La compétence matérielle du Comité Judiciaire en contentieux

mauricien 88

Paragraphe 1. En droit public et privé (civil law) 89

A. En droit public 89

B. En droit privé 91

Paragraphe 2. En droit pénal et responsabilité des hauts magistrats 92

B. La responsabilité disciplinaire des hauts magistrats 95

CONCLUSION DU CHAPITRE 1 97

CHAPITRE 2. LES HAUTES QUALITES DU COMITE JUDICIAIRE 98

Section 1. Les membres du Comité Judiciaire 98

Sous-section 1. Les vertus de la composition du Comité Judiciaire 98

Paragraphe 1. Analyse de la politique des nominations et affectations 99

A. Les règles et la pratique des nominations 99

a. Les règles juridiques relatives à la composition du Comité Judiciaire 99

b. Le critère de compétence 101

B. La composition des formations de jugement 103

a. La stabilité dans le choix des juges 103

b. Le cas mauricien 104

Paragraphe 2. Analyse sociologique et empirique de la composition du Comité Judiciaire 105

A. Les membres du Comité Judiciaire 106

a. Des personnalités incontestables 107

b. L'évolution 108

B. Une étude comparée 109

a. La Cour Suprême des Etats-Unis d'Amérique . 109

b. Le Conseil Constitutionnel français 110

Sous-section 2. Le statut des juges du Comité Judiciaire 112

Paragraphe 1. L'indépendance des juges du Comité Judiciaire . 114

A. Les moyens de l'indépendance . 114

a. L'inamovibilité des juges du Comité Judiciaire . 114

b. Les avantages et obligations de la fonction 115

B. L'OEsence d'interférence des autorités politiques mauriciennes . 116

Paragraphe 2. L'autorité des juges du Comité Judiciaire . 117

A. Les moyens juridiques de se faire respecter 117

a. La protection de la personne du juge 118

b. La protection de l'institution judiciaire 118

B. L'autorité morale des juges du Comité Judiciaire . 119

a. La révérence à l'égard des Lords judiciaires. 119

b. L'autorité de leurs décisions 121

Section 2. La nature et le fonctionnement du Comité Judiciaire 124

Sous-section 1. La nature du Comité Judiciaire 125

Paragraphe 1. La problématique organe consultatif ou juridiction 125

A. Un organe administratif et consultatif 125

a. Les traits généraux 125

b. La fonction de donner des avis 127

B. Une juridiction 128

a. Le fonctionnement comme une cour de justice 129

b. La justice déléguée 130

Paragraphe 2. La problématique tribunal anglais ou mauricien 131

A. Un tribunal anglais 131

a. Les caractères 131

b. Les conséquences sur l'administration de la justice . 133

B. Un tribunal mauricien 135

a. Le faisceau de critères 136

b. Au regard du droit international (hors européen) 137

Sous-section 2. Le fonctionnement du Comité Judiciaire 139

Paragraphe 1. L'obtention de l'autorisation de saisine du Comité Judiciaire . 140

A. Autorisation délivrée par la Cour Suprême de Maurice 140

a. La compétence liée de la Cour de Maurice 140

b. La compétence quasi discrétionnaire de la Cour Suprême 142

B. Autorisation délivrée par le Comité Judiciaire 143

a. L'étendue de la compétence . 143

b. Les modalités de demande de l'autorisation spéciale 144

Paragraphe 2. La procédure 145

A. Les actes de procédure 145

a. L'envoi du dossier 146

b. Le dépôt de la pétition d'appel et la production des mémoires 146

B. La structure de l'instance . 147

a. Les règles de l'audience . 148

b. Les débats oraux 149

Paragraphe 3. L'acte juridictionnel ou la décision 150

A. La prise de décision 150

a. La délibération 150

b. Le mode de rédaction de la décision 151

B. La forme de la décision 153

a. L'expression de l'opinion dissidente . 153

b. Le style discursif 154

CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE I 157

TITRE II.

L'APPORT DU COMITÉ JUDICIAIRE À L'EXERCICE DU CONTRÔLE CONSTITUTIONNEL DES NORMES 159

CHAPITRE 1.

LA RICHESSE DU SYSTEME MAURICIEN DE CONTROLE MODELE PAR LE COMITE JUDICIAIRE

160
Section 1. Le constitutionnalisme dans les pays

de la famille de Common Law et à Maurice 160

Sous-section 1. Le constitutionnalisme en Angleterre et dans le reste du

Commonwealth 161

Paragraphe 1. En Angleterre 161

A. Les Lois fondamentales ou le bloc de constitutionnalité 162

a. Les normes écrites 162

b. Les normes jurisprudentielles 163

B. La souveraineté du Parlement 166

a. Le concept 166

b. Les aménagements 168

Paragraphe 2. Dans le Commonwealth 170

A. L'Etat de droit constitutionnel . 170

a. La suprématie de la Constitution 170

b. La rigidité de la Norme Fondamentale 171

B. Le contrôle juridictionnel des Lois 172

a. Par le Conseil Privé 173

b. Par les cours suprêmes du Commonwealth 173

Sous-section 2. Le mode de contrôle de la constitutionnalité des normes à Maurice 175

Paragraphe 1. Les éléments du modèle européen 175

A. La concentration du contentieux constitutionnel 175

a. La similitude entre le système mauricien et le modèle européen 175

b. Les atténuations 176

B. Le contrôle direct 177

a. La voie d'action 177

b. Les règles de procédure 179

Paragraphe 2. Les éléments du modèle américain 182

A. Le contrôle diffus 182

a. Le modèle diffus stricto sensu 182

b. La variante mauricienne 183

B. L'exception d'inconstitutionnalité 184

section 2. Les moyens du contrôle 186

Sous-section 1. L'interprétation des textes fondamentaux 187

Paragraphe 1. Les méthodes et attitudes du juge anglais en général 188

A. L'attitude statique . 188

a. L'interprétation littérale et stricte 188

b. La règle de stare decisis 189

B. L'attitude dynamique et évolutive . 191

a. Le rôle nouveau du juge 191

b. L'activisme du juge . 192

Paragraphe 2. Les méthodes et attitudes propres du Comité Judiciaire 194

A. Oscillation de la jurisprudence 194

a. L'interprétation ordinaire . 195

b. L'interprétation spécifique au droit constitutionnel . 196

B. La vitalisation de la Constitution 199

a. La création des droits non écrits ou l'extension du bloc de

constitutionnalité 200

b. L'impulsion 201

Sous-section 2. Les techniques et les types de contrôle 202

Paragraphe 1. Les techniques d'élargissement des bases du contrôle . 203

A. La méthode comparative 203

a. La portée de la méthode comparative 203

b. La pratique du recours aux droits étrangers 204

B. Le contrôle d'opportunité 207

a. D'un acte réglementaire ou d'une décision administrative . 207

b. De la Loi 209

Paragraphe 2. Les types de décision 212

A. La lecture (construction) de la Loi 214

a. La lecture constructive 214

b. La lecture neutralisante 216

B. Invalidation de la norme 217

a. L'invalidation partielle . 218

b. L'invalidation totale . 219

CONCLUSION DU CHAPITRE 1 220

CHAPITRE 2.

LES GRANDES LIGNES DE LA PROTECTION CONSTITUTIONNELLE 221

Section 1. En droit pénal 221

Sous-section 1. En droit pénal procédural ou en matière des principes de sauvegarde des libertés 222

Paragraphe 1. Les exigences d'une bonne justice 222

A. Le droit à un procès juste et équitable 222

a. Le caractère adéquat du tribunal 223

b. La présomption d'innocence . 226

B. Le droit d'r~tre jugé dans un délai raisonnable 230

a. La computation du délai au déclenchement des poursuites 230

b. La durée du procès pénal 234

Paragraphe 2. Les droits de la défense 236

A. Au stade policier ou avant l'audience du jugement .. 236

a. Le principe du droit à l'assistance d'un défenseur au commissariat et pendant la détention 237

b. L'obligation aux autorités de police d'informer la personne gardée à vue de ses droits 239

B. Lors de l'audience du jugement . 240

a. Le droit au ministère d'avocat . 241

b. L'assistance d'un interprète . 243

Sous-section 2. En droit pénal substantiel et général 245

Paragraphe 1. La question de la peine de mort 245

A. La constitutionnalité de la peine 245

a. La déclaration de constitutionnalité 246

b. La constitutionnalité de la peine de mort en droit comparé 248

B. La constitutionnalité de la mise à exécution de la peine 251

a. La jurisprudence antérieure 251

b. La jurisprudence nouvelle 252

Paragraphe 2. Les divers principes généraux de droit pénal 255

A. Le principe de la légalité des délits et des peines 256

a. Dans le système de Common Law 256

b. En droit mauricien 258

B. Les principes encadrant les pouvoirs de sanction du juge répressif 260

section 2. En droit public 261

Sous-section 1. En droit administratif et public institutionnel 263

Paragraphe 1. Les libertés fondamentales et le contrôle de l'Administration . 263

A. Les libertés fondamentales 263

a. La liberté d'expression 263

b. La liberté individuelle et la sûreté 267

B. La protection contre l'Administration 270

a. Le droit d'r~tre entendu. 270

b. L'enqur~te préalable en matière d'expropriation 272

Paragraphe 2. En droit public institutionnel 273

A. La distribution constitutionnelle des pouvoirs 274

a. L'affirmation du principe de la séparation des pouvoirs et l'indépendance du judiciaire . 274

b. Le cantonnement du législatif 275

B. La défense des prérogatives des organes juridictionnels 277

a. De la magistrature en général 277

b. De la haute magistrature 279

Sous-section 2. En droit public des biens 280

Paragraphe 1. Le fondement constitutionnel du droit de propriété 281

A. Le respect des biens ou la protection contre la privation des biens 282

a. Le caractère de la protection constitutionnelle 282

b. La signification de la privation des biens 283

B. La protection contre la dépossession des biens 285

a. Le dispositif constitutionnel 285

b. Le contrôle juridictionnel des mesures de cession forcée des biens 286

Paragraphe 2. Le contenu du droit de propriété 287

A. Une jurisprudence extensive 288

a. Les droits patrimoniaux 288

b. La rémunération, le salaire 289

B. Une jurisprudence pragmatique 291

CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE II 293

CONCLUSION GÉNÉRALE 294

ANNEXE 299

Tableau 1: L'expansion britannique vers 1775 . 300

Tableau 2: L'Empire britannique à son apogée en 1920 301

Tableau 3: Les principales dates de l'expansion britannique . 302

Tableau 4: Tableau de l'Organisation Judiciaire de l'île Maurice 303

Tableau 5: Nombre d'affaires mauriciennes portées au Comité Judiciaire . 305

Tableau 6: Tableau Comparatif de Composition des Juridictions et Cours Constitutionnelles 306

Tableau 7: La composition des formations de jugement du Comité Judiciaire en contentieux public mauricien307 Tableau 8: La composition des formations de jugement du Comité Judiciaire en contentieux pénal mauricien308

BIBLIOGRAPHIE 309

1. OUVRAGES ET DOCUMENTS 310

1.1. Le Conseil Privé 310

1.2. Le droit mauricien et la société mauricienne 311

1.3. Le droit anglais 312

1.4. Le Commonwealth 316

1.5. Les droits comparé et étrangers 317

1.6. La philosophie du droit et philosophie politique 321

2. ARTICLES DE REVUE ET RAPPORTS 321

2. 1. Le Conseil Privé 322

2.2. Le droit mauricien et la société mauricienne 323

2.3. Le droit anglais 325

2.4. Le Commonwealth 328

2.5. Les droits comparé et étrangers 328

2.6. La philosophie du droit et philosophie politique 331

3. ARTICLES DE PRESSE. 331

TABLE DES MATIÈRES 335

Rapport de soutenance de la thèse
de M. Parvez Dookhy
sur le comité judiciaiire du Conseil privé de sa majesté
la reine Elisabeth d'Angleterre et le droit mauricien

Cette soutenance a eu lieu à l'Université de Paris I (Panthéon- Sorbonne), 12 place du Panthéon, salle 216, de 13 h30 à 16 h 30 le

14.1,. te., Iÿ1.2

Le jury s'était réuni au préalable Salle Goullaincourt pour élire son Président.

Après cette désignation il était ainsi composé :

Président : M. Gérard Conac, professeur Université Paris I (Panthéon -Sorbonne), directeur de 'Ecole doctorale de Droit, directeur de la recherche,

Membres : M .Marck Fieend, professeur à l'Université d'Oxford (St John's College),

M. Etienne Picard, professeur à l'Université de Paris I ( Panthéon - Sorbonne) et professeur associé à l'Université d'Oxford,

Madame Camille Jauffret-Spinosi, professeur à l'Université de Paris 11 (Panthéon-Assas),

Madame Muir Watt-Bourel, professeur à l'Université de Paris 1.

Dans son exposé préliminaire, M Dookhy souligne l'originalité et l'intérêt du sujet de sa thèse : il a entendu démontrer qu'un contrôle de constitutionnalité exercé par une juridiction anglaise sur les les lois d'un Etat indépendant, s'il peut paraître tout à fait insolite à l'époque contemporaine, peut être cependant, l'experience mauricienne le démontre, une solution viable et à son avis bénéfique dans certaines circonstances.

M. Dookhy soutient aussi que le juge anglais n'ignorait pas le contrôle de la constitutionnalité des lois et avance même qu'il en est sans doute l'inventeur.

Pour mener à bien sa recherche, il a choisi de cumuler

l'approche juridique et l'approche historique, considérant qu'il était indispensable de retracer les étapes de la formation du comité judiciaire et de décrire avec précision ses caractéristiques, ses compétences et ses méthodes de travail. Il reconnaît que ce choix l'a amené à déborder le sujet stricto sensu, car il ne pouvait se borner à traiter les seuls effets des décisions du Comité judiciaire en droit mauricien De même il a fallu conduire l'analyse juridique

par rapport à deux droits, le droit mauricien et le droit anglais, et en ce qui concerne le droit mauricien, tenir compte d'une spécificité et d'une complexité qui tiennent à l'histoire de la colonisation de I'lle, le droit mauricien portant la marque de différentes influences juridiques, hollandaise, française coutume de Paris et code Napoléon, common law.

Autre problème délicat . celui de la traduction des expressions anglaises. Toute traduction suppose une bonne connaissance des droits à comparer et ii est certes difficile de traduire certains concepts liés à tout un contexte culurel. Mais M. Dookhy a délibérément opté pour le tout anglais ou le tout français et donc dans une perspective francophone a pris le risque de traduire les expressions anglaises ou d'emprunter les traductions qui peuvent être utilisées au Québec et à I'lle Maurice.

Prenant le premier la parole, Gérard Conac souligne les qualités du travail de M. Dookhy et n'hésite pas à dire que son sujet était passionnant et qu'il l'a traité avec serieux et beaucoup de finesse. Le style est alerte et clair. Il regrette cependant un abus de subjonctifs et quelques adjectifs inappropriés. La bibliographie est bien faite et bien présentée, les notes en bas de pages intéressantes et utiles et if est évident que la plupart des livres et articles cités ont été lus avec soin.

M. Dookhy a bien fait apparaitre l'ambiguité et le pragmatisme du système de contrôle exercé par le comité judiciaire en application de la Constituion de file Maurice. Ses avantages sont certains. 11 a permis de conforter le système judiciaire et de l'arrimer solidement dans l'intérêt même de l'Etat de droit. Peut-être aurait-il été opportun de comparer la solution mauricienne avec les solutions beaucoup plus respectueuses des souverainetés nationales qui ont prévalu dans les Etats francophones d'Afrique, mais qui à l'expérience se sont révélées assez peu protectrices des libertés et des droits de l'homme.

M. Gérard Conac regrette néanmoins que les appréciations portées sur la solution anglo-mauricienne soient trop sytématiquement élogieuses. Il aurait aimé que le Comité judiciaire dans l'exercice de ses compétences en droit mauricien soit qualifié avec plus de netteté et que M. Dookhy recherche dans le droit international contemporain s'il n'y a pas d'autres institutions étrangères habilitées à intervenir dans un système juridique d'un Etat indépendant pour le compte de cet Etat en application de la technique du dédoublement fonctionnel.

L'appréciation très positive de M. Dookhy se fonde sur l'histoire et le présent mais ne l'amène pas à s'interroger sur l'avenir. Or la question devait être posée. La solution actuelle n'est-elle qu'une survivance transistoire à la merci d'une réaction nationaliste du constituant mauricien dénoncant une ingérence indue d'un juridiction étrangère dans l'ordre juridique mauricien ? Si elle devait se pérenniser, le Comite judiciaire ne serait-il pas amené à s'internationaliser, par exemple par la présence de juges d'origine mauricienne _?

M. Marck Fr eediand a été trés intéressé par la thèse de M .Dookhy.

Cette thèse fait preuve à son avis d'une excellente connaissance de l'histoire du Conseil privé, considéré dans ses compétences au sein du Royaume-Uni et dans se ations avec les pays de l'Empire puis du Commonwealth. M Fr.eei and se félicite que l'on puisse désormais disposer d'une étude très complète sur le

rôle constitutionnel du Comité judiciaire au sommet du système

judiciaire de I'lle Maurice. Cette étude a aussi l'avantage de

donner le point de vue d'un juriste mauricien à la fois bon connaisseur du droit français et du droit anglais. Mais il se demande si l'auteur, soucieux de contrer les thèses des hommes politiques mauriciens qui souhaiteraient une solution plus conforme à la souveraineté mauricienne, n'idéalise pas trop cette institution et sa jurisprudence. Il constate que son point de vue est paradoxalement moins critique que ceux de la moyenne des commentateurs de nationalité britannique.

er

Le profes seur Friedland présente ensuite un certain

nombre de remarques sur des points particuliers concernant notamment l'origine du Conseil privé, l'émergence d'un droit administratif en Angleterre, etc.

Quelques traductions de termes ou d'expressions anglaises lui paraissent contestables ou ne rendant qu'imparfaitement compte des nuances du droit anglais.

ire

M. Feedland se pose même la question de savoir si la règle du tout anglais ou du tout francais ne risque pas de conduire à bien des malentendus et des inexactitudes.

M. Etienne Picard considère lui aussi qu'il s'agit d'une bonne thèse, tout en reconnaissant que le sujet n'était pas facile à maîtriser. C'est un sujet qui paraissait pointu mais qui s'est révélé très riche. M Picard félicite M. Dookhy de l'avoir traité avec

habilité, méthode, intelligence. H lui sait gré d'avoir dans tous les sens du terme défendu une thèse avec de bons arguments presque toujours convaincaints.

Pour M. Dookhy la solution actuelle est la meilleure solution pour file Maurice, tant du point de vue de la protection des droits et libertés que pour la paix civile et le bon fonctionnement de la démocratie dans un pays pluri ethnique ? Mais M. Picard aurait aimé toutefois, comme M. Conac, une analyse de sociologie politique approfondie, notamment pour les lecteurs qui ne connaissent pas !'lie Maurice et ses particularismes.

Revenant sur le problème des traductions, il considère que certaines sont bonnes mais que plusieurs sont approximatives, certaines notions étant en fait intraduisibles.

Peut-on assimiler par exemple le comitéjudiciaire à une Cour de Cassation ? M. Picard ne le pense pas, car ii n'y a pas renvoi au juge de fond. Sur la qualification à donner au Comité judiciaire, la comparaison avec le Conseil Constitutionnel lui paraîtrait plus adequate.

Il regrette aussi que M. Dookhy n'ait pas joint en annexe quelques décisions du Comité concernant l'He Maurice.

Plutôt que de présenter la jurisprudence du Comité en fonction de différentes branches du droit droit penal, droit civil, il aurait été plus opportun, pense-t-il, de l'analyser par référence aux droits fondamentaux .

Madame Jauffret Spinosi s'associe aux éloges déjà décernés au candidat. Pour elle c'est une très bonne thèse, qui fait revivre "l'épopée "juridique anglaise, une évolution continue sans grande cassure de la comma law et son rayonnement dans les anciens territoires de I' Empire.

M. Dookhy n'a pas hésité à prendre parti. Comme on l'a déjà fait remarquer, il est très favorable au Comité judiciaire et sa thèse pourrait même s'intituler "défense et illustration du comité juduciaire". Le travail est sérieux, la bibliographie solide. Une écriture claire et vivante rend la lecture agréable et facile.

Toutefois Madame Jauffret-Spinosi considère que le titre est trop large. C'est moins le droit mauricien qui est étudié que le droit constitutionnel_ Il y a peu de développements sur le droit privé. Ce qui est traité c'est surtout un contrôle constitutionnel

des cours de I'lle Maurice. Le plan ne correspond pas au titre : la première partie est une présentation du Conseil Privé. C'est seulement la deuxième qui traite du sujet proprement dit.

Un certain nombre de traductions sont contestables peut-être d'ailleurs parce que, comme on l'a déjà dit, certains termes ou expressions étaient en fait intraduisibles : sollicitor n'est pas l'avoué du système judiciaire français ; en Angleterre il n'y a pas un ordre à part d'avocats aux Conseils.

Madame Jauffret-Spinosi juge aussi que les développements sont trop descriptifs, trop exclusivement juridiques, alors qu'il

aurait fallu replacer les solutions institutionnelles et jurisprudentielles dans le contexte politique et sociologique. Elle aurait aimé mieux connaître quelques uns des problèmes concrets qui sont à l'origine des recours devant le Comité judiciaire.

En conclusion, Madame Jauffret-Spinosi se demande, comme M. Gérard Conac, quel peut être l'avenir du Comité judiciaire en tant qu'instance de contrôle constitutionnel dans le système juridique mauricien.

Mme Muir Watt-Bourel fait sienne la plupart des remarques déjà exprimées.

Elle a apprécié la thèse. Le sujet avait l'avantage de permettre de nombreux types de comparaisons, notamment entre le rôle du Comité et du Conseil Constitutionnel, le droit anglais et le droit mauricien. L'étude du droit mauricien permettait de pénétrer dans un droit qui est un creuset de nombreuses influences juridiques. Madame Muir Watt-Bourel a été très intéressée par l'évolution de ce droit original, qui à partir d'une souche française a affirmé son autonomie et sa spécificité, la common law s'accomodant du pluralismejuridique et permettant même de le sauvegarder. Elle note que dans une societé communautariste les techniques juridiques sont proches de celles qu'utilise le droit international privé.

Comme Madame Jauffret-Spinosi, Madame Muir Watt-Bourel regrette le caractère trop descritif des développements, alors qu'elle aurait aimé que soient mieux dégagées quelques questions théoriques.

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Gérard Conac

 
 

Pour quelles raisons les projets visant à modifier la composition du Comité judiciaire n'ont pas abouti?

Les Mauriciens appliquent le droit anglais, mais le Comité judiciaire est-il sensible à l'influence du droit mauricien dans ses décisions relatives à des affaires ne concernant que des sujets de Sa Majesté ?

Quelle est l'influence de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg ?

Quel est l'avenir du Comité judiciaire ?

Peut-être aussi dans une conclusion aurait-il fallu noter ce qu'il y avait d'extraordinaire dans l'histoire du Comité et son rôle actuel vis-à-vis de I'lle Maurice. Voilà en effet une Cour qui est amenée à se référer à des systèmes de pensée qui n'étaient pas les siens à l'origine et ne correspondaient pas à la formation de ses membres.

Comment réussit-il â adapter le droit anglais à des contextes différents de celui au sein duquel il s'est développé, tout en respectant l'identité des sociétés concernées ?

Après l'intervention de chacun des membres du jury, le candidat a répondu à leurs questions et objections avec clarté et de manière très pertinente.

Le jury, après en avoir délibéré, a décidé de lui décerner le titre de docteur en droit avec la mention très honorable et les félicitations unanimes du jury. Il a en outre proposé sa thèse pour une subvention.

 

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17:54 F.3-i7

EIEH PECU *2

Professeur Mark FREEDLAND

St John's College

Oxford, OX 1 aiP

Téléphone: 00 44 1865 277 387

Télécopie: 00 44 1865 277 480

Courrier électronique: mark.freedland@st-johns.ox.ac.uk

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RAPPORT SUR LA THÈSE DE M. PARVEZ DOOKHY
"LE COMITÉ JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ ET LE DROIT

MAURICIEN"

M. Paniez Dookhy présente une thèse de 350 pages, préparée sous la direction du Professeur Gérard Conac, portant sur le rôle et la fonction du Comité judiciaire du Conseil privé britannique, en tant que Cour suprême de l'ile Maurice, devenue indépendante en 1968.

La thèse centrale de l'auteur est que le Comité judiciaire a constitué et continue de constituer la meilleure garantie institutionnelle, actuellement offerte, de l'existence du "Rule of Law" et du respect du constitutionnaksme à File Maurice. Sa thèse tend explicitement à contrer les arguments favorables à la "rnauricianisation" du système juridique de Elle, dans la mesure où ceux-ci réclament précisément l'abolition de la juridiction du Conseil privé à l'égard de ce pays.

Afin de soutenir son propos central, l'auteur analyse, en profondeur et avec une abondance de détails, d'abord la légitimité historique et juridique du Comité judiciaire, deuxièmement sa nature et ses caractéristiques, troisièmement le système de principes juridiques qu'il a développé à l'endroit de I'lle Maurice, et quatrièmement ia façon dont il a su entourer l'action gouvernementale et législative mauritienne de garanties constitutionnelles.

Ses arguments sont exposés dans un style littéraire coulant, agréable et intéressant à lire d'un point de vue académique. L'acteur semble avoir acquis et fait preuve d'une maîtrise vraiment impressionnante de l'histoire juridique et constitutionnelle du Conseil privé considéré dans ses relations au Royaume-Uni lui- même, à l'Empire britannique, puis au Commonwealth. Le niveau de précision des matériaux dont il fait état me semble vraiment très élevé. J'ai été également très favorablement impressionné par sa maîtrise des sources secondaires; la bibliographie

1

et les citations utilisées me paraissent louablement complètes.

Je me suis toutefois interrogé sur le point de savoir si le fait que la tonalité globale et l'argumentation de la thèse soient si généralement laudatives à l'égard du Conseil privé ne taisait pas problème. En effet, on se demande si l'auteur n'idéalise pas le Comité judiciaire parce qu'il a le fort sentiment que son maintien au sommet du système juridique mauricien s'avère préférable à toute autre alternative. Ses appréciations sur ce point apparaissent certainement moins critiques que celles de la moyenne des commentateurs au sein du Royaume-Uni.

Cependant, en définitive, je me satisfais de cette opinion. Il se peut très bien en effet que le Comité judiciaire, dès lors qu'il remplit un rôle constitutionnel très clair pour I'lle Maurice. assure cette fonction d'une façon plus cohérente et plus effective que celle, homologue, qu'il peut lui-môme exercer cette fois en tant que Comité judiciaire de la Chambre des Lords et pour le Royaume-Uni lui-méme, laquelle parait beaucoup moins claire et se trouve contestée de façon très significative, tandis que la constitution nationale connaît une série de ré-orientations, aussi bien en ce qui concerne les régions constitutives de ce Poyaume-Uni qu'en ce qui touche son appartenance à l'Union européenne.

En outre, le candidat, bien que sa préoccupation soit évidemment de faire l'éloge du Conseil privé plus que de l'enterrer - s'il est permis d'emprunter à la formule shakespearienne - ne laisse pas, d'une façon qui n'est pas irréfléchie, de le critiquer à l'occasion, et ne manque pas du sens des nuances ou de l'observation, souvent attentive.

Il est fort appréciable de pouvoir maintenant disposer de cette étude complète d'un doctorarit, certes dévoué à la cause du Conseil privé, mais qui l'a abordé d'un point de vue inhabituel, essentiellement continental; et c'est sans hésitation que je conclus à un avis favorable à la soutenance.

Mark FREEDLAND Université d'Oxford

2

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RAPPORT AVANT SOUTENANCE SUR LA THESE DE MONSIEUR PARVEZ DOOKHY SUR « LE COMITE JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVE DE SA MAJESTE LA REINE D'ANGLETERRE ET LE DROIT MAURICEEN »

Le Comité judiciaire du Conseil privé est une très vieille institution anglaise qui a joué depuis son origine divers rôles. Le comité judiciaire a été pendant longtemps la plus haute Cour des pays du Commonwealth. Elle l'est encore aujourd'hui pour certains Etats tel que l' Ile MAURICE.

Composé des mêmes juges que la Chambre des lords, le Comité judiciaire rend des decisions ( sous la forme d'avis à sa Majesté ) qui ont toujours revêtit une grande importance.

Aucune étude d'importance n'a jamais été écrite en France, ni même semble t-i[ Angleterre sur une telle institution. La thèse de Monsieur DOOKHY constitue donc un document fort intéressant.

La thèse a pour but d'étudier tout à la fois le Comité judiciaire et son rôle dans le droit de l'île Maurice. Dans l'île, cette juridiction supérieure, située Londres, est conçue comme un élément primordial au maintien de la paix et de la cohésion sociale dans un pays multicommunautaire. Cependant il est exact que des dissension existent entre la juridiction anglaise et la Cour Suprême de l'Ile Maurice. Le comité judiciaire « moins soucieux du développement d'un droit national autonome que la Cour suprême locale, se sent de plus en pus tenu d'appliquer aux contentieux mauriciens les solutions dégagées par la Cour Européenne des droit de l'homme et des grands juridictions étrangères telles la Chambre des Lors ou la Cour Suprême des U.S.A. ».

Dans une première partie, l'auteur entend rappeler l'histoire, la composition et le fonctionnement du comité judiciaire du conseil privé. C'est donc une description exhaustive de cette juridiction qui est tentée. Évoquant l'histoire du Comité Judiciaire l'auteur est conduit à étudier les relations de l' Angleterre avec le droit des pays du Commonwealth . L'auteur remarque « les hautes qualités » du Comité Judiciaire, dues essentiellement à la compétence et à l'indépendance de ses juges

Dans une seconde partie, l'auteur s'intéresse au Conseil Judiciaire en tant que juridiction supérieure de l'Ile Maurice . L'étude du rôle de la juridiction supérieure anglaise est axée sur son rôle de Cour constitutionnelle. C'est le fonctionnement de la justice constitutionnelle qui est concerné
· Le droit constitutionnel et la protection constitutionnelle apportée au citoyens de l' Ile Maurice sont étudiés .L' auteur estime que le Comité Judiciaire , juge constitutionnel supérieur, a parfaitement répondu aux attentes de la démocratie rnoderne.

Le travail est bien construit, bien structuré, le style est clair et précis.

La thèse présente les qualités requises pour être admise à la soutenance.

et
·
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CANDIDAT

DATE

U.F.R.

THESE DE DOCTORAT EN DROIT Dg L'UNIVERSITE DE PARIS I

(Arrêté du 30 mars 1992)

UNIVERS1TE DE PARIS.I - PANTHEON - SORUONNE

SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES

HEURE : I tt

SALLE : 2_46

-t -1 -I -:

JURY Le Président : NOM et titre

______eic.-,m1JFIF-ee-7-. --;ri- m-_-; i 11(e.,,,,L ( ),,LK(,-,1--,;. 1?7,L,

I. les Suffragants : NOMS et titres : H- (CAj7i-C---. ipi' -.''-eSrCiLc 1. ,i'0,7.{_i4. ' Ke-.°f.çr_17-1

P!.A-L6 r fkbli-rj-A 2i/LÀriïA )/(7,L.LX2I-

Vçl. HLAY<:--LAIA-77 , i," -4--(Lc( , Lez uf-r_hs t,u___( 1 .

Ler_Rapporteue.,: NOM et titre

'N=i)nt,( hit(..es 4--;(

Dipleme dl 1)14- 1.)A-4

Doc,:orat de -

Supt de la thèse (ou ensemble de travaux) :

ijel_ c'eit.itt jvctirctzw-e

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diL4 LicL PÀ,d_LiOZzei5(._

MENTIONS

Ir_à_liumrable--

Très honorable avec félicitations

THESE PROPOSEE Pour une subvention 0..-tAT

Pour un prix de thèse

tr/L,

Le Président du Jury,

RESULTAT DE LA SOUTENANCE


·
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N? 093794 UNIVERSITE DE PARIS I- PANTHEON - SORBONNE

SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES
SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES î.

DOCTORAT


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-ne tàt

' qui n,

 

Arrêté ministériel du 30 mars 1992
relatif aux études doctorales

de la

 

Le Secrétaire Général de l'Université de PARIS I Panth ne,

soussigné, certifie que :

ofeeieu.A., PcvuLè.-IA
· C. .10014:H1
né(e) le i. et- A161

à Polk-- 6ctv-z,- Département ou Pays :

a été admis(e) le ete/9- 19q-7-

au grade r DOCTEUR de l'Université de PARIS I - Panthéon - Sorbonne en

ota.(if.. avec, (icÀ1--etou-s

avec la mention

Noms et titres des membres du jury :

/1121 CCMAC Uktivete: ri. 7

LL FREENA-Kihe.. ve4g 0 11,7

d-i G- JAuFFÉ.ÉT-Mmoçn

u\i/4-71- 6ougn /.

se..D. Pic/te Um-ivrtyi faitz..

Sujet de la thèse (ou intitulés des travaux présentés en soutenance)

LÉ_ cruti udiciavit .d.L2 ,covi fie.. de_ çt, 1--/adee

elte, A. eme

cs.

Signature du Titulaire :

V

AVIS IMPORTANT. -- Cette attestation, pour être valable, ne doit être ni surchargée ni grattée. L'UNIVERSITÉ ne la délivre qu'une fois. Les Maires et les Commissaires de police français, les agents diplomatiques ou consulaires de la France à l'étranger peuvent en délivrer des copies certifiées conformes,

ipppippupppp111.1 nipip 11111 II 1111 I 111111111111 1N1111 II 111111 P 1

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MINISTÈRE DE L'ÉD,UCATION NATIONALE,

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à l'original qui nous

(1)

DE LUINIVERSITE PARIS_I_WANTEIEOOSORECIenté-21 DEC 1998 EN PMI PAF-', le

(Arrêté du 30 mars 1992 relatif aux études doctorales)Pour le Maire de Paris

préparé en collaboration avec (2) . et par ifflécntion

'Le Fonctionnaire Municipal

Vu les titres initiaux produits par MOivisieun. VOOKHY Poiniez. I

né(e) le 21 Jwin 1969 PORT-LOUIS [L LE MAURICE"

Vu les pièces constatant que l'intéressé(e) a présenté en soutenance, confOr-mémen ux rè. e nts, à la date

du 26 Févuek I991 une thèse ou Un ensemble de travaux (3) po sur 1 ujet suivant

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avec les droits et prérogatives qui y sont attachés.

, le 22 JuitLe_t_19 9 8 ,miouture du'titu hire ; Vu, pour le Ministre et par délégation,

RJIE v le Recteur de t'Académie, Chancelier des Universilés,

(4) Désignation de la discipline ou de a spécialité ia ia discrétion de l'étenlissement).

(5) Titre(s) de la (des) personne(s) dirigeant l'(les) établissements) délivrant le diplCme.

jj délivrant le diplOrne.

nt sj ayant, le cas echéant, collaboré

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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


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devant un jury constitué au sein de (1) Lirt-itg)tA.été Pa)r-i_ I

présidé par M et composé de M M. FREEPLAND - PICARD et de

MMFÇ JAOFFRFT-gPTNDS/ - MfilliMILLUIREL -

la décision dudit jury prononçant l'admission de l'intéressé(eYaVec la mention iRES_MMAUF.___à_VEC--.. IPLÔME DE DOCTEUR DE (IV (P.ANTHEON SOWNNE1 FELICITATIONS

IMPRItvIERIE NATIONALE - Olt 89 ENDS

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DE LA RECHERCHE






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand