Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
Faculté de Droit
École Doctorale 12, Place du Panthéon 75005
PARIS
Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de Sa
Majesté la Reine Élisabeth II d'Angleterre et le Droit
Mauricien
The Judicial Committee of the Her Majesty's Privy Council
and the laws of Mauritius
Thèse de Doctorat par
Parvèz A. C. DOOKHY
Secrétaire général de la
Société des Juristes Francophones du Commonwealth
Soutenue publiquement le 26 février 1997 à la
Faculté de Droit de Paris
Le Jury est composé de :
Directeur de thèse
- Monsieur Gérard CONAC, Professeur à
l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, Directeur de
l'École Doctorale ;
Rapporteurs :
- M. Marck FREEDLAND, Professeur à l'Université
d'Oxford (St John's College) ;
- M. Etienne PICARD, Professeur associé à
l'Université d'Oxford, Professeur à l'Université de Paris
I Panthéon-Sorbonne ;
Membres du Jury :
- Mme Camille JAUFFRET-SPINOSI, Professeur à
l'Univesité de Paris II Panthéon-Assas ; - Mme Muir WATT-BOUREL,
Professeur à l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
;
REMERCIEMENTS ET AVANT-PROPOS
L'étude du Comité Judiciaire du Conseil
Privé de Sa Majesté la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le
droit mauricien a été une longue aventure pleine de
difficultés. Le sujet est vaste et comporte plusieurs thèmes de
réflexion et il existe un manque remarquable de documents sur les deux
composants de notre sujet. Il a fallu effectuer des recherches dans trois pays,
à savoir, la France, l'Angleterre et l'île Maurice (voir lieux de
recherches, infra).
Pourtant nous avons choisi cette difficulté,
conscient du profond intérêt de notre sujet. Au terme de cet
effort, les mérites reviennent naturellement à tous ceux dont la
contribution a été déterminante à la
réalisation de cet ouvrage. Notre pensée va à l'endroit de
tous ceux-là:
D'abord notre Maître, Monsieur le Professeur
Gérard CONAC, Directeur du Centre de Recherche de Droit Constitutionnel,
qui nous a suggéré le sujet et souvent inspiré. C'est une
importante dette que nous avons contractée auprès de lui. Pour
son soutien, nous voulons lui attribuer les mérites que
recèlerait ce travail tout en précisant que les défauts
sont l'oeuvre d'un disciple qui a mal assimilé l'enseignement de son
Maître. Nous lui exprimons notre reconnaissance sans fin.
Nous voulons également remercier Monsieur Christian
PUR TSCHET, Maître de Conférences à l'Université de
Paris I Panthéon-Sorbonne, qui a gracieusement voulu nous faire de
précieuses suggestions.
Nous renouvelons notre profonde gratitude:
à Monsieur D. H. O. OWEN, Secrétaire du Conseil
Privé, qui nous a communiqué des documents et aidé dans
nos recherches
à Monsieur Etienne PICARD, Professeur à
l'Université d'Oxford et à l'Université de Paris I
Panthéon-Sorbonne
à Monsieur le Professeur Jean-Paul COSTA, Conseiller
d'Etat
à Maître Riyad DOOKHY de Gray's Inn, avocat au
Conseil Privé de Sa Majesté la Reine Elisabeth II et à la
Chambre des Lords
au collège des Professeurs et Enseignants de
l'Université de Paris I Panthéon-Sorbonne
à tous les amis trop nombreux pour être
cités. Nous ne saurions faire du tort aux autres en citant quelques uns.
Qu'ils soient tous rassurés que notre sentiment pour chacun ne variera
pas.
LIEUX DE RECHERCHES
France
Bibliothèque Cujas de la Faculté de droit de
Paris
Bibliothèque du Centre Georges Pompidou
Bibliothèque de droit comparé de la Sorbonne
Bibliothèque de droit public de l?Université de
Paris 1, Centre Malher Bibliothèque de la Documentation
Française, Paris
Bibliothèque de la Faculté de droit
d?Aix-en-Provence
Bibliothèque du Centre Pierre Mendès France de
l?Université de Paris 1 Bibliothèque Nationale de France
Bibliothèque Sainte-Geneviève
Bibliothèques de la ville de Paris
Salle de droit public de la Faculté de droit de Paris
Angleterre
British Library
Commonwealth Library
Institute of International and Comparative Law
Institute of Legal Advanced Studies (University of London) King?s
College (University of London) Law Library
Privy Council Library
The Bar Library
The Honourable Society of Gray?s Inn Library The Honourable
Society of Inner Temple Library The Honourable Society of Lincoln?s Inn
Library
The Honourable Society of Middle Temple Library The Supreme Court
Library
Ile Maurice
Archives de l?Assemblée Nationale (Législative)
Bibliothèque de l?Université de Maurice Bibliothèque de la
Cour Suprême
ABRÉVIATIONS
AC: The Law Reports, Appeal Cases
ADP: Archives de la Philosophie du Droit
AIJC: Annuaire International de Justice Constitutionnelle
AJCL: The American Journal of Comparative Law
ALJ: The Australian Law Journal
All ER: All England Law Reports
APOI: Annuaire des Pays de l?Océan-Indien
ASCL: Annual Survey of Commonwealth Law
BLR: Business Law Review
BSJFC: Bulletin de la Société des Juristes
Francophones du
Commonwealth
Bull, crim: Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation
Française, chambre criminelle
C.Cas: Cour de Cassation Française
CA: Arrêt de la Cour d?Appel anglaise en date du...
CAR: Criminal Appeal Reports
CBM: Chronique du Barreau de l?île Maurice
CBR: Canadian Bar Review
CCAS: Décision de la Cour Constitutionnelle de l?Afrique
du Sud
en date du...
CCF: Décision du Conseil Constitutionnel Français
en date du...
CDHNU: Avis du Comité des Droits de l?Homme des
Nations-Unies
en date du...
CE: Arrêt du Conseil d?Etat Français en date
du...
CEDH: Arrêt de la Cour Européenne des Droits de
l?Homme
en date du...
CILJSA: Comparative and International Law Journal of South
Africa
CJCP: Arrêt du Comité Judiciaire du Conseil
Privé en date du...
CL: Arrêt de la Chambre des Lords en date du...
CLB: Commonwealth Law Bulletin
CLJ: Cambridge Law Journal
CLP: Current Legal Problems
CLR: Criminal Law Review
CM: de la Constitution mauricienne
Com.L: The Commonwealth Lawyer
CSC: Arrêt de la Cour Suprême du Canada en date
du...
CSEAU: Arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis
d?Amérique
en date du...
CSI: Arrêt de la Cour Suprême de la République
Indienne en date
du...
CSM: Arrêt de la Cour Suprême de Maurice en date
du...
DC: Décision du Conseil Constitutionnel Français de
conformité
ou de non-conformité à la Constitution
DCSM: Decisions of the Suprême Court of Mauritius
dir: Sous la direction de
DLR: Dominion Law Reports
DP: Dalloz Périodique (Dalloz Jurisprudence
Générale)
DR: Droits
ER: English Reports
Gaz. Pal: Gazette du Palais
HC: Arrêt de la Haute Cour de Justice anglaise en date
du...
HLR: Harvard Law Review
HMSO: Her Majesty?s Stationery Office
ICLQ: International and Comparative Law Quaterly
ICR: Industrial Cases Reports
IFB: Independent Forward Block
IR: Irish Reports
JA: Jeune Afrique
JCL: Journal of Criminal Law
JCP: Juris-Classeur Périodique
JSPTL: Journal of the Society of Public Teachers of Law
JUM: Journal of the University of Mauritius
KBD: The Law Reports, King?s Bench Division
LAD: Legislative Assembly Debates
LGDJ: Librairie Générale de Droit et de
Jurisprudence
LJPC: The Law Journal Reports, Privy Council and Appeal Cases
LMD: Le Monde Diplomatique
LPA: Les Petites Affiches
LQR: Law Quaterly Review
LRC: The Law Reports of the Commonwealth
LRS: The Law Reports Statutes
LT: The Law Times
MLA: Mauritius Legislative Assembly
MLR: The Modern Law Review
MMM: Mouvement Militant Mauricien
MR: The Mauritius Reports
MSM: Mouvement Socialiste Militant
MtsLR: The Mauritius Law Review
OLR: Otago Law Review
ORHRC: Official Records of the Human Rights Committee
PA: Politiques Africaines
PCEDH: Publications de la Cour Européenne des Droits de
l?Homme
PL: Public Law
PSM: Parti Socialiste Mauricien
PTr: Parti Travailliste Mauricien
PUF: Presse Universitaire de France
Q BD: The Law Reports, Queen?s Bench Division
QC: Avocat ayant obtenu le titre honorifique de Conseiller de
la
Reine (Queen's Counsel)
Q Q: Queen?s Quaterly
RA: Revue Administrative
RADIC: Revue Africaine de Droit International et
Comparé
RCSP: Revue Canadienne de Science Politique
RDCE: Recueil des Décisions du Conseil d?Etat (Lebon)
RDP: Revue du Droit Public et de la Science Politique
RDPros: Revue de Droit Prospectif
RFAP: Revue Française d?Administration Publique
RFDC: Revue Française de Droit Constitutionnel
RGD: Revue Générale de Droit
RGDIP: Revue Générale de Droit International
Public
RGDP: Revue Générale de Droit Processuel
(Justices)
RIDC: Revue Internationale de Droit Comparé
RIDP: Revue Internationale de Droit Pénal
RJPIC: Revue Juridique et Politique: Indépendance et
Coopération
RM: Revue Madagascar
RPM: Roupie(s) mauricienne(s)
RPP: Revue Politique et Parlementaire
RSC: Revue de Science Criminelle et de Droit Pénal
Comparé
RUDH: Revue Universelle des Droits de l?Homme
SAJHR: The South African Journal on Human Rights
SALJ: The South African Law Journal
SALR: The South African Law Reports
SCR: The Supreme Court Reports (Inde)
SI: Statutory Instruments
TLR: The Times Law Reports
US: United States Reports
vol.: volume(s)
v. p: voir page(s)
WE: Week-End
WLR: Weekly Law Reports
A mon père, ma mère et Yildiz
INTRODUCTION
Il est de grandes institutions comme il en est de grands
hommes. A l?image de ces derniers, elles s?inscrivent dans l?Histoire et
évoluent avec elle. Chacune détient un passé et une
identité forte.
Le Comité Judiciaire du Très Honorable Conseil
Privé de Sa Gracieuse Majesté la Reine d?Angleterre fait partie
de ces rares institutions du monde qui ont pu peser lourdement sur le devenir
des peuples. D?âge fort respectable1, cet organe2
londonien de dernier recours des colonies de l?Empire britannique qui,
techniquement conseillait le Souverain sur la solution à donner aux
litiges, était doté d?une compétence juridictionnelle
s?étendant, avant la deuxième guerre mondiale, à un
ensemble de territoires représentant plus d?un cinquième des
terres émergées. Le Comité Judiciaire était la
juridiction suprême d?une masse de population de près de cinq
cents millions d?habitants, soit, à l?époque, le quart de la
population du globe. Il statuait sur des litiges importants dans lesquels
étaient en cause, non seulement la Common Law3 d?Angleterre
telle qu?elle s?appliquait dans les dominions et colonies de la Couronne
britannique, mais aussi l?ancien droit français, la coutume de
Paris4, au Canada dans la province de Québec, de vieilles
coutumes françaises5 dans les îles Anglo- Normandes
(Channel Islands), les Codes napoléoniens (Code
Civil6, Code de Commerce et Code Pénal) à l?île
Maurice et aux Seychelles7, le droit mi-italien et
mi-français dans l?île de Malte8, le droit
romano-hollandais (Roman-D utch Law) en Afrique du Sud9 et
au Ceylan10, le droit musulman11 en Chypre, en Inde et
1 Le Comité Judiciaire trouve son origine directe dans la
Curia Regis.
2 Le Comité Judiciaire est-il une juridiction ou un organe
consultatif ? Nous examinerons ultérieurement sa nature.
3 Certes, comme le dit Monsieur le Professeur André
TUNC (in CRABB John H.: «Le système juridique
anglo-américain», Louvain, Nauwelaerts, 1972, 248 p., v.
Préface, p. 6), il faut qu?une langue soit anglaise ou française,
nous estimons que la traduction de certains termes juridiques anglais les
dépouillerait de leur bagage historique. Ainsi, le terme
Common Law?, comme ceux de Commonwealth? et
Westminster?, devraient résister à la traduction.
Sur le débat s?il faut dire le ou la Common Law, nous
suivrons la pratique française qui favorise le genre grammatical
féminin. V. en ce sens DAVID René: «Les grands
systèmes de droit contemporains», Précis Dalloz, 1988, 9e
édition, 734 p., v. p. 349 et s. V., sur la thèse inverse,
LEGRAND Pierre: « Pour le Common Law», RIDC, 1992, pp. 941 à
947.
4 CJCP: 23 décembre 1868, Alexandre Kierkowski c/ Jean
Baptiste Théophile Dorion, LJPC, 1869, pp. 12 à 21, affaire du
Canada, Lord-Chancelier Hatherley rédacteur de l?arrêt.
5 CJCP: 28 juin 1872, Thomas Phillipe La Coche c/ Thomas La
Coche, LJPC, 1872, pp. 51 à 54, affaire des îles Anglo-Normandes,
Lord-Juge James rédacteur de l'arrêt.
6 CJCP: 17 février 1866, Her Majesty?s Procureur and
Advocate-General c/ Virginie Bruneau, LRPC, 1865-67, pp. 169 à 197,
affaire de Maurice, Lord-Juge Turner rédacteur de l'arrêt.
7 CJCP: 10 février 1910, Saïd c/ Mamode Hadee, LJPC,
1916, pp. 141 à 145, affaire des Seychelles, Lord Atkinson
rédacteur de l'arrêt.
8 CJCP: 16 mai 1864, Francesco Sant c/ Genrroso, LJPC, 1864, pp.
73 à 78, affaire de l?île de Malte, Sir James Hannen
rédacteur de l'arrêt.
9 CJCP: 14 mai 1902, Douglas c/ Franz Sander and Co., LJPC, 1902,
pp. 91 à 94, affaire de l?Afrique du Sud, Lord Roberston
rédacteur de l'arrêt.
dans certains pays d?Afrique, le droit hindou également
en Inde12, le droit chinois à Hongkong et les coutumes des
tribus dans certaines colonies africaines13.
Quant aux matières qui faisaient l?objet de pourvois,
leur variété était tout aussi extrême. Le
Comité Judiciaire statuait sur des affaires de droit privé
(civil matters), de droit pénal (criminal matters) et
aussi de droit public, notamment constitutionnel.
En effet, le Conseil Privé fut l?inventeur du
contrôle juridictionnel des Lois14 et Monsieur le Professeur
Dominique Turpin soutient avec raison que la Cour Suprême des Etats-Unis
d?Amérique se soit inspirée des précédents du
Conseil Privé lors de l?instauration en 1803 du contrôle
juridictionnel des Lois. Avant même la mise en place du Comité
Judiciaire, le Conseil Privé, statuant en formation juridictionnelle,
contrôlait la conformité des lois adoptées dans les
colonies de l?Empire aux grands principes de Common Law. Etaient
sanctionnées les normes contraires aux principes de justice et de la
bonne morale. Le Comité Judiciaire, conçu comme un organe
nécessaire au développement de l?Empire britannique15,
s?inscrivait dans la poursuite des fonctions de censeur des lois16
et assurait la subordination des colonies à l?égard de la
métropole17. La Loi britannique de 1865 sur la
validité des lois coloniales (Colonial Laws Validity Act)
conférait expressément au Comité Judiciaire le pouvoir
d?annuler les lois des colonies qui étaient contraires aux lois de la
Grande-Bretagne18. Cependant,
10 CJCP: 19 décembre 1879, Angeltina Dias c/ Alfred de
Livera, LJPC, 1880, pp. 26 à 32, affaire de Ceylan, Sir Robert P.
Collier rédacteur de l'arrêt.
11 CJCP: 10 février 1894, Parapano c/ Happez, LJPC,
1894, pp. 63 à 68, affaire de la Chypre, Lord Hobhouse rédacteur
de l'arrêt.
12 CJCP: 6 février 1835, Sumboo Chunder Chowdry c/
Narain Dibeh, affaire de Bengale, Sir Baron Parke rédacteur de
l'arrêt, ER, vol 12, Privy Council, pp. 568 à 584, rapporté
par Jerome William Knapp.
13 «Almost all the laws and customs of the world,
civilised and uncivilised, come up for discussion in that dingy, little room
where the Judicial Committee of the Privy Council hold their sittings» Sir
Courtenay Ilbert in RANKIN George, Sir: « The Judicial Committee of the
Privy Council«, CLJ, 1939, pp. 2 à 22, v. p. 11.
14 V. TURPIN Dominique: «Contentieux Constitutionnel»,
PUF, 1994, 543 p., v. p. 38.
15 «Even though not statutorily acknowledged, the
Judicial Committee remains a part of the apparatus of imperial
governance.», BETH Loren P.: « The Judicial Committee: its
development, organisation and procedure», PL, 1975, pp. 219 à 241,
v. p. 223.
16 BETH Loren P.: «The Judicial Committee of the Privy
Council and the development of judicial review», AJCL, 1976, pp. 22
à 42.
17 «(Le Comité Judiciaire) permit d?insuffler une
bouffée d?air juridique anglais à des pays étrangers
à ses (la Grande-Bretagne) lois, comme le Québec, le Ceylan,
l?île Maurice ou l?Afrique du Sud.» ARGOSTINI Eric: «Droit
Comparé», PUF, 1988, 339 p., v. p. 271.
18 «Les coutumes sont soumises par la domination
coloniale à un processus d?intégration. Partout, tant bien que
mal, elles doivent s?insérer dans l?ordonnancement juridique de l?Etat
métropolitain. Elles n?y sont tolérées que dans la mesure
où elles n?en violent pas les principes fondamentaux.», CONAC
Gérard: «La vie du droit en Afrique» in CONAC Gérard
(dir): «Dynamiques et finalités des droits africains»,
Economica, 1980, 509 p., v. p. XI.
suite aux travaux de la Commission Balfour de
192819, la Loi de 1931 intitulée Statut de Westminster
proclama l?égalité de statut entre la Grande-Bretagne et ses
dominions et abolit la Loi de 1865.
En revanche, le Comité Judiciaire poursuivait sa
politique impériale. Certes, il manifestait sa volonté de ne pas
déformer ou d?angliciser les droits des colonies qui ne s?inspiraient
pas de la Common Law, mais maintenait autant que possible une uniformité
de droit dans l?ensemble des dominions et colonies20. S?estimant
lié (bound by) par les décisions de la Chambre des
Lords21, il servait de relais de transmission du droit anglais dans
les dominions et colonies. Il y a lieu de souligner aussi que le Comité
Judiciaire avait pour objectif d?unifier la Common Law22 dans tout
le Commonwealth23.
L?autorité et l?influence du Comité Judiciaire
avaient considérablement été modifiées après
la deuxième grande guerre. Comme les circonstances de guerre avaient
permis une certaine émancipation des dominions et colonies sur le plan
international et diplomatique24, leur dirigeants avaient ensuite
été très critiques et réticents à
l?égard du système institutionnel centralisé de Londres.
Les revendications à l?autonomie et à l?indépendance
grandissaient et les institutions coloniales, notamment le Comité
Judiciaire, étaient mal supportées par les dominions et les
grandes colonies soucieux de détenir la maîtrise de leur
juridiction suprême. Ainsi, tour à tour, certains dominions et
certaines grandes colonies accédant à l?indépendance
avaient aboli le droit de leurs justiciables de se pourvoir au Comité
Judiciaire25.
19 La Commission était présidée par Lord
Balfour et était chargée de suggérer des solutions tendant
à résoudre les difficultés survenues dans les relations
entre, d?une part, la Grande- Bretagne et d?autre part, ses dominions et
colonies.
20 «Quant à ceux qui ont la charge d?appliquer la
Loi sont étrangers... ils n?hésitent pas à greffer sur le
droit du pays des concepts ou même des institutions en provenance
étrangère», DAVID Annoussamy: «Pour un droit
comparé appliqué, réflexions à partir de
l?influence des Lois dans l?Inde», RIDC, 1986, pp. 57 à 76.
21 «(The House of Lords) is the supreme tribunal to
settle English law, and that being settled, the colonial court, which is bound
by English law, is bound to follow it», CJCP: 17 février 1927,
Robins c/ National Trust Company Ltd., AC, 1927, pp. 515 à 522, affaire
du Canada, Vicomte Dunedin rédacteur de l'arrêt.
22 «Le Comité Judiciaire a joué un grand
rôle dans le maintien de la cohésion entre les différents
systèmes de la Common Law», ALLOT Anthony: « L?influence du
droit anglais sur les systèmes juridiques africains» in CONAC
Gérard (dir): « Dynamiques et finalités des Droits
africains», précité, note 18, v. p. 9.
23 CJCP: 4 avril 1979, Ferdinand Perez de Lasala c/ Hannelore
de Lasala, AC, 1980, pp. 546 à 562, affaire de Hongkong, Lord Diplock
rédacteur de l'arrêt.
24 Le Canada, par exemple, avait conclu des arrangements avec
les Etats-Unis d?Amérique. V. GRIMAL Henri: «De l?Empire
britannique au Commonwealth», Paris, Armand Colin, 1971, 404 p., v. p.
283.
25 La décision canadienne d?abolir le droit d?appel
à Londres avait été avalisée par le Comité
Judiciaire. CJCP: 13 janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/
Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 127 à 155, affaire de Canada,
Lord-Chancelier Jowitt rédacteur de l'arrêt. Pour une traduction
française de cet arrêt, v. MARX Herbert: « Les grands
arrêts de la jurisprudence constitutionnelle du Canada», Les Presses
de l?Université de Montréal, 1974, 761 p., v. p. 17 à
30.
Depuis, un mouvement de suppression des structures
impériales avait gagné les moyennes et petites colonies. Elles
avaient accédé à la souveraineté avec une
rapidité extrême. La Grande-Bretagne avait doté chaque
nouvel Etat du Commonwealth d?une Constitution, suivant en cela le mouvement
universel de réaction politique et institutionnelle contre les
régimes du Nazisme. La conception d?infaillibilité de la Loi,
proche de la théorie de Dicey sur la Souveraineté du
Parlement26 était apparue très dangereuse et peu
protectrice des libertés dans ces nouveaux pays au lendemain incertain.
Après la guerre, les juristes et politiques avaient cherché
à donner à la société des institutions capables
d?empêcher la violation en série des droits
primaires27. Le rôle des Etats-Unis d?Amérique dans la
victoire militaire de 1944 et la libération de l?Europe continentale
avait conféré un prestige considérable aux institutions
judiciaires américaines et plus particulièrement à la Cour
Suprême fédérale qui assurait un contrôle de
conformité des Lois aux droits fondamentaux de la Constitution. Le
système judiciaire des Etats-Unis d?Amérique avait en grande
partie servi de modèle au constitutionnalisme du nouveau
Commonwealth28. Ce constitutionnalisme présentait trois
grandes caractéristiques bien affirmées dans les Constitutions
octroyées par la Grande-Bretagne aux nouveaux Etats29. Les
Constitutions avaient un caractère rigide et étaient
érigées en norme supérieure (lex superior) dans
l?ordonnancement juridique. Il y existait un catalogue des droits fondamentaux
largement inspiré de celui de la Convention Européenne des Droits
de l?Homme30. Il était prévu, comme aux Etats-Unis
d?Amérique, un système de contrôle juridictionnel des Lois
pour assurer de façon
26 En Grande-Bretagne, le principe de la suprématie du
Parlement est un des fondements du système constitutionnel. La Loi est
la norme supérieure et ne peut être annulée par le juge. V.
DICEY Albert Venn, KC: «Introduction to the study of the law of the
Constitution», 1885, Londres, Macmillan and Co. Ltd., 1962, 535 p.
27 ROUSSEAU Dominique: « La justice constitutionnelle en
Europe», Monchrestien, Clefs Politique, 1992, 160 p., v. p. 25.
28 «Le droit constitutionnel des Etats-Unis... a pris le
relais du droit constitutionnel anglais dans plusieurs Etats anglophones»,
CONAC Gérard, précité note 18, v. p. XIV.
29 Le Parlement britannique avait établi plus d?une
trentaine de Constitutions finales. Elles avaient, à l?origine, la forme
d?une Loi ordinaire du Parlement de Westminster ou d?une Ordonnance de la Reine
en Conseil. «We have something of a phenomenon: Whitehall lawyers must
have drafted at least 33 complete and final independence Constitutions during
this period, to say nothing of a deluge of intermediate instruments. And this
from almost the only country in the world to be itself without a written
Constitution...», DALE William: «The making and remaking of
Commonwealth Constitutions», ICLQ, 1993, pp. 67 à 83, v. p. 67.
30 La Grande-Bretagne, Etat signataire de la Convention, avait
étendu celle-ci à quarante-deux de ces colonies, dont l?île
Maurice. Ensuite les Constitutions avaient traduit dans l?ordre interne les
dispositions de la Convention. V. DE SMITH Stanley A.: «The new
Commonwealth and its Constitutions», Londres, Stevens and Sons, 1964, 312
p., v. p. 177 à 183.
Sur la similarité entre les Constitutions et la
Convention, v. CJCP: 14 février 1979, Minister of Home Affairs c/
Collins Mac Donnald Fisher, AC, 1979, pp. 319 à 331, affaire des
Bahamas, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt, v. p. 328.
efficace le respect des normes constitutionnelles31.
La Constitution de l?île Maurice du 4 mars 1968 répond
parfaitement à ce modèle32.
Le Comité Judiciaire, qui contrôlait aussi les
Lois de certains dominions aux règles de partage des compétences
entre les Etats fédérés et l?Etat fédéral
devenait, en outre, pour les nouveaux Etats du Commonwealth qui avaient
maintenu sa juridiction, un tribunal constitutionnel de second degré. Il
se lançait à partir des années soixante dans une
défense des libertés fondamentales et de l?indépendance du
judiciaire. Cependant, ce nouveau dynamisme du Comité Judiciaire, s?il
continue à se propager dans certains pays, dont principalement
l?île Maurice, s?est rapidement arrêté dans les pays
d?Afrique du Commonwealth qui avaient suspendu l?application de leur
Constitution. Le modèle de Constitution octroyé par la
Grande-Bretagne, qualifié de Westminster du fait qu?il reproduit le
système parlementaire britannique, avait connu des inadaptations, voire
des rejets. Les dirigeants africains du Commonwealth, comme ceux d?Afrique
francophone, avaient d?abord voulu construire la nation, l?unité
nationale et l?Etat et promouvoir le développement
économique33. Au nom de la thèse
développementaliste, le droit du peuple avait primé les droits de
l?homme. Ces derniers étaient considérées comme un
luxe34. La protection des droits de l?homme ne pouvait être
une priorité dans des sociétés où des hommes
vivaient dans le dénuement. L?impératif du développement
économique commandait des sacrifices dans le domaine des
libertés. L?abandon du modèle de Westminster était
accompagné de l?instauration du monopartisme et d?une
présidentialisation du régime35, plus proche de
l?image de la chefferie traditionnelle, et de la suppression du droit de
recours au Comité Judiciaire36.
31 DE SMITH Stanley A., précité, note 29., p.
77.
32 «Ce catalogue (des droits) permet de classer
l?île Maurice parmi les Etats qui se sont dotés - relativement
tôt- d?une Constitution de type moderne», PHILLIPE Xavier: «Les
nouvelles Constitutions mauricienne et malgache», intervention au
deuxième Congrès Français de droit constitutionnel, 13 au
15 mai 1993, Bordeaux.
33 «Il était inévitable que des principes,
des pratiques et des institutions aussi nettement reliés à
l?idéologie extérieure à l?Afrique subissent des
déformations. Il fallait prévoir que la transplantation
provoquerait des phénomènes de rejet... Les impératifs de
la construction nationale, l?influence des idéologies de
développement... ont conduit dans un deuxième temps à
modifier le contenu et la portée des garanties juridiques reconnues aux
individus», CONAC Gérard: «Les Constitutions des Etats
d?Afrique et leur effectivité», pp. 385 à 413, in CONAC
Gérard, précité, note 18, v. p. 393.
34 «Mr Kawawa said: A Bill of Rights merely
invites conflict between the executive and the judiciary; that is the kind of
luxury which we could hardly afford to entertain?», DE SMITH Stanley A.,
précité note 29, v. p. 2 13-4.
V. aussi AJAVON Ata: «La protection des droits de l?homme
dans les Constitutions des Etats de l?Afrique noire francophone», RJPIC,
1992, pp. 79 à 87 et MBAYE Kéba: «L?Afrique et les droits de
l?homme», RJPIC, 1994, pp. 1 à 16.
35 NWABUEZE B. O.: «Presidentialism in Commonwealth
Africa», Londres, C. Hurst and Co., 1974, 442 p.
36 MARSHALL H. H.: «The future of received English law in
the countries of the Commonwealth», CILJSA, 1982, pp. 87 à 91.
Aujourd?hui seuls l?île Maurice en Afrique, quelques
petits pays dans le monde et Hongkong, la Jamaïque et la
Nouvelle-Zélande ont maintenu la juridiction de Sa Majesté la
Reine d?Angleterre. Ces pays, à l?exception de la
Nouvelle-Zélande, du fait de leur petite dimension géographique,
ont des difficultés financières et techniques pour assurer
eux-mêmes le bon fonctionnement d?un tribunal suprême37.
En outre, à l?île Maurice, la juridiction de la Downing Street est
conçue comme un élément primordial au maintien de la paix
et la cohésion sociale. L?île Maurice étant un pays
multicommunautaire, les politiques et juristes ont préféré
la perpétuation des recours à Londres malgré l?accession
du pays au statut de République en mars 1992.
L?extériorité même de Conseil Privé et la haute
autorité morale de ses juges constituent la meilleure garantie de son
indépendance et impartialité38 et sont une source
d?apaisement. Autrement dit, le Comité Judiciaire permet de purifier le
débat juridique dans un pays où l?équilibre
intercommunautaire a été une des premières
préoccupations du constituant britannique.
Par ailleurs, si les relations entre la Cour Suprême de
l?île Maurice et le Comité Judiciaire sont
généralement harmonieuses, il s?avère que les divergences
de vue entre les deux institutions se sont amplifiées depuis les
années quatre-vingts. Le Comité Judiciaire, moins soucieux du
développement d?un droit national autonome que la Cour Suprême
locale, se sent de plus en plus tenu d?appliquer aux contentieux mauriciens les
solutions dégagées par la Cour Européenne des Droits de
l?Homme et des grandes juridictions étrangères telles la Chambre
des Lords et la Cour Suprême des Etats-Unis d?Amérique. Se
séparant des règles d?interprétation des normes
utilisées par le juge ordinaire anglais, le Conseil Privé
pratique une politique d?interprétation généreuse et
téléologique des normes fondamentales et accorde peu de place
dans ses arrêts aux considérations de politique du gouvernement
(public policy) souvent invoquées par la Cour Suprême de
Maurice pour limiter l?exercice des droits. La Haute Instance londonienne a
voulu renforcer le contrôle de constitutionnalité dans les pays
soumis à sa juridiction.
*
37 «Where it (the Privy Council) was once a court
primarily for the Dominions, now it is a court for the smaller Commonwealth
territories who do not have the resources to finance a second -tier court of
appeal of their own», OWEN D. H. O.: «The Judicial Committee of the
Privy Council», Londres, document non-publié, février 1994,
9 p., v. p. 6.
38 «... the Privy Council offered a forum for the
determination of appeals free from local passion and partisanship and was
therefore uniquely qualified for the task of protecting minorities against
victimisation», SWINFEN David B.: «Imperial appeal, the debate on the
appeal to the Privy Council 1833-1986», Manchester, Manchester University
Press, 1987, 268 p., v. p. 17.
A ce stade de notre exposé, il convient de souligner
l?intérêt de notre sujet et préciser le champ de nos
investigations, les difficultés gigantesques que nous avons
rencontrées, les principaux axes de notre recherche et
démonstration. Qu?il soit d?abord souligné que notre souci, en
tant que chercheur, a été d?élaborer un travail
scientifique exempt de tout subjectivisme.
L?intérêt premier des études auxquelles on
s?est livré est, du moins double. Premièrement, il consiste en
l?analyse en soi d?une grande institution qui n?a que rarement
éveillé l?attention de la doctrine à son
égard39. Il est, en effet, étonnant de constater qu?en
dehors de quelques travaux d?étudiants de la maîtrise en droit des
universités britanniques40, les ouvrages les plus
récents sur le fonctionnement de cette institution datent d?avant la
deuxième guerre mondiale41 ! Deuxièmement,
l?intérêt de notre sujet consiste en l?analyse du Comité
Judiciaire en tant que juridiction suprême de l?île Maurice, pays
où il n?existe, malheureusement pas de tradition doctrinale en
matière juridique. Ainsi, nos recherches représentent une
matière non seulement inexploitée mais extrêmement immense.
S?attacher à observer le Comité Judiciaire et suivre son oeuvre
en droit mauricien, c?est bien entendu reprendre souvent, pour une meilleure
compréhension, l?étude du droit dans tout le Commonwealth,
l?Angleterre incluse. L?île Maurice étant de surcroît un
pays où le droit d?origine française subsiste, notre tâche
a été davantage compliquée. Le droit mauricien
évolue dans un désordre inextricable dans lequel et le profane et
le juriste s?y perdent.
Le problème de l?immensité de notre sujet
débouche tout naturellement sur les difficultées de clarification
et de mise en ordre qui en sont le prolongement. On nous pardonnera d?avoir
beaucoup fait usage des notes de bas
39 Selon une anecdote, en 1900, un député
britannique, l?honorable Stanley Leighton, avait cherché pendant dix
années pour savoir où se situait le Comité Judiciaire.
N?ayant eu la réponse de personne, il décida de frapper à
toutes les portes du centre politique de Londres pour demander s?il
était bien au Comité Judiciaire. «Au cours de ses
investigations, il trouva un agent de police devant une porte, qui, en
répondant à sa question, lui indiqua un petit escalier, et en
entrant dans une salle du premier étage, il se trouva devant cette
majestueuse assemblée», The Parliamentary Debates (Hansard), House
of Commons, 4ème série, vol. 83, 14 mai 1900, v. p. 103-4.
40 THORTON Jennifer Anne: «A review of the Privy Council
Decisions (1966-1986) on individual rights and fundamental freedoms entrenched
in Commonwealth Constitutions», mémoire de maîtrise
(Master of Laws), Université de Cambridge, 1987 et WAREN A. E.:
«The Judicial Committee of the Privy Council and the British Commonwealth
1955-65», mémoire de maîtrise (Master of Arts),
Université de Dundee, 1983.
Il existe aussi une thèse de doctorat en langue
allemande. V. PHILLIP Christiane: «Das Judicial Committee of the Privy
Council und seine Gerichsbarkeit für das Commonwealth», thèse
de doctorat, Albrechts Universität Zu Kiel, 1990, 262 p.
41 BENTWICH Norman: «The practice of the Privy Council in
judicial matters», Londres, Sweet and Maxwell, 1937, 353 p. et PATEY
Jacques: «La Commission Judiciaire du Conseil Privé du Roi
d?Angleterre», thèse, Paris, 1938, 254 p.
de page. Nous avons voulu concilier notre argumentation avec
notre devoir d?explication afin de ne pas briser la fluidité dans le
développement de nos idées.
Conscient de la portée de notre sujet, il n?a tout de
même pas pu être question, dans le cadre obligatoirement
étroit de cette thèse, de présenter dans son
intégralité la très riche histoire du Comité
Judiciaire. Il nous a paru, cependant, indispensable d?analyser sous un angle
neuf et, notamment au regard du droit mauricien, la mise en place de
l?institution et son évolution, c'est-à- dire, sa
légitimité historique et juridique, avant de s?attarder plus
longuement sur l?organisation et le fonctionnement de l?institution.
Nous avons ensuite analysé, par référence
à la Haute Juridiction londonienne, le fonctionnement de la justice
constitutionnelle à Maurice. Nous avons mesuré les effet des
décisions du Comité Judiciaire sur le droit mauricien, plus
particulièrement le droit constitutionnel au sens large du terme, dans
un cadre chronologique défini: les trente dernières
années, autrement dit, depuis la mise en vigueur de la Constitution
mauricienne de mars 1968.
Notre plan procède d?un certain pragmatisme. Nous nous
sommes attaché dans un titre premier à démontrer la haute
qualité, les vertus et la grandeur de l?institution du Comité
Judiciaire, et, dans le deuxième titre, l?apport considérable du
Comité Judiciaire à l?exercice du contrôle constitutionnel
des normes à Maurice.
Il nous faut enfin apporter une précision d?ordre
méthodologique. Analysant une institution anglaise et un système
juridique dominé par la culture britannique, il nous a fallu traduire en
français des termes juridiques et des concepts anglais42.
Phénomène linguistique, les méthodes de traduction
acquièrent une importance particulière dans le rapprochement des
termes juridiques, en ce sens que bien des termes communs ont des sens
précis et se distinguent d?un pays à l?autre. La traduction des
termes par nos soins a obéi à un triple souci: souci de
compréhension, souci de conservation des sens et souci de
simplification. Nous avons voulu privilégier une approche
systémique, c'est-à- dire, une méthode qui consiste
à traduire des mots en tenant compte de leur rapprochement au
système juridique français, afin de ne pas déformer
notre
42 Nous suivrons les trois méthodes
sus-mentionnées distinguées par Maître Riyad DOOKHY, avocat
au Conseil Privé et à la Chambre des Lords, avec qui nous avons
eu plusieurs entretiens. V. en ce sens également ARMINJON Pierre, NOLDE
Baron Boris et WOLFF Martin: «Traité de droit comparé»,
LGDJ, 1952, 3 tomes, v. tome 1, pp. 14 à 33.
langage. La traduction implique d?abord une transposition de
sens43. Certains termes sont rebelles à cette méthode.
La traduction littérale est alors à
préférer44. Il nous a été, dans des cas,
nécessaire de distinguer les termes anglais des termes
équivalents français. Aussi, quelques termes ont
été traduits dans une perspective historique de façon
à conserver leur attachement à l?histoire 45.
Notre étude ne prétend pas à
l?exhaustivité. Le temps imparti s?y opposait. Nous formulons,
cependant, le voeu qu?elle ouvre quelques pistes de recherches futures sur le
droit du Commonwealth, le droit institutionnel britannique et le droit public
mauricien.
Enoncé du Plan
Titre I. La grandeur de l?institution du Comité
Judiciaire
Chapitre 1. La forte légitimité historique et
juridique du Comité Judiciaire
Chapitre 2. Les hautes qualités du Comité
Judiciaire
Titre II: L?apport du Comité Judiciaire à
l?exercice du contrôle des normes Chapitre 1. La richesse du
système mauricien de contrôle modelé par le Comité
Judiciaire
Chapitre 2. Les grandes lignes de la protection
constitutionnelle
Conclusion générale
43 Par exemple, pour désigner le Judge?, on
a cherché à définir le rôle de celui-ci dans la
mécanique juridique. C?est pourquoi on l?a traduit par haut
magistrat? au lieu de haut juge?. Le premier est,
conformément à la méthode systémique, plus
réel et indicatif. Le terme juge? comporte dans une analyse
savante une idée différente de magistrat?.
44 Etymologiquement traducere? veut dire
faire passer?. Dans la méthode littérale, il s?agit de
communiquer les signifiants par des signifiés d?une autre langue alors
que l?approche systémique consiste à rapprocher les signifiants
au détriment des signifiés. A titre illustratif, en
privilégiant la méthode littérale nous avons traduit
High Court? par Haute Cour? et non de Tribunal
de Grande Instance? alors même qu?elle statue sur des grandes affaires en
première instance.
45 Certains termes ont formé leur sens historiquement
en français. Par exemple, dans des cas nous avons traduit
Act? par Acte?. Le terme historique véhicule
l?idée originelle du système anglais.
TITRE I. LA GRANDEUR DE L'INSTITUTION DU COMITÉ
JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ
Institué il y a plus d?un siècle et demi, le
Comité Judiciaire appartient paradoxalement à l?histoire
constitutionnelle anglaise récente et aussi très ancienne tout en
présentant la particularité d?être l?un des rares organes
britanniques pourvus d?une base légale. Bien qu?il soit
créé par une Loi de 1833, ses origines remontent bien
au-delà du dix-neuvième siècle. Il nous apparaît que
le Comité Judiciaire émane, comme les grandes institutions
anglaises, tel le Parlement de Westminster, de la coutume, de la pratique,
voire des conventions constitutionnelles. Il est le produit d?une longue
évolution historique.
En effet, le droit anglais dans son ensemble a
évolué en une grande continuité historique46 et
n?a connu, de fait, ni un renouvellement complet par le droit
romain47, ni un renouvellement systématique par la
codification, qui sont les caractéristiques du droit français et
des autres droits de la famille romano- germanique (civil law). Il
s?est développé lentement et de façon presque autonome
même s?il a subi une certaine influence des Normands48. La
connaissance de l?histoire est dès lors indispensable lorsque l?on
envisage d?étudier une institution anglaise. Il y a lieu de rechercher
dans le passé les éléments de sa rationalité.
Le Comité Judiciaire nécessite donc d?être
examiné, d?abord, sous l?angle historique en tenant compte de
l?évolution de ses liens avec l?île Maurice (chapitre 1). Son
histoire, si longue et continue, constitue indubitablement la première
facette de sa grandeur.
Mais, du Comité Judiciaire, les justiciables attendent
de la compétence, l?indépendance et l?efficacité. La
composition de la Haute Instance répond-elle à ces
impératifs ? Aussi, une juridiction doit disposer des moyens
nécessaires pour assurer ses missions. La délibération
doit s?exercer dans des conditions permettant la sérénité
des réflexions et le sérieux des décisions. Le
46 «English law represented an unbroken development from
prehistoric time. There has been no conscious act of creation or
adoption», BAKER J. H.: «An introduction to English legal
history», Londres, Butterworths, 1990, 673 p., v. p. 1.
47 Sur l?apport des romains, v. BABINGTON Anthony: «The
Rule of Law in Britain from the Roman occupation to the present day»,
Chichester, Barry Rose, 1995, 318 p. L?auteur soutient que: «The system of
law which the Romans brought to Britain was an admixture of the sophisticated
and primitive... It bestowed on Britain four centuries of civilising influence
and of the Pax Romana», v. p. 12 et SCHWARZ-LIBERMANN Von Wahlendorf H.
A.: «Introduction à l?esprit et à l?histoire du droit
anglais», Paris, LGDJ, 1977, 138 p., v. p. 25 et s.
48 DAVID René et JAUFFRET-SPINOSI Camille: «Les
grands systèmes de droit contemporain», Précis-Dalloz, 1992,
10e édition, 523 p., v. p. 254-5.
fonctionnement du Comité Judiciaire répond-il
également à ces besoins ? Nous voudrions oeuvrer à
élucider ces questions en étudiant l?organisation et le
fonctionnement du Comité Judiciaire (chapitre 2) et démontrer par
là même les hautes qualités de l?institution.
CHAPITRE 1. LA FORTE LÉGITIMITÉ
HISTORIQUE ET JURIDIQUE DU COMITÉ JUDICIAIRE
L?histoire d?une institution est le gage de sa
légitimité et de sa force. Une institution, surtout
juridictionnelle, qui n?a pas à son actif une histoire, un passé,
est souvent confrontée à une serieuse difficulté de
reconnaissance. Tout organe public met un certain temps avant de pouvoir
s?imposer, d?être dignement reconnu et accepté par le peuple. A
titre indicatif, on peut citer le Conseil d?Etat français qui n?a pu
conquérir qu?avec une lenteur extrême une place définitive
dans le système juridique français.
L?histoire du Comité Judiciaire s?est formée
dans une double direction: d?une part, de façon exclusive en Angleterre
et éventuellement dans tout l?Empire et ensuite le Commonwealth, et,
d?autre part, en relation avec les pays soumis à sa juridiction et, en
ce qui nous concerne, l?île Maurice. Autrement dit, il existe une
histoire générale et une histoire particulière à
chaque pays.
A la lumière de cette observation, nous aborderons dans
un premier temps l?évolution du Comité Judiciaire en Angleterre
et dans le Commonwealth (section 1) et dans un deuxième temps le
développement de ses liens avec l?île Maurice (section 2).
SECTION 1. LA LENTE ÉVOLUTION DU COMITÉ
JUDICIAIRE EN ANGLETERRE ET DANS LE COMMONWEALTH
L?évolution du Comité Judiciaire fut lente et
prudente. Le Comité Judiciaire a succédé et
émané de plusieurs organes du Conseil du Souverain. Il nous faut
remonter très haut dans l?histoire, tout au début de
l?unification du royaume anglais, pour trouver son point de départ
(sous-section 1).
Par la suite, avec le développement de l?Empire
britannique, le Comité Judiciaire a connu un essor considérable
(sous-section 2), mais a été en déclin une fois l?Empire
lui-même affaibli (sous-section 3). Il convient d?analyser ce flux de
l?histoire du Comité Judiciaire et de démontrer comment il a
néanmoins permis de lui donner une nouvelle place dans le
Commonwealth.
Sous-section 1. Les origines lointaines du
Comité Judiciaire
L?origine du Comité Judiciaire remonte à la
création même de la monarchie, la Couronne, sinon de l?Etat
britannique.
La Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire49,
votée sous le règne du Roi Guillaume IV (1830-1837) et qui a mis
en place ladite institution n?a en réalité apporté que des
innovations de pure forme au fonctionnement juridictionnel du Conseil
Privé. La Loi n?a pas tant eu pour objet de déterminer les
compétences d?un nouveau comité autonome que de rationaliser
l?administration de la justice du Roi (paragraphe 3), telle qu?elle
était pratiquée au sein du Conseil Privé (paragraphe 2),
successeur de la Curia Regis (paragraphe 1).
Paragraphe 1. La Curia Regis ou la Cour du Roi
Dès les premiers temps de l?histoire de l?Angleterre,
les Rois anglo-saxons étaient entourés d?un certain nombre de
personnes de grande valeur et de grande probité qui composaient son
Grand Conseil, le Witan aussi dénommé le Witenagemot. Cependant,
ce Grand Conseil n?était pas perçu comme un bon instrument
susceptible d?imposer un gouvernement centralisé. La soumission au Roi
dépendait de sa plus ou moins grande personnalité que de son
autorité institutionnelle. Les Rois normands avaient donc introduit la
Curia Regis (A) telle qu?elle existait et évoluait en
France50, c'est-à-dire une institution qui exerçait
les fonctions d?un gouvernement centralisé. Mais avec l?évolution
de la société, qui devenait de plus en plus demanderesse de
droit, cet organe a subi des scissions (B).
A. L'introduction de la Curia Regis
La Curia Regis touchait à l?essence même de la
monarchie. Elle en était une institution majeure dont la connaissance
met en situation d?en comprendre les mécanismes profonds.
La Curia Regis avait une double fonction: instaurer et consolider
la féodalité (a) et exercer des fonctions de gouvernement et de
justice (b).
49 The Judicial Committee Act of 1833.
50 SUEUR Phillipe: «Histoire du droit public
français», PUF, Thémis, 1989, 2 vol., v. vol. 1 «La
constitution monarchique», 440 p.
a. L'unification féodale
Le Roi Guillaume I (1066-1087) se disait être un Roi
loyal alors même qu?il demeure un fait qu?il était un
conquérant. Les normands devaient imposer un pouvoir fort sur une
population qui n?avait pas beaucoup confiance en eux. Guillaume avait promis,
lors de son serment de couronnement, à l?Angleterre le respect de tout
le système qui existait avant lui bien qu?il eût établi une
société militaire dotée d?une administration
pyramidale.
La féodalité permettait l?implantation d?une
administration forte et centralisée51 et l?unification
complète du royaume52. La société anglaise
était peu évoluée et il existait une tendance naturelle
chez le plus faible à chercher appui auprès du plus fort. Les
normands avaient consolidé ces liens en créant une
dépendance réelle du petit au grand. L?administration royale
avait conféré sous condition de foi au suzerain, le protecteur,
un droit sur les terres du protégé, le vassal. Le système
aboutissait à ceci: chaque terre était tenue d?un suzerain, qui
tenait lui-même d?un autre suzerain supérieur. C?était la
pyramide féodale, au sommet de laquelle se trouvaient le Roi et son
Grand Conseil, qui seuls ne tenaient rien de personne53. Le Roi
était le suzerain de tous et selon la devise des normands, «le Roi
est la source de toute justice dans l?ensemble de ses dominions et exerce cette
compétence au sein de son Conseil, lequel donne des avis à la
Couronne»54. Le Roi Guillaume cumulait les fonctions de
commandeur et de juge. La Curia Regis lui avait permis de
pénétrer dans la conscience de ses sujets et son autorité
avait accru autant que l?étendue de sa justice.
b. La dualité des fonctions de gouvernement et de
justice
La Curia Regis n?avait pas connu à l?origine de
différenciation entre les diverses fonctions régaliennes de
l?Etat. Elle les exerçait toutes. Les membres de la Curia Regis
conseillaient leur Seigneur, le Roi, sur une variété d?affaires
sur lesquelles il demandait leur avis. Les pouvoirs de la Curia Regis
étaient peu précisés mais étaient très
importants dans la mesure où ils permettaient au Roi
51 LOVELL Colin Rhys: «English constitutional and legal
history», Oxford University Press, 1962, 589 p., v. p. 64. V.
également, STENTON F. M.: «The first century of English feudalism
1066-1166», Oxford, Clarendon Press, 1932, 311 p., v. p. 7 à 40.
52 LAMOINE Georges: «Histoire constitutionnelle
anglaise», PUF, Que sais-je ?, 1995, 128 p., v. p. 13 et s.
53 «Norman feudalism was grounded upon a logical theory
of tenure from which all the rights and duties of Lords and tenants
flowed», HOLDSWORTH William, Sir: «A history of English law»,
Londres, Sweet and Maxwell, 1966, 17 vol., v. vol. 1, p. 32.
V. aussi PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 15.
54 «The King is the fountain of all justice throughout his
dominions and exercises jurisdiction in his Council, which acts in an advisory
capacity to the Crown».
Ce principe est affirmé dans l?arrêt CJCP: 13
janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/ Attorney-General for Canada,
cité note 24.
de les utiliser au maximum. C?était grâce
à des prérogatives inhérentes à la fonction du Roi
que celui-ci avait fait de la Curia Regis l?organe le plus efficace et
centralisé qui existait en Europe de l?ouest55.
Comme une Cour ultime en toutes les matières, tant en
droit privé qu?en droit pénal, les membres de la Curia Regis
agissaient comme les délégués (justitiarii) du
Roi à la justice. Parfois le Roi envoyait ses conseillers dans
les comtés pour y percevoir les impôts et aussi rendre la justice
en son nom. La Cour, quant à elle, accompagnait toujours le Roi dans ses
déplacements et conquêtes et rendait justice là où
il le fallait. Le Conseil était ambulatoire. Le Roi était
toujours présent en son Conseil. Il faut aussi retenir que la Curia
Regis tranchait les litiges assez rapidement56 tant le Roi
était lui-même le mieux placé pour apprécier les
règles du royaume.
Les conseillers, appelés aussi Officiers de la Maison
du Roi (Royal Household Officers) vivaient au Palais et étaient
au nombre de dix à trente57. A leur tête se trouvait le
Chancelier (Chancellor).
55 HOLDSWORTH William, Sir, cité note 53, v. p. 34.
56 Ibid.
57 LOVELL Colin Rhys, cité note 51, v. p. 62.
B. La désintégration de la Curia
Regis
Avec le développement de l?Etat, l?existence de nouveaux
enjeux tel le besoin de financement du royaume, la Curia Regis fut
démembrée.
Elle avait subi deux grandes scissions qui aboutissaient à
la création des cours autonomes (a) et du Parlement, concurrent direct
du Conseil (b).
a. La création des cours autonomes et
souveraines
La centralisation de l?administration de la justice exigeait
bien plus que l?envoi en mission des légistes dans le pays. La
centralisation impliquait l?implantation à Londres des cours permanentes
et non plus itinérantes pouvant trancher des litiges compliqués.
C?est ainsi qu?au treizième siècle trois cours royales,
séparées de la Curia Regis tout en utilisant son personnel,
avaient été établies à Westminster58.
Sous le règne du Roi Henri II (1154-1189), la
Chancellerie commençait déjà à se distinguer et
devenait plus tard un département spécialisé au Conseil
à la tête duquel se trouvait le Chancelier59. Ensuite
au sein du petit corps des délégués du Roi à la
justice (justitiarii), une grande séparation s?était
produite. Un groupe de juges continuait à suivre le Roi dans ses
déplacements et forma peu après la Cour du Banc du Roi (Court
of King's Bench)60. Une autre cour, qui siégeait
à Westminster, avait pour nom la Cour des Plaids Communs (Court of
Common Pleas). Cette dernière était la traduction d?une
disposition de la Grande Charte (Magna Carta) de 1215, par laquelle le
Roi Jean Sans Terre (1199-1219) avait promis que les plaids communs ne
devraient plus suivre sa personne mais seraient examinés dans un lieu
fixe car il était souvent difficile aux justiciables de savoir où
était le Roi61.
Ces trois cours étaient connues sous le nom de Cours de
Common Law.
b. La création du Parlement
58 KINDER-GEST Patricia: «Droit anglais», Paris, LGDJ,
1993, 671 p., v. p. 225.
59 L?influence personnelle du Roi Henri II semble avoir
été prépondérante dans la mise en place de cette
nouvelle administration. V. FITZROY Almeric, Sir: «The history of the
Privy Council», Londres, John Murray, 1928, 348 p., v. p. 5.
60 Cette cour doit son nom au fait que le Roi avait pris
l?habitude de s?asseoir sur un banc lui aussi à côté des
juges. Elle avait une compétence tant en droit pénal qu?en droit
privé.
61 Holdsworth William, Sir, cité note 53, v. p. 34.
Les officiers du Roi le conseillaient quand il
légiférait. Lorsque le souverain avait besoin de moyens
financiers lors des événements inhabituels liés à
la vie féodale ou à la politique étrangère, il
devait demander des impôts aux villes et aux comtés.
La levée de l?impôt par le Roi exigeait le
consentement de ses sujets et il était pratiquement impossible pour tous
les chevaliers de la Couronne de venir siéger à la Curia Regis,
réunie en assemblée plénière. Une majorité
d?entre eux ne voulaient pas y siéger. Il avait donc été
décidé que les chevaliers pouvaient déléguer
certains de leurs pairs pour exprimer leurs voeux, consentements et autres
opinions au Roi. De là a surgi le principe de la
représentation62.
Au treizième siècle, le mot Parlement
apparaissait pour signifier l?assemblée de la Curia Regis qui comprenait
plus de membres que ceux qui y étaient présents tous les jours et
se réunissait pour discuter des questions de grande importance. A la fin
de cette période, la réunion du Parlement désignait aussi
le fait pour le Conseil de statuer sur des requêtes et pétitions
retenues par le clerc de ladite institution.
Ainsi, lorsque le Parlement se séparait
définitivement du Conseil, il emportait avec lui certains pouvoirs de la
Curia Regis, surtout en matière juridictionnelle, et qui étaient
qualifiés désormais d?attributions du Roi en Son Parlement
(the King in His Parliament). Pour aider cette nouvelle institution
à remplir ses fonctions judiciaires, des receveurs (receivers)
étaient nommés pour accueillir et classer les pétitions.
Les décisions des cours subalternes, notamment celles de la Cour du Banc
du Roi, étaient susceptibles d?appel devant le
Parlement63.
Toutefois, malgré le démembrement
opéré au sein du Conseil du Roi, celui-ci avait conservé
un résidu de justice (retenue) par opposition aux autres cours qui
n?étaient compétentes qu?en vertu d?une délégation
royale. Cette délégation ne pouvait priver le Roi de la
prérogative d?exercice de son pouvoir judiciaire
initiale64
Paragraphe 2. La réorganisation du Conseil
62 LOVELL Colin Rhys, cité note 51, v. p. 159-60.
63 C?est ainsi que la Chambre des Lords est encore aujourd?hui la
juridiction suprême en Grande- Bretagne.
64 DICEY Albert Venn: «The Privy Council», Londres,
Macmillan and Co., The Arnold Prize, 1847, 147 p., v. p. 12-13.
Suite à ces développements, il était
nécessaire de doter le Conseil du Roi d?une nouvelle structure. Si ses
compétences originaires étaient dispersées entre divers
organismes, il avait conservé des compétences vagues et mal
définies. Tout ce qui n?étaient pas délégué
lui appartenait toujours. Il avait ainsi suffi qu?une désorganisation
fût causée dans l?Etat par des troubles pour que les pouvoirs du
Conseil fussent accrus. Le Conseil regagna son prestige et sa suprématie
d?autrefois par la création en son sein de la Chambre Etoilée
(A). Par ailleurs, devant l?incapacité des cours de Common Law et du
Parlement de rendre justice en matière coloniale, le Conseil avait
été doté d?une compétence additionnelle (B).
A. La création de la Chambre Etoilée
En 1487, sous le règne de Henri VII (1485-1509), le
Parlement avait adopté une Loi portant création de la Cour de la
Chambre Etoilée (The Court of the Star Chamber). Cette Loi
avait, semble-t-il, pour objectif de mettre sur pied un tribunal
détaché du Conseil et doté d?une compétence
d?attribution. La Loi fut interprétée différemment et les
attributions du nouveau tribunal avaient été absorbées par
la Chambre Etoilée du Conseil qui existait de facto
déjà65. Sans entrer davantage dans la discussion
technique de ce point d?histoire, qu?il nous soit permis d?étudier en
revanche la mise en place (a) et le fonctionnement (b) de la Chambre
Etoilée afin d?apprécier son apport au développement des
compétences du Conseil.
a. Sa mise en place
La Chambre Etoilée, nommée ainsi à cause
des étoiles en cercle qui se trouvaient au plafond, était une
chambre du Palais de Westminster construite en 1347 et était
utilisée pour des audiences juridictionnelles du Conseil. Dans le
langage courant de l?époque, la Chambre Etoilée désignait
aussi la réunion de certains membres du Conseil pour juger des affaires
et avait plutôt tendance à acquérir une autonomie et se
séparer du Conseil.
Selon l?énoncé de la Loi de 1487, la Chambre
Etoilée devait être composée exclusivement du Chancelier,
du Trésorier, du Lord-Garde du Sceau Privé et des juges en chef
(Chief Justices) des cours de Common Law. Toutefois, la pratique
65 Cependant, Sir Edward Coke et Sir William Holdsworth
pensent que la Loi de 1487 n?avait pas supprimé la juridiction du
Conseil et investi une nouvelle dénommée Chambre
Etoilée?. Elle avait simplement conféré la charge de la
justice en matière de crime et d?ordre public à une chambre du
Conseil. Sur cette thèse, v. PATEY Jacques cité note 41, v. p.
27.
voulait que tous les membres du Conseil pussent siéger
dans la Chambre66. Aussi, ses compétences, limitées
selon les dispositions de la Loi, étaient devenues universelles. Par
conséquent, la Chambre Etoilée était presque
identifiée au Conseil. Le Roi présidait souvent les audiences et
le Roi Jacques I (1603-1625) avait même siégé dans un
procès pendant cinq jours consécutifs67. Le Souverain
rendait lui-même les jugements. Quand il n?avait pas assisté aux
débats, il prenait l?avis de ses conseillers, tout en conservant le
droit de modifier la sentence proposée68.
b. Son fonctionnement
Sous le règne de la dynastie des souverains de la
maison des Tudors, la criminalité constituait l?un des problèmes
majeurs de la Couronne. La Chambre Etoilée, telle qu?elle était,
offrait l?avantage de pouvoir juger les accusés sans la constitution
d?un jury et pouvait imposer plusieurs types de peine. Elle permettait au
gouvernement de poursuivre les auteurs des délits de sédition
rapidement.
Cependant, ce tribunal était vite devenu un instrument
de l?arbitraire et de la tyrannie. Il menait l?instruction dans la
clandestinité. L?accusé ne pouvait contre-interroger les
témoins adverses. Son silence était considéré comme
un aveu de culpabilité 69 . La Chambre Etoilée avait
le pouvoir d?arracher des aveux par des tortures qui étaient aussi
barbares les unes que les autres: brûlures au fer chaud, la mise au
pilori et le fouettement. Mais elle ne pouvait prononcer la peine de mort en
vertu d?un principe de Common Law qui voulait que seul un tribunal
composé d?un jury populaire eût un tel droit70 Elle
rendait la justice à l?image d?une société archaïque
et violente.
Les juristes de Common Law et l?opinion publique
désapprouvaient ces pratiques d?autant plus que parfois les juges
participaient eux-mêmes à l?exécution des sentences. Le
Lord-Chancelier Wriothesley, par exemple, avait serré les vis de
l?instrument de torture qui avait écartelé une femme à la
Tour de Londres (London Tower)71. Devant ces actes de
barbarie, certains juristes de Common Law avaient adressé à la
Reine Elisabeth I (1558-1603) une humble
66 CARTER A. T.: «Council and Star Chamber», LQR, 1902,
vol. 18, pp. 247 à 254.
67 DICEY Albert Venn, cité note 64, v. p. 101.
68 PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 29.
69 FITZROY Almeric, Sir, cité note 53, v. p. 118 à
126.
70 LOVELL Colin Rhys, cité note 45, v. p. 275. Le jury
avait pour objectif de légitimer la sentence. V. MILSON S.F.C.:
«Historical foundation of the Common Law», Londres, Butterworths,
1981, 475 p., v. p. 410 et s.
71 FITZROY Almeric, Sir, cité note 53, v. p. 125.
supplique contre les abus des membres du Conseil et contestaient
la légalité de la Chambre Etoilée.
Il était revenu au Roi Charles I (1625-1649) de
convoquer en 1640 le Parlement72 qui adopta une Loi portant
abolition de la Chambre Etoilée et réglementation du Conseil
Privé73. La Loi reprenait des dispositions de la Grande
Charte dans son préambule et rappela que les juges de la Chambre
n?avaient pas agi dans les limites de la Loi74.
B. La compétence du Conseil Privé en
matière coloniale
Le Conseil Privé, la nouvelle appellation du Conseil du
Roi75, qui avait survécu à l?abolition de la Chambre
Etoilée était une institution dotée d?une
compétence plus réduite que le Conseil du Roi. Le Conseil
Privé se réunissait en secret que pour délibérer
sur la politique du gouvernement76 et exercer un pouvoir
juridictionnel d?appel à l?encontre des décisions des cours
coloniales. Après avoir été l?instrument clé de la
consolidation du royaume britannique, le Conseil Privé devint un
élément majeur de la logistique conquérante de la
Grande-Bretagne. En effet, sous le règne du Roi Henri VII (1485-1509),
des justiciables des colonies avaient pris l?habitude de recourir au Roi pour
trancher des litiges (a). Avec le regain d?intérêt des plaideurs
pour l?institution, des comités spécialisés avaient
été créés au sein du Conseil Privé pour
entendre ces appels (b).
a. L'origine des recours des justiciables au Roi
Les habitants des îles Anglo-Normandes (Channel
Islands) avaient revendiqué avec succès le privilège
d?un appel gracieux au Roi en tant que Duc de Normandie en vertu d?un droit
acquis77. Ces îles étaient considérées
comme étant trop petites pour pouvoir elles-mêmes disposer d?une
cour souveraine78.
72 Cette réunion était connue sous le nom de
Long Parlement?. V. sur le sujet MAUROIS André:
«Histoire d?Angleterre», Paris, Librairie Arthème Fayard,
1937, 754 p., v. p. 423 et s.
73 «An Act for the regulation of the Privy Council and for
the taking away of the Court commonly called the Star Chamber.»
74 HOLDSWORTH William, Sir, cité note 47, v. p. 515.
75 Selon Albert Venn Dicey, l?expression Conseil Privé
était apparue bien auparavant sous le règne du Roi Henri V
(1399-1413). Les termes Conseil? et Conseil Privé?
évoquaient à l?époque l?ancien Conseil du Roi. V. DICEY
Albert Venn, cité note 58, v. p. 43.
76 Le cabinet prit naissance de cette pratique. Son
fonctionnement ne s?était jamais codifié. Aussi, c?est ce qui
explique que le Comité Judiciaire, qui est un organe du Conseil
Privé tout comme le Cabinet, se trouve à la Downing Street.
77 «Ce devait être le bien modeste début de la
juridiction la plus étendue au monde», PATEY Jacques, cité
note 41, v. p. 24.
78 Sur le début de ces appels, v. SMITH Joseph Henri:
«Appeals to the Privy Council from the American plantations»,
Columbia University Press, 1950, 770 p., v. p. 11.
Une Ordonnance en Conseil (Order in
Council)79 prise par le Roi Henri VII en 1495 disposait que les
appels en provenance de ces îles ne devaient être portés
à aucune autre cour d?Angleterre, mais au Roi et à son Conseil
(au Roy et a Consaill). Avec l?émergence de nouvelles colonies,
le recours au Conseil devenait un moyen pour la Couronne de contrôler les
affaires de ses colonies d?autant que les ressortissants britanniques de l?Inde
désapprouvaient la justice de la Compagnie des Indes Orientales
(East-India Company). La justice royale devenait le contrefort du
pouvoir impérial et un facteur d?unification et d?intégration des
possessions acquises.
Une Ordonnance en Conseil de 1580 avait fixé les
premières règles de procédure devant le Conseil à
l?égard de l?île de Guernesey. L?Ordonnance réglementait le
délai dans lequel l?appel devait être interjeté, la
manière pour l?appelant de faire transmettre par les autorités de
l?île le dossier et les questions de frais et de cautions
conformément aux anciennes coutumes de l?île80.
Le Conseil Privé, dépourvu de toute
compétence juridictionnelle en droit interne depuis l?abolition de la
Chambre Etoilée, était plutôt composé de conseillers
personnels et de conseillers politiques du Roi que de juristes, hormis le
Lord-Chancelier et le Lord-Garde du Sceau. En certaines occasions, il avait
été nécessaire aux conseillers du Roi de consulter des
juristes non-membres du Conseil pour trancher des litiges. Aussi, le traitement
des appels n?était-il fondamentalement pas différencié des
affaires politiques81.
En revanche, il y avait là un début de
spécialisation. Mais le droit général d?appel au Roi
n?était pas encore expressément proclamé et certains
dirigeants des colonies déniaient son existence82. Par la
suite, le Roi affirmait et revendiquait sa prérogative dans ses
communications avec ses représentants dans les colonies.
b. La création des comités
spécialisés
Il était devenu nécessaire de mettre au point une
organisation dont la finalité était la spécialisation en
matière juridique et, par voie de conséquence,
79 L?Ordonnance en Conseil est une décision
exécutoire à portée générale ou individuelle
signée par le Souverain.
80 SAFFORD Frank: «The practice of the Privy Council in
judicial matters», Londres, Sweet and Maxwell, 1901, 1136 p., v. p.
702.
81 SMITH Joseph Henri, cité note 78, v. p. 24.
82 Ibid.
l?efficacité de la justice royale. Ainsi, en 1661, le
Roi Charles II (1660-1685) créa avec peu de succès une instance
spécialisée dénommée Comité d?Appel
(Appellate Committee) au sein du Conseil. En 1681, il fut
constitué au Conseil un Comité pour les Affaires Commerciales
(Committee for the Business and Trade). C?était un
comité permanent (Standing Committee) devant s?occuper de tout
ce qui concernait les colonies de Guernesey83. La procédure
n?était pratiquement pas réglementée, mais une Ordonnance
en Conseil de 1683 avait prévu un dépôt de cautionnement
(sufficient security) alors que la même année, Lord
Keeper North, dans un arrêt célèbre84, affirmait
le principe selon lequel dans les endroits tenus en don de la Couronne, il
existait un droit de recours au Roi en Son Conseil.
En 1687, il avait été décidé que
tous les Lords du Conseil Privé devaient composer le Comité pour
le Commerce et les Plantations (Committee for Trade and Plantations)
ainsi créé. Ce comité avait plus ou moins les mêmes
compétences que le précédent. Cependant, il ne
fonctionnait pas comme une juridiction. Il pouvait rendre sa décision
sans avoir entendu une des parties et la procédure était
informelle.
Après la Glorieuse Révolution de 1688-89, un
Comité de Lords Commissaires de Commerce et des Plantations
(Committee of Lords Commissioners of Trade and Plantations) avait
été créé. Il fallait en priorité
contrôler et diriger le commerce extérieur du royaume et trancher
les litiges dans le sens le plus favorable à celui-ci. Un
élément de procédure fut institué. Une Ordonnance
en Conseil de 1696 disposait qu?un quorum de trois Lords du Conseil
Privé était nécessaire pour statuer sur des appels venant
des plantations85. Le Comité devait établir un rapport
à Sa Majesté sur chaque affaire86.
Avec le développement de l?Empire britannique aux
dix-septième et dix- huitième siècles, le nombre de
pourvois au Conseil augmenta considérablement87. La lenteur
de la procédure constituait, toutefois, un problème majeur tant
la communication avec la métropole n?était pas rapide et le
Conseil était essentiellement un organe exécutif plus
préoccupé de l?administration que de
83 BENTWICH Norman, cité note 41, v. p. 2.
84 Haute Cour d?Equité: 14 julli 1683, Jennet and Ux? c/
Bishopp and Al?, ER, vol. 23, Chancery, affaire n° 181 p., 403, Lord
Keeper rédacteur de l'arrêt, rapporté par Thomas Vernon.
85 SAFFORD Frank cité note 80, v. p. 704-5.
86 Ibid.
87 De 1674 à 1694, le Comité avait statué
sur 60 appels des plantations américaines. De 1726 à 1833, il y
avait 300 pourvois de la seule Cour Suprême de l?Inde.
rendre la justice. En 1833, il était impératif de
rationaliser le système et créer un tribunal permanent.
Paragraphe 3. La création du Comité
Judiciaire
Les juges siégeant dans les différents
comités du Conseil Privé n?étaient familiers qu?avec le
droit anglais88 alors qu?ils statuaient sur des affaires impliquant
le droit de plusieurs familles juridiques. Ils avaient des difficultés
techniques et il leur fallait chercher de l?aide de
l?extérieur89. Le Conseil fonctionnait de manière
défectueuse. Il fallait, pour que cette juridiction conservât son
prestige, créer un corps judiciaire de grande valeur. Ainsi, la Loi de
1833 instituant le Comité Judiciaire au sein du Conseil Privé
rationalisa la justice en matière coloniale (A). Accessoirement, la Loi
consolida la compétence du Conseil en droit interne (B).
88 Auparavant, les juges statuaient sur des litiges
commerciaux de Common Law. Avec le peuplement des colonies, les affaires
avaient changé de nature et les juges durent appliquer les droits
locaux.
89 Par exemple, en 1827, deux pourvois de l?Afrique du Sud
dans lesquels étaient en cause le droit hollandais avaient
été déférés à un juge hollandais et
deux avocats parisiens. V. BURGE William, KC: «Observations of the supreme
appellate jurisdiction of Great-Britain as it is now exercised by the Courts of
the Queen in Council and the House of Lords», Londres, Saunders and
Benning, Legal Pamphlet, 1841, 63 p., v. p. 21 à 23.
A. La rationalisation de la justice en matière
coloniale
Le projet de loi de réforme de 1833 avait
été inspiré par le Lord - Chancelier90 Henry
Brougham91. L?objectif avéré était que la
formation juridictionnelle du Conseil Privé fût composée de
personnes connaissant non seulement la Common Law mais aussi des droits
étrangers92. Selon la Loi de 1833 et des Lois
ultérieures, le Comité Judiciaire du Conseil Privé ainsi
créé, devait être composé de professionnels du
droit, c'est-à-dire, à l?exception du Lord-Président du
Conseil, des membres du Conseil qui avaient exercé de très hautes
fonctions dans la magistrature: les Lords judiciaires (Law
Lords)93, les Lords-Juges d?appel (Lords Justices of
Appeal)94 et aussi de deux hauts magistrats des
dominions95, de la Cour Suprême de l?Inde ou celle d?autres
colonies. Les membres non-juristes du Conseil ne pouvaient y siéger pour
trancher des litiges.
Aussi, la Loi, tout en posant le principe d?un droit de
recours des justiciables des colonies au Conseil, juridicisait et uniformisait
la procédure utilisée devant les anciens
comités96.
Il convient de souligner que la Loi de 1833 régit
encore aujourd?hui en grande partie le fonctionnement du Comité
Judiciaire. Certaines de ses dispositions ont été
réformées et complétées, notamment par l?Ordonnance
en Conseil du 24 novembre 1982 intitulée «Règles sur la
compétence d?appel du Comité Judiciaire»97.
Ainsi, l?institution du Comité Judiciaire, nouveau
organe du Conseil Privé, était conçu pour assumer une
fonction à la fois lourde et difficile. Il devait être une
institution pouvant dire le droit à l?égard de plusieurs pays et
systèmes juridiques. Etant une institution suprême, ses
décisions devaient être
90 Le Lord-Chancelier exerce les fonctions d?un ministre de la
justice.
91 SWINFEN David B.: «Henry Brougham and the Judicial
Committee of the Privy Council», LQR, 1974, pp. 396 à 411 et HOWELL
P. A.: «The Judicial Committee of the Privy Council 1833-1876, its
origins, structure and development», Cambridge, Cambridge University
Press, 1979, 262 p., v. p. 23 et s.
92 Le Lord-Chancelier Henry Brougham avait
déclaré que: «... the judges (of the Privy Council) should
be men of the largest legal and general information, accustomed to the study of
other systems of laws besides our own, and associated with lawyers who have
practised or presided in the colonial courts», in BURGE William, KC,
cité note 89, v. p. 15-16. V. également HALDANE R. B.: «The
work for the Empire of the Judicial Committee of the Privy Council», CLJ,
1921 -23, pp. 143 à 155.
93 Les Lords judiciaires sont membres de la chambre haute du
Parlement britannique.
94 V. la Loi sur le Comité Judiciaire de 1881, in
CRACKNELL D. G.: «Law students? companion, English legal system»,
Kent, Old Bailey Press, 1995, 320 p., v. p. 73.
95 V. la Loi de réforme du Comité Judiciaire de
1895, ibid., p.74.
96 Nous laisserons pour le moment cet aspect de la Loi pour le
retrouver en son temps.
97 Judicial Committee (General Appellate Jurisdiction) Rules
Order 1982, S.I, N° 1676. Cette Ordonnance annule celle de 1957.
d?une qualité supérieure à celles des
juridictions qui lui étaient subordonnées. Le Comité
Judiciaire fut créé pour permettre sans grande difficulté
la soumission des pays conquis et leur population à la justice du
Roi.
B. L'extension de la compétence d'attribution
du Conseil en droit interne
La Loi de 1833 et d?autres Lois ultérieures ont
élargi la compétence ratione materiae du Conseil Privé en
droit anglais98. Il serait utile de mentionner, même
très brièvement, l?exercice de ces compétences par le
Comité Judiciaire. Nous serions incomplet si nous ne faisons un rapide
panorama des attributions de la Haute Instance londonienne en droit anglais.
Le Comité Judiciaire est la juridiction de dernier
ressort en matière d?amirauté et des prises maritimes. Il peut
réviser les décisions de la Cour d?Amirauté. Cette
compétence est tombée en désuétude depuis la fin
des guerres avec l?Empereur Napoléon.
Par contre, le Comité Judiciaire statue encore
aujourd?hui en matière ecclésiastique. L?Eglise d?Angleterre, qui
s?était dégagée de sa dépendance à
l?égard de Rome en 153399, est soumise au Roi et celui-ci, en
tant que Chef de l?Eglise d?Angleterre, assure la justice ultime en la
matière. Cette charge est conférée au Comité
Judiciaire.
Par ailleurs, la Haute Instance londonienne exerce une
juridiction de dernier ressort des décisions des Ordres de
médecins, celui des dentistes et des opticiens. Il peut aussi être
saisi d?une requête visant à destituer un député de
son siège à la Chambre des Communes (House of Gommons)
pour des raisons strictement disciplinaires100.
Enfin, le Comité Judiciaire peut agir pour le compte du
Conseil Privé comme un conseil juridique à l?égard de la
Couronne et du gouvernement. La Loi de 1833 dispose qu?il est loisible à
Sa Majesté de déférer au Comité Judiciaire toute
question pour avis par la procédure dite de consultation
extraordinaire (special reference). C?est un moyen pour le
gouvernement d?avoir l?opinion d?une
98 On attribue à Lord Brougham l?idée d?avoir
élargi le domaine du Conseil Privé en droit interne dans le but
d?absorber ultérieurement tout pouvoir juridictionnel de la Chambre des
Lords.
99 Sur le sujet, v. MAUROIS André, cité note 72, v.
p. 315 et s.
100 HALSBURRY?S LAWS OF ENGLAND: «The Judicial Committee
of the Privy Council», Londres, Butterworths, 1975, 56 vol., v. vol. 10,
pp. 355 à 389, v. p. 389. V. article 7 de la Loi de 1975 sur la
destitution des membres de la Chambre des Communes (House of Commons
Disqualification Act 1975).
haute autorité judiciaire sur un sujet'0'.
Cette fonction consultative peut rapprocher le Comité Judiciaire du
Conseil d?Etat français.
*
Telle est en résumé l?auguste histoire de
l?origine du Comité Judiciaire du Conseil Privé. L?Angleterre a
récupéré une institution d?origine française,
imposée à elle par les normands. Bien que la Curia Regis, devenue
Conseil Privé, eût évolué pratiquement en
parallèle avec son homologue de l?Hexagone pendant des siècles,
le Conseil du Souverain britannique devint, dans la deuxième phase de
son histoire, un organe essentiel de la géostratégie des
britanniques, ce qui conforta sa grandeur.
Il nous faut analyser la montée en puissance du
Comité Judiciaire au sein de l?Empire britannique.
Sous-section 2. La montée en puissance du
Comité Judiciaire
Le Comité Judiciaire demeurait un organe
discret'02 de l?Empire britannique. En réalité, il
exerçait une influence déterminante sur les colonies à la
fois sur le plan politique et juridique'03 malgré l?existence
au sein du gouvernement britannique des structures spécialisées
tel le ministère des colonies (The Colonial Office). La
politique des colonies faisait partie d?une sorte de domaine
réservé du Souverain. Le rôle du Comité Judiciaire y
était déterminant'04. Sa compétence
était aussi vaste et immense que l?Empire britannique. Lorsque celui-ci
s?agrandissait, la compétence du Comité Judiciaire
s?étendait également.
Il semble donc qu?une étude du développement de
l?Empire britannique (paragraphe 1) est importante à une bonne mise en
valeur des compétences
101 V. par exemple CJCP: 7 mai 1958, Re Parliamentary
Privilege Act 1770, AC, 1958, pp. 331 à 354, Vicomte Simmonds
rédacteur de l?avis. Le Comité Judiciaire était dans cette
affaire composé de sept Lords judiciaires.
102 Les grands ouvrages d?histoire sur l?Empire britannique
n?évoquent jamais le rôle joué par le Conseil
Privé.
103 «In the nineteenth century the Privy Council was seen
as part of the... cement which bound the British Empire together as one
coherent unit», CLARKE W. S.: «The Privy Council, politics and
precedent in the Asia-Pacific region», ICLQ, 1991, pp. 741 à 756 v.
p. 741.
104 «(The Judicial Committee was) the keystone of the
great edifice of Imperial federation», Nebit Wallace in PIERSON G. Coen:
«Canada and the Privy Council», Londres, Stevens and Sons, 1960, 115
p., v. p. 47.
Mr Reeve, Secrétaire du Conseil Privé, avait
écrit en 1875 que: «The Supreme Appellate authority of the Empire
or the realm is unquestionably one of the highest functions and duties of
sovereignty. The power of construing, determining and enforcing the law in the
last resort is, in truth, a power which overrides all other powers», in
SWINFEN David B.: cité note 38, v. p. 3 8-39.
ratione loci et ratione materiae du Comité Judiciaire
(paragraphe 2) et de son influence sur les différents systèmes
juridiques de l?Empire. Cette démonstration pourrait, à
première vue, nous éloigner de notre sujet mais il y a lieu, pour
apprécier convenablement la montée en puissance du Comité
Judiciaire dans le monde, de s?arrêter un instant sur le
développement de l?Empire britannique. Le pouvoir de la Haute Instance
londonienne dépendait directement de l?évolution de l?Empire.
Paragraphe 1. Le développement de l'Empire
britannique
La création de l?Empire britannique fut l?un des grands
faits de l?histoire du monde. L?Empire permit à une modeste île
européenne, la Grande-Bretagne, de demeurer pendant de longues
années la première puissance politique au monde105.
Par l?Empire la Grande-Bretagne exporta hors de ses frontières sa
civilisation, notamment sa langue, ses institutions et ses lois, surtout la
Common Law, et contribua au vaste mouvement d?occidentalisation du globe.
Les historiens distinguent en général trois
empires qui s?étaient succédé. Le premier prit naissance
avec le début de la colonisation anglaise et prit fin avec la
déclaration d?indépendance des Etats-Unis d?Amérique. Le
second, qui succède au premier, connut son apogée avant la
première guerre mondiale. Il disparaît définitivement
après la deuxième guerre mondiale. Le troisième naquit
après la deuxième grande guerre. Il fut transformé et
devint le Commonwealth.
Pour notre part, nous passerons en revue les deux premiers
empires, et analyserons le troisième dans la sous-section suivante lors
de l?examen du déclin du Comité Judiciaire.
105 BONIFACE Pascal (dir): «Atlas des relations
internationales», Paris, Institut des Relations Internationales et
Stratégiques, 1993, 171 p., v. p. 106.
A. Le premier Empire
Le premier Empire prit naissance sous le règne de la
Reine Elisabeth I (1558-1603) même si l?activité de conquête
par l?Angleterre avait débuté bien avant. Les marchands de
Londres voulaient réaliser de grands profits dans le commerce des
épices comme leur homologues étrangers. Les anglais
étaient devancés et voulaient eux aussi se lancer dans la
quête du Nouveau Monde. Un grand aventurier, Sir Francis Drake, qui avait
participé à la destruction de l?invincible Armada espagnole en
1588 avait, lors d?un tour du monde, observé la richesse des pays
à épices. Il avait fortement inspiré l?ambition
expansionniste des anglais. La Reine Elisabeth I se faisait la championne de la
doctrine du mercantilisme ou ce qui est aujourd?hui qualifié de
conquête indirecte (a) et encouragea les anglais à la convoitise
commerciale. L?Empire connut vite une grande expansion (b).
a. La doctrine de la conquête indirecte ou du
mercantilisme
Les britanniques avaient mis en place une stratégie
d?approche indirecte pour maîtriser le monde. Ils voulaient bâtir
l?Empire par l?économie106 et non seulement par la
conquête militaire.
En effet, les corsaires avaient compris que le
développement dépendait de l?acquisition des
établissements au-delà des mers. Il existait dans le nouveau
monde des zones libres dans lesquelles il était nécessaire de
s?établir pour découvrir et exploiter de l?or107. Ces
établissements pourraient aussi permettre l?expansion du
protestantisme108.
Par ailleurs, le système mercantiliste tendait à
faire des colonies des dépendances économiques de la
métropole, destinées à alimenter son commerce
d?importation et d?exportation, à stimuler son industrie et en
définitive à lui assurer de gros profits.
L?Etat britannique ne devait pas s?engager directement. Il
encourageait les initiatives privées et accordait son patronage à
des associations de citoyens désireux d?ouvrir de nouveaux
marchés dans le commerce maritime. Des
106 MATHEY Jean-Marie: « Comprendre la
stratégie», Economica, 1995, 112 p., v. p. 27 et s. sur la
stratégie des britanniques.
107 «... the dominant motive was the pursuit of wealth
and the comfort and power that go therewith», WALKER Eric: «The
British Empire, its structure and spirit 1497-1953», Cambridge, Bowes and
Bowes, 1953, 352 p., v. p. 5.
108 BAKER Ernest: «The ideas and ideals of the British
Empire», Cambridge, Cambridge University Press, 1946, 165 p.
compagnies de colonisation furent créées. Le
Royaume leur accordait le droit d?administrer et de peupler les terres
conquises.
Parmi les nombreuses compagnies qui avaient reçu une
charte à la fin du seizième siècle, deux avaient
particulièrement contribué au développement du premier
Empire. La première s?appelait la Compagnie de Virginie et fut à
l?origine de l?installation anglaise en Amérique du Nord. La seconde, la
Compagnie (anglaise) des Indes, avait le monopole du commerce aux Indes
Orientales et la pleine propriété des territoires acquis.
b. Les expansions coloniales
Le premier Empire, suivant l?implantation des deux grandes
compagnies, s?édifia à partir de deux pôles:
l?Amérique du Nord et les Indes.
La création des colonies de l?Amérique anglaise
s?échelonnait sur plus d?un siècle, de 1607 à 1732. Chaque
colonie de l?Amérique avait une structure propre. Les premiers colons
envoyés en 1606 par la Compagnie de Virginie pour chercher des mines
d?or avaient fondé le James Town. Lord Baltimore avait
créé en 1633 le Maryland qui devint une colonie de
propriétaires. Au nord se fondèrent la Nouvelle-Angleterre, une
colonie sans charte et spontanée109, et le Massachusetts. En
1664, la Nouvelle-Amsterdam fut ravie aux hollandais et devint New York.
L?éminent quaker William Penn donna son nom à une colonie, la
Pennsylvanie.
Au Canada, les français et les anglais se disputaient
de 1690 à 1697 et de 1702 à 1713. Suite aux Traités
d?Urecht de 1713, la France renonçait à la Terre- Neuve et aux
territoires de la Baie d?Hudson. Lors de la signature du Traité de Paris
le 10 février 1763, elle renonçait au Canada qui devint une
possession de la Couronne britannique.
La Compagnie des Indes Orientales (East India
Company) connut un essor rapide. Elle tira des profits immenses de son
trafic. Bien qu?au début elle se limitât strictement aux
activités commerciales, elle eut en 1624 le droit d?administrer ses
possessions de l?Inde. Plus tard, elle fut investie de privilèges
109 Des puritains qui avaient la même vision du monde
que les Lumières voulaient s?installer dans un territoire vierge pour
appliquer les règles démocratiques de l?âge moderne. Ils
avaient quitté l?Angleterre à bord du Mayflower. Ils
s?installèrent dans la Nouvelle-Angleterre et furent à l?origine
de la déclaration d?indépendance. Ils reçurent le titre de
Pères Pèlerins (The Pilgrim Fathers). V. HUSSEY W. D.:
«The British Empire and Commonwealth, 1500-1961», Cambridge
University Press, 1963, 363 p., v. p. 24.
régaliens: celui d?avoir des troupes, des armes, de
déclarer la guerre aux souverains indigènes, de rendre la
justice, de battre monnaie, de conclure la paix et ainsi de suite. Sur la route
des Indes Orientales, les anglais acquirent de nouvelles bases, tels la Sainte
Hélène en 1674 et le Gibraltar en 1704.
D?autre part, les navigateurs anglais conquirent quelques
terres en Indes Occidentales (West Indies). Entre 1620 et 1630, ils
prirent possession de Saint Christophe, Nevis, Barbade et, aussi, la
Jamaïque. Par le Traité de Madrid de 1670, l?Espagne céda
aux anglais ses possessions des Caraïbes.
Au dix-huitième siècle, l?Angleterre
posséda la meilleure marine du globe. Elle dominait un riche Empire
colonial (voir tableau 1 en annexe). Cependant, cet Empire devint victime de sa
gestion. L?Angleterre voulait toujours contrôler et monopoliser les
commerces. Mais les colons voulaient vendre leurs produits à ceux qui
les payaient plus cher. Les colons américains considéraient comme
un abus de pouvoir toute législation faite uniquement dans
l?intérêt de la métropole.
Les treize colonies d?Amérique se dressèrent contre
le gouvernement de Londres et proclamèrent leur
indépendance110. Le premier Empire n?était plus.
B. Le deuxième Empire
Le deuxième Empire surgit après la
Révolution industrielle qui transforma profondément la condition
humaine et le mode de vie (a). Devenue la première force industrielle du
globe, l?Angleterre poursuivit ses conquêtes (b).
a. La Révolution industrielle
La Révolution industrielle apporta une transformation
fondamentale dans le monde, l?une des plus importantes dont l?homme ait
tiré profit depuis la découverte du feu aux âges
néolithiques. Cette transformation consistait essentiellement en la
substitution de la machine à l?outil et la découverte des sources
nouvelles de force motrice grâce à la vapeur.
L?évolution se répercutait tout d?abord sur
l?industrie du textile et atteignit à la suite d?autres productions,
telles la sidérurgie et la construction
110 V. ibid., le chapitre sur «The loss of the thirteen
American colonies», pp. 119 à 137.
des navires à vapeur, des routes et de nouveaux moyens de
transport. Par exemple, l?Angleterre inventa la locomotive utilisant les voies
ferrées.
Avec le développement de son industrie
métallurgique, la Grande - Bretagne augmenta tant sur mer que dans les
colonies la marge de sa supériorité et put créer des
escales sur toutes les routes du monde. Sa marine, son commerce et sa
richesse111 crûrent prodigieusement alors que
s?édifiaient en même temps un nouvel Empire colonial, plus vaste
que le précédent.
b. Les conquêtes
Le deuxième Empire britannique débordait le
cadre des deux pôles du premier Empire. Le Canada, contrairement à
son voisin, les Etats-Unis d?Amérique, demeurait loyal à la
Couronne et devint un dominion en 1931. Après la grande mutinerie des
cipayes en 1857, la mainmise anglaise fut rétablie en Inde au bout de
plus d?une année de durs combats. A partir de 1858, l?Inde
dépendait uniquement de la Couronne britannique.
Afin de garantir la route des Indes, les britanniques
intervinrent en Egypte en 1882, contrôlaient Aden et étendirent
leur domination à la Birmanie. En Extrême-Orient, Hongkong et
Singapour et la Péninsule Malaise devenaient leurs relais commerciaux
avec la Chine.
Avec la découverte des mines d?or et des diamants, les
britanniques occupèrent des territoires de l?Afrique du Sud en 1806. Ils
établirent ensuite une domination coloniale du Caire au Cap après
l?occupation du Soudan, de la Rhodésie et l?annexion de Tanganyika.
Au dix-neuvième siècle, les îles de
l?Océan-Indien devenaient une véritable Mer
Impériale?112. Sauf quelques exceptions, les îles
passèrent toutes sous la domination britannique. A titre indicatif de la
conquête, on peut citer les Seychelles, Maldives, Laquedives, Andaman,
Nicobar, Chagos, Keeling, Isle de France (Maurice) et Rodrigues.
111 Les grandes importations d?Europe venaient de la seule
Grande-Bretagne.
112 CROKAERT Jacques: «Histoire du Commonwealth
britannique», PUF, Que sais-je ?, 1949, 120 p., v. p. 58.
Grâce aux oeuvres du capitaine Cook, l?Angleterre prit
également possession de l?Australie et de la
Nouvelle-Zélande113 à la fin du dix-huitième
siècle.
*
Telles étaient, en bref, les expansions de l?Empire
britannique qui atteignirent les limites même de notre planète
(voir tableaux 2 et 3 en annexe). L?Empire britannique était de loin le
plus vaste et le plus peuplé des Empires. Chaque pays conquis tombait
automatiquement dans le ressort du Comité Judiciaire. Il devint leur
juridiction suprême.
L?administration du second Empire différait du premier.
La colonisation fut souple et l?Angleterre pratiquait une politique
libérale. La colonisation fut même définie comme une
colonisation anticolonialiste?114.
La Grande-Bretagne n?imposa plus sur les pays conquis le droit
anglais et laissa subsister les droits locaux. En effet, si en 1608, la Cour du
Banc du Roi (King's Bench Division)115 avait posé le
principe selon lequel les lois d?un pays païen conquis étaient
vouées à l?abrogation 116, en 1774, les juges anglais
opérèrent un revirement du principe. Les pays conquis pouvaient
maintenir leurs droits quel que soit leur degré de
christianisation117. Cette tolérance amena le tribunal de la
Downing Street à statuer sur le droit de plusieurs familles
juridiques.
Enfin, la Grande-Bretagne accordait aux dominions le droit de
se gouverner eux-mêmes (the right to self-government). Ce
libéralisme s?expliquait par les difficultés rencontrées
par Londres avec les colons américains.
113 HUSSEY W. D., cité note 109, v. p. 168 à
183.
114 GRIMAL Henri: «Histoire du Commonwealth
britannique», PUF, Que sais-je ?, 1965, 128 p., v. p. 37.
115 Cour du Banc Roi: 1608, affaire Calvin, ER, King?s Bench,
vol. 77, pp. 377 à 411, le LordChef-Juge Edward Coke rédacteur de
l'arrêt.
116 «If a king comes to a Christian kingdom by conquest
seeing that he hath vitae et necis protestam, he may at his pleasure alter and
change the laws of that kingdom, but until he doth make an alteration of the
laws, those of the kingdom remain. But if a Christian king should conquer a
Kingdom of an infidel and bring them under his subjection, there, ipso facto,
the laws of the infidel are abrogated for that they are not against
Christianity, but against the laws of God and Nature contained in the
Decalogue», ibid., p. 398.
117 Cour du Banc du Roi: 1774, Campell c/ Hall, ER, King?s Bench,
vol. 98, pp. 848 à 899, Lord Mansfield rédacteur de
l'arrêt, rapporté par Lofft.
Cependant, le Comité Judiciaire substituait subtilement
le droit anglais aux lois locales à travers plusieurs techniques,
notamment celles de l?interprétation de la norme et l?importation du
droit anglais en cas de lacune de la loi locale. V. MATSON J. N.: «The
Common Law abroad: English and indigenous law in the British
Commonwealth», ICLQ, 1993, pp. 753 à 779.
Paragraphe 2. L'étendue de la compétence
du Comité Judiciaire en matière coloniale
En tant que juridiction suprême de l?Empire britannique,
le Comité Judiciaire était investi d?une compétence
ratione loci aussi vaste que l?Empire lui-même. Norman Bentwich soutenait
à juste titre, en 1936, que le Comité Judiciaire était le
plus grand tribunal connu de l?histoire118. Ainsi, du fait que la
Couronne laissait en vigueur les normes juridiques des pays conquis, le
Comité Judiciaire dut statuer sur des litiges portant sur le droit de
plusieurs familles juridiques. Sa compétence matérielle fut tout
aussi immense.
Analyser en détail la compétence territoriale et
matérielle de la Haute Instance londonienne conduirait à une
intéressante et démonstrative étude de l?influence du
Comité Judiciaire dans le développement du droit de nombreux
pays. Mais ce serait trop prouver de la grandeur du juge londonien. Bornons-
nous simplement à examiner de manière assez succincte le
traitement par le Comité Judiciaire des pourvois provenant de certains
pays seulement, des dominions (A) et colonies (B) dont les systèmes
juridiques furent étrangers à celui de la Common Law.
A. Les dominions
Le terme dominion désignait les grands territoires de
l?Empire où vivaient des populations blanches et qui s?administraient
eux-mêmes. Le gouvernement de chaque pays était responsable devant
l?Assemblée locale. Il bénéficiait d?une autonomie
complète dans les affaires intérieures119. Avant la
deuxième grande guerre, il existait cinq dominions, à savoir, le
Canada, la Terre-Neuve, l?Australie, la Nouvelle-Zélande et l?Afrique du
Sud.
Aux fins de cette étude, nous avons choisi deux
dominions, le Canada (a) et l?Afrique du Sud (b). Il y subsiste encore
aujourd?hui des droits différents de la Common Law. Le choix de
l?exemple du Canada se justifie également par le caractère
très riche et passionné de ses relations avec le Comité
Judiciaire.
118 «Its jurisdiction is more extensive, whether measured
by area, population, variety of nations, laws and customs, than that enjoyed by
any court known in history», BENTWICH Norman: «The rôle of
equity in the jurisdiction of the Judicial Committee of the Privy Council»
in BENTWICH, DE BUSTAMENTE et autres: «Justice and equity in the
international sphere», Londres, Constable and Co. Ltd., 1936, 59 p., v. p.
40.
119 BAKER Phillip Noël: «Le statut juridique actuel
des dominions britanniques dans le domaine du droit international»,
Recueil des Cours de l?Académie de Droit International, 1927, vol. IV,
pp. 247 à 491.
a. L'exemple du Canada
Quand le dominion du Canada fut créé, il
existait 60,000 colons français. Le Canada était composé
de neuf provinces dont le Québec. Hormis ce dernier où les
francophones constituaient 82 % de la population, les anglophones
étaient majoritaires dans les provinces. Dans l?ensemble politique
canadien, les francophones ne représentaient que 28 % de la
population.
Les français, après une lutte pour la
défense de leurs libertés linguistique, religieuse et culturelle,
avaient obtenu du gouvernement britannique l?adoption de la Loi de 1774 sur le
Québec qui garantissait la reconnaissance du culte catholique et la
législation française en vigueur en 1763, c?est-à-dire, la
Coutume de Paris. Bien que celle-ci fût abolie en août 1866, elle
avait été remplacée par un Code Civil inspiré du
Code Napoléon.
Chaque province disposait d?une organisation juridictionnelle
complète. Les justiciables pouvaient interjeter appel des
décisions des cours des provinces soit à la Cour Suprême du
Canada et, ensuite, au Comité Judiciaire à Londres, soit
directement à celui-ci.
A ce niveau de notre analyse, une interrogation
intéressante mérite d?avoir lieu: le Comité Judiciaire
fut-il protecteur de la minorité française ? Cette question est
complexe et difficile et tout élément de réponse doit,
à notre avis, être considéré avec prudence.
La Loi de 1867 sur l?Amérique du Nord Britannique
(The British North America Act), qui avait valeur constitutionnelle
à l?égard du Canada120, avait, dans ses articles 93 et
133, accordé des garanties en matière d?enseignement et d?usage
de la langue française. Mais, saisi d?un pourvoi fondé sur les
deux articles, la jurisprudence du Comité Judiciaire n?offrait aucune
originalité et n?était pas plus favorable à la
minorité française que celle offerte par la Cour Suprême du
Canada121. Ainsi, dans l?arrêt Ville de Winnipeg c/ Barret
122, le Comité Judiciaire avait débouté la
minorité catholique. Dans une autre
120 Pour une description du système constitutionnel du
Canada, v. WOEHRLING José: «La Constitution canadienne et
l?évolution des rapports entre le Québec et le Canada anglais de
1867 à nos jours», RFDC, 1992, pp. 196 à 250.
121 Sur le Comité Judiciaire et la protection des
minorités au début du dix-neuvième siècle, v. SCOTT
F. R.: «The Privy Council and the minority rights», QQ, 1930, pp. 668
à 678.
122 CJCP: 30 juillet 1892, City of Winnipeg c/ Barret, AC, 1892,
pp. 445 à 459, affaire de Canada, Lord Macnaghten rédacteur de
l'arrêt.
affaire123, l?instance londonienne approuvait la
solution de la Cour locale tout en reconnaissant à la minorité le
droit de se pourvoir par la voie politique, sous la forme d?un recours au
Gouverneur-Général.
Par contre, le Comité Judiciaire interprétait la
Loi sur l?Amérique du Nord Britannique dans un sens favorable aux
provinces 124. La Loi constitutionnelle énumérait dans
son article 91, les matières qui étaient du ressort du Parlement
du Canada. Le pouvoir délibérant fédéral pouvait
légiférer «pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement du
Canada»125. L?article 92 désignait les matières
qui expressément relevaient de la compétence législative
des provinces. Les juges de la Cour Suprême du Canada, nommés par
le pouvoir fédéral, tranchaient les litiges dans le sens le plus
favorable à la fédération alors que le Comité
Judiciaire adoptait une démarche inverse. Il était, dans de
nombreux litiges, question de savoir si le Parlement du Canada avait une
compétence générale ou simplement subsidiaire. Autrement
formulée, la question était celle-ci: le constituant britannique
avait-il voulu créer une confédération ou une
fédération ? Le Comité Judiciaire apporta à cette
interrogation des réponses qui eurent de grands retentissements. Il
avait plus ou moins neutralisé l?article 91 de la Loi126. Par
exemple, dans l?arrêt Hodge c/ la Reine127, le Comité
Judiciaire précisait qu?en vertu de la Constitution, les Parlements
provinciaux étaient souverains et avaient la même
compétence que le Parlement fédéral. Aussi, le
Comité Judiciaire annula-t-il plusieurs dispositions des lois sociales
dans les années précédant la deuxième guerre
mondiale. En 1935, le Parlement du Canada institua les assurances de
chômage. La Loi fut contestée par les autorités du
Nouveau-Brunswick. Le gouvernement faisait valoir que la Loi litigieuse
était conforme à la distribution constitutionnelle des pouvoirs
et que le chômage fût un problème national. Le Comité
Judiciaire déclara la Loi contraire à la Constitution parce
qu?elle entrait, selon lui, dans le champ de compétence des
provinces128. Quant au Québec, en tant que province
minoritaire, il tirait profit de la lecture
123 CJCP: 29 janvier 1895, Brophy c/ Attorney-General for
Manitoba, AC, 1895, pp. 202 à 229, affaire de Canada, Lord-Chancelier
Watson rédacteur de l'arrêt.
124 BROWNE G. P.: «The Judicial Committee and the British
North America Act», University of Toronto Press, 1967, 246 p.
125 «For peace, order and good government of
Canada».
126 Sur le conflit entre les deux institutions, v. GUIFFAULT
Didier: «La Cour Suprême canadienne dans l?ordre constitutionnel
fédéral», thèse, Université de Lyon III, 1978,
662 p.
127 CJPC: 15 décembre 1883, Archibald G. Hodge c/ The
Queen, AC, 1884-85, pp. 117 à 135, affaire du Canada, Sir James Peacock
rédacteur de l'arrêt.
128 CJCP: 28 janvier 1937, Attorney-General for Canada c/
Attorney-General for Ontario, AC, 1937, pp. 355 à 367, affaire de
Canada, Lord Atkin rédacteur de l'arrêt.
provincialiste de la Constitution par le Comité
Judiciaire129. Bénéficiant d?une plus grande
autonomie, sa spécificité était mieux
protégée.
b. L'exemple de l'Afrique du Sud
Lorsque les anglais acquirent définitivement la
souveraineté sur l?Afrique du Sud, il y vivait déjà, dans
les colonies du Cap, du Natal, de l?Orange et du Tansvaal, des colons
hollandais, c?est-à-dire, des Boers. Suite à des guerres de
défense de leurs libertés, les boers obtinrent du gouvernement
britannique l?adoption de la Loi sur l?Afrique du Sud de 1909 qui fondait
l?Union Sud Africaine. Cette Loi, de valeur constitutionnelle, disposait que la
langue anglaise et la langue hollandaise étaient l?une et l?autre langue
officielle du pays et devaient être traitées sur un pied
d?égalité. Par ailleurs, le droit hollandais et le droit
romano-hollandais (Roman-Dutch law) demeuraient en vigueur.
Les dirigeants hollandais manifestaient une hostilité
contre le droit de recours au Comité Judiciaire130. Ils ne
voulaient pas qu?un tribunal anglais, si éminents qu?en fussent ses
juges, administrât un droit différent du sien. Ils étaient
d?avis que les tribunaux locaux étaient mieux placés pour
appliquer le droit hollandais et que la Cour Suprême locale devait
trancher en dernier ressort leurs différends.
Vu ces réticences, le Comité Judiciaire
était principalement saisi des seules affaires portant sur le droit
romano-hollandais131 dans lesquelles des questions d?ordre
constitutionnel étaient soulevées 132.
Cependant, en 1933, le Comité Judiciaire accorda une
autorisation spéciale d?appel portant sur une affaire impliquant des
questions de droit romano-hollandais en matière
contractuelle133. Le Comité Judiciaire cassa la
décision de la Cour Suprême de l?Afrique du Sud. L?arrêt du
Comité Judiciaire
129 Mr Bradeur dit: «As to Canada, there is no part of
Canada more pleased with the decisions of the Privy Council than the province
of Quebec», in PIERSON G. Coen, cité note 104, v. p. 42.
130 C. J. G.: «The Privy Council», SALJ, 1935, pp. 277
à 285.
131 L?article 106 de cette Loi avait déjà
considérablement restreint le droit de se pourvoir au Comité
Judiciaire. Ainsi, de 1909 à 1949, le juge londonien ne fut saisi que de
dix pourvois.
132 CJCP: 8 juillet 1920, Whittaker c/ Durban Corporation, LJPC,
1921, pp. 119 à 126, affaire de l?Afrique du Sud, Vicomte Haldane
rédacteur de l'arrêt.
133 CJPC: 10 juillet 1934, Pearl Assurance Company c/ Government
of the Union of South Africa, AC, 1934, pp. 570 à 586, affaire de
l?Afrique du Sud, Lord Tomlin rédacteur de l'arrêt.
provoqua de vives critiques134 sur sa
compétence de la part des juristes et politiques de l?Afrique du Sud.
B. Les colonies et territoires
d'outre-mer
Parmi les grandes colonies, l?Inde occupait une place
primordiale et mérite qu?on s?y arrête (a). Nous évoquerons
aussi les îles Anglo-Normandes qui se distinguaient des territoires
conquis par leurs particularités (b).
a. L'exemple de l'Inde
Il existait en Inde, avant de la deuxième guerre
mondiale, plus de trois cent cinquante-cinq millions d?habitants composant
plusieurs communautés ethniques135. Les législations
variaient d?une communauté à l?autre. Par exemple, en droit de la
famille, les hindous et les musulmans avaient conservé leurs droits
propres136. Ces législations étaient peu respectueuses
des droits fondamentaux de l?homme. Le Conseil Privé se
prononçait sur la régularité de ces normes. Le
contrôle portait sur la moralité et la civilité des lois
religieuses. Il privait d?effet les normes inhumaines. A titre indicatif, en
1831, le Conseil Privé avait revu en appel une décision de la
Compagnie des Indes Orientales. Les requérants, des hindous de Calcutta,
demandaient au Conseil Privé l?annulation d?une décision du
Gouverneur-Général interdisant la pratique de
sutti?137. Selon cette coutume hindoue, à la mort
de l?époux, l?épouse devait se sacrifier et se donner la mort
elle aussi pour prouver sa fidélité envers le défunt. Le
Conseil Privé rejeta le pourvoi en vertu d?une jurisprudence constante
et de sa vocation à civiliser les normes juridiques des pays conquis. Il
confirma la décision du Gouverneur-Général.
Quant au droit musulman, qui existait aussi bien en Inde que
dans certains pays d?Afrique, le Comité Judiciaire s?était
entrepris de l?unifier. Il considérait que le juge d?un pays soumis
à son autorité devait appliquer le droit
134 «It was suggested... that the members of the Judicial
Committee were charged with impossible task in trying to apply a system of law
with which they were slightly acquainted», MARSHALL H. H.: «The
Judicial Committee of the Privy Council: a waning jurisdiction», ICLQ,
1964, pp. 697 à 712, v. p. 705 et WELSH R. S.: «The Privy Council
Act, 1950», SALJ, 1950, vol. LXVII, pp. 227 à 230.
135 Les hindous formaient 72 % de la population, les musulmans
21 %, les chrétiens 3 %, les bouddhistes et autres 3 %.
136 «It was a fundamental and persisting British policy
that, in matters of family law, inheritance, caste and religion, Indians were
not to be subjected to a single general territorial law», GALANTER Marc:
«Law and society in modern India», Delhi, Oxford University Press,
1992, 329 p., v. p. 18.
137 OWEN D. H. O., cité note 37, p. 2.
musulman tel qu?il l?avait défini et appliqué
même dans des affaires en provenance d?autres pays138.
b. L'exemple des îles Anglo-Normandes
Les îles Anglo-Normandes étaient des possessions
françaises du Roi d?Angleterre en tant que Duc de
Normandie139. Ces îles possèdent encore des statuts
juridiques et constitutionnels médiévaux140.
Les pourvois des îles Anglo-Normandes au Comité
Judiciaire peuvent poser des difficultés juridiques aux juges anglais du
fait de l?extrême ancienneté de leurs lois. Par exemple, le
Comité Judiciaire a statué sur une affaire impliquant un
clameur de haro? et une pétition de
doléance?. Devenir un clameur de haro est une solution
médiévale. Il suppose une situation dangereuse et permet de
protéger le propriétaire dans la jouissance de ses biens. S?il y
a une violation de la propriété d?une personne et que celle-ci
crie à haute voix haro, haro, haro?,
l?intéressé doit immédiatement cesser le
trouble141. De même, le Comité Judiciaire a eu à
appliquer la Charte aux Normands de 1314 dans une affaire relative à la
succession et la prescription de l?action civile142. La Charte a
été promulguée par le Roi français Louis X
(1314-1316). Elle était rédigée en un vieux
français, peu lucide à la compréhension comme leurs
Seigneuries l?ont souligné dans leur décision143. Les
Lords y ont invoqué plusieurs autorités françaises sur les
lois et coutumes de Guernesey.
*
Ces exemples démontrent l?extrême diversité
du champ de compétence du juge londonien. L?inventaire de
l?étendue de ce pouvoir avait incité les
138 CJCP: 10 octobre 1951, Fatuma Binti Mohamed Bin Salim
Bakhshuwen c/ Mohamed Bin Salim Bakshuwen, AC, 1952, pp. 1 à 14, affaire
de l?Afrique Orientale (Ethiopie), Lord Simmonds rédacteur de
l'arrêt, v. p. 14.
139 PATEY Jacques, cité note 41, v. p. 167.
140 LEMASURIER René: «Le droit de l?île de
Jersey», thèse, Paris, Editions A. Pédone, 1956, 344 p.
141 OWEN D. H. O., cité note 37, v. p. 4-5.
142 CJCP: 9 juin 1973, Adolphus Henri Vaudin c/ Adolphus John
Hamon, WLR, 1973, vol. 3, pp. 257 à 267, affaire de Guernesey, Lord
Wilberforce rédacteur de l'arrêt.
143 «The earlier law to which both statutes refer is
contained in la Charte aux Normands promulgated by King Louis X in 1314. The
relevant passage reads: «Item, que prescription ou la tenue de quarante
ans suffise à chacun en Normandie dorénavant, pour titre
compétent, ou toute justice haute ou basse, ou de quelconque autre chose
que ce soit. Et s?aucun de la duché de Normandie de quelconque condition
ou état qu?il soit possédé par quarante ans paisiblement,
qu?il ne soit sur ce molesté, en aucune manière de nos
justiciers, ne souffert être molesté...». This text, though
not simple, on careful examination, leads to conclusions upon which the present
appeal can be decided» ibid.
dirigeants locaux, une fois l?Empire affaibli, à
redéfinir la place qu?occupait le Comité Judiciaire dans le
système institutionnel des territoires de la Couronne.
Sous-section 3. Le déclin du Comité
Judiciaire
L?après deuxième guerre mondiale ouvrit
l?ère de la décolonisation. Il déclencha dans tous les
pays soumis à la domination anglaise, des révoltes contre
l?impérialisme. La grandeur, l?autorité et la compétence
matérielle du Comité Judiciaire furent réduites. Dans tous
les territoires occupés, le nationalisme se déchaîna
(paragraphe 1) au nom des principes de démocratie et du droit des
peuples à disposer d?eux-mêmes. Les populations des colonies
réclamèrent l?indépendance politique et judiciaire. Le
Comité Judiciaire ne pouvait s?adapter à cette évolution.
La légitimité de sa juridiction fut sévèrement mise
en cause dès lors que les autorités britanniques n?eussent
parvenues à le transformer en une cour suprême du Commonwealth
(paragraphe 2).
Paragraphe 1. La montée du nationalisme
A l?instar de la France, l?Angleterre était contrainte de
s?engager dans un processus de décolonisation après la guerre
(A).
Le Comité Judiciaire, perçu dans le Commonwealth
comme un organe de l?Empire britannique, devenait incompatible avec le statut
d?Etats indépendants des anciennes colonies. La mise en cause de
l?institution s?était intensifiée (B).
A. L'émancipation des territoires
Les colonies et dominions se rangèrent aux
côtés de la Grande-Bretagne lors des deux grands conflits
mondiaux. Les Premiers ministres des dominions étaient en
conséquence invités, dès le premier conflit, à
participer aux séances du Conseil de guerre (War Cabinet) qui
devint, par la suite, le Conseil de guerre impériale(Imperial War
Cabinet). L?Inde, compte tenu de son importance démographique,
était elle aussi représentée dans les conférences
ultérieures.
Les dominions participèrent à la
définition de leurs politiques extérieures et, notamment, aux
négociations de paix de 1919. Ils signèrent le Traité de
Versailles de la même année. Ils devinrent ensuite membres de la
Société des Nations.
Ce nouveau rapport de force avait contraint la Grande-Bretagne
à négocier elle-même avec ses dominions et colonies (a) et,
éventuellement, à leur accorder l?indépendance (b).
a. Le processus d'émancipation des territoires
Pour maintenir l?unité de l?Empire dans les prises de
position sur le plan international, la Grande-Bretagne organisa, en 1926, une
conférence sur le devenir de l?Empire. Le gouvernement de Londres
était déterminé à faire disparaître les
dispositions juridiques de l?Empire contraires à l?égalité
de statut entre l?Angleterre et les dominions. Il fut adopté une
résolution dite «la déclaration de Lord Balfour» selon
laquelle le Royaume-Uni et les dominions seraient des communautés
autonomes et égales en statut et ne seraient subordonnées les
unes aux autres sous aucun aspect de leurs affaires intérieures ou
extérieures.
Cette déclaration constatait l?existence au sein de
l?Empire d?un groupe de nations indépendantes, dont le seul lien
organique entre elles et la Grande- Bretagne était l?institution royale.
La Loi britannique de 1931 sur le Statut de Westminster (Statute of
Westminster Act), qui reprenait les termes de la déclaration de
Lord Balfour, disposait que le Parlement de Londres ne pouvait
légiférer à l?égard d?un dominion qu?à la
demande expresse de celui-ci. Les Parlements des dominions devenaient
entièrement souverains. La Loi de 1931 abrogea la Loi de 1865 sur la
validité des lois coloniales. Quant au Comité
Judiciaire144, les dominions possédaient la faculté
d?abolir à leur égard sa j uridiction145.
En ce qui concerne les colonies, leur volonté de
s?émanciper atteignit un point culminant après la deuxième
guerre. L?Inde réclamait le départ des anglais. Dans les autres
pays d?Asie, un sentiment anti-européen avait pris naissance et la
population se dressa contre la tutelle européenne146. De
même, les colonies africaines revendiquaient le droit à
l?indépendance.
Devant cette poussée du nationalisme, le gouvernement de
Londres décida de conduire les territoires coloniaux au stade du
gouvernement autonome (self-
144 JENNING Ivor: «The Statute of Westminster and appeals to
the Privy Council», LQR, 1936, pp. 173 à 188.
145 Les dominions s?étaient émancipés en
1931. A l?exception de l?Afrique du Sud, qui accéda au statut de
République en 1961, les dominions demeurent des monarchies
constitutionnelles où le souverain est la Reine Elisabeth II. V. BRADY
Alexander: «Democracy in the Dominions», Londres, University of
Toronto press, 1955, 614 p.
146 GRIMAL Henri, cité note 114, v. p. 98.
government)147 dans le cadre du
Commonwealth148. L?Angleterre ne s?était pas opposée
à l?émancipation de ses colonies et avait proclamé son
attachement au droit de ses colonies à disposer d?elles-mêmes.
147 L?Angleterre renonça volontairement à sa
souveraineté politique pour s?assurer, grâce à un climat de
bonne entente, le maintien de ses liens commerciaux et monétaires. V.
GRIMAL Henri: «La décolonisation, de 1919 à nos jours»,
Bruxelles, Editions Complexes, 1985, 351 p., y. p. 179.
148 CONAC Gérard, in CONAC Gérard (dir),
cité note 18, y. p. XI.
b. Le transfert de souveraineté
L?objectif du gouvernement de Londres était
d?accélérer l?évolution politique et constitutionnelle des
territoires d?outre-mer afin que des conditions d?installation d?un
gouvernement stable et responsable fussent présentes. Le Commonwealth
des Nations, organisation créée juridiquement par la Loi de 1931
sur le Statut de Westminster et qui s?était substituée
progressivement à l?Empire, fut un élément favorable
à la politique évolutive mise en oeuvre par
l?Angleterre149. La Communauté des Nations avait permis le
passage en douceur des colonies de l?Empire au stade d?Etats
indépendants du Commonwealth.
Ainsi, dès la fin de la deuxième guerre
mondiale, les autorités locales des grandes colonies, tels
l?Inde150 et le Ceylan (Sri Lanka), étaient
appelées à former des gouvernements qui devaient progressivement
prendre la direction des affaires politiques des dirigeants britanniques,
notamment du Gouverneur. Les institutions créées, le Conseil
Exécutif et le Conseil Législatif, qui devenaient ensuite
respectivement le gouvernement et le Parlement, traduisaient
profondément la nature des institutions du régime parlementaire
de la Grande - Bretagne. L?Inde obtint, même si le modèle
d?évolution n?avait pas fonctionné parfaitement, son
indépendance en 1947151 et le Ceylan en 1948.
Le processus d?évolution vers l?émancipation fut
très rapide en Afrique anglaise152. L?introduction des
autochtones dans les conseils locaux avait accéléré les
revendications nationalistes. Chaque réforme et chaque avancée
proposée et octroyée par la Grande-Bretagne furent
dépassées par de nouvelles revendications jusqu?à
l?accession des pays à l?indépendance. L?Angleterre
établissait alors une Constitution dite finale? pour chaque
nouveau pays.
B. Le retrait des nouveaux Etats du champ de
compétence du Comité Judiciaire
Depuis la promulgation de la Loi de 1931 sur le Statut de
Westminster, les juristes et politiques de certains dominions, puis des
nouveaux Etats du
149 JUDD Denis et SLINN Peter: «The evolution of the modern
Commonwealth 1902-80», Londres, Macmillan, 1982, 171 p., v. p. 97 et s.
150 FISCHER Georges: «Le Parti travailliste et la
décolonisation de l?Inde», Paris, Librairie François
Maspéro, 1966, 341 p.
151 PARSAD Rajendra: «The new Indian Constitution», pp.
123 à 133, in BAILEY Sydney D. (dir): «Parliamentary Government in
the Commonwealth», Londres, Hansard Society, 1951, 217 p.
152 «L?avance constitutionnelle était l?aspect le
plus important de la nouvelle politique. Elle ne posait, en principe, du
côté de la Grande-Bretagne, aucune difficulté doctrinale:
les territoires africains auraient simplement à suivre la voie
déjà tracée par les dominions et Ceylan», GRIMAL
Henri, cité note 147, v. p. 225.
Commonwealth, avaient mis en avant les imperfections et
l?archaïsme de l?institution londonienne et demandait par
conséquent sa dissolution.
Il serait utile de recenser les critiques émises à
l?encontre du Comité Judiciaire (a) avant d?évoquer
l?appauvrissement de sa compétence (b).
a. Les griefs invoqués par les nouveaux Etats
Les critiques à l?égard du Comité
Judiciaire furent nombreuses et variées. La réticence
fondamentale au droit de recours au Comité Judiciaire provenait, non pas
des imperfections du système, mais plutôt de son existence
même. En accédant à l?indépendance, les nouveaux
Etats considéraient les appels à Londres comme incompatibles avec
leur souveraineté parlementaire et judiciaire. Cet argument tenace fut
le refrain de toute réflexion sur la justice londonienne par les
autorités des nouveaux Etats. Le Comité Judiciaire
représentait un des derniers insignes du colonialisme153.
Aussi, certains juristes du Canada considéraient que la Haute Instance
londonienne portait atteinte à la crédibilité de la Cour
Suprême et inhibait le développement de son statut et de son
prestige154. La Cour Suprême s?éclipsait devant le
Comité Judiciaire.
Les dirigeants politiques canadiens voyaient dans le maintien
de la juridiction londonienne une anomalie. Les litiges d?ordre constitutionnel
d?un grand pays, tel le Canada, ne pouvaient être tranchés par un
organe juridictionnel étranger, autrement dit un tribunal
anglais155. L?éloignement géographique du
Comité Judiciaire portait préjudice à la
légitimité de ses décisions. Le juge londonien ne
disposait pas d?une bonne connaissance des situations et des subtilités
locales nécessaires à la bonne administration de la
justice156 d?autant que le Comité Judiciaire était
composé à majorité ou unanimement de juges anglais.
Très peu de juges des ex-colonies furent nommés membres du
Conseil Privé malgré l?existence de dispositions
législatives à cet effet157. Par ailleurs, la
composition de la formation de jugement du Comité
153 GORDON G. M., DE B. FARRIS J. W. et SCOTT F. R.:
«Abolition of appeals to the Privy Council: A symposium», CBR, 1947,
pp. 557 à 572. v. p. 571.
154 «The existence of the Privy Council undermined the
credibility of the Supreme Court and inhibited the development of its status
and prestige», CAIRNS Alain.: «The Judicial Committee of the Privy
Council and its critics», RCSP, 1971, pp. 301 à 345, v. p.
344-5.
155 GUIFFAULT Didier, cité note 126, p. 14.
156 «The real complaint against the Committee in terms of
judicial competence was that, its very nature, being composed in practice of
entirely of U.K. judges, it could not possibly match local practitioners in
their knowledge of local law and conditions», SWINFEN David B.,
cité note 38, v. p. 11.
157 Les Etats du Commonwealth n?avaient pas les mêmes
garanties de représentation au Comité Judiciaire que les
écossais en ont à la Chambre des Lords. Seuls les dominions et
l?Inde pouvaient avoir un de leurs juges siéger au Comité
Judiciaire.
Judiciaire variait de temps en temps. Le personnel
n?était pas stable car les juges étaient désignés
de manière occasionnelle'58 et la jurisprudence, en ce qui
concernait le Canada, fut fluctuante, voire contradictoire d?autant que le
Comité Judiciaire n?était pas lié par ses propres
décisions.
L?égalité d?accès de tous les
justiciables à la justice londonienne n?était pas assurée.
Très coûteuse, la justice londonienne était
fondamentalement injuste. Les moins fortunés furent
défavorisés. L?aide juridictionnelle prévue (qui a pour
appellation formâ pauperis?) ne permettait pas à tous
les justiciables de revenus modestes d?en bénéficier. Seuls ceux
qui ne possédaient pas plus, à l?époque, de £ 5
pouvaient recevoir cette aide.
b. L'appauvrissement du champ de compétence du
Comité Judiciaire
Plusieurs pays mirent fin à la compétence du
Comité Judiciaire à leur égard et il serait utile de
rappeler quelques grandes dates.
Le premier pays à abolir le droit d?appel au
Comité Judiciaire fut l?Etat Libre d?Irlande (The Irish Free
State). La Constitution de 1922 avait établi une Cour Suprême
mais elle ne comportait aucune disposition relative au droit de recours au
Souverain d?Angleterre. Le Comité Judiciaire s?était reconnu
compétent à l?égard de l?Etat Libre d?Irlande en
considérant que son pouvoir relevait d?une convention constitutionnelle
bien établie. En 1933, le Parlement irlandais adopta une Loi
Constitutionnelle annulant le droit de recours au Roi d?Angleterre.
L?histoire de l?abolition des appels par le Canada fut
passionnée. En 1926, une première tentative d?abolition partielle
du droit de recours fut tenue en échec par le Comité Judiciaire.
Le tribunal londonien annula la disposition législative qui lui est
relative en vertu de la Loi de 1865 sur la validité des lois coloniale
s'59.
Nous avons vu qu?en 1931 la Loi sur le Statut de Westminster
proclama la souveraineté des parlements des dominions. Ainsi en 1933, le
Parlement canadien vota une Loi réformant le Code Pénal dans le
but de revenir sur le
158 «(It was) a court of fluctuating personnel
characterised by the intermittent appearance and quick disappearance of many
members», MAC DONNALD Vincent: «The Privy Council and the Canadian
Constitution», CBR, 1951, pp. 1021 à 1037, v. p. 1024.
159 CJCP: 25 février 1926, Nadan c/ The King, AC, 1926,
pp. 482 à 496, affaire canadienne, Vicomte Lord-Chancelier Cave
rédacteur de l'arrêt. Selon le juge, la loi canadienne violait la
Loi de 1833 sur le Comité Judiciaire.
dispositif de la précédente décision du
Comité Judiciaire. En vertu du nouvel ordonnancement juridique, le
Comité Judiciaire confirma la validité de la Loi
canadienne160.
Le droit d?appel demeurait en droit privé et public
(civil matters), mais les décisions du Comité Judiciaire
furent mal accueillies au Canada. L?activisme judiciaire de la Haute
Juridiction donnait l?impression qu?elle poursuivait une politique colonialiste
dans l?interprétation de la Constitution canadienne161. Le
Comité Judiciaire avait, selon ses adversaires, substitué son
idéologie politique aux lois votées par les représentants
du peuple canadien162. Il semble qu?au-delà des
argumentations étayées, la réticence canadienne envers le
Comité Judiciaire se situait sur un plan politique. Les autorités
fédérales voulaient consolider la nation canadienne. Le
Comité Judiciaire, soutenant le gouvernement britannique, tenait
à empêcher la montée en puissance d?une telle nation qui
aurait pu suivre le pas des Etats-Unis d?Amérique et se déclarer
indépendante.
Une proposition de loi tendant à abolir le recours
juridictionnel à Londres fut adoptée en 1939163.
Déférée au Comité Judiciaire, le juge
prononça la conformité de la Loi à la
Constitution164.
Quant à l?Inde, elle supprima, une fois la
République proclamée en 1947, tout droit de recours au
Comité Judiciaire165 et délégua toute la
compétence de ce dernier à une Cour fédérale
suprême. Depuis son retrait du champ de compétence du
Comité Judiciaire, le nombre général de pourvois des pays
à Londres s?était diminué considérablement. Il y a
lieu de souligner que les appels de l?Inde, du fait de leur nombre,
étaient tranchés par une formation spéciale du
Comité Judiciaire166.
Le conflit entre le Comité Judiciaire et la Haute Cour
de l?Australie fut intense167. La Haute Cour avait refusé
d?appliquer les précédents du Comité Judiciaire et
refusait systématiquement d?accorder aux requérants une
160 CJCP: 6 juin 1935, British Coal Corporation c/ The King, AC,
1935, pp. 500 à 523, affaire du Canada, Vicomte Sankey rédacteur
de l'arrêt.
161 CAIRNS Alain, cité note 154, v. p. 312 et s.
162 MARSHALL H. H., cité note 134, v. p. 701. Lors des
débats sur la proposition de loi tendant à abolir le droit de
recours à Londres, un député fit remarquer que: «Le
droit d?appel existait pour les colonies. Le Canada n?est pas une
colonie», ibid.
163 LIVINGSTON William S.: «Abolition of appeals from
Canadian courts to the Privy Council», HLR, 1950-51, vol. 64, pp. 104
à 112.
164 CJCP: 13 janvier 1947, Attorney-General for Ontario c/
Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 127 à 155, affaire de Canada,
Lord-Chancelier Jowitt rédacteur de l'arrêt.
165 EDDY J. P.: «India and the Privy Council: the last
appeal», LQR, 1950, vol. 66, pp. 206 à 215. 166 CAMPELL Enid M.:
«The decline of the jurisdiction of the Privy Council», ALJ, 1959,
pp. 196 à 209.
167 SAWER G.: «Appeals to the Privy Council», OLR,
1970, vol. 2, pp. 138 à 149.
autorisation de se pourvoir au Conseil Privé.
Réagissant à cette attitude, le juge de la Downing Street
admettait plus libéralement les demandes d?autorisation de se pourvoir
devant lui. Les autorités politiques de l?Australie réagissaient
à leur tour en limitant de manière progressive les cas
d?ouverture d?un pourvoi à Londres. En 1975, le droit de former un
pourvoi contre un arrêt de la Haute Cour fédérale au
Comité Judiciaire fut aboli. Seuls les Etats
fédérés pouvaient encore maintenir le droit de recours au
Conseil Privé à l?encontre des décisions des cours
suprêmes fédérées. Aussi, la Haute Cour
fédérale affirmait sa souveraineté en déclarant que
ses précédents prévalaient sur ceux du Comité
Judiciaire en cas de conflit. Le Comité Judiciaire dénonça
sévèrement cette prise de position168. Suite à
un accord entre tous les Premiers ministres des Etats
fédérés de l?Australie, il fut adopté, en 1985, une
Loi mettant définitivement fin au droit des australiens de se pourvoir
au Souverain.
Au cours des années soixante-dix et quatre-vingts,
nombreux Etats africains du Commonwealth avaient suivi l?exemple des dominions.
Le Comité Judiciaire s?affaiblit et ne s?adaptait pas à
l?évolution du Commonwealth. L?institution ne s?était pas
transformée malgré les propositions faites en ce sens par des
pays alors encore soumis à sa juridiction et par des dirigeants
britanniques.
Paragraphe 2. L'échec de transformation du
Comité Judiciaire
Le déclin rapide et de surcroît
irréversible de la juridiction du Comité Judiciaire après
la guerre déclencha un processus de réflexion sur la
réforme de l?institution par certains personnages politiques et juristes
britanniques et ceux des anciennes colonies. Ils étaient conscients que,
faute d?une évolution, voire d?un remplacement, le Comité
Judiciaire disparaîtrait169. Plusieurs propositions de
réforme furent élaborées (A), mais toutes furent
rejetées faute de consensus entre les parties concernées (B).
A. Les propositions de réforme
Les propositions de réformes étaient aussi
variées que multiples, mais deux grandes idées s?en
dégageaient: faire du Comité Judiciaire une Cour
168 CJCP: 10 juillet 1980, Port Jackson Stevedoring PTYL c/
Salmond and Spraggon, WLR, 1981, vol. 1, pp. 138 à 153, affaire de
l?Australie, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt.
169 Sir Alfred Green a déclaré en 1943 que:
«... unless steps are taken to place the Judicial Committee in a position
of authority which will be accepted by dominions the disappearance of its
jurisdiction in appeals from the Dominions in a comparatively short time is
inevitable», STEVENS Robert: «The independence of the
judiciary», Oxford, Clarendon Press, 1993, 221 p., v. p. 151.
Suprême du Commonwealth (a) et/ou élaborer une
Déclaration des droits du Commonwealth qui aurait été
appliquée par le successeur du Comité Judiciaire (b).
a. Une Cour Suprême du Commonwealth
L?idée de faire du Comité Judiciaire une
juridiction suprême du Commonwealth est vieille. Elle appartient au
Lord-Chancelier Selbourne qui, en 1873, avait voulu fusionner la Chambre des
Lords et le Comité Judiciaire170. Il voulait que les
ressortissants anglais et ceux du Commonwealth saisissent une seule et
même cour en cassation et abolir ainsi la dualité
juridictionnelle. La proposition ne fut pas acceptée mais la Couronne
britannique augmenta de quatre le nombre de Lords judiciaires (Law
Lords) pouvant siéger au Comité Judiciaire de sorte que le
personnel des deux juridictions fût plus ou moins similaire.
La proposition refit surface après la deuxième
guerre mondiale. Elle consistait cette fois non pas en la fusion des deux
juridictions mais en leur remplacement171 par une Cour Suprême
du Commonwealth172. Il fallait qu?il existât une juridiction
qui pouvait maintenir l?unicité de la Common Law. La proposition, qui
obtint le soutien de certains députés, fut discutée au
sein des conférences des Premiers ministres du Commonwealth
173. La Cour Suprême du Commonwealth aurait été
une juridiction supranationale contrairement au Comité Judiciaire et la
question d?abandon de souveraineté judiciaire par les Etats n?aurait pas
été posée. La Cour aurait été
instituée par un traité.
Selon ses partisans, cette Cour aurait été un
gardien vigilant des droits de l?homme et aurait promu les grands principes de
droit et le règne du droit
170 STEVENS Robert B.: «The final appeal, reform of the
House of Lords and the Privy Council, 1867-1876», LQR, 1964, pp. 343
à 369.
171 BOUVIER Vincent: «L?avenir de la Chambre des
Lords», RIDC, 1983, pp. 509 à 556. V. aussi BAILEY Sidney Dowson:
«The future of the House of Lords: a symposium», Londres, Hansard
Society, 1954, 180 p.
Les difficultés de réforme de la Chambre des
Lords montrent que les secondes chambres ont, dans les pays de l?Occident,
l?appui d?une fraction considérable de l?opinion publique. V. MARX F.
G.: «La Chambre des Lords», RDP, 1968, pp. 334 à 354.
172 Les appellations variaient. Certains la dénommaient
Cour d?Appel du Commonwealth et d?autres Cour Constitutionnelle du
Commonwealth.
La proposition de mise en place d?une Cour Suprême en
Angleterre est toujours d?actualité. L?Institut de Recherches sur les
Politiques Publiques a établi un projet de Constitution écrite
pour l?Angleterre et prévoit, dans son article 96, le remplacement de la
Chambre des Lords et le Comité Judiciaire. La Cour Suprême
pourrait, par accord entre le gouvernement anglais et les pays du Commonwealth
intéressés, exercer une compétence à leur
égard. V. INSTITUTE FOR PUBLIC POLICY RESEARCH: «A written
Constitution for the United Kingdom», Londres, Mansell, 1991, 286 p., v.
également BRAZIER Rodney: «Constitutional reform», Oxford,
Clarendon Press, 1991, 172 p., v. p. 159 et s. et BENN Tony Hood Andrew:
«A new Constitution for Britain», Londres, Hutchinson, 1993, 43 p.
173 SWINFEN David, cité note 38, p. 179.
(rule of law)174. Sa compétence
ratione loci aurait eu pour étendue le Commonwealth, l?Angleterre
incluse, et son personnel aurait été représentatif de tous
les Etats membres du Commonwealth. Elle aurait tenu ses audiences dans
plusieurs pays membres et non uniquement à Londres175. Elle
aurait été une cour itinérante. Ainsi, elle aurait
apaisé les revendications nationalistes et renforcé
l?égalité entre les anciennes colonies et la Grande-Bretagne. Or,
le Comité Judiciaire, dans son fonctionnement, n?assurait une telle
égalité. Il était perçu comme un organe
imposé par la Grande-Bretagne et composé uniquement de
vieux nobles siégeant à Whitehall?176 alors
que la Cour Suprême du Commonwealth, elle, aurait été
instituée sur la base du principe de la libre soumission des Etats
à sa juridiction.
L?objectif était de maintenir la cohésion entre
les systèmes juridiques dans la famille de la Common Law et de
protéger en commun un bloc de valeurs juridiques propres au
Commonwealth. Ces deux missions étaient autrefois poursuivies par le
Comité Judiciaire. Avec le rejet de l?institution du Comité
Judiciaire, il fallait qu?une juridiction ne possédant pas les
caractères impérialistes de celui-ci le
remplaçât.
b. Une Cour des droits de l'homme
La deuxième proposition, plus récente que la
précédente et moins détaillée, constituait en la
création d?une Cour qui aurait uniquement été un gardien
des droits de l?homme contenus dans une Charte du Commonwealth. La Cour aurait
eu à peu près les mêmes fonctions que la Cour
Européenne des Droits de l?Homme. Elle aurait sanctionné les
violations de la Charte par les Etats du Commonwealth. La Cour des droits de
l?homme aurait été une juridiction internationale. Elle n?aurait
fait partie de la hiérarchie des tribunaux internes. Sa
compétence ratione materiae aurait été limitée aux
dispositions de la Charte.
174 Les dirigeants britanniques craignaient que les droits
fondamentaux ne fussent bafoués par les cours souveraines des nouveaux
Etats.
175 «The Court should be wide in jurisdiction,
representative in personnel and as various in venue as the Commonwealth itself.
It should sit, as required, in the capitals and various sovereign nations which
compose the Commonwealth», L?Honorable Hudges, House of Commons, Hansards,
debates, 3 novembre 1953, p. 107. La proposition fut aussi soutenue par Lord
Denning. Selon lui: «Le seul espoir de conférer au Comité
Judiciaire quelque chose comme sa gloire d?auparavant est de le transformer en
une Cour Suprême du Commonwealth. Tout comme Henri II a
révolutionné l?administration de la justice en Angleterre en
envoyant des juges itinérants dans tout le pays, je pense que
l?administration de la justice au Commonwealth peut être
révolutionnée en envoyant le Conseil Privé siéger
dans les pays qui acceptent sa juridiction», in STEVENS Robert,
cité note 169, v. p. 159.
176 L?Honorable Graham Page, House of Commons, Hansard, debates,
29 juin 1956, v. p. 955.
Cependant, autant les propositions sus-mentionnées
furent séduisantes, autant elles n?eurent reçu l?adhésion
des autorités britanniques et celles des grands pays du Commonwealth.
B. Le rejet des propositions
La Grande-Bretagne et les dominions ne donnèrent pas de
suite favorable aux propositions de réforme ou de remplacement du
Comité Judiciaire bien qu?elles n?eussent jamais été
rejetées officiellement par un vote. La Grande - Bretagne avait
préféré maintenir le statu quo. A quoi cela tient-il en
réalité ? Il y a lieu d?en rechercher les raisons politiques (a)
et juridiques (b).
a. Les motifs politiques
Le motif politique déterminant semble être
celui-ci. Selon la première proposition de réforme, la Cour
Suprême du Commonwealth aurait été composée,
à égalité, de juges de chaque pays membre. Les dirigeants
politiques anglais étaient très hostiles à cette
idée et ne pouvaient consentir à ce que des litiges britanniques
de pur droit interne fussent tranchés par une majorité de juges
étrangers. Les juges indiens et africains ne présentaient pas de
garanties de compétence suffisantes pour être à la hauteur
de la fonction de la cour de remplacement de la Chambre des
Lords177. Autant la Cour Suprême du Commonwealth fut une
solution acceptable au rétablissement de la souveraineté
judiciaire des nouveaux Etats, autant elle apparut comme un abandon
inadmissible de souveraineté aux britanniques. Les australiens et
canadiens ne voulaient non plus que leurs litiges fussent examinés par
des juges indiens et africains178.
L?abolition de la Chambre des Lords et du Comité
Judiciaire était politiquement impossible à réaliser en
Grande-Bretagne car ce pays était attaché à son histoire.
Les deux juridictions faisaient partie d?un noble patrimoine institutionnel.
Une réforme de la Chambre des Lords n?était réalisable que
si les politiques auraient parvenu à démontrer que celle-ci
améliorait la qualité de l?administration de la justice en
Grande-Bretagne179. Or, l?Angleterre faisait toujours valoir qu?elle
avait les meilleurs juges au monde.
b. Les motifs juridiques
Le choix du siège de la Cour du Commonwealth avait
posé des difficultés non seulement politiques mais
également techniques. Les partisans de la réforme voulaient
qu?elle pût siéger dans plusieurs pays membres ou même dans
deux ou plusieurs pays à la fois si elle était au moins
composée de deux chambres. Ce système aurait offert l?avantage de
célérité de traitement des litiges. La procédure
aurait été plus rapide et moins coûteuse. Cependant, les
juges d?une chambre de la Cour auraient rencontré rarement leurs
collègues de l?autre chambre. La jurisprudence aurait été
divergente d?une chambre à
177 «... in some colonies, the standards of the Bench and
Bar were not high», Le Duc d?Edimbourg in STEVENS Robert, cité note
169, v. p. 157.
178 Ibid., v. p. 153.
179 «It was clear that no radical change regarding the
House of Lords could seriously be contemplated unless it could be shown to
be... achievable without damage to the administration of justice in the
U.K.». SWINFEN David B., cité note, 38, v. p. 204.
l?autre180. Aussi, des nouveaux Etats ne pouvaient
offrir les infrastructures et bibliothèques adéquates pour
accueillir les juges de la Cour du Commonwealth. Une telle juridiction aurait
eu besoin, dans la recherche de la solution au litige, de procéder
à une analyse et comparaison des différentes jurisprudences et
législations des pays du Commonwealth. Tous les Etats ne disposaient pas
d?un fond de documentation suffisant.
Quelle aurait été la politique jurisprudentielle
mise en oeuvre par la Cour du Commonwealth ? Les britanniques doutaient de sa
capacité à développer et uniformiser la Common Law tant le
droit était hétérogène dans les pays du
Commonwealth. Le Pakistan avait adopté le droit musulman et les lois
coraniques y étaient élevées au sommet de la
hiérarchie des normes 181. Selon la Constitution
pakistanaise, les lois devaient être conformes au droit et à la
pratique de la tradition musulmane. Cette fonction de contrôle de la
conformité des normes aux grands principes de l?Islam ne pouvait
être exercée par une cour composite. L?Inde, qui avait aussi
conservé une partie du droit musulman et hindou, avait opté pour
une politique économique proche du communisme182. L?Inde
voulait établir une justice sociale et économique
préalable à la jouissance des libertés. Les dirigeants ne
voulaient pas qu?une juridiction supranationale n?entravât la politique
du gouvernement183.
Faute de consensus, la Cour du Commonwealth ne vit jamais le
jour. Le Comité Judiciaire demeurait statique. Plusieurs pays mirent fin
à sa compétence.
180 Dans un rapport, le secrétaire du Lord-Chancelier,
W. B. Rankin, avait souligné en 1955 que: «... it seems to me that
an itinerant Board, instead of increasing the influence of the Judicial
Committee, might just easily provoke premature demands for the abolition of the
right of appeal altogether», STEVENS Robert, cité note 169, v. p.
156.
181 MEHDI Rubya: «The Islamization of the Law in
Pakistan», Surrey, Curzon Press Ltd., 1994, 329 p., v. p. 71 et s.
182 ZINS Max-Jean: «La politique de l?Inde», PUF,
Qus sais-je ?, 1994, 128 p., v. p. 60-61: «Le Parti du Congrès
réuni à Avadi en 1955 se fixe comme objectif d?établir un
modèle socialisant de société où les principaux
moyens de production seront placés sous la propriété ou
contrôle social», ibid.
183 SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 214-15.
*
Le Conseil Privé, l?inventeur du contrôle
juridictionnel des normes législatives, n?est certes plus le grand
tribunal du monde tant sa compétence s?est effritée au fil des
ans. D?aucuns pensent qu?il se dirige peut-être vers sa disparition.
Néanmoins, malgré l?appauvrissement de sa
compétence, le Comité Judiciaire a su se maintenir grâce au
soutien, d?une part, de petits Etats: une quinzaine d?îles des
Caraïbes, dont la Jamaïque, la Barbade, les Bahamas, la
Trinité et Tobago, les Bermudes et le Gibraltar, et l?île Maurice
et d?autre part, de Hongkong et de la Nouvelle-Zélande184. Le
maintien du droit de recours au Comité Judiciaire dans certains pays a
permis au juge londonien d?y jouer un rôle de première importance
dans le développement de l?Etat de droit. Il semble que le Comité
Judiciaire y a définitivement trouvé une place
privilégiée et s?y est intégré dans le
système juridique.
L?affaiblissement du Comité Judiciaire a eu pour
mérite de modifier l?essence de l?institution. Le Comité
Judiciaire n?a plus pour objectif, à l?égard des pays souverains,
la poursuite d?une mission de nature impériale. Il faut voir dans
l?affaiblissement de la Haute Instance londonienne un bienfait qui a permis
à cette dernière de retrouver un nouveau dynamisme et, par
conséquent, une nouvelle légitimité.
Il convient maintenant, après avoir mis en avant la
grandeur du Comité Judiciaire, d?étudier le développement
de ses liens avec l?île Maurice.
SECTION 2. LE DÉVELOPPEMENT DU LIEN DU
COMITÉ JUDICIAIRE AVEC L'ÎLE MAURICE
L?île Maurice résiste à la tendance
générale des nouveaux pays du Commonwealth à abolir le
droit de recours au Comité Judiciaire. Les raisons de cette exception
mauricienne sont à rechercher. Nous voudrions oeuvrer dans cette
direction.
Les historiens n?auraient probablement pas grand-peine à
démontrer que le poids de l?histoire est un élément
déterminant de réponse à notre recherche.
184 EAST Paul, QC, MP, L?Honorable: «Judicial independence,
the right of appeal to the Privy Council», The Parliamentarian, avril
1996, LXXWII, n° 2, pp. 140 à 143.
Il existe entre ce pays francophone185 et la Haute
Instance londonienne des liens historiques noués au fil de son
évolution constitutionnelle et politique (sous- section 1), lesquels
méritent d?être mis en valeur.
Mais à s?arrêter à ce constat, on risque
de manquer à une autre explication de la nature profonde de
l?attachement du peuple mauricien à la justice londonienne. Il
transparaît que les relations entre Maurice et le Tribunal de la Downing
Street sont renforcées et soutenues par le rôle particulier,
fût-il implicite, que les constituants originaires (britanniques) et
dérivés (mauriciens) lui ont attribué. En effet, le
Comité Judiciaire, par son existence même, son autorité et
extériorité, permet de maintenir l?ordre social et
représente l?ultime recours contre l?arbitraire dans ce petit pays
pluriethnique (sous-section 2).
Enfin, il convient de rappeler que ces liens sont davantage
consolidés par l?étendue de la compétence ratione materiae
du Comité Judiciaire à l?égard de l?île Maurice
(sous-section 3).
Sous-section 1. L'évolution constitutionnelle
et politique de l'île Maurice
L'île Maurice est un jeune pays entièrement
créé par la colonisation (paragraphe 1). Elle était
inhabitée à la l?arrivée des premiers colons. La
population, les institutions, l?économie et la société de
l?île Maurice, toutes sont la conséquence directe de son histoire
coloniale. C?est dans la phase même de la constitution de la
société mauricienne qu?on trouve les racines et les motifs du
lien mauricien avec la Haute Instance londonienne.
Après avoir accédé à
l?indépendance en mars 1968 (paragraphe 2), l?île Maurice ne fut
pas épargnée du mouvement de renouveau du constitutionnalisme
dans les années quatre-vingt-dix en changeant de statut. L?île
devint une République. Ce changement de statut confère au juge
londonien une nouvelle légitimité.
Paragraphe 1. La colonisation
L?histoire de l?île Maurice se confond avec la succession
des colonisateurs. L?île fut, peut-être, visitée au Moyen
Age, par les arabes, puis repérée au
185 L?île Maurice fut le pays organisateur du Sommet de la
francophonie en octobre 1993. V. Le Monde, 9 octobre 1993, p. 9
seizième siècle par les portugais186.
Les hollandais prirent possession de l?île en 1596 mais ne s?y
installèrent qu?en 1638187. Cette première occupation
laissa à l?île Maurice son nom
Mauritius?188. D?autres colons avaient essayé de
s?y installer en 1644, mais l?entreprise échoua189. Les
néerlandais abandonnèrent définitivement l?île en
1710.
Cinq années après, l?occupation française
commença. Celle-ci laissa une marque profonde dans la sociologie et dans
le système juridique de l?île, nommée Isle de France (A).
Bien que la colonisation française fût antérieure à
toute affirmation des pouvoirs de la Haute Instance londonienne à
l?égard de Maurice, il convient, pour la compréhension du
développement du droit mauricien, de s?y arrêter.
En 1810, les britanniques succédèrent aux
français190 (B) et le Conseil Privé affirma sa
compétence.
A. La période française
Nous étudierons la colonisation française
à l?île Maurice en deux périodes successives, à
savoir, d?abord, celle relative à l?Ancien Régime (a) et,
ensuite, celle qui dure de la Révolution de 1789 à la fin de
l?occupation française (b).
a. Sous l'Ancien Régime
Les premiers colons français vinrent à
l?île Bourbon (aujourd?hui île de la Réunion) en 1721.
L?île de France était concédée à la Compagnie
(française) des Indes. L?île n?était constitutionnellement
considérée que comme la propriété
186 Les portugais appelèrent l?île Maurice
Cierne? et l?île Rodrigues, toujours une dépendance de
Maurice, Diego Rodrigues? et d?autres îles Chagos?,
qui font constitutionnellement partie du territoire mauricien. V. article
111-1-c de la Constitution mauricienne.
Sur l?histoire de l?île Rodrigues v. LANGELLIER
Jean-Pierre: «L?île Rodrigues, cendrillon des Mascareignes», Le
Monde, 2-3 février 1992, p. 6.
Une polémique oppose le gouvernement mauricien avec son
homologue britannique sur la souveraineté mauricienne sur l?île de
Diégo Garcia. V. ORAISON André: «Les avatars du BIOT, le
processus de l?implantation militaire américaine à Diégo
Garcia», APOI, 1979, pp. 117 à 207.
187 L?île Maurice permettait aux hollandais de se
ravitailler sur leur longue route aux Indes.
188 On présume que ce nom dérive de Maurice de
Nassau.
189 Le peuplement fut insuffisant. On comptait à peine
300 occupants, esclaves compris, dont deux fois plus d?hommes que de femmes. V.
TOUSSAINT Auguste: «Histoire de l?île Maurice», PUF, Que
sais-je ?, 1971, 128 p., v. p. 26.
190 L?île Maurice fait donc partie de ces pays qui ont
subi une occupation coloniale effectuée dans le désordre. V.
CONAC Gérard, «La vie du droit en Afrique» in CONAC
Gérard, cité note 18, v. p. XIII. «Les crises et les
conflits européens n?ont pas manqué d?avoir leur contrecoup en
terre africaine. Des territoires ont changé de souveraineté pour
passer du vaincu au vainqueur... Ainsi, plusieurs Etats africains ont-ils
été marqués par l?empreinte de deux, voire trois
colonisateurs», ibid.
privée de la Compagnie191. La Compagnie
exploita mal sa concession192, et l?île fut
rétrocédée au Roi de France en 1764.
La contrôle de l?île par le Roi de France prit
effet à partir du 14 juillet 1767 lorsque débarquèrent
à Port-Louis les premiers administrateurs royaux. Ils étaient
deux: un Gouverneur-Général nanti de l?autorité
suprême et du commandement des forces navales et militaires, et un
Intendant chargé plus particulièrement de l?administration des
finances. Les deux représentants du Roi assumaient, en outre, en commun
un certain nombre de tâches, avec cependant voix
prépondérante du Gouverneur-Général.
L?administration royale instaura de nouveaux tribunaux, les
juridictions royales, qui jugeaient en première instance. Un Conseil
Supérieur statuait en appel sur recours contre des décisions de
ces dernières.
b. Depuis la Révolution française
Malgré son éloignement géographique, la
Révolution française de 1789 eut des répercussions sur
l?organisation judiciaire et politique de l?île193.
Les colons revendiquèrent et obtinrent rapidement le
droit de gérer eux- mêmes les affaires de l?île. Une
Assemblée de quelques soixante membres fut convoquée en avril
1790, et fut légalisée sous le nom d?Assemblée coloniale
par un décret de la Constituante (juin 1789-octobre 1791)194.
La République fut proclamée en février 1793 par
l?Assemblée coloniale195.
Les bases des institutions de la Constituante, inspirées
du principe de la séparation des pouvoirs, étaient reproduites
localement. Le pouvoir législatif
191 NAPAL D.: «Les Constitutions de l?île
Maurice», Port-Louis, Mauritius Archives Publications, 1962, 150 p., v. p.
1 à 18 sur l?histoire constitutionnelle de l?île Maurice et
particulièrement la page 1 sur la Compagnie.
192 Les soldats étaient indisciplinés.
L?île de France était dans une situation lamentable par rapport
à l?île Bourbon. Toutefois, Mahé de Labourdonnais
débarqua à l?île de France en 1735 et transforma
considérablement la colonie en moins de cinq ans. Il aménagea
Port-Louis en un centre de construction maritime et créa la
première sucrerie à Pamplemousses. V. TOUSSAINT Auguste:
«Histoire de l?île Maurice», cité note 189, v. p. 38.
193 MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «Histoire politique de
l?isle de France: 1789-1791», Port-Louis, Mauritius Archives Publications,
1975, 193 p.
194 FAVOREU Louis: «L?île Maurice»,
Encyclopédie Politique et Constitutionnelle, BergerLevrault, 1970, 117
p., v. p. 22.
La Constituante, consacrant le principe de la
suprématie de l?Assemblée, était hostile à
l?affermissement du pouvoir royale. V. GICQUEL Jean: «Droit
constitutionnel et institutions politiques», Monchrestien, Domat droit
public, 14e édition, 1995, 806 p., v. p. 441. et v. aussi CHEVALLIER J.
J. et CONAC G.: «Histoire des institutions et des régimes
politiques de la France de 1789 à nos jours», Dalloz, 1991, 1028
p., v. p. 27 à 54.
195 FAVOREU Louis: «L?An I de la République
mauricienne», pp. 26 à 28, in UNIVERSITY OF MAURITIUS:
«Reflexion on the Republic», Le Réduit, 1992, 35 p.
était exercé par l?Assemblée coloniale de
l?isle de France, le pouvoir exécutif par les représentants du
Roi et le pouvoir judiciaire par les tribunaux.
Les dénominations de Juridictions royales?
et Conseil Supérieur? furent remplacées respectivement
par celles de Tribunaux de Première Instance et de Tribunal d?Appel.
Comme le Roi portait le titre de Roi des français et non plus Roi de
France, les juges locaux étaient désormais choisis par les
justiciables et non plus désignés par le Roi196. Par
ailleurs, sous le Directoire, un Tribunal de Commerce fut établi et
l?Assemblée adopta le Code Pénal du 25 septembre
1791197.
Sous l?Empire Napoléonien (1799-1814), les bases du
droit privé mauricien furent posées avec la promulgation à
l?île de France des trois codes napoléoniens: le Code Civil, le
Code de Procédure Civile et le Code de Commerce.
Le Code Civil fut promulgué le 1er Brumaire An XIV (23
octobre 1805) par un arrêté du Général Capitaine
Decaën intitulé «Arrêté supplémentaire au
Code Civil, pour étendre son application aux isles de France et la
Réunion». Toutefois, ce code fut adapté à la division
de la population de l?île de France en trois catégories: les
blancs, les gens de couleurs et les esclaves198. Le Code de Commerce
fut promulgué le 14 juillet 1809, à l?exception de certaines
dispositions d?importance secondaire eu égard aux conditions
locales199.
B. La période anglaise
Les Mascareignes, malgré leur petitesse constituaient
un avant poste bien situé pour contenir la résistance
française contre la poussée anglaise dans l?Inde200.
Les anglais lancèrent une attaque contre l?île de la
Réunion en juillet 1810. Les français n?offrirent aucune
résistance tant les anglais étaient numériquement les plus
forts.
196 TOUSSAINT Auguste: «Histoire du droit et des
institutions de l?île de France et de l?île Bourbon jusqu?en
1815», pp. 35 à 42, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de
droit privé français et mauricien», Annales de la
Faculté de droit d?Aix en Provence, PUF, 1969, 230 p., v. p. 38.
197 Ibid.
198 Les esclaves demeuraient les biens meubles?. V.
MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit civil
mauricien», pp. 89 à 108, in CONAC Gérard : «Etudes de
droit privé français et mauricien», cité note 196, v.
p. 93.
199 ROBERT André: «L?évolution du droit
commercial mauricien», pp. 109 à 125, in CONAC Gérard:
«L?évolution du droit privé français et
mauricien», cité note 196.
200 Monsieur Pitt, très clairvoyant, avait
déclaré que: «Tant que les français tiendront
l?île de France, les anglais ne seront pas les maîtres de
l?Inde», in TOUSSAINT Auguste, cité note 189, v. p. 77.
Aussitôt, l?île de France devenait la prochaine
cible. En décembre 1810, la flotte anglaise effectua un
débarquement sur la côte nord de l?île après avoir
été battue sur mer à la bataille de Vieux Grand Port. Les
français capitulèrent entre les mains du Général
Sir John Abercomby le 3 décembre 1810.
Le nouveau colonisateur, conformément à sa
tradition, maintint la population française assujettie à ses lois
(a) tout en procédant progressivement à la réforme de
certaines institutions (b).
a. L'application des codes français
L?Acte de Capitulation signé par les Commandants
anglais et français le 3 décembre 1810 conservait aux habitants
de l?île de France leurs religion, lois et
coutumes?201 en application de la jurisprudence de principe
posée par Lord
M ans field202.
L?anglicisation de l?île Maurice,
préconisée en 1828 par la Commission des Colonies Orientales
nommée par le ministre britannique des colonies, n?a jamais eu
complètement lieu en ce sens que la conquête anglaise n?avait pas
été suivie d?un afflux d?immigrants anglais. Les codes
français demeuraient en vigueur et le Comité Judiciaire, devenu
juridiction suprême de l?île, avaient dans un appel venant du
Canada, étendu aux colonies une règle posée par la Chambre
des Lords selon laquelle un code de lois devait être
interprété sans restrictions ni adjonctions203. Le
Comité Judiciaire veilla en général avec soin
l?application correcte des codes français204 et reconnaissait
les autorités jurisprudentielles et doctrinales
françaises205 dans la mesure où le droit
français, contrairement aux autres droits autochtones, était dans
la finalité très proche de la Common Law.
201 La Cour Suprême de Maurice confirma en 1902 que le
droit d?un pays conquis demeurât jusqu?à ce qu?il fût
changé par le conquérant. V. CSM: 15 septembre 1902, The Colonial
Government c/ Veuve Laborde, MR, 1902, pp. 19 à 71, le juge Brown
rédacteur de l'arrêt.
Par le Traité de Paris du 30 mai 1814, l?Angleterre
accepta de rendre à la France la Réunion, mais conserva
en toute propriété et souveraineté l?île
de France et ses dépendances, notamment les Seychelles et l?île
Rodrigues?. L?île de France reprit son nom néerlandais de
Mauritius? (Maurice en français).
202 Cour du Banc du Roi: 1774, Campell c/ Hall, cité note
117.
203 CL: 5 mars 1891, The Governor and Company of the Bank of
England c/ Vagliano Brothers, AC, 1891, pp. 107 à 172, Lord-Chancelier
Halsburry rédacteur de la décision principale. Le Comité
Judiciaire étendit le principe de cet arrêt aux colonies dans
CJCP: 23 juillet 1892, Robinson c/ Canadian Pacific Railways Company, AC, 1892,
pp. 481 à 490, affaire de Canada, Lord Watson rédacteur de
l'arrêt.
204 CJCP: 21 février 1883, The Heirs of Martin c/ Marie
Boulanger, LJPC, 1883, pp. 31 à 35, affaire mauricienne, Lord Blackburn
rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire il était question
de l?application de l?article 474 du Code de Procédure Civile.
V. aussi FLOISSAC V. F.: «The interpretation of the Civil
Code of Saint Lucia», RGD, 1983, pp. 409 à 489.
205 CJCP: 29 janvier 1873, Emma Lagesse c/ Lucie Allard, LJPC,
1873, pp. 37 à 45, affaire de Maurice, Sir James W. Colville,
rédacteur de l'arrêt. Le juge cite des articles des revues Sirey
et Dalloz.
L?Administration britannique locale n?avait jamais
été fermement désireuse de supprimer les codes
napoléoniens au profit de la Common Law. Malgré la
présence ultérieure de juges anglais à la Cour
Suprême de Maurice, le droit substantiel demeurait tel qu?il était
en 1810. Toutefois, le législateur introduisit de profondes
réformes dans deux domaines: celui de la procédure et du mode
d?administration des preuves par les tribunaux206. Les
Règlements Intérieurs de la Cour (Rules of Court)
d?inspiration strictement anglaise succédèrent aux règles
de procédure civile et pénale207. Le droit anglais de
la preuve avait vite reçu l?adhésion des juges et des auxiliaires
de justice. Dès 1843, le terme anglais de preuve (evidence)
était admis dans le langage du barreau mauricien208.
Les juges locaux appliquaient le Code Civil209
à la lumière des arrêts de la Cour de Cassation
française210, tout en gardant une indépendance
vis-à-vis de la juridiction suprême de l?ancienne
métropole. Dans l?affaire Mungroo c/ Dahal de 1937211, le
juge Le Conte de la Cour Suprême de Maurice refusait d?appliquer le
revirement de la jurisprudence des Chambres réunies de la Cour de
Cassation française à propos d?une interprétation de
l?article 1384 alinéa premier du Code Civil212 en
matière de responsabilité du fait des choses dans l?affaire
Jand?heur213. Les arrêts de la Cour de Cassation n?avaient
désormais qu?une forte autorité morale (persuasive
authority) et non obligatoire à l?égard du juge local et
celui-ci ne voulait trahir sa nouvelle fidélité et loyauté
au Comité Judiciaire et était lié par ses
décisions214.
206 HAREL Pierre: «L?Angleterre et la loi civile
française à l?île Maurice», thèse, Paris, 1889,
215 p. et MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit
civil à l?île Maurice», thèse, Aix en Provence, 1968,
publiée chez Best Graphics Ltd, 1995, 436 p.
207 Avec cette réforme, par exemple, l?organe du
Président de la Cour ne dirigeait plus les débats. D?autres
réformes furent fondamentalement incompatibles avec le Code Civil. Une
Ordonnance de 1945 sur les cours autorisa, par exemple, l?emploi des
jurés dans les procès civils.
208 MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du
droit civil mauricien», in CONAC Gérard (dir), cité note
198, v. p. 106.
209 VENCHARD L. E.: «Le Code Civil annoté»,
Port-louis, Law Publishers Ltd., 1983, 789 p.
210 CSM: 24 février 1952, The Queen c/ L?Etendry, MR,
1953, pp. 15 à 36, Sir Francis Herchenroder rédacteur de
l'arrêt. Le juge fait dans cet arrêt une abondante
référence au droit français et soutient que: «...we
see no valid reason for departing from the normal rule of construction laid
down time and again by this Court and which is to the effect that when our law
is borrowed from French law we should resort for guidance as to its
interpretation of French doctrine and case law», ibid., p. 29 et s.
211 CSM: 4 novembre 1936, Toolseeram Mungroo c/ Seejooparsad
Dahal, MR, 1937, pp. 43 à 139, Juge Le Conte rédacteur de
l'arrêt. L?arrêt est traduit en français par Attias C. in
RDPros, 1982, pp. 307 à 345.
212 ANGELO A. H.: «The Mauritian approach to article 1384
of the French Civil Code», CILJSA, 1971, pp. 57 à 71.
213 CCF: 13 février 1930, Jand?heur c/ Les Galeries
Belfortaises, DP, 1930, vol. 1, p. 129.
214 «Quand ces juridictions (françaises)
interprètent un texte incertain, il nous faut hésiter très
longtemps avant de statuer à l?encontre de leur opinion. Mais si nous
considérons qu?elles ont atténué un texte de loi ou
ajouté à ses dispositions, nous ne devons certainement pas les
suivre. Si nous sommes dans l?erreur, l?autorité convenable pour nous
remettre dans le droit chemin est le Comité Judiciaire du Conseil
Privé à Londres», in CSM: 4 novembre 1936, Toolseeram
L?anglicisation du Code Pénal n?a que partiellement eu
lieu. Le Code Pénal de 1791 fut remplacé en août 1838 par
un code basé essentiellement sur le droit pénal français
d?alors. Le Code, qui est toujours en vigueur, fut rédigé
à la fois en français et en anglais, étant entendu qu?en
cas de divergence entre les deux textes, le premier primerait215.
Mais cette prédominance du français ne dura longtemps. Une
Ordonnance en Conseil de 1842 disposait que toute modification
législative et toute nouvelle loi devraient être
rédigées en anglais. L?évolution du droit civil et du
droit pénal s?opérait désormais dans un contexte anglais.
Certaines nouvelles lois françaises furent traduites et reproduites par
le législateur. Les termes quasi-intraduisibles furent reproduits entre
parenthèse dans les lois nouvelles et ce ne fut qu?en 1962 que la
Couronne permît les réformes en français lorsqu?il
s?agissait des textes d?origine française
216.
b. Le développement institutionnel
Si le droit privé et le droit pénal de
l?île Maurice de source française témoignèrent d?une
résistance sélective à l?égard du colonisateur
britannique, le droit public anglais s?implanta sans grande
difficulté217. Les autorités anglaises
effectuèrent une greffe juridique sur le droit francais de Maurice.
Elles supprimèrent progressivement presque toute référence
aux normes d?origine française en matière de droit public en
agissant au cas par cas selon les besoins du moment.
Dès 1831, la Cour d?Appel de l?île Maurice fut
reconnue officiellement sous le nom de Cour Suprême218. Mais
en mai 1851, en vertu d?une Ordonnance en Conseil, la Cour d?Appel fut
supprimée et remplacée par la Cour Suprême qui était
alors dotée des mêmes pouvoirs que la Cour du Banc du Roi
(King's Bench)
Mungroo c/ Seejooparsad Dahal, cité note 211. Pour une
analyse de l?arrêt, v. DOMAH Gupt Satyabhooshan: «Une analyse des
droits français, anglais et mauricien en matière de la
responsabilité du fait des choses», thèse, Aix Marseille,
1979, 229 p., v. p. 164 à 166.
215 VENCHARD L. E.: «Le Code Pénal
annoté», Port-Louis, Best Graphics Ltd, 1994, 3 vol., 2404 p. Les
annotations font références à la jurisprudence et aux
articles du Code Pénal français. V. également KENYON
Careton W.: «Mauritius: the law of criminal procedure», Washington
D.C., Library of Congress, Law Library, 1983, 45 p.
216 V. L?Ordonnance en Conseil de 1962 sur le langage des
lois.
217 V. DAYOCHAND Napal: «British Mauritius: 1810 à
1948», Port-Louis, 1985, 278 p.
218 L?Ordonnance en Conseil du 13 avril 1831 dispose que:
«Where it is necessary to make provision for the better administration of
justice in His Majesty?s island of Mauritius and its dependencies, His Majesty
doth therefore, by and with the advice of His Privy Council, order and it is
hereby ordered that His Majesty?s Supreme Court of Civil and Criminal Justice
within the said colony, called the Cour d?Appel?...».
et la Cour d?Equité (Court of
Equity)219. Le Tribunal de Première Instance fut aussi
aboli et sa compétence absorbée par la Cour Suprême.
Celle-ci comportait désormais trois juges. Un pourvoi contre un
arrêt de la Cour Suprême pouvait être fait au Conseil
Privé dans les matières de £ 1,000 et
au-dessus220. En 1894, le montant du litige pouvant faire l?objet
d?un appel au Comité Judiciaire (the appellate value) fut
fixé à RPM 10,000.
L?anglicisation des institutions judiciaires fut
achevée avant l?accession de l?île Maurice à
l?indépendance. La langue anglaise devint la langue officielle des
tribunaux en 1945221. Aussi, le ministère public,
créé sous l?Empire Napoléonien en 1808 et dirigé
par le Procureur-Général, fut complètement
anglicisé dans son organisation au point d?être
dénaturé 222.
Quant aux institutions politiques, la Couronne reproduisit
fidèlement les institutions britanniques à l?île
Maurice223 comme dans les autres colonies224. Elle y
implanta, au cours de l?évolution constitutionnelle de l?île, le
régime parlementaire et représentatif225. Il fut
créé, avant l?indépendance, un Conseil Exécutif, le
gouvernement, dirigé par le Premier qui était nommé par le
Gouverneur «selon les conventions observées en
Grande-Bretagne». Cette
219 De même, la Loi sur les Cours (Courts Act)
du 7 mai 1945 dispose en son article 17 que la Cour Suprême a les
mêmes pouvoirs que la Haute Cour de Justice anglaise in ATTORNEYGENERAL?S
OFFICE: «Revised laws of Mauritius», Port-Louis, Précigraph,
1981, vol. 2, pp. 5 à 37.
220 Le Comité Judiciaire déclina sa
compétence en matière de divorce dans un appel de Maurice, v.
CJCP: 9 mai 1844, Alceste Florentin Antoine D?Orliac c/ La Dame D?Orliac, ER,
Privy Council, vol. 13, pp. 347 à 349, affaire de Maurice, Lord Brougham
rédacteur de l'arrêt, rapporté par Edmund F. Moore.
221 La Loi du 7 mars 1945 sur les Cours dispose
néanmoins en son article 131 que toute personne peut de droit
communiquer aux cours inférieures en français.
Selon une anecdote, la vieille du jour où la langue
anglaise devenait obligatoire, Maître Antelme, qui plaida devant la Cour
d?Assises, prolongea sa plaidoirie jusqu?à minuit. Lorsque minuit sonna
à l?horloge de la Cathédrale en face de la Cour, il
s?arrêta et reprit sa plaidoirie en anglais. V. BOULAN F.:
«L?organisation judiciaire de l?île Maurice», APOI, 1976, pp.
197 à 211, v. p. 200.
222 L?Ordonnance de 1957 abolit les postes de
Procureur-Général et ses substituts et les remplaça par
ceux du ministre de la justice (Attorney-General), du
Soliciteur-General (Solicitor-General), le fonctionnaire en chef du
parquet, et des avocats du parquet (State Counsels). La Loi du 30
décembre 1808 sur le Ministère Public demeure toujours en
vigueur. V. ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité note 219, vol. 4, p. 7. Sur
le ministre de la justice, v. DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «
L?attroney-General est-il un député ?», Le Mauricien, 17
août 1995, p. 11.
223 LEBLANC Jean-Claude: «La vie constitutionnelle et
politique de l?île Maurice de 1945 à 1968», mémoire de
troisième cycle, Faculté de droit de Tananarive, 1968, 167 p.
224 Seule la deuxième Chambre parlementaire anglaise,
la Chambre des Lords, ne fut jamais exportée dans les dominions et
colonies. V. WIGHT Martin: «British Colonial Constitutions», Oxford,
Clarendon Press, 1952, 471 p.
225 BAILEY Sydney D.: «Parliamentary government in the
Commonwealth», Londres, Hansard Society, 1951, 217 p.
formule signifiait que le Gouverneur désignait celui qui
commandait la majorité au Conseil Législatif226 aux
fonctions de Premier.
Ainsi, donc, à la fin de la colonisation anglaise, le
droit mauricien fut fortement métissé. A ce titre, nous pouvons
conclure avec Monsieur le Professeur Xavier Blanc-Jouvan qui affirme que ce qui
caractérise le droit mauricien «c?est surtout qu?il réalise
une sorte de synthèse en entre deux systèmes qui s?opposent sur
le terrain de la technique juridique et qui appartient... à deux
familles différentes»227. Le colonisateur anglais avait
maintenu dans l?ensemble le droit privé d?origine française
considéré à certains égards comme la
législation personnelle des habitants et qui, même maintenue en
l?état, ne pouvait porter atteinte à l?exercice de la
souveraineté des anglais sur l?île228. A propos des
institutions publiques et administratives, le colonisateur avait établi
ses propres organes afin d?assurer sa domination229 jusqu?à
l?accession de l?île Maurice à l?indépendance.
Paragraphe 2. L'indépendance
Comme dans d?autres pays du Commonwealth, le gouvernement
travailliste britannique déclencha à partir de 1948 un processus
devant conduire par étapes l?île Maurice à l?autonomie
(self-government)230. Il fut mis en place des organes
permettant aux mauriciens de s?administrer eux-mêmes. Les changements
constitutionnels furent généralement préparés par
des Commissions Royales d?Enquête (Royal Commissions of Inquiry)
chargées de recueillir l?expression des voeux des divers courants et des
cinq conférences sur la Constitution réunies, dans les
années précédant l?indépendance, à Londres
et présidées par le Ministre des Colonies qui s?efforçait
de concilier les diverses
226 FAVOREU Louis, cité note 194, v. p. 28.
227 BLANC-JOUVAN Xavier: «L?introduction à
l?étude comparée des droits de l?Océan indien», pp.
23 à 33, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de droit
privé français et mauricien», cité note, 196, v.
p.31.
228 Après 1918, en vertu du traité de Versailles
consacrant le droit des peuples à disposer d?euxmêmes, un
mouvement en faveur de la rétrocession de l?île Maurice à
la France avait pris naissance du fait que bon nombre de mauriciens avaient
combattu aux côtés de la France au cours de la première
guerre mondiale. V. TOUSSAINT Auguste, Dr.: «Le mouvement
rétrocessionniste», WE, 28 juillet 1994, p. 20 à 21.
229 MINISTERE DE LA JUSTICE DE L?ILE MAURICE:
«L?application du droit mixte à l?île Maurice», APOI,
1980, pp. 119 à 129, v. p. 119-20. V. aussi TANCELIN Maurice:
«Problématique de la mixité du droit, le cas de deux pays de
l?Océan Indien, Maurice et les Seychelles», APOI, 1981, pp. 95
à 101.
230 DE SMITH Stanley A.: «The new Commonwealth and its
Constitutions», Londres, Stevens and Sons, 1964, 312 p., v. chapitre 2, p.
38 et s.
revendications et de rédiger, avec l?accord de tous, les
textes à soumettre au Parlement de Westminster.
A la dernière conférence en 1967, la discussion
porta sur le point de savoir si l?île Maurice devait ou non
accéder à l?indépendance au terme de son évolution.
Le Parti Mauricien Social Démocrate de Gaétan Duval, était
hostile au principe de l?indépendance231 et avait
souhaité que ce choix fût fait sur consultation du peuple par
référendum. Mais les experts britanniques
préconisèrent l?organisation des élections
générales (législatives) et si l?Assemblée
élue se prononçait à la majorité simple en faveur
de l?indépendance, celle-ci serait proclamée232. Les
élections furent organisées en 1967 et les partisans de
l?indépendance les avaient remportées.
Des négociations avaient eu lieu avec les dirigeants
des principaux partis de l?île. Un Commissaire dit constitutionnel,
Stanley A. De Smith, alors professeur à l?Université de
Cambridge, était chargé d?établir un rapport sur les
grandes lignes de la future Constitution. Celle-ci fut ensuite
adoptée233 par le Parlement britannique234 et
octroyée à l?île Maurice par le Souverain. La Constitution
de 1968 dota l?île Maurice d?une organisation classique en régime
parlementaire et le pays devint une monarchie indépendante (A).
Dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix, le
constitutionnalisme mauricien, comme celui de beaucoup de pays d?Afrique,
entra, selon l?expression de Monsieur le Professeur Gérard Conac,
brusquement dans une phase d?intense
231 Le PMSD fit campagne pour l?association avec le
Royaume-Uni ou même pour l?intégration de Maurice dans la
Grande-Bretagne. Si cette proposition était acceptée, l?île
Maurice serait devenue un territoire d?outre-mer de la Grande-Bretagne. Mais le
gouvernement britannique l?avait rejetée.
«Mauritius was a most unlikely colony to be made part of
the United Kingdom... the anglophiles were not supporters of the PMSD»,
HOUBERT Jean: «Mauritius: Politics and pluralism at the periphery»,
APOI, 1982-83, pp. 225 à 264, v. p. 234.
232 Le gouvernement britannique avait refusé le recours
au référendum qui aurait pu permettre à la population
d?apprécier les mérites de l?association, comme le droit à
la citoyenneté anglaise et à l?émigration en
Grande-Bretagne.
233 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, WLR,
1976, vol. 2, pp. 366 à 397, affaire de la Jamaïque, Lord Diplock
rédacteur de la décision majoritaire. Selon Lord Diplock:
«They (Constitutions of the Commonwealth) embody what is in substance an
agreement reached between representatives of the various shades of political
opinion in the State as to the structure of the organs of the government
through which the plenitude of the sovereign power of the State is to be
exercised in the future. All of them were negotiated as well as drafted by
persons nurtured in the tradition of that branch of the Common Law of England
that is concerned with public law...», ibid., p. 372.
234 Le Parlement britannique avait agi en tant que pouvoir
constituant à l?égard de Maurice. La Constitution mauricienne
initiale, comme beaucoup d?autres, est dite fabriquée en
Angleterre? (made in England).
activité volcanique?235. L?île changea de
statut. La monarchie fut abolie et Maurice devint une République (B).
Sous le bénéfice de cette présentation,
on s?interrogera sur la survivance de l?institution du Comité Judiciaire
dans les deux phases de l?évolution constitutionnelle de Maurice.
A. La monarchie
Comme il avait été admis avant la
deuxième guerre mondiale que le Roi George VI (1936-1952) était
Roi du Canada aussi bien que celui du RoyaumeUni236, les
Constitutions de type Westminster reconnurent le principe de la
divisibilité de la monarchie. Selon ce principe, la Reine Elisabeth II
était jusqu?à 1992 le Chef de l?Etat de Maurice 237
représentée sur place par un Gouverneur-Général. Ce
dernier, comme en régime parlementaire classique et conformément
à la pratique des Souverains d?Angleterre238, n?agissait
qu?avec l?accord ou le vouloir du Premier ministre239. En revanche,
en matière d?administration de la justice royale, il revenait à
la Reine elle-même de traduire en Ordonnances les avis du Comité
Judiciaire sur les litiges mauriciens240. Le fonctionnement de cette
justice royale provoqua des interrogations sur sa légitimité (a).
Mais la tentative d?abolition du droit de recours à Londres
échoua (b).
235 CONAC Gérard: «Le processus de
démocratisation en Afrique», pp. 11 à 41 in CONAC
Gérard (dir): «L?Afrique en transition vers le pluralisme
politique», La vie du droit en Afrique, Economica, 1993, 517 p., v. p.
11.
236 DALE William, cité note 29, v. p. 69.
237 Le titre de la Reine pour le Royaume-Uni est le suivant:
Elisabeth la seconde, par la Grâce de Dieu, Reine de Royaume-Uni, de la
Grande-Bretagne et de l?Irlande du Nord et de ses autres royaumes et
territoires, Chef du Commonwealth et défenseur de la foi.
238 Les grandes conventions constitutionnelles
évoquées par Albert Venn Dicey furent expressément
traduites dans les nouveaux Etats. Sur les conventions v. BEAUD Oliver:
«Les conventions de la Constitution. A propos de deux thèses
récentes», DR, 1983, pp. 125 à 135. Sur l?utilité des
conventions v. AVRIL Pierre: «Les conventions de la Constitution»,
RFDC, 1993, pp. 327 à 340.
239 Le Souverain possède en théorie le droit
d?accorder ou non sa sanction aux lois votées par le Parlement. Dans la
pratique, l?assentiment à une Loi n?est qu?une clause de style et
ressemble à la procédure française de la promulgation. V.
GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 246.
Sur les pouvoirs du Gouverneur-Général v. DALE
William, Sir: «The modern Commonwealth», Londres, Butterworths, 1983,
345 p., v. p. 113 à 117.
Il convient de noter qu?en Australie le
Gouverneur-Général s?était montré plus actif. V. DE
SMITH Stanley A.: «Constitutional and administrative law», Londres,
Penguin Books, 728 p., v. p. 124.
240 Le Comité Judiciaire ne conseillait pas le
Gouverneur-Général. L?administration de la justice royale avait
demeuré centralisée.
a. La mise en cause de la légitimité de la
justice royale
L?île Maurice ne fut pas complètement
épargnée du mouvement de suppression du droit de se pourvoir au
Comité Judiciaire. Les mêmes griefs que ceux invoqués dans
d?autres pays furent mis à l?avant pour étayer la thèse
abolitionniste. Il était notamment fait reproche à la nature
coloniale des relations entre le Comité Judiciaire et l?ordre juridique
mauricien. Les dirigeants mauriciens voulaient que le système de droit
mixte mauricien poursuivît une finalité différente de celle
de l?époque coloniale. Autrefois, les autorités importaient le
droit de l?Angleterre et éventuellement de la France. Durant la
décennie quatre-vingt, le législateur avait voulu satisfaire des
finalités proprement mauriciennes241 car l?île Maurice
a ses propres moeurs et est une île à pluralité
religieuse242.
Il était aussi fait reproche au fait que le
gouvernement ne possède aucun moyen de contrôle sur le
Comité Judiciaire, dont l?existence est fixée par une Loi
britannique de 1833. Le Comité Judiciaire s?est déclaré
complètement autonome, non soumis au Souverain britannique, donc
à l?époque, mauricien aussi. Dans un pourvoi venant du Canada, la
Haute Instance avait même fait ressortir que le Souverain était
pratiquement tenu d?agir conformément à son avis243.
La juridiction du Conseil Privé applique ses propres politiques
jurisprudentielles, des fois jugées contraires à
l?intérêt public national par la Cour Suprême. Une analyse
de la jurisprudence permet de constater que le Comité Judiciaire se sent
de plus en plus tenu d?appliquer à Maurice les grands principes de droit
développés en Europe occidentale. La divergence de politique
entre les deux institutions s?était accentuée. La Cour locale
privilégiait le droit au développement économique au
détriment des droits et libertés de première
génération. Par exemple, le droit de propriété
était mieux protégé par le Conseil Privé
qu?à la Cour locale qui privilégiait l?intervention de l?Etat
dans le domaine é con o mi q ue244.
241 «Désormais à Maurice le droit est
français et anglais dans ses sources mais mauricien dans son objet et
ses effets, poursuivent un seul but: la satisfaction d?une finalité
mauricienne», HEIN Yves: «La réforme du mariage à
l?île Maurice: pour une unification du droit», thèse,
Université d?Aix Marseille, 1984, 138 p., v. p. 86.
242 Par exemple, en droit civil, le législateur accorde
une certaine reconnaissance aux mariages religieux en vue d?adapter la
législation à la culture mauricienne. V. Loi sur
l?état-civil de 1981 (civil status Act 1981).
243 Voir infra.
244 Ibid.
Certains juges locaux avaient réagi en essayant de
limiter les effets des décisions du Comité Judiciaire en droit
mauricien. La Cour Suprême appliquait de moins en moins les
précédents du Comité Judiciaire statuant sur des litiges
venant d?autres pays du Commonwealth. Juridiquement, le juge mauricien
n?était pas tenu de les appliquer. Il préférait invoquer
des décisions d?autres cours britanniques, notamment celles de la
Chambre des Lords245. Ensuite, s?agissant des arrêts du
Comité Judiciaire prononcés en contentieux mauricien, certains
juges locaux, par un travail de distinction des cas, refusaient d?appliquer les
précédents aux situations qu?ils considéraient en toute
discrétion différentes246 ou les appliquaient avec
beaucoup de réserves247.
b. La tentative de remplacement du Comité
Judiciaire
En 1983, le gouvernement de Monsieur Aneerood
Jugnauth248 avait tenté d?abolir la monarchie et exclure le
Comité Judiciaire de l?ordre judiciaire mauricien. Le projet de loi fut
préparé sous son premier gouvernement qui dura un an. Lors des
élections anticipées de 1983, le projet de faire de l?île
Maurice une République fut au centre des débats. Un projet de
révision à cet effet fut adopté en Conseil des ministres
du 29 septembre 1983.
Le projet tendait à remplacer le Comité
Judiciaire par une Haute Cour d?Appel dotée plus ou moins des
mêmes pouvoirs que la juridiction londonienne249. La Haute
Cour aurait été composée d?anciens Chefs-Juges de la Cour
Suprême de Maurice, nommés par l?éventuel Président
de la République. Selon le ministre de la justice d?alors et initiateur
du projet, Sir Gaétan Duval, après cessation de fonction d?un
membre de la Haute Cour, seuls ses pairs aurait
245 COLOM Jacques: «La Cour Suprême de l?île
Maurice et le contrôle de la constitutionnalité des textes
fondamentaux de 1964 à 1984», thèse, Aix Marseille, 1989,
283 p. L?auteur fait à la page 129 une étude sur l?application
des précédents du Comité Judiciaire. Sur un
échantillon de 62 arrêts allant de 1965 à 1981, seulement
dans une quinzaine de cas, les juges mauriciens ont expressément fait
référence à des décisions du Comité
Judiciaire.
246 CSM: 28 octobre 1987, Curpen c/ Regina, jugement n°
328 de 1987, les juges A. G. Pillay et R. Proag rédacteurs de
l'arrêt. V. infra.
247 CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol.
criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.
V. infra.
248 Sur l?histoire des partis politiques et des
élections depuis l?indépendance, v. PANTER-BRICK S. Keith:
«Trois exceptions à la règle: le multipartisme à
Maurice, au Botswana et au Nigeria», in CONAC Gérard (dir),
cité note 235, p. 423 et s.
249 La révision tendait en la substitution du terme de
pourvoi à Sa Majesté en Conseil en celui de pourvoi à la
Haute Cour d?Appel.
eu le pouvoir de nommer son successeur parmi les avocats
disposant au moins de dix années d?expérience
professionnelle250.
Sir Seewoossagur Ramgoolam, ancien premier ministre, qui
aurait devenu le premier Président de la République si le projet
était adopté, s?opposa fermement à l?idée de
remplacement du Comité Judiciaire251. La Haute Cour n?aurait
offert les mêmes garanties d?impartialité que le Comité
Judiciaire à l?île Maurice pluriethnique, selon Sir Seewoossagar
Ramgoolam. D?autres dirigeants à la fois de la majorité et de
l?opposition s?étaient opposés au projet252.
B. La République
La proclamation de la République était
considérée par les principaux partis politiques de l?île
Maurice comme une étape supplémentaire du processus d?acquisition
d?une pleine et entière souveraineté de l?Etat. En
réalité, le fait d?instituer une présidence de la
République, de surcroît une dyarchie au sommet de l?Etat et un
partage, fût-il non équilibré, des pouvoirs entre le
Premier ministre et le Président, était aussi un moyen de
consolider l?unité nationale et l?équilibre
intercommunautaire253.
Le projet d?instauration d?une République fut au centre
des débats lors des élections générales de
1987254 qui furent à nouveau remportées par le
gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth. Toutefois, par un spectaculaire
remaniement ministériel et revirement des alliances politiques,
l?opposition
250 V. LEBRASSE Jossie: «Les amendements instituant la
République devant le Parlement», WE, 2 octobre 1983, v. p. 1 et
s.
251 LEBRASSE Jossie: «SSR à Week-End: Pas du tout
d?accord avec l?institution d?une Haute Cour d?Appel», WE, 2 octobre 1983,
p. 1. L?ancien Premier ministre avait déclaré: «Je ne suis
pas du tout d?accord avec ce changement. S?il n?y avait pas le Conseil
Privé, mon camarade Badry se serait retrouvé en prison... Je
pense que pour ce genre d?appel, il faut continuer de recourir à
l?étranger». Monsieur L. Badry fut ministre du gouvernement de
Ramgoolam et reconnu coupable pour outrage à la Cour. L?arrêt de
la Cour Suprême fut cassé en grande partie par le Comité
Judiciaire.
252 Monsieur Paul Bérenger, ministre des affaires
étrangères en 1991 et grand inspirateur du projet de
République, parla du projet d?abolir le recours au Conseil Privé
en ces termes: «... that shame of a draft bill, he (the Minister of
justice) proposed to do away with appeal to the Privy Council. I refused to
discuss this kind of rubbish. Yes, I agree, this was not a draft bill, this was
a shame», LAD, n° 9 de 1991, p. 214.
253 HOOKOOMSING V. Y., CHAN LOW J. et REDDI S. J.:
«Mauritius: The Republic, 199 years after», pp. 5 à 12, in
UNIVERSITY OF MAURITIUS, cité note 195,
254 Lors de ces élections il y avait deux thèses
en présence. Le gouvernement sortant proposait son projet de 1983,
c'est-à-dire l?instauration d?une République parlementaire.
L?opposition MMM voulait présidentialiser le régime politique en
créant un Président à la française, élu au
suffrage universel. La proposition de l?opposition reprenait les articles 5, 8,
9, 10, 12, et 18 de la Constitution française de la Vème
République. V. WE du 1er mars 1987, p, 1 et s.
MMM entra peu après au gouvernement tandis que deux autres
partis de la majorité passèrent dans
l?opposition255.
Au terme d?un compromis entre les deux partis au pouvoir, le
Mouvement Socialiste et le Mouvement Militant256, le projet d?une
République parlementaire fut adopté par le Parlement en
assemblée constituante par une majorité
qualifiée257. Le Président de la République
conserve les pouvoirs classiques attribués à la Reine
d?Angleterre, mais il est nommé par l?Assemblée Nationale
à la majorité absolue pour une durée de cinq ans sur
proposition du Premier ministre258. L?Assemblée ratifie le
choix du Premier ministre.
Le droit de recours au Comité Judiciaire est
maintenu259. Le constituant de 1991 a plus ou moins conservé
le statu quo (b) faute d?avoir une alternative crédible à la
juridiction londonienne (a).
a. L'absence d'alternative au Comité
Judiciaire
Le gouvernement ne dispose pas d?un projet fiable permettant
le remplacement du Comité Judiciaire260. Le projet de
création d?une Haute Cour d?Appel manque de rationalité en soi.
Il prévoyait que le Président de la Cour Suprême
demeurât le chef du judiciaire. La Cour Suprême aurait
été soumise au contrôle d?une cour (mauricienne)
supérieure. La cour supérieure aurait été notamment
composée d?anciens Présidents de la Cour
Suprême261. La hiérarchie des tribunaux aurait devenu
davantage incongrue. Or, tout projet sérieux de
255 Aux élections de 1987, le MMM affrontait une triple
alliance du MSM de Monsieur Aneerood Jugnauth, du PTr et du PMSD de Sir
Gaétan Duval. Cependant, à mi-mandat, le PTr et le PMSD
quittèrent le gouvernement et le MMM y entra. V. PANTER-BRICK S. Keith,
cité note 248, v. p. 430.
256 De nouvelles élections eurent lieu en septembre
1991. Le gouvernement sortant remporta une victoire écrasante.
257 LANGELLIER Jean-Pierre: «Maurice est devenue une
République», Le Monde, 14 mars 1992, p. 7. «L?idée
républicaine n?est pas neuve. Elle avait surgi au début des
années 1970, lorsque les anciens soixante-huitards, devenus d?honorables
ministres, prônaient une République libertaire», ibid.
258 L?actuel Président, Monsieur Cassam Uteem tend
à dynamiser la fonction présidentielle. V. notre article, DOOKHY
Parvèz A. Cader: «Le Président de la République, deux
ou trois choses que je sais de lui», Le Mauricien, 14 janvier 1994, p.
7.
259 PHILIPPE Xavier: « Mutation et révisions
constitutionnelles dans les pays de l?Océan-Indien», AIJC, 1994,
vol. X (imprimé en 1995), pp. 157 à 165.
260 Lors de la révision de 1991, le gouvernement avait
pris soin de dissocier la question du Comité Judiciaire de l?accession
du pays au statut de République pour ne courir aucun risque de censure
au Parlement.
261 Les juristes furent très discrets à propos de
ce projet. V. OSMAN A. M.: «La justice et la Haute Cour d?Appel», Le
Mauricien, 11 novembre 1983, p. 3.
réforme invite à repenser préalablement
la place, le rôle et la dénomination même de la Cour
Suprême. Sujet ardu s?il en est, mais dont la discussion devrait s?ouvrir
aussi sur tout le système juridictionnel de Maurice.
Certains s?étaient prononcés pour l?instauration
d?une cour
constitutionnelle. La question s?était
déjà posée en 1965 mais Stanley A. De Smith rejeta la
proposition262. La cour constitutionnelle n?aurait eu qu?un pouvoir
de veto suspensif de 6 mois à la promulgation de la loi votée. Le
contrôle aurait été exercé a priori. Comme celle de
la Haute Cour d?Appel, la composition même de la cour constitutionnelle
suscitait les plus importantes appréhensions263. L?existence
du monocaméralisme rendait, en outre, impossible l?utilisation du mode
français de nomination au Conseil Constitutionnel. La solution la plus
proche aurait été de conférer au Président de la
République, le Président de l?Assemblée Nationale et le
Chef de l?Opposition un pouvoir de nomination.
Il convient de relever aussi le peu de souci de certains juges
de la Cour Suprême de faire respecter les grands principes de droit. Des
arrêts de la Cour Suprême ont été sujets à de
sévères critiques de ce point de vue264 et ont mis en
lumière la faiblesse de la protection offerte par le juge local. La
protection locale est en deçà du niveau des juridictions
étrangères et internationales. Le juge avait, par exemple,
refusé de consacrer un principe d?égalité entre l?homme et
la femme265. En ce sens Monsieur le Bâtonnier Anil Gayan
soutient que la jurisprudence mauricienne a besoin d?être guidée
par une cour bénéficiant d?une grande
autorité266 d?autant que le barreau et les juges ont perdu
leur prestige267.
262 DE SMITH Stanley A.: «Report of the Constitutional
commissioner», MLA, sessional paper, n° 2, 1965, 15 p.
263 Pour que les membres d?une cour supérieure à
la Cour Suprême disposent d?une autorité convenable, il faut
qu?ils soient d?anciens juges de la Cour Suprême. Or il se pourrait qu?un
jour un nombre insuffisant d?anciens juges soit en vie dans la mesure où
ils prennent leur retraite à 65 ans. V. FORGET Adeline:
«Enquête sur la justice», Le Mag, 13 août 1994, pp. 13
à 21. Le Chef-Juge Sir Victor Glover, est sceptique sur les
possibilités de fonctionnement d?une telle cour. V. ibid., p. 21.
264 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1991, vol.
criminal, pp. 120 à 125, affaire mauricienne, Lord Goff of Chievely
rédacteur de l'arrêt.
265 CSM: 3 octobre 1991, Guyot c/ Government of Mauritius, MR,
1991, pp. 156 à 161, juge Yeung Sik Yeun rédacteur de
l'arrêt.
266 Monsieur le bâtonnier Anil Gayan pense que:
«Maurice étant un petit pays, parce qu?il y a, entre les gens ici,
toutes sortes d?associations, il est important que nous maintenons le Conseil
Privé comme cour d?appel final», in LEBRASSE Jossie:
«Entretien avec Me Anil Gayan», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15,
v. p. 15. V. aussi DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Me Anil
Gayan, Président du Bar Council», Le Mauricien, 3 octobre 1994, p.
6.
267 Le barreau mauricien était au départ
très florissant. V. HEIN R.: «A. Herchenroder 1865- 1982»,
MtsLR, 1986, pp. 141 à 144 et HEIN R.: «L. Leconte», MtsLR,
1982, pp. 247 à 251. Mais le
b. Le statu quo
Devant l?absence d?une solution adaptée à
l?île Maurice, le constituant de 1991 a maintenu le droit de se pourvoir
au Comité Judiciaire268 en opérant toutefois une
adaptation technique de l?appellation de l?institution au statut de
République de Maurice.
En effet, deux types de réforme étaient
envisageables. Un pays où la Reine Elisabeth II n?est plus le chef de
l?Etat mais qui veut maintenir la juridiction du Comité Judiciaire,
peut, en accord avec les autorités anglaises, décider que les
pourvois seraient adressés au nouveau chef de l?Etat qui saisirait le
Comité Judiciaire pour avis et prendrait ensuite une Ordonnance
judiciaire sur la teneur de l?avis269. La deuxième solution
serait que les recours ne soient plus adressés à Sa
Majesté en Conseil
barreau fut en déclin dans les années
quatre-vingt-dix. V. L?Express du 9 avril 1994, p. 9: «Propositions pour
un barreau plus performant».
268 «There appears to be a general feeling not only in
the legal profession but in every section of the population that, if Mauritius
becomes a Republic, the Judicial Committee of the Privy council (as distinct
from Her Majesty in Council) should remain our highest Court», Sir
Aneerood Jugnauth, Premier ministre, LAD, 2ème lecture sur le projet de
révision de la Constitution n° IX de 1991, p. 9.
269 Cette procédure fut utilisée par la
Malaisie. Le Comité Judiciaire adressait un rapport au Chef de l?Etat de
la Malaisie, le Yang di Pertuan Agong. V. par exemple, CJCP: 19 juillet 1979,
Zainal Bin Hashim c/ Government of Malaysia, WLR, 1980, vol. 2, pp. 136
à 143, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de
l'arrêt.
(Her Majesty in Council)270 mais simplement
et directement au Comité Judiciaire qui prononcerait des
arrêts271, des décisions directement
exécutables.
Le constituant mauricien a opté pour la deuxième
solution. Le recours intenté devant le Comité Judiciaire
correspond désormais à un recours direct à une juridiction
extérieure, du moins sur le plan géographique, à
l?île Maurice. Cette solution est commode et s?inscrit dans la
continuité. Ainsi, depuis 1991, le Comité Judiciaire
bénéficie d?une légitimité accrue car il a
été inséré dans la Constitution par le constituant
dérivé, c?est-à-dire mauricien.
Outre que de dire le droit, le Comité Judiciaire est un
élément indispensable au bon équilibre des institutions
à Maurice. A ce titre, il a conquis une position éminente.
Sous-section 2. Les raisons particulières du
maintien de la juridiction du Comité Judiciaire
Il est bien certain que le traditionalisme, le désir de
maintenir la continuité a joué un rôle important dans la
conservation du droit de recours à Londres. Le Comité Judiciaire
a beau être une juridiction un peu inadaptée au statut souverain
des Etats par les événements, il demeure néanmoins
à Maurice un élément important au maintien de la paix
sociale et au fonctionnement de la démocratie. La Haute Instance
londonienne est un facteur de stabilité dans la vie nationale. Elle
résume le consensus à tout moment où celui-ci est
affecté. Ce prestige, cette situation exceptionnelle est la
rançon de sa suppression. C?est ainsi que personne à l?heure
actuelle ne songe sérieusement à la supprimer272.
En effet l?île Maurice est un petit pays273
composé d?une mosaïque de peuples. La pluralité ethnique
marque la vie du pays au point où l?on peut douter de l?existence d?une
véritable nation mauricienne274. Les
génocides275 qui
270 Telle était la clause de style utilisée dans
les pays soumis au Comité Judiciaire et où la Reine d?Angleterre
est le Chef de l?Etat.
271 DE SMITH Stanley, cité note 239, v. p. 163.
272 «There are no plans to abolish the possibility of
appealing to the Privy Council although it can be doubted whether the Privy
Councillors, meeting in London, are really a body suitable to decide cases
arising in a society about which they know very little... Perhaps the fact that
the present Prime Minister of Mauritius is a Privy Councillor (though he does
not sit in the Judicial Committee) make appeals to the Privy Council more
palatable from the Mauritian point of view», BOGDAN Micheal: «The Law
of Mauritius and Seychelles: a study of two small mixed legal systems»,
Lund, Jurisfôfloget, 1989, 54 p., v. p. 22.
273 Elle est d?une superficie de 1865 km2, mais a
plusieurs dépendances dont l?île Rodrigues d?une superficie de 105
km2, Agaléga de 70 km2 et de l?Archipel de
Chargados Carajos qui regroupe vingt-deux îles.
274 La question est posée par M. DUPON J.
François au terme d?une intéressante présentation de la
société mauricienne. V. DUPON Jean-François: «La
société mauricienne», RJPIC, 1969, pp. 337 à 356.
ont eu lieu dans les années quatre-vingt-dix, notamment
en ex-Yougoslavie et au Rwanda, sont venus confirmer la fragilité de
tout équilibre intercommunautaire et du danger de la
démocratie276. Une justice totalement impartiale et
indépendante, voire extérieure, est un élément
nécessaire au maintien de cet équilibre.
Par ailleurs, la Constitution mauricienne établit un
système de collaboration plutôt que de séparation des
pouvoirs. Le monocaméralisme, conjugué avec la rationalisation de
l?activité parlementaire et de la discipline majoritaire, sacrifie tout
pouvoir de contrôle du Parlement. Le Cabinet détient tout pouvoir
décisionnel. Les institutions judiciaires purement mauriciennes, par la
faiblesse de leur structure, ne jouent que difficilement leur rôle de
contre-pouvoir.
Ces deux raisons, la pluralité ethnique de l?île
Maurice (paragraphe 1) et l?absence d?équilibre entre les pouvoirs
publics (paragraphe 2) font que la perpétuation des recours à
Londres soit nécessaire. Il s?avère, dès lors, de s?y
attarder.
Paragraphe 1. La pluralité ethnique de
l'île Maurice
L?histoire coloniale, la succession des colonisateurs, a
façonné le peuplement de l?île Maurice. Le fait multiracial
marque le fonctionnement du système et du jeu politique (B) du fait
même qu?il est évoqué dans le texte constitutionnel (A).
275 TERNON Yves: «L?Etat criminel, les génocides
au XXème siècle», Editions du Seuil, 1995, 459 p.
276 «La démocratie ne se résume-t-elle
qu?en la souveraineté du nombre ? Dans ce cas il faut admettre que le
processus électif peut conduire à la dictature (les Nazis sont
arrivés au pouvoir avec la majorité relative des suffrages), et
c?est encore le cas aujourd?hui de nombreux régimes autoritaires»,
ROULAND Norbert, PIERRE-CAPS Stéphane et POURAMEDE Jacques: «Droit
des minorités et des peuples autochtones», PUF, Collection droit
fondamental, 1996, 581 p., v. p. 11.
A. Les données sociales et constitutionnelles
La population mauricienne est juridiquement composée de
quatre ethnies (a). La prise en compte des dissensions ethniques s?est traduite
par l?introduction dans la Charte fondamentale des garanties et des moyens de
protection des minorités. L?examen de ces garanties nous conduit
également à s?interroger sur leur efficacité (b).
a. La composition de la population
Dès l?origine de la colonisation française, la
population de l?île de France fut composée de trois
communautés277, les noirs esclaves venus de l?Afrique, des
affranchis (les noirs libres, ou, la population de couleur) et les blancs.
Suite à l?abolition de l?esclavage par les anglais, ces derniers,
à la recherche d?une main d?oeuvre docile et moins coûteuse,
furent appel aux indiens qui immigraient en masse à partir de
1835278. Les immigrants furent employés aux durs travaux dans
les plantations et ils constituaient ainsi un prolétariat bien
misérable279. Ce flux d?immigrants indiens, qui fut
arrêté en 1842 pour des raisons humanitaires, était
constitué de 5/6 d?hindous et de 1/6 de musulmans qui, contrairement aux
hindous, étaient principalement venus comme ouvriers qualifiés et
commerçants280. Enfin, une faible communauté chinoise
de la Chine du sud fut venue compléter le peuplement281.
Cette diversité des origines ethniques282 a
donné naissance à une grande diversité
religieuse283. Les hindous (l?ensemble des populations non
musulmanes d?origine indienne dont les tamouls) représentent à
eux seuls près de 52 % de la population totale, soit la majorité
absolue. Dans cinq des six districts ruraux,
277 DURAND Jean-Pierre: «L?île Maurice et ses
populations», Bruxelles, Editions Complexes, 1978, 188 p.
278 Les indiens étaient employés au terme d?un
contrat. QUENETTE Rivaltz L.: «En marge de l?abolition de l?esclavage: la
fin d?une légende», Port-Louis, 1960, 116 p. et v. MIEGE Jean-
Louis: «L?indenture labour dans l?Océan-Indien et le cas
particulier de l?île Maurice», rapport présenté au
colloque du Centre for History of European Expansion, Leyde, 21-23 avril 1982,
35 p.
279 HAZAREESING K.: «Histoire des indiens à
l?île Maurice», Paris, Librairie d?Amérique et d?Orient,
1973, 223 p.
280 DELVAL RAYMOND: «La communauté musulmane
à l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 49 à 77. V. aussi
EMRITH Moomtaz: «History of Muslim in Mauritius», Bruxelles, Editions
le Printemps, 1994, 376 p.
281 TIO-FANE H. Ly: «La diaspora chinoise dans
l?Océan-Indien», Aix en Provence, Association des Chercheurs de
l?Océan-Indien, 1981, 408 p.
282 LAU THI KENG Jean-Claude: «La multiethnicité
à Port-Louis, île Maurice», RM, 1990, p. 121 à 127.
283 «The visitor to Mauritius is at once struck by the
variety of religions to be found in the island. Temples, pagodas, mosques and
churches, as well as distinctive shrines are to be seen along the roads»,
BURTON Benedict: «Indians in a plural society: a report on
Mauritius», HMSO, 1961, 168 p., v. p. 138. V. aussi DUPON
Jean-François: «Aperçu sur les résultats du dernier
recensement sur la population de l?île Maurice», APOI, 1974, pp. 345
à 351.
les hindous représentent 60 à 70 % de la
population. La population générale? recouvre
l?ensemble des groupes dont le critère de définition est
résiduel. Il s?agit de tous les groupes qui ne sont pas d?origine
asiatique. Cette dénomination rassemble les mauriciens d?origine
européenne (les blancs), ceux d?origine africaine peu
métissés (les créoles) et ceux métissés (les
mulâtres). Cette communauté
hétérogène284 est la seconde du point de vue
numérique avec près de 29 % de la population totale. La
communauté musulmane, avec 16 % de la population forme une nette
minorité plus ou moins cohérente285. La
communauté sino-mauricienne, 3 % de la population, regroupe les
mauriciens d?origine chinoise286.
b. Les protections constitutionnelles et leur
efficacité
Dans la transposition à Maurice du régime
parlementaire de Westminster, le constituant a beaucoup insisté sur la
protection des droits des minorités287 pour maintenir
l?équilibre intercommunautaire288.
Ainsi, les droits fondamentaux des individus et des groupes
sont nettement affirmés dans la Charte fondamentale. Celle-ci s?ouvre
par une proclamation selon laquelle les droits fondamentaux sont reconnus
à tous «sans discrimination à raison de la race, du lieu
d?origine, des opinions politiques, de la couleur, des croyances ou du
sexe»289. La Constitution garantit les droits classiques et a
institué une procédure juridictionnelle de sanction des
violations des droits fondamentaux.
Le constituant a mis en place une série d?institutions
et de mécanismes tendant à assurer la protection des
minorités. A ce titre l?institution de l?Ombudsman290 est une
garantie pouvant rassurer les minorités. En outre de sa mission de
remédier à la mal administration, l?institution mauricienne est
conçue comme l?antidote idéal aux risques de discrimination
raciale par
284 Ils partagent néanmoins une identité culturelle
et cultuelle: la langue française et le catholicisme romain.
285 Les musulmans sont fortement concentrés dans la
capitale, Port-Louis.
286 Ils sont actifs dans le commerce de détail.
287 PALLEY C.: «Constitutional law and minorities»,
Londres, Minority Rights Group Ltd., rapport n° 36, 1978, 23 p.
288 «... the Westminster model has undergone a number of
modifications in its journey overseas. Most of the modifications have been
designed either to give concrete expression to principles which in Britain rest
upon unwritten understandings or to afford reassurance to minority
groups», DE SMITH Stanley cité note 30, p. 107.
289 Article 3 CM. V. ISSALYS Pierre-François:
«Ethnic pluralism and public law in selected Commonwealth countries»,
thèse de Doctor of philosophy? (Phd), Université de
Londres, 1972, 522 p. v.sur l?île Maurice, pp. 352 à 435.
290 Article 96 à 102 CM. V. FLAUSS Jean-François:
«L?Ombudsman mauricien», RA, 1986, pp. 172 à 175.
l?Administration. L?île Maurice ne dispose pas la
Grande-Bretagne d?une Commission pour l?Egalité Raciale. Le titulaire de
la fonction est nommé par le Chef de l?Etat. A la différence de
celle du Médiateur de la République française, la saisine
de l?Ombudsman est largement ouverte. Il peut être saisi directement par
des administrés, sans condition de citoyenneté. L?exercice de
cette saisine populaire est, en droit, facilité par la gratuité
et l?absence de tout formalisme dans la procédure. Pourtant, il faut se
méfier de céder à la tentation du culte de cette
institution mauricienne. L?Ombudsman n?a jamais pu s?ériger en un
véritable contre-pouvoir puissant faute d?une médiatisation et
publicité de ses travaux291 et a même exercé ses
pouvoirs dans un sens inverse292. On s?étonnera de cette
prise de position.
Par ailleurs, il est prévu dans la Constitution et la
loi électorale des dispositions permettant une meilleure
représentation des communautés religieuses à
l?Assemblée Nationale293. Le mode de scrutin est majoritaire
à un tour. Sont élus dans chaque circonscription294
les trois candidats (deux à Rodrigues) qui ont obtenu les plus grands
nombres de voix. Les électeurs sont tenus de choisir trois candidats,
sous peine de nullité, sur une liste de l?ensemble des postulants de la
circonscription295. Aux soixante-deux candidats directement
élus, s?ajoutent huit candidats meilleurs perdants (Best
losers)296 désignés par la Commission de
Contrôle des Elections (Electoral Supervisory Commission) en
vertu de l?article 5 de l?Annexe à la Constitution de Maurice. Les
quatre premiers sièges sont attribués aux non-élus
appartenant à la ou les communautés297 sous
représentées à l?Assemblée Nationale au plus fort
pourcentage des voix recueillis, quel que soit leur parti
d?origine298. Les quatre
291 Malgré l?accroissement en 1991 de ses
compétences en matière de corruption active et passive,
l?Ombudsman est demeuré très passif. Mais le premier titulaire de
la fonction, un magistrat suédois, Monsieur Gurnor Lindh, avait
joué un rôle très actif. V. notre article, DOOKHY Riyad et
Parvèz: «L?Ombudsman, ses faiblesses», 5-Plus dimanche, 24
avril 1994, p. 8. V. aussi MAURITIUS LEGISLATIVE ASSEMBLY: «The Ombudsman,
circumtances leading to the resignation of Mr Gurnor Lindh», Sessional
paper n° 1, 1972, 4 p.
292 Monsieur Suleiman Hattea, titulaire de la fonction
à Maurice, a déclaré que l?Ombudsman constitue
également un rempart pour l?Administration contre les accusations
injustifiées?, in WE, 13 février 1994, p. 20.
293 «The electoral system would appear to have attempted
to reconcile, in some measure, certain communal considerations, to encourage
multi-communal parties while at the same time ensuring that the result of the
elections would not hereby be frustrated», CSM: 21 janvier 1995, Valayden
c/ The President of Mauritius, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, Les juges
Rajsoomer Lallah, V. Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yeun rédacteurs de
l'arrêt.
294 Il y a vingt et un circonscriptions.
295 Avec la bipolarisation l?électeur serait
amené à voter pour les trois candidats de différentes
communautés présentés par les partis.
296 Ce procédé peut se révéler
antidémocratique. Un candidat écarté par
l?électorat peut être retenu par l?autorité nommante, la
Commission de Contrôle des Elections. En 1983, Monsieur Ismaël
Nawoor n?avait obtenu que 16,2 % des suffrages exprimés mais avait
été désigné.
297 Les éventuels candidats sont tenus de
déclarer leur appartenance communautaire lors de leur inscription en
tant que candidat.
298 En 1982, l?alliance MMM et PSM et OPR remporta tous les 62
sièges à pourvoir. La Commission de Contrôle avait
refusé de désigner les meilleurs perdants à cause de
autres sièges sont attribués selon le même
procédé mais en rétablissant l?équilibre
numérique entre les partis à l?Assemblée Nationale. Ce
procédé est considéré comme un facteur de
développement et d?encouragement de la pratique du
communautarisme299 et incite les partis politiques à
pratiquer une stratégie électorale basée sur les
dissensions ethniques300. Le député nommé ou
correctif est également incité à se comporter davantage en
représentant de sa communauté religieuse que celui de la
nation301. Mais Stanley A. De Smith avait considéré ce
système comme un mal nécessaire au fonctionnement d?une
démocratie pluri-ethnique302.
Enfin, le constituant a créé une série
d?autorités administratives indépendantes, telle la Commission de
la Fonction Publique (Public Service Commission), compétente
pour statuer sur la discipline et pour effectuer les nominations des
fonctionnaires, la Commission du Service de la Justice (Judicial Service
Commission), chargée des mêmes fonctions à
l?égard des magistrats et la Commission de Contrôle des Elections
(Electoral Supervisory Commission) chargée du bon
déroulement des opérations électorales303.
Ces mécanismes, tout en protégeant les
minorités, ne freinent pas pour autant le réflexe identitaire,
les dissensions raciales, donc des discriminations.
B. La pratique des discriminations ethniques et
religieuses
l?impossibilité d?appliquer la loi dans la mesure
où tous les candidats de la majorité avaient été
élus. La Cour Suprême de Maurice infirma partiellement la
décision de la Commission et attribua les quatre premiers sièges
meilleurs perdants aux candidats des partis non représentés
à l?Assemblée Nationale qui constituent l?opposition. V. CSM: 1er
juillet 1982, Roussety c/ The Electoral Supervisory Commission, MR, 1982, pp.
208 à 213, le Chef-Juge Cassam Moolan rédacteur de l'arrêt.
De même en 1991 et 1995, seuls les quatre premiers sièges avaient
été alloués pour des raisons pratiquement identiques.
299 Le juge puîné Garrioch, dans une opinion
dissidente dans CSM: 4 juin 1974, Duval c/ Commissioner of Police, MR, pp. 130
à 165, le juge Ramphul rédacteur de l?arrêt majoritaire,
avait écrit ceci: «Communalism is a reality not only recognised but
also likely to be perpetuated by our Constitution», ibid., p. 159. V.
aussi BOOLELL Satcam, Sir,: «The case for reform», 5- Plus dimanche,
6 mars 1994, p. 8. Il écrit que: «The good loser system has
outlived its usefulness and it is hightime to get rid to this complicated and
cumbersome system», ibid.
300 D.A.: «Le système correctif à la
ferraille, l?opinion publique le réclame», WE, 4 juillet 1982, p.
8. Des députés de base (backbenchers) et trois ministres
avaient en 1982 demandé par voie de pétition l?abrogation du
système correctif. Le Premier ministre s?y était opposé.
V. Le Mauricien, 13 juillet 1982, p. 1. V. aussi SELVON Sydney:
«Abolissons le best-loser communal et proclamons l?avènement de la
nation une et indivisible», WE, 4 juillet 1982, p. 8.
301 GABRIEL G.: «Communalisme, structures sociales et
dépendances économiques à l?île Maurice», PA,
1983, pp. 97 à 112. En français mauricien, l?idéologie et
la pratique des réflexes identitaires sont exprimées par le terme
communalisme?.
302 «... in the present social and political climate of
Mauritius, it may be that to afford such a guarantee... will be the least of
evils, but I believe it to be an evil nonetheless», DE SMITH Stanley A.,
cité note 262, p. 8.
303 «Our conclusion also takes account of the vital role
ascribed by the Constitution in particular to the Commission as an impartial,
independent and apolitical body charged, not only with the responsibility for
among other things, the conduct of elections of members of Parliament»,
CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp. 29 à 47, le
juge Garrioch rédacteur de l'arrêt, v. p. 38.
Le fait des dissensions ethniques s?est
développé au fil du peuplement et de l?évolution politique
de Maurice (a) pour demeurer pratiquement irréversible au plan politique
(b).
a. Le développement du réflexe
identitaire
Le phénomène de l?esclavage, bien qu?aboli
dès le dix-neuvième siècle, a continué à
avoir des répercussions sur l?organisation de la société
mauricienne. Les franco-mauriciens, les descendants des colons, ont
conservé une prééminence sur le plan économique et
affichent, selon certains, un certain mépris à l?égard des
autres groupes ethniques304. Ils sont les détenteurs de
grandes industries sucrières et entreprises et tiennent à
l?écart le reste de la population générale aux postes
d?encadrement les plus élevées305. Dans ces
conditions, la course à la blancheur, autrement dit la course à
l?occidentalisation, constitue, pour le reste de la population
générale, un besoin de promotion sociale306.
L?Administration coloniale britannique avait renforcé
ce phénomène en collaborant, au besoin, avec les
franco-mauriciens307 pour atténuer certaines revendications
des indo-mauriciens jusqu?à l?accession de l?île à
l?indépendance308. Mais la démocratisation du
régime et l?introduction du suffrage universel accentuèrent la
naissance d?une force politique d?origine indienne309. Une petite
bourgeoisie fut créée au sein de la communauté
hindoue310 après la guerre. L?indépendance de l?Inde
fit revivre la confiance et la fierté dans la culture de la Grande
Péninsule311. Le Parti Travailliste mauricien, porte- parole
des éléments moins favorisés de la population et des
indiens, remporta des succès électoraux.
304 FAVOREU Louis, cité note 194, p. 17.
305 La Commission Avramovic, présidé par
Monsieur Raj Virashawmy, a constaté que six familles constituent une
oligarchie financière. Ce sont six familles franco-mauriciennes. Ces
dernières détiennent la plus grande banque de dépôt
de Maurice. V. COLOM Jacques, cité note 245, p. 20.
306 Ibid.
307 L?Ordonnance royale du 20 juillet 1831 avait prévu que
certains principaux propriétaires seraient désignés
membres du Conseil de gouvernement.
308 «L?on n?est pas sans savoir que sauf exception, tous
les hauts postes tant dans la fonction publique que dans le secteur
privé... étaient occupés par les membres de la classe
privilégiée. C?était tout cela le régime colonial
britannique», DOMINGO A. F.: «Les mauriciens de la dernière
guerre mondiale», WE, 18 décembre 1983, p. 24.
309 MANNICK A. R.: «Mauritius: the development of a plural
society», Londres, Spokesman, 1979, 174 p., v. p. 147 et s. sur les
hindous.
310 Puisque le secteur privé était fermé aux
indiens, ceux-ci occupaient des fonctions dans la fonction publique.
311 «The independence of India had revived confidence and
pride in the language and cultures of the sub-continent», HOUBERT Jean
cité note 231, p. 229.
A l?accession de Maurice à l?indépendance, le
danger était que les indo - mauriciens fissent des fonctions
gouvernementales et administratives une véritable chasse gardée
pour eux ou utilisassent l?appareil d?Etat pour s?émanciper et renverser
le rapport de forces entre les communautés en leur faveur. Le
débat politique fut dès lors hautement basée sur
l?appartenance ethnique des candidats en présence lors des
élections de 1967. Le communautarisme312 était
installé.
b. La politique sur la base du réflexe
identitaire
La bipolarisation du débat sur l?accession de Maurice
à l?indépendance masqua en réalité une opposition
entre les indo-mauriciens et la population générale.
A la montée en puissance du Parti Travailliste
mauricien, les minorités ethniques répondirent par la
création du Ralliement Mauricien, alliance des catholiques et des
musulmans, transformé en 1952 en le Parti Mauricien Social
Démocrate. En 1958, les musulmans créèrent le
Comité d?Action Musulmane, qui se sépara progressivement du Parti
Mauricien pour conclure une alliance électorale avec le Parti
Travailliste et faire campagne en faveur de l?indépendance. Le Parti
Mauricien fut hostile à l?indépendance dans la mesure où
le suffrage universel donnerait nécessairement l?avantage aux indo -
mauriciens et serait préjudiciable à la communauté
franco-mauricienne313. Mais la défection des musulmans du
Parti Mauricien déboucha en 1968 sur un début de guerre civile
entre les créoles et les musulmans qui fut jugulée grâce
à l?intervention de l?armée britannique314.
312 «Communautarisme signifie que la
société est structurée par le clan, le lignage, le
village, la tribu ou l?ethnie, la caste aussi. L?individu se définit
à travers ses rapports avec la communauté. Il n?est qu?un
élément du groupe auquel il est subordonné. Une
solidarité générique s?établit entre ses membres
dans l?intérêt de tous», ARDANT Philippe: «Les
problèmes posés par les droits fondamentaux dans les Etats en
voie de développement», pp. 107 à 124 in ASSOCIATION
FRANCAISES DES CONSTITUTIONNALISTES: «Droit constitutionnel et droits de
l?homme», IIe Congrès Mondial de l?Association Internationale de
Droit Constitutionnel, 31 août 5 septembre 1987, Paris, Economica, 1987,
512 p., v. p. 111.
313Le PMSD souligna «la
nécessité, si l?on veut préserver la culture occidentale,
de faire preuve de cohésion devant le bloc oriental», BOISSON J. M.
et Louis M.: «Les élections législatives du 20
décembre 1976 à l?île Maurice: l?enjeu économique et
politique», APOI, 1976, pp. 217 à 265, v. p. 223.
314 SMITH A. Simmons: «Modern Mauritius: The politics of
decolonization», Bloomington, Indiana University Press, 1980, 242 p.
Le jour des élections décisives sur
l?indépendance, les musulmans proches du CAM s?étaient violemment
opposés aux militants créoles du PMSD dans le fief musulman de la
capitale, la Plaine Verte, ibid.
Après l?indépendance, le Mouvement Militant
Mauricien prit naissance et se voulait être au-dessus des
rivalités ethniques315. Ce parti, proche à l?origine
de l?idéologie marxiste, importa à Maurice de nouvelles
idées, notamment la lutte des classes, tendant à diminuer
l?intensité de la politique des discriminations ethniques (ethnic
politics). Selon un slogan, le Mouvement Militant voulait remplacer
«la lutte des races par la lutte des classes»316. Mais la
volonté de Mouvement Militant de maintenir l?équilibre politique
intercommunautaire (ethnic political balance), qui permit au parti de
devenir national dans les années quatre-vingts317, consolida
la pratique du commun au taris me.
Les dissensions ethniques sont l?enjeu principal de chaque
campagne électorale. L?île Maurice n?est pas une
société matériellement et moralement
intégrée et ne dispose d?une relative unité culturelle de
ses citoyens. L?EtatNation ne s?y est pas installé encore318.
L?Etat a précédé la Nation, entité qui reste
à construire319. Aucun parti politique n?est aujourd?hui
véritablement national. Le Mouvement Militant, au fil des
défections de ses éléments320, est devenu
principalement un parti des minorités au même titre que le Parti
Mauricien Social Démocrate321. Le Mouvement Socialiste
Militant de l?ancien
315 «The MMM started as a radical movement of young educated
Mauritians of different ethnic origins dedicated to rid the island of
communalism?», HOUBERT Jean, cité note 231, p. 242.
Le MMM fut créé notamment par MM.Paul
Bérenger, soixante-huitard de Paris, Jooneed Jorebarkhan et Dev
Virashawmy.
316 Toutefois, le MMM, par réalisme, choisit ses
candidats pour les différentes circonscriptions sur la base de leur
appartenance ethnique. Dès sa première participation
électorale, le parti investit Dev Virashawmy, de confession hindoue,
comme candidat dans une circonscription à majorité hindoue, fief
du Premier ministre d?alors. Vingt-trois ans après, M. Paul
Bérenger reconnaît l?impossibilité de faire abstraction du
communautarisme: «On a regardé de plus près les racines de
notre histoire et on a bien mesuré combien étaient fragiles les
sociétés pluriethniques, plurireligieuses comme Maurice... Nous
avons fait des choix délicats aussi. Comme celle de l?élection
partielle de Triolet où nous avons présenté Dev
Virashawmy. On a fait un compromis. Si nous étions toujours les
idéalistes que nous étions en 1969, nous aurions
présenté Paul Bérenger», in CAUNHYE Fouad:
«Entretien avec Paul Bérenger», Le Mag, 4 septembre 1994, pp.
14 à 18, v 17.
317 Le MMM ne s?était pas allé contre certaines
moeurs. M. Paul Bérenger, véritable chef du parti, choisit de
jouer un profil bas. En 1993, bien qu?il commandait la majorité dans
l?opposition, il renonça à assumer les fonctions de Chef de
l?opposition au profit d?un hindou, Monsieur Navin Ramgoolam.
318 DOOKHY Parvèz A. Cader: «Les causes de
l?instabilité ministérielle», Le Mauricien, 11 novembre
1993, p. 7.
319 «L?Etat est lui aussi à construire. Il
précède la nation. Sa première tâche est de la
mettre au monde... Les sociétés en voie de développement
sont composites, les divisions ethniques, religieuses, linguistiques se sont
cristallisées au cours des siècles, entraînant des
affrontements, des sujétions, une tradition de coexistence pacifique
plus souvent belliqueuse», ARDANT Philippe, cité note 312, v. p.
111.
320 NITISH G.: «1973, 1983, 1993... Les dissidences et
les cassures au MMM», 5-Plus dimanche, 31 octobre 1993, p. 5.
321 A titre anecdotique, il convient de souligner que Sir
Gaétan Duval, quelques semaines avant son décès, avait vu
en M. Paul Bérenger son héritier politique.
Premier ministre, Sir Aneerood Jugnauth, et le Parti Travailliste
partagent la faveur de l?électorat hindou.
Trente années après l?indépendance, la
vie politique se ramène pour l?essentiel à une lutte d?influence
entre la majorité hindoue et le bloc des minorités.
Au-delà des slogans sur l?unité nationale, les partis politiques
n?ont jamais pu s?affranchir de cette réalité tenace
322. L?Etat a pu se maintenir grâce à un dosage subtil
entre les passions divergentes des communautés323. Cet
équilibre est très fragile.
Paragraphe 2. L'absence d'équilibre entre les
pouvoirs institutionnels
Le régime parlementaire classique avait
été originairement conçu pour réaliser un
équilibre entre le Parlement et le gouvernement. En théorie, cet
équilibre devrait mettre les deux partenaires à
égalité et sous le contrôle d?un troisième pouvoir,
le judiciaire324. Cependant, l?égalité est toujours
difficile à maintenir. Le régime parlementaire évolue soit
vers la prédominance du Parlement soit vers celle de
l?exécutif325.
A l?opposé de la tradition politique française,
le régime parlementaire de Westminster a toujours favorisé le
gouvernement. Adossé à la majorité électorale,
l?exécutif, au nom du Chef de l?Etat, exerce une action dominante (A) au
point d?affaiblir le pouvoir de contrôle du judiciaire (B). Ces
phénomènes, conjugués avec les réalités de
l?île Maurice, s?y sont amplifiés
A. La puissance de l'Exécutif
322 MARYLENE François: «Entretien avec le Muveman
Anti-Kominalis: L?idéologie communaliste a intégré le
système», WE, 28 mai 1995, p. 10.
323 GERBAU Hubert et CARTER Marina: «L?Etat et le
communautarisme: le cas de l?île Maurice», Cultures et Conflits,
1994, n° 15/16, pp. 86 à 126, v 105.
324 L?objectif de la séparation des pouvoirs
préconisée par Locke, puis Montesquieu, est ainsi défini:
«Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de
magistrature, la puissance législative est réunie à la
puissance exécutive, il n?y a point de liberté», MONTESQUIEU
Charles Louis de Secondat: «L?Esprit des lois», 1748, Gallimard,
1995, 2 vol., v. vol. 1, Livre XI, Chapitre VI, p. 328.
325 BAGEHOT W.: «The English Constitution», 1867,
Oxford University Press, 1968, 312 p.
En sus des missions et pouvoirs normaux de tout gouvernement
quant à la détermination de la politique intérieure et
extérieure du pays, le Cabinet mauricien326,
personnalisé par le Premier ministre, décide de la politique
nationale avec une indépendance particulièrement
grande327 au point où l?homme de la rue se plaint d?une
dictature du gouvernement328. Le Parlement de Maurice329
est affaibli330. L?opposition est souvent
inexistante331.
Deux périodes sont à distinguer dans l?histoire
constitutionnelle de Maurice depuis l?indépendance: l?ère
Ramgoolam (a) et l?ère Jugnauth (b).
a. L'ère Ramgoolam
Sir Seewoossagur Ramgoolam332 fut Premier ministre
de l?île Maurice indépendante de 1968 à 1982333.
Cette période répond au vouloir du Premier ministre d?affermir
l?Etat tout jeune, d?assembler une nation afin de sortir le pays du
sous-développement. Ces tâches, selon le gouvernement,
justifiaient la concentration des moyens, la poursuite d?une politique
définie d?une main ferme. Mais en réalité, l?autoritarisme
avait permis au Premier ministre de se maintenir au pouvoir et de
surcroît d?empêcher le libre fonctionnement des institutions.
326 Selon l?article 61-1 CM, le Cabinet est composé du
Premier ministre et des autres ministres. Les ministres
délégués (junior ministers) n?en font pas partie.
Mais le Cabinet de Maurice, à la différence de celui de la
Grande-Bretagne, n?est pas seulement un noyau dur de principaux ministres. La
notion peut se confondre avec celui de gouvernement. La fonction de ministre
délégué a été crée par la Loi
constitutionnelle du 31 janvier 1996 (article 32 nouveau de la
Constitution).
Sur le fonctionnement du Cabinet en Grande-Bretagne, v. WALKER
P. G.: «The Cabinet», Londres, Fontana, 1973, 191 p. et HENNESY P.:
«Whitehall», Londres, Fontana, 1990, 857 p.
327 DOOKHY Parvèz: «La dictature élective
du Premier ministre», 5-Plus dimanche, 12 mars 1995, p. 12.
328 Le phénomène se reproduit en
Grande-Bretagne. Le Cabinet est la clef de voûte de l?édifice
politique britannique. V. MARX F.: «La Grande-Bretagne vit-elle sous un
régime présidentiel ?», RDP, 1969, pp. 5 à 47.
329 MATHUR Hansraj: «Parliament in Mauritius»,
Rose-Hill, Editions de l?Océan-Indien, 1991, 321 p. et DOOKHY
Parvèz: «Les institutions politiques de Maurice», BSJFC,
janvier 1997, pp. 2 à 7.
330 «Le contrôle parlementaire du Cabinet est une
illusion derrière laquelle se dissimule le contrôle du Parlement
par le Cabinet»,. MARX F., cité note 328, v. p. 38. Il est à
noter que depuis une Loi constitutionnelle du 16 janvier 1996 (article 32
nouveau CM), le Président de l?Assemblée Nationale peut
être une personne extérieure au Parlement, un non-élu.
Désormais, le Premier ministre peut intervenir directement dans la
désignation du Président de l?Assemblée Nationale.
331 DOOKHY Riyad: «L?opposition et le fonctionnement
régulier des institutions», Le Défi Plus, 4 au 10 mai 1996,
p. 10.
332 SELVON Sydney: «Sir Seewoosagur Ramgoolam»,
Editions de l?Océan-Indien, 1986, 161 p. et CAUNHYE Fouad: «S. S.
Ramgoolam est-il mort ?», Le Mag, 18 septembre, pp. 15 à 20.
333 Il était chef de gouvernement, Premier, depuis
1964.
Il serait peut être utile de faire un petit
détour par un rappel des faits afin de mieux comprendre l?enjeu de la
politique plus ou moins dictatoriale du Premier ministre. Dès 1969,
l?alliance gouvernementale fut scindée avec le départ d?un parti,
le Bloc Indépendant pour le Progrès (Independent Forward
Bloc). Cependant, le Premier ministre s?allia avec le parti d?opposition
d?alors334, le Parti Mauricien. Cette alliance amena le gouvernement
à tempérer sa politique en matière sociale pour favoriser
le développement du capitalisme. Avec la contestation populaire, le
Mouvement Militant prit naissance335 et utilisa des moyens
extraparlementaires, notamment les grèves et manifestations pour faire
prévaloir ses points de vue. En 1971, des mouvements très durs
paralysèrent le pays336 et le gouvernement appliqua à
plusieurs reprises l?état d?urgence337 dans un but de
réprimer les contestations sociales338.
Les pouvoirs de crise à l?île Maurice,
d?inspiration britannique 339 confèrent au gouvernement des pouvoirs
exorbitants340. L?article 3 de la Loi mauricienne sur les pouvoirs
de crises (Emergency Power Act) donne aux mesures gouvernementales une
force supérieure à la Loi, et la Constitution permet l?atteinte
à de nombreuses libertés fondamentales lors de la mise en vigueur
de la Loi précitée341. Treize associations syndicales
furent suspendues de 1971 à 1974. Les réunions publiques de plus
de cinq personnes furent interdites et la presse fut censurée. Les
mauriciens nés à l?île Rodrigues pouvaient être
334 RAMSAMY Vony: «La coalition Ptr/PMSD/CAM de novembre
1969. Au nom de l?unité nationale», 5-Plus dimanche, 20 novembre
1994, p. 10.
335 Comme tous les partis politique de Maurice, le MMM a,
selon la classification de Monsieur le Professeur Maurice Duverger, une origine
électorale ou parlementaire?. Aucun parti, même pas le
Ptr, à l?inverse de celui de la Grande-Bretagne, n?a une origine
extérieure?. V. DUVERGER Maurice: «Les partis
politiques», Paris, Armand Colin, 1981, 10e éditions, 572 p., v. p.
22 et s.
336 OODIAH Mallenn: «Histoire du syndicalisme
mauricien», Port-Louis, Fédération des Travailleurs Unis,
1988, 39 p.
337 FINNIS J. M. et GOULD B. C.: «Constitutional
law», ASCL, 1972, p. 1 à 100, v. p. 59 à 60. Monsieur Paul
Bérenger fut victime d?une tentative manquée d?assassinat en 1971
et près de 300 proches du MMM furent emprisonnés. V. LE MOUVEMENT
MILITANT MAURICIEN: «L?histoire d?un combat 1969-1983», Port-Louis,
Editions MMM, 1983, 62 p.
Sur la montée en puissance du MMM, v. LANGELLIER J. P.:
«Les vingt ans du Mouvement Militant», Le Monde, 3 octobre 1989, p.
6. et TURQUIE Selim: «Irruption d?un mouvement populaire militant à
l?île Maurice», LMD, 1er juiller 1977, p. 15 et LEMARIE Phillipe:
«L?irresistible ascension de la gauche à l?île Maurice»,
LMD, 1er juin 1982, p. 10.
338 Ce phénomène se reproduisit dans plusieurs
Etats du tiers-monde. V. CADOUX Charles: «L?Inde: la crise politique des
années 1975-1980», RDP, 1980, pp. 1515 à 1561 et PASBECQ
Chantal: «L?Inde: d?un état d?urgence à l?autre», RDP,
1977, pp. 1253 à 1281.
339 BULLIER Antoine J.: «L?organisation du maintien de
l?ordre en Angleterre», RSC, 1991, pp. 432 à 436.
340 L?état-d?urgence peut être maintenu par le
gouvernement pour un temps illimité sauf si les députés
adoptent une résolution à la majorité des 2/3 tendant
à sa suppression, alors qu?en Grande-Bretagne, il est proclamé
pour un mois renouvelable et les mesures doivent être approuvées
par les deux chambres du Parlement.
341 Article 18-1 CM.
reconduits à leur île natale sur simple
décision de l?autorité de police selon le Règlement de
1971 sur les pouvoirs342.
Débordant son cadre originel, l?état d?urgence
permit au gouvernement de repousser la tenue des élections de 1972
à 1976 343. Le parti Mauricien était donné
gagnant et le gouvernement pensa que le report lui aurait permis de combler son
retard344. Des élections partielles étaient
obligatoires en 1973, mais le gouvernement les repoussaient à plusieurs
reprises en vertu de ses pouvoirs exorbitants345. Un ancien
magistrat, Monsieur France Vallet, engagea, avec peu de succès, contre
le gouvernement une véritable bataille judiciaire pour le contraindre
à procéder à la tenue des élections346.
Le gouvernement, utilisant ses prérogatives, fit réviser la
Constitution347 en novembre 1973 pour empêcher tout
contrôle judiciaire et abolir les élections partielles et les
remplacer par un système de nomination basé sur celui des
meilleurs perdants. Le système, peu équitable, ne tint pas compte
de l?évolution des forces parlementaires et désigna des
députés sans lien avec leur nouvelle circonscription.
L?opposition perdit même un siège au terme des nominations.
En 1976, des élections furent
organisées348. Le gouvernement perdit les élections
mais conclut une alliance avec le Parti Mauricien pour former un nouveau
gouvernement sous la direction de Sir Seewoossagur Ramgoolam. Le Mouvement
Militant constituait seul une opposition numériquement très
forte. Paradoxalement, le contrôle effectué par l?Assemblée
était nettement insuffisant car le gouvernement recevait du Parlement
l?autorisation de prendre par décret les mesures qui sont du domaine de
la Loi349. Des nouvelles élections eurent lieu en 1982 et
l?opposition remporta tous les sièges à
pourvoir350.
342 OLIVRY Guy, intervention à l?Assemblée
Législative, le 21 décembre 1971, LAD, pp. 2559 à 2562.
343 Les précédentes élections avaient eu
lieu avant l?indépendance en 1967 et le mandat des députés
avait expiré en 1972.
344 COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 29. V. aussi
SAYED Hossen: «L?évolution des forces politiques de l?opposition
à l?île Maurice», Mémoire de IEP, Bordeaux, 1976, 136
p., v. p. 116 à 123.
345 FINNIS J. M.: «Constitutional law», ASCL, 1974, pp.
1 à 102, v. p. 43.
346 CSM: 31 janvier 1973, F. Vallet c/ Ramgoolam, MR, 1973, pp.
29 à 47, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt.
347 LEKENE Donfack Charles Etienne: «La révision des
Constitutions en Afrique», RJPIC, 1989, pp. 45 à 71.
348 BOISSON J. M. et LOUIT M.: «Les élections
législatives du 20 décembre 1976, l?enj eu économique et
politique», APOI, 1976, pp. 215 à 265.
349 LOUIT Christian: «Chronique politique et
constitutionnelle: l?île Maurice», APOI, 1979, pp. 309 à 332,
v. p. 327. V. LOUIT Christian: «Chronique: Ile Maurice», APOI, 1981,
pp. 291 à 299.
350 LOUIT Christian: «Chronique: Ile Maurice 1982-83»,
APOI, 1982-83, pp. 401 à 431.
b. L'ère Jugnauth
Sir Aneerood Jugnauth, Premier ministre de 1982 à 1995,
pratiqua une politique de rigueur et sans partage un peu à la
manière de celle pratiquée par Madame Margaret
Thatcher351 malgré l?introduction de certaines
réformes tendant à renforcer la démocratie352.
Le Premier ministre affirma d?emblée ses prérogatives et pouvoirs
constitutionnels en refusant de suivre le bureau politique de son parti, le
Mouvement Militant, dirigé en fait par Monsieur Paul Bérenger qui
voulait reproduire à Maurice le système politique stalino -
brejnévien353. Le Mouvement Militant avait
décidé de rompre l?alliance gouvernementale avec le Parti
Socialiste, le partenaire minoritaire de l?alliance gouvernementale, mais le
Premier ministre refusa de révoquer ce parti du gouvernement et
exerça son droit de dissolution du Parlement en représailles
à la scission opérée au sein de son parti.
Les élections de 1983 introduisirent dans le
régime parlementaire mauricien un élément de gouvernement
direct. Le Premier ministre tira l?essentiel de sa force de l?appui populaire
en remportant les élections. Il utilisa depuis systématiquement
l?arme de la dissolution pour retrouver une majorité qui s?était
effilochée en 1987 et en 1991 354.
Au fil de ses victoires électorales, le Premier
ministre devint plus responsable devant le corps électoral355
que devant le Parlement qu?il dirigea comme dans une relation de chef à
troupes. En raison de la logique majoritaire
351 LURUEZ Jacques: «Le phénomène
Thatcher», Bruxelles, Editions complexes, 1991, 336 p., v. p. 121 à
130.
352 Le report des élections est rendu quasiment
impossible. Selon l?article 52-2 CM, une législature dure au maximum
cinq années. La révision de cet article prévue à
l?article 47 CM, ne peut être intervenue qu?après (a) une vote par
voie référendaire par une majorité des 3/4 et (b) une
ratification du projet par l?Assemblée Nationale à
l?unanimité. La procédure de vote- ratification est curieusement
inversée.
353 Le régime d?assemblée ne s?était pas
non plus installé malgré la tentative de certains
députés de la majorité. V. SALESSE Finlay: «13 ans
après, pour une véritable démocratie parlementaire»,
5-Plus dimanche, 18 juin 1995, p. 12.
354 A l?instar de la Grande-Bretagne, l?arme de la dissolution
est maniée comme une arme de discipline et de consolidation de la
majorité.
355 «One important element affecting any Prime Minister?s
influence is his own standing, and his government?s standing in the eyes of the
general public. Other things being equal, the greater a Prime Minister?s public
prestige - or more precisely - the greater a Prime Minister?s public prestige
is thought to be by his cabinet colleagues - the greater is likely to be his
capacity to bend those colleagues to his will», KING Anthony:
«Margaret Thatcher: The style of the Prime Minister» pp. 96 à
140 in KING Anthony (dir): «The British Prime Minister», Londres,
Macmillan, 1985, 275 p., v. p. 107.
et du phénomène d?osmose qui découla
entre les députés et le gouvernement, la responsabilité
politique de celui-ci et de son chef cessa d?être parlementaire et
devenint électorale. Aucune motion de censure ne pouvait aboutir. En ce
sens, le gouvernement de Cabinet (Cabinet Gouvernment), qui implique
un processus décisionnel collégial, fut supplanté par la
volonté de puissance du seul Premier ministre356.
Disposant d?une autorité sans précédent,
le Premier ministre contrôla personnellement à différents
moments plusieurs secteurs de la vie mauricienne357 dont les
principaux ministères, tels que celui de l?économie, de la
justice, de l?intérieur et de la défense. Sir Aneerood Jugnauth
mit aux leviers de commande des gens en qui il avait totalement confiance et
élimina progressivement ceux qui lui paraissaient déloyaux.
Il était revenu à la presse de jouer seule le
rôle de contre-pouvoir358. Elle mèna parfois de
véritables investigations à la manière d?un juge
d?instruction359 tant l?opposition parlementaire était
laminée360. L?affrontement entre le gouvernement et la presse
fut une constante de l?histoire politique de Maurice361.
La personnalisation de l?autorité de l?Etat au profit
du seul Premier ministre suscite un débat fondamental relatif à
l?évolution et à la nature des institutions mauriciennes. Il est
question d?alléger la fonction du Premier ministre afin de
tempérer son hégémonie. Le Président de la
République devrait jouer un rôle d?arbitre plus actif en
intervenant dans une certaine mesure dans le processus
décisionnel362. Il devrait se situer, non pas à
l?extérieur des institutions, mais bien à l?intérieur de
celle-ci pour encadrer l?action du Premier
356 LANGELLIER Jean-Pierre: «Aneerood Jugnauth et Paul
Bérenger dominent une vie politique fortement
personnalisée», Le Monde, 9 novembre 1989, p. 8.
357 TSANG MANG KIN Joseph: «Sir Aneerood Jugnauth et nos
institutions», 5-Plus dimanche, 24 juillet 1994, pp. 7 à 10, v. p.
7. et DARLMAH Naëck: «Le Prime Ministership et le pouvoir», 5-
Plus dimanche, 9 octobre 1994, pp. 8 à 9.
358 Sur l?histoire de la presse, v. MARTIAL Yvan: «Plus de
mille titres», JA, 30 septembre 1993, pp. 55 à 57.
359 AHNEE Gilbert: «La presse, bien au-delà de
Bacha...», Le Mauricien, 1er août 1994, p. 5.
360 En 1982, 1991 et 1995, l?opposition parlementaire
était composée de moins de huit députés sur
soixante-six.
361 G. L. «Le bras de fer entre le pouvoir et la presse: des
rapports tumultueux», 5-Plus dimanche, 23 octobre 1994, p. 10.
362 DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «La
légitimité du Président», Le Mauricien, 8 novembre
1995, p. 7.
ministre363. L?institution parlementaire devrait
être revalorisée, notamment en instaurant le
bicaméralisme364.
B. Le judiciaire
L?organisation judiciaire de Maurice, d?inspiration
typiquement anglosaxonne365, ne connaît pas de
séparation entre les juridictions des ordres judiciaire et
administratif. Les juges mauriciens, à la manière des Lords du
Conseil Privé, cumulent les pouvoirs des deux ordres. Un certain nombre
de règles visent à garantir l?indépendance du judiciaire
et la justice est investie d?un assez grand prestige. Le Président de la
Cour Suprême est le troisième personnage de l?Etat366.
Néanmoins, au-delà des garanties
constitutionnelles367, le judiciaire est cantonné dans une
structure embryonnaire (a) et fonctionne en état de crise (b).
a. La structure rudimentaire
La Cour Suprême368 est à la tête
du système judiciaire à Maurice au sens géographique du
terme369. Elle est composée de seulement huit juges et d?un
Chef-Juge. Celui-ci est nommé par le Président de la
République après simple consultation du Premier ministre. Le
doyen des juges puînés (Senior Puisne Judge), qui assure
aussi les fonctions de vice-Président de la Cour Suprême, est
nommé par le Président de la République sur avis conforme
du Chef-Juge. Les juges puînés (Puisne Judges) sont
désignés par le Chef de l?Etat en accord avec les recommandations
de la Commission du Service Judiciaire. Les conditions de recrutement des juges
de la Cour Suprême ne sont pas sévères. Il suffit de
363 En août 1995, le Président de la
République s?est écarté d?une tradition
westminstérienne en refusant de donner son assentiment à une
projet de loi adoptée par l?Assemblée. V. BERENGER Paul R.:
«The President?s powers in the Republic of Mauritius», L?Express, 19
août 1995, p. 7.
364 DOOKHY Riyad et Parvèz: «Proposition pour un
Sénat», L?Express, 7 décembre 1995, p. 12. et CADERVALOO
Soondess: «Un Sénat, pourquoi et de quel type ?», Le Mag, 14
mai 1995, pp. 24 à 27.
365 PANTER-BRICK S. K.: «Histoire des Cours
Suprêmes des Etats anglophones d?Afrique», pp. 99 à 102 in
CONAC Gérard (dir): «Les Cours Suprêmes d?Afrique»,
Economica, 1988, tome 1, 437 p.
366 Le Chef-Juge a préséance sur tous les
ministres et en fin d?année, il appartient au ministre de la justice de
lui présenter ses voeux dans son bureau.
367 Les juges sont inamovibles et la Commission du Service
Judiciaire, qui peut être rapprochée du Conseil Supérieur
de la Magistrature de France, veille à l?indépendance du
judiciaire.
368 DAUDET Y. et MEETARBHAN M.: «La Cour Suprême de
l?île Maurice», pp. 278 à 289 in CONAC Gérard (dir),
cité note 365. et HENNE J. P.: «L?organisation judiciaire
mauricienne», Recueil Penant, 1978, n° 759, pp. 79 à 83.
369 De 1904 à 1975, la Cour Suprême de Maurice avait
exercé à l?égard des Seychelles une compétence
d?appel.
pouvoir justifier de cinq années de pratique
professionnelle au barreau de Maurice370 pour les satisfaire.
La Cour Suprême, se situant principalement dans un vieil
immeuble de l?époque coloniale française, exerce une
compétence étendue sur plusieurs degrés de la
hiérarchie juridictionnelle. La Cour Suprême statue en
première instance dans un nombre considérable d?affaires: lorsque
l?intérêt du litige est supérieur à RPM 50,000, en
matière d?état des personnes (droit de la famille,
nationalité et succession) et de protection des droits fondamentaux, en
matière de discipline contre les auxiliaires de justice, en formation
d?assises et en matière des faillites371 (voir tableau 4 en
annexe). En première instance, la Cour statue en formation
unique372.
La Cour Suprême est également une juridiction de
deuxième ressort et statue en appel sur des points de fait et de droit.
En appel, les juges de la Cour Suprême peuvent siéger en trois
types de formation. La Cour Civile d?Appel (Court of Civil
Appeal)373 est compétente pour statuer sur les appels
interjetés contre les jugements rendus en première instance par
la Cour Suprême. La Cour Criminelle d?Appel (Court of Criminal
Appeal)374 exerce une compétence similaire en
matière pénale. La Cour d?Appel en matière civile et
criminelle (Court of Civil and Criminal Appeal) statue sur les appels
interjetés contre les jugements des tribunaux inférieurs
(lower courts), telles la Cour Intermédiaire (Intermediate
Court), qui correspond au Tribunal Correctionnel en France, les Cours de
districts (Districts Courts), c?est-à-dire les cours de base
comparables aux tribunaux d?instance et de police français, et la Cour
Industrielle (Industrial Court) assimilable au Conseil des Prud?hommes
français.
370 Articles 76 et 77 CM. Mais la pratique veut que, pour
être nommé juge, l?avocat doit aussi avoir fait carrière au
sein de la magistrature assise ou debout (avocat au parquet). V. ANGELO A. H.:
«Mauritius: the basis legal system», CILJSA, 1970, pp. 228 à
241. Pour cet auteur, le cursus s?inspire de la tradition française de
magistrat de carrière.
371 Cette compétence est exercé par le
greffier-secrétaire (Master and Registrar) de la Cour
Suprême qui n?est pas, sur le plan organique, un juge.
372 Comme en Angleterre, l?île Maurice est
attachée à la tradition du juge unique en première
instance. Cependant, le Chef-Juge peut discrétionnairement
décider qu?une affaire en première instance soit entendue par
deux ou plusieurs juges. V. BOULAN F.: «L?organisation judiciaire de
l?île Maurice», APOI, pp. 197 à 211, v. p. 203.
373 Elle fut instituée par une Ordonnance de 1963. V.
ATTORNEY-GENERAL, cité note 219, vol. 2, p. 1 et s.
374 Elle fut institué par l?Ordonnance de 1954, in
ATTORNEY-GENERAL, ibid., vol. 2, p. 51 et s.
Ces cours d?appel n?ont aucune structure autonome. Elles ne
constituent que des divisions, d?ailleurs non permanentes, de la Cour
Suprême. Elles prennent existence dès lors que le Chef-Juge
investisse deux ou trois magistrats de la Cour Suprême à statuer
en deuxième ressort sur une affaire. Elles sont donc composées de
juges qui, hiérarchiquement, sont du même niveau que celui ou ceux
qui ont rendu le jugement en première instance, exception faite si
l?appel est interjeté contre une décision d?une cour
inférieure. Tous les juges de la Cour Suprême sont inter pares.
Par conséquent, les cours d?appel ne sont pas organiquement de
véritables juridictions de deuxième instance.
Il convient de faire ressortir aussi que le juge mauricien qui
propose la solution a à sa disposition peu de moyens pour la
rédaction d?un arrêt. Il ne bénéficie d?aucun
assistant pour l?aider dans ses fonctions de recherche documentaire.
D?ailleurs, la bibliothèque de la Cour Suprême est moyennement
fournie d?ouvrages des droits anglais, français et Commonwealth. Le
rayon sur le droit mauricien ne comporte que des journaux officiels, des
recueils de jurisprudence des arrêts de la Cour Suprême et des
recueils de lois. La doctrine est pratiquement inexistante375.
b. Le fonctionnement en crise
Alors que l?organe délibérant s?est
effacé devant la montée en puissance de l?exécutif, le
judiciaire a pu, dans une certaine mesure, s?imposer en tant que pouvoir
surtout avec l?aide et l?impulsion du Comité Judiciaire.
Néanmoins, les atteintes au bon fonctionnement des institutions
juridictionnelles purement mauriciennes sont fréquentes.
Déjà en 1967, avant l?indépendance, l?administration
anglaise avait, par une Ordonnance à effet rétroactif,
enlevé à la Cour Suprême la compétence de
sanctionner un acte administratif alors que le litige était pendant
devant la juridiction376.
375 «Le premier réflexe de l?avocat ainsi
confronté à un droit qu?il ne connaît pas est de consulter
les ouvrages de référence car sa formation de juriste lui a
appris comment trouver le droit. Mais voilà qu?il s?aperçoit que
cette doctrine est pratiquement inexistante», MEETARBHAN J. N.:
«Problèmes pratiques posés au juriste par un système
de droit mixte», pp. 213 à 225 in UNIVERSITE DE DROIT, D?ECONOMIE
ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE: «La formation du droit national dans les
pays de droit mixte, les systèmes juridiques de Common Law et de droit
civil», Press Universitaire d?Aix-Marseille, 1989, 242 p., v. p. 217.
376 CSM: 30 mars 1967, Roussety c/ Attorney-General, MR, 1967,
pp. 45 à 69, le juge Rivalland rédacteur de l'arrêt.
Les nominations dans le judiciaire ont été
l?objet de grandes controverses377. Il était de tradition que
la nomination du Chef-Juge et du doyen des juges puînés se fasse
au vu du principe de l?avancement à l?ancienneté. A cet
égard, en 1970, le Gouverneur-Général, s?était
opposé au voeu du Premier ministre de procéder à des
nominations au choix378. La nomination à l?ancienneté
fut mise à l?écart dans les années quatre-vingt-dix. Les
attaches politiques, supposées ou réelles, et la confession
religieuse des juges sont des critères déterminants dans leur
désignation. Qui plus est, certains juges ont été
reconduits dans leur fonction379 alors même qu?ils avaient
atteint la limite d?âge. Certes, l?article 113 de la Constitution,
aujourd?hui partiellement abrogé, prévoyait une disposition
à cet effet mais dans l?esprit du constituant il ne devrait être
appliqué qu?en cas de situation de crise380.
Cette mainmise de l?exécutif sur le judiciaire pourrait
donner un élément de réponse au fait que dans les grandes
affaires contre l?exécutif, peu de décisions ont
été rendues à son encontre381. L?opinion
publique a fortement l?impression que l?exécutif est
protégé et que le ministère public refuse d?intenter des
actions contre des membres du gouvernement contre lesquels il existe de
sérieux soupçons, ou qui ont commis des infractions.
Ces faits ont dévalorisé les institutions
judiciaires de l?île Maurice. Elles sont régulièrement la
proie de sévères critiques des journalistes382 et des
hommes politiques383, tant dans le Parlement que lors des
réunions publiques.
Le Comité Judiciaire à Londres représente
seul, dans ces circonstances, l?ultime tribunal indépendant disposant
d?une autorité non mise en cause sur le plan de l?impartialité.
Au vu de la perte de crédibilité de la Cour Suprême
conjuguée avec le développement de réflexe identitaire
dans le domaine politique, le Comité Judiciaire a gagné en
légitimité et est de plus en plus
377 ANTOINE Jean-Claude: «Controverse dans le judiciaire,
une nomination qui divise», WE, 13 août 1995, p. 6.
378 BOOLELL Satcam, Sir, QC: «Judges also deserve
justice», l?Express, 18 août 1995, p. 10.
379 DOOKHY Riyad: «La nomination du Chef-Juge est
entachée d?une erreur», L?Express, 9 novembre 1995, p. 10.
380 MEETAHBHAN Raj: «Le judiciaire dans un tourbillon»,
L?Express-dimanche, 14 avril 1996, p. 6.
381 V. CSM: 2 juin 1993, Attorney-General c/ Ramgoolam, LRC,
1993, vol. 3 pp. 82 à 93, le juge Lallah rédacteur de
l'arrêt.
382 TEELUCK Dinesh: «Justice en crise, nothing seen to be
done», Le Mag, 19 avril 1996, pp. 15 à 17 et O?HAMAMY David:
«Judiciary in the dock», L?Express-dimanche, 24 mars 1996, p. 10.
383 Sir Gaétan Duval, ancien ministre de la justice, a,
par exemple, fortement dénoncé la pratique et méthode du
Chef-Juge. V. DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Sir
Gaétan Duval», Le Mauricien, 8 octobre 1994, p. 6.
souvent sollicité (voir tableau en annexe 5). En
conséquence, il se prononce sur une plus grande variété
d?affaires.
L?importance et l?utilité de la Haute Instance
londonienne étant dégagées, il s?avère
indispensable d?examiner la compétence ratione materiae du Comité
Judiciaire en droit mauricien. L?amplitude de la compétence du
Comité Judiciaire nous permettra d?apprécier davantage les liens
juridiques de la Haute Instance avec l?île Maurice.
Sous-section 3. La compétence matérielle
du Comité Judiciaire en contentieux mauricien
Le Comité Judiciaire se trouve seul au sommet de la
hiérarchie des institutions judiciaires de l?île Maurice. Il est
en réalité la véritable juridiction suprême, au sens
rationnel du terme384, de l?île Maurice. La Cour
Suprême, située à Port-Louis, n?est a fortiori qu?une cour
de deuxième instance. Il appartient au Comité Judiciaire de
statuer en cassation sur les pourvois dont sont l?objet les arrêts de la
cour locale385. Théoriquement, il a le pouvoir d?examiner en
appel l?ensemble des points de droit et de fait que soulève une affaire
mais il retient les faits tels que les lui présente le juge local.
L?appréciation des faits relève, selon le juge londonien, de la
souveraineté des juges du fond, la Cour Suprême de
Maurice386. A la manière de la Cour de Cassation
française, le Comité Judiciaire veille exclusivement au respect
de la norme, à sa bonne application par le juge local. Sa mission se
limite au jugement des arrêts déférés à sa
censure même lorsqu?il est saisi directement en cassation par la
procédure de la voie d?action en vertu d?une requête tendant
à l?annulation d?une Loi. Juge suprême, il fixe l?orthodoxie de la
jurisprudence et veille à son respect par la Cour Suprême
locale.
384 En droit anglais, la Cour Suprême de Justice
désigne trois composantes: la Haute Cour (High Court), la Cour
d?Assises (Crown Court), cours de première et de
deuxième instance, et la Cour d?Appel (Court of Appeal), cour
de deuxième instance. La Chambre des Lords coiffe ces trois
juridictions. Elle se trouve au plus au niveau de la hiérarchie
judiciaire anglaise et est qualifiée de cour d?appel final?
(final Court of Appeal). V. KINDER-GEST Patricia: «Droit anglais,
institutions politiques et judiciaires», LGCJ, 1993, 671 p., v. p. 341.
385 V. La définition de Cour suprême
donnée par Monsieur le Professeur André Tunc dans sa
synthèse in BALLET Pierre et TUNC André (dir): «La Cour
suprême, une enquête comparative», Recherches
Panthéon-Sorbonne, Economica, 1978, 486 p., v. p. 8 st s.
386 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director
of Public Prosecutions, WLR, 1983, vol. 2, pp. 161 à 171, affaire de
Maurice, Lord-Chancelier Hailsham of St. Marylebone rédacteur de
l'arrêt. Le juge souligne que: «... their Lordships... find
themselves bound by the findings of fact of the Supreme Court, who, after all,
saw the witnesses and observed the demeanour», ibid., p. 165.
En l?absence de toute séparation entre les ordres de
juridiction, le Comité Judiciaire est l?unique juridiction suprême
de Maurice. Sa compétence matérielle est générale.
Aucune matière échappe a priori à ses attributions.
Malgré certaines limites posées par le constituant aux cas
d?ouverture du pourvoi à Londres, le Comité Judiciaire peut
statuer sur tout litige au moment où il accorde au demandeur au pourvoi
une autorisation, dite spéciale, de saisine (special leave to
appeal)387. Le Comité Judiciaire dispose d?une
compétence d?exception universelle, ou pour le dire sans
ambiguïté, d?une compétence de droit commun.
Faisant abstraction de la prérogative d?origine royale
de pouvoir entendre tout litige, la compétence d?attribution du
Comité Judiciaire varie selon qu?il statue, d?une part, sur une affaire
relevant du droit privé et public (civil law) (paragraphe 1)
et, d?autre part, sur une affaire de droit pénal et de
responsabilité des hauts magistrats (paragraphe 2).
Paragraphe 1. En droit public et privé (civil
law)
Le terme droit civil? englobe dans la terminologie
anglaise le droit public388 (A) et le droit privé (B). Il se
définit de manière résiduelle comme tout ce qui ne
relève pas du droit pénal. Le droit civil? constitue
dès lors un champ juridique très large389.
A. En droit public
La compétence du Comité Judiciaire en droit
public mauricien est particulièrement vaste. Aux termes de l?article
81-1-a de la Constitution, il peut être saisi d?un pourvoi contre toute
décision définitive390 du juge local dans une affaire
impliquant une question d?interprétation d?une norme
387 Article 81-5 CM dispose que: «Aucune disposition du
présent article n?affectera tout droit du Comité Judiciaire
d?accorder une autorisation spéciale pour l?exercice d?un pourvoi contre
toute décision rendue par une cour quelconque en matière civile
ou pénale».
388 Selon la conception de Albert Venn Dicey, un seul droit
régit les relations entre les particuliers et l?Administration. Les
droits public et administratif, rejetés par Albert Venn Dicey, ne sont
que des composants du droit civil?.
389 Le terme droit civil? désigne aussi les
matières du droit social. V. CJCP: 1er février 1993, Sundry
Workers c/ Antigua Hotel, WLR, 1993, vol. 1, pp. 1250 à 1259, affaire
d?Antigua et Barbuda, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.
Par contre, la Cour Suprême indique, à tort sans doute, que les
matières de responsabilité disciplinaires ne font partie ni du
droit civil?, ni du droit pénal. V. CSM: 2 novembre 1993,
Geemul c/ Supreme Court of Mauritius, MR, 1993, pp. 226 à 230, Le
Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.
390 Un jugement interlocutoire ne peut en principe faire
l?objet d?un recours au Conseil Privé. V. CSM: 30 novembre 1990,
Ramlagun c/ Indian Ocean International Bank Ltd., MR, 1990, pp. 229 à
231, le juge Ahmed rédacteur de l'arrêt.
constitutionnelle391. Or, la Constitution
mauricienne est excessivement abondante et comporte cent vingt-deux longs
articles. Chaque article est divisé en plusieurs paragraphes et
sous-paragraphes. La Constitution contient, comme nous l?avons
déjà mentionné, une déclaration des droit
s?inspirant de celle de la Convention Européenne des Droits de l?Homme.
Le constituant originaire a été volontairement explicite,
pointilleux et détaillé dans la reproduction des rapports entre
l?exécutif, le Parlement et le judiciaire392. La Constitution
mauricienne comporte également des dispositions qui, en France,
relèveraient de la Loi organique. C?est ainsi qu?il existe à
Maurice au moins deux modes de révisions de la Constitution, suivant la
nature de l?article en question. Les dispositions d?application des principes
fondamentaux sont révisables sur vote à la majorité
qualifiée de deux tiers des députés tandis que les
principes ne peuvent être révisés que sur vote positif de
trois quarts des députés. Aussi, nombreux corps administratifs et
institutions administratives indépendantes sont
constitutionnalisés.
En dépit de cette constitutionnalisation accrue,
l?activité du contrôle constitutionnel393 peut
apparaître faible à première vue même si le nombre de
saisine du Comité Judiciaire a considérablement augmenté
dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix394. Il
demeure, toutefois, que le Comité Judiciaire est systématiquement
saisi de toutes les grandes affaires constitutionnelles
mauriciennes395 et ses décisions ont permis de
développer à Maurice un droit constitutionnel
moderne396.
Aussi, selon l?énoncé de l?article 37-6 de la
Constitution, le Comité Judiciaire est le juge de
cassation397 du contentieux des élections
législatives398, de la déchéance des mandats
parlementaires et des élections internes à l?Assemblée
Nationale.
391 Selon la classification opérée par Monsieur
le Doyen Louis Favoreu, on peut soutenir que le Comité Judiciaire est
une juridiction constitutionnelle. V. FAVOREU Louis: «Les Cours
constitutionnelles», PUF, Que sais-je ?, 1986, 110 p., v. p. 3.
392 DE SMITH Stanley, cité note 30, p. 82 et s.
393 L?exercice du contrôle constitutionnel peut
découler de la confrontation de toute norme juridique et d?une
décision juridictionnelle ou administrative à la Constitution. V.
infra sur les modes d?exercice du contrôle constitutionnel.
394 Le Comité Judiciaire a été saisi de huit
affaires mauriciennes en 1989 et 1990.
395 COLOM Jacques: «L?exercice de la justice
constitutionnelle par le Conseil Privé», AIJC, 1987, pp. 607
à 622.
396 Certains grands arrêts mauriciens du Comité
Judiciaire sont publiés dans les recueils de jurisprudence
britanniques.
397 CJCP: 22 mars 1994, Fakeemeeah Chel Mohammad c/ Essouf
Amanoullah Ahmad, WLR, 1994, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice,
Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt.
398 L?article 48-A de la Loi de 1968 sur la
Représentation du peuple, qui reprend les termes de l?article 37-6 de la
Constitution, dispose que le recours à Londres peut être
intenté de droit en matière des élections.
Enfin, le juge londonien est compétent pour statuer sur
toute affaire relevant d?une importance générale ou
publique399 en vertu de l?article 81-2 de la Constitution. Cet
article, interprété libéralement, permet au juge londonien
d?être saisi de litiges purement administratifs.
B. En droit privé
Si en droit public le critère de compétence du
Comité Judiciaire est d?ordre matériel, en droit privé le
critère quantitatif intervient. La valeur de la prétention est
prise en compte selon l?article 81-1-b de la Constitution de Maurice. Le
Comité Judiciaire peut être saisi d?un pourvoi contre toute
décision rendue dans un procès civil lorsque l?objet du litige
est égal ou excède RPM 10,000400 ou lorsque le recours
implique, directement ou indirectement la revendication d?un tel
montant401. Cette disposition a une origine fort ancienne et remonte
à une Ordonnance en Conseil de 1831 qui avait fixé le montant
autorisé aux fins d?appel (appealable amount) de £ 1,000
pour les affaires mauriciennes. Ce montant fut converti en RPM 10,000 en 1894.
Le taux de compétence du Comité Judiciaire n?a pas
été revu à la hausse par le constituant en 1968. Il
représente aujourd?hui le plus petit coût d?un procès en
première instance en Cour Suprême. Ce critère quantitatif
ne joue plus son rôle de filtrage en excluant de la compétence du
Comité Judiciaire les petites affaires civiles ou commerciales. C?est
pourquoi le législateur ordinaire a, par une Loi de 1990 sur le
fonctionnement de la justice (Judicial Provisions Act), fixé le
montant autorisé de la demande à RPM 150,000402. Il y
lieu de s?interroger sur la régularité de cette Loi dont la
constitutionnalité est douteuse. La Loi est en contradiction manifeste
avec l?article 81-1-b de la Constitution même si elle n?a soulevé
aucune difficulté pratique et n?a jamais été
contestée. Le coût très élevé d?un
procès au Comité Judiciaire403 empêche de facto
qu?il soit saisi de petits litiges.
On ne manquera pas non plus de faire ressortir que cette
limitation apportée à la compétence du Comité
Judiciaire peut exclure de son prétoire des
399 CSM: 30 juillet 1993, Republic of France c/ Heeralall, MR,
1993, pp. 151 à 154, le juge Froget rédacteur de
l'arrêt.
400 Approximativement FRF 3,000.
401 Le montant de l?affaire est apprécié non en
capital mais en principal. Le principal comprend outre le capital, les fruits
et intérêts qui sont dus au jour de la demande. Toutefois, les
dépens incombés à la partie succombante ne sont pas pris
en compte dans la détermination du montant autorisé pour appel.
V. CJCP: 5 décembre 1876, The Crédit Foncier of Mauritius c/
Patureau, LT, septembre 1876 à février 1877, vo 35, pp. 869
à 870, affaire de Maurice, Sir Barnes Peacock rédacteur de
l'arrêt.
402 Article 13 de la Loi. Celle-ci réforme l?Ordonnance en
Conseil de 1968 sur les pourvois mauriciens au Conseil Privé (The
Mauritius Appeals to the Privy Council Order 1968).
403 Un procès coûte au minimum RPM 500,000.
litiges assez importants relatifs à l?état des
personnes. Le critère quantitatif privilégie les litiges de
nature commerciale. Il serait souhaitable que le juge local, qui autorise le
recours, ou le juge londonien lui-même, assouplisse les conditions de
recevabilité des pourvois dans ce secteur.
Paragraphe 2. En droit pénal et
responsabilité des hauts magistrats
La compétence du Comité Judiciaire en droit
pénal mauricien apparaît ambiguë et mérite
d?être clarifiée (A). Par contre, la compétence de la Haute
Instance est pleine et entière en matière de
responsabilité disciplinaire des hauts magistrats (B).
A. En droit pénal
Il est d?une pratique constante des Lords judiciaires de
restreindre leur domaine de contrôle en droit pénal. Selon la Loi
anglaise sur l?administration de la Justice de 1960, la Chambre des Lords ne
peut être saisie d?un pourvoi en matière pénale que si la
Cour d?Appel atteste que l?affaire soulève un problème
d?intérêt général. Un système de filtrage
similaire existe au Comité Judiciaire. Dès 1867, le Comité
Judiciaire s?était imposé des limites à sa
compétence du fait des inconvénients qui résultent de son
contrôle en matière pénale sur l?administration de la
justice404.
Or, le législateur mauricien, en vertu de l?article
81-1-d de la Constitution de 1968 qui l?autorise à accroître le
domaine de compétence du Comité Judiciaire, a, en 1980,
accordé à tout appelant le droit de se pourvoir au Comité
Judiciaire contre toute décision de dernier ressort en matière
pénale405. Le gouvernement voulait que les pouvoirs de la
Haute Instance londonienne fussent aussi larges que ceux dont elle dispose en
droit privé406. Mais le Comité Judiciaire, dans
l?arrêt Badry407 a réaffirmé les principes
directoires concernant les pourvois dans cette branche du contentieux
exprimés dans le grand arrêt Ibrahim408. Le
Comité Judiciaire déclare recevable un pourvoi que s?il y a eu
404 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General for the Colony of
New South Wales c/ Henry Louis Bertrand, LRPC, 1865-67, vol. 1, pp. 520
à 536, affaire de l?Australie, Sir John Coleridge rédacteur de
l'arrêt. Selon le Comité Judiciaire: «...interference by Her
Majesty in Council in criminal cases is likely, in so many instances, to lead
to mischief and inconvenience, that in them the Crown will be very slow to
entertain on appeal», ibid., p. 529.
405 Article 7 de la Loi de 1980 sur les cours.
406 Attorney-General, LAD, 26 juin 1980, 4ème session, p.
3298.
407 CJCP, cité note 386.
408 CJCP: 6 mars 1914, Ibrahim c/ The King, AC, 1914, pp. 599
à 618, affaire de Hongkong, Lord Summer rédacteur de
l'arrêt.
dans l?affaire une grande méconnaissance des objectifs
de la justice409 ou une grave violation de la procédure et du
principe d?impartialité des juges410. Le Comité
Judiciaire considère qu?il n?est pas une juridiction d?appel en
matière pénale411. Une simple
irrégularité non substantielle commise dans la procédure
ne constitue pas un cas d?ouverture de saisine412. Par contre, il
peut être saisi si le juge du fond a interprété de
manière erronée une loi et si cette mauvaise
interprétation risque de créer un précédent
incorrect413.
Les pouvoirs du Comité Judiciaire en matière
pénale sont très étroits414 malgré
l?élargissement opéré par le législateur mauricien.
Le Comité Judiciaire a systématiquement décliné sa
compétence dans les affaires mauriciennes ne tombant pas dans le cadre
qu?il a posé415 et a complètement neutralisé
les effets de la Loi de 1980. Le juge londonien précise néanmoins
que des aménagements à ses principes pourraient être
apportés aux pourvois mauriciens416.
Cette pratique restrictive du Comité Judiciaire a
contraint le législateur mauricien à modifier la Loi sur les
cours de 1980. La Loi sur le fonctionnement de la justice de 1990 (Judicial
Provision Act) prévoit dans son article 2 que le Comité
Judiciaire statuera en matière pénale que lorsque l?affaire
soulève une question d?importance publique417, autrement dit,
dans des circonstances exceptionnelles ou sur autorisation du Comité
Judiciaire suivant les règles qu?il
409 «Where some clear departure from the requirements of
justice exists», ibid., p. 614-5.
410 «A disregard of the forms of natural justice or,
otherwise, substantial and grave injustice has been done», ibid., p.
615.
411 «Their Lordships have repeated ad nauseam the
statement that they do not sit as a Court of Appeal», CJCP, cité
note 386, p. 166.
412 Le Comité Judiciaire déclare que la Cour
Suprême est souveraine pour apprécier la régularité
de la procédure: «Their Lordships note the grounds of appeal relied
before them... were exclusively concerned with procedural points, on which the
courts in Mauritius could be expected to exercise an authoritative
judgment», CJCP: 6 mars 1991, G. R. Banymandhub c/ The Q ueen, affaire de
Maurice, Lord Lowry rédacteur de l'arrêt. V. également
CJCP: 26 mars 1990, Samad Ramoly c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Bridge
of Harwich rédacteur de l'arrêt.
413 CJCP: 25 février 1991, Y. Mamodeally c/ The Queen,
affaire de Maurice, Lord Brandon rédacteur de l'arrêt.
414 Même saisi directement après la
décision de première instance, le Comité Judiciaire refuse
d?exercer une compétence de deuxième ressort. V. CJCP: 29 mars
1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, WLR, 1993, vol. 3, pp. 242
à 248, affaire de Hongkong, Lord Woolf rédacteur de
l'arrêt.
415 V., par exemple, CJCP: 2 octobre 1990, A. C. Gaffoor c/
The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de
l'arrêt, et CJCP: 11 novembre 1991, S. M. A. Goolfee c/ The Queen,
affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de
l'arrêt.
416 CJCP: 19 mai 1988, Buxoo c/ The Queen, affaire de Maurice,
Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt. «It is to be
remarked however, that these principles are not necessarily to be applied with
the most extreme rigidity where an important point of law of general
application is raised by an appeal, and the decision in question is capable, if
not reversed, of continuing a precedent not conducive to the public interest in
the proper administration of justice, the appeal may be capable of being
accommodated within the intendment of the principles». Un
résumé de cet arrêt est publié in CLB, 1988, p.
1290.
417 CSM: 2 août 1991, Doomun c/ Regina, MR, 1991, pp.
252 à 253, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt et CSM:
15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204 à 205, Le
Chef-Juge rédacteur de l'arrêt.
a fixées. La Haute Instance a interprété la
Loi mauricienne de 1990 comme voulant traduire en somme les principes
précités418.
Cependant, vu la constitutionnalisation abondante du droit
pénal mauricien grâce notamment à l?existence d?une charte
des droits fondamentaux dans la norme suprême, le Comité
Judiciaire peut être saisi si le demandeur au pourvoi invoque à
l?appui de sa requête la méconnaissance d?une norme
constitutionnelle. La saisine est alors de droit.
418 «The necessary exceptional circumstances have been said
to exist in cases where some clear departures from the requirements of justice
has been taken place», CJCP, cité note 413.
B. La responsabilité disciplinaire des hauts
magistrats
La mise en jeu de la responsabilité disciplinaire d?un
juge de la Cour Suprême obéit à une procédure
très lourde conjuguée avec une obligation de
référer, sauf en cas de non-lieu préliminaire, l?affaire
au Comité Judiciaire. Le constituant britannique a voulu protéger
les hauts magistrats au maximum dans l?exercice de leur fonction notamment
parce qu?ils sont investis du pouvoir de contrôler les
lois419. Un juge à la Cour Suprême ne peut être
démis de ses fonctions que pour incapacité (inability)
ou inconduite (misbehaviour) constatée par le juge londonien
selon l?article 78-3 de la Constitution mauricienne. Le terme d?inconduite n?a
pas été défini en droit mauricien ou même par la
Common Law420. Le terme trouve son origine dans la vieille Loi
anglaise d?Etablissement du 12 juin 1701 (Act of Settlement) et a
été repris par la Loi de même nature sur la Cour
Suprême de Justice de 1981 selon lequel le juge supérieur ne peut
être révoqué que pour inconduite sur pétition des
deux chambres du Parlement au Souverain421. Face à
l?imprécision du terme, la doctrine n?a pas manqué de fournir des
éléments de définition. Selon Stanley A. De Smith, la
notion d?inconduite englobe la turpitude et la négligence grave et
perpétuelle422. Il nous semble, pour exprimer notre opinion
personnelle, qui corrobore avec celle de Monsieur le Professeur Mauro
Cappelletti, que la notion désigne principalement le fait pour un juge,
dans ses fonctions, d?agir contrairement aux obligations qu?il a envers la
société, d?être impartial423.
Le constituant originaire a mis en place un mécanisme
évitant la mise en cause constante des juges à Maurice. Ce
mécanisme, contrairement à ce qui existe en Angleterre, est
entièrement juridicisé et s?inscrit dans le droit fil de
l?évolution du droit constitutionnel moderne. En somme, un juge à
la Cour Suprême ne peut être démis de sa charge que par le
Chef de l?Etat et que si un Tribunal composé de trois membres ayant
exercé de hautes fonctions dans la magistrature assise de droit commun
dans des pays du Commonwealth. Ce tribunal ad hoc adresse un rapport au
Président de la République mauricienne
419 «... It is clearly of great importance that a judge
who may be called upon to interpret a justiciable bill of rights... shall not
be intimated by fear of loss of office», DE SMITH Stanley, cité
note 30, p. 140-41.
420 L?absence de jurisprudence sur la responsabilité
disciplinaire des hauts magistrats est un fait courant dans beaucoup de
pays.
421 Une condamnation pénale hors de l?exercice de ses
fonctions de juge ne constitue pas une inconduite. En 1975, un juge de la Haute
Cour britannique avait été reconnu coupable de conduite d?un
véhicule en état d?ébriété mais n?avait pas
été sanctionné. Depuis la Loi de 1701, un seul juge fut
démis de ses fonctions pour fait de corruption.
422 «Misbehaviour would include conviction for an offence
involving moral turpitude and persistent neglect of duties», DE SMITH
Stanley, cité note 239, v. p. 375.
423 CAPPELLETI Mauro: «Le pouvoir des juges»,
Economica, 1990, 397 p., v. p. 152. «Le juge qui agit selon sa bonne foi
ne contrevient ainsi à aucune obligation mais il en va autrement de
celui qui agirait pour nuire (maliciously) ou parce qu?il a
été acheté», ibid.
et lui recommande, le cas échéant, de
référer la question de démettre l?intéressé
au Comité Judiciaire424. Ce dernier donnera son avis au Chef
de l?Etat mauricien425.
On est frappé par l?imprécision du droit en la
matière426. Le droit procédural applicable est peu
précisé. Le Comité Judiciaire dispose d?une grande
latitude. Cependant, une jurisprudence de la Haute Juridiction a fourni une
donnée fondamentale même si elle est loin d?épuiser
l?interrogation du juriste. Dans une affaire de Trinité et Tobago, le
juge londonien a affirmé l?exclusivité de la procédure
constitutionnelle427 et a prôné l?application des
principes généraux du droit lors du déclenchement de la
procédure. Le juge dont la responsabilité est engagée a
droit de se faire entendre et représenter428.
*
La compétence du Comité Judiciaire à
l?égard de l?île Maurice relève de trois modalités:
compétence générale en matière constitutionnelle,
compétence limitée à la cassation en droit privé et
pénal et compétence exclusive en matière de
responsabilité des hauts magistrats. Dans ces conditions, on peut
affirmer que le Comité Judiciaire est la vraie, la seule et unique
juridiction suprême de l?île Maurice.
424 CJCP: 9 avril 1870, Memorandum of the Lords of the Council
on the removal of colonial judges, ER, Privy Council, vol. 16, partie 6, pp.
827 à 830, rapporté par Moore.
425 Article 78-3, 4 et 5 CM. C?est le seul cas où le
Comité Judiciaire conseille le Président de la République.
La saisine par le Chef de l?Etat s?apparente à celle dite de
«consultation extraordinaire» (special reference) de
l?article 4 de la Loi de 1833.
426 Il est une question que l?on peut se poser. Le
Comité Judiciaire a-t-il été habilité en droit
anglais à se prononcer sur saisine du Président de la
République de Maurice ? L?Ordonnance en Conseil du 15 juillet 1992
autorise le Comité Judiciaire à statuer sur les pourvois
mauriciens selon les termes de l?article 81 de la Constitution mauricienne. A
contrario, la Haute Instance n?a pas été habilitée
à se prononcer sur la base de l?article 78 de la Constitution. V. sur le
sujet, DOOKHY Parvèz et DOOKHY Riyad: «La révocation du
Chef-Juge: les aspects juridiques», L?Express, 31 août 1995, p.
12.
427 CJCP: 14 février 1994, Evan Rees c/ Richard Alfred
Crane, WLR, 1994, vol. 2, pp. 476 à 499, affaire de Trinité et
Tobago, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt. Il souligna
que: «... if judicial independence is to mean anything, a judge cannot be
suspended nor can his appointment be terminated by others or in other
ways», ibid., p. 484.
428 BENTWICH Norman, cité note 41, pp. 154 à
158.
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
En 1968, lors de l?accession de l?île Maurice à
l?indépendance, le Comité Judiciaire n?était sans doute
qu?une institution de type transitoire d?ailleurs en voie de disparition tant
son rôle était affaibli et sa compétence ratione loci
réduite. Toute l?histoire du Commonwealth depuis la deuxième
grande guerre témoigne de l?hostilité des anciennes colonies
britanniques envers la justice londonienne. L?abolition du droit de se pourvoir
à la Downing Street fut le prix à payer pour la survivance de la
nature impériale de l?institution.
Les institutions mauriciennes mises en place en 1968
bénéficiaient toutes d?une grande estime de la part de la
population sur laquelle elles reposaient. Elles étaient aussi nouvelles
que porteuses de beaucoup d?espoir. Ce qui entraîna, pour certaines
d?entre elles, l?adhésion du peuple à leurs activités.
Face à elles, le Comité Judiciaire représentait l?ordre
ancien. Il était en position de faiblesse. Le peu d?intérêt
des plaideurs mauriciens à accéder à son prétoire
n?était-il pas l?expression la plus évidente de sa situation ?
Or, le juge londonien se révèle aujourd?hui
être plus que jamais nécessaire au bon équilibre des
institutions. Les garde-fous posés par le constituant n?ont
empêché la dérive des institutions. Le communautarisme
persiste et domine les activités politiques. Les institutions publiques
suprêmes se sont effacées devant la montée en puissance de
l?exécutif et inspirent peu de confiance.
Seul le Comité Judiciaire présente les
conditions d?impartialité et de compétence technique
nécessaire pour pouvoir s?imposer en contre-pouvoir et pour garantir
l?autorité de la justice.
Une étude de l?organisation du tribunal du Whitehall est
dès lors indispensable pour poursuivre notre démonstration.
CHAPITRE 2. LES HAUTES QUALITÉS DU COMITÉ
JUDICIAIRE
Les historiens auront grand-peine à trouver dans le
monde un précédent à l?aventure institutionnelle du
Comité Judiciaire. Cette institution particulière, ni
internationale, ni nationale au sens strict des termes, imaginée par
Lord Brougham en 1833, est toujours marquée par ses originalités.
Sa mutation n?ayant pas eu lieu, le Comité Judiciaire a conservé
des caractéristiques des cours médiévales du Roi
même s?il s?est fortement rationalisé.
La désignation de ses membres est laissée en
théorie à la seule discrétion du Souverain britannique. La
nature de l?institution est incertaine. La doctrine y est fortement
partagée. Davantage encore, son fonctionnement est plus ou moins
complexe même pour le juriste.
Il convient de vérifier comment ces
caractéristiques particulières lui permettent néanmoins
d?être une institution efficace et compétente. Un examen de son
organisation et de son fonctionnement peut faciliter la compréhension de
ses arrêts, ses prises de position et la hauteur de son raisonnement. Il
nous fournira aussi des éléments essentiels afin de mieux
apprécier l?autorité et la compétence technique de son
personnel.
Il faut donc à présent visiter de fond en comble la
composition du Comité Judiciaire (section 1) et sa nature et son
fonctionnement (section 2).
SECTION 1. LES MEMBRES DU COMITÉ JUDICIAIRE
L?étude des membres du Comité Judiciaire
répond à un souci de mise en perspective des vertus de la
composition de l?institution (sous-section 1) et du statut de ses membres
(sous-section 2) afin de démontrer l?originalité de l?institution
parmi les juridictions et cours constitutionnelles.
Sous-section 1. Les vertus de la composition du
Comité Judiciaire
Une institution dépend toujours pour une large part de
la personnalité des hommes qui l?incarnent et la font vivre. La
politique du recrutement des membres par une institution détermine sa
grandeur.
En vertu de ce postulat, nous nous interrogerons d?abord sur
l?ingéniosité du mode des nominations et affectations au
Comité Judiciaire (paragraphe 1) et nous procèderons ensuite
à une analyse sociologique et empirique de la
composition de l?institution (paragraphe 2). Cette analyse nous
permettrons de mieux apprécier les valeurs de la Haute Instance et sa
place dans la société.
Paragraphe 1. Analyse de la politique des nominations
et affectations
Au regard de l?organisation du Comité Judiciaire, la
composition de l?institution mérite d?être analysée sous un
angle particulier. L?examen des seules règles et pratique des
nominations (A) serait incomplet si on ne s?interroge pas sur la composition
des formations de jugement surtout à l?égard des pourvois venant
de Maurice (B) car le Comité Judiciaire, contrairement à la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique et le Conseil Constitutionnel
français, ne siège pas en assemblée plénière
pour rendre une décision, mais en sous- comité ad hoc
composé au cas par cas.
A. Les règles et la pratique des nominations
Peu de règles juridiques (a) déterminent les
conditions de nomination des membres du Comité Judiciaire429.
Le Comité Judiciaire recrute ses membres de la haute magistrature, au
sein de laquelle le critère de compétence (b) joue un rôle
déterminant.
a. Les règles juridiques relatives à la
composition du Comité Judiciaire
Le Comité Judiciaire est composé430
premièrement du Lord-Président du Conseil (Lord-President of
the Council) qui a rang d?un ministre d?Etat à la française
(senior minister). Le Lord-Président n?est pas un magistrat et
n?est pas inamovible. Il est membre du gouvernement britannique et son sort est
lié à celui du Cabinet, organe responsable devant le Parlement.
Il n?a pas besoin d?être un pair et il ne siège pratiquement pas
au Comité Judiciaire bien qu?il préside celui-ci. Sont aussi
membres du Comité Judiciaire les anciens Lords- Présidents du
Conseil et les Lords judiciaires (Law Lords). Le terme Lords
judiciaires désigne les membres juristes de la Chambre des Lords,
c'est-à-dire les anciens Lords-Chanceliers (former Lord
Chancellors), les Lords-Chefs-Juges
429 Il serait erroné de classer les membres du
Comité Judiciaire en groupe de membres nommés et membres de droit
tant les Lords-Juges d?Appel sont dans la pratique membres ex officio du
Conseil Privé.
430 On est en réalité nommé membre du
Conseil Privé (Privy Councillor) et non du Comité
Judiciaire. Le Conseil Privé comprend dans les 400 membres. Les membres
du Cabinet britannique, les principaux juges, les éminents politiciens,
les grandes personnalités du Commonwealth, dont l?ancien Premier
ministre de l?île Maurice, Sir Aneerood Jugnauth QC, en sont membres
à vie.
Les conseillers privés doivent prêter serment
d?allégeance à la Couronne et un serment de conseiller
privé. Ils bénéficient du titre de Très Honorable
(Right Honourable) et suivent les Chevaliers de l?Ordre de la
Jarretière (Knights of the Garter) dans les
cérémonies. Mais les Lords judiciaires, en raison de leur
dignité, ont préséance sur les chevaliers
précités.
à la retraite (Lord Chief Justices in
retirement), les Lords d?Appel en Ordinaire (Lords of Appeal in
Ordinary) à la retraite et en fonction, le Lord-Chancelier et le
Lord-Chef-Juge en fonction431. Les Lords-Juges d?Appel432
(Lord Justices of Appeal) sont aussi membres du Comité
Judiciaire mais n?y siègent pratiquement pas. Enfin, les autres membres
juristes du Conseil Privé, parmi lesquels un certain nombre de juges et
d?anciens juges des Etats du Commonwealth et des juges de la Haute Cour de
Justice anglaise, font partie du Comité Judiciaire. Leur nomination au
Conseil Privé dépend de la seule discrétion du
Souverain.
Toutefois, dans la pratique, l?activité
juridictionnelle est exercée principalement par des Lords d?Appel en
Ordinaire, c'est-à-dire, le même personnel que celui de la Chambre
des Lords. Ceux-ci ne constituent pas a priori un bloc de juges très
monolithique. Il est d?une convention constitutionnelle acceptée qu?au
moins deux Lords soient écossais433 et qu?un autre au moins
provienne de l?Irlande du Nord434. Mais ils constituent
néanmoins une petite élite de hauts magistrats435 bien
compacte, homogène et soudée436.
Dans des cas exceptionnels, un juge anglais de la Haute Cour
de Justice qui est membre du Conseil Privé437 ou un juge du
Commonwealth peut s?adjoindre aux Lords pour composer la formation de jugement
du Comité Judiciaire. Au temps où le Comité Judiciaire
était la juridiction suprême de l?Empire britannique, il
était composé régulièrement de hauts magistrats du
Canada, de l?Afrique du Sud, de l?Australie de la Nouvelle-Zélande et de
l?Inde. Aujourd?hui, seules la Nouvelle-Zélande, les Bahamas et la
Jamaïque y sont, peut-on dire, représentées438.
Il est regrettable que l?île Maurice soit toujours tenue à
l?écart quant à sa représentation alors que cinq anciens
Chefs-Juges de la Cour Suprême de Maurice sont à la retraite. La
compétence technique des
431 Autrement dit, les Lords judiciaires sont les pairs qui ont
occupé ou qui occupent une haute fonction dans la magistrature et
détiennent leur dignité à titre viager.
432 Les Lords-Juges d?Appel sont membres de la Cour d?Appel,
juridiction de deuxième degré.
433 Actuellement, en sus de la convention, l?actuel
Lord-Chancelier, Lord Mackay of Clashfern, est d?origine écossaise.
434 Un peu comme à la Cour Suprême des Etats-Unis
d?Amérique, la représentation géographique des juges y est
très respectée. V. WALKER T. et EPSTEIN Lee: «The Supreme
Court of the United States», New York, St. Martin?s Press, 1993, 207 p.,
v. p. 37-38.
435 BLOOM-COOPER Louis et DREWRY Gavin: «Final Appeal: a
study of the House of Lords in its judicial capacity», Oxford, Clarendon
Press, 1972, 584 p., v. p. 153-54.
436 Les Lords judiciaires n?ont pas d?assistant de recherche et
ont peu d?aide de secrétariat. JOLOWICZ J. A: «Les décisions
de la Chambre des Lords», RIDC, 1979, pp. 521 à 537.
437 Dans les affaires mauriciennes, par exemple, ont
siégé, Sir Robert Megary et Sir Micheal Hardie Boys.
438 «In spite of the express provisions allowing
representation of Dominion Judges on the various boards of the Privy Council...
cases before the Privy Council have been heard almost exclusively by English
and Scottish law Lords», MC WHINNEY Edward: «Judicial review in the
English speaking world», University of Toronto Press, 1965, 244 p., v. p.
50.
hauts magistrats mauriciens, jugée peut-être non
suffisante, explique sans doute leur absence au prétoire du
Comité Judiciaire.
La composition du Comité Judiciaire demeure très
britannique. Les juges du Commonwealth sont rarement désignés
à siéger. Le facteur géographique ne permet pas qu?ils
soient régulièrement sollicités. En somme, les membres
réellement actifs du Comité Judiciaire sont globalement de quinze
à vingt, c'est- à-dire les onze Lords judiciaires en fonction et,
éventuellement, les autres juges des tribunaux britanniques et du
Commonwealth. Ce nombre de juges est légèrement
dérogatoire à la tendance des juridictions constitutionnelles
à ne comporter qu?un nombre restreint de juges mais s?explique par le
caractère même du Comité Judiciaire.
b. Le critère de compétence
Le Comité Judiciaire appartient à la
catégorie des cours de Common Law quant au mode de recrutement de ses
membres. Les cours de Common Law sont composés d?anciens grands
praticiens du droit, tandis que les cours de droit commun du modèle
romano-germanique sont composés de magistrats de carrière. Le
système judiciaire britannique ne prévoit aucun système de
déroulement de carrière pour les titulaires d?une fonction au
sein de la magistrature439. Pour être nommé juge de
première instance à la Haute Cour de Justice de Londres, il faut
être un avocat disposant d?au moins de dix années de pratique au
barreau de l?Angleterre et du Pays de Galles440. Les nominations
sont effectuées par le Souverain sur proposition du
Lord-Chancelier441. Le Lord-Chancelier apprécie la
performance des avocats selon les avis qu?il reçoit des juges sur leurs
activités et réputations. Le ministre de la justice anglais
assure une véritable notation des avocats contenue dans un dossier
désigné par sa couleur, le jaune (the yellow book).
L?avocat ne fait pas acte de candidature à la fonction de juge. Il est
invité par le gouvernement à accepter sa nomination. Ce mode de
sélection des juges est hautement élitiste et s?apparente
à la cooptation. Ce sont les juges qui nomment les juges, leurs
successeurs et en général ils choisissent ceux qui leur
ressemblent. Ils donneront un avis négatif sur l?avocat qui paraît
déroger aux
439 «... the British judiciary is not a career service.
No young law student can actually set out to become a judge, since there is no
special school nor any competitive or other examination for entry to the
judiciary», KINDER-GEST Patricia, cité note 58, v. p. 400.
440 «The system of recruitment which has prevailed up to
the present day has always assumed that a good barrister will automatically
make a good judge and therefore that he had no need of any particular in-depth
training to prepare him for his new position», ibid., p. 401.
441 Dans la pratique, le Lord-Chancelier demeure en fonction
plus longtemps que les autres ministres et peut effectuer ou proposer de
nombreuses nominations. A titre indicatif, Lord Hailsham of St. Marylebone fut
Lord-Chancelier de 1979 à 1987. Lord Makay of Clashfern est en fonction
depuis 1987.
moeurs de la profession442. Le choix du
Lord-Chancelier porte sur les quelques sept cent cinquante avocats en exercice
ayant obtenu le titre honorifique de Conseiller de la Reine (Queen's
Counsel), c'est-à-dire, le titre d?avocat
émérite443. En moyenne les éminents avocats
sont nommés à la Haute Cour de Justice444 à
l?âge de cinquante ans445. Certains, après une
expérience de huit à dix années seront promus à la
Cour d?Appel qui comprend vingt-sept Lords-Juges. Ceux-ci sont nommés
par le Souverain sur recommandation du Premier ministre446. Une
petite minorité d?entre eux seront nommés à la Chambre des
Lords et deviendront, en tant que Lords judiciaires447, membres
actifs du Comité Judiciaire. Les magistrats britanniques ne sont
élevés à la pairie avant d?avoir atteint en moyenne
soixante-deux ans, c?est-à-dire, un niveau de maturité
élevé. Ce modèle de recrutement des juges est
qualifié de «professionnel» par rapport à celui dit
«bureaucratique» du système continental, dans lequel les juges
sont choisis par concours ouvert aux jeunes étudiants après leurs
études universitaires. Le recrutement au Comité Judiciaire est
donc centré sur des juristes de profession comme prôné par
Hans Kelsen à propos des juridictions constitutionnelles448
(voir tableau 6 en annexe). La Grande-Bretagne recherche dans ses hauts
magistrats une grande expérience des problèmes pratiques
plutôt que de la compétence théorique449.
On peut, par contre, s?interroger sur la dépendance du
système britannique de recrutement sur le bon vouloir de
l?exécutif, du Lord-Chancelier en particulier, qui conseille le
souverain à cet effet. Mais les moeurs et les usages propres à
l?Angleterre font que le juge, une fois investi dans ses fonctions, oublie
l?autorité qui l?a nommé pour ne penser qu?à sa charge
442 «A man or woman whose social or personal habits are
unconventional or uncertain is not likely to be risk», GRIFFITH J. A. G.:
«The politics of the judiciary», Londres, Fontana Press, 1991, 4e
édition, 352 p., v. p. 29.
443 La Loi de 1990 sur les cours et le service judiciaire
(Court and legal services Act 1990) prévoit que les
avoués (Solicitors) de grande expérience pourraient
être recrutés comme juges.
444 La Haute Cour de Justice, tribunal de première
instance, comprend quelques quatre-vingt- cinq juges et est unique en
Angleterre.
445 «La nomination à une fonction judiciaire dans
une cour supérieure est toujours considérée comme le signe
d?une éclatante réussite et le couronnement d?une carrière
poursuivie avec succès au barreau», DAVID René: «Le
droit anglais», PUF, Que sais-je ?, 1975, 126 p., v. p. 24.
446 A ce stade, les juges seront membres du Conseil Privé,
mais y sont peu actifs.
447 Les Lords bénéficient d?une image de
prestige et sont largement décorés. Leur statut leur permet
d?incarner le respect qu?il faut pour la justice.
448 KELSEN Hans: «Le contrôle de la
constitutionnalité des lois: une étude comparative des
constitutions autrichienne et américaine», RFDC, 1990, pp. 17
à 30 et du même auteur: «La garantie constitutionnelle de la
Constitution», RDP, 1928, pp. 197 à 257. Il soutient que: «Il
est de plus grande importance d?accorder à la composition de la
juridiction constitutionnelle une place adéquate aux juristes de
profession... Le tribunal a en effet le plus grand intérêt
à renforcer lui-même son autorité en appelant à lui
des spécialistes éminents», ibid., pp. 227.
449 Les théoriciens du droit (academic
lawyers) ne sont jamais affectés à la haute magistrature. V.
SHETREET Shimon: «Judges on trial, a study of the appointment and
accountability of the English judiciary», Oxford, North-Holland Publishing
Company, 432 p., v. p. 58 et s.
éminente450. Il faut néanmoins se
méfier de croire qu?avec ce système la Grande- Bretagne ne permet
l?infiltration d?éléments politiques dans le judiciaire. Le
Lord-Chancelier, juriste de formation, est un homme politique451.
Aussi, certains Lords judiciaires ont été nommés en
considération de leurs engagements politiques
antérieurs452 ou de leur affinité idéologique
avec le parti au pouvoir.
B. La composition des formations de
jugement
La composition des formations de jugement (Boards) du
Comité Judiciaire présente une particularité qu?il
convient de mettre en relief. Il appartient au Lord-Chancelier de
désigner pour chaque affaire les membres du Conseil qui composeront le
comité ad hoc qui la jugera453. Dans la pratique, il semble
que le Lord-Chancelier veille à une certaine régularité et
stabilité dans le choix des juges (a). Nous verrons ensuite si ce
principe est respecté à l?égard de l?île Maurice
(b).
a. La stabilité dans le choix des juges
Les théoriciens du droit du Commonwealth n?avaient pas
manqué d?être très critiques à l?égard de
tout changement fréquent de personnel composant le Comité
Judiciaire en séance454 et de l?appel aux juges qui ne
possédaient pas une connaissance approfondie du système juridique
concerné455. Le changement de personnel avait provoqué
une instabilité de la jurisprudence vérifiée dans
l?interprétation de la Constitution canadienne de 1867456.
Selon la composition du tribunal londonien, la Constitution canadienne faisait
l?objet soit d?une interprétation décentralisante, favorisant les
droits et pouvoirs des provinces, soit d?une interprétation
centralisante protégeant le pouvoir central du Canada.
450 PERROT Roger: «Institutions judiciaires»,
Monchrestien, 1995, 7e édition, 599 p., v. p. 302.
451 Aucun texte de loi ne prescrit les modalités de
recrutement du Lord-Chancelier. Mais la tradition veut qu?il soit issu des
avocats ayant exercé les fonctions d?officier de justice de la couronne,
avocats du ministère public, ou de la haute magistrature.
452 «Atkinson and Shaw were appointed by Balfour and
Asquith because they were party men, and party men were needed to ensure that
the appellate functions of the House were handled from the appropriate
political view point», STEVENS Robert: «Law and politics, the House
of Lords as a judicial body 1800-1976», The University of North California
Press, 1978, 701 p., v. p. 246.
453 Le Lord-Chancelier exerce une fonction similaire à la
juridiction de la Chambre des Lords.
454 «To imagine that we shall ever get consistent and
reasonable judgments from such a casualty selected and untrained court (as the
Judicial Committee) is merely silly», SCOTT F. R.: «The consequences
of the Privy Council decisions», CBR, 1937, pp. 485 à 494, v. p.
494.
455 BURNS P.: «The Judicial Committee of the Privy
Council: constitutional bulkmark or colonial remnant ?», OLR, 1984, vol.
15, n°4, pp. 503 à 522.
456 Un juriste canadien avait écrit que le
Comité Judiciaire fut: «a court of fluctuating personnel
characterised by the appearance and quick disappearance of many members, a fact
which has not been conducive to familiarity with our Constitution or
conditions, and which has also led to the dominance of a few personalities
whose attendance was more regular and prolonged», MAC DONNALD Vincent:
«The Privy Council and the Canadian Constitution», CBR, 1951, pp.
1021 à 1037, v. p. 1024. Un autre juriste parlait d?un «shifting
body of judges» à propos du Comité Judiciaire. V. CAIRNS
Alain: «The Judicial Committee and its critics», RCSP, 1971, pp. 301
à 345, v. p. 331.
Le tandem des Lords Waston et Haldane protégeait les
provinces de toute immixtion du pouvoir fédéral dans leur champ
de compétence alors que Lord Sankey adoptait une approche
inverse457.
En dehors du cas canadien qui ne présente plus qu?un
intérêt historique, il nous est possible d?affirmer que le
Lord-Chancelier choisit des spécialistes de la matière en
instance pour siéger dans le comité ad hoc
(panel)458 et le même groupe de juges est
appelé à composer le Comité Judiciaire en séance
pour juger des affaires similaires. Le Lord-Chancelier assure une mission
complexe. Il veille à l?unicité de la jurisprudence. En
même temps, il est soucieux du développement de la jurisprudence.
C?est ainsi qu?il peut parfois solliciter l?assistance des Lords judiciaires
à la retraite ou des rares juges du
C o mm on w e alt h 459.
Il est utile de faire remarquer que ce mode de
sélection des juges permet à une cour de Common Law tel que le
Comité Judiciaire, qui a une compétence générale,
de se doter d?une certaine spécialisation interne de facto et donc d?une
division fluide du personnel de la cour460.
b. Le cas mauricien
La composition du Comité Judiciaire dans les affaires
mauriciennes reflète la même tendance du maintien de la
stabilité461. La spécialisation de certains Lords en
droit public mauricien est marquante Lord Keith of Kinkel, d?origine
écossaise, a siégé pendant quinze années, de 1977
à 1992 et une fois sur deux dans les formations de jugement statuant sur
des affaires relevant du droit public mauricien (voir tableau 7 en annexe). De
même, Lord Templeman siège depuis 1982 et apparaît
également en moyenne une fois sur deux.
457 «The vagaries of judicial interpretation of the
Canadian Constitution are indeed an excellent index to the uncertainty of
tenure of the personnel of the Privy Council», MC WHINNEY Edward,
cité note, v. p. 52.
458 Le Lord-Chancelier est conseillé dans cette
tâche par son secrétaire permanent (permanent secretary),
le clerc principal du ministère de la justice (principal clerk of
the judicial office) et le clerc du Conseil Privé (judicial
clerk of the Privy Council).
459 «Past pattern of practice as to the constitution of
such boards of the Privy Council indicates a remarkable element of consistency
and regularity in the actual choosing of the judges, the same judicial names
tending to recur, year after year, for the same general categories of cases and
being determined either by technical backgrounds or by expressed personal
preference... or by original casual accident of choice», MC WHINNEY
Edward: «Supreme Courts and judicial law making: constitutional tribunals
and constitutional review», Martinus Nijroff Publishers, 1986, 305 p., v.
p. 29.
460 Les Lords provenant de la division de la chancellerie
(Chancery Division) de la Haute Cour ne siègent que dans les
affaires commerciales et non dans des affaires pénales et
administratives réservées à ceux venant de la division du
Banc de la Reine.
461 A titre de comparaison, trente personnes ont
été membres du Conseil Constitutionnel français de 1977
à 1994 alors que trente-deux membres du Conseil Privé ont
participé aux affaires mauriciennes de droit public durant la même
période.
La pratique veut que chaque comité ad hoc de jugement
comprenne deux ou trois juges d?un noyau dur de quatre à cinq Lords. Par
exemple, de 1982 à 1991, au moins deux des Lords Keith of Kinkel,
Brandon of Oakbrook, Templeman, Bridge of Harwich et Roskill ont
participé aux formations de jugement statuant sur des affaires de droit
public mauricien. Le même phénomène réapparaît
entre 1987 et 1988 sur les six affaires jugées durant cette
période. Le noyau dur était composé des Lords Griffiths et
Akner et de Sir John Stephenson. Aussi, sur les sept arrêts
prononcés de 1992 à 1993 trois des quatre Lords judiciaires
Jauncey, Goff of Chieveley, Lowry et Oliver y étaient
présents.
Toutefois, la spécialisation et la
régularité apparaissent moins nettement en matière de
droit pénal bien que les mêmes principaux Lords judiciaires,
à savoir Lords Templeman, Keith of Kinkel, Bridge of Harwich, Oliver,
Jauncey of Tullichettle et Brandon forment les comités de jugement (voir
tableau 8 en annexe). Mais la présence de quelques chevaliers du
Conseil, dont des juges de la Nouvelle-Zélande, sont à noter dans
les affaires pénales462. A ce titre Sir Maurice Casey y est
particulièrement régulier.
On insistera, enfin, sur les avantages que représente
le mode de composition des formations de jugement du Comité Judiciaire.
Le système présente deux bienfaits. Il assure avec la longue
durée d?exercice des Lords, l?autorité de l?institution et
évite, par le renouvellement constant, les ruptures brutales au profit
d?une évolution souple. Les nouveaux Lords qui entrent en fonction dans
les affaires mauriciennes apprennent progressivement leur métier au
contact des anciens tout en questionnant toute jurisprudence que ces derniers
pouvaient considérer comme acquise ou clairement évidente. Dans
la pratique, le système retenu par le Conseil Privé peut
être rapproché du renouvellement triennal du Conseil
Constitutionnel français.
Paragraphe 2. Analyse sociologique et empirique de la
composition du Comité Judiciaire
Notre analyse du recrutement des juges du Comité
Judiciaire ne serait intégrale si nous ne procédons à une
étude sociologique et empirique de la composition de la Haute Instance
londonienne (A).
462 Le fait d?adjoindre des juges néo-zélandais
répond, semble-t-il, à un souci de prise en considération
des difficultés rencontrées en général par les
autorités publiques des pays du Commonwealth sur le plan
procédural aux procès pénaux, notamment sur le
problème des délais à respecter, vérifiées
dans les arrêts publiés.
Par ailleurs, il nous apparaît opportun de comparer le
Comité Judiciaire, du moins dans sa composition, à la fois avec
une grande juridiction et une cour constitutionnelle (B).
A. Les membres du Comité Judiciaire
Deux séries d?observation s?imposent sur la composition
du Comité Judiciaire. La première porte sur la
personnalité des juges (a) et la deuxième sur les
éventuelles tendances de leur désignation (b).
a. Des personnalités incontestables
Le mode de recrutement des Lords permet de combiner la
compétence et l?expérience. Comme nous l?avons souligné,
les juges sont tous des juristes de profession et beaucoup d?entre eux ont
acquis une grande expérience, soit au gouvernement, soit au Parlement,
soit même dans l?Administration. Le Comité Judiciaire peut se
prévaloir d?une grande richesse de talents.
Les Lords463 ont reçu jadis une formation
technique appropriée dans les prestigieuses universités,
notamment de Cambridge et d?Oxford464 et dans une des quatre
écoles de formation à la profession d?avocat465, la
Lincoln?s Inn, le Middle Temple, l?Inner Temple et la Gray?s Inn466.
En ce qu?il s?agit de leur cursus universitaire467, ils sont tous au
moins titulaires d?une licence en droit avec mention honorable (Bachelor's
degree in law with Honours). Nombreux d?entre eux détiennent une
maîtrise en droit (Master's degree) et tous ont pratiquement
obtenu le titre honorifique de docteur en droit des universités
britanniques ou étrangères468. On notera que les Lords
ont en moyenne plus d?une quarantaine d?années d?expérience du
droit, d?abord comme avocat ensuite comme juge à la Haute Cour de
Justice et à la Cour d?Appel. Certains Lords ont aussi enseigné
dans des facultés de droit469 et publié des ouvrages
de droit470. D?autres Lords se sont spécialisés dans
certaines branches du droit, tel Lord Diplock en droit constitutionnel du
Commonwealth471.
En sus des qualités strictement techniques, les juges
du Conseil Privé ont généralement acquis une
expérience professionnelle dans l?administration publique472,
ce qui est fort utile lorsqu?ils ont à statuer, comme c?est le cas
fréquemment, sur le fonctionnement de la machine étatique des
pays du Commonwealth. Il est aussi d?une pratique constante en Angleterre de
confier
463 Ils sont en général issus de la haute
bourgeoisie et de l?aristocratie.
464 Sur le système très élitiste anglais v.
CHARLOT Claire: «L?Enarchie à l?anglaise», Presse
Universitaire de Lille, 1986, 260 p.
465 ROCHE Marc: «The Judge, en Grande-Bretagne», Le
Monde, 12 septembre 1991, p. 14.
466 Dans ces écoles, les élèves-avocats sont
formés à acquérir des méthodes de raisonnement et
d?expression de leurs pensées, de persuasion et de
négociation.
467 Sur la sociologie des Lords v. BLOOM-COOPEER Louis et DREWRY
Gavin, cité note 435, v. chapitre 3, p. 158 à 169.
468 Lord Denning a obtenu une vingtaine de titres de docteur et
Lord Scarman dix-huit.
469 Par exemple, Lord Slynn a enseigné le droit
à l?Université de Londres, l?Université de Durham, de
Cornell et à l?Univerrsité de Sydney. Lord Templeman est
professeur invité à l?Université d?Essex. Lord Fraser a
enseigné le droit constitutionnel à l?Université de
Glasgow, puis à Edimbourg.
470 Lord Hailsham of St. Marylebone a publié une vingtaine
de titres.
471 STEVENS Robert, cité note 452, v. p. 562 et s.
472 Lord Templeman était ministre
délégué à la Justice (Attorney-General),
Lord Roskill fut fonctionnaire au ministère des transports, Lord
Hailsham of St. Marylebone fut député, ministre de
l?éducation, puis de la science et de la technologie et Lord Elwyn-Jones
fut secrétaire parlementaire privé du ministre
délégué à la justice.
aux Lords la direction des commissions royales chargées
de conseiller le gouvernement sur les grands problèmes de
société473 ou des commissions
d?enquêtes474.
Par ailleurs, tous les Lords judiciaires sont ex officio des
parlementaires à vie475. Ils prennent part aux débats
politiques à la deuxième chambre476 et peuvent
s?engager très ouvertement477 tout en siégeant en
non-apparentés à la chambre.
b. L'évolution
L?âge de nomination à la Chambre des Lords est
originairement très élevé et est de soixante-huit ans de
moyenne478. Depuis quelques années, il semble que l?âge
moyen des Lords judiciaires diminue légèrement. Les dispositions
de la Loi britannique de 1990 sur les cours et le service judiciaire (Court
and legal service Act 1990) favorisent la nomination des juges plus
jeunes479. Lord Woolf a été nommé à la
pairie à l?âge de cinquante-huit ans. Aussi, trois des cinq juges
qui avaient statué sur les affaires mauriciennes en 1994 avaient moins
de soixante- trois ans. Néanmoins l?âge moyen des juges du
Comité Judiciaire demeure assez élevé. Mais il nous est
possible d?affirmer que le grief de l?âge des juges a peu
d?intérêt car le Comité Judiciaire est composé
d?hommes pleinement aptes à exercer leurs fonctions.
473 SMITH P. F. et BAILEY S. H.: «The modern English
legal systems», Londres, Sweet and Maxwell, 1984, 700 p., v. p. 171
à 172.
474 Hailsham of St. Marylebone, Lord: «The British legal
system», Londres, Stevens and Sons, The Hamlyn Lectures, 1983, 89 p. Le
Lord-Chancelier Hailsham s?oppose à l?attribution des fonctions
extrajudiciaires aux juges: «There is of course the constant and popular
clamour for public enquiries whenever anything goes wrong in public life, and
when this happens, all often the Lord-Chancellor is asked to find a High Court
Judge to head it even though the inquisitorial method involved is somewhat
alien to his experience, and the political sensitivity of the issues only to
manifest», ibid., p. 46.
475 La juridiction de la Chambre des Lords et le Comité
Judiciaire n?échappent pas en théorie au reproche de l?engagement
politique de leurs membres comme les juridictions allemandes et italiennes.
476 A titre indicatif, deux des plus hauts magistrats à
la Chambre des Lords ont, en janvier 1997, sévèrement
critiqué un projet de Loi du ministre britannique de l?Intérieur.
V. COPLEY Joy et SYLVESTER Rachel: «Senior judges attack Howard over
scatter-gun? sentencing», The Daily Telegraph, 28 janvier 1997,
p. 2. V. également, sur l?engagement politique des Lords, BELL John:
«Justice et politique: le cas du Royaume-Uni», RGDP, janvier-juin
1996, pp. 25 à 39, v. p. 31.
477 Lord Hailsham of St. Marylebone n?a jamais caché qu?il
est un conservateur.
478 Similairement à la tendance au Conseil
Constitutionnel en France, la fonction de juge au Comité Judiciaire et
à la Chambre des Lords, si elle n?est pas une fonction pour les
retraités, elle en est au moins une pour les retraitables. V.
MOTAMED-NEJAD Raya: «Composition du Conseil Constitutionnel»,
mémoire de DEA, Paris 1, 1985, 156 p., v. p. 102.
479 Le Lord-Chancelier avait même proposé en 1992 la
réduction de l?âge de retraite des Lords judiciaires de 75
à 70 ans. V. KINDER-GEST Patricia, cité note 58, v. p. 402.
En revanche, le privilège de la masculinité
s?impose au Comité Judiciaire. Pas un seul membre actif de l?institution
n?est du sexe féminin. Une sorte de loi salique y demeure en
vigueur480.
B. Une étude comparée
Il nous semble intéressant, du point de vue comparatif,
de rapprocher les juges du Comité Judiciaire de ceux d?une grande
juridiction et une cour constitutionnelle, à savoir, la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique (a) et le Conseil
Constitutionnel français (b).
a. La Cour Suprême des Etats-Unis
d'Amérique
Bien que la Cour Suprême des Etats-Unis481
ait servi de modèle aux juridictions suprêmes des pays du
Commonwealth et du Japon, elle est peu régie par la Constitution
américaine de 1787482. Celle-ci ne prévoit aucune
condition concernant l?âge, la profession, la formation et les
qualifications ou titres requis pour être juge à la Cour.
Cependant, le statut et l?inamovibilité des juges permettent de
dégager une même loi sociologico-juridique reproduite chez les
Lords judiciaires. Malgré l?absence de condition concernant l?âge,
il apparaît difficile qu?un jeune juriste inexpérimenté
puisse être nommé. L?âge moyen des juges à la date de
leur nomination à la Cour Suprême est de cinquante-quatre ans
depuis la deuxième guerre mondiale. Ils sont de quatre à six ans
les cadets des Lords judiciaires. Du fait que les juges américains sont
nommés à vie, il faut observer l?âge moyen de leur
décès ou leur départ à la retraite. Ceci est de
soixante-neuf ans. L?âge moyen de départ des Lords est plus
élevé et était fixé à soixante-quinze ans,
puis est réduit à soixante-dix ans.
En ce qui concerne la première profession
exercée par les juges américains, il semble que le rapprochement
avec les Lords soit plus facile à établir du fait même de
la tradition observée dans les pays de Common Law, en Grande-Bretagne et
aux Etats-Unis en particulier. Dans ces pays, aucune
480 Ce n?est qu?en 1965 qu?une femme ait été
nommée à la Haute Cour de Justice et en 1987 à la Cour
d?Appel. Elle a été alors membre de droit (non active) du
Comité Judiciaire. A l?inverse, aux Etats-Unis d?Amérique, une
femme, Madame Sandra O?Connor, a siégé en 1981 à la Cour
Suprême et qu?en France, une femme, Madame Noëlle
Lenoir-Fréaud siège au Conseil Constitutionnel.
V. WALKER R. J.: «The English legal system»,
Londres, Butterworth, 6e édition, 1985, 709 p., v. p. 230.
481 DAVIS H. Micheal: «Les juges constitutionnels:
Etats-Unis», AIJC, 1988, vol. IV, pp. 133 à 139, MACLSKEY Robert:
«The American Supreme Court», University of Chicago Press, 1960, 260
p. et HYNEMAN Charles S.: «The Supreme Court on trial», Atterson
Press, 1963, 308 p.
482 LEVASSEUR Alain A.: «Droit des Etats-Unis»,
Précis-Dalloz, 1994, 388 p., v. p. 25 à 37 sur le système
judiciaire.
formation spécialisée n?est prévue pour
les juges. Les éventuels juges ont reçu une formation à la
profession d?avocat et ont été recrutés comme juge d?un
Etat ou ont fait carrière dans l?administration publique ou
exercé des activités publiques. Ils sont donc issus, comme les
Lords, soit du judiciaire, soit de l?Administration.
Le modèle américain présente toutefois
une particularité du point de vue de mode de nomination des juges. Il
revient au Président des Etats-Unis de désigner un candidat et de
le proposer à l?approbation du Sénat. La procédure
d?approbation au Sénat est devenue longue483 au fil des ans
et pratiquement inquisitoire. Une commission judiciaire (The Judiciary
Committee) examine le cas et demande l?avis du barreau américain
(The American Bar Association). Le barreau certifie si le candidat
est, selon la formule utilisée, très bien qualifié, bien
qualifié, qualifié ou non qualifié484. Ensuite,
une commission sénatoriale interroge les témoins, analyse les
preuves et vote la nomination. En vérité, la commission cherche,
à travers ces examens, à découvrir les vraies tendances
politiques et idéologiques du juge et cet exercice est très
important. Car bien que le Président des Etats-Unis n?est pas lié
par l?avis de la commission, si elle rejette son candidat, il propose en
général un autre. Il peut aussi demander à ce que le
Sénat examine lui-même la candidature. En pratique, le choix du
Président est accepté sauf dans le cas où le juge est
manifestementt incompétent.
Par rapport à ce mode de nomination, celui
pratiqué en Angleterre paraît moins politisé en
dépit du fait qu?il revient aux Lord-Chancelier et Premier ministre de
proposer des noms au Chef de l?Etat. Le facteur politique joue, paraît-il
en Grande-Bretagne un rôle moins déterminant qu?en
Amérique485, mais le Lord-Chancelier examine bien le
comportement politique des juges virtuels.
b. Le Conseil Constitutionnel français
Le Conseil Constitutionnel486 est composé de
membres nommés, qui sont au nombre de neuf et de membres de droit, les
anciens Présidents de la
483 Elle dure de six à huit semaines.
484 Exceptionally well qualified, well qualified, qualified, not
qualified.
485 «Le processus de nomination tient toujours compte des
opinions politiques des juges, si non au sens étroit de leurs positions
idéologique, du moins au sens plus large des retombées politiques
possibles de leur interprétation de la Constitution.», CESAR James:
«La Cour Suprême des Etats-Unis: le processus de sélection
des juges», Pouvoirs, 1991, n° 59, pp. 31 à 43.
486 LUCHAIRE François: «Le Conseil
Constitutionnel», Economica, 1980, 435 p., AVRIL Pierre et GICQUEL Jean:
«Le Conseil Constitutionnel», Monchrestien, 1993, 2e édition,
156 p., et ROUSSEAU Dominique: «Droit du contentieux
constitutionnel», Monchrestien, 1993, 4e édition, 438 p.
République, à la manière des
sénateurs inamovibles de la IIIe République. Les membres
nommés sont désignés par les trois autorités
politiques suprêmes, le Président de la République, le
Président du Sénat et le Président de l?Assemblée
Nationale. Ce mode de nomination pose en France un problème concernant
des choix partisans. Il est d?une pratique acceptée que les gaullistes
choisissent des conseillers proches de leurs idées politiques et que les
socialistes procèdent de manière similaire. Mais cette
politisation de la juridiction s?efface devant l?indépendance
manifestée des conseillers constitutionnels. C?est ainsi que le Conseil,
composé à majorité de personnalités nommées
par les socialistes, a censuré plusieurs fois des lois votées par
la majorité socialiste de 1988 à 1993487.
Le Conseil Constitutionnel présente la
particularité de pouvoir comporter des personnes n?ayant reçu
aucune formation juridique. En principe, les conseillers constitutionnels,
appelés à remplir une fonction juridictionnelle dans un cadre
procédural déterminé, devraient être tous des
juristes. Mais la Constitution de 1958 et l?Ordonnance organique d?application
du 7 novembre 1958 ne prévoient aucune disposition sur les
qualifications juridiques des membres à la différence des lois
anglaises sur les conditions requises pour être Lord judiciaire. Il
s?avère qu?en France certains théoriciens considèrent le
droit constitutionnel comme un droit politique. Ils pensent qu?il serait donc
souhaitable que les juges constitutionnels ne soient pas tous des juristes et
soient, pour certains d?entre eux, d?anciens hommes politiques.
Néanmoins, la composition du Conseil Constitutionnel depuis son origine
se caractérise par la présence d?un nombre important de juristes
souvent parmi les plus éminents.
Un aspect particulier du fonctionnement du Conseil
Constitutionnel mérite d?être souligné. Le Conseil
Constitutionnel, à l?inverse de la Chambre des Lords et du Comité
Judiciaire, est fortement présidentialisé. Le Conseil
Constitutionnel comporte un Président actif désigné par le
Chef de l?Etat. Les différents Présidents du Conseil ont, chacun
à leur manière, joué un rôle déterminant et
l?évolution de l?institution peut facilement être
caractérisée en fonction des personnes ayant dirigé la
présidence. Il est évident que le tournant de 1974 sur
l?ouverture du droit de saisine était inspiré par le
Président Robert Frey. Monsieur le Professeur Robert Badinter a
marqué son passage à la tête du Conseil autant au plan de
la jurisprudence qu?au plan institutionnel par un souci constant de
défense des droits fondamentaux. Il a, à plusieurs reprises,
487 Monsieur Robert Badinter, Président du Conseil
Constitutionnel, avait prononcé, lors de sa première intervention
au Conseil que: «Nous avons un devoir d?ingratitude envers ceux qui nous
ont nommés», in ROUSSILLON Henry: «Le Conseil
Constitutionnel», Dalloz, 1994, 149 p., v. p. 15.
proposé des réformes ou des innovations qui
n?ont pas toujours réussi à se traduire dans les faits. Les
Lords, au contraire, sont privés d?un véritable Président
puissant. Sont-ils pour autant moins enclins à défendre et
promouvoir leur institution ? Le Lord-Chancelier, chef de la magistrature, a
l?avantage de pouvoir agir également comme un ministre de la justice en
plus d?être le chef des Lords. Certaines réformes et adaptations
de l?institution peuvent se concrétiser plus facilement. Aussi, certains
Lords ont considérablement influencé la ligne jurisprudentielle
du Comité Judiciaire, tel Lord Diplock, qui a été le
rédacteur régulier des décisions de la Haute Instance en
matière constitutionnelle. De même, la grande réforme de
1966 autorisant les membres du Conseil Privé à exprimer leurs
éventuels opinions dissidentes aux décisions majoritaires est la
conséquence d?une revendication des Lords. Enfin, il peut exister au
Comité Judiciaire une présidentialisation de fait, menée
souvent par le doyen des Lords (the Senior Law Lord), qui donne
à la Haute Instance l?impulsion nécessaire d?un
Président.
*
Il nous est possible d?affirmer que le Comité
Judiciaire est un prestigieux tribunal. Ses juges cumulent la noblesse et la
compétence. Le corps judiciaire du Conseil Privé est très
restreint et suffisamment homogène. Le recrutement des juges se fait
à l?intérieur d?une même classe sociale, la haute
bourgeoisie, voire l?aristocratie. Ce mode de recrutement peut tout à
fait être qualifié d?aristocratique488. Ce
système est tempéré par la sollicitation de certains juges
du Commonwealth à siéger dans les formations de jugement du
Comité Judiciaire. Aussi, un équilibre subtil est maintenu dans
le recrutement des Lords purement juristes et ceux qui sont à la fois
juristes et politiques.
Les Lords sont également très
considérés. Ils jouissent des prérogatives protocolaires
importantes et bénéficient des titres nobiliaires et
décorations les plus hauts, un peu à la manière des juges
français sous l?Empire Napoléonien489.
Leur statut est aussi exceptionnel et n?est comparable à
aucune catégorie d?agents de l?Etat.
Sous-section 2. Le statut des juges du Comité
Judiciaire
488 GARAPON Antoine: «Le gardien des promesses, le juge et
la démocratie», Paris, Editions Odile Jacob, 1996, 281 p., v. p.
53.
489 BADINTER Robert: «Une si longue défiance»,
Pouvoirs, 1995, n° 74, pp. 7 à 12, v. p. 8.
Un postulat anime le pouvoir de toute institution
juridictionnelle: la puissance d?un tribunal dépend du statut de ses
membres.
Une étude de cet aspect de l?organisation du Comité
Judiciaire est nécessaire pour apprécier l?autorité de ses
membres.
Deux traits de leur statut méritent d?être mis en
évidence. Bien que les Lords judiciaires fassent partie à la fois
du judiciaire et du législatif, même de l?exécutif pour
certains, le système juridique anglais se caractérise par une
indépendance solide du pouvoir judiciaire, au sommet duquel se trouvent
les Lords (paragraphe 1). A la différence du système juridique
des pays du continent européen, le système de Common Law consacre
l?existence d?un véritable pouvoir judiciaire (judicial power)
qui confère aux Lords une autorité exceptionnelle (paragraphe
2).
Paragraphe 1. L'indépendance des juges du
Comité Judiciaire
En Angleterre, comme dans les pays du Commonwealth, le
Parlement s?associe étroitement avec le pouvoir exécutif.
Contrairement au système politique français, les membres du
gouvernement sont obligatoirement issus du rang des parlementaires. En contre
partie de la collaboration des pouvoirs législatifs et exécutifs,
le pouvoir judiciaire revêt une importance
particulière490.
Dans ces conditions, plusieurs moyens concourent à
protéger l?indépendance des juges (A). Ces moyens sont
renforcés à l?extrême à l?égard de
l?île Maurice et des pays du Commonwealth (B).
A. Les moyens de l'indépendance
Les juges du Comité Judiciaire sont pratiquement
inamovibles (a). Ils bénéficient des avantages et sont soumis
à des obligations tendant à préserver leur
indépendance (b).
a. L'inamovibilité des juges du Comité
Judiciaire
Théoriquement, tout membre du Conseil Privé peut
être destitué selon le bon vouloir du Souverain. Il suffit
à celui-ci non pas de le révoquer mais d?enlever le nom du
conseiller en question du registre des membres du Conseil (the Council
Book). Toutefois, il y a lieu de se méfier de la théorie
quand il s?agit d?une institution britannique. Les Lords judiciaires sont
inamovibles dans leur fonction de juge à la Chambre des Lords et la
prérogative royale précitée ne possède qu?une
valeur de clause de style.
En effet, si avant 1701 les juges britanniques en
général tenaient leur fonction que du bon vouloir du Roi
(during the King's pleasure) et pouvaient être
révoqués selon le même bon plaisir de ce dernier (at
the will of the King), depuis la Loi d?Etablissement (Act of
Settlement) du 12 juin 1701, tous les juges des juridictions
supérieures, à l?exception du Lord-Chancelier qui assure
également une fonction politique491, sont inamovibles. Tout
juge peut demeurer en fonction aussi longtemps que sa conduite est bonne
(quamdiu se bene gesserint). Le droit constitutionnel britannique
consacre désormais le principe selon lequel les juges
490 FRISON Danièle: «Droit anglais: institutions
politiques», Paris, Ellipses, 1993, 254 p., v. p. 148 et s.
491 Le Lord-Chancelier, en quittant ses fonctions, demeure membre
de la Chambre des Lords et juge à la même juridiction.
doivent être libres dans leur pensée et
indépendants dans leur jugement492. Un Lord judiciaire ou un
juge d?une cour supérieure ne peut être relevé de ses
fonctions que sur décision du Souverain prise sur requête des deux
chambres du Parlement493. Cette procédure de mise en
accusation (impeachment) ne peut être déclenchée
que pour mauvaise conduite ou déni de justice flagrant du
juge494. Depuis plus d?un siècle, aucun Lord judiciaire n?a
été destitué tant les Lords ont une conduite exempte de
tout reproche et, peut-être, tant aussi la procédure de leur
destitution est lourde. Mais, en 1927, la démission du Lord-Chancelier
Atkinson fut demandée par le gouvernement495 pour assouplir
la jurisprudence du Comité Judiciaire à l?égard des
affaires australiennes496. Il demeure tout de même exact de
souligner que le Lord-Chancelier, en tant que membre du gouvernement, dispose
d?un véritable pouvoir d?influence ou de sanction du fait qu?il choisit
discrétionnairement les Lords qui siégeront dans les
différentes formations de jugement du Comité Judiciaire. Il peut
faire en sorte que tel Lord n?y siège pas pour l?empêcher
d?influencer la décision du Comité dans tel ou tel sens. Mais il
s?avère que ce pouvoir demeure plus théorique qu?effectif. Les
Lords judiciaires sont à l?abri de toute pression.
b. Les avantages et obligations de la fonction
Il relève de l?évidence que
l?impartialité des Lords judiciaires résulte en premier lieu de
leurs qualités d?esprit personnelles. Ils ont tous des
compétences notoires et ont une expérience plus que quarantenaire
dans le judiciaire. Mais le système juridique anglais fournit aussi des
moyens de maintenir l?indépendance fonctionnelle et matérielle
des Lords vis-à-vis des autorités politiques. A cet égard,
la rémunération perçue par les juges anglais mérite
d?être soulignée, tant le régime de leur salaire est
dérogatoire. Alors qu?en France, un magistrat à la Cour de
Cassation reçoit un traitement comparable à l?indemnité
d?un parlementaire, un Lord judiciaire bénéficie du quadruple de
la rémunération d?un parlementaire britannique et du double de
celle d?un ministre. Leur salaire
492 «Judges must be free in thought and independent in
judgment» avait affirmé la Cour d?Appel anglaise. V. CA: 30 juillet
1974, Sirros c/ Moore, All ER, 1974, vol. 3, pp. 776 à 796, Lord Denning
rédacteur de la décision principale, v. p. 785.
493 Selon l?article 6 nouveau de la Loi de 1876 sur les
juridictions d?appel (Appellate Jurisdiction Act 1876) «every
Lord of Appeal shall hold his office during his good behaviour but may be
removed from such office on address of both Houses of Parliament».
494 LEE Simone: «Judging Judges», Londres, Faber and
Faber, 1988, 218 p.
495 HEUSTON R. F. V.: «Lives of Lord Chancellors,
1885-1945», Londres, Oxford University Press, 1964, 632 p., v. p.
303-4.
496 De même en 1940, le Lord-Chef-Juge Hewart a appris
sa démission (resignation) d?un appel
téléphonique du bureau du Premier ministre et sa démission
a été annoncée le lendemain au public. V. BRAZIER Rodney:
«Constitutional practice», Oxford, Clarendon Press, 1994, 2e
édition, 330 p., v. p. 287.
est classé hors échelle497 et n?est
soumis au contrôle du Parlement de Westminster lors du vote du budget.
Les Fonds Consolidés (Consolidated Funds), lesquels contiennent
des crédits affectés au judiciaire, sont autorisés
automatiquement par le Parlement sans limitation de durée. Les salaires
des juges sont révisés, c'est-à-dire
réévalués, par le Lord-Chancelier chaque année. En
ce sens, en 1994, un Lord judiciaire recevait un traitement annuel de £
103,790 et le Lord-Chef-Juge £ 112,082498, soit respectivement
Frs 1,037,900 et Frs 1,120,820.
Le traitement des Lords judiciaires est exceptionnellement
élevé afin d?attirer les éminents avocats à
accepter leur recrutement en tant que juges et de les dissuader à
commettre éventuellement toute corruption dans l?exercice de leurs
fonctions499.
Enfin, l?âge d?élévation et la
durée d?exercice des fonctions judiciaires suprêmes par les Lords
sont deux gages de leur indépendance. Ils sont nommés à
vie à la Chambre des Lords et au Comité Judiciaire. N?ayant pas
de mandat à faire renouveler et dès lors qu?ils sont à la
fin de leur carrière, ils peuvent se consacrer avec
sérénité à la cause de l?Etat de droit, sans souci
de ménager les autorités politiques.
Par contre, les Lords ont obligation de se retirer d?une
affaire dans laquelle ils ont un intérêt. Le principe a
été posé par la Chambre des Lords dans une affaire
impliquant le Lord-Chancelier concernant l?exercice de son pouvoir
réglementaire à l?égard d?une société dans
laquelle il était actionnaire500 au motif que nul ne peut
être juge et partie à la fois. Ce principe vaut pour tous les
juges anglais dont ceux du Comité Judiciaire.
B. L'absence d'interférence des
autorités politiques mauriciennes
Les garanties d?indépendance prévues pour les
juges du Comité Judiciaire, principalement les Lords, sont en fait
renforcées à l?extrême lorsque le Comité Judiciaire
exerce la fonction de juridiction suprême de l?île Maurice ou
d?autres pays du Commonwealth. La Haute Instance est composée
pratiquement de Lords
497 RIDLEY Fédéric: «La
rémunération des fonctionnaires en Grande-Bretagne», RFAP,
1983, pp. 869 à 888.
498 BRAZIER Rodney, cité note 496, v. p. 272.
499 SMITH P. F. et BAILEY S. H.: «The modern English
system», Londres, Sweet and Maxwell, 1984, 780 p., v. p. 170-71.
500 CL: 29 juin 1852, William Dimes c/ Ther Propiretors of the
Grand Canal Junction Canal, ER, House of Lords, vol. 10, pp. 301 à 322,
Lord Campbell rédacteur de l'arrêt, rapporté par Lord St.
Leonards.
judiciaires. Peu de juges du Commonwealth participent aux
travaux du Comité et encore ils ne siègent que de façon
aléatoire. Les juges des petits Etats, comme l?île Maurice, ne
sont appelés à y siéger. Ces pays sont complètement
tenus à l?écart du processus de désignation des juges du
Comité et n?ont par conséquent aucun pouvoir ou moyen de pression
sur l?institution. Par voie de conséquence, les membres du Comité
Judiciaire sont prémunis contre toute forme de pression des
autorités publiques mauriciennes. Le seul pouvoir de sanction de Maurice
contre l?institution consisterait à abolir le droit de recours au
Comité Judiciaire, ce qui est une réaction fort
disproportionnée et politiquement difficile à mettre en
oeuvre.
Ainsi, l?originalité majeure du système de
justice du Comité Judiciaire repose dans l?abandon par des pays,
souverains pour certains, de l?administration de leur justice suprême
à un corps de juges extérieurs. L?Etat qui a recours à ce
système n?a pas encore acquis, du moins sur un plan théorique,
une totale souveraineté judiciaire. La justice n?y est pas soumise
à l?autorité étatique. Elle est non seulement souveraine
en soi mais aussi pleinnement autonome.
Paragraphe 2. L'autorité des juges du
Comité Judiciaire
En Angleterre, les juges supérieurs, principalement les
Lords, bénéficient d?un très grand prestige qui n?est pas
purement théorique ou symbolique501 mais tout à fait
réel. La Common Law contraint les justiciables au respect des juges (A).
Ceux-ci jouissent, par convention, d?une très grande autorité
morale (B).
A. Les moyens juridiques de se faire respecter
Les juges du Comité Judiciaire ont le pouvoir de se
faire respecter (a) et de faire respecter leur institution et le fonctionnement
de la justice (b) par l?application des règles juridiques anglaises
relatives à l?atteinte à l?autorité de justice
(contempt of Court)502.
501 Lors de l?ouverture solennelle des cours chaque automne,
les juges de la Cour Suprême de Justice arrivent en grande procession en
costume d?apparat.
502 Ce droit est classiquement divisé en, d?une part,
l?atteinte de nature civile (par exemple, le refus d?exécuter une
décision de justice) et, d?autre part, celle de nature pénale,
sous la forme d?un délit (par exemple, l?outrage à un magistrat).
Il paraît qu?en Common Law la notion d?atteinte à
l?autorité de justice est bien plus large que les notions d?entrave au
fonctionnement de la justice et l?atteinte à l?autorité de la
justice des articles 434-24 et suivants du Nouveau Code Pénal
français.
«L?atteinte à l?autorité de justice est
basée sur les principes les plus larges, notamment celui que les cours
ne peuvent pas et ne permettront aucune ingérence dans le fonctionnement
de la justice. Son application est universelle», CA: 17 juillet 1987,
Attorney-General c/
a. La protection de la personne du juge
Les juges sont protégés contre des critiques
à l?égard de leurs personnes dans l?exercice de leur
fonction503. Le fait de porter atteinte à la dignité
ou au respect dû à la fonction d?un magistrat constitue un outrage
sévèrement puni par la Common Law504. Celle-ci a
prévu une forme rapide et simplifiée de sanction de tout outrage
commis à l?audience (contempt in the face of the
Court)505. Il revient aux juges en formation de jugement de
statuer eux-mêmes et sur le champ sur tout propos ou agissement
considéré comme outrageant et de sanctionner l?auteur. Dans le
cadre de ce contentieux, les juges en formation de jugement agissent à
la fois comme juges et parties et dérogent aux grands principes de la
procédure pénale anglaise.
L?outrage à un juge peut aussi être commis par
des paroles ou écrits de toute nature rendus public, en dehors de
l?audience. Ce sont notamment les commentaires visant à jeter le
discrédit sur l?intégrité d?un juge. Par exemple, selon la
jurisprudence, le fait d?accuser le Lord-Chef-Juge d?avoir agi arbitrairement
et illégalement constitue au sens de la Common Law un
outrage506. Le discrédit est un abus de la
critique507.
Les juges anglais sont en général très
bien respectés et ils recourent rarement à la procédure
dérogatoire au droit commun (summary procedure) pour
sanctionner les abus. Il n?y a eu que quatre ou cinq cas d?outrage à un
juge depuis un siècle et il faut remonter loin dans le temps pour
trouver des décisions de justice sur le sujet.
b. La protection de l'institution judiciaire
La Common Law réprime tout discrédit jeté
sur une institution de justice (scandalising the court) et sur les
décisions juridictionnelles. Le mode
Newspaper Publishing, All ER, 1987, vol. 3, pp. 276 à 315,
Sir John Donaldson rédacteur de la décision principale.
V. MILLER C. J.: «Contempt of Court», Oxford, Clarendon
Press, 1989, 492 p.
503 MACKAY of Clashfern, Lord, The Right Honourable: «The
Administration of Justice», Londres, Stevens and Sons, The Hamlyn
Lectures, 1994, 91 p., v. p. 2.
504 Sir Alfred Denning (plus tard Lord Denning) soutint qu?il
est essentiel que l?indépendance des juges soit reconnue et
acceptée parce que: «If they should be libelled by traducers, so
that people lost faith in them, the whole Administration of Justice would
suffer», DENNING Alfred, Sir: «The Road to justice», Londres,
Stevens and Sons, 1955, 118 p., v. p. 73.
505 L?outrage commis à l?audience désigne
l?entrave commise devant le juge et qu?il a lui-même vue. Il n?a pas
besoin de recourir aux témoignages pour être persuadé. V.
DENNING Lord: «The due process of law», Londres, Butterworth, 1980,
263 p., v. p. 5.
506 MILLER C. J., cité note 502, v. p. 366.
507 CJCP: 22 juillet 1899, McLead c/ St. Aubyn, AC, 1899, pp. 549
à 562, affaire de St. Vincent, Lord Morris rédacteur de
l'arrêt.
d?expression du discrédit importe peu. Il peut
être le fait des actes, paroles, écrits ou images de toute nature.
Par contre, le discrédit doit être proféré dans des
conditions de nature à porter atteinte à l?autorité de la
justice tout entière. Prise en tant qu?institution, elle est atteinte
à travers les critiques visant la décision émanant d?une
juridiction.
Néanmoins, la Common Law autorise l?expression des
critiques même virulentes d?une décision ou du fonctionnement des
cours de justice, notamment les commentaires techniques, publiées dans
les revues juridiques spécialisées. Critiquer un jugement pour
des motifs de droit ne saurait être considéré comme une
atteinte à l?autorité de justice508. La Common Law ne
supprime pas la liberté de la presse509 et ne
considère pas le judiciaire comme infaillible510.
Enfin, il convient de faire ressortir que la Common Law
englobe dans la notion d?entrave au fonctionnement de la justice tout refus
d?un justiciable ou autre autorité publique d?exécuter ou de
concourir à l?exécution d?une décision ou ordonnance d?un
juge ou d?obéir à son ordre.
B. L'autorité morale des juges du
Comité Judiciaire
En dehors des obligations de la Common Law, l?état des
moeurs en Grande-Bretagne impose aux justiciables et praticiens du droit un
respect, voire une admiration511, envers les hauts magistrats, en
particulier les Lords judiciaires (a). L?autorité morale accordée
par les juridictions à leurs décisions traduit parfaitement cette
autorité (b).
a. La révérence à l'égard des
Lords judiciaires
Nous avons vu que les Lords judiciaires constituent un petit
groupe de juristes clos faisant partie de la noblesse britannique. Les
praticiens et théoriciens du droit entretiennent peu de relations avec
eux en dehors de leurs
508 CJCP: 2 mars 1936, Ambard c/ Attorney-General, AC, 1936, pp.
322 à 337, affaire de Trinité et Tobago, Lord Atkin
rédacteur de l'arrêt.
509 Sur la liberté de la presse de critiquer les
institutions judiciaires v. GOODHART Arthur L.: «Newspapers and contempt
of court», HLR, 1935, vol. 48, pp. 885 à 910.
510 «We do not fear criticism, nor do we resent it... It
is the right of every man, in Parliament or out of it, in the press or over the
broadcast, to make fair comment, even outspoken comment, on matters of public
interest. Those who comment can deal faithfully with all that is done in a
court of justice. They can say that we are mistaken and our decisions are
erroneous», CA: 26 février 1968, Regina c/ Metropolitan Police
Commissionner, ex parte Blackburn n° 2, All ER, 1968, vol. 2, pp. 319
à 321, Lord Denning rédacteur de l'arrêt.
511 Lord Hewart disait en 1936 que les juges de Sa Majesté
étaient universellement admirés. V. PANNICK David: «The
Judges», Oxford University Press, 1987, 255 p., v. p. 174.
fonctions512. La doctrine s?abstient de critiquer
sévèrement les Lords tant elle leur doit un grand
respect513.
Selon une ancienne règle coutumière de la
déontologie des avocats britanniques, un avocat à la barre devant
une formation composée de Lords judiciaires ne devait invoquer à
l?appui de ses arguments aucune autorité doctrinale
britannique514 ou une décision de justice d?une cour
inférieure dans la mesure où aucune autorité, notamment
celle des théoriciens, ne pouvait être supérieure à
celle des Lords515. Cette règle non écrite obligeait
les avocats à présenter comme les leurs les arguments doctrinaux.
Les Lords, dans leurs décisions, faisaient très rarement
référence à la doctrine alors que les juges de la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique et ceux des autres pays de
Common Law l?invoquaient fréquemment516.
Cette règle de non-référence est
tombée en désuétude à partir des années
soixante avec le développement de l?Etat providence. Lord Reid fut
particulièrement attentif aux opinions des théoriciens du droit
(academic lawyers)517 et l?influence de la doctrine fut
déterminante dans certaines affaires décidées par les
Lords518. Au Comité Judiciaire, les références
à la doctrine sont désormais fréquentes même en
matière de Common Law519.
512 Ce caractère très élitiste et
renfermé du système judiciaire anglais permet de protéger
davantage les institutions juridictionnelles et valoriser les décisions
de justice.
513 PATERSON Alan: «The law Lords», Londres, Macmillan,
1982, 288 p., v. p. 12.
514 C?était la règle dite de
non-référence devant les Lords (non-citation rule before the
Lords).
515 Monsieur Alan Paterson relève dans son étude
que peu de Lords lisaient les revues juridiques. L?auteur cite même un
cas où un avocat faisait référence aux écrits de
Albert Venn Dicey lors de sa plaidoirie. Le Lord-Chancelier Jowitt lui demanda:
«What have the views of Professor Dicey to do with us ? Is he an authority
?», PATERSON Alan, cité note 513, v.p. 220.
516 Cette attitude des Lords du Conseil Privé fut
sévèrement critiquée pour son irrationalité. V.
ELLIOT J. H. S.: «Appeals from overseas to the Privy Council», MLR,
1963, pp. 311 à 315.
Par ailleurs, Sir Robert Megarry, membre du Comité
Judiciaire, écrit que: «It cannot be right to allow an English
judge to decide a point of law in ignorance of the fact that, say the High
Court of Australia or the Supreme Court of Canada has recently decided just the
opposite... If a rash generalisation is permissible, it could be said that
English judgments tend to be stranger on principle and reasoning than are
exhaustive of the authorities, whereas Commonwealth judgments devote more space
to the authorities», MEGARRY Robert E., Sir: «Lawyer and litigant in
England», Londres, Stevens and Sons, 1962, 205 p., v. p. 162.
517 REID Lord: «The Judge as a law-maker», JSPTL,
1972, pp. 22 à 29. Lord Reid écrit que: «We turn a blind eye
to the rule that an academic writer is not an authority until he is dead,
because then he can no longer change his mind», ibid., p. 22.
518 PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 16 et 17.
519 CJCP: 14 février 1994, Evan Rees c/ Richard Alfred
Crane, cité note 427. Lord Slynn rédacteur de l'arrêt, se
réfère aux travaux des Professeurs Wade et De Smith sur le droit
administratif.
La règle de non-référence n?a pas
été formellement abolie. Monsieur Alan Paterson cite dans son
étude l?affaire CJCP: 15 février 1971, Sigismund Palmer c/ The
Queen, WLR, 1971, vol. 2, pp. 831 à 846, affaire de Jamaïque, Lord
Moris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt, dans laquelle Lord
Avonside, président de la formation de jugement du Comité
Judiciaire, interdit à un avocat la citation d?un passage de l?ouvrage
de Monsieur le Professeur Gordon sur le droit pénal écossais. V.
PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 17.
Par ailleurs, les avocats au Conseil Privé, en tant
qu?auxiliaires de justice, doivent participer de manière responsable
à l?administration de la justice. Ils ne doivent présenter des
moyens frivoles et inconsistants qui manifestement n?auraient aucune chance
d?être retenus par les Lords judiciaires. Dans l?affaire Chel Mohamed c/
E. A. Ahmad de l?île Maurice, les Lords ont souligné que l?avocat
du demandeur au pourvoi n?a pas invoqué, à juste titre, devant le
Comité Judiciaire le grief selon lequel l?élection
contestée n?était pas libre et loyale, argument avancé
devant la Cour Suprême locale520. De même dans l?affaire
Wong Ng, le Procureur Général (Solicitor-General) de
Maurice ne défendit devant les Lords la jurisprudence erronée de
la Cour Suprême521. Les avocats ne doivent recourir qu?aux
arguments pertinents (tenable arguments) pouvant valablement
influencer les Lords. Pour faire respecter ce principe et sanctionner l?emploi
des moyens surabondants et inutiles, les Lords peuvent attribuer les frais de
procédure aux dépens de la partie fautive522.
b. L'autorité de leurs décisions
Les décisions du Comité Judiciaire sur saisine
des justiciables mauriciens s?imposent aux pouvoirs publics et à toutes
les autorités juridictionnelles mauriciens. Le Comité Judiciaire
étant au sommet de la hiérarchie des institutions judiciaires
mauriciennes, ses décisions ne sont susceptibles d?aucun recours en
droit interne. Selon la règle du précédent, principe issu
de la Common Law, la Cour Suprême locale est liée par la
jurisprudence du Tribunal de la Downing Street intervenue en contentieux
mauricien. Le principe du précédent interdit aux juges locaux de
s?arroger du pouvoir d?opérer un revirement de jurisprudence
élaborée par le juge londonien523. Les juges locaux ne
sont non plus autorisés à atténuer les effets d?un
précédent de la Haute Instance londonienne par la technique de
distinction des cas de l?espèce. Le
520 CJCP: 22 mars 1994, Chel Mohamad c/ Essouf A. Ahmed, WLR,
1994, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadley
rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «It should be said at
once that this second contention was rejected by the Supreme Court and very
properly not pursued by Mr Cox on behalf of the petitioners before the Judicial
Committee», ibid., p. 700.
521 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, WLR, 1987, vol. 1, pp. 1356 à 1360, affaire de
Maurice, Lord Griffiths rédacteur de l'arrêt. Il souligne que:
«It should be said at once that the Solicitor-General very properly did
not seek to uphold their convictions», ibid., p. 1358.
522 PATERSON Alan cité, note 513, v. p. 29.
523 «So long as there is an appeal to their Lordships?
Board or to the House of Lords, the Court of Appeal should... leave it to the
final appellate tribunal to correct any error in law which may have been crept
into any previous decision of the Court of Appeal. Neither their Lordships?
Board nor the House of Lords is now bound by its own decisions and it is for
them, in very exceptional cases in which this Board or the House of Lords has
plainly erred in the past, to correct those errors, just as it is for them
alone to correct errors of the Court of Appeal», CJCP: 25 juin 1979,
Attorney-General of St. Christopher c/ John Reynolds, WLR, 1980, vol. 2, pp.
171 à 189, affaire des Antilles anglaises, Lord Scarman rédacteur
de l'arrêt, v. p. 186.
Comité Judiciaire casse systématiquement les
arrêts de la Cour Suprême de Maurice qui méconnaissent ses
précédents524. Par contre, le juge mauricien
revendique le droit d?écarter un précédent du
Comité Judiciaire intervenu antérieurement à
l?entrée en vigueur de la Constitution de 1968 si celui-ci est contraire
à la Norme Fondamentale525.
Aussi, les décisions du Comité Judiciaire
rendues hors contentieux mauricien ne lient pas le juge local en vertu du
principe selon lequel le Comité Judiciaire, statuant sur une affaire,
agit en tant que l?autorité suprême du seul pays d?où
provient le recours526 sauf s?il a statué, dans la
décision en question, sur un texte de loi similaire à celui que
le juge local a à en connaître527.
Cependant, il y lieu de souligner que le Comité
Judiciaire, attribuait à ses précédents une
autorité obligatoire (binding authority) dans toutes les
colonies de l?Empire. Sa politique consistait à unifier les droits des
diverses colonies528. Il ne poursuit plus une telle finalité.
Il agit désormais en tant que tribunal des Etats souverains. Il ne faut
pas pourtant pas conclure que ses décisions rendues en contentieux
étranger n?ont aucune valeur morale. Le juge mauricien est appelé
à suivre la ligne jurisprudentielle du Comité Judiciaire pour ne
pas courir le risque de cassation de ses arrêts.
Enfin, il convient de faire ressortir que les décisions
du Comité Judiciaire jouissent d?une grande autorité en
Grande-Bretagne du fait qu?elles sont l?oeuvre des Lords judiciaires, les plus
hauts magistrats britanniques529. L?analyse faite par les Lords
judiciaires du Comité Judiciaire et leurs
524 CJCP: 2 décembre 1987, M. Moraby c/ The Queen,
affaire de Maurice, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt et
CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol. criminal, pp. 120
à 125, affaire de Maurice, Lord Goff rédacteur de
l'arrêt.
525 L?Ordonnance royale de 1968 sur l?indépendance de
Maurice (The Mauritius Independence Order 1968) prévoit en son
article 5 que les lois antérieures sont maintenues sous réserve
de leur mise en conformité à la Constitution. V. CSM: 27 juillet
1972, Director of Public Prosecutions c/ Masson, MR, 1972, pp. 204 à
216, le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt.
526 ROBERTS-WRAY Kenneth, Sir: «Commonwealth and colonial
law», Londres, Stevens and Sons, 1966, 1008 p. L?auteur y écrit
que: «... when determining an appeal from one country, (the Judicial
Committee) is not sitting as part of the judicial hierarchy of other countries
within its jurisdiction, from which the conclusion is to be drawn that the
courts of other countries are not obliged to follow its own decisions»,
ibid., p. 573.
527 CSM: 7 décembre 1981, Société United
Docks c/ Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 805
à 821, le Chef-Juge Sir Maurice Rault rédacteur de l'arrêt.
Il fait observer que: «The decisions of the Privy Council are binding upon
us when they apply Mauritian law. In the Malaysia case, they were construing
Malaysian law, and their decision would be binding only if it were first shown
that, on the point in issue, Malaysian law and Mauritian law are
identical», ibid., pp. 811-12.
528 CJCP: 10 octobre 1951, Fatuma Binti Mohamed Bin Salim
Bakshuwen c/ Mohamed Bin Salim Bakshuwen, cité note 138.
529 MARSHALL H. H.: «The binding effect of decisions of
Judicial Committee of the Privy Council», ICLQ, 1968, pp. 743 à
749.
conclusions sont souvent suivies par les juges
anglais530 et les Lords eux-mêmes en formation
juridictionnelle à la Chambre des Lords531.
530 HC: 8 février 1962, Regina c/ Patents Appeal
Tribunal, ex parte Swift and Company, QBD, 1962, vol. 2, pp. 647 à 664,
le Lord-Chef-juge Parker rédacteur de l'arrêt. Il souligne qu?il
est important que le droit anglais et les droits d?origine anglaise soient
identiques: «That desirability must result in a tendency of our courts to
follow those (of the Privy Council) decisions if it is possible to do
so.»
531 «Les décisions du Conseil Privé ont une
autorité presque aussi importante que celle de la Chambre des Lords.
Ainsi, les grands arrêts en matière de responsabilité de
l?Administration sont des décisions du Conseil Privé statuant
comme cour suprême de la Nouvelle-Zélande et de Hongkong...»,
BELL John: «Le droit adminsitratif comparé au Royaume-Uni»,
RIDC, 1989, pp. 887 à 892, v. p. 888. V. également THE DIGEST:
«Annotated British, Commonwealth and European cases», Londres,
Butterworth and Company, 1992, 51 vol., v. vol. 30, pp. 373 à 375.
*
Les développements qui précèdent nous
conduisent à constater que les membres du Comité Judiciaire ne
constituent pas un simple corps au sein de l?Etat mais exercent bien un pouvoir
comparable aux pouvoirs législatif et exécutif. La fonction de
juger en Angleterre n?est pas simplement un aspect de la fonction publique. La
position sociale des membres du Comité Judiciaire est exceptionnelle.
Une fois nommé, le Lord judiciaire devient détenteur d?un pouvoir
totalement autonome. De sorte que, par exemple, toute idée pour les
hauts magistrats britanniques, et les Lords judiciaires par excellence, de
présenter une revendication professionnelle par la voie syndicale est
une incongruité absolue. Les Lords sont assimilés au pouvoir et
pratiquent le pouvoir.
Le juge du Comité Judiciaire exerce une fonction
indépendante, exclusive de toute subordination au moment de la prise de
sa décision. Pourtant, son autonomie, si forte soit-elle, ne n?est pas
si apparente du point de vue organique tant la structure à laquelle il
appartient est complexe.
La nature du Comité Judiciaire est à
définir. Il a lieu de voir, comment, au-delà et en vertu
même de la complexité de la structure du Tribunal de la Downing
Street, la justice londonienne acquiert une dimension exceptionnelle, voire une
magnificence. Dans ce même ordre d?idées, nous examinerons le
fonctionnement du Comité Judiciaire.
SECTION 2. LA NATURE ET LE FONCTIONNEMENT DU
COMITÉ JUDICIAIRE
La nature du Comité Judiciaire est incertaine et
variable. Cette institution n?a pas d?équivalent au monde. Elle
constitue une catégorie en elle- même et peut être
qualifiée sans dérobade d?institution sui generis532.
Sa nature reste controversée. En faire une analyse ne relève pas
de la pure spéculation intellectuelle mais démontre
l?étendue de la charge et de la responsabilité de la Haute
Instance londienne. Bien de conséquences juridiques pratiques et
importantes peuvent s?attacher au fait que l?on qualifie le Comité
Judiciaire de tel ou tel type d?organisme (sous-section 1).
On verra dans un deuxième temps comment l?essence
indéterminée et variable du Comité Judiciaire qui, tout en
influant sur le fonctionnement de
532 MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 49. L?auteur
parle d?une institution anormale.
l?institution, accorde aux procès constitutionnels des
normes juridiques une forme contentieuse très affirmée
(sous-section 2).
Sous-section 1. La nature du Comité Judiciaire
Deux séries de questions se posent à propos de
la nature du Comité Judiciaire. La première est relative à
sa nature administrative ou juridictionnelle: est-il un organe consultatif ou
une juridiction (paragraphe 1) ? La deuxième a trait à sa nature
nationale ou étrangère: est-il un tribunal mauricien ou
britannique (paragraphe 2) ?
Il convient surtout, en répondant à ces
questions, non pas de prendre position en faveur d?une des thèses en
présence, mais de souligner au mieux la nature variable, donc plurielle,
du Comité Judiciaire. Cette caractéristique du Comité
Judiciaire nous permettra de tirer un enseignement majeur sur la haute
qualité de l?institution.
Paragraphe 1. La problématique organe
consultatif ou juridiction
Dans le silence des textes, la doctrine en
général et le Comité Judiciaire lui-même expriment
la thèse juridictionnelle de la Haute Instance (B). Mais les traits de
son caractère d?organe purement administratif demeurent très
apparents (A).
A. Un organe administratif et consultatif
Plusieurs traits généraux (a) caractérisent
sa nature de simple comité et principalement son moyen d?action, la
rédaction des avis (b).
a. Les traits généraux
En premier lieu, il convient d?observer que le
législateur a choisi comme nom de l?institution la dénomination
de comité, terme prosaïque des organes administratifs. Le
Comité Judiciaire est un comité au sein d?une instance
exécutive et consultative, le Très Honorable Conseil Privé
de Sa Majesté le Souverain d?Angleterre533. Dans sa forme
initiale il n?a pas d?autonomie
533 Monsieur Coen G. Pierson constate que «le
Comité Judiciaire n?était pas institué comme une cour. Il
était et est toujours techniquement un organe d?investigation (an
investigating body) qui rapporte ses constatations». V. PIERSON Coen
G., cité note 104, v. p. 9.
Aussi, lors d?un débat à la Chambre des Lords,
Lord Cairns avait soutenu que: «... the Judicial Committee of the Privy
Council has no jurisdiction whatever. It is a consultative body», in
SWINFEN B. David, cité note 38, v. p. 18.
organique et de structure propre. Le Comité Judiciaire
n?a aucune existence en dehors du Conseil Privé. Il est un organe
interne du Conseil et est supplanté par ce dernier à la fois dans
l?opinion publique et officiellement. L?avis du Comité Judiciaire est
publié dans les recueils de jurisprudence britanniques comme celui du
Conseil Privé.
En second lieu, comme nous l?avons déjà fait
allusion, les membres du Comité Judiciaire ne sont pas, du point de vue
de la stricte théorie juridique, en tant que conseillers privés,
inamovibles comme le sont les hauts magistrats. Au sein du Comité
Judiciaire, ils occupent leur fonction à la seule discrétion et
au bon vouloir du Monarque, comme de vrais conseillers. Ils ne sont inamovibles
qu?en tant que juges à leurs juridictions d?appartenance et non en tant
que conseillers mis à la disposition du Souverain bien que les moeurs
politiques anglaises confondent les deux situations.
Il convient de relever que les membres du Conseil
Privé, parce qu?ils sont des conseillers, ne portent pas de costume
judiciaire, la toge, l?épitoge, et la perruque comme le font les hauts
magistrats britanniques534. Egalement, l?architecture même de
l?édifice dans lequel se trouve le Comité Judiciaire ne ressemble
en rien à celui d?un palais de justice traditionnel. L?hôtel du
Conseil Privé a la forme d?un bâtiment abritant des services
administratifs plutôt qu?une architecture qui, par son style et
ornementation535, rend intelligible ses fonctions
juridictionnelles.
Par ailleurs, du moins en théorie, le Comité
Judiciaire n?a jamais, contrairement aux cours de Common Law, été
lié par sa propre jurisprudence. Sa nature administrative et non
juridictionnelle l?exempte de la règle du
précédent536.
Enfin, il convient de souligner que le juge réel est le
Souverain. La justice est retenue et non déléguée pour la
majorité des pays ayant conservé le droit de recours à
Londres. Le Comité Judiciaire avait affirmé ce principe avec
force en critiquant une loi qui prévoyait la saisine du Conseil
Privé d?Angleterre car le pourvoi était en réalité
adressé à Sa Majesté en Conseil (Her Majesty
in
534 Au Comité Judiciaire, seuls les auxiliaires de justice
sont contraints de porter leurs habits traditionnels.
535 La chambre d?audience du Comité Judiciaire ne
comporte aucun faste de type de la première chambre civile de la Cour de
Cassation française. Elle est néanmoins une chambre
élégante et est décrite comme «a pleasant looking
room, the size of a largish dining room in a country house and having the same
smell of leather, English gentlemen and old, old dust», in RANKIN George,
Sir, cité note 13, v. p. 11.
536 MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 54-55.
Council)537. Il revient au Souverain de
trancher en Son Conseil les litiges qui sont portés devant lui et le
Comité Judiciaire ne donne théoriquement qu?un avis au Souverain
sur la décision à donner au litige.
b. La fonction de donner des avis
Le critère matériel, la nature stricte de la
mission du Comité Judiciaire, fait de l?institution un organisme
administratif. Est une juridiction, notamment du point de vue français,
l?organisme faisant partie de la hiérarchie des tribunaux
habilité à rendre des décisions, à trancher des
litiges et à dire le droit538, ce qui implique a contrario
l?exclusion du caractère juridictionnel dès lors qu?il n?a que le
pouvoir de formuler des propositions539. Or le Comité
Judiciaire ne peut que préparer au nom du Conseil Privé un
véritable rapport qui est soumis au Souverain540. Le rapport
est rédigé sous la forme d?un avis et conclut par une formule de
recommandation au Souverain telle que: «Leurs Seigneuries conseilleront
humblement Sa Majesté en ce sens»541. Le Souverain
traduit en Ordonnance542, qui a valeur de décision de
justice, les dispositifs du rapport543.
Ce rapport ne devait, jusqu?en 1966, comporter que l?avis
majoritaire du collège des Lords. L?avis devait être unique (a
single opinion). Il était rédigé par un Lord
appelé techniquement le rapporteur. L?avis était
considéré comme ayant été délivré par
le Conseil Privé dans son entité. A l?inverse de la tradition
observée dans les juridictions anglaises de droit commun,544
l?expression d?une opinion dissidente par un juge était interdite au
Comité Judiciaire. Deux raisons imposaient cette conduite: les juges de
la Haute Instance sont a priori des conseillers privés du Souverain et,
en tant que conseillers, ils étaient tenus par une vieille obligation de
garder secrètes les délibérations du Conseil
537 CJCP: 9 décembre 1896, The Dominion of Canada c/
Attorney-General for Ontario, AC, 1897, pp. 199 à 213, affaire
canadienne Lord Watson rédacteur de l'arrêt. Le juge souligne que:
«The concluding part of that enactment ignores the constitutional rule
that an appeal lies to Her Majesty and not to this Board; and that no such
jurisdiction can be conferred upon their Lordships, who are merely advisers of
the Queen...», ibid., p. 208.
538 WEIDERKEHR Georges: «Qu?est-ce qu?un juge ?»,
pp. 575 à 586, in MELANGES EN L?HONNEUR DE ROGER PERROT: «Nouveaux
juges, nouveaux pouvoirs ?», Dalloz, 1996, 598 p., v. p. 581-82.
539 GOHIN Olivier: «Qu?est-ce qu?une juridiction pour le
juge français ?», DR, 1989, n° 9, pp. 93 à 105.
540 Article 3 de la Loi de 1833 sur le Comité
Judiciaire.
541 «Their Lordships will humbly advise Her Majesty
accordingly».
542 L?Ordonnance équivaut à un acte
juridictionnel (judicial act). V. CJCP: 11 décembre 1963,
Ibralebbe c/ Reginam, All ER, 1964, vol. 1, pp. 251 à 261, affaire de
Ceylan, Vicomte Radcliffe rédacteur de l'arrêt.
543 L?Ordonnance vise le rapport en ces termes: «Attendu
qu?en ce jour a été lu au Conseil un rapport du Comité
Judiciaire du Conseil Privé...».
544 Dans les cours britanniques, chaque juge rend son propre
jugement (seriatim judgment). Un juge peut soit faire un exposé
pour renforcer les raisons apportées par un autre juge (concurring
opinion) et se rallier à lui soit encore exprimer une opinion
dissidente (dissenting opinion).
Privé545. Une Ordonnance de 1627 disposait
qu?aucune publication ou diffusion ne pouvait être faite des votes et de
la manière dont ils étaient émis546. Aussi,
comme le rapport établi par le Comité Judiciaire est
adressé au Souverain, ce dernier ne devait recevoir qu?un avis faisant
l?objet d?une unanimité de la part des conseillers547.
Cependant, depuis 1966, l?expression d?une ou plusieurs
opinions dissidentes par les conseillers est autorisée548, ce
qui a juridicisé davantage l?institution.
B. Une juridiction
Malgré la survivance de ses traits administratifs, la
nature juridictionnelle du Comité Judiciaire transparaît dans son
fonctionnement comme une cour de justice (a) et, à l?égard de
Maurice, du fait que le Souverain lui a délégué ses
pouvoirs juridictionnels (b).
545 V. le texte du serment prêté par tous les
conseillers privés in ANSON William R., Sir: «The law and custom of
the Constitution», volume II, tome 1, «The Crown», Oxford,
Clarendon Press, 1935, 325 p., v. p. 153.
546 SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 222.
547 M. Reeve, secrétaire du Conseil Privé,
disait que: «What would be the position of the Sovereign if at the very
moment when a report is laid before Her for approval... a particular
representation is laid before Her Majesty from a minority of the Committee...
advising Her Majesty not to give effect to the report of the Committee but to
interpose the Royal authority for the purpose of suspending or defeating it
?», in SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 266.
548 V. Ordonnance du 4 mars 1966 sur les opinions dissidentes
(Dissenting Opinions Order 1966).
a. Le fonctionnement comme une cour de justice
De même qu?en matière politique le Souverain
détient tous les pouvoirs exécutifs mais dans la pratique ne les
exerce que sur proposition du gouvernement, en matière juridictionnelle,
il suit l?avis exprimé par le Comité Judiciaire. La pratique, qui
se démarque de la théorie, fait du Comité Judiciaire une
cour de justice549. L?existence d?une convention constitutionnelle
propre à l?Angleterre a permis au Comité Judiciaire de
s?auto-proclamer comme une cour de justice550 dans un arrêt de
1935. Dans cet arrêt, le Lord-Chancelier Vicomte Sankey écrivit
qu?il «est évident que le Comité Judiciaire est
considéré par la Loi (de 1833) comme un organe juridictionnel ou
une cour... En vertu d?une convention constitutionnelle, ce serait un fait non
encore produit et impossible à imaginer que Sa Majesté en Conseil
n?accorde au rapport du Comité Judiciaire, qui est en
réalité une juridiction suprême, tout son
effet»551. L?Ordonnance en Conseil, qui donne force juridique
au rapport, ne fait que se référer à celui-ci de
manière laconique et entérine, sans nouvelle
délibération, la décision du Comité Judiciaire.
L?Ordonnance ne vaut que pour la forme.
Par ailleurs, comme nous l?avons vu, le Comité
Judiciaire est en réalité composé de juges
professionnels552 et la procédure suivie devant le
Comité est complètement juridictionnalisée553.
L?audience est publique et chaque plaideur peut se faire assister par un ou
deux avocats. A l?audience, les membres du Comité Judiciaire ont tous
les pouvoirs juridictionnels nécessaires à la conduite du
procès, tels ceux d?interroger les éventuels témoins, de
trancher eux-mêmes les questions incidentes. Le Comité Judiciaire
a le pouvoir d?établir, sans intervention du Souverain, certaines
règles de procédure à suivre devant lui554 et
les membres du Comité sont protégés comme des juges au
moyen du droit
549 «The Judicial Committee of the Privy Council is in
form an executive organ, but is in fact an independent court of law»,
BRADLEY A. W. et EWING K. D.: «Constitutional and administrative
law», Londres, Longman, 1994, 11e édition, 782 p., v. p. 60.
550 CJCP: 6 juin 1935, British coal Corporation c/ The King,
AC, 1935, pp. 500 à 523, affaire de Canada, Vicomte Sankey
rédacteur de l'arrêt.
551 «It is clear that the Judicial Committee is regarded
in the Act (of 1833) as a judicial body or court... According to constitutional
convention it is unknown and unthinkable that His Majesty in Council should not
give effect to the report of the Judicial Committee who is thus in truth an
appellate court of law», ibid., pp. 510-11.
552 Selon Lord Haldane: «We are really judges... the
Judicial Committee is made up of men who are already or have been judges in the
higher English appellate courts or the House of Lords itself», in BETH
Loren P., cité note 15, v. p. 224. V. aussi CJCP: 25 juillet 1923,
Alexander E. Hull and Company. c/ A. E. M?Kenna, IR, 1926, pp. 402 à
410, affaire de l?Irelande, Vicomte Haldane rédacteur de l'arrêt.
Il atteste que: «We are not ministers in any sense: we are a committee of
Privy Councillors who are acting in the capacity of judges...», ibid.,
p.403.
553 Le Comité Judiciaire est administré par un
greffier-secrétaire (Registrar).
554 Article 11 de la Loi de 1844 sur le Comité
Judiciaire.
britannique de l?outrage à magistrat555..
Ainsi, le critère procédural fait du Comité Judiciaire une
véritable juridiction. D?ailleurs la chambre d?audience du
Comité, qui exprime en structure la nature de la procédure,
ressemble en tout point à celle d?une cour de justice.
Enfin, il est à souligner que l?avis du Comité
Judiciaire est rendu public avant même qu?il ne soit adressé au
Souverain du fait qu?il est considéré comme le véritable
arrêt comportant les motifs de droit de la décision. En outre, il
est publié dans les recueils.
b. La justice déléguée
Lors de la modification du statut de Maurice en
République en mars 1992, le Monarque britannique, n?étant plus le
Chef de l?Etat de l?île Maurice, a délégué au
Comité Judiciaire ses pouvoirs juridictionnels à l?égard
de cet ancien dominion, l?île Maurice, en vertu d?une convention
implicite avec les autorités mauriciennes. Une Ordonnance en Conseil du
15 juillet 1992556 a substitué le système de justice
déléguée (au Comité Judiciaire) à celui de
justice retenue. Le Comité Judiciaire est désormais investi d?un
pouvoir propre de décision concernant les appels interjetés
contre les décisions des cours mauriciennes comme celles de certaines
Républiques du Commonwealth, telle Trinité et Tobago. Le
Comité Judiciaire est devenu autonome et s?est affranchi organiquement
de la tutelle royale. Sa fonction est de dire le droit lui-même à
l?égard de ces pays. Il répond aux critères
nécessaires pour être qualifié de juridiction.
En droit positif mauricien, le Comité Judiciaire est
donc une véritable cour de justice. L?interrogation du juriste n?est pas
pour autant épuisé sur la nature de la Haute Instance
londonienne.
555 V. supra. Il est à noter qu?à
l?entrée du Comité Judiciaire à la Downing Street, un
panneau indique que le fait de prendre une photographie à
l?intérieur de l?institution constitue un délit d?entrave au bon
fonctionnement de la justice comme dans toute autre cour en Angleterre.
556 The Mauritius Appeals to the Judicial Committee Order 1992
(N° 1716).
Paragraphe 2. La problématique tribunal anglais
ou mauricien
Le Comité Judiciaire n?est pas un tribunal
international557 car il n?a pas été créé
par un Traité ou accord entre des Etats et il n?est pas a priori un juge
de l?application du droit international558. Dans quelle
catégorie de juridiction peut-on alors le classer ? Est-ce un tribunal
étranger, donc anglais (A) ou transnational (ou multinational),
c'est-à-dire mauricien selon le cas (B) ? La présente
étude, comme la dernière sur la nature administrative ou
juridictionnelle du Comité Judiciaire, n?a pas pour objet de
résoudre le problème, ce qui nous aurait amené à
n?avoir qu?une vision réduite du Comité Judiciaire. Notre
objectif, en traitant les questions que nous avons posées, est de mettre
de l?avant le fait que la Haute Instance londonienne appartient à
plusieurs systèmes juridiques et d?en tirer ensuite les
conséquences en droit mauricien.
A. Un tribunal anglais
Nous prendrons la liberté d?évoquer
l?hypothèse et de démontrer du point de vue juridique le
caractère anglais de la juridiction du Whitehall (a). Nous verrons
ensuite comment, si cette hypothèse est retenue, elle peut influer sur
l?administration de la justice par le juge londonien (b).
a. Les caractères
La doctrine fonde son opinion sur le fait que le Comité
Judiciaire est régi par les lois anglaises uniquement559.
L?institution a été instituée par la Loi britannique de
1833 et réformée par des lois successives du Parlement de
Westminster et des Ordonnances du Souverain britannique. On a vu que l?origine
même de l?institution provient du droit du Souverain de faire justice
entre ses sujets560. Il n?est point besoin d?en insister
davantage.
557 Il est des fois considéré ainsi par certains
auteurs. V. par exemple SCHABAS William A.: «Soering?s legacy: the Human
Rights Committee and the Judicial Committee of the Privy Council. Take a walk
down death row», ICLQ, pp. 913 à 923, v. p. 914. De même,
Monsieur le Doyen Louis Favoreu le qualifie de juridiction supranationale dans
sa préface dans l?ouvrage de COLOM Jacques: «La justice
constitutionnelle dans les Etats du nouveau Commonwealth: le cas de l?île
Maurice», Economica, 1994, 244 p., v. p. 5.
558 Selon la définition donnée par Monsieur le
Professeur Michel Virally, une organisation internationale est une
«association d?Etats, établie par accord entre ses membres,
disposant d?organes permanents chargés de réaliser les objectifs
d?intérêt commun par une coopération entre eux». V.
«Organisations internationales», La Documentation Française,
1993, 146 p., v. p. 11. Le Comité Judiciaire ne répond pas
à ces critères.
559 DOOKHY Parvèz: «Le Privy Council est-il un
tribunal mauricien ou anglais ?», Le Mauricien, 29 août 1995, p.
7.
560 Monsieur Jacques Colom avance dans sa thèse que:
«Cette juridiction (le Comité Judiciaire) d?essence britannique est
étrangère au système juridique mauricien à tous les
niveaux», COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 126.
Il appartient aux autorités anglaises d?assurer le
fonctionnement du Comité Judiciaire561. Il est symptomatique
de relever que la procédure suivie quant au mode de saisine de
l?institution par le plaideur mauricien est décrite par les Ordonnances
royales, dont principalement celle de 1968562. Les pouvoirs publics
mauriciens, ou ceux des autres pays du Commonwealth, n?exercent aucun
contrôle sur les règles de procédure. Les relations entre
Maurice et la Grande - Bretagne relatives au fonctionnement du Comité
Judiciaire ne répondent pas au modèle traditionnel des rapports
entre Etats souverains. Ces relations ne sont pas entretenues sur une base
synallagmatique, sur une rencontre des volontés563 mais par
des actes unilatéraux de l?ancienne métropole. Ainsi, lors du
changement de statut de Maurice en 1992, le gouvernement mauricien n?a que
sollicité des autorités anglaises une mise en conformité
des règles anglaises régissant le Conseil Privé à
l?évolution constitutionnelle de Maurice sans pour autant participer, ne
serait-ce que sur le plan des consultations, à l?élaboration des
nouvelles règles.
Par ailleurs, le Comité Judiciaire, manifestant son
caractère étranger, rejette expressément toute extension
de sa compétence en matière pénale par le
législateur mauricien bien que la Constitution mauricienne,
originellement une loi britannique, investisse ce dernier d?un tel pouvoir.
L?article 81-1-d de la Constitution dispose qu?un pourvoi contre les
décisions rendues en dernière instance à Maurice peut
aussi avoir lieu dans les cas prescrits par le Parlement. En ce sens, l?article
7 d?une Loi mauricienne sur la justice de 1980 (Courts Act 1980) avait
élargi la compétence materiae du Conseil Privé à
toutes les affaires pénales. Le Comité Judiciaire ne
s?était estimé lié par cette disposition. Il avait
décliné sa compétence et écarté de son
prétoire les affaires pénales entrant dans les termes de la Loi
mauricienne564 en considérant que cette Loi était
contraire aux règles de la pratique du Comité Judiciaire.
561 En dehors des lois spécifiques, le fonctionnement
du Comité Judiciaire se conforme au droit commun anglais. Par exemple,
le plaideur mauricien qui commet un outrage à l?égard des membres
du Comité Judiciaire à l?audience est punissable selon le droit
commun anglais et non mauricien.
562 The Mauritius Appeals to Privy Council Order 1968.
563 «... l?égalité entre les Etats
souverains qui est à la base du droit international, la
nécessité d?un accord entre eux pour établir par le libre
consentement des obligations mutuelles, donnent à ce droit un
caractère essentiellement concerté», COMBACEAU Jean et SUR
Serge: «Droit international public», Monchrestien, 1995, 2e
édition, 827 p., v. p. 47.
564 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director
of Public Prosecutions, cité note 386. Le Lord-Chancelier Hailsham of
St. Marylebone indique que: «By these words, their Lordships,
notwithstanding any new legislation in the territories of the Commonwealth from
which appeals may be brought in criminal matters, continue to feel themselves
bound, and in that instant appeal, their Lordships consider that they have been
guided by them», ibid., p. 166.
V. aussi sur la critique de cette attitude du Comité
Judiciaire, GUJADHUR Madhan, QC: «Is there parliamentary sovereignty in
Mauritius ? A serious question», CBM, 1989, n° 1, pp. 10 à
14.
La fiction établie sur la localisation du Comité
Judiciaire ne résiste pas à l?analyse. Dans un arrêt de
1923, la Haute Instance avait fait ressortir qu?elle ne se situait aucune part
tout en étant dans tout l?Empire britannique565. Aujourd?hui,
avec l?émancipation du Comité Judiciaire et l?évolution
constitutionnelle survenue dans les nouveaux Etats du Commonwealth, le recours
porté devant le Comité Judiciaire se fait bien à la
Downing Street à Londres.
Enfin, dernier indice principal de sa nature britannique, le
Comité Judiciaire, en formation de jugement est composé
majoritairement, si non uniquement, de juges anglais sans jamais un seul juge
mauricien. Il revient au Monarque britannique seul de nommer les membres de la
Haute Instance.
b. Les conséquences sur l'administration de la
justice
Au vu de ce qui précède, il ne fait aucun doute
que le Comité Judiciaire peut être considéré comme
faisant partie des institutions anglaises d?autant que dans le cas où le
mode de justice administré est encore retenu (à l?égard
des dominions et colonies britanniques), le juge nominal réside dans la
personne même de la Reine d?Angleterre. Le Comité Judiciaire
assure donc l?exécution d?un service public britannique financé
entièrement par l?Etat britannique. La mission du Comité
Judiciaire ne fait pas partie du service public mauricien telle que cette
notion est définie dans la Constitution mauricienne566. En
tant qu?institution publique anglaise, le Comité Judiciaire ou le
Souverain, devrait respecter, dans l?exécution de leurs fonctions
juridictionnelles les droits anglais et international, notamment
européen.
Sur la base de ce postulat, l?Etat britannique pourrait voir
sa responsabilité engagée dès lors que, par exemple, le
service public judiciaire de la Haute Instance londonienne devienne
défectueux. Un dysfonctionnement de l?institution devrait donner droit
à réparation des préjudices causés selon les termes
du droit anglais. Dans le même cas de figure, le fonctionnement du
Comité Judiciaire devrait être respectueux du droit de la
Convention
565 CJCP: 25 juillet 1923, Alexander E. Hull and Company c/ A.
E. M?Kenna, cité note 552. Lord Haldane écrit que: «The
Judicial Committee of the Privy Council is not a body, strictly speaking, with
any location. The Sovereign is everywhere throughout the Empire in the
contemplation of the law», ibid., p. 404.
566 L?article 111 de la Constitution mauricienne dispose que
«service public signifie le service de l?Etat (la République de
Maurice) en sa capacité civile pour le gouvernement de Maurice».
Cette tautologie exclut la mission du Conseil Privé.
Européenne des Droits de l?Homme567 qui lie
l?Etat britannique. Par exemple, une lenteur excessive accusée par le
Comité Judiciaire dans le traitement d?une affaire serait de nature
à engager la responsabilité de l?Etat britannique aux termes de
l?article 6 de la Convention susmentionnée568.
L?hypothèse selon laquelle le Comité Judiciaire
est un tribunal anglais pourrait-elle, dans une perspective plus large, avoir
des conséquences sur le droit substantiel que doit appliquer le juge
londonien? En principe, seules les lois locales entrent en ligne de compte. Il
est tout de même permis d?en douter en ce sens que la Convention
Européenne des Droits de l?Homme oblige les Etats membres à faire
appliquer par leurs juridictions et toute autre autorité publique le
droit de la Convention. L?article premier de celle-ci stipule que «Les
Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de
leur juridiction les droits et les libertés définis au titre I de
la présente Convention». Selon cet article, les titulaires des
droits et libertés reconnus par la Convention sont toutes les personnes
relevant de l?autorité et compétence (juridiction) des Etats
contractants569 dont, selon notre hypothèse, les justiciables
du Conseil Privé. Il se pourrait qu?en vertu de cette clause, la Haute
Instance londonienne soit contrainte d?appliquer le droit local en l?ayant au
préalable mis en conformité avec les normes de la Convention car
dans le cas contraire la responsabilité de l?Etat britannique pourrait
être engagée pour violation de celle-ci.
A titre illustratif, le Comité Judiciaire avait dans
des pourvois en provenance principalement de Maurice570 et de la
Jamaïque571, autorisé l?application de la peine de mort
par les autorités locales à certains condamnés
conformément aux droits locaux. Or cette peine, dont la mise en
exécution est autorisée en dernier par une autorité
anglaise572, est susceptible de violer les stipulations de l?article
3 de la Convention Européenne relative à l?interdiction des pays
membres d?appliquer une sentence inhumaine et dégradante. Ce n?est pas
l?autorité anglaise qui procède à l?exécution des
décisions de la Haute
567 La dénomination exacte de la Convention est Convention
de Sauvegarde des Droits de l?Homme et des Libertés Fondamentales. Elle
fut signée à Rome le 4 novembre 1950.
568 Cet article dispose dans son premier alinéa que:
«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai
raisonnable...»
569 CARRILLO-SALCEDO Juan Antonio: «Article 1», pp.
135 à 141 in PETTITTI Louis-Edmond, DECAUX Emmanuel et IMBERT
Pierre-Henri: «La Convention Européenne des Droits de l?Homme,
commentaire article par article», Economica, 1995, 1234 p., v. p. 135.
570 CJCP: 2 octobre 1984, Louis Léopold Myrtile c/ The
Queen, affaire de Maurice, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt.
571 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General, WLR,
1982, vol. 3, pp. 557 à 570, affaire de la Jamaïque, Lord Bridge of
Harwich rédacteur de la décision majoritaire.
572 Le Comité Judiciaire ne déclarait pas la
mise à exécution de la peine de mort, même après une
longue période de détention du coupable, contraire à la
protection constitutionnelle contre les traitements inhumains. V. ibid.
Instance londonienne mais ce sont les autorités
locales, et en ce qui nous concerne, l?autorité mauricienne, qui ont la
charge de leur application. Cependant, l?analyse de la jurisprudence
européenne démontre qu?il est permis de penser que, même
dans ce cas de figure, l?Etat britannique pourrait être tenu responsable.
En effet, la Cour Européenne a décidé que la
responsabilité de l?Etat contractant peut «entrer en jeu à
raison d?actes émanant de leurs organes et déployant leurs effets
en dehors dudit territoire (de l?Etat contractant)»573. L?Etat
contractant est responsable des décisions prises par ses
autorités dès lors qu?elles entraînent des
conséquences contraires à la Convention, même si elles sont
exécutées en dehors des limites de son territoire
conformément au droit international classique574. Ainsi, en
matière d?extradition, la Cour Européenne a
considéré que la décision prise par un Etat, l?Etat
requis, d?extrader un individu vers un pays tiers à la Convention,
l?Etat requérant, où celui-ci courra le risque réel
d?être soumis à des peines inhumaines et dégradantes,
entraîne pour l?Etat contractant une violation de la
Convention575. Le rapprochement du raisonnement de la Cour
Européenne avec le prononcé des arrêts par le Comité
Judiciaire peut légitimement avoir lieu.
L?hypothèse que nous avons évoquée est
audacieuse mais est juridiquement inévitable. Il nous a paru obligatoire
dans notre analyse de l?institution du Comité Judiciaire
d?établir les réels enjeux et l?ouverture que représente
pour le plaideur mauricien la justice londonienne. Il serait souhaitable que le
caractère anglais du Tribunal londonien soit reconnu.
B. Un tribunal mauricien
Si la thèse de la nature britannique du Comité
Judiciaire peut être soutenue, les arguments en faveur de la thèse
inverse sont aussi nombreux que pertinents.
Le Comité Judiciaire se présente aussi comme une
institution mauricienne à l?analyse des données (a) et surtout au
regard du droit international classique (hors européen) (b).
573 CEDH: 26 juin 1992, Drozd et Jarouzek c/ France et Espagne,
PCEDH, 1992, série A, vol. 240, 72 p., v. p. 29 paragraphe 91.
574 NGUYEN Quoc Dinh, DAILLER Patrick et PELLET Alain:
«Droit international public», LGDJ, 1994, 1317 p., v. p. 484 à
487.
575 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, PCEDH, 1989,
série A, vol. 161, 83 p.
V. également MARKS Susan: «Yes, Virginia,
Extradition may breach the European Convention on Human Rights», CLJ,
1990, pp. 194 à 197 et SUDRE Fédéric: «Extradition et
peine de mort: arrêt Soering de la Cour Européenne des Droits de
l?Homme du 7 juillet 1989», RGDIP, 1990, pp. 103 à 121.
a. Le faisceau de critères
Si l?origine de la Haute Instance émane du droit de
tous les sujets de l?Empire de faire appel à la justice du Roi
d?Angleterre, l?évolution politique et constitutionnelle de l?Empire,
puis celle du Commonwealth récusent désormais la doctrine de
l?indivisibilité de la personne du Monarque. Nous avons indiqué
qu?avant le Statut de Westminster de 1937 la Couronne britannique
représentait le pouvoir suprême, non seulement dans le Royaume-Uni
mais aussi dans tous les dominions et colonies, c'est-à-dire dans
l?Empire dans sa globalité. Le Roi de l?Angleterre, en tant que tel,
était le Chef d?Etat de tous les dominions et colonies576.
Ceux-ci n?avaient pas la capacité juridique d?agir
internationalement577. Il appartenait à la métropole
de les représenter.
Cependant depuis 1937, la Couronne est divisible et le
Monarque prête serment, du moins sur un plan théorique, en sa
qualité de Chef d?Etat de chaque Etat578. Le Souverain porte
son titre selon la Loi de chaque dominion qui le reconnaît comme Chef de
l?Etat. Il réalise une pluralité en sa personne. Il remplit les
fonctions de Chef d?Etat des dominions à titre personnel et non en tant
que Chef de l?Etat de la Grande-Bretagne579. En ce sens, la Reine
Elisabeth II a été proclamée Reine de Maurice par le
Gouverneur le 8 février 1952580 et est demeurée Chef
de l?Etat de l?île Maurice jusqu?à l?accession de celle-ci au
statut de République en mars 1992. Les jurisprudences britannique et
mauricienne corroborent cette théorie. La Cour d?Appel anglaise a
estimé, à propos de la nature d?un passeport
délivré à Maurice au nom de la Reine Elisabeth II,
qu?à «Maurice la Reine est Reine de Maurice»581. De
même le juge mauricien a affirmé que le terme de «Reine en
Son Parlement de Maurice» est tout différent de la
576 Exception doit être faite des îles
Anglo-Normandes. Le recours des habitants de ces îles se faisait, selon
une ancienne fiction, au Roi en tant que Duc de Normandie.
577 BAKER Phillip Noël, cité note 119.
578 COUTEAU Armelle: «Le Commonwealth et le droit
international public: la renaissance du Commonwealth», thèse,
Université de Rouen, 1988, 604 p.
579 V., en ce qui concerne l?île Maurice, l?Ordonnance
du 25 avril 1968 sur les titres du Souverain (Royal Style and Titles Order
1968). «We do have thought and we do hereby, at the request of the
Prime minister of Mauritius, appoint and declare that... Our Style and Titles
shall henceforth be accepted, taken and used as the same as set forth in the
manner and form following: Elizabeth the Second, Queen of Mauritius
and of Her other Realms and Territories and Head of the Commonwealth?».
580 V. L?Ordonnance du même jour: «Accession of Her
Majesty Queen Elizabeth II. Where as it has pleased Almighty God to call to His
Mercy our late Sovereign, Lord King George the Sixth... We, therefore, Governor
of Mauritius, associated with the Members of the Executive and Legislative
Councils... and other inhabitants of this island do now hereby with one voice
and consent of tongue and heart publish and proclaim that the High and Mighty
Princess Elizabeth Alexandra Mary is now, by the Death of our Late Sovereign of
Happy Memory, become Queen Elizabeth the Second, by the Grace of God, Queen of
all her Realms and Territories... to whom Her lieges do acknowledge all
faith... beseeching God... to bless Princess Elizabeth the Second with long and
happy years to reign over us», in ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité
note 219, v. vol. 1, 148 p., v. p. 75.
581 «In Mauritius the Queen is Queen of Mauritius. The
Government there is the Queen?s Government of Mauritius», CA: 17
août 1967, Regina c/ Secratary of State for Home Department, QBD, 1968,
vol. 1, pp. 266 à 268, Lord Denning rédacteur de l'arrêt,
v. p. 284.
«Reine en Son Parlement de
Westminster»582. La Reine Elisabeth était la Souveraine
de l?île Maurice, pays indépendant, et agissait en tant que telle
lors de l?exercice de ses fonctions juridictionnelles. Sa Majesté en
Conseil (Her Majesty in Council) faisait donc partie des institutions
mauriciennes583.
Lors du changement de statut de Maurice en 1992, les
autorités publiques y ont aboli la monarchie. L?institution judiciaire
dénommée Sa Majesté en Conseil a été
substituée par le Comité Judiciaire584. Cette nouvelle
juridiction suprême s?appréhende comme une institution certes
extérieure d?un point de vue géographique mais qui a un
engagement avec l?Etat mauricien en vertu d?une convention et de la Loi
anglaise du 18 juin 1992 sur la République de Maurice585 et,
de ce fait, est une institution mauricienne586. En dépit du
fait que le Comité Judiciaire siège à Londres, sa
compétence demeure principalement extraterritoriale587. Il
est d?ailleurs significatif de souligner que les avocats au barreau de Maurice
ont droit d?audience devant le Comité Judiciaire.
b. Au regard du droit international (hors
européen)
Il ne fait aucun doute qu?au regard du droit international
classique, les Lords du Conseil Privé agissent pour le compte du service
judiciaire mauricien. Ils sont comme mis à la disposition de
l?autorité mauricienne pour appliquer le droit mauricien. C?est l?Etat
mauricien en toute souveraineté qui confère au Comité
Judiciaire des pouvoirs juridictionnels à son égard. L?île
Maurice peut, du point de vue théorique, à tout moment y abolir
ce système juridictionnel. Ainsi, dans le cas où la Haute
Instance n?applique pas un engagement international de l?île Maurice, la
responsabilité de celle-ci serait engagée.
Ce raisonnement vaut aussi pour d?autre pays retenant encore
le droit de recours à Londres. Ainsi, en Jamaïque où
certains plaideurs, après avoir été déboutés
par le Comité Judiciaire, ont saisi le Comité des Droits de
l?Homme des Nations Unies, organisme international. En effet, dans
l?arrêt Robinson c/ La Reine588 le Comité Judiciaire a
considéré que les droits de la défense ont
été respectés mais le Comité des Droits de l?Homme,
constatant une violation de
582 CSM: 17 juin 1983, Esther c/ The Prime Minister, LRC, 1985,
vol. constitutional, pp. 429 à 437, les juges Espitalier-Noël et
Lallah rédacteurs de l'arrêt.
583 Article 81 de la Constitution de 1968.
584 Article 81 nouveau CM.
585 The Mauritius Republic Act 1992.
586 PHILLIPE Xavier, cité note 32.
587 KINDER-GEST Patricia: «Les institutions
britanniques», PUF, Que sais-je ?, 1995, 128 p., v. p. 103.
588 CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, WLR, 1985,
vol. 3, pp. 84 à 98, affaire de la Jamaïque, Lord Roskill
rédacteur de l'arrêt majoritaire.
l?engagement international de la Jamaïque, a retenu la
responsabilité de celleci589. D?autres plaideurs
déboutés par le Comité Judiciaire ont saisi avec
succès la Commission Interaméricaine des Droits de
l?Homme590. Par ailleurs, le Comité Judiciaire a soutenu
à juste titre que le recours à Londres est un recours de droit
interne591.
589 CDHNU: 30 mars 1989, Robinson c/ La Jamaïque, ORHRC,
1988/89, vol. 2, pp. 426 à 427.
590 SANTOSCOY Bertha: «La Commission Interaméricaine
des Droits de l?Homme et le développement de sa compétence par le
système des pétitions individuelles», PUF, 1995, 209 p.
591 CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ The Minister of
Public Safety and Immigration, WLR, 1995, vol. 2, pp. 390 à 396, affaire
des îles Bahamas, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de
l'arrêt. Il soutient que: «The process of exhausting the domestic
rights of appeal, including an appeal to their Lordships...», ibid., v. p.
394.
*
Il transparaît à la lecture du présent
ouvrage que, nous-même, nous prenons partie pour la thèse
juridictionnelle de la Haute Instance et la plaçons au sommet de la
hiérarchie des cours de justice de Maurice. Sa nature demeure
néanmoins complexe et est à géométrie variable. Si
le Comité Judiciaire a accédé au rang de juridiction
pleine et entière en droit positif mauricien, il demeure aussi, dans le
cas particulier de la mise en jeu de la responsabilité des hauts
magistrats, un conseil du Chef de l?Etat mauricien, en l?occurrence,
désormais, le Président de la République. De même,
il est en droit anglais un organe de conseil du Monarque. Sa nature anglaise,
du point de vue du droit mauricien, est tout aussi réelle et peut
difficilement être occultée par le théoricien du droit.
Le Comité Judiciaire assume des fonctions pour le
compte et des responsabilités à l?égard de plusieurs
autorités. Il est le conseil des Chefs d?Etat (la Reine d?Angleterre en
tant que souveraine de nombreux pays et le Président de la
République de Maurice dans le cas sus-mentionné). Il est une
autorité juridictionnelle suprême à la fois dans plusieurs
pays du Commonwealth, dont l?île Maurice. Cette multitude de fonctions,
font du Comité Judiciaire un organe dont la charge est
éminente.
On aurait pas grand-peine à relever, lors de l?analyse
du fonctionnement du Comité Judiciaire, à laquelle on va se
livrer, des éléments de la pluralité de son
caractère.
Sous-section 2. Le fonctionnement du Comité
Judiciaire
Le Comité Judiciaire est juge de cassation. Il statue
sur des décisions de justice attaquées devant lui. Le pourvoi au
juge londonien est une voie de recours grave. Ainsi s?explique la
réglementation stricte de la saisine. Les grandes règles de
procédure n?ont pas fondatalement changé depuis la
création du Comité Judiciaire.
L?action, la procédure pour être entendu, au
Comité Judiciaire comprend deux phases bien distinctes: d?abord celle de
l?autorisation de saisine de l?institution (paragraphe 1), puis celle du
déroulement de l?instance, la procédure comme devant toute
juridiction (paragraphe 2). Aussi, serait-il utile
dans le cadre de la présente étude, d?analyser le
jugement rendu à l?issue de la procédure (paragraphe 3) qui met
fin à l?action592.
L?examen de ces phases de la procédure nous conduira
à nous interroger sur les vertus du fonctionnement du Comité
Judiciaire notamment dans le cadre du contentieux constitutionnel, discipline
sur lequel nous nous attarderons dans le deuxième titre de notre
étude.
Paragraphe 1. L'obtention de l'autorisation de saisine
du Comité Judiciaire
Le pourvoi au Comité Judiciaire appelle quelques
commentaires. A l?inverse du système français du pourvoi en
cassation, le recours à Londres n?est pas ouvert automatiquement aux
parties à l?instance qui a conduit à la décision
attaquée. La procédure est lourde. Mais, à y regarder de
plus près, elle se justifie par le caractère exceptionnel du
recours. Elle permet aussi d?accorder au litige toute son importance et sa
civilité.
Le pourvoi à Londres est soumis à une condition:
l?obtention de l?autorisation de saisine. Celle-ci peut être
délivrée soit par la Cour locale, la Cour Suprême de
Maurice (A), soit, le cas échéant, par le Comité
Judiciaire lui- même (B).
A. Autorisation délivrée par la Cour
Suprême de Maurice
A la fin d?une affaire jugée par la Cour Suprême,
la partie succombante peut demander l?autorisation de porter l?affaire devant
le Comité Judiciaire. La Cour locale elle-même exerce un
filtrage593. Le législateur britannique a estimé que
la Cour qui a rendu la décision que l?on se proposait de frapper d?un
recours est la mieux placée pour se prononcer, au cours d?un
procès distinct, sur l?opportunité d?accorder l?autorisation de
saisine. Ce système de filtrage est très serré et
s?explique par l?étendue de la compétence territoriale du juge
londonien.
Deux cas de figure se présentent. Dans certaines
matières prévues, la Cour a une compétence liée et
doit accorder l?autorisation (a) et dans d?autres matières, la Cour
dispose d?une compétence d?appréciation souveraine (b).
a. La compétence liée de la Cour de
Maurice
592 On exprime l?extinction de l?instance par la formule
suivante: «Lorsque la décision est prononcée, le juge cesse
d?être juge (lata sententia desinit esse judex)».
593 C?est ce qui en partie explique le faible nombre de recours
au Comité Judiciaire.
Les affaires dans lesquelles la Cour locale a une
compétence liée pour accorder l?autorisation, le droit
britannique594 leur a consacré l?expression de recours de
plein droit (appeal as of right). Ces affaires sont
expressément prévues par la Constitution mauricienne de 1968, et
éventuellement des Lois ordinaires. Nous savons que les recours existent
de droit contre les décisions définitives en matière
d?interprétation d?une norme constitutionnelle, dans tout litige d?un
montant supérieur à RPM 10,000 595 et en
matière du contentieux des élections
législatives596. Ces dispositions, selon le Comité
Judiciaire, doivent être interprétées
strictement597 mais le juge mauricien s?estime contraint d?accorder
l?autorisation dans les cas mentionnés quand bien même que le
pourvoi apparaisse futile et vexatoire598. La demande d?autorisation
doit être enregistrée au rôle de la Cour Suprême dans
un délai de 21 jours à compter du prononcé de
l?arrêt du dernier ressort599. Ce court délai se
justifie par le fait qu?on ne saurait admettre que la chose jugée puisse
rester en suspens. Il correspond à ce qui est nécessaire à
la partie perdante pour apprécier l?opportunité du recours
à Londres. Un juge (unique) de la Cour Suprême statuera sur la
requête et accorde éventuellement une autorisation conditionnelle
de se pourvoir (conditional leave to appeal)600. Le
demandeur au pourvoi doit, dans un délai ne dépassant pas
quatre-vingt-dix jours, déposer une somme, déterminée par
le juge, en cautionnement601 et s?engager à faire toute
diligence pour suivre la procédure602 afin d?obtenir une
autorisation définitive de recours (final leave to appeal). Au
cas contraire, la Cour peut rapporter son autorisation603. La Cour
peut, en outre, autoriser en toute discrétion604
594 V. par exemple les Règles sur le Comité
Judiciaire de 1925.
595 Article 81 CM.
596 Article 37-6 CM et 48 A de la Loi sur la
représentation du peuple (Representation of People Act) de
1968.
597 CJCP: 16 juin 1994, Alceo Zuliani c/ Verson S. Veira, WLR,
1994, vol. 1, pp. 1149 à 1155, affaire de St. Christopher et Nevis, Lord
Nolan rédacteur de l'arrêt.
598 CSM: 18 mai 1970, Ramdharry Insurance Company Ltd. c/
O?Shea, MR, 1970, pp. 114 à 115, le juge Latour-Adrien rédacteur
de l'arrêt. «As guardian of the Constitution, the Court is bound to
give effect to the applicant?s right no matter what its views as to the merits
of the appeals may be», ibid., p. 114.
599 Article 3 de l?Ordonnance sur les recours mauriciens au
Conseil Privé du 12 mars 1968, in ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité
note 219, vol. 1, p. 71 et s.
600 L?Ordonnance de 1968 prévoit que la décision
du juge peut être frappée d?appel devant une formation
composée de trois juges. Dans la pratique, si le juge unique rejette la
demande, l?appelant tend à demander l?autorisation auprès du
Comité Judiciaire.
601 Le montant fixé peut être amoindri par la
Cour même après l?expiration du délai de quatre- vingt-dix
jours. V. CSM: 15 décembre 1986, De Boucherville c/ Regina, MR, 1986,
pp. 237 à 240, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.
602 Article 4, de l?Ordonnance de 1968, cité note 599.
603 Article 11, ibid.
604 CSM: 2 avril 1993, Ah Chuen c/ Ah Chuen, MR, 1993, pp. 1
à 8, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de
l'arrêt.
l?exécution de la décision frappée de
recours même si elle a accordé l?autorisation de saisir le
Comité Judiciaire605.
Ainsi, dans les affaires relevant de la compétence
liée de la Cour Suprême, les pouvoirs du juge local sont en
apparence médiocres, mais peuvent, par le biais de la fixation du
cautionnement et l?exécution provisoire de la décision
frappée d?appel, dissuader les plaideurs à intenter des recours
à Londres.
b. La compétence quasi discrétionnaire de la
Cour Suprême
La Cour Suprême de Maurice a, si l?affaire en question
ne relève pas d?un des cas expressément prévus par un
texte de loi, un pouvoir quasi discrétionnaire d?accorder l?autorisation
de se pourvoir au Comité Judiciaire. Selon la Constitution, la Cour
délivre une permission de saisine si elle estime que l?affaire
relève d?une «grande importance générale ou publique
ou autrement»606. La notion de grande importance
générale ou publique est interprétée strictement
par la Cour locale. Une affaire qui intéresse une grande
communauté religieuse607 ou qui est
médiatique608 peut ne pas relever d?une importance
générale ou publique. Cette notion signifie plutôt que
l?affaire doit impliquer une difficulté juridique, un problème de
droit sérieux à propos de l?application des principes
généraux et qui est susceptible de comporter de grandes
conséquences pour l?avenir. Par exemple, une grande divergence de vue
entre les juges de la Cour Suprême lors d?une affaire confère
à celle-ci le caractère important609. En revanche, la
Cour Suprême a revendiqué que le terme «autrement» de la
Constitution lui permet d?autoriser un pourvoi lorsque le cas de
l?espèce présente des difficultés techniques même
s?il n?est pas d?une importance générale610. Sa
discrétion est dans ce cas totale. La Cour veut dans certains cas
faciliter la saisine du Comité Judiciaire afin que sa décision
puisse davantage être légitimée.
605 CSM: 26 janvier 1880, Boulanger c/ Martin, DCSM, 1880, pp.
13 à 15, le Chef-Juge A. G. Ellis rédacteur de l'arrêt. V.
également CSM: 15 décembre 1993, Ramphul c/ Bodhea, MR, 1993, pp.
370 à 371, le juge Lallah rédacteur de l'arrêt.
606 Article 81-2-a CM et article 70 A nouveau (Loi de 1990) de la
Loi de 1945 sur les Cours.
607 CSM: 6 décembre 1915, Marie c/ Congrégation des
Hindous de Maurice, 1916, DSCM, pp. 88 à 94, le juge Sir A. Herchenroder
rédacteur de l'arrêt.
608 CSM: 11 septembre 1924, Corson Lagesse c/ Colonial
Government, DSCM, 1924, pp. 96 à 99, le juge Serret rédacteur de
l'arrêt.
609 CSM: 3 février 1992, Regina c/ Kristanah, MR, 1992,
pp. 17 à 21, le juge Lallah rédacteur de l'arrêt.
610 CSM: 21 mars 1940, The Surtee Soonee Musulman Society c/
Mamode Nazroo, MR, 1940, vol. 2, pp. 14 à 17, le juge G. Tracey Watts
rédacteur de l'arrêt.
Les mêmes critères sont appliqués dans les
affaires pénales611.
B. Autorisation délivrée par le
Comité Judiciaire
Le Comité Judiciaire, du fait de son essence royale,
conserve un pouvoir absolu et même exorbitant612 d?accorder
aux parties une autorisation dite «autorisation spéciale» (ou
«autorisation extraordinaire») de recours (special leave to
appeal).
Nous envisagerons l?étendue de la compétence du
Comité d?accorder l?autorisation telle qu?il l?a définie
lui-même (a) et ensuite, les modalités de demande de
l?autorisation (b).
a. L'étendue de la compétence
Que la compétence du Comité Judiciaire est
générale n?est guère douteux. Il suffit, pour s?en
convaincre, de savoir que le juge londonien peut accorder une autorisation
d?accès à son prétoire dans trois cas: dans les affaires
pour lesquelles la Cour Suprême a refusé de donner l?autorisation,
dans celles où elle n?a pas le pouvoir d?en donner, ce qui est purement
théorique, et, en dernier lieu, dans celles où il s?agit
d?interjeter appel d?une décision d?une cour inférieure à
la Cour Suprême613. Il est évident que ces cas
d?ouverture ne limitent en aucune manière sa compétence mais
consacre son caractère global.
Ces compétences appellent toutefois quelques
commentaires. Le Comité Judiciaire n?a jamais largement ouvert son
prétoire. Il soumet l?autorisation spéciale à des
règles de fond strictes. En matière de droit privé et
public, l?autorisation est accordée, outre dans les cas
expressément prévus par la Constitution, lorsque le litige
soulève une question d?intérêt général
(matters of dominant public interest)614 ou un point de
droit important, même si le montant du litige est inférieur
à celui prévu pour le pourvoi. Ces critères peuvent
être rapprochés de ceux utilisés par le juge local.
611 CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp.
204 à 205, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.
612 Il peut, par exemple, sur simple saisine par voie de
pétition ordonner, quelques heures après le prononcé de la
décision de dernier ressort, le sursis de l?exécution d?une
sentence de mort. V. CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ Minister of Public
Safety and Immigration, WLR, 1995, vol. 3, pp. 390 à 396, affaire des
Bahamas, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt. V.
également, CJCP: 26 juillet 1994, Guerra c/ The State, TLR, 29 juillet
1994, pp. 441 à 442, affaire de Trinité et Tobago, Lord Nolan
rédacteur de l'arrêt.
613 Article 81-5 CM: «Aucune disposition du
présent article n?affectera tout droit du Comité Judiciaire
d?accorder une autorisation spéciale pour l?exercice d?un pourvoi contre
toute décision rendue par une cour quelconque en matière civile
ou pénale».
614 CJCP: 20 mars 1960, R. S. Lopes c/ N. K. V. Chettiar, AC,
1968, pp. 887 à 894, affaire de la Malaisie, Vicomte Dilhorne
rédacteur de l'arrêt.
Le Comité Judiciaire, du fait de son éloignement
géographique, est réticent à trancher de simples
hypothèses d?école (academic questions) ou des questions
juridiques abstraites615. Il rejette toute demande ne comportant que
des intérêts doctrinaux616.
En matière pénale, selon une jurisprudence
séculaire, l?autorisation spéciale n?est accordée que dans
des cas exceptionnels617, notamment lorsqu?il apparaît qu?il y
a dans le litige une violation de la procédure ou que les principes
fondamentaux de justice (principles of natural justice) n?ont pas
été respectés618. Il faudrait, en sus, qu?une
grande injustice ait été commise. Une simple violation non
substantielle des formes entraînerait l?octroi de l?autorisation
extraordinaire que s?il apparaît qu?elle peut comporter des
conséquences néfastes ou résulter en une sentence
injuste.
b. Les modalités de demande de l'autorisation
spéciale
La demande de l?autorisation spéciale est faite par
voie de pétition619 dans la mesure où la
délivrance de l?autorisation est par excellence une prérogative
régalienne. La pétition, en six exemplaires, doit être
adressée dans le plus bref délai620 à partir du
prononcé de l?arrêt contre lequel l?appelant désire se
pourvoir. Dans des cas exceptionnels, par exemple, lorsqu?un revirement de
jurisprudence a été opéré, le juge londonien peut
accorder une autorisation longtemps après le prononcé de la
décision en dernier ressort621.
La pétition doit être motivée. Elle expose
la nature du procès, le fondement de la décision attaquée
et les raisons pour lesquels le demandeur au pourvoi considère la
décision comme erronée et tout élément touchant
à l?importance ou l?intérêt public de la question
soulevée622. La pétition est débattue à
l?audience devant une formation de trois juges. Le Comité Judiciaire
615 CJCP: 24 juillet 1967, Australian Consolidated Press c/ Uren,
All ER, 1967, vol. 3, pp. 523 à 538, affaire de l?Australie, Lord Morris
of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.
616 CJCP: 20 juillet 1992, Mastan E-Allam Bhewa c/ The Government
of Mauritius, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de
l'arrêt.
617 CJCP: 19 mars 1887, In re Abraham Mallory Dillet, AC, 1887,
pp. 459 à 470, affaire de l?Honduras britannique (Bélize), Lord
Watson rédacteur de l'arrêt.
618 CJCP: 6 mars 1914, Ibrahim c/ The King, cité note
408.
619 Article 3 des Règles sur le Comité Judiciaire
du 24 novembre 1982.
620 Article 4, ibid.
621 CJCP: 2 novembre 1993, Trevor Walker c/ The Queen, WLR,
1993, vol. 3, pp. 1017 à 1021, affaire de la Jamaïque, Lord
Griffiths rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire, plusieurs
condamnés attendaient à être pendus. Entre-temps, le
Comité Judiciaire avait interdit certaines exécutions de la
sentence de mort.
622 Article 3-1-a des Règles sur le Comité
Judiciaire de 1982, citées note 619.
peut aussi statuer par défaut de représentation
du défendeur au pourvoi623. Le Comité Judiciaire
rendra sa décision non-motivée au vu des seuls
éléments produits sans se prononcer sur le fond de l?affaire. Si
le juge londonien conclut à l?octroi de l?autorisation spéciale,
il fixe la caution à fournir par l?appelant624 et statue
éventuellement sur l?exécution provisoire de la décision
attaquée.
Paragraphe 2. La procédure
Le procès au Comité Judiciaire est très
formaliste et comporte deux grandes phases successives. Nous étudierons
d?abord les actes de procédure (A) et ensuite la structure de l?instance
(B). Le même aspect de lourdeur apparaît également ici.
L?accomplissement des actes de procédures nécessite
l?intervention de plusieurs autorités afin de préparer le
débat contradictoire devant les juges londoniens et de permettre
à ce qu?il se déroule de façon tout à fait
honorable et digne de la contestation finement organisée.
A. Les actes de procédure
Après avoir obtenu l?autorisation de saisine, l?appelant
envoie un dossier (record) au Comité Judiciaire (a) et
ultérieurement produit les mémoires (b).
623 BENTWICH Norman, cité note 41, v. p. 127.
624 Article 6-1 des Règles sur le Comité Judiciaire
de 1982.
a. L'envoi du dossier
Le dossier est minutieusement préparé sous le
contrôle de la Cour locale625. Tous les documents
nécessaires, et ceux-là seuls, doivent trouver place. Le dossier
doit être établi en format 21,0 X 29,7 cm (A4) et avec des
caractères déterminés626. Si le dossier est
imprimé hors Angleterre, notamment à Maurice, trente exemplaires
doivent en être adressés par le demandeur au pourvoi au
secrétariat-greffe du Conseil Privé, dont un certifié par
le greffier de la Cour locale. S?il est imprimé en Angleterre, il suffit
au greffier de la Cour locale d?en envoyer un seul exemplaire certifié
conforme627. Cette différence de traitement est frappante. On
se prendra à regretter que cette discrimination, qui relève d?un
autre temps, n?a pas été supprimée en cette fin du
vingtième siècle.
Le demandeur au pourvoi est tenu de faire diligence et
envoyer le dossier dans le temps attribué par la Cour locale, faute de
quoi l?autorisation d?appel, qui est provisoire, pourra lui être
rapportée ou la requête pourra être déclarée
irrecevable par le juge londonien628.
Le demandeur au pourvoi doit aussi comparaître
(enter in appearance) devant le secrétariat-greffe et en aviser
le défendeur. Il peut se faire représenter par un des
avoués (solicitors) britanniques. Seuls ceux-là ont
droit d?accomplir les actes de procédure devant le tribunal de la
Downing Street. L?exclusion des avoués mauriciens se comprend. Pour des
raisons d?ordre pratique, il faut que le mandataire soit constamment disponible
pour suivre la procédure, fonction difficile à remplir par un
avoué exerçant sa profession à Maurice.
b. Le dépôt de la pétition d'appel et la
production des mémoires
Dans un délai de deux mois, à partir de
l?arrivée du dossier à Londres, le demandeur au pourvoi doit
déposer sa pétition d?appel (lodge his petition of
appeal)629. Celle-ci est en réalité un
résumé de la procédure suivie sur le plan local, duquel
est exclue toute argumentation sur le fond de l?affaire630.
Après l?avoir déposée, le demandeur au pourvoi a
obligation d?en signifier une copie au défendeur dès que celui-ci
a comparu. Au cas où il n?a pas comparu dans les
625 Article 8-1 de l?Ordonnance sur les recours mauriciens au
Conseil Privé du 12 mars 1968.
626 Annexe A des Règles de 1982, cité note 619.
627 Article 14-1, ibid.
628 CJCP: 27 juillet 1979, Dorothy Roulstone c/ O. L. Panton,
WLR, 1979, vol. 1, pp. 1465 à 1468, affaire de la Jamaïque, Lord
Russel of Killowen rédacteur de l'arrêt.
629 Article 29-a des Règles sur le Comité
Judiciaire de 1982, citées note 619.
630 Article 30, ibid.
deux mois suivant le dépôt de la pétition, le
demandeur peut demander que l?affaire soit entendue par
défaut631.
Ensuite, les parties doivent préparer un mémoire
(the case). Le mémoire est rédigé et signé
par l?avocat. Il doit obéir à des règles de formes
strictes632 et être établi en vingt
exemplaires633 et remis au secrétariat-greffe du Conseil
Privé. Cinq exemplaires doivent être signifiés au
défendeur au pourvoi. Celui-ci dispose d?un délai d?un mois,
à compter de la signification, pour remettre au
secrétariat-greffe un mémoire en réponse.
Le mémoire, acte de procédure très
important, contient les moyens (reasons and contentions)
invoqués contre la décision attaquée et les conclusions.
En principe, un point de droit ne peut être soulevé pour la
première fois devant les Sages du Whitehall. Cette règle
étant non écrite, les Lords judiciaires peuvent dans des cas
exceptionnels, notamment lorsqu?il est question de l?intérêt
même de la justice, y déroger634 et statuer sur le
point soulevé en demandant, le cas échéant, le point de
vue de la Cour locale635.
Il faut noter que la procédure peut être
annulée d?office et le demandeur considéré comme
débouté s?il n?a pas fait les diligences nécessaires
(dismissal of appeal for non-prosecution). Aussi, le demandeur peut se
désister et retirer son pourvoi (withdraw his appeal) en
informant le secrétariat-greffe de sa décision636.
Après l?étude des actes de saisine du tribunal
londonien, il convient, suivant l?ordre chronologique de la procédure,
de s?arrêter sur la structure de l?instance.
B. La structure de l'instance
A ce stade, l?affaire est en l?état d?être
jugée. Afin de conserver au débat toute sa
sérénité et loyauté, dignes des juges de cassation,
des règles précises régissent le procès. Il serait
évidemment hors de propos d?entrer dans le détail
631 HALSBURRY?S LAWS OF ENGLAND, cité note 100, v. p. 375,
paragraphe 802.
632 Article 61 des Règles sur le Comité Judiciaire
de 1982, citées note 619.
633 Article 62, ibid.
634 CJCP: 19 février 1996, Consolidated Investment and
Enterprises Ltd. c/ The Commissioner of Income Tax, affaire de Maurice, Lord
Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt et CJCP: 19 mai 1975, Eaton
Baker c/ The Queen, WLR, 1975, vol. 3, pp. 113 à 131, affaire de
Jamaïque, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.
635 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, LRC, 1992, vol.
constitutional, pp. 401 à 411, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel
rédacteur de l'arrêt.
636 Articles 32 et 33 des Règles sur le Comité
Judiciaire de 1982, citées note 619.
de la pratique. Mais du moins peut-on dégager les grandes
orientations qui l?inspirent et qui caractérisent la Haute Instance.
Il convient dès lors d?exposer comment se déroule
l?audience (a) et les débats oraux (b).
a. Les règles de l'audience
La date de l?audience est fixée par le
secrétaire-greffier du Conseil Privé mais il est d?usage de
rechercher un accord avec les représentants des parties637.
La composition du tribunal est arrêtée par le Lord-Chancelier en
accord avec le Lord-Président du Conseil.
Pour les besoins de l?audience, les juges obtiennent au
préalable un volume substantiel de documents: le dossier, la
pétition d?appel et les mémoires. Autrefois, il n?était
pas d?usage que les Lords judiciaires aient lu les documents de l?affaire avant
l?audience mais la pratique actuelle veut qu?ils prennent connaissance du
dossier avant l?ouverture des débats.
La police de l?audience est conférée au
président de séance (the Presiding Law Lord), en
principe le doyen des Lords, qui dirige et ouvre les débats. Il donne la
parole aux parties ou à leurs représentants pour qu?elles
soutiennent leurs arguments. Les avocats ont tendance à s?adresser au
président de séance, sauf quand ils répondent à une
question d?un autre Lord638. Le président peut jouer un
rôle fondamental et déterminant en dirigeant à sa guise les
débats. Il peut mettre l?accent sur les points de droit qu?il veut bien
faire ressortir et, par là même, orienter la réflexion de
ses collègues-assesseurs.
La parole est d?abord donnée à l?avocat du
demandeur au pourvoi, puis à celui du défendeur. Selon certains
avocats au Conseil639, l?avocat du demandeur peut, par ce biais,
disposer d?un avantage sur son adversaire, car devant les Lords, la
façon de présenter les faits et d?ouvrir les débats est
très cruciale640.
637 L?accord n?est pas facile à trouver d?autant que des
avocats à la Cour de Port-Louis pourraient être amenés
à effectuer un long voyage pour venir à Londres.
638 Selon Lord Guest: «... the tendency of the discussion is
very largely governed by the presiding judge», in PATERSON Alan,
cité note 513, v. p. 67.
639 Entretien avec Maître Riyad DOOKHY de Gray?s Inn,
avocat au Conseil Privé et à la Chambre des Lords.
640 Selon Maître Louis Bloom-Cooper QC, «the way
the case is opened, the first two hours, particularly if the law Lords have not
read the case, is crucial», in PATERSON Alan, cité note 513, v. p.
57.
A l?issue des interventions des parties, le Comité
Judiciaire peut autoriser ou même ordonner un second exposé des
arguments des parties lorsque l?espèce soulève des
difficultés juridiques considérables ou lorsque le juge a
soulevé d?office un point de droit sur lequel il souhaite entendre les
parties. Ainsi, l?audience peut s?étaler sur plusieurs
jours641. En principe, les Lords écoutent avec grande
attention et courtoisie aux exposés des avocats mais le président
de séance peut écourter (to curtail) les observations
présentées par une partie lorsque la juridiction s?estime
éclairée642.
b. Les débats oraux
Les débats oraux revêtent devant les Lords
judiciaires une suprématie et une importance essentielle malgré
la technicité et la précision du contentieux de l?appel ultime.
La prestation orale des parties permet de débrouiller et expliquer les
points essentiels du litige. La procédure devant le Comité
Judiciaire étant contradictoire et non inquisitoire, la plaidoirie est
l?acte majeur de l?avocat et, de ce fait, est illimitée en
théorie. Il s?agit pour les parties d?emporter la conviction des
juges643 contrairement à ce qui se passe devant la Cour de
Cassation française644 où l?essentiel est
constitué dans les conclusions écrites des avocats, ou encore,
contrairement au Conseil Constitutionnel français où l?audience
et de surcroît la plaidoirie des auteurs de la saisine sont exlues. Les
Lords judiciaires, pour statuer, attachent beaucoup d?importance à la
plaidoirie. Les Sages de la Downing Street se disent sensibles à la
parole de l?avocat.
L?importance de l?oralité ne doit pas surprendre. Dans
les pays de Common Law, la justice, bien que très formaliste, cherche
à être soustraite de tout caractère bureaucratique et
impersonnel. L?admission de l?élément oral de la procédure
permet d?humaniser le litige même de droit public. Cette conception
emporte notre conviction. Le principe de l?oralité constitue une
garantie de bonne justice et l?exemple des juridictions d?assises en est la
meilleure preuve. Avec l?oralité, le contradictoire est mieux
assuré.
641 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General,
WLR, 1993, vol. 3, pp. 995 à 1016, affaire de Jamaïque, Lord
Griffiths rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire l?audience a
duré 11 jours.
642 La formule utilisée par les Lords est la suivante:
«Leurs Seigneuries ne voudraient vous inquiéter davantage...»
(«Their Lordships would not trouble you any further...»).
643 Le débat oral s?apparente plutôt à une
conversation très courtoise entre l?avocat et les juges qu?à un
débat entre les représentants des deux parties de sorte qu?on l?a
même qualifié de «conversation entre gentilshommes sur un
sujet d?intérêt commun», PATERSON Alan, cité note 513,
v. p. 50.
644 PERROT Roger, cité note 450, v. p. 505.
Au Comité Judiciaire, où principalement seuls
les éminents avocats qui ont été élevés au
grade de Conseiller de la Reine plaident, ces derniers y mettent en oeuvre tout
un art de persuasion et d?argumentation645. Il arrive que des Lords
judiciaires acquièrent une autre vision de la solution à donner
au litige à la fin de l?audience.
Paragraphe 3. L'acte juridictionnel ou la
décision
La décision du juge londonien est un acte d?une
extrême importance. Non seulement il met définitivement fin au
litige mais aussi elle fixe l?autorité de chose jugée et la
vérité juridique (res judicata pro veritate labetur).
L?étude de la décision du Comité
Judiciaire suppose que l?on examine successivement la prise de la
décision elle même (A) et ensuite sa forme (B). Ces deux aspects
du prononcé de l?arrêt par le juge du Whitehall présentent
des particularités intéressantes dont il importe de mettre en
évidence.
A. La prise de décision
A la fin de l?audience, le juge londonien indique, sauf quand
il s?agit d?une demande d?autorisation de saisine, qu?il «réservera
sa décision»646, autrement dit que l?affaire sera mise
en délibéré (a), la cour voulant prendre le temps de la
réflexion647.
Toutefois, le Comité Judiciaire, contrairement à
la Chambre des Lords, qui rend une série de décisions
individuelles à propos d?une même affaire (seriatim
judgments), prononce un arrêt rédigé par un rapporteur
et est accompagné éventuellement par une ou deux opinions
dissidentes. Nous analyserons le mode de rédaction de la décision
(b).
a. La délibération
Que la plupart du temps le Tribunal du Whitehall estime qu?il
a besoin de plusieurs jours pour délibérer n?est guère
surprenant. Seuls les litiges complexes et suffisamment sérieux lui sont
déférés. La délibération est
secrète.
645 En Angleterre, l?élève-avocat reçoit
une formation soutenue en psychologie juridique et rhétorique dans une
des écoles de formation du barreau. V. BOON Andy: «Advocacy»,
Londres, Cavendish Publishing Ltd., 1993, 200 p.
646 Dans le cas d?une autorisation spéciale les Lords
judiciaires, sans quitter la salle d?audience, se concertent à voix
basse sur la décision à prendre et une fois qu?ils trouvent un
accord, l?arrêt est prononcé séance tenante (sur-le-champ)
et s?intitule décision orale (oral judgment) ou ex- t e m
pore.
647 La mention «curia advisori vult» est alors
indiquée dans l?arrêt.
Ne peuvent y participer que les juges, en nombre impair devant
lesquels l?affaire a été débattue. Cela dit, la pratique
des Lords judiciaires oblige à pousser plus avant l?analyse de la
délibération.
En effet, il existe au Comité Judiciaire et à la
Chambre des Lords une pratique de délibération officieuse et
diluée dans le temps (continuous consultation). Dès le
début d?une audience, les Lords judiciaires échangent entre eux
informellement leurs points de vue. A la fin de la séance, normalement
à l?heure du déjeuner, la discussion peut se prolonger et devient
plus intense648. De même, l?après-midi, à la fin
d?une journée d?audience, les Lords se concertent au moment où
ils empruntent le couloir ou l?ascenseur pour regagner leurs
bureaux649. S?il existe une grande différence de vue entre
les juges, la discussion peut continuer dans le bureau du président de
séance ou dans la salle de conférence. Les Lords qui, à ce
stade des débats, ont déjà arrêté avec
conviction leurs décisions essaient, lors des discussions, d?influencer
leurs collègues encore indécis.
Au delà de la délibération officieuse, la
délibération officielle débute après la
clôture des débats oraux dans la salle de conférence du
Conseil Privé. Le président de l?audience donne la parole aux
plus jeunes des Lords judiciaires en ordre croissant d?ancienneté.
Chaque juge délivre un monologue de son opinion. Si à la fin des
discours le président aperçoit une différence de vue entre
eux, il engage alors une véritable discussion afin de rechercher
l?adhésion de ses collègues à l?opinion majoritaire. A la
fin de la concertation, le président désigne un rapporteur
chargé de rédiger l?opinion majoritaire et, au cas où la
décision ne sera pas prise à l?unanimité, les juges
minoritaires auront la faculté de rédiger leurs opinions
dissidentes.
L?enjeu d?un tel type de délibération est
important. Il atteste le caractère sérieux et hautement
professionnel des membres du Conseil Privé. Il accorde à la
décision prise toute sa dignité ô combien indispensable
pour une bonne justice. L?importance d?une délibération soutenue
est trop connue pour qu?on y insiste davantage.
b. Le mode de rédaction de la décision
648 PATERSON Alan, cité note 513, v. p. 89.
649 La discussion dure environ d?une quinzaine de minutes.
Selon Lord Cross: «You are discussing the case the whole time with your
colleagues and... it is infinitely helpful. From what they have been saying,
you may suddenly see a thing in a new light», ibid., v. p. 90.
Le Conseil Privé diffère des cours de Common Law
quant au mode de rédaction de ses décisions. A l?inverse de la
Chambre des Lords où chaque juge peut rendre sa propre décision,
ou selon la terminologie exacte, fait son propre discours (speech), au
Comité Judiciaire l?arrêt (la décision majoritaire) est
unique mais il peut être accompagné de l?expression des opinions
dissidentes650. Autrement dit, les opinions concurrentes
(concurring opinions) majoritaires sont interdites au Comité
Judiciaire651 comme à la Cour Suprême des Etats-Unis
d?Amérique. Les motifs de la décision majoritaire doivent
être uniques pour des raisons pratiques. Une multiplicité des
motifs, les uns en conflit avec les autres, provoquerait un désordre
jurisprudentiel susceptible de perturber le rôle unificateur du Conseil
Privé.
Le rapporteur (rédacteur de l?arrêt) est
désigné par le président de l?audience même si ce
dernier fait partie du groupe des minorités. Dans ce cas, selon la
pratique, il désigne le juge de la majorité ayant le point de vue
le plus proche des minorités ou il laisse à la majorité le
soin de désigner elle-même le rapporteur. Eventuellement, le
critère de la disponibilité, de l?emploi du temps, est pris en
considération lors du choix du rapporteur.
Le prononcé de l?arrêt a lieu quelques semaines
après la première délibération. Si à la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique la décision majoritaire
doit être rédigée en premier et ensuite les opinions
dissidentes, au Conseil Privé, aucun ordre n?est établi. Certains
juges minoritaires rédigent assez rapidement leurs opinions dissidentes
dans l?ultime espoir d?influencer leurs collègues. Par contre, certains
Lords judiciaires peuvent accuser un retard assez considérable et ce
pour trois raisons. Il se peut qu?ils ont beaucoup d?autres décisions
à rendre, au sein de la Chambre des Lords par exemple, ou ont d?autres
activités extrajudiciaires. Il se peut qu?ils attendent la publication
de l?opinion d?un collègue pour décider ensuite s?ils vont
concourir ou en cas de grande divergence entre eux, certains attendent que
leurs collègues écrivent leurs décisions avant d?en faire
de même.
Ce mode de rédaction des décisions attribue
à la justice du Conseil Privé sa magnificence. La
délibération est longue et ne vaut pas uniquement pour la forme.
La collégialité y gagne toute sa signification. Le droit
d?exprimer une
650 Les juges de la Chambre des Lords sont très
attachés à la pluralité des décisions qu?ils
considèrent comme un facteur de développement du droit par
rapport au système plutôt civiliste du Comité Judiciaire:
«If you compare the quality of Privy Council judgments with speeches in
the House of Lords, I think you will agree that from the point of view of
developing the law, the Privy Council judgments have been much inferior»,
REID Lord, cité note 517, v. p. 29.
651 Par contre les opinions concurrentes minoritaires sont tout
à fait autorisées.
opinion dissidente consolide la collégialité en
ce sens qu?une véritable discussion entre les juges est
nécessaire afin d?éviter qu?un des membres du tribunal entre en
dissidence.
B. La forme de la décision
Deux caractéristiques qui rapprochent cette fois le
Comité Judiciaire des cours de Common Law méritent d?être
soulignées. Les juges minoritaires peuvent, comme nous l?avons
mentionné, exprimer leur désaccord (a) avec la décision
elle-même. Aussi, le style discursif de la décision fait qu?elle
ressemble plutôt à un article de doctrine ou à une
conclusion du commissaire du gouvernement devant le Conseil d?Etat
français (b).
a. L'expression de l'opinion dissidente
La publication d?une opinion dissidente a été
pendant longtemps interdite au Comité Judiciaire. En tant qu?organe
administratif, les conseillers privés étaient tenus de garder
secret le délibéré. Cette question ayant été
précédemment étudiée, il suffit de renvoyer sur ce
point aux explications antérieures. Il faut néanmoins faire
ressortir que l?interdiction d?exprimer une opinion dissidente était
justifiée par le besoin d?attribuer aux décisions du Conseil
Privé une forte autorité pour pouvoir être
respectées et appliquées dans toutes leurs vigueurs dans des
territoires lointains652. Toutefois, de nombreux juristes du
Commonwealth avaient vivement critiqué ce qu?ils avaient qualifié
d?une «anomalie» et, de surcroît, le signe même de la
nature impériale de l?institution. La décision unique
représentait une grande discrimination entre la justice
administrée aux sujets britanniques et ceux du reste du
Commonwealth653. Du point de vue strictement technique, le jugement
unique bien que non anonyme654, incitait l?émergence de deux
types de situations mis en évidence par Monsieur le Professeur Edward Mc
Whinney. Lorsque le rapporteur était un éminent Lord judiciaire
doté d?une forte personnalité, la décision même
prise après ample délibération était le fruit d?une
seule personne et assez hardie. Par contre, lorsque le rapporteur était
un juge modeste, la décision était
652 «... there are cases in which great divergence of
opinion has been displayed by courts overseas, and in which it is a special
advantage to have an authoritative decision by a court which does not publish
dissenting views and is under no obligation to refute all opinion that differ
from its own», RANKIN George, Sir, cité note 13, v. p. 19.
653 «... the attitudes of Australia and South Africa to
the single judgment issue were essentially political while that of Canada
remained practical. In the opinion of the former, the Privy Council was
inferior in status to the House of Lords, and appeals to it from the Dominions
were incompatible to the idea of political equality between the United kingdom
and the self-governing Dominions», SWINFEN David B., cité note 38,
v. p. 289.
654 Le nom du rapporteur de la décision est
publié.
floue, ambiguë, marquant le désaccord entre les
juges655. Cette situation était préjudiciable à
l?image du Conseil Privé et à la stabilité de sa
jurisprudence.
Une réforme du système fut dès lors
nécessaire d?autant plus qu?il fallait juridiciser davantage le
Comité Judiciaire. Une Ordonnance en Conseil du 4 mars 1966 a permis aux
conseillers privés d?exprimer publiquement leurs désaccords avec
le contenu et l?argumentation de la décision majoritaire.
Dans la philosophie de la Common Law, le jugement pluriel
permet de démocratiser la justice. Chaque juge est autorisé
à exercer un contrôle sur ses collègues. Il confère
à la justice de la souplesse et permet aux juges d?accomplir plus
facilement leur mission d?adaptation de la Constitution aux changements de
valeurs, à l?évolution sociale. Une opinion dissidente annonce
souvent un revirement de jurisprudence. Enfin, la personnalité du juge
est exaltée et il est davantage responsabilisé.
Ces règles ne doivent pas faire oublier que la
publication d?une opinion dissidente demeure assez rare au Comité
Judiciaire. Dans les affaires mauriciennes depuis 1970, seulement trois
opinions dissidentes ont été formulées et à propos
de deux affaires. Au Conseil Privé, un juge ne fait état de sa
désapprobation que s?il a de solides raisons de le faire, autrement
formulé, que s?il est frontalement opposé à ses
collègues656. Dans ce cas, il publie son opinion comme pour
faire appel à l?histoire, à ses successeurs.
b. Le style discursif
Le style d?une décision du Comité Judiciaire,
conformément à la pratique des juridictions de Common Law, est
très vivant et fécond657 alors même qu?aucune
règle de droit ne fait obligation aux juges des juridictions
suprêmes de motiver leurs décisions. Les Lords judiciaires
considèrent qu?une motivation trop elliptique à la
française méconnaît le devoir moral qu?ont les juges
655 «With the old Imperial Privy Council, the rapporteur
was always expressly defined by name and where these were strong judicial
personalities the per curiam opinion was invariably evident as their own, solo
work, the deference of collegiality and collegial participation in
decision-making and opinion writing being nominal at best. With other, less
wilful judges as rapporteur, the Privy Council?s per curiam opinions
particularly in the great political causes célèbres begin to
acquire a quality of cloudiness in formulation or non-sequential to the
intellectual qualities of the rapporteur concerned...», MC WHINNEY Edward,
cité note 459, v. p. 26.
656 Selon Lord Denning: «I don?t think any of us would
want to dissent unless we felt strongly about it... I don?t dissent unless I
feel sufficiently strongly in a sense», in PATERSON Alan, cité note
513, v. p. 107.
657 Pour une étude comparative du style des
décisions du juge français, britannique et américain, v.
GOUTAL Jean-Louis: «Characteristics of judicial style in France, Britain
and the USA», AJCL, 1976, pp. 43 à 72.
d?expliquer leurs décisions658. L?emploi des
formules brèves comportant des mots qui se prêtent à toutes
les interprétations, engendre de l?incertitude et la confusion. C?est
pourquoi les juges londoniens expliquent longuement, parfois dans un langage
simplifié et claire, leur raisonnement juridique. Afin que celui- ci
puisse être compris dans le contexte, il est de pratique courante que les
juges décrivent longuement et dans le détail les faits auxquels
se réfère la décision, alors même que ces faits
n?aient pas donné lieu à un différend entre les parties
devant eux659. En raison de l?importance de l?oralité des
débats devant les Lords, ces derniers font nécessairement
référence, dans leur décision, aux arguments et moyens de
droit étayés par les avocats. Les juges passent en revue les
principaux arguments pour exposer ensuite les motifs, parfois surabondants,
pour lesquels ils admettent ou les rejettent660. C?est ainsi qu?ils
font référence aux précédents et aux textes de loi
et principes constitutionnels. Ils les analysent et les discutent souvent
longuement dans le but d?en faire une synthèse. Il s?agit aussi pour les
juges d?éclairer leur successeurs.
Par ailleurs, la décision peut comporter les facteurs
extrajuridiques qui ont aidé le juge à établir son
raisonnement (obiter dictum). Les juges peuvent retenir les
considérations sociales, les possibles effets qu?aurait une
décision dans un sens comme dans l?autre. En ce sens, l?arrêt des
Lords judiciaires peut ressembler à une véritable leçon de
droit constitutionnel, de droit pénal ou de toute autre branche du
droit. Cette méthode est très utile et prend toute son importance
dans un pays comme Maurice où la doctrine est quasi inexistante.
Toutefois, si les motifs et les visas de la décision
sont minutieusement élaborés, les dispositifs de la
décision sont très brefs. S?il s?agit d?un rapport à Sa
Majesté la Reine, la formule sera la suivante: «Leurs Seigneuries
aviseront humblement Sa Majesté en ce sens». S?il s?agit d?un acte
juridictionnel, comme dans le cas de Maurice, le juge londonien dira ou
«le pourvoi est rejeté (appeal dismissed)» ou
«la cassation est prononcée (appeal allowed)».
*
658 MACCORMICK D. N.: «The motivation of judgments in the
Common Law», pp. 167 à 194 in PERELMAN Ch. et FOIRIERS P.: «La
motivation des décisions de justice», Bruxelles, Etablissements
Emile Bruylant, 1978, 428 p.
659 CL: 5 août 1901, Quinn c/ Leathem, AC, 1901, pp. 495
à 543, Lord-Chancelier Halsburry rédacteur de l'arrêt
principal. Il soutient que «tout jugement doit être lu dans
l?optique de son applicabilité à des faits particuliers
prouvés», ibid., p. 506.
660 JOLOWICZ J. A.: «Les appels civils en Angleterre et au
Pays de Galles», RIDC, 1992, pp. 355 à 379.
Que le Comité Judiciaire est peu adapté au
contentieux de masse résulte du cheminement des affaires devant son
prétoire. Chaque dossier est minutieusement et paisiblement
traité par étapes. Au Tribunal de la Downing Street, la
procédure est sereine, loin des passions politiques. Ce qui permet au
Comité Judiciaire d?utiliser des trésors d?énergie et de
compétence pour atteindre le dogme de l?infaillibilité
jurisprudentielle.
Dès à présent, on peut soutenir que le
contentieux constitutionnel mauricien, qui obéït aux règles
de procédure que nous avons analysées, bénéficie
d?emblée d?une forte juridicisation et un fort degré de
considération.
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE I
La légitimité, le prestige et les
qualités de l?institution du Comité Judiciaire, mis de l?avant
tout au long des deux chapitres précédents, ne doivent pas,
toutefois, dissimuler un problème profond, partiellement
évoqué: l?accès des plaideurs mauriciens à cette
même justice. Une justice saine, digne d?une société
démocratique, suppose que tous les justiciables disposent d?un droit
égal à en bénéficier. Un tel principe n?est
guère discutable661. Mais force est de constater que la
lourdeur de la procédure de saisine du juge londonien représente
nécessairement un coût élevé qui défavorise
les plaideurs pauvres. Il est fondamentalement injuste que les moins
fortunés soient dissuadés de défendre leurs droits en
cassation. La justice londonienne leur est d?ailleurs mal connue et
paraît à la fois mystérieuse et lointaine.
On aurait peut-être tort de croire que le Conseil
Privé ne s?est pas efforcé de porter remède à ce
problème. Une aide juridictionnelle avait été
instituée depuis fort longtemps au bénéfice des
justiciables de la Haute Instance londonienne. Mais le système mis en
place, traditionnellement dénommé «formâ
pauperis», est extrêmement restreint. Seuls peuvent en
bénéficier les indigents, c'est-à-dire, les personnes
substantiellement démunies. Le demandeur à l?aide au
Comité Judiciaire doit attester sous serment (by way of affidavit
duly sworn) ne posséder pas plus de £ 500. Ce système
est peu adapté aux réalités du monde moderne. De nos
jours, les lois sont aussi nombreuses que variées. Il en résulte
que le procès atteint des couches de population qui, sans être
vraiment démunies de ressources, ne sont pas suffisamment
fortunées pour introduire un pourvoi à Londres. Sauf à
avoir une conception fort étroite de la démocratie, rien ne
justifie la mise à l?écart de la classe moyenne au droit
d?accès à la juridiction suprême662.
Dans cette perspective, il conviendrait à notre sens,
de prendre des mesures tendant à assurer l?égalité de tous
devant le service public de la justice. L?Etat mauricien, qui est
exempté de toute participation financière au frais de
fonctionnement du Comité Judiciaire, doit en contre partie, instituer un
système
661 CEDH: 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, PCEDH, 1980,
série A, vol. 32, 30 p.
662 «Il ne suffit pas de construire l?Etat de droit au
sommet, il faut l?enraciner à la base. Les responsables politiques,
gouvernants et législateurs, doivent notamment se soucier de faire en
sorte que le plus grand nombre accède à la justice officielle et
les plus faibles sachent que le juge peut les protéger efficacement dans
l?exercice de leurs activités les plus modestes», CONAC
Gérard: «Le juge et la construction de l?Etat de droit en Afrique
francophone», pp. 105 à 119 in MELANGES EN L?HONNEUR DE GUY
BRAIBANT: «L?Etat de droit», Dalloz, 1996, 817 p., v. p. 115.
d?aide juridictionnelle, d?application étendue à la
saisine du Tribunal du Whitehall. Une telle obligation pèse sur la
collectivité publique.
Deux solutions sont envisageables663. Ou l?Etat met
à la disposition des justiciables des auxiliaires de justice, des
avoués et avocats, fonctionnaires rétribués à cet
effet. Ou il rémunère, selon des tarifs adéquats
préétablis, des praticiens du droit exerçant dans le
privé lorsque leurs services sont retenus par des personnes pourvues de
moyens modestes664. Ce deuxième mode emporte notre faveur. Il
permet aux justiciables d?être assistés par des avocats et
avoués les plus éminents et les plus réputés.
663 Pour une étude comparative de l?aide judiciaire, v.
HIRTE Héribert A.: «Access to the courts for indigent persons: A
comparative analysis of the legal framework in UK, US and Germany», ICLQ,
1991, pp. 91 à 123, et sur le système français v. RIALS
André: «L?accès à la justice», PUF, Que sais-je
?, 1993, 126 p.
664 ZANDER Micheal: «L?aide judiciaire aux personnes
pauvres», pp. 41 à 48 in CAPPELLETTI Mauro: «Accès
à la justice et Etat-Providence», Economica, 1984, 361 p., v. p.
43.
TITRE II. L'APPORT DU COMITÉ JUDICIAIRE À
L'EXERCICE DU CONTRÔLE CONSTITUTIONNEL DES NORMES
Le Comité Judiciaire est une institution ambiguë
et peut exercer sur les chercheurs une fascination. Il est toujours
rattaché à la royauté et demeure encore aujourd?hui
à l?égard de certaines colonies665 une juridiction
à vocation impériale ou un élément de la
géostratégie. Aussi est-il devenu au fil de son histoire un
tribunal complètement indépendant, voire autonome à
l?égard de Maurice. Par son extériorité et
l?étendue de son pouvoir juridictionnel, le Comité Judiciaire a
joué un rôle déterminant dans le maintien à Maurice
d?une Constitution de type Westminster, à l?inverse d?autres pays
d?Afrique anglophone où le modèle n?a pas survécu
après l?indépendance à cause des nécessités
du développement économique. Le Comité Judiciaire a
progressivement modelé à Maurice, il est vrai avec une certaine
collaboration de la Cour Suprême locale, un système de
contrôle juridictionnel des Lois, phénomène qui s?est
répandu après la deuxième guerre mais qui a une racine
philosophique profonde dans la tradition juridique de la Common Law.
L?Angleterre pratique depuis fort longtemps un contrôle juridictionnel
fluide des Lois aux grands principes de droit.
Le système mauricien de contrôle (chapitre 1)
s?insère difficilement dans son intégralité dans la
typologie des principaux modèles américain et
européen666 en raison de ses originalités. En effet,
il importe de souligner que l?île Maurice est un des rares pays unitaires
où peut s?exercer un contrôle juridictionnel des Lois par la voie
d?action (direct control of legislative acts) sur la base d?un double
contrôle juridictionnel par deux juridictions de hiérarchie
différente. Le contrôle constitutionnel peut aussi s?effectuer par
la voie d?exception alors que dans certaines grandes démocraties, les
Etats-Unis et la France notamment667, un seul des deux types est
pratiqué668.
Le modèle mauricien, reproduit dans d?autres pays du
Commonwealth, est peut-être un troisième grand modèle
regroupant les bienfaits des deux modèles.
665 A l?égard de Hongkong principalement.
666 PLILLIP Loïc: «Les cours
constitutionnelles», in GRAWITZ Madelaine et LECA Jean:
«Traité de science politique: les régimes politiques
contemporaines», PUF, 1985, 4 vol., v. vol. 3, p. 442 le tableau des
modèles de justice constitutionnelle.
667 Sur le cumul du contrôle abstrait et concret, v.
PEYROU-PISTOULEY Silvie: «La Cour Constitutionnelle et le contrôle
des Lois en Autriche», Economica, 1993, 455 p.
668 Le projet français d?instaurer un contrôle
concret préjudiciel n?a pas abouti. V. MATHIEU Bertrand: «La
saisine du Conseil Constitutionnel: l?exception d?inconstitutionnalité
et l?Etat de droit», LPA, 4 mai 1992, n° 54, pp. 50 à 52.
Le système de contrôle mauricien veut être
très libéral en ce sens qu?il permet la censure d?une Loi ou
autre norme à tout moment de son existence.
Comment le juge londonien a-t-il mis en oeuvre ce
système de contrôle ? Quel bilan peut-on tirer de la pratique ? En
répondant à ces questions il nous sera aussi possible d?affirmer
que le Comité Judiciaire a considérablement transformé la
notion de Constitution à l?île Maurice comme dans d?autres pays du
Commonwealth. La Constitution n?est plus seulement une Loi Fondamentale mais
est en pleine vitalité. La Constitution mauricienne est devenue une
charte jurisprudentielle des droits et des libertés
véhiculés par le juge londonien. La liste des droits et des
libertés constitutionnels n?est pas close mais est
développée et affermie au fil des décisions du
Comité Judiciaire et éventuellement celles de la Cour
Suprême qui reprennent les grandes politiques jurisprudentielles
définies par le juge de la Downing Street (chapitre 2). Par sa
jurisprudence, le Comité Judiciaire a conféré à la
Constitution mauricienne une effectivité sans doute substantiellement
non envisagée par le constituant britannique.
CHAPITRE 1. LA RICHESSE DU SYSTÈME MAURICIEN DE
CONTRÔLE MODELÉ PAR LE COMITÉ JUDICIAIRE
L?analyse du système mauricien du contrôle de
constitutionnalité exige au préalable un examen de ses origines
et inspirations. Il ne faut pas perdre de vue que le système mauricien a
été conçu par la Grande-Bretagne et est mis en oeuvre par
des hauts magistrats britanniques. Il n?a pas pris naissance et n?évolue
pas indépendamment du constitutionnalisme du Commonwealth, l?Angleterre
incluse. Ce postulat nous conduit à l?analyser dans son cadre doctrinal
et jurisprudentiel (section 1).
Ensuite seulement, dans un deuxième temps, pourront
être examinés les moyens et les techniques utilisés par le
juge londonien pour contrôler la Loi et les normes inférieures
à la Constitution à Maurice (section 2).
SECTION 1. LE CONSTITUTIONNALISME DANS LES PAYS DE LA
FAMILLE DE COMMON LAW ET À MAURICE
Il ne fait aucun doute que l?Angleterre a contribué
à la concrétisation du constitutionnalisme au monde669
depuis le dix-huitième siècle, par l?influence de ses grands
théoriciens et la pratique de ses tribunaux, notamment le Conseil
Privé et, encore aujourd?hui dans une certaine mesure, la Chambre des
Lords et les juridictions suprêmes de ses anciennes colonies
(sous-section 1).
Le constitutionnalisme mauricien, transmis par l?ancienne
métropole est particulièrement sophistiqué et
prévoit tout un mécanisme luxueux de contrôle
juridictionnel des normes (sous-section 2) tel que développé dans
le Commonwealth.
Sous-section 1. Le constitutionnalisme en
Angleterre et dans le reste du Commonwealth
Bien avant la naissance du constitutionnalisme dans le
Commonwealth (paragraphe 2), s?était développée au
Royaume-Uni une théorie permettant aux tribunaux de limiter et amenuiser
l?action du Souverain et du Parlement dans certaines circonstances. Cette
pratique se perpétue encore aujourd?hui (paragraphe 1). On ne saurait
faire l?économie d?une présentation du constitutionnalisme
britannique.
Paragraphe 1. En Angleterre
Si le concept de la Souveraineté du Parlement (B), le
légicentrisme prôné par Albert Venn Dicey est,
théoriquement du moins, au coeur des institutions politiques
britanniques, il n?en demeure pas moins vrai qu?il existe en Angleterre des
Lois Fondamentales faisant partie de ce que l?on pourrait appeler aujourd?hui
un bloc de constitutionnalité (A) distinct des Lois ordinaires.
Il convient d?analyser et démontrer comment se concilient
en Angleterre ces deux notions antinomiques.
669 Sur la migration du constitutionnalisme britannique aux
Etats-Unis d?Amérique v. STONER James Reist: «Common Law and
liberal theory: Coke, Hobbes and the origin of American
constitutionalism», University Press of Kansas, 1982, 287 p.
A. Les Lois fondamentales ou le bloc de
constitutionnalité
Deux catégories de normes fondamentales sont à
distinguer: les normes écrites (a) et celles dites «non
écrites» ou jurisprudentielles (b). Une telle classification,
classique chez les juristes, pourra apporter quelque rationalité
à un système très riche.
a. Les normes écrites
Il est scientifiquement erroné de soutenir que la
Constitution britannique est totalement non écrite et ou simplement
coutumière tant il existe en Grande- Bretagne plusieurs textes à
valeur constitutionnelle670. L?affirmation contraire ne nous
paraît pas pouvoir être conservée. La Grande Charte
(Magna Carta) de 1215, votée par le Parlement anglais avant
même la création de la Grande - Bretagne et qui est toujours en
vigueur671, a posé de grands principes de droit portant sur
l?indépendance de l?Eglise, sur l?administration de la Cité de
Londres, la liberté individuelle et la protection contre l?arbitraire.
De même, les Pétitions des droits (Bill of Rights), de
1628 et de 1689 notamment protègent les individus contre l?arrestation
arbitraire, rétablissent la monarchie constitutionnelle, fondent le
principe de l?immunité parlementaire, le droit du détenu à
la liberté provisoire et affirment la prééminence des lois
du pays sur le droit discrétionnaire du Roi. La Loi d?Etablissement
(Act of Settlement) du 12 juin 1701 dispose que le Souverain doit se
conformer à la communion de l?Eglise d?Angleterre et que les juges sont
inamovibles672. Par ailleurs, d?autres textes,
particulièrement les Lois sur le Parlement de 1949 et de 1958 et le
Statut de Westminster de 1937 (qui politiquement ne peut plus être
révisé), régissent les rapports entre les principales
institutions publiques. Seul le fonctionnement du Cabinet échappe
substantiellement à la législation et est régi par les
conventions constitutionnelles673.
Certes, ces textes n?ont pas en droit strict une force
surpalégislative mais disposent d?une forte autorité morale qui
politiquement leur confère un caractère supérieur aux Lois
ordinaires. La Constitution britannique est dite souple dans la mesure
où le droit constitutionnel matériel n?est pas
formalisé.
670 Il faut néanmoins souligner que les normes
constitutionnelles britanniques ne diffèrent pas profondément des
normes ordinaires quant à leur mode d?élaboration. Le Parlement
britannique est à la fois une assemblée constituante et
législative.
671 Sur le rôle de la Grande Charte en droit positif
anglais, v. HOLT J. C.: «Magna Carta», Cambridge, Cambridge
University Press, 1994, 2e édition, 553 p.
672 OBERDOFF Henri: «Les Constitutions de l?Europe des
douze», La Documentation Française, 1994, 391 p., v. p. 165
à 175 sur la Constitution écrite anglaise.
673 UWANNO Boworsnak: «Les conventions de la Constitution en
Grande-Bretagne», thèse, Université de Paris X, 1982, 544
p.
D?un point de vue technique, les Lois constitutionnelles
peuvent être révisées selon la procédure ordinaire
de vote de la Loi674. Cette conception doit être
nuancée. Il existe une pratique constante à la Chambre des Lords
qui veut que les rares projets de loi constitutionnelle soient examinés
avec plus d?attention par une commission élargie des pairs actifs de la
Chambre alors que les projets de loi ordinaires ne sont examinés que par
une commission restreinte675.
Si l?objectif d?une Constitution formalisée est
d?assurer la stabilité de la Norme Fondamentale, le constitutionnalisme
britannique est, sur ce plan, une très grande réussite. La
Grande-Bretagne est un des rares pays à avoir connu une histoire
constitutionnelle continue et suffisamment pacifique. Sa Constitution
apparaît comme le fruit d?une lente et constante évolution alors
que des pays qui ont des Constitutions écrites ont connu, pour la
plupart, des renversements constitutionnels violents.
La Constitution britannique est, en Europe, la plus ancienne.
Sans doute l?Angleterre eut-elle bien l?initiative dans l?essor du
constitutionnalisme moderne: l?écriture des droits fondamentaux.
Cependant, il ne faut perdre de vue que le droit fondamental
britannique comporte une part non moins importante de normes
jurisprudentielles.
b. Les normes jurisprudentielles
Le droit britannique se distingue de la famille juridique
romano- germanique sur le point suivant. L?énonciation des grands
principes du droit s?y effectue aussi dans une large mesure par les
juridictions. La Loi n?apporte que des correctifs et additifs aux principes du
droit commun (la Common Law) créé par le juge676.
L?Angleterre est ainsi, peut-on dire, un Etat de jurisprudence.
La Common Law peut être divisée en deux
catégories de normes jurisprudentielles. La première
catégorie est composée de normes techniques et ordinaires et la
deuxième, de normes fondamentales qui constituent les grands
674 A titre comparatif, il convient de souligner que dans tous
les pays d?Europe une part importante du droit constitutionnel échappe
à la formalisation. Tel est, par exemple, le cas en France des lois
électorales. Aussi, une part des règles provient des conventions
constitutionnelles. Pour s?en tenir qu?à la France, le droit
parlementaire y est largement coutumier. V. AVRIL Pierre et GICQUEL Jean:
«Droit parlementaire», Monchrestien, 1988, 261 p., v. p. 12 à
22.
675 BRADLEY A. W. et EWING K. D., cité note 549, v. p.
16.
676 V. ATTIYAH P. S.: «Common Law and Statute law»,
MLR, 1995, pp. 317 à 320.
principes du droit anglais677. Albert Venn Dicey
soutenait à juste titre que la Common Law contient en elle les garanties
posées par la Déclaration des Droits des Etats-Unis
d?Amérique de 1787678. La Common Law consacre, par exemple,
le principe de la séparation des pouvoirs, l?indépendance de la
justice et l?impartialité des juges, les principaux droits de la
défense et le principe d?une justice équitable et impartiale
(rules of natural justice), la liberté individuelle et la
liberté d?expression679 , autant de principes
jurisprudentiels qui ont été ensuite formalisés dans les
Constitutions du Commonwealth. Aussi, le concept du principe de
légalité ou règne du droit? (rule of
law)680 permet aux tribunaux de contrôler
l?Administration et les actes de prérogative royale et
éventuellement des lois681 sans pour autant les censurer
formellement.
Il semble que la Common Law de nature constitutionnelle forme
un corps de règles supérieures aux Lois (Acts of
Parliament). Cette doctrine682 fut appliquée par Lord
Coke dans la célèbre affaire du Docteur Bonham en 1610. Lord Coke
considérait que: «Nos recueils montrent que dans de nombreux cas,
la Common Law revient sur des actes du Parlement (Lois) et parfois les
déclare absolument nuls. Car si un acte du Parlement est contraire au
droit et au sens commun, ou répugnant ou inapplicable, la Common Law
reviendra dessus et le déclara nul»683. Lord Coke part
de l?idée selon laquelle la Common Law n?est que la Raison. En tant que
telle, elle s?impose au pouvoir législatif684.
677 DIXON Owen, Sir: «The Common Law as the ultimate
constitutional foundation», ALJ, 1957, vol. 31, pp. 240 à 254.
678 BARENDT Eric: «Dicey and civil liberties», PL,
1985, pp. 596 à 608.
Lord Scarman affirme que: «When the Americans made into
fundamental constitutional law what they saw as the basic rights vouchsafed to
them by the heritage of Common Law...», in CL: 11 février 1982,
Harman c/ Secretary of State for Home Department, AC, 1983, pp. 280 à
327, Lord Diplock rédacteur de l?arrêt principal, publié
aussi in ALLEN Micheal, THOMPSON Brian et WALSH Bernadette: «Cases and
materials in constitutional and administrative law», Blackstone Press
Ltd., 1990 537 p., v. p. 302.
Un autre auteur estime que: «The Common Law, British
justice and remedies such as habeas corpus and the prerogative writs were
regarded as of mere worth in protecting the individual than elaborate and
exotic list of abstract rights in foreign countries», LESLIE Zines:
«Constitutional change in the Commonwealth», Cambridge University
Press, 1991, 118 p., v. p. 33.
679 HEARN Micheal: «Grande-Bretagne: Liberté et
Constitution», RPP, mai-juin 1992, pp. 63 à 66.
680 Le règne du droit? en droit anglais peut
être rapproché de la notion française de l?Etat
de droit?. V. RAZ J.: «The rule of law and its virtue», LQR, pp. 195
à 202 et aussi ALLAN T. R. S.: «Law, liberty and justice, the legal
foundation of British constitutionalism», Oxford, Clarendon Press, 294 p.,
v. p. 4. «In the absence of a higher constitutional law proclaimed by a
written Constitution and venerated as a source of unique legal authority, the
rule of law serves in Britain as a form of Constitution. It is in this
fundamental sense that Britain has a Common Law Constitution», ibid.
681 ALLAN T. R. S.: «Legislative supremacy and the rule
of law: Democracy and constitutionalism», CLJ, 1985, pp. 111 à
143.
682 PLUCKNETT Théodore F. T.: «Bonham?s case and
judicial review», HLR, 1926-27, vol. XL, pp. 30 à 70.
683 Banc du Roi: 1610, Affaire du Dr Bonham, ER, King?s Bench,
vol. 77, pp. 646 à 658, Lord Coke rédacteur de l'arrêt, v.
p. 652. «And it appears that in our books that in many cases the Common
Law will control Acts of Parliament and sometimes adjudge them to be utterly
void. For when an Act of Parliament is against common right or reason or
repugnant or impossible to be performed, the Common Law will control it and
adjudge such act to be void», ibid.
Cette idée n?a pas expressément triomphé
en Angleterre. Le contrôle constitutionnel direct et exprès des
Lois n?y est pas pratiqué685. Mais le juge britannique
n?applique vraiment une Loi qu?après l?avoir
interprétée686 ou même après l?avoir
rendue conforme aux grands principes de la Common Law687. Cette
méthode ressemble à celle de l?interprétation constructive
et neutralisante employée par le juge constitutionnel français et
les Lords du Conseil Privé.
Le contrôle par l?interprétation est susceptible
de revêtir deux formes. Premièrement, toute législation est
interprétée de telle manière à ce que soient
évités les conflits avec les droits fondamentaux de la Common
Law. Le deuxième type d?interprétation implique une
présomption encore plus nette en faveur de la liberté.
En effet, une disposition qui transgresse clairement et
ouvertement un droit protégé par la Common Law est
réputée comme non écrite à moins qu?elle ne soit
précédée d?une déclaration sans équivoque
faisant ressortir que le contenu de la Loi en question produit son effet en
dépit de tel principe de la
V. GOUGH John Wiedhoff: «L?idée de la Loi
fondamentale dans l?histoire constitutionnelle anglaise», PUF,
Léviathan, 1992, 250 p., v p 40.
684 BEAUTE Jean: «Un grand juriste anglais: Sir Edward
Coke 1552-1634», PUF, 1975, 230 p., v. p. 72 à 82.
685 Les idées de Lord Coke ont été
toutefois reprises par certains théoriciens du droit, dont Arthur
Goodhart. Ce dernier prônait la soumission du Parlement au droit.
«... under the unwritten Constitution there are certain established
principles which limit the scope of Parliament... Those who exercise power in
the name of the State are bound by law and there are certain definite
principles which limit the exercise of that power», GOODHART Arthur:
«English law and moral law», Londres, Stevens and Sons, The Hamlyn
Lectures, 1953, 151 p., v. p. 55 et 61.
686 «Les principes contenus dans la Loi ne sont...
pleinement reconnus par les juristes de la Common Law que lorsqu?ils ont
été appliqués, formulés et développés
par des décisions de la jurisprudence», DAVID Réné et
JAUFFRET-SPINOSI Camille, cité note 48, v. p. 317.
687 «A court either not having the power to annul or
override enactments of the legislative as unconstitutional? says, in
effect, in the process of interpretation of a Statute that the legislative may
or may not have the claimed legislative power, but, it has not, in the language
it has used in the enactment now in question, employed that power. This latter
type of judicial action, a form of indirect judicial review frequently referred
to as «judicial braking» though it will be significant principally in
the case of countries with flexible, uncontrolled Constitutions like the United
Kingdom...», MC WHINNEY Edward, cité note 438, v. p. 13.
«There is a constant control exercised by the
interpretation of courts... and there is the dominant principle never absent in
the mind of judges, that the Common Law is wider and more fundamental than
Statute and that wherever possible legislative enactments should be construed
in harmony with established Common Law principles rather than in antagonism
with them», CARELETON Kemp Allen, Sir: «Law in the making»,
Oxford, Clarendon Press, 1964, 649 p., v. p. 456.
V. par exemple, un arrêt récent de la Haute Cour,
Division du Banc de la Reine, HC: 9 février 1994, Regina c/ Chief
Constable of South Wales, ex parte Mennick, WLR, 1994, vol. 1, pp. 663 à
680, le Lord-Juge Gibson rédacteur de l'arrêt principal. Il
interprète constructivement la Loi sur la police et les preuves
(Police and Criminal Evidence Act) de 1984 qui confère à
toute personne détenue au commissariat le droit de consulter un
avoué. Le juge considère que cette Loi ne restreint pas la Common
Law qui accorde à toute personne détenu le droit à un
conseil à tous les stades de la procédure même lorsque
celui-ci ne se trouve pas au commissariat. «The right of a person in
custody of a court to consult a Solicitor can, in my judgment, be no less than
that of a person in detention in the course of investigation of a suspected
offence under the rules of Common Law which preceded the Act of 1984 and which
were not abrogated by the Act», ibid., pp. 675-76.
Common Law688. Une dérogation expresse aux
droits fondamentaux est nécessaire mais est politiquement difficile
à obtenir. Par ailleurs, le juge britannique, dans son contrôle
concret des lois, se permet de critiquer fermement celles-ci pour leurs
ambiguïtés689. Certes le Parlement conserve toujours la
faculté de corriger toute interprétation judiciaire
considérée comme erronée à travers une nouvelle
législation mais les principes constitutionnels de la Common Law sont
des normes quasi immuables et font surtout partie des principes
généraux du droit commun des Etats membres de l?Union
Européenne690. De surcroît, ils sont
érigés en normes supranationales.
La supériorité de la Common Law
jurisprudentielle est dissimulée et n?est jamais proclamée
expressément par le juge britannique sans doute pour des raisons tenant
à l?image démocratique691 du système
institutionnel du Royaume- Uni. On peut sérieusement se demander si la
supériorité de la Common Law ne se cache pas derrière le
principe, fictif, mais affirmé avec vigueur, de la souveraineté
du Parlement.
B. La souveraineté du
Parlement
La doctrine de la souveraineté du Parlement est
considérée comme le principe fondateur du droit constitutionnel
britannique moderne. Le concept demeure très vivant (a) malgré
les évolutions et les aménagements qui y sont formellement
apportés (b) pour les besoins de la construction européenne.
a. Le concept
Selon Albert Venn Dicey, la «Reine d?Angleterre en Son
Parlement» (the Q ueen of England in Her Parliament) peut faire
ou abroger toute loi et aucune
688 «There is a presumption which can be stated in
various ways. One is that in the absence of any clear indication to the
contrary, Parliament can be presumed not to have altered the Common Law further
than was necessary to remedy the mischief», CL: 5 mars 1975, BlackClawson
International Ltd. c/ Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg, AC, 1975, pp. 591
à 652, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal, v. p.
614.
689 Selon Lord Diplock: «But what the law is... ought to
be plain. It should be expressed in terms that must be easily understood by
those who have to apply it... Absence of clarity is destructive of the rule of
law: it encourages those who wish to undermine it», CL: 21 avril 1983,
Merkur Island Shopping Company c/ Loughton, WLR, 1983, vol. 2, pp. 778 à
791, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt de l?arrêt
principal.
690 PESTACORE Pierre: «Le recours dans la jurisprudence
de la Cour de Justice des Communautés Européennes à des
normes déduites de la comparaison des droits des Etats membres»,
RIDC, 1980, pp. 337 à 359.
691 La Grande-Bretagne est une société qui est
restée fortement aristocratique. Le premier personnage de l?Etat n?est
pas désigné par le suffrage universel et n?est responsable devant
personne. Le Parlement n?est que partiellement démocratisé. Seuls
les membres de la Chambre des Communes sont élus par des
électeurs au suffrage universel.
autre autorité ne peut annuler une Loi692.
La source de toute norme est Sa Majesté en Son Parlement693.
Les textes législatifs s?imposent à tous et sont, en
théorie, supérieurs aux autres sources de droit694. Le
Parlement est totalement libre dans sa législation695. La Loi
est exaltée comme dans la Constitution française de 1791. Les
tribunaux n?ont le pouvoir de contrôler ni la validité interne ni
externe d?une Loi promulguée696. Les juges ne doivent
être que la bouche de la loi. Aussi, le principe de la
souveraineté du Parlement implique que le législateur n?a pas la
faculté de restreindre le contenu futur de la loi par autolimitation ou
limiter le pouvoir de son successeur697. Le Parlement doit disposer
en permanence des mêmes pouvoirs et ne peut pas abandonner sa
souveraineté.
Albert Venn Dicey concevait toutefois un auto contrôle
du Parlement lui- même afin de respecter les valeurs
constitutionnelles698. En réalité, le principe
même de la souveraineté du Parlement repose sur une convention
constitutionnelle et des moeurs propres à l?Angleterre qui sont des
garde-fous du système 699.
692 DICEY Albert Venn KC, cité note 26. Il écrit
que: «... that no person or body of persons who can, under the English
Constitution, make rules which override or derogate from an Act of Parliament
or which will be enforced by the courts in contravention of an Act of
Parliament», ibid. p. 40.
693 BELL John: «Que représente la
souveraineté pour un britannique ?», Pouvoirs, 1993, n° 67,
pp. 107 à 116.
694 «First there is no law which Parliament cannot
change... Secondly, there is under the English Constitution no marked or clear
distinction between laws which are not fundamental or constitutional»,
DICEY Albert Venn KC, cité note 26, v. p. 88-89.
695 HAGUENAU Catherine: «Le domaine de la Loi en droit
français et droit anglais», RFDC, 1995, pp. 247 à 285.
696 CL: 22 mars 1842, The Proprietors of the Edinburg and
Dalkeith Railway Company c/ John Wauchope, ER, House of Lords, vol. 8, pp. 279
à 285, Lord Cottenham rédacteur de l'arrêt, rapporté
par C. Clark et W. Finneley, publié également in HOOD Phillips
O.: «Leading cases in Constitutional and Administrative law»,
Londres, Sweet and Maxwell, 1973, 4e édition, 395 p., v. p. 1 à
3. Le juge indique que: «All that a court of justice can do is to look to
the Parliament roll. If from that it should appear that a Bill has passed both
Houses and received the Royal assent, no court of justice can inquire into the
mode in which it was introduced into Parliament, nor into what was done
previous to its introduction, or what passed in Parliament during its progress
in its various stages through both Houses».
V. aussi WINTERTON George: «Parliamentary supremacy and
the judiciary», LQR, 1981, pp. 265 à 274.
697 Ceci constitue une des raisons pourquoi il demeure
techniquement difficile de doter l?Angleterre d?une Constitution écrite,
une Déclaration des droits à valeur supralégislative. V.
ANDREWS Neil H.: «L?Angleterre doit-elle adopter une déclaration
des droits assortie d?un contrôle juridictionnel des lois», AIJC,
1989, pp. 35 à 56. V. également DWORKIN Ronald: «A bill of
rights for Britain», Londres, Chatto and Windus, 1990, 57 p. L?auteur
conteste l?interdiction faite au Parlement de limiter sa compétence, v.
p. 26.
698 «The rule, therefore, that Parliament must meet once
a year, though in strictness a constitutional convention which is not a law and
will not be enforced by the courts, turns out nevertheless to be an
understanding which cannot be neglected», DICEY Albert Venn KC,
cité note 26, v. p. 448-9.
699 «The boundaries of (legislative) sovereignty must be
determined in the light of the prevailing moral and political climate when
difficult questions of constitutional authority arise», ALLAN T. R. S.:
«The limits of Parliamentary Sovereignty», PL, 1985, pp. 614 à
629, v. p. 627.
D?autres théoriciens, Sir William
Blackstone700 et John Locke notamment, pensent que le pouvoir
parlementaire doit être limité et respectueux des droits
naturels701. Toutefois cette idée de la
supériorité des droits naturels doit relever de la morale et la
Raison car aucune sanction juridictionnelle n?est prévue en cas de
méconnaissance par le législateur de ces droits fondamentaux.
John Locke ne prévoit qu?un hypothétique droit à la
résistance du peuple le cas échéant.
En revanche, certains hauts magistrats, dont Lord Woolf of
Barnes, souscrivent à la thèse selon laquelle au cas où le
Parlement méconnaît manifestement les droits fondamentaux, le juge
sera alors tenu de sanctionner ouvertement la Loi702. Dans la
pratique, si un projet de loi apparaît violer un principe
général de Common Law, les Lords judiciaires, en tant que
parlementaires, feront connaître leurs points de vue dès le stade
de la discussion sur le projet ou même dès sa
préparation703 et le gouvernement prend soin de se conformer
aux avis juridiques des Lords judiciaires.
b. Les aménagements
Bien qu?il n?y a pas eu en Angleterre de revirement de
jurisprudence de type opéré dans l?arrêt
Nicolo704 en France pour consacrer en droit interne la
primauté de la norme européenne sur la Loi, le juge anglais
respecte et applique le principe de la supériorité du droit
communautaire posé par la Cour de Justice des Communautés
Européennes. En effet, la Loi anglaise sur les Communautés
Européennes de 1972705 dispose que les normes juridiques
doivent être interprétées dans le sens qui les rend
conformes aux stipulations des Traités
700 Selon William Blackstone, le législateur doit
légiférer en respectant les droits naturels. «This law of
nature, being co-equal with mankind and dictated by God himself, is of course
superior in obligation to any other. It is binding over all the globe, in all
countries, and at all times. No human laws are of any validity if contrary to
this and such of them as are valid derive all their force and all their
authority, mediately or immediately from this original», BLACKSTONE
William, Sir: «Commentaries on the laws of England», vol. 1, «Of
the Rights of persons» (1765), The University of Chicago Press, 1979, 473
p., v. p. 41.
701 Ainsi, la loi de nature subsiste comme une règle
éternelle pour tous les autres», LOCKE John: «Essai sur le
pouvoir civil», Bibliothèque de la Science Politique, PUF, 1953,
223 p., v. p. 151, paragraphe 135. V. également STRAUSS Léo et
CROSPEY Joseph: «Histoire de la philosophie politique», PUF,
Léviathan, 1994, 1076 p., v. p. 533.
702 «If Parliament did the unthinkable, then I would say
that the courts would also be required to act in a manner which would be
without precedent... I myself would consider there were advantages in making it
clear that ultimately there are even limits on the supremacy of Parliament
which it is the courts? inalienable responsibility to identify and
uphold», WOOLF of Barnes, Lord, The Right Honourable: «Droit public,
English style», PL, 1995, pp. 57 à 71, v. p. 69.
703 V. par exemple, DYER Clare et TRAVIS Alan: «Judge
scorns idea of fixed jail sentences», The Guardian Weekly, 17 mars 1996,
p. 8.
704 CE: 20 octobre 1989, affaire Nicolo, RDCE, 1989, pp. 190
à 199, conclusion du commisaire du gouvernement Frydman.
705 Loi du 17 octobre 1972 sur les Communautés
Européennes (European Communities Act), LRS, 1972, pp. 1947
à 1983.
instituant la Communauté et aux normes
dérivées706. L?article 3 de la même Loi affirme
l?autorité supérieure de la jurisprudence de la Cour de Justice
des Communautés sur celle des cours anglaises707. Ces
dernières n?ont manifesté aucune réticence à
l?égard de la nouvelle hiérarchie des normes (la
supériorité du droit européen sur le droit national) et se
sont ralliées assez tôt au mécanisme de sanction de la
primauté du droit communautaire.
En pratique, le juge anglais tend d?abord à
réconcilier la norme interne à la disposition
européenne708. Au cas où le juge anglais ne peut
estomper le conflit entre les deux normes, il écarte la norme
interne709. Ainsi, le juge anglais, comme son homologue
français, opère aujourd?hui un contrôle de
conventionnalité de la Loi qui est en réalité un
contrôle de constitutionnalité
déguisé710.
La Loi anglaise est désacralisée et le dogme de
la souveraineté de la Loi affaibli. Le juge exerce un contrôle de
l?applicabilité de la Loi. Même s?il ne l?annule pas, il
l?écarte du procès et l?exception d?inconventionnalité
devient pour les justiciables britanniques un moyen efficace de protection de
leurs droits fondamentaux.
Par ailleurs, si la Convention Européenne des Droits de
l?Homme du Conseil de l?Europe n?a pas été incorporée en
droit interne britannique, le juge
706 L?article 2-4 de la Loi sur les Communautés
Européennes de 1972 dispose que: «... any such provision as may be
made by Parliament and any enactment passed and to be passed... shall be
construed and have effect subject to the foregoing provisions of this
section».
707 DE BERRANGER Thibault: «Constitutions nationales et
constitution communautaire», LGDJ, Bibliothèque de droit public,
1995, 564 p., v. p. 114 à 119.
708 CL: 22 avril 1982, Garland c/ British Rail Engineering
Ltd., AC, 1983, vol. 2, pp. 751 à 772, v. arrêt de Lord Diplock.
Il souligne que: «... it is a principle of construction of the United
Kingdom that a Statute passed after the Treaty (of Rome) has been signed and
dealing with the subject matter of the international obligation of the United
Kingdom, are to be construed, if they are reasonably capable of bearing such
meaning, as intended to carry out the obligation, and not to be inconsistent
with it».
WADE H. W. R.: «What has happened to the Sovereignty of
Parliament ?», LQR, 1991, pp. 1 à 4 et WINTERTON George: «The
British Grunnorm: Parliamentary supremacy re-examined», LQR, 1976, pp. 591
à 617.
709 CA: 19 juillet 1979, Macarthys Ltd c/ Smith, ICR, 1979,
pp. 785 à 799, Lord Denning rédacteur de l'arrêt. Il fait
ressortir que: «In construing our Statute, we are entitled to look to the
treaty as an aid to its construction, and even more, not only as an aid but as
an overriding force. If on close investigation it should appear that our
legislation is deficient -or is consistent with community law- by some
oversight of our draftsmen, then it is our bounden duty to give priority to
community laws», ibid., p. 789.
Dans une décision ultérieure concernant la
même affaire, CA: 17 avril 1980, Macarthys Ltd c/ Smith, QBD, 1981, pp.
180 à 202, Lord Denning soutient que: «... the provisions of
article 119 of the European Economic Community Treaty take priority over
anything in our English Statute on equal pay which is inconsistent with article
119», ibid., p. 200.
710 WOOLRIDGE Frank et D?SA Rose: «The House of Lords as
a constitutional court, the EOC case», BLR, 1994, pp. 180 à 185.
Les auteurs soulignent que: «...the House of Lords effectively treated as
unconstitutional relevant provisions of an Act of Parliament because they could
not objectively be justified and were therefore incompatible with community
law», ibid., p. 181. V. WADE William H. R., Sir, QC: «Sovereignty -
Revolution or evolution ?», LQR, 1996, pp. 568 à 575.
cherche à mettre la Loi en conformité avec
elle711. Il existe une présomption selon laquelle le
législateur n?a pas voulu méconnaître la norme de la
Convention712.
Le constitutionnalisme britannique est complexe. Aussi est-il
camouflé à la différence de celui du Commonwealth.
Paragraphe 2. Dans le Commonwealth
Le constitutionnalisme dans le Commonwealth713 est
plus affirmé et manifesté qu?en Grande-Bretagne714. La
Constitution y prend toute sa dimension tant sous l?angle
matériel715 que formel. Les pays du Commonwealth sont, du
moins dans leur essence, des Etats de droit constitutionnel (A) où la
hiérarchie des normes est sanctionnée ouvertement par le juge
(B).
A. L'Etat de droit constitutionnel
La Constitution forme dans les anciennes colonies britanniques,
dont l?île Maurice, un bloc de normes suprêmes (a) et rigides
(b).
a. La suprématie de la Constitution
Dans les nouveaux Etats du Commonwealth, la Constitution
acquiert une dimension formelle et se distingue de la Constitution anglaise
qualifiée de souple et non formelle. Le droit a gagné dans le
Commonwealth une structure hiérarchique conformément à la
doctrine de Hans Kelsen716. Les grands principes de la Common Law
sont constitutionnalisés.
Norme Fondamentale, la Constitution doit être
respectée par tous les pouvoirs publics. La pyramide des normes part de
la Constitution et il importe
711 BELL John: «Le règne du droit et le
règne du juge. Vers une interprétation substantielle de l?Etat de
droit», pp. 15 à 28, in MELANGES EN L?HONNEUR DE GUY BRAIBANT:
«L?Etat de droit», Dalloz, 1996, 817 p., v. p. 20.
712 CL: 1er mai 1974, Waddington c/ Miah, WLR, 1974, vol. 1,
pp. 683 à 696, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal, v.
p. 694.
713 MARSHALL Geoffrey: «Parliamentary sovereignty and the
Commonwealth», Oxford, Clarendon Press, 1957, 277 p.
714 Historiquement, la suprématie constitutionnelle
s?explique par le fait que les colonies anglaises avaient été
fondées par des compagnies privées. Elles étaient
administrées en conformité aux chartes octroyées par la
Couronne. Ces chartes représentaient les premières constitutions
et s?imposaient à ceux qui faisaient les lois dans les colonies.
715 La Constitution nigériane de 1959 constitue un
nouveau type de Constitution octroyée par le Grande-Bretagne. Le champ
constitutionnel est élargi. La Constitution n?est plus seulement un
ensemble de règles portant sur les pouvoirs publics, mais comporte aussi
un catalogue dynamique des droits fondamentaux.
716 KELSEN Hans: «Théorie pure du droit»,
(1960), Suisse, Edition de la Baconuière, 1988, 296 p., v. chapitre IX,
p. 131 et s.
de vérifier la régularité de la Loi
à son égard717. La Loi est création du droit
vis- à-vis du règlement mais en est application vis-à-vis
de la Constitution de sorte que celle-là est soumise à celle-ci.
Pour être effective, la supériorité de la Constitution peut
être vérifiée et les atteintes qui lui sont portées
pourront être sanctionnées. Le contrôle de la
constitutionnalité des normes, la Loi aussi bien que les
règlements, est confié à l?organe juridictionnel. Les
juges ont pour mission de rendre concrètes et faire appliquer les
formules inévitablement vagues que comporte les Constitutions. De cette
manière, les valeurs proclamées sont destinées à
devenir des réalités politiques. En ce sens, la notion de l?Etat
de droit constitutionnel dépasse celle de l?Etat légal.
b. La rigidité de la Norme Fondamentale
La rigidité des Constitutions dans le Commonwealth
renforce leur suprématie. La Constitution ne peut pas être
révisée par une loi ordinaire, comme c?est le cas
théoriquement en Angleterre. La révision est un acte
institué, prévu par la Constitution elle-même. Elle doit
obéir à des règles précises de forme comme de
fond718. En général, la procédure de
révision prévue est largement dérogatoire à la
procédure législative normale. Dans certains pays du
Commonwealth, la révision ne peut intervenir qu?après
l?expiration d?un certain délai entre la proposition de révision
et le vote. Dans d?autres Etats du Commonwealth, la Loi constitutionnelle ne
peut être adoptée qu?à une majorité renforcée
ou qualifiée. Aussi, pour certaines révisions, l?adoption
nécessaire du texte par référendum est prévue.
Davantage encore, la compétence du constituant
dérivé ou constitué, par opposition au constituant
originaire, n?est pas totale. Un noyau de dispositions ou de principes
jugés intangibles sont soustraits à la révision. Il existe
dans les Constitutions du Commonwealth un groupe de normes dites
«supraconstitutionnelles»719 se rapportant à
certaines valeurs, telles la séparation des pouvoirs, la
démocratie ou encore la forme républicaine du gouvernement. Une
hiérarchie des normes constitutionnelles a été
opérée par le
717 La Constitution nigériane de 1959 dispose dans son
article 5, alinéa 1er que toute loi contraire à la Constitution
serait nulle. Cette disposition fondamentale est reprise par toutes les
Constitutions octroyées par la Grande-Bretagne par la suite. V. article
2 de la Constitution de Maurice de 1968.
718 CJCP: 25 juillet 1967, Mohamed Samsudeen Kariapper c/ S.
S. Wijesinha, WLR, 1967, vol. 3, pp. 1460 à 1476, affaire de Ceylan, Sir
Douglas Menzies rédacteur de l'arrêt.
719 Sur le sujet en général v. ARNE Serge:
«Existe-t-il des normes supra- constitutionnelles ?», RDP, 1993, pp.
459 à 512. V. également sur la supraconstitutionnalité en
Afrique du Sud, RUSSEL Alec: «Court throws out South African?s new
Constitution», The Daily Telegraph, 7 septembre 1996, p. 7.
Comité Judiciaire. Dans l?affaire Akar720,
le juge londonien a annulé une Loi constitutionnelle qui établit
une discrimination raciale au motif que cette Loi est contraire à la
lettre et l?esprit même de la Constitution. En ce sens, la Cour
Suprême de la République de l?Inde a également
considéré que le Parlement ne peut modifier la structure de base
de la Constitution721.
A l?île Maurice l?article premier de la Constitution
proclame le caractère démocratique de l?Etat mauricien qui est
politiquement non révisable du fait de la lourdeur de la
procédure de révision prévue722. Seule une
double expression de la souveraineté nationale est suffisamment
légitime pour modifier ce pilier du système politique et
juridique de Maurice. Autrement dit, le constituant dérivé n?est
pas hors du droit et une Loi constitutionnelle nouvelle peut être
invalidée soit au motif d?un non-respect de la procédure, soit
pour incompatibilité avec une norme supraconstitutionnelle.
Il est permis de se demander si ces limitations au pouvoir
constituant ne sont, en réalité, plus de nature politique que
strictement juridique. Le pouvoir constituant dérivé n?est pas un
pouvoir d?une autre nature que le pouvoir constituant initial. Si la
Constitution prévoit une procédure rigide de révision de
certaines normes, celle-ci peut faire l?objet d?une révision selon la
voie normale. Il serait ensuite aisé de réviser toute la
Constitution selon la nouvelle voie établie.
B. Le contrôle juridictionnel des
Lois
Dans de nombreux pays du Commonwealth, le droit traverse et
régit tout l?ordre juridique. Le droit se prolonge dans l?institution
d?une hiérarchie des normes dont la sanction suprême est le
contrôle juridictionnel des Lois. Le principe exige une
vérification des normes juridiques au regard de la norme suprême.
Aux dix-septième et dix-huitième siècles, le Conseil
Privé contrôlait
720 CJCP: 30 juin 1969, John Joseph Akar c/ Attorney-General,
AC, 1970, pp. 853 à 873, affaire de Seria Leone, Lord Morris of
Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt majoritaire.
721 V. CSI: 24 avril 1973, His Holiness Kesavananda Bharati
Sripadagalavary c/ State of Kerala, SCR, 1973, vol. suppélmentaire, pp.
1 à 1002. Cette arrêt comporte les décisions de plusieurs
juges, dont Sikri, Shelat/Grover, Hedge/Mukherjea, Ray, Jaganmohan Reddy,
Khanna, et est très long. V. également dans le même sens
CSI: 31 juillet 1980, Minerva Milles Ltd c/ Union of India, SCR, 1981, vol. 1,
pp. 206 à 342, le Chef-Juge Chadrachund rédacteur de
l'arrêt principal.
722 V. supra note 352. On se pendra à regretter que le
Comité Judiciaire n?a accordé à l?article premier de la
Constitution aucune valeur supraconstitutionnelle. V. CJCP: 22 mars 1977, Henri
Lilcoln c/ The Governor-General, affaire de Maurice, Vicomte Dilhorne
rédacteur de l'arrêt. On peut penser que cette jurisprudence est
susceptible d?un revirement vu les changements opérés dans le
caractère de la norme depuis lors.
les lois des colonies723 aux grands principes du
droit anglais724 et éventuellement aux lois anglaises.
Ceux-ci servaient de constitution pour les colonies (a). Aujourd?hui, le
principe du contrôle de la Loi est très répandu dans le
Commonwealth et est maintenu dans nombreux de pays qui ont aboli le recours au
Comité Judiciaire. Le contrôle y est alors exercé par les
Cours Suprêmes locales (b).
a. Par le Conseil Privé
On sait déjà que le Conseil Privé
contrôlait la conformité des Lois locales adoptées par le
législateur de chaque colonie par rapport aux normes fondamentales de la
métropole725 et également à la morale. Cet
examen d?impérialité (imperial review)726 fut
très large, tant selon le principe constitutionnel dominant, seule la
loi anglaise était souveraine. La Loi sur la validité des Lois
coloniales de 1865 légalisait le principe de l?infériorité
des lois locales727.
Parallèlement, il s?était
développé au Comité Judiciaire un véritable
contentieux constitutionnel à partir de la confrontation des Lois du
Parlement canadien à la Loi anglaise sur l?Amérique du Nord
Britannique de 1867. Le caractère constitutionnel de cette Loi fut
rapidement affirmé par le Conseil Privé. Plusieurs Lois
canadiennes avaient été annulées par le Conseil
Privé pour avoir méconnu la Loi constitutionnelle de 1867. Ce
même type de contrôle s?était aussi manifesté dans le
contentieux australien728.
b. Par les cours suprêmes du Commonwealth
Le contrôle constitutionnel des Lois fut
légué par le Comité Judiciaire aux cours suprêmes
des pays du Commonwealth729. Quand ces dernières avaient
accédé au plus haut niveau de la hiérarchie des tribunaux
à la fin de leur
723 Le Parlement local avait un pouvoir limité. Il ne
pouvait adopter des lois contraires aux grands principes de la Common Law et
celles abolissant la monarchie et le Conseil Privé. V. ELIAS Olawale T.:
«British colonial law», Londres, Stevens and Sons, 1962, 323 p., v.
p. 52.
724 Selon une étude qui n?est pas très certaine,
le nombre de lois adoptées dans les colonies et déclarées
nulles par le Conseil Privé de 1696 à 1782 s?élève
à plus de six cents. V. WAGNER W. J.: «The federal states and their
judiciary», Mouton and Company, 1959, 390 p., v. p. 87.
725 SWINFEN David B.: «Imperial control of colonial
legislation 1813-1865», Oxford, Clarendon Press, 1970, 202 p.
726 L?expression a été empruntée de BETH
Loren P., cité note 16, v. p. 33.
727 ROBERTS-WRAY Kenneth, Sir, cité note 526, v. p. 366
à 409. V. également WHEARE K.C: «The constitutional
structure of the Commonwealth», Londres, Greenwood Press, 1982, 201 p., v.
p. 45 et s.
728 V. par exemple CJCP: 17 juillet 1936, James c/
Commonwealth of Australia, AC, 1936, pp. 578 à 634, affaire de
l?Australie, Lord Wright rédacteur de l'arrêt.
729 «The Supreme Court of these Commonwealth countries
can be seen as the lineal successors of the Privy Council», BREWER-CARIAS
Allan R.: «Judicial review in comparative law», Cambridge University
Press, 1989, 406, v. p. 179.
soumission au Comité Judiciaire, telles la Cour
Suprême du Canada en 1947, la Haute Cour d?Australie en 1986 et la Cour
Suprême indienne en 1949, elles ont hérité toute la
compétence du Comité Judiciaire en matière de contentieux
constitutionnel.
La Cour Suprême de la République indienne est
sans doute l?une des cours du Commonwealth ayant affronté avec beaucoup
de vigueur le législatif et l?exécutif dans l?exercice de ses
pouvoirs de gardien de la Constitution tant le contrôle exercé par
elle était poussé. Si dans les années cinquante et
soixante, le juge indien ne faisait qu?interpréter littéralement
la Constitution, il opéra en 1967 un revirement dans le mode
d?interprétation des normes constitutionnelles afin de dynamiser les
droits fondamentaux, notamment le droit de
propriété730. Depuis ce revirement, une série
de lois ont été invalidées, en particulier les Lois de
nationalisation des banques et celles mettant fin aux privilèges des
anciens princes du pays. La hardiesse du contrôle de la Cour a parfois
incité le constituant à réagir en révisant la
Constitution afin d?atténuer les effets de sa
jurisprudence731. Aussi, la déclaration de l?état
d?urgence le 25 juin 1975732 avait restreint le champ de
contrôle du juge. La Constitution fut pratiquement suspendue
jusqu?à la fin de l?état d?urgence en 1977.
Ces confrontations entre la Cour et les autorités
politiques ont renforcé la place et le rôle de la Cour
Suprême au sein des institutions de la République
indienne733.
L?exemple de la Cour Suprême indienne est
caractéristique de la réussite, dans certains pays, du maintien
et du développement du contentieux constitutionnel initié par le
Conseil Privé. Le principe de l?Etat de droit constitutionnel est
profondément ancré dans la majorité des pays du
Commonwealth et les juges ont créé tout un droit prétorien
sur le contrôle de la constitutionnalité.
Aux termes de cette présentation générale
sur le constitutionnalisme du Commonwealth, il convient d?examiner le mode de
contrôle des normes à Maurice.
730 CSI: 27 février 1967, I. L. Golak Nath c/ State of
Punjab, SCR, 1967, vol. 2, pp. 762 à 948, le Chef-Juge Subba Rao
rédacteur de l'arrêt principal.
731 DUDEJA Vijay Lakshmi: «Judicial review in India»,
Radiant Publishers, 1988, 162 p.
732 ZINS Max Jean: «Histoire politique de l?Inde
indépendante», PUF, Politique d?Aujourd?hui, 1992, 335 p.
733 Sur le rôle de la Cour Suprême en
matière de droits fondamentaux, v. GHANY Joseph: «Les droits
fondamentaux des citoyens en Inde et leur mode de protection», RJPIC,
1982, pp. 410 à 422.
Sous-section 2. Le mode de contrôle de la
constitutionnalité des normes à
M au ri ce
Le système de la justice constitutionnelle à
Maurice s?organise dans le cadre du constitutionnalisme du Commonwealth. Sous
l?apparente simplicité de cette affirmation se dissimule un
système en réalité infiniment complexe. Certes, le
système de contrôle ne peut ni être rattaché au
modèle américain, ni au modèle européen. Mais les
deux systèmes ont exercé certaines influences de sorte que s?est
développé, comme dans beaucoup d?autres pays du Commonwealth
dotés d?une Constitution de type néo-nigérian, un
véritable modèle hybride ou autrement dit
«mixte»734. Des particularités des deux grands
systèmes, américain et européen, se retrouvent dans le
modèle mauricien. Dès lors, il convient de décrire le mode
de justice constitutionnelle à Maurice sous l?angle des deux typologies
dominantes. On examinera successivement les éléments du
modèle européen (paragraphe 1) et du modèle
américain (paragraphe 2) qui sont présents à Maurice.
Paragraphe 1. Les éléments du
modèle européen
Le modèle européen735, inspiré
par Hans Kelsen736, est principalement caractérisé par
la concentration du contentieux constitutionnel (A) et le caractère
direct du contrôle (B).
A. La concentration du contentieux constitutionnel
La concentration est un principe de la justice constitutionnelle
à Maurice (a). Elle obéit aussi à une particularité
(b).
a. La similitude entre le système mauricien et le
modèle européen
Le système concentré ou centralisé de
contrôle signifie qu?un seul organe étatique est autorisé
à exercer les pouvoirs d?un juge constitutionnel. En ce sens, selon le
modèle autrichien, une seule juridiction, souvent spéciale et en
dehors de la hiérarchie des tribunaux, est dotée du pouvoir de
contrôler la constitutionnalité de la Loi. Le contentieux
constitutionnel se distingue nettement du contentieux de droit commun. Ce
monopole permet d?assurer un
734 Le contrôle des Lois est prévu par plusieurs
articles de la Constitution de Maurice. V. les articles 2, 17, 45-1, 81-1-a et
c, 83, 84, et 119.
735 FAVOREU Louis, cité note 391.
736 KELSEN Hans, cité note 448.
équilibre entre le principe de la séparation des
pouvoirs qui nécessairement récuse toute immixtion du juge dans
le pouvoir législatif, et la théorie de l?ordre juridique
hiérarchisé qui fonde le constitutionnalisme, plus exactement, le
contrôle de constitutionnalité737.
Ce modèle européen n?a pas été en
soi introduit à l?île Maurice. L?idée d?instaurer un
Conseil Constitutionnel doté d?un pouvoir suspensif des Lois a
été écartée par Stanley A. De Smith. Mais une
solution assez proche de la finalité d?une juridiction
spécialisée a été retenue. Le contentieux
constitutionnel est du ressort exclusif de la Cour Suprême locale dans la
hiérarchie des juridictions strictement mauriciennes. Elle peut exercer
ce pouvoir selon deux procédures. Elle peut être saisie
directement par les justiciables aux fins d?examiner une Loi de manière
objective738 et, sur renvoi, par une juridiction inférieure
d?une question constitutionnelle préjudicielle739. La
contestation de la régularité d?une Loi étant un litige
important et grave, le constituant a voulu habiliter les seuls hauts magistrats
à trancher les litiges y relatifs. Les juges inférieurs doivent
renvoyer toute question d?interprétation d?une norme constitutionnelle
à la Cour Suprême.
b. Les atténuations
La comparaison avec le modèle européen
mérite d?être tempérée. La concentration du
contentieux au profit de la seule Cour Suprême n?est pas absolue et est
assortie d?une limite essentielle. Comme dans toutes les autres
matières, la Cour Suprême est en contentieux constitutionnel
soumise au contrôle du Comité Judiciaire740. Celui-ci
peut statuer en cassation sur toute interprétation des normes
constitutionnelles par la Cour Suprême741. Le
contrôle
737 «Le système de contrôle
centralisé correspond à une manière différente de
concevoir la séparation des pouvoirs... Aux yeux de Montesquieu et de
Rousseau... toute interprétation des Lois par des juges... constituait
en conséquence un empiétement sur le pouvoir exclusif qu?avait le
législateur de créer le droit. Aujourd?hui encore, même
s?il a été reconnu souhaitable d?instituer un certain
contrôle sur la constitutionnalité des Lois, on continue à
voir dans ce contrôle une fonction de caractère essentiellement
politique», CAPPELLETTI Mauro: «Le pouvoir des juges»,
Economica, 1990, 397 p., v. p. 201.
738 Article 81-1-2 CM.
739 L?article 84-1 CM dispose que: «Lorsqu?une question
concernant l?interprétation de la Constitution est soulevée
devant une cour de justice de Maurice... et que la cour estime que la question
touche un point de droit important, la Cour Suprême renvoie cette
question à la Cour Suprême».
740 La Cour Suprême peut agir comme une juridiction de
première instance. V. CSM: 10 octobre 1972, Virahsawmy c/ The
Commissioner of Police, MR, 1972, pp. 255 à 260, le Chef-Juge Sir
Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt.
741 L?article 81-1-a CM dispose qu?un «pourvoi contre les
décisions de la Cour d?Appel ou de la Cour Suprême devant le
Comité Judiciaire existe de plein droit... à l?encontre des
décisions définitives dans toute procédure civile ou
pénale sur des questions d?interprétation de la
Constitution».
constitutionnel peut s?exercer en deux temps et par deux
juridictions de hiérarchie différente, ce qui constitue une sorte
de contrôle à double détente.
Aussi, cette particularité mauricienne crée un
effet contraire à l?objectif même du système
centralisé de contrôle juridictionnel de la Loi. Le système
concentré a pour mérite d?assurer une certaine
sécurité juridique des normes législatives par opposition
au système diffus qui laisse planer le doute sur la
constitutionnalité des Lois tant que la juridiction suprême ne
s?est pas prononcée. Dans le système centralisé, une seule
juridiction statue et clarifie la situation. Sa décision a une valeur
absolue et l?unité jurisprudentielle est maintenue à son
comble742. Or, le duopole mauricien peut créer l?exacte
situation inverse. La Cour Suprême locale peut déclarer
inconstitutionnelle une Loi, qui par voie de conséquence est
écartée, voire disparaît de l?ordre juridique, et les juges
de la Downing Street peuvent redonner vie à la Loi
déclarée non conforme743. Ce système de double
contrôle peut appeler des réserves du fait du risque de
l?instabilité juridique qu?il comporte mais demeure néanmoins
nécessaire à l?unification de la jurisprudence
constitutionnelle.
La deuxième caractéristique du modèle
européen, le contrôle direct, à la différence du
premier, ne souffre d?aucune exception en droit mauricien.
B. Le contrôle direct
Le contrôle direct de la Loi ou la voie d?action
(direct control of legislative action) est nécessairement une
caractéristique du modèle européen, notamment
français, dans la mesure où cette modalité du
contrôle est inexistante dans le modèle américain. Il
convient d?analyser la voie d?action telle qu?elle s?est
développée à Maurice (a) et les règles de
procédure de sa mise en oeuvre (b) afin d?apprécier son
efficacité.
a. La voie d'action
742 ROUSSEAU Dominique, cité note 27, v. p. 23.
743 CJCP: 23 juillet 1992, The Governement of Mauritius c/
Union Flacq Sugar Estates Company Ltd., WLR, 1992, vol. 1, pp. 903 à
912, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. La
Cour Suprême avait sanctionné une Loi portant sur la direction des
sociétés commerciales pour violation du droit constitutionnel de
propriété. Mais le Comité Judiciaire, en cassation, a
renversé la décision de la Cour locale et considéré
la Loi constitutionnelle.
V. également CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/
Momoudou Jobe, WLR, 1984, vol. 3, pp. 174 à 185, affaire de la Gambie,
Lord Diplock rédacteur de l'arrêt. La Cour Suprême de la
Gambie avait déclaré une Loi conforme à la Constitution.
La Cour d?Appel avait infirmé la décision des premiers juges. En
cassation, le Comité Judiciaire avait déclaré la Loi
partiellement conforme.
La voie d?action est conçue à Maurice comme le
moyen principal du déclenchement du procès constitutionnel tant
elle est largement ouverte744. Le recours peut être
intenté par des particuliers. A l?inverse du système
français, aucune autorité n?est expressément investie d?un
tel pouvoir. Le système permet une certaine démocratisation du
mode de contrôle juridictionnel de la Loi, conformément à
la tendance observée dans les grandes démocraties occidentales de
conférer à la justice constitutionnelle une
légitimité qui lui est souvent déniée. Le
système mauricien permet aux citoyens de contrôler sur le plan
juridique, les pouvoirs publics745 en habilitant le juge de
première instance et le juge de cassation de contrôler de
façon abstraite la norme dont la constitutionnalité est
critiquée746.
La Constitution mauricienne prévoit deux modes
d?exercice de la voie d?action. La distinction a peu d?intérêt
mais doit être soulignée. L?article 17 de la Constitution permet
à la Cour Suprême de prendre toute mesure appropriée pour
faire cesser toute violation des droits contenus dans le chapitre deux de la
Loi Fondamentale747, s?il n?existe, selon le juge londonien, d?autre
voie de recours juridictionnel748. L?article 83 confère
à la Cour Suprême des pouvoirs similaires pour faire respecter les
dispositions résiduelles de la Constitution749.
744 GLOVER Victor, Sir, GOSK: «L?universalité des
droits fondamentaux et la diversité culturelle», in Colloque
International sur l?Effectivité des Droits Fondamentaux dans les Pays de
la Communauté Francophone organisée par AUPELF-UREF à
Maurice le 28 septembre au 1er octobre 1993, 18 p., v. p. 12.
745 «Le vote... est à la fois l?acte par lequel le
peuple exprime sa volonté et celui par lequel il délègue
l?expression, pour un temps déterminé, à des
représentants. Cette délégation aboutit à un
abandon de son pouvoir de décision entre deux élections. Les
cours constitutionnelles atténuent cette logique-là du vote. La
délégation n?est plus un abandon dans la mesure où les
cours, en statuant au nom de la souveraineté populaire, adoptent une
référence qui les met en position de faire prévaloir cette
dernière, de restaurer la volonté populaire en
rétablissant la soumission de la volonté
représentative», ROUSSEAU Dominique, cité note 27, v. p.
45.
746 La voie d?action permet aussi de juridiciser et de
purifier le débat politique entre la majorité et l?opposition.
Celle-ci, comme tout citoyen, détient le pouvoir de saisir le juge pour
contester les lois adoptées par la majorité.
747 Cette article dispose dans son alinéa premier que:
«Quiconque allègue que l?une des dispositions 3 à 16 a
été, est ou est susceptible d?être violée à
son encontre, pourra, indépendamment de tout autre recours
légalement possible, s?adresser à la Cour Suprême pour
faire respecter ses droits».
748 La rédaction de l?article 17 CM est ambiguë.
En dépit des dispositions de l?alinéa premier, le second
alinéa prévoit que le juge peut ne pas exercer ses pouvoirs si le
requérant dispose d?autres voies de recours. CJCP: 11 décembre
1995, J. Subramanien c/ The Government of Mauritius, affaire mauricienne, Sir
Micheal Hardie Boys rédacteur de l'arrêt. Il fait ressortit que:
«A constitutional action is not an appropriate vehicle for a contractual
or tortious claim, nor indeed for judicial review, which has procedural
requirements of its own».
749 La distinction entre l?article 17 et l?article 83 est
curieuse et répond à peu de rationalité. CSM: 26 avril
1982, A. R. Mahboob c/ The Government of Mauritius, MR, 1982, pp. 135 à
143, le Chef-Juge Sir Maurice Rault rédacteur de l'arrêt
principal. V. l?opinion concurrente du juge Glover. Il dit que: «I confess
that I do not see the reason for the distinction», p. 143.
C?est pourquoi un règlement de la Cour du 1er juin 1990
a rapproché davantage les deux dispositions constitutionnelles dans leur
mise en oeuvre quant aux conditions de délai et de forme. Il demeure que
la saisine de la Cour soit encore plus souple dans le cadre de l?article 17.
Le juge mauricien dispose des pouvoirs pratiquement
illimités pour faire cesser toute atteinte aux droits fondamentaux. Il
peut annuler la norme incriminée ou donner toute injonction tendant
à l?inexécution de la loi litigieuse750. La Loi
réformée sur les Cours de 1945 confère à la Cour
Suprême les mêmes pouvoirs que ceux dont dispose la Haute Cour
anglaise751. Allant même plus loin, la Cour a estimé
que son pouvoir dépasse celui des cours anglaises car elle est investie
du rôle de gardien de la Constitution752. Cette
compétence permet à la Cour de déroger aux principes de la
procédure administrative anglaise753 au cas où les
règles du contentieux sont inadaptées au contentieux
constitutionnel.
b. Les règles de procédure
On peut penser que les dispositions des articles 17 et 83 de
la Constitution permettent au juge d?exercer un contrôle a priori de la
Loi. Ces articles peuvent être mis en oeuvre dès lors qu?il y a un
risque vraisemblable qu?une norme constitutionnelle soit «susceptible
d?être violée». Mais la Cour Suprême a
privilégié le contrôle a posteriori de la Loi et a
expressément écarté toute idée de contrôle a
priori. On se prendra à regretter cette négation par la Cour
Suprême de ses compétences. On voit mal en quoi la
procédure existante, la saisine du juge des référés
(judge in chambers) en vue de lui demander d?ordonner au Parlement de
ne pas légiférer ou au Chef de l?Etat de ne pas donner son
assentiment à la Loi, avait apparu aux juges mauriciens comme une
entorse trop manifeste au principe de la séparation des
pouvoirs754. Les juges,
750 L?article 17-2 CM dispose que «(la Cour
Suprême) pourra faire telles injonctions (orders) et
délivrer telles ordonnances (issue such writs) qui lui semblent
appropriées pour faire respecter ou assurer le respect des dispositions
de l?article 3 à 16».
751 L?article 17 de la Loi de 1945 dispose que «The
Supreme Court shall have original jurisdiction to hear, conduct and pass
decisions in civil suits, actions, causes, and any matter may be brought and
may be pending before the Supreme Court and the judges shall sit and proceed to
and conduct and carry on business in the same manner as the High Court of
Justice in England and its judges».
752 CSM: 2 juin 1993, Attorney-General c/ Ramgoolam, LRC,
1993, vol. 3, pp. 82 à 93. Le juge Lallah rédacteur de
l'arrêt. Selon le juge: «We also indicated, however, that our
Constitution has conferred on the Supreme Court a fundamental jurisdiction
concerning constitutional matters unknown to the courts in the United Kingdom
and that Erskine May necessarily had to be read subject to the particular
jurisdiction which the Constitution has so vested in the Supreme Court»,
ibid., p. 85.
753 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité
note 303. Le juge Garrioch indique que lors d?un contrôle de
constitutionnalité et «where the form of redress applied for is an
order of mandamus, the court should and will, as far as possible, follow the
English principles applicable to that order (but) it is obvious that, having
regard to its special powers and duties under the Constitution, the Court may
find it necessary to evolve principles of its own, in certain circumstances,
which may not always accord with those applicable in England», ibid., p.
34.
754 CSM: 9 novembre 1973, Lincoln c/ The Governor of
Mauritius, MR, 1973, pp. 290 à 291, le juge Rault rédacteur de
l'arrêt. Dans cette affaire, le juge, statuant en
référé, rejette la requête d?injonction à
l?Assemblée Législative et au Gouverneur-Général de
ne pas continuer l?examen d?un projet de loi constitutionnelle visant à
supprimer les élections législatives partielles. Le juge a
indiqué que: «If a Court of law sought to prevent or even delay the
introduction of a bill, it would not be exercising a judicial power, but
usurping a legislative function», ibid., p. 291. L?effet de cette
jurisprudence mérite d?être relativisé en ce sens que la
décision de la Cour a été
pour la plupart formés en Angleterre, sont encore,
semble-t-il, assujettis à un certain dogme même fictif de la
souveraineté de la Loi. A l?inverse, le Comité Judiciaire,
statuant sur un litige en provenance de Hongkong s?est montré moins
réticent au développement d?un véritable contrôle a
priori755. Sa jurisprudence n?a pas été suivie par le
juge local d?autant que les justiciables mauriciens ne l?ont pas
invoquée.
Il convient de faire ressortir néanmoins, que la Cour
Suprême de Maurice a utilisé libéralement ses pouvoirs pour
développer le contrôle a posteriori. La politique de la Cour a
été de simplifier l?exercice des recours en suivant certains
développements opérés au sein de la justice administrative
britannique et surtout la jurisprudence libérale et audacieuse du
Comité Judiciaire756. Ainsi, par exemple, la notion
d?intérêt à agir (locus standi)757
n?est plus appliquée strictement aux simples individus. Le
contrôle constitutionnel est considéré comme un litige
d?intérêt public (public interest litigation) et le droit
d?agir est étendu aux demandeurs simplement
idéologiques758. La Cour Suprême exige un
intérêt à agir d?autant plus réduit que la violation
de la Loi Fondamentale apparaît importante.
Il ne faut pourtant pas céder à la tentation de
conclure que cette ouverture du prétoire a permis la création
d?une sorte de recours populaire (actio popularis) comme il avait
été le cas en Angleterre dans les années soixante-dix
à propos du contrôle de la légalité des actes
administratifs (judicial
rendue pendant une période d?état d?urgence et
à propos d?une loi constitutionnelle quelques années seulement
après l?indépendance. Le Parlement siégeait comme une
assemblée constituante.
Le juge mauricien n?a pas retenu la solution française
du contrôle juridictionnel de la Loi. Cette solution pourait, selon nous,
être transposée à Maurice. La saisine de la Cour pourrait
avoir lieu après adoption de la Loi par l?Assemblée et le Chef de
l?Etat donnerait éventuellement son accord après décision
de la Cour.
755 CJCP: 15 avril 1970, Rediffusion (Hong-Kong) Ltd. c/ the
Attorney-General, AC, 1970, pp. 1136 à 1170, affaire de Hongkong, Lord
Diplock rédacteur de l'arrêt.
756 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ The Director of
Public Prosecutions, WLR, 1985, vol. 3, pp. 73 à 84, affaire de la
Jamaïque, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. Le juge
londonien écrit que: «The Solicitor-General... submits that the
application to the Supreme Court should have been made by writ and not by
notice of motion. Without entering into a consideration of the rules of
procedure which apply in Jamaica and are best determined by the Courts in
Jamaica, their Lordships reject this submission. The applicant fairly raised
before the appropriate court his complaint that his fundamental right
guaranteed by the Constitution had been infringed», ibid., p. 77.
757 SCHIEMANN Konrad, Sir: «Locus standi», PL, 1990,
pp. 342 à 353.
758 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité
note 303. Le juge Garrioch souligne que: «We think that in a matter of
such great public interest, as in the present case is in our view, no useful
purpose will be gained by insistence of form which would have consequence only
to postpone a decision on its merits», ibid., p 35. Le juge applique dans
cette affaire une jurisprudence du Conseil Privé. V. CJCP: 25 juillet
1967, Mohamed Samsudeen Kariapper c/ S. S. Wijensinha, cité note 718.
La même attitude est adoptée dans CSM: 29 octobre
1986, Noordally c/ Attorney-General, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 599
à 606, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. V.
également CSM: 23 janvier 1995, Rama Valayden c/ The President of the
Republic, Le Mauricien, 24 janvier 1995, p. 9, les juges Rajsoomer Lallah, V.
Boolell et Y. K. J. Yeung Sik Yuen rédacteur de l'arrêt.
review of administrative action). Lord Denning,
Président de la Division Civile de la Cour d?Appel anglaise (Master
of the Rolls) avait affirmé que tout sujet de sa Majesté
avait qualité pour faire respecter le droit759. A Maurice, la
Cour Suprême a estimé qu?un simple intérêt au respect
de la Constitution ne suffit pas pour que la requête soit recevable. La
seule qualité d?électeur ne suffit pas pour contester
l?éventuelle discrimination opérée entre deux
députés démissionnaires760. Cette solution est
tout de même proche de celle appliquée actuellement en Angleterre
en matière de contrôle des actes administratifs. L?ouverture
opérée par Lord Denning a été relativisée
par le législateur britannique761.
Par ailleurs, les conditions de forme régissant le
contrôle par voie d?action ont été simplifiées et
unifiées depuis 1990762. Auparavant, l?article 17 de la
Constitution (concernant la protection des droits fondamentaux) devait
être invoqué par la voie d?assignation (writ of
summons)763 et l?article 83 (portant sur les articles
résiduels de la Constitution) sous la forme d?une pétition
(by way of petition)764. Désormais la
procédure classique d?assignation est étendue à
l?application de l?article 83765.
Le délai pour agir par la voie d?action était
limité à six mois à compter de l?entrée en vigueur
de l?acte766. La Cour, conformément à sa politique
d?ouverture n?avait accordé à ce délai aucun
caractère impératif et le distinguait de la forclusion. Le juge
pouvait ne pas prononcer une fin de non-recevoir même si ce délai
était expiré767. Ce délai de six mois
correspondait à celui retenu en Angleterre pour déclencher un
recours en annulation d?un acte administratif
759 CA: 14 avril 1976, Regina c/ Greater London Council, ex
parte Blackburn, All ER, 1976, vol. 3, pp. 184 à 200, Lord Denning
rédacteur de l'arrêt principal. Il écrit ceci: «Je
considère ceci comme un principe constitutionnel très important.
Lorsqu?un ministère ou une autorité publique est en train
d?enfreindre le droit ou presque d?une façon qui offense ou injurie des
milliers de sujets de Sa Majesté, toute personne qui a été
offensée ou injuriée peut porter le cas à l?attention des
cours», ibid., p. 192.
760 CSM: 14 mai 1974, Lincoln c/ Governor-General, MR, 1974, pp.
112 à 127, le juge Garrioch rédacteur de l'arrêt.
761 L?article 53 de la Loi anglaise sur la Cour Suprême
de 1981 (Order 53 of the Supreme Court Act 1981) exige que le
requérant justifie d?un intérêt suffisant. V. FLOGAITIS
Spyridon: «Administrative law et droit administratif», LGDJ, 1986,
256 p., v. p. 172 et s.
762 Colom Jacques, cité note 557, v. p. 92 et s.
763 L?assignation (writ of summons) constitue le mode
classique d?introduction d?une affaire en justice.
764 La saisine par la voie de pétition est indirecte. Le
requérant doit obtenir d?un juge (en chambre) l?autorisation de saisir
la Cour.
765 V. Les règles sur la protection des normes
constitutionnelles par la Cour Suprême (Supreme Court Constitutional
Relief Rules) de 1990.
766 Article 8 des Règles sur la protection des normes
constitutionnelles de 1967 (Constitutional Rights Application For Redress
or Relief Rules).
767 CSM: 5 juin 1981, Monty c/ Public Service Commission, MR,
1981, pp. 244 à 253, le juge Glover rédacteur de l'arrêt.
Selon la Cour: «We are not dealing with a Statute of limitation or a
period of extinctive prescription laid down in the Code Napoléon, but
with those procedural rules which govern application for judicial review»,
ibid., p. 246.
pour violation d?une Loi. Mais une réforme locale de
1990 a réduit, comme dans la nouvelle réglementation de la
procédure anglaise du contentieux administratif, le délai
à trois mois.
*
Au terme de cette présentation un constat s?impose. Le
modèle mauricien de la voie d?action est libéral et très
ouvert. Le droit de saisine est large. Tout citoyen justifiant d?un
intérêt peut saisir le juge constitutionnel en vue de censurer une
Loi. Ce droit constitue une garantie essentielle du maintien de l?Etat de
droit.
Cependant, la richesse et l?ingéniosité du
constitutionnalisme mauricien ne sont pas réduites aux seuls bienfaits
du système européen. Le contrôle constitutionnel peut aussi
être déclenché selon les modalités du modèle
américain.
Paragraphe 2. Les éléments du
modèle américain
Le modèle de contrôle diffus de la Loi est
répandu dans les pays de Common Law du fait de l?unicité de
l?ordre juridictionnel et du rapprochement structurel des Cours Suprêmes
des Etats du Commonwealth de celle des Etats- Unis d?Amérique.
A l?île Maurice, où le système juridique
appartient en grande partie à la famille de Common Law, certains
éléments du modèle américain de contrôle,
notamment le contrôle diffus (A) et la voie d?exception (B) sont
utilisés dans le contentieux constitutionnel.
A. Le contrôle diffus
Du fait même de l?existence d?un contrôle par voie
d?action centralisé, le contrôle diffus mauricien (b) se
démarque légèrement du modèle américain
(a).
a. Le modèle diffus stricto sensu
Le modèle américain est conçu d?après
l?idée que le juge ordinaire doit, dans tous les procès, non
seulement appliquer la Loi mais le droit768. Il en
768 GREWE Constance et RUIZ Fabri Hélène:
«Droits constitutionnels européens», PUF, 1995, 661 p., v. p.
70.
résulte que tout juge, peu importe son niveau dans la
hiérarchie des juridictions, est habilité à écarter
des normes, y compris législatives, qui se trouveraient en contradiction
avec la norme supérieure. Tout juge a un pouvoir propre de
vérifier la régularité des Lois. Le contrôle de
constitutionnalité est donc déconcentré et il appartient
en dernier lieu à la juridiction suprême d?assurer l?unification
de la jurisprudence par le biais de la règle du précédent
(stare decisis).
b. La variante mauricienne
L?article 84-1 de la Constitution mauricienne dispose que
lorsqu?une question d?interprétation de la Constitution est
soulevée devant un tribunal inférieur à la Cour
Suprême et qu?il estime que la question touche à un point de droit
important, il surseoit à statuer et renvoie la question devant celle-ci.
Cette disposition peut être l?objet d?une double lecture. D?abord elle
enlève de la compétence des tribunaux inférieurs (les
Cours de District, la Cour Intermédiaire, la Cour Industrielle et le
Tribunal Anti-Corruption) le pouvoir d?interpréter la Constitution. Ce
pouvoir est conféré aux seuls juges de la Cour Suprême.
Mais une seconde lecture, découlant de la pratique des juges a quo, leur
permet d?appliquer eux-mêmes la Constitution. En effet, l?article 81-1
leur permet a contrario d?examiner toute norme constitutionnelle dès
lors que la question préjudicielle ne touche pas à un point de
droit jugé important769 et il leur revient d?apprécier
souverainement l?importance du point soulevé. Dès lors, le juge
du principal peut interpréter lui-même toute norme
constitutionnelle qu?il ne considère pas importante. En éludant
le renvoi pour interprétation, le juge inférieur se prononce
nécessairement sur le contenu et la portée du texte
constitutionnel770. Il se prononce également sur la
constitutionnalité de la Loi litigieuse mais conclut
nécessairement, dans ce cas de figure, à sa conformité
à la norme supérieure. Il est une stratégie commune
à tous les juges de limiter le
769 Cette solution est proche du modèle italien. En
Italie, la question constitutionnelle préjudicielle est renvoyée
si elle est déterminante à l?issue du litige. V. VEDUSSEN Maro:
«Les recours des particuliers devant le juge constitutionnel dans une
perspective comparative», pp. 153 à 192, in DELPEREE
Françis: «Les recours des particuliers devant le juge
constitutionnel», Economica, 1991, 221 p.
770 CSM: 13 février 1969, Mootee c/ The Queen, MR,
1969, pp. 34 à 48, le Chef-Juge Sir Michel Rivalland rédacteur de
l'arrêt et CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District magistrate of Flacq,
LRC, 1990, vol. constitutional, pp. 570 à 577, les juges Glover et Sik
Yuen rédacteurs de l'arrêt. Ils soulignent que: «The District
magistrate held... that no substantial question of law pertaining to the
interpretation of the Constitution had arisen», ibid., p. 572. Dans ce
dernier arrêt, la Cour Suprême, en déboutant le
requérant, confirme le pouvoir d?interprétation d?une norme
constitutionnelle jugée, à bon droit, non importante par le juge
du principal.
renvoi des questions préjudicielles car les juges veulent
assurer eux-mêmes leur mission de dire le droit771.
Par ailleurs, le caractère diffus du système
mauricien de contrôle résulte du fait que plusieurs juridictions
ont compétence pour assurer un contrôle de
constitutionnalité des Lois, à savoir, la Cour Suprême (en
première instance), la formation d?appel de la Cour Suprême (en
deuxième instance), la formation d?assises de la même
cour772, éventuellement la Cour Martiale773, et,
évidemment, le Comité Judiciaire774.
B. L'exception
d'inconstitutionnalité
Le contrôle de constitutionnalité par la voie
d?exception constitue le critère majeur du modèle
américain depuis sa découverte par le juge en chef John Marshall
en 1803 dans l?arrêt Marbury c/ Madison775 alors même
que la Constitution américaine n?a pas expressément prévu
le contrôle juridictionnel de la Loi776. Le contrôle ne
s?exerce qu?à titre incident777. Une partie à un
procès conteste la constitutionnalité d?une Loi qui est
appliquée778. Le tribunal, avant d?examiner l?affaire au
fond, examine la Loi pour décider si elle est ou non constitutionnelle
et applicable au cas d?espèce. Le contrôle est donc concret
(in concreto) et s?exerce à propos d?un cas précis. Il
n?est pas abstrait comme dans la voie d?action. L?intérêt majeur
de l?exception d?inconstitutionnalité est qu?il permet au juge, à
tout moment de la vie d?une Loi, de la contrôler et éventuellement
de l?écarter du corpus juridique779 d?autant plus qu?une Loi
peut être conforme à la norme supérieure à un
certain moment de son existence et cesser de l?être plus tard. La
Constitution est une norme en constante évolution et création en
vertu de l?interprétation qu?en font les juridictions.
Comme aux Etats-Unis, le contrôle par la voie d?exception
n?est pas expressément prévu par la Constitution mauricienne.
L?article 84 de la
771 Cette attitude n?encourage pas les procédures
dilatoires qui ralentiraient ou paralyseraient l?action de la justice. Ce
filtrage serré des juges a quo évite un allongement
inconsidéré des procédures.
772 Article 80-1 CM.
773 Article 84-1 CM.
774 Articles 81-1-a et 84-2 CM.
775 LEVASSEUR Alain: «Droit des Etats-Unis»,
Précis-Dalloz, 1994, 388 p., v. p. 42.
776 TOINET Marie-France: «Le système politique des
Etats-Unis», PUF, Thémis, 1987, 629 p., v. p. 96.
777 Sur la pratique de l?exception
d?inconstitutionnalité en droit comparé v. CONAC Gérard et
MAUSS Didier: «L?exception d?inconstitutionnalité», STH, Les
Cahiers Constitutionnels de Paris 1, 1990, 143 p.
778 RENOUX Thierry S.: «L?exception telle est la
question», RFDC, 1990, pp. 651 à 658.
779 CSM: 16 octobre 1990, Babajee c/ Appadoo, MR, 1990, pp.
175 à 180, le juge Glover rédacteur de l'arrêt. Dans cette
affaire, le juge mauricien censure l?article 1463 du Code Napoléon pour
cause de discrimination sexuelle.
Constitution n?évoque pas l?hypothèse d?un
renvoi des questions d?interprétation de la Constitution qui permet aux
parties d?obtenir dès l?instance du premier degré une
interprétation de la Cour Suprême. Mais une authentique exception
d?inconstitutionnalité a été développée de
façon prétorienne dans les niveaux supérieurs de la
hiérarchie juridictionnelle. L?exception d?inconstitutionnalité
est devenue un moyen de recours à la fois à la formation d?appel
de la Cour Suprême et au Conseil Privé. Elle constitue en appel et
en cassation un moyen de droit nouveau accepté sans grande
réticence par le juge local780 et le Comité
Judiciaire781. La Cour Suprême se permet aussi d?invoquer
d?office (proprio motu) l?irrégularité d?un texte en
appel et invite alors les parties à s?expliquer sur le
point782 ou, dans le cas d?une inconstitutionnalité
manifeste, statue directement sur la question.
780 CSM: 27 juillet 1972, Director of Public Prosecutions c/
Masson, MR, 1972, pp. 205 à 216, le juge Ramphul rédacteur de
l'arrêt.
781 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note
635.
782 CSM: 24 juin 1970, Ng Yelim c/ Chinese Chamber of
Commerce, MR, 1970, pp. 125 à 131, le juge Garrioch rédacteur de
l'arrêt. «The parties to these appeals have been heard on a point
raised proprio motu by this court concerning the effect of section 82(2) of the
Constitution of Mauritius on section 3(3) of the Landlord and tenant (control)
Ordinance 1960...», ibid.
*
Schématiquement, le système mixte de
contrôle de constitutionnalité applicable à Maurice peut
être présenté ainsi. Si le système se définit
de façon organique, par le fait que c?est le juge ordinaire qui
intervient, il devrait être rattaché au contrôle diffus
américain. En revanche, si on privilégie le critère
fonctionnel, l?existence d?un véritable contentieux constitutionnel, il
est indéniable qu?il existe à Maurice une bonne dose de
concentration.
Enfin, un constat s?impose: le système mixte
représente indéniablement l?apogée du constitutionnalisme.
La participation du citoyen au contrôle de la Loi permet d?affermir la
justice783. Le système mauricien mérite d?être
davantage mis en oeuvre et exploité par les justiciables. Les
auxiliaires de justice mauriciens doivent accroître leur connaissance en
contentieux constitutionnel. Naturellement, l?efficacité du
contrôle dépend aussi largement des moyens que s?offre le juge, en
l?occurrence, le juge londonien.
SECTION 2. LES MOYENS DU CONTRÔLE
Le Comité Judiciaire, en tant que juge constitutionnel,
a repris à son compte les moyens communs aux juridictions ayant pour
oeuvre de confronter une norme à la Constitution. Il existe des moyens
de contrôle faisant partie d?un fonds commun à toute juridiction
constitutionnelle et le Comité Judiciaire, tribunal de la famille de
Common Law, les a utilisés selon une manière propre et
spécifique aux Constitutions du Commonwealth. Devant l?apparente
simplicité de cette présentation se dissimule en
réalité le pouvoir même de la Haute Instance. Les moyens de
contrôle utilisés dépassent le cadre du contrôle des
normes pour démontrer l?étendue de l?office du Tribunal de la
Downing Street.
Parmi les différents moyens que le Comité
Judiciaire emploie, l?un d?entre eux, par son importance et sa portée
dans l?ensemble des pays du Commonwealth, mérite de retenir en premier
notre attention: le mode d?interprétation des textes fondamentaux
(sous-section 1). Il convient ensuite d?analyser les différentes
techniques mises en oeuvre pour assurer le contrôle de
constitutionnalité et les différents types de contrôle
assurés, c'est-à-dire, les différents types de
décisions prononcées (sous-section 2).
783 Sur le sujet v. ROUSSILLON H. et PATRZALEK A. (dir):
«Le citoyen et le contrôle de la constitutionnalité des Lois
en Pologne et en France», Faculté de droit de Toulouse, Presses de
l?Institut d?Etudes Politiques de Toulouse, 1994, 204 p.
Sous-section 1. L'interprétation des textes
fondamentaux
Avant d?être appliqué, tout texte mérite
une interprétation par le juge. En réalité, il n?y a pas
en droit de texte si clair qui puisse échapper à
l?interprétation784. L?adage selon lequel
l?interprétation s?arrête devant un texte clair (interpretatio
cessat in claris), si éloquent soit-il, ne résiste pas
à l?analyse. Il doit être rejeté.
La règle de droit est édictée en vue de
s?appliquer à des situations concrètes. Dans la mesure où
les rédacteurs de la norme ne peuvent prévoir les
hypothèses qui seront soumises à son empire, ils procèdent
par voie de dispositions générales. Mais l?édiction des
normes générales confère une fonction
supplémentaire au juge chargé d?appliquer la règle de
droit. En vertu de la généralité des termes, il lui
appartient de dissiper les ambiguïtés que la norme contienne afin
de donner au texte toute sa signification véritable. Interpréter,
c?est déterminer le sens et la portée d?un texte785.
L?interprétation peut se faire de manière objective. Elle est
alors un acte de connaissance. Elle peut se faire de manière subjective.
Elle est dans ce cas un acte de volonté786.
Sur la base de cette observation, l?examen des méthodes
d?interprétation suivies par le Conseil Privé est
nécessaire (paragraphe 2). Cependant pour affiner l?analyse, il est
d?une importance primordiale de s?arrêter sur les méthodes
d?interprétation du juge anglais en général (paragraphe 2)
car le Comité Judiciaire, malgré son autonomie, n?en a pas moins
été influencé par l?évolution opérée
par les Lords judiciaires agissant en tant que juges de la Chambre des Lords
tout en se démarquant, au besoin, de ces derniers.
784 TROPER Michel: «Justice constitutionnelle et
démocratie», RFDC, 1990, pp. 31 à 49, v. p. 35.
785 PERELMAN Charles: «L?interprétation
juridique», ADP, 1972, pp. 29 à 37.
786 TROPER Michel: «La liberté
d?interprétation par le juge constitutionnel», pp. 235 à 245
in AMSELEK Paul (dir): «Interprétation et droit», Bruxelles,
Emile Brylant, 1995, 245 p.
Paragraphe 1. Les méthodes et attitudes du juge
anglais en général
Deux périodes sont à distinguer dans l?attitude
du juge britannique en matière d?interprétation. Il a pendant
assez longtemps plus ou moins été statique et formaliste (A).
Cette attitude est révolue et ne conserve principalement qu?un
intérêt historique. A partir des années soixante, le juge
adopte une démarche progressiste et dynamique (B).
A. L'attitude statique
L?approche statique implique que le juge interprète
littéralement la règle de droit (a) et qu?il se tient
rigoureusement aux décisions précédemment
prononcées par lui (b).
a. L'interprétation littérale et
stricte
Certes le juge anglais a créé (ou, selon la
fiction, a déclaré)787 la Common Law de manière
inductive et était par excellence le juge le plus créateur de
normes. Par contre, au début du vingtième siècle, avec
l?avènement de la démocratie et du suffrage universel, le juge
anglais se voulait être complètement apolitique. Les Lords
judiciaires faisaient valoir que la fonction du juge était
mécanique dans l?application du droit788. Ils appliquaient le
droit de manière désintéressée789 depuis
que la doctrine de la souveraineté de la Loi, prônée par
Albert Venn Dicey, ait triomphé en Angleterre. Le juge anglais voulait
donner l?impression que lui-même ait cru en cette fiction. Le juge se
soumettait à la Loi, qu?il interprétait de manière stricte
et littérale790 et exégétique791. Il
était
787 «Those with a taste for fairy tales seem to have
thought that in some Aladdin?s cave there is hidden the Common Law in all its
splendour and that on a judge?s appointment there descends on him knowledge of
the magic words open sesame», REID, Lord, cité note 517, v. p.
22.
788 STEVENS Robert, cité note 452, v. p. 196. Selon
l?auteur: «(The Law Lords) exhibited an increasing tendency to articulate
a declaratory theory of law and to insist that the judicial function, even in
the final appeal court, was primarily the formalistic or mechanical one of
restating existing doctrines», ibid.
789 JAFFE Louis L.: «English and American judges as
lawmakers», Oxford, Clarendon Press, 1969, 116 p., v. p. 1.
790 CL: 12 décembre 1946, Wicks c/ Director of Public
Prosecutions, AC, 1947, pp. 362 à 368, Vicomte Simon rédacteur de
l'arrêt principal. Le juge souligne que: «... the intention of
Parliament is not to be judged by what is in its mind, but by what its
expression of the Statute itself».
791 Il y a en droit anglais trois grandes règles
(major rules) d?interprétation d?une norme écrite: la
règle littérale (literal rule), la règle d?or ou
souple (golden rule), permettant au juge de déroger à
l?approche littérale dans le cas où celle-ci provoquerait un
résultat ou une solution absurde, et la règle de la
finalité (mischief rule) autorisant au juge de faire une
lecture de la règle de droit selon son objet. V. sur le sujet CROSS
Rupert, Sir, BELL John et ENGLE George, Sir, QC: «Statutory
Interpretation», Londres, Butterworths, 1995, 211 p., v. chapitre 3.
De ces trois règles précitées, la
première a primé et a été plus couramment
utilisée. Le juge était attaché au mythe de la Loi
(basic legal myth).
respectueux de la lettre de la Loi792 et la
transcrivait fidèlement. Il ne voulait pas s?arroger du pouvoir
parlementaire de définir les politiques publiques et s?immiscer dans les
domaines de l?exécutif793.
Il s?ensuivait que le juge ne recherchait pas
réellement l?intention du législateur794. Il ne
pouvait pas, contrairement à son homologue français, se
référer aux travaux préparatoires et avait, de ce fait, de
grandes difficultés à interpréter certains textes de
loi795. Enfin, la Common Law d?origine jurisprudentielle
était devenue plus ou moins statique et était
sclérosée en ce sens que les juges s?interdisaient de
développer le droit.
b. La règle de stare decisis
La règle du précédent constitue un des
fondements majeurs de la Common Law796. Selon la théorie
classique, la Common Law existe depuis un temps immémorial et est
inchangée et immuable sauf par la Loi. Etant un droit unificateur et
unique, elle doit être stable et prévisible (certain).
Elle tire sa légitimité de la sécurité juridique et
de la rationalité qu?elle offre. Le juge suprême britannique a
posé le principe selon lequel il ne doit pas s?éloigner de ce
qu?ont décidé ses prédécesseurs sur
l?interprétation d?une norme écrite ou de leur déclaration
de la Common Law. Le juge est tenu par la cohérence du droit.
Selon la hiérarchie des tribunaux, les cours
inférieures à la Chambre des Lords, notamment la Haute Cour de
Justice et la Cour d?Appel, doivent obligatoirement statuer dans le sens
indiqué par le Palais de Westminster. Celui-ci était, en vertu de
ce qui vient d?être dit, lié par sa propre
jurisprudence797. Le système du précédent
attribue une force contraignante à la
792 «Nor was there anything in the British Constitution
which compelled the Victorian Law Lords and their successors to limit their
powers by adopting literal rules for the interpretation of Acts of Parliament.
Yet, they decided that to avoid making laws, they were compelled to give effect
to the plain and unambiguous language of a Statute... no matter how absurd
might be the result of the literal interpretation», LESTER Anthony, QC:
«English judges as lawmaker», PL, 1993, pp. 269 à 290, v. p.
272.
793 CL: 3 novembre 1941, Liversidge c/ Sir John Anderson, AC,
1942, pp. 206 à 283, Vicomte Maugham rédacteur de l'arrêt
principal.
V. également DIPLOCK Kenneth, Sir, The Right
Honourable: «The court as legislators», pp. 265 à 287 in
HARVEY Brian W. (dir): «The lawyer and justice», Londres, Sweet and
Maxwell, 1978, 304 p.
794 CL: 9 mars 1978, Davis c/ Johnson, AC, 1979, pp. 264
à 350, Lord Denning rédacteur de l'arrêt principal.
795 Une Loi sur le vol de 1968 a été
qualifiée de «cauchemar judiciaire» (judicial
nightmare) par un juge de la Cour d?Appel anglaise. V. CA: 9 novembre
1971, Regina c/ Royle, All ER, 1971, vol. 3, pp. 1359 à 1366, Lord-Juge
Edmund Davies rédacteur de l'arrêt, v. p. 1363.
796 GOLSTEIN Laurence (dir): «Precedent in law»,
Oxford, Clarendon Press, 1987, 279 p., CROSS Rupert, Sir: «Precedent in
English law», Oxford, Clarendon Press, 1977, 242 p. et JOLOWICZ J. A.:
«La jurisprudence en droit anglais, aperçu sur la règle du
précédent», ADP, 1985, tome XXX, pp. 105 à 115.
797 Selon Lord Campell: «A decision of this high court in
point of law is conclusive upon inferior tribunals. I consider it the
constitutional mode in which the law is declared, and that, after
jurisprudence de principe et aux motifs déterminants
(ratio decidendi)798 qui ont conduit à la solution
juridique de l?arrêt. Mais, le cas d?espèce d?une affaire est
souvent différent d?un autre et comme la règle de droit
énoncée par le juge est en général formulée
en des termes concrets et est relative au fait de la première affaire,
ce système s?adaptait mal à l?élaboration et à la
classification de grands principes pour la conduite de la vie en
société. Devant cette difficulté, le juge a
développé une pratique de distinction des cas lorsque
l?application d?une jurisprudence à une affaire donnée causerait
une absurdité. La distinction devait être
fondée799 et être en parfait accord avec la
règle posée800.
Le juge suprême britannique répugnait le
revirement de jurisprudence (overruling a precedent)
considéré comme étant contraire au principe fondamental de
non-rétroactivité des normes juridiques801. Un
revirement produit son effet immédiatement, aux faits régis par
l?ancienne jurisprudence. Aussi, l?idée de création d?un nouveau
droit par les juges est en conflit avec les valeurs mêmes de la Common
Law: la certitude, la prévisibilité du droit et le principe de
non-rétroactivité de la Loi802.
Les difficultés de fonctionnement de ce système
avaient nécessité son abandon.
such a judgment has been pronounced, it can only be altered by
an Act of Parliament», CL: 25 avril 1898, The London Street Tramways
Company Ltd c/ The London Councty Council, AC, 1898, pp. 375 à 381, le
Lord-Chancelier Comte de Halsburry rédacteur de l'arrêt.
798 Dans un arrêt, les motifs déterminants
(ratio decidendi) se distinguent de l?opinion simplement incidente du
juge non nécessairement au raisonnement stricte (obiter
dictum).
799 JAUFFRET-SPINOSI Camille: «Comment juge le juge anglais
?», DR, 1989, n° 9, pp. 57 à 67, v. p. 64.
800 «Le droit jurisprudentiel est casuistique, souvent
approprié à un seul litige, discontinu et dans une large mesure
il est lié au sort d?espèces concrètes
déterminées», CAPPELLETTI Mauro, cité note 737, v. p.
77.
801 DEVLIN Patrick: «The Judge», Oxford University
Press, 1979, 207 p., v. p. 11.
802 En réalité, il arrive que les juges anglais
créent de nouveaux délits. V. infra.
B. L'attitude dynamique et
évolutive
Le rôle et l?attitude du juge britannique, comme ses
homologues des pays continentaux, changent radicalement après la
deuxième guerre mondiale (a). Le juge devient un activiste (b) dans la
mise en oeuvre des grandes politiques.
a. Le rôle nouveau du juge
Après la deuxième guerre mondiale ce fut en
réalité le rôle de l?Etat qui changea dans les
sociétés modernes. La deuxième guerre mondiale avait
bouleversé les données traditionnelles des sociétés
d?Europe. Le poids des conflits et des opérations militaires avait
affaibli l?Europe sur le plan physique, démographique, économique
et sociale803. L?Etat avait dû accentuer
considérablement son intervention804 dans les sphères
de droit privé et de l?économie. Le secteur public
s?étendait et l?Etat assumait de larges responsabilités,
notamment en matière sociale. L?Etat avait pour objet de créer
une société nouvelle. Il mit en oeuvre une politique
promotionnelle et, par là même, élaborait des droits
sociaux. A la différence des droits traditionnels pour lesquels il
suffit que l?Etat sanctionne leur violation, les droits sociaux exigent une
action active, souvent prolongée dans le temps par tous les appareils de
l?Etat. Les législations sociales posent des principes
généraux et il appartient aux juges, comme d?autres
autorités publiques, de sanctionner ces droit afin de les rendre
applicables directement (self-executing).
L?attitude formaliste des juges était inadaptée
au développement de l?Etat-Providence. L?activité des juges
devait prendre un aspect nouveau dans sa manière d?interpréter
les Lois, en vue de donner un contenu concret à la législation et
aux droits sociaux. Des écoles contre le formalisme judiciaire se
faisaient vivement entendre aux Etats-Unis d?Amérique805 et
en Angleterre806. Certains Lords judiciaires s?étaient
insurgés contre l?idée selon laquelle les
précédents pourraient dicter une solution toute faite au juge
surtout quand ils étaient divers et imprécis.
Un aspect particulier de l?évolution opérée
chez les Lords judiciaires mérite d?être mis en lumière. A
partir des années cinquante, les Lords étaient
803 SUR Serge: «Relations internationales»,
Monchrestien, 1995, 587 p., v. p. 75.
804 L?Etat-Providence (welfare state) avait pris le
relais à l?Etat-Gendarme. Le gouvernement travailliste britannique
s?était embarqué sur un programme gigantesque de
développement.
805 MICHAULT Françoise: «Le rôle
créateur du juge selon l?Ecole de la sociological
jurisprudence? et le mouvement réaliste américain. Le juge et la
règle de droit», RIDC, 1987, pp. 343 à 371.
806 V. en général sur le sujet EDMUND-DAVIES,
Lord: «Judicial activism», CLP, 1975, pp. 1 à 14.
convaincus qu?ils avaient aussi pour mission de combler les
vides juridiques car, exécutant un service public, le juge est
nécessairement au service de l?homme807. Davantage encore,
les Lords avaient décidé d?assouplir la règle du
précédent obligatoire afin de permettre à la Chambre des
Lords d?effectuer, dans certains cas, des revirements de
jurisprudence808.
On assiste depuis à une nouvelle définition du
rôle et de la fonction du juge. Il doit désormais être
dynamique et il pèse sur lui une responsabilité politique
lorsqu?il rend une décision. En tranchant un litige, le juge doit avoir
à l?esprit les suites pratiques et implications morales et politiques de
son choix809. C?est ainsi que le juge britannique accepte depuis
1993 de recourir comme ses homologues français et
mauricien810 aux travaux préparatoires afin de
découvrir la pensée du législateur811.
b. L'activisme du juge
Avec le développement de l?Etat-Providence, les
transformations sociales et économiques se produisent à un rythme
précipité et les pouvoirs législatif et exécutif
accusent un retard dans la réglementation de nouvelles activités.
En de telles circonstances, les possibilités de mise en oeuvre d?un
dynamisme judiciaire sont très grandes812.
Les juges privilégient le mode d?interprétation
téléologique des Lois et des principes fondamentaux afin
d?appliquer leur politiques jurisprudentielles. D?une manière active,
les juges britanniques formulent et précisent des règles, surtout
en matière administrative et sur la bonne conduite des agents publics.
La Chambre des Lords, à la manière du Conseil d?Etat
français, a élaboré après
807 «The judges in modern society are not potentates:
they are rather servants, servants of the people in the highest and most
honourable sense of that term», MCLACHLIN Beverly: «The role of
judges in modern Commonwealth society», LQR, 1994, pp. 260 à 269,
v. p. 262.
808 CL: 26 juillet 1966, Practice statement (Judicial
Precedent), WLR, 1966, vol. 1, p. 1234, le Lord-Chancelier Gardiner auteur de
la déclaration. Il fait ressortir que: «Their Lordships
nevertheless recognise that too rigid adherence to precedent may lead to
injustice in a particular case and also unduly restrict the proper development
of the law», ibid.
809 «... the new race of judges are not mere technicians
but are men of the world as well. We can - indeed we must- trust them to
acquaint themselves with public policy and apply it in a reasonable way to such
new problems as will arise from time to time», REID, Lord, cité
note 517, v. p. 27.
810 Le Comité Judiciaire, statuant en contentieux
mauricien, utilise les travaux préparatoires. CJCP: 19 mai 1988, S.
Buxoo c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur
de l'arrêt.
811 SLAPPER Gary: «Statutory interpretation, a new
departure», BLR, 1993, pp. 56 à 58.
812 «... if the judges had not used their law-making
power to develop greater judicial protection of public powers, we can be
certain that no government would have sought to persuade Parliament to do
so», LESTER Anthony, QC, cité note 792, v. p. 279.
la deuxième guerre mondiale un droit administratif
autonome813. En l?absence de textes précis, le juge
britannique est appelé à porter sur la question du litige un
jugement de valeur qui implique une vision de la société de
demain et à soumettre le pouvoir public et politique à une
éthique de bonne conduite814. Le contrôle de
l?Administration est renforcé et les cas d?ouverture d?un recours en
annulation d?un acte administratif se sont considérablement
multipliés815 et sont en Angleterre souples et
flexibles816. Un acte administratif peut être annulé
non seulement pour violation de la Loi et incompétence comme autrefois,
mais également pour détournement de pouvoir et vice de
procédure817. Une grande partie du droit administratif est de
création prétorienne818 et le juge britannique a
repris son activité créatrice819.
Cette esquisse de la nouvelle place et fonction du juge, en
particulier les Lords, dans la société britannique nous permettra
de porter un jugement plus précis sur l?attitude des membres du Conseil
Privé en ce qui concerne l?interprétation des normes
fondamentales.
813 DISTEL Michel: «Aspects de l?évolution du
contrôle juridictionnel de l?Administration en Grande-Bretagne»,
RIDC, 1982, pp. 41 à 100.
814 BELL John: «Le juge administratif anglais, est-il un
juge politique ?», RIDC, 1986, pp. 791 à 809.
815 Le droit britannique du contentieux administratif est
sensiblement similaire de celui pratiqué en France.
816 «There is a definite judicial desire that grounds for
intervention be sufficiently flexible to accommodate the particular
circumstances of any individual case», FORDHAM Micheal: «Judicial
review handbook», Londres, Wiley Chancery Law Publishing, 1994, 701 p., v.
p. 270.
817 V. infra.
818 WOOLF Harry, Sir, The Right Honourable: «Protection
of the public: a new challenge», Londres, Stevens and Sons,The Hamlyn
Lectures, 1990, 132 p., SCHWARTZ Bernard: «Lions over the throne. The
judicial revolution in the English administrative law», New-York, New-York
University Press, 1987, 223 p. et GRIFFITH J. A. G.: «Judicial
decision-making in public law», PL, 1985, pp. 564 à 582.
819 «Over the last 40 years, the courts have developed
general principles of judicial review», CL: 3 décembre 1992, Regina
c/ Lord President of the Privy Council, ex parte Page, AC, 1993, pp. 682
à 712, Lord Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt
principal, v. p. 701.
Paragraphe 2. Les méthodes et attitudes propres
du Comité Judiciaire
Que le Comité Judiciaire présente dans son
fonctionnement des différences de celui de la Chambre des Lords n?est
guère discutable. A la Downing Street, la règle du
précédent n?a jamais été obligatoire bien que dans
la pratique cette règle soit depuis fort longtemps suivie avec rigueur.
Le Comité Judiciaire s?est toujours réservé le droit de
déroger à sa propre jurisprudence820. Cette attitude
d?avant-garde lui a permis d?élaborer une jurisprudence plus souple que
celle du Palais de Westminster et de poser de nouveaux principes821.
En revanche, on regrettera que sa jurisprudence ait été assez
fluctuante sur certains principes (A). Toutefois, prolongeant dans les
années soixante-dix le rôle dynamique de la Chambre des Lords, le
juge du Whitehall a développé une nouvelle politique
jurisprudentielle tendant à assurer aux particuliers une protection
toujours plus large et plus forte de leurs droits fondamentaux à
l?instar des cours constitutionnelles d?Europe occidentale. Pour ce faire, il
a, à travers une interprétation téléologique,
vitalisé la Constitution (B).
A. Oscillation de la jurisprudence
La jurisprudence du Comité Judiciaire a
été au demeurant dans bien des cas imprévisible et sans
suite logique. Vu la multiplication des opinions dissidentes dès lors
que le litige portait principalement sur l?interprétation d?une Norme
Fondamentale, il ne fait de doute que la Haute Juridiction, comme la Chambre
des Lords, a connu une opposition virulente entre, d?une part, les juges
favorables à une interprétation ordinaire des droits fondamentaux
(a) et, d?autre part, les juges en faveur d?une interprétation
spécifique ou large (b).
820 CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, cité
note 634. Lord Diplock écrit que: «The Judicial Committee of the
Privy Council is not strictly bound to follow the ratio decidendi of its
previous decisions. It has always claimed the power to overrule its previous
decisions even where they are fully reasoned although in the interest of
certainty of law this is a power that it will exercise only in exceptional
circumstances», ibid., p. 123.
821 «... the Judicial Committee of the Privy Council,
which had always been free to depart from its prior decision and therefore has
been better able than the House (of Lords) to develop its jurisprudence»,
HILLER Jack A.: «The law-creative role of appellate courts in the
Commonwealth», ICLQ, 1978, pp. 85 à 126, v. p. 107. Cette
affirmation de Monsieur Jack Hiller est à distinguer de celle de Lord
Reid, citée note 650.
a. L'interprétation ordinaire
Le Comité Judiciaire, influencé par la Chambre
des Lords, a pendant longtemps privilégié le mode
d?interprétation stricte et littérale822 des lois
ordinaires et fondamentales en raison de son éloignement
géographique avec les pays concernés. Leurs Seigneuries
laissaient entendre qu?ils manquaient de connaissance des affaires locales
suffisante pour pouvoir faire évoluer le droit dans le cadre d?une
politique jurisprudentielle appropriée. Ils accordaient aux juges locaux
le pouvoir d?apprécier souverainement, non seulement les faits de
l?espèce823 mais aussi le contexte juridique824 ou
les conséquences de telle ou telle interprétation possible d?une
Loi825. Dans ces conditions, le mode d?interprétation stricte
et formaliste était le mieux adapté à l?oeuvre du
Comité Judiciaire.
A ce titre, la modération judiciaire (judicial
restraint) était souvent de mise dans les affaires impliquant la
protection d?une ou des libertés publiques. La jurisprudence de la Haute
Juridiction n?offrait pas d?originalité. Elle ne faisait appel
qu?à des techniques contentieuses traditionnelles. La doctrine avait
émis d?acerbes critiques contre certaines décisions et parla de
«l?austérité d?un légalisme systématique»
(the austerity of tabulated legalism)826 et «d?une
conception naïve de la justice constitutionnelle»
(unsophisticated philosophy of constitutional adjudication). Un
exemple de modération du juge provient de l?arrêt Runyowa c/ La
Reine. Le Comité Judiciaire y déclina de sanctionner la peine de
mort alors que la Loi Fondamentale interdit tout traitement inhumain et la
torture827. Dans les cas où la peine capitale était
prévue par la Constitution, le Comité Judiciaire
considérait que le mode d?exécution de la
822 Certains juges sont très attachés à
cette méthode. V. par exemple, CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The
Queen, cité note 233, v. l?opinion dissidente de Vicomte Dilhorne et de
Lord Fraser. Ils disent que: «A written Constitution must be construed
like any other written document. It must be construed to give effect to the
intentions of those who made and agreed to it and those intentions are
expressed in or to be deduced from the terms of the Constitution itself... It
must not be construed as if it was partly written and partly not», ibid.,
p. 396.
823 CJCP: 2 octobre 1990, Abdool Cader Abdool Gaffoor c/ The
Queen, cité note 415.
824 CJCP: 30 avril 1985, Hubert Bell c/ Director of Public
Prosecutions, cité note 756. Le juge précise que «... their
Lordships accept the submission of the respondents that in general courts of
Jamaica are best equipped to decide whether in any particular case delay from
whatever cause contravenes the fundamental rights by the Constitution of
Jamaica», ibid., p. 82.
825 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/
Espérance Company Limited, affaire de Maurice, Lord Templeman
rédacteur de l'arrêt majoritaire. V. l?opinion dissidente de Lord
Bridge of Harwich qui affirme que: «... it seems entirely right to
attribute to that court (of Mauritius) a greater familiarity than this Board
can claim with the somewhat imprecise style of draftmanship which appears to
characterise legislation in Mauritius».
826 EWIG K. D.: «A Bill of Rights: lessons from the Privy
Council», pp. 231 à 249 in FINNIE W., HIMSWORTH C. et WALKER N.
(dir): «Edinburgh essays in public law», Edinburgh University Press,
1991, 380 p., v. p. 236-7, ZELLICK Graham: «Fundamental rights in the
Privy Council», PL, 1982, pp. 344 à 346 et BARKER Kent: «Final
appeal to a remnant Empire», The Independant, 31 mai 1991, p. 15.
827 CJCP: 19 janvier 1966, Simon Runyowa c/ The Queen, AC, 1967,
vol. 1, pp. 26 à 49, affaire de la Rodhésie, Lord Morris of
Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.
sentence, la pendaison, n?était non plus une peine
dégradante ou inhumaine828. De même dans une affaire
mauricienne, le juge avait privilégié l?interprétation
grammaticale d?une Loi malgré les effets complexes que sa
décision pourrait comporter829 et dans une affaire de la
Jamaïque, le juge avait privilégié le sens grammatical de la
Loi même si une telle lecture était susceptible de créer
des absurdités juridiques830.
b. L'interprétation spécifique au droit
constitutionnel
La méthode précédente n?était pas
convenable. Les Lords du Conseil Privé opérèrent à
la fin des années soixante-dix un tournant interprétatif qui
bouleversa l?évolution du droit constitutionnel. En
réalité, ils firent un retour au procédé
inauguré par le Lord-Chancelier Vicomte Sankey qui avait consacré
la spécificité et l?autonomie de l?interprétation
constitutionnelle par rapport aux autres branches du droit. Vicomte Sankey
faisait appel aux méthodes de l?interprétation logique et
systémique pour interpréter la Constitution canadienne. Dans un
arrêt de 1929, dont le paragraphe de la motivation principale
mérite d?être reproduit, il déclara que la Loi sur
l?Amérique du Nord Britannique (la Constitution du Canada), a
«planté au Canada un arbre vivant susceptible de croître et
de se développer dans ses limites naturelles. L?objet de cette loi
était de donner au Canada une Constitution... Leurs Seigneuries
n?estiment pas qu?il soit de leur devoir -ce n?est en tout cas certainement pas
leur désir- de restreindre l?effet des dispositions de cette loi par une
lecture étroite et technique de ses termes mais il leur appartient bien
plutôt de lui donner une interprétation large et
libérale»831. La conception du Vicomte Sankey se
justifiait par le fait que la Constitution était destinée
à régir la société durant une longue
période. N?étant pas facilement modifiable, elle devait pouvoir
s?adapter aux situations nouvelles832. La métaphore de
l?arbre vivant833
828 V. infra.
829 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/
Espérance Company Ltd., cité note 825.
830 CJCP: 19 mai 1975, Eaton Baker c/ The Queen, cité
note 634. Lord Salmon, auteur d?une opinion dissidente, a estimé que:
«The function of a court is to give effect to the intention of the
legislative as expressed in the language of the Statute under consideration. If
the language is capable of bearing only one meaning then that is the meaning
which the courts are bound to apply even if to do so leads to injustice»,
ibid., p. 125.
831 «(The British North America Act) planted in Canada a
living tree capable of growth and expansion within its natural limits. The
object of the Act was to grant a Constitution to Canada... Their Lordships do
not conceive it to be the duty of this Board -it is certainly not their desire-
to cut down the provisions of the Act by a narrow and technical construction,
but rather to give it a large and liberal interpretation», CJCP: 18
octobre 1929, Henrietta Muir Edwards c/ Attorney-General for Canada, AC, 1930,
pp. 124 à 143, affaire de Canada, le Lord- Chancelier Vicomte Sankey
rédacteur de l'arrêt.
832 BRUN Henri et TREMBLAY Guy: «Droit
constitutionnel», Québec, Editions Yvon Blais, 1990, 2e
édition, 1232 p., v. p. 206 et s.
833 WILSON Bertha: «The making of a Constitution: approaches
to judicial interpretation», PL, 1988, pp. 370 à 384, v. p. 378.
et des juges agissant comme des jardiniers fut
appliquée avant d?être abandonnée dans quelques affaires
portant sur la répartition des pouvoirs entre l?Etat
fédéral et les Etats
fédérés834.
Le rejet de la spécificité de
l?interprétation constitutionnelle dura jusqu?en 1975 lorsque Lord
Diplock redéfinit dans le célèbre arrêt Moses c/ La
Reine835 la discipline du droit constitutionnel des pays du
Commonwealth836. Il pose définitivement les règles de
la lecture des normes constitutionnelles afin d?éviter la multiplication
des opinions dissidentes en la matière.
Reprenant l?analyse de Monsieur le Professeur Michel
Troper837, il est possible de soutenir que Lord Diplock a
injecté dans les nouvelles décisions du Conseil Privé un
double syllogisme, un syllogisme secondaire concernant le type
d?interprétation à donner au texte fondamental et un syllogisme
primaire relatif au cas de l?espèce. En effet, ce qui est nouvellement
en cause, c?est le sens des termes de la majeure, autrement dit,
l?interprétation de la règle constitutionnelle qu?il s?agit
d?appliquer. C?est cette interprétation que le juge justifie. L?analyse
du texte constitutionnel trouve son fondement dans une proposition plus
générale que lui. Le syllogisme secondaire a pour règle
majeure une règle d?interprétation.
L?appel au procédé de la dualité des
syllogismes a lieu lorsque le juge cherche à mettre en oeuvre une
politique constitutionnelle définie au préalable838.
Le type d?interprétation choisi est dans ce cas fonction des
finalités que le juge attribue à la Constitution. S?agissant du
Conseil Privé, sa nouvelle méthode d?interprétation est
guidée par l?objectif de maintenir un équilibre de type
Westminster entre les pouvoirs publics et de protéger les droits de
l?homme. L?objet et le but de la Constitution occupent une place primordiale
dans le système jurisprudentiel du juge londonien. Ainsi, les Lords
judiciaires commencent par choisir une interprétation qui pourra
corroborer avec le sens
834 CJCP: 6 juin 1935, British Coal Corporation c/ The King,
cité note 160.
835 CJCP: 5 novembre 1975, Moses c/ The Queen, cité note
233.
836 Le retour à l?interprétation
téléologique était nécessaire d?autant que certains
tribunaux des pays qui avaient aboli le droit de recours au Conseil
Privé élaboraient une jurisprudence plus libérale sur
certains points. V. OKPALUBA Chucks: «Judicial approach to constitutional
interpretation», Matt Madek and Company, 1992, 570 p.
837 TROPER Michel: «Le problème de
l?interprétation et la théorie de la supralégalité
constitutionnelle», pp. 133 à 151 in RECUEIL D?ETUDES EN L?HOMMAGE
DE CHARLES EISENMANN, Editions Cujas, 1975, 467 p., v. p. 147.
838 Cette méthode de Lord Diplock a été
dénoncée par deux membres du Conseil Privé, Vicomte
Dilhorne et Lord Fraser of Tullybelton, in CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds
c/ The Queen, cité note 233, v. p. 396.
attribué au texte839.
L?interprétation n?est pas simplement un acte de connaissance mais
surtout de volonté. L?interprète crée le sens qu?il
substitue au texte840.
Lord Diplock part de l?idée suivante: les nouvelles
Constitutions du Commonwealth, dont celle de l?île Maurice, sont des
textes juridiques de nature complètement différente de celle
d?une Loi ordinaire. La Constitution est un document de compromis entre les
représentants des principaux groupes politiques. Elle n?a pas
été élaborée par une Assemblée constituante.
Elle n?a constitutionnalisé que de manière évolutive et
non révolutionnaire les institutions publiques841. Le
caractère évolutif impose nécessairement au juge
l?obligation de poursuivre la politique convenue par les représentants
lors de l?écriture de la Constitution. Le juge doit faire appel à
la logique interne du texte, à sa cohérence globale et à
ses finalités842, en somme, à l?esprit de la
Constitution.
Les jurisprudences successives du Comité Judiciaire
sont très illustratives de cette approche. Dans l?arrêt
Ministère de l?Intérieur c/ Fisher843, Lord
Wilberforce met l?accent sur la similarité des Constitutions du
Commonwealth, notamment leurs catalogues de droits fondamentaux, avec de grands
textes internationaux telles la Convention Européenne des Droits de
l?Homme et la Déclaration Universelle des Droits de
l?Homme844. Autrement dit, les Constitutions sont
rédigées en de termes généraux comme des manifestes
politiques845. Il s?ensuit que les Constitutions doivent être
interprétées dans un
839 «Ainsi, la motivation cherche à faire
illusion, à faire croire que la décision est rigoureusement
déduite de normes juridiques supérieures», TROPER Michel:
«La motivation des décisions constitutionnelles», pp. 287
à 302 in PERELMAN C. et FOIRIERS P.: «La motivation des
décisions de justice», Bruxelles, Etablissement E. Bruyant, 1978,
428 p., v. p. 295.
840 AGUILA Yann: «Le Conseil Constitutionnel et la
philosophie du droit», LGDJ, Travaux et Recherches
Panthéon-Assas,1993, 123 p., v. p. 57.
841 «They (the Constitutions) embody what is in substance
an agreement reached between representatives of various shades of political
opinion in the state as to the structure of the organs of government... The new
Constitutions... were evolutionary, not revolutionary», in CJCP: 5
novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 372.
842 «To seek to apply to constitutional instruments the
canons of construction applicable to ordinary legislation in the fields of
substantive criminal or civil law would, in their Lordships? view, be
misleading», ibid.
843 CJCP: 14 février 1979, Minister of Home Affairs c/
Collins Mac Donnald Fisher, cité note 30.
844 «It is known that this chapter, as similar portions
of other constitutional instruments drafted in the post-colonial period... was
greatly influenced by the European Convention for the Protection of Human
Rights and Fundamental Freedoms. That Convention was signed and ratified by the
United Kingdom and applied to dependent territories... It was in turn
influenced by the United Nations Universal Declaration of Human Rights of
1948», ibid., p. 328-9.
845 «They are statement of principles of great breath and
generality expressed in the kind of language more commonly associated with
political manifestos», CJCP: 27 novembre 1979, Torence Thornhill c/
Attorney-General, WLR, 1980, vol. 2, pp. 510 à 520, affaire de
Trinité et Tobago, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt, v. p.
516.
sens approprié à leur nature,
c'est-à-dire, de manière généreuse et
libérale846. Ce principe a été appliqué
par les Sages du Whitehall avec la même constance à tous les pays
entrant dans le champ de leur compétence, dont l?île
Maurice847. De même cette jurisprudence fait l?objet d?une
attention particulière par la Cour Suprême locale qui dans
certains arrêts prolonge avec hardiesse la logique de l?activisme
judiciaire848.
Le tournant interprétatif opéré par le
Comité Judiciaire représente une avancée significative
dans la dynamisation de la Loi Fondamentale. A ce titre, elle peut
résolument être vitalisée.
B. La vitalisation de la
Constitution
Puisque le Comité Judiciaire a pour fonction de
redécouvrir et dynamiser la Constitution, il tend à actualiser la
Loi Fondamentale, notamment le catalogue des droits fondamentaux. Son travail
d?interprétation prend désormais le caractère d?une
activité créatrice (a) et d?impulsion (b).
846 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Mamoudou Jobe,
cité note 743. Lord Diplock soutient que: «A Constitution, and in
particular that part of it which protects and entrenches fundamental rights and
freedoms to which all person in the state are entitled, is to be given a
generous and purposive construction», ibid., p. 183.
847 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks
c/ The Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 801
à 850, affaire de Maurice, Lord Templeman rédacteur de
l'arrêt de l?arrêt, v. p. 841.
848 CSM: 27 octobre 1995, Marie Gérard Christian Pointu
c/ The Minister of Education and Science, Le Mauricien, 28 octobre 1995, pp. 6
à 7, les juges Paul Lam Shang Leen, Vinod Boolell et Eddy Balancy
rédacteurs de l'arrêt.
a. La création des droits non écrits ou
l'extension du bloc de constitutionnalité
Les conseillers privés ont une conception vivante du
droit constitutionnel et ont développé une fonction de
suppléance du Comité Judiciaire au constituant. Ils comblent
certains vides juridiques au bloc de constitutionnalité car la liste des
droits fondamentaux ne doit pas être limitée. Lord Diplock
considère que les Constitutions du Commonwealth, du fait qu?elles sont
des textes de compromis politiques, comportent nécessairement des
notions vagues et indéterminées et des lacunes dans leurs
énoncés849. Certains principes fondamentaux n?ont pas
été mentionnés dans les Constitutions. Des normes de rang
constitutionnel existent en dehors de la Loi constitutionnelle. Le
Comité Judiciaire attribue valeur constitutionnelle à certaines
pratiques ou certaines lois antérieures à l?entrée en
vigueur des Lois constitutionnelles des pays du Commonwealth. Cette
méthode d?élévation des normes à la dignité
constitutionnelle s?apparente à la technique française de
création des principes à valeur constitutionnelle. Ceux-ci ne
sont pas prévus par la Constitution. Dans certains cas, le juge prolonge
une norme constitutionnelle et dans d?autres, il crée ex nihilo des
principes. Par exemple, le juge londonien considère que le droit
accordé à toute personne gardée à vue de pouvoir
communiquer et d?être assisté d?un conseiller juridique impose aux
services de police judiciaire un devoir d?information à l?égard
du gardé à vue850. De même, il dégage
avec force de l?article 10 de la Constitution de Maurice sur
l?impartialité et l?indépendance des tribunaux le principe selon
lequel il appartient exclusivement aux juges devant lesquels une affaire a
été débattue d?en délibérer851.
Aussi, le Conseil Privé considère que le principe de la
séparation des pouvoirs est inhérent au modèle Westminster
de Constitution. Ce principe n?est rattaché à aucun texte mais le
juge londonien l?engendre852. Ici, le lien avec un texte
constitutionnel n?apparaît pas mais le juge proclame le principe.
L?interprétation du texte de la Constitution a lieu
dans une perspective normative853. Le droit constitutionnel perd sa
signification sans la réinterprétation continuelle de son contenu
normatif. L?attitude des Lords
849 «Because of this a great deal can be, and in drafting
practice often is, left to necessary implication from the adoption in the new
Constitutions of a governmental structure which makes provision for a
legislature, an executive and legislature... As respects the judicature,
particularly if it is intended that the previously existing courts shall
continue to function, the Constitution may even omit any express provision
concerning judicial power upon the judicature», CJCP: 5 novembre 1975,
Moses Hinds c/ The Queen, cité note 233, v. p. 372.
850 CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman, WLR,
1991, vol. 2, pp. 1200 à 1205, affaire de Trinité et Tobago, Lord
Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt. V. infra.
851 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, cité note 521.
852 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité
note 233, v. p. 384. V. infra.
853 STAMANTIS Constantin M.: «Argumenter en droit, une
théorie critique de l?argumentation juridique», Paris, Publisud,
1995, 241 p., v. p. 72 et s.
judiciaires rejoint la théorie de Monsieur le
Professeur Ronald Dworkin pour qui le juge ressemble à un
écrivain chargé d?ajouter un chapitre dans un roman entamé
par d?autres personnes, ce qui est un processus intellectuel sans fin. La
cohésion est assurée par l?obligation des juges de retenir
l?interprétation la plus conforme aux principes généraux
de droit, de justice et d?équité854.
b. L'impulsion
Si le Comité Judiciaire ne s?est pas attribué un
pouvoir d?invocation d?office d?un moyen d?annulation d?une Loi, en revanche,
il s?autorise à statuer au-delà des termes d?un pourvoi. Il
assure un contrôle global du point de droit soulevé. Le juge
londonien ne tend pas seulement à trancher un litige mais remédie
aux situations objectives. Sa juridiction est dans ce cas volontaire et non
obligatoire. Il exerce des fonctions extrajuridictionnelles. Par exemple, il
peut critiquer les malfaçons rédactionnelles d?une
Loi855. De même, lorsque le juge londonien crée un
principe à valeur constitutionnelle, il donne par là même
des directives aux autorités locales sur sa mise en oeuvre. Par exemple,
en créant le principe de l?identité obligatoire entre les juges
à l?audience et les juges du délibéré, les Lords
suggèrent aux autorités publiques mauriciennes de prendre des
mesures pour son application et leur proposent de se référer
à la loi anglaise y relative856. Par ailleurs, la
création des droits nouveaux amplifie le problème de conciliation
que posent les applications concrètes des principes constitutionnels et
le juge de la Downing Street tend par anticipation à résoudre les
difficultés en formulant des conseils. Concernant le problème
d?engorgement des tribunaux, le Conseil Privé recommande aux
autorités, en l?occurrence celles de la Jamaïque, de trouver une
solution qui maintiendra un équilibre entre le droit fondamental de tout
individu d?être jugé dans un délai raisonnable et
l?intérêt public de conserver une bonne justice non
expéditive. Il récuse l?idée de remédier aux faits
de retard par la simple création de tribunaux
additionnels857. A la fin d?un arrêt, le Conseil Privé
peut analyser les défectuosités législatives
854 DWORKIN Ronald: «Law?s Empire», Londres, Fontana
Press, 1991, 470 p., v. p. 229 et s.
855 CJCP: 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax c/
Espérance Company Ltd., cité note 825. Dans cette affaire Lord
Bridge of Harwich parle du «style imprécis qui caractérise
les législations à Maurice».
856 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol.
criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley
rédacteur de l'arrêt. «it would, in their (Lordships?)
opinion, be possible for such a provision to be made, in an appropriate case
consistently with section 10(1) of the Constitution of Mauritius. Examples of
provisions of this kind are to be found in section 9 of the Criminal Justice
Act 1967 applicable in England, concerned with the admissibility of written
statements in evidence...», ibid., p. 125.
857 «Delays are inevitable. The solution is not
necessarily to be found in an increase in the supply of legal services by the
appointment of additional judges, the creation of new courts and qualification
of additional lawyers... An injudicious attempt to expand an existing system of
courts, judges and practitioners could lead to the deterioration in the quality
of the justice administered», CJCP: 30 avril 1985, Hubert Bell c/ The
Director of Public Prosecutions, cité note 756, v. p. 81 à 82.
et réglementaires et appeler des réformes. Il
exerce ainsi une sorte de fonction d?appel au législateur ou à
l?exécutif858.
*
Devient-il alors un juge qui gouverne ? Ce risque peut
apparaître
imminent du fait que le Comité Judiciaire est juge du
législateur et de l?exécutif, donc du pouvoir. Il serait en
mesure d?exercer une influence politique surtout lorsqu?il fait oeuvre
créatrice859. Il pourrait faire prévaloir ses propres
conceptions et faire échec aux décisions émanant des
organes investis de la confiance du peuple. Il serait erroné de conclure
que le spectre du gouvernement des juges londoniens est réel. Ceux-ci
usent de leurs moyens avec beaucoup de prudence tout en demeurant rigoureux sur
le respect des principes fondamentaux. Le juge londonien refuse de faire ce
qu?il qualifie d?être de la divination, c'est-à-dire, aller
à l?encontre du texte fondamental860.
Après l?étude de l?interprétation par le
juge londonien du texte fondamental, qui lui permet de définir le champ
constitutionnel, il convient maintenant d?analyser les techniques de
contrôle des normes inférieures à l?égard de la
norme supérieure redéfinie et éventuellement les sanctions
prononcées par le juge.
Sous-section 2. Les techniques et les types de
contrôle
L?interprétation large de la Constitution permet de
vivifier la Norme Fondamentale. La confrontation d?une norme ordinaire,
notamment la Loi et le règlement, à la Constitution amène
le Comité Judiciaire à mettre en oeuvre des techniques
d?élargissement des bases du contrôle (paragraphe 1). Ces
techniques d?élargissement des bases du contrôle peuvent se
distinguer de celle d?extension du champ constitutionnel par
l?interprétation. L?élargissement des bases du contrôle est
une technique complexe qui vise d?abord à accroître le pouvoir
de
858 A l?inverse de la Cour de Cassation française qui
établit annuellement un rapport, le Conseil Privé, en
dépit du principe de la séparation des pouvoirs, participe
régulièrement à l?élaboration des lois futures.
859 Selon Monsieur le Doyen George Vedel, «la vraie
pierre de touche du gouvernement des juges se trouve dans la liberté que
le juge constitutionnel s?octroie non d?appliquer la Constitution ou de
l?interpréter même de façon constructive, mais, sous
quelque forme que ce soit, de la compléter sinon de la corriger par des
règles qui sont sa propre création», in ANGUILA Yann:
«Cinq questions sur l?interprétation constitutionnelle», RFDC,
1995, pp. 9 à 46, v. p. 9.
860 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie
Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius,
affaire de Maurice, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt. Le juge
londonien applique ici le raisonnement du juge constitutionnel de l?Afrique du
Sud. V. CCSA: 5 avril 1995, State c/ Zuma, SALR, 1995, vol. 1, pp. 642 à
664, le juge Kentridge rédacteur de l'arrêt. Il souligne que:
«If the language used by the lawgiver is ignored in favour of a general
resort to values?, the result is not interpretation but
divination», v. p. 653.
contrôle du juge en ce sens qu?il permet de confronter la
norme, non à un texte, mais à des valeurs extérieures.
Au terme de son contrôle, le Comité Judiciaire
prononce plusieurs types de décision en vue de faciliter leur
exécution (paragraphe 2).
Paragraphe 1. Les techniques d'élargissement des
bases du contrôle
Deux traits majeurs caractérisent le travail
d?extension de la sphère du contrôle du juge: le recours au droit
comparé (A) et le contrôle de l?opportunité (B).
A. La méthode comparative
On insistera sur la portée de la méthode
comparative (a) et on abordera ensuite son application concrète dans le
contentieux constitutionnel (b).
a. La portée de la méthode comparative
Le droit public est, dans les pays du Commonwealth et de
Common Law, un droit ouvert. Cette caractéristique confère au
juge un devoir de comparaison entre le droit qu?il a à appliquer et
celui des autres pays de la même famille juridique861. Pour
interpréter les Lois Fondamentales, le juge londonien cherche souvent
appui auprès des solutions retenues à l?étranger ou par
lui-même, statuant en tant que juridiction suprême d?un Etat autre
que Maurice862. Le recours au droit comparé devient dans
certains cas pratiquement spontané dès lors que la norme en
question est commune à plusieurs pays, tels les grands principes
contenus dans les Constitutions de type Westminster, ou dérive d?un
autre texte, tel le catalogue des droits et des libertés qui n?est
substantiellement que la transcription dans l?ordre interne des stipulations
de
861 «Within the Common Law world... a great deal of
borrowing of precedent and legal principles has accrued. Some of it has been
intentional and conscious, some unintentional and probably unconscious»,
HILLER Jack A., cité note 821, v. p. 107.
V. CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR,
1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf
rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «Reference was also
made in the judgments in the Sin Yau-Ming case (1992) 1 HKCLR, 127 to decisions
in other Common Law jurisdictions, including the United States of America and
Canada and of the European Convention for the Protection of Human Rights and
Fundamental Freedoms (1953) Cmd. (8969). Such decisions can give valuable
guidance as to the proper approach to the interpretation of the Hong-Kong Bill,
particularly where the decisions in other jurisdictions are in relation to an
article in the same and substantially the same terms as that contained in the
equivalent provision of the Hong-Kong Bill», v. p. 338.
862 Ce procédé distingue les juridictions
constitutionnelles de la Common Law et celles de la famille romano-germanique
qui cherchent le soutien des précédents étrangers
seulement de manière officieuse. V. LEGEAIS Raymond: «L?utilisation
du droit comparé par les tribunaux», RIDC, 1994, pp. 347 à
358.
la Convention Européenne des Droits de l?Homme. Le juge
londonien a épousé une conception plutôt universaliste,
voire naturaliste863, des droits de l?homme et a rejeté le
positivisme strict.
Avec la méthode comparative, le juge londonien poursuit
la méthode de travail du législateur ou du constituant. Celui-ci
lors de l?élaboration d?une norme s?informe des solutions
étrangères qui peuvent l?inspirer et lui donner matière
à réflexion. Le juge exploite la solution étrangère
et dans le cas mauricien, cette méthode est très légitime
vu les bases pluralistes du droit mauricien.
La référence aux décisions
étrangères (des juridictions proprement nationales ou du Conseil
Privé lui-même) permet au juge de cassation londonien d?accentuer
le développement du droit public mauricien. En attribuant une forte
autorité morale (persuasive authority), voire une force
contraignante, à des décisions étrangères à
l?égard du cas d?espèce qu?il a à résoudre, le
droit mauricien retrouve une dynamique et son développement et sa
perfection peuvent se faire à un rythme accéléré
malgré le faible nombre de recours porté au Comité
Judiciaire. Avec cette méthode, l?île Maurice peut
bénéficier des progrès constitutionnels
réalisés dans les pays du Commonwealth, aux Etats- Unis
d?Amérique, en Europe et en Angleterre. Il est intéressant de
noter que la dynamique du droit comparé est doublée
d?intensité lorsque la Cour Suprême locale met elle aussi en
pratique cette méthode de travail864. Les bases du droit
national sont élargies.
b. La pratique du recours aux droits étrangers
863 La vision naturaliste des Lords est conforme au
caractère même des Constitutions du Commonwealth qui comporte une
déclaration des droits. En effet, une déclaration n?est pas un
acte créateur. Les droits de l?homme qu?elle énonce existent.
Elle ne fait que constater leur existence. A cet égard, l?article 3 de
la Constitution de Maurice énonce bien qu?il «est reconnu et
proclamé qu?il a existé et qu?il continue d?exister à
Maurice... tous les droits de l?homme...». V. sur le caractère
d?une déclaration, RIVERO Jean: «Les libertés publiques,
droits de l?homme», PUF, Thémis, 1991, 318 p., v. p. 58 et s.
864 CSM: 27 octobre 1995, Marie Gérard Christian Pointu
c/ The Minister of Education and Science, cité note 848. Les juges
mauriciens posent la question de savoir s?il faut dans les affaires de droit
public avoir recours au droit comparé et ils concluent de manière
positive en suivant la voie du Comité Judiciaire. «...We feel
necessary to deal with the question whether, in the interpretation of our
Constitution it is proper for us to seek guidance from other national and
international sources... The better view, according to us, is that a
Constitution, more particularly that part of it which embodies fundamental
rights, should be interpreted in the light of its history, its sources and
whenever applicable, pronouncements on provisions similar to ours either by
national courts of by international institutions», ibid., p. 6. V.
également CSM: 21 décembre 1994, The Comptroller of Customs c/ P.
Rogers, L?Express, 28 décembre 1994, p. 4, les juges J. Forget et R.
Narayen rédacteurs de l?arrêt. Ils appliquent à Maurice le
nouveau pouvoir des juridictions britanniques d?émettre des injonctions
à l?encontre des autorités publiques, y compris la Couronne.
Si le droit commun des codes napoléoniens constitue le
fondement d?une partie du droit mauricien865, il demeure que la
Common Law, bien qu?elle n?a jamais été introduite dans son
ensemble à Maurice866, fait aussi partie dans une certaine
mesure du corpus juridique local. Il existe dans certains textes de loi
mauriciens des dispositions de renvoie aux normes de la Common
Law867. Il a appartenu surtout au Conseil Privé d?exporter la
Common Law aux colonies868. Son autorité de juge de cassation
lui a permis d?influencer significativement la pratique des tribunaux et
l?évolution du droit. Les juges du Conseil Privé ont
été formés et évoluent dans le cadre d?un
système juridique et, par conséquent, les transplantations de ce
système sur le système mauricien sont inévitables. Le juge
londonien applique fréquemment dans les affaires mauriciennes les
solutions de la jurisprudence anglaise. Par exemple, dans l?arrêt
Goinsamy Chinien869, il exporte au droit mauricien le principe
fondamental de la Common Law selon lequel une juridiction répressive ne
peut sanctionner le prévenu que pour les délits pour lesquels il
est poursuivi. L?exportation de la Common Law se fait quasi automatiquement
lorsqu?il existe un vide juridique dans le droit local870.
Par ailleurs, en appliquant une loi mauricienne similaire
à une loi anglaise, le juge londonien peut invoquer la jurisprudence
anglaise à l?appui de la motivation de sa décision871.
A cet égard, comme la Loi mauricienne sur les contrôles des
changes est une reproduction de la Loi anglaise portant sur la
865 CSM: 18 novembre 1968, Harel Frères Ltd c/
Veerasamy, MR, 1968, pp. 218 à 226, le juge Garrioch rédacteur de
l?arrêt. Il fait ressortir que les principes du Code Civil des
obligations sont applicables en matière des contrats de travail.
866 CSM: 22 novembre 1990, Lagesse c/ Director of Public
Prosecutions, MR, 1990, pp. 194 à 201, le Chef-Juge Sir Victor Glover
rédacteur de l'arrêt. Il soutient que: «We may at once
observe that the approach in the United Kingdom, and in other jurisdictions
based on Common Law, although it may be of some guidance to indicate the degree
of restraint which the judiciary must observe in relation to those who have
discretionary prosecutional functions, should not indicate our interpretation
of the relevant constitutional provisions», ibid., p. 196.
867 L?article 55 de la Loi du 7 mars 1945 sur les Cours de
justice renvoi aux lois anglaises toute question de procédure
soulevée au cours d?un procès pénal. De même,
l?article 162 de la même Loi se réfère au droit britannique
de la preuve. CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204
à 205, le Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de
l'arrêt.
868 «The decisive factor leading to the application of
current English decisions of the Privy Council as the ultimate Court of appeal
from colonies», MASTON J. N.: «The Common Law in the British
Commonwealth», ICLQ, 1993, pp. 753 à 779, v. p. 754.
869 CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The
State, WLR, 1993, vol. 1, pp. 329 à 336, affaire de Maurice, Lord
Jauncey of Tullichettle rédacteur de l'arrêt.
870 CJCP: 26 mai 1982, Central Electricity Board of Mauritius
c/ Bata Shoe Company. (Mauritius) Ltd., WLR, 1982, vol. 3, pp. 1061 à
1064, affaire de Maurice, Lord Brandon of Oakbrook rédacteur de
l'arrêt. Il estime que: «Their Lordships are therefore of the
opinion that they have jurisdiction, which has in one case at least been
described, whether rightly or wrongly, as a Common Law jurisdiction, to order
the CEB...», v. p. 1064.
871 Par contre, le Comité Judiciaire n?invoque pas le
précédent britannique s?il n?existe à Maurice aucune Loi
similaire. «These statutory provisions, however desirable as they may be,
only serve to illustrate the fact that, without them, Commissions and
Committees of Inquiry are not protected at Common Law. Driven up against this
difficulty, it was seriously argued for the respondent that their Lordships
should extend the law of contempt to such bodies by a bold act of legislation.
This their Lordships resolutely decline to do...», CJCP: 15 novembre 1982,
Lutchmeeparsad Badry c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386,
v. p. 170.
même matière872, le juge applique le
précédent britannique approprié873 au cas de
l?espèce.
La référence aux sources du Commonwealth,
européennes et américaines est aussi fréquente dans la
jurisprudence mauricienne du Conseil Privé. Le recours aux
décisions du Commonwealth a lieu fréquemment dans les affaires
constitutionnelles controversées, telles celles mettant en cause les
libertés fondamentales contenues dans la Constitution, alors que les
décisions des juridictions anglaises en matière de la Common Law
sont appliquées le plus souvent en droit pénal et
éventuellement administratif. Lorsqu?il s?agit d?interpréter la
Constitution mauricienne, le Comité Judiciaire applique en
général les solutions qu?il a retenues à propos des
litiges portant sur des constitutions du modèle de Westminster d?autant
que le juge met l?accent sur les caractères communs des Constitutions de
ce modèle dans ses décisions874. En
conséquence, la motivation de certains arrêts mauriciens est
essentiellement construite à l?appui des précédents du
Comité Judiciaire statuant sur des pourvois en provenance d?autres pays
du Commonwealth875. Dans ces cas, le juge londonien exporte sa
propre jurisprudence et intervient comme un relais de transmission du droit
tout comme lorsqu?il recourt aux autorités des juridictions anglaises.
Il assure une certaine unification du droit entre les pays
concernés876.
Aussi, la référence aux jurisprudences
européennes, celles de la Cour Européenne des Droits de l?Homme,
devient de plus en plus fréquente notamment parce qu?elles sont riches
et dynamiques877 et que certains Lords judiciaires ont occupé
des fonctions de juge ou d?avocat-général à la Cour
Européenne. Enfin, le juge londonien applique des
précédents américains en
872 «The Exchange Control Act which is an almost exact
reproduction of the United Kingdom Exchange Control Act 1947...», CJCP: 17
décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869, v.
p. 331.
873 CA: 22 février 1968, Regina c/ Goswani, WLR, 1968,
vol. 2, pp. 1163 à 1172, le Lord-Juge Salmon rédacteur de
l'arrêt.
874 «... a written Constitution on the
Westminster model?. Many such Constitutions are to be found in the
Commonwealth and a considerable body of case law now exists in the various
countries which have such Constitutions and in the Privy Council», CJCP:
17 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, WLR, 1985, vol. 3, pp. 84 à
94, affaire de la Jamaïque, Lord Roskill rédacteur de l'arrêt
majoritaire, v. opinion dissidente des Lords Scarman et Edmund-Davies, p.
94.
875 V. par exemple CJCP: 25 octobre 1984, Société
United Docks c/ The Government of Mauritius, cité note 847.
876 RODIERE Réné: «Introduction au droit
comparé», Précis-Dalloz, 1979, 161 p., v. p. 82 et s.
877 CJCP: 13 décembre 1995, Compagnie Sucrière de
Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.
matière constitutionnelle878 et des
décisions des juridictions des pays du
C o mm on w e alt h879.
Le recours au droit comparé par le juge londonien
comporte par contre une sévère limite. Le Conseil Privé,
à l?inverse de la Cour Suprême de Maurice, n?invoque
systématiquement en droit public des jurisprudences françaises.
Dans le grand arrêt Société United Docks880, le
Chef-Juge Sir Maurice Rault cite la décision du Conseil Constitutionnel
français sur l?extension du bloc de
constitutionnalité881 pour soutenir son raisonnement. Or, le
Conseil Privé, statuant sur la même affaire en cassation, bien
qu?il confirme l?approche libérale du Chef-Juge, ne se
réfère à la jurisprudence française utilisée
par ce dernier. Ce refus implicite d?accorder une valeur d?autorité aux
décisions françaises en droit public est quelque peu
décevant en ce sens qu?il nie le caractère mixte du droit
mauricien dans sa globalité et anéantit dans une certaine mesure
la dynamique de la pluralité des précédents des
différentes familles juridiques dans les décisions mauriciennes.
Une telle attitude ne nous paraît pas pouvoir être
encouragée. Il serait souhaitable que les avocats convainquent les Lords
de la justesse de certaines solutions françaises en droit public.
B. Le contrôle
d'opportunité
Le Comité Judiciaire s?autorise à introduire
dans son contrôle des normes une bonne dose du critère
d?opportunité. Ce contrôle très poussé est apparent
lors de la confrontation d?un acte réglementaire ou d?une
décision administrative à la Constitution (a) et commence
à prendre naissance lors du contrôle de la Loi (b).
a. D'un acte réglementaire ou d'une décision
administrative
L?inopportunité d?un acte administratif est en droit
anglais un moyen opérant en vue de son annulation par le juge. Lord
Diplock a importé dans le droit anglais le principe de la
proportionnalité utilisé par la Cour Européenne
878 CJCP: 6 avril 1992, Ponsamy Poongavanam c/ The Queen, affaire
de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.
879 CJCP: Radhakrishan Kunnath c/ The State, WLR, 1993, vol. 1,
pp. 1315 à 1321, affaire de Maurice, Lord Jauncey of Tullichettle
rédacteur de l'arrêt.
880 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/
Government of Mauritius, cité note 847.
881 CCF: 16 juillet 1971, Liberté d?association (77-44
DC) in FAVOREU Louis et PHILLIP Loïc: «Les grandes décisions
du Conseil Constitutionnel», Dalloz, 1995, 8e édition, 961 p., v.
p. 244 à 261.
des Droits de l?Homme et la Cour de Justice des
Communautés Européennes882. Dans l?affaire
communément intitulée GCHQ883, Lord Diplock confirme
l?existence de trois cas d?ouverture884 du recours pour excès
de pouvoir (grounds for judicial review) contre un acte administratif.
Ces trois moyens sont: la violation de la règle de droit et
l?incompétence (illegality/error of law), le vice et
l?irrégularité de procédure (procedural
impropriety/violation of principles of natural justice) et le
détournement de pouvoir (irrationality). Le juge élargit
la perspective et ouvre la voie à un quatrième moyen, l?absence
de proportionnalité885. Les deux derniers cas d?ouverture
permettent au juge de contrôler en partie l?opportunité de tout
acte administratif886. Ainsi, en matière d?aménagement
du territoire, le juge britannique opère comme son homologue du
continent887 une appréciation sur les avantages et les
désavantages du plan d?aménagement de l?Administration. Il
établit un bilan et évalue le caractère raisonnable du
projet888. Celui-ci est considéré comme inopportun si
le coût est disproportionné aux avantages qu?il peut procurer.
L?attitude du Comité Judiciaire s?inscrit dans cette
dynamique en matière du contrôle de l?expropriation pour cause
d?utilité publique, prévue à l?article 8 de la
Constitution de Maurice. Les Sages du Whitehall sont favorables à un
contrôle maximum et approfondi des actes administratifs intervenus dans
ce secteur889 à l?inverse de la Cour Suprême locale
qui, reléguant le droit de propriété à une sorte de
droit fondamental de second rang, n?a contrôlé que la
légalité stricte de la décision
administrative890. Le juge mauricien n?a pas
882 JOWELL Jeffrey et LESTER Anthony, QC:
«Proportionality: neither novel nor dangerous», pp. 51 à 72,
in JOWELL J. L. et OLIVIER D.: «New directions in judicial review»,
Londres, Stevens and Sons, 1988, 91 p.
883 CL: 2 novembre 1984, Council of Civil Service Unions c/
The Ministry of State for the Civil Service, WLR, 1984, vol. 3, pp. 1174
à 1208, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt principal.
884 Sur l?application de ce précédent par le
Comité Judiciaire v. CJCP: 28 février 1994, Mercury Energy Ltd.
c/ Electricity Corporation of New Zealand, WLR, 1994, vol. 1, pp. 521 à
229, affaire de la Nouvelle-Zélande, Lord Templeman rédacteur de
l'arrêt.
885 Lord Diplock écrit que: «... one can
conveniently classify under three heads the grounds upon which administrative
action is subject to control by judicial review. The first ground I would call
«illegality», the second «irrationality» and the third
«procedural impropriety». That is not to say that further development
on a case by case basis may not in course of time add further grounds. I have
in mind particularly the possible adoption in the future of the principle of
«proportionality» which is recognised in the administrative law of
several fellow members of the European Economic Community», ibid., p.
1196.
886 XYNOPOULOS Georges: «Le contrôle de
proportionnalité dans le contentieux de la constitutionnalité et
de la légalité en France, Allemagne et Angleterre»,
thèse, Univeristé de Parsi II Panthéon-Assas, 1993, 516
p.
887 CE: 28 mai 1971, Ministère du Logement c/
Fédération de Défense des Personnes Concernées par
le Projet Ville Nouvelle Est, RDCE, 1971, pp. 409 à 413, conclusion du
commissaire du gouvernement Guy Braibant.
888 CL: 28 février 1980, Newburry District Council c/
Secretary of State fot the Environment, AC, 1981, p. 578 à 629, Vicomte
Dilhorne rédacteur de l'arrêt principal.
889 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères c/ The
Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, LRC, 1988, vol.
constitutional, pp. 472 à 476, affaire de Maurice, Lord Bridge of
Harwich rédacteur de l'arrêt.
890 CSM: 7 mai 1986, Harel Frères Ltd c/ Ministry of
Housing, Lands and Town and Country Planning, LRC, 1987, vol. constitutional,
pp. 760 à 764, le Chef-Juge rédacteur de l'arrêt.
apprécié le bien fondé (the
merits) de la décision du ministère du logement et n?a voulu
substituer son appréciation à celle du
ministère891. Il a méconnu ses pouvoirs en ne
conservant qu?une marge réduite de sanction au cas où le
gouvernement commettrait une erreur manifeste ou prendrait, selon la formule,
une décision qu?aucune personne raisonnable n?aurait
prise892. Le Comité Judiciaire, en cassant l?arrêt de
la Cour Suprême, étend considérablement la sphère du
contrôle de la constitutionnalité et de la légalité
de la Cour. Il estime que le recours porté devant la juridiction locale
s?appréhende à un recours hiérarchique,
c'est-à-dire, à un véritable appel (full scale
appeal). Le juge ne doit pas se tenir à la seule
appréciation de la légalité. Il doit se livrer à un
examen approfondi de l?acte d?expropriation et apprécier son
opportunité893. L?Administration est dans l?obligation de
fournir à la Cour894 tous les éléments
nécessaires et elle doit justifier le caractère
d?intérêt public de l?expropriation projetée, montrer
qu?elle est nécessaire et bien fondée et que ses effets positifs
emportent sur ses inconvénients.
L?attitude du Comité Judiciaire est fort louable. Il
impose à la Cour locale le devoir d?effectuer en matière
d?expropriation un contrôle maximum. Il subordonne la
légalité et la constitutionnalité de la décision
administrative à sa proportionnalité895.
b. De la Loi
A Maurice, le domaine de la Loi est limité à la
réalisation du bohneur du peuple. L?article 45 alinéa premier de
la Constitution, qui traduit dans l?ordre interne les valeurs de la doctrine du
droit naturel de Thomas Hobbes896 et de
891 «The government is entrusted to the Executive and it
falls within the sole province of the Executive to determine what measures may
best achieve the public purposes for the fulfilment of which it is charged with
responsibility under the Constitution and the law... In other words, it is not
part of our functions to substitute our own judgment for this is inherently a
matter of judgment in the making of a decision and the law has conferred it on
the respondent (the Ministry of Housing).», ibid., pp. 762 à
763.
892 «Unless... the material before us shows no reasonable
person placed in the position of the respondent would have reached the
conclusions he did in the circumstances», ibid., p. 763.
893 «... it must be for the court, not for the minister
to be satisfied that the proposed compulsory acquisition is indeed necessary or
expedient to enable the intended development to be carried out and that there
is reasonable justification for causing any hardship to the landowner which
will result», CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/
Ministry of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889,
v. p. 475.
894 Le Comité Judiciaire renverse la charge de la
preuve. La Cour Suprême l?avait incombée à
l?exproprié.
895 Il semble que le juge londonien a voulu unifier le
degré de contrôle des actes administratifs portant sur l?exercice
d?un droit constitutionnel. En certaines matières de police
administrative, la Cour Suprême avait depuis fort longtemps
examiné la nécessité des mesures de police.
896 Thomas Hobbes, lorsqu?il écrivit en 1651
réagissait contre la guerre civile qui affectait l?Angleterre. La
recherche de la paix était un objectif prioritaire pour le Souverain. La
paix était la seule conduite rationnelle et juste. V. HOBBES Thomas:
«Léviathan», (1651), Edition Sirey, 1971, 780 p., v. chapitre
XVII, p. 179 et s.
Jeremy Bentham897, dispose que le «Parlement
peut légiférer pour la paix, l?ordre et le bon gouvernement de
Maurice»898 et l?article premier du texte proclame le
caractère démocratique de l?Etat. Ces deux articles créent
les conditions nécessaires permettant aux cours de justices de mesurer
l?adéquation des dispositions législatives aux objectifs
constitutionnels. La Cour Suprême de Maurice, en s?appuyant sur un
précédent du Conseil Privé899, a
considéré que le constituant britannique a investi les cours
mauriciennes du pouvoir de déterminer les caractéristiques et les
valeurs d?une société démocratique et de confronter la Loi
à celle-ci. Autrement dit, la Constitution confère au juge un
pouvoir d?appréciation étendu. Il peut utiliser la technique
anglaise de l?examen de la raisonnabilité (test of
reasonableness) pour contrôler les Lois900. Cependant, la
montée en puissance de l?exécutif a entraîné la
relativisation, voire l?abandon, de cette jurisprudence par la Cour
Suprême. Désormais, pour les juges locaux, le contrôle de
constitutionnalité ne peut avoir lieu que sur la base d?un examen de la
Loi par rapport à une norme. Le juge ne veut définir le concept
de démocratie901. Reprenant une formule devenue classique,
ils affirment que le juge ne peut substituer son appréciation à
celle du Parlement902 ou qu?il n?a pas un pouvoir
d?appréciation identique à celui du Parlement903.
L?attitude du Comité Judiciaire se démarque de
celle de la Cour Suprême. Certes il affirme que l?iniquité d?une
Loi est un moyen inopérant dans le contentieux
constitutionnel904, mais il examine les griefs tirés d?un
897 Pour Bentham, le bien-être (le bonheur) est la fin
de l?homme. La recherche du plaisir et la fuite de la douleur constituent les
motifs de toutes les actions. BENTHAM Jeremy: «A fragment on Government
and an introduction to the principles of morals and legislation», (1789),
Oxford Basil Blackwell, 1960, 435 p., v. chapitre 1er «Of principle of
utility», p. 125 et s.
898 «Parliament may make laws for peace, order and good
government of Mauritius».
899 CJCP: 19 octobre 1966, Oliver c/ Buttigieg, All ER, 1966,
vol. 2, pp. 459 à 469, affaire de Malta, Lord Morris of Borth-y-Gest
rédacteur de l'arrêt.
900 CSM: 31 janvier 1973, Vallet c/ Ramgoolam, cité
note 303. Le juge déduit que: «Rightly or wrongly the framers of
our Constitution have placed on the shoulders of the Judges of this Court the
invidious task of determining, in particular instances, the norms of a
democratic society. In chapter II of the Constitution, which provides for the
protection of fundamental rights and freedoms of the individual, several
sections contain a saving that nothing in those sections shall invalidate any
law or action, passed or taken for certain specified purposes, that is
reasonably justified in a democratic society», ibid., p. 40.
901 CSM: 14 juin 1990, Union Démocratique de Maurice,
c/ The Governor-General, LRC, 1991, vol. constitutional, pp. 328 à 332,
les juges Glover et Lallah rédacteurs de l'arrêt. Ils estiment
que: «In short, this is that it is neither necessary nor appropriate to
travel outside our supreme law for the purpose of discovering what the framers
of our Constitution had in mind when they used the words democratic
state? and still less to invoke certain conventions which underlie British
constitutional law. What section 1 means is that our state is to be
administered in accordance with other provisions of the Constitution which
contain the essence of democratic principles governing us», ibid., p.
330.
902 «We certainly agree and have no wish to substitute
ourselves for the law maker», ibid., p 331.
903 «If a law passes the test of constitutionality, then
it would be none of our business even to think of questioning the
reasonableness, or wisdom of the measure», CSM: 29 octobre 1986, Noordally
c/ The Attorney-General, LRC, 1987, vol. constitutional, pp. 599 à 606,
le Chef-Juge Moolan rédacteur de l'arrêt.
904 CJCP: 23 juillet 1992, Government of Mauritius c/ Union
Flacq Sugar Estates Company Ltd., cité note 743. Lord Templeman
précise que: «Sir Marc David (Counsel) submitted that... the
détournement de pouvoir (improper purposes)
commis par le législateur mauricien. Il vérifie si le Parlement
use bien de ses compétences en vue d?atteindre les objectifs pour
lesquels il a été investi. L?admission de ce cas
d?inconstitutionnalité conduit les Sages du Whitehall à
intervenir dans le champ subjectif du législateur dans la mesure
où ils recherchent les intentions véritables de l?auteur de
l?acte au-delà de celles explicitement affichées. En ce sens, le
Comité Judiciaire a indiqué que le gouvernement mauricien ne peut
pas, par le biais d?une Loi à effet rétroactif priver d?effet
juridique une sentence arbitrale (award) qui s?impose à lui en
vertu de ses engagements contractuels avec des syndicats905.
Par ailleurs, le Comité Judiciaire, s?il affirme
à l?instar du Conseil Constitutionnel français que le pouvoir
judiciaire ne saurait concurrencer le pouvoir universel dans
l?appréciation de l?opportunité de la Loi906, laisse
entendre en réalité que son pouvoir d?appréciation est
d?une autre nature. Il ne fait aucun doute que les Constitutions de type
Westminster offrent au juge la possibilité de convertir des
éléments d?opportunité en critère de
constitutionnalité. Le Comité Judiciaire considère que la
disposition commune à plusieurs Constitutions qui délimite le
domaine du Parlement à la législation pour la paix, l?ordre et le
bon gouvernement, investisse le pouvoir délibérant d?une
compétence pour apprécier ce qui est nécessaire et
opportun à l?intérêt général et à la
sauvegarde de l?ordre public. Cette appréciation implique la prise en
compte des considérations de politique générale et se
forme sur la base des informations appartenant au gouvernement et, par
conséquent, elle se situe en dehors de la sphère de
contrôle du juge907. Le Comité Judiciaire
présume que le Parlement a raisonnablement apprécié les
données et a pris la bonne décision. Il souligne que cette
présomption en faveur du législateur est réfragable
(rebuttable). Il pourra substituer son appréciation à
celui du législateur si ce
legislature was unfair when by the Act of 1984 it removed the
power of a minority to control a company. But the question of fairness of
legislation is a matter for Parliament», ibid., p. 910.
905 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, LRC 1985, vol. constitutional, pp. 801 à 850, affaire
de Maurice, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt. Il souligne que:
«The Amendment Act has thus deprived and was intended to deprive each
worker damages for breach by the MMA of its contract of employment»,
ibid., p. 849.
906 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen,
cité note 233. Selon Lord Diplock: «... in deciding whether any
provisions of a law passed by Parliament of Jamaica as an ordinary law are
inconsistent with the Constitution of Jamaica, neither the courts in Jamaica
nor their Lordships? Board are concerned with the propriety or expediency of
the law impugned. They are concerned solely with whether those provisions,
however reasonable and expedient, are of such a character that they conflict
with an entrenched provisions of the Constitution...», ibid., p. 374.
907 «... the power to make laws for the peace, order and
good government of Jamaica is vested in the Parliament and prima facie it is
for Parliament to decide what is or is not reasonably required in the interests
of public safety or public order. Such a decision involves considerations of
public policy which lie outside the field of judicial power and may have to be
made in the light of information available to government of a kind that cannot
effectively be adduced in evidence by means of judicial process», ibid.,
p. 383.
dernier opère un choix
disproportionné908 ou excessif ou a commis une erreur
manifeste d?appréciation909.
*
La marge d?appréciation du Comité Judiciaire est
fort grande même si le critère d?opportunité est rarement
utilisé. Celui-ci peut apparaître comme une technique mal
adaptée à la nature du contrôle de
constitutionnalité. Le juge londonien préfère habiller sa
décision, c'est-à-dire, la faire apparaître comme
logiquement déduite des dispositions constitutionnelles. Nul ne doit
ignorer que le juge peut toujours justifier sa décision par la
référence à une norme constitutionnelle.
L?opportunité n?a pas besoin d?être invoquée pour qu?un
contrôle sur cette base ait lieu. Le juge londonien est prudent.
Il s?agit maintenant de vérifier cette dernière
proposition dans l?exercice de ses pouvoirs de sanction.
Paragraphe 2. Les types de décision
Du fait que le Comité Judiciaire est une juridiction de
cassation (on peut dire de deuxième degré lorsqu?il
contrôle la Loi par la voie d?action), ses décisions prennent une
variété de formes afin d?être mieux exécutées
et modulées selon les circonstances propres à chaque affaire.
En effet, un texte peut être déclaré
absolument conforme à la Constitution ou conforme sous réserves.
Dans cette dernière hypothèse, le Comité Judiciaire, bien
qu?il dégage à l?issue de son examen des imperfections au texte
litigieux au regard de la Constitution, ne le déclare pas pour autant
contraire à celle-ci. Il rétablit la constitutionnalité de
la norme en la donnant une nouvelle signification ou une nouvelle lecture, la
seule autorisée (A).
A l?inverse, il peut aussi annuler une norme en la
déclarant non conforme à la Loi Fondamentale (B).
908 NORDELL Gordon: «Presumed innocence, proportionality
and the Privy Council», LQR, 1994, pp. 223 à 228.
909 «The presumption is rebuttable. Parliament cannot
evade a constitutional restriction but a colourable device: Ladore v. Bennet
(1939), AC, 468, 482. But in order to rebut the presumption their Lordships
would have to be satisfied that no reasonable member of Parliament who
understood correctly the meaning to the relevant provision of the Constitution
could have supposed that hearings in camera (provisions of the Act impugned)
were reasonably required for the protection of any of the interests referred
to, or in other words, that Parliament in so declaring was either acting in bad
faith...»,CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité
note 233, p. 383.
A. La lecture (construction) de la Loi
Une analyse approfondie de la jurisprudence londonienne nous
amène à constater ceci. Plutôt que de déclarer
inconstitutionnelle une Loi, le Comité Judiciaire préfère,
pour ne pas dire que les représentants du peuple ont méconnu la
Constitution, façonner lui-même la norme à travers des
techniques sophistiquées, subtiles et souples ou faire, selon la
terminologie anglaise, une construction de la norme de sorte à la rendre
conforme à la Constitution.
Cette attitude s?inscrit dans une logique que nous avons
déjà souligné. Le Comité Judiciaire accorde aux
Lois une présomption réfragable de
conformité910 en vertu de la maxime d?interprétation
selon laquelle on doit dans la mesure du possible attribuer un sens à
tous les termes d?une norme (magis est ut res valeat quam pereat). Si
l?inconstitutionnalité d?une Loi est minime ou repose sur un doute quant
à la manière selon laquelle elle serait appliquée, le juge
londonien réécrira la Loi et la présomption ne sera pas
renversée. En ce sens également, l?article 5-1 de l?Ordonnance en
Conseil du 4 mars 1968 portant sur l?indépendance de Maurice dispose que
les tribunaux doivent interpréter et construire des textes
édictés avant l?entrée en vigueur de la Constitution
conformément à celle-ci911.
Il est classique en droit public français de distinguer
la lecture (ou l?interprétation) constructive (a) de la lecture
neutralisante (b). Nous suivrons, pour la commodité de la
synthèse la même typologie.
a. La lecture constructive
La lecture constructive est une méthode par laquelle le
juge londonien ajoute une signification supplémentaire au texte afin de
supprimer l?éventuel risque de non-conformité à la
Constitution. Il y a lieu de distinguer cette technique de la vitalisation de
la Constitution déjà rencontrée. Ici, le juge
complète la Loi qui est trop vague et abstraite ou délègue
trop de pouvoirs à une autorité. Le juge donne des directives
précises aux autorités publiques sur le sens
supplémentaire à donner au texte litigieux. L?exemple le plus
910 «It should be presumed, until the contrary is
established clearly, that legislation adopted by Parliament is valid and within
the Constitution», CJCP: 22 mars 1994, Fakeemeah Chel Mohamad c/ Essouf
Amanoullah Ahmad, WLR, vol. 1, pp. 697 à 707, affaire de Maurice, Lord
Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt, v. p. 704.
911 «... any existing laws... shall be construed with
such modifications, adaptations, qualifications and exceptions as may be
necessary to bring them into conformity with the Mauritius Independence Act
1968 and this Order», in ATTORNEY GENERAL?S OFFICE, cité note 219,
vol. 1, p. 63 et s.
caractéristique et manifeste d?une lecture constructive
par le Comité Judiciaire se trouve dans une affaire
antillaise912. Une Ordonnance en Conseil de 1959 avait prévu
que le Gouverneur était habilité en période de crise
à prendre toute mesure qu?il jugeait opportune pour maintenir l?ordre
public. Il disposait d?un pouvoir exécutif et législatif
étendu. Le Comité Judiciaire considère que doit être
rajouté à l?Ordonnance précitée la condition selon
laquelle le Gouverneur ne pouvait prendre les mesures normatives
proportionnées et raisonnables par rapport aux
circonstances913.
De même dans l?arrêt Momoudou Jobe914,
les Lords avaient à interpréter une loi elliptique915
et avaient incorporé dans le texte les dispositions
manquantes916 dans le but de prévenir son
inconstitutionnalité.
Cette technique d?interprétation positive de la norme
ordinaire a aussi été utilisée dans des affaires
mauriciennes. Par exemple, dans l?affaire Wong Ng917, les Sages de
la Downing Street admettent que la constitutionnalité de l?article 124
de la Loi de 1945 sur les juridictions sous réserve de
l?interpréter selon sa lecture. Cet article prévoit le
remplacement des magistrats empêchés au cours du
déroulement de l?instance. Les juges londoniens posent des conditions
à la déclaration de conformité de cet article. Le
changement de magistrat ne peut avoir lieu pendant le procès sauf si
l?audition des témoins, autrement dit la procédure, soit
recommencée. Cette condition est impérative à la
constitutionnalité de l?article 124 au regard de l?article 10-1 de la
Constitution de Maurice garantissant le droit à un procès
équitable918.
912 CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of Christopher Nevis
and Aguilla c/ John Joseph Reynolds, WLR, 1980, vol. 2, pp. 171 à 189,
affaire antillaise, Lord Salmon rédacteur de l'arrêt.
913 «Their Lordships are of opinion that the Order in
Council should be construed in accordance with section 103-1 and in the light
of section 14 of the Constitution as follows: The Governor of State may make
such laws... to the extent that those laws authorise the taking of measures
that are reasonably justifiable for dealing with the situation that exists in
the State during any such period of public emergency», p. 182.
914 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe,
cité note 743.
915 «... sections 8 and 10 of the Act which their
Lordships have just been examining is characterised by an unusual degree of
ellipsis that has made it necessary to spell out explicitly a great deal that
is omitted from the actual words appearing in the sections and has to be
deprived by implication from them», ibid., p. 184.
916 «... their Lordships have found no difficulty in
construing sections 8 and 10 of the Act as incorporating by necessary
implication provisions which prevent these portions of the Act from
contravening any of the provisions of chapter III of the Constitution», p.
184.
917 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.
918 «This section (124 of the Courts Act) cannot bear the
construction placed upon it by the Court of Appeal, for to do so would conflict
with the right to a fair trial provided by section 10(1) of the Constitution.
If after part of the evidence has been heard in a trial which the accused
pleads not guilty, it becomes necessary to replace a magistrate, there is no
alternative but to recommence the trial and recall the evidence that all
magistrates hear all the evidence and the submissions made on behalf of the
accused», ibid., p. 1360.
Il est possible de soutenir que le juge londonien, en statuant
ainsi, s?arroge d?un quasi pouvoir normatif et prononce des arrêts de
règlement. Pour notre part, nous pensons qu?une telle conclusion est
davantage imagée que rigoureuse. Le juge ne fait que combler les vides
inconstitutionnels de la Loi. L?interprétation constructive de la Loi
apporte des garanties supplémentaires aux citoyens et impose des
obligations aux seuls pouvoirs publics.
L?interprétation neutralisante produit l?effet inverse en
ce sens qu?elle diminue le pouvoir des organismes publics à l?encontre
des citoyens.
b. La lecture neutralisante
L?interprétation neutralisante est une méthode
de contrôle fluide de la Loi couramment utilisée en droit
britannique. Nous avons précédemment vu comment le juge anglais,
à travers son pouvoir interprétatif, rend la Loi conforme aux
grands principes de la Common Law. La mise en oeuvre de cette technique dans le
contentieux constitutionnel du Commonwealth poursuit la même logique du
contrôle souple britannique. Le Comité Judiciaire ne peut exercer
qu?un contrôle a posteriori de la Loi. La nécessité de
maintenir la stabilité de celle-ci justifie sa conciliation à la
Norme Fondamentale. Cette méthode appartient au domaine de
prédilection du Comité Judiciaire.
La déclaration de conformité d?un texte
juridique à la Constitution sous réserve de la lecture
opérée par le Comité Judiciaire tend à rendre
inopérantes les dispositions du texte qui sont potentiellement
contraires à la norme de référence. Ainsi, dans l?affaire
Reynolds précitée919, le Comité Judiciaire
considère que les termes «si le gouverneur estime qu?une personne
ait commis un acte de sédition» de l?Ordonnance relative aux
pouvoirs de crise de 1967 ne peuvent en aucun cas conférer un pouvoir
absolu ou dictatorial au Gouverneur lors de son appréciation, mais
signifient qu?il doit fonder sa décision et utiliser ses pouvoirs qu?en
cas de nécessité. Les juges londoniens écartent
l?interprétation de l?Ordonnance qui la mettrait en contradiction avec
la Constitution du pays920.
La décision de conformité sous réserve
d?interprétation neutralisante n?est pas encore appliquée par le
Comité Judiciaire dans les affaires
919 CJCP: 25 juin 1979, Attorney-General of Christophern Nevis
and Anguilla c/ John Joseph Reynolds, cité note 912.
920 «Their Lordships consider that it is impossible that a
regulation made on May 30, 1967... could be properly construed as conferring
dictatorial powers on the Governor», ibid., p. 183.
mauriciennes. Cette technique a été simplement
évoquée par le juge londonien dans l?affaire La Compagnie
Sucrière de Bel Ombre Ltée921. Cependant, la Cour
Suprême, de tendance conservatrice, utilise la technique même dans
des cas d?inconstitutionnalité flagrante afin de ne pas censurer
expressément les représentants du peuple. Par exemple, la Loi sur
la nationalité mauricienne de 1968 attribue au ministre des
naturalisations le pouvoir discrétionnaire d?accorder ou de refuser la
naturalisation à l?étranger qui en fait la demande. L?article
17-2 de la Loi dispose que la décision du ministre n?est susceptible
d?aucun contrôle du juge. Or cet article est en conflit avec l?article 76
alinéa premier de la Constitution qui dispose que la Cour Suprême
est investie d?une compétence générale pour entendre ou
juger tout procès civil ou pénal. La Cour, dans l?arrêt
Esther922 constate que le législateur n?est pas
habilité à exclure du contrôle juridictionnel une
décision administrative. La Cour Suprême est investie d?un pouvoir
de contrôle général de la légalité des actes
administratifs. La neutralisation partielle de la Loi sur les naturalisations
est discrète alors même que sa conciliation avec la Constitution
est difficile.
B. Invalidation de la norme
Comme le modèle mauricien de contrôle de
constitutionnalité est mixte, les décisions
d?inconstitutionnalité prononcées par le Comité Judiciaire
connaissent deux types de figure. Certes la Constitution énonce dans son
article 2 que toute loi non conforme à elle est, dans la mesure de sa
non-conformité, nulle et non avenue (void). A l?occasion d?un
contrôle par la voie d?action, le Comité Judiciaire peut invalider
la norme qui disparaît de l?ordre juridique. La décision produit
ses effets erga omnes et possède une valeur de res judicata. Par contre,
une incertitude subsiste quant à l?effet de l?annulation de la norme
lorsque le Comité Judiciaire statue par la voie d?exception. Dans
certains cas, les juges déclarent dans le dispositif de la
décision que la norme litigieuse est invalidée923,
donc son application n?est pas seulement écartée. Dans d?autres
cas, le juge peut simplement déclarer que la Loi viole la Constitution
mais ne prononce pas son annulation924. Dans l?affaire Marine
Workers, la procédure
921 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière
de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note
860.
922 CSM: 17 juin 1983, Esther c/ The Prime Minister, LRC,
1985, vol. constitutional, pp. 429 à 437, les juges Espitalier-Noël
et Lallah rédacteurs de l'arrêt.
923 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, 635. Lord
Keith of Kinkel écrit que: «it follows that the constitutional vice
which their Lordships have found to exist stems from section 38(4) of the 1986
Act which must accordingly be held to be invalid», ibid., p.411.
924 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, cité, note 905. Lord Templeman déclare que:
«It suffices that the Amendment Act was a coercive act of the Government
which alone deprived and was intended to deprive the appellants of property
without compensation and thus infringed the Constitution», ibid., p.
850.
utilisée -une action en déclaration
(declaratory action)- justifie la décision du juge londonien.
En effet, dans le cadre d?un tel type de recours925, le juge ne se
prononce que sur les droits des parties sans trancher le litige. Dans le
contentieux constitutionnel, la déclaration ne produit qu?un effet inter
partes. Mais, l?effet erga omnes de la décision peut être obtenu
indirectement grâce à l?application par les juridictions de la
règle du précédent.
Sous le bénéfice de cette observation d?ordre
général, on abordera les deux types de décisions
d?invalidation, l?invalidation partielle (a) et l?invalidation totale (b).
a. L'invalidation partielle
A défaut de pouvoir interpréter une Loi pour la
rendre conforme à la Constitution, le Comité Judiciaire, dans
l?objectif d?éviter autant que possible tout conflit avec le
législateur, cherche à invalider que les dispositions contraires
à la Loi. La Haute Instance applique deux critères, les
mêmes que le Conseil Constitutionnel français utilise pour
apprécier le caractère détachable (severable) des
dispositions inconstitutionnelles de la Loi.
D?abord, la Haute Instance recherche si malgré
l?amputation des dispositions censurées, la Loi reste applicable. Au cas
où les dispositions annulées sont inextricablement liées
à l?ensemble de la Loi, cette dernière ne sera plus
appliquée926. A supposer que la Loi demeure applicable, le
juge londonien analyse alors si les dispositions censurées avaient une
importance telle que les parlementaires, sans elles, n?auraient adopté
la Loi927. Toute la Loi est annulée si les dispositions
censurées constituaient l?élément essentiel de la Loi. Ce
dernier critère, malgré la référence aux travaux
préparatoires, entraîne nécessairement le juge dans un
examen subjectif de l?intention du législateur. Il s?efforce d?imaginer,
dans une sorte de considérant de balai, ce qu?aurait fait le
législateur 928.
925 Une action en déclaration est une procédure
d?origine de droit privé. V. WADE William, Sir: «Administrative
law», Oxford, Clarendon Press, 1995, 7e édition, 1039 p., v. p.
591.
926 «The real question is whether what remains is so
inextricably bound up with the part declared invalid that what remains cannot
independently survive», CJCP: 27 juillet 1947, AttorneyGeneral for Alberta
c/ Attorney-General for Canada, AC, 1947, pp. 503 à 520, affaire de
Canada, Vicomte Simon rédacteur de l'arrêt, v. p. 518.
927 «... or as it has sometimes been put, whether on a
fair review of the whole matter it can be assumed that the legislature would
have enacted what survives without enacting the part that is ultra vires at
all», ibid.
928 «It can, in their Lordships? view, be confidently
assumed that the Parliament of Gambia would have enacted the remainder of the
Act without enacting section 8(5) at all», CJCP: 26 mars 1984,
Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743, v. p. 185.
Cependant, souvent aussi, le Comité Judiciaire ne se
prononce pas sur la séparabilité de la disposition annulée
et, ainsi, elle ne se dégage qu?implicitement du
dispositif929.
b. L'invalidation totale
L?invalidation totale d?une Loi est rarement prononcée
par le juge londonien. Il opère nécessairement un contrôle
a posteriori de la Loi. Le juge de la Downing Street ne statue qu?après
un minimum de deux années suite à l?entrée en vigueur de
la Loi et une déclaration de non-conformité totale pourrait
causer de graves conséquences et un grand vide juridique930.
L?annulation partielle offre aux autorités publiques l?avantage de
pouvoir procéder à une conformisation de la Loi de manière
chirurgicale. Une Loi peut réformer la seule disposition
invalidée en tenant compte de la décision du Comité
Judiciaire. Ainsi, lors de la procédure législative, les
parlementaires et surtout le gouvernement bénéficient de
l?avantage de ne devoir examiner une multitude d?amendements qu?auraient pu
déposer les groupes de l?opposition s?il avait fallu reprendre l?examen
de tous les articles de la Loi.
Toutefois dans le cas particulier où la
procédure d?élaboration de la Loi est irrégulière,
l?annulation totale de celle-ci est la sanction inévitable. Le juge
apprécie alors le caractère substantiel de
l?irrégularité qui seul justifie la sanction suprême.
929 V. par exemple CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina,
cité note 635.
930 V. par exemple CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The
Queen, cité note 233. Le juge invalide les dispositions
déterminantes de la Loi créant la Cour des Armes à Feu
(Gun Court) mais n?annule pas complètement la Loi.
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
Le système mauricien de contrôle des normes
témoigne non seulement de l?étendue du pouvoir du Comité
Judiciaire, mais surtout d?une certaine confiance placée par le peuple
mauricien en cette institution. Le contrôle de constitutionnalité
des Lois a pu légitimement être banalisé, rendu possible
à tout moment du procès et même à tout moment de la
vie de la Loi. La démocratie mauricienne, pour reprendre une formule
célèbre, n?est pas réduite à la simple expression
de la volonté des députés ou du gouvernement.
L?équilibre politique est modifié. Le législateur est
contraint de prendre en compte les interdits posés et les prescriptions
formulées par le juge londonien.
La conjugaison de deux voies de contestation des normes permet
au juge londonien de protéger au maximum les droits et libertés
fondamentaux. C?est ce que nous constaterons en examinant les grandes lignes de
la jurisprudence constitutionnelle du Tribunal de la Downing Street.
CHAPITRE 2. LES GRANDES LIGNES DE LA PROTECTION
CONSTITUTIONNELLE
Le droit constitutionnel mauricien a considérablement
gagné en développement jurisprudentiel. Au gré des
décisions prononcées dans des affaires mauriciennes et celles de
caractère étranger produisant néanmoins un effet
relativement direct par le biais de la règle du précédent,
les Sages du Whitehall ont élaboré, par leur travail de mise en
valeur et même de création des normes fondamentales, une
jurisprudence très riche en matière des libertés publiques
et des droits fondamentaux931. La Constitution mauricienne est
devenue un acte vivant, ouvert à la création continue des droits.
Très détaillée et longue, elle pose les bases de
l?ensemble des branches du droit. Le champ de l?exploitation jurisprudentielle
est immense. Le Comité Judiciaire n?a pas manqué d?être
l?instrument de promotion et l?instrument de rendre effectif les droits
constitutionnels.
Eu égard, cependant, aux types de recours portés
au Comité Judiciaire, la protection constitutionnelle qu?il a offerte
s?est développée sur deux axes: le droit pénal (section 1)
et le droit public, au sens large du terme, (section 2). Le plan est donc
tracé.
SECTION 1. EN DROIT PÉNAL
Nous avons vu que le catalogue des droits fondamentaux contenu
dans la Constitution mauricienne ressemble sémantiquement à celui
véhiculé par la Convention Européenne des Droits de
l?Homme, notamment en ce qui concerne les grands principes pénaux.
Le droit pénal mauricien est amplement
constitutionnalisé. Les principes directeurs y relatifs sont de deux
ordres: tantôt ils intéressent toutes les branches du droit et
donc de manière générale le droit pénal,
tantôt ils intéressent spécifiquement celui-ci. Aussi,
l?infiltration constitutionnelle en droit pénal s?accroît au fur
et à mesure du prononcé des décisions par le Comité
Judiciaire.
Pour la commodité de présentation nous
distinguerons l?apport de la Haute Juridiction effectué en droit
pénal procédural ou en matière des grands
931 DE SMITH Barbara: «The Judicial Committee as a
Constitutional Court», PL, 1984, pp. 557 à 562.
principes de sauvegarde des libertés (sous-section 1) du
droit pénal général et substantiel (sous-section 2).
Sous-section 1. En droit pénal
procédural ou en matière des principes de sauvegarde des
libertés
La jurisprudence du Comité Judiciaire est plus ou moins
rebelle à une bonne systématisation tant elle est touffue et
s?élabore à partir d?innombrables espèces d?autant plus
variées qu?elles évoluent dans des systèmes juridiques
divers. Pour autant, nous envisagerons d?en dégager une cohérence
et, par conséquent, une classification en retenant les décisions
intéressant le droit mauricien.
Nous distinguerons ainsi les exigences posées par le
Conseil Privé en vue de garantir une bonne justice (paragraphe 1) de
celles tendant au respect des droits de la défense (paragraphe 2).
Paragraphe 1. Les exigences d'une bonne justice
Dans un véritable Etat de droit et dans une
société démocratique, le citoyen bénéficie,
outre des libertés proclamées, des droits de sauvegarde des
garanties fonctionnelles et effectives de ses libertés.
L?un de ces droits est la garantie promise à chaque
citoyen, pour la défense de sa personne, de bénéficier
d?un procès équitable (A), ce qui assure la sauvegarde d?une
bonne justice. La célérité du procès est aussi un
aspect de l?équité. Toutefois, du fait de l?importance des
problèmes posés par la lenteur de la procédure en
contentieux mauricien, nous traiterons séparément la question de
la célérité (B).
A. Le droit à un procès juste et
équitable
A la manière de la Convention Européenne des
Droits de l?Homme, la garantie du procès juste et équitable est
consubstantielle à l?esprit même des catalogues des droits
fondamentaux qui existent dans les pays ayant des Constitutions du type
Westminster.
Dans les affaires portées au Comité Judiciaire,
les exigences de l?équité se sont focalisées sur l?organe
même du tribunal et le procès: sur le tribunal le grief
invoqué par les requérants était tiré des
manquements à son caractère
adéquat (a) et sur le procès, il a souvent
été question de la garantie de l?innocence de l?accusé ou
du prévenu pendant le déroulement du procès (b).
a. Le caractère adéquat du tribunal
Vu la spécificité de l?organisation judiciaire
et de la profession d?avocat à l?île Maurice, la loi et la
jurisprudence locales ont autorisé le changement de composition d?une
formation de jugement survenu même au cours d?un procès. L?article
124 de la Loi de 1945 sur les juridictions (section 124 of the Courts Act
1945) dispose en effet qu?en cas d?empêchement d?un magistrat
à la Cour de District ou à la Cour Intermédiaire
(District or Intermediate Court), le Chef- Juge peut désigner
un magistrat pour le remplacer. Le magistrat remplaçant poursuit
l?audience, éventuellement jusqu?à son terme et prononce la
décision.
Une illustration de cette pratique se trouve dans l?affaire
Wong Ng, évoquée plus haut dans d?autres contextes. Le
procès de Sieur Wong Ng avait débuté en décembre
1981 devant la Cour Intermédiaire composée de deux magistrats
mais avait été ajourné plusieurs fois. Il ne prit fin
qu?en octobre 1984. Entre-temps un changement était intervenu dans la
composition du tribunal. Le magistrat remplaçant, qui avait
participé au délibéré, n?avait pas assisté
à toutes les audiences de la cause alors que son appréciation des
faits avait été déterminante dans la mesure où la
Loi de 1945 exige une décision unanime quand le tribunal est
composé de deux magistrats932.
Les juges du Comité Judiciaire933
n?endossent pas une telle pratique934 à l?inverse de la Cour
locale. Ils considèrent que le droit à un procès juste et
équitable contenu dans l?article 10 de la Constitution mauricienne
constitue un des fondements essentiels du système juridique. Dans un
procès pénal, les magistrats ou les jurés qui se
prononcent sur la culpabilité du prévenu ou de l?accusé
doivent avoir entendu et examiné personnellement tous les
témoignages produits à l?audience935. En effet, la
procédure devant les juges répressifs doit privilégier le
caractère oral du fait de la règle de l?intime conviction des
magistrats. Ils doivent se décider qu?au vu des preuves soumises au
débat. L?appréciation de la véracité des
témoignages oraux dépend en large partie de la
932 Article 85 de la Loi de 1945 sur les juridictions.
933 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, cité note 851.
934 La jurisprudence du Comité Judiciaire est sensiblement
proche de celle de la CEDH: 6 décembre 1988, Barberà c/ Espagne,
PCEDH, 1989, série A, vol. 146, 51 p.
935 «Those charged with returning a verdict in a criminal
case have the duty cast upon them to assess and determine the reliability and
veracity of the witnesses who give oral evidence and it is upon this assessment
that their verdict will ultimately depend», CJCP: 20 juillet 1987, Pierre
Simon André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note 851, v. p.
1359.
prestation même des témoins. Certains
éléments conditionnent la véracité du
témoignage, tels le ton de la voix et les gestes. Ces
éléments n?apparaissent pas à la lecture par le magistrat
remplaçant du rapport et des notes établis par le magistrat
remplacé. Le Comité Judiciaire considère que les juges qui
n?ont pas assisté à l?intégralité des
opérations de justice à propos desquelles ils statuent doivent se
récuser936. En cas de défaillance et remplacement de
l?un des magistrats au cours de la procédure du jugement, la cour doit
recommencer les audiences tout au début. Les Lords ont dans cette
affaire invoqué à l?appui de leur raisonnement plusieurs
précédents anglais937 et un du Conseil
Privé938.
La Cour Suprême a été constamment hostile
à reconnaître au principe d?équité une portée
aussi large. Dans l?arrêt Wong Ng939, elle n?exprime qu?un
regret à propos de la méconnaissance d?une telle
institution940. Elle accorde à la Loi coloniale sur les
juridictions de 1945 un brevet de constitutionnalité et la
considère comme faisant écran à l?exigence de
l?équité.
En réaction au précédent et au principe
protecteur de la défense posé par le Comité Judiciaire
dans l?affaire Wong Ng941, la Cour Suprême locale marque sa
désapprobation de deux manières bien qu?elle s?estime liée
par l?arrêt des juges londoniens. Dans un cas, la Cour reconnaît la
force obligatoire et impérative de l?arrêt de la juridiction
supérieure, mais analyse et présente longuement, parfois
même en outrepassant la mesure, des difficultés pratiques
posées à l?administration de la justice dans l?hypothèse
où la jurisprudence du Conseil Privé serait
appliquée942. Le principe du Conseil provoquerait un
accroissement excessif de la durée du procès, voire un
désordre et chaos
936 «If they have not had the opportunity to carry out
this vital part of their function as judges of the facts, they are disqualified
from returning a verdict and any verdict they purport to return must be
quashed», ibid.
937 V. par exemple HC: 3 novembre 1936, Fulker c/ Fulker, All
ER, 1936, vol. 3, pp. 636 à 640, Sir Boyd Merriman rédacteur de
l'arrêt.
938 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General of our Lady the
Queen for the Colony of the New South Wales c/ Henry Louis Bertrand,
cité note 404.
939 CSM: 24 juin 1985, Pierre S. André Sip Heng Wong Ng
c/ The Queen, Le Chef-Juge Moollan et le juge Forget rédacteurs de
l'arrêt. Ils y appliquent la jurisprudence de principe posée par
la Cour. V. CSM: 22 janiver 1980, Audibert c/ Raghoonundun, MR, 1980, pp. 7
à 11, le juge Moollan rédacteur de l'arrêt.
940 «Although it is a matter of regret that the two
magistrates who heard most of the evidence could not deliver the final
judgment, yet, at least one was present throughout», in CSM: 24 juin 1985,
Pierre S. André Sip Heng Wong Ng c/ The Queen, cité note, 939.
941 Les Sages du Whitehall ont appliqué la même
exigence dans une affaire de la Jamaïque. V. CJCP: 20 juillet 1987,
Beswick c/ Regina, LRC, vol. criminal, pp. 6 à 10, Lord Griffiths
rédacteur de l'arrêt. Le Lord-Chancelier Mackay of Clashfern
faisait partie de la formation du jugement ayant prononcé cet
arrêt.
942 Les juges mauriciens invoquent l?éloignement
géographique des Lords et leur manque de connaissance des situations
locales. «Now, the delays inherent to our judicial process, for a number
of reasons which those who do not operate in Mauritian Courts are certainly not
aware of...», CSM: 23 novembre 1987, Samputh c/ Regina, LRC, 1988, vol.
criminal, pp. 11 à 17, le juge Glover rédacteur de l'arrêt,
v. p. 16.
administratif943. Aussi, les juges mauriciens
suggèrent que la Loi de 1945 ne devrait être
interprétée dans le sens indiqué par le Comité
Judiciaire944. Dans un autre cas945, les juges
opèrent une distinction entre le principe posé par les Lords dans
l?affaire Wong Ng et le problème du cas de l?espèce. Les juges
locaux distinguent les témoins qui à la fois déposent
à l?audience et sont contre- interrogés de ceux qui ne produisent
principalement qu?une affirmation écrite946 et qui ne sont
pas contre-interrogés ou pas contre-interrogés substantiellement
(not seriously cross-examined). S?agissant de ce dernier type de
témoins (formal witnesses), la Cour soutient que le magistrat
remplaçant (substitute magistrate) n?a pas l?obligation de les
entendre de nouveau et peut simplement prendre connaissance de leurs
déclarations écrites. Les juges locaux considèrent
irrégulièrement que dans le cas de l?affaire
Curpen947, les témoins entendus et contre-interrogés
par l?avocat du prévenu avant le changement de composition du tribunal
correctionnel tombaient dans la catégorie des témoins qui ne
déposent principalement que par écrit (formal
witnesses).
Le Comité Judiciaire948 rejette et la
classification manifestement erronée de la Cour
Suprême949, car les témoins en question ont bien
été contre-interrogés et ainsi ont déposé
oralement, et la distinction opérée par elle entre l?affaire
Curpen et Wong Ng. Le Comité Judiciaire consacre une conception
rigoureuse de l?unicité de la composition du tribunal. Le juge
britannique, conformément à la tradition de la Common Law,
attache aussi un facteur d?apparence à la justice exprimé dans
l?adage «il ne suffit pas que la justice soit rendue, mais encore faut-il
qu?elle soit apparente, que chacun puisse voir qu?elle soit
rendue»950. L?image de la justice, voire de la fiction qu?elle
englobe, doit être préservée. Si un magistrat statue sans
avoir entendu les témoins ayant déposé à la barre,
le
943 «... to start every single case partly heard by a
differently constituted Court, whatever the circumstances would be illogical,
would cause chaotic administrative problems and cause injustice in the sense
that the accused would not, at the end of the day, have had a fair trial within
a reasonable time», ibid., p. 13-14.
944 «With great respect, we venture to suggest that if a
certain interpretation of what the law is produces chaotic results, it may be
opportune to consider whether that interpretation is the correct one»,
ibid., p. 14.
945 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, les juges Pillay et
Proag rédacteurs de l'arrêt.
946 Par exemple un agent de police judiciaire qui a mené
un interrogatoire et recueilli les déclarations de la personne
poursuivie et a donc dressé le procès-verbal de
l?interrogation.
947 CSM: 28 novembre 1987, Curpen c/ Regina, cité note
945.
948 CJCP: 11 novembre 1991, Curpen c/ Regina, LRC, 1992, vol.
criminal, pp. 120 à 125, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley
rédacteur de l'arrêt.
949 «Before their Lordships, Mr Ollivry submitted that
the reasoning of the Supreme Court was open to serious criticism... he directed
particular criticism to the treatment by the Supreme Court of the evidence
given on the 28 November 1985, which they dismissed as evidence of formal
witness who were not cross-examined at all or who were not seriously
cross-examined... Their Lordships are of opinion that Mr Ollivry?s criticism
are well-founded», ibid., p. 124-5.
950 «Justice must not only be done but also seen to be
done».
justiciable peut ne pas être convaincu que la justice
ait été réellement rendue951 même s?il a
été amplement démontré que le prévenu est
coupable d?avoir commis les faits incriminés.
Le Comité Judiciaire privilégie les
considérations de caractère organique au détriment du
critère fonctionnel, autrement dit, le procès juste sur la
politique répressive. Les deux juridictions ne favorisent les
mêmes valeurs.
La divergence de vue entre le juge du fond et le juge de
cassation est-elle patente en matière de présomption d?innocence
?
b. La présomption d'innocence
Un procès juste et équitable implique
également que les pouvoirs de l?autorité de poursuite soient
cantonnés et l?office du juge répressif soit
réglementé. L?individu traduit devant le tribunal doit
bénéficier d?une protection particulière: le droit au
respect de la présomption de son innocence952 jusqu?à
ce que sa culpabilité ait été établie par une
décision de justice953. Il doit exister un statut protecteur
de l?inculpé.
Le principe de la présomption d?innocence,
défendu par les philosophes des Lumières954, est
affirmé à peu près partout dans le monde955
même s?il n?est ni toujours exprimé dans les mêmes sources
du droit, ni de la même manière. A Maurice, l?article 10-2-a
dispose que «toute personne accusée d?une infraction pénale
est présumée innocente jusqu?à ce que sa
culpabilité ait été établie ou qu?elle ait
plaidé coupable». Cette disposition est sensiblement similaire
à l?article 6-2 de la Convention Européenne des Droits de l?Homme
qui se lit ainsi: «Toute personne accusée d?une infraction est
présumée innocente jusqu?à ce que sa culpabilité
ait été légalement établie». En
réalité, la version mauricienne est la transcription dans l?ordre
constitutionnel d?un principe de la Common Law exprimé dans le
célèbre arrêt Woolmington956 de 1935 dans lequel
Vicomte Sankey a magistralement indiqué que «dans la toile du droit
pénal anglais, un
951 CJCP: 20 juillet 1987, Pierre Simon André Sip Heng
Wong Ng c/ The Queen, cité note 851. Lord Griffiths déduit dans
cette affaire que: «Whether or not justice was done in the present case,
it was certainly not seen to be done», p. 1360.
952 LOMBOIS Claude: «La présomption
d?innocence», Pouvoirs, 1990, n° 55, pp. 81 à 94.
953 Certains auteurs considèrent qu?en la Common Law,
la présomption d?innocence cesse avec la condamnation par le premier
juge alors qu?en droit français elle joue jusqu?à la condamnation
définitive. V. RASSAT Michèle Laure: «Procédure
pénale», PUF, Droit Fondamental, 1995, 2e édition, 861 p.,
v. p. 303.
954 V. article 9 de la Declaration Française des Droits
de l?Homme et du Citoyen du 26 août 1789.
955 PRADEL Jean: «Le droit pénal
comparé», Paris, Précis-Dalloz, 1995, 733 p., v. p. 379.
956 CL: 22 mai 1935, Woolmington c/ The Director of Public
Prosecutions, AC, 1935, pp. 462 à 483, Vicomte Sankey rédacteur
de l'arrêt principal.
fil d?or se voit toujours, c?est un devoir du poursuivant de
prouver la culpabilité de l?accusé»957. Ce
principe souffre d?un aménagement. Le juge prévoit que le moyen
de défense fondé sur l?aliénation mentale ou toute autre
exception prévue par la loi est à la charge de
l?accusé958.
D?un point de vue global, le principe de la présomption
d?innocence implique que la personne poursuivie n?a pas à faire la
preuve de son innocence. La preuve incombe au demandeur (actori incumbit
probatio) et la charge de la preuve (onus probandi) pèse
sur lui tout au long du procès. La personne poursuivie n?a pas à
répondre aux charges qui pèsent sur elle. En principe,
l?accusation doit établir l?élément matériel
(actus reus) et moral ou psychologique (mens rea) de
l?infraction. Le principe comporte une conséquence sur la prise de
décision. Il impose de faire bénéficier à la
personne poursuivie du doute sur la balance des preuves
pénales959. Cette règle du bénéfice du
doute qui profite à l?accusé ou le prévenu (in dubio
pro reo) impose, selon le cas, l?acquittement ou la relaxe de l?individu.
La condamnation ne peut survenir que lorsque la poursuite ait été
si persuasive qu?il ne reste plus aucun doute raisonnable (beyond
reasonable doubt).
Néanmoins, autant le principe de la présomption
d?innocence est universel, autant sa portée est relativisée. Il
existe à l?égard de certaines infractions minimes une sorte de
présomption de culpabilité sur l?élément moral en
droit français et anglais, parfois même de manière
identique, et l?on peut parler de véritables
correspondances960. La Cour Européenne des Droits de l?Homme
considère, dans l?arrêt Salabiaku, qu?il est conforme à la
Convention d?ériger en infraction un fait matériel
considéré en soi, qu?il précède ou non
957 «Throughout the web of the English criminal law, one
golden thread is always to be seen, that it is the duty of the prosecution to
prove the prisoner?s guilt», ibid., p. 481.
958 La Constitution mauricienne prévoit dans son
article 10-11-a de telles exceptions. V. CSM: 1 juillet 1993, Simandree c/ The
State, MR, 1993, pp. 333 à 334, le juge Pillay rédacteur de
l'arrêt. V. aussi à propos des Constitutions de Westminster CJCP:
29 juin 1994, Dean Edwardo Vasquez c/ The Queen, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1304
à 1306, affaire de Bélize, Lord Jauncey of Tullichettle
rédacteur de l'arrêt.
959 CSM: 29 juin 1993, Callychurn c/ The State, MR, 1993, pp.
330 à 333, le juge Ahnee rédacteur de l'arrêt.
960 Par exemple, le fait de vivre avec une prostituée
et de ne pouvoir justifier de ses propres ressources constitue un cas de
proxénétisme. En France, ce délit est prévu
à l?article 255-6,3° du Code Pénal: «Est
assimilé au proxénétisme... le fait... de ne pouvoir
justifier de ses ressources correspondant à son train de vie tout en
vivant avec une personne qui se livre habituellement à la
prostitution». En Angleterre, l?article 30 de la Loi sur les infractions
contre les moeurs sexuelles de 1956 (Sexual offences Act 1956) dispose
également que: «... a man who lives with or is habitually in the
company of a prostitute... shall be presumed to be knowingly living on her
earnings of prostitution unless he proves the contrary». V. sur le sujet
ANDREWS John A. et HIRST Micheal: «Criminal Evidence», Londres, Sweet
and Maxwell, 1992, 696 p., v. «Statutory presumptions against the
accused», p. 110 et s.
d?une intention délictueuse961. Les
difficultés de preuves que pourrait parfois rencontrer le
ministère public incitent les juges à donner au prévenu un
rôle plus important dans sa défense.
Dans ce secteur, un point de vue commun unit la Cour
Suprême locale au Conseil Privé. En effet, la Cour de Maurice
attribue au principe de la présomption d?innocence une portée
similaire à celle de la jurisprudence anglaise962. Le
principe était respecté bien avant l?entrée en vigueur de
la Constitution de 1968 en vertu de l?application à Maurice du droit
britannique de la preuve. La Loi Fondamentale n?a que constitutionnalisé
les normes jurisprudentielles963. L?exception prévue par
l?article 10-11-a de la Constitution et qui attribue à l?accusé
le devoir de rapporter exceptionnellement la preuve de certains faits ne
renverse en aucun cas la charge, le fardeau même de la preuve qui
pèse sur le ministère public964. Ce ne sont que des
faits justificatifs d?exonération (law ful authority or excuse)
qui peuvent être à la charge du prévenu. Il est le seul
à avoir connaissance de ces faits et c?est ainsi qu?il lui appartient de
les rapporter. Par ailleurs, bien que la Constitution n?en fait pas mention, le
juge considère que le législateur peut établir des
présomptions de faits. Par un lien particulièrement
étroit, certains faits sont liés à des
infractions965. L?infraction est alors fondée sur la
vraisemblance. Cependant, poursuit le juge, ces exceptions ne renversent pas la
charge de la preuve, mais déterminent des circonstances exceptionnelles
dans lesquelles le procureur peut prouver plus facilement certains
éléments des délits ou contraventions966. Il ne
peut s?agir en aucun cas d?une présomption de
culpabilité967. Ainsi, une
961 Le Code des Douanes français crée une
présomption légale de responsabilité du détenteur
des marchandises de fraude. V. CEDH: 7 octobre 1988, Salabiaku c/ la France,
PCEDH, 1989, série A, vol. 141, 45 p. et JUNOSZA-ZDROJEWSKI: «La
présomption d?innocence contre la présomption de
culpabilité», Gaz.Pal, 1989, Chronique, pp. 308 à 309 et
VIRIOT-BARRIAL Dominique: «La preuve en droit douanier et la Convention
Européenne des Droits de l?Homme», RSC, 1994, pp. 537 à
547.
962 RAMSEWAK Doorgesh, QC: «Mauritian law, the
Constitution, its legal aspect and political philosophy», Port-Louis,
Proag Printing Ltd, 1991, 177 p., v. p. 65 et s.
963 CSM: 28 janvier 1972, Police c/ Moorbanoo, MR, 1972, le
juge Garrioch rédacteur de l'arrêt. Il souligne que: «But it
is no less known that in this country, as also in all those countries where the
English law of evidence has been and is still applied... that principle, in the
very form in which it is stated in our Constitution has been a cardinal and
most carefully guarded commandment of the criminal law», ibid., p. 24.
964 «To say that an accused party is to be presumed
innocent is really to say that the burden is on the prosecution to prove every
ingredient of the charge against him», ibid., p. 25.
965 «... certain facts will be prima facie evidence of
some other facts which it is incumbent on the prosecution to prove under
charge... In other words, the basic fact is of the kind that could according to
common experience reasonably warrant the inference of the other fact...»,
ibid., p. 26.
966 «It has for effect not to dispense the prosecution
with the onus of proving the elements of the offence charged but to determine
what evidence would in certain circumstances be sufficient to prove those
elements in the absence of proof to the contrary», ibid., p. 27.
967 «In my view a Statute is repugnant to the
Constitution not only when it casts on the accused the whole burden of proving
his innocence, but also when it provides that upon proof which is pima facie
innocent, and which is a common incident of daily life, it shall be for the
accused to prove that no crime was committed», CSM: 13 septembre 1973,
Velle Vidron c/ The Queen, MR,
Ordonnance mauricienne qui prévoit que la cassure des
scellés d?un compteur d?électricité fait présumer
que le client a frauduleusement soustrait et consommé de
l?énergie est contraire au principe car elle exige, au-delà de ce
qui est raisonnable, une participation du prévenu à l?effort
probatoire968.
La ligne jurisprudentielle adoptée par le Comité
Judiciaire en la matière est sensiblement similaire à celle de la
Cour de Maurice. Dans une affaire de Hongkong969, le juge londonien
a défini de manière générale le principe de la
présomption d?innocence et sa portée dans la famille juridique de
la Common Law.
Citant de prime abord les arrêts Woolmington de la
Chambre des Lords et Salabiaku de la Cour Européenne des Droits de
l?Homme précités, le Comité Judiciaire soutient que la
présomption d?innocence, comme tout principe constitutionnel, est
sujette à la flexibilité. Des aménagements peuvent y
être portés sans méconnaître l?essentiel du principe.
Des exceptions sont admissibles dès lors qu?il appartient toujours au
ministère public de prouver la culpabilité selon le niveau
(standard) requis, c'est-à-dire, au-delà des doutes, et
que l?exception est raisonnable970. L?exception sera d?autant plus
autorisée qu?elle est minime. Elle violerait, par contre, le principe si
elle fait présumer la commission de l?infraction pénale ou
attribue les diligences probatoires à la personne
poursuivie971. Le Comité Judiciaire soutient à juste
titre que s?il appartient à l?accusé de prouver son innocence, il
pourrait alors être condamné s?il subsiste un doute sur sa
culpabilité. Le bénéfice du doute profiterait alors
à la partie poursuivante au détriment de l?accusé.
L?adhésion de la Cour Suprême à la
jurisprudence britannique et londonienne sur la présomption d?innocence
n?a pas entraîné la sanction de ses
1973, pp. 245 à 255, les juges Garrioch et Rault
rédacteurs des arrêts concurrents, v. opinion du juge Rault
à la page 254. Il invoque à l?appui de son raisonnement la
jurisprudence CJCP: 26 mars 1936, Attygale c/ The King, AC, 1936, pp. 338
à 345, affaire de Ceylan, Lord-Chancelier Vicomte Hailsham
rédacteur de l'arrêt.
968 V. dans le même sens CSM: 9 mars 1965, Director of
Public Prosecutions c/ Labavarde, MR, 1965, pp. 72 à 76, le Chef-Juge
Sir Rampersad Neerunjun rédacteur de l'arrêt.
969 CJCP: 19 mai 1993, Attorney-General c/ Lee Kwong-Kut, WLR,
1993, vol. 3, pp. 329 à 346, affaire de Hongkong, Lord Woolf
rédacteur de l'arrêt.
970 «Some exceptions will be justifiable, others will
not. Whether they are justifiable will in the end depend upon whether it
remains primarily the responsibility of the prosecution to prove the guilt of
an accused to the required standard and whether the exception is reasonably
imposed...», ibid., p. 341.
971 «The less significant the departure from the normal
principle, the simpler it will be to justify an exception. If the prosecution
retains responsibility for proving the essentials ingredients of the offence,
the less likely it is that an exception will be regarded as unacceptable... If
the exception requires certain matters to be presumed until the contrary is
shown, then it will be difficult to justify that presumption...», ibid.
décisions par le Comité Judiciaire. La
présomption d?innocence n?est pas un droit nouveau. Elle fait partie
d?une longue tradition.
Par contre, la démarche de la Cour Suprême est
différente sur le droit d?être jugé dans un délai
raisonnable, droit plus récent.
B. Le droit d'être jugé dans un
délai raisonnable
La Constitution mauricienne pose le principe visant à
ce que la justice ne soit pas rendue avec un retard qui compromettrait son
efficacité, sa crédibilité et surtout les droits de la
défense. La notion de «procès équitable dans un
délai raisonnable» a été diversement
interprétée et appliquée par la Cour locale et le Conseil
Privé.
Deux séries de questions ont été
formulées, d?abord à propos de la computation du délai (a)
et ensuite du caractère raisonnable du délai (b).
a. La computation du délai au déclenchement des
poursuites
Est-ce que le délai raisonnable pour être
jugé commence à courir au jour de la commission de l?acte
délictueux ou criminel ou au jour de la mise en examen de
l?inculpé, du déclenchement des poursuites ?
L?article 10-1 de la Constitution mauricienne dispose que
«toute personne accusée d?avoir commis une infraction (charged
with a criminal offence)... a droit à un procès juste et
équitable tenu dans un délai raisonnable». La Cour locale,
dans l?affaire Police c/ Labat972, interprète de
manière littérale et stricte les dispositions de l?article
précité. Elle considère que le point de départ du
délai (dies a quo) ne survient pas au moment de la commission
des faits, c'est-à-dire, avant la saisine du tribunal973 par
le ministère public lors de l?arrestation de l?auteur suspecté de
l?infraction. Toutefois, les juges Latour-Adrien et Garrioch estiment que le
délai écoulé avant la saisine de la juridiction du
jugement, pourrait, s?il est excessif, selon le cas de l?espèce,
affecter le caractère équitable du procès. Le juge du
premier degré, chargé de veiller à la loyauté du
procès, a éventuellement le devoir de déclarer
irrecevables les poursuites si elles
972 CSM: 19 novembre 1970, Police c/ Labat, MR, 1970, pp. 214
à 234, le Chef-Juge Latour-Adrien rédacteur de l'arrêt
majoritaire et le juge Ramphul rédacteur de l'arrêt d?une opinion
concurrente.
973 «The expression «reasonable time» has thus no
relation in the section to the time elapsed before the preferment of the
information», ibid., p. 221.
paraissent contraires à
l?équité974 dans des cas exceptionnels. Autrement dit,
les juges Latour-Adrien et Garrioch soutiennent l?existence d?un principe
éteignant l?action publique pour cause de prescription. Par contre le
juge Ramphul, rédacteur d?une opinion concurrente dans l?arrêt
précité, dénie l?existence de l?institution de la
prescription et l?exigence de toute
célérité975.
Dans un arrêt plus récent976, la Cour
Suprême, en approuvant le juge Ramphul, manifeste une virulente
opposition à l?extinction de l?action publique par la
prescription977. Les faits de l?affaire méritent d?être
soulignés afin que la position de la Cour Suprême soit mieux
analysée. Sir Gaétan Duval est arrêté sous le chef
d?accusation d?avoir été l?instigateur d?un assassinat commis
dix- huit ans auparavant. Dans un recours à la Cour Suprême pour
garantir ses droits constitutionnels (constitutional redress) il
invoque la nécessaire prescription du crime car s?il est traduit devant
la formation d?assises de la Cour, le procès ne serait pas juste et
équitable. Il subirait des préjudices dans la préparation
de sa défense. Certains de ses témoins sont
décédés et d?autres ne mémorisent plus les faits.
Le risque d?une erreur judiciaire est grande. La Cour Suprême marque son
désaccord à ces arguments978. La Constitution
mauricienne ne garantit, selon elle, que la célérité du
procès. Elle soutient, à tort, que le droit mauricien, comme
celui de l?Angleterre979 ne pose aucun délai à
l?exercice
974 «It seems, however, that undue delay in the
institution of proceedings against the accused party may be a factor, viewed in
the context of the particular circumstances of each case, which a court of
trial is entitled to take into account when considering whether the delay has
not had for effect to prevent the accused from having a fair trial, a result
which is incumbent on the court of trial to ensure. If, therefore, a court of
trial comes to the conclusion that delay in preferring a charge against a
person has made it impossible for him to be fairly tried, the court of trial,
it seems to us, would be entitled to dismiss the information», ibid.
975 «There is no duty cast on the Director of Public
Prosecutions or any other person or authority to prosecute within a reasonable
time a person arrested on a criminal charge and subsequently released on
bail», ibid., p. 232.
976 CSM: 20 octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of
Flacq (N° 1), LRC, 1990, vol. constitutional, pp. 570 à 577, les
juges Glover et Yeung Sik Yuen rédacteurs de l'arrêt.
977 Dans un deuxième recours à la Cour
Suprême, constituée différemment, celle-ci approuve la
première décision. V. CSM: 5 juin 1990, Duval c/ District
Magistrate of Flacq (N° 2), LRC, 1990, vol. criminal, pp. 245 à
251, les juges Lallah et Pillay rédacteurs de l'arrêt.
978 V. également dans le sens des arrêts
précités, CSM: 24 novembre 1992, Lutchmeeparsad c/ The State, MR,
1992, pp. 271 à 281, le Chef-Juge Glover rédacteur de
l'arrêt majoritaire. Le juge Ahnee, auteur d?une opinion dissidente,
tranche le cas de l?espèce dans le sens indiqué par le Conseil
Privé. V. ibid., p. 279 à 281.
979 En Angleterre, les infractions légères
(summary offences) sont systématiquement prescrites au bout de
six mois. D?autres lois particulières prévoient un obstacle
à la poursuite, même parfois pour des infractions graves. V.
EMMINS Christopher J.: «A practical approach to criminal procedure»,
Londres, Blackstone Press Limited, 1990, 4e édition, 500 p., v. p. 20 et
s.
Aussi, la juridiction du fond (trial court) dispose
d?un pouvoir général aux fins de déclarer irrecevables les
poursuites lorsqu?elle estime que celles-ci seraient contraires à
l?équité ou seraient déloyales. V. DELMAS-MARTY Mireille
(dir): «Procédures pénales d?Europe», PUF,
Thémis, 1995, 638 p., v. p. 169 et CHOO Andrew L. T.: «Halting the
criminal prosecutions: the abuse of process doctrine revisited», CLR,
1995, pp. 864 à 874.
de l?action publique980. Elle fait valoir que la
préscription nuit au devoir de la société de faire
justice.
Le Comité Judiciaire, conformément à sa
politique libérale et progressiste, récuse une telle
interprétation stricte de l?article 10-1 de la Constitution de Maurice
et rétablit le raisonnement qui convient. Que la formule de l?article
10-1 soit maladroite est évident puisque prise à la lettre elle
ne devrait avoir qu?une portée réduite à laquelle le juge
de la Downing Street ne s?est pas résigné981. Il
étend considérablement la portée de la norme. Il lui donne
un sens autonome. Dans l?affaire Mungroo982, Lord Templeman
déclare que l?article 10-1 de la Constitution protège en premier
lieu la partie poursuivie contre tout préjudice qu?elle pourrait subir
dans sa défense à cause des faits de retard983.
Poursuivant son analyse, le juge londonien rejette intégralement la
thèse de la Cour Suprême soutenue dans l?affaire Police c/ Labat
précitée. Ils considèrent que l?article 10-1 englobe tout
retard, donc aussi celui qui court à partir de la commission de
l?infraction. Poursuivre quelqu?un pour une infraction très ancienne
dont les preuves ont disparu ou sont devenues incertaines est contraire au
principe d?équité984. Pour éviter l?erreur
judiciaire et dans l?intérêt même de la justice
répressive, il convient de renoncer à l?action publique.
Ainsi, le juge londonien inclut dans la Constitution de
Maurice la théorie anglaise de l?abus de procès (abuse of
process) qui permet à l?accusé de se protéger contre
les atteintes à l?établissement de sa
défense985. En réalité, il traduit
juridiquement le vieil adage lapidaire «justice rétive, justice
fautive» (justice delayed, justice denied). Le juge britannique
s?est toujours attribué le pouvoir d?annuler tout procès dans
lequel la défense est défavorisée (is
980 «Our law like the law in England, does not set, as a
general rule, any limit for a criminal prosecution to be stated», CSM: 20
octobre 1989, Duval c/ District Magistrate of Flacq (N° 1), cité
note 976, v. p. 573.
981 En revanche, si la Loi prévoit un délai de
prescription court (de douze mois pour exportation illicite de devises), il
advient que le juge londonien renferme l?application de la prescription
strictement dans les termes de la Loi. V. CJCP: 17 décembre 1992,
Goinsamy Chinien c/ The State, cité note 869.
982 CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, LRC, 1992, vol.
constitutional, pp. 591 à 595, affaire de Maurice, Lord Templeman
rédacteur de l'arrêt (également publié in JCL, 1992,
pp. 168 à 171).
983 «The right to a trial «within a reasonable time
secures, first, that the accused is not prejudiced in his defence by
delay...», ibid., p. 592.
984 Indeed, it may be that in some cases, in considering
whether a reasonable time has elapsed before the conclusion of a hearing of
criminal proceedings, it would be proper to take into account the period before
the accused was arrested. For present purposes it is sufficient to say that the
decision in Police c/ Labat... can no longer be relied upon in any
respect», p. 594.
985 HC: 31 juillet 1984, R c/ Derby Crown Court, ex parte Brooks,
CAR, 1985, vol. 80, pp. 164 à 169, Sir Roger Omrod rédacteur de
l'arrêt.
prejudiced), notamment à cause des faits de
retard986 au cours du déroulement du procès
pénal.
Depuis 1993, le juge mauricien s?est rallié à la
jurisprudence londonienne987 pour ne pas courir le risque d?une
sanction.
986 CA: 13 avril 1992, Attorney-General?s reference (N° 1
of 1990), QBD, 1992, vol. 1, pp. 630 à 644, le Lord-Chef-Juge Lane
rédacteur de l?avis. Il soutient que: «There is no statutory
limitation period for criminal proceedings such as those in the instant case.
The court is not however powerless to regulate its own proceedings in this
area... there must be a residual discretion to prevent anything which savours
of abuse of process», ibid., p. 640-1.
987 CSM: 2 novembre 1993, Dahal c/ The State, MR, 1993, pp. 220
à 225, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt.
b. La durée du procès pénal
La Constitution mauricienne garantit expressément la
célérité du procès pénal. Une fois que le
ministère public déclenche les poursuites à l?égard
d?une personne, celle-ci a droit d?être jugée dans un délai
raisonnable. La Haute Juridiction londonienne988 considère
que le principe est fondé, non seulement sur le besoin de ne pas
défavoriser la défense, mais également sur la
nécessité de protéger psychologiquement la personne
poursuivie. Considérée comme innocente jusqu?à preuve du
contraire par un tribunal, elle ne doit vivre dans l?inquiétude et
l?angoisse que pour une période la plus courte possible989.
Le juge londonien marque son souci de préserver la liberté
individuelle sur le plan psychologique et de limiter, dans la mesure du
possible, les contraintes abusives du procès. La Haute Juridiction opte
pour la conception la plus libérale en matière de protection
contre la durée excessive du procès.
Poursuivant cette logique, le Conseil Privé s?efforce
d?aligner sa jurisprudence en la matière sur des modèles
(standards) internationaux. Le Comité Judiciaire épouse
une conception universelle de la garantie procédurale. Il ne
réduit pas son analyse de l?article constitutionnel à son simple
énoncé mais le considère comme un principe universel
proclamé dans d?autres pays. Les Sages du Whitehall se démarquent
des juges mauriciens qui cherchent, dans bien des cas, à distinguer les
articles correspondants des autres pays du texte constitutionnel mauricien.
Leur démarche est de type privatiste et syntaxique. Le Comité
Judiciaire pratique la comparaison alors que la Cour mauricienne se livre dans
certains cas à la distinction. Ainsi, le Comité Judiciaire
soutient que l?article 10-1 de la Constitution mauricienne est identique
(indistinguishable) à l?article correspondant de la
Constitution de la Jamaïque qu?il a interprété et
appliqué dans l?arrêt Bell990. Dans cette affaire, Lord
Templeman transpose en totalité une jurisprudence de la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique991 sur le droit
constitutionnel à un procès rapide (right to a speedy
trial)992. Le juge
988 Le moyen tiré d?une durée excessive est
opérant sur un pourvoi au Comité Judiciaire. Il semble que le
même moyen n?est pas une cause de nullité de la décision
des juges du fond à la Cour de Cassation française. V. C.Cas: 3
février 1993, Kemmoche Michel c/ Cour d?Assises du Var, Bull, crim,
1993, pp. 132 à 137, n° 57.
989 «The right to a trial «within a reasonable
time» secures... that the period during which an innocent person is under
suspicion and any accused suffers from uncertainty and anxiety is kept to a
minimum», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982,
v. p. 592.
990 CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public
Prosecutions, cité note 756.
991 CSEUA: 23 juin 1972, Baker c/ Wingo, Warden, US, 1972,
vol. 407, 3e partie, pp. 514 à 538, le juge Powell rédacteur de
l'arrêt.
992 «Their Lordships acknowledge the relevance and
importance of the four factors lucidly expanded and comprehensively discussed
in Baker v. Bingo. Their Lordships also acknowledge the desirability
of applying the same or similar criteria to any Constitution, written or
unwritten, which protects an accused from oppression by delay in criminal
proceedings», CJCP: 30 avril 1985, Herbert Bell c/ Director of Public
Prosecutions, cité note 756, v. p. 81.
américain a posé quatre critères
d?appréciation de la notion du délai, pratiquement similaires
à ceux retenus par la Cour Européenne des Droits de
l?Homme993. D?abord le délai doit s?apprécier suivant
la complexité de l?affaire en question994. La
complexité inclut plusieurs données, de fait ou de droit,
considérées globalement. Les comportements des autorités
compétentes doivent entrer en ligne de compte pour déterminer les
lenteurs imputables à l?Etat. Etant entendu, souligne le juge, que les
problèmes d?administration de la justice, de dysfonctionnement,
d?engouement des cours relèvent de la responsabilité de l?Etat et
non de la personne poursuivie995. Ensuite, le juge doit peser la
force de la revendication par la personne poursuivie de son droit à un
procès rapide car plus elle se sentira privée de ce droit, plus
elle l?invoquera. Enfin, le juge doit apprécier le préjudice subi
par l?intéressé en prenant en considération la
durée de la détention provisoire, les troubles psychologiques
subis et les atteintes aux droits de la défense.
Par ailleurs, le Comité Judiciaire a renforcé au
fil des arrêts, la garantie contre la lenteur juridictionnelle en
créant une sorte de présomption de préjudice subi par
l?accusé. Plus la lenteur est considérable, plus elle sera
imputée au ministère public et plus elle sera
considérée comme ayant désavantagé
l?accusé996. Il déduit que la présomption fait
peser sur l?autorité poursuivante la charge de démontrer que la
lenteur n?est pas imputable à l?Etat, à la justice et qu?elle
résulte par contre du caractère délicat et complexe de
l?affaire ou de l?attitude abusive ou dilatoire du
justiciable997.
La justice prend une nouvelle dimension avec la jurisprudence
du Conseil Privé. Elle n?est pas réduite au simple fait de
trancher des litiges mais obéit à une éthique.
993 CEDH: 31 mars 1992, X c/ France, PCEDH, 1992, série A,
vol. 234, pp. 77 à 104.
994 Sur l?appréciation de ce critère v. CJCP: 26
mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743.
995 Le juge du Whitehall précise toutefois, que pour
apprécier les faits de retard, il faudrait prendre en compte le
système de fonctionnement des organes de justice et la situation
économique propre à chaque pays du Commonwealth. V. CJCP: 11
novembre 1991, Mungroo c/ Regina, cité note 982, v. p. 594.
996 «Normally, the longer the delay the more likely it
will be that the prosecution is at fault, and that the delay has caused
prejudiced to the defendant, and the less that the prosecution has to offer by
explanation, the more easily can fault be inferred», CJCP: 29 juin 1992,
George Tan Soon Gin c/ Judge Cameron, AC, 1992, vol. 2, pp. 205 à 228,
affaire de Hongkong, Lord Mustill rédacteur de l'arrêt, v. p.
225.
997 «Their Lordships consider that, in any future case in
which excessive delay is alleged, the prosecution should place before the court
an affidavit which sets out the history of the case and the reasons (if any)
for the relevant periods of delay», CJCP: 11 novembre 1991, Mungroo c/
Regina, cité note 982, v. p. 595. V. également CJCP: 29 mars
1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, cité note 414.
Sous le bénéfice de cette conception de la justice,
les droits de la défense gagnent en importance.
Paragraphe 2. Les droits de la défense
Dans le système accusatoire de la procédure
pénale de la Common Law998, l?intérêt de la
société de punir avec plus ou moins de
sévérité les infractions est contrebalancé de
manière fort convenable avec l?intérêt de l?individu au
respect de sa liberté999. Si la justice commande que le
coupable de l?infraction soit puni, elle exige aussi non moins
impérieusement que celui qui est poursuivi ait toute la
possibilité de se défendre et ne puisse jamais être
frappé d?une sanction que si sa culpabilité ait été
établie conformément au droit1000. Le droit
pénal est soucieux du respect de la liberté de l?individu et des
droits de la défense sans le respect desquels il ne saurait y avoir une
bonne justice répressive. Il importe à la dignité et
à l?autorité même de la Justice et au respect qu?elle doit
inspirer de ne mettre en oeuvre aucun moyen qui attente aux grandes valeurs de
l?équité et la loyauté.
Le droit pénal constitutionnel mauricien s?inspire de
cette perspective fondamentale de la Common Law. Les prérogatives
procédurales accordées à l?accusé pour pouvoir
répondre à la poursuite sont proclamées dans le catalogue
constitutionnel des droits et les juges du Conseil Privé les ont
appliquées avec hardiesse. Les droits de la défense sont
aujourd?hui en phase d?expansion.
La montée générale du principe de
l?égalité des armes est affirmée dans les deux phases du
contentieux répressif: au stade policier ou avant l?audience du jugement
(A) et lors du procès, lors de l?audience du jugement (B).
A. Au stade policier ou avant l'audience du jugement
Les Constitutions du Commonwealth confèrent au suspect
gardé à vue deux privilèges. Il n?est pas tenu de
répondre aux questions des enquêteurs1001 et
998 Pour un aperçu historique, v. SEITZ Emile F.:
«Les principes directeurs de la procédure criminelle de
l?Angleterre», thèse, Nancy, 1928, Rousseau, 1928, 339 p.
999 «There is thus the need to ensure that the police
have adequate measures to protect the public without at the same time
conferring powers that undermine the very freedom which the police are employed
to defend», BRADLEY A. W. et EWING K. D., cité note 549, v. p.
468.
1000 CJCP: 12 juillet 1993, The Police c/ Rajandah Coomar
Kristamah, affaire de Maurice, Lord Slynn of Hadmey rédacteur de
l'arrêt. Les Lords sanctionnent la fabrication des éléments
de culpabilité par les autorités de police.
1001 Le droit de ne pas déposer au Commissariat est
maintenant reconnu en France. V. article 62 alinéa 2 nouveau (Loi du 4
janvier 1993) du Code de Procédure Pénale.
aucune conséquence adverse ne peut être
tirée de ce silence1002. On ne s?attardera pas sur cette
première garantie qui n?a suscité aucune divergence
jurisprudentielle. On retiendra par contre le deuxième privilège,
celui du droit à l?assistance d?un défenseur au commissariat et
pendant la détention provisoire (a) et ses modalités de mise en
oeuvre, notamment en ce qui concerne l?avertissement au suspect de ses droits
(b).
a. Le principe du droit à l'assistance d'un
défenseur au commissariat et pendant la détention
A Maurice, comme dans les pays de la Common Law y compris le Q
uébec1003, la présence de l?avocat lors de
l?enquête est très largement admise1004. L?article 5-3
de la Constitution prévoit expressément cette garantie en
disposant que «Quiconque est arrêté ou détenu... se
verra accorder les facilités raisonnables afin de consulter un
défenseur de son choix». Cette protection s?explique par le fait
que les enquêtes de police sont menées sous la direction et de la
seule responsabilité de la police et non d?un magistrat instructeur
comme en France. Si l?inculpation et la détention sont relatives
à la commission d?un crime, un magistrat du siège sera
amené à exercer un contrôle de légalité lors
de l?audience préliminaire (au jugement de l?affaire au fond) afin
d?établir si celle- ci devra être renvoyée devant la
formation d?assises de la Cour Suprême. L?absence de l?instruction
confère aux investigations policières une grande importance et
justifie l?intervention de l?avocat. La procédure pénale organise
déjà à ce stade une certaine confrontation entre les
parties en présence et l?égalité devant la Loi trouve son
prolongement dans l?assistance accordée à la personne
gardée à vue ou détenue.
Le droit constitutionnel à un avocat au commissariat a
pour origine une extension du Règlement des juges d?Angleterre de 1964
(The Judges' Rules of England of 1964)1005 par
arrêté du ministre britannique des colonies en 1965 à
diverses colonies dont l?île Maurice. Le Règlement a
été élaboré par les magistrats de la Cour d?Appel
d?Angleterre. Il ne devait avoir de force juridique mais le non-respect de ses
dispositions entraîne l?exclusion des éléments de
1002 En principe, l?agent de police doit indiquer à
l?intéressé que: «Vous pouvez ne rien dire à moins
que vous désiriez parler, mais tout ce que vous diriez peut être
utilisé comme un élément de preuve contre vous». V.
article 15 de la Loi sur les Cours de district et intermédiaire du 5
novembre 1888.
1003 BELIVEAU Pierre: «Les garanties juridiques dans les
chartes des droits», Montréal, Les Editions Thémis, 1991,
658, p., v. p. 473.
1004 KACHKOUSH Hoda: «L?arrestation, étude de la
procédure pénale comparée, France, Egypte, Angleterre,
Islam», thèse, Université de Pau, 1989, 472, p., v. p. 200
p. et s.
1005 CA: 24 janiver 1964, Practice Note, Judges? Rules, WLR,
1964, vol. 1, pp. 152 à 158, le LordChef-Juge Parker rédacteur du
Règlement.
preuve irrégulièrement obtenus au vu du
Règlement1006. Le Règlement1007 encadre les
modes de preuves et les pratiques policières et prévoit avec
minutie le droit du suspect de communiquer en privé avec son
conseiller.
Le Comité Judiciaire a consolidé et poursuivi la
constitutionnalisation des normes du Règlement, notamment en ce qui
concerne le droit à l?assistance d?un défenseur. Dans l?affaire
Thornhill1008, les juges londoniens tiennent le raisonnement
suivant. La Constitution1009 dispose que tout individu a droit
à la protection de la loi. Le Règlement fait partie du corpus
juridique dont a joui de jure ou de facto le citoyen. Conjuguant ces deux
propositions, le juge londonien soutient que l?interdiction par
l?autorité de police à une personne gardée à vue de
communiquer, selon les termes du Règlement, avec son défenseur
équivaut non moins à une violation de la Constitution.
1006 HAMPTON Celia: «Criminal Procedure and Evidence»,
Londres, Sweet and Maxwell, 1973, 470 p., v. p. 22 et s.
1007 En Angleterre, le Règlement est aboli et
remplacé par la Loi sur la Police et les Preuves en droit pénal
(The Police and Criminal Evidence Act) de 1984. V. sur le sujet REID
Anne: «Un nouveau départ pour la procédure pénale
anglaise, le Police and Criminal Evidence Act», RSC, 1987, pp. 577
à 587 et ZANDER Micheal: «The Police and Criminal Evidence
Act», Londres, Sweet and Maxwell, 1990, 475 p.
1008 CJCP: 27 novembre 1979, Terence Thornhill c/
Attorney-General, cité note 845.
1009 Article 1er de la Constitution de 1962 de Trinité et
Tobago et article 3 de la Constitution de Maurice.
b. L'obligation aux autorités de police d'informer la
personne gardée à vue de ses droits
Le principe des garanties accordées aux personnes
retenues au commissariat exige-t-il aussi que celles-ci soient informées
par l?autorité de police de leurs droits ? Le Comité Judiciaire a
rendu une décision capitale sur le sujet dans l?affaire
Whiteman1010. Le précédent posé par le juge
londonien a été appliqué dans son
intégralité par certains juges de la Cour Suprême de
Maurice, alors que d?autres, de tendance conservatrice, s?y sont
opposés.
Le Comité Judiciaire impose à la police de
fournir au suspect, dès qu?il soit retenu pour un interrogatoire, un
certain nombre d?informations sur ses droits alors même que la
Constitution ne prévoit pas une telle obligation. L?information est
nécessaire afin que le suspect soit à même d?exercer ses
droits. Le Comité Judiciaire part de l?idée selon laquelle le
droit constitutionnel (constitutional right) du suspect de communiquer
avec un conseil pourrait être dépourvu de sens si la personne
n?est pas informée de ce droit. Il considère que beaucoup de
personnes ne connaissent pas leurs droits ou si elles en sont au courant, les
troubles psychologiques provoqués par l?état d?arrestation leur
feraient oublier leurs prérogatives1011. Selon le juge
londonien, c?est le Règlement des juges qui précise en effet les
modalités d?application de ce droit constitutionnel. Le Règlement
prévoit ainsi que la personne gardée à vue doit être
informée verbalement des facilités et droits qui lui sont
accordés et au surplus que les autorités de police doivent
afficher des avis indiquant les susdits droits dans des lieux convenables,
c'est-à-dire, à portée de vue, dans le
commissariat1012. Les Sages du Whitehall élèvent
encore une fois le Règlement des juges à une certaine
dignité constitutionnelle. La violation de ses dispositions
entraîne une méconnaissance de la Constitution1013.
Par ailleurs, la Haute Juridiction s?est montrée
particulièrement audacieuse en posant une exigence supplémentaire
aux devoirs des autorités de police et outrepasse par là
même incontestablement les termes non pas seulement du texte
constitutionnel mais également du Règlement des juges. Statuant
de façon tout à fait prétorienne, elle déclare
notamment qu?il appartient aux agents de police de s?assurer que la personne
gardée à vue ait effectivement pris connaissance de l?existence
de ses droits. La personne gardée
1010 CJCP: 17 avril 1991, Attorney-General c/ Wayne Whiteman,
cité note 850.
1011 Ibid., p. 247.
1012 Annexe B, paragraphe 7-b du Règlement des juges de
1964 d?Angleterre.
1013 «Their Lordships accordingly consider that persons
who have been arrested or detained have a constitutional right to be informed
of their right to communicate with a legal adviser», CJCP: 17 avril 1991,
Attorney-General c/ Wayne Whiteman, cité note 850, v. p. 248.
à vue peut être analphabète ou peut ne pas
être familière avec le langage (juridique)
employé1014.
Il semble que la Haute Juridiction a voulu rapprocher les
Constitutions du Commonwealth du cinquième Amendement à la
Constitution des Etats-Unis d?Amérique selon lequel «nul ne pourra
être obligé de témoigner contre
luimême»1015. Comme son homologue américain, le
juge londonien a mis en place un système phare de protection, un code
protecteur, des droits de la défense afin d?éviter que le suspect
fasse de déclarations qui nuiraient à son
intérêt.
Certains juges mauriciens ont suivi le raisonnement
effectué par le Conseil Privé et transposé avec pertinence
le précédent Whiteman en droit local1016. Ils
conclurent que l?obligation pour les autorités de police d?informer la
personne gardée à vue de ses droits est une garantie de nature
constitutionnelle1017. D?autres juges de la Cour Suprême ont
rejeté le principe posé par le juge londonien1018.
Récusant toute interprétation dynamique et évolutive, ils
attribuent au texte constitutionnel et au Règlement des juges que leurs
sens les plus stricts. Dans l?arrêt Samserally1019, ils ne
font pas mention dans la motivation de l?arrêt de la jurisprudence
Whiteman du Comité Judiciaire.
Une telle lecture de la Constitution ne nous paraît pas
pouvoir être conservée. La lecture formaliste et étroite
des normes fondamentales retarde considérablement le
développement des droits de l?homme et, par conséquent, celui de
la société. Le précédent mauricien mérite
d?être sanctionné d?autant qu?il méconnaît
l?autorité de la jurisprudence du juge londonien.
B. Lors de l'audience du jugement
1014 «They (their Lordships) would add that it is
incumbent upon police officers to see that the arrested person is informed of
his right in such a way that he understands it. He may be illiterate, deaf or
unfamiliar with the language», ibid.
1015 COLAS Dominique: «Textes constitutionnels
français et étrangers», Larousse, 1994, 814 p., v. p. 187 et
s.
1016 CSM: 9 décembre 1991, Regina c/ Boyjoo, MR, 1991,
pp. 292 à 301, le juge Boolell rédacteur de l'arrêt et CSM:
27 août 1993, State c/ Pandiyan, MR, 1993, pp. 169 à 181, le juge
Boolell rédacteur de l'arrêt.
1017 «This would mean that the rule requiring the accused
to be informed of his right to counsel is protected by our Constitution»,
CSM: 9 décembre 1991, Regina c/ Boyjoo, cité note 1016, v. p.
295.
1018 CSM: 18 juin 1993, Samserally c/ The State, MR, 1993, pp.
94 à 100, les juges Forget et Yeung Sik Yuen rédacteurs de
l'arrêt.
1019 Ibid.
La notion de justice naturelle? (natural
justice)1020 ou de principes fondamentaux de
justice? est une des plus solides garanties des droits de la défense.
Elle pose, outre le principe de l?impartialité du juge, celui selon
lequel toute personne a droit à ce que sa cause ou défense soit
équitablement et loyalement entendue (audi alteram partem).
Dans la famille juridique de Common Law, le principe de justice naturelle
s?applique aussi à l?égard de l?Administration1021 et
s?avoisine de la garantie américaine de procédure légale
en bonne et due forme (due process of law)1022 reprise par
certaines Constitutions du Commonwealth1023. Il s?agit, dans la
famille juridique de Common Law, de ne pas priver la défense, dans les
circonstances de la cause, d?une part de ses chances.
Deux exigences constitutionnelles de la notion de
justice naturelle? ont fait l?objet d?une interprétation et
application par le Conseil Privé. Ainsi, nous examinerons d?abord
l?étendu du droit au ministère d?avocat (a) et ensuite le droit
à un interprète (b).
a. Le droit au ministère d'avocat
A l?audience, l?assistance d?un avocat est un droit
fondamental1024 dans son principe mais est concilié avec les
nécessités de fonctionnement de la cour et de l?administration de
la justice. Il existe un relatif accord entre la Cour locale et le Conseil
Privé sur la portée d?un tel droit1025.
Dans l?arrêt Robinson1026, les Lords
majoritaires soulignent l?importance pour l?accusé d?être
assisté d?un défenseur surtout lorsqu?il encourt une peine
capitale1027. L?assistance d?un auxiliaire de justice est
indispensable. Leurs Seigneuries ont estimé que le droit au
ministère d?avocat n?est pas un privilège absolu et intangible.
Il est limité afin d?éviter les abus et tout détournement
de l?exercice de ce droit par l?accusé1028. Un accusé
peut être privé d?un défenseur
1020 MARSHALL Hedley Herbert: «Natural justice»,
Londres, Sweet and Maxwell, 1959, 201 p. 1021 V. infra.
1022 Article 1er du XIVe Amendement à la Constitution des
Etats-Unis d?Amérique. 1023 V. par exemple la Constitution de
Trinité et Tobago.
1024 Pour un étude de droit comparé v. TRECHSEL
Slefan: «Ensuring the right to effective counsel for the defence»,
RIDP, 1992, pp. 717 à 728.
1025 Toutefois, ce droit a été
considéré comme étant inaliénable par la Cour
Suprême de Maurice. V. CSM: 23 décembre 1981, Ameer c/ The Queen,
MR, 1981, pp. 545 à 554, le juge Ahnee rédacteur de
l'arrêt.
1026 CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, cité
note 588.
1027 «Their Lordships do not for one moment underrate the
crucial importance of legal representation of those who require it»,
ibid., p. 91.
1028 «Their Lordships cannot construe the relevant
provisions of the Constitution in such a way as to give rise to an absolute
right to legal representation which if exercised to the full could all too
easily lead to manipulation and abuse», ibid.
lors de l?audience si l?absence de celui-ci relève de
sa seule et entière responsabilité. En l?occurrence,
l?accusé, Sieur Robinson, a décliné les services de l?aide
judiciaire et a retenu les services de deux avocats qui, n?ayant finalement pas
été rémunérés par lui, se retirent de
l?affaire dont l?audience a été renvoyée à
plusieurs reprises, alors que le premier juge les a commis d?office.
Si le Comité Judiciaire a relativisé, pour des
raisons pratiques, la portée de ce droit fondamental, il
apprécie, en revanche, les conséquences que le défaut
d?assistance a pu provoquer sur le bien fondé de la décision du
juge du fond. Soulignant aussi que l?avocat commis d?office qui renonce
à assurer la défense de l?accusé se rendrait coupable
d?une faute disciplinaire, le juge londonien recherche si dans le cas de
l?espèce, le risque d?une erreur judiciaire (risk of miscarriage of
justice) existe, autrement dit, si l?accusé était dans une
situation si désavantageuse qu?il n?avait pas pu valablement se
défendre.
Dans l?affaire Robinson l?analyse des juges majoritaires est
pour le moins sévère1029. Ils soutiennent qu?en vertu
du fait que le coaccusé bénéficiait de l?aide d?un avocat,
les témoins à charge (witnesses for the prosecution) ont
été contre- interrogés par un des défenseurs. Comme
leur témoignage est apparu probant au juge du fond, ce dernier, dans son
intime conviction, a valablement pu conclure sur la culpabilité de
l?accusé principal, Sieur Robinson. Nous ne nous permettrions point de
critiquer cette décision quand bien même elle ne se justifierait,
selon nous, au regard de la poursuite d?une bonne politique répressive,
mais nous conclurons avec les Lords dissidents, Scarman et EdmundDavies, qui
soutiennent qu?il n?y a de plus grand intérêt public que
d?accorder à un accusé passible de la peine de mort une
réelle opportunité de se défendre1030.
Dans une affaire plus récente1031, le
Conseil Privé, tout en maintenant la jurisprudence, Robinson assouplit
sa rigidité. Sans doute, le juge eut perdu une occasion de
procéder à un revirement de jurisprudence mais fit évoluer
considérablement celle-ci dans un sens favorable aux droits de la
défense. Désormais, au cas où un avocat se retirait d?un
procès pour une cause non
1029 PRICE Nigel S.: «Constitutional adjudication in the
Privy Council and reflections on the Bill of Rights debate», ICLQ, 1986,
pp. 946 à 950.
1030 «First, there can... be no greater public interest
than that one who is accused of an offence, conviction of which carries with it
the sentence of death has, a proper opportunity of defending himself»,
CJCP: 7 mai 1985, Frank Robinson c/ The Queen, cité note 588, v. p. 97.
La jurisprudence Robinson du Comité Judiciaire fut
sévèrement désapprouvée par le doctrine. V. supra
sur l?interprétation ordinaire par le Comité Judiciaire.
1031 CJCP: 4 octobre 1994, Erol Dunkley c/ The Queen, WLR, 1994,
vol. 3, pp. 1124 à 1133, affaire de la Jamaïque, Lord Jauncey of
Tullichettle rédacteur de l'arrêt.
imputable à l?accusé, l?intérêt de
la justice exigerait que l?accusé bénéficie de la
possibilité de retenir les services d?un autre défenseur. La
discrétion du juge du fond d?ajourner le procès est limité
et devient pratiquement obligatoire dans un tel cas.
b. L'assistance d'un interprète
L?assistance linguistique au cours d?un procès est
expressément prévue par la Constitution
mauricienne1032. Tout accusé peut se faire assister
gratuitement d?un interprète s?il ne comprend pas la langue
employée à l?audience. La disposition constitutionnelle
mauricienne est sensiblement identique à celle de la Convention
Européenne des Droits de l?Homme1033. L?objectif est que
l?accusé soit mis à même de comprendre les charges retenues
et les éléments de preuve produits contre lui afin de pouvoir les
réfuter.
Quel est le caractère de ce droit: doit-il être
revendiqué par l?accusé pour pouvoir en bénéficier
ou est-il une obligation générale pesant sur l?Etat ?
L?opposition entre la Cour Suprême et le Comité Judiciaire sur la
question est fondée sur la valeur de ce droit. Pour la Cour
Suprême, le conseil de l?accusé doit exiger l?assistance
linguistique devant les juges du fond (trial judge)1034. Le
moyen tiré d?une violation de ce droit est inopérant en appel si
le plaideur s?était abstenu de l?invoquer en première
instance1035. A l?inverse, pour le juge londonien, le droit à
un interprète est de nature d?une règle d?ordre public et doit
être appliqué d?office par le juge du fond. L?obligation incombant
aux tribunaux n?est pas subordonnée à la demande de
l?accusé1036. En ce sens, le manquement à l?exercice
de ce droit peut être invoqué pour la première fois en
appel pour attaquer la décision rendue en première instance. Le
juge londonien attribue au premier juge un rôle actif dans la conduite
des débats. Il doit s?assurer que l?interprète prête
effectivement son concours et que l?accusé bénéficie d?un
procès équitable1037. Cette conception du rôle
actif du juge répressif dans la conduite des débats est quelque
peu proche de la pratique
1032 Article 10-2-f CM.
1033 Article 6-3-e CM.
1034 CSM: 20 mars 1990, Radhakrishan Kunnath c/ The Queen, les
juges Glover, Ahmed et Pillay rédacteurs de l'arrêt.
1035 Les juges mauriciens appliquent dans l?affaire Kunnath
(ibid.) une jurisprudence de la Cour Suprême de Nigéria: 18 mars
1983, The State c/ Gwonto, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 890 à
908, le juge Nnamani rédacteur de l'arrêt.
1036 CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan Kunnath c/ The State,
WLR, 1993, vol. 1, pp. 1315 à 1321, affaire de Maurice, Lord Jauncey of
Tullichettle rédacteur de l'arrêt (également publié
in JCL, 1994, pp. 74 à 75).
1037 «... their Lordships consider it plain that, by
virtue of the judge?s duty to ensure that the defendant has a fair trial, the
judge is in any event bound to ensure that, in accordance with established
practices, effective use is made of the interpreter pro vided for the
assistance of the defendant», ibid., p. 1319.
juridictionnelle française1038. Disposant des
pouvoirs généraux, le président de l?audience doit assurer
l?équité des débats.
Le Comité Judiciaire motive son insistance sur le droit
à un interprète par le fait qu?en Common Law, le jugement par
défaut (in absentia) est interdit pour les infractions graves
(indictable offences)1039. Par extension, il déduit
de la présence obligatoire de l?accusé non seulement une exigence
quant à la présence physique mais aussi intellectuelle de
l?accusé. Sa présence est nécessaire afin de lui permettre
de suivre le procès et qu?il puisse par conséquent se
défendre et faire éventuellement entendre des témoins
à décharge1040. Les juges londoniens appliquent au cas
mauricien une jurisprudence bien établie de la Cour d?Appel
anglaise1041 et soutiennent que l?intérêt du
prévenu ou de l?accusé prime les inconvénients
posés par la traduction.
Dans l?affaire Kunnath précitée, le
Comité Judiciaire affirme avec force son raisonnement. La Constitution
mauricienne, qui prévoit le droit à un interprète, ne
saurait en aucun cas être interprétée dans un sens qui
produit une protection des droits de la défense en deçà
des exigences de la Common Law. Une Constitution, affirme le juge londonien, a
pour objet de protéger les droits et doit être
interprétée dans un tel objectif1042. Les Sages de la
Downing Street distinguent trois types de protection jurisprudentielle: celui
de la Cour de Nigeria et qui est également appliqué par la Cour
Suprême de Maurice, celui des juridictions britanniques et le sien qui
pourrait se situer au-delà du niveau des cours anglaises. C?est pourquoi
les Sages affirment que le droit à un interprète subsiste alors
même qu?il existe des preuves concordantes et déterminantes
à l?encontre de l?accusé. Le Comité Judiciaire casse la
décision attaquée même s?il ne peut, faute de dispositions
juridiques à cet effet, renvoyer l?affaire devant la juridiction locale
du fond.
*
1038 C. Cas: 18 juillet 1991, Kamiri Nasseri Mohran c/
Ministère Public, Bull, crim, 1991, pp. 761 à 762, n°
302.
1039 CJCP: 20 juillet 1933, B. R. Lawrence c/ The King, AC,
1933, pp. 699 à 709, affaire de Nigéria, Lord Atkin
rédacteur de l'arrêt.
1040 «...the basis of this principle is not simply that
there should be corporal presence but that the defendant, by reason of his
presence, should be able to understand the proceedings and decide what
witnesses he wishes to call...», CJCP: 27 juillet 1993, Radhakrishan
Kunnath c/ The State, cité note 1036, v. p. 1319.
1041 CA: 17 décembre 1915, Rex c/ Lee Kun, KBD, 1916,
vol. 1, pp. 337 à 345, le Lord-Chef-Juge Reading rédacteur de
l'arrêt principal.
1042 «... it appears that the Constitution must have been
intended to produce a result no less favourable to a defendant than that
resulting from existing Common Law principles. Indeed, it would be surprising
if a Constitution intended to protect the rights of individual should be
construed to have the opposite effect», CJCP: 27 juillet 1993,
Radhakrishan Kunnath c/ The State, cité note 1036, v. p. 1320.
Analyser le niveau des droits accordés à la
défense est un des plus sûrs moyens d?appréciation de la
qualité de la justice d?un pays. Une justice n?est bonne que si la
défense est à même de se faire entendre. Le souci du
Comité Judiciaire en matière des droits de la défense et
l?effet de sa jurisprudence marquent l?avancement dont a
bénéficié le système mauricien dans ce domaine.
Après l?étude des droits procéduraux, il
importe d?examiner l?oeuvre du Conseil Privé en droit pénal
substantiel.
Sous-section 2. En droit pénal substantiel et
général
A l?instar du droit pénal procédural, le droit
pénal général puise ses bases directrices dans la
Constitution.
A ce titre, la question de la peine de mort a occupé
une place essentielle dans la jurisprudence du Comité Judiciaire
(paragraphe 1) et poursuivant son travail de création des normes, le
juge londonien a érigé certaines règles pénales au
rang de grands principes de droit (paragraphe 2).
Paragraphe 1. La question de la peine de mort
Comme dans beaucoup sociétés, le problème
de la peine capitale1043 a provoqué dans le Commonwealth,
notamment devant le Tribunal de la Downing Street, la passion dans les
discussions théoriques et juridiques et de remarquables revirements dans
l?application pratique.
Le débat s?est porté sur la
constitutionnalité de la sanction (A) et s?est évolué
ensuite sur la mise à exécution de la peine (B).
A. La constitutionnalité de la peine
Le Conseil Privé a déclaré la peine de
mort conforme à la Constitution (a). Ce point de vue, bien que maintenu,
s?inscrit-il dans l?évolution historique de la jurisprudence des
juridictions des droits de l?homme sur ladite peine (b) ? Une étude de
droit comparé nous permettra d?effectuer une appréciation
critique de la jurisprudence du Comité Judiciaire et pousser plus avant
notre analyse.
1043 NORMAND Marcel: «La peine de mort», PUF, Que
sais-je ?, 1980, 127 p.
a. La déclaration de constitutionnalité
Les peines corporelles et la peine de mort, le châtiment
suprême, avaient existé dans tous les pays. Au Royaume-Uni, la
peine corporelle fut maintenue jusqu?au vingtième siècle. Les
coups de fouet ne furent abolis qu?en 19481044 mais le
châtiment corporel survécut dans l?île de Man jusqu?en
19781045. En Angleterre, la légitimité juridique de la
peine de mort n?est pas totalement mise en cause bien que les exécutions
n?aient plus lieu. Elle subsiste en cas de haute trahison et fut abolie de
manière progressive pour les crimes (felonies) de droit commun.
Une Loi de 1965 avait supprimé la peine pour une durée de cinq
années et une autre Loi, promulguée en 1969, déclara
l?abolition permanente. L?Angleterre n?est toutefois pas signataire du
Protocole n° 6 relatif à l?abolition de la peine de mort à
la Convention Européenne des Droits de l?Homme1046.
La République de Maurice est considérée
juridiquement comme un pays rétentionniste, ou plutôt à
l?heure actuelle, un pays abolitionniste de fait. La peine de mort fut
sérieusement contestée par une majorité de
députés. Après avoir fait procéder à
quelques exécutions, le gouvernement de Sir Aneerood Jugnauth fit
adopter en 1995 par l?Assemblée Nationale un projet de
loi1047 suspendant la sentence de mort1048. Cependant, ce
projet ne reçut l?assentiment du Chef de l?Etat et fut renvoyé
à l?Assemblée pour une nouvelle
délibération1049. Il ne fut plus inscrit à
l?ordre du jour de l?Assemblée qui s?était renouvelée
après.
A Maurice, comme dans les pays ayant une Constitution de type
Westminster, la peine capitale en soi (per se) est
considérée comme conforme à la Norme
Fondamentale1050. En effet, les Constitutions du
Commonwealth1051, à la manière de la Convention
Européenne des Droits de l?Homme, proclament le droit à la vie
sous réserve notamment d?une limitation: la sanction de la peine
1044 FRY Margery: «La réforme pénale anglaise
de 1948», RSC, 1951, pp. 619 à 631. 1045 CEDH: 25 avril 1978, Tyrer
c/ Royaume-Uni, PCEDH, 1978, série A, vol. 26, 32 p.
1046 Il semble qu?il se dessine en Europe une norme d?ordre
public d?interdiction de la peine capitale. V. CE: 15 octobre 1993, affaire
Madame Aylor, RDCE, 1993, pp. 283 à 293, conclusion du commissaire du
gouvernement Vigouroux.
1047 Projet de loi de Sir Maurice Rault, ministre de la
justice, intitulé abolition de la peine de mort.
1048 MARIMOOTOO Henri: «Le crime d?Etat en sursis», WE,
6 août 1995, p. 7.
1049 Le Président de la République contestait la
peine substitutive, la réclusion criminelle à vingt ans qu?il
jugeait insuffisante.
1050 CJCP: 15 octobre 1980, Ong Ah Chuan c/ Public Prosecutor,
AC, 1981, pp. 648 à 674, affaire de Singapour, Lord Diplock
rédacteur de l'arrêt. Il affirme que: «it was not suggested
on behalf of the defendants that capital punishment is unconstitutional per se.
Such an argument is foreclosed by the recognition in article 9(1) of the
Constitution that a person may be deprived of life in accordance with
law», ibid., p. 672.
1051 L?article 4-1 de la Constitution de Maurice est ainsi
rédigé: «Nul ne peut être intentionnellement
privé de la vie sauf en exécution d?une décision de
justice le condamnant pour crime».
capitale prononcée par une cour de justice
compétente. Aussi, les Constitutions du Commonwealth, comportent une
clause conférant une sorte de brevet de constitutionnalité
à tout type de peine pratiqué ou prévu juridiquement avant
l?entrée en vigueur de la Constitution ou avant une date
fixée1052. Ces peines et sanctions ne peuvent être
considérées comme étant inhumaines et
dégradantes1053.
En vertu de ces dispositions, le Comité Judiciaire
s?interdit de contrôler la peine de mort, ou, comme le formule le juge,
de substituer son propre jugement à celui du législateur sur la
question1054. Le juge londonien se range à la jurisprudence
de la Cour Européenne des Droits de l?Homme. La peine de mort ne viole
pas la protection contre les peines inhumaines et dégradantes.
L?exception prévue au droit à la vie est une exception
générale, à tous les articles du catalogue des
droits1055. Il y a lieu de lire toute la Constitution en harmonie
avec l?exception au droit à la vie afin que celle-ci ne soit pas
réduite à néant. Davantage encore, le Comité
Judiciaire affirme que, du moment où la peine de mort était
prévue par une loi antérieure à la Constitution, elle
échappe au contrôle du juge1056. Si aucune loi
antérieure à la Constitution n?avait prévu le mode
d?exécution de la sentence, le juge londonien considère que la
pratique de la Common Law comble le vide juridique1057. Aussi, le
juge londonien ne contrôle ni la proportionnalité entre la
gravité de l?infraction et le degré de la peine ni l?absence de
discrétion laissée au juge du fond quant au prononcé de la
peine si la culpabilité est retenue. Il considère que la peine de
mort peut constitutionnellement être une peine
obligatoire1058.
Si logiques et si bien construits qu?ils soient, les
arrêts du Comité Judiciaire n?en apparaissent pas moins
regrettables. L?indifférence, la neutralité, la rigueur juridique
du Comité Judiciaire sur la question de la peine de mort ont
provoqué les plus grandes réserves et contestations de la
doctrine. En ce sens, Monsieur le Professeur David Pannick soutient qu?en
contentieux constitutionnel (constitutional adjudication) la solution
donnée par le juge est
1052 Article 7 CM. 1053 Ibid.
1054 CJCP: 15 mai 1975, Micheal de Freitas c/ George Ramoutar
Benny, AC, 1976, pp. 239 à 248, affaire de Trinité et Tobago,
Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.
1055 CEDH: 29 janvier 1989, Soering c/ Royaume-Uni, 1979,
série A, vol. 161, 83 p., v. p. 40, paragraphe 103.
1056 CJCP: 19 janvier 1966, Simon Runyowa c/ The Queen,
cité note 827.
1057 CJCP: 3 avril 1995, Larry Raymond Jones c/ Attorney-General,
WLR, 1995, vol. 1, pp. 891 à 897, affaire des Bahamas, Lord Lane
rédacteur de l'arrêt.
1058 «There is nothing unusual in a capital sentence
being mandatory. Indeed its efficacy as a deterrent may be to some extent
diminished if it is not. At Common Law all capital sentences were mandatory?,
CJCP: 15 octobre 1980, Ong Ah Chuan c/ Public Prosecutor, cité note
1050, v. p. 673.
toujours empreinte d?une discrétion. En vertu de cette
proposition, le juge londonien aurait dû prêter attention aux
considérations humaines et affectives. Il aurait dû, dans les cas
difficiles, faire primer le jus? sur le lex?. Or, le
Comité Judiciaire avait privilégié la solution
inverse1059.
Il ne faut pourtant sombrer dans une vision pessimiste de la
jurisprudence londonienne. On assiste dans des cas mauriciens à une
volonté des juges de la Downing Street de remettre en cause,
fût-ce de manière indirecte, la peine capitale. En effet, la Haute
Juridiction a, au cours de cette décennie, fait reculer à Maurice
la peine de mort même si elle demeure une sanction valide. Auparavant, il
faisait preuve d?une grande retenue à l?égard des moyens de vice
de forme et de procédure invoqués par les plaideurs mauriciens
dans les affaires impliquant la sanction capitale1060. Depuis le
début des années quatre-vingt-dix, elle a annulé la Loi
prescrivant cette sentence aux personnes reconnues coupables de trafic de
stupéfiants au motif qu?elle viole le principe de la séparation
des pouvoirs1061, et dans une autre affaire, a commué la
peine en emprisonnement à vie1062.
Une nouvelle jurisprudence est peut-être en train de
voir le jour. Nous voici à un tournant, à un moment crucial de
l?acceptation de la peine de mort dans les sociétés modernes du
Commonwealth. Un regard sur le droit comparé est dès lors
intéressant et pourrait éventuellement servir de guide au
développement à la jurisprudence londonienne.
b. La constitutionnalité de la peine de mort en droit
comparé
Comme de nombreux textes primaires de droit
international1063, ni les Constitutions du Commonwealth, ni le
Comité Judiciaire n?ont aboli la peine de mort. Cette position
conservatrice est aussi conforme à celle de la majorité des
juridictions constitutionnelles du monde. Elle pourrait être remise en
cause en ce sens que la peine de mort est de plus en plus
considérée comme une peine cruelle, inhumaine et
dégradante.
La moitié des Etats des Etats-Unis d?Amérique n?ont
pas encore aboli la peine de mort et la Cour Suprême
fédérale a déclaré cette sentence en soi
1059 PANNICK David: «Judicial review of death penalty»,
Londres, Duckworth, 1982, 245 p. 1060 CJCP: 2 octobre 1984, Louis
Léopold Myrtile c/ The Queen, cité note 570.
1061 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité
note 635.
1062 CJCP: 18 avril 1994, Roger France Pardayan De Boucherville
c/ The State, affaire de Maurice, Lord Keith rédacteur de
l'arrêt.
1063 SCHABAS William A.: «The abolition of death penalty in
international law», Cambridge, Grotius Publications Ltd, 1993, 384.
constitutionnelle parce que prévue expressément
par la Loi Fondamentale1064. Cependant, la Cour met l?accent sur la
nécessité de respecter les garanties procédurales et se
déclare compétente pour contrôler les lois
répressives qui enlèvent au juge du fond sa discrétion
quant au prononcé de la sentence ou une autre peine une fois la
culpabilité de l?accusé reconnue. La Cour, contrairement au
Comité Judiciaire, considère que la peine de mort obligatoire
(mandatory) n?est pas constitutionnelle. Elle dénie au juge le
droit de faire bénéficier au coupable des circonstances
atténuantes (mitigating circumstances). Aussi, la Cour interdit
l?application de la peine aux mineurs et aux déficients
mentaux1065.
Des organes supranationaux, seul le Comité des Droits
de l?Homme des Nations Unies du Pacte relatif aux droits civils et
politiques1066 a posé les premiers jalons tendant à
interdire la peine de mort alors même que le Pacte susmentionné
l?autorise expressément. Le droit à la vie de l?article 6 du
Pacte est considéré comme un droit pratiquement intangible et le
droit le plus suprême1067. Cette lecture implique que
l?article 6 n?est sujet à aucun aménagement et s?inscrit à
l?encontre de la lettre de l?énoncé du texte dans son ensemble.
Le raisonnement du Comité des Droits de l?Homme se développera en
reconnaissant dans une décision majoritaire que la peine de mort peut en
soi être considérée comme inhumaine et dégradante
aux termes de l?article 7 du Pacte1068. Le Comité des Droits
de l?Homme marque définitivement sa volonté de ne pas être
lié par le texte quels que soient ses degrés de contraintes afin
de pouvoir faire évoluer le débat sur la peine capitale et
répandre l?idée selon laquelle l?abolition de cette sentence,
conformément au Préambule du deuxième Protocole Facultatif
se rapportant au Pacte, «contribue à promouvoir la dignité
humaine et le développement progressif des droits de
l?homme»1069.
La Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud aura le
mérite de s?être livrée à une interprétation
très dynamique et concrète de la notion de
1064 CSEUA: 2 juillet 1976, Gregg c/ Georgia, US, 1976, vol.
428, pp. 153 à 241, le juge Stewart rédacteur de l'arrêt
majoritaire. V. Kauffmann Sylvie: «Aux Etats-Unis, une exécution
capitale par semaine», Le Monde, 22-23 septembre 1996, p. 12.
1065 VROOM Cynthia: «La nouvelle jurisprudence de la Cour
Suprême américaine sur la peine de mort», RSC, 1989, pp. 832
à 841.
1066 MC GOLDRICK Dominic: «The Human Rights Committee:
its role in the development of International Convenant on Civil and Political
Rights», Oxford, Clarendon Press, 1994, 576 p.
1067 «La valeur de la vie est incommensurable pour tout
être humain et le droit à la vie consacré par l?article 6
du pacte est le droit suprême», CDHNU: 30 juillet 1993, Joseph
Kindler c/ Canada, Communication n° 470/1991, RUDH, 1994, pp. 165 à
181, v. avis de Bertil Wennegrenn, p. 175.
1068 «Le Comité est conscient de ce que, par
définition, toute exécution d?une sentence de mort peut
être considérée comme constituant un traitement cruel et
inhumain au sens de l?article 7 du Pacte», CDHNU: 5 novembre 1993, Ng c/
Canada, Communication n° 469/1991, RUDH, 1994, pp. 150 à 165, v. p.
159, paragraphe 16.2.
1069 Deuxième Protocole Facultatif se rapportant au Pacte
International relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la
peine de mort du 15 décembre 1989.
traitement inhumain1070. Soucieuse de donner plein
effet au droit à la vie, la cour s?est montrée
particulièrement audacieuse en déclarant avec une très
grande force que la peine de mort, indépendamment de la Constitution Sud
Africaine de 1993, est une peine cruelle et dégradante parce qu?elle
enlève à la personne condamnée toute
dignité1071 et la considère comme un objet à
éliminer par l?Etat1072. Elle souligne que l?exécution
d?une personne ne met pas seulement fin à l?exercice du droit à
la vie mais à tous les autres droits constitutionnels. Cette conception
de la peine capitale a pour mérite de la définir de
manière concrète et non juridique et abstraite. Cette conception
est proche de celle mise à l?avant par Amnesty
International1073.
Le juriste pourrait souhaiter d?avantage de juridicité
dans l?appréciation de la Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud,
mais très pragmatique, elle exerce son contrôle avec
intensité et même sur l?opportunité de la sanction afin
d?être progressiste dans la protection des droits. En engageant un
véritable débat sur la légitimité de la
sanction1074, le juge soutient que la peine capitale ne comporte
aucun caractère intimidant et dissuasif (is not
deterrent)1075. Le risque d?erreur judiciaire (risk of
miscarriage of justice), inhérent au système même de
la justice, impose que ladite sentence ne soit plus appliquée. La
condamnation par erreur d?un homme à une peine d?emprisonnement peut
donner lieu à réparation et non l?exécution erronée
d?un homme1076. La peine capitale est une peine irréparable
1077.
On aurait sans doute aimé que le Comité
Judiciaire montre, à l?instar du Comité des Droits de l?Homme et
de la Cour Constitutionnelle de l?Afrique du Sud, plus d?audace sur la question
de la constitutionnalité de la peine de mort, mais il est en somme
bloqué par le caractère lacunaire des moyens invoqués par
les requérants. Ceux-ci n?ont pas soutenu l?inopportunité de la
sanction ou
1070 KEIGHTLEY Raylène: «Torture and cruel inhuman
and degrading treatment of punishment in the UN Convention against torture and
other instruments of international law: Recent developments in South
Africa», SAJHR, 1995, pp. 379 à 400.
1071 GRAHL-MADSEN A.: «The death penalty, the moral,
ethical and the human rights dimensions: the human rights perspective»,
RIDP, 1987, pp. 567 à 581.
1072 «Death is a cruel penalty... and it is degrading
because it strips the convicted person of all dignity and treats him or her as
an object to be eliminated by the state», CCAS: 6 juin 1995, The State c/
Makwanyane, SALR, 1995, vol. 3, pp. 391 à 521, le Président
Chakalson rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 409-10.
1073 AMNESTY INTERNATIONAL: «La peine de mort, quand
l?Etat assassine», Editions Amnesty International, 1989, 120 p.
1074 THORSTEN Sellin: «The penalty of death»,
Londres, Sage Library of Social Research, 1980, 190 p.
1075 CCAS: 6 juin 1995, The State c/ Makwanyane, cité note
1072, v. p. 443.
1076 Ibid., p. 421.
1077 Le Comité Judiciaire s?accorde sur ce point et
ainsi exige des autorités locales le devoir d?accorder aux
condamnés la possibilité d?exercer tout moyen de recours avant
leur exécution. «Execution of a death warrant is an uniquely
irreversible process», CJCP: 13 juin 1995, Thomas Reckley c/ Minister of
Public Safety and Immigration, cité note 591, v. p. 396.
encore sa violation constitutionnelle du fait qu?elle ne porte
pas seulement atteinte au droit à la vie, ce qui est autorisé,
mais à tous les droits fondamentaux. Une fois exécutée,
une personne perd tous ses droits. Mais que nul n?en disconvient ! La Haute
Instance londonienne a manifesté une attention particulière
à propos de la mise en exécution de la peine.
B. La constitutionnalité de la mise à
exécution de la peine
Une fois l?indépendance acquise, les nouveaux Etats du
Commonwealth ont évolué politiquement et socialement très
vite. Cette transformation, ce changement de moeurs, a souvent contraint le
Comité Judiciaire à adapter sa jurisprudence aux données
nouvelles.
Comme dans beaucoup d?autres matières, les Sages ont
opéré un revirement de jurisprudence sur la question de la mise
à exécution ou les circonstances d?application de la sentence de
mort. Dès lors, il convient d?analyser la jurisprudence
antérieure (a) et, ensuite, la jurisprudence récente (b).
a. La jurisprudence antérieure
Des avocats au Conseil Privé avaient tenté
d?attaquer de front la constitutionnalité des retards accusés
dans la mise à exécution de la sentence de mort à
l?égard des condamnés. Est-ce que le fait de ne pas avoir
pendu1078 le condamné après écoulement d?un
certain temps ne rend-t-il pas son exécution désormais contraire
à la Constitution au regard de la protection contre les peines
inhumaines et dégradantes ? Le Comité Judiciaire reconnaissait
qu?un délai excessif est un facteur à prendre en
considération par le Chef de l?Etat lors de l?exercice de ses pouvoirs
de grâce1079 et déplorait la pratique de
l?exécution retardée1080. Néanmoins, la Haute
Instance faisait preuve d?une prudence et même d?une timidité
inhabituelles. Son raisonnement était le suivant. La Constitution
autorisait l?application de tout type de peine pratiqué avant son
entrée en vigueur. Puisqu?il n?existait aucun recours contre le
délai intervenu dans l?exécution pendant la période
précédant l?indépendance, l?exécution demeure,
même retardée, une sanction valide.
1078 Dans tous les pays de Common Law, le condamné
à mort est traditionnellement pendu et non guillotiné.
1079 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General,
cité note 571.
1080 CJCP: 12 juin 1979, Stanley Abott c/ Attorney-General, WLR,
1979, vol. 1, pp. 1342 à 1349, affaire de Trinité et Tobago, Lord
Diplock rédacteur de l'arrêt.
Cette attitude a été l?objet des critiques les
plus vives à la fois de la doctrine1081 et de certains Lords
judiciaires eux-mêmes. Regrettant l?interprétation austère
de la Constitution par leurs pairs, les Lords Scarman et Brightman ont, dans
l?affaire Noël Riley, estimé que l?attente par un prisonnier de sa
pendaison lui provoque des souffrances mentales et une angoisse d?une
intensité particulière qui deviendrait cruelle si elle dure
pendant plusieurs années1082.
Le Comité Judiciaire fut par la suite sensible aux
arguments des juristes des droits de l?homme et au développement de la
jurisprudence des cours internationales.
b. La jurisprudence nouvelle
Le Comité Judiciaire a fait un spectaculaire revirement
de jurisprudence et pose des principes non encore consacrés par ses
homologues étrangers en vue de témoigner de sa volonté
à résoudre des situations tragiques1083. Les sept
Lords judiciaires composant la formation de jugement dans l?affaire Earl
Pratt1084 indiquent qu?ils interpréteront la Constitution
«de façon à ce qu?elle préserve les règles de
civilité qui interdissent tout acte inhumain quand bien même il ne
serait assimilable à la barbarie du
génocide»1085. Ils confèrent à l?article
protégeant l?individu contre les traitements dégradants,
conçu initialement comme une réponse aux crimes abominables du
nazisme, un nouveau dynamisme et une place prééminente dans la
sauvegarde de la dignité de l?homme.
Le raisonnement de la Haute Juridiction de Londres est
très humaniste, notamment en raison de la belle part attribuée
aux sentiments de bienveillance que tout individu doit éprouver à
l?égard d?un condamné à mort. Elle déclare avec
éloquence que l?homme nourrit une répulsion instinctive contre la
perspective d?exécution de quelqu?un qui a vécu sous la sentence
de la mort pendant des années. Il est inhumain de faire vivre longtemps
un homme dans
1081 ANTOINE R. M. B.: «The Judicial Committee of the
Privy Council, as inadequate remedy for death row prisoners», ICLQ, 1992,
pp. 179 à 190 et ZELLICK Groham: «Fundamental rights in the Privy
Council», PL, 1982, pp. 344 à 346.
1082 CJCP: 28 juin 1982, Noël Riley c/ Attorney-General,
cité note 571, v. opinion dissidente des Lords Scarman et Brightman, pp.
561 à 570.
1083 SCHABAS William A, cité note 557, v. p. 915.
1084 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General,
cité note 641
1085 «... their Lordships... prefer an interpretation of
the Constitution that accepts civilised standards of behaviour which will
outlaw acts of inhumanity, albeit they fall short of the barbarity of
genocide», ibid., p. 1014.
l?angoisse, dans ce qui est communément appelé
le couloir de la mort1086. Par cette prise de position, le
Comité Judiciaire s?aligne ici sur la jurisprudence de la Cour
Européenne des Droits de l?Homme1087. La sentence de mort,
pour être admissible, doit être exécutée rapidement,
telle qu?elle était pratiquée en Angleterre.
Déterminé à protéger davantage les
droits fondamentaux, le juge de la Downing Street poussera son analyse à
l?extrême et se départira, à bon droit à notre avis,
des grandes juridictions de droits de l?homme tels le Comité des Droits
de l?Homme des Nations Unies et la Cour Européenne des Droits de
l?Homme. Le Comité Judiciaire franchit un pas salutaire dans son
appréciation du délai d?attente dans le phénomène
du couloir de la mort.
Le Comité des Droits de l?Homme est formel. Une longue
période d?incarcération avant l?exécution n?est pas
cruelle tant qu?elle est imputable au condamné qui a emprunté
toutes les voies de recours possibles1088. Il semble que la Cour
Européenne n?a pas souhaité trancher expressément le
débat sur la question. Dans l?affaire Soering
précitée1089, elle souligne qu?il est impossible
d?éviter l?écoulement d?un certain délai entre le
prononcé et l?exécution de la peine à cause du
caractère démocratique de l?Etat, en l?occurrence la Virginie,
qui organise la contestation et les voies de recours. L?attente provenant de la
contestation juridique engagée par le condamné est
considérée comme étant de son propre fait et est
régulière.
Le raisonnement susmentionné était soutenu par
l?Etat défenseur devant le Comité Judiciaire. Il ne pouvait
être, soutenait le procureur de la Jamaïque, inhumain d?accorder au
condamné les moyens de prolonger sa vie en engageant tous les recours
juridictionnels existants1090. Leurs Seigneuries rejettent cette
1086 «There is an instinctive revulsion against the
prospect of hanging a man after he has been held under sentence of death for
many years. What give rise to this instinctive revulsion ? The answer can only
be our humanity. We regard it as an inhuman act to keep a man facing the agony
of execution over a long period of time», ibid., p. 1010.
1087 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, cité
note 575 et v. aussi SUDRE Fédérick: «Extradition et peine
de mort: Arrêt Soering», RGDIP, 1990, pp. 103 à 121.
1088 CDHNU: 30 juillet 1993, J. Kindler c/ Canada,
Communication n° 470/1991, RUDH, 1994, pp. 165 à 181. «Quant
à la question de savoir si le phénomène du quartier des
condamnés à mort, phénomène lié à la
peine capitale, constitue une violation de l?article 7, le Comité
rappelle sa jurisprudence selon laquelle des périodes
prolongées de détention dans des conditions
sévères, dans un quartier des condamnés à mort, ne
peuvent être considérées comme constituant un traitement
cruel, inhumain ou dégradant si le condamné se prévaut
simplement des recours en appel?», ibid., p. 172, paragraphe 15.2.
1089 CEDH: 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni, cité
note 575, v. p. 44, paragraphe 111. La Cour Européenne sanctionne
toutefois la très longue durée, de six à huit ans,
à passer dans le couloir de la mort à cause des circonstances
particulières du cas de l?espèce.
1090 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General,
cité note 641, v. p. 1011.
argumentation et appliquent l?approche de la Cour
Suprême indienne1091. L?Etat qui maintient la peine capitale
doit en contrepartie instaurer un système de recours rapide, et si la
procédure juridictionnelle s?échelonne sur plusieurs
années, la responsabilité de la durée excessive de
l?attente devra être imputée au système, donc à
l?Etat. Elle ne peut reposer sur le condamné1092. Ce dernier
instinctivement tentera de prolonger au maximum sa vie. Sur la base de cette
proposition, le Comité Judiciaire conclut que la lenteur de la justice
n?est pas compatible avec le maintien de la sanction ultime de la peine de
mort. Le juge londonien cherche à éradiquer dans les pays soumis
à sa juridiction le phénomène dit du couloir de la mort et
déclare que l?attente prolongée est contraire à la
Constitution de type Westminster. Cette approche est digne de la plus grande
approbation.
Au terme de leur analyse, les Sages de la Downing Street
posent une règle rigoureuse. Toute exécution qui intervient
au-delà de cinq années après le prononcé de la
sentence violerait la Constitution1093 parce que tombant dans le
seuil de souffrance interdit. Au-delà de cette période, le
condamné peut saisir la Cour locale d?une requête tendant à
commuer sa peine en réclusion criminelle à
perpétuité1094. Cette règle a été
étendue par le Conseil Privé à plusieurs pays du
Commonwealth1095 dont l?île Maurice1096. Par
ailleurs, le Comité Judiciaire a récemment
considéré que le délai de cinq années n?est pas
rigide1097 et qu?il peut être réduit1098.
1091 CSI: 16 février 1983, T. V. Watheeswaran c/ The
State of Tamil Nadu, SCR, 1983, vol. 3, pp. 348 à 362, le juge Chinnappa
Reddy rédacteur de l'arrêt, v. p. 353.
1092 «In their Lordships? view a state that wishes to
retain capital punishment must accept the responsibility of ensuring that
execution follows as swiftly as practicable after sentence, allowing a
reasonable time for appeal and consideration of reprieve. It is part of the
human condition that a condemned man will take every opportunity to save his
life through use of appellate procedure. If the appellate procedure enables the
prisoner to prolong the appellate hearings over a period of years, the fault is
to be attributed to the appellate system that permits such delay and not to the
prisoner who takes advantage of it. Appellate procedure that echo down the
years are not compatible with capital punishment. The death row phenomenon must
not become established as part of our jurisprudence.», CJCP: 2 novembre
1993, Earl Pratt c/ Attorney-General, cité note 641, v. p. 1014.
1093 «These considerations lead their Lordships to the
conclusion that in any case in which execution is to take place more than five
years after sentence, there will be strong grounds for believing that the delay
is such as to constitute inhuman and degrading punishment or other
treatment?», ibid., p. 1016.
1094 CJCP: 2 novembre 1993, Trevor Walker c/ The Queen, WLR,
1993, vol. 3, affaire de la Jamaïque, Lord Griffiths rédacteur de
l'arrêt.
1095 V. par exemple CJCP: 24 mai 1995, Peter Bradshaw c/
Attorney-General, WLR, 1995, vol. 1, pp. 936 à 944, affaire de la
Barbade, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt.
1096 CJCP: 18 avril 1994, Roger France Pardayan De Boucherville
c/ The State, cité note 1062.
1097 CJCP: 6 novembre 1995, Linclon Anthony Guerra c/ C.
Priani Baptiste, AC, 1996, pp. 397 à 420, affaire de Trinité et
Tobago, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l?arrêt, v. p. 414.
1098 CJCP: 14 octobre 1996, Henfield c/ The Attorney-General
of the Commonwealth of the Bahamas, WLR, 1996, vol. 3, pp. 1079 à 1092,
affaire des Bahamas, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l?arrêt.
Dans cette affaire, le juge réduit le délai à 3 ans et
demi. V. ibid. p.1084
La décision du Comité Judiciaire a pour effet de
rendre inexécutables les sentences de mort. Le délai de cinq
années est court et le condamné peut, par utilisation d?une
multitude de voies de recours, faire écouler ce temps. Après sa
condamnation par la cour d?assises, le condamné pourrait engager un
recours sur un point de droit devant la cour d?appel et se pourvoir en
cassation au Comité Judiciaire. Nous avons vu que la procédure au
Comité Judiciaire est longue. Si son pourvoi est rejeté, il
pourrait contester la constitutionnalité de la sanction devant la cour
locale et interjeter appel de la décision de ladite cour devant le juge
londonien. S?il est une nouvelle fois débouté, il pourrait
engager alors des procédures devant les instances internationales. Le
Comité Judiciaire a encouragé la saisine de ces instances, tel le
Comité des Droits de l?Homme des Nations Unies1099 en faisant
ressortir que l?internationalisation des droits de l?homme est un
progrès important de la civilisation depuis la deuxième grande
guerre. Il invite les Etats à accorder à leurs décisions
une grande autorité morale1100. En dernier lieu, le
condamné à mort pourrait solliciter du Chef de l?Etat, l?exercice
de ses pouvoirs de grâce. Dans la pratique, l?épuisement de ces
voies de recours n?intervient qu?après un minimum de six à sept
années après le prononcé de la peine.
On pourrait peut-être soutenir que le Comité
Judiciaire interdit en réalité la peine de mort. Son raisonnement
ne serait qu?une façade de motivation juridique d?une prise de position
relevant plutôt de la morale1101. La morale occupe une place
privilégiée dans la réflexion du juge londonien. Le juge
veut défendre la dignité humaine même s?il s?agit d?un
criminel.
Paragraphe 2. Les divers principes
généraux de droit pénal
Le droit répressif, puisqu?il porte atteinte à la
liberté individuelle, doit sérieusement être encadré
afin d?éviter tout abus, toute irrégularité.
Le Comité Judiciaire a affirmé une règle
cardinale, clé de voûte du droit criminel, le principe de la
légalité des délits et des peines (nullum crimen,
nulla poena sine lege) (A) et a posé divers principes encadrant le
pouvoir de sanction du juge répressif (B).
1099 CJCP: 24 mai 1995, Peter Bradshaw c/ Attorney-General,
cité note 1095, v. p. 941. 1100 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/
Attorney-General, cité note 641, v. p. 1015.
1101 «Indeed, when the law Lords of the Judicial
Committee argue tersely that the real reason the death row phenomenon is
contrary to law is because there is an instinctive revulsion?, they
cannot be far from condemning the noose altogether», SCHABAS William A.,
cité note 557, v. p. 922.
A. Le principe de la légalité des
délits et des peines
Le principe légaliste est consacré par les
règles de droit international1102 et de droit
interne1103. Il implique qu?une action ou abstention, si
préjudiciable soit-elle à l?ordre social, ne peut être
sanctionnée par le juge que lorsque le législateur l?a
visée dans un texte et interdite sous la menace d?une peine. Toutefois,
la portée du principe légaliste est incertaine dans les pays de
Common Law. Le droit pénal mauricien étant aussi d?inspiration de
ce système juridique, il convient dès lors de se livrer à
une analyse du principe de la légalité au sein de cette famille
juridique (a) avant de voir son application par le Conseil Privé en
droit mauricien (b).
a. Dans le système de Common Law
La Common Law a été élaborée par
les juges et, en Angleterre, il a toujours été reconnu aux juges
le droit de prononcer des arrêts de règlement en droit
pénal1104. Le pouvoir des juges de créer des normes
répressives est aujourd?hui sévèrement contesté par
la doctrine. Elle condamne la violation du principe de la règle du droit
(the rule of law) qui veut que l?autorité publique, y compris
le juge, ne puisse agir qu?en conformité avec le droit. Plusieurs
raisons justifient le principe de légalité des délits et
des peines. Il est bien évident qu?il est une condition fondamentale de
la sécurité juridique et de la liberté individuelle et
sert de fondement même à la réalisation d?un Etat de
droit1105. La sécurité juridique impose une obligation
générale à l?Etat de rendre prévisible le droit. Le
droit doit aussi être certain, donc rédigé dans un langage
clair et précis et non ambigu1106 afin d?exclure
l?arbitraire1107.
Or, le juge anglais peut, à l?occasion d?un litige,
incriminer un fait non encore interdit juridiquement. Ce pouvoir a
été confirmé par les Lords judiciaires dans l?arrêt
Shaw1108. Ils revendiquent un pouvoir résiduel de veiller
à la moralité publique (custos morum), un pouvoir de
compléter les vides
1102 Articles 9, 10, et 11 de la Déclaration Universelle
des Droits de l?Homme et article 7 de la Convention Européenne des
Droits de l?Homme.
1103 Article 10-4 de la Constitution mauricienne.
1104 SMITH A. T. H.: «Judicial law making in the criminal
law», LQR, 1984, pp. 46 à 76.
1105 CL: 5 mars 1975, Black-Clawson International Ltd c/
Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg, AC, 1975, pp. 591 à 652, Vicomte
Dilhorne rédacteur de l'arrêt principal, v. aussi opinion de Lord
Diplock qui soutient: «The acceptance of the rule of law as a
constitutional principle requires that a citizen, before committing himself to
any course of action, should be able to know what are the legal consequences
that will follow from it», p. 638.
1106 PRADEL Jean: «Droit pénal
général», Editions Cujas, 1995, 10e édition, 911 p.,
v. p. 169 à 183.
1107 CCF: 19-20 janvier 1981, Loi Sécurité et
liberté, JCP, 1981, II, n° 19701, note de Frank Claude.
1108 CL: 4 mai 1961, Shaw c/ Director of Public Prosecutions, AC,
1962, pp. 220 à 294, Vicomte Simmonds rédacteur de l'arrêt
principal.
juridiques de la Loi1109, donc de créer de
nouvelles infractions. Le juge peut condamner le prévenu à une
peine si le législateur a omis d?en prévoir une. Il peut
réformer les règles imparfaites afin de les rendre
cohérentes à une bonne politique
répressive1110. Cependant, une analyse des arrêts
postérieurs de la Chambre des Lords nous permet de constater que la
jurisprudence anglaise fut instable sinon fluctuante. D?abord, les Lords ont
neutralisé l?approche effectuée dans l?arrêt
Shaw1111 en la privant d?effet. Ensuite, ils ont opéré
un revirement de jurisprudence en affirmant que le législateur
détient le monopole de création des délits et des
crimes1112 mais que les juges britanniques conservent le droit de
faire tomber sous le coup d?une loi étroite un acte que le
législateur n?a pas expressément prévu1113. Le
juge peut ne pas donner une interprétation stricte à la loi
pénale (poenalia sunt restringenda), le corollaire direct du
principe de la légalité pénale. Mais, les Lords firent de
nouveau usage de leur pouvoir d?incrimination dans une affaire récente.
Le droit anglais ne sanctionnait pas le fait pour un époux d?imposer
sans violence à son épouse des rapports sexuels avec lui en vertu
de l?adage «on ne viole pas sa femme». La femme était
considérée comme étant, dans une certaine mesure, la
propriété de l?époux1114. Il existait une
présomption irréfragable de consentement de l?épouse. En
1991, la Chambre des Lords mit un terme au principe de l?immunité
maritale1115 qualifié d?absurdité juridique par la
doctrine1116. La Chambre des Lords établit désormais
l?égalité juridique dans les rapports conjugaux entre les deux
partenaires. Cette jurisprudence, pour compréhensible qu?elle soit sur
le plan d?équité, est défaillante en droit dès lors
qu?elle viole le principe de légalité de la Convention
Européenne des Droits de l?Homme. La Common Law, qui a caractère
de loi selon la Cour Européenne1117 a été
modifiée lors du jugement de l?affaire et produit un effet
rétroactif alors que l?article 7-1 de la Convention dispose que
«nul ne peut être condamné pour une action ou une omission
qui, au moment où elle a été
1109 «In the sphere of criminal law, I entertain no doubt
that there remains in the courts of law a residual power to enforce the supreme
and fundamental purpose of the law, to conserve not only the safety and order,
but also the moral welfare of the state», opinion de Vicomte Simmonds,
ibid., p. 267.
1110 Pour une critique de l?arrêt Shaw
précité de la Chambre des Lords, v. GOODHART A. L.: «The
Shaw case: the law and public morals», LQR, 1961, pp. 560 à 568.
1111 CL: 14 juin 1972, Knuller c/ Director of Public
Prosecutions, AC, 1973, pp. 435 à 497, Lord Reid rédacteur de
l'arrêt principal.
1112 CL: 20 novembre 1974, Director of Public Prosecutions c/
Withers, AC, 1975, pp. 842 à 878, Vicomte Dilhorne rédacteur de
l'arrêt principal.
1113 «To say that there is now no power in the judges to
declare new offences does not, of course, mean that well-established principles
are not to be applied to new facts», opinion de Vicomte Dilhorne, ibid.,
p. 859.
1114 ASHWORTH Andrew: «Principles of criminal law»,
Oxford, Clarendon Press, 1991, 434 p., v. p. 301 et s.
1115 CL: 23 octobre 1991, Regina c/ R, WLR, 1991, vol. 3, pp. 767
à 777, Lord Keith rédacteur de l'arrêt principal.
1116 GILES Marianne: «Judicial law-making in the criminal
courts: the case of marital rape», CLR, 1992, pp. 407 à 417.
1117 CEDH: 26 avril 1979, The Sunday Times c/ Royaume-Uni, PCEDH,
1979, série A, vol. 3, 69 p.
commise, ne constituait pas une infraction d?après le
droit national et international».
b. En droit mauricien
La situation à Maurice diffère sur de nombreux
points de celle existante en Grande-Bretagne. Il y existe un Code Pénal
d?inspiration française mais certaines infractions sont régies
à la fois par le droit écrit et jurisprudentiel de la Common Law.
Tel est, par exemple, le cas du délit d?outrage à la cour
(contempt of court). Le Code Pénal mauricien prévoit
dans son article 156 le délit d?outrage envers une personne
dépositaire de l?autorité publique(outrage against depository
of public authority), qui correspond à l?article 433-5
alinéa 2 du nouveau Code Pénal français, et l?article
18-A-1 de la Loi mauricienne de 1945 sur les juridictions incrimine toute
publication visant à provoquer une ingérence
(interference) dans le cours de la justice. En sus, le concept
d?outrage à la cour, qui est d?origine anglaise1118, est
appliqué dans son intégralité à
Maurice1119 aussi bien aux procès civils que pénaux et
publics1120. Le concept anglais d?outrage est très large et
vaste et recouvre plusieurs types de délit. Il sanctionne notamment
l?outrage proprement dit à la cour, c'est-à-dire, le fait de
jeter du discrédit sur la juridiction ou d?injurier un juge
(scandalising the court)1121, la subordination des
témoins par le moyen de représailles exécutées
contre eux après la clôture de l?instance, toute conduite tendant
à pervertir le cours de la justice (obstructing or interfering with
the due course of justice or the lawful process of court) et le refus
d?obtempérer aux ordonnances du tribunal.
Le juge mauricien a-t-il par conséquent le pouvoir de
faire évoluer le droit d?outrage à la cour ? Peut-il
édicter des normes en la matière ? L?essence même de la
Common Law implique un pouvoir de création prétorienne des normes
alors que le principe constitutionnel de la légalité des
délits et des peines récuse une telle faculté au juge.
L?affaire Badry1122, tranchée par le Comité
Judiciaire, est illustrative de ce conflit dans les sources d?inspiration du
droit mauricien.
Le Gouverneur-Général avait créé une
commission d?enquête (Commission of Inquiry) ad hoc aux fins
d?instruire une affaire de corruption impliquant deux
1118 MILLER C. J., cité note 502.
1119 MARYLENE François: «Les outrages d?un
temps», WE, 3 avril 1994, p. 18.
1120 CSM: 17 mai 1982, Sir Gaétan Duval c/
François, MR, pp. 171 à 177, le juge Glover rédacteur de
l'arrêt. Il déclare que: «The power of this court to punish
persons for contempt are of course similar to those exercised by English
courts», ibid., p. 173.
1121 WALKER C.: «Scandalising in the eighties», LQR,
1985, pp. 359 à 384.
1122 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of
Public Prosecutions, cité note 386.
ministres. La commission était composée d?un
magistrat en exercice à la Cour Suprême, Monsieur Victor
Glover1123, et avait conclu à la culpabilité des deux
ministres pour faits de corruption et de manoeuvres frauduleuses. Un des
ministres, Monsieur Lutchmeeparsad Badry, avait lancé de
sévères accusations de partialité contre la commission et
la Cour Suprême et avait tenu des propos à caractère
injurieux à l?encontre de Monsieur Victor Glover à la fois en sa
capacité de juge et de commissaire. Il fut traduit devant la cour
notamment sous le chef d?accusation d?outrage à la cour aussi bien pour
les faits de mise en cause de Monsieur Victor Glover en sa qualité de
juge que commissaire. En effet, l?Ordonnance de 1945 sur les commissions
d?enquête (Commission of Inquiry Ordinance of 1945) ne
prévoit dans son article 11 qu?un simple pouvoir disciplinaire
permettant au commissaire d?infliger des amendes n?excédant pas RPM 500
en guise de sanction des faits de troubles se rapportant aux travaux de la
commission. Le droit écrit mauricien est lacunaire pour réprimer
les allégations de Monsieur Lutchmeeparsad Badry. Ainsi, la Cour de
Maurice élargit la notion d?outrage à la cour et l?appliqua aussi
à la condition de commissaire1124 tout en reconnaissant
qu?une telle extension n?était prévue par aucun texte de loi.
Elle invoquait en l?occurrence la nécessité d?adapter et de faire
évoluer le droit en fonction de l?intérêt
général, tel qu?elle l?a défini.
L?ancien ministre Badry se pourvut en cassation au
Comité Judiciaire contre l?arrêt de la Cour locale. Les Sages de
la Downing Street sanctionnent1125 ce qu?ils qualifient d?être
une «erreur manifeste de droit» (fundamental error of law)
des juges locaux. Le Lord-Chancelier Hailsham of St Marylebone,
président de la formation de jugement, confirme d?abord
l?évolution libérale de la jurisprudence de la Haute Juridiction
londonienne sur le délit d?outrage à la cour1126 dans
lequel Lord Atkin soutenait que «l?individu qui exerce de bonne foi, en
public ou privé, son droit général de critique d?une
décision de justice ne commet aucun mal» et concluait que «la
justice n?est pas une institution cloîtrée: elle doit être
soumise à l?examen et aux commentaires, même acerbes, des
profanes». Le droit anglais et celui du Commonwealth sur le délit
d?outrage ont évolué vers l?admission d?une plus grande
liberté de critique de la part du public
1123 Sur la pratique d?attribuer aux hauts magistrats des
fonctions extrajudiciaires d?investigation v. COLOM Jacques, cité note
557, v. p. 62 et s.
1124 CSM: 23 octobre 1980, Director of Public Prosecutions c/ L.
Badry, MR, 1980, pp. 254 à 260, les juges P. Y. Espitalier-Noël et
A. N. G. Ahmed rédacteurs de l'arrêt.
1125 CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry c/ Director of
Public Prosecutions, cité note 386.
1126 CJCP: 2 mars 1936, Ambard c/ Attorney-General,
cité note 508. Lord Atkin affirme que: «... no wrong is committed
by any member of the public who exercises the ordinary right of criticising, in
good faith, in private or public, the public act done in the seat of justice...
Justice is not a cloistered virtue: she must be allowed to suffer the scrutiny
and respectful, though outspoken, comments of ordinary men», ibid., p.
335.
et de la presse envers la justice1127. Dans le cas
d?espèce de l?affaire Badry, le Lord-Chancelier Hailsham of St
Marylebone souligne que l?ancien ministre visait Monsieur Victor Glover en tant
que commissaire et non en tant que juge. Or, la Common Law sur le délit
d?outrage ne protège que le juge dans l?exercice de ses fonctions. En
Angleterre, les membres des commissions d?enquête
bénéficient d?une protection que parce que le législateur
en a disposé ainsi. Leurs Seigneuries rejettent formellement
l?invitation du Directeur des Poursuites Publiques mauricien à
créer, sur la base de la jurisprudence Shaw précité de la
Chambre des Lords, une nouvelle infraction qui aurait protégé les
commissaires mauriciens1128.
Certes, les Lords ne proclament à aucun moment le
principe de la légalité des délits mais en fait bien une
application. Le principe de la légalité des peines est
également reconnu par les Lords. Le Comité Judiciaire a ainsi
annulé une amende retenue sur le traitement d?un fonctionnaire par la
Commission du Service Public en guise de sanction disciplinaire en l?absence de
toute autorisation législative à cet effet1129. Le
corollaire des deux principes, la non- rétroactivité des lois
mêmes constitutionnelles, est également consacré par la
jurisprudence londonienne1130.
B. Les principes encadrant les pouvoirs de sanction
du juge répressif
Dans le cadre du contentieux mauricien, le juge de la Downing
Street a édicté deux directives fondamentales relatives au
pouvoir de la Cour locale quant au prononcé de la peine.
Tout en qualifiant le principe posé d?axiomatique, les
Lords ont rappelé que le juge du fond ne peut sanctionner une personne
venant d?être reconnue coupable que pour les chefs d?accusation ou
infractions retenus par le ministère public et pour lesquels elle a
été poursuivie. L?accusé est exempt de toute
1127 Le Parlement britannique fut contraint de
légiférer sur le délit d?outrage après une
condamnation de l?Angleterre en 1979 par la Cour Européenne des Droits
de l?Homme. Le Lord- Chancelier Hailsham of St Marylebone présenta le
projet de loi au Parlement. V. BAILEY S. H.: «The contempt of court
Act», MLR, 1982, pp. 301 à 316.
Il se pourrait qu?un nouvel assouplissement de la Loi soit
rendu nécessaire suite à une nouvelle condamnation de
l?Angleterre par la Cour Européenne. V. DYER Clare: «Journalist
wins battle over sources», The Guardian Weekly, 7 avril 1996, p. 10.
1128 «... it was seriously argued for the respondent that
their Lordships should extend the law of contempt to such bodies (commissions
of inquiry) by a bold act of judicial legislation. This, their Lordships
resolutely decline to do...», CJCP: 15 novembre 1982, Lutchmeeparsad Badry
c/ Director of Public Prosecutions, cité note 386, v. p. 170.
1129 CJCP: 15 décembre 1987, Micheal Robert Eddy Norton
c/ The Public Service Commission, LRC, 1988, vol. constitutional, pp. 944
à 948, affaire mauricienne, Lord Ackner rédacteur de
l'arrêt.
1130 COLOM Jacques: «Le principe de non-retrocativité
des lois à Maurice», AIJC, 1990, pp. 383 à 388.
condamnation pour des infractions, même si sa
culpabilité a été établie au cours du
procès, pour lesquelles le procureur n?a pas, en toute
discrétion, choisi d?en saisir le tribunal. Or le juge mauricien, dans
l?affaire Chinien 1131, a condamné le prévenu non
seulement pour association de malfaiteurs en vue d?exporter illégalement
des devises (conspiracy to export currency) -actes pour lesquels le
prévenu était poursuivi- mais aussi pour association de
malfaiteurs en vue de réaliser un trafic de
stupéfiants1132. Le juge justifie sa décision de
sanctionner ultra petita en mettant en exergue la connexité entre les
deux délits susmentionnés. L?arrêt est cassé par le
Comité Judiciaire1133.
Par ailleurs, contrôlant la proportionnalité de
la sanction, le Conseil Privé a posé la règle selon
laquelle le délit d?association de malfaiteurs (conspiracy) ne
peut être puni plus sévèrement que l?infraction
principale1134. En effet, le délit de participation à
une association de malfaiteurs implique une entente entre les participants en
vue de commettre une infraction, dite «infraction principale»
(substantive offence). Le premier délit ne vise que la
préparation des délits ou crimes et se distingue de l?infraction
principale ellemême1135. Si celle-ci est consommée, la
participation à une association de malfaiteurs est alors retenue comme
une circonstance aggravante au regard de l?infraction principale. Le
Comité Judiciaire a, à juste titre, sanctionné les
errements de la Cour locale. Le juge ne doit se laisser emporter par la passion
répressive.
Le juge londonien est un Sage. Le même constat se
dégage en examinant la jurisprudence du Comité Judiciaire en
droit public.
SECTION 2. EN DROIT PUBLIC
L?apport du Comité Judiciaire au développement
du droit public mauricien est considérable. Nous avons auparavant
analysé la contribution de la Haute Instance au contentieux
constitutionnel1136 et démontré comment elle a
participé à la mise en place d?un système effectif de
contrôle juridictionnel des Lois et des
1131 CSM: 19 octobre 1989, Goinsamy Chinien c/ The Queen, le
Chef-Juge Sir Victor Glover rédacteur de l'arrêt majoritaire.
1132 «We are of the view that the charges before us, be it
those of conspiracy or of those of sequestration, revolve around drug
trafficking», ibid.
1133 CJCP: 17 décembre 1992, Goinsamy Chinien c/ The
State, cité note 869.
1134 Ibid., p. 336. Les Lords appliquent en l?occurrence une
jurisprudence de la Chambre des Lords. CL: 20 octobre 1966, Verrier c/ Director
of Public Prosecutions, AC, 1967, pp. 195 à 224, Lord Pearson
rédacteur de l'arrêt principal.
1135 ALLEN Micheal J.: «Text-book on criminal law»,
Londres, Blackstone Press Limited, 1993, 2e édition, 396 p., v. p. 202
et s.
1136 V. Titre II, chapitre 1er du présent ouvrage.
actes administratifs dans les pays du Commonwealth. Il n?est
pas nécessaire d?en insister davantage. On délimitera notre
présente étude à l?examen de l?influence du Comité
Judiciaire sur la formation du droit public substantiel et fondamental de
l?île Maurice.
La protection des libertés fondamentales et le
fonctionnement des institutions publiques sont moyennement satisfaisants
à Maurice. Même si elle a connu à la fois l?esclavage et la
colonisation, l?île Maurice, à l?inverse des pays d?Afrique noire,
a efficacement réceptionné les valeurs de la démocratie
libérale. Plusieurs facteurs expliquent cette
réussite1137. L?absence d?une population autochtone n?a pas
nécessité une conciliation de la vision individuelle et
européenne des droits de l?homme avec les valeurs traditionnelles de la
tribu, comme en Afrique noire1138. Le développement
économique s?étant opéré assez rapidement à
partir de la fin des années quatre-vingts, l?application des droits de
l?homme et le respect de la démocratie politique n?ont pas
été longuement différés. L?impératif du
développement économique sur les droits civils et politiques n?a
pas survécu.
Il convient néanmoins au terme de cette
présentation de ne pas céder à la tentation de
considérer l?exception mauricienne comme étant l?antithèse
de la situation africaine. La réussite mauricienne n?est que relative et
certaines entorses aux valeurs de la démocratie libérale ont
été relevées et sanctionnées par le Conseil
Privé, qui, au surplus, a renforcé et consolidé les
principes. D?autres libertés et droits ne sont pas encore
consacrés, tels les droits économiques et sociaux1139
et les droits de l?homme de la troisième génération, mais
le mode d?interprétation téléologique des normes
constitutionnelles par le Conseil Privé pourrait permettre la naissance,
à partir du texte initial, des droits économiques et
sociaux1140.
Le nombre restreint de recours au juge londonien et la
disparité entre les matières traitées empêchent une
bonne classification de la jurisprudence londonienne en droit public. On s?en
tiendra dès lors, selon une commodité de présentation
choisie délibérément, à un regroupement des
décisions du Comité
1137 «Vous n?ignorez rien des joutes de la
démocratie. Vous en viviez les inconvénients. Mais à
côté de ces inconvénients quels avantages ! Avec le respect
des droits fondamentaux, la liberté d?expression, la liberté de
circulation... Vous avez réussi cette rencontre exceptionnelle entre la
démocratie et le développement. Comment ne pas aimer l?île
Maurice ?», François Mitterrand, le 12 juin 1990 à
Port-Louis in GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 405.
1138 MADIOT Yves: «Droits de l?homme», Paris, Masson,
1991, 230 p., v. p. 93 à 97.
1139 Un certain développement de l?Etat-Providence
(welfare state) a toutefois permis l?accès de tous les citoyens
à la santé et à l?éducation.
1140 ALLEN Tom: «Commonwealth Constitutions and implied
social and economic rights», RADIC, décembre 1994, pp. 555 à
570.
Judiciaire en deux parties, en droit administratif et droit
public institutionnel (sous-section 1) et en droit public des biens
(sous-section 2).
Sous-section 1. En droit administratif et public
institutionnel
Les Sages du Whitehall sont scrupuleux dans leur
contrôle des réglementations des libertés fondamentales par
les autorités publiques et des activités de l?Administration
(paragraphe 1). Aussi ont-ils revivifié la notion démocratique de
la dévolution du pouvoir ou de la doctrine de séparation des
pouvoirs (paragraphe 2).
Paragraphe 1. Les libertés fondamentales et le
contrôle de l'Administration
Deux questions essentielles doivent nécessairement
être formulées. Quelles sont les grandes libertés qui ont
été protégées par le Comité Judiciaire (A) ?
Et comment la Haute Juridiction a développé son contrôle de
l?Administration (B) ?
A. Les libertés fondamentales
Dans les jeunes démocraties, seule une conception
dynamique et activiste des libertés peut renforcer le caractère
effectif de l?Etat de droit. Le Conseil Privé s?inscrit, notamment
après les années soixante-dix, dans le droit fil de cette
conception. Sans qu?il soit besoin de multiplier les exemples, il s?agit de le
démontrer dans deux secteurs de libertés primordiaux à la
démocratie: la liberté d?expression (a) et la liberté
individuelle (b).
a. La liberté d'expression
La liberté d?expression, dans toutes ses
manifestations, est consacrée à l?article 12-1 de la Constitution
mauricienne qui est ainsi rédigé: «Sauf avec son propre
consentement, il ne sera porté aucune entrave au droit de quiconque
à la liberté d?expression, c'est-à-dire, à la
liberté d?opinion, la liberté de recevoir ou de communiquer des
informations ou des idées sans ingérence, et le droit au secret
de la correspondance». La liberté d?expression constitue l?un des
fondements essentiels de toute société
démocratique1141, qui implique dans son fondement même
la confrontation des idées, le pluralisme1142, la
tolérance et
1141 MARSHALL Goeffrey: «Press freedom and free speech
theory», PL, 1992, pp. 40 à 60.
1142 «It is of the highest importance that a democratically
elected governmental body... should be opened to uninhibited public
criticism», CL: 18 février 1993, Derbyshire County Council c/
Times
l?esprit d?ouverture1143 et rejette la
pensée unique. John Stuart Mill, dont les idées
influencèrent considérablement le développement de la
Common Law, soutenait que la vérité jaillit du débat et
que la liberté d?expression est nécessaire à
l?épanouissement de l?homme et au progrès de toute
société1144. Le constituant originaire
considère la liberté d?expression comme une liberté si
fondamentale que les ingérences de l?Etat et la limitation de ce droit,
sont sujettes à deux conditions. Pour être licite, une limitation
doit correspondre à l?un des motifs énoncés à
l?article 12-2 de la Constitution, c'est-à-dire correspondre globalement
aux besoins de maintien de l?ordre public ou à la protection de la vie
d?autrui ou à la protection de l?autorité du pouvoir judiciaire.
Aussi l?ingérence doit être raisonnablement compatible avec le bon
fonctionnement d?une société
démocratique1145.
Toutefois certaines atteintes à ce droit fondamental
ont été révélées au point où un
auteur a qualifié la liberté d?expression de droit
inférieur1146. L?aménagement du droit d?information
s?est réalisé à travers deux types de
procédés juridiques. Premièrement, les autorités
publiques l?ont astreint à un régime de droit dit
préventif. La liberté ne pouvait alors s?exercer qu?avec le
consentement de l?Administration. Le régime préventif est peu
libéral et entraîne souvent non un aménagement de la
liberté mais sa négation même1147.
Deuxièmement, les autorités publiques ont fait usage de diverses
techniques de répression pénale pour sanctionner toute
transgression de la loi.
Ainsi, pendant la période de l?Etat d?urgence des
années soixante-dix, la presse était soumise à la censure
et un contrôle préalable portant sur des articles à
publier. En 1984, le gouvernement avait projeté d?instituer un
système de consignation obligatoire d?une somme de RPM 500,000 par les
entreprises de presse auprès du gouvernement. Selon l?objectif
affirmé, ce cautionnement permettrait de dédommager effectivement
les victimes des délits de presse en cas d?impossibilité de
paiement par l?entreprise sanctionnée. L?influence du Comité
Judiciaire bien qu?indirecte, fut déterminante dans cette affaire.
Suite
Newspaper Ltd, WLR, 1993, vol. 2, pp. 449 à 461, Lord
Keith rédacteur de l'arrêt principal, v. p. 456.
1143 FENWICK Helen: «Civil liberties», Londres,
Cavendish Publishing Ltd, 1994, 546 p., v. p. 116.
1144 MILL John Stuart: «On liberty and considerations on
representative government», (1859), Oxford, Basil Blackwell, 1946, 324 p.,
v. chapitre II Of the Liberty of thought and discussion?, p. 13
à 48.
1145 CJCP: 19 avril 1966, Honourable Dr. Paul B. Oliver c/
Honourable Dr. Anton Buttigieg, WLR, 1966, affaire de l?île de Malte,
Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de l'arrêt.
1146 COLOM Jacques: «Liberté d?information à
l?île Maurice, droit fondamental de second rang ?», AIJC, 1987, pp.
353 à 358.
1147 RIVERO Jean: «Les libertés publiques, les droits
de l?homme», PUF, Thémis, 1995, 7e édition, 262 p., v. p.
181 et s.
aux vives protestations des journalistes, une commission
dirigée par Sir Maurice Rault, ancien Chef-Juge de la Cour
Suprême, fut instituée. Celui-ci, se référant
à un précédent du Comité Judiciaire, déclare
dans son avis le projet du gouvernement inopportun1148.
En effet, le Comité Judiciaire, dans l?affaire Antigua
Times1149, similaire au cas d?espèce mauricien, a
estimé que le paiement préalable d?une somme d?argent
imposée par la loi à l?exercice de la liberté d?expression
pourrait constituer une entrave à celle-ci au regard de la
Constitution1150 mais que la Loi peut à bon droit poursuivre
un objectif de protection des droits d?autrui. Certes, la restriction de la
liberté d?expression pour un tel motif est expressément
prévue par la Constitution1151. Mais le Comité
Judiciaire se réserve le droit d?exercer un contrôle de
proportionnalité afin de vérifier l?adéquation du
dispositif de la loi à son objectif, de sa compatibilité avec les
valeurs de la démocratie, et de sanctionner tout détournement ou
abus de pouvoir.
Dans un arrêt postérieur, le Tribunal de la
Downing Street a analysé sous un angle novateur la liberté
d?expression. Afin de comprendre l?originalité que revêt la
décision londonienne, il convient de situer le contexte dans lequel elle
intervient.
A Maurice, comme dans beaucoup de pays du Commonwealth, les
délits de presse se caractérisent par une particularité
qui constitue leur dénominateur commun. Il s?agit de
l?imprécision des dispositions de droit pénal en ce qui les
concerne. Par exemple, le droit pénal mauricien punit les auteurs
d?écrits susceptibles de troubler la paix publique1152 et
d?écrits séditieux1153. Il punit également le
délit d?atteinte à l?autorité de justice1154.
Ces délits sont formulés
1148 COLOM Jacques, cité note 1146, v. p. 354-55.
1149 CJCP: 19 mai 1975, Attorney-General c/ Antigua Times Ltd,
AC, 1976, pp. 16 à 34, affaire des Antilles, Lord Fraser of Tullybelton
rédacteur de l'arrêt.
1150 «It can be argued that any expenditure, required by
law from those responsible for the publication of a newspaper, is a hindrance
to its freedom of expression in that such expenditure must reduce the resources
of the paper which might otherwise be available for increasing its
circulation», ibid., p. 34.
1151 Article 12-2-b CM et article 10-2-a-ii de la Constitution
d?Antigua de 1967. En ce qui concerne la Convention Européenne des
Droits de l?Homme, v. article 10-2.
1152 CSM: 16 novembre 1993, Director of Public Prosecutions c/
Sydney Selvon, Le Mauricien, 17 novembre 1993, p. 8, les juges V. Glover, R.
Proag et V. Boolell rédacteurs de l'arrêt.
1153 CSM: 27 juillet 1972, Director of Public Prosecutions c/
Masson, cité note 525.
1154 CSM: 5 juillet 1978, Director of Public Prosecutions c/
Cateaux, MR, 1978, pp. 141 à 145, le Chef-Juge Rault rédacteur de
l'arrêt. Il souligne que le délit d?atteinte à
l?autorité de justice est constitué par tout écrit qui est
susceptible d?influencer ou la décision de la juridiction du fond ou le
public ou les témoins.
V. également en ce sens, CSM: 9 mars 1994, Director of
Public Prosecutions c./ Gilbert Ahnee, les juges J. Forget et Y. K. J. Sik Yuen
rédacteurs de l'arrêt. Cette décision est l?objet d?un
pourvoi au Comité Judiciaire.
en des termes très vagues et ainsi le juge dispose d?un
large pouvoir pour en apprécier les contours. Sa décision devient
largement imprévisible. Le journaliste, au moment où il
écrit, ne sait avec une bonne certitude si son texte sera
considéré ou non comme tombant sous le coup de la Loi. Quand
l?infraction est large, elle permet de frapper des comportements qui,
initialement, n?avaient pas été prévus.
Devant ce système répressif dangereux pour
l?exercice effectif de la liberté, le Comité Judiciaire accorde
une attention particulière au droit de débattre, de contester et
à la liberté d?opinion ou du journaliste1155.
L?affaire Hector1156 est illustrative de cette prise de position.
Une Loi d?Antigua et de Barbuda réprimait la publication de fausses
nouvelles susceptibles de troubler la confiance du public en l?Administration.
Un journaliste était poursuivi sous ces chefs d?accusation. Dans un
motif essentiel, le Comité Judiciaire ouvre considérablement le
champ de la liberté d?expression dans le débat politique et
rappelle la fonction d?information et de contrôle de la presse.
«Dans une société démocratique libre, soutient le
juge, il est trop évident pour affirmer que les membres du gouvernement,
les responsables de l?administration publique, doivent toujours se prêter
à la critique. Toute tentative d?entraver ou de restreindre les
critiques équivaut à une censure politique du type les plus
dangereux et répréhensibles. Aussi, n?est-il pas moins
évident que le but de toute critique formulée à
l?égard des dirigeants de l?Etat par leurs adversaires politiques est
d?ébranler la confiance du public en leur capacité de gestion et
de convaincre l?électorat que l?opposition ferait mieux que ceux qui
sont actuellement au pouvoir»1157.
Dans le prolongement de cette idée, le Tribunal de la
Downing Street met l?accent sur le fait qu?il faut se garder de
décourager les citoyens et en particulier les journalistes qui, par
crainte de sanction pénale, ne se prononcent de manière critique
sur des sujets politiques. Avec une grande hardiesse, le juge conclut de
façon catégorique qu?il constituerait à tout point de vue
«une grave
La légalité du délit d?atteinte à
l?autorité de justice en droit mauricien est incertaine. Il est peu
défini dans les textes de loi. Il puise son origine principalement dans
la Common Law alors qu?en Angleterre ce délit est désormais
régi en grande partie par la Loi.
1155 BRADLEY A. W.: «Press freedom, governmental
constraints and the Privy Council», PL, 1990, pp. 453 à 461.
1156 CJCP: 22 janvier 1990, Leonard Hector c/
Attorney-General, AC, 1990, vol. 2, pp. 312 à 320, affaire d?Antigua et
Barbuda, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.
1157 «In a free democratic society it is almost too
obvious to need stating that those who hold office in the government and who
are responsible for public administration must always be open to criticism. Any
attempt to stifle or fetter such criticism amounts to political censorship of
the most insidious and objectionable kind. At the same time, it is no less
obvious that the very purpose of criticism levelled at those who have the
conduct of public affairs by their opponents is to undermine public confidence
in their stewardship and to persuade the electorate that the opponents would
make a better job of it than those presently holding office», ibid., p.
318.
entorse à la liberté de la presse si ceux qui
impriment et a fortiori ceux qui distribuent des articles de presse comportant
des réflexions critiques sur la conduite des affaires publiques ne
pouvaient le faire en toute impunité que s?ils parvenaient d?abord
à vérifier l?exactitude matérielle des faits sur lesquels
est basé le raisonnement»1158.
La Haute Instance consacre-t-elle un droit de publication et
de distribution de fausses nouvelles ? Il serait peu judicieux de
répondre à la question mais il semble que le juge londonien admet
que le défaut d?exactitude de la matérialité des faits
rapportés et publiés ne soit pas un motif de condamnation.
Jusqu?alors le journaliste et le distributeur devaient, pour se
défendre, invoquer leur bonne foi et solliciter l?indulgence du juge. Or
désormais, la mauvaise foi du journaliste et du distributeur n?est pas
un élément de culpabilité en soi1159. On
conçoit aisément que le souci du Comité Judiciaire est de
préserver la liberté de la presse contre un régime
répressif dangereux d?autant plus qu?il est mal défini et on est
obligé de reconnaître ici que les pays qui ont conservé la
compétence du juge londonien sont parvenus à des solutions
inconcevables ailleurs.
b. La liberté individuelle et la
sûreté
Dans les pays de Common Law, les cas de privation de
liberté sont minutieusement prévus par le constituant et,
éventuellement, le législateur. Ces pays sont paradoxalement
très formalistes sur le principe de la liberté individuelle
contrairement aux pays de tradition romano-germanique1160. En
Angleterre, la crainte de l?arbitraire a été l?une des
préoccupations constantes de l?opinion au dix-septième
siècle et le Roi Charles II (1660-1685) avait ainsi institué en
1679, la procédure très efficace de l?habeas
corpus1161, étendue ensuite à toutes les colonies de
l?Empire. Aujourd?hui encore, les principaux pouvoirs dont disposent les
autorités de police afin de priver de leur liberté les citoyens
sont soumis à des conditions strictes1162. Ces pouvoirs
sont
1158 «(Their Lordships) observe, however, that it would
on any view be a grave impediment to the freedom of the press if those who
print, or a fortiori, those who distribute matter reflecting critically on the
conduct of public authorities could only do so with impunity if they could
first verify the accuracy of all statements of fact on which the criticism was
based», ibid., p. 318.
1159 «On this basis it was submitted that it was
unobjectionable to penalise false statements made without taking due care to
verify their accuracy. Their Lordships do no find it necessary for present
purposes to examine the question what element of mens rea is required as an
ingredient of the offences», ibid.
1160 PRADEL Jean, cité note 955, v. p. 494 et s.
1161 Littéralement, l?habeas corpus signifie «soit
présent avec ton corps».
1162 LEIGH Leonard H.: «La Convention Européenne
des Droits de l?Homme. Des délais en matière de rétention
policière, garde à vue et détention provisoire. Note sur
le droit anglais», RSC, 1989, pp. 45 à 53.
substantiellement définis dans un seul texte, la Loi
sur la police et les preuves en matière pénale de 1984. Ce
procédé s?apparente à une certaine codification du droit
dans ce secteur1163.
A Maurice, l?article 5 de la Constitution de 1968 assure que
nul ne doit être arbitrairement dépouillé de sa
liberté physique. Cet article se substitue à l?ancienne
procédure de l?habeas corpus. Il s?avère que le principe de la
liberté individuelle dans son fondement n?a pas eu à être
rappelé fréquemment par les juridictions. Cette relative absence
de contentieux est un signe. Le principe de la liberté personnelle
paraît tellement naturel et de solide tradition que les autorités
politiques ont rarement essayé de le remettre en cause.
Mais, n?étant pas un principe absolu, la Constitution
mauricienne a prévu des cas où un individu peut être
privé de sa liberté. Les catégories de cas, limitativement
énumérées, concernent notamment l?incarcération
après condamnation par un tribunal compétent et la
détention provisoire d?une personne suspectée d?avoir commis une
infraction pénale. Dans ce dernier cas, la mesure prise porte des
conséquences graves sur la liberté individuelle et est
conciliée avec la présomption d?innocence. En
réalité, l?intéressé subit l?équivalent
d?une peine sérieuse alors qu?il n?a pas encore été
jugé1164. C?est pourquoi la Constitution impose l?exercice
d?un contrôle maximum par un tribunal. Ce tribunal apprécie le
caractère raisonnable des motifs de la détention invoqués
par la police au cours d?une audience publique et contradictoire. Le juge peut
prononcer à tout moment la libération de l?individu s?il estime
que sa détention n?est plus nécessaire à la poursuite de
l?enquête. Ainsi, la Constitution mauricienne prévoit que si le
détenu n?est pas jugé dans un délai raisonnable, il doit
être remis en liberté1165.
Par ailleurs, la législation des pays de Common Law
privilégie une mesure traditionnelle alternative à la
détention provisoire: la libération du détenu en
contrepartie d?un cautionnement ou le paiement par l?individu d?une somme
d?argent (bail)1166. Le montant de cette somme d?argent est
fixé par le juge et est versé au greffe de la juridiction. Cette
pratique est très courante et est régie à Maurice par la
Loi sur la libération sous caution de 1989 (The Bail
1163 STONE Richard: «Textbooks on civil liberties»,
Londres, Blackstone Press Limited, 1994, 367 p., v. p. 30.
1164 BADINTER Robert: «Un pré-jugement: la
détention provisoire», Le Monde, 12-13 avril 1970, p. 11.
1165 Article 5-3, alinéa c CM.
1166 LEIGH Leonard: «La détention provisoire en
droit anglais», pp. 125 à 130 in PRADEL Jean (dir): «Les
atteintes à la liberté avant jugement en droit pénal
comparé», Travaux de l?Institut de Sciences Criminelles de
Poitiers, Editions Cujas, 1992, pp. 424 p.
Act 1989) et la Loi sur les Cours de District et la Cour
Intermédiaire du 5 novembre 1888.
Quelle peut être l?étendue constitutionnelle de
la liberté individuelle au regard de ces diverses dispositions ? Le
législateur peut-il interdire ou restreindre considérablement la
libération sous caution (bail) des suspects d?un type
déterminé d?infraction pénale ?
Le Comité Judiciaire adopte une démarche
mesurée empreinte de grande sagesse. Selon la Haute Instance, la
Constitution ne garantit pas le droit à la remise en liberté sous
caution pendant la procédure de l?enquête et il est donc loisible
au législateur de restreindre ou d?abolir ce droit d?origine
législative1167. Toutefois les Lords marquent leur souci de
préserver la liberté individuelle en mettant en relief
l?interdiction de toute détention excessive. Si la durée de la
détention dépasse le délai raisonnable à la
conduite de l?enquête, le délai butoir, la libération est
de droit. La motivation est juste et on voit mal comment elle aurait pu
être autrement.
Le point de vue de la Cour Suprême locale, certainement
plus libéral que celui du Comité Judiciaire sur la question, est
mal construit et motivé en droit dès lors qu?elle opère
une confusion entre trois notions voisines: le droit constitutionnel
d?être libéré par un magistrat si la détention
apparaît purement arbitraire, celui de ne pas être détenu
pendant une durée excessive et le droit d?origine législative (ou
jurisprudentiel) d?être mis en liberté sous caution. Il y a lieu
de souligner que les deux premières protections (constitutionnelles) ont
pour objet d?éviter à ce que la détention ne soit
arbitraire, dans le premier cas, au simple regard des faits, du
caractère non sérieux de l?action publique, et dans le
deuxième, au regard de sa durée. La remise en liberté sous
caution (protection légale ou jurisprudentielle) poursuit une
finalité différente. La détention de l?individu n?est plus
nécessaire aux fins de l?enquête. Il est maintenu en
détention afin qu?il ne se soustrait à la justice, ne
disparaît pour échapper au jugement et, éventuellement,
à la peine. Le caractère arbitraire n?est pas en jeu. Dans ce cas
de figure, il peut être libéré sous caution. Le
cautionnement sert de garantie à sa présentation devant le juge
le moment venu. Ayant mal distingué les trois situations, la Cour
Suprême de Maurice soutient qu?une loi qui méconnaît le
droit à la libération sous caution des
1167 «There is nothing in the Constitution which
invalidates a law imposing a total prohibition on the release on bail of a
person reasonably suspected of having committed a criminal offence, provided
that he is brought to trial within a reasonable time after he has been arrested
and detained», CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe,
cité note 743.
personnes suspectées de s?être livrées
à un trafic de stupéfiants viole la Constitution1168.
Cependant, la jurisprudence de la Cour Suprême a pour mérite de
maintenir le caractère exceptionnel du placement en détention et
d?interdire son automaticité. Mais, l?effet de cette jurisprudence a
été anéanti suite à une révision de la
Constitution. La Loi constitutionnelle nouvelle prévoit désormais
que certains détenus suspectés de trafic de stupéfiants ne
peuvent être libérés sous caution jusqu?au prononcé
du jugement au fond les concernant1169. A notre avis, le droit
constitutionnel d?être libéré si la détention est
arbitraire ou excessive demeure. La jurisprudence du Comité Judiciaire,
mieux construite, conserve toute son utilité.
B. La protection contre
l'Administration
Le Comité Judiciaire a élaboré et
diffusé vers les pays du Commonwealth des moyens nouveaux de protection
des administrés. Les autorités politiques considéraient
que la possibilité d?exercer des recours juridictionnels contre les
décisions de l?Administration offrait aux citoyens une protection
suffisante contre les risques d?excès ou d?abus de pouvoir. Mais,
voulant démocratiser l?action administrative et créer de
meilleures conditions pour la prise des décisions
régulières et opportunes, le Comité Judiciaire a mis en
valeur et posé des garanties préalables. Le juge londonien impose
dans certains cas à l?autorité administrative de ne pas
décider sans que les intéressés aient été
à même de faire valoir leur point de vue et de présenter
leurs objections à la décision projetée. La
procédure administrative non contentieuse doit obéir à des
principes: le principe du contradictoire (a) et le principe de l?enquête
préalable en matière d?expropriation (b).
a. Le droit d'être entendu
En Angleterre1170, les cours de justice avaient
depuis fort longtemps accordé à toute personne qui serait
sanctionnée le droit de développer devant l?Administration pour
la défense de ses intérêts, des objections contre la
décision que l?Administration elle-même s?apprête à
prendre. L?obligation pour celle-ci de respecter le principe du contradictoire
(audi alteram partem), qualifié
1168 CSM: 26 octobre 1986, Noordally c/ Attorney-General,
cité note 758.
1169 Article 5-3-A (Loi consitutionnelle du 1er août 1994)
CM.
1170 Pour une étude de droit comparé, v.
BREWEER-CARIAS Allan R.: «Les principes de la procédure
administrative non contentieuse, étude de droit comparé, France,
Espagne, Amérique Latine», Economica, 1992, 167 p. et aussi LEFAS
Aubert: «Essai de comparaison entre le concept de natural
justice? en droit administratif anglo-saxon et les principes
généraux de droit? ainsi que les règles
générales de procédure? correspondants en droit
administratif français», RIDC, 1978, pp. 745 à 775.
aussi de principe général de droit (rules of
natural justice), avait été affirmé en 1615 dans
l?affaire Bagg1171 et en 1723 dans l?affaire du Docteur
Bentley1172. Monsieur Bagg était privé de sa
qualité de bourgeois sans être averti et entendu
préalablement à la sanction. Le Docteur Bentley, à la
suite d?une procédure expéditive, avait été
dépouillé de ses diplômes par l?Université de
Cambridge. Les juges avaient annulé les deux décisions pour vice
de procédure1173. Cependant, l?analyse de la jurisprudence
britannique démontre que le principe avait été
écarté pour des besoins d?efficacité et de promptitude de
l?Administration durant la première moitié du vingtième
siècle1174 et avait été rétabli avec
force en 19621175 à la suite d?une réforme du droit
administratif intervenue après 1957 sur la base des recommandations du
rapport du Comité dénommé Franks1176. Depuis,
le respect des droits de la défense a été étendu
à toute personne intéressée par une décision
faisant grief notamment lorsqu?elle intervient dans le domaine des droits de la
personne ou du droit de propriété1177. Il est
accepté que les droits procéduraux soient un
élément essentiel dans un régime démocratique car
«la démocratie est un système de gouvernement dans lequel
chacun a une possibilité loyale d?être
entendu»1178.
Inspiré par la jurisprudence britannique, le
Comité Judiciaire applique le principe des droits de la défense
non seulement aux mesures administratives présentant un caractère
de sanction1179, même provisoire1180, mais aussi
aux décisions pouvant légalement revêtir d?un
caractère discrétionnaire. En effet, dans une affaire des
Bahamas1181, le ministre compétent avait refusé
d?accorder la naturalisation à un individu qui en avait fait la demande
en vertu d?une loi
1171 Banc du Roi: 1615, affaire James Bagg, ER, série
King?s Bench, vol. 77, pp. 1271 à 1281, Sir Edward Coke rédacteur
de l'arrêt.
1172 Banc du Roi: 1723, The King c/ The Chancellor of the
University of Cambridge (Doctor Bentley?s case), ER, série King?s Bench,
vol. 92, pp. 818 à 820, le juge John Lord Fortescue rédacteur de
l'arrêt.
V. DISTEL Michel: Le droit d?être entendu dans
la procédure administrative en Grande- Bretagne», thèse,
Univerité de Paris II, 1979, 757 p., v. p. 156.
1173 Dans l?affaire du Docteur Bentley, le juge John Lord
Fortescue justifie l?annulation de la décision de l?Université de
Cambridge en affirmant que même Dieu n?avait condamné Adam avant
de l?avoir fait comparaître pour se défendre.
1174 CL: 20 juillet 1914, Local Government Board c/ Arlidge, AC,
1915, pp. 120 à 151, Vicomte Lord-Chancelier Haldane rédacteur de
l'arrêt principal.
1175 CL: 14 mars 1962, Ridge c/ Baldwin, AC, 1964, pp. 40
à 142, Lord Reid rédacteur de l'arrêt principal.
V. GOODHART A. L.: «Ridge c/ Baldwin: Administration and
natural justice», LQR, 1964, pp. 105 à 116.
1176 ROBSON William A.: «Administrative justice and
injustice: A commentary on the Franks report», PL, 1958, pp. 12 à
31.
1177 CLARK D. H.: «Natural justice: susbtance and
shadow», PL, 1975, pp. 27 à 63.
1178 «Democracy is a system of government under which
everyone is given a fair chance to be heard», GOODHART A. L.: «Legal
procedure and democracy», CLJ, 1964, pp. 51 à 59, v. p. 57.
1179 CJPC: 13 novembre 1972, Paul Wallis Furnel c/ Whangane
High Stchools Board, AC, 1973, pp. 660 à 691, affaire de la
Nouvelle-Zélande, Lord Morris of Borth-y-Gest rédacteur de
l'arrêt majoritaire
1180 CJCP: 14 février 1994, Rees c/ Crane, cité
note 427.
1181 CJCP: 24 juillet 1979, Attorney-General c/ Thomas d?Arcy
Ryan, WLR, 1980, vol. 2, pp. 143 à 155, affaire des Bahamas, Lord
Diplock rédacteur de l'arrêt.
l?autorisant à prendre de telle décision pour
des motifs impérieux d?ordre public (reasons of public policy).
Les juges londoniens s?appuient essentiellement sur le devoir de loyauté
(fairness)1182 et d?impartialité (rule against
bias) de l?Administration1183 et le fait que seule une
procédure contradictoire peut l?emmener à prendre des mesures
conformes aux devoirs d?un Etat de droit. L?obligation de loyauté est
dans les pays de Common Law un principe de service public lié à
son essence même. Sur la base de ce raisonnement, les Lords annulent la
décision du ministre des naturalisations.
b. L'enquête préalable en matière
d'expropriation
Par une sorte d?arrêt de règlement, le
Comité Judiciaire a imposé aux autorités mauriciennes
l?organisation d?une enquête préalable aux mesures de cession
forcée des biens (compulsory acquisition of property) afin
d?assurer au maximum la protection des propriétaires d?immeubles.
Dans l?affaire Harel1184, les Lords soulignent que
la Loi mauricienne de 1973 sur le transfert des terres (Land Acquisition
Act 1973) n?institue aucune enquête préalable à
l?opération d?expropriation mais simplement un recours juridictionnel
à la différence des Lois anglaises sur la cession forcée
des biens1185. En effet, depuis les recommandations du Comité
Franks, il est établi en Angleterre une enquête préalable,
conduite par une personne qualifiée, et à laquelle
l?exproprié peut participer1186. Le
commissaire-enquêteur recueille les observations, les contre-projets et
tout autre moyen invoqué en vue de contester le projet d?expropriation.
L?expropriant est tenu de fournir tous les éléments essentiels
à l?appréciation de l?utilité publique du projet,
notamment une notice explicative, un plan de situation, une appréciation
sommaire des dépenses ou une étude d?évaluation
socio-économique. Le commissaire-enquêteur exerce un
contrôle poussé et réel sur ces données et
apprécie l?opportunité de l?opération1187. Le
ministre ne prend un arrêté de cessibilité qu?au vu des
1182 CJCP: 21 février 1983, Attorney-General c/ Ng Yuen
Shui, AC, 1983, vol. 2, pp. 629 à 639, affaire de Hongkong, Lord Fraser
of Tullybelton rédacteur de l'arrêt.
1183 SEEPERSAD C. P.: «Fairness and audi alteram
partem», PL, 1975, pp. 242 à 258.
1184 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/
Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note
889.
1185 «There is no provision in the Act for any inquiry
into the merits of the proposed acquisition to be held or otherwise giving the
landowner objecting to the acquisition any opportunity to be heard before the
Minister makes his decision to acquire...», ibid., p. 474.
1186 DISTEL Michel: «Aspects de l?évolution du
contrôle juridictionnel de l?Administration en Grande-Bretagne»,
RIDC, 1982, pp. 41 à 100, v. p. 94-95 sur le développement des
procédures administratives contradictoires.
1187 FOULKES David: «Administrative law», Londres,
Butterworths, 1990, 7e édition, 554 p., v. p. 109 et s.
conclusions du commissaire-enquêteur et sa décision
est éventuellement soumise au contrôle de légalité
par le juge.
Face à l?absence de telles procédures
administratives à Maurice, le Comité Judiciaire instaure un
système sui generis d?enquête devant le juge préalablement
au transfert de propriété sur saisine de l?exproprié. Lors
de l?enquête-procès, l?expropriant est tenu de fournir à la
cour un dossier détaillant le projet, de justifier son utilité
publique et de communiquer tous les documents y relatifs dont il dispose.
L?expropriant peut être soumis à un contre-examen par
l?exproprié. En dernier lieu, il revient à la Cour, et non au
ministre, de statuer sur l?opportunité du projet1188. Le
Comité Judiciaire réunit ici les deux étapes,
présentes dans la procédure anglaise, en une seule tout en
faisant preuve d?une grande création prétorienne.
Dans un Etat de droit, les décisions de
l?Administration doivent être démocratiques, c'est-à-dire,
prises au vu des consultations avec les usagers et citoyens. Le juge londonien
veut exporter cette valeur aux pays retenant encore sa compétence.
L?Etat de droit implique aussi que chaque institution publique
soit cantonnée dans un rôle spécifique.
Paragraphe 2. En droit public institutionnel
Toute Constitution instaure un système de partage de
compétences entre les organes suprêmes de l?Etat et il appartient
au juge constitutionnel de régler les litiges qui ne peuvent manquer de
survenir à ce propos.
Dans les nouveaux Etats du Commonwealth, la distribution
constitutionnelle des pouvoirs n?est pas affirmée expressément
dans le texte suprême mais y est implicite (A), selon le Tribunal de la
Downing Street.
Le Comité Judiciaire a davantage défini et
complété ce principe dans l?objectif de valoriser et de
défendre les prérogatives du judiciaire (B).
1188 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/
Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note
889.
A. La distribution constitutionnelle des pouvoirs
Le Comité Judiciaire a accordé pleine valeur
constitutionnelle au principe de la séparation des pouvoirs et son
corollaire, l?indépendance du judiciaire (a) et a cantonné le
législateur dans son domaine d?attribution (b).
a. L'affirmation du principe de la séparation des
pouvoirs et l'indépendance du judiciaire
Suite aux travaux de John Locke1189, auteur de
référence en Angleterre après la Glorieuse
Révolution de 1688-89, l?indépendance du judiciaire y fut
affirmée dans la Loi d?Etablissement (Act of Settlement) du 12
juin 1701. La Couronne demeurait la «fontaine de la justice» mais les
juges étaient nommés et demeuraient en fonction aussi longtemps
que leur conduite était bonne et non plus selon le bon plaisir du
Souverain. Leur salaire était garanti. Pour autant, la doctrine stricte
de la séparation des pouvoirs n?a jamais été formellement
appliquée en Angleterre bien que Montesquieu ait fondé sa
théorie sur les institutions britanniques1190. Le
Lord-Chancelier cumule encore aujourd?hui des fonctions au sein des trois
organes suprêmes de l?Etat. Il a rang d?un ministre d?Etat (Senior
Minister). Il assure la présidence de la deuxième chambre
parlementaire et est un des plus hauts magistrats. De même, la Reine en
Son Conseil exerce des fonctions juridictionnelles en droit interne. La chambre
haute du Parlement, la Chambre des Lords, est une des juridictions
suprêmes1191 du Royaume-Uni1192. On se
méfiera tout de même de toute conclusion hâtive. Les juges
britanniques se sont affranchis de la double tutelle du Parlement et de
l?exécutif. Seuls des juges professionnels et inamovibles siègent
à formation juridictionnelle de la Chambre des Lords, à
l?exception du Lord-Chancelier qui assure la synthèse entre les trois
pouvoirs. De même, la tutelle royale sur le Conseil Privé n?est
que symbolique.
Le modèle de distribution constitutionnelle des
pouvoirs fut rationalisé dans les nouveaux Etats du Commonwealth.
L?indépendance des juges est assurée organiquement1193
et le domaine de compétence du Parlement est limité.
1189 LOCKE John: «Deuxième traité du
gouvernement civil», Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1967, 255 p.,
v. p. 159, paragraphe 143.
1190 MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat: «De l?Esprit des
Lois», (1748), Paris, Editions Sociales, 1969, 333 p., v. Livre X,
chapitre VI, pp. 118 et s.
1191 SHELL Donald: «The House of Lords», Harvester,
Wealsheaf, 1992, 276 p.
1192 BRADLEY A. W. et EWIG K. D., cité note 549, v.
chapitre 4: «The relationship between legislature, executive and
judiciary», p. 52 et s.
1193 ALLOT Anthony: «The independence of the judiciary in
the Commonwealth countries: problems and provisions», CLB, 1994, pp. 1428
à 1446.
Le Comité Judiciaire a démontré qu?il est
très attaché au principe de la séparation des pouvoirs et
l?a affirmé de manière solennelle. Dans l?affaire
Hinds1194, Lord Diplock, dans une motivation surabondante qui
ressemble davantage à un cours de droit qu?à une décision
de justice1195, rappelle les principes de base du système
institutionnel des nouveaux Etats du Commonwealth, le modèle
Westminster. Plaçant son analyse dans une perspective historique, il
soutient que le principe de la séparation des pouvoirs y était
appliqué précédemment à l?entrée en vigueur
des nouvelles Constitutions qui, de surcroît, n?ont que consolidé
les institutions existantes. Les Constitutions ont été
élaborées sur la base d?un consensus entre les différentes
forces politiques en présence. Documents de compromis, les Constitutions
contiennent nécessairement des principes non affirmés
expressément, parmi lesquels se trouve celui de la séparation des
pouvoirs. En général, elles ne comportent aucune disposition
formelle tendant à interdire l?usurpation des compétences du
judiciaire par le Parlement ou l?exécutif1196 mais la
séparation des pouvoirs est un principe implicite et accepté.
Ainsi, faisant partie de la nature même du régime, le principe de
la séparation des pouvoirs, est érigé par le juge
londonien en valeur quasi supraconstitutionnelle.
Quant à l?indépendance des institutions
judiciaires élevées, elle se manifeste, affirme Lord Diplock, par
le principe qui veut que le gouvernement ne puisse exercer aucune pression
directe ou indirecte sur les hauts magistrats (Judges). Tout un
chapitre de la Constitution pose des garanties protectrices concernant le
recrutement des hauts magistrats et le cheminement de leur
carrière1197. Ils sont inamovibles et leur
responsabilité disciplinaire ne peut être engagée que sur
la base d?une procédure lourde nécessitant la saisine du Conseil
Privé.
b. Le cantonnement du législatif
Le principe de la séparation des pouvoirs sert devant le
Conseil Privé de principe gigogne?, tel le principe
d?égalité en contentieux constitutionnel
1194 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité
note 233.
1195 Lord Diplock qualifie lui-même sa longue motivation
de «règle de droit» (ratio decidendi) et non
d?affirmation incidente (obiter dicta), ibid., p. 371.
1196 «Thus the Constitution does not normally contain any
express prohibition upon the exercise of legislative powers by the executive or
of judicial powers by either executive of the legislature», ibid., p.
372.
1197 «The Chapter dealing with the judicature invariably
contains provisions dealing with the method of appointment and security of
tenure of the members of the judiciary which are to assure to them a degree of
independence from the other two branches of government», ibid., p. 373.
français1198, en ce sens qu?il se
décompose en une multitude de cas d?application. Il est invoqué
de manière quasi systématique par les requérants car
chaque Loi peut se lire à travers un aspect particulier du principe de
la séparation des pouvoirs, notamment de l?indépendance du
judiciaire.
Le domaine de la Loi est circonscrit. Comme nous l?avons
déjà indiqué, le législateur ne peut
légiférer que pour la paix, l?ordre et le bon
gouvernement1199, c'est-à-dire, il ne peut pas s?immiscer
dans le domaine d?attribution du judiciaire.
Le Comité Judiciaire a affirmé qu?il
n?appartient pas au législateur de censurer les décisions des
juridictions ou de se substituer dans le jugement des litiges relevant de leur
compétence. Une illustration de ce principe se trouve dans l?affaire
Liyanage1200. Une Loi ceylanaise avait institué une
procédure dérogatoire au droit commun pour le jugement des
auteurs d?un coup d?Etat. L?étendue de cette Loi ne permettait au juge
que de constater l?infraction et la culpabilité de certaines personnes
visées. Le législateur lui avait pratiquement dicté la
décision à rendre. La Haute Instance londonienne sanctionne ce
qu?il qualifie d?être «un jugement législatif» et
affirme que «si une telle Loi n?est pas censurée, tout le pouvoir
judiciaire pourra être absorbé par le
législateur»1201. Le même principe a
été rappelé par le juge londonien dans une affaire
mauricienne dans laquelle une Loi à effet rétroactif infirmait
une sentence arbitrale prononcée contre le gouvernement. Avant
l?entrée de la Loi nouvelle, la sentence arbitrale était
susceptible d?une exécution forcée en vertu d?une ordonnance
d?exequatur, délivrée par la Cour Suprême.
Désormais, le ministre de la justice (the Attorney-General)
pouvait s?y opposait, ce qu?il fit dans le cas d?espèce. Le
Comité Judiciaire sanctionne la violation de la séparation des
pouvoirs1202.
La Cour de Maurice s?inscrit dans le droit fil de la
jurisprudence du Comité Judiciaire et sanctionne la Loi dite de
validation1203. Celle-ci est une catégorie de Loi qui tend
à valider un acte qui ne l?était pas initialement du fait de la
censure du juge. La Loi est promulguée après le jugement ayant
déclaré
1198 MICLO François: «Le principe
d?égalité et la constitutionnalité des lois», AJDA,
1982, pp. 115 à 135.
1199 Article 45-1 CM.
1200 CJCP: 21 décembre 1965, Don John Francis Douglas
Liyanage c/ The Queen, AC, 1967, vol. 1, pp. 259 à 292, affaire de
Ceylan, Lord Pearce rédacteur de l'arrêt.
1201 If such Acts were valid, the judicial power could be wholly
absorbed by the legislative and taken out of the hands of the judges»,
ibid., p. 129.
1202 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, cité note 905, v. p. 849-50.
1203 Un regard rétrospectif permet de constater que le
gouvernement britannique avait avant la deuxième guerre mondiale
tenté d?annuler une décision du Conseil Privé. V. LOWE A.
V. et YOUNG J. R.: «An executive attempt to rewrite a judgment», LQR,
avril 1978, pp. 255 à 275.
l?acte nul avec effet rétroactif de sorte que l?acte
litigieux devienne conforme à la Loi. La Cour de Maurice se montre,
à juste titre, très exigeante et applique avec rigueur le
principe de la séparation des pouvoirs1204 tel
qu?énoncé par le Comité Judiciaire dans l?affaire Liyanage
précitée. Selon la Cour, le législateur ne peut avoir le
pouvoir de censurer les décisions des juridictions ou de
méconnaître le principe de l?autorité de chose jugée
(the doctrine of res judicata). Le Parlement ne peut pas trancher des
litiges et s?ériger en une cour de dernier ressort. Il n?y aurait,
poursuit la Cour, d?Etat de droit (rule of law) s?il en fut
autrement1205.
B. La défense des prérogatives des
organes juridictionnels
Le Comité Judiciaire a jalousement
préservé le pouvoir des institutions judiciaires. Il exerce un
contrôle maximum et n?admet aucune atténuation à l?exercice
des prérogatives du juge en général (a) et de celles des
hauts magistrats (b).
a. De la magistrature en général
Le juge est la seule autorité compétente
à autoriser des atteintes à la liberté individuelle, tel
est semble-t-il le principe qu?a posé le Comité Judiciaire dans
le grand arrêt Ali1206. Afin de comprendre la portée de
cet arrêt, il serait utile de faire un bref rappel des circonstances de
l?affaire. Une Loi mauricienne, votée un peu à la hâte en
1986 suite à une série de scandales, avait prévu que le
procureur de Maurice pouvait, selon sa discrétion, déférer
quelqu?un suspecté de trafic de stupéfiants soit devant un
magistrat (unique) de la Cour Suprême, soit devant la Cour
Intermédiaire (le tribunal correctionnel) soit encore devant la Cour de
District (tribunal de police). Si l?accusé était reconnu coupable
par un juge de la Cour Suprême dans des circonstances aggravantes
spéciales, il devait impérativement être sanctionné
de la peine de mort1207. S?il était reconnu coupable dans les
mêmes conditions par un autre tribunal, la sanction qu?il encourrait
pouvait être différente, c'est-à-dire,
inférieure.
1204 DAUDET Y. et MEETARBHAN M., cité note 368, v. p. 284
et s.
1205 CSM: 26 avril 1982, A. R. Mahboob c/ The Government of
Mauritius, MR, 1982, pp. 135 à 145, le Chef-Juge Sir Maurice Rault
rédacteur de l'arrêt principal. Dans cette affaire, la Cour de
Maurice avait déclaré nulle et non avenue une vente
immobilière entre un individu et une organisation
étrangère. Le législateur avait adopté une Loi qui
déclarait ladite vente valide.
1206 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité
note 635.
1207 Articles 28-1 et 28-8 et 38 de la Loi de 1986 sur les
stupéfiants (Dangerous drugs Act).
Est-ce que la discrétion attribuée au procureur,
en l?occurrence le Directeur des poursuites publiques1208, quant au
choix du tribunal et, par conséquent, de la peine encourue est une
violation des pouvoirs du juge répressif1209 ? Le
Comité Judiciaire, saisi de la question, marque sa volonté de
consacrer une conception stricte de la séparation des pouvoirs. Le
Directeur des poursuites publiques, bien qu?il soit considéré
comme étant indépendant de toute autorité
publique1210, est qualifié par le juge londonien d?agent de
l?exécutif, autrement dit, d?agent public. Il ne peut donc pas,
même indirectement, choisir la peine à appliquer sans violer la
distribution constitutionnelle des pouvoirs, les prérogatives du
judiciaire.
Le Comité Judiciaire, dans son analyse reconnaît
que le législateur peut prévoir des peines impératives
(mandatory sentences) pour une catégorie
d?infraction1211. La fixation de la peine par le législateur
est une disposition d?ordre général et se distingue de
l?énoncé de la Loi mauricienne. Dans le premier cas, il revient
en dernier lieu au juge d?appliquer la peine alors que dans le deuxième,
le procureur, en choisissant le tribunal préalablement au procès,
choisit également au cas par cas la peine qui serait appliquée.
Le Comité Judiciaire distingue encore la discrétion
attribuée au procureur mauricien de la pratique tolérée
dite de la correctionnalisation des crimes1212. La technique de la
correctionnalisation (the referring of a case before the magistrate
court) consiste pour l?autorité chargée des poursuites
à négliger une qualification plus grave, souvent criminelle, des
faits pour ne retenir qu?une qualification plus faible ou correctionnelle.
Cette pratique revient à tourner les règles légales
relative à la compétence juridictionnelle afin que le juge saisi
prononce une peine moins sévère. Cette discrétion de
l?autorité poursuivante ne viole aucun principe constitutionnel selon le
Comité Judiciaire. Par contre, celle du procureur mauricien, en vertu de
la Loi litigieuse, lui permettait non seulement de choisir le tribunal mais
aussi la peine qui devait obligatoirement être appliquée si la
culpabilité de l?accusé était reconnue. Sa
discrétion n?aurait pas été contraire à
1208 LABAUVE D?ARIFAT Cyrille, QC: «Le Directeur des
poursuites publiques à l?île Maurice», APOI, 1976, pp. 513
à 578.
1209 La Cour Suprême avait dans sa décision
opéré une neutralisation de la discrétion du procureur en
soutenant que le prévenu suspecté d?avoir agi dans des
circonstances aggravantes ne pouvait être déféré que
devant un juge de la Cour Suprême. V. CSM: 20 septembre 1991, Muktar Ali
c/ Regina, MR, 1991, pp. 138 à 146, le Chef-Juge Glover rédacteur
de l'arrêt.
1210 L?article 72-6 CM dispose que: «Dans l?exercice des
pouvoirs qui lui son conférés par le présent article, le
Directeur des poursuites publiques n?est pas soumis à l?autorité
ou au contrôle de nulle autre personne ou autorité».
1211 Certains Lords judiciaires, dont Lord Donaldson, ancien
président de la Division civile de la Cour d?Appel anglaise conteste
aujourd?hui les législations qui diminuent la liberté du juge
dans le choix de la peine. V. DONALDSON Lord: «Beware of this abuse»,
The Guardian, 1er décembre 1995, p. 21.
1212 CJCP: 11 décembre 1978, The Cheng Poh alias Char Meh
c/ Public Prosecutor, AC, 1980, pp. 458 à 476, affaire de la Malaisie,
Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.
la Constitution si le juge du jugement pouvait
déterminer le quantum de la peine1213. La combinaison des
deux éléments, choix du tribunal et peine impérative, rend
la Loi non conforme à la Constitution et viole les prérogatives
du juge.
b. De la haute magistrature
Le Comité Judiciaire a constitutionnalisé la
compétence des hauts magistrats1214. Cette
constitutionnalisation est importante parce qu?elle met un obstacle juridique
à tout dessaisissement des juges des cours supérieures
(higher judiciary) de leur compétence par les autorités
publiques. Le législateur ne peut créer de nouvelles juridictions
composées de simples magistrats1215 qui ne
bénéficient pas d?une totale indépendance pour
connaître des litiges relevant, avant l?entrée en vigueur de la
Constitution, de la compétence exclusive de la Cour Suprême.
L?argumentation du Comité Judiciaire est fort juste. La
Constitution, en évoquant les cours supérieures, se
réfère implicitement aussi aux magistrats composant ces
juridictions1216. Seuls ceux-ci, en raison de leur
indépendance, leur statut et leur mode de recrutement1217
peuvent exercer, même en première instance, certaines fonctions
juridictionnelles et appliquer certaines peines, notamment celle de
réclusion criminelle à vie ou la peine de mort, à
l?inverse des magistrats des cours inférieures1218.
*
1213 «... a discretion vested in a prosecuting authority
to choose the court before which to bring an individual charged with a
particular offence is not objectionable if the selection of the punishment to
be inflicted on conviction remains at the discretion of the sentencing
court», CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, cité note 635,
v. p. 410.
1214 CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/ The Queen, cité
note 233.
1215 Dans les nouveaux pays du Commonwealth, les tribunaux
sont classés en deux catégories: les cours supérieures
(higher judiciary) et les cours inférieures (lower
judiciary). Une cour supérieure, telle la Cour Suprême peut
statuer en première instance sur un nombre important d?affaires. Elle ne
correspond pas toujours à une cour de second degré. Les cours
inférieures statuent sur de petites affaires en première
instance.
1216 «Thus, where a Constitution on the Westminster model
speaks of a particular court already in existence when the Constitution comes
into force, it uses this expression as a collective description of all those
individual judges who, whether sitting alone or with other judges or with a
jury, are entitled to exercise the jurisdiction exercised by that court before
the Constitution came into force», CJCP: 5 novembre 1975, Moses Hinds c/
The Queen, cité note 233, v. p. 373.
1217 CJCP: 19 mars 1957, Attorney-General c/ The Queen, AC,
1957, pp. 288 à 324, affaire de l?Australie, Vicomte Simmonds
rédacteur de l'arrêt.
1218 Les cours inférieures ne sont pas
évoquées dans les Constitutions du modèle Westminster mais
sont bien des juridictions valides. V. CJCP: 4 octobre 1993, Commissioner of
Police c/ Skip Patrick Davies, AC, 1994, vol. 1, pp. 283 à 302, affaire
des Bahamas, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.
La séparation des pouvoirs est un des principes
fondamentaux d?un Etat de droit. Le judiciaire, du fait de son rôle dans
la défense des valeurs de la République et de la
démocratie libérale, doit être sérieusement
protégé contre les atteintes du pouvoir politique à sa
compétence.
Après l?examen de l?apport du Comité Judiciaire
en droit administratif et droit public institutionnel, il convient d?analyser
enfin la protection du droit de propriété par le juge du
Whitehall.
Sous-section 2. En droit public des biens
A l?île Maurice, le droit public des biens puise son
origine à la fois dans le Code Civil de 1804, la Déclaration des
Droits de l?homme et du Citoyen de 17891219 et la Common Law.
L?article 544 du Code Civil mauricien énonce encore aujourd?hui, comme
celui du Code Civil français, que «la propriété est
le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus
absolue». De même, la Common Law a attribué, depuis les
écrits de John Locke1220 et de William
Blackstone1221, le caractère d?un droit pratiquement naturel,
voire d?une liberté1222 à la
propriété.
Cependant, la Constitution mauricienne, élaborée
dans un contexte moderne, prend acte de l?évolution des conditions
d?exercice du droit de propriété survenue après la
deuxième grande guerre, lors du développement de
l?Etat-Providence, et s?abstient de toute affirmation du caractère
presque divin et sacré du droit de propriété. L?essence
divine et inviolable du droit est remise en cause pour des motifs
impérieux d?intérêt général à l?instar
des pays de Common Law1223 et de tradition
romano-germanique1224. L?intervention du
1219 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière
de Bel Ombre Ltée c/ The Governement of Mauritius, cité note
860.
1220 ALLIOT Brigitte: «Locke et l?économie
politique», mémoire de DES, Paris, 1963, 81 p., v. p. 16 et s.
1221 BLACKSTONE William, Sir: «Commentaries of the laws
of England», vol. 2 «Of the right of things», (1766), Londres,
The University of Chicago Press, 1979, 520 p., v. p. 2. L?auteur affirme que:
«There is nothing which so generally strikes the imagination and engages
affections of mankind as the right of property; or that sole despotic dominion
which one man claims and exercises over the external things of the world, in
total exclusion of the right of any other individual of the universe».
1222 COVAL S., SMITH J. C. et COVAL S.: «The foundations
of property and property law», CLJ, 1986, pp. 457 à 475.
1223 «But property law has lost its traditional
constitutional status. For decades property has ceased to serve as a
significant formal boundary between individual rights and governmental
power», NEDELSKY Jennifer: «Private property and the limits of
American constitutionalism», Londres, The University of Chicago Press,
1990, 343 p., v. p. 223.
V. aussi CRAIG P. P.: «Constitutions, property and
regulation», PL, 1991, pp. 538 à 554. 1224 «... on est conduit
à en conclure que le droit de propriété est une
liberté ou un droit de second rang par opposition aux droits et
libertés de premier rang telle la liberté de la presse ou la
liberté de l?enseignement», FAVOREU Louis et PHILIP Loïc,
cité note 881, v. p. 471.
législateur dans le domaine foncier,
d?aménagement du territoire et dans la régulation des
activités commerciales est fréquente. Ainsi, la Constitution
mauricienne a été libellée de façon à ce
qu?il en résultât en réalité que de minimes
limitations au pouvoir de la puissance publique de porter atteinte au droit de
propriété. La Constitution déclare de manière
anodine que tout individu a droit à la protection de ses biens et que
nul ne peut en être privé ou dépossédé, dans
ce dernier cas uniquement que pour cause d?utilité publique, sans
indemnité.
Devant un tel dispositif constitutionnel peu contraignant, il
eut apparu qu?une violation du droit de propriété tirée de
l?énoncé de la Loi Fondamentale eût été
impossible tant le pouvoir public conservait une trop grande discrétion
et la majorité des hauts magistrats de la Cour Suprême ne voulait
contrer, fût- ce sur un plan strictement juridique, la politique de
l?Etat dans un secteur aussi sensible que ce droit de l?homme de nature
économique. Or, l?incertitude n?est plus permise
aujourd?hui1225. Depuis un arrêt de principe du Comité
Judiciaire de 19841226, le juriste est obligé d?apporter un
regard neuf sur le droit de propriété. La Haute Instance
londonienne a donné une consistance élevée à ce
dernier dans la hiérarchie des normes (paragraphe 1) et entreprend
depuis de le définir assez libéralement de façon à
étendre considérablement le champ d?application de la protection
constitutionnelle réorganisée et dynamisée (paragraphe 2).
Véritable tournant jurisprudentiel, l?arrêt de 1984 constitue le
point de départ de tout une riche élaboration dont il est
important de mettre en valeur les principaux résultats.
Paragraphe 1. Le fondement constitutionnel du droit de
propriété
Comme nous l?avons évoqué, la protection
constitutionnelle des biens se décompose en deux séries de normes
qui correspondent à deux niveaux d?atteinte. La première
énonce le principe d?interdiction de toute privation
(deprivation) des biens par l?autorité publique sans
indemnité1227 (A) et la deuxième soumet à des
conditions la cession forcée d?une propriété
(compulsory acquisition of property) (B).
V. également FROMONT Michel: «Le droit de
propriété dans les jurisprudences constitutionnelles
européennes, République Fédérale d?Allemagne»,
AIJC, 1985, pp. 214 à 218. 1225 COLOM Jacques: «La protection
constitutionnelle du droit de propriété à l?île
Maurice», pp. 155 à 189 in UNIVERSITE DE DROIT ET D?ECONOMIE ET DES
SCIENCES D?AIX MARSEILLE, cité note 375.
1226 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/
Government of Mauritius, cité note 847.
1227 Dans ce dernier cas, tous les attributs du droit de
propriété n?ont pas été enlevés au titulaire
de ce droit. La privation peut être une limitation de l?exercice de ce
droit, une gêne non supportable qui vide le droit de son contenu.
A. Le respect des biens ou la protection contre la
privation des biens
L?existence dans la Constitution d?une norme à effet
direct protégeant contre la privation des biens a été
sérieusement contestée devant le juge londonien (a), qui,
tranchant le débat dans un sens positif a également
déterminé la portée de la privation (b).
a. Le caractère de la protection
constitutionnelle
L?article 3 de la Constitution dispose, à la
manière d?un préambule, qu?il «est reconnu et
proclamé qu?il a existé et qu?il continue d?exister à
Maurice... le droit de tout individu à la protection... contre toute
atteinte à ses biens ou toute privation de propriété sans
compensation». Le gouvernement a fait valoir que cet article ne comporte
aucun caractère impératif en vertu de la jurisprudence locale et
londonienne1228.
En effet, la Cour de Maurice rejetait la thèse que
l?article 3 fût une disposition opérationnelle (fully
operative). Les garanties posées par cet article seraient soumises
aux articles suivants et correspondants de la Constitution,
c'est-à-dire, à l?article 8 de la Constitution en ce qui concerne
le droit de propriété. L?article 3 n?aurait aucune
autonomie1229. Le juge local répugnait à lui
reconnaître toute valeur positive sans doute à cause de son
caractère imprécis et vague1230. De même, le
Comité Judiciaire avait manifesté une grande hésitation
à accorder au préambule des Constitutions du Commonwealth une
valeur positive. Tout au plus, le préambule n?était qu?une partie
préliminaire à laquelle le juge pouvait recourir pour
interpréter des normes constitutionnelles1231. Sur la base de
ces jurisprudences, le gouvernement mauricien soutenait que le
propriétaire n?était pas protégé contre la
privation de ses biens.
Seul le Chef-Juge Sir Maurice Rault, minoritaire sur ce point
à la Cour locale, remet en question la survivance des jurisprudences
précitées en droit mauricien de la fin du vingtième
siècle1232. Le juge utilise la technique des distinctions
pour écarter les précédents invoqués et fonder sa
décision sur
1228 Aucune Loi ordinaire ne protégeait non plus
effectivement les citoyens contre la privation de leurs biens.
1229 «The guarantee in section 3 has consequently no
separate existence», CSM: 3 mai 1976, Jaulim c/ Director of Public
Prosecutions, MR, pp. 96 à 109, le juge Garrioch rédacteur de
l'arrêt, v. p. 99.
1230 CSM: 14 novembre 1980, Reufac c/ Minister of Agriculture and
Natural Resources, MR, 1980, pp. 264 à 278, le juge Glover
rédacteur de l'arrêt.
1231 CJCP: 19 avril 1966, Honourable Dr Paul Borg Oliver c/
Honourable Dr Anton Buttigieg, cité note 1145.
1232 CSM: 7 décembre 1981, Société United
Docks c/ Government of Mauritius, LRC, 1985, vol. constitutional, pp. 805
à 828, v. opinion individuelle du Chef-Juge Rault.
d?autres autorités. Sa motivation se divise en deux
branches. D?abord, il insiste sur l?inclusion de l?article 3 dans le bloc de
constitutionnalité en citant une décision plus récente du
Conseil Privé1233 et une décision du Conseil
Constitutionnel français1234 dans lesquelles ces deux
juridictions opèrent une extension du champ des normes
constitutionnelles en y incluant le préambule. Ensuite, il applique une
décision des juges londoniens consacrant le droit pour un individu de ne
pas être privé de ses biens, par opposition à la
dépossession1235.
Le Comité Judiciaire approuve la solution retenue par
le juge Rault1236 et dans un motif dont il est difficile de rendre
compte sans le paraphraser, les Lords affirment que l?article 3 n?est pas
simplement un préambule mais dispose d?une pleine autonomie. Ils
renversent la hiérarchie des normes au sein même de la
Constitution. Désormais, l?article 3 a pleine valeur juridique et toutes
les dispositions subséquentes du catalogue des droits doivent
s?interpréter à la lumière de ses
énonciations1237. L?article 3 prévaut sur l?article 8
qui prévoit les cas de cession forcée. Leurs Seigneuries
déclarent d?une manière assez provocante que si le droit contre
la privation de la propriété n?est pas effectif, la puissance
publique pourrait détruire toute propriété privée
sans compensation. Et, comme pour bien affermir leur jurisprudence, ils
rappellent l?existence en Common Law d?un principe de responsabilité de
la puissance publique à raison des dommages causés par elle aux
biens des personnes privées même en temps de
guerre1238. Le même principe de responsabilité joue
également en matière de privation des biens1239.
b. La signification de la privation des biens
Une fois déterminées l?existence et la valeur de la
norme contenue dans l?article 3 de la Constitution, il est nécessaire de
s?attarder sur la portée du
1233 CJCP: 27 novembre 1979, Terence Thornhill c/
Attorney-General, cité note 845. 1234 CCF: 16 juillet 1971,
Liberté d?Association, cité note 881.
1235 «Their Lordships agree that a person may be deprived
of his property by a mere negative or restrictive provision but it does not
follow that such a provision which leads to deprivation also leads to
compulsory acquisition», CJCP: 11 janvier 1977, Government of Malaysia c/
Selangor Pilot Association, AC, 1978, pp. 337 à 359, affaire de la
Malaisie, Vicomte Dilhorne rédacteur de l'arrêt majoritaire, v. p.
347-48.
1236 CJCP: 25 octobre 1984, Société United Docks c/
Governement of Mauritius, cité note 847.
1237 «Their Lordships have no doubt that all provisions
of Chapter II, including section 8, must be construed in the light of the
provisions of section 3. The wording of section 3 is only consistent with an
enacting section; it is not a mere preamble or introduction», ibid., p.
841.
1238 CL: 21 avril 1964, Burmah Oil Company Ltd c/ Lord Advocate,
AC, 1965, pp. 75 à 171, Lords Reid et Upjohn rédacteurs des
arrêts principaux.
1239 CSC: 3 octobre 1978, Manitoba Fisheries c/ The Queen, DLR,
1979, vol. 88, pp. 462 à 474, le juge Ritchie rédacteur de
l'arrêt.
terme de privation des biens. Qu?est-ce qui constitue, selon
l?interprétation du Comité Judiciaire, une privation des biens
?
Les Sages de la Downing Street découvrent une
véritable richesse juridique enfouie sous le terme privation dans
l?affaire La Compagnie Sucrière de Bel Ombre
Limitée1240. Ils analysent de façon concrète
les mesures administratives susceptibles de porter atteinte au droit de
propriété à la manière de la Cour Européenne
des Droits de l?Homme dans l?arrêt intitulé Sporrong et
Lönnroth1241 auquel ils se réfèrent
abondamment1242. Selon eux, pour classer une mesure administrative
ou législative parmi celle de privation des biens, ce qui compte n?est
pas son intitulée mais l?effet réel qui en découle pour le
particulier. Il faut rechercher si la décision de la puissance publique
ne porte pas une atteinte disproportionnée aux attributs de la
propriété1243. Le juge londonien rabaisse le seuil
toléré d?ingérence aux attributs de la
propriété en s?appuyant sur un précédent de la Cour
Suprême des Etats-Unis d?Amérique1244. Pour la Cour
Suprême de Maurice, il ne fallait pas que la mesure de l?autorité
politique ou administrative dévidât la propriété
complètement de ses éléments. La propriété
ne devait pas, selon la formule utilisée, être réduite
à une coquille vide. Ce seuil est considéré trop
élevé par les Sages de la Downing Street. Désormais, la
mesure législative ou administrative ne peut toucher à la
substance de la propriété, c'est-à-dire, en restreindre
substantiellement son exercice sans constituer une privation1245. Le
juge londonien consacre le droit de l?individu à «la jouissance
paisible de ses biens» (peaceful enjoyment of his property),
notion employée dans la version anglaise de l?article premier du Premier
Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de
l?Homme1246. Ce principe comporte une limite: toute
législation ou réglementation portant sur l?usage d?une
propriété n?équivaut pas à une violation du droit
à une jouissance paisible. De nos jours, le droit de
propriété est soumis à des impératifs
économiques, sociaux et esthétiques. Ainsi, une Loi
1240 CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière
de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note
860.
1241 CEDH: 23 septembre 1982, Sporrong et Lönnroth c/ La
Suède, PCEDH, 1982, série A, vol. 52, 50 p.
1242 Dans l?arrêt La Compagnie Sucrière de Bel
Ombre Ltée précité Lord Woolf identifie les articles 3 et
8 de la Constitution de Maurice aux dispositions de l?article du Premier
Protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de
l?Homme.
1243 Les trois attributs de la propriété sont
(i) le droit d?user de la chose (jus utendi), (ii) le droit de
percevoir les fruits de la chose (jus fruendi) et (iii) le droit de
disposer de la chose (jus abutendi).
1244 CSEUA: 11 décembre 1922, Pennsylvania Coal Company
c/ H. J. Mahon, US, 1922, pp. 393 à 422, le juge Holmes rédacteur
de l'arrêt, v. p. 415-6.
1245 «It is right as Lord Lester also argues that to
refer to a valueless shell? is to overstate the situation which
needs to exist before there is a constructive deprivation», in CJCP: 13
décembre 1995, Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The
Government of Mauritius, cité, 860.
1246 La notion de la jouissance paisible des biens a
été, à notre avis, maladroitement traduite dans la version
française du texte de la Convention en «respect de biens».
qui fait obligation au propriétaire de renouveler un
bail de métayage sur demande de l?exploitant1247 ne porte pas
une atteinte démesurée au droit du
propriétaire1248. L?intervention du pouvoir public dans les
rapports contractuels est fréquente dans beaucoup de pays. En France par
exemple, il est traditionnellement reconnu au locataire d?un immeuble dans
lequel il exploite un fond de commerce, un droit particulier de se maintenir
dans les lieux. Aussi, le fermier a droit de continuer son exploitation
agricole même après expiration de son bail. Il apparaît que
les juges londoniens admettent que la puissance publique puisse
réglementer le jus abutendi du propriétaire sans porter atteinte
à son droit de jouissance. La Loi mauricienne n?a pour effet que
d?imposer un contrat, ce qui bien évidemment, est dérogatoire au
principe de l?autonomie de la volonté des
contractants1249.
B. La protection contre la dépossession des
biens
La Constitution de Maurice protège dans un article
séparé des dispositions de l?article 3, l?individu contre la
cession forcée des biens à la puissance publique.
Il s?agit d?analyser le dispositif constitutionnel (a) et voir
comment, malgré les dispositions peu libérales, le Comité
Judiciaire a imposé un contrôle puissant des mesures de
dépossession des biens (b).
a. Le dispositif constitutionnel
L?article 8 de la Constitution de Maurice a été
révisé partiellement en 1983 sous l?impulsion du second
gouvernement de Monsieur Aneerood Jugnauth afin de dynamiser le
développement économique du pays1250. Les remparts
juridiques contre la dépossession ont été affaiblis. Le
texte de 1983 a introduit une philosophie socialisante dans
l?énoncé de l?article 8, absente dans le texte initial et le Code
Civil de 1804 d?inspiration libérale. Quatre grandes modifications ont
été apportées. Il est désormais autorisé
d?exproprier ou
1247 Article 5-A nouveau (Loi de 1993) de la Loi mauricienne de
1988 sur la Production de l?Industrie Sucrière (Sugar Industry
Efficiency Act).
1248 «The ownership of land has a multiplicity of
incidents and every regulation of those incidents in the public interest does
not attract a prima facie right to compensation. This is especially true where,
as here, the regulation is part of the general control of an industry which is
already subj ect to substantial regulation in the interest of all those
involved in the industry, including the appellants», CJCP: 13
décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/
The Government of Mauritius, cité note 860.
1249 BENABENT Alain: «Droit civil, les obligations»,
Domat droit privé, Monchrestien, 1995, 5e édition, 492, v. p.
35-6.
1250 V. discours de Monsieur Aneerood Jugnauth, Premier Ministre,
au Parlement, LAD, 1983, n° 6, pp. 753 à 756.
nationaliser pour «le développement social ou
économique du peuple de Maurice»1251. Le constituant a
supprimé l?obligation du paiement rapide de l?indemnité et a
prévu, à la place, un système de dédommagement
étalé sur une période de dix ans1252. Le mode
de calcul de l?indemnité compensatoire a été
modifié. L?indemnité a perdu son caractère adéquat.
Elle est évaluée en terme d?équité, ce qui veut
dire qu?elle pourrait éventuellement être inférieure
à la valeur vénale du bien en question1253. Le terme
équitable traduit l?idée d?un partage du coût entre
l?exproprié et la puissance publique. Le dédommagement n?est plus
intégral. Enfin, la Loi constitutionnelle de 1983 a soustrait au
contrôle du juge toute Loi de nationalisation approuvée par au
moins trois quarts des députés1254.
La révision de 1983 est inspirée de
l?expérience indienne1255, et peut être aussi
italienne1256, tendant à permettre un plus grand
contrôle de l?Etat sur les secteurs clés de l?économie.
Elle constitue un cas d?affermissement du droit au développement sur un
droit de l?homme1257. Le droit de propriété, du fait
de ses implications économiques, n?est plus une véritable
liberté publique.
b. Le contrôle juridictionnel des mesures de cession
forcée des biens
Les finalités autorisées de la
dépossession sont larges et peuvent englober tous les besoins publics,
de l?objectif de protéger la moralité publique à celui de
promouvoir l?intérêt public en passant par le besoin d?assurer le
développement social et économique du peuple1258. Une
condition est toutefois posée par la Constitution. La cession
forcée doit être raisonnablement justifiée au regard des
difficultés (hardships) causées par
l?opération1259. Le juge londonien entend cette condition de
façon sévère puisqu?il enjoint à la Cour locale,
juridiction souveraine des faits, de censurer les décisions de
l?autorité publique non équilibrées1260 entre
les intérêts de la nation et ceux de
l?exproprié1261. Les
1251 Article 8-1-a CM.
1252 Article 8-4-c-i CM.
1253 Article 8-1-c-i CM.
1254 Article 8-4-A-a CM.
1255 HIDAYATULLAH M.: «Constitutional law of India»,
Liverpool, Lucas Publications, 1986, 2 vol., v. vol. 2, pp. 355 à 382
«Right to property and article 300 A».
1256 ZAGREBELSKY Gustavo: «Le droit de
propriété dans les jurisprudences constitutionnelles,
Italie», AIJC, 1985, pp. 219 à 227.
1257 COLOM Jacques, cité note 245, v. p. 43.
1258 Article 8-1-a CM.
1259 Article 8-1-b CM.
1260 Le juge londonien emprunte à la Cour
Européenne des Droits de l?Homme le critère du juste
équilibre entre les exigences de l?intérêt
général et les impératifs de sauvegarde des droits
fondamentaux des individus. V. CEDH: 23 septembre 1982, Sporrong et
Lönnroth c/ La Suède, cité note 1241, v. p. 26, paragraphe
69.
1261 «... the executive director of the Sugar Authority
gave ample evidence as to the background of the statutory sugar regime to
enable the balancing exercise to be performed between the
inconvénients que l?opération représente
ne doivent pas être excessifs par rapport aux avantages qu?elle offre.
L?autorité expropriante, s?il s?agit d?une expropriation, doit
démontrer à la Cour en quoi les atteintes à la
propriété privée, le coût financier de
l?opération sont proportionnés ou mieux inférieurs
à l?intérêt qu?elle représente1262.
La jurisprudence du bilan du Comité Judiciaire appelle
toutefois une remarque pertinente. Elle n?aboutit qu?exceptionnellement
à une annulation du projet par le juge du fond. Alors que les
requérants soutiennent très souvent que le bilan de
l?opération, au sens de la jurisprudence des Sages de la Downing Street,
est négatif, ils n?arrivent à emporter la conviction des juges du
fond locaux. Le contrôle du bilan ressemble au contrôle de l?erreur
manifeste d?appréciation. Le juge ne peut annuler une décision de
l?autorité publique que lorsqu?il a le sentiment que les
inconvénients de l?opération l?emportent très largement
sur ses avantages. Il faudrait qu?il soit confronté à un projet
manifestement déraisonnable de l?Etat. Mais il demeure que l?article 3
de la Constitution, par la généralité de ses dispositions
et son autonomie telle qu?elle a été consacrée par la
Haute Instance londonienne, a acquis une vitalité primordiale dans la
défense du droit de propriété.
Ainsi, une fois déterminés l?agencement entre
les deux normes constitutionnelles et le caractère constitutionnel de la
protection du droit de propriété, le Comité Judiciaire a
eu le souci d?élargir la perspective de la notion de
propriété.
Paragraphe 2. Le contenu du droit de
propriété
Il était nécessaire que le terme du droit de
propriété fût défini au plus haut niveau de
judiciaire mauricien. Aujourd?hui, les formes de propriété
s?étendent à des domaines nouveaux1263. Le
Comité Judiciaire prend acte de ce développement. Les Lords
confirment que les normes constitutionnelles relatives au droit de
propriété doivent être interprétées
libéralement et de manière large1264 et en prenant en
considération le caractère mixte du droit
mauricien1265.
interests of the community at large and the planters», CJCP:
13 décembre 1995, La Compagnie Surcrière de Bel Ombre Ltée
c/ The Government of Mauritius, cité note 860.
1262 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/
Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889,
v. p. 475.
1263 CHABAS François: «Leçons de droit
civil (tome II, deuxième volume), Biens, droit de
propriété et ses démembrements», Paris, Monchrestien,
1994, 471 p., v. sur l?évolution du droit de propriété,
pp. 10 à 20.
1264 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe,
cité note 743, v. p. 183.
Ainsi, le Comité Judiciaire donne à la
propriété un champ d?application large (A) tout en demeurant
pragmatique dans sa définition (B).
A. Une jurisprudence extensive
Les Codes Civils français et mauriciens ne donnent pas
une définition claire et nette ou une liste de biens pouvant faire
l?objet d?un droit de propriété. La Constitution non plus ne
détermine pas la portée du terme mais déclare
protéger toutes les formes de propriété (property of
any description)1266. Le Comité Judiciaire n?est donc
pas lié par aucun texte et peut donner à la
propriété le sens et l?étendue qu?il souhaite.
Les cours de justice du Commonwealth ont dégagé
des critères d?appréciation du caractère de
propriété à la fois des biens corporels et incorporels
(tangible and intangible properties)1267. Est notamment une
propriété si le titulaire a le droit d?interdire à toute
autre personne la jouissance du bien en question (the right to exclude
others from the enjoyment of a given thing) ou si la chose peut se
transmettre (right to transfer a thing) ou si le titulaire
bénéficie de la chose d?un droit de jouissance (right to
enjoyment)1268. Le Comité Judiciaire semble
privilégier le dernier critère tout en élaborant sa propre
conception de la propriété.
Il découle de l?analyse de la jurisprudence londonienne
deux conséquences: les droits patrimoniaux, toutes les composantes
confondues, sont une propriété au sens de la Constitution (a)
ainsi que le salaire (b).
a. Les droits patrimoniaux
Le caractère de biens de propriété des
meubles et immeubles classiques évoqués dans le Code Civil, n?a
pas été contesté au Comité
Judiciaire1269. A côté des biens classiques, le juge
londonien a reconnu l?existence de formes nouvelles de
propriété.
1265 «When construing the language of sections 3 and 8 of
the Constitution... it is also appropriate to give weight to the legal
traditions which exist in Mauritius», CJCP: 13 décembre 1995, La
Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of
Mauritius, cité note 860.
1266 Article 8-1 CM.
1267 CL: 14 décembre 1959, Belfast Corporation c/ O. D.
Cars, AC, 1960, pp. 490 à 527, Vicomte Simmonds rédacteur de
l'arrêt principal. «... anyone using the English language in its
ordinary signification would... agree that property? is a word of
very wide import, including intangible and tangible property», ibid., p.
517.
1268 ALLEN Thomas: «Commonwealth Constitutions and the
right not to be deprived of property», ICLQ, 1993, pp. 523 à
552.
1269 V. par exemple à propos d?un bien foncier CJCP: 15
décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and
Town and Country Planning, cité note 889.
Les droits fondés sur une valeur pécuniaire ont
obtenu la protection constitutionnelle. Le Comité Judiciaire a
étendu le champ d?application de la propriété aux droits
de créance (chose in action)1270,
c'est-à-dire, aux intérêts découlant des rapports
à contenu économique. Une Loi ne peut valablement permettre les
autorités de police d?ordonner le blocage de tout compte bancaire d?un
suspect de faits de corruption. L?épargnant-client dispose d?un droit
contractuel absolu de retirer sur sa demande tout montant d?un
dépôt de fond lui appartenant de l?établissement
bancaire1271 concerné.
Par ailleurs, il est un secteur dans lequel l?extension de la
sphère d?application de la protection constitutionnelle par le juge
londonien au-delà du droit de propriété au sens
matériel du terme est à noter: le fonds de commerce ou la valeur
de la raison sociale (goodwill)1272. Le fonds de commerce
s?analyse comme composé d?un ensemble d?éléments corporels
(le matériel, l?outillage, les marchandises) et incorporels (le droit au
bail, le nom, l?enseigne, les brevets, les marques, l?achalandage) qui
appartient à un commerçant et qui en détient un droit
d?usage exclusif.
b. La rémunération, le salaire
Les solutions retenues concernant l?application des
dispositions constitutionnelles dans le domaine de la
rémunération des salariés ou le traitement des
fonctionnaires sont moins claires et nettes. Il semble que la jurisprudence
londonienne pivote sur le caractère contractuel de la
rémunération1273 et, par conséquent, celui d?un
droit de créance.
La jurisprudence Marine Workers Union1274 est
illustrative de cette approche. Dans cette affaire, le gouvernement, en
désaccord avec une sentence arbitrale tranchant en faveur d?une
augmentation du salaire des ouvriers, avait
1270 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe,
cité note 743. Le juge précise que «property... includes
chose in action such as a dept owed by a banker to his customer», ibid.,
p. 183.
1271 «To confer upon a member of the public service... a
power at his own executive discretion to prevent the bank?s customer from
exercising his contractual right against the bank to draw on his account on
demand would, in their Lordships? view, amount to a compulsory acquisition of a
right over or interest in the customer?s property», ibid., p. 183.
1272 «If the Act had deprived the appellants of any
goodwill, then the appellants would have been entitled to compensation equal to
the value lost», CJCP: 24 octobre 1984, Société United Docks
c/ Government of Mauritius, cité note 847, v. p. 845.
1273 BOWERS John et HONEYBALL Simon: «Textbook on labour
law», Londres, Blackstone Press Limited, 1993, 3e édition, 417 p.,
v. p. 28 à 54 «The contract of employment».
1274 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, cité note 905.
en 1981 fait réformer le Code de Procédure
Civile1275, afin d?anéantir la décision condamnant
l?autorité publique. L?analyse auquel se livre le Comité
Judiciaire est encore une fois très pragmatique. Avant l?entrée
en vigueur de la réforme du Code de Procédure Civile, les
employés disposaient du droit de saisir le juge ordinaire aux fins de
faire exécuter la sentence et de recouvrer l?augmentation salariale. La
Loi de 1981 a, par ricochet, privé les ouvriers de ce droit de
créance, d?une action en paiement1276. Cette privation
équivaut à une violation du droit de propriété. Les
Sages ont retenu une solution voisine s?agissant de la retenue
irrégulière opérée par l?Administration sur le
traitement d?un fonctionnaire1277.
En revanche, le Comité Judiciaire a refusé
d?incorporer dans le droit constitutionnel de propriété le
traitement du fonctionnaire. Selon les Sages, la rémunération du
fonctionnaire est déterminé par les Lois et règlements et
ne donne lieu à aucun échange de consentement entre ce dernier et
l?autorité publique. La rémunération peut être
modifiée à tout instant par la collectivité publique sans
que le fonctionnaire déjà recruté puisse faire valoir de
prétendus droits acquis1278. Les fonctionnaires n?ont droit
à une rémunération minimale en l?absence de toute
disposition expresse de la Constitution1279. Tout laisse à
penser, par contre, que les Sages analyseraient différemment la
situation juridique des fonctionnaires à l?égard de leur
traitement après service fait, après qu?ils eurent
exécuté leurs obligations. A ce moment, les fonctionnaires
deviendraient créanciers de leur traitement échu.
1275 L?article 1026 nouveau permet au ministère de la
justice de former une opposition contre les sentences arbitrales.
1276 «The Amendment Act has thus deprived and was
intended to deprive each worker of a chose in action, namely the right to sue
for and recover damages for breach by the MMA of its contract of
employment», CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius
Marine Authority, cité note 905, v. p. 849.
1277 CJCP: 15 décembre 1987, Norton c/ Public Service
Commission, cité note 1129.
1278 CJCP: 3 mai 1994, Gladwyn Ophelia King c/ Attorney-General,
WLR, 1994, vol. 1, pp. 1560 à 1563, affaire de la Barbade, Lord
Templeman rédacteur de l'arrêt.
1279 «The appellant had no right to a minimum salary. If she
had no right to a minimum salary, she had no property protected by... the
Constitution», ibid., p. 1563.
B. Une jurisprudence pragmatique
La jurisprudence londonienne est très prudente sur
certaines questions de pur droit commercial. Le Tribunal de la Downing Street
s?oppose à ce que toute réglementation des activités
économiques ou commerciales ne soit considérée comme une
atteinte au droit de propriété afin de ne pas restreindre la
liberté politique du gouvernement et du législateur.
En ce sens, le Comité Judiciaire a
déclaré1280 qu?une Loi mauricienne relative à
la démocratisation du mode de désignation des membres du conseil
d?administration d?une société privée ne viole pas le
droit de propriété d?un groupe d?actionnaires qui, sous l?empire
de l?ancienne législation, détenait un pouvoir quasi exclusif de
nomination au conseil d?administration. L?action est un bien1281
contrairement au droit de vote attaché à l?action. Le droit d?un
actionnaire de participer à la désignation des dirigeants de la
société n?est pas un attribut essentiel de l?action mais
simplement une incidence du droit d?associé. L?actionnaire privé
de son droit de vote selon le régime antérieur n?est pas
exproprié de ses droits1282. Cette solution est voisine de
celle retenue par le Conseil Constitutionnel français dans sa
décision du 19 et 20 juillet 19831283.
Le retrait d?une licence d?exploitation d?une entreprise par
l?Administration est à rapprocher de la jurisprudence
précédente1284 de même qu?une nouvelle
réglementation des conditions d?exercice d?une profession qui exclue
certaines personnes ne remplissant désormais plus les nouvelles
conditions.
Une évolution de ces approches, en quête de
solutions plus libérales, serait peut-être souhaitable. Mais,
aussi est-il nécessaire de permettre au gouvernement de
réglementer des secteurs de la vie économique dans
l?intérêt public et celui des consammateurs.
1280 CJCP: 23 juillet 1992, Government of Mauritius c/ Union
Flacq Sugar Estates Company Ltd, cité note 743.
1281 «Each ordinary shareholder remains entitled to his
property namely his share and the dividends and capital to which he was
entitled by virtue of his shareholding», ibid., p. 911.
1282 «The property owed by a shareholder is his share.
The right of a shareholder to his share in general meetings of the company is
not an interest in or right over the property of the company and is not
property in its own right», ibid., p. 909-10.
1283 CCF: 19 et 20 juillet 1983, Démocratisation du
secteur public, décision n° 83-162 DC, in DUBOURG-LAVROFF Sonia et
PANTELIS Antoine: «Les décisions essentielles du Conseil
Constitutionnel», Editions l?Harmathan, 1994, 699 p., v. p. 195 à
212.
1284 CJCP: 11 janvier 1977, Government of Malaysia c/ Selangor
Pilot Association, cité note 1235, v. p. 345-6.
La protection assurée par le Comité Judiciaire
en matière de propriété est dans l?ensemble fort louable.
Sa jurisprudence peut valablement être comparée avec celle des
cours constitutionnelles d?Europe et est proche de celle de la Cour
Européenne des Droits de l?Homme.
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE II
Le droit est l?art du bon et du juste (ars boni et
aequi). La justice londonienne participe fortement à la
réalisation de cet idéal. Grâce à elle, le droit
mauricien n?est pas rigide, n?est pas conçu comme un univers clos de
règles techniques qui approche la réalité sans se soucier
de leur conformité avec la vie, le bien-être. Le juge
suprême a montré qu?il n?est pas soumis à la Loi et ne tire
pas son droit de trancher des litiges que d?elle. Le juge londonien s?est
hissé au- dessus de la Loi pour devenir directement diseur de droit.
La protection constitutionnelle des droits et des
libertés opérée par les conseillers privés est
vivante. Les juges, plutôt que de raisonner de manière abstraite
ou théorique sur les atteintes aux droits fondamentaux, exercent leur
contrôle en se plaçant au plus près des situations et de la
réalité. Le Comité Judiciaire, bien qu?il soit
éloigné, apprécie de manière concrète les
conséquences de la Loi et des décisions administratives tout en
respectant la souveraineté des juges du fond sur des points de fait. La
jurisprudence londonienne est également novatrice. Le juge crée
de nouveaux droits. Ni le législateur, ni le constituant ne
détient le monopole d?expression juridique de la volonté
générale.
Enfin, les règles juridiques créées par
le législateur ont perdu leur autonomie. Les règles ne peuvent
produire leur effet, si elles ne sont contraires à la Constitution et
à un principe général de droit, que par rapport au
système de valeurs, autrefois extérieur au droit. Ce
système englobe des valeurs telles que la Morale, l?Ethique, l?Humanisme
et l?Equité, en somme une vision moderne de la Justice et de la
Raison1285. Ces valeurs, ces repères vitaux font aujourd?hui
partie intégrante de la justice londonienne. Ils complètent les
règles juridiques abstraites.
1285 La conception du droit par le Comité Judiciaire
est proche de celle prônée par Monsieur le Professeur Ronald
Dworkin. Celui-ci soutient notamment que tous les hommes ont des droits en
dehors de la sphère strictement juridique contre l?Etat. V. DWORKIN
Ronald: «Prendre les droits au sérieux», (1977), Paris, PUF,
Léviathan, 1995, 517 p.
CONCLUSION GÉNÉRALE
L?étude qui vient d?être faite comporte quatre
démonstrations majeures. Dans le chapitre premier nous avons
établi la légitimité historique et juridique du
Comité Judiciaire et dans le deuxième la compétence
technique des juges et les qualités de l?institution londonienne. Au
cours du chapitre premier du titre deux, l?étendue du pouvoir du
Comité Judiciaire du contrôle des actes des autorités
politiques et administratives mauriciennes a été mise en
lumière et enfin, dans le dernier chapitre, l?utilisation de ce pouvoir
de contrôle, c'est-à- dire, l?oeuvre de protection des droits et
des libertés fondamentaux opérée par la Haute Instance.
Ces quatre démonstrations peuvent se réduire en une seule
observation. Juridiction suprême de la République de Maurice, le
Comité Judiciaire du Conseil Privé de Sa Majesté la Reine
Elisabeth II d?Angleterre doit le demeurer. La Cour locale n?a pas, à
regret, atteint un niveau d?indépendance, de compétence et
d?impartialité suffisant pour pouvoir raisonnablement être
élevée au plus haut niveau de la hiérarchie des tribunaux
de Maurice. Nous avons suffisamment souligné les faiblesses de la
justice locale pour qu?on y insiste davantage.
Il reste qu?on ne saurait mésestimer la tentation des
nationalistes convaincus de mettre fin au droit de se pourvoir à
Londres. Un mouvement de mauricianisation du droit mauricien, inspiré
par certains hauts magistrats, et qui avait aussi gagné le milieu
politique, avait pris naissance dans les années quatre-vingts. En ce
sens, une tentative d?abolition de la juridiction du Conseil Privé
à l?égard de Maurice avait eu lieu en 1983 mais avait, à
juste titre, été tenue en échec. En revanche, les tenants
de l?autonomisation du droit mauricien avaient obtenu du législateur
mauricien une réforme1286 des conditions d?accès aux
professions d?auxiliaire de justice1287. Avant la réforme,
toute personne inscrite au barreau de l?Angleterre et du Pays de Galles pouvait
de droit exercer la profession d?avocat à Maurice. De 1993, date de
l?entrée en vigueur de la réforme, jusqu?à août
1996, les diplômés en droit devaient impérativement
poursuivre une formation professionnelle dispensée par l?Ecole du
barreau (Council of Legal Education) ainsi créée et
effectuer un stage auprès d?un avocat mauricien. A également
été mise sur pied une Ecole de droit à l?Université
de M au rice1288.
1286 LALLAH Rajsoomer: «Report of the Committee on the
review of legal studies in Mauritius», JUM, juillet-décembre 1983,
pp. 162 à 235.
1287 Loi du 12 décembre 1984 sur les auxiliaires de
justice (The law practitioners Act 1984).
1288 PILLAY A. G.: «Overall control of the legal profession
in Mauritius», Com.L, décembre 1986, pp. 26 à 32. V.
également DAUDET Yves: «L?enseignement du droit dans un pays de
droit mixte:
Cette politique de mauricianisation ne s?était pas
arrêtée à la seule formation des juristes mais avait
atteint d?autres secteurs du droit. Le gouvernement avait manifesté sa
volonté de reconnaître un droit de la famille
religieux1289, notamment musulman, dérogatoire au Code
Civil1290. Aussi, n?étaitil pas surprenant que la
jurisprudence de la Cour Suprême se montrât peu encline à
appliquer avec rigueur les précédents du Conseil Privé. Le
juge local préférait définir une politique
jurisprudentielle propre, estimée, à tort sans doute, plus
conforme aux nécessités d?un pays en développement.
Que cette volonté de mauricianisation aveugle du droit
local ait été un échec n?est guère douteux. Il
suffit pour s?en convaincre de constater son abandon. Le droit religieux de la
famille n?a jamais pu valablement être édicté. Les nouveaux
juges de la Cour Suprême ont renoncé à la jurisprudence
développementaliste du fait de l?industrialisation rapide de l?île
Maurice. La Loi de 1984 sur la formation des auxiliaires de justice,
après avoir été sérieusement
contestée1291, a été réformée par
le législateur1292. De nombreux juristes et politiques se
rendent compte que la mauricianisation ait été une fausse
lutte.
L?analyse de cet échec pourrait nous permettre de mieux
apprécier la place du Comité Judiciaire dans le système
judiciaire mauricien. Le droit mauricien est dans sa nature fortement sinon
totalement européanisé à la différence des droits
des pays d?Afrique et de l?Inde où le droit traditionnel subsiste. La
Loi Fondamentale1293 mauricienne a créé un
régime parlementaire, qualifié à bon droit par le juge
londonien de modèle Westminster, et consacre une protection des droits
substantiellement liée à la civilisation occidentale, aux
sociétés capitalistes et d?ailleurs pratiquement similaire
à celle du texte de la Convention Européenne des Droits de
l?Homme. De même, les normes inférieures, les Codes
napoléoniens, notamment le Code Civil, et la Common Law traduisent ce
même modèle libéral et individualiste d?organisation de la
vie et de la société. Nul ne contestera que le Code Civil de 1804
assure le triomphe des
le cas de l?île Maurice», pp. 227 à 239 in
UNIVERSITE DE DROIT, D?ECONOMIE ET DES SCIENCES D?AIX MARSEILLE, cité
note 375.
1289 Loi du 21 décembre 1990 sur l?état-civil
(Civil status Act of 1990).
1290 CJCP: 20 juillet 1992, Mastan E-Allam Bhewa c/ The
Government of Mauritius, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel
rédacteur de l'arrêt.
1291 V. déclaration de Monsieur le bâtonnier Anil
Gayan in LEBRASSE Josie: «Rencontre avec le nouveau Président du
Bar Council», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15, v. p. 15. et v.
également DOOKHY Riyad: «French Bar must be recognised in
Mauritius», Le Mauricien, 26 août 1996, p. 6.
1292 Loi du 15 août 1996 sur la réforme des
auxiliaires de justice (The Law Practioners Amendment Act 1996). V.
également MARIMOOTOO Henri: «Le Premier ministre confirme
l?imminence de la commission présidentielle», WE, 1er
décembre 1996, p. 19.
1293 «Le droit constitutionnel, droit protecteur de
l?individu confronté au pouvoir est une invention de l?Occident»,
GICQUEL Jean, cité note 194, v. p. 21.
valeurs bourgeoises et est l?expression civiliste de la
Déclaration des Droits de l?Homme et du Citoyen de 17891294.
Force est de reconnaître aujourd?hui que le modèle occidental de
droit a remarquablement bien fonctionné à Maurice. Nous avons
minutieusement mis en valeur le crédit du juge londonien dans cette
réussite et il est peu utile d?y revenir pour se persuader.
L?occidentalisation du droit mauricien doit, à notre
avis, être maintenue et même poursuivie avec plus de vigueur.
L?hésitation n?est plus permise. L?île Maurice est un pays
géographiquement trop petit pour pouvoir se doter d?un modèle de
droit propre ou départir du modèle occidental d?autant que la
réflexion juridique de qualité y est quasi inexistante. En
l?absence de théoriciens du droit, le processus de mauricianisation ne
peut avoir lieu. Tout système juridique est au moins composé de
trois éléments: un corps de règles, une autorité
juridictionnelle et la doctrine. Le dernier élément est manquant
à Maurice. L?Ecole de droit de l?Université de Maurice ne
dispense aucun cours au- delà du niveau de licence (Bachelor's
degree) en droit. La bibliothèque de l?Université est mal
fournie et peu d?enseignants ont eux-mêmes acquis une formation
adéquate et suffisamment élevée1295. On ne peut
imaginer un système juridique sans doctrine. On se permettra de rappeler
que la doctrine est nécessaire à la clarification et à la
mise en ordre du droit. Sans elle le droit n?est qu?un amas de règles et
de décisions qui constituerait un désordre inextricable. Les
théoriciens, par leurs réflexions et constructions, servent
à guider la jurisprudence et le législateur et, par là
même, participent puissamment à la formation du droit. Par
opposition, la justice londonienne, elle, offre l?avantage d?être un
système complet. Les trois éléments y sont
présents. La jurisprudence du Comité Judiciaire est
analysée et commentée, fût- ce de manière
occasionnelle, ensemble avec celle de la Chambre des Lords par des
théoriciens britanniques du droit. Nous avons à ce titre
révélé certaines critiques de la doctrine à
l?égard des décisions du Tribunal de la Downing Street. Ces
critiques ont fortement influencé la jurisprudence londonienne.
Si sur un plan technique, le maintien de la juridiction de
Comité Judiciaire demeure nécessaire, peut-on, par contre
sérieusement s?interroger sur la légitimité
démocratique de l?institution et de sa jurisprudence ? Comment expliquer
que des juges extérieurs sinon étrangers, du moins du point de
vue
1294 CARBONNIER Jean: «Droit civil, introduction»,
PUF, Thémis, 1994, 22e édition, 318 p., v. p. 108.
1295 V. VENKATASAMY Coll: «Entretien avec le
Vice-Chancelier de l?Université de Maurice», WE, 24 septembre 1995,
p. 13. Le Vice-Chancelier de l?Université, Monsieur le Professeur
Goolamhussen Mohamedbai déclare que seulement 25% des enseignats, les
étrangers inclus, sont titulaires d?un diplôme de docteur.
géographique, désignés en toute
discrétion par le pouvoir de l?ancienne métropole, puissent
s?opposer à la volonté des représentants élus de la
nation mauricienne ? Comment peut-on consentir à ce que des juges
londoniens puissent encore, par leur nécessaire travail
d?interprétation, créer des normes fondamentales et participer
à la formation de la loi ? Ces questions sont aussi récurrentes
qu?aiguës. Un travail doctrinal de redéfinition et de
réévaluation du concept de démocratie de la
République de Maurice est dès lors nécessaire afin de
concilier la fonction de défenseur des droits fondamentaux du juge du
Whitehall et le principe démocratique de l?Etat
mauricien1296. Nous voudrions essayer, pour notre modeste part,
d?oeuvrer dans cette direction.
Aucune configuration politique n?est immuable. L?histoire de
l?île Maurice indépendante, puisqu?elle est récente et se
rallie aux grandes tendances de l?évolution de l?Occident, se
développe à un rythme rapide. La démocratie
représentative égalitaire, introduite à Maurice
après la deuxième grande guerre, a pris une forme nouvelle.
Jadis, elle était réduite à la simple organisation des
élections législatives au suffrage universel direct. La
démocratie ne devait être, pour reprendre la célèbre
définition d?Abraham Lincoln, que le gouvernement du peuple par le
peuple et pour le peuple1297. Dans cette configuration, le juge ne
devait être que la bouche de la Loi1298. La définition
d?Abraham Lincoln comporte une bonne part de croyance et d?artifice.
Jean-Jacques Rousseau avait, un siècle auparavant, écrit à
cet égard avec beaucoup de justesse que: «A prendre le terme dans
la rigueur de l?acception, il n?a jamais existé de véritable
démocratie, et il n?en existera jamais»1299. La
conception lincolnienne est insuffisante, voire dépassée.
En conséquence, une autre conception de la
démocratie prévaut dans les sociétés
contemporaines, dont l?île Maurice1300. La nouvelle
démocratie implique non pas simplement la tenue des élections
mais une organisation rationalisée de la contestation politique et
l?existence des droits et des libertés au profit de l?individu, des
groupes et surtout des minorités. Elle suppose un système
efficace de leur protection contre les décisions du pouvoir même
majoritaire. La démocratie n?est plus seulement la loi de la
majorité, mais aussi et surtout le
1296 Article 1 CM.
1297 Formulation prononcée lors du discours de Gettysburg,
le 19 novembre 1863.
1298 MONTESQUIEU Charles Louis de Secondat, cité note 324,
v. vol. 1, livre XI, chapitre VI «La Constitution d?Angleterre», p.
337.
1299 ROUSSEAU Jean-Jacques: «Du contrat social ou principes
du droit politique» (1762), Paris, Bibliothèque Bordas, 1972, 256
p., v Livre III, chapitre 4, p. 141.
1300 Sur le démocratie mauricienne v. BOWMAN Larry W.:
Mauritius: Democracy and development in the Indian Ocean»,
Londres, Dartmouth Publishing, 1991, 208 p. et DOOKHY Riyad, de Gray?s Inn:
«La démocratie mauricienne garantit quoi au juste ?», Le
Mauricien, 11 septembre 1996, p. 6.
respect des règles et valeurs fondamentales. L?histoire
a montré que la démocratie, dans son acception règne de la
majorité, pouvait donner lieu aux pires des barbaries. Le suffrage
universel sans garde-fou peut aboutir aux périls des libertés et
à la tyrannie des minorités.
Par ailleurs, il est foncièrement illusoire de penser
que les représentants de la nation mauricienne expriment la
volonté de la nation. La logique représentative est
dénaturée et pervertie. En effet, les députés
agissent plutôt selon les impératifs électoraux et selon la
volonté de leur parti1301 et même de leur
communauté religieuse.
Dans ces conditions, les pouvoirs de l?Etat, en particulier
celui des autorités politiques suprêmes, doivent être
encadrés. L?Etat doit être assujetti au droit. Selon cette
nouvelle conception de la démocratie, traduite par la notion d?Etat de
droit, la volonté démocratique est canalisée par le droit
pour le bien être du peuple. Déjà en 1920, Raymond
Carré de Malberg soutenait que l?Etat doit se soumettre à un
régime de droit1302. L?assignation du pouvoir à un
domaine restreint de compétence sert à protéger les droits
et les libertés afin d?atteindre un degré de Justice digne de la
civilisation moderne1303. Il y a lieu de placer une confiance sans
réserve dans le droit, dans les vertus de la dogmatique juridique et
élargir le champ de la juridicité1304. La Constitution
mauricienne de 1968 a fondé un système politique et
institutionnel conforme à l?idée de l?Etat de droit.
La démocratie moderne déborde la sphère
strictement politique et exige l?entrée en scène d?un juge
suprême fort et complètement indépendant des pouvoirs
politiques. Le juge suprême doit être à l?abri des
influences et des pressions. Sa place est plus que jamais imminente dans la
Cité. Le juge suprême est amené à exercer une
fonction de critique et de contrôle des actions de l?Etat. Il peut et
doit annuler la Loi irrégulière. Afin de maintenir ce nouvel
équilibre, la justice doit non seulement être forte, mais aussi et
essentiellement positive et constructive. La justice constitutionnelle,
contrairement à la justice ordinaire de droit privé et de droit
pénal, ne doit pas être passive, négative et punitive.
1301 BAECHLER Jean: «Précis de la
démocratie», Editions UNESCO, Calmann Lévy, 1994, 214 p., v.
p. 173 et s. sur «Les corruptions démocratiques».
1302 «La théorie moderne de l?Etat est
pénétrée de l?idée que la puissance de domination
étatique, étant une puissance de nature juridique est par
là-même une puissance soumise au droit, donc aussi et
nécessairement une puissance limitée», CARRE DE MALBERG
Raymond: «Contribution à la théorie générale
de l?Etat», Librairie de la Société du Recueil Sirey, 1920,
2 tomes, v. tome 1, p. 220, paragraphe 78 B.
1303 «Dans l?Etat de droit, le droit limite les pouvoirs
de l?Etat mais l?Etat garantit le respect du droit», CONAC Gérard:
«Etat de droit et démocratie», pp. 483 à 508 in CONAC
Gérard (dir), cité note 235, v. p. 494.
1304 CHEVALIER Jacques: «L?Etat de droit», Clefs,
Politique, Monchrestien, 1994, 158 p., v. p. 135.
Le juge suprême est investi de la mission d?éclairer
et guider les gouvernants dépouillés de la hauteur de vue
nécessaire.
Il ne faut pas se lasser de répéter que le
Comité Judiciaire, juge constitutionnel suprême, a parfaitement
répondu aux attentes de la démocratie moderne. Le juge londonien
a montré qu?il est un Sage et qu?il peut garder et promouvoir les
valeurs et les moeurs de la société mauricienne. Il a mis en
avant une Ethique qui s?impose aux pouvoirs publics. Alors que la Cour
Suprême locale accuse volontiers un certain retard sur les moeurs, le
Comité Judiciaire a manifesté sa volonté de porter les
espoirs du changement, de l?évolution et de la Justice. Le juge de la
Downing Street incarne la Raison, qui, depuis le rejet de la croyance en
l?autorité divine ou, pour reprendre une expression philosophique, la
mort de Dieu1305, peut seule emporter l?adhésion du
peuple.
Contester la légitimité du Comité
Judiciaire au nom d?un déficit démocratique et au nom de la
souveraineté nationale relève du pur contresens. Si la
démocratie signifie le contradictoire, la contestation organisée,
comment le démocrate peut-il récuser la justice londonienne ?
Sauf à changer de système, tout porte à
croire qu?à Maurice la justice constitutionnelle, telle qu?elle est
développée par le Comité Judiciaire du Conseil
Privé, sera davantage florissante à l?avenir. C?est du moins,
aussi, le voeu que, pour notre part, nous formons.
ANNEXE
1305 NIETZCHE Friedrich Wilhem: «Ainsi parlait
Zarathoustra», Banquis Gèneviève, 1992, 687 p.
Tableau 1: L'expansion britannique vers 1775
Source: CHALIAND G. et ROGEAU J. P.:
«Atlas des Empires», Payot, 1993, 96 p., v. p. 73.
Tableau 2: L'Empire britannique à son
apogée en 1920
Source: CHALIAND G. et ROGEAU J. P.:
«Atlas des Empires», Payot, 1993, 96 p., v. p. 87.
Tableau 3: Les principales dates de l'expansion
britannique
1577-1580 Françis Drake
réalise le tour du monde
1588- 1592 Gambie, Sierra Leone, Gold
Coast
Afrique Orientale, Trinité,
1595 Guyane, Amérique Centrale
1600-1683 Colonisation en Amérique
du Nord
Virginie (1606), Massachusetts (1620) Maryland (1637), New
York,
New Jersey (1667)
1639-1680 Premiers comptoirs en l?Inde:
Madras,
Bombay, Calcutta...
1655 Jamaïque
1703 Gibraltar
1713 Baie d?Hudson (annexion)
1755-1761 Conflit franco-anglais: prise
de Québec
(1759), prise de Pondichéry (1761).
Traité de Paris: la France cède à
l?Angleterre ses colonies d?Amérique
1768-1779 Explorations de James Cook
(Océans
Indien et pacifique)
1788 Botany Bay en Australie
1806-1815 Colonie du Cap
1810 Ile de France (Maurice)
1819 Singapour
1821-1874 Gold Coast (Afrique
Occidentale)
1825-1840 Australie
1840 Nouvelle-Zélande
1842 Hongkong
1852 La conquête de l?Inde est
achevée
1861-1902 Nigeria
1867 Canada: création du
dominion
1874 Malaisie, îles Fidji
(Pacifique)
1882 Egypte
1884-1902 Possessions d?Afrique Orientale
(Somalie,
Kenya, Rhodésie...)
1889-1902 Guerre des Boers: annexion du
Transvaal et de l?Orange
1919 Sous mandat de la
Société des Nations:
Palestine, Transjordanie, Irak, Tanganyika
|
Source: CHALIAND G. et ROGEAU J. P.:
«Atlas des Empires», Payot, 1993, 96 p., v. p. 72 et 86.
COMITÉ JUDICIAIRE DU CONSEIL
PRIVÉ
(juridiction de cassation)
FORMATIONS D'APPEL DE LA COUR SUPRÊME
(juridictions de deuxième instance)
COUR SUPRÊME
|
|
(juridiction de première instance)
|
Contrôle
|
Litiges supérieurs à
|
direct de
|
RPM 50,000
|
constitutionna
|
Etat des Personnes
|
lité
|
Action disciplinaire
|
Contrôle des
|
contre les auxiliaires de
|
élections
|
justice
|
|
Formation d?Assises
|
|
Matière des Faillites
|
|
Redressement
|
|
Judiciaires
|
|
Référé
|
|
Matière administrative
|
|
(Recours pour excès de pouvoir)
|
|
M iti
|
COUR
INTERMÉDIAIRE (juridiction de
première instance)
Matière Correctionnelle
COUR DE DISTRICT (juridiction de
première instance)
COUR INDUSTRIELLE (juridiction de
première
instance)
Conflits de travail
INSTANCES QUASI
JURIDICTIONNELLES
AUTORITÉS ADMINISTRATIVES
INDÉPENDANTES
(Instances quasi juridictionnelles)
Matière de police Contrôle des atteintes à la
liberté individuelle, de l?arrestation
Renvoi devant la formation d?assises Petites affaires
Tableau 4: Tableau de l'Organisation Judiciaire de
l'île Maurice
(c) Dookhy, 1997
Tableau 5: Nombre d'affaires mauriciennes
portées au Comité Judiciaire
1970:
|
3
|
1983:
|
5
|
1971:
|
0
|
1984:
|
2
|
1972:
|
1
|
1985:
|
3
|
1973:
|
0
|
1986:
|
5
|
1974:
|
0
|
1987:
|
8
|
1975:
|
2
|
1988:
|
5
|
1976:
|
0
|
1989:
|
8
|
1977:
|
0
|
1990:
|
8
|
1978:
|
2
|
1991:
|
3
|
1979:
|
1
|
1992:
|
4
|
1980:
|
2
|
1993:
|
1
|
1981:
|
3
|
1994:
|
3
|
1982:
|
2
|
|
|
Source: Rôle du Conseil
Privé, document interne et non publié.
Tableau 6: Tableau Comparatif de Composition des
Juridictions et Cours Constitutionnelles
Comité Judiciaire Conseil Cour Suprême
des
du Conseil Privé Constitutionnel Etats-Unis
Français
Nombre de moyenne de 15 9 9
membres
Chef de l?Etat, Présidents de
l?Assemblée Nationale et du Sénat
9 ans, Mandat non renouvelable
Président sur acceptation du Sénat
Mandat à vie
Autorités de Chef de l?Etat sur
désignation proposition du
Premier Ministre
Durée du mandat En fonction
active
jusqu?à 75 ans (demeure membre à vie)
Limite d'âge 75 ans non obligatoire
Aucune Aucune
Qualités Avocat de 15
années Aucune Aucune
professionnelles d?expérience ou
être
haut magistrat
(c) Dookhy, 1997
Tableau 7: La composition des formations de jugement
du Comité Judiciaire en contentieux public mauricien
numéro des arrêts en ordre
chronologique
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25
26 27 28 29 N° Vicomte Dilhorne x x 2
Lord Morris x 1
Lord Edmund Davies x 1
Lord Fraser x 1
Lord Keith x x x x + x + + + + + 11
Lord Russel x 1
Lord Hailsham + 1
Lord Scarman x x
Lord Roskill x x x x x x
Lord Brandon x + + x x x x x
Lord Templeman x + x x x x + x x + + x x
Lord Bridge - + + x + + x x x x
Lord Diplock x x
Lord Brightman x x
Lord Griffiths + x x x x
Lord Ackner x x + x x x x x
Lord Jauncey x x x x x x x + x x
Lord Oliver x x x x
Lord Goff x x + + x x x x x x x
L. Browne Wilkinson x x x +
Lord Lowry x x x x x x x
Lord Slynn x x + x x
Lord Lane x
Lord Woolf x + +
Lord Lloyd x x x
Lord Nicholls x x
Lord Steyn x
Gault J. x
Sir D. Buckley -
Sir J. Megaw x
Sir R. Megarry x
Sir D. McMillan x
Sir J. Stephenson x x x x
Sir M. Casey x x
Sir M.Hardie Boys + x x
13
10
10
11
2
4
4
2
6
8
7
5
2
2
1
5
8
4
1
1
3
3
3
2
1
1
1
1
x = membre de la formation de jugement 16. 11 novembre 1991,
Curpen
+ = rédacteur de la décision majoritaire ou unanime
17. 18 février 1992, Ali
- iéUlinMPi U'PnMIRSKERQUIWUMQM 18. 18 février
1992, Rassool
1. 22 mars 1977, Lincoln 19. 18 février 1992, Joseph
Francis
2. 7 mars 1979, Dustagheer 20. 6 avril 1992, Poongavanam
3. 15 novembre 1982, Badry 21. 23 juillet 1992, Government of
Mauritius
4. 7 novembre 1983, The Commissioner of Income Tax 22. 23
juillet 1992, Government of Mauritius
5. 25 octobre 1984, The Société United Docks 23.
25 juillet 1992, Bhewa
6. 25 octobre 1984, The Marine Workers Union 24. 27 juin 1993,
Kunnath
7. 3 mars 1985, Alliminium Enterprises 25. 22 mars 1994, Chel
Mohammad
8. 20 juillet 1987, Wong Ng 26. 18 avril 1994, De
Boucherville
9. 2 décembre 1987, Moraby 27. 11 décembre 1995,
Subramanien
10. 2 décembre 1987, Bahorun 28. 13 décembre 1995,
Bel Ombre Ltée
11. 15 décembre 1987, Norton 29. 19 février 1996,
Consolidated Investment
12. 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd
13. 20 octobre1988, Simon Ah Tong
14. 10 avril 1989, Lotun
15. 9 octobre 1991, Mungroo
Tableau 8: La composition des formations de jugement
du Comité Judiciaire en contentieux pénal mauricien
numéro des arrêts en ordre chronologique
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22
N°
Lord Hailsham x 1
Lord Scarman x x + 3
Lord Roskill x + x 3
Lord Brandon x x x x x x + x x 9
Lord Templeman x x x x x + x x x x x 11
Lord Keith x x x + + + x x x 9
Lord Brightman x x 2
Sir Robin Cooke x x 2
Lord Elwyn-Jones x x 2
Lord Bridge x x + + + x x + x x x 11
Lord Oliver x x x x x x 6
Lord Goff + x x x x + x + + x 10
Lord Griffiths + x x 3
1 1
Sir Robert Megarry x
Sir Duncan McMullin x
Lord Ackner x x x 2
Sir John Stephenson x
1
Lord Jauncey x x x x x + + x 8
Lord Lowry x x x x x x 6
Lord Browne-Wilkinson x x x x x 5
Sir Maurice Casey x x x x 4
Lord Mustill x 1
Lord Slynn x x +
3
Gault Judge x x 2
x = membre de la formation de jugement 12. 25 février
1991, Mohamedally
+ = rédacteur de la décision 13. 6 mars 1991,
Banymandhub
1. 15 novembre 1982, Badry 14. 9 ocotbre 1991, Mungroo
2. 2 octobre 1984, Myrtile 15. 11 novembre 1991, Curpen
3. 29 avril 1985, Damree 16. 11 novembre 1991, Manon
4. 28 avril 1987, Vithaldas 17. 11 novembre 1991, Goolfee
5. 20 juin 1987, Wong Ng 18. 18 février 1992, Francis
6. 2 décembre 1987, Moraby 19. 6 avril 1992,
Poongavanam
7. 19 mars 1988, Buxoo 20. 17 décembre 1992, Chinien
8. 10 avril 1989, Lothun 21. 27 juin 1993, Kunnath
9. 26 mars 1990, Ramoly 22. 12 juillet 1993, Police
10. 23 mai 1990, Heeraman 23. 18 avril 1994, De Boucherville
11. 2 octobre 1990, Gafoor
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MARSHALL H. H.: «The future of received English law in the
countries of the Commonwealth», CILJSA, 1982, pp. 87 à 91.
MATSON J. N.: «The Common Law abroad: English and indigenous
law in the British Commonwealth», ICLQ, 1993, pp. 753 à 779.
MCLACH LIN Beverly: «The role of judges in modern
Commonwealth society», LQR, 1994, pp. 260 à 269.
2.5. LES DROITS COMPARÉ ET
ÉTRANGERS
AJAVON Ata: «La protection des droits de l?homme dans les
Constitutions des Etats de l?Afrique noire francophone», RJPIC, 1992, pp.
79 à 87.
ANGUILA Yann: «Cinq questions sur l?interprétation
constitutionnelle», RFDC, 1995, pp. 9 à 46.
ARDANT Philippe: «Les problèmes posés par les
droits fondamentaux dans les Etats en voie de développement», pp.
107 à 124 in ASSOCIATION FRANCAISES DES CONSTITUTIONNALISTES:
«Droit constitutionnel et droits de l?homme», IIe Congrès
Mondial de l?Association Internationale de Droit Constitutionnel, 31 août
au 5 septembre 1987, Paris, Economica, 1987, 512 p.
ARNE Serge: «Existe-t-il des normes supra-
constitutionnelles ?», RDP, 1993, pp. 459 à 512.
AVRIL Pierre: «Les conventions de la Constitution»,
RFDC, 1993, pp. 327 à 340. BADINTER Robert: «Une si longue
défiance», Pouvoirs, 1995, n° 74, pp. 7 à 12.
BEAU D Oliver: «Les conventions de la Constitution. A propos
de deux thèses récentes», DR, 1983, pp. 125 à 135.
CESAR James: «La Cour Suprême des Etats-Unis: le
processus de sélection des juges», Pouvoirs, 1991, n° 59, pp.
31 à 43.
CADOUX Charles: «L?Inde: la crise politique des
années 1975-1980», RDP, 1980, pp. 1515 à 1561.
CONAC Gérard: «Le juge et la construction de
l?Etat de droit en Afrique francophone», pp. 105 à 119 in MELANGES
EN L?HONNEUR DE GUY BRAIBANT: «L?Etat de droit», Dalloz, 1996, 817
p.
DAVID Annoussamy: «Pour un droit comparé
appliqué, réflexions à partir de l?influence des Lois dans
l?Inde», RIDC, 1986, pp. 57 à 76.
DAVIS H. Micheal: «Les juges constitutionnels:
Etats-Unis», AIJC, 1988, vol. IV, pp. 133 à 139.
FLOISSAC V. F.: «The interpretation of the Civil Code of
Saint Lucia», RGD, 1983, pp. 409 à 489.
FROMONT Michel: «Le droit de propriété dans
les jurisprudences constitutionnelles européennes, République
Fédérale d?Allemagne», AIJC, 1985, pp. 214 à 218.
GHANY Joseph: «Les droits fondamentaux des citoyens en Inde
et leur mode de protection», RJPIC, 1982, pp. 410 à 422.
GOHIN Olivier: «Qu?est-ce qu?une juridiction pour le juge
français ?», DR, 1989, n° 9, pp. 93 à 105.
GOUTAL Jean-Louis: «Characteristics of judicial style in
France, Britain and the USA», AJCL, 1976, pp. 43 à 72.
GRAHL-MADSEN A.: «The death penalty, the moral, ethical and
the human rights dimensions: the human rights perspective», RIDP, 1987,
pp. 567 à 581.
HIRTE Héribert A.: «Access to the courts for indigent
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JUNOSZA-ZDROJEWSKI: «La présomption d?innocence
contre la présomption de culpabilité», Gaz.Pal, 1989,
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KEIGHTLEY Raylène: «Torture and cruel inhuman and
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LEGEAIS Raymond: «L?utilisation du droit comparé par
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LEIGH Leonard H.: «La Convention Européenne des
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policière, garde à vue et détention provisoire. Note sur
le droit anglais», RSC, 1989, pp. 45 à 53.
LEKENE Donfack Charles Etienne: «La révision des
Constitutions en Afrique», RJPIC, 1989, pp. 45 à 71.
LOMBOIS Claude: «La présomption d?innocence»,
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MARKS Susan: «Yes, Virginia, Extradition may breach the
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MATHIEU Bertrand: «La saisine du Conseil Constitutionnel:
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mai 1992, n° 54, pp. 50 à 52.
MBAYE Kéba: «L?Afrique et les droits de
l?homme», RJPIC, 1994, pp. 1 à 16.
MICHAULT Françoise: «Le rôle créateur du
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MICLO François: «Le principe d?égalité
et la constitutionnalité des lois», AJDA, 1982, pp. 115 à
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PALLEY C.: «Constitutional law and minorities»,
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PARSAD Rajendra: «The new Indian Constitution», pp. 123
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PASBECQ Chantal: «L?Inde: d?un état d?urgence
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PESTACORE Pierre: «Le recours dans la jurisprudence de la
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RENOUX Thierry S.: «L?exception telle est la question»,
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SUDRE Fédéric: «Extradition et peine de
mort: arrêt Soering de la Cour Européenne des Droits de l?Homme du
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TRECHSEL Slefan: «Ensuring the right to effective counsel
for the defence», RIDP, 1992, pp. 717 à 728.
TROPER Michel: «Justice constitutionnelle et
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TROPER Michel: «La liberté d?interprétation
par le juge constitutionnel», pp. 235 à 245 in AMSELEK Paul (dir):
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TROPER Michel: «La motivation des décisions
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Etablissement E. Bruyant, 1978, 428 p.
TROPER Michel: «Le problème de
l?interprétation et la théorie de la supralégalité
constitutionnelle», pp. 133 à 151 in RECUEIL D?ETUDES EN L?HOMMAGE
DE CHARLES EISENMANN, Editions Cujas, 1975, 467 p.
VEDUSSEN Maro: «Les recours des particuliers devant le juge
constitutionnel dans une perspective comparative», pp. 153 à 192,
in DELPEREE Françis: «Les recours des particuliers devant le juge
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VIRIOT-BARRIAL Dominique: «La preuve en droit douanier et la
Convention Européenne des Droits de l?Homme», RSC, 1994, pp. 537
à 547.
VROOM Cynthia: «La nouvelle jurisprudence de la Cour
Suprême américaine sur la peine de mort», RSC, 1989, pp. 832
à 841.
WEIDERKEHR Georges: «Qu?est-ce qu?un juge ?», pp.
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juges, nouveaux pouvoirs ?», Dalloz, 1996, 598 p.
WILSON Bertha: «The making of a Constitution: approaches to
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WOEHRLING José: «La Constitution canadienne et
l?évolution des rapports entre le Québec et le Canada anglais de
1867 à nos jours», RFDC, 1992, pp. 196 à 250.
ZAGREBELSKY Gustavo: «Le droit de propriété
dans les jurisprudences constitutionnelles, Italie», AIJC, 1985, pp. 219
à 227.
|
ZANDER Micheal: «L?aide judiciaire aux personnes
pauvres», pp. 41 à 48, in CAPPELLETTI Mauro (dir):
«Accès à la justice et Etat-providence», Economica,
1984, 361 p.
|
2.6. LA PHILOSOPHIE DU DROIT ET PHILOSOPHIE
POLITIQUE
KELSEN Hans: «La garantie constitutionnelle de la
Constitution», RDP, 1928, pp. 197 à 257.
KELSEN Hans: «Le contrôle de la
constitutionnalité des lois: une étude comparative des
constitutions autrichienne et américaine», RFDC, 1990, pp. 17
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PERELMAN Charles: «L?interprétation juridique»,
ADP, 1972, pp. 29 à 37.
3. ARTICLES DE PRESSE.
«Grand Almanach du Cernéen, année 1995»,
Port-Louis, HPL, décembre 1994, 1 feuille (A3).
AHNEE Gilbert: «La presse, bien au-delà de
Bacha...», Le Mauricien, 1er août 1994, p. 5.
ANTOINE Jean-Claude: «Controverse dans le judiciaire, une
nomination qui divise», WE,
13 août 1995, p. 6.
BADINTER Robert: «Un pré-jugement: la
détention provisoire», Le Monde, 12-13 avril 1970, p. 11.
BARKER Kent: «Final appeal to a remnant Empire», The
Independant, 31 mai 1991, p. 15.
BERENGER Paul R.: «The President?s powers in the Repu blic
of Mauritius», L?Express, 19 août 1995, p. 7.
BOOLELL Satcam, Sir, QC: «Judges also deserve justice»,
l?Express, 18 août 1995, p. 10. BOOLELL Satcam, Sir: «The case for
reform», 5-Plus dimanche, 6 mars 1994, p. 8.
CADERVALOO Soondess: «Un Sénat, pourquoi et de quel
type ?», Le Mag,
14 mai 1995, pp. 24 à 27.
CAUNHYE Fouad: «Entretien avec Paul Bérenger»,
Le Mag, 4 septembre 1994, pp. 14 à 18
CAUNHYE Fouad: «SS Ramgoolam est-il mort ?», Le Mag, 18
septembre, pp. 15 à 20.
COPLEY Joy et SYLVESTER Rachel: «Senior judges attack Howard
over scatter-gun? sentencing», The Daily Telegraph, 28 janvier
1997, p. 2.
D.A.: «Le système correctif à la ferraille,
l?opinion publique le réclame», WE, 4 juillet 1982, p. 8.
DARLMAH Naëck: «Le Prime Ministership et le
pouvoir», 5-Plus dimanche, 9 octobre 1994, pp. 8 à 9.
DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Me Anil Gayan,
Président du Bar Cou ncil», Le Mauricien, 3 octobre 1994, p. 6.
DAVID Jacques: «Le point de la situation avec Sir
Gaétan Duval», Le Mauricien, 8 octobre 1994, p. 6.
DOMINGO A. F.: «Les mauriciens de la dernière guerre
mondiale», WE, 18 décembre 1983, p. 24.
DONALDSON Lord: «Beware of this abuse», The Guardian,
1er décembre 1995, p. 21.
DOOKHY Parvèz A. Cader: «Le Président de la
République, deux ou trois choses que je sais de lui», Le Mauricien,
14 janvier 1994, p. 7.
DOOKHY Parvèz A. Cader: «Les causes de
l?instabilité ministérielle», Le Mauricien, 11 novembre
1993, p. 7.
DOOKHY Parvèz et DOOKHY Riyad: «Les graves violations
du droit par le Premier ministre», 5-Plus, 15 janvier 1997, p.3.
DOOKHY Parvèz et DOOKHY Riyad: «La révocation
du Chef-Juge: les aspects juridiques», L?Express, 31 août 1995, p.
12.
DOOKHY Parvèz: «La dictature élective du
Premier ministre», 5-Plus dimanche, 12 mars 1995, p. 12.
DOOKHY Parvèz: «Le Privy Council est-il un tribunal
mauricien ou anglais ?», Le Mauricien, 29 août 1995, p. 7.
DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «L?Attorney-General
est-il un député ?», Le Mauricien, 17 août 1995, p.
11.
DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «La
légitimité du Président», Le Mauricien, 8 novembre
1995, p. 7.
DOOKHY Riyad et Parvèz: «L?Ombudsman, ses
faiblesses», 5-Plus dimanche, 24 avril 1994, p. 8.
DOOKHY Riyad et Parvèz: «Proposition pour un
Sénat», L?Express, 7 décembre 1995, p. 12.
DOOKHY Riyad, de Gray?s Inn: «La démocratie
mauricienne garantit quoi au juste ?», Le Mauricien, 11 septembre 1996, p.
6.
DOOKHY Riyad: «French Bar must be recognised in
Mauritius», Le Mauricien, 26 août 1996, p. 6.
DOOKHY Riyad: «L?opposition et le fonctionnement
régulier des institutions»,Le Défi Plus, 4 au 10 mai 1996,
p. 10.
DOOKHY Riyad: «La nomination du Chef-Juge est
entachée d?une erreur», L?Express, 9 novembre 1995, p. 10.
DYER Clare et TRAVIS Alan: «Judge scorns idea of fixed jail
sentences», The Guardian Weekly, 17 mars 1996, p. 8.
DYER Clare: «Journalist wins battle over sources», The
Guardian Weekly, 7 avril 1996, p. 10.
FORGET Adeline: «Enquête sur la justice», Le Mag,
13 août 1994, pp. 13 à 21.
KAUFMANN Sylvie: «Aux Etats-Unis, une exécution
capitale par semaine», Le Monde, 22- 23 septembre 1996, p. 12.
LANGELLIER J. P.: «Les vingt ans du Mouvement
Militant», Le Monde, 3 octobre 1989, p. 6.
LANGELLIER Jean-Pierre: «Aneerood Jugnauth et Paul
Bérenger dominent une vie politique fortement
personnalisée», Le Monde, 9 novembre 1989, p. 8.
LANGELLIER Jean-Pierre: «L?île Rodrigues, cendrillon
des Mascareignes», Le Monde, 2-3 février 1992, p. 6.
LANGELLIER Jean-Pierre: «Maurice est devenue une
République», Le Monde, 14 mars 1992, p. 7.
LEBRASSE Josie: «Rencontre avec le nouveau Président
du Bar Council», WE, 20 mars 1994, pp. 14 à 15.
LEBRASSE Jossie: «Les amendements instituant la
République devant le Parlement», WE, 2 octobre 1983, v. p. 1
LEBRASSE Jossie: «SSR à Week-End: Pas du tout
d?accord avec l?institution d?une Haute Cour d?Appel», WE, 2 octobre 1983,
p. 1.
LEMARIE Phillipe: «L?irresistible ascension de la gauche
à l?île Maurice», LMD, 1er juin 1982, p. 10.
MARIMOOTOO Henri: «Le crime d?Etat en sursis», WE, 6
août 1995, p. 7.
MARTIAL Yvan: «Plus de mille titres», JA, 30 septembre
1993, pp. 55 à 57.
MARYLENE François: «Entretien avec le Muveman
Anti-Kominalis: L?idéologie communaliste a intégré le
système», WE, 28 mai 1995, p. 10.
MARYLENE François: «Les outrages d?un temps»,
WE, 3 avril 1994, p. 18.
MEETAHBHAN Raj: «Le judiciaire dans un tourbillon»,
L?Express-dimanche,
14 avril 1996, p. 6.
NITISH G.: «1973, 1983, 1993... Les dissidences et les
cassures au MMM», 5-Plus dimanche, 31 octobre 1993, p. 5.
O?HAMAMY David: «Judiciary in the dock»,
L?Express-dimanche, 24 mars 1996, p. 10.
OSMAN A. M.: «La justice et la Haute Cour d?Appel», Le
Mauricien, 11 novembre 1983, p. 3.
RAMSAMY Vony: «La coalition Ptr/PMSD/CAM de novembre 1969.
Au nom de l?unité nationale», 5-Plus dimanche, 20 novembre 1994, p.
10.
ROCHE Marc: «The Judge, en Grande-Bretagne», Le Monde,
12 septembre 1991, p. 14.
RUSSEL Alec: «Court throws out South African?s new
Constitution», The Daily Telegraph, 7 septembre 1996, p. 7.
SALESSE Finlay: «13 ans après, pour une
véritable démocratie parlementaire», 5-Plus dimanche, 18
juin 1995, p. 12.
SELVON Sydney: «Abolissons le best-loser communal et
proclamons l?avènement de la nation une et indivisible», WE, 4
juillet 1982, p. 8.
TEELUCK Dinesh: «Justice en crise, nothing seen to be
done», Le Mag, 19 avril 1996, pp.
15 à 17
TOUSSAINT Auguste, Droit.: «Le mouvement
rétrocessionniste», WE, 28 juillet 1994, p. 20 à 21.
TSANG MANG KIN Joseph: «Sir Aneerood Jugnauth et nos
institutions», 5-Plus dimanche, 24 juillet 1994, pp. 7 à 10
TURQUIE Selim: «Irruption d?un mouvement populaire militant
à lîle Maurice», LMD, 1er juiller 1977, p. 15.
VENKATASAMY Coll: «Entretien avec le Vice-Chancelier de
l?Université de Maurice», WE, 24 septembre 1995, p. 13.
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS ET AVANT-PROPOS i
LIEUX DE RECHERCHES . iii
ABRÉVIATIONS iv
INTRODUCTION 1
TITRE I.
LA GRANDEUR DE L'INSTITUTION DU COMITÉ JUDICIAIRE
DU CONSEIL PRIVÉ .... 10
CHAPITRE 1.
LA FORTE LEGITIMITE HISTORIQUE ET JURIDIQUE DU COMITE JUDICIAIRE
11
Section 1. La lente évolution du Comité
Judiciaire en Angleterre et dans le Commonwealth 11
Sous-section 1. Les origines lointaines du Comité
Judiciaire 12
Paragraphe 1. La Curia Regis ou la Cour du Roi 12
A. L'introduction de la Curia Regis 12
a. L'unification féodale . 13
b. La dualité des fonctions de gouvernement et de justice
13
B. La désintégration de la Curia Regis 15
a. La création des cours autonomes et souveraines 15
b. La création du Parlement 15
Paragraphe 2. La réorganisation du Conseil 16
A. La création de la Chambre Etoilée 17
a. Sa mise en place 17
b. Son fonctionnement 18
B. La compétence du Conseil Privé en matière
coloniale 19
a. L'origine des recours des justiciables au Roi . 19
b. La création des comités
spécialisés 20
Paragraphe 3. La création du Comité Judiciaire
22
A. La rationalisation de la justice en matière coloniale
23
B. L'extension de la compétence d'attribution du Conseil
en droit interne . 24
Sous-section 2. La montée en puissance du Comité
Judiciaire 25
Paragraphe 1. Le développement de l'Empire britannique .
26
A. Le premier Empire 27
a. La doctrine de la conquête indirecte ou du
mercantilisme 27
b. Les expansions coloniales 28
B. Le deuxième Empire 29
a. La Révolution industrielle 29
b. Les conquêtes 30 Paragraphe 2. L'étendue de
la compétence du Comité Judiciaire en matière
coloniale 32
A. Les dominions 32
a. L'exemple du Canada . 33
b. L'exemple de l'Afrique du Sud 35
B. Les colonies et territoires d'outre-mer 36
a. L'exemple de l'Inde . 36
b. L'exemple des îles Anglo-Normandes 37
Sous-section 3. Le déclin du Comité Judiciaire
38
Paragraphe 1. La montée du nationalisme 38
A. L'émancipation des territoires 38
a. Le processus d'émancipation des territoires 39
b. Le transfert de souveraineté 41
B. Le retrait des nouveaux Etats du champ de compétence du
Comité Judiciaire 41
a. Les griefs invoqués par les nouveaux Etats 42
b. L'appauvrissement du champ de compétence du
Comité Judiciaire 43
Paragraphe 2. L'échec de transformation du Comité
Judiciaire . 45
A. Les propositions de réforme 45
a. Une Cour Suprême du Commonwealth 46
b. Une Cour des droits de l'homme . 47
B. Le rejet des propositions 48
a. Les motifs politiques 49
b. Les motifs juridiques 49 Section 2.
Le développement du lien du Comité Judiciaire
avec l'île Maurice 51
Sous-section 1. L'évolution constitutionnelle et politique
de l'île Maurice . 52
Paragraphe 1. La colonisation 52
A. La période française 53
a. Sous l'Ancien Régime 53
b. Depuis la Révolution française 54
B. La période anglaise 55
a. L'application des codes français 56
b. Le développement institutionnel 58
Paragraphe 2. L'indépendance . 60
A. La monarchie 62
a. La mise en cause de la légitimité de la justice
royale 63
b. La tentative de remplacement du Comité Judiciaire
64
B. La République 65
a. L'absence d'alternative au Comité Judiciaire . 66
b. Le statu quo 68
Sous-section 2. Les raisons particulières du maintien de
la juridiction du Comité Judiciaire 69
Paragraphe 1. La pluralité ethnique de l'île Maurice
70
A. Les données sociales et constitutionnelles 71
a. La composition de la population 71
b. Les protections constitutionnelles et leur efficacité
72
B. La pratique des discriminations ethniques et religieuses 74
a. Le développement du réflexe identitaire 75
b. La politique sur la base du réflexe identitaire 76
Paragraphe 2. L'absence d'équilibre entre les pouvoirs
institutionnels 78
A. La puissance de l'Exécutif 78
a. L'ère Ramgoolam 79
b. L'ère Jugnauth . 82
B. Le judiciaire 84
a. La structure rudimentaire 84
b. Le fonctionnement en crise 86 Sous-section 3. La
compétence matérielle du Comité Judiciaire en
contentieux
mauricien 88
Paragraphe 1. En droit public et privé (civil
law) 89
A. En droit public 89
B. En droit privé 91
Paragraphe 2. En droit pénal et responsabilité des
hauts magistrats 92
B. La responsabilité disciplinaire des hauts magistrats
95
CONCLUSION DU CHAPITRE 1 97
CHAPITRE 2. LES HAUTES QUALITES DU COMITE JUDICIAIRE 98
Section 1. Les membres du Comité Judiciaire 98
Sous-section 1. Les vertus de la composition du Comité
Judiciaire 98
Paragraphe 1. Analyse de la politique des nominations et
affectations 99
A. Les règles et la pratique des nominations 99
a. Les règles juridiques relatives à la
composition du Comité Judiciaire 99
b. Le critère de compétence 101
B. La composition des formations de jugement 103
a. La stabilité dans le choix des juges 103
b. Le cas mauricien 104
Paragraphe 2. Analyse sociologique et empirique de la composition
du Comité Judiciaire 105
A. Les membres du Comité Judiciaire 106
a. Des personnalités incontestables 107
b. L'évolution 108
B. Une étude comparée 109
a. La Cour Suprême des Etats-Unis d'Amérique .
109
b. Le Conseil Constitutionnel français 110
Sous-section 2. Le statut des juges du Comité Judiciaire
112
Paragraphe 1. L'indépendance des juges du Comité
Judiciaire . 114
A. Les moyens de l'indépendance . 114
a. L'inamovibilité des juges du Comité Judiciaire
. 114
b. Les avantages et obligations de la fonction 115
B. L'OEsence d'interférence des autorités
politiques mauriciennes . 116
Paragraphe 2. L'autorité des juges du Comité
Judiciaire . 117
A. Les moyens juridiques de se faire respecter 117
a. La protection de la personne du juge 118
b. La protection de l'institution judiciaire 118
B. L'autorité morale des juges du Comité Judiciaire
. 119
a. La révérence à l'égard des Lords
judiciaires. 119
b. L'autorité de leurs décisions 121
Section 2. La nature et le fonctionnement du Comité
Judiciaire 124
Sous-section 1. La nature du Comité Judiciaire 125
Paragraphe 1. La problématique organe consultatif ou
juridiction 125
A. Un organe administratif et consultatif 125
a. Les traits généraux 125
b. La fonction de donner des avis 127
B. Une juridiction 128
a. Le fonctionnement comme une cour de justice 129
b. La justice déléguée 130
Paragraphe 2. La problématique tribunal anglais ou
mauricien 131
A. Un tribunal anglais 131
a. Les caractères 131
b. Les conséquences sur l'administration de la justice .
133
B. Un tribunal mauricien 135
a. Le faisceau de critères 136
b. Au regard du droit international (hors européen)
137
Sous-section 2. Le fonctionnement du Comité Judiciaire
139
Paragraphe 1. L'obtention de l'autorisation de saisine du
Comité Judiciaire . 140
A. Autorisation délivrée par la Cour Suprême
de Maurice 140
a. La compétence liée de la Cour de Maurice 140
b. La compétence quasi discrétionnaire de la Cour
Suprême 142
B. Autorisation délivrée par le Comité
Judiciaire 143
a. L'étendue de la compétence . 143
b. Les modalités de demande de l'autorisation
spéciale 144
Paragraphe 2. La procédure 145
A. Les actes de procédure 145
a. L'envoi du dossier 146
b. Le dépôt de la pétition d'appel et la
production des mémoires 146
B. La structure de l'instance . 147
a. Les règles de l'audience . 148
b. Les débats oraux 149
Paragraphe 3. L'acte juridictionnel ou la décision 150
A. La prise de décision 150
a. La délibération 150
b. Le mode de rédaction de la décision 151
B. La forme de la décision 153
a. L'expression de l'opinion dissidente . 153
b. Le style discursif 154
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE I 157
TITRE II.
L'APPORT DU COMITÉ JUDICIAIRE À L'EXERCICE
DU CONTRÔLE CONSTITUTIONNEL DES NORMES 159
CHAPITRE 1.
LA RICHESSE DU SYSTEME MAURICIEN DE CONTROLE MODELE PAR LE COMITE
JUDICIAIRE
160 Section 1. Le constitutionnalisme dans les
pays
de la famille de Common Law et à Maurice 160
Sous-section 1. Le constitutionnalisme en Angleterre et dans le
reste du
Commonwealth 161
Paragraphe 1. En Angleterre 161
A. Les Lois fondamentales ou le bloc de constitutionnalité
162
a. Les normes écrites 162
b. Les normes jurisprudentielles 163
B. La souveraineté du Parlement 166
a. Le concept 166
b. Les aménagements 168
Paragraphe 2. Dans le Commonwealth 170
A. L'Etat de droit constitutionnel . 170
a. La suprématie de la Constitution 170
b. La rigidité de la Norme Fondamentale 171
B. Le contrôle juridictionnel des Lois 172
a. Par le Conseil Privé 173
b. Par les cours suprêmes du Commonwealth 173
Sous-section 2. Le mode de contrôle de la
constitutionnalité des normes à Maurice 175
Paragraphe 1. Les éléments du modèle
européen 175
A. La concentration du contentieux constitutionnel 175
a. La similitude entre le système mauricien et le
modèle européen 175
b. Les atténuations 176
B. Le contrôle direct 177
a. La voie d'action 177
b. Les règles de procédure 179
Paragraphe 2. Les éléments du modèle
américain 182
A. Le contrôle diffus 182
a. Le modèle diffus stricto sensu 182
b. La variante mauricienne 183
B. L'exception d'inconstitutionnalité 184
section 2. Les moyens du contrôle 186
Sous-section 1. L'interprétation des textes fondamentaux
187
Paragraphe 1. Les méthodes et attitudes du juge anglais en
général 188
A. L'attitude statique . 188
a. L'interprétation littérale et stricte 188
b. La règle de stare decisis 189
B. L'attitude dynamique et évolutive . 191
a. Le rôle nouveau du juge 191
b. L'activisme du juge . 192
Paragraphe 2. Les méthodes et attitudes propres du
Comité Judiciaire 194
A. Oscillation de la jurisprudence 194
a. L'interprétation ordinaire . 195
b. L'interprétation spécifique au droit
constitutionnel . 196
B. La vitalisation de la Constitution 199
a. La création des droits non écrits ou
l'extension du bloc de
constitutionnalité 200
b. L'impulsion 201
Sous-section 2. Les techniques et les types de contrôle
202
Paragraphe 1. Les techniques d'élargissement des bases du
contrôle . 203
A. La méthode comparative 203
a. La portée de la méthode comparative 203
b. La pratique du recours aux droits étrangers 204
B. Le contrôle d'opportunité 207
a. D'un acte réglementaire ou d'une décision
administrative . 207
b. De la Loi 209
Paragraphe 2. Les types de décision 212
A. La lecture (construction) de la Loi 214
a. La lecture constructive 214
b. La lecture neutralisante 216
B. Invalidation de la norme 217
a. L'invalidation partielle . 218
b. L'invalidation totale . 219
CONCLUSION DU CHAPITRE 1 220
CHAPITRE 2.
LES GRANDES LIGNES DE LA PROTECTION CONSTITUTIONNELLE 221
Section 1. En droit pénal 221
Sous-section 1. En droit pénal procédural ou en
matière des principes de sauvegarde des libertés 222
Paragraphe 1. Les exigences d'une bonne justice 222
A. Le droit à un procès juste et équitable
222
a. Le caractère adéquat du tribunal 223
b. La présomption d'innocence . 226
B. Le droit d'r~tre jugé dans un délai raisonnable
230
a. La computation du délai au déclenchement des
poursuites 230
b. La durée du procès pénal 234
Paragraphe 2. Les droits de la défense 236
A. Au stade policier ou avant l'audience du jugement .. 236
a. Le principe du droit à l'assistance d'un
défenseur au commissariat et pendant la détention 237
b. L'obligation aux autorités de police d'informer la
personne gardée à vue de ses droits 239
B. Lors de l'audience du jugement . 240
a. Le droit au ministère d'avocat . 241
b. L'assistance d'un interprète . 243
Sous-section 2. En droit pénal substantiel et
général 245
Paragraphe 1. La question de la peine de mort 245
A. La constitutionnalité de la peine 245
a. La déclaration de constitutionnalité 246
b. La constitutionnalité de la peine de mort en droit
comparé 248
B. La constitutionnalité de la mise à
exécution de la peine 251
a. La jurisprudence antérieure 251
b. La jurisprudence nouvelle 252
Paragraphe 2. Les divers principes généraux de
droit pénal 255
A. Le principe de la légalité des délits et
des peines 256
a. Dans le système de Common Law 256
b. En droit mauricien 258
B. Les principes encadrant les pouvoirs de sanction du juge
répressif 260
section 2. En droit public 261
Sous-section 1. En droit administratif et public institutionnel
263
Paragraphe 1. Les libertés fondamentales et le
contrôle de l'Administration . 263
A. Les libertés fondamentales 263
a. La liberté d'expression 263
b. La liberté individuelle et la sûreté
267
B. La protection contre l'Administration 270
a. Le droit d'r~tre entendu. 270
b. L'enqur~te préalable en matière d'expropriation
272
Paragraphe 2. En droit public institutionnel 273
A. La distribution constitutionnelle des pouvoirs 274
a. L'affirmation du principe de la séparation des
pouvoirs et l'indépendance du judiciaire . 274
b. Le cantonnement du législatif 275
B. La défense des prérogatives des organes
juridictionnels 277
a. De la magistrature en général 277
b. De la haute magistrature 279
Sous-section 2. En droit public des biens 280
Paragraphe 1. Le fondement constitutionnel du droit de
propriété 281
A. Le respect des biens ou la protection contre la privation des
biens 282
a. Le caractère de la protection constitutionnelle 282
b. La signification de la privation des biens 283
B. La protection contre la dépossession des biens 285
a. Le dispositif constitutionnel 285
b. Le contrôle juridictionnel des mesures de cession
forcée des biens 286
Paragraphe 2. Le contenu du droit de propriété
287
A. Une jurisprudence extensive 288
a. Les droits patrimoniaux 288
b. La rémunération, le salaire 289
B. Une jurisprudence pragmatique 291
CONCLUSION DU CHAPITRE 2 ET DU TITRE II 293
CONCLUSION GÉNÉRALE 294
ANNEXE 299
Tableau 1: L'expansion britannique vers 1775 . 300
Tableau 2: L'Empire britannique à son apogée en
1920 301
Tableau 3: Les principales dates de l'expansion britannique .
302
Tableau 4: Tableau de l'Organisation Judiciaire de l'île
Maurice 303
Tableau 5: Nombre d'affaires mauriciennes portées au
Comité Judiciaire . 305
Tableau 6: Tableau Comparatif de Composition des Juridictions et
Cours Constitutionnelles 306
Tableau 7: La composition des formations de jugement du
Comité Judiciaire en contentieux public mauricien307 Tableau 8: La
composition des formations de jugement du Comité Judiciaire en
contentieux pénal mauricien308
BIBLIOGRAPHIE 309
1. OUVRAGES ET DOCUMENTS 310
1.1. Le Conseil Privé 310
1.2. Le droit mauricien et la société
mauricienne 311
1.3. Le droit anglais 312
1.4. Le Commonwealth 316
1.5. Les droits comparé et étrangers
317
1.6. La philosophie du droit et philosophie politique
321
2. ARTICLES DE REVUE ET RAPPORTS 321
2. 1. Le Conseil Privé 322
2.2. Le droit mauricien et la société
mauricienne 323
2.3. Le droit anglais 325
2.4. Le Commonwealth 328
2.5. Les droits comparé et étrangers
328
2.6. La philosophie du droit et philosophie politique
331
3. ARTICLES DE PRESSE. 331
TABLE DES MATIÈRES 335
Rapport de soutenance de la thèse de M.
Parvez Dookhy sur le comité judiciaiire du Conseil privé de sa
majesté la reine Elisabeth d'Angleterre et le droit
mauricien
Cette soutenance a eu lieu à l'Université de Paris
I (Panthéon- Sorbonne), 12 place du Panthéon,
salle 216, de 13 h30 à 16 h 30 le
14.1,. te., Iÿ1.2
Le jury s'était réuni au préalable Salle
Goullaincourt pour élire son Président.
Après cette désignation il était ainsi
composé :
Président : M. Gérard Conac, professeur
Université Paris I (Panthéon -Sorbonne), directeur de 'Ecole
doctorale de Droit, directeur de la recherche,
Membres : M .Marck Fieend, professeur à
l'Université d'Oxford (St John's College),
M. Etienne Picard, professeur à l'Université de
Paris I ( Panthéon - Sorbonne) et professeur
associé à l'Université d'Oxford,
Madame Camille Jauffret-Spinosi, professeur à
l'Université de Paris 11 (Panthéon-Assas),
Madame Muir Watt-Bourel, professeur à l'Université
de Paris 1.
Dans son exposé préliminaire, M Dookhy souligne
l'originalité et l'intérêt du sujet de sa thèse : il
a entendu démontrer qu'un contrôle de constitutionnalité
exercé par une juridiction anglaise sur les les lois d'un Etat
indépendant, s'il peut paraître tout à fait insolite
à l'époque contemporaine, peut être cependant, l'experience
mauricienne le démontre, une solution viable et à son avis
bénéfique dans certaines circonstances.
M. Dookhy soutient aussi que le juge anglais
n'ignorait pas le contrôle de la constitutionnalité des lois et
avance même qu'il en est sans doute l'inventeur.
Pour mener à bien sa recherche, il a choisi de cumuler
l'approche juridique et l'approche historique,
considérant qu'il était indispensable de retracer les
étapes de la formation du comité judiciaire et de décrire
avec précision ses caractéristiques, ses compétences et
ses méthodes de travail. Il reconnaît que ce choix l'a
amené à déborder le sujet stricto sensu, car il ne pouvait
se borner à traiter les seuls effets des décisions du
Comité judiciaire en droit mauricien De même il a fallu conduire
l'analyse juridique
par rapport à deux droits, le droit mauricien et le
droit anglais, et en ce qui concerne le droit mauricien, tenir compte d'une
spécificité et d'une complexité qui tiennent à
l'histoire de la colonisation de I'lle, le droit mauricien portant la marque de
différentes influences juridiques, hollandaise, française coutume
de Paris et code Napoléon, common law.
Autre problème délicat . celui de la traduction
des expressions anglaises. Toute traduction suppose une bonne connaissance des
droits à comparer et ii est certes difficile de traduire certains
concepts liés à tout un contexte culurel. Mais M. Dookhy a
délibérément opté pour le tout anglais ou le tout
français et donc dans une perspective francophone a pris le risque de
traduire les expressions anglaises ou d'emprunter les traductions qui peuvent
être utilisées au Québec et à I'lle Maurice.
Prenant le premier la parole, Gérard Conac
souligne les qualités du travail de M. Dookhy et
n'hésite pas à dire que son sujet était passionnant et
qu'il l'a traité avec serieux et beaucoup de finesse. Le style est
alerte et clair. Il regrette cependant un abus de subjonctifs et quelques
adjectifs inappropriés. La bibliographie est bien faite et bien
présentée, les notes en bas de pages intéressantes et
utiles et if est évident que la plupart des livres et articles
cités ont été lus avec soin.
M. Dookhy a bien fait apparaitre
l'ambiguité et le pragmatisme du système de contrôle
exercé par le comité judiciaire en application de la Constituion
de file Maurice. Ses avantages sont certains. 11 a permis de conforter le
système judiciaire et de l'arrimer solidement dans
l'intérêt même de l'Etat de droit. Peut-être aurait-il
été opportun de comparer la solution mauricienne avec les
solutions beaucoup plus respectueuses des souverainetés nationales qui
ont prévalu dans les Etats francophones d'Afrique, mais qui à
l'expérience se sont révélées assez peu
protectrices des libertés et des droits de l'homme.
M. Gérard Conac regrette néanmoins que les
appréciations portées sur la solution anglo-mauricienne soient
trop sytématiquement élogieuses. Il aurait aimé que le
Comité judiciaire dans l'exercice de ses compétences en droit
mauricien soit qualifié avec plus de netteté et que M. Dookhy
recherche dans le droit international contemporain s'il n'y a pas d'autres
institutions étrangères habilitées à intervenir
dans un système juridique d'un Etat indépendant pour le compte de
cet Etat en application de la technique du dédoublement fonctionnel.
L'appréciation très positive de M. Dookhy se
fonde sur l'histoire et le présent mais ne l'amène pas à
s'interroger sur l'avenir. Or la question devait être posée. La
solution actuelle n'est-elle qu'une survivance transistoire à la merci
d'une réaction nationaliste du constituant mauricien dénoncant
une ingérence indue d'un juridiction étrangère dans
l'ordre juridique mauricien ? Si elle devait se pérenniser, le Comite
judiciaire ne serait-il pas amené à s'internationaliser, par
exemple par la présence de juges d'origine mauricienne _?
M. Marck Fr eediand a été
trés intéressé par la thèse de M .Dookhy.
Cette thèse fait preuve à son avis d'une
excellente connaissance de l'histoire du Conseil privé,
considéré dans ses compétences au sein du Royaume-Uni et
dans se ations avec les pays de l'Empire puis du Commonwealth. M
Fr.eei and se félicite que l'on puisse désormais
disposer d'une étude très complète sur le
rôle constitutionnel du Comité judiciaire au sommet
du système
judiciaire de I'lle Maurice. Cette étude a aussi
l'avantage de
donner le point de vue d'un juriste mauricien à la fois
bon connaisseur du droit français et du droit anglais. Mais il se
demande si l'auteur, soucieux de contrer les thèses des hommes
politiques mauriciens qui souhaiteraient une solution plus conforme à la
souveraineté mauricienne, n'idéalise pas trop cette institution
et sa jurisprudence. Il constate que son point de vue est paradoxalement moins
critique que ceux de la moyenne des commentateurs de nationalité
britannique.
er
Le profes seur Friedland présente ensuite un certain
nombre de remarques sur des points particuliers concernant
notamment l'origine du Conseil privé, l'émergence d'un droit
administratif en Angleterre, etc.
Quelques traductions de termes ou d'expressions anglaises lui
paraissent contestables ou ne rendant qu'imparfaitement compte des nuances du
droit anglais.
ire
M. Feedland se pose même la question de savoir si la
règle du tout anglais ou du tout francais ne risque pas de conduire
à bien des malentendus et des inexactitudes.
M. Etienne Picard considère lui aussi
qu'il s'agit d'une bonne thèse, tout en reconnaissant que le sujet
n'était pas facile à maîtriser. C'est un sujet qui
paraissait pointu mais qui s'est révélé très riche.
M Picard félicite M. Dookhy de l'avoir traité avec
habilité, méthode, intelligence. H lui sait
gré d'avoir dans tous les sens du terme défendu une thèse
avec de bons arguments presque toujours convaincaints.
Pour M. Dookhy la solution actuelle est la meilleure solution
pour file Maurice, tant du point de vue de la protection des droits et
libertés que pour la paix civile et le bon fonctionnement de la
démocratie dans un pays pluri ethnique ? Mais M. Picard aurait
aimé toutefois, comme M. Conac, une analyse de sociologie politique
approfondie, notamment pour les lecteurs qui ne connaissent pas !'lie Maurice
et ses particularismes.
Revenant sur le problème des traductions, il
considère que certaines sont bonnes mais que plusieurs sont
approximatives, certaines notions étant en fait intraduisibles.
Peut-on assimiler par exemple le comitéjudiciaire
à une Cour de Cassation ? M. Picard ne le pense pas, car ii n'y a pas
renvoi au juge de fond. Sur la qualification à donner au Comité
judiciaire, la comparaison avec le Conseil Constitutionnel lui paraîtrait
plus adequate.
Il regrette aussi que M. Dookhy n'ait pas joint en annexe
quelques décisions du Comité concernant l'He Maurice.
Plutôt que de présenter la jurisprudence du
Comité en fonction de différentes branches du droit droit penal,
droit civil, il aurait été plus opportun, pense-t-il, de
l'analyser par référence aux droits fondamentaux .
Madame Jauffret Spinosi s'associe aux
éloges déjà décernés au candidat. Pour elle
c'est une très bonne thèse, qui fait revivre
"l'épopée "juridique anglaise, une évolution continue sans
grande cassure de la comma law et son rayonnement dans les anciens
territoires de I' Empire.
M. Dookhy n'a pas hésité à prendre parti.
Comme on l'a déjà fait remarquer, il est très favorable au
Comité judiciaire et sa thèse pourrait même s'intituler
"défense et illustration du comité juduciaire". Le travail est
sérieux, la bibliographie solide. Une écriture claire et vivante
rend la lecture agréable et facile.
Toutefois Madame Jauffret-Spinosi considère que le
titre est trop large. C'est moins le droit mauricien qui est
étudié que le droit constitutionnel_ Il y a peu de
développements sur le droit privé. Ce qui est traité c'est
surtout un contrôle constitutionnel
des cours de I'lle Maurice. Le plan ne correspond pas au titre
: la première partie est une présentation du Conseil
Privé. C'est seulement la deuxième qui traite du sujet proprement
dit.
Un certain nombre de traductions sont contestables
peut-être d'ailleurs parce que, comme on l'a déjà dit,
certains termes ou expressions étaient en fait intraduisibles :
sollicitor n'est pas l'avoué du système judiciaire
français ; en Angleterre il n'y a pas un ordre à part d'avocats
aux Conseils.
Madame Jauffret-Spinosi juge aussi que les
développements sont trop descriptifs, trop exclusivement juridiques,
alors qu'il
aurait fallu replacer les solutions institutionnelles et
jurisprudentielles dans le contexte politique et sociologique. Elle aurait
aimé mieux connaître quelques uns des problèmes concrets
qui sont à l'origine des recours devant le Comité judiciaire.
En conclusion, Madame Jauffret-Spinosi se demande, comme M.
Gérard Conac, quel peut être l'avenir du Comité judiciaire
en tant qu'instance de contrôle constitutionnel dans le système
juridique mauricien.
Mme Muir Watt-Bourel fait sienne la plupart des
remarques déjà exprimées.
Elle a apprécié la thèse. Le sujet avait
l'avantage de permettre de nombreux types de comparaisons, notamment entre le
rôle du Comité et du Conseil Constitutionnel, le droit anglais et
le droit mauricien. L'étude du droit mauricien permettait de
pénétrer dans un droit qui est un creuset de nombreuses
influences juridiques. Madame Muir Watt-Bourel a été très
intéressée par l'évolution de ce droit original, qui
à partir d'une souche française a affirmé son autonomie et
sa spécificité, la common law s'accomodant du
pluralismejuridique et permettant même de le sauvegarder. Elle note que
dans une societé communautariste les techniques juridiques sont proches
de celles qu'utilise le droit international privé.
Comme Madame Jauffret-Spinosi, Madame Muir Watt-Bourel
regrette le caractère trop descritif des développements, alors
qu'elle aurait aimé que soient mieux dégagées quelques
questions théoriques.
.1,e,;,1; 'rr9
Gérard Conac
|
|
|
Pour quelles raisons les projets visant à modifier la
composition du Comité judiciaire n'ont pas abouti?
Les Mauriciens appliquent le droit anglais, mais le
Comité judiciaire est-il sensible à l'influence du droit
mauricien dans ses décisions relatives à des affaires ne
concernant que des sujets de Sa Majesté ?
Quelle est l'influence de la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg ?
Quel est l'avenir du Comité judiciaire ?
Peut-être aussi dans une conclusion aurait-il fallu
noter ce qu'il y avait d'extraordinaire dans l'histoire du Comité et son
rôle actuel vis-à-vis de I'lle Maurice. Voilà en effet une
Cour qui est amenée à se référer à des
systèmes de pensée qui n'étaient pas les siens à
l'origine et ne correspondaient pas à la formation de ses membres.
Comment réussit-il â adapter le droit anglais
à des contextes différents de celui au sein duquel il s'est
développé, tout en respectant l'identité des
sociétés concernées ?
Après l'intervention de chacun des membres du jury, le
candidat a répondu à leurs questions et objections avec
clarté et de manière très pertinente.
Le jury, après en avoir délibéré,
a décidé de lui décerner le titre de docteur en droit avec
la mention très honorable et les félicitations unanimes du jury.
Il a en outre proposé sa thèse pour une subvention.
|
1 - · ·
|
.t.
|
|
c, 1
|
'7 7' - .2
|
17:54 F.3-i7
|
EIEH PECU *2
|
Professeur Mark FREEDLAND
St John's College
Oxford, OX 1 aiP
Téléphone: 00 44 1865 277 387
Télécopie: 00 44 1865 277 480
Courrier électronique:
mark.freedland@st-johns.ox.ac.uk
tAiteLLA-tr---eLl 2.4 et tt,c)
Pet
RAPPORT SUR LA THÈSE DE M. PARVEZ DOOKHY "LE
COMITÉ JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVÉ ET LE DROIT
MAURICIEN"
M. Paniez Dookhy présente une thèse de 350
pages, préparée sous la direction du Professeur Gérard
Conac, portant sur le rôle et la fonction du Comité judiciaire du
Conseil privé britannique, en tant que Cour suprême de l'ile
Maurice, devenue indépendante en 1968.
La thèse centrale de l'auteur est que le Comité
judiciaire a constitué et continue de constituer la meilleure garantie
institutionnelle, actuellement offerte, de l'existence du "Rule of Law" et du
respect du constitutionnaksme à File Maurice. Sa thèse tend
explicitement à contrer les arguments favorables à la
"rnauricianisation" du système juridique de Elle, dans la mesure
où ceux-ci réclament précisément l'abolition de la
juridiction du Conseil privé à l'égard de ce pays.
Afin de soutenir son propos central, l'auteur analyse, en
profondeur et avec une abondance de détails, d'abord la
légitimité historique et juridique du Comité judiciaire,
deuxièmement sa nature et ses caractéristiques,
troisièmement le système de principes juridiques qu'il a
développé à l'endroit de I'lle Maurice, et
quatrièmement ia façon dont il a su entourer l'action
gouvernementale et législative mauritienne de garanties
constitutionnelles.
Ses arguments sont exposés dans un style
littéraire coulant, agréable et intéressant à lire
d'un point de vue académique. L'acteur semble avoir acquis et fait
preuve d'une maîtrise vraiment impressionnante de l'histoire juridique et
constitutionnelle du Conseil privé considéré dans ses
relations au Royaume-Uni lui- même, à l'Empire britannique, puis
au Commonwealth. Le niveau de précision des matériaux dont il
fait état me semble vraiment très élevé. J'ai
été également très favorablement
impressionné par sa maîtrise des sources secondaires; la
bibliographie
1
et les citations utilisées me paraissent louablement
complètes.
Je me suis toutefois interrogé sur le point de savoir
si le fait que la tonalité globale et l'argumentation de la thèse
soient si généralement laudatives à l'égard du
Conseil privé ne taisait pas problème. En effet, on se demande si
l'auteur n'idéalise pas le Comité judiciaire parce qu'il a le
fort sentiment que son maintien au sommet du système juridique mauricien
s'avère préférable à toute autre alternative. Ses
appréciations sur ce point apparaissent certainement moins critiques que
celles de la moyenne des commentateurs au sein du Royaume-Uni.
Cependant, en définitive, je me satisfais de cette
opinion. Il se peut très bien en effet que le Comité judiciaire,
dès lors qu'il remplit un rôle constitutionnel très clair
pour I'lle Maurice. assure cette fonction d'une façon plus
cohérente et plus effective que celle, homologue, qu'il peut
lui-môme exercer cette fois en tant que Comité judiciaire de la
Chambre des Lords et pour le Royaume-Uni lui-méme, laquelle parait
beaucoup moins claire et se trouve contestée de façon très
significative, tandis que la constitution nationale connaît une
série de ré-orientations, aussi bien en ce qui concerne les
régions constitutives de ce Poyaume-Uni qu'en ce qui touche son
appartenance à l'Union européenne.
En outre, le candidat, bien que sa préoccupation soit
évidemment de faire l'éloge du Conseil privé plus que de
l'enterrer - s'il est permis d'emprunter à la formule shakespearienne -
ne laisse pas, d'une façon qui n'est pas irréfléchie, de
le critiquer à l'occasion, et ne manque pas du sens des nuances ou de
l'observation, souvent attentive.
Il est fort appréciable de pouvoir maintenant disposer
de cette étude complète d'un doctorarit, certes
dévoué à la cause du Conseil privé, mais qui l'a
abordé d'un point de vue inhabituel, essentiellement continental; et
c'est sans hésitation que je conclus à un avis favorable à
la soutenance.
Mark FREEDLAND Université d'Oxford
2
-ppELE: '7j1
TOTF-AL p. 03
r=,=. BIE
RAPPORT AVANT SOUTENANCE SUR LA THESE DE MONSIEUR PARVEZ
DOOKHY SUR « LE COMITE JUDICIAIRE DU CONSEIL PRIVE DE SA MAJESTE LA REINE
D'ANGLETERRE ET LE DROIT MAURICEEN »
Le Comité judiciaire du Conseil privé est une
très vieille institution anglaise qui a joué depuis son origine
divers rôles. Le comité judiciaire a été pendant
longtemps la plus haute Cour des pays du Commonwealth. Elle l'est encore
aujourd'hui pour certains Etats tel que l' Ile MAURICE.
Composé des mêmes juges que la Chambre des lords, le
Comité judiciaire rend des decisions ( sous la forme d'avis à sa
Majesté ) qui ont toujours revêtit une grande importance.
Aucune étude d'importance n'a jamais été
écrite en France, ni même semble t-i[ Angleterre sur une telle
institution. La thèse de Monsieur DOOKHY constitue donc un document fort
intéressant.
La thèse a pour but d'étudier tout à la
fois le Comité judiciaire et son rôle dans le droit de l'île
Maurice. Dans l'île, cette juridiction supérieure, située
Londres, est conçue comme un élément primordial au
maintien de la paix et de la cohésion sociale dans un pays
multicommunautaire. Cependant il est exact que des dissension existent entre la
juridiction anglaise et la Cour Suprême de l'Ile Maurice. Le
comité judiciaire « moins soucieux du développement d'un
droit national autonome que la Cour suprême locale, se sent de plus en
pus tenu d'appliquer aux contentieux mauriciens les solutions
dégagées par la Cour Européenne des droit de l'homme et
des grands juridictions étrangères telles la Chambre des Lors ou
la Cour Suprême des U.S.A. ».
Dans une première partie, l'auteur entend rappeler
l'histoire, la composition et le fonctionnement du comité judiciaire du
conseil privé. C'est donc une description exhaustive de cette
juridiction qui est tentée. Évoquant l'histoire du Comité
Judiciaire l'auteur est conduit à étudier les relations de l'
Angleterre avec le droit des pays du Commonwealth . L'auteur remarque «
les hautes qualités » du Comité Judiciaire, dues
essentiellement à la compétence et à l'indépendance
de ses juges
Dans une seconde partie, l'auteur s'intéresse au
Conseil Judiciaire en tant que juridiction supérieure de l'Ile Maurice .
L'étude du rôle de la juridiction supérieure anglaise est
axée sur son rôle de Cour constitutionnelle. C'est le
fonctionnement de la justice constitutionnelle qui est concerné
· Le droit constitutionnel et la protection constitutionnelle
apportée au citoyens de l' Ile Maurice sont étudiés .L'
auteur estime que le Comité Judiciaire , juge constitutionnel
supérieur, a parfaitement répondu aux attentes de la
démocratie rnoderne.
Le travail est bien construit, bien structuré, le style
est clair et précis.
La thèse présente les qualités requises pour
être admise à la soutenance.
et · r;
CANDIDAT
DATE
U.F.R.
THESE DE DOCTORAT EN DROIT Dg L'UNIVERSITE DE PARIS I
(Arrêté du 30 mars 1992)
UNIVERS1TE DE PARIS.I - PANTHEON - SORUONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES - SCIENCES JURIDIQUES ET
POLITIQUES
HEURE : I tt
SALLE : 2_46
-t -1 -I -:
JURY Le Président : NOM et titre
______eic.-,m1JFIF-ee-7-.
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),,LK(,-,1--,;. 1?7,L,
I. les Suffragants : NOMS et titres : H-
(CAj7i-C---. ipi' -.''-eSrCiLc
1. ,i'0,7.{_i4. '
Ke-.°f.çr_17-1
P!.A-L6 r fkbli-rj-A
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-4--(Lc( , Lez uf-r_hs t,u___( 1
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Ler_Rapporteue.,: NOM et titre
'N=i)nt,( hit(..es 4--;(
Dipleme dl 1)14- 1.)A-4
Doc,:orat de -
Supt de la thèse (ou ensemble de travaux) :
ijel_ c'eit.itt jvctirctzw-e
EIL-ctt-c--YIL
diL4 LicL PÀ,d_LiOZzei5(._
MENTIONS
Ir_à_liumrable--
Très honorable avec félicitations
THESE PROPOSEE Pour une subvention 0..-tAT
Pour un prix de thèse
tr/L,
Le Président du Jury,
RESULTAT DE LA SOUTENANCE
· · · · · · ·..
N? 093794 UNIVERSITE DE PARIS I- PANTHEON -
SORBONNE
SCIENCES ECONOMIQUES - SCIENCES HUMAINES SCIENCES JURIDIQUES
ET POLITIQUES î.
DOCTORAT
|
·-ne tàt
' qui n,
|
|
Arrêté ministériel du 30 mars
1992 relatif aux études doctorales
|
de la
|
|
Le Secrétaire Général de l'Université
de PARIS I Panth ne,
soussigné, certifie que :
ofeeieu.A., PcvuLè.-IA · C.
.10014:H1 né(e) le i. et- A161
à Polk-- 6ctv-z,-
Département ou Pays :
a été admis(e) le ete/9- 19q-7-
au grade r DOCTEUR de
l'Université de PARIS I - Panthéon - Sorbonne en
ota.(if.. avec, (icÀ1--etou-s
avec la mention
Noms et titres des membres du jury :
/1121 CCMAC Uktivete: ri.
7
LL FREENA-Kihe.. ve4g 0 11,7
d-i G-
JAuFFÉ.ÉT-Mmoçn
u\i/4-71- 6ougn
/.
se..D. Pic/te Um-ivrtyi faitz..
Sujet de la thèse (ou intitulés des travaux
présentés en soutenance)
LÉ_ cruti udiciavit .d.L2 ,covi fie.. de_
çt, 1--/adee
elte, A. eme
cs.
Signature du Titulaire :
V
AVIS IMPORTANT. -- Cette attestation, pour être valable,
ne doit être ni surchargée ni grattée. L'UNIVERSITÉ
ne la délivre qu'une fois. Les Maires et les Commissaires de police
français, les agents diplomatiques ou consulaires de la France à
l'étranger peuvent en délivrer des copies certifiées
conformes,
ipppippupppp111.1 nipip 11111 II 1111 I 111111111111 1N1111 II
111111 P 1
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16,6111.14te.d.4.15. 1111in Illilopue.1111111111 I, 1111
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1 il 1 ·111 .1 II I I 1 11 II I II I 1111 l'II.. II
`.;
MINISTÈRE DE L'ÉD,UCATION NATIONALE,
XeDieffloeeffleeeXXXMXXX4MKRAXXXXXXXXAXXXXXXX ET DE LA
TECHNOLOGIE
ollationrio5 et ce'
à l'original qui nous
(1)
DE LUINIVERSITE PARIS_I_WANTEIEOOSORECIenté-21
DEC 1998 EN PMI PAF-', le
(Arrêté du 30 mars 1992 relatif aux études
doctorales)Pour le Maire de Paris
préparé en collaboration avec (2) . et
par ifflécntion
'Le Fonctionnaire Municipal
Vu les titres initiaux produits par MOivisieun. VOOKHY
Poiniez. I
né(e) le 21 Jwin 1969 PORT-LOUIS [L LE
MAURICE"
Vu les pièces constatant que l'intéressé(e)
a présenté en soutenance, confOr-mémen ux
rè. e nts, à la date
du 26 Févuek I991 une thèse ou Un ensemble
de travaux (3) po sur 1 ujet suivant
_,_,Le_c_Qmiii_iiudi_cim:Az_du_catieit_424:32L_de_sailajeAti
RzinE'lf g etekn
M ninAjpwr VOOKHV
avec les droits et prérogatives qui y sont
attachés.
, le 22 JuitLe_t_19
9 8 ,miouture du'titu hire ; Vu, pour le Ministre et par
délégation,
RJIE v le Recteur de t'Académie, Chancelier des
Universilés,
(4) Désignation de la discipline ou de a
spécialité ia ia discrétion de l'étenlissement).
(5) Titre(s) de la (des) personne(s) dirigeant l'(les)
établissements) délivrant le diplCme.
jj délivrant le diplOrne.
nt sj ayant, le cas echéant, collaboré
,.9 Émile
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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
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devant un jury constitué au sein de (1)
Lirt-itg)tA.été Pa)r-i_ I
présidé par M et composé de M M.
FREEPLAND - PICARD et de
MMFÇ JAOFFRFT-gPTNDS/ - MfilliMILLUIREL -
la décision dudit jury prononçant l'admission de
l'intéressé(eYaVec la mention iRES_MMAUF.___à_VEC--..
IPLÔME DE DOCTEUR DE (IV (P.ANTHEON SOWNNE1 FELICITATIONS
IMPRItvIERIE NATIONALE - Olt 89 ENDS
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DE LA RECHERCHE
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