WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

( Télécharger le fichier original )
par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Paragraphe 2. En droit pénal et responsabilité des hauts magistrats

La compétence du Comité Judiciaire en droit pénal mauricien apparaît ambiguë et mérite d?être clarifiée (A). Par contre, la compétence de la Haute Instance est pleine et entière en matière de responsabilité disciplinaire des hauts magistrats (B).

A. En droit pénal

Il est d?une pratique constante des Lords judiciaires de restreindre leur domaine de contrôle en droit pénal. Selon la Loi anglaise sur l?administration de la Justice de 1960, la Chambre des Lords ne peut être saisie d?un pourvoi en matière pénale que si la Cour d?Appel atteste que l?affaire soulève un problème d?intérêt général. Un système de filtrage similaire existe au Comité Judiciaire. Dès 1867, le Comité Judiciaire s?était imposé des limites à sa compétence du fait des inconvénients qui résultent de son contrôle en matière pénale sur l?administration de la justice404.

Or, le législateur mauricien, en vertu de l?article 81-1-d de la Constitution de 1968 qui l?autorise à accroître le domaine de compétence du Comité Judiciaire, a, en 1980, accordé à tout appelant le droit de se pourvoir au Comité Judiciaire contre toute décision de dernier ressort en matière pénale405. Le gouvernement voulait que les pouvoirs de la Haute Instance londonienne fussent aussi larges que ceux dont elle dispose en droit privé406. Mais le Comité Judiciaire, dans l?arrêt Badry407 a réaffirmé les principes directoires concernant les pourvois dans cette branche du contentieux exprimés dans le grand arrêt Ibrahim408. Le Comité Judiciaire déclare recevable un pourvoi que s?il y a eu

404 CJCP: 28 juin 1867, The Attorney-General for the Colony of New South Wales c/ Henry Louis Bertrand, LRPC, 1865-67, vol. 1, pp. 520 à 536, affaire de l?Australie, Sir John Coleridge rédacteur de l'arrêt. Selon le Comité Judiciaire: «...interference by Her Majesty in Council in criminal cases is likely, in so many instances, to lead to mischief and inconvenience, that in them the Crown will be very slow to entertain on appeal», ibid., p. 529.

405 Article 7 de la Loi de 1980 sur les cours.

406 Attorney-General, LAD, 26 juin 1980, 4ème session, p. 3298.

407 CJCP, cité note 386.

408 CJCP: 6 mars 1914, Ibrahim c/ The King, AC, 1914, pp. 599 à 618, affaire de Hongkong, Lord Summer rédacteur de l'arrêt.

dans l?affaire une grande méconnaissance des objectifs de la justice409 ou une grave violation de la procédure et du principe d?impartialité des juges410. Le Comité Judiciaire considère qu?il n?est pas une juridiction d?appel en matière pénale411. Une simple irrégularité non substantielle commise dans la procédure ne constitue pas un cas d?ouverture de saisine412. Par contre, il peut être saisi si le juge du fond a interprété de manière erronée une loi et si cette mauvaise interprétation risque de créer un précédent incorrect413.

Les pouvoirs du Comité Judiciaire en matière pénale sont très étroits414 malgré l?élargissement opéré par le législateur mauricien. Le Comité Judiciaire a systématiquement décliné sa compétence dans les affaires mauriciennes ne tombant pas dans le cadre qu?il a posé415 et a complètement neutralisé les effets de la Loi de 1980. Le juge londonien précise néanmoins que des aménagements à ses principes pourraient être apportés aux pourvois mauriciens416.

Cette pratique restrictive du Comité Judiciaire a contraint le législateur mauricien à modifier la Loi sur les cours de 1980. La Loi sur le fonctionnement de la justice de 1990 (Judicial Provision Act) prévoit dans son article 2 que le Comité Judiciaire statuera en matière pénale que lorsque l?affaire soulève une question d?importance publique417, autrement dit, dans des circonstances exceptionnelles ou sur autorisation du Comité Judiciaire suivant les règles qu?il

409 «Where some clear departure from the requirements of justice exists», ibid., p. 614-5.

410 «A disregard of the forms of natural justice or, otherwise, substantial and grave injustice has been done», ibid., p. 615.

411 «Their Lordships have repeated ad nauseam the statement that they do not sit as a Court of Appeal», CJCP, cité note 386, p. 166.

412 Le Comité Judiciaire déclare que la Cour Suprême est souveraine pour apprécier la régularité de la procédure: «Their Lordships note the grounds of appeal relied before them... were exclusively concerned with procedural points, on which the courts in Mauritius could be expected to exercise an authoritative judgment», CJCP: 6 mars 1991, G. R. Banymandhub c/ The Q ueen, affaire de Maurice, Lord Lowry rédacteur de l'arrêt. V. également CJCP: 26 mars 1990, Samad Ramoly c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Bridge of Harwich rédacteur de l'arrêt.

413 CJCP: 25 février 1991, Y. Mamodeally c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Brandon rédacteur de l'arrêt.

414 Même saisi directement après la décision de première instance, le Comité Judiciaire refuse d?exercer une compétence de deuxième ressort. V. CJCP: 29 mars 1993, Attorney-General c/ Charles Cheung Wai-bun, WLR, 1993, vol. 3, pp. 242 à 248, affaire de Hongkong, Lord Woolf rédacteur de l'arrêt.

415 V., par exemple, CJCP: 2 octobre 1990, A. C. Gaffoor c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt, et CJCP: 11 novembre 1991, S. M. A. Goolfee c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Goff of Chieveley rédacteur de l'arrêt.

416 CJCP: 19 mai 1988, Buxoo c/ The Queen, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel rédacteur de l'arrêt. «It is to be remarked however, that these principles are not necessarily to be applied with the most extreme rigidity where an important point of law of general application is raised by an appeal, and the decision in question is capable, if not reversed, of continuing a precedent not conducive to the public interest in the proper administration of justice, the appeal may be capable of being accommodated within the intendment of the principles». Un résumé de cet arrêt est publié in CLB, 1988, p. 1290.

417 CSM: 2 août 1991, Doomun c/ Regina, MR, 1991, pp. 252 à 253, le Chef-Juge Glover rédacteur de l'arrêt et CSM: 15 janvier 1991, Sans Souci c/ Regina, MR, 1991, pp. 204 à 205, Le Chef-Juge rédacteur de l'arrêt.

a fixées. La Haute Instance a interprété la Loi mauricienne de 1990 comme voulant traduire en somme les principes précités418.

Cependant, vu la constitutionnalisation abondante du droit pénal mauricien grâce notamment à l?existence d?une charte des droits fondamentaux dans la norme suprême, le Comité Judiciaire peut être saisi si le demandeur au pourvoi invoque à l?appui de sa requête la méconnaissance d?une norme constitutionnelle. La saisine est alors de droit.

418 «The necessary exceptional circumstances have been said to exist in cases where some clear departures from the requirements of justice has been taken place», CJCP, cité note 413.

B. La responsabilité disciplinaire des hauts magistrats

La mise en jeu de la responsabilité disciplinaire d?un juge de la Cour Suprême obéit à une procédure très lourde conjuguée avec une obligation de référer, sauf en cas de non-lieu préliminaire, l?affaire au Comité Judiciaire. Le constituant britannique a voulu protéger les hauts magistrats au maximum dans l?exercice de leur fonction notamment parce qu?ils sont investis du pouvoir de contrôler les lois419. Un juge à la Cour Suprême ne peut être démis de ses fonctions que pour incapacité (inability) ou inconduite (misbehaviour) constatée par le juge londonien selon l?article 78-3 de la Constitution mauricienne. Le terme d?inconduite n?a pas été défini en droit mauricien ou même par la Common Law420. Le terme trouve son origine dans la vieille Loi anglaise d?Etablissement du 12 juin 1701 (Act of Settlement) et a été repris par la Loi de même nature sur la Cour Suprême de Justice de 1981 selon lequel le juge supérieur ne peut être révoqué que pour inconduite sur pétition des deux chambres du Parlement au Souverain421. Face à l?imprécision du terme, la doctrine n?a pas manqué de fournir des éléments de définition. Selon Stanley A. De Smith, la notion d?inconduite englobe la turpitude et la négligence grave et perpétuelle422. Il nous semble, pour exprimer notre opinion personnelle, qui corrobore avec celle de Monsieur le Professeur Mauro Cappelletti, que la notion désigne principalement le fait pour un juge, dans ses fonctions, d?agir contrairement aux obligations qu?il a envers la société, d?être impartial423.

Le constituant originaire a mis en place un mécanisme évitant la mise en cause constante des juges à Maurice. Ce mécanisme, contrairement à ce qui existe en Angleterre, est entièrement juridicisé et s?inscrit dans le droit fil de l?évolution du droit constitutionnel moderne. En somme, un juge à la Cour Suprême ne peut être démis de sa charge que par le Chef de l?Etat et que si un Tribunal composé de trois membres ayant exercé de hautes fonctions dans la magistrature assise de droit commun dans des pays du Commonwealth. Ce tribunal ad hoc adresse un rapport au Président de la République mauricienne

419 «... It is clearly of great importance that a judge who may be called upon to interpret a justiciable bill of rights... shall not be intimated by fear of loss of office», DE SMITH Stanley, cité note 30, p. 140-41.

420 L?absence de jurisprudence sur la responsabilité disciplinaire des hauts magistrats est un fait courant dans beaucoup de pays.

421 Une condamnation pénale hors de l?exercice de ses fonctions de juge ne constitue pas une inconduite. En 1975, un juge de la Haute Cour britannique avait été reconnu coupable de conduite d?un véhicule en état d?ébriété mais n?avait pas été sanctionné. Depuis la Loi de 1701, un seul juge fut démis de ses fonctions pour fait de corruption.

422 «Misbehaviour would include conviction for an offence involving moral turpitude and persistent neglect of duties», DE SMITH Stanley, cité note 239, v. p. 375.

423 CAPPELLETI Mauro: «Le pouvoir des juges», Economica, 1990, 397 p., v. p. 152. «Le juge qui agit selon sa bonne foi ne contrevient ainsi à aucune obligation mais il en va autrement de celui qui agirait pour nuire (maliciously) ou parce qu?il a été acheté», ibid.

et lui recommande, le cas échéant, de référer la question de démettre l?intéressé au Comité Judiciaire424. Ce dernier donnera son avis au Chef de l?Etat mauricien425.

On est frappé par l?imprécision du droit en la matière426. Le droit procédural applicable est peu précisé. Le Comité Judiciaire dispose d?une grande latitude. Cependant, une jurisprudence de la Haute Juridiction a fourni une donnée fondamentale même si elle est loin d?épuiser l?interrogation du juriste. Dans une affaire de Trinité et Tobago, le juge londonien a affirmé l?exclusivité de la procédure constitutionnelle427 et a prôné l?application des principes généraux du droit lors du déclenchement de la procédure. Le juge dont la responsabilité est engagée a droit de se faire entendre et représenter428.

*

La compétence du Comité Judiciaire à l?égard de l?île Maurice relève de trois modalités: compétence générale en matière constitutionnelle, compétence limitée à la cassation en droit privé et pénal et compétence exclusive en matière de responsabilité des hauts magistrats. Dans ces conditions, on peut affirmer que le Comité Judiciaire est la vraie, la seule et unique juridiction suprême de l?île Maurice.

424 CJCP: 9 avril 1870, Memorandum of the Lords of the Council on the removal of colonial judges, ER, Privy Council, vol. 16, partie 6, pp. 827 à 830, rapporté par Moore.

425 Article 78-3, 4 et 5 CM. C?est le seul cas où le Comité Judiciaire conseille le Président de la République. La saisine par le Chef de l?Etat s?apparente à celle dite de «consultation extraordinaire» (special reference) de l?article 4 de la Loi de 1833.

426 Il est une question que l?on peut se poser. Le Comité Judiciaire a-t-il été habilité en droit anglais à se prononcer sur saisine du Président de la République de Maurice ? L?Ordonnance en Conseil du 15 juillet 1992 autorise le Comité Judiciaire à statuer sur les pourvois mauriciens selon les termes de l?article 81 de la Constitution mauricienne. A contrario, la Haute Instance n?a pas été habilitée à se prononcer sur la base de l?article 78 de la Constitution. V. sur le sujet, DOOKHY Parvèz et DOOKHY Riyad: «La révocation du Chef-Juge: les aspects juridiques», L?Express, 31 août 1995, p. 12.

427 CJCP: 14 février 1994, Evan Rees c/ Richard Alfred Crane, WLR, 1994, vol. 2, pp. 476 à 499, affaire de Trinité et Tobago, Lord Slynn of Hadley rédacteur de l'arrêt. Il souligna que: «... if judicial independence is to mean anything, a judge cannot be suspended nor can his appointment be terminated by others or in other ways», ibid., p. 484.

428 BENTWICH Norman, cité note 41, pp. 154 à 158.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera