Paragraphe 2. La procédure
Le procès au Comité Judiciaire est très
formaliste et comporte deux grandes phases successives. Nous étudierons
d?abord les actes de procédure (A) et ensuite la structure de l?instance
(B). Le même aspect de lourdeur apparaît également ici.
L?accomplissement des actes de procédures nécessite
l?intervention de plusieurs autorités afin de préparer le
débat contradictoire devant les juges londoniens et de permettre
à ce qu?il se déroule de façon tout à fait
honorable et digne de la contestation finement organisée.
A. Les actes de procédure
Après avoir obtenu l?autorisation de saisine, l?appelant
envoie un dossier (record) au Comité Judiciaire (a) et
ultérieurement produit les mémoires (b).
623 BENTWICH Norman, cité note 41, v. p. 127.
624 Article 6-1 des Règles sur le Comité Judiciaire
de 1982.
a. L'envoi du dossier
Le dossier est minutieusement préparé sous le
contrôle de la Cour locale625. Tous les documents
nécessaires, et ceux-là seuls, doivent trouver place. Le dossier
doit être établi en format 21,0 X 29,7 cm (A4) et avec des
caractères déterminés626. Si le dossier est
imprimé hors Angleterre, notamment à Maurice, trente exemplaires
doivent en être adressés par le demandeur au pourvoi au
secrétariat-greffe du Conseil Privé, dont un certifié par
le greffier de la Cour locale. S?il est imprimé en Angleterre, il suffit
au greffier de la Cour locale d?en envoyer un seul exemplaire certifié
conforme627. Cette différence de traitement est frappante. On
se prendra à regretter que cette discrimination, qui relève d?un
autre temps, n?a pas été supprimée en cette fin du
vingtième siècle.
Le demandeur au pourvoi est tenu de faire diligence et
envoyer le dossier dans le temps attribué par la Cour locale, faute de
quoi l?autorisation d?appel, qui est provisoire, pourra lui être
rapportée ou la requête pourra être déclarée
irrecevable par le juge londonien628.
Le demandeur au pourvoi doit aussi comparaître
(enter in appearance) devant le secrétariat-greffe et en aviser
le défendeur. Il peut se faire représenter par un des
avoués (solicitors) britanniques. Seuls ceux-là ont
droit d?accomplir les actes de procédure devant le tribunal de la
Downing Street. L?exclusion des avoués mauriciens se comprend. Pour des
raisons d?ordre pratique, il faut que le mandataire soit constamment disponible
pour suivre la procédure, fonction difficile à remplir par un
avoué exerçant sa profession à Maurice.
b. Le dépôt de la pétition d'appel et la
production des mémoires
Dans un délai de deux mois, à partir de
l?arrivée du dossier à Londres, le demandeur au pourvoi doit
déposer sa pétition d?appel (lodge his petition of
appeal)629. Celle-ci est en réalité un
résumé de la procédure suivie sur le plan local, duquel
est exclue toute argumentation sur le fond de l?affaire630.
Après l?avoir déposée, le demandeur au pourvoi a
obligation d?en signifier une copie au défendeur dès que celui-ci
a comparu. Au cas où il n?a pas comparu dans les
625 Article 8-1 de l?Ordonnance sur les recours mauriciens au
Conseil Privé du 12 mars 1968.
626 Annexe A des Règles de 1982, cité note 619.
627 Article 14-1, ibid.
628 CJCP: 27 juillet 1979, Dorothy Roulstone c/ O. L. Panton,
WLR, 1979, vol. 1, pp. 1465 à 1468, affaire de la Jamaïque, Lord
Russel of Killowen rédacteur de l'arrêt.
629 Article 29-a des Règles sur le Comité
Judiciaire de 1982, citées note 619.
630 Article 30, ibid.
deux mois suivant le dépôt de la pétition, le
demandeur peut demander que l?affaire soit entendue par
défaut631.
Ensuite, les parties doivent préparer un mémoire
(the case). Le mémoire est rédigé et signé
par l?avocat. Il doit obéir à des règles de formes
strictes632 et être établi en vingt
exemplaires633 et remis au secrétariat-greffe du Conseil
Privé. Cinq exemplaires doivent être signifiés au
défendeur au pourvoi. Celui-ci dispose d?un délai d?un mois,
à compter de la signification, pour remettre au
secrétariat-greffe un mémoire en réponse.
Le mémoire, acte de procédure très
important, contient les moyens (reasons and contentions)
invoqués contre la décision attaquée et les conclusions.
En principe, un point de droit ne peut être soulevé pour la
première fois devant les Sages du Whitehall. Cette règle
étant non écrite, les Lords judiciaires peuvent dans des cas
exceptionnels, notamment lorsqu?il est question de l?intérêt
même de la justice, y déroger634 et statuer sur le
point soulevé en demandant, le cas échéant, le point de
vue de la Cour locale635.
Il faut noter que la procédure peut être
annulée d?office et le demandeur considéré comme
débouté s?il n?a pas fait les diligences nécessaires
(dismissal of appeal for non-prosecution). Aussi, le demandeur peut se
désister et retirer son pourvoi (withdraw his appeal) en
informant le secrétariat-greffe de sa décision636.
Après l?étude des actes de saisine du tribunal
londonien, il convient, suivant l?ordre chronologique de la procédure,
de s?arrêter sur la structure de l?instance.
B. La structure de l'instance
A ce stade, l?affaire est en l?état d?être
jugée. Afin de conserver au débat toute sa
sérénité et loyauté, dignes des juges de cassation,
des règles précises régissent le procès. Il serait
évidemment hors de propos d?entrer dans le détail
631 HALSBURRY?S LAWS OF ENGLAND, cité note 100, v. p. 375,
paragraphe 802.
632 Article 61 des Règles sur le Comité Judiciaire
de 1982, citées note 619.
633 Article 62, ibid.
634 CJCP: 19 février 1996, Consolidated Investment and
Enterprises Ltd. c/ The Commissioner of Income Tax, affaire de Maurice, Lord
Browne-Wilkinson rédacteur de l'arrêt et CJCP: 19 mai 1975, Eaton
Baker c/ The Queen, WLR, 1975, vol. 3, pp. 113 à 131, affaire de
Jamaïque, Lord Diplock rédacteur de l'arrêt.
635 CJCP: 18 février 1992, Ali c/ Regina, LRC, 1992, vol.
constitutional, pp. 401 à 411, affaire de Maurice, Lord Keith of Kinkel
rédacteur de l'arrêt.
636 Articles 32 et 33 des Règles sur le Comité
Judiciaire de 1982, citées note 619.
de la pratique. Mais du moins peut-on dégager les grandes
orientations qui l?inspirent et qui caractérisent la Haute Instance.
Il convient dès lors d?exposer comment se déroule
l?audience (a) et les débats oraux (b).
a. Les règles de l'audience
La date de l?audience est fixée par le
secrétaire-greffier du Conseil Privé mais il est d?usage de
rechercher un accord avec les représentants des parties637.
La composition du tribunal est arrêtée par le Lord-Chancelier en
accord avec le Lord-Président du Conseil.
Pour les besoins de l?audience, les juges obtiennent au
préalable un volume substantiel de documents: le dossier, la
pétition d?appel et les mémoires. Autrefois, il n?était
pas d?usage que les Lords judiciaires aient lu les documents de l?affaire avant
l?audience mais la pratique actuelle veut qu?ils prennent connaissance du
dossier avant l?ouverture des débats.
La police de l?audience est conférée au
président de séance (the Presiding Law Lord), en
principe le doyen des Lords, qui dirige et ouvre les débats. Il donne la
parole aux parties ou à leurs représentants pour qu?elles
soutiennent leurs arguments. Les avocats ont tendance à s?adresser au
président de séance, sauf quand ils répondent à une
question d?un autre Lord638. Le président peut jouer un
rôle fondamental et déterminant en dirigeant à sa guise les
débats. Il peut mettre l?accent sur les points de droit qu?il veut bien
faire ressortir et, par là même, orienter la réflexion de
ses collègues-assesseurs.
La parole est d?abord donnée à l?avocat du
demandeur au pourvoi, puis à celui du défendeur. Selon certains
avocats au Conseil639, l?avocat du demandeur peut, par ce biais,
disposer d?un avantage sur son adversaire, car devant les Lords, la
façon de présenter les faits et d?ouvrir les débats est
très cruciale640.
637 L?accord n?est pas facile à trouver d?autant que des
avocats à la Cour de Port-Louis pourraient être amenés
à effectuer un long voyage pour venir à Londres.
638 Selon Lord Guest: «... the tendency of the discussion is
very largely governed by the presiding judge», in PATERSON Alan,
cité note 513, v. p. 67.
639 Entretien avec Maître Riyad DOOKHY de Gray?s Inn,
avocat au Conseil Privé et à la Chambre des Lords.
640 Selon Maître Louis Bloom-Cooper QC, «the way
the case is opened, the first two hours, particularly if the law Lords have not
read the case, is crucial», in PATERSON Alan, cité note 513, v. p.
57.
A l?issue des interventions des parties, le Comité
Judiciaire peut autoriser ou même ordonner un second exposé des
arguments des parties lorsque l?espèce soulève des
difficultés juridiques considérables ou lorsque le juge a
soulevé d?office un point de droit sur lequel il souhaite entendre les
parties. Ainsi, l?audience peut s?étaler sur plusieurs
jours641. En principe, les Lords écoutent avec grande
attention et courtoisie aux exposés des avocats mais le président
de séance peut écourter (to curtail) les observations
présentées par une partie lorsque la juridiction s?estime
éclairée642.
b. Les débats oraux
Les débats oraux revêtent devant les Lords
judiciaires une suprématie et une importance essentielle malgré
la technicité et la précision du contentieux de l?appel ultime.
La prestation orale des parties permet de débrouiller et expliquer les
points essentiels du litige. La procédure devant le Comité
Judiciaire étant contradictoire et non inquisitoire, la plaidoirie est
l?acte majeur de l?avocat et, de ce fait, est illimitée en
théorie. Il s?agit pour les parties d?emporter la conviction des
juges643 contrairement à ce qui se passe devant la Cour de
Cassation française644 où l?essentiel est
constitué dans les conclusions écrites des avocats, ou encore,
contrairement au Conseil Constitutionnel français où l?audience
et de surcroît la plaidoirie des auteurs de la saisine sont exlues. Les
Lords judiciaires, pour statuer, attachent beaucoup d?importance à la
plaidoirie. Les Sages de la Downing Street se disent sensibles à la
parole de l?avocat.
L?importance de l?oralité ne doit pas surprendre. Dans
les pays de Common Law, la justice, bien que très formaliste, cherche
à être soustraite de tout caractère bureaucratique et
impersonnel. L?admission de l?élément oral de la procédure
permet d?humaniser le litige même de droit public. Cette conception
emporte notre conviction. Le principe de l?oralité constitue une
garantie de bonne justice et l?exemple des juridictions d?assises en est la
meilleure preuve. Avec l?oralité, le contradictoire est mieux
assuré.
641 CJCP: 2 novembre 1993, Earl Pratt c/ Attorney-General,
WLR, 1993, vol. 3, pp. 995 à 1016, affaire de Jamaïque, Lord
Griffiths rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire l?audience a
duré 11 jours.
642 La formule utilisée par les Lords est la suivante:
«Leurs Seigneuries ne voudraient vous inquiéter davantage...»
(«Their Lordships would not trouble you any further...»).
643 Le débat oral s?apparente plutôt à une
conversation très courtoise entre l?avocat et les juges qu?à un
débat entre les représentants des deux parties de sorte qu?on l?a
même qualifié de «conversation entre gentilshommes sur un
sujet d?intérêt commun», PATERSON Alan, cité note 513,
v. p. 50.
644 PERROT Roger, cité note 450, v. p. 505.
Au Comité Judiciaire, où principalement seuls
les éminents avocats qui ont été élevés au
grade de Conseiller de la Reine plaident, ces derniers y mettent en oeuvre tout
un art de persuasion et d?argumentation645. Il arrive que des Lords
judiciaires acquièrent une autre vision de la solution à donner
au litige à la fin de l?audience.
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