Paragraphe 3. La création du Comité
Judiciaire
Les juges siégeant dans les différents
comités du Conseil Privé n?étaient familiers qu?avec le
droit anglais88 alors qu?ils statuaient sur des affaires impliquant
le droit de plusieurs familles juridiques. Ils avaient des difficultés
techniques et il leur fallait chercher de l?aide de
l?extérieur89. Le Conseil fonctionnait de manière
défectueuse. Il fallait, pour que cette juridiction conservât son
prestige, créer un corps judiciaire de grande valeur. Ainsi, la Loi de
1833 instituant le Comité Judiciaire au sein du Conseil Privé
rationalisa la justice en matière coloniale (A). Accessoirement, la Loi
consolida la compétence du Conseil en droit interne (B).
88 Auparavant, les juges statuaient sur des litiges
commerciaux de Common Law. Avec le peuplement des colonies, les affaires
avaient changé de nature et les juges durent appliquer les droits
locaux.
89 Par exemple, en 1827, deux pourvois de l?Afrique du Sud
dans lesquels étaient en cause le droit hollandais avaient
été déférés à un juge hollandais et
deux avocats parisiens. V. BURGE William, KC: «Observations of the supreme
appellate jurisdiction of Great-Britain as it is now exercised by the Courts of
the Queen in Council and the House of Lords», Londres, Saunders and
Benning, Legal Pamphlet, 1841, 63 p., v. p. 21 à 23.
A. La rationalisation de la justice en matière
coloniale
Le projet de loi de réforme de 1833 avait
été inspiré par le Lord - Chancelier90 Henry
Brougham91. L?objectif avéré était que la
formation juridictionnelle du Conseil Privé fût composée de
personnes connaissant non seulement la Common Law mais aussi des droits
étrangers92. Selon la Loi de 1833 et des Lois
ultérieures, le Comité Judiciaire du Conseil Privé ainsi
créé, devait être composé de professionnels du
droit, c'est-à-dire, à l?exception du Lord-Président du
Conseil, des membres du Conseil qui avaient exercé de très hautes
fonctions dans la magistrature: les Lords judiciaires (Law
Lords)93, les Lords-Juges d?appel (Lords Justices of
Appeal)94 et aussi de deux hauts magistrats des
dominions95, de la Cour Suprême de l?Inde ou celle d?autres
colonies. Les membres non-juristes du Conseil ne pouvaient y siéger pour
trancher des litiges.
Aussi, la Loi, tout en posant le principe d?un droit de
recours des justiciables des colonies au Conseil, juridicisait et uniformisait
la procédure utilisée devant les anciens
comités96.
Il convient de souligner que la Loi de 1833 régit
encore aujourd?hui en grande partie le fonctionnement du Comité
Judiciaire. Certaines de ses dispositions ont été
réformées et complétées, notamment par l?Ordonnance
en Conseil du 24 novembre 1982 intitulée «Règles sur la
compétence d?appel du Comité Judiciaire»97.
Ainsi, l?institution du Comité Judiciaire, nouveau
organe du Conseil Privé, était conçu pour assumer une
fonction à la fois lourde et difficile. Il devait être une
institution pouvant dire le droit à l?égard de plusieurs pays et
systèmes juridiques. Etant une institution suprême, ses
décisions devaient être
90 Le Lord-Chancelier exerce les fonctions d?un ministre de la
justice.
91 SWINFEN David B.: «Henry Brougham and the Judicial
Committee of the Privy Council», LQR, 1974, pp. 396 à 411 et HOWELL
P. A.: «The Judicial Committee of the Privy Council 1833-1876, its
origins, structure and development», Cambridge, Cambridge University
Press, 1979, 262 p., v. p. 23 et s.
92 Le Lord-Chancelier Henry Brougham avait
déclaré que: «... the judges (of the Privy Council) should
be men of the largest legal and general information, accustomed to the study of
other systems of laws besides our own, and associated with lawyers who have
practised or presided in the colonial courts», in BURGE William, KC,
cité note 89, v. p. 15-16. V. également HALDANE R. B.: «The
work for the Empire of the Judicial Committee of the Privy Council», CLJ,
1921 -23, pp. 143 à 155.
93 Les Lords judiciaires sont membres de la chambre haute du
Parlement britannique.
94 V. la Loi sur le Comité Judiciaire de 1881, in
CRACKNELL D. G.: «Law students? companion, English legal system»,
Kent, Old Bailey Press, 1995, 320 p., v. p. 73.
95 V. la Loi de réforme du Comité Judiciaire de
1895, ibid., p.74.
96 Nous laisserons pour le moment cet aspect de la Loi pour le
retrouver en son temps.
97 Judicial Committee (General Appellate Jurisdiction) Rules
Order 1982, S.I, N° 1676. Cette Ordonnance annule celle de 1957.
d?une qualité supérieure à celles des
juridictions qui lui étaient subordonnées. Le Comité
Judiciaire fut créé pour permettre sans grande difficulté
la soumission des pays conquis et leur population à la justice du
Roi.
B. L'extension de la compétence d'attribution
du Conseil en droit interne
La Loi de 1833 et d?autres Lois ultérieures ont
élargi la compétence ratione materiae du Conseil Privé en
droit anglais98. Il serait utile de mentionner, même
très brièvement, l?exercice de ces compétences par le
Comité Judiciaire. Nous serions incomplet si nous ne faisons un rapide
panorama des attributions de la Haute Instance londonienne en droit anglais.
Le Comité Judiciaire est la juridiction de dernier
ressort en matière d?amirauté et des prises maritimes. Il peut
réviser les décisions de la Cour d?Amirauté. Cette
compétence est tombée en désuétude depuis la fin
des guerres avec l?Empereur Napoléon.
Par contre, le Comité Judiciaire statue encore
aujourd?hui en matière ecclésiastique. L?Eglise d?Angleterre, qui
s?était dégagée de sa dépendance à
l?égard de Rome en 153399, est soumise au Roi et celui-ci, en
tant que Chef de l?Eglise d?Angleterre, assure la justice ultime en la
matière. Cette charge est conférée au Comité
Judiciaire.
Par ailleurs, la Haute Instance londonienne exerce une
juridiction de dernier ressort des décisions des Ordres de
médecins, celui des dentistes et des opticiens. Il peut aussi être
saisi d?une requête visant à destituer un député de
son siège à la Chambre des Communes (House of Gommons)
pour des raisons strictement disciplinaires100.
Enfin, le Comité Judiciaire peut agir pour le compte du
Conseil Privé comme un conseil juridique à l?égard de la
Couronne et du gouvernement. La Loi de 1833 dispose qu?il est loisible à
Sa Majesté de déférer au Comité Judiciaire toute
question pour avis par la procédure dite de consultation
extraordinaire (special reference). C?est un moyen pour le
gouvernement d?avoir l?opinion d?une
98 On attribue à Lord Brougham l?idée d?avoir
élargi le domaine du Conseil Privé en droit interne dans le but
d?absorber ultérieurement tout pouvoir juridictionnel de la Chambre des
Lords.
99 Sur le sujet, v. MAUROIS André, cité note 72, v.
p. 315 et s.
100 HALSBURRY?S LAWS OF ENGLAND: «The Judicial Committee
of the Privy Council», Londres, Butterworths, 1975, 56 vol., v. vol. 10,
pp. 355 à 389, v. p. 389. V. article 7 de la Loi de 1975 sur la
destitution des membres de la Chambre des Communes (House of Commons
Disqualification Act 1975).
haute autorité judiciaire sur un sujet'0'.
Cette fonction consultative peut rapprocher le Comité Judiciaire du
Conseil d?Etat français.
*
Telle est en résumé l?auguste histoire de
l?origine du Comité Judiciaire du Conseil Privé. L?Angleterre a
récupéré une institution d?origine française,
imposée à elle par les normands. Bien que la Curia Regis, devenue
Conseil Privé, eût évolué pratiquement en
parallèle avec son homologue de l?Hexagone pendant des siècles,
le Conseil du Souverain britannique devint, dans la deuxième phase de
son histoire, un organe essentiel de la géostratégie des
britanniques, ce qui conforta sa grandeur.
Il nous faut analyser la montée en puissance du
Comité Judiciaire au sein de l?Empire britannique.
Sous-section 2. La montée en puissance du
Comité Judiciaire
Le Comité Judiciaire demeurait un organe
discret'02 de l?Empire britannique. En réalité, il
exerçait une influence déterminante sur les colonies à la
fois sur le plan politique et juridique'03 malgré l?existence
au sein du gouvernement britannique des structures spécialisées
tel le ministère des colonies (The Colonial Office). La
politique des colonies faisait partie d?une sorte de domaine
réservé du Souverain. Le rôle du Comité Judiciaire y
était déterminant'04. Sa compétence
était aussi vaste et immense que l?Empire britannique. Lorsque celui-ci
s?agrandissait, la compétence du Comité Judiciaire
s?étendait également.
Il semble donc qu?une étude du développement de
l?Empire britannique (paragraphe 1) est importante à une bonne mise en
valeur des compétences
101 V. par exemple CJCP: 7 mai 1958, Re Parliamentary
Privilege Act 1770, AC, 1958, pp. 331 à 354, Vicomte Simmonds
rédacteur de l?avis. Le Comité Judiciaire était dans cette
affaire composé de sept Lords judiciaires.
102 Les grands ouvrages d?histoire sur l?Empire britannique
n?évoquent jamais le rôle joué par le Conseil
Privé.
103 «In the nineteenth century the Privy Council was seen
as part of the... cement which bound the British Empire together as one
coherent unit», CLARKE W. S.: «The Privy Council, politics and
precedent in the Asia-Pacific region», ICLQ, 1991, pp. 741 à 756 v.
p. 741.
104 «(The Judicial Committee was) the keystone of the
great edifice of Imperial federation», Nebit Wallace in PIERSON G. Coen:
«Canada and the Privy Council», Londres, Stevens and Sons, 1960, 115
p., v. p. 47.
Mr Reeve, Secrétaire du Conseil Privé, avait
écrit en 1875 que: «The Supreme Appellate authority of the Empire
or the realm is unquestionably one of the highest functions and duties of
sovereignty. The power of construing, determining and enforcing the law in the
last resort is, in truth, a power which overrides all other powers», in
SWINFEN David B.: cité note 38, v. p. 3 8-39.
ratione loci et ratione materiae du Comité Judiciaire
(paragraphe 2) et de son influence sur les différents systèmes
juridiques de l?Empire. Cette démonstration pourrait, à
première vue, nous éloigner de notre sujet mais il y a lieu, pour
apprécier convenablement la montée en puissance du Comité
Judiciaire dans le monde, de s?arrêter un instant sur le
développement de l?Empire britannique. Le pouvoir de la Haute Instance
londonienne dépendait directement de l?évolution de l?Empire.
|