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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 2. Le contenu du droit de propriété

Il était nécessaire que le terme du droit de propriété fût défini au plus haut niveau de judiciaire mauricien. Aujourd?hui, les formes de propriété s?étendent à des domaines nouveaux1263. Le Comité Judiciaire prend acte de ce développement. Les Lords confirment que les normes constitutionnelles relatives au droit de propriété doivent être interprétées libéralement et de manière large1264 et en prenant en considération le caractère mixte du droit mauricien1265.

interests of the community at large and the planters», CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Surcrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1262 CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889, v. p. 475.

1263 CHABAS François: «Leçons de droit civil (tome II, deuxième volume), Biens, droit de propriété et ses démembrements», Paris, Monchrestien, 1994, 471 p., v. sur l?évolution du droit de propriété, pp. 10 à 20.

1264 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743, v. p. 183.

Ainsi, le Comité Judiciaire donne à la propriété un champ d?application large (A) tout en demeurant pragmatique dans sa définition (B).

A. Une jurisprudence extensive

Les Codes Civils français et mauriciens ne donnent pas une définition claire et nette ou une liste de biens pouvant faire l?objet d?un droit de propriété. La Constitution non plus ne détermine pas la portée du terme mais déclare protéger toutes les formes de propriété (property of any description)1266. Le Comité Judiciaire n?est donc pas lié par aucun texte et peut donner à la propriété le sens et l?étendue qu?il souhaite.

Les cours de justice du Commonwealth ont dégagé des critères d?appréciation du caractère de propriété à la fois des biens corporels et incorporels (tangible and intangible properties)1267. Est notamment une propriété si le titulaire a le droit d?interdire à toute autre personne la jouissance du bien en question (the right to exclude others from the enjoyment of a given thing) ou si la chose peut se transmettre (right to transfer a thing) ou si le titulaire bénéficie de la chose d?un droit de jouissance (right to enjoyment)1268. Le Comité Judiciaire semble privilégier le dernier critère tout en élaborant sa propre conception de la propriété.

Il découle de l?analyse de la jurisprudence londonienne deux conséquences: les droits patrimoniaux, toutes les composantes confondues, sont une propriété au sens de la Constitution (a) ainsi que le salaire (b).

a. Les droits patrimoniaux

Le caractère de biens de propriété des meubles et immeubles classiques évoqués dans le Code Civil, n?a pas été contesté au Comité Judiciaire1269. A côté des biens classiques, le juge londonien a reconnu l?existence de formes nouvelles de propriété.

1265 «When construing the language of sections 3 and 8 of the Constitution... it is also appropriate to give weight to the legal traditions which exist in Mauritius», CJCP: 13 décembre 1995, La Compagnie Sucrière de Bel Ombre Ltée c/ The Government of Mauritius, cité note 860.

1266 Article 8-1 CM.

1267 CL: 14 décembre 1959, Belfast Corporation c/ O. D. Cars, AC, 1960, pp. 490 à 527, Vicomte Simmonds rédacteur de l'arrêt principal. «... anyone using the English language in its ordinary signification would... agree that property? is a word of very wide import, including intangible and tangible property», ibid., p. 517.

1268 ALLEN Thomas: «Commonwealth Constitutions and the right not to be deprived of property», ICLQ, 1993, pp. 523 à 552.

1269 V. par exemple à propos d?un bien foncier CJCP: 15 décembre 1987, Harel Frères Ltd c/ Minister of Housing, Lands and Town and Country Planning, cité note 889.

Les droits fondés sur une valeur pécuniaire ont obtenu la protection constitutionnelle. Le Comité Judiciaire a étendu le champ d?application de la propriété aux droits de créance (chose in action)1270, c'est-à-dire, aux intérêts découlant des rapports à contenu économique. Une Loi ne peut valablement permettre les autorités de police d?ordonner le blocage de tout compte bancaire d?un suspect de faits de corruption. L?épargnant-client dispose d?un droit contractuel absolu de retirer sur sa demande tout montant d?un dépôt de fond lui appartenant de l?établissement bancaire1271 concerné.

Par ailleurs, il est un secteur dans lequel l?extension de la sphère d?application de la protection constitutionnelle par le juge londonien au-delà du droit de propriété au sens matériel du terme est à noter: le fonds de commerce ou la valeur de la raison sociale (goodwill)1272. Le fonds de commerce s?analyse comme composé d?un ensemble d?éléments corporels (le matériel, l?outillage, les marchandises) et incorporels (le droit au bail, le nom, l?enseigne, les brevets, les marques, l?achalandage) qui appartient à un commerçant et qui en détient un droit d?usage exclusif.

b. La rémunération, le salaire

Les solutions retenues concernant l?application des dispositions constitutionnelles dans le domaine de la rémunération des salariés ou le traitement des fonctionnaires sont moins claires et nettes. Il semble que la jurisprudence londonienne pivote sur le caractère contractuel de la rémunération1273 et, par conséquent, celui d?un droit de créance.

La jurisprudence Marine Workers Union1274 est illustrative de cette approche. Dans cette affaire, le gouvernement, en désaccord avec une sentence arbitrale tranchant en faveur d?une augmentation du salaire des ouvriers, avait

1270 CJCP: 26 mars 1984, Attorney-General c/ Momoudou Jobe, cité note 743. Le juge précise que «property... includes chose in action such as a dept owed by a banker to his customer», ibid., p. 183.

1271 «To confer upon a member of the public service... a power at his own executive discretion to prevent the bank?s customer from exercising his contractual right against the bank to draw on his account on demand would, in their Lordships? view, amount to a compulsory acquisition of a right over or interest in the customer?s property», ibid., p. 183.

1272 «If the Act had deprived the appellants of any goodwill, then the appellants would have been entitled to compensation equal to the value lost», CJCP: 24 octobre 1984, Société United Docks c/ Government of Mauritius, cité note 847, v. p. 845.

1273 BOWERS John et HONEYBALL Simon: «Textbook on labour law», Londres, Blackstone Press Limited, 1993, 3e édition, 417 p., v. p. 28 à 54 «The contract of employment».

1274 CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité note 905.

en 1981 fait réformer le Code de Procédure Civile1275, afin d?anéantir la décision condamnant l?autorité publique. L?analyse auquel se livre le Comité Judiciaire est encore une fois très pragmatique. Avant l?entrée en vigueur de la réforme du Code de Procédure Civile, les employés disposaient du droit de saisir le juge ordinaire aux fins de faire exécuter la sentence et de recouvrer l?augmentation salariale. La Loi de 1981 a, par ricochet, privé les ouvriers de ce droit de créance, d?une action en paiement1276. Cette privation équivaut à une violation du droit de propriété. Les Sages ont retenu une solution voisine s?agissant de la retenue irrégulière opérée par l?Administration sur le traitement d?un fonctionnaire1277.

En revanche, le Comité Judiciaire a refusé d?incorporer dans le droit constitutionnel de propriété le traitement du fonctionnaire. Selon les Sages, la rémunération du fonctionnaire est déterminé par les Lois et règlements et ne donne lieu à aucun échange de consentement entre ce dernier et l?autorité publique. La rémunération peut être modifiée à tout instant par la collectivité publique sans que le fonctionnaire déjà recruté puisse faire valoir de prétendus droits acquis1278. Les fonctionnaires n?ont droit à une rémunération minimale en l?absence de toute disposition expresse de la Constitution1279. Tout laisse à penser, par contre, que les Sages analyseraient différemment la situation juridique des fonctionnaires à l?égard de leur traitement après service fait, après qu?ils eurent exécuté leurs obligations. A ce moment, les fonctionnaires deviendraient créanciers de leur traitement échu.

1275 L?article 1026 nouveau permet au ministère de la justice de former une opposition contre les sentences arbitrales.

1276 «The Amendment Act has thus deprived and was intended to deprive each worker of a chose in action, namely the right to sue for and recover damages for breach by the MMA of its contract of employment», CJCP: 25 octobre 1984, Marine Workers Union c/ Mauritius Marine Authority, cité note 905, v. p. 849.

1277 CJCP: 15 décembre 1987, Norton c/ Public Service Commission, cité note 1129.

1278 CJCP: 3 mai 1994, Gladwyn Ophelia King c/ Attorney-General, WLR, 1994, vol. 1, pp. 1560 à 1563, affaire de la Barbade, Lord Templeman rédacteur de l'arrêt.

1279 «The appellant had no right to a minimum salary. If she had no right to a minimum salary, she had no property protected by... the Constitution», ibid., p. 1563.

B. Une jurisprudence pragmatique

La jurisprudence londonienne est très prudente sur certaines questions de pur droit commercial. Le Tribunal de la Downing Street s?oppose à ce que toute réglementation des activités économiques ou commerciales ne soit considérée comme une atteinte au droit de propriété afin de ne pas restreindre la liberté politique du gouvernement et du législateur.

En ce sens, le Comité Judiciaire a déclaré1280 qu?une Loi mauricienne relative à la démocratisation du mode de désignation des membres du conseil d?administration d?une société privée ne viole pas le droit de propriété d?un groupe d?actionnaires qui, sous l?empire de l?ancienne législation, détenait un pouvoir quasi exclusif de nomination au conseil d?administration. L?action est un bien1281 contrairement au droit de vote attaché à l?action. Le droit d?un actionnaire de participer à la désignation des dirigeants de la société n?est pas un attribut essentiel de l?action mais simplement une incidence du droit d?associé. L?actionnaire privé de son droit de vote selon le régime antérieur n?est pas exproprié de ses droits1282. Cette solution est voisine de celle retenue par le Conseil Constitutionnel français dans sa décision du 19 et 20 juillet 19831283.

Le retrait d?une licence d?exploitation d?une entreprise par

l?Administration est à rapprocher de la jurisprudence précédente1284 de même qu?une nouvelle réglementation des conditions d?exercice d?une profession qui exclue certaines personnes ne remplissant désormais plus les nouvelles conditions.

Une évolution de ces approches, en quête de solutions plus libérales, serait peut-être souhaitable. Mais, aussi est-il nécessaire de permettre au gouvernement de réglementer des secteurs de la vie économique dans l?intérêt public et celui des consammateurs.

1280 CJCP: 23 juillet 1992, Government of Mauritius c/ Union Flacq Sugar Estates Company Ltd, cité note 743.

1281 «Each ordinary shareholder remains entitled to his property namely his share and the dividends and capital to which he was entitled by virtue of his shareholding», ibid., p. 911.

1282 «The property owed by a shareholder is his share. The right of a shareholder to his share in general meetings of the company is not an interest in or right over the property of the company and is not property in its own right», ibid., p. 909-10.

1283 CCF: 19 et 20 juillet 1983, Démocratisation du secteur public, décision n° 83-162 DC, in DUBOURG-LAVROFF Sonia et PANTELIS Antoine: «Les décisions essentielles du Conseil Constitutionnel», Editions l?Harmathan, 1994, 699 p., v. p. 195 à 212.

1284 CJCP: 11 janvier 1977, Government of Malaysia c/ Selangor Pilot Association, cité note 1235, v. p. 345-6.

La protection assurée par le Comité Judiciaire en matière de propriété est dans l?ensemble fort louable. Sa jurisprudence peut valablement être comparée avec celle des cours constitutionnelles d?Europe et est proche de celle de la Cour Européenne des Droits de l?Homme.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein