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Le Comité Judiciaire du Conseil Privé de la Reine Elisabeth II d'Angleterre et le Droit Mauricien

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par Parvèz A. C. DOOKHY
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Docteur en Droit 1997
  

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Paragraphe 2. L'échec de transformation du Comité Judiciaire

Le déclin rapide et de surcroît irréversible de la juridiction du Comité Judiciaire après la guerre déclencha un processus de réflexion sur la réforme de l?institution par certains personnages politiques et juristes britanniques et ceux des anciennes colonies. Ils étaient conscients que, faute d?une évolution, voire d?un remplacement, le Comité Judiciaire disparaîtrait169. Plusieurs propositions de réforme furent élaborées (A), mais toutes furent rejetées faute de consensus entre les parties concernées (B).

A. Les propositions de réforme

Les propositions de réformes étaient aussi variées que multiples, mais deux grandes idées s?en dégageaient: faire du Comité Judiciaire une Cour

168 CJCP: 10 juillet 1980, Port Jackson Stevedoring PTYL c/ Salmond and Spraggon, WLR, 1981, vol. 1, pp. 138 à 153, affaire de l?Australie, Lord Wilberforce rédacteur de l'arrêt.

169 Sir Alfred Green a déclaré en 1943 que: «... unless steps are taken to place the Judicial Committee in a position of authority which will be accepted by dominions the disappearance of its jurisdiction in appeals from the Dominions in a comparatively short time is inevitable», STEVENS Robert: «The independence of the judiciary», Oxford, Clarendon Press, 1993, 221 p., v. p. 151.

Suprême du Commonwealth (a) et/ou élaborer une Déclaration des droits du Commonwealth qui aurait été appliquée par le successeur du Comité Judiciaire (b).

a. Une Cour Suprême du Commonwealth

L?idée de faire du Comité Judiciaire une juridiction suprême du Commonwealth est vieille. Elle appartient au Lord-Chancelier Selbourne qui, en 1873, avait voulu fusionner la Chambre des Lords et le Comité Judiciaire170. Il voulait que les ressortissants anglais et ceux du Commonwealth saisissent une seule et même cour en cassation et abolir ainsi la dualité juridictionnelle. La proposition ne fut pas acceptée mais la Couronne britannique augmenta de quatre le nombre de Lords judiciaires (Law Lords) pouvant siéger au Comité Judiciaire de sorte que le personnel des deux juridictions fût plus ou moins similaire.

La proposition refit surface après la deuxième guerre mondiale. Elle consistait cette fois non pas en la fusion des deux juridictions mais en leur remplacement171 par une Cour Suprême du Commonwealth172. Il fallait qu?il existât une juridiction qui pouvait maintenir l?unicité de la Common Law. La proposition, qui obtint le soutien de certains députés, fut discutée au sein des conférences des Premiers ministres du Commonwealth 173. La Cour Suprême du Commonwealth aurait été une juridiction supranationale contrairement au Comité Judiciaire et la question d?abandon de souveraineté judiciaire par les Etats n?aurait pas été posée. La Cour aurait été instituée par un traité.

Selon ses partisans, cette Cour aurait été un gardien vigilant des droits de l?homme et aurait promu les grands principes de droit et le règne du droit

170 STEVENS Robert B.: «The final appeal, reform of the House of Lords and the Privy Council, 1867-1876», LQR, 1964, pp. 343 à 369.

171 BOUVIER Vincent: «L?avenir de la Chambre des Lords», RIDC, 1983, pp. 509 à 556. V. aussi BAILEY Sidney Dowson: «The future of the House of Lords: a symposium», Londres, Hansard Society, 1954, 180 p.

Les difficultés de réforme de la Chambre des Lords montrent que les secondes chambres ont, dans les pays de l?Occident, l?appui d?une fraction considérable de l?opinion publique. V. MARX F. G.: «La Chambre des Lords», RDP, 1968, pp. 334 à 354.

172 Les appellations variaient. Certains la dénommaient Cour d?Appel du Commonwealth et d?autres Cour Constitutionnelle du Commonwealth.

La proposition de mise en place d?une Cour Suprême en Angleterre est toujours d?actualité. L?Institut de Recherches sur les Politiques Publiques a établi un projet de Constitution écrite pour l?Angleterre et prévoit, dans son article 96, le remplacement de la Chambre des Lords et le Comité Judiciaire. La Cour Suprême pourrait, par accord entre le gouvernement anglais et les pays du Commonwealth intéressés, exercer une compétence à leur égard. V. INSTITUTE FOR PUBLIC POLICY RESEARCH: «A written Constitution for the United Kingdom», Londres, Mansell, 1991, 286 p., v. également BRAZIER Rodney: «Constitutional reform», Oxford, Clarendon Press, 1991, 172 p., v. p. 159 et s. et BENN Tony Hood Andrew: «A new Constitution for Britain», Londres, Hutchinson, 1993, 43 p.

173 SWINFEN David, cité note 38, p. 179.

(rule of law)174. Sa compétence ratione loci aurait eu pour étendue le Commonwealth, l?Angleterre incluse, et son personnel aurait été représentatif de tous les Etats membres du Commonwealth. Elle aurait tenu ses audiences dans plusieurs pays membres et non uniquement à Londres175. Elle aurait été une cour itinérante. Ainsi, elle aurait apaisé les revendications nationalistes et renforcé l?égalité entre les anciennes colonies et la Grande-Bretagne. Or, le Comité Judiciaire, dans son fonctionnement, n?assurait une telle égalité. Il était perçu comme un organe imposé par la Grande-Bretagne et composé uniquement de vieux nobles siégeant à Whitehall?176 alors que la Cour Suprême du Commonwealth, elle, aurait été instituée sur la base du principe de la libre soumission des Etats à sa juridiction.

L?objectif était de maintenir la cohésion entre les systèmes juridiques dans la famille de la Common Law et de protéger en commun un bloc de valeurs juridiques propres au Commonwealth. Ces deux missions étaient autrefois poursuivies par le Comité Judiciaire. Avec le rejet de l?institution du Comité Judiciaire, il fallait qu?une juridiction ne possédant pas les caractères impérialistes de celui-ci le remplaçât.

b. Une Cour des droits de l'homme

La deuxième proposition, plus récente que la précédente et moins détaillée, constituait en la création d?une Cour qui aurait uniquement été un gardien des droits de l?homme contenus dans une Charte du Commonwealth. La Cour aurait eu à peu près les mêmes fonctions que la Cour Européenne des Droits de l?Homme. Elle aurait sanctionné les violations de la Charte par les Etats du Commonwealth. La Cour des droits de l?homme aurait été une juridiction internationale. Elle n?aurait fait partie de la hiérarchie des tribunaux internes. Sa compétence ratione materiae aurait été limitée aux dispositions de la Charte.

174 Les dirigeants britanniques craignaient que les droits fondamentaux ne fussent bafoués par les cours souveraines des nouveaux Etats.

175 «The Court should be wide in jurisdiction, representative in personnel and as various in venue as the Commonwealth itself. It should sit, as required, in the capitals and various sovereign nations which compose the Commonwealth», L?Honorable Hudges, House of Commons, Hansards, debates, 3 novembre 1953, p. 107. La proposition fut aussi soutenue par Lord Denning. Selon lui: «Le seul espoir de conférer au Comité Judiciaire quelque chose comme sa gloire d?auparavant est de le transformer en une Cour Suprême du Commonwealth. Tout comme Henri II a révolutionné l?administration de la justice en Angleterre en envoyant des juges itinérants dans tout le pays, je pense que l?administration de la justice au Commonwealth peut être révolutionnée en envoyant le Conseil Privé siéger dans les pays qui acceptent sa juridiction», in STEVENS Robert, cité note 169, v. p. 159.

176 L?Honorable Graham Page, House of Commons, Hansard, debates, 29 juin 1956, v. p. 955.

Cependant, autant les propositions sus-mentionnées furent séduisantes, autant elles n?eurent reçu l?adhésion des autorités britanniques et celles des grands pays du Commonwealth.

B. Le rejet des propositions

La Grande-Bretagne et les dominions ne donnèrent pas de suite favorable aux propositions de réforme ou de remplacement du Comité Judiciaire bien qu?elles n?eussent jamais été rejetées officiellement par un vote. La Grande - Bretagne avait préféré maintenir le statu quo. A quoi cela tient-il en réalité ? Il y a lieu d?en rechercher les raisons politiques (a) et juridiques (b).

a. Les motifs politiques

Le motif politique déterminant semble être celui-ci. Selon la première proposition de réforme, la Cour Suprême du Commonwealth aurait été composée, à égalité, de juges de chaque pays membre. Les dirigeants politiques anglais étaient très hostiles à cette idée et ne pouvaient consentir à ce que des litiges britanniques de pur droit interne fussent tranchés par une majorité de juges étrangers. Les juges indiens et africains ne présentaient pas de garanties de compétence suffisantes pour être à la hauteur de la fonction de la cour de remplacement de la Chambre des Lords177. Autant la Cour Suprême du Commonwealth fut une solution acceptable au rétablissement de la souveraineté judiciaire des nouveaux Etats, autant elle apparut comme un abandon inadmissible de souveraineté aux britanniques. Les australiens et canadiens ne voulaient non plus que leurs litiges fussent examinés par des juges indiens et africains178.

L?abolition de la Chambre des Lords et du Comité Judiciaire était politiquement impossible à réaliser en Grande-Bretagne car ce pays était attaché à son histoire. Les deux juridictions faisaient partie d?un noble patrimoine institutionnel. Une réforme de la Chambre des Lords n?était réalisable que si les politiques auraient parvenu à démontrer que celle-ci améliorait la qualité de l?administration de la justice en Grande-Bretagne179. Or, l?Angleterre faisait toujours valoir qu?elle avait les meilleurs juges au monde.

b. Les motifs juridiques

Le choix du siège de la Cour du Commonwealth avait posé des difficultés non seulement politiques mais également techniques. Les partisans de la réforme voulaient qu?elle pût siéger dans plusieurs pays membres ou même dans deux ou plusieurs pays à la fois si elle était au moins composée de deux chambres. Ce système aurait offert l?avantage de célérité de traitement des litiges. La procédure aurait été plus rapide et moins coûteuse. Cependant, les juges d?une chambre de la Cour auraient rencontré rarement leurs collègues de l?autre chambre. La jurisprudence aurait été divergente d?une chambre à

177 «... in some colonies, the standards of the Bench and Bar were not high», Le Duc d?Edimbourg in STEVENS Robert, cité note 169, v. p. 157.

178 Ibid., v. p. 153.

179 «It was clear that no radical change regarding the House of Lords could seriously be contemplated unless it could be shown to be... achievable without damage to the administration of justice in the U.K.». SWINFEN David B., cité note, 38, v. p. 204.

l?autre180. Aussi, des nouveaux Etats ne pouvaient offrir les infrastructures et bibliothèques adéquates pour accueillir les juges de la Cour du Commonwealth. Une telle juridiction aurait eu besoin, dans la recherche de la solution au litige, de procéder à une analyse et comparaison des différentes jurisprudences et législations des pays du Commonwealth. Tous les Etats ne disposaient pas d?un fond de documentation suffisant.

Quelle aurait été la politique jurisprudentielle mise en oeuvre par la Cour du Commonwealth ? Les britanniques doutaient de sa capacité à développer et uniformiser la Common Law tant le droit était hétérogène dans les pays du Commonwealth. Le Pakistan avait adopté le droit musulman et les lois coraniques y étaient élevées au sommet de la hiérarchie des normes 181. Selon la Constitution pakistanaise, les lois devaient être conformes au droit et à la pratique de la tradition musulmane. Cette fonction de contrôle de la conformité des normes aux grands principes de l?Islam ne pouvait être exercée par une cour composite. L?Inde, qui avait aussi conservé une partie du droit musulman et hindou, avait opté pour une politique économique proche du communisme182. L?Inde voulait établir une justice sociale et économique préalable à la jouissance des libertés. Les dirigeants ne voulaient pas qu?une juridiction supranationale n?entravât la politique du gouvernement183.

Faute de consensus, la Cour du Commonwealth ne vit jamais le jour. Le Comité Judiciaire demeurait statique. Plusieurs pays mirent fin à sa compétence.

180 Dans un rapport, le secrétaire du Lord-Chancelier, W. B. Rankin, avait souligné en 1955 que: «... it seems to me that an itinerant Board, instead of increasing the influence of the Judicial Committee, might just easily provoke premature demands for the abolition of the right of appeal altogether», STEVENS Robert, cité note 169, v. p. 156.

181 MEHDI Rubya: «The Islamization of the Law in Pakistan», Surrey, Curzon Press Ltd., 1994, 329 p., v. p. 71 et s.

182 ZINS Max-Jean: «La politique de l?Inde», PUF, Qus sais-je ?, 1994, 128 p., v. p. 60-61: «Le Parti du Congrès réuni à Avadi en 1955 se fixe comme objectif d?établir un modèle socialisant de société où les principaux moyens de production seront placés sous la propriété ou contrôle social», ibid.

183 SWINFEN David B., cité note 38, v. p. 214-15.

*

Le Conseil Privé, l?inventeur du contrôle juridictionnel des normes législatives, n?est certes plus le grand tribunal du monde tant sa compétence s?est effritée au fil des ans. D?aucuns pensent qu?il se dirige peut-être vers sa disparition.

Néanmoins, malgré l?appauvrissement de sa compétence, le Comité Judiciaire a su se maintenir grâce au soutien, d?une part, de petits Etats: une quinzaine d?îles des Caraïbes, dont la Jamaïque, la Barbade, les Bahamas, la Trinité et Tobago, les Bermudes et le Gibraltar, et l?île Maurice et d?autre part, de Hongkong et de la Nouvelle-Zélande184. Le maintien du droit de recours au Comité Judiciaire dans certains pays a permis au juge londonien d?y jouer un rôle de première importance dans le développement de l?Etat de droit. Il semble que le Comité Judiciaire y a définitivement trouvé une place privilégiée et s?y est intégré dans le système juridique.

L?affaiblissement du Comité Judiciaire a eu pour mérite de modifier l?essence de l?institution. Le Comité Judiciaire n?a plus pour objectif, à l?égard des pays souverains, la poursuite d?une mission de nature impériale. Il faut voir dans l?affaiblissement de la Haute Instance londonienne un bienfait qui a permis à cette dernière de retrouver un nouveau dynamisme et, par conséquent, une nouvelle légitimité.

Il convient maintenant, après avoir mis en avant la grandeur du Comité Judiciaire, d?étudier le développement de ses liens avec l?île Maurice.

SECTION 2. LE DÉVELOPPEMENT DU LIEN DU COMITÉ JUDICIAIRE AVEC L'ÎLE MAURICE

L?île Maurice résiste à la tendance générale des nouveaux pays du Commonwealth à abolir le droit de recours au Comité Judiciaire. Les raisons de cette exception mauricienne sont à rechercher. Nous voudrions oeuvrer dans cette direction.

Les historiens n?auraient probablement pas grand-peine à démontrer que le poids de l?histoire est un élément déterminant de réponse à notre recherche.

184 EAST Paul, QC, MP, L?Honorable: «Judicial independence, the right of appeal to the Privy Council», The Parliamentarian, avril 1996, LXXWII, n° 2, pp. 140 à 143.

Il existe entre ce pays francophone185 et la Haute Instance londonienne des liens historiques noués au fil de son évolution constitutionnelle et politique (sous- section 1), lesquels méritent d?être mis en valeur.

Mais à s?arrêter à ce constat, on risque de manquer à une autre explication de la nature profonde de l?attachement du peuple mauricien à la justice londonienne. Il transparaît que les relations entre Maurice et le Tribunal de la Downing Street sont renforcées et soutenues par le rôle particulier, fût-il implicite, que les constituants originaires (britanniques) et dérivés (mauriciens) lui ont attribué. En effet, le Comité Judiciaire, par son existence même, son autorité et extériorité, permet de maintenir l?ordre social et représente l?ultime recours contre l?arbitraire dans ce petit pays pluriethnique (sous-section 2).

Enfin, il convient de rappeler que ces liens sont davantage consolidés par l?étendue de la compétence ratione materiae du Comité Judiciaire à l?égard de l?île Maurice (sous-section 3).

Sous-section 1. L'évolution constitutionnelle et politique de l'île Maurice

L'île Maurice est un jeune pays entièrement créé par la colonisation (paragraphe 1). Elle était inhabitée à la l?arrivée des premiers colons. La population, les institutions, l?économie et la société de l?île Maurice, toutes sont la conséquence directe de son histoire coloniale. C?est dans la phase même de la constitution de la société mauricienne qu?on trouve les racines et les motifs du lien mauricien avec la Haute Instance londonienne.

Après avoir accédé à l?indépendance en mars 1968 (paragraphe 2), l?île Maurice ne fut pas épargnée du mouvement de renouveau du constitutionnalisme dans les années quatre-vingt-dix en changeant de statut. L?île devint une République. Ce changement de statut confère au juge londonien une nouvelle légitimité.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery