Paragraphe 1. La colonisation
L?histoire de l?île Maurice se confond avec la succession
des colonisateurs. L?île fut, peut-être, visitée au Moyen
Age, par les arabes, puis repérée au
185 L?île Maurice fut le pays organisateur du Sommet de la
francophonie en octobre 1993. V. Le Monde, 9 octobre 1993, p. 9
seizième siècle par les portugais186.
Les hollandais prirent possession de l?île en 1596 mais ne s?y
installèrent qu?en 1638187. Cette première occupation
laissa à l?île Maurice son nom
Mauritius?188. D?autres colons avaient essayé de
s?y installer en 1644, mais l?entreprise échoua189. Les
néerlandais abandonnèrent définitivement l?île en
1710.
Cinq années après, l?occupation française
commença. Celle-ci laissa une marque profonde dans la sociologie et dans
le système juridique de l?île, nommée Isle de France (A).
Bien que la colonisation française fût antérieure à
toute affirmation des pouvoirs de la Haute Instance londonienne à
l?égard de Maurice, il convient, pour la compréhension du
développement du droit mauricien, de s?y arrêter.
En 1810, les britanniques succédèrent aux
français190 (B) et le Conseil Privé affirma sa
compétence.
A. La période française
Nous étudierons la colonisation française
à l?île Maurice en deux périodes successives, à
savoir, d?abord, celle relative à l?Ancien Régime (a) et,
ensuite, celle qui dure de la Révolution de 1789 à la fin de
l?occupation française (b).
a. Sous l'Ancien Régime
Les premiers colons français vinrent à
l?île Bourbon (aujourd?hui île de la Réunion) en 1721.
L?île de France était concédée à la Compagnie
(française) des Indes. L?île n?était constitutionnellement
considérée que comme la propriété
186 Les portugais appelèrent l?île Maurice
Cierne? et l?île Rodrigues, toujours une dépendance de
Maurice, Diego Rodrigues? et d?autres îles Chagos?,
qui font constitutionnellement partie du territoire mauricien. V. article
111-1-c de la Constitution mauricienne.
Sur l?histoire de l?île Rodrigues v. LANGELLIER
Jean-Pierre: «L?île Rodrigues, cendrillon des Mascareignes», Le
Monde, 2-3 février 1992, p. 6.
Une polémique oppose le gouvernement mauricien avec son
homologue britannique sur la souveraineté mauricienne sur l?île de
Diégo Garcia. V. ORAISON André: «Les avatars du BIOT, le
processus de l?implantation militaire américaine à Diégo
Garcia», APOI, 1979, pp. 117 à 207.
187 L?île Maurice permettait aux hollandais de se
ravitailler sur leur longue route aux Indes.
188 On présume que ce nom dérive de Maurice de
Nassau.
189 Le peuplement fut insuffisant. On comptait à peine
300 occupants, esclaves compris, dont deux fois plus d?hommes que de femmes. V.
TOUSSAINT Auguste: «Histoire de l?île Maurice», PUF, Que
sais-je ?, 1971, 128 p., v. p. 26.
190 L?île Maurice fait donc partie de ces pays qui ont
subi une occupation coloniale effectuée dans le désordre. V.
CONAC Gérard, «La vie du droit en Afrique» in CONAC
Gérard, cité note 18, v. p. XIII. «Les crises et les
conflits européens n?ont pas manqué d?avoir leur contrecoup en
terre africaine. Des territoires ont changé de souveraineté pour
passer du vaincu au vainqueur... Ainsi, plusieurs Etats africains ont-ils
été marqués par l?empreinte de deux, voire trois
colonisateurs», ibid.
privée de la Compagnie191. La Compagnie
exploita mal sa concession192, et l?île fut
rétrocédée au Roi de France en 1764.
La contrôle de l?île par le Roi de France prit
effet à partir du 14 juillet 1767 lorsque débarquèrent
à Port-Louis les premiers administrateurs royaux. Ils étaient
deux: un Gouverneur-Général nanti de l?autorité
suprême et du commandement des forces navales et militaires, et un
Intendant chargé plus particulièrement de l?administration des
finances. Les deux représentants du Roi assumaient, en outre, en commun
un certain nombre de tâches, avec cependant voix
prépondérante du Gouverneur-Général.
L?administration royale instaura de nouveaux tribunaux, les
juridictions royales, qui jugeaient en première instance. Un Conseil
Supérieur statuait en appel sur recours contre des décisions de
ces dernières.
b. Depuis la Révolution française
Malgré son éloignement géographique, la
Révolution française de 1789 eut des répercussions sur
l?organisation judiciaire et politique de l?île193.
Les colons revendiquèrent et obtinrent rapidement le
droit de gérer eux- mêmes les affaires de l?île. Une
Assemblée de quelques soixante membres fut convoquée en avril
1790, et fut légalisée sous le nom d?Assemblée coloniale
par un décret de la Constituante (juin 1789-octobre 1791)194.
La République fut proclamée en février 1793 par
l?Assemblée coloniale195.
Les bases des institutions de la Constituante, inspirées
du principe de la séparation des pouvoirs, étaient reproduites
localement. Le pouvoir législatif
191 NAPAL D.: «Les Constitutions de l?île
Maurice», Port-Louis, Mauritius Archives Publications, 1962, 150 p., v. p.
1 à 18 sur l?histoire constitutionnelle de l?île Maurice et
particulièrement la page 1 sur la Compagnie.
192 Les soldats étaient indisciplinés.
L?île de France était dans une situation lamentable par rapport
à l?île Bourbon. Toutefois, Mahé de Labourdonnais
débarqua à l?île de France en 1735 et transforma
considérablement la colonie en moins de cinq ans. Il aménagea
Port-Louis en un centre de construction maritime et créa la
première sucrerie à Pamplemousses. V. TOUSSAINT Auguste:
«Histoire de l?île Maurice», cité note 189, v. p. 38.
193 MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «Histoire politique de
l?isle de France: 1789-1791», Port-Louis, Mauritius Archives Publications,
1975, 193 p.
194 FAVOREU Louis: «L?île Maurice»,
Encyclopédie Politique et Constitutionnelle, BergerLevrault, 1970, 117
p., v. p. 22.
La Constituante, consacrant le principe de la
suprématie de l?Assemblée, était hostile à
l?affermissement du pouvoir royale. V. GICQUEL Jean: «Droit
constitutionnel et institutions politiques», Monchrestien, Domat droit
public, 14e édition, 1995, 806 p., v. p. 441. et v. aussi CHEVALLIER J.
J. et CONAC G.: «Histoire des institutions et des régimes
politiques de la France de 1789 à nos jours», Dalloz, 1991, 1028
p., v. p. 27 à 54.
195 FAVOREU Louis: «L?An I de la République
mauricienne», pp. 26 à 28, in UNIVERSITY OF MAURITIUS:
«Reflexion on the Republic», Le Réduit, 1992, 35 p.
était exercé par l?Assemblée coloniale de
l?isle de France, le pouvoir exécutif par les représentants du
Roi et le pouvoir judiciaire par les tribunaux.
Les dénominations de Juridictions royales?
et Conseil Supérieur? furent remplacées respectivement
par celles de Tribunaux de Première Instance et de Tribunal d?Appel.
Comme le Roi portait le titre de Roi des français et non plus Roi de
France, les juges locaux étaient désormais choisis par les
justiciables et non plus désignés par le Roi196. Par
ailleurs, sous le Directoire, un Tribunal de Commerce fut établi et
l?Assemblée adopta le Code Pénal du 25 septembre
1791197.
Sous l?Empire Napoléonien (1799-1814), les bases du
droit privé mauricien furent posées avec la promulgation à
l?île de France des trois codes napoléoniens: le Code Civil, le
Code de Procédure Civile et le Code de Commerce.
Le Code Civil fut promulgué le 1er Brumaire An XIV (23
octobre 1805) par un arrêté du Général Capitaine
Decaën intitulé «Arrêté supplémentaire au
Code Civil, pour étendre son application aux isles de France et la
Réunion». Toutefois, ce code fut adapté à la division
de la population de l?île de France en trois catégories: les
blancs, les gens de couleurs et les esclaves198. Le Code de Commerce
fut promulgué le 14 juillet 1809, à l?exception de certaines
dispositions d?importance secondaire eu égard aux conditions
locales199.
B. La période anglaise
Les Mascareignes, malgré leur petitesse constituaient
un avant poste bien situé pour contenir la résistance
française contre la poussée anglaise dans l?Inde200.
Les anglais lancèrent une attaque contre l?île de la
Réunion en juillet 1810. Les français n?offrirent aucune
résistance tant les anglais étaient numériquement les plus
forts.
196 TOUSSAINT Auguste: «Histoire du droit et des
institutions de l?île de France et de l?île Bourbon jusqu?en
1815», pp. 35 à 42, in CONAC Gérard (dir): «Etudes de
droit privé français et mauricien», Annales de la
Faculté de droit d?Aix en Provence, PUF, 1969, 230 p., v. p. 38.
197 Ibid.
198 Les esclaves demeuraient les biens meubles?. V.
MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit civil
mauricien», pp. 89 à 108, in CONAC Gérard : «Etudes de
droit privé français et mauricien», cité note 196, v.
p. 93.
199 ROBERT André: «L?évolution du droit
commercial mauricien», pp. 109 à 125, in CONAC Gérard:
«L?évolution du droit privé français et
mauricien», cité note 196.
200 Monsieur Pitt, très clairvoyant, avait
déclaré que: «Tant que les français tiendront
l?île de France, les anglais ne seront pas les maîtres de
l?Inde», in TOUSSAINT Auguste, cité note 189, v. p. 77.
Aussitôt, l?île de France devenait la prochaine
cible. En décembre 1810, la flotte anglaise effectua un
débarquement sur la côte nord de l?île après avoir
été battue sur mer à la bataille de Vieux Grand Port. Les
français capitulèrent entre les mains du Général
Sir John Abercomby le 3 décembre 1810.
Le nouveau colonisateur, conformément à sa
tradition, maintint la population française assujettie à ses lois
(a) tout en procédant progressivement à la réforme de
certaines institutions (b).
a. L'application des codes français
L?Acte de Capitulation signé par les Commandants
anglais et français le 3 décembre 1810 conservait aux habitants
de l?île de France leurs religion, lois et
coutumes?201 en application de la jurisprudence de principe
posée par Lord
M ans field202.
L?anglicisation de l?île Maurice,
préconisée en 1828 par la Commission des Colonies Orientales
nommée par le ministre britannique des colonies, n?a jamais eu
complètement lieu en ce sens que la conquête anglaise n?avait pas
été suivie d?un afflux d?immigrants anglais. Les codes
français demeuraient en vigueur et le Comité Judiciaire, devenu
juridiction suprême de l?île, avaient dans un appel venant du
Canada, étendu aux colonies une règle posée par la Chambre
des Lords selon laquelle un code de lois devait être
interprété sans restrictions ni adjonctions203. Le
Comité Judiciaire veilla en général avec soin
l?application correcte des codes français204 et reconnaissait
les autorités jurisprudentielles et doctrinales
françaises205 dans la mesure où le droit
français, contrairement aux autres droits autochtones, était dans
la finalité très proche de la Common Law.
201 La Cour Suprême de Maurice confirma en 1902 que le
droit d?un pays conquis demeurât jusqu?à ce qu?il fût
changé par le conquérant. V. CSM: 15 septembre 1902, The Colonial
Government c/ Veuve Laborde, MR, 1902, pp. 19 à 71, le juge Brown
rédacteur de l'arrêt.
Par le Traité de Paris du 30 mai 1814, l?Angleterre
accepta de rendre à la France la Réunion, mais conserva
en toute propriété et souveraineté l?île
de France et ses dépendances, notamment les Seychelles et l?île
Rodrigues?. L?île de France reprit son nom néerlandais de
Mauritius? (Maurice en français).
202 Cour du Banc du Roi: 1774, Campell c/ Hall, cité note
117.
203 CL: 5 mars 1891, The Governor and Company of the Bank of
England c/ Vagliano Brothers, AC, 1891, pp. 107 à 172, Lord-Chancelier
Halsburry rédacteur de la décision principale. Le Comité
Judiciaire étendit le principe de cet arrêt aux colonies dans
CJCP: 23 juillet 1892, Robinson c/ Canadian Pacific Railways Company, AC, 1892,
pp. 481 à 490, affaire de Canada, Lord Watson rédacteur de
l'arrêt.
204 CJCP: 21 février 1883, The Heirs of Martin c/ Marie
Boulanger, LJPC, 1883, pp. 31 à 35, affaire mauricienne, Lord Blackburn
rédacteur de l'arrêt. Dans cette affaire il était question
de l?application de l?article 474 du Code de Procédure Civile.
V. aussi FLOISSAC V. F.: «The interpretation of the Civil
Code of Saint Lucia», RGD, 1983, pp. 409 à 489.
205 CJCP: 29 janvier 1873, Emma Lagesse c/ Lucie Allard, LJPC,
1873, pp. 37 à 45, affaire de Maurice, Sir James W. Colville,
rédacteur de l'arrêt. Le juge cite des articles des revues Sirey
et Dalloz.
L?Administration britannique locale n?avait jamais
été fermement désireuse de supprimer les codes
napoléoniens au profit de la Common Law. Malgré la
présence ultérieure de juges anglais à la Cour
Suprême de Maurice, le droit substantiel demeurait tel qu?il était
en 1810. Toutefois, le législateur introduisit de profondes
réformes dans deux domaines: celui de la procédure et du mode
d?administration des preuves par les tribunaux206. Les
Règlements Intérieurs de la Cour (Rules of Court)
d?inspiration strictement anglaise succédèrent aux règles
de procédure civile et pénale207. Le droit anglais de
la preuve avait vite reçu l?adhésion des juges et des auxiliaires
de justice. Dès 1843, le terme anglais de preuve (evidence)
était admis dans le langage du barreau mauricien208.
Les juges locaux appliquaient le Code Civil209
à la lumière des arrêts de la Cour de Cassation
française210, tout en gardant une indépendance
vis-à-vis de la juridiction suprême de l?ancienne
métropole. Dans l?affaire Mungroo c/ Dahal de 1937211, le
juge Le Conte de la Cour Suprême de Maurice refusait d?appliquer le
revirement de la jurisprudence des Chambres réunies de la Cour de
Cassation française à propos d?une interprétation de
l?article 1384 alinéa premier du Code Civil212 en
matière de responsabilité du fait des choses dans l?affaire
Jand?heur213. Les arrêts de la Cour de Cassation n?avaient
désormais qu?une forte autorité morale (persuasive
authority) et non obligatoire à l?égard du juge local et
celui-ci ne voulait trahir sa nouvelle fidélité et loyauté
au Comité Judiciaire et était lié par ses
décisions214.
206 HAREL Pierre: «L?Angleterre et la loi civile
française à l?île Maurice», thèse, Paris, 1889,
215 p. et MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du droit
civil à l?île Maurice», thèse, Aix en Provence, 1968,
publiée chez Best Graphics Ltd, 1995, 436 p.
207 Avec cette réforme, par exemple, l?organe du
Président de la Cour ne dirigeait plus les débats. D?autres
réformes furent fondamentalement incompatibles avec le Code Civil. Une
Ordonnance de 1945 sur les cours autorisa, par exemple, l?emploi des
jurés dans les procès civils.
208 MARRIER D?UNNIENVILLE Raymond: «L?évolution du
droit civil mauricien», in CONAC Gérard (dir), cité note
198, v. p. 106.
209 VENCHARD L. E.: «Le Code Civil annoté»,
Port-louis, Law Publishers Ltd., 1983, 789 p.
210 CSM: 24 février 1952, The Queen c/ L?Etendry, MR,
1953, pp. 15 à 36, Sir Francis Herchenroder rédacteur de
l'arrêt. Le juge fait dans cet arrêt une abondante
référence au droit français et soutient que: «...we
see no valid reason for departing from the normal rule of construction laid
down time and again by this Court and which is to the effect that when our law
is borrowed from French law we should resort for guidance as to its
interpretation of French doctrine and case law», ibid., p. 29 et s.
211 CSM: 4 novembre 1936, Toolseeram Mungroo c/ Seejooparsad
Dahal, MR, 1937, pp. 43 à 139, Juge Le Conte rédacteur de
l'arrêt. L?arrêt est traduit en français par Attias C. in
RDPros, 1982, pp. 307 à 345.
212 ANGELO A. H.: «The Mauritian approach to article 1384
of the French Civil Code», CILJSA, 1971, pp. 57 à 71.
213 CCF: 13 février 1930, Jand?heur c/ Les Galeries
Belfortaises, DP, 1930, vol. 1, p. 129.
214 «Quand ces juridictions (françaises)
interprètent un texte incertain, il nous faut hésiter très
longtemps avant de statuer à l?encontre de leur opinion. Mais si nous
considérons qu?elles ont atténué un texte de loi ou
ajouté à ses dispositions, nous ne devons certainement pas les
suivre. Si nous sommes dans l?erreur, l?autorité convenable pour nous
remettre dans le droit chemin est le Comité Judiciaire du Conseil
Privé à Londres», in CSM: 4 novembre 1936, Toolseeram
L?anglicisation du Code Pénal n?a que partiellement eu
lieu. Le Code Pénal de 1791 fut remplacé en août 1838 par
un code basé essentiellement sur le droit pénal français
d?alors. Le Code, qui est toujours en vigueur, fut rédigé
à la fois en français et en anglais, étant entendu qu?en
cas de divergence entre les deux textes, le premier primerait215.
Mais cette prédominance du français ne dura longtemps. Une
Ordonnance en Conseil de 1842 disposait que toute modification
législative et toute nouvelle loi devraient être
rédigées en anglais. L?évolution du droit civil et du
droit pénal s?opérait désormais dans un contexte anglais.
Certaines nouvelles lois françaises furent traduites et reproduites par
le législateur. Les termes quasi-intraduisibles furent reproduits entre
parenthèse dans les lois nouvelles et ce ne fut qu?en 1962 que la
Couronne permît les réformes en français lorsqu?il
s?agissait des textes d?origine française
216.
b. Le développement institutionnel
Si le droit privé et le droit pénal de
l?île Maurice de source française témoignèrent d?une
résistance sélective à l?égard du colonisateur
britannique, le droit public anglais s?implanta sans grande
difficulté217. Les autorités anglaises
effectuèrent une greffe juridique sur le droit francais de Maurice.
Elles supprimèrent progressivement presque toute référence
aux normes d?origine française en matière de droit public en
agissant au cas par cas selon les besoins du moment.
Dès 1831, la Cour d?Appel de l?île Maurice fut
reconnue officiellement sous le nom de Cour Suprême218. Mais
en mai 1851, en vertu d?une Ordonnance en Conseil, la Cour d?Appel fut
supprimée et remplacée par la Cour Suprême qui était
alors dotée des mêmes pouvoirs que la Cour du Banc du Roi
(King's Bench)
Mungroo c/ Seejooparsad Dahal, cité note 211. Pour une
analyse de l?arrêt, v. DOMAH Gupt Satyabhooshan: «Une analyse des
droits français, anglais et mauricien en matière de la
responsabilité du fait des choses», thèse, Aix Marseille,
1979, 229 p., v. p. 164 à 166.
215 VENCHARD L. E.: «Le Code Pénal
annoté», Port-Louis, Best Graphics Ltd, 1994, 3 vol., 2404 p. Les
annotations font références à la jurisprudence et aux
articles du Code Pénal français. V. également KENYON
Careton W.: «Mauritius: the law of criminal procedure», Washington
D.C., Library of Congress, Law Library, 1983, 45 p.
216 V. L?Ordonnance en Conseil de 1962 sur le langage des
lois.
217 V. DAYOCHAND Napal: «British Mauritius: 1810 à
1948», Port-Louis, 1985, 278 p.
218 L?Ordonnance en Conseil du 13 avril 1831 dispose que:
«Where it is necessary to make provision for the better administration of
justice in His Majesty?s island of Mauritius and its dependencies, His Majesty
doth therefore, by and with the advice of His Privy Council, order and it is
hereby ordered that His Majesty?s Supreme Court of Civil and Criminal Justice
within the said colony, called the Cour d?Appel?...».
et la Cour d?Equité (Court of
Equity)219. Le Tribunal de Première Instance fut aussi
aboli et sa compétence absorbée par la Cour Suprême.
Celle-ci comportait désormais trois juges. Un pourvoi contre un
arrêt de la Cour Suprême pouvait être fait au Conseil
Privé dans les matières de £ 1,000 et
au-dessus220. En 1894, le montant du litige pouvant faire l?objet
d?un appel au Comité Judiciaire (the appellate value) fut
fixé à RPM 10,000.
L?anglicisation des institutions judiciaires fut
achevée avant l?accession de l?île Maurice à
l?indépendance. La langue anglaise devint la langue officielle des
tribunaux en 1945221. Aussi, le ministère public,
créé sous l?Empire Napoléonien en 1808 et dirigé
par le Procureur-Général, fut complètement
anglicisé dans son organisation au point d?être
dénaturé 222.
Quant aux institutions politiques, la Couronne reproduisit
fidèlement les institutions britanniques à l?île
Maurice223 comme dans les autres colonies224. Elle y
implanta, au cours de l?évolution constitutionnelle de l?île, le
régime parlementaire et représentatif225. Il fut
créé, avant l?indépendance, un Conseil Exécutif, le
gouvernement, dirigé par le Premier qui était nommé par le
Gouverneur «selon les conventions observées en
Grande-Bretagne». Cette
219 De même, la Loi sur les Cours (Courts Act)
du 7 mai 1945 dispose en son article 17 que la Cour Suprême a les
mêmes pouvoirs que la Haute Cour de Justice anglaise in ATTORNEYGENERAL?S
OFFICE: «Revised laws of Mauritius», Port-Louis, Précigraph,
1981, vol. 2, pp. 5 à 37.
220 Le Comité Judiciaire déclina sa
compétence en matière de divorce dans un appel de Maurice, v.
CJCP: 9 mai 1844, Alceste Florentin Antoine D?Orliac c/ La Dame D?Orliac, ER,
Privy Council, vol. 13, pp. 347 à 349, affaire de Maurice, Lord Brougham
rédacteur de l'arrêt, rapporté par Edmund F. Moore.
221 La Loi du 7 mars 1945 sur les Cours dispose
néanmoins en son article 131 que toute personne peut de droit
communiquer aux cours inférieures en français.
Selon une anecdote, la vieille du jour où la langue
anglaise devenait obligatoire, Maître Antelme, qui plaida devant la Cour
d?Assises, prolongea sa plaidoirie jusqu?à minuit. Lorsque minuit sonna
à l?horloge de la Cathédrale en face de la Cour, il
s?arrêta et reprit sa plaidoirie en anglais. V. BOULAN F.:
«L?organisation judiciaire de l?île Maurice», APOI, 1976, pp.
197 à 211, v. p. 200.
222 L?Ordonnance de 1957 abolit les postes de
Procureur-Général et ses substituts et les remplaça par
ceux du ministre de la justice (Attorney-General), du
Soliciteur-General (Solicitor-General), le fonctionnaire en chef du
parquet, et des avocats du parquet (State Counsels). La Loi du 30
décembre 1808 sur le Ministère Public demeure toujours en
vigueur. V. ATTORNEY-GENERAL?S OFFICE, cité note 219, vol. 4, p. 7. Sur
le ministre de la justice, v. DOOKHY Riyad et DOOKHY Parvèz: «
L?attroney-General est-il un député ?», Le Mauricien, 17
août 1995, p. 11.
223 LEBLANC Jean-Claude: «La vie constitutionnelle et
politique de l?île Maurice de 1945 à 1968», mémoire de
troisième cycle, Faculté de droit de Tananarive, 1968, 167 p.
224 Seule la deuxième Chambre parlementaire anglaise,
la Chambre des Lords, ne fut jamais exportée dans les dominions et
colonies. V. WIGHT Martin: «British Colonial Constitutions», Oxford,
Clarendon Press, 1952, 471 p.
225 BAILEY Sydney D.: «Parliamentary government in the
Commonwealth», Londres, Hansard Society, 1951, 217 p.
formule signifiait que le Gouverneur désignait celui qui
commandait la majorité au Conseil Législatif226 aux
fonctions de Premier.
Ainsi, donc, à la fin de la colonisation anglaise, le
droit mauricien fut fortement métissé. A ce titre, nous pouvons
conclure avec Monsieur le Professeur Xavier Blanc-Jouvan qui affirme que ce qui
caractérise le droit mauricien «c?est surtout qu?il réalise
une sorte de synthèse en entre deux systèmes qui s?opposent sur
le terrain de la technique juridique et qui appartient... à deux
familles différentes»227. Le colonisateur anglais avait
maintenu dans l?ensemble le droit privé d?origine française
considéré à certains égards comme la
législation personnelle des habitants et qui, même maintenue en
l?état, ne pouvait porter atteinte à l?exercice de la
souveraineté des anglais sur l?île228. A propos des
institutions publiques et administratives, le colonisateur avait établi
ses propres organes afin d?assurer sa domination229 jusqu?à
l?accession de l?île Maurice à l?indépendance.
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