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Refexion sur l'inclusion sociale - la double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention

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par Yann WELS
Université Aix-Marseille 3 - Master 2 2006
  

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TITRE 2nd : L'ENRACINEMENT DE LA CULTURE PERFORMATIVE

«La révolution de la qualité»177(*) est désormais en marche au sein du département et plus globalement au sein des différentes collectivités territoriales. Il est désormais question d'une véritable recherche de l'excellence, d'une culture performative. Si ce terrain parait de prime abord en marge du droit, l'implication juridique est on ne peut plus sérieuse et certaine178(*). Traditionnellement nourris par des valeurs et des méthodes radicalement différentes de celles développés dans le secteur privé, l'Etat et de façon plus impérieuse encore ses démembrements et les services publics y afférent sont aujourd'hui clairement contraint de lui emprunter, l'exigence qualitative dans la poursuite d'une recherche d'efficacité.

«Erigée en nouveau précepte de gestion, l'exigence de qualité véhicule ainsi la rationalité managériale développée dans le secteur privée, sous tendu non plus par l'adéquation au droit, mais par la capacité à atteindre des buts, elle impose (...) de rechercher l'efficacité et la qualité des prestations. Il semble qu'il faille « s'évader du droit administratif pour relever le défi de la qualité »179(*) »180(*).

L'inclusion sociale, au titre de la multiplication des évaluations qu'elle suscite dans sa mise en oeuvre par les collectivités territoriales suggère de s'interroger sur l'émergence d'un nouveau principe juridique, celui de la qualité. Sans empiéter sur le travail récemment accomplis sur le sujet (Lucile Cluzel -Métayer, Le service public et l'exigence de qualité, Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2006), il est possible au-delà de cette approche de voir s'enraciner une culture de la performance, induisant pour la collectivité, un changement d'attitude et de positionnement faisant naturellement de celle-ci, une nouvelle «entité» : l'avènement de la Collectivité Providence. Pour illustrer cette transformation, sous l'effet du déploiement de la pratique évaluative, on peut observer la rationalisation de l'action publique sociale locale (chapitre 1) ainsi que la nécessité qui dès lors s'impose à elle de circonscrire cette action entre légitimation et dépolitisation (chapitre 2), point d'orgue de la démonstration.

Chapitre 1er : La rationalisation de l'action publique sociale locale

Une seule connaissance exacte, adéquate et appropriée, diffusée équitablement conduirait à elle seule et à coup sûr, à une meilleure intelligence collective

J. Leca, 1993

Deux acceptions de la rationalité en politique publique s'offrent à l'observateur : l'une absolue, instrumentale et téléologique mise en oeuvre par l'Etat ou sur le marché (acception stato-centrè), l'autre limitée, incrémentale et polycentrique, mise en oeuvre par une multiplicité d'acteurs. Cette seconde acception qui décentre au contraire le regard de l'analyse vers les finalités vécues par les multiples acteurs pertinents dans le jeu de la fabrication des politiques publiques, est le lieu d'émergence, le lie de la démarche évaluative induisant la rationalisation de l'action publique.

Ainsi ce second modèle gagne les façons de faire de l'Etat, mais agit sur la base d'un autre droit. Cet autre droit, d'essence pragmatique est caractérisé par «son adaptation au concret, son rapprochement des individus, son adéquation au contexte des sociétés qu'il prétend régir»181(*). Les collectivités territoriales à ce titre cherchent un véritable référentiel182(*) d'action entre action et cohérence et la démarche évaluative traduit ce référentiel. Elle véhicule ainsi des valeurs qui offrent un cadre global d'analyse de la politique publique.

«La cohérence par le sens ne vient pas du seul fait que les acteurs partagent ce sens. Le référentiel est une idée en action»183(*).

On comprend dès lors l'intérêt majeur de la démarche évaluative au sein de l'action publique, et sans doute ce rôle, majeur s'il en est, se voit largement renforcé du fait même du secteur dans lequel l'évaluation tend désormais à s'immiscer, à savoir le secteur social via la promotion de l'inclusion sociale par les collectivités territoriales, et tête desquelles le département. Dans le champ de l'action sociale, l'évaluation a une origine qui n'est d'ailleurs pas si récente. Fruit d'une administration rationalisant ses choix budgétaires, relayée par une Europe largement en clin à la surveillance des fonds structurels qu'elle alloue et enfin, suivi par la multiplication courant des années 80 des recherches académiques économico sociale, l'évaluation a l'avantage de permettre une opération de vérification de l'action publique menée (I), d'étalonner le cas échéant l'action publique sociale (II) voir de calibrer l'action publique sociale locale (III).

I. L'opération de vérification de l'action publique

Au plan des principes, vérification, contrôle, et évaluation différent dans leur objet, par les méthodes qu'ils requièrent et par les compétences professionnelles attendues de ceux qui les utilisent : c'est ce qui ressort notamment de deux textes, le premier à portée générale, figurant en annexe du rapport annuel 1999 du Conseil national de l'évaluation, le second plus spécifiquement le domaine social puisque issu des réflexions d'un groupe de travail du conseil supérieur du travail social184(*).

Par leur objet, les trois démarchent différent. Le contrôle vérifie la légalité et la régularité de la mise en oeuvre des ressources, là où la vérification, suit la bonne gestion des interventions et produit une analyse régulière sur l'avancement des réalisations. Enfin l'évaluation pour sa part diffère des deux démarches précédentes car elle sort de la sphère de la mise en oeuvre du programme, pour juger celui-ci sur la base des résultats et des impacts que le programme a produit dans la société. Ces distinctions font que les trois opérations ne peuvent que mobiliser des méthodes différentes, il s'ensuit que les qualités professionnelles et compétences requises se distinguent donc aussi. Cependant si les textes tendent à distinguer nettement les trois, voire les opposent, ces opérations révèlent une grande complémentarité. Par exemple le contrôle et la vérification permettent de repérer les succès et échecs apparents, que l'évaluation va chercher à confirmer par une analyse approfondie. A l'inverse, une évaluation peut monter que l'application d'une norme juridique ou professionnelle constitue un facteur particulier d'efficacité ou d'inefficacité.

Cette complémentarité laisse cependant souvent place à la révélation d'un antagonisme entre ces opérations, imposant que : «l'évaluation [soit]distinguée avec soin d'une part de la mesure qui est par définition quantitative, alors que l'évaluation appréhende généralement, aussi, des données qualitatives, d'autre part des contrôles sous toutes leurs formes de conformité par rapport à des normes juridiques, financières, comptables, préétablies, ces contrôles pouvant déboucher sur des sanctions diverses. Les différences entre ces techniques et l'évaluation tiennent à plusieurs raisons dont la plus importante tient au fait que l'évaluation repose sur un jugement de valeur, généralement global, alors que les autres se référent plutôt à l'appréciation de données et de faits»185(*).

Cependant il n'en demeure pas moins vrai qu'eut égard à la complémentarité potentielle de l'évaluation avec les autres opérations accompagnant le suivi d'une politique publique, il importe de voir en quoi, elle permet d'en contrôler l'engagement (A) et d'en analyser les prestations (B).

A. Le contrôle de son engagement

L'évaluation répond à un besoin de rationalité, mais aussi de transparence : quoi de plus normal, en apparence, pour un responsable politique ou administratif que de chercher à connaître les conséquences de ses décisions ou de son action afin d'en assumer pleinement la responsabilité?

Dans une conception démocratique du fonctionnement de l'État et de la gestion publique, une telle exigence parait s'imposer. Pourtant, l'expérience montre que l'évaluation n'est pas une démarche naturelle au sein des autorités publics territorialisées. Les obstacles auxquels elle se heurte peuvent être mis au compte de difficultés pratiques : une évaluation approfondie coûte cher et prend du temps. Les décideurs justifient souvent leur scepticisme vis à vis de l'évaluation par le fait qu'ils sont confrontés à des échéances de court terme et qu'ils doivent faire des choix qui ne peuvent attendre les résultats de longues études. Les calendriers électoraux sont cependant plutôt de moyen terme, et la gestion dans l'urgence et l'improvisation n'est pas une fatalité. Une meilleure maîtrise du temps de la décision donnerait à l'évaluation tout son sens et toute son utilité. Des résistances plus profondes existent, plus ou moins consciemment liées à la volonté de préserver des zones d'opacité dans l'action publique. Cette opacité étant elle-même perçue comme un facteur d'autonomie par les fonctionnaires et les élus. Il est certain que le commanditaire de l'évaluation court le risque de ne pas maîtriser totalement les processus de changement qu'elle est susceptible d'enclencher. En dépit de ces obstacles, l'évaluation se développe, dans notre pays comme dans l'ensemble des pays développés.

Les raisons qui paraissent expliquer ce développement sont les nombreuses :

- les difficultés budgétaires et la crise de légitimité de l'action publique rendent nécessaire une justification plus solidement argumentée des interventions et des dépenses publiques. Le lien entre évaluation et décision budgétaire est rarement direct et contraignant. Il s'agit davantage d'éclairer partiellement des choix complexes que de les réduire à un calcul coût-avantages. Mais l'évaluation n'en est pas moins porteuse d'efficience et d'efficacité publique, par définition.

- La décentralisation, la construction européenne et, plus généralement, l'intensification de la coopération économique mondiale ont accru les interférences entre niveaux de pouvoir juridiquement autonomes. La complexité qui en résulte accroît les besoins d'information commune, de coordination et de régulation. Le processus d'évaluation peut être un moment intense d'échange d'information et de coopération entre acteurs juridiquement autonomes. Ce besoin de coordination ne concerne d'ailleurs pas que les collectivités publiques : d'autres acteurs, entreprises, associations, organisations socio-professionnelles, sont de plus en plus fréquemment impliqués en tant que partenaires dans la mise en oeuvre des politiques publiques. Cette évolution se traduit notamment par la multiplication de procédures innovantes qui tentent d'instaurer, par un recours étendu à la technique du contrat, de nouvelles formes d'action collective et de nouveaux mécanismes d'incitation et de régulation. Il est significatif que les actions de ce type suscitent fréquemment une demande d'évaluation.

- Enfin, les agents publics doivent suivre le mouvement général de modernisation, d'ouverture et de responsabilisation : ils ont besoin pour cela de formation continue et d'un surcroît de motivation. Visant à confronter les administrations à l'impact social de leur action, l'évaluation est pour les fonctionnaires l'occasion de vérifier leurs pratiques, de référer leur engagement professionnel à des objectifs sociaux, de se préoccuper des finalités et des résultats concrets de leur action. L'administration ne sera «une affaire qui marche» que si les agents administratifs sont adaptés et efficients. Cette condition est nécessaire, mais elle n'est pas suffisante : il faut aussi que le "sens de la marche" soit le bon.

Le développement de l'évaluation semble de nature à répondre à cette double nécessité et témoigne donc d'un souci de vérification, de contrôle de l'engagement d'une politique publique.

B. L'analyse de ses prestations

L'évaluation a pour finalité de contribuer à l'élaboration d'un jugement de valeur, de préparer une décision, d'améliorer pratiquement la mise en oeuvre d'une politique ou le fonctionnement d'un service. Dans tous les cas, il faut que le commanditaire et les autres destinataires de l'évaluation (y compris, dans certains cas, le grand public) puissent s'approprier les résultats et connaissances produites, les intégrer à leur propre vision de la réalité. A cette fin, trois conditions doivent être réunies :

- l'évaluation doit répondre aux questions que se pose le commanditaire (ce qui implique un projet d'évaluation ciblé et un cahier des charges précis) ;

- les informations et raisonnements développés doivent être crédibles et, dans toute la mesure du possible, compréhensibles par l'ensemble des destinataires ;

- les jugements de valeur portés par l'évaluation doivent être perçus par eux comme fondés sur des arguments légitimes186(*).

C'est en fonction de ces trois impératifs que doit être conçue toute démarche d'évaluation. Le projet d'évaluation doit s'efforcer de créer dès le départ les conditions d'une bonne réception de ses résultats, gage de leur impact sur les décisions et pratiques administratives. C'est ainsi qu'une véritable analyse des prestations est opérée.

Si l'on prend comme exemple l'évaluation des fonds structurels décidée par le Premier ministre en août 2001 sur proposition du Conseil national de l'évaluation, il était question d'étudier la cohérence, la pertinence et l'efficacité de l'articulation entre fonds structurels européens et contrats de Plan État-région (CPER). Si on lie le mandat, on peut y découvrir que l'évaluation nationale des fonds structurels européens doit d'abord prendre soin de ne pas refaire ce que d'autres instances font déjà, dans un domaine marqué par une certaine abondance en matière de contrôles et d'évaluations. Il ne semble pas opportun qu'une évaluation nationale porte sur «l'architecture du dispositif des fonds européens lui-même, fruit des règlements européens arrêtés en conseils des ministres, ni sur la pertinence d'ensemble des aides européennes», en effet, la Commission a rendu obligatoire une évaluation des fonds structurels, ex-ante, à mi-parcours et ex-post, en cherchant à mettre en évidence la valeur ajoutée communautaire que représentent ces aides. Par ailleurs, il ne paraît pas utile que cette évaluation doive s'engager dans un nouvel audit des procédures au niveau national ou régional, domaine d'investigation des inspections de la commission interministérielle de coordination et de contrôle qui a procédé entre 1998 et 2000 à un contrôle de l'ensemble des régions. En revanche, il apparaît plus intéressant de faire porter l'évaluation sur deux points principaux :

«- de quelle façon les contrats de Plan ont-ils pris en compte les objectifs poursuivis par la politique communautaire ? Peut-on observer une inflexion de la programmation des opérations financées par les contrats de plan imputable aux actions communautaires ? Dans quelle proportion, les opérations financées par les contrats de Plan constituent-elles la contrepartie nationale des aides communautaires ? Peut-on distinguer ce qui est prévu en programmation et ce qui est réalisé en exécution ? De quelle façon le principe d'additionnalité a-t-il joué ? Celui-ci n'a-t-il pu contrarier parfois l'inscription dans les contrats de Plan d'opérations jugées plus prioritaires par les administrations centrales au niveau national ou par les responsables et élus régionaux ? Observe-t-on sur le plan local des déplacements des aides nationales et régionales en fonction des zonages communautaires?

- les procédures d'évaluation et de suivi des fonds communautaires ont-elles été utilisées pour évaluer les actions financées par les contrats de Plan, selon quelles modalités et à quelles conditions ? Les études d'évaluation, les indicateurs mis au point dans le cadre des procédures communautaires ont-ils été mobilisés pour préparer la nouvelle génération des contrats de Plan ? Peuvent-ils l'être davantage, notamment dans la perspective de 2003 ?»187(*).

Ces propos sont autant d'enseignements et d'illustration du fait que l'évaluation d'une politique publique porte véritablement sur l'analyse des prestations qu'offre cette dernière.

II. L'opération d'étalonnage de l'action publique sociale

La demande multiple d'indicateurs de résultats ou de performance, l'éclosion de nouveaux observatoires et la dissémination de pratiques évaluatives sont quelques phénomènes significatifs du besoin actuel, d'origine diverse, de mesurer l'action publique. Ces effervescences relatives ont des succès variables. Elles sont surtout remarquées parce qu'elles apparaissent dans le mouvement créé par plusieurs «grandes évolutions» dans les manières de gouverner aujourd'hui, que la recherche a contribué à éclairer en partant de plusieurs questions proches entres elles, comme la contractualisation financière, l'européanisation des normes, l'intervention partenariale. Pour autant, à de rares exceptions près, ces phénomènes sont plus signalés qu'étudiés. Or la mesure des choses, par ce qu'elle dit de l'autorité et du pouvoir, apparaît comme une question qui mériterait un suivi continu. Les usages sociaux et politiques de la mesure peuvent être des révélateurs tout à fait intéressants des processus de médiation qui s'opèrent entre politique publique et action politique. L'élaboration de la mesure, la construction d'instruments ou d'indicateurs qui la rendent possible, l'évaluation et le processus d'étalonnage qui l'accompagne s'agissant, notamment, du secteur social sont autant de processus qui participent, autant qu'ils les mettent en lumière, à différents modes de gouvernement. C'est en partant de ce constat qu'il est apparu intéressant de s'intéresser à l'évaluation en ce qu'elle assure une certaine forme de validité de l'action dans le domaine social (A) et participe à un processus de minimisation des imprécisions de l'action sociale (B) dans sa dimension territoriale.

A. Assurer la validité de l'action sociale

Aujourd'hui, la poursuite de la décentralisation est envisagée avec d'autant plus de conviction qu'elle est aussi perçue par tous les acteurs publics comme un moyen privilégié pour réformer l'Etat, en contournant les obstacles multiples auxquels se sont heurtés tous ceux qui ont fait le pari du changement. Elle apparaît également de plus en plus comme un moyen de réconcilier les citoyens et la République. Dans cette perspective, sa légitimité se fonde sur une obligation permanente de résultats, qu'il convient d'évaluer et de faire connaître. Il est à ce titre essentiel de rechercher si les départements ont su relever le défi de la lutte contre l'exclusion dans ses formes nouvelles résultant de la précarisation de l'emploi et du lien social. C'est d'autant plus nécessaire que la décentralisation continue à susciter des craintes quant au respect de la cohésion sociale.

On comprend dès lors l'importance que recèle la pratique évaluative en ce qu'elle médiatise directement la validité ou l'absence de validité de l'action publique sociale engagée. Cela justifie la multiplication des évaluations financières des politiques sociales inclusives en ce qu'elles révèlent en partie la réussite des dispositifs. La part de l'insertion et de l'accompagnement social dans la dépense nette d'action sociale (hors aide médicale) est passée, «entre 1984 et 2002, de 18 à 26 % (dont l'accompagnement social de 18 à 22 %). Celle du soutien aux personnes handicapées est passée, durant la même période, de 16 à 22 %. En revanche, toujours entre 1984 et 2002, la dépense concernant les personnes âgées (électeurs très disponibles) est passée de 24 à 16 %»188(*), car les personnes âgées sont de moins en moins précarisées, même si la mise en oeuvre de l'Allocation Personnalisée d'Autonomie commence à entraîner une inversion de cette tendance.

En moins de 10 ans s'est produite une révolution silencieuse dans les directions d'action sociale des conseils généraux : l'évaluation généralisée de la plupart des domaines traditionnels. C'est moins l'irruption de cette nouvelle technique d'information et de médiatisation qui constitue le point central de cette «révolution», que le changement d'attitude de la majorité des travailleurs sociaux à l'égard de cet outil et des possibilités qu'il permet d'envisager en matière de connaissance des populations et de leur environnement. Il est symptomatique, à cet égard, de noter que bon nombre des départements ouvrent à la consultation publique les évaluations qu'ils ont commanditées, preuve d'une transparence de l'action, d'une légitimation des interventions, d'une validité de l'action sociale poursuivie.

Dans un contexte particulièrement évolutif, les départements tendent à harmoniser leur organisation territoriale, aussi bien entre services et directions internes à l'action sociale, qu'avec les partenaires habituels (villes) ou nouveaux (EPCI) concernés par le développement social local. Parallèlement, la pratique évaluative est désormais mise à disposition de tous les acteurs de terrain : elle peut se transformer en véritables leviers pour partager une observation et un diagnostic communs au service des populations. Il reste que la décentralisation récente de responsabilités à dominante gestionnaire (l'APA et le RMI) peut entraîner un repli des responsables départementaux sur une perception plus immédiate que prospective de leur mission.

B. Minimiser les imprécisions de l'action sociale

Toute évaluation développe d'abord des constats qui semblent simplement induits par l'observation directe de la réalité (même si tout constat comprend nécessairement un mixte d'inductions et de déductions) :

- constats quantitatifs : il peut s'agir de simples comptages physiques ou financiers : coût d'une politique ou d'un programme, nombre de bénéficiaires, de dossiers traités, etc. Cette quantification peut être obtenue par exploitation de données exhaustives (par exemple comme sous produit d'une gestion administrative), ou sur la base d'une enquête portant sur un échantillon statistiquement représentatif du phénomène analysé.

- constats qualitatifs : la description du processus socio-organisationnel initié par la politique, en termes de dispositifs institutionnels, d'événements, d'activités, de situations et de comportements, voire d'anecdotes ou d'histoires personnelles, constitue toujours une composante importante de l'évaluation. Cette description est nécessaire à la bonne interprétation des données globales. De surcroît, elle constitue une source d'illustrations concrètes d'effets et de mécanismes analysés par d'autres méthodes.

En matière de politique sociale inclusive, cela se traduit par une volonté affichée d'éviter que ne se glissent des imprécisions dans l'action sociale. La territorialisation de la politique inclusive impose en effet, comme nous le développerons ci-après, une certaine adaptation des dispositifs publics envisagés aux spécificités locales que l'évaluation permet précisément d'appréhender. Ainsi toute évaluation est, pour une bonne part, un travail sur les représentations, et il arrive fréquemment que l'un des principaux résultats obtenus soit une réinterprétation des rapports entre les objectifs et les stratégies de mise en oeuvre de la politique évaluée, ce qui conduit à une reformulation de la théorie d'action189(*) des décideurs qui a pu inspirer la politique en question.

L'évaluation doit en permanence s'efforcer de trouver un bon équilibre entre deux logiques : l'exploitation des expériences passées afin d'adapter et d'améliorer des procédures déjà bien connues et rodées, de tirer parti de connaissances et d'outils stabilisés, d'extraire du stock d'évaluations terminées de «bonnes pratiques» et d'en diffuser les acquis, et l'exploration de nouvelles pistes et de nouveaux usages, qui suppose l'engagement dans de nouvelles directions, la recherche de nouvelles méthodes et la découverte de procédés innovants. Ces deux logiques d'exploitation et d'exploration, souvent considérées comme consubstantielles à la gestion des organisations190(*), s'appliquent à l'action sociale avec une grande prégnance, a fortiori dans un environnement de politique territorialisée et localisée.

On est ici complètement dans une logique de rationalisation de l'action publique médiatisée par la pratique évaluative.

III. L'opération de calibrage de l'action publique sociale locale

L'analyse des nouvelles formes de l'action publique, et plus spécifiquement de l'action publique sociale invite à penser que les transformations de l'intervention publique étatique mais surtout territoriale peuvent être analysées à partir du développement important de la pratique évaluative qui révèle une recherche importante et constante d'une forme d'efficacité.

Cette entrée permet de mieux comprendre par quels mécanismes des médiations techniques (dispositifs, instruments), organisationnelles (formalisation de chartes, nouveaux modes de management public) et professionnelles (apparition de nouveaux métiers et redéfinition des champs de compétence des personnels administratifs, des services sociaux, etc) transforment le politique. Si l'on admet, que le gouvernement contemporain s'appuie sur des instruments d'action publique qui le concrétisent et qui le façonnent, alors la pratique évaluative comme élément de promotion d'une culture performative, illustre la recherche d'une démarche permettant un ajustement structurel de l'action sociale aux contingences locales (A) et ouvre de fait, droit à une modification fonctionnelle de celle-ci (B) montrant donc un peu plus, l'autonomie relative mais pérenne dont semblent jouir les collectivités dans la direction de la politique inclusive.

A. L'ajustement structurel de l'action

Indéniablement, la territorialisation du dispositif évaluatif dans le suivi de la politique inclusive semble jouer un rôle structurant pour au moins deux raisons. Tout d'abord, parce qu'elle soutient les processus d'appropriation de l'espace et la construction de représentations partagés, cette territorialisation de l'action rendue possible grâce à une démarche évaluative facilite l'action. Mais surtout, elle favorise un certain type de relations, basées sur l'accentuation des liens et des formes d'échange comme sur l'instauration de la confiance. En ce sens, l'aspect territorial de l'action joue effectivement ce rôle spécifique d'optimisation de la pertinence voire de la cohérence de l'action publique.

En matière d'action sociale, et plus spécifiquement d'inclusion sociale le Département
a la responsabilité de l'insertion professionnelle et sociale des bénéficiaires du RMI. Participant actif à la lutte contre toute forme d'exclusion, le département a ainsi pu mettre en place des Plans Locaux pour l'insertion et l'emploi qui sont des dispositifs visant à favoriser l'accès ou le retour à l'emploi des personnes qui en sont le plus éloignées. Ces programmes, d'initiative communale, intercommunale, mais aussi et surtout départementale sont conçus en fonction des spécificités des territoires et s'appuient sur leurs différentes initiatives économiques, sociales et culturelles pour développer des activités génératrices d'emploi. Le PLIE coordonne et mobilise localement différents acteurs : ANPE, Mission Locale, PAIO, DDASS, mairie, service d'accueil des travailleurs handicapés, association sanitaire et sociale... Les bénéficiaires doivent être envoyés par l'une de ses structures pour bénéficier des prestations gratuites du PLIE. Grâce à lui, ils pourront suivre un parcours d'insertion individualisé comprenant des actions d'accueil, d'accompagnement social, d'orientation, de formation. Le PLIE peut par exemple financer des aides à la mobilité qui ne sont pas payées par l'ANPE et apporter un financement complémentaire pour des formations comme le SIFE (stage d'insertion et de formation à l'emploi) et le SAE (stage d'accès à l'entreprise). En 2003, on comptait 193 PLIE, couvrant plus de 4 000 communes et représentant près de 30 millions d'habitants. En 2002, 47 000 nouveaux bénéficiaires se sont vus proposer un parcours d'insertion professionnelle personnalisé et individualisé. 16 400 bénéficiaires de PLIE ont accédé à un emploi durable ou à une formation qualifiante et s'y sont maintenu au moins 6 mois. Un nombre équivalent de bénéficiaires est sorti "sans suite" pour abandon de parcours, déménagement, etc. Près de 40% de ces bénéficiaires étaient des RMIstes à leur entrée en parcours. 44% d'entre eux de retrouver un emploi191(*). S'agissant du département du Gard, le PLIE de l'agglomération de Nîmes, créé en 1997, poursuit depuis cette date son objectif principal, la lutte contre les exclusions. En 2004, le champ d'action du PLIE est élargi aux 23 communes de l'Agglomération Nîmoise, ouvrant l'ensemble des actions à tous les publics de ces communes. Le Plan Local pour l'Insertion et l'Emploi s'oriente vers quatre objectifs principaux : renforcer et développer l'accueil, l'orientation, et l'accompagnement, développer l'offre d'insertion par l'activité économique, favoriser la professionnalisation (notamment la formation pré qualifiante) et enfin aider à l'accès et au maintien dans l'emploi. Sur l'année 2006, 2344 Entrées ont été enregistrées avec 1495 entrées Masculines et 849 entrées Féminines. La présence à tous les stades de cette démarche du département souligne l'ajustement structurel qu'elle opère dans la mise stimulation du dispositif PLIE à vocation inclusive.

B. La modification fonctionnelle de la politique

Les "Plans Locaux pour l'Insertion et l'Emploi", créés à l'initiative des Collectivités Locales et des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale, sont d'abord la traduction stratégique et opérationnelle des politiques insertion et emploi sur un territoire. Fondés sur des diagnostics partagés par les Collectivités Locales et Territoriales, l'Etat et leurs principaux partenaires concernés (acteurs sociaux et économiques) les PLIE sont les maîtres d'ouvrage délégués des politiques insertion et emploi des collectivités locales et des établissements intercommunaux. A ce titre, ils ont pour fonction d'être des "plates-formes partenariales" au sein desquelles se coordonnent les programmes et les actions en matière d'insertion et d'emploi sur leur territoire. En outre les PLIE quel que soit le statut de la structure qui les anime (associations, GIP ou établissements intercommunaux...) ont pour missions, d'une part, de réunir les acteurs et opérateurs locaux concernés autour d'objectifs quantitatifs d'accès de personnes "en difficulté" à un emploi durable, en organisant pour ces personnes des parcours individualisés d'insertion professionnelle avec un accompagnement très renforcé assuré par des référents spécialisés ; et d'autre part, d'assurer une ingénierie technique et financière des actions et des dispositifs locaux contribuant à l'emploi de leurs bénéficiaires puis au maintien de ceux-ci dans l'emploi pendant plus de 6 mois. Enfin, les PLIE sont des outils de développement local dans la capacité qu'ils ont de concevoir avec leurs partenaires tous les projets qui peuvent concourir à l'amélioration des parcours d'insertion des publics concernés. La mise en oeuvre des PLIE est confiée à un ensemble "d'opérateurs" coordonnés par une équipe d'animation. Au-delà des fonctions qu'ils exercent, les PLIE apportent un certain nombre de valeurs ajoutées et de contributions spécifiques sur leurs territoires. Les PLIE relèvent de l'Objectif 3, Axe 2, Mesure 3 : « Appuyer les initiatives locales pour l'insertion et contre les exclusions » et de l'Objectif 1 pour ceux qui sont sur les régions concernées par cet objectif. A titre indicatif, les Fonds européens qui leur sont attribués représentent 11% des Fonds de l'Objectif 3 et 44% de l'Axe 2. Leur mise en place et leur ajustement ou encore calibrage répondent à un processus évaluatif bien rodé depuis 1999, soit sous la direction de la DATAR soit depuis 2002 animée par l'AVE192(*). Il apparaît ainsi que le processus évaluatif largement décrit ci-dessus participe activement à des modifications fonctionnelles d'une politique de l'emploi en fonction des secteurs les plus attractifs. Ainsi donc, a-t-on pu analyser le caractère pragmatique de l'utilisation et de l'usage du processus évaluatif dans une démarche très concrète, laissant apparaître les traits distinctifs d'une nouvelle figure, qu'est celle de la Collectivité Providence.

* 177 Henri Plagniol, secrétaire d'état à la réforme de l'Etat, déclaration du 23 Novembre 2002, Paris.

* 178 Lucile Cluzel -Métayer, Le service public et l'exigence de qualité, Prix de thèse de l'université Panthéon Assas (Paris 2), Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2006

* 179 Jacques Caillosse, L'administration française doit-elle s'évader du droit administratif pour relever le défi de l'efficience ?, PMP, volumeVII, Juin 1989, p.169

* 180 Lucile Cluzel -Métayer, Le service public et l'exigence de qualité, Prix de thèse de l'université Panthéon Assas (Paris 2), Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2006, p.20

* 181 F. Ost, Le rôle du droit, de la vérité révélée à la réalité négociée, in G. Timsit, Les administrations qui changent. Innovations, techniques ou nouvelles logiques, PUF, 1996

* 182 Ensemble de normes prescriptives qui donnent sens à un programme d'action à partir de la définition de critère de choix et de mode de désignation des objectifs des acteurs de ce secteur.

* 183 P. Muller, Entre le local et l'Europe. La crise du modèle français de politique publique, Revue française de science politique, 1992, n°2, vol. 42, pp 275-297

* 184 Conseil supérieur du travail social - rapport du groupe de travail : Mise en oeuvre des projets pédagogiques et évaluation du travail éducatif dans les établissements - Février 1992

* 185 L. Genin, L'évaluation des politiques publiques, rapport présenté au nom du Conseil économique et social (séance des 11 et 12 décembre 1990) ;

* 186 Cette exigence de légitimité de l'argumentation n'imposant pas à l'évaluateur de ne formuler que des conclusions qu'il estime acceptables pour le commanditaire.

* 187 Commissariat général du Plan, Fonds structurels et politiques régionales, 15 octobre 2003.

* 188 Rapport de l'Observatoire national De l'Action Sociale décentralisée Sur l'acte II de la décentralisation, La décentralisation de l'action sociale Bilan et perspectives, 2004

* 189 L'expression «Théorie d'action» désigne les idées (souvent implicites) qui inspirent les concepteurs et/ou les acteurs d'une politique quant à ses mécanismes d'action et relations de cause à effet entre les mesures prises et leur impact social attendu.

* 190 J.-G. March, Exploration and exploitation in organizational learning, Organization Science, 2, 1991

* 191 Alliance Villes Emploi

* 192 L'Alliance Villes Emploi, association créée en octobre 1993 regroupe des communes de toutes tailles, des structures intercommunales, des Maisons de l'Emploi, des Plans Locaux pour l'Insertion et l'Emploi, des élus de toute obédience politique, sur le thème de l'emploi, de la lutte contre le chômage et l'exclusion.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon