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Refexion sur l'inclusion sociale - la double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention

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par Yann WELS
Université Aix-Marseille 3 - Master 2 2006
  

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II. Prolégomènes de la mise en oeuvre des politiques d'inclusion sociale

La mise en oeuvre de ce type d'action publique suppose nécessairement une politisation et particulièrement une juridicisation de la lutte contre l'exclusion sociale, cadre de référence du développement d'une politique publique volontariste et pragmatique promouvant l'inclusion. Deux niveaux d'intervention peuvent à ce titre être mis en exergue. Ainsi à la prégnance du cadre européen dans les politiques d'inclusion sociale (A), succède et s'articule le niveau national, comme cadre opératoire des politiques inclusives (B).

A. La prégnance du cadre européen dans les politiques d'inclusion sociale 

«Pourquoi dès lors cette morosité. Pourquoi le sentiment d'échec. On pourrait répondre : parce que rien n'échoue comme le succès, parce que l'intervalle subsiste entre le projet et la réalisation»24(*)

On peut finalement dire que l'inclusion, non pas en tant que norme juridique de référence telle qu'elle s'est affirmée à Lisbonne, mais en tant qu'idée directrice de l'action publique européenne remonte ou date des premières politiques initiées par l'Europe visant la lutte ou la résorption du phénomène de pauvreté dés les années 60. A partir de ce point de vue, il convient de comprendre qu'il y a là une ambition ancienne de lutte contre l'exclusion (1), trouvant une affirmation circonstancielle dans la période courant des poverty program à Maastricht (2), pour connaître un affermissement singulier du traité d'Amsterdam à la stratégie de Lisbonne (3), se mutant au final dans un nouveau cadre de référence des politiques sociales européennes ou l'inclusion sociale devient orientation stratégique (4).

1. Une ambition ancienne : la lutte contre l'exclusion

Il est vrai que l'esprit des pères fondateurs de l'Europe, qui prévoyaient sans doute la promotion des aspects sociaux dans l'ensemble de la société européenne, s'est durablement vu remplacé dans les faits par la prégnance, ou la prédominance de la seule construction d'un marché unique, que le traité de Rome de 1957 a fait naître. N'en demeure pas moins que le traité de Rome, dans le fond, promeut via le mécanisme de Spill Over, ou encore «l'Europe des petits pas», la constitution d'une communauté à vocation éminemment sociale, ne serait-ce que dans une perspective fonctionnaliste. «L'Europe ne se fera pas d'un coup ni dans une construction d'ensemble, elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Si l'organisation européenne continue à n'être qu'une idée, c'est une idée qui va mourir. Il faut absolument sortir du domaine intellectuel, où la contradiction n'est pas possible, pour aborder celui des réalités ou toutes les difficultés subsistent»25(*).

C'est du moins dans cet esprit que la CECA puis la CEE (moins l'Euratom, pour des raisons tenant au caractère technique et scientifique de sa constitution et surtout de son objet), ont vocation de permettre l'élaboration d'une véritable Europe Sociale, figure d'une intégration politique complète de l'ensemble des Etats européens autour d'un but commun.

Le traité CECA, à finalité économique, possède un volet social initialement limité : il s'agit d'abord d'une mission très générale visant le relèvement du niveau de vie dans les Etats Membres, puis de compétences liées à la dynamique économique du secteur. Néanmoins, le traité stipule que la CECA assure une protection des revenus et une aide au reclassement des salariés, victimes soit d'une réduction des besoins en main d'oeuvre, à la suite de l'introduction, dans les entreprises, de «...procédés techniques ou d'équipements nouveaux» soit de changements profonds des conditions d'écoulement des produits obligeant les entreprises à «...cesser, réduire ou changer leur activité de façon définitive». La CECA est donc amenée à prendre en compte  les répercussions sociales des restructurations industrielles. Un volet social individuel se profile donc dans ce traité. Le traité CECA introduit en outre deux types de prêt, le prêt à la reconversion visant à pallier la dégradation industrielle des bassins d'emploi CECA en crise, ainsi que des prêts aux logements sociaux, répondant ainsi aux besoins spécifiques et en particulier à l'état obsolète des cités ouvrières (induit par la pénurie de logements après les destructions de la Deuxième Guerre Mondiale).

Le traité CEE pour sa part bien que d'abord plus généraliste, reste en demi teinte. Si les Etats membres s'assignent dans le préambule «pour but essentiel l'amélioration constante des conditions de vie et d'emploi de leur peuple», les rédacteurs modèrent notablement cette ambition dans les articles 117 à 128 consacrés à la politique sociale, en la réduisant à «la nécessité de promouvoir l'amélioration des conditions de vie et de travail de la main d'oeuvre permettant leur égalisation dans le progrès... Une telle évolution résultera tant du fonctionnement du Marché commun, qui favorisera l'harmonisation des systèmes sociaux que des procédures prévues par le présent traité et du rapprochement des dispositions législatives réglementaires et administratives». La coopération dans cette optique, apparaît comme le mode le plus adapté pour «parvenir à...». De ce point de vue, les approches dynamiques du travail, de la libre circulation instituée (art. 48 et 49), de la couverture sociale des travailleurs migrants (art. 50), de la liberté d'établissement (art. 52 à 58), de la promotion d'une libre concurrence, de la création en 1958 du Fond Social Européen26(*) (FSE) inspirée directement des mesures sociales déjà expérimentées dans le cadre de la CECA (art. 123 à 128), et de la prise en compte de la nécessité de respecter le principe d'égalité et de proportionnalité trouvent, en tant que principes directeurs transversaux de l'action communautaire, tout leur intérêt en vue de la lutte contre l'exclusion. Dans ce sens, une réelle reconnaissance du caractère multidimensionnel de la pauvreté doit être «reconnue» à l'Europe. Cette notion de pauvreté n'est ainsi plus perçue comme la résultante de la seule privation des biens matériels et monétaires.

L'Europe très rapidement prend fait et cause de la nécessité d'élaborer un socle commun de référence visant la mise en oeuvre d'une action publique en matière sociale. Plusieurs types de convention concernent ainsi l'aide et l'action sociale liant de manière plus ou moins étroite les autorités françaises. Il existe ainsi des conventions ayant pour objet prioritaire, sinon forcément de reconnaître l'existence d'un droit de l'individu à la protection sociale, du moins d'assigner aux Etats contractant l'obligation de tout mettre en oeuvre pour sanctionner ce droit. Tel est le cas de la Convention européenne d'assistance sociale et médicale du 11 Décembre 1953, mettant à la charge de l'Etat signataire l'assistance accordée au ressortissant d'un autre Etat signataire résidant sur son sol. On rencontre d'autres textes plus généraux. Ainsi trouve-t-on, dans le cadre du Conseil de l'Europe, signée à Turin le 18 Octobre 1961, et entrée en vigueur le 26 Février 1965 (la France ne ratifiant que le 9 Mars 1973), la Charte sociale Européenne (CSE). Cette charte, synthèse des règles posées par l'OIT, vise à assurer l'exercice de trente et un droits principaux, dont le droit à la sécurité sociale, à l'assistance sociale et médicale, au bénéfice des services sociaux, à une protection sociale et une protection contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Bien entendu, la valeur de la charte est éminemment déclarative puisque dépourvue de sanction juridique. En effet, aucun rattachement n'est prévu au système européen de protection des droits de l'homme mis en place dans le cadre du Conseil de l'Europe. Les droits ne sont donc pas justiciables. Il faudra attendre la révision de Mai 1996 pour pouvoir invoquer la charte dans une réclamation, mais ce uniquement devant le comité d'experts indépendants. Malgré ce défaut majeur, le texte qu'est la CSE témoigne et illustre la prise de conscience précoce des institutions européennes en matière de lutte contre l'exclusion ; demeurait parallèlement la problématique de l'appréhension du phénomène. Dès lors, la difficulté majeure était de clarifier le concept de l'exclusion, pour à la fois permettre d'élaborer des comparaisons crédibles entre systèmes culturels et nationaux, mais aussi pour quantifier le phénomène de sorte à pouvoir élaborer une action supranationale ayant les moyens de ses objectifs. C'est la raison pour laquelle il a fallu du temps à l'Europe pour parvenir à chiffrer l'exclusion, pour intégrer la notion de disqualification sociale, et pour tenter d'apporter des réponses politiques, en grande partie ambitieuses, justifiant dès lors le primat donné à l'aspect social, dont on occulte assez souvent l'existence.

2. Une affirmation circonstancielle : des poverty program à Maastricht

Les Poverty program datent du milieu des années 70. Ils définissaient et conceptualisaient la pauvreté en ces termes : «on peut considérer d'une façon générale, que les individus ou des familles sont en état de pauvreté lorsqu'ils disposent de ressources si faibles qu'ils sont exclus des modes de vie, des habitudes et des activités normales de l'Etat membre dans lequel ils vivent». Avant même l'introduction dans les traités d'une référence aux droits sociaux fondamentaux, la CEE avait donc mis sur pied des politiques communautaires, des programmes de lutte contre la pauvreté visant à renforcer les soutiens offerts à l'époque à des projets novateurs de lutte contre l'exclusion.

La résolution du Conseil du 2 Janvier 1974, concernant le programme d'action sociale imprima un second souffle sur ce volet comportant une vingtaine de mesures devant servir trois grands objectifs :

- la réalisation du plein et du meilleur emploi dans la communauté,

- l'amélioration des conditions de vie et de travail dans une optique égalitaire,

- la participation croissante des partenaires sociaux aux décisions économiques et sociales de la Communauté.

Le premier objectif engendre peu de réglementation mais ouvre la voie à la création des premiers programmes, plans d'actions et organismes communautaires à vocation sociale. Le premier Poverty programm traita la période allant de décembre 1975 à Novembre 1981. Il fut suivi de deux autres programmes dits «2» et «3» couvrant respectivement les périodes 1985/1988 et 1989/1994. En 1981 est mis en place le SEDOC (Système Européen de Diffusion des Offres et des demandes d'emplois enregistrées en Compensation internationale), qui favorise la rencontre offre et demande d'emploi non satisfaites au niveau national. En 1982, c'est un observatoire européen sur l'emploi qui voit le jour MISEP ; en 1984 se sont les Initiatives Locales d'Emploi (ILE) pour lutter contre le chômage des femmes qui voient le jours,... L'amélioration et l'égalisation dans le progrès des conditions de vie et de travail donne lieu, en tant que second objectif, à une législation pléthorique, et le troisième et dernier objectif donne enfin lieu à l'élargissement du champ d'intervention du Comité économique et social qui peut, à partir de 1974, émettre de sa propre initiative des avis ainsi qu'à la création d'un Comité permanent pour l'emploi. Si la période 70/80 est donc marquée par la prégnance d'un volonté politique de construire une «Europe sociale», les premières années de la décennie suivante marque une stagnation de la construction européenne suite aux difficultés économiques persistantes ; le domaine social n'est pas épargné et le thème de l'exclusion n'en sort que renforcé. C'est le projet Spinelli, qui fait repartir la machine européenne en remobilisant les acteurs, autour de la thématique de la nécessité de renforcer «la cohésion sociale» seule à même de renforcer la «cohésion économique».

L'Acte Unique de 1986 est peu loquace sur le terrain du social hormis l'introduction des articles 130A à 130E relatifs à la cohésion économique et sociale sur lesquels vont s'appuyer la définition des objectifs couverts par les fonds structurels. En revanche, il permet dès 1988 une réforme importante et salvatrice des même fonds et trace une nouvelle orientation pour les interventions (avec tout de même l'allocation d'une somme de crédit annuel de 7,2 milliards d'écus). Le FEDER se voit renforcer dans son rôle de financement des projets d'infrastructure publique d'intérêt économique mais aussi des services de conseil et d'appui aux entreprises. Le FSE voit son champ étendu au-delà du simple financement des actions de formation professionnelle, aux aides à l'embauche et à la création d'activité. Quand au FEOGA, il est pérennisé dans son rôle de financement des actions de transformation et de commercialisation des produits dans le secteur agroalimentaire et dans le secteur de la pêche. Cette politique se caractérise par une mobilisation accrue des financements provenant des fonds structurels mais aussi et surtout sur une méthode de gestion renouvelée et originale basée sur l'implication des acteurs nationaux, régionaux et locaux.

Suite à l'adoption de l'Acte Unique, un texte important est adopté par les instances européennes, les 8 et 9 Décembre 1989, par onze des douze Etats de la CEE (la Grande Bretagne n'étant pas signataire) La charte des droits sociaux fondamentaux. Contrairement à celle de 1961, qui constitue une véritable convention génératrice d'obligations pour les Etats (malgré l'absence de valeur coercitive jusqu'en 1996), la charte de 1989 n'est qu'une déclaration d'intention, car élaborée pour essayer de compenser le silence quasi absolu de l'Acte Unique sur les questions sociales et réaffirmant ainsi les droits sociaux fondamentaux devant être protégés dans la CEE. Néanmoins, le texte précisant que tout citoyen de la Communauté, lorsqu'il est exclu du marché du travail et qu'il ne dispose pas de moyens d'existence suffisants doit bénéficier «d'un revenu minimum et d'une assistance sociale appropriée», illustre le changement de perspective et un certain volontarisme politique dans la lutte contre le phénomène d'exclusion. L'efficience du texte demeure cependant très circonscrite en ce sens que la charte laisse à la Commission européenne le soin de préparer et de proposer les mesures destinées à appliquer les droits qu'elle proclame et confiant aux Etats membres la charge de garantir dans leur cadre de compétence ces mêmes droits.

C'est véritablement avec Maastricht que naît une politique sociale communautaire, et cela se comprend d'autant mieux si l'on songe au contexte politique, économique et social de l'Europe au jour de l'avènement de l'Union. Une véritable crise économique et financière traverse les pays membres de l'Europe, notamment mais pas seulement suite au contre choc pétrolier de 1986, au Krach boursier de 1987 et au bouleversement à l'Est avec la réunification allemande de 1990 (pour une analyse des répercussions sur la construction de l'Union, voir J.-P. Fitoussi Le Débat interdit, ch.3 : La tyrannie financière, p.50-80). Cette politique sociale est largement articulée sur les fonds structurels, véritable manne communautaire au service de la cohésion économique et sociale. La Commission fait ainsi valoir au bénéfice des fonds «la création de 500 000 emplois dans les régions les moins prospères et l'accroissement de près de 3% du PNB de certains Etats Membres». C'est dans cette logique que s'ensuit une augmentation conséquente des moyens financiers prévoyant d'affecter aux Fonds 141 471 Millions d'écus, pour la période 94/99, dont 97 000 millions pour les seuls régions (dont le PIB par habitant est inférieur ou proche de 75% de la moyenne communautaire) rentrant ainsi dans le cadre des finalités de l'objectif 1 visant la promotion du développement et l'ajustement structurel de celles-ci. S'il faut retenir une chose c'est qu'avec Maastricht, au-delà de l'augmentation du montant des financements communautaires ayant vocation globalement à permettre la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, le tout dans un contexte d'élargissement constant de l'Union, c'est que l'action des Fonds structurels et leur octroi se voient rationalisés à l'extrême dans le cadre d'une procédure de programmation contraignante en deux temps (Document Unique de Programmation, suivi d'un Programme Opérationnel), avec le bénéfice néanmoins notable de l'élargissement du partenariat (équivalent du principe de subsidiarité selon lequel l'action de la communauté doit être complémentaire à celle des initiatives nationales, régionales et locales) aux partenaires économiques et sociaux pertinents.

A ceci s'ajoute un protocole sur la politique sociale annexé au traité de Maastricht en 1992. Conclu par les douze, à l'exception du Royaume Uni et de l'Irlande (clause d'Opting-Out), l'accord définit les objectifs sociaux de l'Union, au nombre desquels figurent la promotion de l'emploi, l'amélioration des conditions de vie et de travail, ainsi que la relance du dialogue social. C'est à la même époque qu'apparaît l'idée d'une «Europe à géométrie variable» qui se traduit logiquement par une conception fluctuante des politiques sociales. Cependant, ces objectifs ont comme point commun fondamental : la lutte contre les exclusions.

3. Un affermissement singulier : du traité d'Amsterdam à la stratégie de Lisbonne.

Le traité d'Amsterdam, entré en vigueur en 1999 relance lui aussi l'action sociale et l'affermit même en intégrant dans le corps du traité CE le protocole sur la politique sociale et en définissant les modalités d'intervention de la communauté dans ce domaine (art. 136 à 145). L'entrée des droits sociaux dans le droit originaire se marque notablement par l'inscription dans le préambule du traité sur l'Union européenne d'un considérant par lequel  les Etats Membres y réitèrent leur attachement : «confirmant leur attachement aux droits sociaux fondamentaux tels qu'ils sont définis par la Charte sociale européenne, signée à Turin le 18 Octobre 1961, et dans la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989». L'inscription de ces deux textes dans le préambule du TUE, traduit indubitablement un affermissement singulier de la reconnaissance de toute l'importance de l'aspect social dans la construction européenne et de sa vocation à lutter contre les exclusions. Plus anecdotique, elle illustre aussi le changement de majorité intervenu au Royaume Uni ainsi que la disparition du protocole et accord en matière sociale datant du Traité de Maastricht. Dans le même ordre d'idée, l'apparition du titre 8 consacré à «l'emploi», traduit la volonté de rassurer les citoyens européens face à la marche vers l'Union Monétaire et les contreparties sociales qu'elle implique. Un souci se fait ainsi jour visant la promotion du social et son affermissement. L'article 136 donne par ailleurs, pour objectif à l'Union et aux Etats membres d'assurer une protection sociale adéquate, cependant que le nouvel article 137 reprend l'article 1er de l'accord sur la politique sociale en énonçant que la communauté «soutient et complète l'action des Etats Membres» pour réaliser les objectifs de l'article 136. L'élargissement de la compétence communautaire dans le domaine social ne se veut toutefois pas être synonyme d'une «communautarisation» du social. Ainsi les traités d'Amsterdam et celui de Nice ont pris soin de préciser que les objectifs assignés à la Communauté doivent tenir compte des diversités et spécificités des pratiques nationales et ne pas contrarier la compétitivité de l'économie de la Communauté (art. 136, § 2).

Les avatars d'Amsterdam se traduisent par la mise en place rapide de la fameuse Méthode Ouverte de Coordination (MOC) et le fameux Agenda social. La politique communautaire se veut ainsi intégrée plus globalement et le Conseil européen de Vienne des 11 et 12 Décembre 1998 traduit cette volonté de mettre en synergie l'emploi et donc le social avec les politiques économiques. Ainsi naît une sorte de Pacte européen de l'emploi et de lutte contre l'exclusion fondé sur :

- la coordination des politiques économiques et sociales (processus de Cologne),

- la poursuite du développement et l'amélioration de la mise en oeuvre des stratégies en la matière,

- l'égalité des chances (processus de Luxembourg).

Plus singulièrement le Conseil européen de Cologne des 3 et 4 Juin 1999 marque un tournant décisif. En effet, les chefs d'Etats et de gouvernement s'accordent sur l'idée, qu'au stade actuel de la construction, il conviendrait de réunir les droits fondamentaux en vigueur au niveau de l'Union dans une charte, le respect des dits droits apparaissant comme une condition indispensable pour rehausser la légitimité politique et la vocation sociale de l'Union. L'idée dominante étant de rendre plus visible, plus clair et plus transparent pour le citoyen de l'Union le fonctionnement des institutions, leurs buts ou objets, et surtout les droits dont ils disposent. En découle trois éléments difficiles à concilier :

- accroître la lisibilité et moderniser les droits en vigueur,

- ancrer l'importance exceptionnelle de ces droits induisant de conférer un effet utile au texte,

- le choix opérer d'adopter une démarche constituante entraînant deux questions de fond qui sont, le défaut d'octroi d'un quelconque mandat constitutionnel, et la question de la nature du texte.

L'importance de ces questions est ici fondamentale : n'est en jeu rien de moins que la nature et le statut même de l'intervention européenne en matière de lutte contre l'exclusion et la promotion définitive en cas d'accord d'une véritable «Europe Sociale». L'ouverture de la conférence (CIG) se fit en marge du Conseil des affaires générales du 14 Février 2000, avec la forte implication de la commission. Et c'est une véritable révolution en terme processuel qui a lieu avec l'inauguration de la Méthode Ouverte de Coordination (MOC). Dans le cadre de cette dernière, la commission qui prépare parallèlement les travaux du sommet de Lisbonne fait passé dans le cadre de ceux-ci une communication (2000-79) le 3 Mars 2000 qui pose les jalons de ce qui va rapidement être dénommée : la stratégie de Lisbonne. Ainsi la communication expose en ces termes les motivations de l'Union : « cette initiative proposée par la Commission exprime l'ambition et l'engagement de l'Union européenne à promouvoir des économies et des sociétés favorisant davantage l'inclusion, répondant ainsi aux grandes attentes exprimées par le Parlement, les ONG, les partenaires sociaux, les autorités locales et confirmées par les États membres lors de la réunion informelle des ministres des affaires sociales tenue récemment à Lisbonne les 11 et 12 février 2000. Cette initiative mettrait en oeuvre les nouvelles dispositions du traité convenues à Amsterdam pour promouvoir la coopération avec et entre les États membres, mettre en place des mesures spécifiques visant à appuyer leur action et compléter les politiques communautaires actuelles qui contribuent (directement ou indirectement) à la cohésion sociale. Elle encouragerait les partenariats entre toutes les parties concernées en renforçant leur capacité à progresser vers une Europe de l'inclusion». Cette communication est fondamentale parce qu'elle assigne pour la première fois à l'Europe, l'objectif de procéder à la réalisation d'une Europe sociale de l'inclusion. Dans ce vaste et ambitieux programme, la Commission dresse un état des lieux des différents Etats Membres en mettant en exergue leurs réalisations respectives. À la suite d'une conférence des Nations unies sur le développement, tenue à Copenhague en 1995, l'Irlande a mis en place la stratégie : «Sharing in progress: the national antipoverty strategy (partager le progrès: la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté)». Au Portugal : «le Programma Nacional de luta contra a pobreza" (programme national de lutte contre la pauvreté) a été complété par le programme INTEGRAR, suivi par la mise en place d'un système de revenu minimum en 1997». Aux Pays-Bas et en Belgique, et plus récemment au Royaume-Uni également, la pauvreté et l'exclusion sociale sont devenues une priorité interministérielle dont la mise en oeuvre s'effectue par des mécanismes de coordination spécifiques. « D'autres États membres, tel la France, cherchent à améliorer l'impact général des mesures d'inclusion sociale grâce à une législation-cadre qui définit l'exclusion en termes d'accès aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, des soins de santé, de la justice, de l'éducation, de la culture, de la famille et de la protection des enfants. Avec cette législation, l'inclusion sociale s'affirme comme une priorité spécifique des politiques publiques et tous les organismes publics et autres parties concernées sont tenus de participer à la mise en oeuvre des principes fixés dans la loi». Pour lutter contre l'exclusion sociale et prévenir l'émergence d'une société à deux vitesses, plusieurs États membres tels que le Danemark et la Suède, ont mis l'accent sur : «l'activation de leurs politiques de l'emploi et de protection sociale pour améliorer la capacité d'insertion professionnelle et l'inclusion sociale, afin de prévenir l'exclusion du marché du travail et réduire la dépendance à l'égard du système de protection sociale ainsi que les pièges de la pauvreté». La commission notant que : « Ce vaste éventail de mesures constitue une riche source d'expériences et de bonnes pratiques et offre la possibilité de développer l'action communautaire pour favoriser une coopération et des échanges fructueux entre les responsables politiques et les autres acteurs dans ce domaine.[...] L'objectif final de tous ces efforts est d'améliorer l'incidence de toutes les politiques pertinentes sur l'inclusion sociale par la promotion d'une approche intégrée et d'une coopération qui tiennent compte de la dynamique de l'exclusion«. Voilà de quelles façons s'élabore la stratégie de Lisbonne.

L'inclusion sociale comme moyen de lutte contre l'exclusion et les exclusions, définie quelques semaines plus tard à Lisbonne les 23 et 24 Mars 2000, s'oriente ainsi autour des objectifs suivants :

- renforcer l'approche volontariste en matière d'inclusion sociale, au niveau de l'Union européenne et des États membres;

- convenir d'élaborer des indicateurs communs d'exclusion et d'inclusion sociales, pour analyser et suivre les tendances et les politiques;

- permettre à tous d'accéder à la société de la connaissance en abordant les questions telles que les compétences requises par la société de l'information et la démocratie, la gestion électronique, en particulier dans les services publics, les points d'accès publics ouverts à tous, l'inclusion dans les communautés locales, l'éducation et la formation, la diversité linguistique et l'intégration culturelle, l'inclusion des zones périphériques;

- promouvoir la croissance et profiter de la croissance économique escomptée pour la prochaine décennie, en d'autres termes restructurer les dépenses publiques en vue de passer de transferts passifs à des investissements actifs et à des mesures d'adaptation tournées vers l'avenir.

4. Un nouveau cadre de référence: l'inclusion sociale comme orientation stratégique

Lors du Conseil européen réuni à Lisbonne et à Feira, les Etats membres de l'Union européenne ont donc franchi une étape majeure en faisant de la lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté l'un des éléments centraux de la modernisation du modèle social européen. Les chefs d'Etat et de Gouvernement ont convenu de la nécessité de prendre des mesures pour donner un élan décisif à l'élimination de la pauvreté en fixant des objectifs appropriés devant être approuvés par le Conseil d'ici la fin de l'année. Ils ont également convenu que les politiques de lutte contre l'exclusion sociale devaient reposer sur la MOC combinant des plans d'action nationaux à un programme d'action présenté par la Commission pour encourager la coopération dans ce domaine. L'application de la méthode ouverte de coordination à la lutte contre l'exclusion sociale, conformément aux principes définis dans les conclusions du Conseil européen de Lisbonne, permet d'allier cohérence et diversité nationale. Cette démarche s'inscrit dans le prolongement de l'introduction par le traité d'Amsterdam, dans les dispositions relatives à la politique sociale de l'Union, de la lutte contre les exclusions (articles 136 et 137 du Traité).

Les articles 2 et 3 du traité, respectivement, donnent pour mission à la Communauté de : «promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes» et disposent que : «dans toutes ses actions, la Communauté cherche à éliminer les inégalités, et à promouvoir l'égalité, entre les hommes et les femmes». Il importe ainsi d'intégrer «l'égalité» dans toutes les actions menées aux fins des objectifs indiqués, notamment en évaluant, lors des différentes étapes de programmation, de prise de décision et de suivi de ces actions, les conséquences qui en résultent pour les hommes et les femmes. Se profile ainsi une logique évaluative importante venant à la fois tester la pertinence des actions menées mais venant aussi responsabiliser les gestionnaires inscrivant dans l'action politique et administrative européenne, nationale et surtout locale, une culture de la performance et de la qualité.

La lutte contre l'exclusion sociale n'échappe pas à cette logique et relève, il est vrai, de la responsabilité des Etats membres et de leurs autorités nationales, régionales et locales, en liaison avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment les partenaires sociaux et les organisations non gouvernementales. Dans ce cadre, les Etats membres sont invités à présenter un plan d'action national avant juin 2001. Le comité de la protection sociale est associé dans un rôle central concernant le suivi de cette démarche. Il coopère étroitement avec le comité de l'emploi dans ce domaine. La mise en oeuvre des objectifs de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale peut en effet varier selon leur nature, leurs effets pour les Etats membres et leurs destinataires. En outre, les différences entre les Etats membres face aux problèmes traités se traduisent par des solutions et des priorités adaptées à la situation de chacun.

La mise en oeuvre, de cette démarche, fait éminemment appel au principe de subsidiarité, mais petit à petit se profile du moins au niveau local l'idée de la substitution du principe de subsidiarité par un principe plus général de «supplétivité»27(*). La raison de ce basculement est à la fois à chercher dans les conséquences de la décentralisation déjà opérée au niveau national, mais aussi et surtout dans le fait que l'Union cherche véritablement, et de façon plus évidente à partir de 2000/2001, un partenaire plus pertinent que l'Etat Membre.

En écho aux Conseils de Lisbonne et de Santa Maria da Feira, le Conseil a adopté, en octobre 2000, un ensemble "d'objectifs appropriés" de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale, qui ont été ratifiés par le Conseil européen de Nice de décembre 2000. L'élaboration de la Charte des droits fondamentaux donne l'occasion d'une réelle définition juridique et européenne de l'inclusion sociale. Juridicisée, l'inclusion sociale devient «un processus qui garantit que les personnes en danger de pauvreté et d'exclusion sociale obtiennent les possibilités et les ressources nécessaires pour participer pleinement à la vie économique, sociale et culturelle, et qu'elles jouissent d'un niveau de vie et de bien-être considéré comme normal pour la société dans laquelle ils vivent. L'inclusion sociale leur garantit une meilleure participation aux processus de prise de décision qui affectent leur vie et un meilleur accès à leurs droits fondamentaux». Les objectifs de Nice ont constitué la base des premiers plans d'action nationaux de deux ans, qui ont à leur tour servi de base au rapport conjoint du Conseil et de la Commission sur l'inclusion sociale, présenté au Conseil européen de Laeken de décembre 2001. Ainsi la France a-t-elle présenté les objectifs et mesures suivantes dans le PNAI 2001-2003, correspondant à une nouvelle étape de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, inscrite dans un processus progressif et continu visant à faire reculer la pauvreté sur le territoire. La stratégie définie en 2001 a mis l'accent sur le retour à l'emploi des personnes qui en sont le plus éloignées et l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux. Les politiques d'accompagnement vers l'emploi conduites par la France se sont recentrées sur :

- le « programme d'action personnalisée pour un nouveau départ » (PAP-ND) ;

- l'appui Social Individualisé (ASI), mesure co-financée par le FSE ;

- le Contrat d'Initiative Emploi (CIE) dispositif d'insertion directe dans l'emploi en entreprise ;

- 300 000 contrats aidés (CES et CEC) ;

- le dispositif d'aide à la création d'entreprise pour les demandeurs d'emplois par le biais d'une aide financière assortie d'un dispositif d'accompagnement - EDEN - (encouragement au développement d'entreprises nouvelles).

Les mesures en matière de logement, santé, éducation quand à elles ce sont traduites par :

- la relance de la construction avec la création en 2001 de 56 000 logements et 55 000 en 2002 ;

- la mise en place de la CMU (Couverture Maladie Universelle), des PRAPS (programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins) et PASS (permanence d'accès aux soins de santé) et l'expérimentation d'Ateliers Santé Ville au niveau local. Soit 1,2 million de personnes bénéficiaires de cette couverture d'assurance maladie. La couverture complémentaire gratuite venant s'ajouter, au titre de la solidarité nationale, à la prise en charge des soins par l'assurance maladie ;

- un soutien accru a été apporté aux établissements situés dans les zones socialement défavorisées (au cours de l'année 2000/2001, 267 « classes relais » ont accueilli 3 650 élèves).

Bref, beaucoup d'exemples pour des mesures diverses qui illustrent la pluralité des domaines concernés par la mise en place d'une politique inclusive initiée au niveau communautaire. Un second PNAI fit suite dans l'ensemble des pays de l'Union pour la période 2003-2005.

Le rapport du Groupe de Haut Niveau sur l'avenir de la politique sociale dans une Union européenne élargie dit «Rapport KOK» de mai 2004 met en exergue la nécessité d'actualiser la stratégie de Lisbonne, plus précisément, en étant :

- adaptée à la nouvelle conjoncture économique ;

- complétée par une initiative visant à accroître la population active ;

- combinée avec le pacte de stabilité et de croissance.

C'est sous l'empire de ces nécessités que le Luxembourg prend la présidence de l'Union en Janvier 2005 avec la difficile tâche de pérenniser la stratégie de Lisbonne tout en l'adaptant. «Une Europe sociale dans l'économie mondiale : des emplois et de nouvelles chances pour tous», telle est la devise de la seconde phase de l'Agenda social couvrant la période allant jusqu'en 2010. La Commission précise de la sorte dans sa communication sur le réexamen à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne, la vision qui unit l'Europe, confirmée par la Constitution, consistant à assurer «le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement».

La Commission souscrit ainsi à la modernisation et au développement du modèle social européen ainsi qu'à la promotion de la cohésion sociale en tant que partie intégrante à la fois de la stratégie de Lisbonne et de la stratégie en faveur du développement durable. L'agenda fixe donc les priorités qui devraient orienter l'action de l'Union européenne dans ce domaine.

Son réexamen complète et appuie l'examen à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne, qui a mis l'accent sur la croissance et l'emploi. Il y remplit une fonction essentielle dans la promotion de la dimension sociale de la croissance économique. Cependant comme le note le rapport de la présidence luxembourgeoise : «the accompanying European Commission Press Release described the Social Agenda as the social policy dimension of the refocused Lisbon growth and jobs strategy. The Press Release goes on to stress that social policy has not been downgraded in importance. We are more, not less, ambitious, about ensuring high social standards, good healthcare and a proper social net»28(*). Dit en français l'inclusion sociale doit donc se réorienter vers l'économique, dans une perspective plus essentialiste de concurrence et de son respect. L'aspect social, et donc la vocation «intégratrice» des dispositifs européens, nationaux et locaux doivent désormais s'inscrire dans une logique visant l'efficience économique dans le cadre d'un processus inclusif, itératif.

Donc l'inclusion sociale est rapidement érigée en «orientation stratégique» dans l'ensemble des documents européens. La programmation étant pluriannuelle, la Commission, le 5 juillet 2005 dans une communication n°299, propose une série d'orientations visant à obtenir des améliorations dans deux domaines principaux. En premier lieu, la dimension stratégique de la politique de cohésion est renforcée afin d'assurer une meilleure intégration des priorités communautaires dans les programmes de développement nationaux et régionaux. En second lieu, des efforts sont faits afin de garantir une meilleure appropriation de la politique de cohésion sur le terrain. Cela se traduit par un dialogue renforcé au sein des partenariats formés par la Commission, les États membres et les régions, ainsi que par un partage de responsabilités plus clair et plus décentralisé dans des domaines tels que la gestion et le contrôle financiers. Le tout sous la triple contrainte d'élargissement, d'échecs dans certains Etats membres, dont la France de la ratification du projet de constitution européenne et enfin, de difficultés dans la négociation sur les perspectives financières de l'Union pour la période 2007-2013.

B. Le niveau national : cadre opératoire des politiques inclusives

«L'obsédante question de l'exclusion exprime en creux la tyrannie de l'inclusion, des multiples inclusions auxquels chacun est soumis»29(*).

Si le niveau national devient le réceptacle des politiques européennes, la France n'a pas moins mené une action publique autonome inclusive dès l'avènement de la Vème République, assortie d'un cadre juridique précis mais mouvant. Ainsi, à chaque figure de l'exclusion a pu correspondre non seulement un vocabulaire spécifique dont il convient d'analyser l'évolution, mais également des formes d'actions spécifiques privées ou publiques ayant toutes en commun la volonté de lutter, ou pour le moins de tenter de répondre au phénomène de pauvreté ; qui s'est orienté successivement et selon quatre temps en  une lutte pour l'intégration 1960/1970 promouvant l'Etat providence (1), devenant une lutte en vue de l'insertion 1970/1980 marquée par la fin de la logique assurantielle (2), puis venant à glisser vers une lutte contre la précarisation et l'exclusion 1980/2000 voyant la substitution de la logique assistantielle (3), pour finalement aujourd'hui rentrer dans le carcan de la promotion de la cohésion sociale 2000/2013 ou l'avènement de la Collectivité Providence (4).

1. Une lutte pour l'intégration 1960/1970 : la promotion de l'Etat providence

Ce qu'il faut bien saisir c'est le contexte socio politique dans lequel apparaît cette ambition politique. Deux mouvements viennent se confronter, d'un côté une société d'opulence véhiculant une consommation de masse, et d'autre part et non sans lien, la manifestation d'une sorte de pauvreté résiduelle au sein même des pays riches. Dès les années 1960-1970, l'objectif des politiques sociales est d'intégrer les populations pauvres, et marginales dans la société dite de croissance, et de réduire les inégalités sociales et de revenus. Les minima sociaux mis en place progressivement complètent le système assurantiel, issu de l'après guerre, reposant sur les cotisations des revenus du travail. Ces minima assurent alors la protection des personnes âgées, des veufs, puis des personnes handicapées et des parents isolés. Dans le même temps, l'action sociale est surtout sectorielle et vise des populations ciblées en raison de handicaps ou de déficiences. C'est également un domaine partagé entre les associations, les communes de façon volontaire, les organismes de sécurité sociale et l'Etat. La diversité et la complémentarité des intervenants resteront une constante de l'approche française de la lutte contre la précarité et l'exclusion, au delà des évolutions organisationnelles. Dit autrement la scène socio/économico/théorique voit émerger la confrontation de l'opulence et de la pauvreté. 

C'est d'abord John Galbraith30(*) qui pronostique l'ère de l'opulence, dont on devait rapidement découvrir, qu'elle devait attirer l'attention sur l'inégal développement de la société d'abondance et la persistance de ce que l'on allait appeler les «poches de pauvreté». C'est le temps de la question des inégalités au centre du débat social, c'est le temps de la question de la répartition de ce que l'on a dénommé : «les fruits de la croissance». La volonté politique manifeste de répondre aux attentes de l'opinion sur le terrain de la réduction des inégalités est entrée en résonance avec un mouvement de modernisation de l'économie qui a aboutit au partage pour le profit des classes dites moyennes, de biens et services liés à la société de consommation. Coïncidant avec la période de la fin de la guerre d'Algérie, l'arrivée massive de français venus d'ailleurs ainsi que des harkis, la logique intégrative trouve ici un écho tout particulier. Pour la seule année 1962, 1 064 000 départs d'Algérie furent enregistrés pour 412 000 retours, entre Mai et Août, plus de 670 000 départs, et Marseille constitue le point d'arrivée pour deux rapatriés sur trois31(*). Dès lors, la pauvreté constatée est apparue dans un premier temps comme résiduelle ou en tout cas concentrée sur certaines catégories de population. Se faisant cette pauvreté s'avérait résorbable par le moyen de politiques spécifiques, sectorielles en direction du logement, de la famille et des retraites. En outre le relèvement du SMIG laissait envisager la potentialité d'une réduction de ces «poches de pauvretés». Au final, celles-ci apparaissaient comme la résultante d'une inadaptation chronique de catégories de population marginales et donc comme le coût social de la croissance économique. C'est aussi ce que retient Paul Marie de la Gorce, auteur d'un ouvrage intitulé, La France Pauvre, paru en 1965, faisant écho à Galbraith. De sorte, la dynamique d'exclusion s'analysait comme un processus à étape ou au retrait du marché de l'emploi, se succédait : pauvreté matérielle, puis déstructuration familiale, entraînant perte de sociabilitée articulé sur un accès, pour l'époque, limité au soin, le tout sur une crise du logement qui entraînait donc logiquement l'exclusion de l'individu. On est ici dans la description d'une marginalisation économique et sociale classique mais réduite, et ici est toute l'importance de l'analyse, à une part circonscrite de la population. La «résidualité» du phénomène trouvant à s'illustrer par ailleurs par un transfert intergénérationnel, figeant, reproduisant et inscrivant dans la durée cette pauvreté malgré les politiques mises en place.

Mais comme rien n'est jamais figé et pour reprendre la formule chère à Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme» ce schéma a évolué pour atteindre des populations nouvelles : en premières lignes les jeunes qui ne parviennent pas à s'insérer et les chômeurs de longue durée. On parle alors de «nouvelle pauvreté». Son traitement qui relevait originellement de l'aide sociale, héritant ainsi de la vieille fonction d'assistance dispensant des ressources subsidiaires, apparaît de plus en plus comme insuffisant. En outre, le contexte internationale du premier choc pétrolier balaie l'euphorie économique des «Trente glorieuses» ou l'égide de l'Etat protecteur va céder le pas à un autre paradigme dont on perçoit déjà la nouvelle dimension locale (création des DDASS par les décrets des 14 Mars et 30 Juillet 196432(*))...On passe ainsi d'une lutte contre les inégalités ou la protection sociale s'est révélé défaillante à gérer : «les conséquences sociales de la mutation et des modifications organisationnelles radicales du système de production»33(*), à une lutte pour l'insertion. Ainsi l'approche gagne-t-elle en profondeur et en ampleur, c'est un changement de niveau d'analyse, un changement de perspective, un changement d'échelle. Nouvelle configuration, changement d'échelle territoriale se préfigure34(*). Et c'est prégnant si l'on songe à ces propos : «Le réglage différent de l'optique tout à la fois révèle de nouvelles configurations, souligne l'inadéquation partielle, c'est-à-dire le caractère réducteur des catégories conceptuelles disponibles, suggère de nouveaux principes explicatifs : à chaque niveaux de lecture, la trame du réel apparaît différente.[...] Il faut briser l'opposition appauvrissante entre la micro et la macro analyse pour approfondir la question plus essentielle des formes d'adéquation acceptables entre les questionnements, les méthodes d'études et l'échelle d'observation des phénomènes»35(*).

2. Une lutte en vue de l'insertion 1970/1980 : la fin de la logique assurantielle36(*)

L'apparition du terme «marginal» dans les médias à partir du début des années 70 permet de reconnaître un aspect multiforme du refus des valeurs dominantes, sorte d'héritage de Mai 68. Rappelons que c'est à cette époque qu'éclot une Sociologie de la pauvreté, et que de façon concomitante apparaît la difficulté à conceptualiser l'existence de ceux désignés comme pauvres, dans une société française qui se percevait comme une société d'opulence.

Conséquence : l'analyse tend à être essentiellement quantitative, les politiques sociales sont conçues sur un modus operandi visant le rattrapage... Cependant la question de l'exclusion demeure par delà la nécessaire catégorisation à la fois administrative, réglementaire, législative, et forcement juridique. La question prégnante devient, bel et bien, celle de savoir : Qui relève de l'exclusion ?

Rapidement le milieu universitaire se saisit du débat, et les écrits de Foucault qui interrogent sur le phénomène de normalisation incluant/excluant des sociétés modernes, trouvent un écho tout particulier dans les approches alors adoptées. Deux ouvrages vont illustrer ce changement d'optique «Vaincre la pauvreté dans les pays riches»37(*) de Lionel Stoleru et surtout «Les exclus»38(*) de René Lenoir, secrétaire d'Etat à l'action sociale. C'est le premier signal fort du phénomène de pauvreté sur la scène politique. En effet «[leurs réflexions] ne s'attachent pas à l'examen des causes économiques [...]. Cependant partant du constat d'une forte relation entre inadaptation sociale et pauvreté, l'objectif pour assurer l'insertion des inadaptés sociaux est de promouvoir une action sociale coordonnée»39(*). On passe dès lors à un dispositif de type gestionnaire. C'est la séparation du sanitaire et du social initiée par la loi du 31 décembre 197040(*) relative à la réforme hospitalière, la loi de 1971 créant l'ALS41(*), puis la loi du 30 Juin 197542(*) relatives aux institutions sociales et médico-sociales, la loi de 197543(*) créant l'allocation aux adultes handicapés, c'est aussi la loi de 197644(*) créant l'allocation de parent isolé mais encore, le décret du 15 Juin 197645(*) étendant les compétences des CHRS (Centre d'Hébergement et de Réinsertion Sociale) jusqu'à la fameuse circulaire dite 44, faisant évoluer ses missions vers l'insertion sociale et professionnelle. Le terme d'insertion n'existe pas puisque en toute logique on est dans un présupposé de plein emploi, mais des changements terminologiques comme la transformation du SMIG en SMIC, auquel s'ajoute la mensualisation des salaires et les tentatives de généralisation de la sécurité sociale, sont autant d'indices d'un changement radical de perspective dans l'appréhension même de l'action publique dans le sens de l'insertion. Par ailleurs, le mérite de l'oeuvre de Lenoir est d'élargir le champ de la réflexion avec deux apports :

- le fait de ne plus faire de l'exclusion un phénomène individuel mais social, dont les leviers sont à rechercher dans les principes même de fonctionnement de la société moderne, d'où la nécessité d'élargir le champ d'action de politiques de lutte vers, le logement, le social, l'éducation,...

- le fait de reconnaître à l'exclusion un caractère généralisé et non marginal, qui ne toucherait qu'une frange de la population.

On s'achemine ainsi en France vers une action politique non plus sectorielle mais transversale ayant plus d'ampleur en termes de population cible (Raymond Barre lance ainsi le «pacte pour l'emploi des jeunes» en 1977) , plus généraliste dans ses champs d'intervention avec une diversification notable de ces derniers, guidée par un souci d'insertion véhiculant l'idée d'une sorte de suivi de l'action, que ne détenait pas l'idée d'intégration, le tout dans une démarche de coordination des politiques et de leurs différents niveaux d'exécution, puisqu'il convient de rappeler le développement au niveau européen de programme d'actions mais aussi et surtout, que la France est à l'orée de l'avènement de la première grande vague de décentralisation, laquelle va placer «le local» ipso facto au premier rang des rôles titres.

3. Une lutte contre la précarisation et l'exclusion 1980/2000 : la substitution de la logique assistantielle

Les problèmes économiques et la maîtrise que l'Etat tente d'imprimer dessus sont véritablement les deux éléments sous lesquels vont se développer le gros de l'arsenal législatif et réglementaire visant la résorption de l'exclusion et la lutte contre la précarisation. Pour bien saisir la dynamique qui se met en place, il convient de rappeler quelques éléments qui expliquent le caractère complexe et protéiforme des politiques devant être mises en place. Les problèmes économiques sont devenus prépondérants dans un contexte de crise, tendant à subordonner voir absorber tous les autres un peu à la façon de la croissance continue du cadavre de Ionesco, symbole s'il peut en être, de la prégnance exacerbée d'une idée fixe.

Ni la dimension nationale, ni la dimension européenne, ni les rapports Est-Ouest, ni les rapports Nord-Sud, n'y échappent. L'aspect international est dominant, c'est le second choc pétrolier, les conflits larvés au Proche-Orient, une URSS qui de nouveau se radicalise, des Etats-Unis qui tombe dans une reaganomanie46(*) dont on ignore tout. Sur le plan national, c'est une situation contrastée avec la fin du septennat giscardien, singularisant un libéralisme de plus en plus prégnant, aboutissant à des revendications sociales de plus en plus fortes sur lesquelles va se bâtir la victoire socialiste, à laquelle va succéder une politique économico sociale à contre courant (nationalisation massive, imposition des grandes fortunes, croissance des bas salaires,...) répondant aux promesses électorales (les 110 propositions) et paradoxalement se révélant inadaptée à la situation, nécessitant un tournant d'austérité implacable (dévaluations, diminution des dépenses du budget et de la sécurité sociale,...).

C'est dans ce contexte très singulier de crise de l'emploi et d'apparition du chômage de masse estimé à 2 millions d'individus en 1982, que va éclore un nouveau concept qui va permettre de penser les nouveaux pauvres des débuts des années quatre vingt : la précarité. C'est à un changement radical auquel on assiste. «Les oubliés de la croissance» des années 70 deviennent la «solution délibérée». Dans un ouvrage intitulé La connaissance ordinaire, Michel Maffesolie exprime le malaise des années 80 et sa singularité47(*). Les Pauvres sont ainsi le prix de la mondialisation, concept en éclosion aussi, dont à cette époque, on ne saisit sans doute pas toute les implications.

L'Etat anciennement «Providence»48(*) devient l'Etat «Assistantiel» et voit déjà se profiler devant lui l'ombre de son devenir d'Etat «Régulateur». Sur fond de concurrence internationale et de restructuration économique, la France fait connaissance avec ces nouveaux pauvres, qui touchent désormais même les plus insérés. Désormais ce n'est plus l'exclu qui intéresse mais le phénomène, le processus de mise à l'écart de la vie économique et sociale : la précarisation. Pour la combattre ou du moins la circonscrire, le gouvernement Fabius met différents dispositifs, dont l'allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs ayant épuisé leur droit à l'allocation unique dégressive, mais c'est aussi la mise en place des travaux d'utilité publique, qui deviennent vite d'utilité collective (TUC), l'intérêt du dispositif résidant dans le fait de soustraire les jeunes souvent sans qualification à l'inactivité, véritable sas vers l'exclusion. Dans le même ordre d'idée, une loi du 5 Avril 198549(*) est votée pour favoriser les congés de reconversion, l'idée étant de relancer un cercle vertueux autour de l'idée d'un personnel plus qualifié, d'où un investissement massif sur la formation, moyen s'il en est de promouvoir l'inclusion.

La date de Février 1987, est marquante, puisque le Conseil économique et social avalise par ailleurs un rapport présenté par Joseph Wrésinski intitulé : Grande pauvreté et précarité économique et sociale. Ce rapport permet d'ancrer un nouveau vocabulaire, celui de la précarité et de l'insécurité qui véhiculerait la grande pauvreté. La marginalisation grandissante d'une frange de plus en plus importante de la population est alors mise en lumière par ce rapport qui insiste sur la nécessité d'apporter : «au-delà des secours d'urgence nécessaires mais ponctuels, de véritables solutions cohérentes, globales et prospectives». La réponse institutionnelle des années 80 est l'inauguration de politiques publiques transversales, qui font notamment écho au rapport OHEIX, sous le dernier gouvernement de Raymond Barre. C'est la création de missions locales d'insertion des jeunes, d'opérations de développement social des quartiers et des banlieues. C'est la loi n°86-16 du 6 Janvier 1986 obligeant les départements à organiser et faire fonctionner un service social départemental qui a pour mission : «d'aider les personnes en difficulté à retrouver ou à développer leur autonomie de vie». C'est le passage de la délégation interministérielle de la ville, au ministère de la ville. La précarisation devient l'apanage de tous les cabinets ministérielles, de toutes les politiques locales décentralisées depuis 1982, de toutes les actions mises en oeuvres : politique de la ville (développement social des zones urbaines défavorisées DSQ/DSU/contrat de ville,...), politique de l'emploi, mise en place du RMI loi du 31 décembre 1988, l'ouvrage de Jean Michel Bélorgey (député socialiste) intitulé : La gauche et les pauvres, 1988, autant d'éléments qui témoignent, illustrent, participent de la nouvelles tendance institutionnelle à l'oeuvre. Concernant le RMI, comme l'écrira François Ewald dans une contribution à l'ouvrage de Bernard Kouchner, Les nouvelles solidarités, 1989, intitulé Solidarité et insertion : «se fait jour un devoir d'initiative et de nouvelle solidarité. C'est ainsi aux collectivités locales et aux services de l'Etat que revient d'assurer cette nouvelle solidarité, d'abord de façon expérimentale, puis de façon générale avec la mise en oeuvre et la gestion du dispositif d'insertion du RMI. Ce qui est alors totalement remarquable c'est la prééminence incontestée de la dimension économique que la France et ses habitants découvrent avec stupeur. Contre choc pétrolier de 86, Krach boursier de 87, réunification allemande, le tout sur fond de première cohabitation politique Gauche/droite, et au sein même de la gauche un combat idéologique aux accents freudiens entre Mitterrand et Rocard. Sur le plan de l'initiative privée nationale ou locale venant en soutient des politiques publiques dans cette lutte contre la précarisation, c'est la mise en place des «Restos du coeurs» en 1985 et le déploiement des institutions venant aider les plus défavoriser via les soupes populaires et autres mesures de veille mises en place en périodes hivernales (Plan Départementale de l'Hébergement et de l'Urgence,...)

Très rapidement la décennie de 1990 apporte ces nouveaux problèmes : la concurrence à laquelle seule l'Union peut faire face, c'est l'heure de Maastricht et le débat entre souverainiste et fédéraliste. C'est aussi le temps d'un chômage de masse qui prend des proportions inquiétantes voisinant avec les 10% de population (9,4% très exactement de taux de chômage au sens du BIT en 1989), une nouvelle plaie qu'est la mondialisation, qui trouve sa traduction à travers l'Exclusion et surtout la fracture Sociale. Les Premières années de la décennie 90 sont marquées par la surmultiplication des dispositifs de lutte contre l'exclusion : loi du 31 décembre 198950(*) dite Neiertz sur le surendettement, loi 90-449 visant à la mise en oeuvre du droit au logement, loi de finance de 1991 instituant la Contribution Sociale Généralisée (CSG), loi 92-722 portant adaptation de la loi de 1988 relative au revenu minimum d'insertion et relative à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et professionnelle, loi 92-936 créant un Fonds de solidarité vieillesse, décret 90-794 portant application en ce qui concerne les plans départementaux d'actions pour le logement des personnes défavorisées, circulaire du ministère de l'intérieur, de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace du 16 Mars 1992 relative au schéma départemental (accueil des gens du voyage), circulaire CDE 92-19 relative à l'appui social individualisé des demandeurs d'emploi de longue durée, circulaires DGS/AF1/DAS/RV3 n°33-93 relatives à l'accès au soins des personnes les plus démunis, dispositifs auxquels s'ajoutent pêle-mêle : l'aide à l'accès au droit 199251(*), l'aide médicale généralisée 1992, la création du Samu social à Paris 1993,... Comme cela se constate la liste est pléthorique, mais n'empêchera pas le débat sur la lutte contre l'exclusion de rebondir notamment suite à : la forte augmentation du chômage entre 93 et 94 qui atteint la barre psychologique des 13%, des 3,5 Million de chômeurs et l'occasion de la campagne présidentielle de 1995 avec l'avènement du thème de : la fracture sociale.

L'expression de fracture sociale a fait florès au point d'entrer dans le langage courant, ainsi a-t-on rapidement évoqué un nombre invraisemblable d'avatars du type, fracture numérique, fracture politique, fracture morale,... La France sociale de 1995 est donc «fracturée» et si l'expression prête à sourire, l'image et la symbolique qu'elle véhicule s'ancre durablement dans l'esprit des citoyens, relayés par les médias... La France a donc quelque chose de cassé... Tout commence en fait, par une note rédigée pour la fondation Saint Simon. Sous cet intitulé aux origines du malaise politique français, l'anthropologue Emmanuel Todd y démontre la permanence de ce peuple dont est un peu vite proclamé la disparition...Evoquant les différentes situations des candidats Balladur et Chirac, la note conclut que : «si l'électorat naturel d'Edouard Balladur se trouve dans les classes moyennes Jacques Chirac, lui, est virtuellement le candidat du peuple, qui souffre de la fracture sociale...». Les conseillers en communication du candidat Chirac se saisissent de cette manne que constitue le renouvellement de la thématique sociale, pour élaborer toute leur campagne : ainsi naît la fracture sociale. Sur un plan plus pragmatique, la fracture sociale décrit cependant un état d'esprit de la société qui ne sent plus entendu par les Politiques (dans le sens anglo-saxon de Politics). L'élection remportée par la Droite, sur le thème de la fracture ne voit cependant pas, le social doté de la priorité escomptée (exception faite de mesures fiscales comme : la loi 96-50 créant la CRDS,...) et ce pour des raisons, sans doute, d'opportunité politique. Ce n'est que suite à la dissolution parlementaire de 97, ramenant la Gauche au pouvoir dans le cadre d'une cohabitation, que le social, et la lutte contre l'exclusion, délaissée pour un temps, reprend avec l'avènement d'un traitement social du chômage, dont on constate cependant rapidement l'échec, la logique étant : «le subventionnement d'emploi à durée déterminée comme Quick Fix»52(*) et surtout la fameuse : loi n°98-657 du 29 Juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

Avec cette loi, il y a véritablement la création d'un lien entre les droits fondamentaux et les exclusions, de sorte le code de l'action social et de la famille (CASF) en son article L.115-2, al. 1, dispose que la lutte contre les exclusions sociales constitue un : «impératif national fondé sur le respect de l'égale dignité de tous les êtres humains et une priorité pour l'ensemble des politiques publique de la nation». Cette politique doit ainsi garantir sur l'ensemble du territoire : «l'accès effectif de tous aux droits fondamentaux dans les domaines de l'emploi, du logement, de la protection de la santé, de la justice, de l'éducation, de la formation et de la culture, de la protection de la famille et de l'enfance». Le «s» mis à la fin du terme «exclusion» est tout à fait significatif de la prise de conscience par les autorités publiques de la «protéiformité» de l'exclusion. L'action menée doit donc être non seulement transversale, mais aussi conduite sur plusieurs fronts en même temps. Dans cette démarche globale, on retrouve aussi la volonté étatique de mettre en exergue quelques nouveaux droits comme, celui de l'électricité pour les personnes les plus démunis (loi 2000-108) précisé un an plus tard, posant un véritable droit créance au bénéfice des personnes en situation de précarité pour préserver leur accès à l'électricité.

La France a donc, en 20 ans, révolutionné son approche de la pauvreté, en ayant guidé successivement son action sur la précarité, la réduction des éléments d'hétérogénéité résultant de la présence sur le territoire d'importantes communautés allogènes, la lutte contre la fracture sociale et enfin la lutte contre les exclusions, le tout au travers des politiques inclusives volet principal et primordial de la réalisation d'une Cohésion sociale. Tout au long des ces années, les collectivités locales devenues territoriales ont véritablement constitués le niveau opérationnel de ces actions avec le prima connu, octroyé et assumé par les départements, véritable échelon d'action pertinent.

4. Une promotion de la cohésion sociale 2000/2013 : l'avènement de la Collectivité Providence

Pour bien saisir l'idée de cohésion sociale et les mesures politiques qu'elle implique, il convient de faire un très rapide détour théorique. Les politiques mises en oeuvre au niveau européen, national, régional, départemental et local ne sont pas parvenues à recomposer un lien social de type organique, pas plus qu'elles ne sont parvenues à remédier au niveau des représentations collectives de la société, à la crise post-moderne, induisant une nouvelle représentation de l'Etat et donc de l'individu. Se faisant l'idée de la nécessité de reformuler «un tout social», une formation, un ensemble est apparu comme la première des nécessités. C'est ainsi que la sociologie a pu parler de «recomposition de la morphologie communautaire»53(*) devant se refonder autour des pratiques, des sentiments, des valeurs communes, pour un temps, dans un espace donné. Dans ce type d'espace, il importe de mettre en oeuvre une sorte de solidarité qui unifierait la société atomisée en un ensemble cohérant capable de lutter contre l'exclusion sociale en étant doté de mécanisme inclusif interne. Le problème pour les pouvoirs Publics, l'Etat et les Collectivités locales est alors de mettre en oeuvre une action publique pour cette forme de représentation collective polyculturelle. C'est là tout l'enjeu de la cohésion sociale.

«L'inclusion sociale» et la «cohésion sociale», pour faire écho à une distinction classique posée par M. Waline54(*) en matière de contentieux administratif entre  contentieux objectif et contentieux subjectif : «ne se recouvrent pas elles se recoupent, ou, plus exactement», l'inclusion sociale coupe en deux la politique de cohésion sociale en en devenant le volet principal, le second étant la mise en place de cette solidarité qui de mécanique devrait devenir organique55(*). Cette logique rapidement exposée est au coeur de la politique mise en oeuvre depuis Février 2005 dans le plan dit de cohésion sociale.

Parallèlement, l'accentuation de la décentralisation, oscillant entre ferveur et désenchantement place le concept de territoire au centre du débat en termes de niveau pertinent d'action, marqué de plus en plus par une tendance à la régionalisation qui s'entrechoque avec la mise en place de la réforme financière, avec la transformation interne de nombreux ministère en liaison avec les récents progrès de la décentralisation. D'abord conçu comme un simple réceptacle des activités humaines ou une circonscription administrative, il est perçu aujourd'hui comme une construction des acteurs où s'entrecroisent, dans un cadre géographiquement et historiquement circonscrit, des relations à la fois économiques, sociales, culturelles, politiques et symboliques. Or, dés lors que les actions sectorielles et verticales (évoquées ci-dessus) ont montré leurs limites pour aborder les problèmes rencontrés par les populations, le local est apparu et continue d'apparaître comme l'échelle d'action efficace car c'est à ce niveau qu'il est possible de mettre en oeuvre les solutions globales, intersectorielles et participatives56(*) qui sont préconisées par les stratégies nationales et européennes en raison de la complexité des phénomènes d'exclusion et de pauvreté. Cette évolution se traduit par l'adoption de principes de bonne gouvernance dont l'objectif est d'améliorer le rapport entre gouvernants et gouvernés, notamment en développant la participation des citoyens, le partenariat des acteurs locaux (habitants, intervenants, décideurs, experts) et l'évaluation des politiques mises en place. Parallèlement, au plan social, le citoyen dans sa triple fonction d'électeur, d'usager, d'administrer, réclame une plus grande proximité, une qualité et une souplesse des services rendus, ainsi que la garantie de la transparence et de la régularité des procédures.

Dans le même temps que la centralisation de la politique européenne se dessine, les pouvoirs locaux et les acteurs territoriaux sont davantage chargés de la traduction concrète de cette politique auprès du citoyen. Cela suppose de leur part une connaissance préalable des composantes démographiques, économiques, sociales, sanitaires, culturelles et urbanistiques des territoires dont ils ont la charge, avec une attention plus particulière aux facteurs déterminants de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Au plan des institutions ; se pose la question de l'articulation des fonctions de l'Etat avec la nouvelle compétence des collectivités territoriales et avec le développement très important des attributions des instances européennes. Dès lors, où doit être placé le curseur de la décision politique ?

De plus, la mise en oeuvre des principes de bonne gouvernance - la participation des citoyens, le partenariat des acteurs locaux et l'évaluation des politiques mises en place - nécessite le recours à des méthodes et des outils spécifiques. Or, si des méthodes et des outils adaptés sont bien disponibles pour les administrations nationales et régionales, en revanche, les pouvoirs locaux et les acteurs territoriaux disposent rarement d'outils simples et économiques pour identifier les problèmes prioritaires, élaborer des projets, gérer les actions, en évaluer l'impact et en suivre les effets dans le temps. C'est pourquoi, la Collectivité territoriale tel qu'elle tend à se présenter dorénavant devient le réceptacle d'une nouvelle exigence, le débat sur la décentralisation et sur la déconcentration a fait éclore un nouveau terme de «déconcentralisation», de sorte que l'on peut dorénavant s'interroger sur la nature même de la collectivité . C'est plus vrai encore si l'on songe que la loi de Cohésion sociale, précise que, sur 20 programmes d'action 14 concernent les collectivités territoriales, auxquels on peut rajouter 3 programmes destinés aux autorités déconcentrés et que sur 107 mesures 45 connaissent une déclinaison territoriale ; mis en corrélation avec le renforcement du rôle du département en matière d'aide et d'actions sociales, décentralisation des dispositifs RMI/RMA, pérennisation des aides existantes à l'enfance, aux personnes âgées (avec le poids considérable pris par l'APA) et aux personnes handicapées, un nouveau paradigme de «Collectivité Providence» semble s'ériger.

Problématisation de l'inclusion sociale

A la suite de ce cadre historique et théorique rapidement retracé, on peut désormais s'interroger sur le rôle que l'inclusion sociale57(*) européenne joue dans la transformation des collectivités territoriales en «Collectivités Providence» ?

Pour répondre à cette interrogation faisant l'objet de la réflexion du présent mémoire et compte tenu de la spécificité du sujet, un traitement en deux étapes mettant en exergue : l'affermissement de la logique préventive pour les politiques d'inclusion sociale (Partie 1) et le mouvement concomitant de, banalisation de l'évaluation par les politiques d'inclusion sociale (Partie 2) à paru s'imposer. Deux raisons à cela, la première liée à l'approche didactique que suggère l'intitulé même du mémoire - Réflexion sur l'inclusion sociale - La double contrainte des collectivités territoriales entre évaluation et prévention. La seconde raison tout aussi logique trouvant son fondement dans le fait, qu'il est apparu plus pertinent de traiter la situation actuelle des collectivités territoriales face au défis de l'inclusion sociale et des changements qu'il induit avant d'adopter, une démarche plus prospective sur la projection d'un nouveau paradigme vers lequel elles semblent tendre : la collectivité providence.

1ère PARTIE

L'AFFERMISSEMENT DE LA LOGIQUE PREVENTIVE POUR LES POLITQUES D'INCLUSION SOCIALE

Il convient, en particulier au vu de l'évolution actuelle du contexte touchant les acteurs de l'action publique d'en saisir certaines contradictions internes et de prendre acte de ceci : toute adoption par la puissance publique d'une logique préventive, légitime et préférable à toute autre, doit intégrer en même temps la conscience de ses risques potentiels. La prévention, par nature tendanciellement propensive, doit savoir intégrer ses propres limites, être toujours contenue.

Cette démarche est sans doute plus vraie encore s'agissant de l'action publique dans le secteur social, a fortiori dans le climat actuel, marquée par l'acte de 2 de la décentralisation, par la multiplication des intervenants et acteurs appelés à agir pour permettre le développement harmonieux d'une véritable inclusion sociale, mais aussi et surtout par le débat ayant agité la fin d'année 2005 et le début de l'année 2006 sur la mise en place des contrats CNE/CPE58(*).

Pour autant tout en prenant acte de cette situation contextuel, l'affermissement de la logique préventive pour les politiques d'inclusion sociale par les niveaux territoriaux compétents sous-tend la nécessité de s'appuyer sur une double démarche. En effet, l'action envisagée doit tenir compte de la pérennisation des dispositifs sociaux curatifs anciennement mis en place (Titre 1) et répondant à des impératifs, conditions d'exercice et objectifs précis, ainsi qu'à la formulation de politique sociale occupationnelle (Titre 2), formulation dont on pourra apprécier le raffinement, les différents niveaux de compétences mis en jeux et d'exercice qui l'accompagne. Ces éléments induisent à la fin d'une bonne compréhension une certaine diffraction59(*) du regard qui donne à penser.

* 24 Raymond Aron, L'Europe, avenir d'un mythe Cités, n°24, 2005

* 25 Paul-Henri Spaak, Président de l'Assemblée consultative européenne, extrait du Monde 9 Mai 1950

* 26 Le FSE exerce deux grands rôles. D'une part, il a pour but de favoriser la création d'emplois pour les travailleurs dans le marché intérieur en encourageant leur mobilité et en facilitant leur adaptation aux mutations industrielles. C'est en particulier par le biais de stages de formation professionnelle et de programmes de recyclage que le FSE poursuit ces objectifs, tout en améliorant le niveau de vie (article 146). D'autre part, le FSE doit également participer au renforcement de la cohésion économique et sociale au sein de la Communauté européenne (article 159).

* 27 «La subsidiarité reste pensée sur le mode dérogatoire - un système d'exception incorporé au dispositif même de la loi - au lieu d'être pensée sur le mode de la supplétivité, qui seul témoignerait d'une claire volonté de l'Etat d'ouvrir un espace d'autonomie relative». Olivier Mériaux - Les débordements territoriaux des politiques sectorielles in, L'action publique et la question territoriale, sous la direction d'A. Faure et A. C. Douillet, PUG, 2005

* 28 A. B. Atkinson, B.Cantillon, E. Marlier and B.Nolan, Taking Forward the EU Social Inclusion, an independent report commissioned by the Luxembourg Presidency of the Council of European Union, Pre-final version, 31 Mai 2005

* 29 Robert Rochefort, dir. du Credoc, préface à l'ouvrage de Michel Messu, La pauvreté cachée, L'aube, 2003

* 30 J. Galbraith, L'ère de l'opulence, 1965, Gallimard

* 31 Archives départementales des bouches du Rhône, M6 30874

* 32 Décret n°64-782 du 30 Juillet 64

* 33 R. Castel, Les marginaux dans l'histoire - l'exclusion, l'état des savoirs, La découverte, 1996, p. 32-40

* 34 Emmanuel Négrier, La question métropolitaine - Les Politiques à l'épreuve du changement d'échelle territoriale - PUG, 2005

* 35 Lepetit Bernard, Tentons l'expérience, Annales ESC, Nov-Dec. 1989, n°6

* 36 R. Dworkin, What is Equality ? , Part I: Equality of Welfare; Part II: Equality of Resources, Philosophy and Public Affairs, 1981

* 37 L. Stoleru, Vaincre la pauvreté dans les pays riches, Flammarion, 1974

* 38 R. Lenoir, Les exclus- Un français sur dix-, Seuil, 1973

* 39 Alban Goguel d'Allondans, L'exclusion sociale - métamorphose d'un concept, L'harmattan, 2002

* 40 Loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière

* 41 Loi n° 71-579 portant création de l'ALS

* 42 Loi n° 75-535 du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales

* 43 Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées

* 44 Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 portant création de l'allocation de parent isolé

* 45 Décret n° 76-526 du 15 juin 1976 étendant le bénéfice de l'aide sociale à de nouvelles catégories de bénéficiaires

* 46 Programme du président Reagan reposant sur trois principes : politique de l'offre, monétarisme et dérégulation ; P. Rimbert, La reaganomanie, revue Après Demain - n°276, Juillet/Septembre, 1985 

* 47 «Plusieurs logiques contradictorielles semblent s'exercer actuellement sur notre contemporanéité pour lui donner un visage pluriel. D'une part, l'investissement du microsocial comme dimension première de la vie quotidienne et inversement, la recherche de perspectives macro sociales comme utopies collectives».

M. Maffesolie, La connaissance Ordinaire, Méridien, 1985

* 48 Pierre Rosanvallon, La crise de l'État-providence, Le Seuil, 1981

* 49 Loi de redressement du 22 janvier 1985 contenant des dispositions sociales, organisant le régime d'interruption de la carrière professionnelle.

* 50 Loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées à l'endettement.

* 51 L'ordonnance n° 92-1143 du 12 octobre 1992 relative à l'aide juridictionnelle.

* 52 Jean Marc Vittori, S'attaquer enfin au Chômage, Les Echos, 18 Janvier 2006

* 53 Martine Xibberras, Maître de conférence à Montpellier 3, Les théories de l'exclusion, Armand Collin, 2000

* 54 M. Waline, Vers un reclassement des recours du contentieux administratif, RDP, 1935 

* 55 «Dans une société où la division sociale du travail est peu poussée, la solidarité résulte moins de la différence que de la ressemblance. On observe alors une forme de solidarité dite mécanique : on s'entraide parce qu'on se ressemble. La solidarité organique est, elle, le fait d'une société où il y a complexification des systèmes sociaux, individualisation et division sociale du travail. Dans une société de ce type, on s'entraide parce qu'on est différent». Nathalie Blanchard, L'avènement du département providence - Le social au Conseil Général de l'Hérault, Coll. Politiques et interventions sociales, ENSP,2004

* 56 «Chaque acteur, préfets, élus, partenaires sociaux, entreprises, au coeur de l'action pour rétablir la cohésion sociale de notre pays, doit se sentir porteur d'une véritable feuille de route pour l'action» (Communication du ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion social - 9 Février 2005 en Conseil des Ministres).

* 57 «L'inclusion est différente de l'intégration et de l'insertion. L'intégration a pour but de libérer des moyens pour adapter toutes les catégories de la population à l'environnement social. L'insertion, elle, vise à modifier autant que possible l'environnement en fonction de ceux qui ne peuvent s'y adapter. L'inclusion doit permettre de développer les aptitudes des personnes, de manière à ce qu'elles aient voix au chapitre.» Huguette Desmet
Docteur en sciences psychopédagogiques, professeur à l'Université de Mons-Hainaut, intervention orale au Sénat belge à l'occasion de la journée consacrée à l'inclusion sociale le 9 Mai 2005, http:/ /www.senate.be/citizenship/05-05-09-social-inclusion

* 58 Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006, dont l'article 8 instituant le CPE a été «remplacé»... Pour un éclairage sur la terminologie et l'imbroglio juridique, la lecture du lien suivant s'impose : http://maitre.eolas.free.fr

* 59 La diffraction est le comportement des ondes lorsqu'elles rencontrent un obstacle qui ne leur est pas complètement transparent ; le phénomène peut être interprété par la diffusion d'une onde par les points de l'objet. La diffraction se manifeste par le fait qu'après la rencontre d'un objet, la densité de l'onde n'est pas conservée selon les lois de l' optique géométrique.

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