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Dégénérescence morale: Une étude comparative de Gabriel Gradère et De Ferdinand Bringuet dans Les Anges Noirs de François Mauriac et La Retraite aux Flambeaux de Bernard C lavel

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par Virginie Blanche NGAH
Université Yaoundé I - Maà®trise en Lettres Modernes Françaises (Option Littérature) 2007
  

Disponible en mode multipage

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    UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I

    THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

    FACULTÉ DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

    --------------------

    DÉPARTEMENT DE FRANÇAIS

     

    FACULTY OF ARTS, LETTERS, AND SOCIAL SCIENCES

    -----------------------

    FRENCH DEPARTMENT

    DÉGÉNÉRESCENCE MORALE :

    UNE ÉTUDE COMPARATIVE DE

    GABRIEL GRADÈRE ET DE FERDINAND

    BRINGUET DANS LES ANGES NOIRS DE

    FRANÇOIS MAURIAC ET LA RETRAITE AUX FLAMBEAUX DE BERNARD CLAVEL

    Mémoire présenté en vue de l'obtention du

    Diplôme de Maîtrise en Lettres Modernes Françaises

    Option : Littérature française

    Par

    VIRGINIE BLANCHE M. NGAH

    Licenciée ès Lettres

    Sous la direction de

    M. MAXIME METO'O

    Maître de Conférences

    Année académique 2007/2008

    À mes chères mamans :

    Awana Marie-Bernadette

    Nnomo Jeanne Agathe

    Ntolo Marie-Pauline

    Que ceci soit pour vous un début de consolation. Je vous aime.

    Votre Blanche préférée.

    REMERCIEMENTS

    Ce travail porte le nom d'un auteur certes, mais il n'a été possible que grâce à l'encadrement et au soutien d'un certain nombre de personnes à qui nous voulons ici adresser nos sincères remerciements.

    Nous remercions premièrement notre directeur de mémoire, M. Maxime Meto'o, Maître de Conférences, enseignant au Département de Français de l'Université de Yaoundé I qui, malgré ses nombreuses sollicitations, a accepté de guider nos premiers pas dans la recherche scientifique. Cher Maître, recevez ici toute notre gratitude pour la rigueur et la patience dont vous avez fait montre durant tout ce travail.

    Nous remercions ensuite le Professeur André-Marie Ntsobé pour ses encouragements et pour les judicieux conseils qu'il n'a eu de cesse de nous prodiguer.

    Nos remerciements vont également à tous les enseignants du Département de Français de l'Université de Yaoundé I pour tous leurs encadrements.

    Nous sommes beaucoup plus redevable à notre Père spirituel, le Révérend Pasteur, le Docteur Laurent Akono.

    Nous ne saurions oublier notre père, Gustave Noah Awono pour tout ce que nous lui devons, et que les mots ne sauraient véritablement exprimer.

    Nous sommes reconnaissante envers notre frère Serge-Patrick Bomba Noah qui, malgré ses occupations, a toujours su nous accorder un peu de son temps. Qu'il trouve ici l'expression de notre profonde gratitude.

    Nous témoignons aussi notre gratitude à nos aînés, Messieurs Pierre François Edongo Ntédé, Innocent Mbarga et Jean Atangana Ondoa pour la disponibilité et la solidarité manifestées à notre endroit.

    Nous remercions enfin tous ceux qui de près ou de loin ont contribué à la réalisation de ce modeste travail.

    INTRODUCTION GÉNÉRALE

    L'analyse du phénomène de dégénérescence morale dans une oeuvre est une question qui, au premier chef, demande que l'on s'intéresse de près au personnage. Pour cela, Bernard Clavel à travers son oeuvre romanesque, La Retraite aux flambeaux, nous fait replonger avec son protagoniste, dans l'atmosphère lugubre et désolante de la guerre, thème qui se veut toujours actuel, puisque Camus nous a prévenu que tant qu'il y aura des fléaux, il y aura des guerres.1(*) À ce roman paru en 2002, nous avons choisi d'associer Les Anges noirs de François Mauriac, roman qui date de 1936.

    Deux oeuvres, deux époques, deux auteurs, deux courants de pensée qui certes, peuvent diverger, sans nécessairement s'opposer. Etudier la dégénérescence morale dans Les Anges noirs de Mauriac et La Retraite aux Flambeaux de Clavel, c'est à notre sens un pôle de réflexion qui convoque une étude de personnages. Etude des personnages dans la mesure où, l'un des lieux de manifestation de ce phénomène reste l'être humain dont les personnages romanesques sont des représentations, des copies, le plus souvent conformes.

    Virginia Woolf qui reprend les propos de Bennett déclare justement que :

    La base du bon roman c'est la création des personnages, et rien d'autre...la langue compte, l'intrigue compte, l'originalité de la vision compte. Mais rien de tout cela ne compte autant que le pouvoir qu'ont les personnages de vous convaincre.2(*)

    En réalité, le personnage est un être immatériel, un être de discours et une personne abstraite bien différente de la personne humaine, même si elle en est le reflet. C'est donc comme le dit si bien Hamon,  une pure et simple construction qui s'effectue progressivement, le temps d'une lecture, le temps d'une aventure fictive3(*) ; et qui, dans le cas présent, se trouve sous l'emprise du phénomène de la dégénérescence morale.

    En général, le vocable ``dégénérescence'' renvoie à la perte progressive des qualités propres à l'espèce qui la subit. Ce phénomène est particulièrement observé chez les animaux et chez les humains dont les personnages sont des images. Par ailleurs, la dégénérescence est spécifiquement désignée sur le plan médical comme étant une altération de cellules ou d'un tissu organique. Cette destruction qui leur fait perdre leurs caractéristiques peut être transitoire ou évoluer vers la nécrose. En réalité, la théorie de la dégénérescence a vu le jour au XIXe siècle sous l'influence du psychiatre franco-autrichien, Bénédict-Auguste Morel4(*), qui est le premier à énoncer une théorie sur le phénomène de la dégénérescence. C'est de lui que la science tient la distinction entre les divers cas de dégénérescence existants ; raison pour laquelle on parle habituellement des dégénérescences intellectuelles, physiques ou morales.

    Ces trois catégories qui sont fréquemment liées, constituent le grand ensemble des dégénérescences dites mentales ; et la dégénérescence morale qui n'en est qu'un aspect, désigne la détérioration des moeurs ou la perte progressive et croissante des valeurs éthiques chez un être abstrait ou réel. Ce processus peut intégrer dans son champ synonymique plusieurs termes tels que : dérèglement, déchéance ou décadence.

    C'est dire autrement que la dégénérescence morale est un phénomène, qui trouve le plus souvent son terrain d'expression dans des situations de morale. Et parlant précisément de la morale, Jean-Claude Barreau, tout en indiquant qu'il n'y a aucune différence entre morale et éthique, affirme que celle-ci  traite des règles de vie en société, du bien et du mal, du permis et du défendu, du souhaitable.5(*)

    L'essentiel de notre travail consistera donc à étudier deux personnages, Gabriel Gradère et Ferdinand Bringuet, sujets à la dégénérescence morale dans les différents univers romanesques au sein desquels ils évoluent. De ce fait, parler de cette perversion nous pousse à épiloguer sur la décadence psychique. C'est une préoccupation réelle qui peut être l'origine ou l'aboutissement de certains actes immoraux, délictueux et répréhensibles. Ceux-ci sont posés soit par devoir, soit par vengeance, soit encore par intérêt ou simplement par pur hasard ; ce qui ordinairement, fait intervenir la conscience. C'est pourquoi, s'intéresser à ce phénomène social sans s'arrêter sur la conscience paraîtrait illogique ; du fait même que tout ce qui touche à la morale introduit plus ou moins le problème de conscience.

    L'état de conscience qui sera étudié partira de la mauvaise conscience, celle que Vladimir Jankélévitch perçoit comme une conscience qui s'accuse elle-même, qui a horreur de soi6(*) Il s'agit de cette voix intérieure qu'aucun être humain ne peut taire même s'il feint de ne point l'entendre ; cette secrète confrontation du moi avec lui-même. C'est le lieu où l'on se retrouve juge et partie, le tribunal intérieur où notre propre personne est mise en cause, bien que celle-ci puisse parfois venir à résipiscence.

    En tant que réalité irréfutable, le problème de dégénérescence morale mérite certainement que l'on s'y attarde, en ce sens que c'est un mal-être social patent et toujours actuel. Les textes de ce corpus rendent compte de façon très significative, de ce malaise qui semble bien loin de disparaître du contrat social romanesque qui interpelle inexorablement les personnages. Bien plus, ces romans sont l'expression de la volonté manifeste de deux écrivains de stigmatiser la dégénérescence morale.

    Il sera alors intéressant au cours de cette analyse, de mettre en relief les qualités morales et l'attitude mentale de ces deux personnages. Cette étude sera menée grâce à l'observation et à la dissection des gestes, des pensées et des actions des personnages principaux que sont Gabriel Gradère et Ferdinand Bringuet. Par conséquent, la notion de personnage apparaît comme une structure importante, voire indispensable, dans la mesure où c'est cet être fictif qui vit les événements narrés dans ces deux romans et liés par un rapport de causalité.

    En fait, Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux captivent d'un côté, par le contenu informatif et le caractère historique qu'ils revêtent ; et de l'autre, par le comportement des principaux personnages auxquels l'être humain est apparenté. Alors, nous ne manquons pas souvent d'être solidaires de ces êtres fictifs dont les mésaventures, les peines et les joies, par un extraordinaire transfert psychique, par une sympathie et une compassion empreintes d'analogie, nous émeuvent et deviennent parfois les nôtres. Riant ou souffrant avec eux de temps à autre, nous voyons et revoyons alors les hommes en  situation  que nous sommes. C'est dans ce sens que Valette présente la notion de personnage-héros comme subjective. D'après lui, on pourrait craindre que la notion de héros ne soit que la résultante du sentiment de sympathie que le lecteur éprouve pour un personnage auquel il s'identifie ou qu'il considère a priori comme un porte-parole.7(*)

    Dans les deux cas de figure, cet être de papier mis en action occupe une fonction bien précise, dans laquelle il se trouve en situation de crise psychique. Cet état caractéristique apparaît dans les textes comme cause et conséquence du problème de décadence morale. Comme hypothèse de départ justifiant cette perversion, nous avançons l'influence de l'environnement sociétal sur le personnage. Cette hypothèse permet l'élaboration de notre problématique qui se résume en ces interrogations :

    Qu'est-ce qui peut être à l'origine de la dégénérescence morale dans ce

    corpus ? Serait-ce la pauvreté, l'ambition ou le manque d'amour véritable ?

    La déchéance psychique dépendrait-elle des déterminismes auxquels le personnage comme l'être humain, ne saurait échapper ? Quelle est la place qu'occupe la conscience dans ce processus de décrépitude mentale ?

    Pour atteindre l'objectif qui est celui de découvrir les tenants et les aboutissants de cette décadence morale, et faire ressortir l'état de la conscience en rapport avec le crime des personnages, il convient préalablement d'opérer un choix adéquat parmi les méthodes analytiques existantes. Il s'avère utile de sélectionner à juste titre, les théoriciens à convoquer et les critiques à consulter. C'est ainsi qu'après lectures, il a paru judicieux de s'inspirer du structuralisme qui semble indiqué pour une étude de personnages.

    Le structuralisme qui se définit comme une théorie scientifique, considère la langue comme un ensemble structuré où les rapports définissent les termes. Par conséquent, il répond à nos attentes puisque l'univers romanesque est un lieu où des structures comme l'espace et le temps ont généralement de l'influence sur le personnage. À cet effet, il est donc approprié de dire que le personnage se définit essentiellement en fonction des liens qui se tissent à l'intérieur du récit.8(*) Le structuralisme va alors permettre, à partir de ces textes, de faire une analyse progressive et parallèle des personnages évoluant dans des ères et des sphères géographiquement et socialement distinctes. Dans ce domaine Tzvetan Todorov est celui qui a guidé nos pas en faisant comprendre que :

     [...] dans la mesure où le structuralisme a vocation scientifique, où son travail est d'ordre non pas idéologique mais théorique, ce n'est qu'à l'oeuvre- sur le terrain- qu'il peut se saisir, dans l'exploitation de ses différents matériaux.9(*)

    Grâce à sa poétique structurale, Todorov met en exergue la notion de système, tout en procédant à la recherche du sens au sein même de l'organisation interne du texte. Basée sur la détermination des structures, cette étude qu'il fait dans Qu'est-ce que le structuralisme ?, s'efforce de repérer les unités significatives de chaque texte, en partant du principe selon lequel le personnage n'est pas réductible à la seule somme des parties.

    Les unités distinctes de l'objet d'étude n'ont de sens que lorsqu'elles sont employées dans un système précis. Dans ce sillage, on sera alors appelée à étudier entres autres, les structures concrètes des textes comme l'espace et le temps, dans lesquelles les personnages se confrontent à leur environnement naturel et humain, en manifestant la décadence morale qui nous interpelle au plus haut point.

    Pour mener à bien cette tâche, on sollicitera l'expertise de Philippe Hamon  et de Bernard Valette qui ont travaillé sur la notion de personnage. Pour le premier, c'est la solidarité des deux faces du signe qui compte ; c'est dire que le signifiant (le nom) et le signifié (le personnage désigné) sont indissociables. De ce fait, le personnage se construit à l'aide de traits différentiels et distinctifs ; et ceci le temps d'une lecture. La spécificité qui captive chez Hamon, réside dans le fait qu'il s'intéresse au nom que porte cet être abstrait,  puisque ce signifiant agit quelquefois comme une étiquette transparente ou antiphrastique, présageant le destin du personnage.

    Quant à Bernard Valette, il dit qu'il n'y a pas de particularité sémiologique en ce qui concerne la présentation extérieure des personnages, et soutient que la tâche de l'analyste est d'interroger les mots et non la réalité empirique à laquelle ils peuvent renvoyer.

    Mettre en parallèle ces deux personnages convoque une étude comparative des deux textes ; ce qui nécessite une approche particulière. Il s'agira de faire intervenir la littérature comparée qui est une façon de procéder, une mise à l'épreuve d'hypothèses, un mode d'interrogation des textes. 10(*) Il importera d'examiner ces romans, de les confronter afin d'en établir des ressemblances et des divergences. Plusieurs spécialistes ont donné leur point de vue sur ce qu'est la littérature comparée, et parmi eux, Chevrel atteste que :

    La littérature comparée est l'art méthodique, par la recherche de liens d'analogie, de parenté et d'influence, de rapprocher la littérature des autres domaines de l'expression ou de la connaissance, ou bien les faits et les textes littéraires entre eux, distants ou non dans le temps ou dans l'espace, pourvu qu'ils appartiennent à plusieurs langues ou plusieurs cultures, fissent-elles partie d'une même tradition, afin de mieux les décrire, les comprendre et les goûter. 11(*)

    C'est donc au moyen de cette approche comparatiste que seront mises en parallèle, deux oeuvres qui portent chacune la marque personnelle de leurs créateurs. Cette méthode que Chevrel perçoit comme une démarche vers autrui, est une étude qui a pour but de rapprocher le texte de François Mauriac, Les Anges noirs, et celui de Bernard Clavel, La Retraite aux flambeaux ; l'objectif étant ici de dégager les similitudes et les dissimilitudes dans le déroulement et la présentation de ce phénomène de déchéance morale.

    Dans la même lancée, nous ne pouvions manquer d'évoquer dans la revue de la littérature, l'ouvrage fondamental de François Mauriac, Le Romancier et ses personnages. Il y reconnaît que le personnage est un homme d'action, un être mandaté par son créateur pour accomplir une tâche importante, puisque le romancier lâche ses personnages sur le monde et les charge d'une mission. 12(*) Cette mission sera alors examinée à travers les actions que posent ces êtres fictifs dans l'environnement où ils ont été placés : Liogeats pour Gabriel Gradère, et un petit village du Jura pour Ferdinand Bringuet.

    Pour une analyse scientifique des actions de ces personnages, c'est la Sémantique structurale de Greimas qui sera convoquée, puisque cette action est l'expression même du degré de décrépitude morale atteint par chacun des deux protagonistes.

    Par ailleurs, en ce qui concerne le domaine de la morale, nous tournerons les regards vers Barreau et Jankélévitch. Le premier dans son propos, répond à une question cruciale, à savoir : Quelle morale pour aujourd'hui ?13(*) Le second met sur pied l'esquisse d'une Philosophie morale 14(*) qu'il propose à la société. Et pour ce qui est du problème de dégénérescence morale proprement dit, Alexandre Cullere est celui qui nous conduira dans les méandres de ce processus de dépravation morale qui est vraisemblablement pathologique.

    En ce qui concerne l'exégèse de Mauriac et de Clavel, trouver un ouvrage critique traitant de La Retraite aux Flambeaux n'a pas été chose aisée, du fait que c'est un roman relativement récent. Toutefois, quelques sites et articles électroniques nous ont aidée, en occurrence celui de Thomas Régnier qui écrit Quand le destin frappe à la porte15(*). Pour Mauriac par contre, l'homme et son oeuvre ont fait l'objet de nombreux travaux critiques. Nous mentionnerons entre autres Jacques Petit, André Séailles ou encore Jean d'Ormesson qui parle des Angoisses et délices du péché 16(*) de cet écrivain.

    Parcourant ces exégètes, ces sites et articles électroniques, il a fallu se rendre à l'évidence que le thème de la dégénérescence morale ne semble pas avoir été la préoccupation majeure de ces critiques. Néanmoins, ces derniers s'attèlent entre autres, à faire la peinture psychologique des personnages et parlent également de la particularité de ces oeuvres. En ce qui concerne Mauriac, le caractère religieux de son oeuvre ne manque pas d'être souligné ; si bien que Séailles dira : [...] autant que sa vie et quelles que soient les formes qu'elle emprunte, l'ensemble de l'oeuvre de F. Mauriac trahit une préoccupation majeure et unique : Dieu.17(*) C'est dans la même perspective que d'Ormesson dit de Mauriac qu'il est un écrivain catholique ou mieux encore, un catholique qui écrit des romans. Plus près de nous, Marcellin Vounda Etoa qui a précisément axé ses travaux sur François Mauriac et l'Ecriture, fait un Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans18(*). Et parmi les oeuvres qu'il étudie, se trouve Les Anges noirs qui est une oeuvre tripartite, dans laquelle on note un prologue, une intrigue et un épilogue. Le Prologue est une confession : un cahier adressé à un prêtre, le curé de Liogeats, village où Gabriel Gradère a passé son enfance.

    Chez Bernard Clavel par ailleurs, ses critiques font surtout remarquer que tous ses récits se rapportent à la vraie vie, au dur labeur, à l'amour de la terre et de la nature. En général, son oeuvre est comme le dit Mac Orlan, une victoire sur la paysannerie lettrée.19(*) L'une des spécificités relevées chez cet auteur, c'est que bon nombre de ses personnages sont du troisième âge et appartiennent le plus souvent à la modeste couche sociale des prolétaires. Certains critiques à l'instar de Dominique Mobailly, pensent que Clavel ne ménage personne, parce qu'il respecte ses personnages, ces gens du peuple sans défense, il raconte sans fioritures. Sans trahir.20(*) Il semble avoir le don de restituer des mondes et des époques révolus ; et celle de la guerre revient dans bon nombre de ses romans tel qu'on le voit dans Le Soleil des morts21(*) et bien sûr dans La Retraite aux flambeaux.

    De manière concrète, ce travail découvre tout ce qui de près ou de loin se rapporte à Gabriel Gradère et à Ferdinand Bringuet aux prises avec la déchéance morale. Cette perversion semble se présenter ici comme un diptyque, d'où la nécessité de lever le pan du voile  qui recouvre la vie de ces êtres abstraits. C'est ainsi que ce travail sera structuré en cinq chapitres :

    Le premier chapitre va étudier les perspectives narratives. Cette partie rendra compte des modalités énonciatives et des perspectives narratives dans les oeuvres étudiées, afin de répondre aux interrogations « Qui voit ? Qui parle ? » Les personnages étudiés sont présentés par une voix et selon une certaine vision qu'il convient de décrypter. Pour ce faire, ce chapitre se subdivisera en deux points : les voix narratives et les points de vue ou focalisations à partir desquels les personnages et les événements sont présentés.

    Le second chapitre va s'intéresser à la prosopographie des personnages du corpus. Il fera la peinture physique de Gabriel Gradère et de Ferdinand Bringuet,  et de manière succincte celle des autres personnages dont l'action est liée à la dégénérescence morale des héros. Mais avant d'y parvenir, le premier point de ce chapitre sera consacré à l'étude du signe onomastique où l'on verra le nom comme indice de désignation individuelle et collective, mais surtout comme facteur influençant le destin du personnage.

    Le troisième chapitre traitera de l'univers de l'action des deux textes. C'est le lieu où sera examiné le rôle joué par les paramètres environnementaux dans le dysfonctionnement psychique du personnage ; actants qui dans le cas présent, seront limités à l'espace et au temps. Articulée en trois mouvements, cette partie traitera de l'influence de l'espace sur le personnage, de la temporalité psychologique et du temps atmosphérique dans ces oeuvres.

    L'interaction sociale sera au centre des préoccupations du quatrième chapitre. Nous découvrirons la qualité des rapports de ces personnages avec leur entourage et leur environnement naturel. En premier, les relations interhumaines seront vues sous deux angles : Les relations harmonieuses et les rapports difficiles. Ensuite on examinera les rapports entre le personnage et la nature ; et enfin on scrutera sa marche vers Dieu.

    Le dernier chapitre portera sur la manifestation effective de cette dégénérescence morale qui est fille même de l'interaction sociale. Action et conscience, le crime dans les deux récits et l'éthopée des deux personnages, constitueront les trois axes autour desquels s'articulera cette dernière partie. À travers cette étude comparative, il faudra dégager les sources et les répercussions de la dégénérescence morale. C'est en cela que se résumera et se matérialisera l'essentiel de notre modeste travail.

    CHAPITRE I :

    INSTANCES NARRATIVES

    ET FOCALISATIONS

    L'oeuvre romanesque est spécifique à chaque auteur, mais a ceci de particulier qu'elle est une littérature qui raconte toujours ; d'où l'utilisation permanente de la narration. De ce fait, cette première partie de l'analyse va déterminer qui sont les narrateurs dans ces textes, et de quels foyers sont perçus les faits qui y sont relatés.

    De manière générale, la narratologie dans sa présentation systématique des voix et perspectives narratives, utilise souvent un registre métaphorique où l'on trouve des expressions telles que : voix ou instances d'une part, et vision, point de vue ou focalisation d'autre part. Ces termes prêtent souvent à confusion au niveau des compétences entre le perceptif et le cognitif, ou encore entre le voir et le savoir. Pour établir une différenciation, il convient donc de répondre aux questions suivantes en les distinguant bien l'une de l'autre : À qui appartient la voix qui parle dans le texte ?  Qui est-ce qui voit dans le texte ? À ces questions, certains pourraient répondre que c'est l'auteur du texte ; et cela peut s'expliquer par le fait que les propos et les actes posés par les personnages sont souvent très proches sinon identiques aux situations vécues par des personnes réelles. C'est dans ce cadre que Woolf fera cette remarque à tous les lecteurs invétérés : 

    Si vous pensez à ces livres, vous pensez immédiatement à quelque personnage qui vous a semblé si réel [...] qu'il a le pouvoir de faire penser non seulement à lui-même, mais à toutes sortes de choses vues à travers lui - à la religion, à l'amour, à la guerre, à la paix, à la vie familiale, à des bals de province, à des couchers de soleil, à des levers de lune, à l'immortalité de l'âme. 22(*)

    C'est exactement ce qui se passe avec Gabriel et Ferdinand, et pour éviter ce trouble, Todorov définit le narrateur en donnant son rôle. Pour lui, ce conteur incarne les principes à partir desquels sont portés des jugements de valeur. C'est lui qui dissimule ou révèle les pensées des personnages ; il a la possibilité d'opérer aussi des choix entre le discours direct et le discours transposé, entre l'ordre chronologique et les bouleversements temporels. Cela conduit immanquablement au problème de la voix narrative ; et les degrés de présence de ce raconteur varient selon qu'il se trouve ou non dans l'histoire qu'il narre. Des théoriciens tels que Todorov, Pouillon et Genette ont abordé ce problème et le dernier affirme à ce propos que : [dans] tout récit, le statut de narrateur [est défini] à la fois par son niveau narratif (extra ou intra-diégétique) et par sa relation à l'histoire ( hétéro-ou homo-diégétique)23(*) 

    Toute diégèse implique soit un narrateur homodiégétique, soit un narrateur hétérodiégétique. Le premier parle d'une histoire dans laquelle il se trouve présent, tandis que le second fait un récit, sans y être impliqué. Par ailleurs, lire ne donne pas seulement des informations sur les faits présentés, mais aussi sur la manière dont ceux-ci sont perçus par le narrateur : on parle alors de point de vue ou focalisation. Il est à souligner que cette focalisation diverge en fonction des récits, et c'est Goldstein qui donne l'attitude à adopter face à une situation qui semblerait ambiguë :

    Devant chaque oeuvre, le lecteur doit se demander sous quel angle les faits sont vus. La vision est-elle unique ou bien varie-t-elle au cours de la narration et dans quel but ? Quelle influence le choix d'un point de vue exerce-t-il sur la narration ? Le scripteur a-t-il respecté les limites imposées par son choix et, en définitive, le point de vue paraît-il adapté au sujet ?24(*)

    Ce point de vue ou ``aspect'' pour parler comme Todorov, se détermine par la vision qui nous en est donnée ; et il est possible d'avoir plusieurs types de focalisations dans un seul et même texte. Dans des analyses faites à ce sujet, Valette a recensé trois types de focalisations qu'il a présentés sous forme de tableau. Pour le résumer, cette notion de point de vue que les anglo-saxons, Brooks et Warrens, appellent Focus of narration25(*), désigne simplement le foyer narrationnel, le lieu d'observation où le narrateur se tient pour voir les événements racontés. On parlera alors de focalisation externe ou interne et de focalisation zéro, selon les textes.

    La focalisation est dite externe lorsqu'une perception est assez objective ; ce qui restreint le champ de vision. Dans ce cas, les lieux d'action, les événements, les paysages et autres renseignements sont appréhendés de l'extérieur, raison pour laquelle Pouillon parle de  ``vision du dehors''.

    Elle est dite interne quand les événements sont perçus par un personnage du récit, et ceci de façon subjective ; on parle alors avec Pouillon de vision par dedans.  Ce type de focalisation fait habituellement une restriction du champ d'observation en la conscience d'un ou de plusieurs protagonistes ; et dans ce cas, on peut avoir des relais de parole. Dans Figure III, Genette la subdivisera en trois sous-types :

    - Focalisation interne fixe, où il existe un narrateur unique.

    - Focalisation interne variable, où on a plusieurs narrateurs.

    - Focalisation interne multiple, où il y a évocation ou rappel d'un même événement, perçu selon des points de vue différents.

    Après ces deux types de perspectives narratives, on a la focalisation zéro, où le récit est dit non focalisé. Ici, l'angle de vue est illimité et le narrateur sait tout sur tout le monde. Il a la pleine connaissance de n'importe quel événement et, plus qu'aucun personnage, il est doté du pouvoir d'omniscience et bien souvent de celui de l'ubiquité. La différence entre Dieu et lui est quasiment nulle, ce qui a fait dire à Genette qu'il a le  regard de Dieu  alors que Pouillon parle de vision par derrière. On a l'impression que ce narrateur est une ombre de chaque personnage ; il sait tout et révèle tout : les sentiments, les rêves et les pensées les plus intimes. Il ravive le passé, parle du présent et prédit même l'avenir. Avec une telle connaissance, il ne pouvait être assimilé qu'à Dieu.

    Les notions de voix narrative et de focalisation distinguées, celles-ci vont à présent être illustrées dans ces textes de Mauriac et Clavel.

    I-1- Instances narratives dans Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux

    L'analyse de la narration dans ces textes nécessite au préalable l'étude du statut du narrateur, selon qu'il se trouve ou non dans l'histoire. C'est la voix de ce dernier qui présente les faits et les personnages ; et connaître son statut permet de déceler le degré de son adhésion à l'histoire qu'il raconte.

    Le pronom personnel Je est l'expression qui ouvre le roman de Mauriac. Dans le prologue qui est une confession, on se rend compte que celui qui parle est en fait un personnage que l'on pourrait appeler personnage-narrateur. Gabriel Gradère, puisqu'il s'agit de lui, est considéré comme tel, puisqu'il parle de sa vie. Cette déduction peut se justifier par le fait que  le personnage-narrateur, lui, n'existe que dans sa parole. Plus exactement, le narrateur ne parle pas, comme le font les protagonistes du récit, il raconte.26(*) On est alors mieux outillée pour marquer la différence entre ce personnage qui est un relais de parole et le narrateur même du récit. En effet, quelques pages plus loin on constate que le narrateur assume pleinement sa fonction. Dès cet instant on voit apparaître le pronom personnel il qui désigne le personnage central qui, au départ, jouait le rôle de narrateur.

    Après lectures, nous pouvons donc parler d'instances narratives à deux niveaux dans Les Anges noirs. Tout d'abord, la présence de l'indice de la première personne qui parle dans le texte : le Je qui surgit et s'approprie l'énonciation démontre que cette voix est bien dans l'histoire. Si on le considérait comme narrateur, ce personnage serait certainement un narrateur homodiégétique puisqu'il parle de lui-même. Plusieurs indices de subjectivité penchent en faveur de cette voix qui à ce niveau, est celle de Gabriel Gradère, et le texte livre une abondante deixis personnelle matérialisant la présence de ce personnage. Les premières personnes du singulier et leurs substituts (Je, me, moi), trahissent bien l'implication directe de Gabriel dans l'intrigue ; tandis que (vous, vos, votre) montrent qu'il s'adresse à une tierce personne qui n'est autre que l'abbé Forcas à qui est destinée cette confession écrite. Pour confirmer cette hypothèse, le nous qui équivaut à (Je + vous), vient corroborer cette idée dans ses propos : Je jurerai que vous ne serez pas surpris par le déroulement de ma vie. [...] rien ne nous sépare : ni votre vertu, ni mes crimes ! Pas même votre soutane que j'ai failli porter, pas même votre foi [...].27(*)

    Cependant le véritable narrateur des Anges noirs n'entre en jeu qu'après le prologue, et l'on constate très vite qu'il n'est nullement impliqué dans le récit qu'il déroule. Il commence par le terme à connotation impersonnelle l'homme, expression qui sera reprise durant tout le texte par le pronom personnel il qui est une non-personne dans la narration : L'homme posa son stylo, relut ce qu'il venait d'écrire, se leva. Il était vêtu d'une robe de chambre de soie bleue, déchirée et tachée.28(*) Par conséquent, il est clairement établi que Gabriel n'est pas le narrateur du récit parce que le narrateur relate une histoire dans laquelle il est absent. Ceci fait de lui un narrateur omniscient qui a toutes les informations sur chacun, et même sur Gabriel qu'il emploie comme relais de parole.

    C'est également le cas pour le narrateur de La Retraite aux flambeaux qui commence son propos par : Les gros volets de bois [...] sont fermés29(*). Dans ce roman, ce qui frappe d'entrée de jeu est le ton de la narration qui est au constat. Les événements sont relatés d'un point de vue purement objectif. Celui qui parle est un narrateur omniscient comme dans le roman de Mauriac. En réalité, le conteur dans La Retraite aux flambeaux se trouve lui aussi hors de l'histoire qu'il relate. Il s'agit là d'une voix qui présente les choses de manière détaillée et placide. Pour cela elle utilise la troisième personne du singulier comme dans ce propos :

    Les gros volets de bois dont la peinture s'écaille sont fermés. Derrière, Ferdinand Bringuet a placé un escabeau double dont il se sert au jardin pour tailler les arbres et cueillir les fruits. Il se tient dessus, l'oeil collé au petit trou en forme de coeur, qu'il dégage en soulevant le papier noir qu'il a cloué30(*).

    C'est un narrateur qui sait tout, bien que les volets de la maison de Ferdinand soient fermés et que ce dernier soit dans l'ombre.  La présence d'indices, qu'ils soient de personne, de temps ou de lieu, est quasiment nulle. Par ailleurs, les déictiques traduisant la présence ou l'implication de ce narrateur dans le récit n'existent pas. Il est donc hétérodiégétique étant donné qu'il reste détaché de l'histoire. Présent au début du récit, on le retrouve deux ans après, soutenu de temps à autre par des relais de parole. Il connaît les pensées de Ferdinand, il revit certains souvenirs avec lui et possède la pleine connaissance de son passé. C'est pour cela qu'il peut affirmer que : Ferdinand ne pense pas vraiment, mais il est habité par des souvenirs d'autrefois.31(*)

    Signalons dans la même foulée qu'en alternant les styles direct, indirect et indirect libre, la narration dans les deux récits utilise abondamment les trois points de suspension pour exprimer les silences, la menace, l'étonnement, la stupéfaction, l'inquiétude et même l'anxiété. Cette ponctuation marque aussi l'inachèvement d'un propos, et laisse ainsi au lecteur le soin d'en deviner la suite :

    Jérôme ! Vous avez pas vu Jérôme ?

    Les gens la regardent l'air étonné. Certains disent :

    - On l'a vu...

    - Il est par là [...]

    - Jérôme !... Jérôme! [...]

    - Jérôme, vite...Il est pas bien ...Vite...Vite !32(*)

    Dans le roman de Mauriac, en plus de la deixis personnelle, l'énonciation donne aussi à voir les adjectifs démonstratifs ce et cette. Ceux-ci agissent comme déictiques spatio-temporels pour situer le personnage dans un lieu, à l'instant précis de sa déclaration. Ces démonstratifs certifient ainsi que la voix se trouve en présence de ce dont elle parle : Je vais m'efforcer [...] sans donner aucun prétexte à l'ange que vous êtes de déchirer ce cahier [...] vous avez exigé une vue d'ensemble de ce destin ; [...] cette histoire a de quoi fortifier votre foi.33(*)

    Dans le même ordre d'idées, nous pouvons aussi énumérer quelques verbes d'opinion qui apparaissent dès la première ligne du texte, et qui marquent la forte adhésion de Gabriel Gradère à son énoncé : Je ne doute point, monsieur l'abbé, de l'horreur que je vous inspire [...] s'il existe au monde un homme à qui je souhaiterai de m'ouvrir, c'est à vous.34(*)

    La syntaxe est un fait à prendre également en compte. Dans Les Anges noirs, les phrases sont quelques fois longues et parfois complexes. Cette longueur peut s'interpréter comme un débit rapide de la parole ou une volubilité qui marque le désir de se libérer pour soulager sa conscience. C'est une tentative de justification des actes de Gabriel Gradère qui veut paraître franc et honnête aux yeux du curé. On le voit dans sa confession, s'attelant à se justifier devant le jeune prêtre Forcas. Gabriel sollicite la compréhension et peut-être même l'assentiment de ce dernier, même s'il ne le dit pas clairement :

    S'il vous est arrivé jamais de recevoir la confession de toute une vie, vous ne vous êtes pas contenté d'une sèche nomenclature de crimes ; vous avez exigé une vue d'ensemble de ce destin ; vous en avez suivi les lignes de faîte ; vous avez projeté de la lumière dans les plus sombres vallées. Eh bien ! Moi qui ne souhaite pas de vous une absolution, qui ne crois pas à votre pouvoir de remettre les péchés - sans l'ombre d'une espérance, je m'ouvre à vous jusqu'au tréfonds. 35(*)

    Dans La Retraite aux flambeaux par contre, le ton est haletant et celui-ci est exprimé par des phrases simples et courtes. Cela traduit bien l'angoisse, l'anxiété et le suspens qui prévalent tout au long de l'intrigue. C'est également en cela que le récit devient captivant, car la description des actions est faite d'une manière si vivante que l'on a l'impression d'être en présence d'une mise en scène cinématographique : 

     Le moteur gronde. On entend des cris. Des ordres secs puis le camion s'éloigne et c'est le silence presque total. Les trois hommes demeurent un moment tendus. Ils perçoivent le pas de Maria qui, elle aussi, avait dû aller jusqu'à la porte pour essayer de deviner ce qui se déroulait en face. D'une voix enrouée, Joseph dit : à présent, Ferdinand, faut y aller. Le mieux c'est que tu lui passes un bout de corde autour du cou. Par derrière, vous serrez un bon coup. Avec la poigne que vous avez, ça fera pas un pli. 36(*)

    De façon générale, la voix narrative s'exprime par le style indirect pour  viser un seul but : rendre ce récit le plus objectif possible. Cela amène aussi à penser au type de focalisation qui peut exister, car cette instance qui parle, raconte ce qu'elle observe d'un certain foyer narrationnel.

    I-2- La vision dans Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux

    Si le narrateur et le point de vue peuvent se confondre, il convient alors de se demander à partir de quel foyer le narrateur regarde les événements qu'il relate, et quelle vision il a des faits qu'il présente. Pour commencer, il faut relever le fait que l'on peut retrouver plusieurs types de focalisations dans un même texte. Cependant, rechercher la perspective dans laquelle les informations sont livrées, c'est regarder de manière globale comment celles-ci sont données ; la vérité étant que  les faits qui composent l'univers fictif ne nous sont jamais présentés « en eux mêmes », mais selon une certaine optique, à partir d'un certain point de vue. 37(*)

    La lecture des Anges noirs laisse voir deux foyers d'observation différents. Dans ce cas, Todorov précise que : Deux visions différentes du même fait en font deux faits distincts. Tous les aspects d'un objet se déterminent par la vision qui nous en est offerte.38(*) Le prologue de ce roman présente un récit homodiégétique à focalisation interne que Pouillon appelle la vision avec, en ce sens que la perception se resserre autour du regard du personnage central. Gabriel parle de sa propre histoire, par conséquent, ce regard est empreint de subjectivité, puisqu'il ne saurait voir les événements de façon impersonnelle. L'impression nette qui se dégage au premier abord du texte est celle d'un récit autobiographique. En outre, l'on se rend compte qu'au cours du récit que fait le narrateur, François Mauriac gomme de temps à autre sa présence, et laisse directement  la parole aux personnages eux-mêmes :

    C'était un matin de la semaine sainte...Un moment de ma vie où je n'ai pas fait le mal, monsieur l'abbé, où j'ai fait le bien où j'ai retenu cette âme au bord du désespoir...malgré moi, sans doute, malgré moi...Malgré un autre aussi. [...]

    - Tu crois me connaître...tu ne sais pas ce dont je suis capable...(comme si j'eusse voulu, comme s'il avait fallu qu'Adila devînt ma femme en connaissance de cause).

    - Comment ne le saurai-je pas ? Elle posa cette question d'une voix sourde où je crus sentir du dégoût. Ma colère se réveilla.

    - Tu ne seras pas si fière quand ce sera fait. 39(*)

    Cependant, tout porte à croire que le point de vue dominant est le point de vue de Dieu, c'est-à-dire la focalisation zéro. Le texte livre en effet une vision par derrière des personnages, et donne ainsi à voir une perception faite par une conscience panoramique et omnisciente. Toute la vie du personnage est connue, son passé, son présent et même son futur. Cela se dénote nettement dans cet extrait où le narrateur fait commente un dialogue entre Gabriel et Mathilde:

     - Toi qui te vantes de le connaître, ma pauvre Mathilde ! J'en sais plus long que toi. Et pourtant je ne suis arrivé que d'hier soir... [...]

    - Oh ! Je me doute bien de ces choses !

    Elle mentait : elle ne savait pas de quoi cet individu voulait parler. Pour lui, il s'apercevait qu'elle souffrait et cette douleur éveillait la sienne, sans que la sympathie y fût pour rien. Dans cette chambre d'Adila, vingt années plus tôt, il avait dû se démasquer devant Mathilde, elle avait découvert enfin l'homme qu'il était. Il se souvint du bruit sourd de son corps quand elle s'était évanouie derrière la porte. Aujourd'hui, c'est pour Andrès qu'elle se tourmente. Non, il n'est pas jaloux d'Andrès ; simplement, il aurait voulu rejoindre Mathilde dans le souvenir amer de ce qui avait été....40(*)

    À travers ce morceau choisi où les faits sont décrits objectivement, il apparaît nettement que cette focalisation est omnisciente ; et vu la répartition du récit, elle est dominante dans toute l'oeuvre.

    Parallèlement, l'oeuvre de Clavel présente pareillement un point de vue qui est celui de Dieu. Comme dans le premier texte, le narrateur est supérieur au personnage, parce qu'il en sait plus long que chacun d'eux. Son champ de vision est si étendu qu'on le retrouve deux années plus tard après la guerre. En plus de cela, il possède le don d'ubiquité et se retrouve à la fois, sur la place du village où il présente Maria cherchant Jérôme, et à la maison où il décrit Ferdinand troublé et agité :

     Elle bouscule tout le monde, scrute les visages et continue d'appeler d'une voix qui n'en peut plus :

    - Jérôme !...Jérôme !

    [...] l'enfant l'entraîne vers la terrasse du café Bonniro. Jérôme est attablé, avec d'autres gens du village. Maria crie :

    - Jérôme, vite...Il n'est pas bien...vite...Vite ! Jérôme se lève et les autres aussi. [...]

    Dans le jardin, Ferdinand s'est dirigé aisément car la clarté du feu d'artifice arrive jusque là. Il a contourné la maison en grognant.

    - Les salauds, faut qu'y tirent sur tout ce qui bouge.

    À présent, il descend l'escalier de la cave et essaie d'ouvrir la porte. 41(*)

    Ce phénomène est tout aussi visible dans l'oeuvre de Mauriac où le narrateur présente simultanément Gabriel et l'abbé, au même moment, mais en des lieux différents :

    Jamais il n'avait éprouvé dans la chambre d'Adila cette chaleur d'une présence invisible qui le terrifiait à Paris [...] La lune déclinait le brouillard couvrait la campagne. Sauf Gabriel Gradère, quel être vivant, dans Liogeats, n'était assoupi ?

    Un autre veillait dans le presbytère lépreux, bien que ces yeux fussent fermés. Autour du lit de fer pliant, la lune éclairait le désordre d'une chambre vaste et nue.42(*)

    En fin de compte, les deux récits du corpus présentent un narrateur dont le statut est hétérodiégétique. Ces narrateurs ont de très grandes capacités : celles de tout savoir sur les personnages et d'être à plusieurs endroits au même instant. Concernant la vision des événements, c'est la focalisation zéro qui prévaut dans les deux intrigues. Le regard est celui de Dieu, le foyer narrrationnel est dans les deux cas tellement, étendu qu'on ne doute pas des pouvoirs d'omniscience et d'ubiquité détenus par celui qui voit. Il a tout vécu, le passé ainsi que l'avenir des personnages qu'il décrit dans le présent. On comprend par là qu'une perception nous informe [à la fois] aussi bien sur ce qui est perçu que sur celui qui perçoit43(*). Et c'est justement cette perception qui permet de comprendre non seulement qu'il s'agit de la focalisation zéro, mais elle facilite également l'appréciation de ces personnages qui sont étudiés, et que les narrateurs peignent dans ces romans.

    CHAPITRE II :

    PRÉSENTATION DES PERSONNAGES DES ANGES NOIRS ET DE LA RETRAITE AUX FLAMBEAUX

    Tout comme l'homme, le personnage romanesque est souvent présenté par son identité et sa description. En tant qu'élément évoluant au sein d'une société, il est tenu d'avoir une appellation spécifique. À ce propos, Hamon déclare que :

    [Le personnage] est représenté, pris en charge et désigné sur la scène du texte par un signifiant discontinu, un ensemble dispersé de marques que l'on pourrait appeler son « étiquette ». Les caractéristiques générales de cette étiquette sont en grande partie déterminées par les choix esthétiques de l'auteur. 44(*)

    De cette affirmation, il ressort que le personnage est une unité ou un ensemble de significations pluridimensionnelles, accessible à l'analyse et à la description. Le présenter revient alors à donner toutes les informations qui le concernent ; notamment son identité, son portrait physique, son rôle et ses actions dans le récit. Ces informations aideront peut-être à comprendre la déchéance morale que vivent ces protagonistes.

    II-1- Le nom, une fenêtre ouverte sur le personnage

    L'identification d'un personnage se fait souvent grâce au nom. En principe, ce signifiant par lequel le personnage est désigné devrait attirer l'attention parce que c'est un moyen de spécification par excellence. Au- delà de la simple désignation, il arrive que le nom du personnage soit  un ensemble dispersé de marques que l'on pourrait appeler son  étiquette45(*). En plus d'être un assemblage de belles sonorités, le nom d'un personnage peut effectivement avoir une valeur symbolique ou un sens particulier. Quelquefois, nommer un personnage, c'est lui coller un destin ; c'est pourquoi on connaît le souci quasi maniaque de la plupart des romanciers pour choisir le nom ou le prénom de leurs personnages.46(*) Loin de nous l'idée d'affubler le nom d'une quelconque aura magique, mais il reste cependant vrai que l'existence du personnage aussi bien que celle de l'homme, peut être influencée par plusieurs facteurs tels que l'étoile de naissance ou signe zodiacal, l'hérédité, l'environnement dans lequel il vit et le nom qu'il porte. Un nom de personnage peut être composé de toutes pièces pour un but bien précis, et laisser libre cour à plusieurs interprétations possibles. En réalité, le récit classique (lisible), qui a horreur du vide sémantique [...] organise rapidement la neutralisation de ce terme par des définitions, des descriptions, des portraits, des substituts divers.47(*)

    De manière globale, le nom de famille ou nom propre agit comme le radical d'un mot ; c'est généralement la racine commune aux membres d'une même cellule familiale. Grâce à lui, on peut lire l'appartenance d'un individu à une couche sociale précise ; dans ce cas, l'être désigné est un élément dans un vaste ensemble. Aussi avons-nous dans Les Anges noirs, des familles que l'on désigne par l'expression `` La maison...'', à l'exemple de ``la maison Péloueyre'' ou encore``la maison Du Buch''. Face à une telle situation, il faudra bien pouvoir établir une distinction entre eux, c'est alors qu'intervient le prénom.

    Comme il l'indique lui-même, le prénom est un terme qui vient avant le nom de famille. C'est un signifiant qui permet d'établir une différence entre les membres d'une famille portant le même nom. Le cas des Desbats l'illustre fort bien ; Mathilde, la mère, est bien distincte de son époux Symphorien, et tous les deux se distinguent bien de Catherine leur fille. Alors, dans de pareilles situations, il faudra, pour les présenter, spécifier de quel personnage on parle, en adjoignant tout simplement son prénom au nom propre. Cela amène à considérer le nom comme une étiquette sociale collective, tandis que le prénom apparaît comme une étiquette individuelle. Seulement, loin d'admettre que cet étiquetage est fortuit, nous convenons avec Hamon que les caractéristiques générales de cette étiquette sont en grande partie déterminées par les choix esthétiques de l'auteur.48(*) Partant de là, découvrons ce que peuvent révéler les noms de Gabriel Gradère et de Ferdinand Bringuet dans ce contexte particulier de la fiction littéraire.

    Le prénom Gabriel fait souvent référence à un personnage biblique ; mais pas à un ange noir comme nous laisse entrevoir le titre du roman de Mauriac. Gabriel viendrait de l'hébreux ``Gabar'' qui veut dire ``force'' et de ``el'' qui serait la contraction de Elohim, autre appellation de Dieu selon la Sainte Bible. La déduction qu'on pourrait tirer est que Gabriel veut dire  Dieu est ma force49(*). Cette idée est d'autant plus encrée dans les esprits, que nous savons de source biblique que Gabriel est l'ange qui se tient devant la face de Dieu.50(*) Le titre ``Les Anges noirs'' prend peu à peu une signification et commence à se révéler à notre intelligence ; puisque le personnage central est celui-là même qui porte ce prénom. Comment être alors surpris du caractère de [ce] garçon en apparence dévot, [...] facilement ému par la liturgie?51(*) Pour tous ceux qui sont autour de lui, ce n'est que logique de le voir si pieux ; et c'est le comportement contraire qui aurait plutôt surpris. Il le dit si bien : je devins très pieux et servis la messe tous les matins. Au catéchisme on me citait en exemple.52(*) Seulement, la surprise viendra du fait que cette piété est affectée. C'est une façade qu'il affiche, une supercherie orchestrée dans le but de s'attirer les faveurs des bienfaitrices. La caractérologie liée à ce prénom prédisait déjà ce comportement de séducteur :

    Caractère : Susceptible et émotif, il réclame beaucoup d'attention de la part de ses proches. Sensible et facilement inquiet, il a besoin de prendre du recul sur les événements avant de se décider. Intelligent, il sait séduire, mais se révèle exigeant et excessif avec son entourage. Conscient de ce défaut, il le compense par une affection sincère, mais pas toujours évidente.53(*)

    Gabriel est en fait un dégénéré intelligent, raison pour laquelle il fait de l'ironie au sujet de cette piété affectée et pense que c'est idiot de se fier à une apparente dévotion, car c'est peu de dire qu'elle ne prouve rien : dans certains cas, chez certains êtres, elle est le signe du pire.54(*) Cela pose le sempiternel problème des apparences qui, même chez les personnages, peuvent aussi être trompeuses. En effet comme Gabriel,

    on peut être un dégénéré héréditaire et posséder une grande intelligence, faire un magistrat remarquable, un savant mathématicien, un grand artiste, un homme politique distingué, un administrateur de premier ordre : c'est alors sur le domaine de la sensibilité morale que portera le défaut d'équilibre, et c'est par ce côté que cet homme intelligent présentera des défectuosités profondes.55(*)

    Il a plutôt un caractère antithétique, et Hamon explique cela par le fait qu'un personnage [...] peut toujours, [se révéler] par antiphrase56(*). Alors, si le nom a une quelconque influence sur l'être qui le porte, cette attitude contradictoire pourrait trouver un justificatif dans l'analyse de son nom propre.

    Dans Gradère on semble reconnaître par un jeu d'anagramme, le verbe

    `` dégrader'' auquel l'auteur aurait ôter la deuxième lettre ``d''. Pour baptiser son personnage, l'écrivain peut jouer sur des procédés morphologiques, en construisant des noms propres selon des procédés dérivationnels usuels, où le lecteur reconnaîtra des éléments aisément traductibles ou identifiables.57(*) Par conséquent, Gradère est un personnage de constitution fragile qui semble déjà, rien qu'à cause de ce nom qu'il porte, subir une ascendance négative qui le pousserait peut-être à se ``dégrader'' d'avantage. Cette dégradation est morale et on constate notamment que ce nom parle de manière transparente du sujet qu'il nomme. Il le prédispose quelque peu à cet avilissement qui se dénote tout au long de la confession qu'il fait à l'abbé Forcas. Le nom de Gabriel Gradère paraît très significatif ; et il est possible que celui de Ferdinand Bringuet le soit aussi.

    Le prénom Ferdinand viendrait du germain ``frithu''ou ``Frid'' qui veut dire ``paix'' et ``nanths''ou ``nand'' qui signifie ``courageux'' ou ``risquer''58(*).

    Caractère : Flegmatique en apparence, d'une grande moralité, il a des colères aussi violentes que brèves. D'un tempérament généreux et tendre, il est un ami, et un mari, attentionné et compréhensif. Patient, il fait tout pour éviter les conflits stériles. 59(*)

    Ce prénom prépare à voir un personnage pacifique, fort et ferme. C'est effectivement ce qu'est Ferdinand. Au-delà de cette force et de cette sympathie auxquelles s'ajoute son naturel pacifique, ce colosse sans brutalité est aussi un joyeux luron qui essaie toujours de créer une atmosphère de gaieté et de détente. Il transforme même les situations les plus critiques en situations cocasses. C'est ainsi, qu'accusé d'avoir frappé sur neuf jeunes voyous qui l'avaient agressé pour lui voler son portefeuille, Ferdinand répond : J'avais rien pour me défendre, monsieur le juge. J'ai empoigné ce qui me tombait sous la main. C'est pas ma faute si y pèse cinquante kilos et s'il a la tête dure. Mais ils avaient tout de même cherché!60(*)

    C'est donc à une paisible force de la nature que nous avons affaire, un Hercule des temps modernes, résistant, solide et joyeux. C'est un être très généreux, serviable et pacifique. Pour Maria, il est un mari attentionné, et un véritable ami pour Jérôme et les autres habitants de son village. Malheureusement comme le prévoit aussi l'étymologie de son prénom, il peut piquer des colères soudaines et violentes après avoir fait preuve d'une grande patience. Cette caractérisation semble surprendre par la rectitude et la pertinence avec lesquelles elle s'ajuste au comportement du personnage. En découvrant Ferdinand dans le récit, on est bien tenté de dire que l'écrivain, pour donner vie à ce protagoniste, s'est simplement inspiré de ce modèle caractériel. Voyons donc si l'analyse de son nom de famille confirme cette idée.

    On voit dans le nom ``Bringuet'' l'association de deux termes : ``Bringue'' qui désigne une femme dégingandée ; on parle généralement de ``grande bringue'', et le suffixe ``et'', qui montre la petitesse. Partant de là, on pourrait dire que Bringuet peut signifier ``la femme un peu dégingandée'' ; ceci pour traduire l'attitude un peu efféminée de ce personnage qui quelquefois, est semblable à celle d'une femmelette. C'est peut-être pour cela que sa voix tremble parfois comme s'il allait se mettre à pleurer. On se demande alors si ce n'est pas pour cette même raison qu'on l'appelle affectueusement le grand Bringuet, ce qui semble être l'expression masculine de `` grande bringue''.

    On pourrait aussi disséquer ce nom en deux mots : Le premier est ``brin'' qui, dans ce contexte, va signifier une tige flexible. Parlant du personnage, on dira qu'il est flexible, lorsqu'il cède facilement aux influences de divers ordres. Cette caractéristique est perceptible chez ce colosse qui, malgré son imposante et impressionnante stature, peut flancher et s'effondrer aussi facilement qu'un château de cartes. Ferdinand apparaît donc comme un géant aux pieds d'argile. Après ``brin'', le second mot est ``guet'', qui vient du verbe guetter. C'est l'action d'épier ou de lorgner, et c'est ce que fait véritablement notre homme dès les premières lignes du texte : Les gros volets de bois [...] sont fermés. Derrière, Ferdinand Bringuet a placé un escabeau double [...] l'oeil collé au petit trou en forme de coeur qu'il dégage.61(*)

    On se rend à l'évidence que toutes ces valeurs que nous avons trouvées au nom Bringuet entrent en droite ligne dans l'étiquette que Clavel a collée à son personnage. Les caractéristiques s'imbriquent et semblent même se compléter parfaitement. Mais malgré la grande moralité que lui confère ce prénom, Ferdinand est lui aussi sujet à la dégénérescence mentale, et appartient à tout de même à la catégorie de dégénérés héréditaires. De même que l'est le grand Bringuet,

    Ces héréditaires de rang supérieur sont affligés d'une véritable neurasthénie de la sensibilité morale. Cette dernière est soumise à des fluctuations incessantes entre l'exaltation et la dépression. Susceptibles, impressionnables à l'excès, véritables sensitives, ils réagissent vis-à-vis des influences les plus légères. Un changement dans l'état de l'atmosphère, une circonstance insignifiante en elle-même, mais imprévue, un incident dérangeant l'ordre de leurs habitudes les jettent dans un trouble pénible.62(*)

    Alors que le comportement de ce personnage correspond aux prévisions de la caractérologie de son prénom, celui de Gabriel Gradère permet plutôt de le découvrir de manière antiphrastique ou antinomique. Ce qui fait croire que : 

    De tels noms « transparents » fonctionnent alors comme des condensés de programmes narratifs, anticipant et laissant préfigurer le destin même des personnages (nomen-numen) qui les portent. Il s'agit donc là d'un élément important de la lisibilité du récit, mais qui n'exclut pas des stratégies déceptives.63(*)

    Par conséquent, le nom peut être considéré comme une ouverture sur la vie, et même sur le destin du personnage. Il peut être une fenêtre qui laisse entrevoir des réalités qui à leur tour, présagent soit de manière transparente, soit de manière antiphrastique, le caractère et la destinée de ces êtres fictifs. Ce sont là des jugements que seules une observation détaillée et une analyse approfondie de leur présentation pourront confirmer.

    II-2- Prosopographie des sujets à la décadence morale

    Le personnage est en général un assemblage de plusieurs traits spécifiques, une somme d'actions et de caractéristiques physiques. Ces informations sont livrées soit par le narrateur, soit par les personnages qui sont des relais de parole, tout ceci au moyen de la description textuelle.

    Gabriel Gradère et Ferdinand Bringuet sont des êtres qui ont passé la première jeunesse. Ce sont des hommes au tempérament doux et calme ; ils sont tous les deux victimes de la déchéance mentale, mais avec des caractéristiques et des physiques différents. D'après l'étude de Cullerre, on pourrait les classer dans la troisième classe [de dégénérés héréditaires qui] renferme les imbéciles, les instinctifs, les individus présentant des tendances précoces et innées pour le mal. 64(*)

    Gabriel est un homme de cinquante ans et Ferdinand en a soixante et douze ; et les deux narrateurs font savoir qu'ils ne paraissent pas leur âge. Alors que Gabriel présente une allure fluette due à la sveltesse et à la minceur de son corps. Ferdinand Bringuet par contre, est un grand colosse sénile qui ne mesure pas loin d'un mètre quatre-vingt-dix et pèse un bon quintal. Il est caractérisé par l'hyperbole et le champ sémantique de la grandeur et de l'incommensurable. Le narrateur le décrit ainsi : Des épaules lourdes et tombantes avec un cou qui s'élargit dès la base du crâne [...] des bras énormes emmanchés de poignes épaisses et larges aux doigts spatulés [...]65(*) Il est aussi de manière implicite, comparé à un énorme animal qui, avec sa grosse patte66(*), caresse sa compagne pour la rassurer. Ce colosse émerveille ses compatriotes et les enfants du voisinage par son gigantisme. Mais cette description n'est pas très flatteuse et semble plutôt mettre en exergue des traits disgracieux ; puisque son gros visage semble sculpté dans la brique [...] son front bas, très creusé de rides profondes, est comme écrasé par une casquette à visière de cuir. 67(*)

    A contrario, Gabriel a gardé un visage juvénile et se présente comme un personnage élégant et beau. Il est surtout conscient de cette beauté et c'est grâce à elle qu'il bénéficie de nombreuses faveurs.  Ainsi, dès sa petite enfance, il s'en sert déjà pour obtenir beaucoup de dons auprès des autres et le reconnaît lui-même sans se gêner :

     Oui, d'aussi loin qu'il me souvienne, je plaisais ; ou plus exactement ma figure plaisait et je me servais de ma figure.[...] À cinquante ans bientôt, j'ai gardé à peu près le même visage qu'au retour de l'école, lorsque les femmes m'arrêtaient sur la route pour m'embrasser.68(*)

    Chez ces personnages, la connotation de leur aspect est renforcée par la tenue vestimentaire qu'ils adoptent. Ainsi, on peut quelquefois voir Gabriel Gradère en robe de chambre[...]déchirée et tachée 69(*), mais il n'en demeure pas moins un homme à l'apparence soignée, doté d'un charme et d'une élégance remarquables. La plupart du temps, il est vêtu de complets clairs, de châpeaux feutres, en plus des costumes, des manteaux de voyages achetés à Londres au temps de [sa] jeunesse.70(*)

    Ce n'est pourtant pas le cas de Ferdinand qui par contre, affiche une apparence négligée et débraillée. La description que fait le narrateur à son propos le confirme : Il porte un pantalon de coutil bleu rapiécé aux fesses et aux genoux. Un maillot de corps bleu plus foncé dégage ses épaules et laisse déborder la toison grise de sa poitrine. [...] Son front bas, [...] est comme écrasé par une casquette à visière de cuir.71(*) Les deux personnages sont physiquement opposés par leurs traits aussi bien que par leurs tenues vestimentaires. Or si [...] le portrait n'est autre qu'une description, le personnage, lui ne saurait se réduire à cette vision superficielle.72(*)

    En se penchant sur leur vie de famille, Gradère est le seul personnage dans le texte à porter ce nom propre. Il est le fils d'un ancien métayer inculte et jaloux de ses propres enfants. Son père qui détestait sa  supériorité future,73(*) le placera chez un forgeron à l'âge de treize ans après avoir vendu quelques années auparavant, la soeur aînée chez des métayers. Celle-ci meurt plus tard à cause de l'excès de travail et de mauvais traitements. Quant à sa mère à qui Gabriel ressemble, cette dernière est morte alors que le personnage n'avait que dix-huit mois. Mais Gabriel a un fils, Andrès, dont il ne s'est jamais soucié. Tout est irrégulier et étrange dans l'existence de ces êtres :

    [Ils sont] mauvais fils, amants volages, époux distraits, pères oublieux, ils ont le coeur sec et froid [...] insensibles aux joies de la famille, inaccessibles aux douceurs de l'affection, instinctivement portés à la rébellion, aux extravagances, et au scandale, ils sont méchants, et font le mal pour le mal.74(*)

    On est là en face de quelques cas typiques de délinquance parentale, où les enfants sont non seulement les victimes des adultes, mais surtout de leurs propres géniteurs. Le père de Gabriel est un exemple patent de parent qui maltraite et traumatise ses enfants. Certains pères comme Gabriel, abandonnent simplement ces innocents qui n'ont jamais demandé à naître, aux soins d'une mère parfois démunie et esseulée. Sur quoi, l'enfant peut se retrouver soit dans la rue, soit dans la mouvance de petits métiers pas toujours innocents.

    Et Parlant justement du travail rémunéré et des maltraitances que subissent ces enfants, on se rend compte que beaucoup de parents comme le père de Gabriel, en font leur fond de commerce ; au point où l'on assiste aujourd'hui à l'exploitation pure et simple de ceux-ci. À ce sujet, en reprécisant qu'un enfant est un être humain âgé de moins de dix-huit ans, le Haut-commissariat aux droits de l'homme déclare que :

    Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social. 75(*)

    Non seulement ces pauvres innocents sont exploités, mais on les voit de plus en plus jeunes, déambulant dans les rues et dans les marchés, livrés à la merci de toutes sortes d'agressions physiques, morales et mêmes sexuelles. Tous ces facteurs sont des portes ouvertes à la dégénérescence morale.

    Pour le cas de Ferdinand qui justement aime beaucoup les enfants, sa famille est circonscrite en la seule personne de sa femme Maria avec qui il n'a malheureusement pas pu avoir de descendance. Il se trouve que certains dégénérés, spécifiquement ceux qu'on qualifie d'idiots ou d'imbéciles, aient effectivement des problèmes de procréation ; mais ils peuvent lier des unions et des amitiés étroites. C'est ce qui explique que Jérôme soit devenu bien plus qu'un ami pour Bringuet.

    Sur le plan intellectuel, on note également un certain antagonisme entre ces deux personnages. Ferdinand présente effectivement des défectuosités intellectuelles, comme le relève Cullerre chez les dégénérés idiots. On ne sait si cela est dû au milieu où il vit, mais toujours est-il qu'il n'a pas fait d'études et cela se traduit bien dans son vocabulaire. En lieu et place du pronom personnel ``ils'', ce colosse emploie le pronom personnel ``y''  comme dans ce propos où parlant des allemands, il avoue : Si jamais y se mettent à canarder, y nous en feront pas que dans l'estomac des trous.76(*) Ferdinand présente certes une détérioration physique et intellectuelle, mais qui ne semble pas uniquement causée par sa sénilité. On constate en effet chez certains dégénérés mentaux, que le physique est quelquefois aussi atteint que l'intellect et le psychique ; c'est pourquoi on remarque que :

    Les défectuosités de l'intelligence et de la sensibilité morale ne sont pas les seules qu'on constate chez les dégénérés héréditaires. Ils offrent encore, suivant les individus et leur degré de déchéance, de nombreuses imperfections physiques, vrais stigmates de la dégénérescence somatique faisant cortège aux stigmates de la dégénérescence intellectuelle et morale. Tantôt les proportions des diverses parties du corps sont diminuées ou augmentées, la taille trop petite ou trop grande, les membres inégalement développés, parfois frappés de paralysies partielles ; le système pileux anormal 77(*).

    Par contre, grâce à la bonne volonté des bienfaitrices Du Buch, Gabriel qui était déjà à l'école missionnaire, a pu poursuivre des études secondaires. Il est bachelier à dix-sept ans et décide de quitter le petit séminaire où l'on voulait faire de lui un lévite. Il part pour l'université de Bordeaux et s'inscrit à la faculté des Lettres. Sans moyens de subsistance, et fragile qu'il est, il abandonne ses études tout en annonçant chaque année d'imaginaires succès aux bienfaitrices et aux demoiselles Du Buch. Sa beauté et son intelligence aidant, Gabriel passe très vite du statut d'étudiant sans le sou, à celui de gigolo. Il s'associe à Aline, une prostituée qui le prend entièrement en charge, et  qui peut le faire vivre grassement 78(*) comme il a toujours rêvé. Ce qui dans un sens ne surprend pas chez ces êtres décadents qui, quelquefois paresseux et vicieux, s'abandonnent au vol, au vagabondage, et s'affilient aux malfaiteurs. 79(*)

    De l'autre côté, la vie n'est pas facile pour Ferdinand qui est un ancien cheminot retraité, et qui doit s'occuper de sa femme Maria. Il s'est reconverti en paysan qu'il n'a d'ailleurs jamais cessé d'être ; aussi le voit-on au jardin pour tailler ses arbres, et cueillir les fruits.80(*) Il lui arrive quelquefois d'aller pêcher et chasser. Il semble montrer ainsi une paisible façon de vivre la retraite et la vieillesse ; seule l'absence d'enfants crée un manque dans son bonheur.

    Il ressort ainsi que les deux dégénérés sont dissemblables, tant sur le physique et l'intellect que sur le plan familial. Bien qu'ils aient commencé à travailler dur dès leur jeune âge, ils se comportent différemment et choisissent des voies de sortie presque contraires : Ferdinand travaille dur pour vivre, tandis que Gabriel a décidé de quitter par toutes les voies possibles, cette misère. Parti de l'état de gigolo, il parvient à contracter une alliance matrimoniale qui change son statut social. Raison pour laquelle il déclare sans fausse honte, ni détours : Ne croyez pas que j'appartienne par ma naissance à la bourgeoisie : le mariage m'a ouvert les portes du château de Liogeats. 81(*) Il atteint les hautes sphères de la société et adopte les attitudes d'homme du grand monde qu'il a toujours voulu être.

    II-3- Les acteurs de la dégénérescence morale

    Le personnage romanesque évolue au sein d'une communauté et ceux qui l'entourent se classent en deux catégories : les adjuvants et les opposants. Comme le reconnaît Cullerre, on observe aussi chez ces individus des sympathies et des antipathies qui atteignent des proportions incroyables. Le corpus présente plusieurs adjuvants et opposants qui agissent favorablement à différentes échelles; mais nous restreignons notre analyse à ceux dont l'action permet de comprendre le problème de dégénérescence morale chez ces personnages.

    Dans Les Anges noirs, on note la présence de quelques auxiliaires comme Adila et Mathilde Du Buch, deux cousines qui, dès leur jeune âge, se disputent déjà Gabriel. Elles cèdent aux caprices de celui-ci et chacune veut se faire voir sous son meilleur jour. C'est ainsi que Gabriel prend conscience de son magnétisme sur le sexe faible. Il fait chanter chacune d'elles et plus tard, leur promet le mariage à toutes les deux. Gabriel commence donc à jouer à un jeu dangereux dès l'âge de quinze ans, entretenant l'espoir de l'amour dans les coeurs des deux filles, il finit par épouser Adila par intérêt. Âgée de six ans de plus que Gabriel, elle ne lui laisse aucun répit ; il s'en souvient en ces termes : Elle m'adorait, j'étais sa faiblesse, elle joua longtemps à la maman avec moi82(*). Gabriel la dépeint comme une fille affreuse, car elle a des yeux gonflés de batracien, une bouche épaisse [...] des dents mal plantées,[...] Les bras, les jambes, la tournure, tout semblait démesuré, informe.83(*) Cependant sous ce masque de laideron se cachent une âme bonne et charitable, un coeur pieux et plein d'allocentrisme.

    Mathilde par contre est mieux faite et suscite l'intérêt de Gabriel. Il voit en elle une jeune fille aiguë, la jeune fille taillée en hirondelle qu'il avait chérie84(*). Elle est pratique et ce qui compte pour elle, ce sont les choses et les êtres du présent. Elle aussi joue au même jeu qu'Adila, et lorsqu'elle apprend les fiançailles d'Adila et de Gabriel, elle perd connaissance sous le choc, et épouse par dépit, le vieux Symphorien Desbats. Elle aime tellement Gabriel au point où elle se fait sa complice en gardant le silence sur le meurtre qu'il commet. Et conscient de cet amour, il se rassurait. En mettant tout au pire, le témoignage de Mathilde le sauverait.85(*)

    Le fait que Mathilde et Adila lui passent tous ses caprices participe d'une certaine manière, à la dégradation des moeurs chez ce jeune bourreau de coeurs. Découvrant ainsi le pouvoir qu'il a sur la gente féminine, il en profite au maximum sans tenir compte d'un possible effet boomerang. De chantages affectifs en corruptions morales, ce dernier est progressivement passé maître dans la dépravation morale.

    L'abbé Alain Forcas est d'une aide salutaire pour Gabriel Gradère. C'est un jeune prêtre de vingt et six ans en qui il a trouvé un confident à la fois angélique et fraternel86(*). C'est un enfant très pur, vertueux, autour duquel les jeunes filles du village avaient rôdé en vain. Patient, très pieux, et très solitaire,  seul le jour, le soir, seul la nuit87(*), ce jeune curé reçoit ce cahier noir de péchés. Il vit spirituellement la dégénérescence de Gradère, et prie sur cette écriture criminelle. De petite taille, avec un buste trop long et des jambes courtes, il présente un visage un peu renfrogné avec un front bas et rude. C'est un être bon, un ange  qui subit sans rechigner toutes les injustices et les persécutions venant des habitants de Lugdunos. Conscient de la haine et du mépris gratuits qui lui sont voués, il sait qu'il appartient aux âmes et croit avec fermeté que rien n'est possible à l'homme, [mais que] tout est possible à Dieu. Tout est possible à l'amour ; l'amour déjoue la logique des docteurs88(*). C'est encore lui qui accueille dans son presbytère un Gradère moribond qu'il réconcilie avec Dieu. Un tel personnage nous met d'avis avec Todorov qui croit que, bien des fois, loin d'être l'enfer, les autres représentent une chance d'en sortir.89(*)

    En ce qui concerne Ferdinand Bringuet dans La Retraite aux flambeaux, Maria et Jérôme sont pour lui des personnages adjuvants ; mais ils ne posent aucune action qui participe à l'aggravation de la dégénérescence morale chez ce vieil homme. Ce triste rôle est joué par Joseph Marnier et Klaus Bürger qui sont des personnages qui s'opposent à lui.

    Les personnages qui se liguent particulièrement contre Gabriel Gradère dans Les Anges noirs sont Aline et Symphorien Desbats. Aline est une prostituée qui s'occupe de Gabriel alors qu'il est étudiant. Elle fut pendant de longues années, son amante et sa complice dans des affaires douteuses. L'accent est mis sur son mauvais rôle par une caractérisation essentiellement négative. C'est  une femme qui ne se lavait plus, personne ne faisait son ménage. Elle se foutait pas mal de l'aspect de ses draps brodés, de ses chemises de soies déchirées, couvertes de tâches.90(*) Devenue corpulente et alcoolique, elle fait du chantage à Gabriel afin qu'il l'épouse ; et lorsqu'elle se rend compte que celui-ci ne cède pas, elle décide de se venger. C'est dans ce dessein qu'elle se joint à Symphorien Desbats qui l'a contactée pour se débarrasser de  Gradère qui la sait capable du pire.

    Quant à Symphorien Desbats, beau-frère de Gabriel par alliance, c'est un vieil homme malade et assez rusé qui, soutenu par sa fille Catherine, tente de dépouiller Gradère et Andrès de la propriété de pins. En désespoir de cause, il sollicite l'aide d'Aline pour se débarrasser définitivement de ce beau-frère très menaçant : j'ai écrit à cette Aline : elle m'a répondu ce matin qu'elle se chargeait de m'en débarrasser. Elle va surgir ici au moment où il s'y attendra le moins....91(*)

    Chez Bernard Clavel par ailleurs, le constat établi  montre que Joseph Marnier et Klaus Bürger sont des personnages qui contribuent fortement à la décadence psychologique de Ferdinand. Klaus est un jeune garçon de Hambourg qui à l'âge de douze ans, est inscrit aux jeunesses hitlériennes par son père fonctionnaire du parti. C'est un jeune soldat en uniforme noir qui, depuis trois ans a voué sa vie à son dieu, le führer Adolf Hitler. Il a le visage, la taille et la corpulence d'un enfant maigre. C'est un grand fanatique irrespectueux, violent et entêté. En cet été 1944 où il se retrouve dans ce petit village, la guerre n'est pas une réalité nouvelle pour lui. Elle fait partie de son lot quotidien car jusqu'au moment où il arrive chez les Bringuet, il a tué sans jamais éprouver le moindre pincement au coeur. Il a tué parce que son dieu l'exigeait.92(*) On comprend simplement que le jeune Klaus est lui aussi une victime de la délinquance parentale.

    C'est en effet son père qui le fait enrôler comme soldat dans l'armée, contre le gré de sa mère. Ce problème d'enfants-soldats que semble poser Clavel, est aussi pertinent dans les sociétés contemporaines, et n'est en fait qu'un des nombreux pans de la dégénérescence morale qui compte la guerre parmi ses diverses retombées. Klaus n'a que douze ans quand il découvre les horreurs de la guerre ; pourtant la convention relative aux droits de l'enfant stipule bien que les Etats parties s'abstiennent d'enrôler dans leurs forces armées toute personne n'ayant pas atteint l'âge de quinze ans93(*). Klaus est lui aussi assujetti à cette décadence psychique, au point où il ne connaît plus le respect que les jeunes doivent aux aînés. Malheureusement ce comportement est déplorable non seulement chez les enfants,  mais aussi chez des adultes comme Joseph Marnier.

    C'est un homme d'une trentaine d'années avec une taille et une corpulence moyennes. Moustachu au visage rond, avec des yeux gris derrière de grosses lunettes à verre épais, ce chef des maquisards détient une part de responsabilités dans le traumatisme moral de Ferdinand. Par ses instigations, il va obliger le vieil homme à tirer sur Klaus. Or, habitué à ce genre de situations, Joseph aurait pu faire de cet allemand son prisonnier de guerre comme le lui propose ce pacifiste. Il aurait épargné le vieux colosse qui voyait dans l'emprisonnement de Klaus, un moyen de sauver la vie de ce garçon qui lui fait penser à ce fils tant désiré qu'il n'avait jamais pu avoir.

    Devenu maire du village deux ans plus tard, et sachant que l'état mental de Ferdinand s'est détérioré, Joseph Marnier n'accorde pas la faveur que Maria et Jérôme lui demandent pour épargner le grand Bringuet. Il s'agit simplement pour le maire, d'interdire durant la soirée de la retraite aux flambeaux, le lancement des pétards dans la rue où résident les Bringuet. Et s'il l'avait fait, Ferdinand n'aurait pas complètement perdu la tête au point d'atteindre les limites extrêmes de la schizophrénie. D'ailleurs, dans son délire, Ferdinand précise bien à Maria : Va chercher Jérôme. Rien que Jérôme. Pas le Joseph Marnier. Surtout pas celui-là !...c'est un salaud, il le tuerait.94(*)

    Dans ce cas, Joseph a accentué d'une manière indirecte, la déchéance de Ferdinand, en acculant ce vieil homme. Ce dernier va être l'agent d'exécution d'un acte ordonné par Joseph qui ne cesse de lui dire : Ma foi, je ne vois guère d'autre solution. Il est ici, on va pas aller le tuer dans le jardin. Mais c'est pas moi qui vais le nettoyer. Sûrement pas. Joseph veut voir le soldat allemand mort, mais tué par un autre.

    Au terme de ce chapitre, Gabriel Gradère et Ferdinand Bringuet apparaissent diamétralement opposés dans leur décadence. Leur seul lieu commun est leur modeste origine. Le premier qui est intelligent, semble avoir réussi grâce à sa beauté qui lui ouvre plusieurs portes de réussite ; alors que le second est un être sénile qui présente toutes les caractéristiques d'un dégénéré imbécile. C'est un personnage aux traits disgracieux, fruste, négligé et inculte qui travaille dur pour vivre. À travers l'illustration de ce que fait Gabriel, on constate que nombreux sont ceux-là qui, permanemment subjugués par l'apparence et la beauté physiques, se laissent avoir comme Adila et Mathilde Du Buch. Les personnages opposants qui sont autour d'eux posent des actes qui favorisent l'accroissement de la dégénérescence mentale que vivent ces protagonistes ; d'où l'étude des autres personnages avec lesquels Gabriel et Ferdinand partagent beaucoup de choses. Parmi celles-ci, l'on compte l'environnement spatio-temporel qui constitue l'univers où ils vivent leur dégénérescence.

    CHAPITRE III :

    L'UNIVERS DE L'ACTION

    L'univers présenté par le schéma narratif dans chaque récit englobe à la fois l'espace et le temps de l'histoire, cadre et supports de l'intrigue, dans laquelle les questions  Où et Quand ne manquent jamais d'être posées. L'espace et le temps sont immanquablement ces données qui inscrivent le récit dans le réel à travers des repères spatiaux, chronologiques, psychologiques et même atmosphériques. En clair, analyser le personnage dégénéré demande qu'on le découvre aussi à travers les menus détails de son quotidien, vécu dans un espace et un temps donnés. Ceci est d'autant plus important que le mode et les conditions de vie sont donnés a priori comme catalyseurs de la déchéance morale de ces personnages.

    III-1- La topologie comme facteur de chute du personnage

    S'intéresser à la topologie dans une oeuvre littéraire revient à analyser tout espace géographique ou tout cadre qui sert de toile de fond à l'intrigue. La nature et le décor au sein desquels évoluent les personnages ne sont pas toujours innocents. Comme le soutient Valette, la description ne sert pas seulement à  « montrer » le réel, mais aussi à décrire le monde visible95(*) en livrant des informations sur l'espace extérieur ou intérieur d'un lieu. À ce propos, Bourneuf et Ouellet pensent que le romancier fournit toujours un minimun d'indications « géographiques », qu'elles soient de simples points de repères pour lancer l'imagination du lecteur ou des explorations méthodiques des lieux.96(*)

    Le cadre des Anges noirs, Liogeats, est le lieu principal où se dénoue l'intrigue. Ce village comparé à un cimetière de vivants97(*) se subdivise en micro- espaces. Gradère a longtemps voyagé et fréquente une kyrielle de milieux qui se disposent en espaces clos et en espaces ouverts.

    Les aires emmurées qu'il a connues sont l'école missionnaire qu'il a fréquentée, et il se souvient surtout de cette salle de l'asile qui sentait le chlore.98(*)  On a ensuite le petit séminaire, le château des Du Buch avec la cuisine, sa chambre et le cabinet de toilette. Citons aussi l'hôtel de Lugdunos, la bibliothèque et l'échoppe, cette misérable chambre du quartier Mériadeck située du côté des docks 99(*). Mentionnons enfin le casino et le presbytère où il sera recueilli par l'abbé Forcas.

    Parmi ces lieux clos, certains expriment l'enfermement ; en occurrence l'école et la bibliothèque. Et de même que la maison familiale où il a vécu sa jeunesse à côté d'un père sévère, l'école est un espace froid où règnent la rigueur et la rudesse.

    La grande cuisine du château, initialement faite pour réunir les gens autour des repas en famille, se trouve être comme la chambre à coucher, un lieu de repli, de trahisons et de manigances. Le château même est un lieu ceinturé par les pins, ce qui met en relief le caractère carcéral de la vie de Gradère qui ressemble à un animal traqué.

    Le presbytère symbolise la réclusion ; c'est le lieu où, comme le curé, Gabriel peut entrer en contact avec Dieu et acquérir son salut éternel. C'est un endroit où l'âme du prêtre est soumise à la souffrance métaphysique, lorsqu'elle prend conscience de l'horreur véritable de cette perversion morale de Gradère.

    Le casino et l'hôtel sont des voies ouvertes à la dépravation des moeurs avec les jeux de hasard et les divers coups bas auxquels participe Gabriel. Comme lui, certains de ces malades

    sont dominés par les passions viles, l'avarice, le jeu, la boisson ; les autres sont paresseux, imprévoyants, dissipateurs ; tous manquent d'esprit de conduite et se laissent aller aux écarts les plus dangereux pour eux-mêmes et pour les autres.100(*)

    Pour l'habitat, le domicile de Gabriel à Paris, rue Emile Zola, est un espace où le personnage suffoque, tellement l'atmosphère est lourde et épaisse. Cette oppression est d'autant plus grande que la personnification dit que le silence respirait101(*). La maison est dans un tel désordre qu'elle illustre l'état d'esprit de Gabriel. On y voit des restes de repas et des bouts de cigarettes traînant partout sur le tapis, montrant ainsi que le ménage n'avait pas été fait depuis un certain temps. Ce lieu représente le désordre moral et spirituel dans lesquels se trouve notre personnage et préfigure sa ruine si rien n'est fait.

    La description de cet espace vital montre que la vie n'avait rien pu ajouter à ces murs peints, à ces meubles de nickel et de verre : tout cela restait neuf jusqu'à la dernière dislocation102(*). La beauté et la pureté des murs et des meubles qui ne vieillissent pas sont une paraphrase de la beauté de Gabriel Gradère qui, malgré ses cinquante ans, ne prend pas l'ombre d'une ride.

    Cette analogie donne raison à Bourneuf et Ouellet qui croient ferme que  Loin d'être indifférent, l'espace dans le roman s'exprime dans les formes et revêt des sens multiples, jusqu'à constituer parfois la raison d'être de l'oeuvre103(*). Ce qui paraît paradoxal dans la pensée de valette pour qui,  les descriptions de l'espace  sont en quelque sorte un ornement gratuit ou porteuses d'un savoir encyclopédique qui n'est pas directement utile à l'intelligence du récit104(*). Or, ces descriptions peuvent quelquefois, comme dans le cas présent, avoir des fonctions insoupçonnées comme l'illustrent l'anaphore et la paraphrase qui reprennent de manière subtile, la peinture physique de Gabriel Gradère.

    L'apparition importante et récurrente de lieux clos représente la prison ; cette multitude de milieux fermés traduit l'emmurement. Cet emprisonnement se note également à cause des lieux que le personnage revisite sans cesse, tournant en rond comme un lion en cage. Ainsi, Liogeats, est une plaque tournante où Gabriel revient toujours pour se cacher ou se reposer.

    Cependant, on recense très peu de lieux ouverts. Le Jouquet, la route de Liogeats, la gare, le Balion et la Roche qui est en fait une sablière abandonnée105(*), où le personnage dans son enfance s'amusait à rouler avec les filles Du Buch. Ces lieux ne sont à aucun moment bénéfiques pour le personnage. Bien qu'ils soient ouverts, ils apparaissent comme facteurs positifs au mal et à la croissance de la décadence morale. La Roche est un lieu chaotique semblable à la vie de Gradère, fait de minuscules montagnes et de cratères. La gare elle-même est déserte, ce qui facilite l'aboutissement du plan meurtrier du protagoniste. Le seul espace ouvert qui semble lui être favorable, c'est le Balion, ce petit ruisseau au sein de la forêt où il peut souvent se sentir innocent et libre.

    Dans La Retraite aux flambeaux, le panorama qui abrite les événements est le Jura qui est traversé par le Doubs. C'est dans un paisible village devenu du jour au lendemain un terrain de combat, que se passent les faits racontés. Ce village est le macro-espace où se déroule l'action et se subdivise lui aussi en quelques cadres miniatures clos et ouverts.

    La demeure des Bringuet est le premier micro-espace présenté dans ce récit. C'est là que le personnage, perché sur un escabeau, observe la débâcle des allemands. C'est un cadre clos, étouffant et sombre. Le personnage traverse une petite salle à manger et arrive à la cuisine, d'où il guette la rue. Lorsque le soldat surgit quelques minutes après, la scène se poursuit dans la cave [qui] est dans une demi-obscurité [puisque] le ciel très bas laisse à peine couler une lumière grise106(*). C'est un espace encore plus étroit et plus oppressant. Contrairement à un refuge, ces lieux emmurés et obscures sont très proches des lieux d'incarcération et signifient proprement l'enfermement et l'étouffement. Un long séjour dans un tel endroit peut entraîner la claustrophobie ou d'autres types de psychoses. Il n'y a en fait aucune sécurité à s'y cacher, puisque Ferdinand reconnaît que des fois, c'est en se cachant qu'on risque le plus.107(*)

    Les micro-espaces ouverts tels que la cour, le jardin, la rue, le canal et le pont sont présentés dans le texte. Ces milieux diffèrent de la maison et de la cave en ce sens qu'ils symbolisent souvent la liberté. Mais contrairement à ces lieux fermés qui semblent être un refuge pour le personnage, ces espaces ouverts l'exposent encore plus au danger et le privent de sa liberté de mouvement.

    Avant la guerre, Ferdinand était effectivement un homme libre et tous ces espaces lui étaient accessibles en temps voulu. Aussi allait-il souvent  [...] au jardin pour tailler ses arbres, et cueillir les fruits108(*), [et quelquefois] quand il était jeune, pour faire comme ses copains il avait chassé. 109(*) Ferdinand aime travailler en plein air. Il préfère les espaces ouverts, naturels et lumineux. Seulement depuis le début de la guerre, ces espaces jadis euphoriques pour lui se sont mués en espaces délétères ; raison pour laquelle il ne peut plus s'y sentir en sécurité. En fait, la situation de guerre vient déclencher une autre phase de la défectuosité morale de Ferdinand. En fait, il vivait dans le meilleur des mondes possibles, avec la candeur d'un enfant encore innocent. La raison est simplement que chez certains d'entre eux, persiste un état enfantin des facultés intellectuelles qui les empêche de prendre pied dans le monde des réalités et de l'expérience. Ils ont des illusions et vivent dans un monde imaginaire, c'est pourquoi le narrateur peut affirmer qu'il y a quelque chose dans la voix du colosse qui fait penser à la peur d'un enfant.110(*)

    L'auteur plante ainsi un décor pour situer l'action ; toutefois, au-delà de cette mission, il s'avère aussi que l'espace [...] parle ; sa présence est complice, impliquée à la source ou à la base du message 111(*)

    En réalité, l'occurrence d'un même espace peut aussi donner des informations sur les états d'âme du personnage. Raison pour laquelle dans une même page, un lieu ou un élément de l'espace peut être évoqué maintes fois. C'est le cas du ``canal'' qui revient trois fois de suite à la page 93, pour mettre en exergue les nombreux risques encourus par le personnage qui viendrait à le traverser en ce moment critique de guerre qui n'est pas complètement terminée.

    De surcroît, grâce à une peinture réaliste de l'univers spatial, l'on se croirait véritablement en face d'une projection cinématographique décrite au moyen de mots, et évoquant le mouvement et le déplacement :

     Il y a le contre-fossé du canal. Pas très profond. [...] le canal, il n'est pas question de le traverser autrement qu'en empruntant le pont. [...] De l'autre rive du canal part un cri. Elle reconnaît la voix de son homme.

    - Maria ! couche-toi !

    Instinctivement, elle obéit et s'allonge dans l'herbe mouillée. Elle n'y est pas depuis deux secondes qu'une énorme explosion lui comprime la poitrine et lui écrase les tympans. 112(*)

    Il est clair que l'espace dans les deux romans est dysphorique pour les personnages qui ne se sentent ni libres, ni en paix avec eux-mêmes. Le premier roman donne à voir plus d'espaces fermés, contrairement au second. Aux paramètres spatiaux vont aussi s'ajouter les conditions temporelles, puisque la déchéance des moeurs n'est pas seulement liée à l'espace, mais aussi à l'époque et à l'atmosphère et au climat dans lesquels évolue le personnage.

    III-2- La temporalité psychologique

    L'étude du temps dans un récit demande que l'on s'intéresse à la fois au moment pendant lequel s'exprime le narrateur et agit le personnage. Ceci se justifie par le fait qu'un sujet parlant ou agissant est perpétuellement en rapport avec le temps ; ce qui nous oblige à nous attarder sur plusieurs aspects de cette notion. Ainsi, de par sa polyvalence et ses valeurs multiples, le temps revêt des significations différentes selon les cadres et références que nous lui donnons 113(*); ce qui fait donc de lui, un concept complexe et poly-référentiel.

    C'est le temps qui permet de passer du discours à la fiction ; il existe donc une grande nuance entre l'ordre des événements et celui des paroles. L'étude de la temporalité psychologique s'articule uniquement autour des différentes ressources et valeurs temporelles que sont l'ordre chronologique et la durée qui laissent voir le protagoniste à des moments spécifiques. Cela permet d'établir une certaine clarté dans l'entrecroisement des récits, et l'organisation du récit fait donc nécessairement appel aux anachronismes narratifs qui désignent les différentes formes de discordance entre l'ordre de l'histoire et celui du récit114(*).

    Les anachronismes sont l'aboutissement de la différence entre le temps du discours qui est unidimensionnelle et celui de la fiction qui est plurielle. On parle d'analepses lorsqu'on revient sur un fait antérieur au récit en cours ; ainsi le récit analeptique relate bien après, un événement qui s'est déroulé dans le passé.

    Dans le prologue des Anges noirs, Gabriel fait une rétrospective des faits survenus dans son passé. Ces faits, donnés comme souvenirs et rappels, permettent au curé d'avoir une vue d'ensemble du destin de Gabriel. C'est ainsi qu'il découvre au prêtre tout ce qui concerne son enfance, sa jeunesse et sa réussite apparente. Ce qu'il raconte est à la fois monstrueux et pathétique. Le curé apprend ainsi que Gabriel a perdu sa mère très tôt à l'âge de dix-huit mois. Il est élevé par un père rustre, inculte et jaloux de sa progéniture. Privé de l'amour d'une mère et de la tendresse de son père, on mesure combien l'enfance de celui-ci a pu être difficile, malheureuse et misérable.  Côtoyer cette pauvreté et cette souffrance, ajouté au fait de fréquenter la maison Du Buch qui pour lui représente le paradis, a quelque part été le catalyseur de bien de sentiments. L'ambition sans bornes et la détermination qu'on lit chez lui, semblent trouver leur explication dans ces événements passés. Tous ces facteurs donnent à ce petit paysan, [cet] apprenti roué de coups, des dégoûts d'enfant bourgeois115(*) ; et les psychologues ont démontré que certains comportements chez un sujet adulte trouvaient leur origine dans son enfance. Ils soulignent aussi le rôle omniprésent de l'univers social dans lequel naît et croît l'enfant ; à cela on ajoutera l'éducation qu'il reçoit. Ces scientifiques soutiennent que l'individualité se forme à partir des interférences environnementales ; et ceci peut expliquer certaines attitudes de Gabriel Gradère. Dans ce sillage, nous partageons avec Vounda Etoa, l'avis selon lequel toutes les images d'enfants dans l'oeuvre romanesque de François Mauriac s'accompagnent d'une évocation de leur pureté. À l'exception de Gabriel Gradère [...].116(*) On peut comprendre cela puisque Cullerre précise que l'enfance des héréditaires est fréquemment marquée par certains troubles. En effet,

    une marque probante de la nature dégénérative de ces obsessions émotives, de ces impulsions, de ces étrangetés morales, c'est qu'elles se manifestent parfois dès l'âge le plus tendre, et qu'on les a constatées chez des enfants de quatre ou cinq ans.117(*)

    Pour La Retraite aux flambeaux, on note quelques analepses qui permettent au narrateur de faire des rétrospections au cours du récit. C'est donc grâce à elles qu'on découvre que, tout comme Gabriel, Ferdinand a eu une enfance et une jeunesse difficiles ; puisqu'à quatorze ans [il était] au turbin.118(*)

    Mais les analepses deviennent plus visibles dans le récit dès Juillet 1947, deux années après l'occupation allemande. C'est la période où le narrateur revient sur les événements de cette sombre nuit qui a particulièrement marqué les mémoires et la vie des Bringuet. Désormais, il ne voit plus les choses du même oeil, et comme ce matin, c'est le Doubs qu'il voit. Pas celui de ses journées de pêche. Le Doubs d'une nuit où un gamin vêtu de noir est parti au fil de l'eau.119(*) C'est le moment où affluent tous les souvenirs, même ceux de la période d'avant-guerre. Ces rétrospections du narrateur et quelquefois du personnage traduisent le trouble psychologique et le remords dans lesquels Ferdinand s'éternise. Sa vie semble maintenant se trouver derrière lui, car il vit quasiment dans le passé. Le plus troublant comme le dit Jean Zin, est que dans de pareilles situations, la perte de la force vitale s'accompagne d'une perte de la joie et de l'envie de vivre ; comme si on était poussé à se diriger soi-même vers sa tombe.120(*) Ainsi deux ans après, à la vue des lampions de la retraite aux flambeaux, il revit les images de la guerre et de l'assassinat de Klaus.

    La matérialisation de ces réminiscences dans les deux récits est faite par l'alternance du style direct et du style indirect. L'écriture est soutenue par des temps verbaux exprimant l'antériorité : le passé composé, l'imparfait, le passé simple, temps par excellence de l'expression de la rétrospection. En outre, l'utilisation de certains verbes portant en eux-mêmes le sémantisme de remémoration, vient river le clou sur l'intention qu'a l'auteur de faire un rappel sur la vie de ce personnage. C'est le cas des verbes pronominaux se souvenir ou se rappeler : Je me souviens de votre regard lors de mon dernier voyage121(*).  Je me rappelle ce jour d'été : la porte s'ouvrit.122(*)

    Les choix stylistiques qui présentent les analepses dans le corpus font découvrir l'effacement régulier quoique temporaire, du présent de narration au profit de l'imparfait ou du passé composé de l'indicatif. C'est le retour sur des événements passés qui multiplie et renforce les analepses des récits, tout en permettant au lecteur de découvrir et comprendre grâce à son passé, les origines de la dégénérescence morale du personnage. Cependant cet être fictif ne vit pas uniquement dans le passé ; il lui arrive aussi de se projeter dans l'avenir, d'où la présence des prolepses dans les récits. Ils sont le moyen par lequel le personnage ou le narrateur fait des projections dans un futur proche ou lointain ; mais ces cas de figures n'abondent pas dans les deux romans étudiés.

    Dans l'oeuvre de Mauriac, Gabriel Gradère s'imagine que l'abbé Forcas pourrait détruire son cahier sans le lire, alors il essaie de convaincre ce précieux confident de sa sincérité : Je vais m'efforcer d'atteindre la limite extrême de la sincérité [...] : j'éviterai toute complaisance, je n'appuierai pas, je laisserai entendre ce qui est indicible.123(*)

    Dans le cas du deuxième texte, il arrive plus rarement que le narrateur ou le personnage prononce des paroles proleptiques ou prophétiques : Le temps s'est figé. Cette nuit chargée de rumeurs sourdes va durer l'éternité autour d'eux et du bloc de tendresse douloureuse qu'ils sont devenus.124(*)

    La suite de l'analyse découvre la présence abondante de repères temporels que constituent les dates. Celles-ci montrent un souci de précision et de vraisemblance des auteurs. Le roman de Mauriac fait l'évocation de dates successives ; celles-ci semblent être une chronologie événementielle. Les années 1913, 1914, 1915, rappellent à Gabriel des événements particuliers de sa vie. Même si Mauriac pense que l'âge qu'on a ne signifie rien125(*), il donne néanmoins tout au long du récit, celui de son personnage. C'est ainsi qu'on peut voir des expressions telles que : À treize ans, dès l'âge de quinze ans, l'année de mes dix-sept ans, un étudiant de dix-huit ans, à cinquante ans bientôt.

    Le même phénomène est visible chez Clavel où l'on a aussi des repères temporels : Juillet 1947, le 14 juillet, À quatorze ans, un homme de soixante et onze ans, Il avait douze ans, ça fait deux ans.

    De toute évidence, repères temporels et analepses se trouvent à profusion dans ces deux récits ; bien que ce ne soit pas le cas des prolepses. Ces données sont significatives et tout comme la durée, elles permettent de découvrir et d'emboîter certains éléments aux événements passés de la vie du personnage.

    Parlant de la durée ou vitesse narrative, elle peut être entendue comme le rapport entre le temps que nécessiterait le déroulement réel d'un récit et le temps par lequel il est représenté dans le roman, avec toutes les variations rythmiques et stylistiques que cela comporte. Genette la définit comme suit :

    On entend par vitesse le rapport entre une mesure temporelle et une mesure spatiale (tant de mètres à la seconde ; tant de secondes par mètres) ; la vitesse du récit se définira par le rapport entre une durée, celle de l'histoire, mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une longueur, celle du texte, mesurée en lignes et en pages.126(*)

    Les intrigues connaissent effectivement des variantes sur le plan de la vitesse ; ce qui entraîne la distinction de plusieurs cas de figures. Le récit peut connaître des pauses, des accélérations ou des résumés selon le rythme impulsé par l'intrigue, d'où la circonscription de notre étude autour de ces trois notions.

    La pause est une suspension du temps qui se réalise lorsqu'au temps discursif ne correspond aucun temps fictionnel. Elle a de manière générale une fonction de présentation. C'est elle qui renseigne sur tout ce qui se rapporte aux personnages, comme on le voit dans Les Anges noirs où l'on découvre Gabriel écrivant sa confession. La pause livre même des descriptions de l'espace où se déroule l'action. Elle se retrouve en outre dans les réflexions d'ordre général, comme dans cette occurrence où Clavel, impuissant face à tous les fauteurs de guerre, constate :

     

     Il n'y a rien à dire : c'est la guerre que les peuples ont acceptée comme une fatalité. La guerre que certains peuples ont voulue de toutes leurs forces. La guerre que quelques hommes ont refusée sans rien pouvoir faire pour lui barrer la route. 127(*)

    La pause agit donc comme une photographie, un arrêt sur image qui permet de s'imprégner pleinement d'une information et de tous les détails y afférents. Elle est l'occasion où le récit connaît quelques ralentissements. C'est aussi le moment pendant lequel on peut voir le narrateur reprendre son souffle pour repartir de plus belle.

    L'accélération de l'intrigue est exprimée à travers l'ellipse qui peut se matérialiser par des repères temporels ou par les trois points à des fins diverses. Dans les deux textes, Mauriac et Clavel en font un usage récurrent pour laisser au lecteur, le soin de deviner la suite d'une phrase, ou pour marquer un souci de pudeur comme dans ce propos que tient Gabriel à son fils : Eh bien mon vieux, comme la p... n'est pas arrivée le jour où il l'attendait, il s'est mis dans la tête [...] que je l'ai supprimée !128(*), [...]  - Je m'en f... ! 129(*)

    Contrairement au roman de Mauriac, celui de Clavel ne donne pas à voir une grande occurrence de formules elliptiques ; mais il y en a une qui exprime particulièrement un très grand saut dans le temps : Juillet 1947. L'histoire connaît en effet un effacement de presque trois ans pendant lesquels, le narrateur ne donne plus aucune nouvelle, ni de ce village dans le Jura, ni de Ferdinand et de ses compagnons. Le narrateur passe du lendemain de cette nuit cauchemardesque de l'été 44 à l'après midi du 14 juillet 1947, journée de la retraite aux flambeaux qui donne son titre à l'oeuvre. Le 14 juillet est historique et mémorable pour les Français, puisque cette date rappelle la prise de la Bastille. Ce jour qui est généralement un moment de réjouissances populaires, sera malheureusement le moment où cette tragédie, débutée deux ans plus tôt, va connaître son acmé : c'est le jour où Ferdinand Bringuet trouve la mort.

    Le résumé ou sommaire quant à lui condense des années entières en quelques phrases. Gabriel en fait un grand usage dans sa confession, et c'est aussi ce que fait le narrateur de Clavel lorsqu'il relate le passé du jeune soldat Nazi : 

    Il s'appelait Klaus Bürger. Il était de Hambourg. Il avait douze ans lorsque son père, fonctionnaire du parti, l'a inscrit aux jeunesses hitlériennes. [...]

    Un jour, Klaus est parti pour la guerre. Il a connu les camps d'entraînements, les neiges immenses de la Russie, les sables du désert, le soleil de la côte d'Azur, les bons vins du Rhône.

    Il a tué sans jamais éprouver le moindre pincement au coeur. [...] À présent il est mort. 130(*)

    Ainsi, la vitesse narrative présente les différents mouvements du récit. Ces changements de vitesse marqués par la pause présentatrice et descriptive, par l'ellipse ou par le sommaire, permettent non seulement de rendre vivant le récit, mais aussi de tenir le lecteur en haleine en imaginant le trouble dans lequel peut être le personnage décadent. Cette analyse permet de voir comment s'organise la temporalité interne dans notre corpus. Seulement, il n'y a pas que la temporalité interne qui intervienne. La temporalité externe se meut elle aussi.

    III-3- Le temps de la déchéance

    S'intéresser au climat de la déchéance c'est regarder les conditions atmosphériques et climatiques dans lesquelles agit le personnage décadent. Il peut arriver que le personnage soit influencé par l'atmosphère qui l'environne, puisque le temps atmosphérique et même climatique joue un rôle déterminant dans le conditionnement psychologique et dans l'action même du personnage.

    Dans le premier texte, Gabriel se trouve à Paris dans un état de désolation immense, alors qu'un triste jour entrait par les vitres sales131(*). Il va quitter cette atmosphère oppressante pour se réfugier à Liogeats où malheureusement la situation semble pire. L'atmosphère et le climat qui règnent sont adaptés aux événements qui marquent le paroxysme de sa dégénérescence morale.

    Le temps atmosphérique qu'est la nuit représente le danger, c'est un moment d'angoisse et de solitude. Le caractère sombre de ce roman se démontre par la grande récurrence de ce terme nuit qui y apparaît plusieurs fois. Il se trouve renforcé par l'utilisation du champ sémantique de l'obscurité, avec des mots tels que nocturnes, sombres, obscures, ténèbres.

    Lorsque la nuit tombe à Liogeats, celle-ci met les personnages dans des situations diverses, ramenant certains à la position de prédateurs et d'autres à celle de proies. Le choix de Mauriac montre que la nuit, par opposition au jour, est le moment où se déroule l'éternel combat entre les forces du mal, Satan, et celles du bien, Dieu, entre  la puissance des ténèbres, le prince de ce monde132(*), et la Puissance divine. C'est pourquoi on peut voir en une même nuit, Alain Forcas à genoux dans sa cure, les mains jointes, priant et pleurant d'amour pour les pêcheurs133(*), tandis qu'au même instant, Gabriel se trouve à la gare de Liogeats, prêt à commettre un meurtre.

    En homme avisé et décidé, Gabriel va à la gare juste au moment où il pleut pour chercher Aline qu'il étranglera quelques minutes plus tard. Non seulement il fait nuit, mais il pleut abondamment. Et à cause de ce climat la gare est déserte parce que par un temps pareil, personne n'a rien à faire dehors, ni pour le bien, ni pour le mal134(*)', en dehors du chef de gare qui s'y trouve. Grâce à cette nuit épaisse et pluvieuse, Gradère se dissimule sous son parapluie, sûr de n'avoir aucun témoin qui le verrait.

    Les paramètres atmosphériques et climatiques jouent également en faveur de Ferdinand Bringuet dont la tragédie se déroule justement en une seule nuit. Le temps du récit en lui-même est celui de la guerre, ou du moins, de l'après guerre. C'est une période critique et imprécise pour les habitants de ce petit village, étant donné que l'ennemi allemand y est encore présent. À cette tension déjà existante, et causée par la guerre qui est l'événement le plus destructeur que le monde ait jamais connu135(*), viennent aussi s'ajouter des facteurs tels que l'atmosphère de la nuit et le climat pluvieux qui sévissent.

    En dehors de la tension psychologique due à l'état d'alerte qui règne, et qui oblige les uns et les autres à se calfeutrer chez eux, s'adjoint l'atmosphère obscure de la nuit. C'est un moment où l'on doit se reposer paisiblement ; mais avec l'appréhension et l'angoisse occasionnées par la guerre et rehaussées par la pluie, tout semble réuni en faveur de la chute du personnage. De même que pour Gabriel, la nuit et la pluie sont des facteurs positifs à la déchéance de Ferdinand. L'obscurité favorise la perpétration d'actes qui en plein jour, n'auraient peut-être pas pu être accomplis ; et quand le SS entre dans la maison des Bringuet, Ferdinand remarque qu'il ne pleut plus. Cependant lorsque se déclenche la lutte entre Ferdinand et Klaus, la pluie se remet à tomber en redoublant d'intensité. Elle semble vouloir protéger Ferdinand en couvrant le bruit de son combat ; et à l'instant où Ferdinand réussit à maîtriser le soldat, le narrateur dit que la pluie tombe moins fort136(*).

    Au moment où la pluie sort de scène, elle cède la place à la lune qui écarte les nuées. [...] La lune [qui] se cache à demi137(*) pour jouer sa partition avec sa  lumière qui [...] a quelque chose de tragique138(*). L'obscurité règne grandement et il faut que la lune vienne éclairer  cette nuit pleine de dangers, [...] cette nuit [qui] fait peur139(*). L'astre de la nuit se déploie alors pour venir en aide à Ferdinand et à ses compagnons ; et lorsque ceux-ci descendent vers le pont pour se débarrasser du corps du soldat, la lune se cache et reparaît alors qu'ils atteignent la rive.140(*) La personnification fait ressortir tous les jeux que font la pluie et la lune, actants qui participent véritablement à l'intrigue. La lune agit comme un projecteur braqué sur la scène qui commence une nuit où un gamin vêtu de noir est parti au fil de l'eau 141(*), et se termine  une nuit aux lueurs d'incendie 142(*), pendant laquelle Ferdinand va trouver la mort. On retrouve la nuit en amont et en aval de cette tragédie.

    Chez Clavel, on ressent un peu d'extrapolation qui se manifeste à travers le style hyperbolique qu'il emploie, quand il parle de  cette nuit chargée de rumeurs sourdes [qui] va durer l'éternité.143(*) Une éternité de silence lourd et épais. Une éternité d'au moins dix secondes144(*). Il n'hésite pas non plus à faire usage de l'oxymore pour mettre en exergue certains faits ; aussi va t-il comparer Ferdinand et Maria enlacés, à un  bloc de tendresse douloureuse. 145(*)

    À tout prendre, il s'avère que l'univers spatio-temporel a un impact sur l'humeur et la psychologie des personnages. En effet, l'espace qu'il soit ouvert ou clos, est délétère pour Gabriel et Ferdinand. Cet univers carcéral rend le personnage semblable à un animal apeuré et traqué. Le temps psychologique à travers les rétrospectives permet de trouver des causes et des signes de dégénérescence morale dans l'enfance de Gabriel Gradère et de Ferdinand Bringuet. L'époque de la guerre, de même que l'atmosphère de la nuit et le climat de la pluie apparaissent comme des facteurs positifs à la déchéance morale. Ils protègent le personnage en les excitant à la perpétration de l'acte criminel ; ce qui détériore ou aggrave la nature de leurs relations sociales avec autrui.

    CHAPITRE IV :

    DE L'INTERACTION SOCIALE

    Parler de l'interaction sociale dans ce contexte, c'est étudier l'influence réciproque qui s'opère entre le personnage dégénéré et son entourage. Cela revient en d'autres termes à analyser la qualité des rapports existant entre lui et autrui, entre lui et la nature, et même entre lui et Dieu. Par ce chapitre, nous entendons mettre en lumière tous les éléments de la vie sociale de Gabriel et Ferdinand, parce que c'est grâce à toutes ces données que nous pouvons mieux découvrir le personnage dans son essence profonde. 

    IV-I- Gradère et Bringuet : Des rapports interhumains

    Tout comme l'homme, le personnage est par essence un animal social appelé à vivre perpétuellement en rapport avec autrui. Todorov pour parler des rapports interhumains que supposent la vie en communauté, énonce la pensée anthropologique pour qui la communauté humaine et par analogie celle des personnages,

    [est] une espèce à part dont les membres sont sociables et partiellement indéterminés- et qui pour cette raison sont amenés à exercer leur liberté), une morale ([...], chérissant les êtres humains pour eux-mêmes, et accordant la même dignité à tous) [...] 146(*)

    Dans la vie en communauté, la famille est la première cellule sociale dans laquelle le personnage évolue. D'ailleurs Todorov insiste sur le fait que  [...] ce qui compte est que les êtres humains vivent et ne peuvent vivre hors société. Croire qu'ils sont par nature asociaux est une aberration ; imaginer que leur but est de le devenir, c'est se complaire dans des illusions. 147(*) Cela veut donc dire qu'un personnage est en principe un être social qui entretient des relations avec son semblable, quelque soit la nature de celles-ci. C'est d'ailleurs une vérité qui transparaît dans Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux. Gabriel, personnage de Mauriac, est un homme sans véritable attache. Ayant grandi sans mère, son enfance n'a pas été facile avec un père dont il ne dit aucun bien et à propos duquel il n'a gardé aucun bon souvenir.

    D'un autre côté, Gabriel s'est mal marié ; il ne fait pas un mariage d'amour, mais d'intérêt. Il épouse Adila à qui il fait beaucoup de mal, et compte sur le fait que celle-ci, pour avoir succombé à sa beauté depuis leur jeunesse, se meurt d'amour pour lui. Puisque Jankélévitch souligne que La beauté [...] est la tentatrice par excellence148(*), on comprend qu'il est bien malheureux celui-là qui s'y laisse prendre. Cet amour finit par s'étioler et on ne s'unit que par nécessité. Gabriel est pleinement conscient de ce que sa femme n'éprouve plus rien pour lui et le reconnaît :   Adila ne m'aimait plus. Notre mariage n'était à ses yeux qu'une sorte de réparation. Elle ne pouvait rien contre moi.149(*)

    Bien qu'ils aient eu un enfant cinq ans avant leur union, leurs rapports ont toujours été difficiles ; si bien qu'on se demande comment ils sont parvenus à se marier, puisque Gabriel avoue : l'idée d'une vie commune avec Adila me faisait horreur150(*). Entre eux, il n'existe même pas la tiédeur d'un amour jadis existant ; puisqu'Adila résignée, entrait dans le mariage comme elle se fût jetée à la mer.151(*)

    En réalité, c'est Gabriel qui dès l'enfance, a créé ce climat d'animosité entre lui et les deux femmes qu'il a toujours su manipuler : Adila et Mathilde. Ayant pris des engagements avec la première, il se rend compte trop tard, que c'est Mathilde qu'il aurait dû épouser. Non seulement cette dernière, plus jolie qu'Adila, lui plaît, et elle est aussi riche que sa cousine. Il se révolte un moment : Je savais ce qu'elle m'offrait. Je comprenais...Trop tard ! À moins de sacrifier Adila... [...] jeter tout de suite Adila par dessus bord.[...] que ma route soit libre enfin, que je puisse enfin être heureux!152(*) Cependant il doit se résoudre à épouser cette martyre, après avoir entraîné la discorde entre les deux cousines. Il n'est aucune personne à qui Gabriel n'ait fait de tort ; tous ont un mauvais témoignage de lui, même l'abbé Forcas. Ce qui fait croire que la vie avec de pareils êtres n'est que luttes cachées, querelles intestines, souffrances morales horribles : un véritable enfer. 153(*)

    Dans les premiers mots de sa confession, Gabriel avoue lui-même à ce jeune curé qui a pitié des âmes et qui a une basse opinion de lui : Je ne doute point, monsieur l'abbé, de l'horreur que je vous inspire.154(*) Lorsque Gabriel tente de l'approcher alors qu'il est en visite au château, ce prêtre réagit avec une indifférence qui ne cache pas ce qu'il pense de lui. L'abbé Forcas se comportera ainsi jusqu'à ce qu'il reçoive la confession de ce criminel, qui n'entretient de bons rapports avec personne, même pas avec son propre fils Andrès. Il se sert de cet enfant et le reconnaît : À mon fils aussi, j'ai su plaire ; il est ma dernière conquête et comme les autres, je l'exploite155(*). Andrès qui ne porte pas le nom de famille de son père, a grandi sans véritablement connaître ce dernier qui ne s'est jamais soucié de son éducation. Que son fils l'aime et soit béat d'admiration pour lui, n'empêche pas Gabriel de le tromper pour son propre intérêt. Andrès qui jusque là est, avec Mathilde et l'abbé Forcas, le seul être à l'aimer sincèrement, finit lui aussi par déchanter en le voyant réellement tel qu'il est. Amèrement déçu, il dit à Catherine : Oui tout à coup, j'ai vu, j'ai entendu cet homme que je ne connaissais pas, à l'existence duquel je ne croyais pas. Soudain, il m'apparaissait tel que tu le vois, que vous le voyez tous, ici...Quelle révélation ! 156(*)

    Catherine et Symphorien Desbats sont bien avertis en ce qui concerne Gabriel pour qui il n'est plus un mystère. Le vieux Desbats est l'un des ennemis jurés de Gradère et leurs relations sont essentiellement conflictuelles. Les échanges qui existent entre eux sont des rapports de force faits de menaces constantes qui mettent chacun sur le qui-vive. Alors que Gabriel souhaite la mort du vieil homme, ce dernier veut aussi se débarrasser de celui qu'il considère comme un bandit, et se méfie de lui comme de la peste. C'est pour cela qu'il donne ce conseil à Catherine : Ce n'est pas de ta mère qu'il faut s'inquiéter...mais de l'autre, du bandit...[...] Fais attention à tout, petite : aie l'oeil d'abord, à la cuisine...Prends garde au feu. Ne sors pas à la nuit tombée.157(*)

    Ce protagoniste est traité de tous les noms : Mathilde dit de lui qu'il est un misérable ; son fils Andrès se demande s'il n'est pas fou ; et Symphorien Débats voit en lui un assassin. Cette mauvaise réputation est due à son attitude et aux relations somme toute mauvaises qu'il a envers presque tout le monde.

    Les amitiés de Gradère révèlent simplement qu'entre Aline et lui existe une affinité incontestable. Aussi perfides l'un que l'autre, ces deux personnages entretiennent pendant de longues années, une complicité machiavélique qui ne prend fin que pour laisser place à un climat malsain, fait de tensions, de chantages et de menaces. Tout ceci montre combien Gabriel représente un danger pour son entourage ; et cela explique pourquoi il n'a bonne presse, ni dans cette famille, ni dans le village. Même ceux qui peuvent se fier à lui de temps à autre ne le font pas moins sans réserve, car on sait qu'il est imprévisible et capable de tout.

    Tout compte fait, Gabriel Gradère est l'antithèse de Ferdinand Bringuet que tout le monde appelle affectueusement le grand Bringuet. Malgré son physique ingrat qui présente toutes les caractéristiques d'une dégénérescence physique, et malgré la sénilité qu'il présente, c'est un homme bon et facile à vivre. Il est apprécié de tous ; d'où l'accent que semble mettre Clavel sur la bonté du coeur au détriment de la beauté physique.

    Ferdinand est apprécié de son voisin qui en plus, se trouve être son ami. Mais il n'y a pas que Jérôme qui l'aime ; tout le village l'apprécie et l'appelle  le bon vivant158(*). Ce personnage, même dans sa façon de marcher, se comporte avec mesure,  comme s'il eût redouté de bousculer les objets et les êtres159(*). Il déteste les conflits, c'est un vrai pacifiste, toujours joyeux et serviable à souhait. Toutes ses relations sont harmonieuses que ce soit avec les petits enfants ou les adultes. Le texte ne déclare aucune personne qui lui en veuille pour quoi que ce soit ; et on découvre qu'en soixante et onze années de vie, il ne s'est battu qu'une seule fois dans sa modeste existence. C'est une nuit où il fut agressé par neuf jeunes qui s'en sont tirés avec plusieurs fractures chacun ; ne sachant pas se battre, le colosse avait simplement empoigné l'un d'eux pour cogner les autres. 

    Porté devant le tribunal correctionnel, Ferdinand a présenté la situation avec tellement d'humour, qu'à la fin Il avait été acquitté et toute la salle l'avait acclamé. 160(*) Il fait toujours preuve d'allocentrisme et pendant cette nuit tragique, c'est encore lui qui prend la défense du soldat allemand pour lui épargner l'issue fatale. Il essaie par tous les moyens de convaincre Joseph Marnier de ne pas insister sur la mort du jeune Klaus Bürger, car pour lui : [...] on peut pas tuer un homme comme ça...pour...rien.161(*) Par humanisme et magnanimité, il use de tous les arguments possibles afin de sauver la vie de ce garçon qui représente l'ennemi, mais n' y parvient malheureusement pas. En effet, l'attitude des personnages qui, comme Ferdinand, présentent quelques troubles du comportement, peut avoir une certaine influence qui soit positive.

    [En effet...] cette influence n'est pas toujours nuisible. Elle peut se faire sentir dans un sens favorable au bien général, si elle est mise au service d'une idée juste. Avec l'énergie des convictions, la persévérance, le fanatisme, l'absence de scrupules et l'étroitesse d'esprit qui caractérise ces individus, il n'y a pas d'obstacle dont ils n'arrivent à triompher.162(*)

    En somme, Ferdinand Bringuet est un homme sociable et pacifiste qui entretient de bons rapports avec tout son entourage. Ses relations sont harmonieuses contrairement à celles de Gabriel Gradère qui n'entretient pour la grande majorité, que des rapports conflictuels avec ses semblables, même ceux qui lui font confiance. Cela entraîne un certain rejet de ses semblables qui craignent ses entourloupes.

    V-2- Gradère et Bringuet, quels rapports avec la nature ?

    Parler de la nature revient à parler de Ce monde odorant, plein de bêtes et d'astres, et qui ne sait pas qu'il existe des êtres sauvés et des êtres perdus.163(*) En effet, la nature ne se soucie pas des antécédents des uns et des autres ; elle est comme une mère accueillant chacun de ses enfants quelque soit son crime. Par sa discrétion et sa sollicitude, la nature est un abri. Et Alfred de Vigny semble penser que tout personnage, après avoir été rejeté par la ville ou par ses semblables, ne peut trouver refuge qu'au sein de la nature. Elle sait réconforter sans poser de questions. C'est dans ce sens qu'on peut lire ce conseil à Eva :

    Si ton coeur gémissant du poids de notre vie,

    Se traîne et se débat comme un aigle blessé, [...]

    Pars courageusement, laisse toutes les villes; [...]

    La nature t'attend dans un silence austère.164(*)

    Le thème de la nature-refuge semble avoir été repris par Mauriac ; raison pour laquelle, après avoir reçu des menaces d'Aline, Gabriel Gradère quitte la ville de Paris pour trouver refuge à la campagne de Liogeats. 

    L'univers naturel de la Province, avec ses cours d'eau, ses bois sauvages, ses grands pins, ses prairies, ses parfums, ses animaux et ses landes est le seul lieu où Gabriel se sent en sécurité, dans cet univers...cette matière qui ne nous juge pas, qui agit sur nous pourtant, qui éveille des regrets, des attendrissements, quoi que nous ayons commis.165(*) Quelquefois, assis sur un pin abattu, il vit des moments divins où innocent comme un renard, comme une fouine166(*), il peut se fondre dans ce monde et s'assimiler à un animal sauvage. Gabriel a toujours aimé la nature ; il s'y réfugiait déjà étant enfant, lorsqu' avec les filles Du Buch il s'amusait à jouer à colin-maillard. D'ailleurs les seuls souvenirs qui lui ont paru agréables, les seuls moments où il a été heureux sont ceux pendant lesquels il pouvait écouter l'eau courir sur les cailloux, et ceux qu'il passait avec Mathilde au Jouquet qu'il décrit comme un abri pour chasser les palombes. Il s'y plaît parce qu'il croit que : [Ses] actes qui ne [l'avaient] pas marqué au visage, [...] n'avaient pas non plus marqué [son] âme.167(*) Tout ceci montre combien Gabriel vit en harmonie avec la nature dont il apprécie les propriétés bienfaisantes ; et les lieux qu'il mentionne, ont pour lui une valeur inestimable. Cet isolement au sein de la nature est apprécié des êtres normaux aussi bien que de certains déséquilibrés mentaux, chez qui c'est une manie :

    De très bonne heure, ils s'abstraient du milieu ambiant et vivent isolés dans la contemplation de leurs pensées et dans l'étude de leurs sensations. À force d'interroger et de contempler leur propre personnalité, ils finissent par en vicier les éléments et par sombrer dans l'égoïsme, l'excès d'orgueil ou l'hypocondrie.168(*)

    Plus que Gabriel, Ferdinand est un amoureux de la nature ; il est vraiment l'ami de la forêt, et on le voit dans son quotidien d'avant la guerre. Sa manie quotidienne est d'ouvrir ses volets avant même de s'habiller, et de se réjouir du spectacle matinal qu'offre la nature. Il possède des arbres fruitiers, s'adonne au jardinage et à la pêche, et préfère passer de longues heures au sein des espaces naturels. Il aime un peu trop la nature et les animaux, et éprouve une sensibilité exacerbée à la souffrance des bêtes de la forêt. C'est ainsi qu'un jour : 

    Il avait blessé une biche. Il l'avait entendue pleurer. Il n'avait jamais oublié son regard implorant noyé de larmes. Il avait voulu l'emporter pour la soigner et la sauver. Elle était morte dans ses bras. L'ayant enterrée dans le fond de son jardin, il avait planté un saule pleureur sur la tombe.169(*)

    Mais seulement, Cullerre mentionne également que l'amour exagéré des animaux a été signalé comme une des bizarreries de caractère de ces individus170(*).

    Bernard Clavel semble faire dans son oeuvre, l'éloge de la nature. Comme le père Dubois dans Les Fruits de l'hiver171(*), Ferdinand est attaché à la terre ; il aime regarder le Doubs, il ne cache pas cet amour qui le lie à la nature, aussi l'entendons-nous avouer : Ces arbres me cachent la forêt, mais ça ne m'empêche pas de les aimer.172(*) De surcroît, il semble vouloir montrer la fidélité et la force de la nature qui malheureusement, subit de nombreuses agressions, à l'instar des pollutions et des déforestations. Aussi reprend-il les propos d'Adeline Rivard : Qui change les cours des eaux, peut tuer la rivière.173(*) Ce qui semble être contradictoire à la pensée de Mauriac qui pense que malgré tout, on ne peut rien contre l'eau vive.174(*)

    Au fond, les deux malades partagent à quelques détails près, l'amour pour la nature, avec laquelle ils entretiennent des rapports harmonieux. Même si elle semble renforcer l'introversion chez ces dégénérés, la nature leur est favorable.

    IV-3- Gradère et Bringuet : La marche vers Dieu

    La nature est donc si apaisante qu'elle semble établir une relation entre ces personnages et Dieu. À propos de leur relation avec Dieu, il convient d'observer dans les textes, les comportements quotidiens et le repli des personnages vers l'omniprésence divine, qui apparaît comme l'Alpha et l'Oméga, le commencement et la fin de toute chose.

    Dans Les Anges noirs comme dans toute l'oeuvre de Mauriac, le thème du péché et de la grâce divine est récurrent ; étalé en filigrane, il revient sous des formes et des formulations diverses. Gabriel Gradère ne renie pas l'existence d'un Être Suprême, doté d'une puissance plénipotentiaire, qui seul serait capable de donner à un individu le don de la connaissance. Il le fait d'ailleurs comprendre à l'abbé Forcas dès le début de sa confession. Il croit certes à l'existence de Dieu et à celles des anges qui, comme ce prêtre, voient le Tout puissant face à face175(*), mais ne croit pas en leur puissance de remettre les péchés.

    Vraisemblablement, Gabriel a une relation avec Dieu ; cela peut sembler incroyable, mais c'est la réalité ; car comme lui-même le dit, c'est Dieu qui est la source de tout son destin. Le fait même qu'il ait rencontré Adila, cette sainte fille, est déjà un signe de la grâce divine. La bonté de Dieu étant irréfutable176(*), Adila Du Buch semble en être l'image ; parce que Dieu Seul est capable d'aimer si totalement, malgré tout le mal que l'on peut commettre. Cela typifierait le contrat sans conditions qui lie tous les Elus à l'Être Suprême ; d'où le remords dans la conscience de Gradère, et le besoin lancinant d'avoir un  confident angélique et fraternel.

    Il se pose donc là un problème de prédestination, car s'il y a des âmes qui sont données au Malin comme le dit le curé, il y a certainement aussi celles qui appartiennent à Dieu. Ce qui signifie en d'autres mots que l'on ne devient pas enfant de Dieu, mais l'on naît en l'étant déjà. Alors, quoi que ces Elus fassent, dégénérés ou non, cela ne change rien à leur destin, à leur vrai visage, comme cela semble être le cas de Gradère. En dépit de tout le mal qu'il a commis, rien n'est venu à bout de ce dessin si pur du front, du nez, de la bouche ; ni le temps, ni les crimes n'ont altéré cette face indestructible.177(*) Et, parce que Gabriel est de ceux- là qui sont donnés à Dieu, rien ne peut changer son destin ; Mauriac peut donc lui faire proclamer : Non je n'avais pas changé : quoi que j'eusse pu accomplir par la suite, je n'avais rien ajouté à mon vrai visage, à mon visage éternel 178(*).

    Ce visage éternel semble être une caractéristique chez les enfants de Dieu. Parlant de cette beauté qui devrait être celle du coeur, Gibran ajoute : La beauté est l'éternité lorsque l'éternité se contemple dans un miroir.179(*) Nous voyons comment la description usitée par Mauriac se déploie de façon indicielle pour marquer subtilement la véritable condition de Gradère, celle de brebis de Dieu. Seulement c'est une brebis perdue, et comme l'affirme Marcellin Vounda :

    La brebis perdue qui fait du souci au Christ, c'est donc l'homme abandonné sans résistance à ses penchants charnels, livré à la concupiscence et à `` toutes les variétés de mensonge, d'égoïsme, de haine, de luxure. [...] c'est, en fin de compte, le pêcheur qui  ``frénétiquement, va jusqu'au bout de sa folie '' en péchant à visage découvert, sans vergogne et sans scrupule.180(*)

    Ce récit conduit donc à la déduction selon laquelle Dieu procure toujours un moyen ou une voie pour sauver Ses enfants, quelque soit la profondeur de leur dégénérescence. Et cet enlisement peut être une voie que Dieu choisit pour l'un et pas pour l'autre. Ainsi cela peut être la dégénérescence morale pour Gabriel, tandis que c'est la sainteté pour Alain Forcas, cet enfant très pur, mais qui [sait] par une connaissance venue de Dieu jusqu'où il était donné à l'homme de s'avilir.181(*) Ces deux voies différentes sont pourvues par le même Dieu pour ramener à Lui ses deux fils : Le premier pour être secouru par le second, et le second pour secourir le premier. De concert avec Jacques Petit, nous croyons qu'un saint dans l'univers romanesque de Mauriac se voit toujours confronté à un criminel dans un diptyque où s'opposent deux types d'anges : le blanc et le noir. Ceux-ci symbolisent la dualité qui existe en tout personnage comme en tout être humain. Il est à la fois ange et bête, comme le reconnaissait l'Apôtre Paul en avouant : Ainsi donc, moi-même, je suis par l'entendement esclave de la loi de Dieu, et je suis par la chair esclave de la loi du péché182(*). Dans le cas présent, l'ange blanc, l'abbé Alain Forcas, n'a pour mission que d'apporter le salut à l'ange noir qui est Gabriel Gradère. Par conséquent, on n'est pas surpris de voir ce moribond condamnable par la justice humaine, être gracié par la justice divine. On voit cet ennemi des âmes183(*) s'endormir dans les bras de Dieu et s'en aller en paix vers le ciel.

    À ce propos justement, Luc l'Évangéliste ne dit-il pas qu'il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pêcheur qui se repent, que pour quatre vingt dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance ?184(*) Jankélévitch justifie cette chose en affirmant pour notre gouverne que les mourants, aussi immoraux puissent-ils être, sont toujours sincères dans leurs confessions, parce que

    [...] ni la honte, ni la jalousie, ni le ridicule, ni aucun sentiment disjoint n'ont plus de raison d'être - car les choses finies s'annulent auprès de l'Infini ; et c'est une fiction de cet ordre qui nous facilite, lors de la confession, la véracité transparente des aveux.185(*)

    Par ailleurs, Ferdinand Bringuet n'est pas moins en relation avec Dieu que ne l'est Gabriel Gradère. Le texte en réalité ne donne pas ouvertement des indices pouvant permettre de répondre à cette préoccupation. Cependant, suite à l'analyse précédente portant sur les rapports entre lui et autrui et entre lui et la nature, nous pouvons affirmer que Ferdinand Bringuet entretient une relation intime avec Dieu. Cela se lit dans sa vie harmonieuse avec son entourage et son environnement. Par essence, Dieu ne sonde que le coeur de l'homme dont le personnage est une image ; et il est souvent dit que la vraie religion c'est la façon de vivre avec son alter ego. Dans cette perspective, l'on peut encore se poser ces questions de Khalil Gibran :

    La religion n'est-elle pas dans toute réflexion et toute action sans être réflexion ni action,

    Mais un étonnement et un émerveillement qui ne cessent de dessiller et d'écarquiller les yeux de votre âme,[...]

    Qui peut séparer sa foi de ses fonctions, ou sa croyance de ses occupations ?

    Qui peut étaler les heures devant lui en disant : « celles-ci je les consacre à Dieu, et celles-là je les réserve pour moi ; ceci est pour mon âme et cela pour mon corps » ? [...]

    Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion.186(*)

    On se rappelle qu'au XVIIIe siècle déjà, Voltaire déclarait que le vrai Dieu [...] demande le coeur et l'esprit 187(*) et ne se soucie guère des cultes civiques, politiques et religieux qu'il abandonne aux hommes. Ainsi, en examinant la vie de Ferdinand, tous les témoignages attestent de son intégrité et de sa bonté. Par ailleurs le narrateur l'assimile à un enfant ; et l'on sait qu'il est dit que le Royaume de Dieu appartient à ceux qui ont un coeur d'enfant. De ce fait, il vaudrait mieux écouter le conseil du prophète qui dit comment connaître Dieu:

    [...] si vous voulez connaître Dieu, sachez qu'Il n'est point une énigme comme vous l'imaginez pour le plaisir de le deviner.

    Regardez plutôt autour de vous et vous Le verrez jouant avec vos enfants.

    Regardez le ciel et vous Le verrez marchant dans les nuées, étendant Ses bras dans les éclairs et descendant en gouttelettes de pluie.

    Vous Le verrez sourire dans les fleurs, puis Se lever en remuant Ses mains dans les arbres. 188(*)

    En considérant la vie de Ferdinand, son interaction avec les autres et la nature, tout porte à croire qu'il n'y a que l'amour qui puisse sous-tendre une telle façon de vivre. Or les Ecritures disent que : Dieu est amour et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. 189(*) Ce sentiment ne peut mieux transparaître que dans la justesse des actions que le personnage pose au quotidien.

    Au total, ce chapitre nous a permis de mettre en lumière les relations harmonieuses qui lient Ferdinand à ses compatriotes. Celles-ci sont opposées à celles qu'entretient Gabriel, parce qu'elles sont spécifiquement conflictuelles à cause de son ambition démesurée manifestée dès son jeune âge.

    Pour ce qui est de la nature, on se rend compte que celle-ci leur est propice à tous les deux, du fait qu'elle est aimante et silencieuse. Malgré tout ce que suppose cet isolement au sein de la nature, il y a une relation sentimentale qui les lie. Cette harmonie avec la nature semble entraîner de manière logique une relation intime avec Dieu chez les deux personnages déséquilibrés.

    Du point de vue de Mauriac, la fusion du personnage avec Dieu est simplement conditionnée par la prédestination. Pour lui, tout n'est que grâce, cette grâce divine ne dépendant pas de la bonne vie que l'on peut mener, mais uniquement de l'élection de Dieu. Par contre, une autre philosophie sourd en filigrane dans le roman de Clavel pour qui, la vie que l'on mène est l'indice véritable de notre relation avec Dieu. Il est de ceux qui pensent que la vraie religion c'est la vie que le personnage mène avec autrui, car c'est à travers cette vie que s'exprime et se manifeste aussi pleinement la dégénérescence morale.

    Cette immoralité qui peut être un legs ancestral, ou l'héritage d'une éducation reçue, se manifeste à travers plusieurs attitudes que l'individu présente. Raison pour laquelle, c'est à travers des variables telles que le costume, le comportement en public ou dans l'intimité, et même le langage usité, que se dénote le déséquilibre mental dont il est sujet.

    CHAPITRE V :

    DU DÉSÉQUILIBRE MENTAL

    Dans sa théorie de la dégénérescence, Morel avance que l'origine des comportements et des maladies mentales est héréditaire. La dégénérescence pour lui, se manifeste par la transmission d'un terrain « taré » d'une génération à l'autre, avec une aggravation de génération en génération.190(*)Ce déséquilibre mental se remarque chez un personnage à travers la défectuosité de son caractère moral, et la perversion qui en découle. Favorisant des comportements troubles, répréhensibles et parfois bizarroïdes qui marquent la dégradation des qualités psychologiques, éthiques et même physiologiques, la dégénérescence morale est un volet de la déchéance mentale. Ce désordre psychique qui est source et conséquence de plusieurs actes délictueux, peut être d'origine héréditaire tel qu'on le voit chez ces personnages. Parlant de cela, Zin affirme :

    Les signes auxquels (sic)191(*) on peut reconnaître la dégénérescence mentale héréditaires sont de trois ordres : intellectuels, moraux et physiques. Les combinaisons multiples de ces symptômes, leurs associations inégales et la prédominance de certains d'entre eux créent ces types excessivement variés de psychopathes dont nous allons décrire les caractères communs, et qui vont de l'idiotie au génie, de l'excentricité à la folie confirmée, de la simple exagération des sentiments jusqu'à l'absence total de morale, de la vertu au crime. 192(*)

    À partir de cette déchéance psychique, naissent souvent des problèmes de conscience, comme on le voit chez ces deux personnages. Selon qu'elle survient comme cause ou conséquence de la dégénérescence morale, on analysera l'action pour ressortir l'éthopée de Gabriel Gradère et de Ferdinand Bringuet.

    Issu du latin actio, le mot ``action'' peut être entendu comme le fait ou la faculté d'agir, de manifester sa volonté en accomplissant quelque chose.

    Parler de leur action, c'est prendre en compte tous les agissements, tous les actes qu'ils posent par rapport à eux-mêmes et à leur entourage, conséquemment aux situations dans lesquelles ils se trouvent. Bourneuf et Ouellet définissent l'action comme le  jeu de forces opposées ou convergentes en présence dans une oeuvre.193(*) Et celle qui est étudiée, semble posée consciemment, d'où le rapport qui sera établi entre les agissements du personnage et la conscience qu'il a de ses actes. Par ailleurs, cette conscience se définira comme ce sentiment intérieur qui pousse l'individu à porter un regard rétrospectif et un jugement de valeur sur ses propres actions ; afin d'en déduire le sens du bien et du mal. Considérant la conscience comme instinct divin, immortelle et céleste voix, Rousseau exalte celle-ci en relevant son importance. C'est le  guide assuré [...] juge infaillible du bien et du mal, qui rend l'homme semblable à Dieu, [qui fait] l'excellence de sa nature et la moralité de ses actions.194(*) Elle agit comme ce baromètre qui mesure, non plus la température atmosphérique, mais celle des actions des personnages. C'est un vieil ennemi195(*) qui ne peut permettre de trouver la paix intérieure tant que l'action posée n'est pas en conformité avec la morale intrinsèque ou la nature. En un mot, on peut dire avec Jean Zin, que les dégénérés mentaux

    [...] pêchent surtout par l'imperfection de leur personnalité morale [...] Cette pleine conscience de soi, l'attribut le plus noble d'un esprit large et bien équilibré et qui est le résultat des perfectionnements de la personnalité humaine accumulés de siècle en siècle, s'en va chez eux morceau par morceau. Cependant, il n'est pas rare de les voir occuper dans la société de hautes situations, remplir des rôles en vue et exercer sur les affaires de ce monde une énorme influence196(*).

    Mettre en rapport l'action et la conscience du personnage dans ces romans, interpelle l'expertise de Greimas qui, dans son modèle actantiel, propose six pôles actantiels dans lesquels se répartissent les acteurs de la narration. D'après cette représentation, un Sujet S (personnage central) recherche un Objet O (ce qu'il désire), avec lequel il cherche à se conjoindre. La réussite de cette conjonction définit le programme narratif (PN), duquel il va ressortir une relation de communication entre le destinateur (ce qui détermine le sujet à désirer l'objet) et le destinataire (but pour lequel le sujet désire l'objet). La quête de l'objet par le sujet va mettre sur son chemin, un adjuvant (Adj), soit un opposant (Opp) comme on a pu le voir dans l'interaction sociale. Sa performance (F) consiste à transformer sa situation initiale de disjonction d'avec l'objet de sa quête (SVO), en situation finale de conjonction (S O).

    Il convient de souligner que cette approche choisie est une approche structurale parmi beaucoup d'autres qui permettent toutes d'appréhender le récit de manière scientifique et objective. Bourneuf et Ouellet le pensent aussi puisqu'en fin de compte [...] l'intention commune est de ramener la multiplicité des intrigues à un nombre limité de modèles197(*). À notre sens, ce choix s'avère judicieux dans la mesure où [...] cette démarche constitue la base d'une étude objective du récit le plus largement que celle d'une science de la littérature. 198(*)

    V-I- Action et conscience de Gradère et de Bringuet

    Gabriel Gradère est un personnage de cinquante ans dont la beauté est un moyen très efficace grâce auquel il atteint tous les objectifs qu'il s'est fixés. Pour quitter la misère dans laquelle le destin l'a fait naître, il séduit sans scrupules des femmes et devient un gigolo. Sa quête pour un niveau social plus élevé et une vie meilleure a débuté très tôt ; et durant tout le récit, il se montre sous son aspect le plus exécrable. Sa quête vers une nouvelle condition sociale l'a tellement obnubilé qu'il fait délibérément le mal, en profitant de son  masque de l'innocence199(*). Dans ce processus qui semble héroïque dans la mesure où la recherche du héros paraissait déjà pertinente [...] à la fois sur le plan métaphysique et psychologique [...] chez Mauriac200(*), l'on voit s'affirmer certains caractères qui, au lieu de rehausser certaines valeurs, semblent plutôt dévaloriser celles-ci. Gabriel apparaît comme un être dominé par une force maléfique qui l'habite et le pousse à faire du mal. Il subit une ascendance négative qui serait due non seulement au pouvoir de son nom Gradère, mais aussi à un problème d'hérédité. Cela se ressent lorsqu'il parle de ses origines :

    Ma mère est morte quand j'avais dix-huit mois. Je lui ressemble. Elle était blanche de peau, fine, d'une autre race que son mari... Je crois savoir sur elle des choses que l'on m'a cachées longtemps : un homme qui a roulé très bas éprouve le besoin de chercher un responsable parmi ses ascendants. Nous sentons tellement que cette puissance pour nous avilir dépasse les forces de l'individu misérable et que pour être entraîné à ce rythme il faut une vitesse acquise et accrue de génération en génération. Que de morts s'assouvissent en nous et par nous ! Que de passions ancestrales se délivrent ! Pour ce geste que nous hésitons à faire, combien sont-ils à nous pousser la main ? 201(*)

    Ceci démontre que sa décadence morale a une origine héréditaire. Pleinement conscient de ses actes, Gabriel use de façon délibérée, de la perfidie et de la malice, en cultivant le mensonge, la corruption, la convoitise et d'autres astuces. Il donne ainsi raison à ceux qui pensent qu'en fait la conscience qui dégénère prend goût à sa propre dégénérescence et trouve à s'éplucher elle-même une sorte d'amère et morose délectation.202(*) Ces puissantes armes s'avèrent efficaces pour son projet. Et son parcours donne lieu au profil actantiel suivant :

    Destinataire

    (O)

    Destinateur

    Pauvreté, concupiscence ----------> Mariage ------------> Bourgeoisie, Richesse

    (OPP)

    ( S )

    (ADJ)

    Adila ---------------> Gabriel ------------> Son père, Aline

    Seulement Gabriel Gradère ouvre le texte par une confession, car il désire se justifier devant le père Forcas, et à priori, seule une mauvaise conscience qui a des choses à se reprocher peut entreprendre une telle initiative. En principe, on ne va généralement à confesse que parce qu'on a des remords causés par la conscience de certains actes posés antérieurement et jugés négatifs. Pour le cas d'espèce, Gabriel a beaucoup de mauvaises actions sur la conscience ; sa confession est un déballage de faits presque monstrueux, pour lesquels il reconnaît qu'il est  enlisé en pleine boue, déjà cadavre203(*). À l'âge de 50 ans, toutes ses actions semblent le répugner et il décide de s'ouvrir à l'abbé Forcas. Pourtant la conscience morale semble souvent se replier sur la personne, et demeurer par là, un mystère si profond que nous hésitons des fois à reconnaître nos fautes. Or à un moment donné, il arrive que cette conscience soit, comme le disait André Gide,

    directement aux prises avec elle-même ; et comme elle ne peut ni se regarder en face, ni se détourner de cette vue, elle est tourmentée par la honte et les regrets. C'est l'un des éléments essentiels de la mauvaise conscience que cette affreuse solitude d'une âme qui a dû renoncer à toute diversion et qui éprouve une sorte d'horreur panique ou d'agoraphobie morale.204(*)

    Cette conscience craint de se sentir nue en présence de l'être même, mais aussi en présence du Seul Témoin auquel elle ne peut se soustraire : L'Omniscience divine. Elle devient alors évaluation et appréciation intuitive des actions personnelles ; d'autant plus que tout ce qui est lié au moi a une valeur bonne ou mauvaise. Ainsi, la valeur d'un acte, d'une intention, d'un sentiment, ou d'un mouvement de l'âme ne désigne pas une particularité structurale ou morphologique, mais comme le dit si bien Jankélévitch, elle intéresse notre ipséité, puisqu' avec chacun de nos actes se joue, en quelque mesure, notre destinée morale.205(*) Aussi Mauriac peut-il insister sur le fait que chaque fois que nous faisons le bien, Dieu opère en nous ; chaque mauvaise action, en revanche, n'appartient qu'à nous.206(*) La conscience de Gradère vient indubitablement à résipiscence ; c'est la mauvaise conscience d'une âme en repentance, et le fait d'en parler à l'abbé Forcas est une sorte de défoulement. Et pour tout dire, la conscience de [cette] misère est la condition de [son] rachat,207(*) puisque cette lucidité qui lui donne conscience de la fugacité et de l'évanescence des désirs obsessionnels de la chair, par rapport à la noblesse du salut éternel, inscrit son destin dans une nouvelle perspective. Seulement, la grivoiserie et la cruauté même de sa confession, nous laissent perplexe quant à son intention véritable,

    [puisqu'] il faut préciser que la confession ne saurait être ni la profession cynique ni la confidence bavarde : faire profession de péché, battre sa coulpe par fanfaronnade, ce n'est pas avouer, mais c'est commettre un péché de plus, un péché d'endurcissement, d'impudence et d'impénitence ; la conscience éhontée, la conscience qui « a toute honte bue », se vautrant dans son scandale invétéré, n'a jamais été mauvaise conscience. 208(*)

    Cependant, nous croyons en sa sincérité, puisqu'il semble que par le principe de la réversibilité des mérites, [ces dégénérés] parviennent au salut. Il n'est pas jusqu'à `` l'ange noir de Gradère'', le personnage le plus sombre de Mauriac qui ne parvienne au salut.209(*) Cette seconde quête est noble, parce qu'après toute cette concupiscence et cette dépravation manifestées, il semble s'intéresser à un nouvel objet : La miséricorde et la grâce divines qui lui étaient dévolues par prédestination, dès avant la fondation du monde. La recherche du salut éternel qui se profile dès les premières lignes de sa confession, donne à voir un deuxième schéma qui permet de ressortir son profil actantiel. Dans ce schéma, le péché va plutôt être le destinateur, c'est-à-dire cette cause qui va le déterminer à faire un autre type de quête :

    Destinataire

    (O)

    Destinataire

    Le péché, le mal ------------> La grâce divine ---------> Le salut de son âme

    (S)

    (OPP)

    (ADJ)

    Adila, Mathilde, Andrès, ---------> Gabriel <---------- Aline, Symphorien, L'abbé Forcas , la nature Catherine Desbats

    La quête de Gabriel n'est pas seulement celle de la richesse. L'on se rend compte qu'après cette quête charnelle, il entreprend une recherche spirituelle : celle du rachat de son âme tombée bien bas. L'action de ce personnage est fluctuante : parti de la misère vécue pendant une enfance impure et malheureuse, il parvient à la bourgeoisie qui ne lui apporte pas non plus le bonheur. Nonobstant tout le mal commis pour se hisser au niveau social tant voulu, il a l'inspiration de se racheter, puisque le remords qu'il semble éprouver le taraude. Voilà ce qui le pousse à tourner ses regards vers ce nouvel intérêt qui paraît plus important. Gabriel Gradère réussit donc à toutes ses entreprises et parvient avant sa mort, à se conjoindre aux objets désirés. Ce qui donne lieu à ce programme narratif positif :

    PN : F(S) [(SVO) ------------------------> (S O) ]

    Ferdinand Bringuet par contre, arrive jusqu'au bord du désespoir. N'ayant presque jamais fait de mal à personne jusqu'à cette fatidique nuit du retrait de l'ennemi, cet homme de soixante et onze ans s'est distingué durant sa vie par de bonnes actions. Le vieux cheminot, malgré sa sénilité, ne veut pas d'histoire. Son seul désir est que le village, jadis si tranquille, retrouve sa quiétude d'antan. Mais le reflux de tant d'années d'humiliations qu'il ne peut plus contenir, aura raison de sa tempérance. C'est ainsi qu'il se révolte et plonge sur le soldat pour garder l'objet qui déclenche le conflit : le vélo pour lequel il a travaillé toute sa vie. Cette vieille mais précieuse bicyclette est considérée comme l'objet de sa quête. Mais celle-ci a pour but final la paix ; raison pour laquelle il essaie de se racheter en proposant lui-même de donner ce vélo, mais il est trop tard. Habituellement,

    [...] il et bien rare que « la voix de la conscience » parle en nous comme un instinct ou pressentiment des tâches à venir, comme une précaution contre ce que nous appelons justement « les cas de conscience » ; elle reste muette au moment où, pour agir, nous attendrions ses oracles ; et elle ne se prononce, reproche dérisoire et posthume, que lorsque l'irréparable est accompli.210(*)

    Contrairement à Gabriel, Ferdinand n'a pas attendu de nombreuses années pour écouter sa conscience. Mais, la machine qu'il a déclenchée, ne peut plus s'arrêter. Ainsi, le schéma qui décrit son profil actantiel est le suivant :

    Destinataire

    (O)

    Destinateur

    La débâcle de l'ennemi --------------> Le vélo ---------------------> Le climat

    de paix d'antan.

    (S)

    Maria, Jérôme, la nature ------------> Ferdinand <------------ Klaus, Joseph,

    (OPP)

    (ADJ)

    La situation de guerre. La mort de Klaus.

    Face au dilemme auquel il est confronté, Ferdinand entame une autre quête : celle de préserver la vie du jeune soldat. Mais il faut choisir entre libérer celui-ci et faire sauter tout le village ! Fusiller les gens, brûler les maisons et tout...211(*). Il opère le choix moral que sa conscience lui impose : sauver son village et tuer Klaus. Cette quête donne un nouveau profil actanctiel :

    Destinataire

    (O)

    Destinateur

    Conscience ------------> survie de klaus ----------- > paix avec sa conscience.

    Humanisme,

    Allocentrisme.

    (ADJ)

    (S)

    Maria ------------------> Ferdinand <---------------- situation de guerre,

    (OPP)

    Joseph, le salut du village.

    L'action de ce personnage est mouvementée, variante et trouble ; par conséquent, il ne parvient à se conjoindre, ni socialement, ni spirituellement aux objets désirés. Cette situation entraîne sa mort, d'où ce programme narratif négatif dans lequel on remarque que le sujet, après toutes les transformations du récit, ne parvient pas à se conjoindre à l'objet.

    PN: F(S) ----------------- (S V O) --------------------- ( S V O ).

    Le corpus confronte deux personnages en dysharmonie mentale : Gradère et Bringuet. Dans leur déséquilibre moral respectif, l'un pèche volontairement et parvient à une position sociale plus élevée ; et l'autre, malgré le fait malgré lui, en se souciant même de son ennemi, sans pouvoir atteindre son but. Gabriel est semblable à un homme d'affaires véreux pour qui tous les moyens sont bons à condition d'être efficaces, alors que Ferdinand paraît être un homme de coeur. Jankélévitch conclut en parlant des deux types de personnages que : l'homme d'affaires veut son propre bien, un point c'est tout, et l'homme de coeur veut le bonheur de l'autre.212(*) Seulement il s'avère que les deux vont parvenir au crime, qui marque pour chacun, une étape particulière dans leur décadence psychique.

    V-2- Le crime dans Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux

    Dans le contexte romanesque, on parle de crime lorsqu'il y a assassinat de personnage. Et Camus distingue dans l'homme révolté213(*) deux catégories de crimes : Les crimes de passion inspirés par l'amour ou par tout autre sentiment excessif, et les crimes de logique qui peuvent avoir des mobiles d'ordre politique. Cependant quel que soit le motif qui le sous-tend, tout crime est punissable et se rapporte à la notion globalisante de mal. Or dans toute société l'on se rend compte que  [...] les crimes eux-mêmes appartiennent à l'ordre de la nature et il n'existe plus de différence pensable entre ce qui est et ce qui devrait être.214(*) Ce qui montre que la déchéance morale dans les sociétés, va toujours grandissante. Aussi Gabriel est-il en droit de demander à Mathilde : Crois-tu donc qu'il n'existe d'autres crimes que ceux des journaux ? Connais-tu la proportion des meurtres impunis?215(*) C'est pourquoi, le concept de mal qui comporte le crime présente l'avantage d'englober tous les phénomènes que l'on qualifie habituellement de mauvais : injustice, perversion ou même assassinat.

    Dans le corpus, le crime est cause et conséquence de la dégénérescence morale chez Gabriel et Ferdinand. Différents chefs d'accusation possibles seront relevés à cause des mobiles divergents, car le meurtre ne se passe pas de la même manière pour Aline et pour Klaus. Le crime sera donc vu sous deux aspects : le meurtre avec préméditation et l'homicide involontaire. En effet,

    Les tribunaux disposent d'ores et déjà d'une théorie du comportement [...] et des méthodes pour faire la lumière sur les actes et les motivations, le tout constituant un cadre juridique qui leur permet de déterminer les responsabilités. En cours d'assises par exemple, l'accusation doit prouver que le prévenu a commis un crime, mais aussi qu'il avait l'intention de le commettre. Il faut, pour prononcer la condamnation, être en mesure de présenter les preuves objectives et subjectives démontrant la mens rea, l'intention de commettre le crime.216(*)

    Ces crimes entraînent la mort d'un personnage ; ce qui demandera que l'on s'arrête sur l'autre forme de mort du personnage qui existe dans le corpus : le suicide qui est aussi une conséquence de la dégénérescence morale chez Ferdinand Bringuet.

    Le crime dans Les Anges noirs est commis par Gabriel Gradère qui, pour se débarrasser d'Aline qui exerce un chantage incessant sur lui, se transforme en assassin. Pour riposter et éviter d'être la proie facile de cette femme qui a décidé de  le perdre, Gabriel va chercher des voies et moyens pour se défaire de son ex-complice. Aussi, va-t-il planifier la mort de cette dernière qui est sollicitée par Symphorien Desbats qui croit fermement que  Ce Gradère est bien fort... Oui mais pas contre Aline. Voilà vingt ans qu'elle le tient et qu'il n'a pu lui faire lâcher prise.217(*) Malheureusement pour lui, Mathilde à qui il dévoile le plan va prévenir Gabriel. Le lundi prévu pour l'arrivée d'Aline à Liogeats, Gabriel téléphone à Catherine en contrefaisant la voix d'Aline. La voix précise qu'elle n'arrive plus le lundi, mais plutôt le jeudi suivant. Catherine ne se doute de rien et Gabriel entreprend d'accueillir celle-là même qu'il va assassiner. Tout ceci présente le plan bien organisé d'une action mûrement réfléchie qui va aboutir au meurtre. L'ayant conduite dans un lieu désert situé au coeur de la forêt, il va en découdre une fois pour toute avec elle : 

    - C'est une sablière abandonnée, explique tranquillement Gradère. Nous sommes arrivés.

    - Arrivés ? Balbutie t-elle.

    Il ne la tenait plus. Où aurait-elle fui ? Il est tranquille désormais. Il écarte les pattes et laisse courir sa proie, un peu, à la distance d'un bond.

    - Oui ma cocotte, on s'est bien aimé, rue Lambert ; et depuis... tu m'as bien plumé aussi... Ce n'est pas un reproche : plume à plume. Et la dernière arrachée après vingt cinq ans, que voulais-tu faire de ton vieux poulet, dis, ma belle ? [...] Et il l'entraîna en avant sur la pente où tout de suite elle s'abattit en hurlant. Mais lui, avec une brusque rage, la poussait des pieds et des mains comme il eut fait d'une barrique. Elle était déjà suffoquée, à demi évanouie quand elle atteignit le bas de la pente. Il se coucha sur elle, bien à son aise, l'écrasant de tout son poids, et ce geste de lui serrer le cou, si souvent accompli en imagination, il l'acheva enfin, sans aucune hâte. 218(*)

    La métaphore de Gabriel assimilé à un animal, à un prédateur qui s'amuse avec sa proie, semble bien indiquée dans la mesure où le crime se déroule dans la forêt qui servira de cimetière à Aline. Dans ce cas, on peut parler de meurtre avec préméditation puisque Gabriel a bien préparé cet acte délictueux dont il rêvait depuis de longues années. Ce crime apparaît comme étant l'apogée même de cette déchéance morale commencée plus d'un quart de siècle auparavant et qui n'a cessé de s'accroître. Conséquence directe, la dégénérescence morale est la cause même du crime.

    Dans La Retraite aux flambeaux, c'est par hasard, ou mieux, par la main du destin que ce soldat se trouve sur le chemin de Ferdinand, puisque tout ce que ce vieil homme souhaite, c'est de voir les troupes étrangères se retirer. Il le dit si bien : Quand le dernier sera parti, on pourra respirer. Pas avant ! 219(*) Face à Joseph qui ne cesse de répéter : Si vous tirez pas ce coup-ci, vous serez obligé de le tuer autrement...si vous tirez pas, tout le village y passe... et vous serez responsable 220(*), il fait le choix du patriotisme. En protégeant ses compatriotes, Ferdinand agit contre sa morale et sa conscience. Mais comme le reconnaît si bien Barreau : Existent en morale des biens supérieurs à la vie de l'individu : la vie de l'autre, la survie de la cité, la dignité de l'individu sont des biens pour lesquels, il est raisonnable de risquer sa vie individuelle.221(*) Ce grand pacifiste, conscient de cette lourde responsabilité morale, va contre son gré, commettre l'acte fatal et devenir un meurtrier. Ce crime paraît logique, et est commis sous la contrainte ; nous pouvons alors parler d'homicide involontaire.

    La conscience morale de ce personnage lui interdit de faire le mal, même à un ennemi. Mais cette même morale démontre aussi qu'il est préférable de sacrifier une seule vie pour en sauver plusieurs, car la morale doit forcément être une morale du moindre mal. Toutefois, ce crime comme tout crime d'ailleurs, ne sera pas sans conséquence, puisqu'après chaque acte délictueux, le remords naît après pour nous châtier222(*). C'est justement ce qui arrive à Ferdinand dont le crime marque le début de la dégénérescence morale et physique.

    En plus de la perte de la force vitale, de la joie et de l'envie de vivre, jean Zin souligne d'autres symptômes psychologiques chez ces individus, à savoir : la perte d'intérêt, de désir, de motivation. L'humeur devient changeable, le sujet devient irritable, et vit dans un état dépressif, pessimiste et suicidaire. On constate aussi une diminution des fonctions cognitives, des capacités de concentration, et de la mémoire.223(*) Alors que certains comme Gabriel développent une intelligence remarquable, chez d'autres, persiste un état enfantin des facultés intellectuelles qui les gardent dans des illusions et un monde imaginaire.

    Il se trouve effectivement que le dérèglement moral de ces protagonistes va de paire avec la décrépitude physique, puisque Gradère et Bringuet sont de grands malades. Le premier l'est depuis son jeune âge ; d'apparence et de nature fragiles, il a les poumons en piteux état et le médecin ne lui donne plus beaucoup de temps à vivre. Le second est versé dans un tel désordre psychique, qu'il devient insomniaque et souffre de monomanies, de psychoses et de délires vésaniques. En dehors de l'âge avancé qui est déjà une cause de dégénérescence physique, ce délabrement physiologique, semble n'être en fait, qu'une pâle transposition de la tourmente interne qui les habite. Non pas qu'ils soient malades, c'est simplement qu'en tant que dégénérés héréditaires, ils souffrent de maux spirituels que Seul, Christ, le Grand Médecin et Sauveur des âmes peut guérir.

    Cependant, relevons le fait que dans un meurtre, celui qui a été assassiné n'est pas irresponsable d'avoir été assassiné.224(*) Effectivement, Aline n'est pas étrangère à ce qui lui arrive. Après avoir mené une vie dissolue, sujette elle-même à la dégénérescence morale, elle n'a plus pour arme que le chantage. Et dans le dessein de perdre Gradère, elle a plutôt perdu sa vie. Elle est donc formellement une cause de son propre malheur. C'est le même cas pour Klaus qui se trouve être lui aussi à l'origine de sa propre fin, puisque cette hypothèse s'est confirmée durant les études détaillées de Katz.225(*) Celui-ci a découvert que le coupable est très souvent en proie à l'humiliation et voit dans son méfait un acte de vengeance. D'après lui, dans bon nombre de crimes comme ceux qui ont été commis par ces protagonistes, il y a un engrenage honte-fureur qui s'est déployé en filigrane ; d'où le processus de la déchéance. Scheff a tôt fait de conclure que

    [...] « Le meurtrier en puissance fait toujours l'expérience d'un certain processus affectif. Il lui faut transformer » en fureur aveugle ce qu'il ressentait initialement comme une perpétuelle humiliation. » plutôt que de reconnaître sa honte, le meurtrier la dissimule sous la fureur, franchissant ainsi le premier pas qui le précipite dans l'engrenage honte-fureur et le conduit inexorablement au meurtre.226(*)

    Depuis cet acte inoubliable, la vie de Ferdinand a changé. Lui qui aimait la nature, les espaces ouverts et la liberté, vit désormais claquemuré dans sa maison. Sa santé s'est fragilisée et le narrateur le présente deux ans après ce malheureux événement. Il est si profondément anéanti qu'il subit une déliquescence morale qui se répercute sur son physique. Il souffre désormais de psychoses, de névropathie et de delirium tremens. C'est ainsi qu'au soir du 14 juillet, alors qu'il continue de revivre le passé, les lampions de la retraite aux flambeaux vont complètement jeter le trouble dans son esprit déjà perturbé. Lorsque la fanfare et tout le cortège s'ébranlent dans la rue des Bringuet, ce tumulte le réveille et il revoit immédiatement les événements de cette nuit cauchemardesque qu'il n'a pas oubliée. Dans cette confusion, il croit que c'est l'armée allemande qui vient lui réclamer Klaus. Maria essaie en vain de le calmer :

    - Ferdinand, retourne te coucher.

    - coucher ? T'es folle... Y vont tout casser... Ils arrivent. Tu les entends pas ? [...].

    - Les camions allemands.

    - Non, non. Viens. Faut aller leur dire où il est... on peut pas laisser ce gamin dans la cave.

    - Mais il n'y a personne dans la cave. [...]

    - Vont foutre le feu au pays, je te dis. S'ils le trouvent pas, y foutront le feu. Et ce sera notre faute.

    Mais non, Ferdinand. C'est la retraite. La fête. Tu sais bien...ça fait deux ans227(*).

    Ce trouble est tellement important, qu'il entraîne finalement la mort du héros. Deux ans auparavant, lorsqu'ils se sont débarrassés du corps de Klaus, tous avaient oublié de se séparer de son pistolet. C'est donc avec cette arme oubliée dans la cave cette nuit là, qu'il va mettre fin à sa vie. On assiste à une autre forme de mort  qui est le suicide. Il n'est pas dans un état normal, mais cet acte est tout aussi mauvais que n'importe quel crime, puisque de toute manière, tuer est un mal [...] Tout meurtre est mauvais, ainsi que tout suicide. 228(*)

    Somme toute, en parlant de crime, Gabriel commet un meurtre avec préméditation, alors que Ferdinand fait un homicide involontaire, et parvient au suicide. Toutefois certains pensent que Tuer peut être un moindre mal quand il est impossible de faire autrement229(*), comme Ferdinand l'a fait pour son village. Et les deux personnages peuvent bénéficier de circonstances atténuantes ; parce qu'on comprend que l'homme libre peut tuer quand c'est nécessaire à la dignité ultime de la conscience. Il connaît les limites intangibles du bien et du mal pour éviter un mal plus grand. On constate que l'étude de l'action criminelle s'est ajustée de façon rectiligne à la qualité de l'interaction de Gabriel et de Ferdinand ; ce qui permet de faire une ouverture sur leur portrait psychologique.

    V-3- Ethopée de Gabriel Gradère et de Ferdinand Bringuet.

    Ressortir l'éthopée dans un texte revient à mettre en exergue le portrait moral des personnages. Il s'agit non seulement d'observer les agissements, les réactions et les conduites de Gabriel et de Ferdinand, mais aussi et surtout de prendre en compte les témoignages faits par eux-mêmes et par les autres personnages. C'est l'intersection de ces deux notions, paroles et actions, qui nous permettront d'avoir une grande marge d'objectivité dans notre analyse. Les actions des personnages et l'interaction sociale ayant déjà été étudiées, il faudra mettre un accent particulier sur la parole, car le personnage est souvent ce qu'il dit de lui-même et des autres, et ce que les autres affirment à propos de lui.

    Dans Les Anges noirs, les actes que pose Gabriel, et ses rapports avec les autres, prouvent qu'il est un personnage intelligent, vicieux et opportuniste. C'est un corrupteur, pire un profiteur qui se sert des autres et de leurs faiblesses pour atteindre ses ambitions. C'est ainsi qu'après avoir vécu grassement auprès d'Aline, il a pu se marier pour être socialement à l'abri ; ce qui fait de lui un coureur de dot. En plus, c'est un personnage grossier et ironique qui tient un langage dépréciatif et caricatural sur les autres. La description qu'il fait d'Adila en est un exemple patent. Au delà de tout, il est cruel, machiavélique, sarcastique et hypocrite ; le pire est qu'il semble s'en vanter : 

    [...] j'ai commencé à faire le mal les yeux ouverts, avec une attention, une application incroyables. [...].

    Je vous fais grâce, monsieur l'abbé des ruses plus savantes d'année en année dont j'usais contre Adila. Bien qu'une telle corruption soit faite pour surprendre chez un être aussi jeune, [...] mais le plus étrange fut que je parvins sans peine à la persuader de mon entière innocence et qu'elle n'eut pas le moindre soupçon. 230(*)

    Après examen, nous pensons comme Jacques Petit que c'est Gradère qui paraît d'abord ; le plus sombre des personnages de Mauriac «  perverti dès l'enfance, sacrilège, proxénète, souteneur, voleur, maître- chanteur, assassin »231(*). Cet avis est soutenu par plusieurs personnages, tels que Symphorien Desbats qui dit de Gabriel qu'il est un misérable, un assassin. Son fils Andrès, lui-même n'est pas en reste ; il découvre lui aussi l'égoïsme de ce père tant admiré. Pour l'abbé Alain Forcas, c'est un  ennemi des âmes.232(*) Ce qui amène à la conclusion selon laquelle, [...] l'enfance de Gabriel et sa vie criminelle apparaissent sataniques, parce qu'il a le sentiment de cette présence du Mal en lui, de cette perversion antérieure à toute conscience et de cette « réussite » qui par instants l'effraie. 233(*)

    Pour ce qui concerne Ferdinand Bringuet, tous, narrateur et personnages témoignent de sa bonté, de son intégrité et de sa simplicité. Parlant de lui-même, Ferdinand fait cet aveu : J'suis pourtant pas difficile. 234(*) C'est un homme très simple qui prend la vie du bon côté, et qui se satisfait de sa modeste condition. Contrairement à Gabriel Gradère, on ne note chez lui aucune ambition démesurée ; cependant on soulignera son impulsivité, car face à Klaus il perd toute maîtrise et réagit sans réfléchir. Il l'avoue d'ailleurs à son ami Jérôme : J'voulais pas tuer ce gamin, mais j'voulais pas qu'il me pique mon vélo...J'sais pas ce qu'y m'a pris...j'ai pas réfléchi. [...] Sa voix tremble comme s'il allait se mettre à pleurer.235(*) Malgré cette impulsivité, c'est un homme humble, bon et travailleur. Un altruiste qui à la fin est reconnu comme un patriote et un héros.

    Au bout compte, Ferdinand Bringuet apparaît complètement différent de Gabriel Gradère non seulement sur le physique, mais aussi sur le plan psychologique. Dans leur dysfonctionnement moral, leurs consciences et leurs qualités éthiques s'opposent ; c'est la raison pour laquelle leurs crimes ne sont pas sous-tendus par les mêmes mobiles. Le premier commet un meurtre intentionnel alors que le second tue involontairement et finit par se suicider. Cependant ce qui semble surprendre c'est plutôt la fin inattendue des deux personnages. Ferdinand Bringuet commet un homicide involontaire et meurt dans des circonstances dramatiques ; a contrario Gradère commet un meurtre avec préméditation, et meurt réconcilié avec Dieu comme l'un des deux brigands crucifiés avec Jésus. La pensée et la parole du protagoniste sur lui-même et sur les autres, permettent de décrypter son caractère moral. À cela s'ajoutent son action et l'avis des autres personnages sur lui ; ce qui démontre que le dégénéré est ce qu'il fait, ce qu'il dit et ce que les autres disent de lui.

    CONCLUSION

    Cette étude consistait à analyser et à comparer deux personnages : Gabriel Gradère, des Anges noirs de François Mauriac, et Ferdinand Bringuet, de La Retraite aux Flambeaux de Bernard Clavel. Au départ, nous étions en proie à des préoccupations relatives au problème de dégénérescence morale dont ils sont sujets. Il fallait donc expliquer les tenants et les aboutissants de leur déchéance psychologique, c'est-à-dire connaître les catalyseurs de cette décadence morale. Pour trouver l'origine de ce fléau, l'hypothèse de départ avancée, donnait comme postulat, l'environnement social ; ce qui en fin de compte s'est avéré exact. Seulement, cela est vrai en partie, puisqu'il a été clairement établi que la décadence morale n'est pas seulement liée au milieu de vie et à l'éducation que le sujet reçoit ; ce dysfonctionnement psychique peut être aussi dirigé par un déterminisme héréditaire.

    Ces deux textes romanesques nous ont permis d'abord d'avoir un aperçu sur ce qu'est la dégénérescence morale ; ensuite, on a pu comprendre que le déclin moral pouvait avoir des causes parfois insoupçonnées et même éloignées dans le temps. Un individu peut en effet avoir subi des traumatismes physiques ou moraux dans son enfance, et pour avoir été longtemps refoulées, ceux-ci peuvent resurgir à l'âge adulte. Nous avons également dégagé le rôle capital que joue la conscience en tant que juge infaillible du bien et du mal dans ce processus de décrépitude morale. Il a été démontré que ces personnages, face à certains obstacles et poussés jusqu'au bout de leurs derniers retranchements, étaient obligés d'accomplir l'acte fatal ; l'acte criminel qui chez Gabriel Gradère, consacrait la déchéance, et chez Ferdinand Bringuet, marquait plutôt le point de départ de sa déliquescence morale.

    En clair, il a été établi que la dégénérescence morale est un grand catalyseur d'actes délictueux ; par conséquent, c'est un danger important pour la vie en société tant sur le plan individuel que collectif. Pour parvenir à nos fins, nous avons convoqué l'expertise de plusieurs théoriciens, et parmi ceux-ci, Hamon et Todorov ont particulièrement captivé notre attention avec leurs analyses. Le premier pour son étude détaillée du personnage, dans Pour un statut sémiologique du personnage, et le second pour la pertinence de son étude de l'oeuvre littéraire en tant que structure abstraite, faite dans Qu'est-ce que le structuralisme ? Cette grille d'étude, à notre avis bien adaptée à l'étude, nous a ainsi permis de mieux cerner les contours de la dégénérescence morale, liés aux problèmes de morale et de conscience présents dans les deux récits. Ceci a été possible grâce à l'analyse faite à travers les structures romanesques que sont les personnages, l'espace et le temps.

    Partie sur la base selon laquelle la dégénérescence morale ne pouvait nous être présentée que par une vision précise, nous avons trouvé légitime d'ouvrir cette étude par un chapitre consacré à la perspective narrative et à la focalisation. Nous retenons de cette partie que la voix narrative qui raconte l'histoire de Gabriel Gradère dans l'oeuvre de François Mauriac, choisit de le faire d'une voix impersonnelle et d'un point de vue objectif. Il en est de même pour Ferdinand Bringuet, personnage de Bernard Clavel, dont le drame nous est relaté et projeté par une voix et un regard de nature impartiale.

    Durant le travail, nous avons constaté dan le deuxième chapitre que Gabriel Gradère et Ferdinand Bringuet sont deux êtres dissemblables, tant sur la plastique que sur le caractériel. Et à cause de ces personnalités différentes que prévoyait déjà la signification de leurs noms, le phénomène de dégénérescence morale va se présenter, tout au long des intrigues, comme un processus allant grandissant. Il sera perçu sous deux aspects : d'abord comme étant cause, et ensuite conséquence de l'acte criminel qui va marquer les vies de Gradère et Bringuet. On aura compris qu'un personnage sous l'influence de plusieurs facteurs tels que la misère, l'humiliation, l'impulsivité, le fanatisme, l'ambition démesurée ou pire encore l'hérédité, peut devenir un dégénéré moral. Et ce déséquilibre entraîne ordinairement le dysfonctionnement de tout le mental qui se répercute sur la physiologie du sujet, lorsque ce n'est simplement pas le processus inverse qui se produit.

    De l'étude sur l'univers de l'action, dans laquelle l'organisation et l'influence spatio-temporelle ont été mises en relief, nous avons souligné une nette prédominance des espaces oppressants et délétères. Ceux-ci mettent la vie des protagonistes en jeu et favorisent le processus de déchéance par la perpétration des meurtres. Cela semble symboliser ces situations sans issues auxquelles sont confrontés les personnages ; c'est une espèce de piège sans fin qui se referme sur eux. Ils vivent continuellement sous une pression intense du début à la fin des récits. Ainsi, la topologie dans le corpus est une image, une expression du désordre psychique dans lequel se trouvent nos deux personnages. Dans chacune de ces oeuvres, la présence d'un macro-espace et de divers micro-espaces est visible ; en inventoriant ceux-ci et en les étudiant, François Mauriac et Bernard Clavel donnent à voir respectivement dans ces deux romans, des repères spatiaux géographiquement réels. On remarque dans les deux romans, que c'est la campagne qui tient lieu de décor ; et les deux auteurs n'éprouvent pas la même attraction pour les lieux clos. Par ailleurs, le temps, avec ses éléments atmosphériques et climatiques, se présente comme un adjuvant facilitant aussi le crime et protégeant les personnages contre leurs ennemis. Raison pour laquelle, on souligne chez les deux auteurs, une importante récurrence du champ sémantique de l'obscurité et la présence des actants que sont la pluie et la nuit.

    La dégénérescence morale apparaît chez Gradère, comme étant son plat préféré; il a la pleine conscience de cette seconde nature. Et cela semble être paradoxalement la voie qui lui permet de rechercher la face du Dieu miséricordieux. En somme, c'est un dégénéré intelligent alors que Ferdinand est compté dans la catégorie des dégénérés idiots. Pour ce colosse sénile, le crime commis est une tâche indélébile qui, par la main du destin, semble surgir dans sa vie presque sanctifiée. Seulement la lecture profonde que fait Cullerre de ce phénomène, a permis de comprendre qu'en réalité, ce vieux cheminot, en dehors de sa sénescence, présentait déjà des caractéristiques et des prédispositions à la dégénérescence mentale héréditaire. Ce qui favorise son dérèglement psychologique et physiologique ; au point où, devenu totalement psychotique et surtout paranoïaque, il se donne la mort. Il paraît donc très proche du coupable-innocent dont parle Jankélévitch, un personnage agi et non pas agissant, un individu manoeuvré qui subit la fatalité inhérente à l'entraînement d'une première décision,236(*) celle qui l'a poussé à se jeter sur le soldat.

    Dans nos analyses, trois types d'actes entraînant la mort du personnage ont été soulignés : le meurtre avec préméditation, l'homicide involontaire et le suicide. Le meurtre avec préméditation est commis par Gabriel Gradère, qui atteint l'acmé de sa décadence morale. Le meurtre de Klaus, le soldat allemand, commis par Ferdinand, rentre dans le cadre de l'homicide involontaire et marque l'origine même de la déliquescence mentale qu'il subit. Celle-ci va croissante si bien qu'elle le rend schizophrène et son paroxysme sera atteint par son suicide.

    Ces deux textes de nature narrative montrent la transcendance de certains événements qui surviennent indépendamment de la volonté de l'individu, et sont dirigés simplement par une puissance au-delà de l'entendement humain. D'où la problématique du sort et de la prédestination développée en filigrane dans les textes. Tout oppose les deux personnages, mais à cause de la prédestination, ils semblent tous guidés par la même puissance divine. Il subsiste dans ces oeuvres, une lutte métaphysique entre des forces du Bien et du Mal qui évoluent toujours ensemble. Dans Les Anges noirs, ces forces sont représentées par l'abbé Alain Forcas et Gabriel Gradère. Dans La Retraite aux flambeaux, elles sont symbolisées par Ferdinand Bringuet et la guerre (les allemands).

    La dégénérescence morale apparaît donc comme le conflit qui naît de la confrontation entre le Bien et le Mal, et celle-ci a pour principal lieu de combat la pensée humaine, d'où l'étude de la conscience. La morale joue le rôle de régulateur des actions que l'on pose. À son tour, la conscience intervient comme le juge qui sanctionne : elle est l'arbitre de ce combat permanent qui se déroule chez le personnage comme chez l'homme ; d'où le concept de libre-arbitre souvent utilisé. Les personnages comme les êtres humains sont tenus de vivre ensemble et chacun fait usage de son libre-arbitre pour choisir les actes qu'il pose. Cependant, pour orienter les uns et les autres, chaque société a établi ses règles de morale, parce que toutes les législations du monde et celle du Cameroun en particulier, ont justement fait du code pénal le censeur des comportements immoraux et le régisseur de la vie en société.

    Il est aussi clair que cette morale permet à l'homme d'échapper à la sauvagerie qui semble lui être propre, car sans la morale, la barbarie humaine peut à chaque instant resurgir. Dans ce cas, nous croyons que seul le respect de la morale peut faire reculer l'horreur et les ténèbres. S'il est évident que la morale n'est pas la chose du monde la mieux partagée, l'on avait réellement pensé jusqu'ici qu'elle pouvait se transmettre par la voie de l'hérédité, mais uniquement par le chemin beaucoup plus aléatoire de l'éducation. Or cela n'est pas toujours fondé, dans la mesure où l'héritage génétique a une part belle dans la formation de la personnalité de l'individu. En effet, Cullerre insiste sur le fait qu'une bonne éducation, quelque soignée et rationnelle qu'on la suppose, n'a jamais réformé des tendances vicieuses et pathologiques, et n'a jamais changé un dégénéré immoral en un homme vertueux.237(*)

    Si notre éducation moderne a fait de la préservation de la vie individuelle l'alpha et l'oméga de sa morale, elle n'a pu s'inspirer que de l'ensemble des lois divines, source de toute morale qui nous enseigne, entre autres, d'aimer son prochain comme soi-même. Il semble que la morale qui tire ses origines des lois divines, soit un principe inscrit dans le coeur de chaque individu. Seulement, cela n'empêche pas de voir régulièrement dans les communautés humaines, des cas de dépravation de moeurs et de déviances prononcées qui, quelquefois, font penser qu'il existe des individus sans conscience. Ce qui paraît invraisemblable dans la mesure où le meilleur de tous les casuistes est justement la conscience. Alors s'ils sont lucides par rapport à ces choses, posons-nous la question de savoir s'ils ne sont pas simplement des dégénérés mentaux qui subissent l'influence d'une hérédité néfaste à laquelle, Seul Le Christ peut les soustraire. Cependant, il ne faudrait pas que l'héritage génétique soit donné comme un pâle prétexte à chaque comportement immoral, tel qu'on en voit actuellement dans toutes les sociétés.

    Néanmoins, il existe des voies et moyens pour stopper ou du moins freiner certains élans malveillants et pathologiques, qui aboutissent à des abominations. Et c'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles chaque système religieux s'est fondé sur les Saintes Ecritures, pour instaurer sa casuistique et limiter de telles occurrences. C'est donc en s'appuyant sur la casuistique du catholicisme, cette partie de la théologie morale qui s'attache à résoudre les cas de conscience, que Mauriac peut faire de Gradère, cet ange déchu et en perpétuelle dégradation comme le dit son nom, un homme réconcilié avec Dieu et heureux de s'en aller vers le ciel.

    La mort semble être dans les deux romans, un soulagement pour les personnages ; elle met alors fin à leurs tourments et les installe dans les voûtes célestes. Mais c'est surtout l'issue de secours qui permet d'éradiquer le problème de dégénérescence mentale qui s'est installé en eux. Ainsi, ce sommeil éternel apparaît comme le seul moyen de mettre fin aux troubles psychotiques et psychiques dont souffre Ferdinand, et desquels rien ne semble pouvoir l'affranchir. Mais la dégénérescence morale concerne aussi Aline et bien sûr, Klaus qui tue sans jamais éprouver aucun pincement au coeur, aucun remords ; seul son décès peut mettre fin à cette autre manifestation de la décadence mentale. Clavel pose par là, le grand problème de la guerre et de l'atmosphère instable qu'elle charrie. C'est ce climat qui règne en permanence dans le monde entier, entraînant le plus souvent la décadence morale et physique chez certains êtres ; et causant la mort d'innocentes victimes comme Ferdinand Bringuet et Klaus Bürger.

    Comme le déplorait déjà Camus dans la Peste et comme le fait toujours Clavel dans plusieurs de ses romans, la guerre est destructrice et suppose non seulement l'isolement des nations l'une par rapport à l'autre, mais aussi l'engloutissement à l'intérieur d'elles-mêmes. De plus, ce fléau qui est une illustration de la dégénérescence morale, annihile la volonté de l'être, occasionnant ainsi une fidélité aveugle qui réduit au silence la raison et l'opposition comme c'est le cas chez le jeune Klaus Bürger. Cela pose aussi du même coup le problème des enfants-soldats que le monde contemporain connaît, et qui paraît de plus en plus recrudescent parmi certains Etats belligérants.

    Ces guerres symbolisent le Mal et marquent la scission entre les peuples. Cette disjonction semble avoir pour principale cause l'absence d'amour entre êtres humains ; et si le Mal est à la lettre l'absence de Bien, nous pouvons en déduire que c'est le manque d'amour qui entraîne cette crise de bonté dans les coeurs. Or cette sécheresse est dans un sens une forme de mort, puisque l'amour est le ciment de toute morale. C'est ce sentiment qui rend possible l'unité des coeurs et l'existence des vertus et des valeurs humaines.

    Cette qualité entraîne la patience, la tolérance, l'estime de soi et des autres, et par ricochet la paix et l'harmonie au sein même des sociétés. Par conséquent, son absence peut être la cause de nombreuses déviations comportementales dans l'individu et par extension dans la société ; d'où la dégénérescence morale. Celle-ci commence par un individu et va se transmettre et perdurer à travers de nombreuses générations. Cette déchéance qui devient souvent collective, débute toujours individuellement, comme c'est le cas chez nos personnages, pour se répandre parmi les collectivités.

    Au centre de la vision du monde de Mauriac, créateur de ces mal-aimés que nous voyons évoluer dans Les Anges noirs, il se trouve paradoxalement le problème de l'amour. L'amour, qui est en fait le nom de Dieu que balbutie Louis en mourant dans Le Noeud de vipères, existe dans le monde que Mauriac dépeint. Ce monde dans lequel doivent évoluer créateur et personnages, images des hommes que nous sommes, est cependant marqué par le péché. Comme le médite Alain Forcas en lisant le cahier de Gradère, ce péché se présente sous la forme de la décadence morale qui sévit sous le règne du Mal et même de Satan. Dans ce roman noir peuplé de mal aimés, de personnages déformés dans leur affectivité, déçus par la vie, trahis par les autres, voués au mal, mais assoiffés d'amour, il sourd en filigrane un autre thème presque aussi constant chez l'auteur : le rachat de l'Homme. Le rachat de ces mêmes mal-aimés par ceux qui, à l'image du Christ, prennent sur eux de souffrir, de s'offrir pour les autres et de refléter dans ce monde, l'amour agapao de Dieu pour ses brebis égarées.

    Ce même hymne à l'amour est repris différemment, dans La Retraite aux flambeaux, où Bernard Clavel, en récriminant la guerre dont on connaît parfaitement les retombées dramatiques, nous démontre combien celle-ci peut imposer des choix difficiles. De ce fait, il a su recréer cette atmosphère électrique et équivoque de la guerre qui s'effiloche, pour montrer que celle-ci est une réalité que certains peuples désirent souvent de toutes leurs forces, et que quelques autres refusent sans pouvoir rien faire pour lui barrer la route. En clair, ce récit résonne comme un sourd et non moins violent réquisitoire contre la guerre et un appel au pacifisme.

    Dans Les Anges noirs, et La Retraite aux flambeaux, on note une certaine dislocation psychique des deux personnages. Bien que survenue à des moments et pour des causes divergentes, cette dysharmonie psychique aboutit à des conséquences identiques : le crime, l'atteinte à la vie d'autrui. L'assassinat marque le trait d'union entre les deux personnages dégénérés qui pourtant au départ, hormis leurs modestes origines, sont diamétralement opposés. Mauriac et Clavel stigmatisent le péché qui est en fait le Mal, en employant des thèmes différents. Ils prônent des valeurs telles que la tolérance, la compassion, l'altruisme, le pacifisme et le respect de la vie humaine que nul n'a le droit de supprimer. Et toutes ces valeurs morales n'ont pour seule source que l'amour du prochain, et pour seul but qu'une vie saine et harmonieuse au sein des communautés humaines.

    Alors, si François Mauriac et Bernard Clavel ne se sont pas rencontrés physiquement, ils se sont certainement retrouvés en pensée, puisqu'ils se rejoignent étrangement sur le plan idéel. Ils peignent inexorablement les réalités toujours actuelles auxquelles sont confrontées toutes les communautés humaines. Réalités qui ont pour véritable origine, le manque d'amour, de tolérance et de magnanimité, cause essentielle de la dégénérescence morale.

    Et parce que l'oeuvre romanesque devient un procès-verbal, rien de plus ; [puisqu'] elle n'a que le mérite de l'observation exacte238(*), le rêve que caressent ces deux écrivains est donc celui d'un monde de paix avec des individus ayant en eux la crainte de l'Être suprême ; Lui qui est la source de toute morale et dont la caractéristique principale est l'amour. Ce Dieu qui revêt diverses formes pour venir au secours de l'homme, est le Seul Grand Médecin qui peut délivrer des liens de l'hérédité, aussi puissants soient-ils. Ainsi, l'univers réel dans lequel l'homme évolue, pourrait être délivré de toutes les formes de dépravations et de déviations, de plus en plus spectaculaires et meurtrières auxquelles l'on assiste aujourd'hui. Et comme le dit si bien Mauriac dans le roman que nous venons d'étudier, l'avenir est ce que nous le faisons239(*) ; par conséquent, en souhaitant pour les générations futures un monde meilleur, il convient de le préparer dès maintenant en encourageant des attitudes morales conséquentes. Seulement, s'il ne s'agissait que d'un problème d'éducation ce ne serait certainement pas plus facile ; mais quand on y adjoint le phénomène de l'hérédité, cela se complique davantage dans la mesure où le patrimoine génétique quel qu'il soit, peut traverser des générations et réapparaître bien plus tard. On se demande donc ce qu'il y a véritablement lieu de faire pour espérer l'éradication complète du phénomène de la dégénérescence morale.

    BIBLIOGRAPHIE

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    II- AUTRES oeUVRES DES AUTEURS CONSULTÉES

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    OEuvres complètes, Tome III, Bois originaux de Louis Jou, Paris, Bibliothèque Bernard Grasset chez Arthème Fayard, 1950-1956.

    Thérèse Desqueyroux, Paris, Editions Bernard Grasset, 1989.

    II-2- Autres oeuvres de Bernard CLAVEL

    Le Carcajou, Paris, Robert Laffont, 1996

    Le Soleil des morts, Paris, Albin Michel, 1998.

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    SARTRE, Jean-Paul, Qu'est-ce que la littérature comparée? Paris, Gallimard, 1948.

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    VALETTE, Bernard, Le Roman, Paris, Ed. Nathan, 1992.

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    V- OUVRAGES CRITIQUES

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    MAURIAC, François, Le Romancier et ses personnages suivi de L'Education des filles, Paris, Éditions R.-A. Corréa, 1933.

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    VI- THÈSES ET MÉMOIRES

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    VOUNDA ETOA Marcellin, François Mauriac et l'Ecriture, Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, Thèse de doctorat IIIème cycle, Université de Yaoundé I, 2005-2006, inédit.

    VII - SITES CONSULTÉS

    http://www.academie-française.fr

    http://www.bernard-clavel.com

    http://www.françois-mauriac.com

    http://www.humanite.fr

    http://www.lire.fr

    http://www.parutions.com

    http://www.psychanalyse-paris.com

    http://www.vulgaris-medical.com

    http://www.wikipédia.org

    TABLE DES MATIÈRES

    DÉDICACE i

    REMERCIEMENTS ii

    INTRODUCTION GÉNÉRALE 1

    CHAPITRE I : INSTANCES NARRATIVES ET FOCALISATIONS 12

    I-1- Instances narratives dans Les Anges noirs et

    La Retraite aux flambeaux 16

    I-2- La vision dans Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux 20

    CHAPITRE II : PRÉSENTATION DES PERSONNAGES DES

    ANGES NOIRS ET DE LA RETRAITE AUX FLAMBEAUX 24

    II-1- Le nom, une fenêtre ouverte sur le personnage 25

    II-2- Prosopographie des sujets à la dégénérescence morale 31

    II-3- Les acteurs de la dégénérescence morale 37

    CHAPITRE III : L'UNIVERS DE L'ACTION 43

    III-1- La topologie comme facteur de chute du personnage 44

    III-2- La temporalité psychologique 49

    III-3- Le temps de la déchéance 56

    CHAPITRE IV : DE L'INTERACTION SOCIALE 60

    IV-I- Gradère et Bringuet : Des rapports interhumains 61

    IV-2- Les dégénérés : quels rapports avec la nature ? 66

    IV-3- Gradère et Bringuet : La marche vers Dieu 68

    CHAPITRE V : DU DÉSÉQUILIBRE MENTAL 74

    V-I- Action et conscience de Gradère et de Bringuet 77

    V-2- Le crime dans Les Anges noirs et La Retraite aux flambeaux 84

    V-3- Ethopée de Gabriel Gradère et de Ferdinand Bringuet 90

    CONCLUSION 93

    BIBLIOGRAPHIE 103

    TABLE DES MATIÈRES 108

    * 1 A. Camus, La Peste, Paris, Editions Gallimard, 1947.

    * 2 V. Woolf, L`Art du roman, Quentin Bell and Angelica Garnett, 1925, Le Seuil, 1962, p.43.

    * 3 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage » , in poétique du récit, Paris, Le Seuil, Coll. « Points », 1977, p.126.

    * 4 B.-A. Morel, Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l'espèce humaine, Paris, J.-B. Baillière, 1857.

    * 5 J.-C. Barreau, Quelle Morale pour aujourd'hui ? Paris, Plon , 1994, p.9.

    * 6 V. Jankélévitch, Philosophie morale, Paris, Editions de Françoise Schwab, Flammarion, 1998.

    * 7 B. Valette, Le Roman, Paris, Nathan, 1992, p.81.

    * 8 B.Valette, Le Roman, op.cit., p. 82.

    * 9 T.Todorov, Qu'est ce que le structuralisme ? Paris, Editions du Seuil, 1968, p.7.

    * 10 Y. Chevrel, La littérature comparée, Paris, P.U.F, Coll. « Que sais-je ? », 1989, p.8.

    * 11 Y. Chevrel, La littérature comparée, op.cit., p.9.

    * 12 F. Mauriac, Le Romancier et ses personnages, Paris, Corrêa, 1933, p.99.

    * 13 J.-C. Barreau, Quelle Morale pour aujourd'hui ?, op.cit.

    * 14 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit.

    * 15 T. Régnier, « Quand le destin frappe à la porte », in http:// parutions.com du 28/11/2006. (art. électronique.)

    * 16 J. d'Ormesson, Une autre histoire de la littérature française ( Le roman au xxe siècle) , Paris, Nil Ed.,

    1997,1998, p. 71.

    * 17 A. Séailles, Mauriac, Paris, Bordas, 1972, p. 8.

    * 18 M. Vounda Etoa, François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, Thèse de doctorat III ème cycle, Université de Yaoundé I, 2005-2006, inédit.

    * 19 M. Orlan, « À propos de Bernard Clavel » in yttp//www. Bernard-clavel.com, du 12-01-2007.

    * 20 Dominique Mobailly, « À propos de Bernard Clavel », op.cit.

    * 21 B. Clavel, Le Soleil des morts, Paris, Albin Michel, 1998.

    * 22 V. Woolf, L`Art du roman, op.cit., P. 51.

    * 23 G. Genette, Figures III, Paris, Editions du Seuil, 1972, p.203.

    * 24 J.-P. Goldstein, Pour lire le roman, Paris, Duculot, coll. « Louvain la neuve », 1983, p.37.

    * 25 C. Brooks et P. warrens, Understanding fiction, New-York, 1943, cités par G.Genette, dans Figures III, op.cit., p. 206.

    * 26 T. Todorov, Qu'est-ce-que le structuralisme? , op.cit, p.66.

    * 27 F. Mauriac, Les Anges noirs, Paris, Grasset, 1936, p.7.

    * 28 Ibid., p. 51.

    * 29 B. Clavel, La Retraite aux flambeaux, Paris, Albin Michel, 2002, p. 5.

    Toutes nos citations seront tirées de ces éditions qui désormais seront désignées par L.A.N. pour Les Anges noirs et R.A.F. pour La Retraite aux flambeaux.

    * 30 B. Clavel, R.A.F., p. 13.

    * 31 Ibid., P.100.

    * 32 Ibid., pp.118 -119.

    * 33 F. Mauriac, L.A.N., pp.7-8.

    * 34 Ibid., p.1.

    * 35 Ibid., pp.7-8.

    * 36 B. Clavel, R.A.F., p.73.

    * 37 T. Todorov, Qu'est-ce que le structuralisme ? , op.cit., p.56.

    * 38 F. Mauriac, L.A.N., p.57.

    * 39 F. Mauriac, L.A.N., pp. 27-28.

    * 40 Ibid., p.109.

    * 41 B. Clavel, R.A.F., p.120.

    * 42 F. Mauriac, L.A.N., p.78.

    * 43 T. Todorov, Qu'est-ce-que le structuralisme ? op.cit., p.58.

    * 44 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op. cit., p. 142.

    * 45 Idem.

    * 46 Ibid., op.cit., p.147.

    * 47 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op. cit., p.145.

    * 48 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op. cit., p. 142

    * 49 T. Decker, Dictionnaire des prénoms, Paris, Editions de Lodi, 2001, p.157.

    * 50 « Luc 1 : 19 » in La Sainte Bible, Corée, 2005, p. 1017.

    * 51 F. Mauriac, L.A.N., p.11.

    * 52 Ibid., pp.10-11.

    * 53 T. Decker, Le dictionnaire des prénoms, op.cit., p. 157.

    * 54 F. Mauriac, L.A.N., p. 11.

    * 55 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 56 P. Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op.cit., p. 150.

    * 57 Ibid., p. 148.

    * 58 T. Decker, Le dictionnaire des prénoms, op.cit., p. 149.

    * 59 Idem.

    * 60 B. Clavel, R.A.F., pp.102-103.

    * 61 B. Clavel, R.A.F., p. 13.

    * 62 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, in http//www. Wikipédia. org

    * 63 P.Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op.cit., p. 150.

    * 64 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 65 B. Clavel, R.A.F., p.15.

    * 66 Ibid., p.39.

    * 67 F. Mauriac, L.A.N., p. 15.

    * 68 F. Mauriac, L.A.N., p.9.

    * 69 Ibid.,, p. 51.

    * 70 Ibid., p.9.

    * 71 B. Clavel, R.A.F., p.15.

    * 72 B.Valette, Le Roman, op.cit., p. 38.

    * 73 F. Mauriac, L.A.N., p.11.

    * 74 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 75 Haut-commissariat aux droits de l'homme, Convention relative aux droits de l'enfant, Article 32 Alinéa 1, Résolution 44/25 du 20-11-1989.

    * 76 B. Clavel, R.A.F., p.16.

    * 77 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 78 F. Mauriac, L.A.N., p. 21.

    * 79 A. Cullerrre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 80 F. Mauriac, L.A.N., p.13.

    * 81 Ibid., p.8.

    * 82 F. Mauriac, L.A.N., p.14.

    * 83 Ibid., p.13.

    * 84 F. Mauriac, L.A.N., p.66.

    * 85 Ibid., p.187.

    * 86 Ibid., p. 6.

    * 87 Ibid., p. 82.

    * 88 F. Mauriac, L.A.N., pp. 171-172.

    * 89 T. Todorov, Le Jardin imparfait, Paris, Editions Grasset et Fasquelle, 1998.

    * 90 F. Mauriac, L.A.N., p. 23.

    * 91 F. Mauriac, L.A.N., p.144.

    * 92 B. Clavel, R.A.F., p.99.

    * 93 Haut-commissariat aux droits de l'homme, Convention relative aux droits de l'enfant, op.cit., Article 38, Alinéa 3.

    * 94 B. Clavel, R.A.F., p p. 116.

    * 95 B.Valette, Le Roman, op.cit., p. 35.

    * 96 R. Bourneuf et R.Ouellet, L'Univers du roman, Paris, P.U.F., 1972, p.101.

    * 97 F. Mauriac, L.A.N., p.61.

    * 98 F. Mauriac, L.A.N., p.8.

    * 99 Ibid., p.18.

    * 100 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 101 F. Mauriac, L.A.N., p. 52.

    * 102 Ibid., p.51.

    * 103 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'Univers du roman, op.cit., p.119.

    * 104 B. Valette, Le Roman op.cit., pp.33-34.

    * 105 F. Mauriac, L.A.N., p.177.

    * 106 B. Clavel, R.A.F., p.18.

    * 107 Ibid., p.14.

    * 108 B. Clavel, R.A.F., p.13.

    * 109 Ibid., pp.100-101.

    * 110 Ibid., p. 27.

    * 111 G. Genette, Figures I, Paris, P.U.F., 1966, p.92.

    * 112 B. Clavel, R.A.F., pp. 93-94.

    * 113 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'univers du roman, op.cit., p.129.

    * 114 G.Genette, Figures III, op.cit., P.79.

    * 115 F. Mauriac, L.A.N., p. 12.

    * 116 M. Vounda Etoa, François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, op.cit., p. 372.

    * 117 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 118 B.Clavel, R.A.F., p.20.

    * 119 Ibid., pp.104.

    * 120 J. Zin, La dégénérescence de l'homme, in http//www.wikipédia.org. du 27 avril 2008.

    * 121 F. Mauriac, L.A.N., p.5.

    * 122 Ibid., p. 9.

    * 123 F. Mauriac, L.A.N., p.7.

    * 124 B. Clavel, R.A.F., p.40.

    * 125 F. Mauriac, L.A.N., p.26.

    * 126 Gérard Genette, Figures III, op.cit., p. 123.

    * 127 Ibid., p. 99.

    * 128 F. Mauriac, L.A.N., p. 218.

    * 129 Ibid., p. 204.

    * 130 B. Clavel, R.A.F., p.99.

    * 131 F. Mauriac, L.A.N., p. 51.

    * 132 F. Mauriac, L.A.N., p.170.

    * 133 Ibid., p.172.

    * 134 Ibid., p. 161.

    * 135 T. J. Scheff, Vengeance meurtrière, Les sentiments, le nationalisme et la guerre, op.cit., p. 128.

    * 136 B. Clavel, R.A.F., p. 28.

    * 137 Ibid., p. 93.

    * 138 Idem.

    * 139 Ibid., pp. 44-45.

    * 140 Ibid., p. 85.

    * 141 Ibid., p. 103.

    * 142 Ibid., p. 117.

    * 143 Ibid., p.40.

    * 144 Ibid., p. 95.

    * 145 B. Clavel, R.A.F., p.95.

    * 146 T. Todorov, Le Jardin imparfait, Paris, Bernard Grasset & Fasquelle, 1998, p 49.

    * 147 Ibid., p.121.

    * 148 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.323.

    * 149 F. Mauriac, L.A.N., p. 37.

    * 150 Ibid., p. 21.

    * 151 Ibid., p.29.

    * 152 Ibid., pp. 37-39.

    * 153 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 154 F. Mauriac, L.A.N., p.5.

    * 155 Ibid., p. 48.

    * 156 Ibid., pp. 208-209.

    * 157 F. Mauriac, L.A.N., p.106.

    * 158 B. Clavel, R.A.F., p.100.

    * 159 B. Clavel, R.A.F., p.101.

    * 160 Ibid., p.103.

    * 161 Ibid., p.54.

    * 162 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 163 F. Mauriac, L.A.N., p.32

    * 164 Alfred de Vigny, « La maison du berger » in Les Destinées, Paris, Larousse, 1972, p. 50.

    * 165 F. Mauriac, L.A.N., p.59.

    * 166 Idem.

    * 167 F. Mauriac, L.A.N., pp. 35-36.

    * 168 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 169 B. Clavel, R.A.F., p.101.

    * 170 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 171 B. Clavel., Les Fruits de l'hiver, Paris, J'ai Lu, 1977.

    * 172 B. Clavel, R.A.F., p. 101.

    * 173 B. Clavel, Le Carcajou, Paris, Robert Laffont, 1996, p.59.

    * 174 F. Mauriac, L.A.N., p.35.

    * 175 F. Mauriac, L.A.N., pp. 16.

    * 176 M. Foessel, Le Mal, Paris, Hatier, septembre 1999, p.24.

    * 177 F. Mauriac, L.A.N., p.236.

    * 178 Ibid., p.35.

    * 179 K. Gibran, Le Prophète, op.cit., p.67.

    * 180 M. Vounda .E., François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, op.cit., p. 334.

    * 181 F. Mauriac, L.A.N., p.5.

    * 182 Romains 7 : 25, in La Sainte Bible, Corée 2005, P. 1139.

    * 183 F. Mauriac, L.A.N., p.252.

    * 184 Luc 15 :7, in La Sainte Bible, op.cit., p. 1043.

    * 185 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.224.

    * 186 K. Gibran, Le prophète, op.cit., p.68.

    * 187 A. Lagarde et L. Michard, Coll. Litt. « Lagarde et Michard, XVIII ème siècle », Paris, Bordas, 1989, p. 244.

    * 188 K. Gibran, Le prophète, op.cit., p.69.

    * 189 1 Jean 4 :16, in La Sainte Bible, op.cit., P. 1246.

    * 190 Théorie de la dégénérescence, in http//www. wikipédia.org.

    * 191 Par lesquels

    * 192 J. Zin, La dégénérescence de l'homme, in http// www.wikipédia.org, du 27 avril 2008

    * 193 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'univers du roman, op.cit., p. 159.

    * 194 A. Lagarde et L. Michard, Coll. Litt. « Lagarde et Michard, XVIII ème siècle », op.cit., p.312.

    * 195 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p. 141.

    * 196 A. Cullerre, La dégénérescence morale, op.cit.

    * 197 R. Bourneuf et R. Ouellet, L'univers du roman, op.cit., p.43.

    * 198 Idem.

    * 199 F. Mauriac, L.A.N., p.26.

    * 200 B.Valette, Le Roman, op.cit., p.81.

    * 201 F. Mauriac, L.A.N., p.8.

    * 202 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.390.

    * 203 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.7.

    * 204 A. Gide, cité par V. Jankélévitch in Philosophie morale, op.cit., p.64.

    * 205 Ibid., p.65.

    * 206 F. Mauriac, L.A.N., p.171.

    * 207 M. Vounda Etoa, François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, op.cit., p. 415.

    * 208 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.162.

    * 209 M. Vounda E., François Mauriac et l' Ecriture : Essai d'analyse de l'intertexte biblique dans sept de ses romans, op.cit., p. 415.

    * 210V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p.163.

    * 211 B. Clavel, R.A.F., P.53.

    * 212 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p. 182.

    * 213 A. Camus, L'homme révolté, Paris, Gallimard, 1951.

    * 214 M. Foessel, Le Mal, op.cit., p. 10.

    * 215 F. Mauriac, L.A.N., p.194.

    * 216T. J. Scheff, Vengeance meurtrière, Les sentiments, le nationalisme et la guerre, op.cit., p.133.

    * 217 F. Mauriac, L.A.N., p.163.

    * 218 Ibid., pp. 177-179.

    * 219 B. Clavel, R.A.F., p. 16.

    * 220 Ibid., p. 75.

    * 221 J.C. Barreau, Quelle Morale pour aujourd'hui ?, op.cit., p.92.

    * 222 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit. , p 77.

    * 223 J. Zin, La dégénérescence de l'homme, op.cit.

    * 224 K. Gibran, Le Prophète, op.cit. p. 37.

    * 225 T. J. Scheff, Vengeance meurtrière, Les sentiments, le nationalisme et la guerre, op.cit., p.90.

    * 226 Ibid., pp. 90-91.

    * 227 B. Clavel, R.A.F., p.114.

    * 228 J.C. Barreau, Quelle Morale pour aujourd'hui ?, op.cit., p. 95.

    * 229 Ibid., p.100.

    * 230 F. Mauriac, L.A.N., p.14.

    * 231 J. Petit, Mauriac, OEuvres complètes et théâtrales complètes, op.cit., p. 1027.

    * 232 F. Mauriac, L.A.N., p.252.

    * 233 J. Petit, Mauriac, OEuvres complètes et théâtrales complètes, op.cit., p.1031.

    * 234 B. Clavel, R.A.F., p. 16.

    * 235 Ibid., p.30.

    * 236 V. Jankélévitch, Philosophie morale, op.cit., p. 346.

    * 237 A. Cullerre, La dégénérescence héréditaire, op.cit.

    * 238 E. Zola cité par B.Valette in Le Roman, op.cit., p.26.

    * 239 F. Mauriac, L.A.N., p.129.






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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand