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Production cotonnière et développement rural au Burkina Faso: controverses et réalité. Cas du département de Diabo dans la province du Gourma

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par Paul Marie MOYENGA
Université de Ouagadougou - Memoire de Maà®trise de Sociologie 0000
  

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VI.2.2. De nouvelles pratiques sociales

Sur l'aire départementale, un nouvel environnement social se développe avec la production cotonnière comme point de rattachement. En effet, un mode de salutation s'est installé avec un sens spécifique. A partir des campagnes de commercialisation, « les cotonculteurs, pour saluer quelqu'un de loin, ne lui lèvent que leur main gauche », nous confie ce non producteur de la quarantaine d'age entre deux éclats de rire. La pratique serait considérée comme une simple fantaisie si elle n'était pas généralisée au sein des cotonculteurs et que les non producteurs ne s'en défendaient pas. Cet état de fait a trouvé confirmation chez tous nos enquêtés, producteurs ou non. Pour les producteurs, c'est un moyen d'affirmer leur identité, de se démarquer des autres paysans exclusivement céréaliculteurs. «C'est parce que les cotonculteurs des premières heures roulaient à moto, explique un cotonculteur de la trentaine d'age, adepte de ce comportement. Et comme en conduisant on ne peut pas soulever sa main droite, ils levaient leur main gauche pour saluer les gens. Les gens en ont conclu que c'est pour dire qu'ils ont l'argent maintenant qu'ils se

comportent ainsi. Alors, nous aussi, quand on prend l'argent de notre coton, on
reproduit le même geste de salutation de la gauche même quand on marche. Là, tout

le monde sait que tu es cotonculteur et que tu ne crains rien actuellement même siau fond tu n'as pas gagné grand-chose dans cette production. Mais personne ne sait

combien tu as gagné ! Ça amuse certains non producteurs, ça fâche d'autres mais on s'en fou ». Si certains tiennent à afficher leur statut de cotonculteur, c'est parce qu'il y a une certaine image valorisante qui accompagne ce statut. Si les non producteurs n'exploitent pas cette grille identitaire c'est parce que du point de vue de beaucoup d'entre eux, l'image du producteur de coton est entachée de réalités non enviables. Les ménages producteurs constituent à leurs yeux des lieux « de misères en période de soudure, de mauvaises rations alimentaires et d'instabilité permanente » occasionnée par l'argent du coton et les écarts de conduite que cela occasionne.

A côté de cette nouvelle forme de salutation, on note une résurgence et une nouvelle orientation de la polygamie et du statut de la femme dans le ménage. Ce n'est pas un phénomène universel chez les cotonculteurs mais a une proportion non négligeable. La polygamie n'est pas non plus un phénomène nouveau mais l'orientation est nouvelle. Au regard du caractère extensif de la production, la quantité produite est corrélée à la superficie exploitée à cet effet. Ainsi, incapables de s'attacher les services d'une main d'oeuvre rémunérée, les producteurs voient en la femme une alternative avec ce double avantage qu'elle constitue une force de travail et productrice de force de travail (les enfants). Ainsi, la femme, autrefois motif de fierté, de prestige et de richesse, est devenue aujourd'hui un facteur de production. C'est sans doute ce statut qui écarte la femme de la gestion des revenus du coton, alors que sa participation est paritaire avec celle de l'homme dans la production de ce revenu ; car il peut arriver qu'elle ne gagne rien alors qu'elle participe à l'effort de sortie de crise dans des situations d'impayés ou de disettes.

Il y a enfin ce que l'anthropologue R. BENEDICT a appelé la "tendance à la paranoïa mégalomaniaque"19. Sur l'espace diabolais, toutes les opportunités d'affirmation de soi sont exploitées pour se fabriquer une identité ou pour la

19 Claude MEILLASSOUX, 1997, p.182

réhabiliter. C'est ainsi que lors des cérémonies de mariage « on fait danser des gens des jours entiers avant et après la cérémonie. Si tu prépares du riz local, les tentes de ta femme vont bouder et plier bagages. Les gens ne vont pas manger et vont te chanter en guise de comparaison lors de cérémonies plus somptueuses », témoigne ce jeune producteur nouveau marié qui dit y avoir laissé l'intégralité de son avoir cotonnier. Cette pratique n'est plus le seul fait des cotonculteurs depuis ces trois dernières années. Jusqu'à cette date, on se représentait différemment les cérémonies des producteurs et des non producteurs avec des attentes différentes. Mais aujourd'hui, tout le monde essaie de suivre la tendance, d'emprunter cette voie de la grandiloquence pour ne pas s'avouer inférieur. Chacun y joue son identité et son rang car « le capital financier brûlé établit ou développe le capital social, la renommée personnelle. Outre la hiérarchie des pouvoirs et des fortunes, ces manifestations engagent la hiérarchie de l'orgueil : chacun, qu'il veuille ou non, y joue son rang » (VIDAL, 1991, p.10). Les gestes symboliques y ont acquis une valeur vénale et les sommes symboliques se décuplent à volonté. S'en est de même des funérailles et bien d'autres rituels.

Ainsi, les cotonculteurs sont devenus des acteurs d'une mutation sociale orientée vers la pleine monétarisation des actes de la vie sociale. « On ne se marie plus quand on peut gérer une femme mais quand on peut imprimer son mariage en lettre d'or dans la mémoire collective. Là où il faut donner selon l'usage un quartier de mouton, il faut y donner un mouton entier. Là, on s'en souviendra ; et demain on en voudra à celui qui agira selon l'usage », constate un vieux de 55 ans, chef d'un ménage céréaliculteur avant de conclure que « c'est pour cela que l'on dit que l'argent dénature l'homme, l'argent se substitue aux us et coutumes. On ne fait plus ce que la société autorise mais ce que sa poche autorise ».

En résumé, nous pouvons retenir que la production cotonnière s'inscrit dans une logique stratégique dans le milieu rural diabolais. Elle ne se justifie donc pas par la valeur intrinsèque de l'argent qu'elle génère. Le constat qui s'impose c'est que :

a. quand la production cotonnière est déficitaire, c'est-à-dire que si la

production d'un ménage ne couvre pas le coüt des intrants, le coton est
source de ruine, de misère sociale et, en expropriant le ménage de ses

biens qu'il brade pour s'acquitter de son crédit, le ménage se trouve

enfermé dans une précarité pour de nombreuses années.

b. quand la production couvre le coût des intrants et que le ménage

réalise un bénéfice, cet argent du coton se retrouve incapable d'améliorer les conditions de vie du ménage ; les dépenses étant orientées vers l'ostentation, le prestige et le faste.

En tout état de cause, le coton n'est pas un facteur de développement du monde rural diabolais. Au contraire, il est un facteur de précarisation des conditions de vie des ménages producteurs diabolais.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo