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Exploration d'un passé et d'une culture à  travers l'étude de ça tire sous le sahel de Frédéric Titinga Pacere (étude déconstructive)

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par K. Landry Guy Gabriel YAMEOGO
Université de Ouagadougou - DEA 2008
  

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    UNIVERSITE DE OUAGADOUGOU

    Unité de Formation et de Recherche en Lettres, Art et Communication

    Département de Lettres Modernes (DEA)

    Mémoire de Sémiotique

    CA TIRE SOUS LE SAHEL :

    Exploration du passé et de la culture moaga

    Dirigé par Présenté par

    Louis MILLOGO K. Landry Guy Gabriel

    Professeur YAMEOGO

    Etudiant

    Année académique 2006-2007

    THEME :

    Ca TIRE SOUS LE SAHEL :

    Exploration du passé et de la culture moaga.

    DEDICACE

    Nous dédions ce travail à celui qui nous a donné la vie et s'est montré pleinement responsable de notre éducation.

    REMERCIEMENTS

    Au Professeur Louis MILLOGO qui a accepté nous assister,

    à maître PACERE T. Frédéric, homme de culture, de lettres et de droit qui a bien voulu nous donner son temps précieux pour éclairer nos lanternes,

    aux parents, amis, collègues et connaissances qui nous ont galvanisé,

    nous exprimons à tout un chacun notre gratitude.

    EPIGRAPHE

    « Si la termitière vit

    Qu'elle ajoute

    De la terre à la terre »

    Devise de Me PACERE

    SOMMAIRE

    Pages

    INTRODUCTION .............................................................. ;....................07

    PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA THEORIE DE LA DECONSTRUCTION, DE L'AUTEUR ET DE SON OEUVRE...... .......................12

    Chapitre I : De la déconstruction........................................................ ..........13

    Chapitre II : Présentation de l'auteur et de l'oeuvre........................ ...................17

    DEUXIEME PARTIE : EXPLORATION D'UN PASSE ET D'UNE CULTURE.....26

    Chapitre I : Sociétés traditionnelles dénaturées..................................................27

    Chapitre II : Ancrage culturel africain............................................................63

    CONCLUSION ........................................................................................74

    BIBLIOGRAPHIE..................... .................................................................77

    INTRODUCTION

    Le continent africain traverse des difficultés multiples sur les plans économique, social et politique qui le maintiennent dans un sous-développement chronique. Plus de la moitié des pays africains appartiennent au groupe des pays les moins avancés. Certaines réalités tristes aggravent davantage la crise ou la progression du sous-développement.

    Au plan social, le continent se heurte à de graves problèmes d'identité, de fracture sociale, de justice et de dégradation des valeurs traditionnelles qui sont à la source de la plupart des problèmes de sous-développement.

    Mais ce qui a meurtri l'Afrique au plus profond d'elle-même, c'est, sans conteste, l'impact brutal de la colonisation qui, dès le XIX siècle, a mis en présence sans aucun ménagement deux civilisations fort différentes. La civilisation européenne constituait le modèle auquel il fallait se conformer de gré ou de force, tandis que la civilisation africaine était jour après jour dévalorisée.

    De nombreuses oeuvres littéraires africaines ont pour thème les mutations de la société africaine. Certains écrivains vont même jusqu'à opposer un premier état de cette société où elle vit en conformité avec ses propres règles et ses traditions en jouissant d'un équilibre et d'une harmonie remarquable, à un second état où elle est ébranlée par l'immixtion étrangère, perturbée par l'imposition d'idées et d'institutions nouvelles.

    C'est dans ce sillage que s'inscrit le recueil de poèmes Ça tire sous le sahel (1976) de Me Frédéric Titinga PACERE qui pose des questions terribles sur la métamorphose des sociétés africaines. Cette métamorphose doit faire réfléchir plus d'un car elle concerne la déchéance de nos sociétés qui sont sans repères, sans valeurs.

    L'oeuvre invite au sursaut car s'ouvrir au monde ne veut pas dire tourner le dos au lieu d'où on part. La nécessité d'une renaissance sociale, culturelle, politique et économique se présente à certaines sociétés africaines comme une condition sine qua non à leur épanouissement.

    C'est dans cette optique que l'étude du recueil de PACERE permettra de parler d'une littérature africaine engagée qui s'efforce de dessiner la physionomie socio - culturelle des sociétés africaines et de préconiser le retour aux sources. L'intérêt de l'étude réside dans le fait qu'elle interpelle à une prise de conscience de la décadence des sociétés africaines et qu'il est temps de partir des paradigmes essentiels de nos cultures pour nous développer.

    La société, nous la définissons comme étant un ensemble d'individus vivant au sein d'une unité et dont la satisfaction des besoins passe par des activités diverses et la cohésion par le respect de certaines règles qui lui sont propres. Lorsqu'il y a intégration d'éléments exogènes à son système de fonctionnement au détriment d'éléments indigènes, elle s'étiole et meurt.

    Les sociétés africaines retiendront exclusivement notre attention, car il s'agit d'elles dont il est question dans notre corpus. Elles ont connu, à travers des siècles, des avatars et il est indispensable d'en parler. Une déchéance morale, psychologique et même physique l'emporte sur la grandeur morale et psychologique qui permettait de les reconnaître si nous reculons dans le temps.

    C'est cette opposition binaire déroutante que nous mettrons en relief grâce à une étude déconstructive. Nous nous inspirons du philosophe français DERRIDA pour montrer que si l'on parle de déchéance des sociétés africaines, cela présuppose une grandeur d'antan. Autant nous devrions avoir conscience de l'ébranlement des sociétés traditionnelles, autant nous devrions garder en mémoire les moments radieux de ces sociétés, alors authentiques.

    L'ambition de l'étude est de rechercher les présuppositions qui doivent être reconnues par le récepteur de l'énoncé. C'est la condition qui rend le message accessible et acceptable.

    On appelle présupposition ce qui est inclus dans un énoncé sans être exprimé explicitement. Les présuppositions semblent non seulement rendre compte du passé d'un peuple mais aussi de l'attachement inconditionnel à ce passé qui fait la fierté du poète.

    Quant au concept de « déchéance », il désigne l'incapacité des sociétés africaines à reconquérir leur liberté, leurs valeurs et leur identité après leur contact avec la culture de la civilisation occidentale. Elles ont été incapables de faire la synthèse des deux cultures et civilisations de sorte à donner naissance à de nouvelles sociétés africaines multiculturelles. Cette déchéance se traduit aussi par leur incapacité à retrouver en elles-mêmes des ressources propres pour se développer.

    A l'opposé, la « grandeur » des sociétés africaines représente tout ce qui fait leur fierté au niveau individuel, collectif et universel. Ce sont les différentes valeurs morales, culturelles et sociales qu'on leur reconnaît et qui leur sont propres. Toutes ces valeurs orientent l'action des individus en société en leur fixant des buts, des idéaux et donc des moyens de juger leurs actes. Le poète est beaucoup marqué par la dégradation des sociétés africaines de sorte qu'il oublie de parler de leur grandeur.

    Notre but étant de montrer que l'auteur laisse au lecteur le soin de deviner le passé radieux des sociétés africaines, il serait intéressant après un aperçu général de l'oeuvre et de la théorie de la déconstruction, de mettre un accent particulier sur les présuppositions de la grandeur qui apparaissent implicitement à partir de la déchéance dépeinte. Et pour y arriver, nous aurons recours à une étude alternée des deux concepts pour rendre la compréhension plus aisée. Ainsi, c'est en nous référant aux indicateurs de la déchéance des sociétés que nous évoquerons les éléments de grandeur des sociétés africaines traditionnelles. Nous terminerons par une étude succincte de la littérarité des poèmes. Le poète dispose d'un héritage culturel qui lui permet de s'exprimer de façon originale.

    PREMIERE PARTIE

    PRESENTATION DE LA THEORIE, DE L'AUTEUR ET DE L'OEUVRE

    CHAPITRE I

    DE LA DECONSTRUCTION

    Vers la fin des années 1960, une école de philosophie a inspiré de multiples recherches tant en philosophie, en littérature, en art, en politique qu'en théologie. Cette école, dont le français Jacques DERRIDA est l'un des fondateurs, propose une théorie de lecture qui vise une herméneutique de la logique de l'opposition dans les textes. Le nom de la théorie est la « déconstruction » qui n'est pas synonyme de « destruction ».

    C'est lors d'un colloque à la John Hopkins University de Baltimore en octobre 1966, qu'apparut aux Etats-Unis une mode de pensée propre à des penseurs français porteurs d'une philosophie du doute. Le colloque, était organisé par René GIRARD sur le thème « Languages of criticism and the sciences of Man » et réunissait BARTHES, DERRIDA,GOLDMAN, LANCAN, POULET, TODOROV et VERNANT. C'est alors qu'aurait commencé à se répandre le concept de « déconstruction » pour l'interprétation des textes. Diffusée d'abord dans le monde anglo-saxon, cette notion connaîtra un retentissement international.

    La déconstruction est une méthode particulière d'analyse textuelle qui vise à indiquer des incompatibilités logiques ou rhétoriques entre les plans explicites et implicites du discours. Elle ne connaît aucune fixation conceptuelle et exclut même la distinction traditionnelle entre le « sens original » et le « sens métaphorique ».

    La déconstruction comme forme de lecture critique est liée à l'arrivée du poststructuralisme. En plus des influences de Friedrich NIETZCHE et Martin HEIDEGGER auteurs des concepts fondateurs de l'ontologie en métaphysique, plusieurs des concepts principaux de DERRIDA sont dérivés de la linguistique structurale de SAUSSURE qui se caractérise par le fait qu'elle se contente de classer les énoncés, de décrire leur fonctionnement structural sans se préoccuper de leur rapport avec d'autres éléments extra - textuels.

    Le structuralisme dont l'esprit a prévalu entre 1960 et 1970 postule, au sujet de la langue, que la nature arbitraire du signe linguistique comporte un signifiant et un signifié. En fondant sa théorie dans la nature arbitraire du signe, SAUSSURE a affirmé que la signification d'un mot est arbitraire mais convenue par convention sociale.

    Par conséquent les mots acquièrent la valeur de l'identité non pas par n'importe quelle correspondance normale entre signifiant et signifié mais par l'opposition de chaque mot dans un système d'inter - dépendance où les signifiants et les signifiés sont définis en terme de présence et d'absence que SAUSSURE appelle « différence ». Le concept de la différence est crucial chez DERRIDA, qui l'emploie pour fonder sa théorie de la déconstruction qui indique toujours la différence dans l'unité.

    Un des exemples les plus clairs de DERRIDA d'une lecture déconstructive concerne la relation entre le discours et la lecture. Il approche ce problème, en confirmant historiquement la priorité de la voix au dessus de la lettre : la parole est immédiate, actuelle et authentique parce qu'elle est poussée par un orateur qui entend et se comprend simultanément. En revanche, l'inscription est la copie de la parole et est donc dérivée, retardée. En décrivant une hiérarchie de Parole/Ecriture de cette façon, DERRIDA montre comment SAUSSURE inverse la hiérarchie, accordant la priorité à l'écriture. La parole et l'écriture sont englobées dans un plus grand champ linguistique dans lequel toute la langue, parlée et écrite, est constituée par la différence plutôt que la hiérarchie.

    La problématique de notre lecture déconstructive se situe par rapport à l'opposition binaire déchéance/grandeur. Considérant que la grandeur des sociétés africaines traditionnelles est authentique parce qu'elle n'a pas été altérée et que la déchéance émane d'une métamorphose, voire d'une aliénation de ces sociétés, nous voulons montrer comment le recueil de poèmes ça tire sous le Sahel inverse la hiérarchie en accordant la priorité à la déchéance.

    L'opposition binaire déchéance/grandeur qui apparaît dans le texte grâce aux présuppositions est mal structurée hiérarchiquement. La représentation normale veut que la déchéance soit une dérivée, un effet de la grandeur bafouée. Dès lors que le jeu sur la chronologie n'a pas été respecté, nous pouvons dire que le poète met surtout en valeur la décadence des sociétés africaines.

    En définitive, l'objectif visé par cette étude est de déstabiliser l'opposition binaire présentée implicitement dans le texte. La théorie derridienne permet une investigation dialectique dont le résultat serait la synthèse de la grandeur et de la déchéance. Dans notre approche d'identification de l'opposition binaire, nous ne visons pas la destruction de l'être textuel. En effet, l'un des risques de cette théorie est le fait qu'elle peut nous plonger dans l'absurde. S'il faut détruire les structures traditionnelles ou déjà existantes, rien à priori ne serait accepté comme valable, comme solide, comme structurellement bien élaboré.

    A l'instar de toute théorie, la déconstruction a des forces et des faiblesses. Sa tâche consiste à rechercher à travers tout texte, les présupposés dont l'absence déforme toujours l'objectivité dans la quête de la vérité. En permettant de prendre conscience de ce qui est insoupçonné dans un discours, la déconstruction restitue en entier passé et présent dans un ordre hiérarchique.

    Au regard de son ambition, ne serait-il pas logique d'admettre une de ses limites à cause de l'aspect dynamique de l'objectivité ? L'objectivité, si elle n'est pas contextualisée, peut-elle s'étendre sur le temps ? La déconstruction, à défaut de présenter toutes les présuppositions se contente de livrer quelques unes et l'on ne peut qu'obtenir une objectivité relative. Elle ne peut prendre en compte qu'une partie des présuppositions de peur de se retrouver dans l'impasse.

    CHAPITRE II

    PRESENTATION DE L'AUTEUR ET DE L'OEUVRE

    II.1 Présentation de l'auteur

    Maître Frédéric Titenga PACERE est né vers 1943 dans le village de Manéga à cinquante kilomètres de Ouagadougou. Il est le fils d'un chef traditionnel de la région qui s'appelait Naba Guegmdé (roi lion). Sa mère Wango (masque) est une fille de chef des masques de la région de Toèghin situé à vingt cinq kilomètres à l'Ouest de Manéga.

    Les études primaires, secondaires et supérieures de PACERE l'ont conduit à Koudougou, Dabou, Abidjan, Ouagadougou, Dakar et Rennes. Il est titulaire des licences de lettres et de droit et d'un C.A.P.A. ( Certificat d'Aptitude à la Profession d'Avocat).

    Le 09 novembre 1973, il prête serment d'avocat et exerce la profession depuis 1975. Il est le premier avocat à la cour et le premier bâtonnier de l'ordre de son pays.

    Il a été président de certains colloques et de plusieurs associations et jurys littéraires internationaux. Il a écrit des ouvrages sur la culture, le droit, l'économie, la sociologie et la littérature. En 1982, il obtint le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire pour ses ouvrages de poésie : La poésie des griots et Poèmes pour l'Angola. Il est aussi titulaire de plusieurs médailles d'honneur dont celle de l'Association des Ecrivains de Langue Française, la première décernée par cette institution à un auteur africain. Il est présentation avocat du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR).

    En janvier 1989, il réalise un de ses rêves par l'inauguration de son musée construit à Manéga. PACERE se donne corps et âme pour la défense de la culture africaine, particulièrement de celle de son village. Et son souhait est que chaque intellectuel africain puisse entrer en rapport avec les vieux de son village car ajoute-t-il, ce qui peut tuer l'Afrique, c'est le fait pour certaines individualités de méconnaître.

    Par ses investigations, PACERE apprend à connaître sa culture et à la faire connaître à travers ses écrits . La poésie sera la voie de prédilection pour lui pour transmettre la connaissance des acquis culturels de son milieu. Pourquoi la poésie ? PACERE s'est lui-même posé la question et en a donné la réponse : « Je l'ignore à ce jour, il semble que ce fut un penchant naturel surtout à partir de 1959 et 1960... » (1).

    La poésie burkinabé a une forte audience auprès du public francophone grâce à PACERE Titinga qui lui a donné ses lettres de noblesse.

    En 1982, avec la publication de Poème pour l'Angola et La poésie des griots, il obtint le grand prix de l'Afrique noire attirant ainsi l'attention des

    lecteurs sur la littérature burkinabé. Le poète a à son actif plusieurs recueils poétiques.

    (1) Annales de l'université, « exposé de la théorie », numéro spécial A, décembre 1988.

    PACERE a également écrit sur le langage du tambour « Bendré » qu'il théorise par le concept « Bendrologie » qui se définit comme « la science, les études méthodiques, les méthodes de pensée, de parler, des figures de rhétorique relative au tam-tam bendré ». (2)

    Pour servir le langage culturel de sa langue, PACERE écrit aussi en mooré. Il pratique alors le bilinguisme comme si c'est pour confirmer ce que Lilyan KESTELOOT dit dans Anthologie négro-africaine : « Tout un domaine de sensibilité de l'homme ne peut s'extérioriser que dans sa langue maternelle ».

    Toutefois notre étude portera sur un poème écrit en langue française.

    (2) Conférence donnée lors du 1er colloque international sur la littérature burkinabé, décembre 1988.

    I.2 Aperçu général de l'oeuvre

    Ça tire sous le sahel, sous-titré «Satires nègres », puis « Satires », est un recueil de poèmes. Il comporte en tout six poèmes n'ayant pas la même consistance. Le poème le plus long est « L'appel du tambour ». L'ensemble des techniques qui régissent l'organisation d'un poème en vers réguliers n'a pas été pris en compte par le poète. Ainsi les vers des poèmes dont les mesures sont mêlées selon le caprice du poète sont libres et spasmodiques.

    Le livre est une oeuvre de jeunesse au même titre que Refrains sous le sahel. Il est un recueil de satire et on y retrouve évidemment l'esprit de révolte. Une superposition de styles à savoir celui de la parenté à plaisanterie (Rakiré) \u9334(c)é, celui de la circonlocution et enfin celui où l'on fait parler les animaux qui est un style particulier du milieu traditionnel et qui invite à voir les choses sous l'angle imagé. Le poète use aussi de beaucoup de comparaisons qui renforcent la dénonciation.

    Signalons que le rakiré ou dakiré est une institution réglant par des lois spéciales, certains domaines des rapports entre conjoints et leur belle - famille, entre familles alliées ou entre ethnies entières. A partir de cette définition nous pouvons distinguer plusieurs types de parentés à plaisanterie. Prosper KOMPAORE en distingue trois :

    « 1 - La parenté à plaisanterie basée sur une légende ou un mythe.

    Ce type de parenté affecte généralement des ethnies ou des castes différentes.

    (3) Le Rakiré est une forme satirique courante dans la culture des sociétés africaines que le poète utilise beaucoup dans ses écrits sous qu'elle ne ôte le style de son caractère acéré.

    2 - La parenté à plaisanterie basée sur l'histoire ou des récits à caractère historique ; elle affecte généralement des ethnies ou des castes différentes situées dans des villages différents.

    3 - La parenté à plaisanterie basée sur des relations d'alliance ; ce type de parenté le plus courant, affecte des villages ou des familles liés par des relations d'alliance. » (4)

    Tous ces types de parenté à plaisanterie visent à prévenir les conflits et à promouvoir une coexistence pacifique.

    Des injures peuvent être proférées par les individus sans qu'une tension quelconque ne naisse car cela relève toujours des plaisanteries qui alimenteront de simples causeries ou atténueront une douleur (décès par exemple). Ainsi donc ça tire sous le sahel apparaît être une critique plaisante

    mais qui se veut conscientisante. André NYAMBA, du département de sociologie, à l'université de Ouagadougou nous dresse un tableau des alliances et des parentés à plaisanterie qui existent entre ethnies (5).

    (4) Prosper KOMPAORE, « La parenté à plaisanterie : une catharsis sociale au profit de la paix et de la cohesion au Burkina Faso in les Grandes Conférences du Ministère de la Communication et de la Culture, Ouagadougou, 1999, PP 109 - 110

    (5) André NYAMBA, « La problématique des alliances et des parentés à plaisanterie au BF : Histoire, pratique et devenir » in Les Grandes Conférences du Ministère de la Communication et de la Culture, Ouagadougou, 1999, P7

    Ethnies concernées

    Ethnies Alliées

    Bissa

    Gourounsi, Yarcé, Samo

    Birifor

    Lobi, Goin, Dafing

    Bwaba

    Peulh, Sembla, Dafing

    Bobo

    Peulh, Sembla, Dafing

    Bozo

    Dogon

    Dafing ou Marka

    Peulh, Bobo-Dioula, Bwaba

    Dagara

    Siamu, Sénoufo, Goin

    Djan

    Goin

    Dogon

    Bozo

    Fulsé

    Gourounsi, Gourmantché, Bissa

    Gourounsi

    Bissa, Yarcé, Djerma

    Gourmantché

    Yarcé

    Goin

    Lobi, Djan, Dagara

    Jula

    Lobi

    Lobi

    Jula, Goin, Birifor

    Mossi

    Samo

    Peulh

    Bobo, Yarcé, Bambara, Marancé, Dioussambé

    Pougouli

    Dagara, Peulh, Goin, Bwaba, Turka, Sénoufo

    Samo

    Mossi, Bissa

    Sénoufo

    Dagara, Lobi, Djan

    Sembla

    Toussian, Bobo - Dioula, Bwaba

    Siami

    Djan, Lobi, Dagara, Pougouli

    Toussian

    Sembla, Lobi, Dagara

    Turka

    Peulh, Bwaba

    Vigué

    Peulh, Bwaba

    Winy

    Peulh, Bossa, Goin, Logana, Djerma

    Yana

    Zaoussè, (Diabo)

    Par ailleurs, tous les poèmes sont irrigués par des refrains qui véhiculent les messages clés des différents poèmes. Léon YEPRI relèvera leur « retour cyclique » (6) dans son ouvrage.

    « L'appel du tambour » est le premier poème du recueil. Il évoque un rituel car chez les moosé avant de commencer quelque chose d'important, il

    (6) Léon YEPPRI, Titinga Frédéric PACERE, le Tambour de l'Afrique poétique, l'Harmattan 1999.

    faut rassembler les gens et le tambour est utilisé à cet effet.

    Le tambour, avec de nombreux autres instruments à corde ou à vent, est un instrument profane de musique. Au rassemblement qui aura lieu, il y aura des archers et leur présence présage une attaque car il y a un problème. A la rencontre toutes les couches socioprofessionnelles, certaines incarnant des vices, seront présentes : ministres, économistes, avocats, magistrats, journalistes, politiciens, dirigeants politiques, militaires, chefs coutumiers, griots, chefs déchus, philosophes, femmes de présidents d'institutions, musulmans, forgerons, tisserands, exilés politiques.

    Dans le même poème, la fraternité parentale est constamment exaltée à travers l'élément du refrain :

    « Fils de mes Pères »

    « Le vouloir - vivre » est un poème où le problème de la différence, de la grandeur mais aussi de la faiblesse est évoqué. Une situation conflictuelle existe non seulement entre deux Peulhs (père et fils) mais aussi entre sédentaires - cultivateurs et nomades - éleveurs. Un Peulh doit être puni parce que :

    « Le mil de sa grandeur

    Ne saurait avoir pour destin

    La langue d'une vache »

    Le père ne voulant pas mourir veut livrer son fils à la colère du Naaba :

    « Naaba

    Naaba

    Sambo et moi

    Nous sommes tous des Peulhs !

    Nous ne sommes pas des frères !:

    C'est moi qui ai mis Sambo au monde

    Mais,

    Naaba,

    Naaba,

    Avouons,

    Que Sambo aussi

    N'est pas de ce siècle ! »

    Signalons que le texte poétique réécrit un texte oral populaire. Des rapports textuels identifiables existent entre l'ordre de l'oral et celui du scriptural. Une étude d'intertextualité peut être faite et témoigner de l'attachement du poète à son milieu culturel qui l'inspire.

    « Le concours de danse » s'assimile à une compétition, à une rivalité entre les hommes. Tout le monde est convié à ce concours et chacun danse avec ses moyens. Mais on sombre dans l'arbitraire car il n' y a pas eu de critères objectifs à partir desquels un verdict impartial devait être rendu. Le poète exprime alors sa révolte face à cette injustice sociale. Des personnages acteurs animaux jouent leurs rôles devant un public.

    Dans le poème « Devant le juge », le thème abordé est la séparation. Un divorce est demandé au juge parce que chacun des protagonistes s'est rendu coupable d'adultère. Le poème est bâti sur la contrariété car les accusations sont réciproques et se succèdent.

    « Voltacidé », le titre du cinquième poème est un mot composé de « volta » (qui vient de la Haute Volta) et de « cidé » (qui signifie tué). Ce mot « Voltacidé » traduit un désastre, lequel désastre compromet l'avenir des futures générations :

    « Dans un trou,

    Mamadou et Bineta pleurent !

    C'est le carnaval des Maudits. »

    Dans « Le serpent inaugure son marché », il est question d'une prise de décision qui consiste à créer un autre monde et un autre style plus acéré afin de rendre la dénonciation plus acerbe. La société africaine, dépourvue de ce qui lui était vital, est détruite. Le silence ne peut donc prévaloir après un tel ethnocide. Des souvenirs lourds de tortures subies par le poète et par des semblables seront évoqués dans presque tous ces poèmes, notamment dans Quant s'envolent les grues couronnées et dans Poèmes pour l'Angola.

    En définitive tous les poèmes du recueil renferment la même thématique à savoir la décadence des sociétés africaines. Les facteurs et les manifestations de cette décadence apparaissent clairement dans les poèmes qui se complètent merveilleusement. La deuxième partie de notre mémoire sera consacrée à leur identification.

    DEUXIEME PARTIE

    EXPLORATION D'UN PASSE ET D'UNE CULTURE

    CHAPITRE I

    SOCIETES TRADITIONNELLES DENATUREES

    Les sociétés traditionnelles africaines se sont toujours distinguées des sociétés d'ailleurs par leur mode de vie singulier et spécifique. Même à l'intérieur des sociétés africaines, la vie des hommes varie d'une société à une autre. Les civilisations diffèrent également les unes des autres. Les loisirs - qui viennent rompre la monotonie des jours - varient à l'infini et se diversifient selon l'âge et le sexe.

    Le statut des hommes varie à l'intérieur d'une même société. On y trouve des rois et des chefs coutumiers, des conseillers du roi, des pages, des nobles, des guerriers, des cultivateurs, des éleveurs, des captifs de guerre ou esclaves, des griots, des sorciers, féticheurs ou guérisseurs qui servent d'intermédiaires entre le monde visible et le monde des esprits.

    De nos jours avec la métamorphose de nos sociétés traditionnelles, toutes les différences tendent à s'estomper ou à être reléguées au second plan à cause de la réorganisation des grands empires. Les indépendances ont accéléré « l'occidentalisation » de nos sociétés fortement ébranlées dans leurs principes par la colonisation.

    La nouvelle organisation des sociétés s'observe dans des domaines bien déterminés : politique, culturel, professionnel et religieux. On essaie de tout substituer en Afrique.

    En effet, le pouvoir politique qui était entre les mains des chefs traditionnels sera confisqué par de nombreux maîtres issus du système colonial. Les Nanamse vont perdre leurs attributs et leur pouvoir de diriger les affaires intérieures et extérieures des sociétés :

    « On rencontrera

    Les rois Rivières

    Rivières taries

    Sur lesquelles

    Poussent les arbustes du Sahel

    Plus blancs que le crâne d'un blanc à l'agonie

    Tous les Foudres,

    Soleils,

    Eperviers portant l'enclume

    Plus blancs que le crâne d'un blanc à l'agonie

    Tous,

    Tous,

    Tous,

    Tous seront là.

    EAUX A TERRES,

    Bec en l'air,

    PAGES DERRIERE ! »

    Les chefs coutumiers ont été non seulement déchus mais aussi corrompus. Au lieu d'enseigner la morale, d'inviter à la vertu, de forcer à la justice, de donner de bons exemples, de réprimer les abus et les vices, ces souverains se laisseront détourner de leurs devoirs par les nouveaux maîtres du système colonial.

    « Le petit Pierrot (7)

    Plus gros que son cheval »

    En outre sur le plan culturel, un bouleversement scandaleux du mode

    de vie entraîne la naissance de nouveaux loisirs :

    « Le marché

    Est le Carrefour

    De tous les amis,

    Leurs ministres,

    Leurs ministricules,

    De tous ceux qui peuvent si bien

    Compter les cauris,

    Danser au Lou PARADOU ».

    Le Lou PARADOU est une boîte de nuit. Et qui parle de boîte de nuit parle de lieu où la modernisation a fait son entrée avec pour inconvénient la dépravation des moeurs.

    Les femmes qui ne pouvaient se faire valoir rien qu'au foyer voient leur statut changé.

    Elles peuvent désormais fréquenter les mêmes lieux que les hommes et montrer leurs charmes, leurs artifices :

    (7) Naba Kougri, intronisé en 1957 et décédé en 1982 soit vingt cinq ans de règne.

    « Il y aura les grâces,

    Les trois Grâces de l'Empire,

    Qui sont les plus belles de la terre,

    Elles ont les fesses d'un tueur de serpent,

    Elles brillent et exhibent,

    Poitrine au vent,

    Leurs grandeurs sous les étoiles ! »

    Les « Grâces » sont les épouses des représentants des trois premières institutions républicaines (exécutif, législatif, et judiciaire) du pays. Elles se démarquent carrément des femmes dont il est question dans cet extrait de l'ouvrage de Joseph Ki-ZERBO intitulé Histoire de l'Afrique noire :

    « Les femmes, a-t-on dit, constituaient une catégorie

    particulièrement opprimée. Certes, la femme africaine était

    parfois une travailleuse et une source de travailleurs

    supplémentaires dans le champ d'un polygame. Elle constituait parfois un bien d'échange, servant par la dévolution en mariage, à consolider les relations sociales.

    Mais la femme noire, malgré les mutilations corporelles qu'on lui infligeait parfois, avait aussi des prérogatives qui sont aux antipodes de l'oppression et qui lui donnaient un statut

    enviable par rapport aux femmes de certains pays à la même

    époque (...).

    A vrai dire, malgré les désavantages qu'elle subissait

    parfois, malgré la Diminutio Capitis qui en faisait parfois

    une sorte de mineure perpétuelle, la femme africaine était

    une source toujours vive et intarissable d'espoir. Rien

    de plus gai qu'un groupe de femmes rassemblées pour

    porter le bois ou la récolte, pour piler, vanner le mil et

    cuisiner. Productrice de biens, productrice d'enfants,

    prêtresse, amante versant passionnément l'ivresse

    du vin du noir, la femme africaine a toujours été

    berceuse des peuples dans leurs labeurs quotidiens,

    leurs tribulations, leurs rêves et leurs angoisses, leurs

    voluptés et leurs joies » (8)

    Aucune similitude ne semble exister entre l'image de ces trois Grâces qui sont purement les produits de la modernité et celle des femmes que nos sociétés traditionnelles ont connu et connaissent - cela pour combien de temps encore - sous certains cieux. Au nom de l'égalité entre les deux sexes, les tâches et les rôles ne sont plus spécifiques à l'homme ou à la femme. La femme ne sera plus l'élément conservateur de la tradition mais une progressiste. Elle s'implique corps et âme à la réorganisation des sociétés africaines. Une prise de conscience de certaines violences se traduira par l'émergence d'une nouvelle race de femmes. La transmission des valeurs sociales et morales au sein de la cellule de base n'est plus assurée dans l'unicité du couple mère - enfant.

    (8) Joseph KI - ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Editions Hatier, Paris, 1978, P176

    De plus si dans les sociétés traditionnelles africaines l'on concevait difficilement qu'une femme ne s'investisse pas dans tous les domaines où s'exerçait l'activité domestique, il est, de nos jours, de plus en plus fréquent qu'elle n'exécute plus des travaux ménagers à cause des activités professionnelles. Loin de nous l'idée selon laquelle la femme dans la société traditionnelle jouait un rôle de second plan. Le nouveau statut de la femme trouble plus d'un et révèle parfois une profonde misère morale des femmes dites modernes. Le bouleversement des structures sociales entraîne une

    dégradation des conditions de vie.

    Par ailleurs, une administration coloniale nouvellement instaurée fait voir le jour à des professions existantes sous une autre forme dans nos sociétés traditionnelles. KI - ZERBO l'atteste en ces termes :

    « Le royaume mossi de Ouagadougou était

    une monarchie centralisée, à laquelle il n'a

    manqué q'une bureaucratie de scribes,

    et la rapidité des communications pour

    être comparable aux royaumes européens

    de son temps » (9)

    De ces professions qui émanent de l'administration coloniale, nous pouvons citer entre autres les fonctions de ministre, d'ambassadeur et de journaliste.

    En effet, de par le passé, les provinces du royaume mossi étaient confiés à des ministres comme : le Widi - Naba (chef des chevaux) sorte de premier

    (9) Joseph KI - ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Editions Hatier, Paris, 1978, P256

    ministre, conseiller et porte - parole politique dont l'une des attributions spécifiques est la succession des rois, le Gounga Naba (Ministre à compétence militaire), le Larlé - Naba qui en plus de ses attributions militaires (général en chef) est considéré comme expert ès - coutumes, le Baloum - Naba, majordome et surintendant du palais chargé aussi des rites religieux comme l'entretien du feu royal et transport des vases sacrées (tibo), le Kamsaogho - Naba, eunuque chargé du harem et de l'exécution des hautes oeuvres puis le Samandé Naba (chef de la cour extérieure).

    Quant aux fonctions d'ambassadeur, de magistrat et d'avocat, elles étaient exercées par le roi lui-même, juge absolu, les chefs de villages et de cantons. Ils étaient tous soumis aux mêmes lois que le commun des mortels du royaume. Leur intégrité et leur impartialité vis-à-vis du peuple étaient un devoir moral auquel il ne fallait pas faillir. De nos jours, les extraits suivants montrent la disparition de certaines précieuses valeurs telles que l'honnêteté et la justice.

    « Le marché

    est le carrefour

    De tous ceux

    Qui vomissent à l'extérieur

    Ce qu'ils n'ont pas mangé à l'intérieur

    Qui montre à longueur des temps

    Des fleurs

    Sur des champs de fumier

    Et des carcasses de chantiers,

    Qui tiennent haut le crachoir

    Et qui finiront

    Tous les bavoirs de la république

    Qui sont corbeaux

    Et séparent si bien ce que Dieu a uni ! ».

    Ces extraits révèlent les pratiques avilisantes des ambassadeurs « ceux qui vomissent à l'extérieur ce qu'ils n'ont pas mangé à l'intérieur » et des avocats « qui tiennent haut le crachoir et qui finiront tous les bavoirs de la république » et des magistrats « qui sont corbeaux et séparent... » En refusant de dire la vérité, de défendre des causes nobles et de rendre la justice, diplomates, avocats et magistrats agissent de manière sordide et ne se présentent pas comme des modèles sur les plans éthique et professionnel. Les uns embellissent ce qui est laid et les autres ne méritent aucune confiance des justiciables. Aucune crédibilité ne peut leur être accordée et leur dignité est échangée contre des richesses matérielles et éphémères. Sont devenues désuètes les valeurs morales enseignées par la sagesse africaine, la morale des contes et des fables.

    La fonction du journaliste est évoquée à travers les vers ci-dessous :

    « Le carrefour

    De tous les ubiquitaires

    Qui

    A mille lieux à la ronde

    Se font voir,

    Sans jamais être vus »

    La fonction de griot, qui a été remplacée partiellement par celle du journaliste, connut une fin tragique :

    « Tous les archers mythes séculaires,

    Plus asséchés que leurs arcs »

    Pourtant combien était noble ce métier :

    « Ils étaient chargés de rattacher les vivants

    D'aujourd'hui aux vivants d'hier, par une

    Récitation rituelle et sans faille »

    A l'instar des domaines politique, culturel et professionnel, le domaine religieux n'a pas été à l'abri du changement dans les pratiques rituelles. C'est ainsi que l'animisme dans les sociétés traditionnelles fit place aux religions révélées que sont l'islam et le christianisme :

    « Il y aura aussi,

    Tous ceux

    Tous ceux,

    Tous ceux qui fredonnent des

    CREDO tous les matins

    Sous les coupoles »

    Ces religions révélées vont empêcher l'existence de l'harmonie intérieure et extérieure de l'homme noir et portera ainsi atteinte à la noblesse d'antan de son âme. Joseph KI - ZERBO nous éclaire sur le rôle déterminant que jouait la religion dans la vie des Africains :

    «...écrasé par les forces naturelles ambiantes, l'homme

    noir a élaboré une vision du monde conçu comme un

    gigantesque match de forces à conjurer ou exploiter.

    Dans cet océan de flux dynamiques en conflit, il s'est

    fait poisson pour nager. Plutôt que de dompter,

    il a préféré participer. Il a gagné à cette attitude

    une prodigieuse richesse émotionnelle et existentielle,

    spirituelle aussi. (...) L'homme pouvait régner sur le

    monde par le rite et par le verbe... (10)

    Religion, philosophie, mentalité et organisation sociale qui régissaient les sociétés traditionnelles africaines seront en déclin. De profondes réformes structurelles et institutionnelles sont à l'origine de la déperdition des sociétés africaines qui ne cessent d'être des immenses chantiers de transformation. Elles engendrent des conflits entre les ethnies qui se sont cristallisées et créent le mimétisme culturel. Il est donc légitime de s'opposer à ces réformes qui aliènent, qui détruisent l'identité plurielle des peuples africains. La diversité culturelle doit être un tremplin de développement. Mais une uniformisation des cultures serait un obstacle aux différentes expressions culturelles.

    Pour se développer, les sociétés africaines doivent extraire en elles mêmes le maximum de génie. Le développement doit être endogène et si jusque là elles en ont été incapables, des facteurs le justifient.

    (10) Joseph KI-ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, Edition Hatier, Paris, 1978, P. 17

    I -1 FACTEURS

    Les facteurs de la métamorphose des sociétés traditionnelles africaines sont multiples et variées . Ils sont tous inhérents aux dérives d'une vie dépourvue de sagesse africaine, de repères socio - culturels.

    La perversion, la fausseté, l'injustice, la corruption, le cartésianisme, l'avènement des nouvelles religions, la substitution des structures traditionnelles par celles modernes, font perdre aux sociétés traditionnelles leur identité culturelle.

    Dans le marché qui représente un véritable  « Carrefour », les différentes facettes de la société dénaturée se donnent à voir. Le marché qui autrefois offrait un cadre de rencontres chaleureuses entre parents et amis devient un lieu où les travers de la société sont visibles et rivalisent pour assiéger les mentalités. Le mensonge est dénoncé à travers les ambassadeurs qui vont à l'étranger dire rien que du bien du pays alors que rien ne va. Chargés de représenter leurs pays à l'étranger, les ambassadeurs dépeignent une situation agréable des sociétés africaines qui sont pourtant en proie à l'injustice sociale et à la transgression des droits humains les plus élémentaires :

    « Le marché

    est le carrefour

    De tous ceux

    Qui vomissent à l'extérieur

    Ce qu'ils n'ont pas mangé à l'intérieur

    Qui montre à longueur des temps

    Des fleurs

    Sur des champs de fumier »

    «  Les champs de fumier » représentent toutes les exactions que multiplient chaque jour certains pouvoirs politiques. Toutes les actions qui rebutent et qui sont viles sont désignées par le terme « fumier ».

    L'injustice commise par les hommes censés être les garants de la justice est évoquée :

    « Qui tiennent haut le crachoir

    Et qui finiront

    Tous les bâvoirs de la République

    Qui sont corbeaux

    Et séparent si bien ce que Dieu a uni ! »

    Les détenteurs d'une parcelle de pouvoir sont indexés à cause de l'abus de leur autorité. Ils se prennent pour des Tout - puissants et ne font que ce qu'ils veulent :

    « Le marché

    Est le carrefour

    De tous ceux

    Qui représentent

    Que,

    Seul,

    Un Seigneur sectaire,

    Dans sa magnanimité,

    Ouvrira

    Les portes d'un paradis »

    L'identité et les pratiques ignobles des dirigeants et des partis politiques se découvrent :

    « On y verra

    Tous les éléphants

    Qui se feront digérer

    Par des larrons,

    Tous les lions

    Et toutes les hypothétiques problématiques

    Coincées avant la Genèse,

    Tous ceux

    Qui partagent leur mil

    Avant de le croquer,

    Tous ceux

    Qui croquent leur mil

    Sans le partager,

    Tous ceux

    Qui partagent le mil des autres,

    Avant de tout croquer

    Et tous ceux qui ne savent pas

    Où ils se sont mouchés la veille »

    « Mais il y aura

    Tous ceux qui honorent la honte

    Qui n'ont pas peur

    En pissant froid. »

    Les assassinats politiques (« coincés avant la Genèse », renvoie à la mort accidentelle, à Sakoinsé, de Nazi BONI), la gabegie, l'égoïsme, les intérêts personnels et les promesses non tenues sont autant de bavures commises par les dirigeants politiques et ceux qui aspirent à la conquête du pouvoir.

    Par ailleurs, les sociétés traditionnelles africaines ont plus d'inclination aux superstitions. Tout acte, tout événement, tout rêve, toute maladie, tout incident, etc., n'est fortuit. Tout s'interprète et s'explique grâce aux sciences occultes (divination, magie, spiritisme, etc.).

    Convaincues de l'influence de forces invisibles qui habitent la nature, forces avec lesquelles des rapports harmonieux doivent exister, les pratiques et les croyances ont toujours eu une signification surnaturelle.

    Le mysticisme occupe une place importante dans le vécu quotidien des Africains qui ont une grande dévotion pour les divinités dont il faut craindre les représailles.

    Cependant toutes les institutions religieuses nouvellement implantées en Afrique et la prise en compte des méthodes rationnelles dans les réflexions ont fortement ébranlé les convictions des peuples et ont été à l'origine de leur aberration.

    « Il y aura aussi

    Tous ceux,

    Tous ceux,

    Tous ceux qui fredonnent des CREDO

    Tous les matins sous les coupoles

    Et qui

    Le soir venu,

    Disparaissent dans les gouffres

    Insondables de KIENPALGO »

    « Il y aura aussi

    Tous ceux qui pensent

    Dur comme fer,

    Que l'égalité

    Est une chimère,

    Que la terre

    Est moins prospère,

    Que la vie

    Se détériore,

    Que Satan

    Est le plus fort,

    Qu'il faut enterrer les Eglises

    Et chanter autour du feu ! »

    « Il y aura aussi

    Tous ceux qui pensent

    Dur comme fer,

    Que c'est l'homme

    Qui danse en rond,

    Que c'est Dieu

    Qui est Satan,

    Que Satan

    Notre Dieu,

    Qu'il faut construire les temples

    Et y adorer le feu ! »

    L'homme noir va élaborer une autre vision du monde. Les richesses émotionnelles, existentielles et spirituelles vont être sérieusement compromises, voire détruites. Les liens sociaux, spirituels et humains sont dénaturés. Le développement sera envisagé désormais à partir de la culture étrangère. Tout un héritage culturel, au lieu d'être entretenu,est banalisé, voire abandonné. Cette déculturation engendre des conséquences désastreuses qui ne seront pas occultées.

    Par ailleurs, nos sociétés africaines avaient des institutions propres à elles qui sont pour la plupart sapées. Notons que les institutions en Afrique varient à l'infini selon les sociétés. Nous n'avons pas la prétention de les énumérer toutes. Quelques unes qui leur sont propres nous intéresseront.

    Les différentes institutions ont soit un caractère politique, soit un caractère social, soit un caractère économique, soit un caractère religieux. Au niveau des institutions politiques, nous pouvons citer la « chefferie » représentée actuellement par le pouvoir exécutif ; le « conseil de sage » constitué d'hommes dont l'autorité morale est sans conteste ; les « cantons » qui sont des subdivisions territoriales dirigées par des chefs désignés par l'empereur ; l'« armée » constituée de guerriers qui protègent les intérêts du royaume et travaillent à son extension.

    Les faits sociaux tels que le mariage, les loisirs (danse, chasse, soirée de conte...) constituent des institutions sociales. A travers ces institutions, les hommes se responsabilisent et se donnent des moments de divertissement qui ont aussi une portée pédagogique.

    L'existence des castes au sein des sociétés traditionnelles constitue une de leur particularité. La caste est un groupe social composé d'individus partageant un même statut hiérarchique et exerçant généralement une activité professionnelle commune. Ainsi au sein de nos sociétés traditionnelles il existe la caste des griots, la caste des forgerons, la caste des pages, etc.

    Par ailleurs, il existait au sein des sociétés africaines traditionnelles l'achat, la vente, l'échange de marchandises, de denrée. Une telle activité est appelée commerce. Elle permet la distribution de ce qui est nécessaire aux besoins des hommes. Le commerce constitue une institution économique qui n'était pas négligeable car elle rapprochait les cultures et les hommes. L'intégration des peuples était effective grâce à cette institution économique.

    Aux institutions socio - politiques et économiques s'ajoutent celles qui ont un caractère religieux ou sacré. Les rites coutumiers, les initiations, les funérailles et la sortie des masques sont entre autres des pratiques qui relèvent de la croyance des Africains. Les initiations permettent le passage de l'état d'immaturité à l'état mature par des exercices physiques et moraux très éprouvant. Ils permettent également l'intégration de certaines personnes novices dans des sociétés sécrètes.

    S'agissant des funérailles, elles constituent l'ensemble des cérémonies solennelles qui accompagnent le repos éternel d'un mort. Au cours des funérailles d'une personne âgée, la sortie des masques qui incarnent les éléments du monde invisible permet l'accession de l'âme au monde des ancêtres qui intercèdent pour les vivants.

    Les rites, de façon générale, confèrent un caractère sacré aux différentes pratiques qui ont lieu dans la société. Il existe les rites nuptiaux, les rites funéraires, les rites de purification, les rites de demande de pardon, les rites de demande d'aide, les rites de fête, etc.

    Toutes les institutions traditionnelles de l'Afrique n'ont plus la même envergure qu'avant. Elles sont délaissées au profit d'autres qui sont propres à d'autres peuples jugés civilisés et plus évolués.

    Ces derniers sont pris pour des modèles sur tous les plans et tout le mécanisme de mimétisme mis en place vise à faire des Africains des clones parfaits de ces sociétés occidentales. Mais engagés toujours dans la lutte pour le développement, les pays africains rencontrent les mêmes difficultés. Il est temps de se convaincre que le développement économique et la renaissance sociale et culturelle de l'Afrique ne passe certainement pas par l'imitation.

    Par ailleurs, les institutions légitiment certaines pratiques qui portent sérieusement atteinte à l'intégrité physique et morale des Africains. Celles - ci reposent sur des fondements difficilement ébranlables et se révèlent pérennes. Ces pratiques traditionnelles qui reposent sur des valeurs socio - culturelles, religieuses, hygiéniques et esthétiques sont entre autre le lévirat, le sororat, le mariage forcé, les mutilations génitales féminines, les scarifications, etc. Toutes ces pratiques bien acceptées dans les sociétés africaines traditionnelles visaient à sauvegarder les liens familiaux et la dot

    (lévirat, sororat), à témoigner ses amitiés (mariage forcé ou précoce) à assurer la virginité et la fidélité des filles et des épouses (mutilation génitale féminine), à soigner ou à embellir (les scarifications). Les raisons des pratiques sont nobles mais leurs conséquences sont redoutables.

    En définitive des institutions sont propres aux sociétés traditionnelles africaines. Elles permettent une vie paisible et prospère au sein d'elles bien qu'elles autorisent certaines pratiques néfastes à l'homme. Les pratiques traditionnelles, même si elles se sont cristallisées peuvent s'estomper par la clarification des valeurs qui permet une analyse de celles - ci sur les plans moral, social, religieux, économique et sanitaire en vue de les renforcer ou de les affaiblir. La clarification des valeurs peut se faire à travers une étude de cas, un jeu de rôle, une discussion de groupe, une simulation, un jeu, un questionnaire anonyme, etc. Avec un recul de ceux qui détiennent les rennes des institutions traditionnelles et une ouverture de leur part, les pratiques peuvent être plus commodes et plus profitables. Ainsi nos sociétés gagneraient en rayonnement grâce à la correction de certains comportements nuisibles. Le rayonnement que l'on pense obtenir par le mimétisme paraît impossible. Nos sociétés africaines ne peuvent rayonner que grâce à leur culture.

    Pour conclure cette partie, nous énumérons, sous forme de tableau récapitulatif, des pratiques traditionnelles sous - tendues par des « valeurs ». Elles paraissent néfastes et rétrogrades.

    LISTES DES PRATIQUES TRADITIONNELLES :

    Pratiques traditionnelles

    Raisons qui soutiennent les pratiques

    L'excision

    - pureté, hygiène, changement de statut : passage de l'enfance à l'adolescence pour être accepter socialement

    - garantir la fidélité, le respect des coutumes et de la religion

    Mariages forcés et précoces, maternités précoces

    Fondement religieux (rapports sexuels interdits hors mariage), préservation de la virginité de la fille, respect des liens familiaux, de l'amitié, peur de l'inceste et de grossesse hors mariage

    Les scarifications

    Moyen d'identification du groupe ethnique - esthétique - soins de santé

    Le tatouage des gencives, des lèvres, des joues

    Esthétique - acte de bravoure

    Le percement du lobe de l'oreille, du nez, des lèvres

    Esthétique

    Limite de la parole

    L'extraction des dents de lait

    Pendant la dentition, en cas de diarrhée extraction des canines considérées comme mauvaises dents qui peuvent empêcher l'enfant de grandir.

    Les tabous nutritionnels

    Exemples

    a) OEufs

    b) Citron

    c) Lait caillé

    d) Piment et autre épices

    Respect des coutumes et traditions pour prévenir certains vices et comportements déviant les enfants et les femmes :

    - l'enfant qui mange des oeufs devient voleur - respect de la vie

    - l'enfant devient méchant

    - peut provoquer des grossesses rapprochées

    - pour la femme en grossesse : enfant pleurnichard et nerveux

    Le gavage

    - Donner force et santé à l'enfant

    - Pour la femme : pour rentrer dans les grâces du mari, rang prestigieux, charme, prestige

    - Pour le mari signe d'aisance « mari capable », embonpoint

    Ceinture de grossesse

    Aux environs du 5ème et 6ème mois de la grossesse, ceinture autour de l'abdomen pour fixer le foetus et l'empêcher de remonter ou qu'il ne soit pas trop gros.

    Sevrage précoce

    En cas de grossesse précoce

    Massage ou écrasement des seins après l'accouchement

    Faciliter la montée laiteuse, éliminer le colostrum considéré mauvais pour l'enfant.

    Abstinence de rapports sexuels pendant la grossesse

    Respect des coutumes, risques d'avortement

    Abstinence de rapports sexuels pendant la période de l'allaitement

    Détériorer le lait maternel, affecter la santé de l'enfant.

    Taille des dents

    Esthétique, acte de bravoure.

    Lévirat et sororat

    Sauvegarder la dot et les liens familiaux.

    Interdiction du premier lait colostrum à l'enfant

    - Respect des coutumes et traditions

    - Premier lait considéré mauvais

    Interdiction de rendre visite aux parents avant l'accouchement

    Risque d'avortement ou de malformation du foetus.

    Dot très élevée

    Valoriser la femme, recherche d'un enrichissement

    Confession obligatoire de la mère en cas de difficulté d'accouchement

    Lutter contre l'adultère

    Sevrage brusque en cas de suspicion de grossesse

    Sauvegarder l'enfant et préserver la grossesse

    Lavement évacuateur à base de décoction de plantes

    Purge et soins de l'enfant

    Exclusion sociale des femmes et des filles

    Sorcellerie, non respect des coutumes et traditions, refus de mariage forcé par la fille

    Exclusion sociale de certaines catégories d'enfants : jumeaux, albinos

    Enfant porte malheur

    Ségrégation en matière d'éducation et de traitement entre filles et garçons, sous - scolarisation des filles

    Respect de la tradition en matière de code éducationnel, respect du rôle traditionnel de la femme au foyer

    Inégale répartition des tâches entre l'homme et la femme

    Respect de l'ordre social traditionnel

    Déshéritage de la femme par ses beaux parents

    Respect de la tradition reléguant la femme au second plan

    Problème de caste dans les mariages et autres rapports dans la société

    Respect des coutumes et traditions

    Exclusion familiale des filles en grossesse

    Respect des coutumes et traditions sauvegarder l'honneur de la famille

    Le non accès de la femme à la terre

    La terre est sacrée, possibilité pour la femme de changer de famille

    Déshéritage des jeunes enfants par leur oncle ou grands - parents

    Non maturité des enfants, respect des traditions sur la gestion de la communauté familiale

    Rejet des femmes n'ayant pas de poils sur le pubis

    Femme porte malheur

    Rejet de la femme stérile

    Impossibilité de perpétuer la famille

    Cicatrisations spécifiques des femmes mariées et non mariées

    Identification des femmes de part leur statut, préservation des femmes mariées des tentations masculines.

    En dépit de ces pratiques, l'Afrique ancestrale était forte de sa sagesse traditionnelle et de sa maîtrise du verbe. Le malaise social émane surtout de cette absence de circonspection et d'inspiration de nos valeurs

    I - 2 Manifestations

    Le dérèglement des moeurs se constate en général par le bouleversement de l'ordre établi des choses. La fin de certaines strophes, dont les écritures sont en gras et en majuscule comme si c'est pour attirer l'attention, apportent des précisions :

    « TOUS SERONT LA,

    FESSES SOUS PRESSES,

    PANSE A TERRE,

    TETE EN L'AIR ! »

    « Tous seront là,

    EAUX A TERRES

    Bec en l'air,

    PAGES DERRIERE »

    « Tous

    Tous seront là

    FEUX DEVANT,

    VENTRE EN L'AIR,

    CROIX DERRIERE ! »

    « Tous seront là

    PIEDS EN L'AIR

    VENTRE EN L'AIR

    TETE EN L'AIR ! »

    Toutes les attitudes et dispositions normales sont devenues l'inverse. Toute normalisation doit être envisagée afin que l'équilibre biologique et social soit établi. Une décadence semble évidente.

    Celles-ci sont en proie aux conflits nés des rapports de force où l'injustice, l'arbitraire et la violence s'imposent et à l'infidélité des peuples africains aux moeurs anciennes. La nature de ces conflits engendrés par la dénaturation des sociétés africaines diffère de celle qu'elles connaissent (dans « vouloir vivre », le conflit entre agriculture et éleveur). Il est des conflits dus à de simples relations conflictuelles interpersonnelles et d'autres dus à l'aberration, à la perte de dignité et de certaines valeurs morales.

    Dans les sociétés traditionnelles africaines, le divorce, évoqué dans le poème « Devant le juge » et qui est dû à l'infidélité des époux qui ne tiennent plus à coeur au respect du conjoint et au-delà de lui de sa famille, était quasi inexistante. Les mauvais rapports conjugaux et leurs conséquences sont ainsi fustigés. Un tableau de la bêtise humaine est aussi présenté :

    « Il faut séparer !

    Il faut séparer !

    Séparer l'homme !

    Séparer la femme

    Séparer les enfants !

    Séparer la poule,

    Le coq,

    Les poussins,

    Le taureau,

    La vache

    Il faut partager,

    Il faut partager,

    le mil en deux,

    Le chien en deux

    L'eau du puits en deux,

    Les amis en deux

    Les ennemis en deux,

    Le village en deux

    La ville voisine en deux,

    La terre en deux,

    Le soleil et la lune en deux,

    Dieu en deux,

    Son paradis en deux

    Son enfer en deux ! »

    Tout doit être séparé, tout doit être partagé pour que l'individualisme règne. Tout les biens acquis ensemble, allant même jusqu'à la progéniture doivent être répartis. On veut se les approprier individuellement alors que les sociétés traditionnelles africaines prônaient la collectivité, la dépendance mutuelle d'intérêt. Par la séparation des biens matériels, nous assistons à l'avènement du capitalisme basé sur le profit personnel et à l'avènement d'une autre mentalité, d'une autre façon de penser, d'envisager les choses. Ce changement est non seulement individuel mais aussi général au sein des sociétés africaines.

    Les moments de joie «  Son paradis en deux » et les moments de douleurs « Son enfer en deux » ne doivent plus être partagés. Par conséquent la nature des rapports humains change à cause des sentiments d'indifférence, de mépris et d'égoïsme qui l'emportent sur la sympathie, le respect et la générosité.

    Un autre tableau de la bêtise humaine est présenté dans le poème « concours de danse » et concerne les rapports de force qui déterminent le droit, la victoire, l'hégémonie. Une confrontation semble exister pour une question de leadership politique et économique dans le monde. Les rivalités, les conflits et les convoitises naissent également de la jalousie et de l'envie de ressembler à l'autre au lieu de se contenter de sa propre situation. Lisons :

    « Quand le coup de gang

    Retentit dans la vallée,

    Et que TOURBILLON

    Changea de cap

    Pour amortir la mêlée,

    On vit

    Sur le sol,

    Crispée,

    Dénudée,

    Gardant le diable au corps,

    Pour ramener la couronne à la lignée,

    La plus Ephémère de la création,

    Que Seules

    Les circonstances ont fait démériter,

    Tremblant nue,

    Dansant nue,

    Devant chacun qui se voile le visage !

    La disqualification

    Fut à l'unanimité !

    Tout Warba se danse

    Avec le SAGUI

    Avec le ZAYBRE

    La disqualification

    Fut à l'unanimité

    Et TOURBILLON

    Qu'entraînèrent

    Les cousins BOURRASQUE et CYCLONE

    Fit voler cent toits de joie ! »

    « Toute l'année

    Le pique-boeuf

    Pour ressembler au corbeau

    La plus belle création du créateur,

    Passa

    Toute l'année,

    Dans le puits d'indigot de TAMBOGO !

    Toute l'année,

    Le corbeau,

    Pour ressembler au Pique - Boeufs,

    La plus belle création du créateur

    Passa

    Toute l'année,

    Dans le puits de kaolin de TAMBOGO !

    La raison

    Est dans le coeur,

    Elle n'est pas

    Dans le ventre !

    Toute l'année,

    Frère charognard et fils,

    Dont les pantalons vinrent tout droit

    De l'empire Sud du Ghana,

    Toute l'année,

    Monopolisèrent les fabriques

    De graisse, beurre et parentés,

    Pour être aux premiers rangs

    Des tresses et lisses chevelures »

    Le poète terminera par une morale qui désapprouve l'argument de la force et l'avènement d'un monde impitoyable. Il y a des manquements au respect des droits humains. Le plus fort exerce sur le plus faible sa loi avec souvent une couverture juridique. La loi d'exception, même si elle prend du temps pour infliger la peine à ses victimes, elle ne pourrait triompher de la loi morale.

    Par conséquent, le poète est convaincu que le despotisme ou la tyrannie ne peut faire sa loi de manière sempiternelle. Parmi les ruines sociales et culturelles un trésor peut toujours être découvert et permettre une réhabilitation des structures socio - culturelles traditionnelles qui faisaient la fierté et l'authenticité des sociétés africaines. Une destruction complète des artifices pourrait permettre une régénérescence socio - culturelle. Mais avant l'avènement de celle - ci, la loi du plus fort est toujours la meilleure et nous pouvons le constater à travers la décadence des sociétés africaines. Il y a une situation léthargique qui s'installe et inquiète.

    «  Le monde d'aujourd'hui

    Est de puissance !

    La force

    Détermine la victoire !

    Toute faiblesse

    Est EPHEMERE !

    C'est le refrain quotidien

    Des tam - tams ! »

    Par le règne de la violence et des tyrannies, l'équilibre social est brisé. Et si le bonheur réside dans l'état de l'être, nous pouvons affirmer que cette situation des sociétés traditionnelles déstabilisées plonge les peuples noirs dans l'adversité, dans le malheur.

    I - 3 Décadence

    La dégradation des moeurs provoquée par la réorganisation politique, socio - culturelle, religieuse, etc. a précipité les sociétés africaines dans le gouffre insondable. Une société constituée d'institutions politico - économiques, religieuses et socio - scolaires modernes est en passe d'être un souvenir car le spectre de la mort plane sur elle.

    Les institutions politico - économiques modernes sont représentées par :

    «  Un président Gouverneur Général

    Une assemblée au grand complet

    Tout un gouvernement

    Un Ministre noir

    Un drapeau éternel

    Un Ministre Garangosé

    Un cabot venant de Monoprix

    Un chiffon exécré de Voltex »

    « Monoprix » était un grand centre commercial et « Voltex » fait allusion à l'industrie du textile. Le poète à travers « Ministre Garangosé » parle de Marc Tiémoko Garango, général de l'armée burkinabé à la retraite et ancien médiateur du Faso.

    La présence des institutions religieuses est révélée par :

    « Un cardinal

    Un cardinal rouge

    Une religieuse

    Une Eglise

    Un Temple

    Une mosquée

    Un Paradis

    Pour un repos éternel ».

    Aux institutions politico - économiques modernes et religieuses, s'ajoutent les institutions socio - scolaires :

    « Une chèvre de Monsieur Séguin

    Mamadou et Bineta pleurent

    C'est le carnaval des maudits !

    Où toute matière est

    Bijou

    Caillou

    Genou

    Hibou

    Pou ! »

    « Mamadou et Bineta » est un manuel scolaire et à travers les termes « Bijou, Caillou, Genou, Hibou et Pou » la grammaire française est évoquée par rapport au pluriel de ces mots.

    La présence d'un « cardinal aux quatre points cardinaux » au sein de cette société en décadence s'apparente à une cérémonie d'absoute et d'onction de malade destinée à offrir, à un peuple victime d'homicide, le viatique. La "nuit" symbolise l'obscurité, la léthargie, l'assombrissement :

    « Nuit !

    C'est toujours la nuit

    Plus rien à l'intérieur !

    Tout un Gouvernement

    Au grand complet !

    Un Ministre noir

    C'est mon ami Zanna,

    Un Conseiller Blanc,

    C'est lui qui bénit,

    Un drapeau éternel,

    Eternel,

    Eternel ! »

    « Un gourdin qui casse toutes les têtes

    Une massue,

    La poudre d'un mini - fusil,

    Une religieuse,

    Un impénitent,

    Un condamné,

    Un pouillard

    Une église

    Un temple

    Une mosquée

    Un paradis

    Pour un repos éternel

    Eternel,

    Eternel ! »

    « Le soleil du matin

    S'est couché trop tôt

    Sur la morne savane !

    Les crapauds ne Croassent plus !

    Les buissons touffus

    Ne renferment désormais

    Que les oeufs des perdreaux !

    Triste,

    Tout est triste ce soir »

    Tout pâlit, tout sombre, tout éclat disparaît dans un Etat dont le drapeau était arboré "Noir - Blanc - Rouge".

    La complicité entre le "Ministre Noir" et le "conseiller Blanc" a généré la violence et un bain de sang d'où la couleur rouge du cardinal. Les bons et les méchants périront tous :

    « Tous ceux qui,

    Leur vie durant,

    Ont pleuré seuls

    En construisant

    Les imposantes termitières,

    Les vampires,

    Les petits vampires,

    Les lions,

    Les petits lions,

    Les oiseaux,

    Les petits oiseaux,

    Ils SERONT ABSENTS !

    Tout est triste ce soir ! »

    Dans cette société dénaturée et plongée dans la léthargie, le poète exprime un besoin de changer le style et d'oeuvrer à l'avènement d'un monde plus humain qui repose sur le socle de la culture :

    « Le tam - tam retourne à ses ancêtres

    Qui connurent le Mouta - Mouta

    Pour que

    ça tire sous le soleil ! »

    L'uniformisation linguistique et le laminage culturel engendrés par la mondialisation qui pèse sur le village planétaire menacent la diversité et les identités culturelles. Il est évident qu'il faut lever les barrières idéologiques et culturelles pour permettre le dialogue entre les cultures. Il est aussi inadmissible d'accepter une mondialisation qui aliène. Si de nouvelles structures modernes doivent exister au grand dam des anciennes structures traditionnelles, une dénaturation est évidente. Il n'y a pas de cultures pures (sans apports extérieurs) mais il est possible de définir la physionomie et la spécificité de chacune d'elles. L'ostracisme qui frappe nos langues et littératures africaines à l'école trouve sa justification dans la réorganisation des sociétés africaines.

    A partir de ce carré sémiotique, cette dénaturation est mise en relief :

    Sociétés S Sociétés traditionnelles Traditionnelles S1 S2 dénaturées

    Deixis 1 Deixis 2

    Passé : Présent :

    Eléments glorieux Eléments décadents

    Anciennes Nouvelles structures

    Structures

    Non Sociétés Non - S2 Non - S1 Non Sociétés

    Traditionnelles Non - S traditionnelles

    dénaturées

    S1et S2, non - S1 et non - S2 sont des unités minimales de signification appelées sèmes. Les deux axes S et non - S sont constitués par la relation entre les contraires.

    Les sociétés traditionnelles authentiques s'opposent aux sociétés traditionnelles dénaturées. Cette relation d'opposition correspond à une opération de négation prenant en charge le passage S1 à non - S1. Une relation de présupposition prend en charge le passage de non - S1 à S2. L'axe du complexe est représenté par S2. L'axe du complexe est représenté par S qui subsume S1 et S2 et l'axe du neutre par non - S qui subsume non - S1 et non - S2.

    S1 non - S1 et S2 non - S2 traduisibles :

    Sociétés traditionnelles non sociétés traditionnelles et non sociétés dénaturées Sociétés traditionnelles dénaturées

    Non - S1 S1 et non - S2 S2 traduisible :

    Non - Sociétés traditionnelles Sociétés traditionnelles et sociétés traditionnelles dénaturées Non sociétés traditionnelles dénaturées.

    CHAPITRE II

    Ancrage culturel africain.

    La négritude est un mouvement littéraire et un concept philosophique qui s'est inspiré de courants socio - culturels, politiques, artistiques et littéraires. Sa finalité est d'oeuvrer à la réhabilitation des cultures africaines.

    C'est d'abord les Américains noirs comme Langston Hugues, Countee Cullen, Claude Mac Kay, Jean Toomer, etc. qui ont exprimé des sentiments de révolte contre les blancs qui les opprimaient avant que les étudiants africains comme Léon Gontran Damas, Césaire, Senghor, etc. ne s'affirment à leur tour à travers leurs oeuvres.

    Le mouvement de la négritude était un projet collectif qui exprimait un instinct de conservation et de développement historique. Il faut garder non seulement son authenticité mais aussi se dépasser et s'accomplir. Il faut être et non paraître, tel était le but affiché par la négritude définie par Senghor comme étant une manière spécifique d'« assumer les valeurs de civilisation du monde noir, (de) les actualiser et féconder, au besoin avec les apports étrangers » (1997) (11)

    La poésie pacérienne s'inscrit dans ce sillage car elle ne cesse de développer le thème de la fierté d'appartenir à une civilisation africaine. Cette appartenance doit entraîner une révolution qui conduit au dépassement, à l'accomplissement de soi. Pour cela, le poète s'ouvre à d'autres cultures

    (11) L. S. SENGHOR, Liberté 3, « Négritude et civilisation de l'universel », le Seuil, Paris, 1997, P270

    qui enrichissent la sienne. Toutefois, il veille à la sauvegarde de sa culture de manière efficace. Il n'hésite pas à dénoncer tout

    ce qui vient la compromettre. Affirmation de soi et révolte semblent donc caractériser cette poésie qui se veut universelle.

    La célébration d'un passé ancestral, le recours à un héritage culturel africain sont des indicateurs assez satisfaisants pour que PACERE soit traité non seulement d'adepte mais aussi de continuateur de la négritude. Ardent défenseur de sa culture, le poète ne se lasse pas de fustiger certaines pratiques qui la tuent. Redonner aux sociétés africaines leur lustre d'antan est le combat noble qu'il mène et qu'il veut gagner non pas seul mais avec tous ses frères de race et de culture.

    Les oeuvres négro- africaines d'expression française, depuis la période post - coloniale, présentent une originalité formelle. Par leur enracinement géographique et culturel, elles se distinguent des oeuvres de la littérature française. Les écrivains africains, grâce à leur culture, confèrent une certaine littérarité à leurs productions littéraires. Le recours à la tradition orale ou à des « fragments non traduits du vernaculaire » (12) permet de rendre spécifique leurs oeuvres, de leur donner un caractère hybride. Le sceau de la culture orale traditionnelle marque de façon indélébile les oeuvres littéraires.

    Les écrivains Africains bien qu'ils aient eu un contact avec la culture occidentale refusent d'être dépossédés de leur culture, d'être mutilés par une culture étrangère. Ils n'acceptent pas la néantisation de leur patrimoine culturel. Ils ont une conscience culturelle et elle est manifeste dans les

    (12) Nora - Alexandre KAZI - TANI, Roman africain de langue française au carrefour de l'écrit et de l'oral (Afrique noire et Maghreb), l'Harmattan, 1995.

    écrits. Beaucoup d'oeuvres africaines témoignent de l'influence de la littérature traditionnelle africaine. Et ce qui est important à signaler c'est leur enracinement culturel. Elles perpétuent ainsi un héritage culturel.

    Compte tenu du constat fait ci-dessus nous pouvons partager la réflexion de M-a M. Ngal qui dit ceci dans son ouvrage intitulé L'Errance (13) :

    « La science moderne par son rouleau

    Compresseur croit avoir anéanti

    Ces étages qui avaient tissé les

    fibres de notre moi par le

    travail des contes, des chants,

    des fables, des énigmes, des

    forces facéties (...)

    C'est que le prétendu rouleau

    Compresseur n'atteint pas le

    Niveau de créativité de l'Africain.

    C'est que le prétendu rouleau

    Compresseur n'atteint pas le

    Niveau de créativité de l'Africain

    Cette sphère qui en elle même

    Révèle notre foyer créateur,

    Reste hors d'atteinte »

    (13) M.a.M. Ngal, l'Errance, Editions Clé, Yaoudé, 1979, PP11 - 12

    Dorénavant l'interprétation des oeuvres africaines ne se fera plus selon les canons classiques de l'esthétique occidentale. L'adaptation de l'écriture romanesque et poétique au discours traditionnel, aux réalités culturelles africaines permet non seulement de mieux se réaliser, de mieux s'exprimer mais aussi de s'adresser à un public africain avec lequel on partage un destin commun, un passé commun et des valeurs communes. Un public étranger se verra obligé, afin d'accéder au message, d'étudier la culture qui a inspiré l'écrivain.

    Une innovation stylistique remplie de symbolisme constitue aussi une autre dimension de la spécificité de l'oeuvre. La métaphore - identification est beaucoup utilisée par les poètes africains en général et Me PACERE n'en fait pas l'exception. Leur style est chargé d'images et pour nos prochains travaux, tous les éléments culturels qui créent un espace littéraire pour nos littératures nationales feront l'objet de notre attention. Ils seront recensés et analysés selon leurs emplois.

    Les écrivains Africains font tout pour concilier deux cultures car un retour en arrière n'est plus possible. Aussi le poète s'impose - t-il des règles édictées surtout par son milieu culturel. Il jette le pont entre les cultures et refuse l'aliénation. Une intégration des valeurs d'ailleurs aux nôtres doit être prônée. La destruction des valeurs africaines pour les remplacer par d'autres serait un parricide. Le poète nous montre l'exemple car il intègre sa culture dans des écrits d'expression française.

    Par le recensement de certaines expressions traduites littéralement, de « fragments non traduits du vernaculaire », de symboles et d'images nous rendrons palpable ce qui vient d'être dit. L'interpénétration culturelle n'a pas été source de perte d'identité.

    II. 1. Traduction littérale

    Certaines expressions ou certains termes issus de la langue natale sont employés par le poète et font la spécificité du texte littéraire. Ces expressions ou termes représentent des topoi africains qui renferment des structures de style et des pensées propres à la littérature traditionnelle africaine.

    Ainsi certaines expressions sont la traduction littérale de patronymes des Moosé.

    « Ceux qui sont étalons » est une périphrase qui désigne ceux qui portent le nom OUEDRAOGO.

    « Ceux qui espèrent en des lendemains meilleurs », il s'agit de ceux qui portent le nom TIENDREBEOGO ;

    « Ceux qui occupent la brousse » sont ceux qui portent le nom YAMEOGO.

    « S'ajoutent aux grandeurs », il s'agit du patronyme du poète PACERE.

    Ceux qui ont  « le cache - sexe en fer » désigne les habitants de Piligtenga, village voisin de Manéga.

    Pour une bonne interprétation de ces périphrases il faut tout un contexte situationnel et culturel.

    II. 2. L'ancrage linguistique

    Les « fragments non traduits du vernaculaire » sont des termes issus de la langue natale du poète et qui n'ont pas été traduits en français. La plupart de ces « fragments non traduits » sont des noms de localités (village ou quartier) : « LAGLIN », « NABDGO », « TAMPELGA », « DIDOURE », « TAMBOGO », « MONDEMBA », « ROPALLIN ».

    En ce qui concerne « LAGLIN », c'est un quartier de la capitale du Burkina Faso, Ouagadougou, commandé par Lagem Naba Tiigré, interlocuteur auprès du Moog Naaba.

    « NABDGO » est un village de la province du Boulkiemdé, situé à une trentaine de kilomètres de Koudougou, chef lieu de province.

    « MONDEMBA » est le village de l'hospitalité. Sa situation géographique tout comme celle de « DIDOURE », de « TAMPELGA », de « TAMBOGO » et de « ROPALLIN » nous est inconnue.

    Le poète utilise également les termes « SANGUI » et « ZAYBRE » qui désignent des parures qui font du bruit et qui sont autour de la ceinture quand on danse le « Warba ».

    Le terme « Warba » utilisé dans le poème « Concours de danse » est une danse traditionnelle au cours de laquelle on fait tourner rien que le bassin.

    Les « fragments non traduits du vernaculaire » ne sont pas les seules marques culturelles dans les poèmes. D'autres marques comme les images et les symboles peuvent être relevée

    II. 3 Images et Symboles

    Les images et les symboles sont en nombre important dans les poèmes de PACERE et il n'est pas donné à n'importe qui, à un non - initié de les décoder. S'exprimer à base d'images et de symboles relève de la compétence des griots, des vieillards et de ceux qui ont subi les épreuves initiatiques avant l'âge adulte. Notre entretien avec le poète a constitué une phase initiatique pour nous et nous pouvons donner quelques significations relatives à certains détours langagiers.

    Les expressions et vers suivants révèlent la complexité d'un langage fait de circonlocution :

    « De tous ceux qui peuvent si

    bien compter les cauris »

    Le poète désigne ainsi les économistes. Rappelons que les Yarsé étaient les économistes du Mogho et faisaient du commerce en se déplaçant sur leurs ânes. Les cauris étaient la monnaie d'échange.

    « De tous ceux

    Qui vomissent à l'extérieur

    Ce qu'ils n'ont pas mangé à l'intérieur

    Qui montrent à longueur des temps

    Des fleurs

    Sur des champs de fumier

    Et des carcasses de chantiers »

    Il est question ici des ambassadeurs qui tiennent des propos fallacieux.

    « Qui tiennent haut la crachoir

    Et qui finiront

    Tous les bâvoirs de la République ».

    Le poète parle ici des avocats qui ne se lassent pas d'afficher des positions partisanes.

    «  Qui sont corbeaux

    Et séparent si bien ce que Dieu a uni »

    Ce sont les magistrats qui ont une justice autre que celle venant de Dieu.

    « De tous les ubiquitaires »

    Ubiquitaire vient du latin "Ubique" et signifie partout. Ce terme, selon le contexte d'emploi, désigne les journalistes qui se font entendre partout.

    « Tous les éléphants »

    Cette image renvoie au RDA qui est un parti politique dont le père fondateur est Houphouet BOIGNY. Le Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A.) avait pour ambition de valoriser l'Africain en lui restituant sa dignité. En Haute Volta, ce parti avait des représentants parmi lesquels nous pouvons citer Daniel Ouézin COULIBALY, Gérard KANGO, Maurice YAMEOGO.

    « Tous les lions »

    C'était le parti de feu Nazi BONI, le Mouvement Populaire Africain (M.P.A.). Homme politique et de lettres, il s'est battu pour la reconstitution de la Haute Volta.

    « Et toutes les hypothétiques problématiques

    Il est question du parti P.R.A. (Parti du Regroupement Africain). Ce parti est né à la faveur des alliances politiques mais aussi des divisions. Entre 1958 et 1960 la cristallisation politique débouche sur deux partis dont le R.D.A. et le P.R.A. Dès la fin de l'année 1960 le président Maurice YAMEOGO imposera le parti unique.

    « Tous ceux

    Qui partagent leur mil

    Avant de le croquer »

    Le parti socialiste du Professeur Joseph KI - ZERBO est ainsi qualifié. C'était le M.L.N (Mouvement de Libération Nationale). En fondant avec de nombreux patriotes Africains ce parti, KI -ZERBO, décédé le 04 novembre 2006, allait faire campagne pour le Non lors du référendum historique de 1958. Ce parti luttait pour la souveraineté nationale du pays.

    En parlant des « Gouffres insondables de KIENDPALGO » le poète fait allusion au quartier des filles de joie, des prostituées de la capitale de la Haute Volta.

    « De tous les paralytiques

    Accédés aux faites des rôniers ! »

    C'était la devise de Naba Gounga pour qui le paralytique doit se montrer reconnaissant envers celui grâce à qui il a accédé au sommet du rônier.

    Il est question ici d'une invite à la reconnaissance, à la gratitude envers celui qui nous rend service.

    Le terme « Vampires » renvoie aux gens qui sont incompris dans la société. Ils ont leur logique que personne d'autre ne comprend.

    Le poète lui-même s'identifie au « Serpent » qui inaugure son marché avec l'ambition de tout innové, de créer un nouveau monde. A travers l'appellation « lionceaux » lui et ses frères se reconnaissent. Ils sont les descendants d'une famille royale et sont prédestinés au trône un jour.

    Le « Mouta - Mouta » est un langage voilé. Titinga PACERE bâtit une théorie à partir de ce langage Tambouriné qui est la « Bendrologie ».

    Le « Crapaud » fait penser à l'homme « Moaga » qui vit sur une terre aride et sèche (le sahel). Il est dans un milieu caractérisé par le désespoir parce que les repères culturels se sont effacés.

    L'emploi de l'aphérèse « Zanna » est important à signaler.

    « C'est mon ami Zanna »

    Le mot entier est Lamizanna (l'ami Zanna) est déformé à cause de la parenté à plaisanterie qui existe entre le poète et ce personnage. Sangoulé Lamizanna était à la tête du premier régime militaire (de 1966 à décembre 1970). Il organise le retour à une vie constitutionnelle aboutissant à la IIème république en juin 1970. Lamizanna demeure président, et le RDA, vainqueur aux législatives, dirige le gouvernement avec à sa tête Gérard KANGO.

    Les images et les symboles rendent compte de la mutation des textes littéraires d'expression française dans le paysage littéraire africain. Leur présence dans les textes permet de sauver de l'oubli tout un héritage culturel négro- africain.

    CONCLUSION

    Toute rencontre avec l'être du texte poétique de PACERE a toujours été pour nous une rencontre avec la culture des Africains. La culture demeure une finalité explicite de toutes ses actions si bien que l'on peut le considérer comme un vecteur culturel.

    En même temps que le poète oeuvre à sa connaissance et à sa sauvegarde, il s'en sert pour s'exprimer dans un monde en ruine sociale. Son expression poétique transcende les drames qui ont assombri les sociétés traditionnelles africaines en restituant fidèlement leur passé glorieux. Sa poésie, dans ça tire sous le sahel, apporte un éclairage sur la décadence des sociétés africaines complètement envahies par de nouvelles structures exogènes. Nous nous sommes référés à ce désastre social pour réhabiliter partiellement un passé ancestral enchanteur dont chacun de nous comme le poète doit être en manque. Il est nécessaire de se convaincre d'une chose : le développement intégral de l'homme passe par la culture et le but de tout développement c'est la culture. Soyons solidaires avec tous ceux qui revalorisent nos cultures nationales en se servant d'outils étrangers, notamment la langue. Même si la langue française nous a été imposée, nous ne devrions pas, en la pratiquant, nous sentir assimilés. Comme le Jésuite Camerounais Engelbert Mveng, disons ceci : « C'est moi qui les assimile, les langues, et je suis homme autant de fois que j'en apprends ! » La langue ne doit pas faire vaciller notre identité culturelle. Elle doit plutôt être un outil pour nous pour la faire connaître. Nous nous réalisons pleinement.

    La théorie de la déconstruction de DERRIDA peut être appliquée à d'autres oeuvres poétiques de PACERE, notamment à Poèmes pour l'Angola (1982) où nous identifions l'opposition binaire Amour / Aversion. « Amour » pour sa culture et « Aversion » pour la culture occidentale.

    Au terme de notre étude du recueil poétique de PACERE, signalons que l'originalité du texte nous a permis d'exhumer le passé et la culture des sociétés africaines grâce au contraste implicite grandeur/déchéance. Le concept de la déconstruction nous a permis d'aller au -delà des énoncés pour découvrir les présupposés qui sont en rapport avec le passé des sociétés africaines. Un examen du recueil nous a permis également de découvrir un héritage esthétique négro- africaine à travers le style, les symboles, les images et les « fragments non- traduits  du vernaculaire ».

    Il est nécessaire, de nos jours, de préconiser des approches qui transcendent l'immanence et qui permettent d'établir des relations avec des éléments extra- textuels. La déconstruction de DERRIDA s'inscrit dans cette perspective du dépassement de l'immanence qui s'intéresse seulement aux principes d'organisation intrinsèque du texte.

    BIBLIOGRAPHIE

    BIBLIOGRAPHIE

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    22. MELONE T., 1971, M. BETI : L'homme et le destin, Présence africaine, Paris

    23. MILLOGO L., 2002 NAZI BONI, premier écrivain du Burkina Faso, La langue bwamu dans Crépuscule des temps anciens, collection francophonie, édition Pulim

    24. MOLINIE G., 1993, La stylistique, P.U.F., Paris

    25. NKOT F. P., PARE J., 2001, La francophonie en Afrique sub-

    Saharienne, CIDEF, AFI, Collection Francophonie saharienne, Québec

    26. PARE J., 1997, Ecriture et Discours dans le roman africain francophone post - colonial, Editions Kraal, Ouagadougou

    27. POULET G., 1986, La conscience critique, José Corti, Paris, 3è Edition

    28. PROPP V., 1965, Morphologie du conte, Seuil

    29. RASTIER F., 1987, Sémantique interprétative, P.U.F.,Paris

    30. SANOU S., 2000, La Littérature burkinabè : l'histoire, les hommes, les

    oeuvres, PULIM, Limoges

    31. De SAUSSURE F., 1960, Cours de linguistiques générale,Payot, Lausanne

    32. Senghor L.S., 1948 Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, PUF, Paris (2ème édition 1987)

    33. YEPRI L., 1999, Titinga Frédéric PACERE, Le tambour de l'Afrique poétique, l'Harmattan

    II. Recueils de poèmes

    1. BAUDELAIRE Ch., 1983, Les Fleurs du mal, Union générale d'édition, 10/18, Paris

    2. CESAIRE A., 1939, Cahier d'un retour au pays natal, Edition Présence Africaine, Paris

    3. TITINGA P.F., Refrains sous le Sahel 1976 Ed. P.J. OSWALD, Paris

    - ça tire sous la sahel, 1976 Ed. P - J. OSWALD, Paris

    - Quand s'envolent les grues couronnées,1976 Ed. P.J. OSWALD, Paris

    - La poésie des griots, 1982. Ed. Silex Paris, Grand prix littéraire

    d'Afrique noire

    - Poèmes pour l'Angola, 1982. Ed. Silex Paris, Grand prix littéraire d'Afrique noire

    - Du lait pour une tombe, 1987. Ed. Silex, Paris, Ed. - Silex, Paris

    - Poème pour Koryo, 1987, Imprimerie nouvelle du centre, Ouagadougou

    - Des entrailles de la terre1988, Imprimerie nouvelle du centre, Ouagadougou

    - Poème pour le Sahel, 1988 imprimeries nouvelles du centre, Ouagadougou

    - Saglendo, la poésie du tam - tam, 1994, fondation PACERE, Ouagadougou

    III- Revues

    1- Art nègre et civilisation de l'universel, 1975, Les nouvelles éditions africaines Dakar

    2- Annales de l'université, numéro spécial série A, décembre 1988

    3- Notre Librairie : littérature du Burkina Faso N°101 avril - juin 1990

    4- Annales numéro spécial, premier colloque international sur la littérature burkinabè, 1988, Presses Universitaires, Ouagadougou

    5- CAHIERS du CERLESHS, n°9, 1993, Université de Ouagadougou

    IV. Mémoires et Thèses

    A. Mémoires

    1. BAZIE J.P., 1981, Nazi-Boni : L'homme et l'oeuvre (le politicien, le romancier et l'historien), Mémoire de DEA en lettres Modernes, Centre international d'études francophones, Sorbonne, Université Paris IV

    2. TIAHO L., 2002-2003, Les grands traits de l'esthétique négro-africaine dans la carte d'identité de Jean-Marie Adiaffi, Mémoire de DEA, UFR/LAC,Université de Ouagadougou

    3. YAMEOGO J.M., Etude descriptive de la narration du procès du muet de Patrick G. ILBOUDO, Mémoire de maîtrise, Département de Lettres Modernes, Université de Ouagadougou

    B. Thèses

    1. MILLOGO L., 2001, Ancrage culturel africain d'un roman d'expression française. La langue bwamu dans Crépuscule des temps anciens du burkinabè Nazi Boni. Doctorat nouveau régime, Département de Linguistique, Université de Ouagadougou

    2. SANWIDI H., 1983, Le pouvoir politique africain dans le roman africain d'expression française, thèse d'Etat, Montpellier

    3. SANOU R.S., 1982, La critique sociale dans l'oeuvre de Mongo Beti, doctorat de 3è cycle, Université de Lyon II

    TABLE DES MATIERES

    Pages

    DEDICACE..................................................................................03

    REMERCIEMENTS.......................................................................04

    EPIGRAPHE.................................................................................05

    SOMMAIRE..................................................................................06

    INTRODUCTION ...........................................................................07

    PREMIERE PARTIE : PRESENTATION DE LA THEORIE DE LA

    DECONSTRUCTION, DE L'AUTEUR ET DE

    L'OEUVRE ....................................................12

    Chapitre I : De la déconstruction..........................................13

    Chapitre II : Présentation de l'auteur et de l'oeuvre.................17

    II.1 Présentation de l'auteur.....................................17

    II.2 Aperçu général de l'oeuvre...................................20

    DEUXIEME PARTIE : EXPLORATION DU PASSE ET DE LA CULTURE

    MOAGA... ....................................................26

    Chapitre I : Sociétés traditionnelles dénaturées.......................27

    I.1 Facteurs.............................................................37

    I.2 Manifestations....................................................50

    I.3 Décadence...........................................................57

    Chapitre II : Ancrage culturel africain.....................................63

    II.1 Traduction littérale.............................................67

    II.2 L'ancrage linguistique.........................................68

    II.3 Images et symboles.............................................69

    CONCLUSION ...............................................................................74

    BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................77

    TABLE DES MATIERES..................................................................85






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo