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Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?

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par Félix Rainaud
Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012
  

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4.1.3 De la subversion par la (contre-) culture

A l'image du mouvement Provo aux Pays-Bas, Christiania représente un « style de vie, avançant la quête de l'infini, de l'inconnu et de l'irrationnel, s'opposant aux valeurs strictes, à la culture rationnelle et aux bornes bien définies de la société bourgeoise ». Toujours à l'instar de Provo, Christiania « a sa place parmi la contre-culture puisque nous y trouvons le refus de l'aliénation, pris dans un sens général, et la mise sur pied de structures parallèles. Dans ce mouvement, il y avait des tendances à la marginalité dans et en opposition à la société, ainsi qu'une dimension de rupture et de contestation culturelle. C'était un mélange paradoxal de contestation esthétique et politique, profondément imprégné de valeurs romantiques » (PAS, 2005 : 345). Les ressemblances entre le mouvement Provo et Christiania ne s'arrêtent pas là. Avec le même « romantisme libertaire », les thèmes abordés étaient les mêmes, comme la guerre du Vietnam, la vie communautaire, la liberté sexuelle. Les mouvements contre-culturels comme celui des Provos furent une source d'inspiration pour les futurs Christianites.

Autre influence contre-culturelle qui transpire à Christiania : les Diggers de San Francisco, surtout à travers l'expérience du théâtre d'action politique Solvognen, arrivé à Christiania au Printemps 197226(*). Le petit groupe de San Francisco, influencé par le mouvement hippie, la contestation contre la guerre au Vietnam, l'émergence du Free Speech Movement et admirateur de la révolution cubaine et de Che Guevara pratiquait le `Guerilla Theater' qui consiste à faire du théâtre, considéré comme un moyen de contestation politique, dans la rue tout en connaissant le terrain et en étant mobile afin d'échapper aux arrestations. Pour leur part, la plupart des membres de Solvognen (« Le charriot de soleil ») avaient été des activistes défenseurs du Vietnam, des squatteurs, des hippies, des yippies et ils étaient toujours en contact avec des groups protestataires. Par exemple, le Comité Vietnam prêta « micros, amplificateurs et mégaphones » pour la performance de l'Armée de Pères Noël (TRAIMOND, 1994 : 73). Dans le même esprit que les Diggers, le « théâtre d'action » de Solvognen « implique une intervention dans une situation déjà établie, c'est à dire, le public et les autorités sont contraintes à co-agir et donc à révéler ce qui est normalement masqué par l'ordre établi ». De plus, autre élément nourrissant son caractère subversif : « le théâtre d'action n'est pas reconnu comme du théâtre par la société bourgeoise et n'a donc pas sa place dans le cadre du ministère des Affaires culturelles, mais sous le ministère de la Justice » (JORGENSEN, 1982 :17).

Les actions de ce théâtre d'action ont été nombreuses et souvent retranscrites dans des livres ou des articles et il serait trop long d'en faire tout le répertoire ici. Toutefois, certaines actions nous renseignent sur le caractère et l'importance de ce théâtre. La première pièce de Solvognen eut lieu à Christiania dans le « Grey Hall » et était intitulée Elverhøj (« la colline des elfes »). Dans cette pièce, un dragon avalait les capitalistes en clignant des yeux ; « clairement le dragon [...] était une référence directe à la Chine de Mao » (JORGENSEN : 21). Ce même dragon servira par la suite de symbole en étant présent lors des manifestations dans la cour du ministère de la défense.

Plus tard, organisa la NATO Army qui était une action de critique de l'impérialisme américain. Une centaine de personnes y participèrent. Le but déclaré de l'action était de « familiariser la population civile aux tentatives renforcées de l'OTAN visant à neutraliser des éléments subversifs et anarchistes dans notre société » au moyen d'exercices militaires durant six jours à Copenhague. L'action de Solvognen fut lancée lors de le conseil des ministres de l'OTAN en Juin 1973. Cette action attira beaucoup d'attention et eut une large couverture médiatique.

A Noël 1974, Solvognen présenta aux habitants de Copenhague (et, par la radio et la télévision, l'ensemble de la population) « l'armée de Père Noël ». Cette action prévoyait d'interpréter littéralement le mythe de la générosité sans limite du Père Noël, « de manière à montrer que la générosité et la bonté ne peuvent être vraiment réalisées selon les modalités offertes par une société capitaliste » (JORGENSEN : 17). Les actions des premiers jours (`la première phase') devaient rafraîchir l'image du Père Noël bon et généreux et cimenter cette image dans la conscience publique. Par exemple, après avoir donné des bonbons à des enfants, ils rendirent visite à des personnes âgées, les Pères Noël tentèrent aussi de remédier aux problèmes du chômage et de la pénurie de logements. On vit encore les Pères Noël « aborder des ouvriers défonçant la chaussée, leur offrir une bière et prendre leur pioche pour travailler à leur place [...] dans les écoles distribuer des livres (une bande dessinée contestataire) aux enfants [...] dans les autobus distribuer des livres, des poulets surgelés et des tickets [...] entrer en rang par deux dans la cour du quartier général de la police [où] ils chantèrent des julesange27(*) » (TRAIMOND, 1994 : 74). L'objectif était de montrer qu'il fallait bien plus que la charité de Noël pour régler ces problèmes. L'action entra ensuite dans une nouvelle phase, plus dure, où la stratégie était de révéler le vrai visage de la société bourgeoise : « les pères noël proclamèrent que leur arrivée était `le dur accouchement d'un enfant sain par une société malade' » (ibid. 74). Cette phase commença lorsque l'Armée de Pères Noël escalada une clôture de barbelés entourant l'usine de montage de General Motors où des ouvriers devaient être licenciés « pour donner des emplois à leurs propriétaires légitimes ». L'action prend ici une tournure encore plus politique, en prenant le parti de la classe ouvrière et en affirmant sa solidarité dans la lutte contre le chômage. Dans les jours suivants, l'Armée de Pères Noël se rendit d'abord au tribunal du travail « cette court hostile à la conscience de classe ». Après un discours se terminant par « A bas le tribunal du travail », prononcé par un auteur célèbre (Ebbe Kløvedal), les pères noël « [suivirent] cette instruction à la lettre et [procédèrent] sur-le-champ à la destruction du Tribunal grâce aux barres à mine, aux pioches et aux marteaux-piqueurs dissimulés sous la banderole » (ibid. 75). Le lendemain ils se rendirent dans deux grands magasins pour distribuer des cadeaux aux clients (des livres qu'ils prenaient sur les présentoirs dans le magasin). Chacune de leur action fut accueillie par une intervention de la police, ce qui venait renforcer leurs idées et mettait en évidence les facteurs d'oppression dans la société : « Solvognen atteignit enfin son but lorsqu'on vit, devant des journalistes discrètement prévenus, un policier matraquer un père noël » (Ibid. 76). L'autre but de leur action fut atteint, en parvenant à montrer « le caractère fictif de la charité de Noël » (JORGENSEN : 18).

Figure 10 L'Armée des Pères Noël dans les rues de Copenhague, avec "l'Oie de Troie"

Plus tard, Solvognen continuera de produire des pièces de théâtre à Christiania, dans le Grey Hall ainsi que sous un chapiteau en abordant différents thèmes : la domination masculine (Kobmandsliv), le fascisme (Soldaterkammerater), la pollution (Dyrehaere), la dépendance aux drogues (Det hvide slot), et le chômage dans la dernière pièce (Chartertour Amora).

Ce théâtre anti-autoritaire assumait son caractère socialiste, ce qui lui valut d'être décrit comme «la manifestation culturelle de gauche la plus puissante à ce jour » (Ibid. 23). Les caractéristiques propres à ce théâtre politique en font un acteur majeur du caractère subversif de Christiania. En effet, « probablement plus de 500 personnes ont été impliquées dans les activités de Solvognen au fil des ans », le groupe n'étant composé que d'amateurs (ibid. 24). De plus, dans leurs activités internes, les membres de Solvognen avaient cherché à s'organiser selon un mode de fonctionnement anti-autoritaire et autogéré : « la division du travail clairement définie dans les théâtres « établis » (entre les artistes et les techniciens, et avec la coordination de la gestion et de la distribution des emplois) est totalement étrangère à la Solvognen. Ce que le théâtre institutionnalisé garde séparé et attaché à certaines personnes ayant des compétences (dramaturge, producteur, acteur), Solvognen le conserve comme un ensemble uni, cela de manière aussi systématique qu'on ne trouve trace d'un culte de la vedette. Les performances sont le résultat d'un sentiment collectif, et, par conséquent, le groupe n'a jamais mis en avant l'un des contributeurs. Pas même dans les interviews données par les membres de Solvognen l'idée du collectif ne fut trahie. Dans les premières années, les membres sont toujours apparus comme membres de la fictive `famille Jensen' » (ibid. 24). Au-delà même du théâtre, le projet de Solvognen était de chercher à développer une autre organisation de la société en abattant les cloisons entre le théâtre et la vie quotidienne : « Solvognen est le groupe de théâtre danois qui a le plus constamment collé à l'idée qu'il ne devrait y avoir aucune limite entre le théâtre et les autres activités politiques. Le travail du groupe a été, en soi «une tentative de développer une nouvelle façon d'organiser l'existence humaine et, dans ce cadre, de mettre au point un nouveau procédé de production par les co-producteurs, où l'individu contribue à la création d'un produit en fonction de la capacité et l'envie. "(KjargaardJ, orgen & Carl Chr. Reiche, Solvognens sceneteateraestetik csc frigorelse). L'organisation et le mode de production sont dans un sens une partie de l'utopie de Solvognen, tout comme les performances sont une réalisation naissante de celle-ci » (ibid. 25).

Selon David HEBDIGE, « en resituant et recontextualisant les marchandises, en détournant leurs usages conventionnels et en en inventant de nouveaux, le promoteur d'un style sous-culturel  ouvre au monde des objets la voie de nouvelles lectures secrètement subversives » (HEBDIGE 108). Cette formule pourrait tout à fait s'appliquer à Solvognen. Bien qu'il ne s'agissait pas nécessairement de « marchandises », Solvognen avait détourné le théâtre de ses usages conventionnels et en avait inventé de nouveaux, se faisant ainsi un agent de subversion de la société danoise des années 1970.

Dès le départ, l'Etat avait cherché à institutionnaliser Christiania en lui accordant un statut légal spécialement inventé à son intention : celui d'expérience sociale. Comme je l'ai déjà évoqué plus haut, sa durée programmée est de trois ans, mais grâce à une mobilisation populaire importante, le gouvernement renoncera. Par la suite les pressions gouvernementales s'accentueront de plus en plus afin de « normaliser » Christiania.

* 26 « Le projet initié par les Diggers dans le quartier du Haight-Ashbury - à savoir la construction d'une « ville libre » dans la ville de San Francisco qui se nourrirait des déchets de son hôte et distribuerait librement les moyens de sa survie - a exposé le fait de l'abondance matérielle et la possibilité d'un nouveau monde fondé sur le principe du don », Brochure « De la misère en milieu hippie », Ken Knabb

* 27 Chants de Noël

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe