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Christiania : micro-société subversive ou "hippieland" ?

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par Félix Rainaud
Université de Poitiers - Master 1 Sociologie 2012
  

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2.4 Christiania au parlement

Håkan Thörn ouvre d'abord son tour d'horizon des différentes positions des partis politiques par le débat de 1974, « The first Christiania Debate ». Pour rappel, des élections anticipées ont lieu en décembre 1973, amenant le Parti Libéral (Venstre) au pouvoir. Le chef du gouvernement Krag, membre du Parti Social-Démocrate minoritaire au parlement depuis les élections disputées de 1971, démissionne peu après la victoire du « oui » lors du referendum pour l'adhésion du Danemark à la Communauté Européenne. Suite à ces nouvelles élections anticipées, le Parti Libéral dirigera un gouvernement avec la plus petite minorité au parlement que le Danemark ait connu (22 sièges seulement sur 179) et soutenu par le Parti du Progrès, le Parti Populaire Conservateur, le Parti Social-Libéral danois (ou Gauche Radicale), les démocrates du centre, et le Parti Chrétien Démocrate. En 1974, le nouveau ministre de la défense Erling Brondum déclara qu'il ne reconnaissait pas l'accord de 1973 et le statut « d'expérimentation sociale » de Christiania, avant d'affirmer qu'il ne reviendrait pas malgré cela sur cet accord. Il ordonna néanmoins la destruction de 60 bâtiments occupant une surface de 20 000 m². La problématique de la souveraineté nationale fut immédiatement abordée dans ce débat par un membre du parti populiste Fremskridtspartiet (Parti du Progrès) en faisant un parallèle entre l'occupation de Christiania et l'occupation allemande lors de la seconde guerre mondiale. Si cette comparaison ne fit pas l'unanimité, tous les partis de droite en revanche s'accordèrent à dire que Christiania pose un problème vis-à-vis de la souveraineté de l'Etat danois. Pour sa part le Parti Conservateur affirma que la moitié des habitants de Christiania sont des étrangers et que les représentants de l'Etat sont ainsi des alliés de « délinquants ». Le Parti Socialiste accuse quant à lui le Parti Libéral au pouvoir de cautionner ce point de vue en appréhendant le « problème Christiania » comme un problème relevant de l'ordre et de la loi (en référence au pouvoir disciplinaire évoqué par Michel Foucault). Plus grave encore pour le Parti Conservateur, Christiania pourrait « propager » un problème de discipline au sein de la société danoise en diminuant leur confiance dans la loi et la police qui est empêchée de faire son travail dans Christiania. Les Sociaux-démocrates mettent eux en exergue que le problème principal que constitue Christiania concerne les enfants et la jeunesse. Il y a en effet dans Christiania beaucoup d'orphelins qui se sont même organisés dans deux bâtiments au sein d'une « organisation » : Børnemagt (« Le pouvoir des enfants »)13(*). Ce dernier élément est aussi pour certains un élément important dans la stratégie de stigmatisation territoriale de Christiania. Pour le parti Centrumdemokraterne (centre démocrate), Christiania est « clairement un problème disciplinaire puisque les enfants sont autorisés à habiter dans le freetown « sans surveillance ni de leur parents ni des autorités [...] dans un environnement de drogue et de criminalité. » [...] L'argument des sociaux-démocrates que Børnemagt et les propres travailleurs sociaux de Christiania coopèrent avec les services sociaux de Copenhague, impliquant que le pouvoir disciplinaire du gouvernement n'est pas totalement absent de la zone, est jugé illégitime par leurs opposants » (THÖRN, 2011 : 78). Les discours de la droite utilisent cette image d'enfants exposés à la consommation de drogues et à des relations sexuelles « immorales », « illégales » voir incestueuses afin de stigmatiser Christiania. Les Chrétiens-démocrates (Kristeligt Folkeparti) estiment quant à eux que Christiania multiplie les problèmes sociaux de la société danoise. En réponse, le Parti Socialiste et les sociaux-démocrates inversent cette rhétorique et affirment que les problèmes que l'on peut rencontrer dans Christiania ne sont pas propres à Christiania mais qu'ils sont au contraire répandus dans la société en général. Cet argument sera par la suite repris à de nombreuses reprises par les Christianites eux-mêmes : s'il existe des problèmes à Christiania, des problèmes similaires existent dans d'autres quartiers de Copenhague. Lors du débat de 2004, l'Alliance Rouge-Verte (Enhedslisten), qui prône un contrôle étatique et un encadrement légal pour la vente du haschich, demanda si le fait qu'une quantité substantielle de haschich ait été saisie à Hellerup, une banlieue de classe moyenne supérieure de Copenhague, implique que la police soit déployée pour normaliser Hellerup ? C'est d'ailleurs un argument et une interrogation que j'ai pu entendre à plusieurs reprises dans des discussions sur Christiania : « Il y a du trafic et des consommateurs de drogues dures en dehors de Christiania, alors pourquoi ne parler que du haschich de Christiania ? Il y a peut-être des problèmes à Christiania, mais dans d'autres quartiers aussi, alors pourquoi vouloir raser Christiania, alors que personne n'ose imaginer raser des quartiers comme Vesterbro ou Nørrebro ? » (Notes de terrain).

Il y a objectivement une division concernant Christiania entre la gauche et la droite au sein du parlement danois. La confusion qu'il y a eu dans l'espace politique danois lors de l'auto-proclamation du freetown de Christiania ne fut que le point de départ d'une période de troubles pour la politique danoise : en 1972 le parti d'extrême droite Fremskridtspartiet est créé (aujourd'hui Dansk Folkeparti, Parti du Peuple Danois) et est directement crédité de 20% dans les sondages ; en 1973 le Danemark entre dans la Communauté Economique Européenne après un referendum. Les élections de décembre 1973 sont surnommées « élections tremblement de terre » car elles vont renverser le paysage politique danois. Comme je l'ai déjà précisé elles verront le pays connaitre la plus petite minorité de gouvernement de l'histoire. Depuis des décennies les sièges au parlement étaient partagés entre 5 ou 6 partis formant soit un bloc de gauche soit un bloc de droite afin d'obtenir une majorité au parlement. Lors de ces élections dix partis obtiennent des sièges dont cinq nouveaux partis. Si les bouleversements dans la politique danoise n'ont alors pas été « si dramatiques que prévu » nous dit Håkan THÖRN, cela va désordonner le parlement pendant la décennie à suivre. L'auteur évoque même que ce tremblement de terre n'a peut-être même pris fin qu'avec le second « séisme politique » que connaitra le Danemark : la victoire la plus large de l'histoire d'une coalition de droite en 2001 avec le Parti Libéral (Venstre), le Parti Conservateur et le Parti du Peuple Danois à la rhétorique xénophobe agressive.

Le second séisme politique du 20ème siècle au Danemark intervient en novembre 2001. Deux mois après les attentats du 11 septembre qui vont exacerber le discours anti-immigration qui se propage dans la société, la droite remporte les élections en Novembre 2001. Dans son premier discours lors de ses voeux, le nouveau premier ministre Anders Fogh Rasmussen affirme se lancer dans une « guerre culturelle » dont Christiania est une cible évidente. Le nouveau gouvernement se fixa comme objectif de résoudre une fois pour toute le « problème Christiania ». Ainsi quatre grands débats parlementaires vont avoir lieu entre 2002 et 2004. Tout en assurant que Christiania ne serait pas expulsé, les derniers débats emprunts des idéologies des partis de droite, largement majoritaire au parlement, voulaient mettre fin au symbole d'une « culture alternative de gauche » qu'est Christiania. Dans ces débats, le Parti Libéral au pouvoir ne déclara pas seulement qu'il fallait mettre un terme à la propriété collective mais aussi à la démocratie par consensus qui a été un obstacle selon ses partisans aux tentatives du gouvernement de reprendre le contrôle de Christiania.

Håkan Thörn note qu'en comparant les débats de 1974 et ceux de 2004, les expressions « problème social » et « expérimentation sociale » sont absent en 2004. L'expression « expérimentation sociale » n'est utilisée qu'une fois par le Parti Chrétiens-Démocrate relève-t-il. Le nouvel argument majeur, utilisé le plus fréquemment, des défenseurs de Christiania au parlement (Sociaux-démocrates, Parti Socialiste, et l'Alliance Rouge-verte qui a succédé au Parti Communiste) a aussi changé : ils insistent sur le statut d'attraction touristique majeure de Chrsitiania nous apprend Håkan Thörn. Le débat de 2003 s'est principalement centré sur la vente de marijuana dans Pusher Street à Christiania, intégrée dans un discours plus général de « peur urbaine » et de « tolérance zéro ». Lors de sa première intervention dans le débat en 2003, le nouveau ministre conservateur de la défense Svend Aage Jensby déclara : « le plus bel endroit que nous avons dans Copenhague est affreusement situé », et : « les habitants de la belle partie de Christiania n'osent pas envoyer leurs enfants dans les rues car ils ont peur [...] des dealers et autres éléments criminels », avant de faire un rapport sur les nouvelles stratégies policières concernant Christiania : 326 actions sur les six derniers mois (soit près de deux interventions par jour) selon le rapport de la police de Copenhague. Les données du ministère de l'intérieur danois témoignent de cette mise en place de la politique de « tolérance zéro » :

« Plus de 5 700 voitures ont été contrôlées, 1 500 individus fouillés, 300 enquêtes ont été effectuées. Il y a eu 850 cas d'atteinte à la loi sur la drogues de constatés ; 7 contre le paragraphe 191 de la loi pénale sur les crimes grave liés à la drogues, près de 1 300 infractions au code de la route, 1 100 procès-verbaux de stationnement, environ 100 personnes ont été arrêtées. Je peux ajouter que sur ces six mois, 695 kilos de marijuana ont été saisi ainsi que près d'1,6 million de couronnes - soit plus que ce qui avait été saisi en trois ans entre 1998 et 2001. [...] Comme je l'annonçais plus tôt, l'intensification de l'action de la police va se poursuivre jusqu'à l'éviction de Pusher Street » (THÖRN, 2011 :9).

Les joutes verbales sur Christiania revêtent donc un caractère symbolique, et permettent à chacun d'exposer ses idéologies, ses utopies, ses stéréotypes, en bref sa vision de la société. La gauche défendait Christiania, la droite l'attaquait, l'extrême droite en profitait pour démontrer l'échec du welfare danois. Christiania nait aussi en parallèle de la société médiatique où le débat public devient un spectacle.

* 13 Une grande place est d'ailleurs faite aux enfants dans l'ouvrage de CATPOH.

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