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Quant s'envolent les grues couronnées et refrains sous le Sahel ou l'expression de la modernité poétique chez F. Pacéré Titinga

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par N'golo Aboudou SORO
Unversité de Bouaké - Maà®trise 2003
  

Disponible en mode multipage

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    DEDICACE

    A notre père SORO Nibaha, "In memorium". En ce jour heureux, nous pensons plus que jamais à toi.

    A notre mère SORO Gnoh, qui crut en notre père en nous laissant aller à l'école,

    A nos oncles maternels SORO Gnamagnélé-Zié et SILUE Porofina, pour leurs soutiens matériel et financier dont nous avons été l'objet,

    A notre épouse Noubon Léa, pour les sacrifices consentis,

    A notre fils SORO Magnigui Hermès, qui nous espérons, fera plus que nous.

    REMERCIEMENTS

    Nous voudrions ici savoir gré à tous ceux qui, de près ou de loin, ont apporté leur pierre aussi modeste et modique soit-elle, à la réalisation de ce travail qui constitue notre premier balbutiement dans le domaine de la recherche.

    Nous exprimons notre gratitude tout d'abord à notre maître, Directeur de notre mémoire, le Dr. DADIE Djah Célestin, Maître-Assistant à l'Université de Bouaké, sans qui ce travail serait resté au stade mythique du rêve. En effet, il n'a jamais ménagé aucun effort pour nous recevoir, répondre à nos sollicitations ou nous donner les conseils indispensables à la poursuite de ce travail. Il n'a cessé de nous apporter son encadrement précieux malgré la situation de déplacé de guerre dans laquelle il s'est retrouvé après le 19 septembre2002.

    Nous lui sommes très reconnaissant pour tous les efforts, voire tous les sacrifices consentis pour nous et qui ont permis que ce travail aboutisse.

    Qu'ensuite les initiateurs de l'Université de vacances et tous ceux qui travaillent à l'institutionnaliser, acceptent ici, nos sincères remerciements. Nous voudrions particulièrement dire merci au Professeur ZIGUI Kolea, aux Docteurs MONNET Agnès et KOSSONOU François, ainsi qu'à toute la direction de la formation continue de l'ENS et aux responsables de l'Université de Bouaké, particulièrement ceux de l'UFR de Communication Milieu et Société, pour leur collaboration. En effet grâce à la clairvoyance de toutes les personnes ci-dessus citées, ce qui était pour nous et pour bien d'autres enseignants du primaire une utopie, est devenue une réalité.

    Nous voudrions aussi exprimer toute notre gratitude à certains de nos proches: à notre mère pour ses bénédictions ; à notre frère aîné Docteur SORO David- Musa et à notre ami et frère OUATTARA Dotana pour le soutien moral, spirituel et matériel qu'ils nous ont apporté tout au long de ce travail.

    Enfin nous voudrions dire merci à tous ceux qui nous ont soutenu tout au long de l'élaboration du présent travail.

    Le mot poème, selon l'étymologie, vient du grec "poiema" et du latin "poema" qui signifient : faire, créer. Ainsi, la poésie est un "art du langage visant à exprimer ou à suggérer quelque chose par le rythme, l'harmonie et l'image". Et cet art du langage existe chez tous les peuples ainsi que le reconnaissent les auteurs du Dictionnaire des Littératures de la langue française, J-P de Beaumarchais, D. et Alain Rey, qui affirment que: « Toute communauté humaine aussi loin que nous pussions la rejoindre dans l'espace et dans le temps utilise le langage d'une façon particulière, correspondant à ce que nous appelons "Poésie" » .

    De ce qui précède, l'approche définitionnelle que donne Quicherat dans son Traité de versification française et selon laquelle la poésie est "l'art de faire des vers" ou encore "l'art de faire des ouvrages en vers", est sommaire et incomplète.

    En effet cette définition de la poésie ne prend pas en compte toutes les dimensions de cet art du langage commun à tous les peuples. Pour mieux l'appréhender référons-nous à Bernard ZADI Zaourou, chez qui la "parole poétique" est un « joyau accroché à la cime d'un arbre ». Ainsi que nous le constatons, ZADI donne une dimension plus précieuse, plus mystique, à la poésie et surtout lorsqu'il écrit dans sa thèse d'Etat que « la poésie réalise sa parole en concassant les mots [...] en leur faisant même porter des masques »1(*).

    En nous tournant vers Senghor, nous nous rendons compte que ce «joyau » est l'espoir du monde, d'où la mesure cosmique, universelle et parfois métaphysique que ce poète de regretté mémoire donne à la poésie.

    Enfin, Heidegger affirme que "ceux qui exercent cet art ont senti la présence des dieux enfuis et ils ont le pouvoir de montrer à leur peuple déprimé le chemin de revirement".

    Qu'il soit donc africain, américain, européen ou asiatique, le poète est un créateur qui prend en compte les aspirations de son époque, de sa société.

    En effet comme le disent les sociologues de la littérature, l'oeuvre d'art à un rapport avec la société, l'époque auxquelles appartient l'artiste. C'est fort de cette réalité que nous nous proposons de traiter dans le cadre de notre mémoire de maîtrise le sujet dont l'intitulé est le suivant: Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel ou l'expression de la modernité poétique chez PACERE Titinga Frédéric.

    Avant d'aller plus loin, un mot sur le corpus.

    En effet Refrains sous le Sahel et Quand s'envolent les grues couronnées Forment avec Ça tire sous Le Sahel, ce que l'on a baptisé depuis, la trilogie de 1976 de PACERE. De cette trilogie, Refrains sous le Sahel est la première oeuvre.

    Dans ce recueil, l'auteur chante son terroir natal, "Manéga," d'après Ilboudo G. qui continue en disant que le Sahel, où la sécheresse du sol et la pauvreté des hommes sévissent inexorablement, altère de temps en temps le chant. OEuvre de jeunesse, Refrains sous le Sahel est lyrique à la manière des oeuvres romantiques que l'auteur affirme d'ailleurs avoir pratiquées dès la classe de seconde à Dabou en Côte-d'Ivoire.

    Quant à Quand s'envolent les grues couronnées, il fond en un seul souffle, « dans l'espace d'une chaîne d'écriture(s) les souvenirs de " Manéga ", d'une  "Timini" » morte, et l'itinéraire du personnage de "Tibo" qui se superpose et se confond avec celui des grues couronnées. Et tout cela sous le regard ou la

    conduite du philosophe à la barbe de poussière qui nous rappelle constamment cette devise que l'auteur à fait sienne :

    «  Si la branche veut fleurir

    Quelle n'oublie pas ses racines. »

    Ces quelques lignes nous permettront d'élucider notre sujet.

    En effet, pour les auteurs du Dictionnaire Universel des Littératures, est moderne ce qui se définit par rapport à son émergence dans le temps comme présent. Le terme de modernité implique donc une certaine rupture dans le temps entre le passé et le présent. Du point de vue de l'histoire occidentale, les temps modernes commencent avec la chute de Constantinople en 14532(*) et elle va jusqu'à la révolution française de 1789. Cette période est marquée par les progrès de la technique et par les grandes découvertes. En effet aux XVè et XVIè siècles, «deux inventions dominent les progrès de la technique : l'imprimerie et l'artillerie »3(*). A ces inventions, il faut ajouter la caravelle4(*) et l'astrolabe5(*) qui vont permettre aux occidentaux de voyager loin en mer et de découvrir l'Amérique en 14926(*). Grâce à l'oeuvre de Copernic également, le centre de l'univers sera transporté de la terre au soleil.

    A partir donc du XVè siècle, va se dégager une nouvelle vision du monde et de l'homme chez l'Européen, puisque "la configuration générale de la terre se dégage enfin des obscurités où l'avaient laissée les géographes de l'Antiquité"7(*). Mais cette nouvelle conception de l'homme et du monde est surtout motivée par la découverte d'autres civilisations. L'humanisme helléniste aidant, le rapport de l'homme avec Dieu n'est plus le même que celui du siècle passé. L'homme

    s'affirme libre dans le déploiement de ses facultés, son intelligence, son travail, son sens de la beauté8(*).

    Et en littérature, précisément en poésie, cette liberté de penser et d'apprécier va entraîner vers la fin du XVIIè siècle une grande crise. La querelle des anciens et des modernes qui se cristallisera au XIXè siècle avec le romantisme puis l'esprit nouveau au XXè siècle.

    En outre, cette période baptisée par les historiens: les temps modernes, avec ses inventions, ses grandes découvertes et ses progrès techniques, prépare l'Etat moderne9(*). Dans L'histoire1(*)0 de Malet & Isaac, les auteurs de "Naissance du Monde moderne" font coïncider les débuts du monde moderne avec la révolution européenne de 1848. En France, cette révolution a abouti à la proclamation de la seconde République et avec elle, l'institution du suffrage universel, le vote à 21 ans, l'éligibilité à 25 ans, la liberté de presse et de réunion et l'abolition de l'esclavage. Et même si Louis Napoléon fait resurgir la dictature sous le second empire (1852-1870), la graine de la liberté est déjà semée, caractéristique de la modernité. Il en sera de même ailleurs en Europe.

    Cependant, 1850 est le début véritable de la nouvelle civilisation européenne. En effet c'est à partir de cette date que vont s'affirmer et se poursuivre en s'actualisant "les transformations qui ne faisaient auparavant que s'ébaucher"1(*)1 . On assiste donc aux progrès de la science qui aboutissent à des découvertes révolutionnaires. De nouvelles inventions se font de même que la vulgarisation de celles des périodes précédentes1(*)2. La vie économique et l'organisation socio-économique se modifient considérablement. L'on note également un fort taux de croissance démographique dû aux progrès en médecine. En somme, à partir de 1850, l'Europe va connaître un bouleversement

    dans tous les domaines et le "vieux continent" n'assumera pas seul les conséquences de ces transformations profondes. Grâce à sa supériorité technique et militaire, l'Europe va étendre son hégémonie sur le reste du monde par sa politique mercantile et impérialiste.

    Du point de vue de l'histoire africaine, c'est vers le XVè siècle que les premiers européens vont prendre contact avec les Noirs d'Afrique sur leur sol. De ces premiers contacts avec les grands voyageurs tel que Vasco de Gama, l'Afrique va garder un souvenir qui très vite passe au cauchemar.

    En effet, dès 14421(*)3 des négro-africains seront capturés et envoyés au Portugal, ensuite vers les Amériques pour remplacer les Amérindiens dans les plantations de canne à sucre, de coton, de café et de cacao. A cette époque, la rupture dans le mode de vie chez le négro-africain, n'est pas encore trop perceptible, mis à part ceux des côtes qui commencent à parler la langue de l'étranger ; mais surtout à utiliser la pacotille qu'ils recevaient des négriers en échange des esclaves. Les pacotilles, les étoffes, vont se propager dans toute l'Afrique au fil des ans et des siècles, mais la modernité commencera avec la colonisation.

    En effet, la véritable rupture avec le passé commence chez le négro-africain, au moment où le Blanc décide de s'installer dans ses villages. Nous sommes au XIXè siècle, siècle à partir duquel, l'Afrique est arrachée aux africains comme le dit Joseph Ki-Zerbo1(*)4. C'est à partir de ce siècle que vont commencer les grands changements en Afrique noire ainsi que l'affirment les auteurs de l'histoire générale de l'Afrique qui écrivent : "Jamais dans l'histoire de l'Afrique des changements ne se sont succédé" avec une aussi grande rapidité que pendant la période qui va de 1880 à 19351(*)5.

    L'institution scolaire sera par excellence le lieu où va se consommer le bouleversement des idées et des croyances des africains. Dans son alibi de mission civilisatrice, le Blanc va apprendre aux petits Nègres, sa langue, son alphabet, ses manières de s'habiller et de manger1(*)6.

    A l'école, le petit nègre va apprendre à aimer la culture et les valeurs européennes. C'est ainsi que les premiers hommes de lettres vont pratiquer Homère, Virgile, Ronsard, Racine, Charles Perrault, Hugo, Baudelaire, Rimbaud, Claudel, André Breton, qui vont tous les influencer ainsi que nous le verrons dans le cas pratique de PACERE.

    Comme nous venons de le voir, les historiens ont une conception de la notion de modernité qui peut nous être utile dans la mesure où elle implique une rupture avec le passé ou entre les modèles du passé et ceux que le présent peut ou doit élaborer.

    Du point de vue de la littérature occidentale, la modernité amène à penser à la fameuse querelle des Modernes et de Anciens de la fin du XVIIè siècle. Cette grande querelle littéraire qui vit la victoire des Modernes, a abouti au renouvellement des formes et à la valorisation du génie individuel. En effet les Modernes préconisaient la liberté de création suivant le génie propre du poète ou de l'artiste. Cependant le terme ``modernité'' apparaît chez Balzac en 18221(*)7 avec le sens d'époque moderne depuis la renaissance italienne au XVè siècle.

    En revanche, chez les poètes africains, la modernité se caractérise par l'adoption de l'écriture et la transposition de la poésie orale dans leurs oeuvres poétiques écrites en langues européennes.

    Que ce soit dans les poésies occidentale ou africaine, la notion de modernité implique une rupture entre les modèles du passé et ceux du présent, soit au niveau formel et/ou au niveau thématique. Cette rupture est indispensable au renouvellement et à la croissance de la littérature en générale et la de poésie en particulier.

    Dans la poésie négro-africaine, le concept de modernité peut aussi s'appréhender comme ce qui fait de la parole poétique, une poésie spécifique, particulière. C'est-à-dire qui se distingue assez nettement des autres poésies tout en ayant une portée universelle.

    Etudier donc la modernité dans la poésie de PACERE, à partir des deux textes témoins, consistera pour nous à montrer que sa parole poétique ne restitue pas, mais « retrouve » la parole médiatisée ou orale mossé et partant africaine. Nous montrerons surtout que le retour aux sources est fait par le poète en tenant compte du goût, des règles, de l'esthétique et des aspirations de l'Afrique actuelle, de la jeunesse de ce XXIé siècle.

    En somme, notre tâche consistera, tout au long de ce travail, à décrypter la poésie de PACERE dans les deux oeuvres choisies, pour montrer que la « plongée » dans la culture africaine effectuée par celui-ci met à la disposition de la jeunesse africaine quelque chose de tangible pour lui permettre d'aller au village planétaire avec les peuples des autres continents.

    Ces investigations nous amèneront certainement à nous intéresser au milieu socioculturel mossé pour voir ce qui relève de la tradition et peut servir de levain à la société moderne, ainsi que dans la poésie de PACERE est la marque indélébile de la modernité. En somme, ce qui dans la tradition retrouvée peut être utile à la société actuelle et future.

    Après avoir tenté d'élucider notre sujet, nous verrons la motivation qui nous y a poussé. Pourquoi la poésie de PACERE ?

    Les raisons sont d'ordre psychologique et scientifique:

    Au niveau psychologique, nous confessons que nous avons été charmé par le poète burkinabé le 25 février 2000, alors que nous étions en année de Licence, lors d'une cérémonie de remise de diplômes à l'Ecole Normale Supérieure d'Abidjan (E.N.S) à l'amphithéâtre Mamadou COULIBALY. C'était la première cérémonie du genre que l'Université de Vacances organisait pour honorer ses premiers étudiants.

    Quant aux raisons scientifiques, nous pensons que l'avocat-poète, en lieu et place d'une imitation servile des modèles antiques (africains mais aussi européens), a inventé avec la langue et les vérités de son temps. Ainsi pensons-nous que l'auteur de Quand s'envolent les grues couronnées, échappe à sa terre natale pour appartenir et servir de modèle à l'Afrique et au monde.

    C'est fort de toutes ces raisons psychologique et scientifique que nous nous sommes engagé à décrypter Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel, conformément à notre sujet présenté au début de cette introduction. Notre réflexion s'articulera suivant trois grandes parties. La première sera consacrée à la définition et à l'émergence du concept de "modernité" dans la poésie. Dans la deuxième partie, nous mettrons en exergue les manifestations de ce concept dans le corpus choisi. Enfin, nous dégagerons dans la troisième partie, la signification profonde qui sous-tend les deux oeuvres et partant toute l'oeuvre poétique de PACERE. Pour mener notre réflexion, quelles méthodologies appliquer?

    La perspective dans laquelle nous plaçons notre étude, nous impose de recourir à trois méthodes pour saisir la quintessence du corpus choisi du point de vue de notre sujet.

    Nous allons recourir à la stylistique et à la sociocritique. Avant d'aller plus loin, nous tenterons de définir chacune des méthodes à utiliser, ainsi que la sémiotique que nous excluons ici.

    La première citée se définit comme une science tournée vers le style. En effet, selon les auteurs de Introduction à l'analyse stylistique, la stylistique est l'étude du style dans le discours (ou dans la poésie), « l'étude des moyens que choisit l'auteur dans la langue pour rendre son propos efficient ». Ainsi, l'analyse stylistique étudie les faits d'expression du point de vue de l'intention particulière de celui qui s'exprime. Selon Wagner, l'objet de la stylistique c'est : « de rechercher, d'expliquer, de juger tous les moyens mis en oeuvre par le sujet parlant pour traduire son propos dans le cadre choisi par lui ». Mais de toutes les stylistiques nous allons faire appel à la stylistique fonctionnelle de Roman JAKOBSON, et particulièrement à la fonction poétique à laquelle nous allons adjoindre la fonction symbolique ou initiatique de B. ZADI Zaourou.

    Quant à la sociocritique, elle est une tentative pour expliquer la production, la structure et le fonctionnement du texte littéraire dans le contexte social, historique et institutionnel. Aussi, comme le souligne Claude DUCHET, la sociocritique est-elle « même lecture immanente en ce sens qu'elle reprend cette notion de texte élaboré par la critique formelle et la valise comme objet d'étude prioritaire». En effet, la visée de la sociocritique est de montrer que l'oeuvre littéraire est aussi production sociale et partant production idéologique. L'oeuvre littéraire est avant tout un processus esthétique et non véhicule d'un énoncé préformé. Il s'agit donc pour la sociocritique de considérer les faits littéraires en les intégrants dans le procès historique. En d'autres termes, il s'agit

    de penser le rapport de l'oeuvre littéraire avec l'histoire et la société. Pour cela, il est indispensable de mettre l'accent non sur l'auteur, mais sur le sujet de l'écriture engagée dans un ensemble social.

    Contrairement à la sociocritique, la sémiotique considère que la vérité d'une oeuvre réside uniquement dans son sens fonctionnel et de ce point de vue elle n'est pas loin de la stylistique dont elle utilise d'ailleurs le « matériel.». Pour les sémioticiens, la signification de l'oeuvre n'est pas relative à l'auteur mais à elle-même. La sémiotique s'intéresse davantage à l'oeuvre pour ce qu'elle signifie. En effet pour le sémioticien, le texte poétique ou l'oeuvre littéraire en général, est une réserve de signifiants et de signifiés, de formes et de contenus qui ont leurs sens. C'est donc à ces formes, à l'écriture et au sens qu'elles dégagent que s'intéresse le sémioticien, sans se soucier du contexte social et encore moins de l'auteur.

    Ainsi que nous l'avons annoncé ci-avant, ce sont les deux premières méthodes qui vont nous permettre d'entrer dans le « joyau » de PACERE pour y rechercher et montrer les traces de la modernité.

    Comme nous l'avons vu, en poésie, le terme ``modernité'' est apparu chez Honoré de Balzac en 1822 avec le sens d'époque moderne depuis la renaissance italienne. Dans la poésie africaine, ce terme rime avec l'apparition de la poésie écrite sur le continent noir. Cependant, comment les poésies africaine et française mettent-elles en exergue cette notion ?

    En effet, de la poésie lyrique des troubadours qui s'est nourrie de grands mythes de l'univers chevaleresque au Moyen Age, à la poésie personnelle de René Char, de Jacques Prévert ou de Henri Michaux, que de chemin parcouru, que de crises traversées par la poésie française.

    De la poésie d'un Balla Fasséké de l'antique Mandingue1(*)9 ou d'un roudougou (poète ou griot) du Mogo Naba2(*)0 à la poésie néo-oraliste de ZADI Zaourou, de PACERE Titinga ou de Jean-Marie ADIAFFI que de ruptures opérées par les générations successives de poètes africains. Ce sont ces crises et ces ruptures que nous tenterons dans cette première partie, de montrer.

    I. La Querelle des Anciens et des Modernes.

    Déjà au XIIIe siècle, la poésie française connaissait sa première crise avec le dépérissement des valeurs chevaleresques. Elle suivra difficilement ce bouleversement des moeurs et les poètes feront porter leurs efforts de régénération sur les artifices de la forme. Ceux de la génération suivante vont « amplifier cette tendance et s'orienter vers une technique très élaborée, souvent savante, mise en oeuvre dans des genres à forme fixe (Rondeau, virelai, ballade) puisés peut être dans la tradition folklorique » 2(*)1.

    En effet, au XIVè siècle la poésie se renouvelle au niveau de la forme. Avec Guillaume Machant, les rimes et leurs combinaisons, les mètres, le nombre de vers par strophe, ainsi que la disposition des strophes elles-mêmes, connaissent une évolution remarquable.

    Avec François Villon au XVè siècle, les genres à forme fixe deviennent l'instrument d'un lyrisme personnel. Au XVIe siècle, une autre crise va faire son apparition, opposant les poètes de la pléiade aux poètes des tendances marotiques de l'école lyonnaise2(*)2. Les poètes de la pléiade avaient pour ambition d'enrichir et d'affiner la langue française, afin qu'elle atteigne le niveau du grec et du latin. Ils vont donc s'adonner à la création de nouveaux mots et à « l'enrichissement du lexique par la multiplication des métaphores, des allégories et des comparaisons ».

    Aussi condamnent-ils la poésie médiévale et les genres traditionnels que sont les rondeaux, les ballades, les farces, ... au profit des genres cultivés par les anciens : l'ode, l'épigramme, l'élégie,...

    En revanche, les poètes réunis autour de Louise Labé, c'est-à-dire, les poètes de l'école lyonnaise, sont pour une fusion de l'héritage médiévale avec les poésies grecque et latine, mais surtout avec celle de l'Italien Pétrarque qui

    inventa le Sonnet. Maurice Scève, Louise Labé et leurs amis, vont s'opposer aux poètes de la pléiade. Alors que Du Bellay, Ronsard et leurs condisciplines sont préoccupés par la forme en poésie et l'illustration de la langue française, les poètes réunis autour de Louise Labé, chantent leurs sentiments personnels. Cette querelle entre les deux écoles fut excessive et violente. Mais c'est surtout à la fin du XVIIè Siècle que surgira la plus grande des querelles littéraires : la Querelle des Anciens et des Modernes ou comme le précise le Nouveau Petit Robert, la Querelle des partisans des anciens et des modernes.

    Cette querelle dont les origines remontent à la renaissance va éclater en 1680 et durer environs 30 ans. Sa problématique se résume en ces questions de Danièle Nony et Alain André, auteurs de Littérature Française, Histoire et Anthologie : « l'imitation des auteurs de l'Antiquité grecque et latine est-elle bien nécessaire ? Ces modèles gréco-latins sont-ils les modèles définitifs du beau ? » 2(*)3

    En effet, l'on est arrivé à se demander si les poètes modernes devaient toujours continuer à s'inspirer des auteurs grecs ou romains. En d'autres termes, les poètes français ne pouvaient-ils pas avoir leur génie propre ? N'étaient-ils pas capables de produire des oeuvres littéraires d'une beauté comparable, voire supérieure à celle des oeuvres de l'Antiquité grecque ou romaine ?

    Ainsi au cours de cette querelle, deux camps vont se former : d'un côté, les Anciens, et de l'autre, les Modernes.

    1. Les Anciens

    Sont appelés Anciens, les grands poètes classiques qui considèrent l'Antiquité comme pourvoyeuse de genres, de sujets, source de noblesse et de merveilleux. Pour les partisans des anciens, ``l'Antiquité est d'abord et avant

    tout, une culture'' parce que ``toute création littéraire se nourrit nécessairement de culture et ne saurait jaillir comme ex-nihilo de la seule opération du génie.''2(*)4 Les auteurs tels que Homère, Démosthène, Virgile, ... sont considérés comme des hommes merveilleux, des modèles, des "dieux du parnasse". Les oeuvres de ces anciens de l'Antiquité grecque ou latine sont pour leurs partisans, des oeuvres consacrées parce que la nature s'y montre "dans toute sa pureté" et "sa dignité" n'y est "point encore souillée par la vanité, par le luxe et par la sotte ambition". 2(*)5

    "L'étude de ces chefs d'oeuvres consacrés, affirme Boileau, révèle aux modernes les règles de l'art". Pour La Fontaine, "on s'égare en voulant tenir d'autres chemins". De toute évidence, les partisans des anciens pensent et soutiennent que l'imitation de Homère, Virgile et autres, permet d'éviter les erreurs des modernes que sont: la préciosité, l'enflure et le burlesque. Cependant, cette imitation doit être soumise aux grands principes de la raison et de la nature afin que l'originalité de l'auteur moderne ne soit en rien aliénée. C'est dans cette optique que La Fontaine a écrit ce vers: "mon imitation n'est pas un esclavage". Les partisans des anciens soutiennent que les "meilleurs écrivains modernes sont justement ceux qui ont imité les anciens ". C'est donc à juste titre que la Bruyère fustige l'ingratitude de Perrault et des modernes à l'égard des anciens, en ces termes:

    " On se nourrit des anciens et des habiles modernes; on les presse; on en tire le plus que l'on peut, on en renfle ses ouvrages; et quand enfin l'on est auteur et que l'on croit marcher tout seul, on s'élève contre eux, on les maltraite, semblable à ces enfants durs et forts d'un bon lait qu'ils ont sucé, qui battent leur nourrice"2(*)6 .

    Au nombre des écrivains partisans du culte des anciens grecs et latins, nous pouvons noter: Nicolas Boileau, auteur de l'Art poétique et de Réflexions sur Longin, oeuvres dans lesquelles il protesta vigoureusement contre les thèses des modernes; La Fontaine dans l'Epître à Huet, formula les idées essentielles des classiques; La Bruyère, auteur des Caractères dans lesquels "il défend les anciens et raille les modernes" ; Racine, auteur de plusieurs tragédies dont les sujets sont de l'Antiquité grecque ou latine. A ceux là nous pouvons ajouter Fénelon qui a plutôt adopté une attitude conciliante au cours de cette querelle. Dans sa lettre à l'Académie il a écrit ceci: "les anciens ne seraient pas moins excellents qu'ils l'ont toujours été, et les modernes donneraient un nouvel ornement au genre humain". Il formule ainsi le voeu de voir les modernes surpasser les anciens sans toutefois leur nier la gloire qu'ils méritent en tant qu'anciens. Enfin, citons Bossuet qui prit également une part active à cette querelle des Anciens et des Modernes.

    Aux cotés de ces écrivains, l'on note l'aristocratie, la haute magistrature et la bourgeoisie, hostiles à toute évolution de la pensée. Cependant comme le dit G. Lanson, "l'esprit humain, c'est le progrès; dans les arts, dans les sciences, ...". Cette volonté manifeste d'évoluer propre à l'homme va susciter des velléités de révolte contre le culte des anciens de la part de certains intellectuels de la fin du XVIIè siècle en France. Ce sont entre autres: Charles Perrault, Fontenelle, Saint-Évremond.

    2. Les modernes

    L'un des premiers à se lever contre le goût et l'esthétique de l 'Antiquité fut Desmarets de Saint-Sorlin1(*), qui crut bon de justifier le choix qu'il avait fait d'un héros moderne et chrétien dans son poème (Clovis). Il légua la querelle à Perrault.

    Avec Charles Perrault à leur tête, les modernes ``défendent des épopées écrites en français et exaltent l'histoire ou la chrétienté."2(*) A la fin du XVIIe siècle, on se passionne pour les sciences, les voyages et l'actualité. "Une nouvelle conception esthétique va se dégager: le moderne renonce à imiter sans cesse les modèles antiques, car il aspire à inventer à son tour avec la langue et les vérités de son temps." 3(*)

    Aussi, rejettent-ils l'imitation même intelligente d'un de la Fontaine4(*). Pour eux les anciennes oeuvres font partie de l'enfance de la poésie, ainsi que l'affirme Blaise Pascal dans la préface du Traité du vide.5(*) Ils pensent que si Homère et les autres vivaient présentement, leurs oeuvres poétiques s'accommoderaient au siècle présent6(*)et que les poètes de leur époque font de mauvais poèmes, parce qu'ils n'ont pas le génie des anciens. En plus, Perrault affirme que les règles des modernes ont manqué à Homère et Virgile pour faire de leur oeuvre, une oeuvre parfaite et ce, malgré leur génie. Si donc un moderne avait leur génie, il ferait un plus beau poème que L'Enéide, soutiennent-ils.

    Pour les Modernes, les oeuvres de l'Antiquité ont leur âge et leur durée. Elles sont passées comme les nations et les gouvernements de leur époque. "Il serait donc injuste et ridicule de vouloir toujours régler des nouveaux par des lois éteintes". Contrairement donc aux partisans des anciens qui pensent que seule l'épreuve du temps apporte la preuve sûre de la qualité des oeuvres de l'esprit, Charles Perrault, Saint-Évremond et tous les modernes accordent la primauté au génie créateur de l'artiste. Et la polémique soulevée par cette divergence dans la conception de l'oeuvre d'art, a vu la victoire des Modernes

    sur les Anciens. Cette victoire des Modernes se cristallisera avec l'entrée de Fontenelle à l'Académie en 16917(*).

    En effet, ils percevaient le caractère daté des littératures anciennes, et leur ambition était d'adapter la nouvelle littérature à une époque qui se tournait vers l'avenir. Dans Parallèles, Charles Perrault va revendiquer pour les modernes le droit de conquérir leur indépendance vis-à-vis des anciens grecs et latins, dans tous les domaines sauf dans les questions politique et religieuse. Excepter ces deux domaines donc," partout ailleurs, la raison peut agir en souveraine et user de ses droits"8(*). Quant à Fontenelle, il s'indigne contre le culte des anciens. Pour lui, "rien n'arrête tant le progrès des choses, rien ne borne tant les esprits; que l'admiration excessive des anciens..."

    Les modernes vont donc se lancer dans l'apologie du présent, des progrès, ainsi que le fait leur chef de file, Charles Perrault dans "Le siècle de Louis le grand"9(*) . En littérature particulièrement, les modernes, vont abandonner les genres traditionnels que sont: la tragédie, la poésie morale ou didactique et les styles qui sont liés à ces genres. Ils vont plutôt cultiver des genres nouveaux, plus aptes à traduire leurs visions du monde. Ces nouveaux genres sont entre autres le conte, le roman, la poésie sentimentale. Cette attitude des modernes va déplaire aux partisans des anciens qui réagiront vigoureusement. Cependant, L'Énéide Travestie de Charles Perrault parue en 1648 et les nombreux contes écrits au soir de sa vie témoignent de la volonté des modernes de tourner définitivement la page de l'emphase épique ou antique des anciens. Avec Saint-Évremond, l'on assiste à la naissance d'une littérature épicurienne, une littérature plaisante. Celle-ci se développe surtout dans "les salons parisiens où se perpétue l'esprit libre et brillant des précieux"10(*) .

    En définitive, cette querelle qui éclate vers la fin du XVIIè siècle, débouche sur le triomphe des modernes. Ils sont admis à l'Académie Française et l'esprit Cartésien gagne la société. Désormais la littérature est dominée par la raison et éprise d'idées claires. L'esprit individualiste l'emporte sur le conformisme de l'Antiquité et la recherche de la beauté n'est plus la seule préoccupation du poète.

    Cependant cette querelle n'a pas été la dernière dans la poésie française. En effet, avec Mme de Staël, une autre crise va éclater et non des moindres.

    II. Romantisme, modernité et esprit nouveau.

    Après le XVIIe siècle, marqué par la querelle littéraire des Modernes et des Anciens, le siècle suivant, c'est-à-dire le XVIIIè siècle, va se tourner vers la philosophie. C'est un siècle de rupture avec le passé, un siècle de modernité. C'est à juste titre d'ailleurs qu'il est baptisé, "le siècle des lumières" ou "le siècle philosophique".

    Seulement quelques poètes vont célébrer le XVIIIè siècle. Ce sont : André Chénier et Ecoulard Lebrun. En revanche, l'on assistera à l'émergence d'une prose poétique avec Voltaire et Rousseau. C'est au XIXe siècle que la poésie fera son retour triomphale.

    En effet, Mme de Staël et Chateaubriand inaugurent un siècle poétique avec un grand bouleversement dans la littérature : le romantisme que Mme de Staël empruntera à l'allemand "romantisch" (in De l'Allemagne).

    Pour l'auteur de De l'Allemagne... et de De la littérature..., puisque la poésie est la voix naturelle de l'âme et l'expression privilégiée du génie, elle

    doit s'affranchir des règles pour suivre « l'impulsion heureuse de l'amour pour la nature des arts » 11(*)

    Cette nouvelle conception des choses en littérature et particulièrement en poésie, va s'appeler romantisme. L'étymologie de ce terme est allemande. Le mot d'origine désignait la poésie dont les chants des troubadours ont été à l'origine.

    1. Le romantisme

    En France, la poésie romantique va s'enraciner et désormais l'image, le style ou le genre romantique désigne ce qui s'écarte des normes et des règles fixées par les auteurs classiques pour s'inspirer de ce qui est antérieur à l'Antiquité, au Moyen Age et à la Renaissance. Les écrivains romantiques s'inspireront même des littératures étrangères que sont celles de l'Allemagne et de l'Angleterre. L'émergence de ce courant littéraire témoigne de la prise de conscience d'une mutation : des tendances novatrices affrontent désormais les classiques.

    Cependant, quels sont les caractéristiques de cette poésie ?

    a. Au niveau de la forme

    La poésie romantique se veut une poésie d'affranchissement. Elle s'exprime aussi bien en vers qu'en prose. Elle prend en compte tous les aspects du monde (beauté, laideur, ... ) , et juxtapose le langage noble au langage des roturiers et à celui de la plèbe. Contrairement aux classiques donc, la dichotomie entre la tragédie et la comédie est désuète. Le glas de ce cloisonnement est sonné par Victor Hugo dans sa préface à Cromwell. La représentation de Hernani marquera d'avantage cette rupture avec les

    Classiques. Mais c'est surtout l'alexandrin sans accent rythmique sur la sixième syllabe qui caractérise cette poésie. En effet, le vers romantique n'a pas de césure matérialisée à l'hémistiche, contrairement au vers classique. L'alexandrin classique comporte quatre (4) accents rythmiques dont un à la sixième syllabe pour marquer la pause à l'hémistiche et un à la douzième syllabe, à la fin du vers. Cette structure du vers classique lui vaut le nom de Tétramètre12(*). Quant à l'alexandrin romantique il est appelé Trimètre parce qu'il se segmente en trois parties égales (4/4/4) sans tenir compte de la césure que les classiques respectaient rigoureusement13(*). Cependant, le trimètre n'a pas supplanté le tétramètre des poètes classiques. Il s'est glissé dans ses rangs pour rompre la noblesse du ton chère aux classiques. Ainsi le vers romantique dans une série d'alexandrins classiques, permet au poète romantique de réaliser le mélange des genres cher et revendiqué par lui, tel qu'exposé par Victor Hugo dans la préface à Cromwell. En effet, dans cette préface, Hugo dégage trois âges dans l'évolution de la poésie, suivant les grandes périodes de l'humanité, appelées aussi théorie des 3 âges de la poésie et qui sont : l'âge des temps primitifs, l'âge des temps antiques et l'âge des temps modernes. Ce dernier âge est celui de la poésie nouvelle qui associe : "ombre" et "lumière"; "grotesque" et "sublime"; "corps" et "âme" ; "bête" et "esprit".14(*)

    Une autre caractéristique de la poésie romantique est l'enjambement qui est "un procédé rythmique consistant en une non-coïncidence de l'unité de syntaxe et de l'unité de vers: la phrase ou proposition débordant la rime et s'achevant sur l'une des premières syllabes du vers suivant".15(*)

    A l'époque classique cette pratique fut proscrite par Malherbe. Et Nicolas Boileau rend bien ici cette interdiction :

    "Les stances avec grâce apprirent à tomber

    Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber." 16(*)

    b. Au niveau thématique

    Pour ce qui est du fond, les poètes romantiques mêlent l'inquiétude, la mélancolie et l'enthousiasme lyriques. Tout devient sujet pour la poésie. L'inspiration est libérée et les thèmes aussi divers que : la fuite du temps, le regret de l'aristocratie, la douleur de l'exil, la douleur du passé, le refus de l'avilissement dans une société mercantile, la mort, la solitude, l'amour déçu, la débauche... seront abordés par les romantiques que sont Victor Hugo, Alfred de Musset, Lamartine, Alfred de Vigny, ...

    En affirmant la relativité du goût et la primauté du génie, élan passionné de l'âme, le romantisme libère l'inspiration. "Elle trace la voie à une poésie nouvelle qui sera moderne"17(*). C'est-à-dire, une poésie qui correspondra à la sensibilité, au goût de son temps. En sera-t-il de même de la poésie du XXe siècle.

    2. Modernité et esprit nouveau

    Au début du XXe siècle, la longue existence du romantisme et du symbolisme qui l'a suivi, a fini par faire de ces mouvements initialement révolutionnaires, des mouvements néoclassiques. Des poètes comme Paul Claudel, Paul Valéry vont tenter de sauver la poésie qui s'étouffe, qui stagne après la période symboliste qui a réuni les poètes français les plus grands : Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Rimbaud,...

    C'est d'ailleurs Rimbaud qui fut à l'origine de la vocation poétique de Paul Claudel. Il le confesse en ces termes : « (...) la lecture des Illuminations, puis quelques mois après Une saison en enfer, fut pour moi un événement capital. Pour la première fois, ces livres ouvraient une fissure dans mon bagne matérialiste. 18(*)»

    a. La modernité poétique

    De Paul Claudel, l'on retiendra qu'il a inventé le verset à la manière des saintes écritures (la Bible et le Coran). Cependant, c'est à Guillaume Apollinaire que l'on doit la deuxième grande révolution dans la poésie française et CARATINI, le dit bien, qui écrit :

    « A examiner l'évolution de la poésie française, depuis le grand silence de Rimbaud et celui de Mallarmé, on constate qu'elle s'enroule sur elle-même... Malgré quelques audaces formelles, elle ne débouche sur rien. Il lui manque une source d'inspiration qui soit véritablement nouvelle et un poète suffisamment sensible pour le découvrir, suffisamment habile pour l'exprimer, suffisamment clairvoyant pour le tendre aux poètes futurs. Or Guillaume Apollinaire eut tout cela, justifiant son vers célèbre de cortège :``Je me disais Guillaume il est temps que tu viennes''19(*).».

    b. L'esprit nouveau

    Pour cristalliser cette révolution poétique, Guillaume Apollinaire écrit le manifeste de l'esprit nouveau en 191220(*). Mais celui-ci n'est autre que l'écho en France du manifeste du Futurisme21(*) publié à Milan en Italie, Février - Mars 1909 et qui définit la modernité poétique comme étant la célébration de grandes foules agitées par le travail, le plaisir et la révolte.

    Avec "l'esprit nouveau" nous avons une collaboration entre tous les artistes. Notamment entre les poètes et les peintres. L'exemple le plus illustre de cette collaboration est celle entre Pablo Picasso et Apollinaire qui donna naissance au cubisme. Apollinaire va superposer les lettres à la peinture en réinventant les calligrammes .

    A la suite du Cubisme, nous avons le "Dada"22(*).

    Ce mouvement qui doit son nom au roumain Tristan Tzara se développa entre 1915 et 1923. Il chercha à détruire le langage social par la spontanéité créatrice. Des divergences de point de vue entre Tzara et André Breton et ses condisciples qui avaient découvert le Dada en 1917, font échouer le mouvement. Il est supplanté par le surréalisme23(*) qui répond le plus aux ambitions littéraires d'André Breton, de Louis Aragon et de leurs amis. Le premier manifeste du mouvement sera publié en 1924 par André Breton. Pour les surréalistes, la tâche du poète est de faire "jaillir" les fantasmes avant qu'ils ne soient empêtrés du carcan logique. Avec eux donc, la poésie devient involontaire, explosive, incontrôlée. Il s'agit pour Maurice Nadeau "de mettre à l'unisson, l'inconscient d'une ville avec l'inconscient des hommes ".

    c. Le renouveau poétique

    Après la deuxième guerre mondiale, on assistera à un renouveau poétique24(*) avec René Char, Jacques Prévert, Francis Ponge et bien d'autres poètes qui ne sont marqués du sceau d'aucune école. Pour Saint John Perse, Henri Michaux, il s'agit, "de travailler à l'élaboration d'une parole essentielle et personnelle", comme l'avait préconisé les surréalistes.

    Au total, le XIXe et le XXe siècle ont connu une profusion de rebondissement dans la poésie française. De la poésie de Hugo à celle d'Apollinaire, puis à la poésie personnelle de la fin du XXe siècle, le besoin de renouveler l'esthétique et le fond a toujours été au centre des préoccupations des poètes français. Qu'en est-il de la poésie africaine ?

    I. De l'oralité à l'écriture.

    Le concept de modernité dans la poésie africaine, se saisit de prime abord dans le passage d'une poésie orale à une poésie écrite. En effet, en Afrique traditionnelle, la poésie n'était que orale ou médiatisée (tambourinée)25(*) . Ce genre littéraire est consubstantiel à l'Africain. C' est d'ailleurs à juste titre que Boubou Hama dit que la poésie est "jaillissement spontanée et quotidien" chez l'africain. Il est donc naturel que le Nègre utilise "les mots de France ", " pour évoquer les êtres et les choses de son univers"26(*) , pour prophétiser la cité de demain.

    Cependant, avant d'aborder le premier cri véritable de la poésie écrite négro-africaine, intéressons-nous à celle qui constitue le substrat élémentaire de cette poésie moderne africaine.

    1- La poésie orale africaine

    C'est la poésie chantée, déclamée ou psalmodiée par les paysans dans les langues de leurs terroirs. Ces artistes qui font partie intégrante de leur communauté ont une conscience assez claire de la notion de belle parole. La parole qu'ils profèrent est riche en métaphores, comparaisons, métonymies, allégories, ... et symboles.

    Que ce soit les chants des jeunes filles au clair de lune ou la parole proférée du "Weygwe" chez les Bété (peuple du Sud Ouest de la Côte d'Ivoire), du "Djéli" chez les Malinkés (peuple du nord-ouest de la Côte d'Ivoire) ou encore de "l'Agnanda" des Akyés (peuple du sud de la Côte d'Ivoire), la parole poétique est dense, poly-forme et polysémique. A travers elle, se découvre non seulement la sensibilité et l'imagination de l'artiste, mais également la communauté dans toute sa culture, et la beauté des langues africaines capables

    de traduire à l'aide d'images et de symboles, la pensée profonde de l'individu et de tout un peuple. Quelle soit profane ou sacrée, la parole poétique africaine est intimement liée à la musique et à la danse. Elle est donc dominée par le rythme ainsi que le dit Senghor dans "les lamantins vont boire à la source". Ce rythme qui sous-tend la parole hautement symbolique finit par faire de cette poésie orale, une poésie où la fonction initiatique27(*) telle que découverte par ZADI Zaourou, se juxtapose aux fonctions syntagmatique et paradigmatique. En somme, la parole proférée apparaît comme une poésie communautaire et dont la poéticité ne souffre d'aucune ambiguïté. Qu'en est-il de la poésie médiatisée ?

    2-La poésie médiatisée

    En effet, cette poésie que certains appellent la poésie instrumentale est la poésie de l'"Attougblan" des Akans, du "Bendré" des mossé, du "Gbodo" des Bété et Dida,... C'est la poésie produite par ces instruments musicaux que nous appelons avec ZADI Zaourou "poésie médiatisée". Elle est fortement rythmée et est réservée le plus souvent à une élite. En effet avec PACERE nous savons que "le langage tambouriné est toujours pour un cercle restreint, ... Seul le cercle fermé est à même de décoder ce message"28(*) . C'est donc une poésie qui est plus sacrée que profane. Lorsque l'Attouglan "parle": les "bambins" ne saisissent que le rythme qui les enivre et les force à danser; le "menton velu" ou "le talon rugueux" assis devant sa case, reste pensif, saisi par le message que les ondes lui envoient.

    Cette poésie, chez les mossé, comme le dit PACERE, est une juxtaposition savamment faite d'expressions ou de devises consacrées. Comme nous le voyons, la complexité de cette poésie faite de "phrases qui se succèdent, s'entrechoquent sans se compléter souvent", finit de faire d'elle une poésie digne d'intérêt.

    Quelle soit orale ou instrumentale, la poésie traditionnelle ne se laissera pas transposer sur des pages écrites aussi facilement que le pense certains. Les poètes contemporains tenterons certes de le faire mais, la rupture opérée par l'adoption de l'écriture et d'une langue étrangère à la culture africaine ne faciliterons pas la tâche. Et la modernité poétique vient de cette forme inachevée de la poésie traditionnelle dans les recueils de poèmes des africains noirs.

    II. De la négritude à la poésie moderne.

    1. la poésie de la Négritude

    Immense cri de souffrance et de révolte nègre, la poésie de la Négritude a été à l'origine une poésie de rupture dans la forme, comme dans le fond. Rupture avec la poésie des romanciers négro-africains qualifiés de "singes littéraires" par Senghor, rupture avec les poésies occidentale et africaine29(*). Il s'agit ici de la poésie africaine chantée au clair de lune, autour du feu, non encore confinées dans des livres.

    C'est en 1939 que la "lettre" fit son apparition dans Cahier d'un retour au pays natal, d'Aimé Césaire, publié dans la revue Volonté. Cependant l'origine du mouvement remonte au panafricanisme de William Du Bois et à la "Negro renaissance"30(*) des écrivains noirs américains tels que Langston Hughes, Claude Mac Kay, Countee Cullen, Sterling Brown, ... Ces mouvements négro-américains ou leurs auteurs influencèrent les étudiants noirs en France. Ils suscitèrent chez eux une prise de conscience de leur situation d'aliéné. Des revues littéraires seront crées pour permettre aux nègres d'exprimer leurs

    oppositions à l'acculturation. Ce sont entre autres Légitimes défenses d'Etienne Léro (1932), L'Etudiant noir (1935), La revue du monde noir (1931)31(*).

    Mais, c'est autour de L'Etudiant noir, le journal de l'association des étudiants martiniquais en France, que Aimée Césaire, L.S. Senghor et L.G. Damas, vont se retrouver pour donner forme et esprit à la négritude qui se veut une prise de conscience, une révolte contre la stratégie très efficace d'acculturation appliquée par les colons français et portugais32(*). Acte poétique, les thèmes favoris de la négritude sont: « Fierté d'appartenir à la civilisation africaine et dénonciation de tout ce qui veut contrecarrer cette communion: l'esclavage et l'oppression coloniale »33(*).

    Dans les lignes qui suivent, Césaire dénonce avec vigueur la traite négrière:

    « Et ce pays cria pendant des siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l'humanité s'arrête aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier ambulant hideusement prometteur de cannes tendres et de coton... »34(*)

    En effet, Césaire fustige la négation de l'humanité du Noir. Pendant longtemps l'on refusa de reconnaître que le Noir était "Homme". Cependant, malgré des siècles d'abâtardissement, le Noir a relevé la tête et a manifesté hautement sa négritude, avec Césaire, Damas, Senghor, David Diop et bien d'autres poètes.

    Ainsi que le suggère René Philombe dans "Négritude"35(*):

    ``Longtemps béat sous le vieux bât

    qui me limait les pigments

    je me suis enfin réveillé

    l'oeil rouge''.

    D'autres thèmes comme l'espoir, l'espérance, l'Amour de l'Afrique fuseront de la poésie négro-africaine, malgré la situation coloniale dans laquelle se trouvait le continent noir à l'époque. Notamment avec David Diop dans Coups de Pilon. Lisons ces vers:

    ``Afrique mon Afrique

    Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales

    Afrique que chante ma grand-mère''.

    Ou encore :

    ``Malgré vos chants d'orgueil au milieu des chantiers

    Les villages désolés, l'Afrique écartée

    L'espoir vivait en nous comme une citadelle''.

    Mais la négritude, c'est une esthétique. A ce niveau les bouleversements sont énormes, tellement le poète veut se libérer de toute influence, et revendiquer son autonomie.

    En effet, les premiers africains à être allés à l'école occidentale, ont été nourris de culture occidentale. Cela perdurent encore sous les indépendances. Aussi les premiers poètes vont-ils conserver une fidélité aux modèles anciens de la versification français. Ainsi que le témoigne Leurres et Lueurs de Birago Diop qui est presque entièrement composé en vers réguliers et "Héros d'ébène"36(*) dans Refrains sous le Sahel de PACERE dont les liens avec la poésie à forme fixe sont tangibles. Pour illustration, voici quelques vers de Birago Diop:

    "Lorsqu'en vain j'ai pleuré // sur notre bref passé

    Tranquille je reprends // le long joug des journées"37(*)

    Le respect de la césure à l'hémistiche dans les vers ci-dessus font d'eux des alexandrins classiques. Ces vers réguliers tiennent à l'héritage de la littérature française du siècle classique, celle-là même, que ces poètes ont appris à aimer à l'école.

    Les "négritudiens" seront également influencés par le romantisme, le symbolisme et le surréalisme. A défaut d'influences directes, ils ont néanmoins lu Baudelaire, Hugo, Verlaine et baigné dans le climat intellectuel de leur époque (le XXe siècle, avec son surréalisme ) . Il est donc normal qu'ils aient été imprégnés de tous ces courants poétiques, fût-ce à leur insu. Et Senghor confirme cela lorsqu'il dit avoir beaucoup lu les surréalistes ou que l'écriture surréaliste retrouve la parole négro-africaine38(*). Aussi pouvons-nous affirmer que la poésie négritudienne des pères fondateurs et celle de leurs épigones prend chaque fois la couleur de son temps à l'image de la poésie française, que ce soit au niveau de la forme ou du fond. Elle s'inscrit donc dans le grand mouvement de révolution poétique qui depuis Baudelaire, Rimbaud et Apollinaire, n'a cessé de bouleverser les formes traditionnelles de la poésie française. La rupture avec les règles classiques apprises à l'école, l'utilisation du rythme intérieur qui alterne irrégulièrement temps forts et temps faibles brisant ainsi la structure rythmique de la mesure classique comme le montre "Afrique" de David Diop dans Coups de Pilon et l'adoption de l'image poétique insolite, sont indubitablement les marques de la modernité, mais aussi de l'universalité de la jeune poésie négro-africaine.

    Avec Pius N'Gandu N'kashama, nous disons "hommage aux héros et aux martyrs"39(*). Certes la négritude a sonné le glas d'une imitation servile de la poésie occidentale, cependant son temps est révolu. L'Afrique a parcouru un chemin depuis les indépendances et la poésie qui est "jaillissement quotidien" se

    doit de rendre compte de la nouvelle situation, de la nouvelle société africaine en construction.

    Si nous devons nous souvenir du passé, ce doit être pour nous l'occasion de sélectionner dans ce passé glorieux et/ou douloureux ce dont nous avons besoin pour participer à la construction de l'Afrique moderne et du village planétaire qu'annonce le troisième millénaire.

    2- Poésie moderne Africaine

    Après la poésie des mimétiques où la production littéraire occidentale était le modèle tant au plan formel que thématique, va suivre la négritude. Et comme le dit Lilyan Kesteloot, c'est à partir de là qu'on peut parler de littérature négro-africaine. Les négritudiens vont exprimer leur propre culture à la suite d'une prise de conscience douloureuse de leur situation socio-politique. Cri de souffrance et de révolte contre les Blancs et les mimétiques, la poésie de la négritude n'a cependant pas toujours été la production de poètes enracinés dans la culture africaine qu'ils ont tenté pourtant de valoriser. C'est le cas de David Diop auteur de Coups de Pilon, qui chante l'Afrique qu'il "connaissait mal, ayant été élevé en France à Bordeaux et ensuite à Paris."40(*)

    Vivant presque tous en France, les négritudiens venus de l'Afrique comme Senghor et Birago Diop, n'ont gardé de la tradition orale que des souvenirs d'enfance, et leurs poèmes sont encore fortement inspirés de la prosodie classique, symboliste ou surréaliste. Pour David Diop cela n'a aucune importance, "pourvue que le créateur africain fasse entendre son chant ample et dur".

    Cependant, à partir de 1966, suivant la classification faite par Pius N'gandu, cette poésie qui n'avait pour but que de crever les tympans de ceux qui ne voulaient pas l'entendre, va toucher à sa fin et d'autres poètes vont prendre

    la relève pour d'autres luttes, d'autres audaces. "A partir d'ici se posent les jalons d'une véritable poésie africaine"41(*).

    En lieu et place d'une généralité englobant toute la race, les poètes africains formés pour la plupart en occident vont "réfranchir le fossé" et plonger dans la civilisation africaine, prendre le "particulier" et "l'approfondire". Car, comme le dit André Gide cité par Lilyan Kesteloot, « c'est en approfondissant le particulier qu'on accède au général »

    Les auteurs comme Siriman Cissoko42(*), vont emprunter «leur langage aux poètes traditionnels, aux griots, non pour revendiquer son appartenance à une "race" mais pour donner à sa poésie une empreinte de sincérité, d'expressivité intense »43(*). En effet Siriman reste attentif aux exigences de l'écriture dans Ressac de nous-mêmes, fondée sur la technique africaine de l'oralité sur laquelle est projetée "les consonances métaphoriques que seule permet la clôture de prosodie par l'écriture." 

    Eno Belinga procédera de même dans son recueil : Ballades et chansons camerounaises44(*). Ce recueil n'est pas une transcription de chansons populaires comme on l'a reproché à Flavien Ranaivo. Mais sur leurs modèles est produite une nouvelle poésie faite de mots singuliers, des gestes quotidiens, des murmures de tous les jours, voulant faire comme les "griots" et "les conteurs traditionnels". Dans ce recueil, nous avons des poèmes courts en vers plus ou moins longs avec des rimes faciles et des assonances fortes, comme savent le faire les conteurs traditionnels du Cameroun dont les oeuvres sont l'objet de toutes les recherches d'Eno Belinga.

    Tournant donc résolument le "dos" aux thématiques et aux images superficielles, le nouveau poète africain, comme le nomme Pius, va puiser dans

    les sources intarissables de la littérature orale ou culturelle, celle des griots, et des conteurs traditionnels pour créer une nouvelle poésie. Cette dernière «se veut alors la traduction d'un sentiment poétique fortement enraciné dans le coeur du poète et non plus seulement une proclamation emphatique décalquée sur des bibes folkloriques »45(*).

    La poésie moderne qui va donc définir l'écriture poétique africaine en tant que présence signifiante au monde et produire d'autres mythes en accord avec l'Afrique actuelle s'adresse à la jeunesse africaine, "première destinataire". Ainsi que nous le verrons dans les pages qui vont suivre, consacrées à l'analyse de la poésie de PACERE.

    Au terme de l'analyse diachronique de la notion de modernité dans les poésies française et africaine, nous pouvons nous rendre compte de la complexité et de la relativité de celle-ci. En Occident, elle est synonyme de rupture avec le passé, avec les classiques et liberté de penser et d'écrire ou comme le dit Victor Hugo elle naît au moment où "l'homme se rend compte qu'il n'est pas seulement corps matériel, mais aussi corps et âme, bête et esprit"46(*).

    Dans la littérature africaine et particulièrement en poésie, la modernité signifie l'adoption de l'écriture, de la langue et des techniques de versification occidentale. Mais elle signifie aussi et surtout le souci permanent qu'ont les poètes africains de retrouver les procédés et l'efficacité de la parole poétique orale ou tambourinée en utilisant l'écriture et la langue des Blancs. Toutefois, signalons avec B. Zadi Zaourou47(*), que cette poésie écrite est incapable de restituer la poly-rythmie du tam-tam puisqu'elle ne peut se lire que d'une voix unique. Là aussi est sa marque de modernité en tant que rupture avec la poésie orale qu'elle tente et ne peut jamais atteindre parce que les époques ne sont plus les mêmes.

    Comme Prométhée des grecs, PACERE Titinga tend des armes, par lui forgées, à la jeunesse africaine afin de lui permettre d'avancer sans crainte d'être phagocytées sur le chemin par ceux dont les pères ont dit à leurs pères, qu'ils n'avaient rien inventé, qu'ils étaient « des tables rases », sans civilisation, sans littérature ou poésie.

    A ce stade de notre réflexion, où nous toucherons aux textes que nous avons choisis, nous tâcherons d'organiser notre analyse autour des paradigmes : perfectionnement et dépassement, qui sont les fondements de toute pensée moderne ainsi que l'affirme Jacques Leenardt, dans le Futur antérieur (supplément)

    Comme nous le verrons donc, la poésie "pacéréenne" tient de la poésie moderne, en ce qu'elle  "s'appuie sur un fond (un héritage) qu'elle transforme"48(*)  pour remplir la mission qui est la sienne dans une Afrique noire croupissant encore sous le joug de l'hégémonie occidentale et contrainte d'aller au "rendez-vous du donner et du recevoir" avec toute la pression voire l'asservissement que cela suppose.

    Nous remuerons  cette « terre » de Manéga, tant dans la forme que dans le fond : les deux étant d'ailleurs inséparables. Cependant nous ferons la dichotomie pour une meilleure appréhension du génie du poète burkinabé, qui ne s'est pas donné dans une imitation servile de ses maîtres (les Anciens, pour parler comme Charles Perrault, le chef de file des Modernes, pendant la grande querelle de la fin du XVIIème siècle), de l'Occident et de l'Afrique.

    PACERE n'a pas « volé » puis remis simplement, à la jeunesse africaine la poésie. Il a écrit des poèmes qui témoignent de son époque tant au niveau esthétique que thématique, après « digestion » rigoureuse de ceux qu'il a appris à aimer à Manéga, à l'école et à l'université. Et c'est là sa dissemblance avec Prométhée que Zeus a fini par punir.

    I. Une poésie qui s'émancipe

    Que ce soit son poème d'inspiration scolaire Refrains sous le Sahel, ou Quand s'envolent les grues couronnées, la poésie pacéréenne s'est libérée au fur et à mesure de la tutelle de la poésie française.

    En effet, bon nombre des poèmes de Refrains sous le Sahel sont écrits à l'époque où l'auteur était sur les bancs scolaires à Dabou et en Europe, ainsi que le témoigne YEPRI Léon dans son oeuvre : Titinga frédéric PACERE, le Tambour de l'Afrique poétique.

    C'est ce qui explique que dans ce recueil le poète burkinabé ait conservé un fond de fidélité aux modèles de la versification française qu'il a appris à aimer à l'école et à l'université.

    Anciens ou modernes, le poète de Manéga ne s'est pas gêné à recourir à ses maîtres à la manière de David Diop qui revendiquait pour le poète africain le droit de s'exprimer aussi bien en alexandrins qu'en vers libres. Et même si les fins ne sont pas les mêmes pour les deux poètes, les moyens métriques et prosodiques utilisés par le poète burkinabé dans « HEROS D'EBENE »49(*) semblent tenir de ce droit.

    Ainsi que nous l'avons déjà annoncé, c'est ce poème de Refrains sous le Sahel qui va retenir notre attention. Toutefois, nous n'occulterons pas les autres textes, chaque fois que cela semblera nécessaire pour élucider nos propos.

    1- Une parodie de la forme fixe

    Nous présentons « HEROS D'EBENE50(*) » :

    1. "Spectre d'infamie ? Scandale du monde ?

    2. Réalisations de frondées anathèmes ?

    A. 3 Ou prostitutions de Pouvoirs Suprêmes ?

    4. Ou grands que l'oprobre et l'hypocrisie confondent ?

    5. Le lion attaqué réagit en vipère !

    6. Les couronnes n'aiment pas les émulations !

    B. 7. Et l'Ethiopie n'est pas une zone de sélection !

    8. Les scorpions vivent nombreux partout sur la terre !

    9. L'Afrique est en péril ! Ses chefs sont dignes de blâme !

    C. 10.Nous fumes sauvés ,on nous l'a appris, par des Anges,

    11. Et le peuple noir reconnaissant chante leurs louanges,

    12. En flétrissant leurs frères descendant du vieux Cham.

    13. Qu'avez-vous fait, « Dieux venus nous délivrer »,

    14. Protagonistes de situations confuses,

    D. 15.« libérateurs de l'Afrique », « fils de la Méduse »,

    16. Qu'avez-vous fait pour mériter de tels lauriers ?

    17. Dites-le Voulet-Chamoine, « hommes de la non-violence »,

    18. Attaquant les arcs du Mogho par les canons,

    E. 19.Dites-le assaillants des Aladians ou des Fons,

    20. Dites-le, dites-le, messagers de la délivrance !

    21. Panacées perturbatrices de notre histoire,

    22. Adversaire d'Ahmadou, Gouverneur Canard,

    F. 23.Ennemi du Bantou, colonel Archinard,

    24. Dites-le iconoclastes du continent Noir.

    25. Allez Sofas,vaillants Sofas, criez sur eux :

    26. « aïè taga kà bo-o kè Niagassola »,

    G. 26.Le Mali vous appartient peuple Dioula,

    28. Défendez, intrépides, la terre des aïeux !

    29. Mange des peaux de boeufs, El Habib, mange des herbes,

    30. L'Afrique perd des fils en Mamadou Racine,

    H. 31.Mademba le grand Fama, mais par la famine,

    32. Le fleuve ne nous sera frustré par Faidherbe !

    33. Ne fléchit pas devant le Blanc, illustre Mogho !

    I. 34.Le marché est ignoble, Damel Lat-Dior,

    35. Refuse tout chemin de fer dans le cayor !

    36. Reste le chef suprême, fils de Sanankoro !

    37. « Enfin ! Fini le cauchemar ! » Disent ces amis !

    38. Et l'Afrique ignorante vilipende ses héros !

    J. 39.A ses fils , apprend des noms célèbres : Goureau,

    40. Bouet Willaumez, Protet, Faidherbe, Lamy !

    41. De valeureux méconnus dorment dans la haine :

    42. Samory, Béhanzin, Mohamed, El Hamar,

    K. 43.Ahmadou, Koutou, Rabah, El Hadj Omar !

    44. LUMIERE DE VERITE, ECLAIRE LA TERRE D'EBENE !"

    Dans ce poème, les vers sont disposés en quatrains et les rimes embrassées témoignent de la maîtrise de la métrique et de la prosodie classique française par PACERE.

    Strophe A: -1 a

    -2 b

    -3 b

    -4 a

    Strophe B:-5 c

    -6 d

    -7 d

    -8 c

    Strophe C: -9 e

    -10 f

    -11 f

    -12 e

    Strophe D: -13 g

    -14 h

    -15 h

    -16 g etc...

    Voyons comment tout cela se présente :

    NB : Les lettres A, B, C, D,... servent à désigner les strophes et a, b, c, d, e, f,... les rimes.

    En effet, la disposition des vers et des rimes est l'une des caractéristiques de la forme fixe, de même que l'utilisation du vers régulier (l'alexandrin) avec la césure à l'hémistiche ( 6//6 ) comme le dit bien Boilau :

    « Que toujours dans vos vers // le sens coupant les mots

    Suspende l'hémistiche,// en marquant le repos. »51(*)

    Pour ce qui est de la nature des vers dans notre poème-témoin, voyons le tableau qui suit :

    STROPHES

    NUMEROS DES VERS

    RIMES

    CESURES

    COUPES RYTHMIQUES

    NOMBRE DE SYLLABE

    OBSERVATIONS

    A

    1

    2

    3

    4

    a

    b

    b

    a

    5//5

    4//6

    4//6

    6//6

    -.......

    .....

    ......

    2/4/4/2

    10

    10

    10

    12

    régulier

    B

    5

    6

    7

    8

    c

    d

    d

    c

    5//5

    6//6

    6//8

    6//6

    .......

    4/3/5

    .......

    5/4/3

    10

    12

    14

    12

     

    C

    9

    10

    11

    12

    e

    f

    f

    e

    6//7

    6// 6

    8//6

    7//6

    ........

    5/4/3

    ......

    .......

    13

    12

    14

    13

     

    D

    13

    14

    15

    16

    g

    h

    h

    g

    6//6

    6//6

    8//5

    6//6

    4/4/4

    5/5/2

    .......

    4/4/4

    12

    12

    13

    12

    Romantique

    Romantique

    E

    17

    18

    19

    20

    i

    j

    j

    i

    8//7

    6//6

    6//6

    6//8

    ......

    3/5/4

    3/6/3

    ......

    15

    12

    12

    14

     

    Etc...

    ...

    ...

    ...

    ...

    ...

    ...

    - Tableau 1 -

    Une observation de ce tableau nous permet d'affirmer que PACERE fait usage, aussi bien de l'alexandrin, de l'hendécasyllabe que des vers de 13 ,14, et 15 syllabes. Il apparaît clairement qu'il s'agit dans « HEROS D'EBENE »de quatrains hétérométriques rimés à la manière de Baudelaire ou de Mallarmé qui ont écrit des sonnets pour retrouver un idéal littéraire. Cependant, PACERE veut-il atteindre le même but que ces deux poètes symbolistes ? Ou s'agit-il simplement d'un avatar mécanique de la versification apprise à l'école ?

    Dans tous les cas, la singularité de notre poème témoin "HEROS D'EBENE", respectant la rime et la disposition classique des vers, de même que l'usage hypothétique de l'alexandrin régulier52(*) nous permet d'affirmer qu'il ne s'agit que d'une parodie, d'une caricature de la poésie à forme fixe. C'est à juste titre d'ailleurs que le poète termine le poème par ce vers:

    "LUMIERE DE VERITE, ECLAIRE LA TERRE D'EBENE !"

    Ici, la forme particulière des lettres témoigne de la volonté du poète de s'assumer, de "faire entendre sa voix singulière".

    Mais, s'il est prouvé que PACERE n'a aucune intention « de se faire prendre à bras le corps, sur les fonds baptismaux des chroniqueurs littéraires occidentaux » de l'époque classique, adopte-t-il la même position vis à vis des romantiques dont il affirme qu'il affectionnait se nourrir et s'abreuver de littérature de la seconde à la terminale.53(*)

    2-Le vers romantique

    En effet, un examen attentif du tableau nous permet de dire que TITINGA Frédéric fait usage d'un alexandrin qui ne respecte pas toujours la coupe à l'hémistiche. Si cette façon d'utiliser l'alexandrin a été interprétée comme une caricature volontaire des classiques, elle peut être aussi considérée comme une influence des romantiques sur le poète burkinabé.

    Suivons ces alexandrins extraits de « HEROS D'EBENNE54(*) », avec leur césure et leurs coupes rythmiques:

    Qu'avez-vous fait,/ « Dieux // venus / nous délivrer »,

    4 / 4 / 4

    ( Strophe D)

    De valeureux / mécon//nus dor/ment dans la haine :

    4 / 4 / 4

    ( Strophe K)

    Qu'avez-vous fait/ pour mé//riter / de tels lauriers ?

    4 / 4 / 4

    (Strophe D)

    Allez sofas,/ vaillants// sofas,/ criez sur eux :

    4 / 4 / (Strophe G)

    Le constat ici est que nous avons des alexandrins romantiques appelés aussi trimètres. La césure dans ces vers est privée de toute marque linguistique et accentuelle, comme le préconisait Verlaine55(*). Trois coupes rythmiques les partagent en trois groupes de syllabes, ce qui leur donne trois mesures contrairement à l'alexandrin classique qui en compte quatre. A la manière des romantiques donc, notre poète fait tomber la césure soit en milieu de mot (mécon//nus ; mé//riter), soit dissocie le substantif de son déterminant (le//hublot) ou une préposition du groupe qu'elle régit (jusqu'à// l'effondrement).56(*)

    A la strophe K de « HEROS D'EBENE », dans Refrains sous le Sahel, PACERE fait glisser dans les rangs de l'alexandrin classique, comme pour rompre de façon prématurée le ton noble que va suggérer celui-ci :

    V. 4 1-De valeureux / mécon//nus dor/ment dans la haine :

    4 / 4 / 4

    V.4 2-Samory,/ Béhanzin,/ Mohamed, /El Hamar,

    3 / 3 / 3 / 3

    En effet, avant le vers 2 qui est un alexandrin classique nous avons un vers romantique. Cette juxtaposition nous permet de dire que le poète a su rendre son amertume, sa peine, sa souffrance nègre face au mépris, à la haine dont a été victime sa race pendant la période de la conquête du continent. Cette haine qui a poussé le Blanc à tuer: Béhanzin, Samory, Mohamed, etc...

    Le vers classique est constitué ici par un échantillon de noms d'illustres martyrs africains. Il leur rend ainsi toute la noblesse dont ils avaient été privés ou dont ils jouissent encore chez nous africains.

    A la strophe H, nous avons :

    V.29- Mange des peaux de boeufs, El Habib, mange des herbes,

    V.30-L'Afrique perd des fils en Mamadou Racine,

    V.31-Mademba le grand Fama, mais par la famine,

    V.32-Le fleuve ne nous sera frustré par Faidherbe !

    A la suite du vers trente (V.30), surgissent deux alexandrins romantiques. Ce changement de mètre produit un effet. Le poète veut certainement attirer notre attention sur le drame de la conquête coloniale subie par l'Afrique. En effet, nous le savons et cela grâce aux historiens, l'Afrique a perdu de valeureux fils au cours de cette période tumultueuse de la pénétration Occidentale dans ses "terres". Les noms de certains de ces illustres fils sont évoqués dans la strophe ci-dessus. La noblesse du ton de l'alexandrin, telle que les classiques l'avaient reconnue à ce vers, permet, au vers trente (V.30 ) d'évoquer ces dignes fils que l'Afrique a perdu.

    Titulaire d'une Licence en Lettres Modernes, fait montre d'une maîtrise des modes de pensée, d'élaboration de l'écriture de la langue française au même titre que les principes régissant l'expression de la littérature culturelle. Ainsi qu'il le conseille aux auteurs africains dans son ouvrage, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique.57(*)

    Cependant, l'influence romantique ne se limite pas seulement à l'écriture. Elle est perceptible à travers la thématique de la solitude, du deuil, de la mélancolie, ainsi que nous l'avons déjà vu avec l'évocation des illustres disparus que sont Samory Béhanzin, Mamadou Racine, dans «  HEROS D'EBENE ». Cette thématique romantique apparaît également dans les poèmes aux titres expressifs tels que : «JE SUIS TRISTE », « L'ATTENTE », « LA FUITE », « LA DEUXIÈME GUERRE », ... de Refrains sous le Sahel.

    Dans le poème fleuve Quand s'envolent les grues couronnées, il est surtout question de la « mort » : celle de « Timini », mais également de la mère patrie. Le deuil se lit dans ces séquences :

    "Adieu! "Timini

    Adieu! Timini

    Quelques canaris de terre Devant cette tombe

    Mais de terre rouge renversée Fermée sur

    Séparent des hommes Mille larmes"

    Qui se sont aimés" p.47. p.30.

    A travers ces passages nous sentons l'amertume et la désolation chez le poète. En effet, Quand s'envolent les grues couronnées est la traduction poétique du « bounvaonlobo » ou la chanson funèbre mossé. Ainsi que l'ont affirmé ZADI Zaourou et Léon YEPRI58(*)

    La mélancolie et la tristesse, pierre angulaire de l'écriture romantique, constituent la toile de fond d'une grande partie des poèmes de PACERE,

    L'auteur, en écrivant à la manière de Victor Hugo ou de Verlaine, veut non seulement nous montrer qu'il maîtrise l'art des poètes occidentaux, mais aussi qu'il sait s'en servir pour exprimer ses émotions « nègres ».

    Pour marquer sa liberté, il intègre dans tous ses poèmes à l'allure romantique, le rythme du tam-tam africain. Le poème « DEMAIN LE PASSÉ »de Refrains sous le Sahel et tout le long poème Quand s'envolent les grues couronnées, illustrent bien nos propos.

    Au total, nous pouvons dire que PACERE a pris chez les romantiques le langage poétique pour exprimer sa mélancolie et sa tristesse qui sont loin de se résumer au « mal du siècle » de René de Chateaubriand.

    Cette façon de prendre ses distances par rapport aux romantiques français ou occidentaux, est la même en ce qui concerne les symbolistes et leurs épigones. En effet l'utilisation du vers libre et du verset par l'auteur de Quand s'envolent les grues couronnées, n'a pas la même motivation que celle des poètes qui l'ont inspiré ou qui les ont utilisés avant lui en Occident. Il s'en sert pour véhiculer les émotions de l'Afrique moderne.

    3-Le vers libre et le verset

    a. Le vers libre

    Il se caractérise chez les symbolistes par son affranchissement de toute norme classique, de toute mesure préétablie59(*). Cette revendication libertaire chez les poètes symbolistes comme Gustave Kahn, Laforgue, ou Baudelaire va de paire avec l'affirmation de la subjectivité et de l'intériorité. Le cadre trop rigide du vers classique est incompatible avec la modulation individuelle dont ils font preuve. C'est donc tout naturellement que les poètes africains depuis la négritude vont s'attacher à cette écriture.

    Dans Refrains sous le Sahel, PACERE fait usage du vers libre. Ainsi nous notons des alexandrins et des vers qui débordent les 12 syllabes.

    D'abord l'alexandrin. Comme chez les symbolistes qui le libérèrent des contraintes classiques et romantiques, il apparaît chez PACERE en grand nombre sous la forme de vers libres. Ainsi que nous le constatons dans les vers suivants:

    V32-Le fleuve/ ne nous sera frustré/ par Faidherbe !

    V28-Défendez/, intrépides,/la terre des aïeux !

    V31-Mademba/ le grand Fama,/ mais par la famine,

    V14-Protagonistes/ de situations/ confuses,

    Dans ces vers, la césure est tantôt enjambante (V2) tantôt lyrique (V1). En somme , la structure rythmique ne respecte aucune loi (ou contrainte) classique et romantique. C'est ainsi que l'on note les coupes 3 / 6 / 3, au vers 1 ; 3 / 4 / 5 aux vers 2et3 ; 5 / 5 / 2, au vers 4.

    En plus de l'utilisation de l'alexandrin symboliste, le poète burkinabé fait intervenir des vers qui débordent les 12 mètres, ainsi que le montrent les exemples qui suivent, extraits de Refrains sous le Sahel:

    V17-« Dites-le Voulet-Chamoine, »hommes de non-violence » 

    V11-« Et ce peuple noir reconnaissant chante leur louanges » 

    Ces vers sont respectivement de quinze (13) et quatorze (14) syllabes. Ils sont extraits de "HEROS D'EBENE" ( la liste n'est pas exhaustive). Nous avons dit que ce poème était quelque peu conforme à la poésie à forme fixe. Cependant voilà qu'on y découvre non seulement des alexandrins romantiques et libérés, mais aussi des vers qui débordent le vers de 12 syllabes pour atteindre 13 , 14 syllabes.

    Indubitablement, il y a volonté de rompre avec les classiques dont les contraintes ne peuvent retenir un poète moderne comme Frédéric Titinga PACERE.

    Dans « AUX ANCIENS COMBATTUS », apparaît, à des intervalles irréguliers, ce vers de 15 syllabes que voici :

    "Votre mère patrie, vous ceint d'un diadème de gloire."

    Ce vers-refrain intervient après des vers de une et quatre syllabes. Cette façon d'écrire est propre aux symbolistes60(*) qui sont les inventeurs du vers libre et PACERE s'en sert bien pour exprimer « sa négritude » à lui. Les fins ne sont donc pas identiques, comme nous pouvons le constater..

    En effet, chez les symbolistes " la revendication de liberté va de pair avec l'affirmation de la subjectivité et de l'intériorité," alors que chez PACERE, le vers libre sert à réhabiliter et à célébrer l'Afrique et ses martyrs ignorés par ceux là même pour qui ils ont sacrifié leur vie. Ainsi que nous le voyons, au-delà de l'esthétique, le vers libre chez PACERE est fonctionnel, comme d'ailleurs l'est toute sa poésie.

    Une autre chose est remarquable chez le poète burkinabé et qui résulte de l'influence symboliste, c'est le hiatus que nous retrouvons dans cet alexandrin de « HEROS D'EBENE » :

    V.10-« Nous fûmes sauvés, on nous l'a appris par des Anges .»

    Cependant, le verset semble être le vers français qui se prête le mieux à la traduction ou à la transposition de la parole poétique négro-africaine. Il fut inventé par Paul Claudel qui l'emprunta lui-même aux saintes écritures 61(*)( la Bible ).

    b. Le verset

    En effet, depuis les négritudiens et leurs successeurs, la poésie écrite africaine a toujours utilisé le verset, même si pour David DIOP cela n'a aucune importance particulière, l'essentiel étant de faire entendre son cri d'alarme.

     Senghor, nous le savons, "préfère les longues plages de verset," ainsi que "le souffle ample d'un bloc verbal qui porte au loin la parole".

    Cependant dans plusieurs des oeuvres du poète-président, l'alexandrin se déploie comme une profession de foi esthétique.

    Avec les poètes de la deuxième génération tels que B. ZADI Zaourou, Jean-Marie ADIAFFI, PACERE, ... c'est le verset qui se déploie, épousant le souffle et la respiration loin de toute contrainte métrique et rimique. Paul Claudel qui l'a emprunté aux saintes écritures pour l'introduire dans la poésie, l'avait ainsi défini :

    « J'inventerai ce vers qui n'avait ni rime ni mètre

    Et je définissais dans les secrets de mon coeur cette double et réciproque,

    Par laquelle l'homme absorbe la vie et restitue dans l'acte suprême l'expiration une parole intelligible. »62(*)

    Avec le verset, tel que défini par son inventeur en poésie, PACERE mime (ou tente de mimer ) la fluidité et la souplesse de la poésie orale, comme le montre ces séquences extraites du long poème, Quand s'envolent les grues couronnées :

    "Ici "Et puis

    C'est Manéga Etpuis

    Ici Manéga,

    La bataille eut lieu !" pp.5-6. Manéga !

    Plus rien du passé,

    Plus rien du passé !

    Manéga,

    Manéga !"pp.26-29-36

    Dans ces séquences, nous pouvons remarquer que le verset se modèle sur le souffle, sans correspondre aux groupements de la syntaxe. C'est ainsi que la phrase s'étend sur plusieurs versets. Ces deux séquences illustrent bien l'imitation du langage oral ou tambouriné fait de répétitions et de reprises.

    En effet, par la répétition de ``ICI'', l'auteur nous met en présence d'un maître de la parole traditionnelle prêt à nous initier. Les versets de la première séquence par leur longueur, leurs reprises, finissent par nous convaincre que le poète à emprunté son langage poétique à celui du tam-tam. Surtout, si nous nous en tenons à ce qu'il a dit lui-même dans son ouvrage de Bendrologie :  "La littérature de ce gros tam-tam (le Gangaongo de la cour) ...est faite de phrases courtes déclamées... avec des répétitions pour meilleure audition. " 9(*)6

    Pour conclure, disons que dans Refrains Sous le Sahel PACERE Titinga fait montre d'une maîtrise de l'esthétique poétique apprise à l'école primaire, au secondaire et à l'université. Toutefois, il a su imprimer dans ses poèmes le souffle poétique propre à lui en tant qu'africain issu d'une société ou le "Bendré" porte au loin la parole forte.

    Il fait un usage parcimonieux du vers régulier (Sauf dans "HÉROS D'ÉBÈNE"), préférant le vers libre et surtout le verset qui est plus apte à traduire les phrases courtes du tam-tam africain.

    Ainsi, la modernité de PACERE tient de l'adoption de l'écriture et de la forme versifiée française. Toutefois, celui-ci ne se conforme pas aux traités et aux arts poétiques de Malherbe, Boileau et autres. Il fait preuve de modernité, par rapport aux ``singes'' littéraires de tous les temps. Comme le voulait ALIOUNE Diop9(*)7 fondateur de la revue Présence Africaine, PACERE s'est efforcé de forger son génie des ressources d'expression adaptées à sa vocation dans le XXè siècle, parce qu'incapable ou refusant de s'assimiler à l'européen.

    La modernité, c'est aussi la rupture épistémologique opérée par le poète burkinabé en adoptant l'écriture et en faisant la disjonction entre oralité- ouverture et écriture-clôture. Cette séparation est d'autant plus remarquable que la parole9(*)8 poétique africaine qui est poly-rythmique, ne peut être restituée de façon parfaite par la parole poétique écrite qui ne peut se lire que d'une voix unique.

    Nous arrivons maintenant à l'analyse des corpus pour y découvrir la néo-oralité ou le rythme(incomplet) du Bendré mossé. Dans les textes poétiques de PACERE.

    II -Une poésie tambourinée

    Nous procéderons ici à une étude du corpus pour faire ressortir la quintessence de la poésie "pacéréenne".

    En effet, il nous incombe de montrer que Titinga PACERE est avant tout un poète néo-oraliste ou que sa poésie tient de la poésie médiatisée du Bendré mossé, ce qui fait de lui un poète d'actualité.

    Bien que l'on ne puisse rejeter du revers de la main, l'application de la théorie de JAKOBSON de "l'arrangement par la sélection et la combinaison"9(*)9, il ne peut s'agir ici que de son aspect universel. L'autre aspect, le spécifique, comme l'a démontré B. ZADI ZAOUROU, n'étant valable que pour la seule expérience linguistique européenne1(*)00.

    Une lecture attentive de Quand s'envolent les grues couronnées nous permet d'affirmer que Titinga PACERE a emprunté une voie totalement différente, voire opposée à celle des européens et de leurs imitateurs. Il rejoint ainsi ceux de sa génération que sont ZADI Zaourou, J. M. ADIAFFI, .. .

    En effet, le poète burkinabé accorde au signifié du mot, la primauté qu' il avait dans la parole poétique traditionnelle africaine et comme cette dernière, il ne rompt pas l'équilibre entre les deux aspects du mot : Signifiant /Signifié.

    Chez les poètes occidentaux, la contradiction entre contenue et forme a été de tout temps l'objet de conflits dans la poésie, comme nous l'avons vu avec les classiques, les romantiques, les parnassiens, et les poètes du XXe siècle de la littérature française.

    Cependant, chez les poètes négro-africains, depuis la Négritude et d'avantage chez ceux de la deuxième génération, la poésie s'est affranchie de ces querelles inutiles pour retrouver la parole poétique traditionnelle.

    L'analyse de celle-ci n'exclue pas pour autant la fonction poétique, telle que Roman Jakobson l'a définie, ainsi que nous l'affirmions déjà.

    Découvrons donc l'aspect universel de la fonction poétique dans les poèmes : "LA DEUXIEME GUERRE" et "LA TERMITIERE"1(*)01.

    1- La Fonction Poétique

    Dans le schéma de la communication linguistique, la fonction poétique est liée au message, au texte. Elle est définie par les phénomènes de répétitions (parallélismes, anaphores, symétries, synonymies, chiasmes, ...), les phénomènes musicaux, les associations d'idées par analogie (métaphores), les associations d'idées par contiguïté (métonymies, synecdoques).

    Dans le cas pratique de la poésie de PACERE, la fonction poétique telle que nous venons de la définir sera appréhendée dans ses aspects communs à toutes les poésies. Ainsi, nous allons nous intéresser aux phénomènes réitératifs, musicaux et aux images ou tropes.

    a - Les Phénomènes Réitératifs

    a-1- Les répétitions

    Suivons les tableaux suivants :

    Tableau 1 :''LA DEUXIÈME GUERRE''

    Séquences, versets ou mots répétés

    Nombre de fois

    Strophes

    "Ouvrez"

    "Nous combattrons jusqu'à l'effondrement total!"

    "C'est l'arrêt suprême de notre destin!"

    "Morts et vivants"

    "Cette guerre prélude à la grande guerre!"

    "On nous à trahis,

    On nous trahira!"

    "Mais

    Aux lendemains de l'inéluctable victoire

    Nous serons écartés

    Des épanchements de joie,

    Nous serons écartés

    Des effusions de gloire!

    On nous a trahis

    On nous trahira!

    LA DEUXIEME GUERRE SERA SANGLANTE"

    "Il y aura UNE BATAILLE!

    Il n'y aura qu'UNE!"

    "TOTALE"

    "TOMBEAAU(X)""

    "CHAMP DE BATAILLE"

    2

    2

    2

    4

    2

    3

    2

    5

    6

    4

    3

    A

    B,D

    B,G

    F,,G,H,I

    F,G

    C,E,G

    C,E

    J,L

    J,K

    L

    L

    Séquence, versets, mots répétés

    Nombre de fois

    Strophes

    "Sur les ruines de la Patrie

    Des termites,

    Des termites ont construit une termitière"

    "Pilent"

    "Trament"

    "Ils mourront tous "

    "Au nord

    Des charognards croupis"

    "Les hiboux"

    "Les charognards"

    "Les troubadours"

    "Les autours"

    "Grouillent "

    "Rouillent"

    "Les "

    5

    2

    2

    6

    2

    2

    2

    2

    2

    2

    2

    11

    A',C',D', G'

    B'

    B'

    B',D',F'

    B',D'

    G'

    G'

    G

    G

    G

    G

    G

    Une analyse de ces deux tableaux qui nous donnent les détails des termes répétés dans les deux poèmes, nous montre comment ceux-ci participent véritablement de la célébration poétique chez le poète burkinabé.

    En effet une observation du premier tableau nous amène à affirmer que l'auteur est obsédé par l'idée d'une bataille. Ces mots sont de loin les plus usités dans le poème : "LA DEUXIEME GUERRE ". Et surtout que le signifié de cette expression coïncide avec celui d'autre que sont: "LA DEUXIEME GUERRE", "Nous combattrons", "Ouvrez HECATOMBES". Tous ces signifiants renvoient à un même signifié: "LA BATAILLE" qui sera "TOTALE". Cette bataille, la jeune génération africaine la livrera sur le plan culturel afin de se faire une place auprès des autres cultures.

    Quant au deuxième poème : LA TERMITIERE, il insiste sur la nécessité de reconstruction de la nation. Les mots "ruines" et "termites" qu'on rencontre dans les strophes A', C', D', et G', témoignent de cette volonté du poète de faire prendre conscience à la jeunesse africaine qui, malgré les malheurs qui ont frappé l'Afrique, doit se mettre au travail.

    L'espoir est permis car sur les ruines de la patrie, le poète affirme que:

    "Des termites ont construit une termitière".

    a-2 - Les Synonymes

    La synonymie est la répétition d'un même signifié contenu dans des signifiants différents. Les exemples suivants participent de la poétisation des poèmes de PACERE

    Hécatombes Tombeau(x) Bataille = Effondrement = Guerre = Massacre Carnage Horrible Atroce Violence

    Il y a une relation d'équivalence entre ces mots, fondée sur le même signifié: la mort.

    Comme l'histoire nous l'enseigne, la deuxième guerre mondiale a été très violente, meurtrière, tant pour l'Europe que pour l'Afrique et par métaphore l'auteur de Refrains sous le Sahel à pris cette image pour nous présenter la bataille future qui attend les Etats modernes africains. En effet, le futur dans le verset qui suit, nous permet de l'affirmer ainsi : "LA DEUXIEME GUERRE SERA SANGLANTE".

    Cependant, ne nous trompons pas, il ne s'agit nullement du "sang" qui coule dans nos veines. La mort dont il est question se situe au plan culturel. Les Etats africains devront se battre pour éviter d'être "tués" par les cultures occidentales.

    Le courage

    = ici, la relation d'équivalence

    Nous combattrons jusqu'à la bataille finale ! est fondée sur le courage, la

    = force de lutte de l'Africain.

    Nous combattrons jusqu'à l'effondrement total!

    =

    Nous reprendrons

    Il est certain que la synonymie en tant que phénomène, réitératif, permet au poète de communiquer à la jeunesse sa pensée profonde, celle d'une Afrique qui doit prendre en main son propre destin, vu la trahison dont elle a été victime en 1945. En effet, fort de la promesse faite par de Gaules à Brazzaville en 1944, l'Afrique s'est engagée de toutes ces forces dans une guerre à la fin de laquelle, elle a été oubliée. Et le poète ironise cette forfaiture dont ont été victimes les Africains, lorsqu'il écrit au futur les versets suivants :

    "Nous serons écartés

    Des épanchements de joie

    Nous serons écartés

    Des effusions de gloire"

    Il stigmatise cette trahison dans le refrain suivant :

    "Mais

    Aux lendemains de l'inéluctable victoire

    Nous serons écartés

    .................................

    LA DEUXIEME GUERRE SERA SANGLANTE"

    Dans "LA TERMITIERE", nous relevons les relations d'équivalences suivantes :

    Patrie La relation d'équivalence est fondée sur un signifié :

    = la collectivité, Manéga, l'Afrique, à construire.

    Termitière.

    Charognards

    = Le signifié d'équivalence est le malheur.

    Hiboux Certainement celui qui a frappé l'Afrique (la traite

    = négrière et surtout la colonisation qui a vu

    Vautours l'anéantissement total de sa culture).

    =

    Basilics

    Ainsi que nous le voyons, PACERE est un poète qui n'échappe pas à l'universel. Sa poésie retrouve celle des autres auteurs, des autres continents.

    Voyons maintenant le rythme.

    b- Le Rythme et les Sonorités

    Le rythme fait partie de l'aspect musical des textes poétiques. D'ailleurs, le phénomène rythmique apparaît comme une des forces dynamiques de la poésie nègre. C'est donc à juste titre que Barthélemy KOTCHY, étudiant la question du rythme chez Damas, a écrit : « la poésie négro-africaine se fonde plus particulièrement sur la richesse des images et du rythme. La poésie Nègre est une poésie intensément rythmée. » 1(*)02 Dans le poème "LA DEUXIÈME GUERRE", le rythme est entretenu par les répétitions, les refrains, mais également par le nombre de syllabes.

    En effet dès le début du poème le rythme surgit avec :

    "Ouvrez

    Tombeau

    Ouvre

    Hécatombe"

    Non seulement nous avons le rythme avec la reprise de : "Ouvrez", mais surtout avec l'apparition du trissyllabe à la suite de 3 dissyllabes. Le poète manifeste une fois de plus sa volonté de stigmatiser l'horreur de la guerre dont a été victime l'Afrique toute entière. Et le présent de l'indicatif dans ces versets préfigure également, les défis présents et futurs qui attendent les nations modernes africaines.

    A l'image de cette première strophe, observons celles qui suivent, extraient de LA DEUXIEME GUERRE

    Strophe B : Strophe C Strophe D

    1-12 syllabes 1-1 syllabe 1-4 Syllabes

    2-12 syllabes 2-12 syllabes 2-9 Syllabes

    3-13syllabes 3-6 syllabes 3-12 Syllabes

    4-7 Syllabes 4-8 Syllabes

    5-6 Syllabes 5-8 Syllabes

    6-6 Syllabes 6-3 Syllabes

    7-5 Syllabes 7-2 Syllabes

    8-5 Syllabes 8-2 Syllabes

    9-10 Syllabes 9-5 Syllabes

    Dans ces strophes, le rythme est créé par l'hétérométrie des vers, ainsi que cela est visible dans tous les poèmes de PACERE. Les vers pairs et impairs se mêlent pour rythmer d'avantage la poésie "pacéréenne". "HÉROS D'ÉBÈNE" illustre bien notre propos.

    Dans "LA DEUXIEME GUERRE", PACERE, à l'aide de refrains, rythme profondément sa poésie. Ainsi, à partir de la dixième strophe, nous avons le refrain suivant:

    "Il y aura UNE BATAILLE

    Il n'y aura qu'UNE!"

    A sa suite, nous n'avons que des énumérations de villes tantôt africaines, tantôt européennes ou américaines. Quel que soit le continent sur lequel ces villes se localisent, se sont des capitales où l'on rencontre le Nègre qui se bat pour sa liberté, son indépendance, sa culture, son identité.

    D'autres refrains, foisonnent dans ce poème, qui sous-tendent la poéticité du texte. Par ailleurs évoquons ce mot qui à lui seul constitue un refrain : "TOTALE".

    Elle sera

    TOTALE

    Violente

    TOTALE La distribution du refrain même est source de

    Atroce rythme et de musicalité qui se trouvent

    Horrible ainsi renforcé et fini de convaincre de

    Sanglant l'importance que le poète lui accorde

    TOTALE

    Un carnage

    Un massacre

    TOTALE

    Dans "LA TERMITIÈRE", le rythme est également assuré par les répétitions, les reprises et les refrains. Ainsi nous avons:

    Sur la ruine de la patrie,

    Des termites ont construit une termitière!

    Ces versets constituent, l'un des refrains qui traduisent tout en rythmant le poème, la pensée profonde du poète. Celle de voir la jeunesse à l'oeuvre pour la construction nationale des Etats modernes africains.

    En effet, le colon nous a légué un héritage en lambeau, en ruine, qu'il faut reconstruire, voire construire là où tout a été rasé : la culture, mais aussi l'économie et le tissu social.

    A la strophe F de ce poème, nous remarquons que le poète burkinabé à partir du verset 8, reprend chaque verset.

    Notons l'article "les" dont l'anaphorisme apparaît ici de façon tangible:

    Les charognards / Les charognards / Les hiboux / Les hiboux / Les troubadours / Les troubadours / Les vautours / Les vautours / Les vautours / Les vautours / ... ( NB : C'est nous qui avons souligné l'article.)

    Le rythme et la musicalité sont-ils aussi rendus ici non seulement par le nombre de syllabes, mais surtout par la reprise de chaque verset. Aussi, avons-nous, le son [ U ] qui termine les 8 versets, et qui insiste sur la musicalité.

    Ce son [ U ] exprime la tristesse qu'inspirent les "oiseaux-malheurs" évoqués dans ces versets (charognards, hiboux, vautours ).

    Ainsi que nous le voyons, le rythme et les sonorités sont usités avec profusion par notre poète, comme cela a toujours été dans la poésie à travers les siècles et les continents.

    Voyons maintenant la forme matérielle qu'adopte le poème sur la page.

    C - La Typographie

    Avec Alain VAILLANT, nous savons que "la forme matérielle qu'adopte le poème sur la page permet aussi à l'auteur de faire entendre sa voix singulière... Les éléments propres à l'écriture ou à l'imprimerie, la ponctuation, la disposition des signes, les caractères typographiques sont dotés d'une force poétique sui generis "1(*)03.

    PACERE nous fait donc entendre sa voix singulière en parsemant dans ses poèmes des versets et des mots particuliers. En effet, en écrivant des mots et des vers ou versets entiers en majuscules, il crée des ruptures dans le poème afin que notre esprit ou l'esprit du lecteur puisse certainement fixer son message.

    Dans le Refrains Sous le Sahel, tous les titres sont en caractères d'imprimerie.

    Dans "LA DEUXIEME GUERRE", un des poèmes de ce recueil, la première strophe est en contraste avec la suite de par la taille et la forme des caractères :

    "OUVREZ

    TOMBEAUX

    OUVRE

    HECATOMBES"

    Manifestement, le poète veut créer un rythme visuel. Comme une sentence, le verset suivant qui marque la fin du premier refrain du poème, ne peut échapper à l'oeil du lecteur: LA DEUXIEME GUERRE SERA SANGLANTE.

    Dans un autre refrain : "Il y aura UNE BATAILLE

    Il n'y aura qu'une !"

    Ici la forme particulière des lettres de UNE BATAILLE (un substantif et son déterminant) insistent sur l'imminence et la gravité de la bataille qui attend la jeunesse africaine restée sur le continent, mais aussi celle qui vit dans les

    capitales occidentales telles que Washington, Paris, Berlin, Londres, Prague, Honolulu, ... , évoquées dans le poème.

    Dans la suite du texte, le déterminant "UNE" gardera les caractères initiaux, comme pour finir de nous convaincre de l'unicité de la bataille à venir, afin d'éviter toute méprise.

    "TOTALE", le mot - verset - refrain, tranche aussi avec les mots qui l'entourent, par la forme de ses caractères, comme s'il mimait son signifié. Il en est de même pour "TOMBEAU", dont les caractères creusent l'espace de la page.

    Le poème se termine comme il a commencé avec des lettres qui par leurs formes marquent à jamais le lecteur tout en indiquant l'origine du poème: "CONCUS SUR UN CHAMP DE BATAILLE"

    Dans "LA TERMITIERE", un seul verset distribué à travers tout le poème, apparaît chaque fois en caractères d'imprimerie : "ILS MOURRONT TOUS".

    Ce poème se termine également par un verset dont les lettres se distinguent des autres par leur forme :

    "LA PEAU DES SERPENTS S'IDENTIFIERA AU COEUR DES PRINCES".

    Par cette manière d'écrire, T.F. PACERE, se rapproche de ses maîtres de l'Occident. Cependant les fins ne semblent pas identiques. Car au-delà de l'effet poétique à l'occidental, le poète africain qu'il est avant tout, veut nous faire saisir son message. Il retrouve ainsi l'art fonctionnel propre à l'Afrique traditionnelle.

    d- Les tropes ou images

    d-1- les métaphores

    Les auteurs de Didactique de l'expression104 définissent la métaphore comme un écart de type paradigmatique par lequel l'émetteur substitue un signe 2 à un signe 1 normalement attendu de façon à signifier un rapport de ressemblance entre S2 et S1.

    Dans la poésie de PACERE, la métaphore est intuitive. Les métaphores- personnifications et les métaphores -identifications sont les plus nombreuses. En effet elles correspondent au sens profond de la psychologie africaine. Comme l'affirme Renée Tillet, cité par YEPRI Léon : "contrairement aux poètes français qui s'en tiennent aux personnifications, en Afrique, l'identification avec les animaux de la brousse se révèle être absolue et totale "1(*)05.

    Dans "LA TERMITIERE", examinons d'abord le titre. "LA TERMITIERE ", symbole de la cité, de la patrie, est distribuée dans tout le poème. Il en est de même des "termites" qui symbolisent la collectivité, les citoyens de la cité, les citoyens des nations africaines. Ces images se perçoivent dans ces versets qui constituent le premier refrain du poème :

    Sur les ruines de la patrie

    Les termites

    Les termites ont construit une termitière.

    D'autres métaphores foisonnent dans le texte. Nous avons cette identification des bourreaux du peuple à des charognards. Un malheur est à l'horizon, nous devons être vigilants, car il est imminent, la présence du sang rouge en témoigne:

    "Des charognards croupis

    Rouges du sang qui coule."

    Ces deux versets suffisent pour nous convaincre de la gravité de la situation de l'Afrique moderne.

    La couleur rouge, au-delà du sang, symbolise le malheur ou même la mort dans Refrains Sous le Sahel tout comme dans Quand s'envolent les grues couronnées. Observons ces séquences qui illustrent notre propos :

    "Au secours du jour plus rouge !"

    Refrains Sous le Sahel, la Termitière, P74

    "Tu m'amèneras

    Un foulard rouge

    Rouge

    Il y a dessus

    Des oiseaux pleureurs

    Sur du sang

    Rouge !"

    Quand s'envolent les grues couronnées, P.38

    Comme nous pouvons le remarquer, ces versets insistent sur la symbolique de la couleur rouge chez le poète. Cependant, il y a un espoir et le verset-refrain de LA TERMITIERE le montre de façon élégante : «ILS MOURONT TOUS ». Il s'agit ici de ces charognards, de ces hiboux, de ces vautours et autres basilics, venus du Nord pour détruire l'Afrique.

    Retenons cette autre métaphore dans LA TERMITIÈRE:

    "Demain,

    LA PEAU DES SERPENTS S'IDENTIFIERA AU CoeUR DES PRINCES."

    A l'aide de ces paradigmes "peau de serpents" et "coeur des princes", l'auteur de Refrains Sous le Sahel nous donne sa vision du monde à venir, de l'Afrique du future où les Présidents exempts de toute corruption et de toute démagogie, construirons des nations modernes avec l'aide de toute la jeunesse (les termites).

    Transfert de sens par analogie ou par similitude, la métaphore est loin d'être la seule image utilisée par le poète burkinabé dont l'enracinement dans sa

    culture ne souffre d'aucune ambiguïté. Son enracinement est la source de sa modernité, ainsi qu'il le dit lui-même :

    « Si la branche veut fleurir

    Quelle n'oublie pas ses racines ! »

    d-2 Les Métonymies

    En poésie où la similarité est projetée sur la contiguïté toute métonymie est légèrement métaphorique, toute métaphore à une teinte métonymique1(*)06 affirme Léon YEPRI qui cite Roland Barthes.

    Cependant, la métonymie se définit en tant qu'écart de type paradigmatique par lequel l'émetteur substitue un S2 à un S1 normalement attendu de façon à signifier un rapport de contiguïté entre eux1(*)07.

    Avec PACÉRÉ: « le champ métonymique-synecdoctique, le signifiant est en déplacement, sinon en déconstruction tout le long du vers, pour ne pas dire tout le long du texte »1(*)08. Le texte "pacéréen" est une "rhétorique métonymique généralisée" 1(*)09, ainsi que le dit YEPRI Léon dans son ouvrage que nous avons déjà cité. Examinons LA DEUXIEME GUERRE, pour y découvrir quelques métonymies particulières :

    "OUVREZ

    TOMBEAUX !

    OUVRES

    HECATOMBES !"

    Dans cette strophe, la mort est représentée par "TOMBEAUX" et "HECATOMBES". En effet ces deux paradigmes entretiennent une relation d'équivalence fondée sur un même signifié: "La Mort".  Et l'image est d'autant plus remarquable que l'auteur a écrit cette strophe en lettres majuscules.

    Le verset suivant : "C'est l'arrêt suprême de notre destin!", qui est un euphémisme, est également une métonymie. Ici les signes S1et S2 sont: Mort / Arrêt suprême de destin. Le second a pris la place du premier, non seulement pour éviter de choquer, mais aussi pour donner cette image de fatalité qui accompagne le Nègre : le destin.

    A la strophe D, nous relevons également :

    "Nous ploierons sous notre puissance

    Toutes les ambitions des Trônes !"

    La métonymie est d'autant plus frappante ici que les Trônes font partie intégrante du pouvoir, de la monarchie. Par cette image, le poète dénonce la dictature et l'hégémonie des monarchies européennes que nous devons vaincre.

    Ainsi que le souhaite le poète burkinabé dont la poésie est hautement utilitaire comme jadis la poésie du Tam-tam (du bendré) ou comme l'est encore dans nos contrées loin des villes, la poésie au clair de lune.

    Comme nous pouvons le constater, la poésie "pacéréenne", à l'image de celle de tous les continents et de toutes les sociétés humaines, est une poésie ou foisonnent phénomènes réitératifs, métaphores, métonymies, rythmes et sonorités. Il est on ne peut plus claire que la "parole poétique africaine renferme nécessairement un aspect de l'expérience linguistique universelle. De ce fait, elle peut être élucidée par les normes de la linguistique classique"1(*)10. C'est ce que nous venons de démontrer. Il reste maintenant que les poètes de la deuxième

    génération1(*)11, ZADI ZAOUROU, J.M. ADIAFFI, F.T. PACERE, ... ont tenté de retrouver la parole poétique africaine traditionnelle. Cette parole, dont Hamadou HAMPÂTÉ-BÂ dit qu'elle est pour les bambins une histoire fantastique, pour les fileuses, un passe-temps délectable et pour les mentons-velus et les talons-rugueux, une véritable révélation.1(*)12

    Chez les mossé, ainsi que l'affirme PACERE dans son ouvrage, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique1(*)13, la parole poétique est une affaire d'élite et c'est pour cela que depuis des millénaires on n'a pas voulu qu'elle soit dite non par la bouche, mais qu'elle soit "proférée" par le bendré, le tam-tam. En effet le langage du tam-tam est un langage ésotérique. Pour y accéder il faut être initié. Dans la société traditionnelle africaine, l'ensemble des initiés constitue l'élite. Seule cette élite est capable de décoder le discours de l'Attougblan chez les Akans,du Tabingue chez les Sénoufos ou de l'arc musical chez les Didas et les Bétés (peuples de Côte d'Ivoire). C'est une poésie au rythme complexe que diffuse ces instruments qui jadis servaient de moyens de communication.

    C'est donc cette poésie sacrée et "poly-rythmique" que tente de faire ressurgir dans D'Éclairs et de Foudres, Césarienne, Quand s'envolent les grues couronnées, nos poètes actuels. C'est cela aussi la modernité: s'ingénier à "cloturer"1(*)14 cette poésie jadis ouverte.

    Pour l'analyse du caractère particulier de cette parole médiatisée ou tambourinée que l'on retrouve dans la poésie du poète burkinabé nous allons avoir recours à l'axe symbolique proposé par ZADI Zaourou et qui complète les axes paradigmatique et syntagmatique, définit par Roman JAKOBSON qui définissent les rapports entre les signes d'une langue sur la chaîne parlée.

    2. La fonction symbolique

    Axe paradigmatique

    Axe syntagmatique

    Axe symbolique

    Les axes se présentent comme suit:

    LE SCHÉMA DES TROIS AXES

    Les axes paradigmatique et syntagmatique définis par Roman Jakobson rendent compte parfaitement de l'expérience de la parole européenne, ainsi que l'affirme ZADI Zaourou, dans ouvrage Césaire entre deux cultures, que nous avons déjà cité. En effet, l'axe paradigmatique est celui de l'équivalence des mots. Ils est aussi appelé l'axe des sélections. Sur cet axe, il s'agit bien d'équivalences sémantiques et nous y retrouvons les tropes ou images qui participent de la poéticité de toute poésie, qu'elle soit européenne ou non. Le deuxième axe est celui des combinaisons. Sur cet axe la juxtaposition des mots est privilégiée. C'est là que la parole prend forme pour devenir phrase ou tout autre élément capable de traduire la pensée. A ces deux axes s'ajoute l'axe symbolique ou la fonction initiatique propre à la parole africaine. Ce troisième axe est apparu parce que les deux premiers sont incapables de traduire toute la poéticité de la parole poétique orale ou tambourinée de l'Afrique noire. Il comprime les deux premiers et lie à lui la fonction rythmique. C'est donc les fonctions initiatique et rythmique de cet axe qui révèlent le mystère de l'art africain de la parole. Nous allons le retrouver dans Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains Sous le Sahel, de Titinga PACERE.

    En effet, dans ces recueils, la poésie pacéréenne, qui s'enracine profondément dans la culture mossé, contient des mots dont la valeur ne se détermine pas uniquement par les mots qui les entourent sur la chaîne parlée. Ces mots, ont une valeur qui préexiste à leur intégration à la chaîne parlée.

    Du point de vue des travaux de B. ZADI Zaourou le symbole est à décoder à trois (3) niveaux:

    a- La symbolisation au 1er degré

    A ce niveau, le symbole et la métaphore se confondent plus ou moins. Les relations sont objectives, qui existent entre les phénomènes, les choses et les êtres.

    La symbolisation au 1er degré ne crée pas de relations nouvelles. Elle ne fait que rendre compte de celles qui préexistent.

    Exemple 1: Quand s'envolent les grues couronnées.

    Relation d'origine

    Quand s'envolent les grues couronnées.

    - plus riens du passé

    Il ne reste que de loin en loin

    Adieu forêt de Koumbaongo (pp.26-29-36)

    Qui n'appellent plus les initiés trait sémantique

    Adieu forêts et termitières dominant = LA MORT

    - Quand voleront

    les grues couronnées (p.47)

    Relation contextuelle religieuse liturgique

    Souvent ont chanté les grues couronnées

    - Tibo

    Tu jetteras (p.55)

    Une feuille de caïlcédrat

    Sur la tombe de tes frères

    - Adieu

    Adieu Timini!

    Nous nous retrouverons

    Dans, la belle

    Vallée

    Quand chanterons (p.57)

    Les grues

    Couronnées!

    "Quand s'envolent les grues couronnées", titre du poème fleuve de PACERE, symbolise la mort. En effet c'est la mort des maîtres initiateurs du poète qui est à l'origine de ce poème. C'est également la mort de ceux-ci qui est à l' origine de la ruine culturelle de Manéga et partant de l'Afrique entière. Cette mort que symbolise les grues couronnées donne lieu à des rituels. Tibo ou la jeunesse africaine est appelé à accomplir un acte purificatoire. La nature de la feuille à jeter sur la tombe, finit de nous convaincre qu'il s'agit bien d' exorciser le mal qui ronge l'Afrique et la ruine. Telle doit être la mission des générations présente et future. Au premier stade donc les grues couronnées impliquent les rapports d'identification1(*)15 suivants:

    Grue couronnée - migration - Voyage réel

    Homme - Mort - Voyage dans l'au-delà

    (connotation religieuse)

    Exemple 2: La termitière

    Termitière

    - Sur les ruines de la. Patrie

    Des termites ont construit une termitière!

    ( Refrains sous le Sahel, p 69)

    - La frontière de Ropallin Le trait Sémantique

    - Grandeurs (Quand s'envolent..., p.26) dominant = LA PATRIE

    - Forêts

    - La feuille royale (Quand s'envolent..., p.18)

    - Tous ceux qui ont faims

    Manéga

    - La terre de Zida

    - La Patrie de tes pères

    - La patrie d'autres pères

    - La vielle terre ( Quand s'envolent...)

    Au premier degré la termitière symbolise "la chaîne des générations dans leur effort perpétuel de construction de la cité" ou de la Patrie. C'est d'ailleurs cette signification qui est contenue dans cette devise ou Zabyuré du poète :

    "Si la termitière vit

    Qu'elle ajoute

    De la terre à la terre"

    Pour PACERE donc: Termitière = Manéga = Patrie

    Exemple 3: Le philosophe à la barbe de poussière, dans Quand s'envolent les grues couronnées

    Le philosophe à la barbe de poussière.

    - Qui chantait tous les soirs (pp.7-52)

    Ses refrains à l'aube

    - Qui chante tous les soirs (pp.31-32 -34) Le trait sémantique

    - Qui bat le Kounga (p.44) dominant = Eternel! LE MAITRE INITIATEUR

    - Qui bat désormais (p.46)

    Ce rituel millénaire du Mogho

    Timini

    - Mère (pp.16-35)

    - L'histoire de la grandeur

    De la terre de Zida (p.8)

    En effet, le philosophe à la barbe de poussière et Timini sont ceux qui ont initié Tibo ou le poète. Ils symbolisent pour lui, le savoir, la sagesse. Parce qu'ils ne sont plus là, "tout s'assombrit sous le ciel de Manéga".

    Comme nous pouvons le constater, la symbolisation au premier degré n'a rien de spécifiquement africain. Elle est logique et naît du mode de pensée par analogie, ainsi que l'affirme ZADI Zaourou qui dit d'elle "proche parent de la métaphorisation"1(*)16.

    b- La symbolisation au second degré

    Cette symbolisation "se fonde sur l'expérience historique du groupe social considéré"1(*)17. Elle ne s'interprète donc que par rapport à l'histoire. Le sens dénoté second de la symbolisation à ce stade, correspond à une situation réellement vécue dans le passé.

    Si nous reprenons les deux premiers exemples ci-dessus, nous pouvons dire qu'il y a un enrichissement de leur sens.

    Exemple 1: Quand s'envolent les grues couronnées

    En effet le titre du long poème de PACERE est la traduction poétique d'un chant funéraire Mossé ( peuple du Burkina Faso): le Bounvaonlobo1(*)18 . Ce mot d'après ZADI Zaourou est le résultat d'une agglutination. Il se compose en effet de "Bounvaon" qui signifie "grue couronnée" et "lobo" qui signifie "partir". Ces deux termes agglutinés donnent donc "l'envole de la grue couronnée".

    Ainsi que nous le voyons, le titre de notre poème-fleuve tient de la tradition orale mossé.

    Pour le poète, le bounvaonlobo a une double signification symbolique:

    1- Le mossé chante le bounvaonlobo chaque fois que meurt un membre de la communauté. Pour lui l'image du défunt, c'est précisément cet oiseau migrateur qui a donné son nom à ce chant funéraire1(*)19.

    PACERE en tant que moaga, hérite de ce symbole qu'il vivra personnellement de manière affective, plus intime. Il l'a ainsi récupéré sur la tradition pour la renforcer, l'enrichir.

    2- En effet, "vers 6 ou 7 ans PACERE est surpris par un cortège funèbre qui chantait le "bounvaonlobo". Les porteurs de la dépouille mortelle le bousculèrent... l'enfant en fut profondément marqué. D'ailleurs toute la nuit, confesse le poète, je n'ai fait que des cauchemars. C'était à la mort de son oncle Zoundou"1(*)20.

    Ce même chant, le poète dû l'écouter en 1954, le 4 janvier1(*)21, lors des funérailles de son père, le roi-lion de Manéga. "Le jeune esprit de Titinga PACERE qui n'avait que 11 ans fut alors installé dans un trouble indescriptible, emporté par la mélodie et l'harmonie des notes du chant rituel." 1(*)22

    Cependant, c'est aux funérailles de Timini, en 19731(*)23 que le bounvaonlobo achève de marquer définitivement le poète.

    Pour le poète donc, non seulement le mot "grue couronnée" est un héritage traditionnel, mais symbolise-t-il aussi son oncle Zoundou, son père Naba Guiegmde, le roi-lion et Timini sa mère adoptive1(*)24.

    Ces trois morts constituent une seule : la mort de l'antique civilisation africaine.

    En effet, Timini et le philosophe à la barbe de poussière représentaient pour le jeune "Tibo" (le poète) l'image achevée du savoir et de la sagesse. C'est le "symbole de la force morale et psychologique des grands initiés" que nous ne savons plus produire comme le dit ZADI Zaourou dans sa Thèse d'Etat. Le roi-lion et son Baloum-naba (1er ministre) symbolisaient en effet la force et l'équilibre du pouvoir politique du millénaire empire Mogho. Ainsi que nous le voyons dans ces versets extraits de Quant s'envolent les grues couronnées :

    "Adieu grandeur et termitière, / Le tam-tam lourd de héraults / Adieu forêts de Kombaongo / Qui n'appellent plus les initiés, / Adieu forêts et termitières, / De l'antique terre des princes, / Adieu tam-tams sylphides! / Ainsi, Ainsi, / Battent les tam-tams / Près / Des Murs Maudits, / Grand s'envolent / Les grues / Couronnées!"

    Au terme de notre réflexion, il ressort que le poète a récupéré un symbole hérité de la tradition orale et l'a fait sien. A travers ce symbole, PACERE évoque la ruine de la civilisation africaine ancienne incarnée par le roi-lion, le philosophe à la barbe de poussière et Timini. Cette civilisation qu'il regrette, à fait place à un vide créé par la colonisation. En effet la politique coloniale est à la base de la dégénérescence, de la profanation et de la laïcisation des symboles africains. Et les nouveaux pouvoirs mis en place après les indépendances ont tous failli à leur mission de restauration de l'Afrique.

    Exemple 2: La Termitière

    Cet autre symbole, est un héritage de la tradition orale Mossé et partant africaine que PACERE a récupéré pour en faire un symbole individuel dans sa poésie et dans sa vie.

    En effet, «A l'entrée de Manega se dresse une énorme "termitière" avec cette devise (Zabyuré) "si la termitière vit, qu'elle ajoute de la terre à la terre" ». Cette oeuvre est du poète qui exploite au maximum les legs de la tradition pour galvaniser ses frères de Manéga et de l'Afrique toute entière afin qu'ils se mettent au travail. La "termitière", symbole de la collectivité, de la société, et de la solidarité, insiste sur l'unité des africains.

    En effet, dans Refrains Sous le Sahel, le poème "LA TERMITIÈRE" témoigne de cette signification du second degré:

    "Sur les ruines de la Patrie

    Des termites

    Des termites ont construit une termitière!" (p.69)

    Cette strophe, constitue un refrain, comme si par le rythme profond, l'auteur faisait appel à toutes les composantes de la société Mossé et partant africaine afin qu'elles se mettent à l'oeuvre de reconstruction.

    Dans cet autre refrain, dans Quand s'envolent les grues couronnées, le poète regrette l'union et le sens de la collectivité de l'Afrique traditionnelle ancienne:

    "Adieu grandeur et termitière,

    Le tam-tam lourd de héraults

    Adieu forêts de Kombaongo

    Qui n'appellent plus les initiés,

    Adieu forêts et termitières,

    De l'antique terre des princes,

    Adieu tam-tams sylphides!"

    Dans ce refrain qui apparaît aux pages 26, 29 de Quand s'envolent les grues couronnées, ainsi que dans le poème intitulé, "TERMITIÈRE", dans Refrains Sous le Sahel, "la termitière" est un symbole porteur d'une signification qui dépasse son sens dénoté et ce, selon les rapports d'égalités suivants:

    Termitières = Etats modernes africains à construire

    Termites = Jeunesses africaines qui doivent s'unire

    C- La symbolisation au troisième degré

    "Elle est la plus complexe et la plus originale, elle crée des relations nouvelles entre le symbole et son référent. Ces relations sont fondées par l'arbitraire du poète ou par un système de rapports ésotériques".1(*)25 Cette symbolisation défie donc toute logique. Pour arriver à décoder ces mots qui opèrent ces bonds et acquièrent une multitude de valeurs nouvelles, il faut être initié aux formes complexes de la parole africaine.

    Exemple 1: La Termitière

    Dans Quand s'envolent les grues couronnées, nous allons d'abord nous intéresser à la "Termitière". Suivons cette strophe-refrain qu'on retrouve aux pages 26, 29 et 36: 1.Et puis, /2.Et puis, /3.Manéga, /4.Manéga, /5.Plus rien du passé, /6.Plus rien du passé! /7.Manéga, / 8.Manéga! /9.Il ne reste que de loin en loin /10.Adieu grandeur et termitière, /11.le tam-tam lourd de héraults /12.Adieu forêts de Kombaongo /13.Qui n'appellent plus les initiés, /14.Adieu forêts et termitières, /15.De l'antiquité terre des princes /16.Adieu tam-tams sylphides! /17.Ainsi /18.Ainsi /19.Battent les tam-tams /20.Près /21.Des murs maudits /22.Quand s'envolent /23.Les grues /24.Couronnées!1(*)26

    En effet, nous l'avons déjà montré, "La termitière" est un symbole que le poète a hérité de la tradition orale et enrichi. Cependant une lecture des versets 3, 4, 5, 10, 12, 14 et 15 nous permet de dire qu'il y a une symbolisation au troisième degré de termitière dans les versets 10 et 14. Cette symbolisation est sous-tendue par les versets 11 et 13 :

    10. Adieu grandeur et termitières

    11. Le tam-tam lourd des héraults

    12. Adieu forêts de Koumbaongo

    13. Qui n'appelle plus les initiés

    14. Adieu forêts et termitières,

    A l'analyse, nous constatons que ces versets sont le développement alterné de phrases de tambours distincts.

    Tambour A. Tambour B

    9. Il ne reste que de loin en loin

    10. Adieu grandeurs et termitière

    11. Le tam-tam lourd des héraults

    12. Adieu forêts de Koumbaongo

    13. Qui n'appelle plus initiés

    14. Adieu forêts et termitières

    15. De l'antique terre des princes

    Si nous étendons notre analyse à tout le refrain, et même à tout le poème, nous nous rendons compte de ce que l'auteur affirme lui-même à la page 86 de son ouvrage, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique1(*)27. En effet dans cet ouvrage, le poète affirme que la poésie dans Quand s'envolent les grues couronnées est tributaire de la très complexe littérature des tambours

    mossé. En effet plusieurs tambours peuvent s'expriment à la fois. "Des phrases se succèdent, s'entrechoquent et ne se complètent pas souvent". C'est ce que nous avons tenté de montrer ci-dessus.

    Fort donc de ce que la poésie de PACERE est une littérature tambourinée ou la juxtaposition de phrases développées par plusieurs tambours, nous pouvons affirmer qu'elle est réservée à une élite, aux initiés1(*)28. D'où le caractère ésotérique du symbole "termitière".

    En effet dans la post-face à son oeuvre: La Guerre de femme suivie de la Termitière, ZADI Zaourou affirme que "La termitière" symbolise la parole souterraine des ancêtres et constitue pour cela une réserve inépuisable de forces au sens métaphysique, et mystique du terme. Il permet ainsi d'établir les égalités suivantes :

    Force = Energie vitale = Puissance des légats de Dieu.

    La "Termitière" telle qu'elle apparaît aux versets 10 et 14, nous permet d'affirmer que son référent ici est bel et bien "la parole souterraine des ancêtres" de Manéga et de l'Afrique, perdue à jamais. "Adieu", témoigne de cette vérité. Et les versets 5 et 6 ("Plus rien du passé") nous rassurent d'avantage dans notre position. Au verset 10, "grandeurs" est relié à "termitières" par la conjonction de coordination "et". Cette conjonction nous le savons, relie des termes de même nature. Cependant, ne permet-elle pas non plus de poser ces égalités de sens:

    Grandeur = Termitière = Parole souterraine

    Grandeur = termitière = force = Energie vitale

    La mort du philosophe à la barbe de poussière, celle de Timini et celle du roi-lion ont fini par faire perdre à Manéga toute sa force, d'où ce cri de deuil et de nostalgie, "Adieu grandeurs et termitières".

    En effet, les maîtres initiateurs sont partis: "Adieu forêts et termitières". Pour l'africain, la forêt (sacrée) est le lieu idéal de l'initiation, c'est le lieu où l'on acquiert le sens caché des choses. Le Burkina, pays d'origine du poète on le sait est dans une zone sahélienne, la forêt, comme d'ailleurs au Nord de la Côte d'Ivoire chez les Sénoufos, est synonyme de lieu d'initiation. Ce n'est donc pas sans raison que "forêt" et "termitières"sont liées par la conjonction de coordination "et".

    Si nous juxtaposons les versets 10 et 14 nous avons:

    "Adieu grandeurs et termitières

    Adieu forêts et termitières".

    De ce qui précède nous pouvons dire que "grandeurs", "termitières", "forêts" sont des paradigmes ainsi que "parole souterraine", "savoir" et "équilibre parfait".

    Choix mystique opéré par les maîtres initiateurs: "la termitière", c'est l'énigme du pouvoir et le symbole de l'unité des contraires. Elle unit le ventre de la terre (là où résident les immortels) et le monde fini des savants, donc l'ésotérique et l'exotérique, l'opaque et le transparent1(*)29.

    C'est cet équilibre qui se trouve bouleversé avec la disparition de l'Afrique traditionnelle, avec la mort du Roi-lion, du philosophe à la barbe de poussière et surtout de Timini. C'est cette dernière qui fut chargée d'élever le jeune prince Titinga ou "la terre du fétiche".

    Exemple 2: le Bubale

    1."A Manéga / 2.Son parent /3. Fut le bubale! /4.A l'époque /5.Où les hommes étaient encore /6. Des hommes /7.Il s'immolait /8.En recevant chaque ami!" ( NB:la numérotation est de nous.)

    Dans cette séquence "les mots entretiennent des relations déconcertantes et insolites"1(*)30. Avec PACERE, le verbe "s'immoler" a subi une métamorphose. Reconstituons la phrase: "son Parent s'immolait, en recevant chaque ami". Cette phrase laisse penser que le père du poète, le Roi-Lion "s'immolait" pour recevoir ses amis. Cependant peut-on s'immoler plusieurs fois ? Le verbe conserve-t-il ici son sens étymologique ? Il n'en est rien.

    Comme nous l'apprend B. ZADI Zaourou dans sa Thèse d'Etat,1(*)31 le mot bubale est un nom initiatique et celui qui le porte s'identifie, au plan mystique, à cet animal avec tout ce que cela suppose de conviction et de tension psychologique propre au bubale. Un interdit naît nécessairement d'une telle relation symbolique. Le sujet qui porte le nom "bubale" n'a ni le droit de tuer, ni le droit de manger un bubale. Or voilà qu'il le tue pour honorer son hôte. Il s'immole, écrit avec raison le poète :

    "A l'époque

    Où les hommes étaient encore

    Des hommes"

    Ici le poète remonte dans le temps pour nous situer l'époque de cette générosité qui va jusqu'au sacrifice de soi. Symbolisation du troisième degré, il a fallu que nous ayons recours à un maître pour décoder cette double signification: le père de notre poète tuait son totem pour recevoir ses amis. Il leur prouvait ainsi son attachement, mais aussi, le sacrifice qu'il était capable de faire pour eux.

    Ainsi que nous le voyons, l'Africain moderne ou l'européen ne se retrouvera pas facilement devant cette métamorphose des mots: c'est une poésie d'élites, d'initiés.

    La poésie "paceréenne" est une "parole profonde", "grave et lourde de conséquence". Elle est d'ailleurs largement tributaire de la "poésie médiatisée" mossé et partant de l'univers ésotérique africain. Cet univers symbolique est la recréation de l'univers réel dans sa vision unitaire ainsi que l'a écrit Ludovic IPOU, ce qui nous permet d'établir les relations d'égalité suivantes:

    Univers Symbolique = Univers de l'Art = Univers du Mythe =Univers Sacré

    L'univers symbolique accorde au signifié un traitement spécifique. Il se poétise en s'accomplissant1(*)32 par la fonction rythmique dont "la vocation est de révéler le symbole, de lui donner tout son sens, d'accentuer au maximum son rayonnement...."1(*)33.

    Analysons donc cette fonction rythmique qui fait la spécificité de la poésie africaine avec la fonction symbolique à laquelle "elle fait pièce". Nous allons surtout nous intéresser à Quand s'envolent le grues couronnées .

    3- La Fonction Rythmique

    Dans leur quête de ré-enracinements, les poètes africains et surtout ceux de la deuxième génération ont créé le "rythme profond". La manière de l'organiser est la manifestation de la spécificité de la poésie écrite africaine.

    Etant incapable de restituer la poly-rythmie qui caractérise la poésie orale ou médiatisée, la nouvelle poésie de ZADI Zaourou dans Fer de lance, de J.M. ADIAFFI, dans D'éclaires et de foudre ou de Maxim N'DÉBÉKA dans Soleils neufs, ainsi que celle de PACERE dans Quand s'envolent les grues couronnées, se contente, à l'aide du rythme profond de laisser apparaître entre les lignes, les indices de la manifestation potentielle de l'agent rythmique aussi bien que du public-choeur.

    Examinons maintenant la circulation de la parole dans notre corpus.

    a- La Circulation de la Parole-Force

    Nous l'avons déjà dit: ce poème est une "parole-force" ou encore "une parole lourde" de conséquence, réservée à l'élite de la société.

    En tant que telle, elle nécessite le circuit suivant, défini par ZADI Zaourou dans Césaire entre deux cultures.1(*)34

    D'abord, définissons les signes que nous allons utiliser pour illustrer notre propos dans le schéma du circuit de la parole- force:

    E1= Emetteur Principal

    R1 = l'agent rythmique qui par la suite se transforme en E2 (Emetteur Secondaire) et Rx = le public ou n'importe quel récepteur du message émis par E1. Ainsi nous avons:

    E1 1 - 2 R1

    1 - 2 - 3

    E2 Rx

    Expliquons: E1 (Émetteur principal) émet le message (1), R1 (le récepteur 1) le rythme (2) ensuite il (E2) le transmet à Rx (3).

    Le circuit de la parole-profonde ainsi que l'appelle ZADI Zaourou est donc le suivant: Emetteur ---- Agent rythmique --- Récepteur.

    Retrouvons l'agent rythmique ou sa manifestation dans le poème-fleuve de PACERE et dans les autres textes.

    b- L'Agent rythmique

    Ainsi que nous le dit ZADI Zaourou dans sa thèse d'État "le signe de la manifestation potentielle de l'agent rythmique dans la parole poétique se reconnaît à ses formules au nombre variable qui sont réitérées un nombre X de fois."1(*)35

    b-1 L'agent rythmique dans Quand s'envolent les grues couronnées

    Fort de cette définition examinons le poème- fleuve du poète burkinabé. En effet, le poète à profondément rythmé Quand s'envolent les grues couronnées. Au total 6 constantes ou formules sont réitérées à travers tout le poème à des intervalles variables. Nous avons retenu ici les plus importantes. Suivons le tableau ci-dessous :

    Tableau 1

    N° Ordre

    Constantes

    Nombre de fois

    Pages

    1

    Ici

    C'est Manéga

    (Ici

    c'est la vieille terre)

    6

    5 - 6 - 24 - 25

    2

    Cette année là

    8

    9 - 10 - 11 - 14 - 17 - 23 - 24

    3

    C'était

    En mille neuf cent soixante-huit!

    12

    30 - 31 - 32 - 37 41 - 42 - 44 - 45 50 - 51

    4

    Adieu

    Adieu

    Adieu

    9

    47 - 48 - 50 - 52 53 - 54 - 56 - 57

    5

    Tmini

    Timini

    Etait son nom

    5

    16 - 33 - 35 - 47 65

    6

    J'ai retrouvé

    La terre en feu

    (Timini

    la terre en feu)

    7

    58 - 59 - 60 - 61 62 - 63 - 64

    A l'analyse de ce tableau il ressort que les constantes 2 et 3 sont assimilables. La première n'est qu'une forme inachevée de la deuxième. Partant de là, nous pouvons dire que cette paire, constitue la plus efficace et la plus remarquable des constantes dans la mesure où elle est distribuée à travers tout le poème. Après elles, viennent les constantes 4 et 6 qui sont distribuées vers la fin du poème. Ensuite, nous avons la constante 5 qui embrasse tout le poème. Quant à la constante 1, elle ouvre le poème et le rythme à ses débuts. C'est elle qui par sa distribution est la moins fréquente.

    Ainsi que nous le constatons, le rythme est créé par le recours à l'agent rythmique, dont la présence se manifeste par les réitérations des constantes du tableau ci-dessus. Ces refrains à chaque apparition exigent nécessairement une parole neuve. Elles sont comparables au "mot-accoucheur" dont parle ZADI Zaourou dans sa Thèse d'Etat. 1(*)36.

    b-2 L'agent rythmique dans « LE REPOS » de Refrains Sous le Sahel

    Dans ce poème, nous avons 3 constantes qui rythment le poème.

    Suivons ce deuxième tableau:

    Tableau 2

     

    Séquences

    Nombre de fois

    C1

    Tibo,

    ...

    7

     

    C'est ainsi qu'on quitte la terre de ses ancêtres.

    2

    C3

    Tu diras

    NON !

    2

    A l'analyse de la représentation de l'agent rythmique dans le poème : LE REPOS, nous pouvons remarquer que la première séquence qui l'ouvre, change chaque fois dans son deuxième verset tout en conservant la fonction conative qui participe à son efficacité. Celle-ci se distribue dans tout le poème. La deuxième séquence scande les deux premières strophes. Quant à la troisième séquence, elle ne se retrouve que dans la troisième strophe.

    Observons la distribution de la première séquence dans le poème:

    "Tibo,

    Ils t'appelleront!

    Ils t'appelleront

    Après le chant du coq,"

    .................................................................

    "Tibo,

    Tu répondras à l'appel!

    Tu ne répondras pas à l'appel,"

    ..................................................................

    "Tibo,

    Les larmes

    Ne perlent que sur la conscience des pauvres;"

    ...................................................................

    "Tibo,

    On meurt pour être un guide"

    ..................................................................

    "Tibo,

    On meurt pour être un flambeau."

    ...................................................................

    Le "mot accoucheur" qui est ici "Tibo", par sa récurrence, représente idéalement l'agent rythmique.

    A partir de cette analyse qui peut s'étendre à toute la poésie de PACERE, nous pouvons retenir que le poète burkinabé est un poète moderne. Cette modernité tient de ce qu'il tente de recréer la poésie du bendré des cours royales qui ne s'adresse qu'à l'élite de la société mossé et partant africaine.

    En effet dans cette poésie l'agent rythmique joue un rôle prépondérant, dans la mesure où il transforme la parole grave en parole jeu: ZADI Zaourou l'a démontré dans son ouvrage Césaire entre deux cultures et en a fait usage, dans Fer de lance . Dans cette oeuvre, c'est Dowré, le double du poète qui est l'auteur du mot-accoucheur.

    La manifestation de l'agent rythmique étant démontrée, voyons maintenant le public à qui le message est adressé.

    Nous allons donc analyser Quand s'envolent les grues couronnées pour retrouver le potentiel récepteur.

    c. Le public-choeur

    Exemple:

    II

    1 Ici

    2 C'est Manéga!

    I

    3 Ici

    4 La bataille eut lieu!

    5 C'est ainsi

    6 Que,

    7 Toutes les nuits, III

    8 Nous apprenions ensemble,

    9 L'histoire et la grandeur

    10 De la terre de Zida!

    11 Ici

    12 C'est Manéga! II

    13 Ici,

    14 Furent ensevelis des grands!

    15 La patrie

    16 De tes pères I

    17 Et la patrie

    18 D'autres pères

    19 Et tous

    20 Fraternellement

    21 Construisirent la terre de Manéga!

    22 Vaincus,

    23 Il n'y avait pas II

    24 De vaincus!

    25 Et tous

    26 Fraternellement I

    27 Construisirent la terre de Manéga!

    C'est à l'intérieur des fréquences qu'apparaissent les formules réitérées qui constituent la manifestation potentielle du public, du récepteur principal.

    Le poète tente par cette technique d'écriture de faire revivre le dialogue si fécond de la poésie traditionnelle orale ou tambourinée.

    Dans cet exemple ci-dessus extrait aux pages 5-6 de Quand s'envolent les grues couronnées, c'est à dire au tout début de notre poème, nous avons trois interventions de l'agent rythmique: V.1 à V.2 ; V.11 à V.12 ; V.22 à V.24. Nous avons également trois interventions de l'émetteur principal, le philosophe à la barbe de poussière ou le maître initiateur: V.3 à V.4 ; V.13 à V.21 ; V.25 à V.27. Et une intervention du public, c'est-à-dire des récepteurs, des initiés: V.5 à V.10 .

    La distribution est la suivante :

    I= Le philosophe à la barbe de poussière.

    II = L'agent rythmique.

    III = Le public, les néophytes.

    Les exemples de ce genre foisonnent dans le poème unique du poète de Manéga . Indubitablement, la poésie des tambours est présente dans ces pages qui malheureusement ne peuvent se lire que d'une voix unique. Et c'est cette incapacité de l'écriture à rendre les rythmes distincts des différents tambours, qui fait de la poésie écrite de PACERE une poésie spécifique et moderne. Il en est de même de celles des poètes ivoiriens de la deuxième génération que sont ZADI Zaourou et ADIAFFI.

    A ce stade de notre réflexion, sur la poésie "pacéréenne" nous pouvons affirmer que les fonctions symbolique et rythmique nous ont permis de rendre compte du monde ésotérique africain qui est à l'origine de cette parole grave.

    "Le sens de base des mots est insuffisant pour exprimer"1(*)37 la pensée profonde de l'africain. D'où le recours à cet enrichissement des formes et des mots, par les fonctions symboliques et rythmiques. ZADI Zaourou a découvert ces fonctions c'est-à-dire l'axe initiatique "en voulant précisément contraindre les théories des savants européens et plus spécialement celle de Jakobson1(*)38 à épouser également des formes africaines...dont elles ne pouvaient .... que rendre compte partiellement"1(*)39.

    Abordons maintenant, la thématique pour achever de démontrer le caractère moderne des textes du poète burkinabé.

    "La littérature nègre bannit l'art pour l'art", a écrit J.P. Makouta-Mboukou1(*)40. Il rejoint ainsi ceux pour qui l'art africain est un art fonctionnel. Cette assertion est d'autant plus vraie que la parole poétique traditionnelle africaine est une pratique communautaire. Cette vocation, les poètes modernes l'ont perçue. Depuis le cri de révolte de Senghor et de ses amis de la revue ''l'Etudiant Noir'', la poésie écrite négro-africaine ne s'est jamais lassée d'instruire, de former et d'informer. D'où l'importance de la thématique chez les poètes noirs.

    Ce qui caractérise celle des textes de PACERE, c'est qu'elle fait la synthèse de la civilisation africaine, et des apports étrangers. Il ouvre ainsi le chemin qui permettra à la jeunesse africaine d'aller au village planétaire. C'est dire qu'elle répond aux critères de la ''négritude de demain'' telle que Lilyan Kesteloot l'a définie dans son Anthologie négro-africaine de la littérature.1(*)41

    I - Une tradition au service de la modernité

    Une littérature est avant tout, la manifestation d'une culture1(*)42 et PACERE l'a compris, qui a écrit des poèmes "fortement tributaires des traditions littéraires, culturelles des Mossé"1(*)43. C'est donc à juste titre que YÉPRI Léon a pu dire qu'il se révèle être aujourd'hui, le pilier de l'édifice culturel, une institution, une école pour la jeunesse, avide de ressources ethno-socio-culturelles et/ou de (re)enracinement1(*)44. L'une des ressources que notre poète a pris à sa culture pour mettre à la disposition de l'Afrique moderne est le "Rakiré", que nos allons analyser dans sa poésie.

    1- Le "Rakiré" ou la satire par la plaisanterie

    Le Rakiré1(*)45 d'après ILBOUDO Gomdaogo, "donne le moyen à n'importe quel citoyen du Mogho de critiquer sans s'exposer aux moindres risques". C'est une institution qui permet de transformer toute situation grave ou solennelle en son contraire. Par exemple dans une situation douloureuse, le "Rakiya"1(*)46 apparaîtra pour parler de joie, de naissance, ... et permettra ainsi de changer et d'atténuer l'atmosphère. PACÉRÉ, en digne mossé, use de "cette parenté à plaisanterie" pour stigmatiser les tares des nations modernes africaines, mais aussi pour dénoncer certaines injustices dont elles sont l'objet de la part de l'Occident.

    De tous ces recueils poétiques, Ça tire sous le Sahel est celui qui se prête le plus à la satire telle que les mossé l'ont inventée et la pratique en tant que philosophie. Cependant nous tâcherons de répertorier les traces de ce "stabilisme"1(*)47 dans Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel, les deux textes poétiques qui sont l'objet de notre réflexion.

    En effet, le poème unique Quand s'envolent les grues couronnées présente des traits satiriques qui sont indubitablement les marques de cette tradition du "rakiré" que le poète revalorise dans ses textes poétiques.

    Dès la page 12, nous avons ces versets qui disent de façon ironique qu'une femme ne peut hériter de la couronne des mossé:

    "La couronne des Mossé

    Est le fruit d'un combat

    Qui échappe aux femmes!"

    En fait, c'est la coutume qui le veut ainsi: une femme ne peut diriger les mossé. Cependant le "rakiya" tel qu'il l'énonce ici ne laisse transparaître aucune injustice, seulement la faiblesse de la gent féminine que tout le monde reconnait, depuis la nuit des temps. C'est d'ailleurs pourquoi un seul ministère revient à la femme, à la cour du Mogbo; c'est celui chargé de solliciter les grâces (le Wêmba)1(*)48.

    A la page 52, le poète stigmatise l'effondrement de la société antique mossé: "J'ai trouvé / Mort / Le philosophe à la barbe de poussière /Qui chantait tous les soirs /Ses refrains à l'aube!"

    En effet, la mort du maître initiateur ainsi que nous l'avons déjà montré, est la mort symbolique de l'Afrique traditionnelle avec ses valeurs de solidarité et d'unité, avec son "stabilisme". Ici, le "rakiya" semble s'adresser aux colons et à leurs pantins qui ont décidé d'anéantir l'Afrique, c'est-à-dire détruire ses fondements les plus solides, qu'est sa culture, ses croyances, sa civilisation.

    Les versets qui suivent illustrent bien notre propos:

    "De loin en loin /Le tam-tam lourd des héraults /Appelant des initiés /Qui n'entendent plus!" P. 58.

    Nous retrouvons cette même idée dans le refrain aux pages 26, 29 et 36:

    "Il ne reste que, de loin en loin, / Le tam-tam lourd des héraults / Qui n'appelle plus les initiés, / De l'antique terre des princes".

    Ainsi que nous pouvons le constater, l'Afrique a perdu sa stabilité, en perdant sa culture : c'est ce que le poète essaie de nous faire comprendre à travers ces versets. Cependant il s'est donné pour tâche de réhabiliter cette culture et il en appelle à tous les intellectuels africains dans ce zabyuré ou devise:

    "Si la branche veut fleurir

    Quelle n'oublie pas ses racines."

    Est-ce une volonté de rectifier l'écart de ses pères qui ont laissés détruire, et substituer leur civilisation par d'autres visions du monde? Dans tous les cas, plus que jamais l'Afrique moderne, a besoin d'un re-enracinement dans sa culture, si elle veut porter des fruits. C'est ce que le "rakiya" a essayé de nous faire comprendre aux pages 26, 29, 36, 52, 58, de Quand s'envolent les grues couronnées .

    Le "rakiya", transparaît également avec le calembour à la page 39: lisons ces versets:

    "Tu m'amèneras

    Un foulard rouge

    Avec des oiseaux dessus !

    .....................

    Il y a des oiseaux déçus!"

    La forme matérielle que prend le "rakiré" ici témoigne bien de la volonté du poète burkinabé d'adapter sa culture à son temps, c'est à dire d'être moderne, tout en restant enraciné dans la culture mossé dont il affirme avoir "vécu des éradications"1(*)49.

    A la page 50, l'humour et l'ironie se bousculent dans les versets suivants:

    "Adieu / Adieu / Tous les frères nègres ethnocidés, / Qui prirent Tibo pour un moaga, / Et le couvrir d'anathèmes"

    Il s'agit ici des africains qui ont perdu la fraternité humaine propre à l'Afrique, en Europe (mais aussi en Afrique).

    Le néologisme "ethnocidé" rend bien la pensée du poète qui est de dénoncer la division interne des africains, la "tribalisation" du débat en Afrique qui se prolonge au-delà des océans et des mers et la haine qu'entretient certains africains à l'endroit de leurs frères qui ne sont pas de la même tribu ou ethnie qu'eux.

    Le racisme des occidentaux est aussi stigmatisé et le poète le dit en ces termes:

    "Ton corps

    Salira tous les draps de France"

    A travers "tous" le poète ironise sa souffrance. En effet, grâce aux recherches de YÉPRI Léon, nous savons que monsieur et madame PACERE ont eu des énormes difficultés pour se loger à Rennes lorsqu'ils y sont arrivés pour la première fois1(*)50. C'était en 1968.

    Dans notre deuxième oeuvre, Refrains Sous le Sahel, deux poèmes sont hautement satiriques. Ce sont: "LA DEUXIÈME GUERRE" et "AUX ANCIENS COMBATTANTS". Ils dénoncent les injustices dont l'Afrique a été l'objet.

    En effet, le premier cité, " LA DEUXIÈME GUERRE", fustige dans son refrain, aux pages 62 et 641(*)51 les promesses non tenues par la France aux lendemains de la victoire des alliés sur l'Allemagne, à la deuxième guerre mondiale. Et cela malgré le lourd tribu que l'Afrique a payé en homme et en matériel pendant cette guerre.

    Le futur employé dans ces versets illustre bien que l'auteur fait usage ici du "Rakiya", au sens de critiquer sans courir le risque de se faire prendre au mot.

    Le reste du poème est d'ailleurs émaillé de l'idée d'une guerre future. et même si nous avons montré ailleurs qu'il s'agit de la guerre entre les cultures, ces passages font aussi allusion à cette guerre sanglante que fut la deuxième guerre mondiale .

    Quant au second poème de Refrains Sous le Sahel, c'est un hommage aux tirailleurs sénégalais, aux africains qui ont perdu leur vie en défendant la France. Mais dans ce poème, au-delà de l'hommage fait aux nègres "morts en vrais combattants", l'auteur dénonce le silence qui entoure leur hardiesse, leur témérité. Il le dit expressément dans ces versets:

    "Nul ne saura jamais

    Leur nom

    Leur patrie"

    Le nom générique "tirailleurs sénégalais" dont ils sont flanqués témoigne de cette volonté de ne pas reconnaître leur identité véritable et pourtant parmi eux il y avait : des Mossé, des Bobos, des Dagaris, des peulhs, des Dioulas, des Bantous, des Baoulés, des Bétés, des Sénoufos, des Didas, ...

    C'est à l'Afrique de les honorer et pourtant ce n'est pas pour elle qu'ils ont croisé les fers avec les armées fascistes.

    Le premier poème, "LA DEUXIEME GUERRE" et le deuxième poème, "AUX ANCIENS COMBATTANTS" traite du même sujet : l'hypocrisie du Blanc. Il en est de même dans "HÉROS D'ÉBÈNE". Dans un troisième poème : "L'OFFRANDE", le poète se laisse aller à la plaisanterie qui existe entre le moago et le peulh1(*)52.

    En outre la satire des travers du colon et de l'Afrique foisonne dans la poésie de PACERE. Dans les deux recueils que nous analysons, elle occupe une place de choix. Cependant, reconnaissons, nous l'avons déjà dit, que Ça tire sous le Sahel est plus violemment satirique. Il en est de même de Poésie de griots, où toute la place est laissée au "rakiya".

    Le "rakiré", cet art de dénoncer tout en plaisantant ou sans se faire rejeter par l'autre, était une façon dans la société mossé et dans toutes les sociétés africaines, de réguler le pouvoir. C'est cette tradition que PACERE a ré-évaluer en tenant compte de l'Afrique moderne, résultante de la colonisation européenne. Cette Afrique qui plus que jamais a besoin de ressources culturelles capables de la revigorer, de lui donner une âme qui vive.

    PACERE, ne s'arrête pas au "rakiré". Il présente aussi une autre tradition, celle ou la poésie est juxtaposition de devises ou zabyouya (pluriel de zabyuré).

    2- Les Toponymes et les anthroponymies.

    L'auteur confesse dans Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, que c'est la littérature dans tambours qui l'a influencé dans Quand S'envolent les grues couronnées. Aussi, affirme-t-il dans la même oeuvre, que la phrase du tam-tam est une juxtaposition savante de zabyouré1(*)53 et/ou de Soanda1(*)54. Ainsi sans ambiguïté, le long poème de PACERE apparaît en grande partie, comme une succession bien arrangée de zabyouya, de Soanda et de noms ou prénoms mossé, traduits en français et souvent littéralement.

    Dans Quand S'envolent les grues couronnées, nous avons ces mots ou expressions qui portent des masques: lion, scorpion, masque, babule, grues couronnées, terre de fétiche. Ce sont des diminutifs de dévises ( zabyouya), ou des noms initiatiques, ou la traduction d'expressions moré (la langue du moaga).

    Intéressons-nous au mot "lion", qui apparaît dans les versets suivants :

    A Manéga Le lion est le roi de la brousse

    Elle épousait Il est plus fort

    Un lion ! Que toi et moi réunis !

    p.14. p. 20.

    Il S'agit ici, du père de Tibo (T.F. PACERE), Naba Guiegmdé, 29e Roi de Manéga dont les dévises sont : "le lion occupe la brousse, les hyènes doivent disparaître" ; " le lion s'est lancé dans sa course, il ne faut pas inciter les chiens chasseurs à sa poursuite"1(*)55.

    A partir de ces devises, l'on a pris l'habitude de le nommer par les termes "Lion" ou "Roi-lion".

    Quant aux termes "bubale" et "scorpion", ce sont des noms initiatiques du Roi-Lion, c'est-à-dire du père de notre poète, ainsi que nous l'avons montré lorsque nous analysions la fonction initiatique.

    Le terme "masque", aux pages 13, 16 de Quand s'envolent les grues couronnées , lui, désigne la mère de PACERE, celle qui l'enfanta. Suivons ces versets extraits du long poème :

    "sa mère

    Fut un masque importé"

    "Il n'eut pas de mère!

    Le masque

    Qui l'enfanta

    Ne l'éleva pas"

    En effet le terme "masque" est la traduction du prénom mossé de la mère de PACERE : Lao wango. La mère biologique du poète est du groupe des Mossé-Gnougnoussé, autochtones occupant le sol avant l'arrivé des Mossé-Nakomsé1(*)56. Ce groupe de mossé (les gnougnousés) est désigné par les termes, nuage ( qui se traduit Sawadogo), pluie, éclair, foudre, vent, tempête ou tout autre élément atmosphérique ou climatique. Ce sont eux qui s'occupent du culte dans la société actuelle des mossé. Ils sont donc les dépositaires des masques et des fétiches.

    Manéga, le village natal du poète est désigné par les termes suivants : "la vielle terre", "la terre de zida", "la grande termitière", aux pages 8,18,24,25, du long poème ( Quand s'envolent les grues couronnées ).

    "La terre de fétiche", nom initiatique de PACERE d'après ZADI ZAOUROU1(*)57, est un syntagme qu'on retrouve aux pages 12, 14,et 15.

    D'autres noms ou prénoms mossé participent de la poétisation du texte dans Quand s'envolent les grues couronnées. Ce sont "Pawelga" (celui qui n'a jamais séparé les hommes), page 13, Passawindé (il en reste chez le créateur) pages 11 et 15, "l'endurance", page 15. Les noms de localités, les Zabyouya, les Soanda, les noms initiatiques et les prénoms chargés de sens, participent également de la poétisation du texte de PACERE. Cette façon de poétiser empruntée à la tradition mossé que le poète a soumis aux règles de l'écriture et de la langue française, est d'ailleurs, ce qui fonde sa modernité.

    Mais les emprunts ne s'arrête pas là. Nous l'avons déjà dit, Quand s'envolent les grues couronnées, est la traduction d'une chanson funèbre mossé.

    3 - Le Bounvaonlobo ou la chanson funèbre

    En effet, le thème de la mort est de loin, celui qui domine la poésie de PACERE. Que ce soit dans Refrains Sous le Sahel, Ça tire sous le Sahel (avec VOLTACIDÉ), Quand s'envolent les grues couronnées ou dans Poésie de griots, la poésie pacéréenne semble célébrer la mort.

    En effet, dans la culture mossé, comme d'ailleurs dans toutes les cultures africaines, la mort d'un parent est l'occasion de grandes cérémonies où l'on laisse exploser ses émotions, son affection pour celui qui rejoint "la belle vallée".

    Quand s'envolent les grues couronnées tient du bounvaonlobo qui est une chanson funèbre que PACERE a entendu pour la première fois à l'age de 4 ans à la mort de son oncle. Il l'entendra en 1954 (à 11ans ) à la mort de son père puis en 1973, aux funérailles de Timini, celle qui l'éleva, comme l'exigeait la coutume. Et c'est sur la tombe de cette dernière que le poème-fleuve fut enregistré1(*)58.

    C'est ce qui justifie ces versets:

    "Timini /Devant cette tombe / Fermée sur / Milles larmes / Et / Mille pensées, / Quelques fragments / Se succèdent /Et ne se complètent pas".

    Le "REPOS" dans Refrains sous le Sahel, tient également de cette logique du poète de faire de "la mort", son thème favori. celui qui lui permet d'extérioriser ses émotions nègres. A la manière de la poésie d'une "pleureuse", lors de funérailles en Afrique, le poème, le "REPOS", est un appel, une invitation à accepter la mort, "la tête haute", c'est à dire avec dignité, bravoure et honneur, parce que celui qui s'en est allé, fait désormais partie des guides spirituels de la tribu. Pour mieux saisir ce que nous venons de dire, suivons ces versets:

    "Tibo , / Ils t'appèleront! / Ils t'appèleront /... / Tibo, /Tu répondras à l'appel /... /La tête haute, / C'est ainsi qu'on quitte la terre de ses pères!"

    Pour le poète, la mort est un "repos" après un devoir bien accompli et une occasion pour changer de lieu. Ainsi qu'il l'exprime dans ces versets:

    "Tibo , / Ces chants du coq / Annoncent le repos des vieillards / Tu es venu / Tu as fait ton devoir / Change de chantier".

    A travers ce poème, nous sentons que pour le poète, la mort permet d'atteindre un univers initiatique et symbolique:

    "Tibo,

    On meurt pour être un guide,

    Tibo,

    On meurt pour être un flambeau".

    Ces versets, illustrent bien notre propos. Ils nous éclairent sur le rôle du défunt et, des ancêtres dans la société africaine traditionnelle. En effet celui qui quitte le monde des vivants devient un guide ou un flambeau pour ceux qu'il laisse derrière lui ( il s'agit bien des vivants). D'ailleurs chez les mossé ou même chez les africains les "morts ne sont pas morts"1(*)59. D'où le titre bounvaonlobo dont la traduction littérale est "l'envole de la grue couronnée"1(*)60. Autrement dit, l'homme ne meurt pas, il passe à une autre vie, comme "la grue couronnée" dont les mossé affirment avec PACERE n'avoir jamais vu de cadavre.

    En somme, la thématique dans notre corpus, tient de la poétisation du "référent culturel" mossé. Il en est d'ailleurs de même dans les autres textes poétiques de l'auteur. En procédant ainsi, le poète, revitalise les éléments de valeurs de sa culture en les adaptant aux exigences du progrès, du développement, devant la société à construire1(*)61.

    Abordons maintenant, les espaces et les temps qui sont évoqués dans les deux recueils du poète burkinabé. En effet, ces indices finissent de faire de notre corpus des textes poétiques emprunts de modernité.

    II - Les espaces et les temps évoqués par le poète.

    Dans les deux recueils, foisonnent plusieurs espaces et temps. Ce sont notamment l'Afrique et la France, la période coloniale et les indépendances, pour donner dans la généralité. Sans oublier le micro-espace que constitue l'école par rapport aux deux autres que nous avons déjà cités.

    1- L'Afrique moderne

    En effet, à travers Manéga, le poète évoque l'hiatus entre l'Afrique traditionnelle et l'Afrique moderne.

    Dans ces versets, nous sentons que le poète se laisse aller au regret de l'Afrique antique. En effet, il semble pleurer cette Afrique où les maîtres-mots étaient : fraternité, solidarité, initiation. Suivons ces versets extraits de Quand s'envolent les grues couronnées :

    "Toutes les nuits,

    Nous apprenions ensemble

    L'histoire de la grandeur

    De la terre de Zida!" p.5 & p.8.

    "Et tous

    Fraternellement

    Construisirent la terre de Manéga!"

    p.6.

    Nous découvrons dans ces versets, une Afrique initiatique, unie, et fraternelle. Le poète nous la présente à travers le microcosme que constitue Manéga, son village natal. C'est cette Afrique fraternelle, solidaire et initiatique que le poète retrouvera en "feu" après son séjour en France dans le cadre de ses études.

    En effet à son retour de France, il découvre avec amertume que "le philosophe à la barbe de poussière, ne chante plus, ses refrains", que Manéga, n'a plus de maître initiateur. En lieu et place de celui-ci, nous avons des "pères missionnaires" qui apprennent à lire et à écrire à des enfants mal préparés à l'acquisition de l'alphabet occidental. Le ton satirique avec lequel le poète nous parle de l'école montre bien l'incongruité de celle-ci. Elle fut d'ailleurs l'instrument qui permit aux colons de réussir la destruction des fondements de l'Afrique ancienne. Cette critique acerbe de l'école occidentale se lit dans les versets qui suivent, extraits de Quand s'envolent les grues couronnées :

    "L'école / Est une vieille case / Jetée en son centre! /Quatre-vingt et un enfants / Y crient désespérément / Que B plus A égale Ti / Avent de retenir Que B plus A égale à BA!"

    "Jetée" ici exprime toute la violence qui a présidé à l'intrusions de l'école en Afrique. Les conséquences de cette violence sont incalculables.

    En effet, à la fin, nous débouchons sur un Manéga ou une Afrique où il n'y a "plus rien du passé","le tam-tam lourd des héraults" n'appelle plus les initiés "dans la forêt sacrée".

    Avec la colonisation, l'Afrique a vu partir en "flamme" ses croyances et toute son "oeuvre élaborée depuis près d'un millénaire et renforcée au cours de l'histoire"1(*)62.

    L'Afrique moderne, c'est également la tribalisation du débat politique qui débouche généralement sur des guerres fratricides, sur des ethnocides ou des génocides. Nous avons encore en mémoire le cas du Rwanda (1994) en Afrique australe. Le poète a d'ailleurs été victime de ce racisme entre frères de race en mille neuf cent soixante huit. Il en a été marqué au point où les versets: "C'était / En mille neuf cent soixante-huit!", sont distribués douze fois dans Quand s'envolent les grues couronnées. Aux pages 50 et 51 du recueil qui contient le poème unique, PACÉRÉ laisse exploser sa colère en ces termes:

    "Adieu! / Tous les frères nègres ethnocides!"

    Ainsi que nous pouvons le constater, PACERE Titinga stigmatise dans sa poésie le racisme et l'intolérance que le colon a légués aux africains à l'issue de la colonisation. Ce dernier ( le Blanc) s'est servi de ces tares et s'en sert encore pour subjuguer l'Afrique, pour la maintenir sous son hégémonie, en dressant les ethnies les unes contre les autres. C'est cela aussi l'Afrique moderne. Et le poète burkinabé a su la rendre dans ce néologisme "ethnocidés", formé des termes "ethnie" et "cidé". Ici "cidé" tient certainement du suffixe "cide" du latin "caedere" (qui signifie "tuer"). En écrivant "cidé" en lieu et place de "cide", le poète ironise à la manière du Rakiya. Il tourne en dérision ces "frères nègres ....../ qui prirent Tibo pour un moaga/ et le couvrir d'anathèmes!/ en mille neuf cent soixante-huit.".

    En effet, en mille neuf cent soixante-huit, suite aux événements en France1(*)63, PACERE, a été harcelé, pourchassé, puis arrêté dans sa chambre d'étudiant à Dakar. Il subira toutes sortes de tortures avant d'être interné successivement dans les camps de Mangin et de Archinard1(*)64. Suivons ces versets qui en disent long sur la souffrance et l'amertume du poète qui se trouvait face à des frères qui n'étaient plus des frères :

    "C'était / En mille neuf cent soixante-huit! / Il n'y avait / Sous le ciel sans nuages, / Que des frères retrouvés / Mais, / Perdus / Qui se suicident! / ... / Ils perdirent /Dans la mêlée / Cette fraternité / A la quelle aspirent / Les peuples qui n'ont pas retrouvé / Leur enfance!"

    Au-delà des événements malheureux de 1968, le poète fait allusion ici aux africains des nations modernes qui ont perdu "la fraternité", valeur cardinale de nos ancêtres. Nous avons déjà vu l'importance du symbole de la "Termitière" dans la société antique africaine. Ces versets donnent à voir le sens de la solidarité, de la fraternité, que cultivaient ces sociétés. Et c'est cette civilisation que le "fondement du présent a détruite ,"1(*)65faisant de nous des héritiers "exsangues", "des miséreux" qui ne font que crier "Wii ! " "Wii ! ", ...

    Comme nous le voyons, l'Afrique moderne apparaît dans la poésie paceréenne, dans toute sa laideur. PACÉRÉ qui affirme avoir "vécu le passé et le présent" , "la brousse et l'école",1(*)66 tente dans sa poésie "de défendre la culture africaine" avec son équilibre général ou stabilisme1(*)67.

    Outre l'Afrique, nous avons l'espace européen et particulièrement la France qui apparaît dans la poésie pacéréenne, ce qui insiste sur son caractère moderne par rapport à celle dont elle est le prolongement. C'est à dire la "poésie médiatisée" de la vieille terre de Zida ( Manéga) et partant de l'Afrique.

    2- La France

    La terre des gaulois, apparaît dès la page 31 dans ces versets:

    "C'était

    En mille neuf cent soixante-huit!

    Lanjuinais

    Onze

    Rue Lanjuinais!"

    Nous sommes ici à Rennes, où le poète a débarqué pour la première fois en 1968, en France. C'était à la faveur d'une bourse du gouvernement qui le permettait de poursuivre ses études en métropole.1(*)68.

    Dans la suite du poème, toujours à la page 31, nous découvrons une France raciste. L'auteur pour dénoncer ce racisme, utilise le procédé du "rakiya" qui consiste à faire rire là où les larmes sont prêtes à couler, là où règne l'amertume. Ainsi il ironise en disant de lui-même:

    "Ton corps

    Salira tous les draps de France,"

    L'ironie est rendue ici par "tous les draps de France". Cependant cette dérision, nous permet également de saisir toute la haine dont a souffert, et continue de souffrir, le Nègre. Le poète est profondément déçu par la réalité qu'il découvre : c'est ce qu'on peut lire dans ces versets :

    "Ton pays à pour beaux nous

    LA LIBERTE

    L'EGALITE

    LA FRATERNITE " p.32 & p.34

    En mettant la devise de la France en grands caractères, à la suite des ces versets qui nous suggèrent avec forte insistance l'inégalité, le racisme et l'exclusion dont le Nègre est victime dans ce pays ( cette France qu'il a pourtant défendue), qu'on dit sien, le poète veut insister sur la méchanceté et la perfidie du Blanc. C'est d'ailleurs pour quoi il interpelle la jeunesse africaine à travers ce proverbe dans Ainsi on a assassiné tous les mossé1(*)69: "Quand le crâne du chien est en putréfaction, il n'en sent pas l'odeur, parce que son nez est situé hors du circuit. " En d'autres termes, PACÉRÉ met en garde les jeunes intellectuels qui trouveront intolérable son ouvrage parce que leur refusant le droit d'être gaulois.

    Au-delà du racisme aux pages 31, 32, 33, 34 et 35, le poète de Manéga dénonce les atrocités et les emprisonnements dont sont victimes les nègres. La France et toute l'Europe en sont les auteurs. Et cette image est perceptible dans ces séquences où Timini semble s'adresser à Tibo, son enfant. Cette image est partagée par tout le monde à tel point qu'une mère s'adresse à son enfant (Tibo) en ces termes:

    Quand tu reviendras Tu m'amèneras

    Du pays des blancs Un foulard rouge

    Tu m'amèneras ....................

    Un foulard de tête Il y a des oiseaux déçus

    Rouge! Des prisons

    Il y a dessus Fermés dans les nuits

    Des oiseaux pleureurs Noyées dans les sangs

    Sur du sang

    Rouge! p.39 & p. 40

    C'est le souvenir

    Que par delà les eaux

    Des civilisations ont apporté

    A tes mères p.38

    Dans ces versets, la France est mise au banc des accusés. Et les charges retenues contre elle sont: tortures, meurtres, emprisonnement. Un flash-back aux pages 31, 32, 33, 34 et 35 du poème fleuve de PACERE qui font état du racisme exacerbé dont le Nègre est l'objet en France,  confirme notre analyse. En effet nous découvrons dans ces pages une France hostile au Noir. Elle ne s'embarrasse pas des droits d'un "ballafré" tel le maoga PACERE et partant de tout africain noir. Une telle civilisation où l'égalité, la fraternité et la liberté ne sont valables que lorsque le Nègre est absent, ne peut qu'expatrier en Afrique noire des hommes sans foi ni loi. C'est cela que le poète dénonce également dans ses textes poétiques.

    Aussi, dans le deuxième recueil, Refrains sous le Sahel, l'Occident et la France sont-ils évoqués. Le poème "Aux anciens combattus" nous parle des tirailleurs sénégalais morts sur les champs de batailles de Verdun, du Danube, de Sébastopol, du Monastir et dont les noms sont ignorés. C'est là une ingratitude et une méchanceté de la part de la France, envers tous les nègres dont le sang est versé pour sa liberté.

    Tous "ces tirailleurs improvisés" qui se sont sacrifié pour la libération de la France, sont méconnus. Cette injustice, le poète la stigmatise à travers tout le poème de la page 52, à la page 55:

    "Tirailleurs improvisés / Méconnus / Inconnus / Innommés / Mal nommés / Sans étiquettes /Travestis / Salis / Enterré ou ressuscités! / Tirailleurs sénégalais / Vous êtes morts, / Morts!"

    Dans ces versets nous sentons le mépris dont ont été l'objet tous ces africains qui ont combattu vaillamment auprès des occidentaux pendant les première et deuxième Guerres Mondiales pour libérer la France.

    Cette ingratitude de la France et le mépris qu'elle affiche à l'endroit des colonisés sont dénoncés dans le poème "LA DEUXIÈME GUERRE" aux pages 60 à 68. A ces pages, il est surtout question des retombés après la victoire des alliés en 1945.

    En effet l'histoire nous enseigne que l'URSS, la France, l'Angleterre et l'Amérique se sont attribués exclusivement la victoire sur le nazisme. Ils se sont donc largement servis, en se partageant l'Allemagne et ses colonies. Quant à l'Afrique personne ne s'en est occupée et même les promesses d'indépendances ont failli ne pas être tenues, n'eut été la vigilance de certains intellectuels africains d'alors. Encore que ces indépendances n'ont été que partielles tant dans la forme que dans le fond puisque nous dépendons toujours des anciennes métropoles aux plans économique, intellectuel, monétaire, politique, et même cultuel.

    En somme, la France et l'Occident, n'ont pas une image saine dans les textes poétiques de PACÉRÉ. Et il ne saurait en être autrement dans la mesure où ils sont à la base du déracinement de la jeunesse africaine avec leur politique coloniale qui s'était fixé pour objectif d'assimiler tous les Nègres à la civilisation occidentale tout en faisant une table rase de celle des indigènes.

    Un poème, c'est avant tout ce qu'il suggère, en ce sens qu'il ne se borne pas à créer une simple émotion mais plutôt est porteur d'une signification profonde. C'est ce que semble soutenir Barthélemy KORTCHY qui a écrit que "l'oeuvre véhicule nécessairement une charge idéologique"1(*)70. Aussi cette conception de l'oeuvre est-elle énoncée par J.P. Makouta-Mboukou dans son ouvrage Les grands traits de la poésie Négro-Africaine, en ces termes: "un poème ne procure donc pas seulement un plaisir poétique, ni seulement un plaisir esthétique, mais aussi un plaisir éthique." En d'autres termes, un poème, au-delà de la forme matérielle, est porteur d'un message profond et qui constitue ce que J. P. Makouta-Mboukou appelle sa "quintessence", ou encore son sens "spirituel", "mystique".1(*)71

    Pour saisir cette quintessence de la poésie "Paceréenne", nous allons donc nos atteler à faire du corpus choisi, une lecture au sens de la "lectio"1(*)72 du Moyen Âge. De cette "lectio", nous allons faire appel à la lecture anagogique qui "s'attachait à rechercher le sens spirituel, mystique, éthique des poèmes". En effet, nous nous attèlerons à faire ressortir le sens caché du corpus, c'est-à-dire la signification profonde des textes poétiques de PACERE. Ce sens caché, l'auteur lui-même n'en est probablement pas conscient ou s'il en est conscient, il n'en mesure pas forcement la porté.

    Pour atteindre notre objectif, nous allons procéder par étape. D'abord, nous dégagerons la signification immédiate ou explicite. Ensuite, nous verrons l'idéologie implicite ou ce qui constitue, la "quintessence" du corpus.

    La première lecture du corpus nous donne une certaine impression. C'est cette lecture que l'on nommait certainement "lectura" au Moyen Age.

    Cette première lecture ou la "lectura" est superficielle. Elle ne retiendra pas notre attention à ce niveau de notre travail. Et cela parce qu'elle ne nous permettra pas d'avancer sur le sentier de notre initiation.

    En revanche, à ce stade de notre réflexion, nous ne pouvons que saisir "l'idéologie générale" du corpus. C'est-à-dire, le "prétexte" qui, comme le dit Guy Michaud, cité par J. P. Makouta-Mboukou1(*)73, donne au "poète l'occasion de s'exprimer afin de dire quelque chose de plus profond, de plus vital ..." Il s'agira pour nous dans ce chapitre d'une "lecture profonde" des textes.

    Notre visée ne sera pas de toucher à toute la "quintessence", du corpus, à cette étape de notre réflexion. Nous nous limiterons ici, au sens "mystique", "spirituel", accessible à un grand nombre de lecteurs. Cela signifie que nous allons faire des textes poétiques de PACERE, des lectures "allégorique" et "tropologique"1(*)74 qui ne sont que les premières étapes de la "lectio". La troisième et dernière étape étant la lecture "anagogique", c'est elle qui nous intéressera au chapitre suivant. En effet le prince de Manéga, nous le savons, est fortement enraciné dans sa culture, la culture mossé. Et il suffit d'être quelque peu pénétré de cette culture pour saisir la signification première qui nous intéresse ici. Elle est certainement celle que peuvent se faire des "fileuses"1(*)75 qui écoutent les tambours de Manéga. Elles en sont émues mais elles ne sont pas ébranlées: elles sont au stade de "l'utile"1(*)76. C'est à cette signification proche de l'instruction et indispensable à cette instruction que nous invite ce chapitre premier.

    I. La chanson funèbre

    Quand s'envolent les grues couronnées, on l'a dit, a pour thème "la mort". Le titre du poème est lui-même la traduction en français du titre de la chanson funèbre des mossé: le "bounvaonlobo".. Dans ce poème le poète s'adresse à sa mère adoptive "Timini", morte alors qu'il était encore en France. C'est cette femme qui l'éleva conformément à la tradition. Sa mort est donc ressentie par le poète comme un coup de massue du destin dans son dos. Il en est profondément marqué.

    C'est ce deuil, cette amertume que PACERE laisse transparaître dans son poème-fleuve. En effet, parlant de Quand s'envolent les grues couronnées, il affirme à qui veut l'entendre : "c'est ma vie à travers la mort de celle qui m'a tout donné"1(*)77. Ainsi, se confesse-t-il. Dans cette assertion il s'agit de Timini, celle qui eut à charge l'éducation et l'initiation du jeune prince du trône de Manéga, conforment à la tradition mossé. En effet Timini était la première épouse du roi-lion, Naba Guiéghmdé. C'est donc à elle que la coutume réservait le droit d'éduquer le premier enfant de sexe masculin de Naba guiéghmdé après son intronisation comme roi de Manéga. Et ce "fils-héritier" du trône c'était Titinga F. PACERE, notre poète.

    Cependant, en plus de la mort de celle qui eût la charge de l'éduquer, il fait allusion, dans son poème, à la mort "du philosophe à la barbe de poussière", à celles de son père, le Roi-lion et de son oncle Zoundou (premier ministre du Roi-lion), ainsi que celles de ses frères et soeurs morts dans la fleur de l'âge. Le poète est ébranlé. Il se sent abandonné. Les remparts qui le protégeaient contre les affres de la vie moderne se sont écroulés. Les maîtres initiateurs sont partis. Son père, Timini, son oncle et "le philosophe à la barbe de poussière", représentaient pour lui l'image et le symbole de la force morale, du savoir et de la sagesse.

    Cette complainte est aussi perceptible dans certains poèmes de Refrains sous le Sahel. Nous pouvons citer entre autres, "Manéga", "je suis triste" et "Hymne des décombres". Dans le poème liminaire: "Manéga", le poète pleure sa terre natale en "feu". Les versets suivants illustrent notre propos:

    "La chaleur torride / des saisons asséchées, / Les souffles affreux / du ciel parâtre, / Ont réduit les fruits humains."

    Manéga le village natal de notre poète, est situé à cinquante (50) kilomètres au Nord de Ouagadougou (Burkina Faso). C'est un village qui se localise donc dans la zone sahélienne. Et c'est la sécheresse et la chaleur de ce climat impitoyable qui accablent et attristent le poète, à son retour de France. Ainsi que nous le voyons, ce poème retrouve et justifie le titre même du recueil, Refrains sous le Sahel. Quant au poème intitulé: "Je suis triste", le titre à lui seul exprime éloquemment ce que nous avons déjà dit lorsque nous disions qu'il participait de la complainte du poète. Pour plus de témoignage, lisons le refrain qui est distribué au moins deux fois dans le poème :

    "Je suis triste, / Je suis né dans la tristesse, / Ne m'en demandez pas trop! / ... "

    Comme nous le constatons, le poète se confesse. Et son repentir est à la mesure de son "péché" qui n'est autre que son amertume, sa profonde déception. En effet malgré les efforts accomplis par ses ancêtres: " Zida", "Tanga", "Bougoum"1(*)78, son père le roi-lion et sa mère Timini, "pour que rayonne Manéga, l'adversité l'emporta". Dans "Je suis triste", le poète fait également allusion à la mort de ses frères et soeurs. Il s'agit surtout de ceux qui ont rejoint la "belle vallée" dans la fleur de leur âge, laissant PACERE dans la solitude totale. Il ne peut être heureux.. Ainsi, ce poème traduit hautement l'amertume du prince de Manéga . Il en est de même de "Hymne aux décombres". En effet ce dernier poème participe également de la complainte du poète. Il y pleure tous ceux qui "ont oeuvré pour l'Afrique noire et qui n'en ont connu ni la prospérité, ni même l'indépendance pour certains"1(*)79. Les versets suivants, qui ouvrent le poème, illustrent notre propos:

    "La montagne s'est affaissée / Peu avant l'aube ! / La nuit règne sans partage ! / L'immense caïlcédrat du village / A volé en éclat. "

    A l'analyse de ces versets nous pouvons remarquer un "zaburé" ou devise à leur début: "La montagne ". Il s'agit ici du roi Naba Tanga, plus précisément de sa mort. En effet, le poète pour nous dire que son aeuil a rejoint les morts "avant le développement de Manéga"1(*)80, dit qu'il a "éclaté comme un caïlcédrat avant l'aube". Au-delà de la mort du "roi-montagne" (Naba Tanga) le poète plaint tous ces illustres africains qui ont quitté le monde des vivants avant l'aube", laissant leur peuple orphelin. Ainsi que nous le voyons, Refrains sous le Sahel contient des poèmes hautement mélancoliques, tristes voire marqués du sceau du deuil de la mort. Ce recueil rivalise avec Quand s'envolent les grues couronnées, en qui concerne l'évocation ou la célébration de la mort. Cependant au-delà de cette mélancolie, les poèmes de PACERE sont des discours ethnosociologiques qui révèlent une philosophie, une vision du monde chez les mossé. Ce qui nous fait dire avec Barthélémy KOTCHY que dans l'oeuvre d'art: "les éléments sont liés à la vie sociale et obéissent à ce déterminisme."1(*)81

    En effet dans le poème fleuve (Quand s'envolent les grues couronnées), nous apprenons que chez les mossé, la mort a trois degrés qui endeuillent de la même façon. Ce sont : la mort médicale, celle où les sages, les "talons rugueux" constatent que l'âme n'est plus. A ce stade, l'information est gérée et les "fileuses" ou les "bambins" sont dans l'ignorance totale. Ce n'est que quelques temps après que l'on a pris toutes les dispositions pratiques que le tambour des initiés qui appelle depuis la forêt de "Kambaongo" laisse tomber le message: c'est la mort officielle. Interviennent maintenant les funérailles ou la mort sociale. Ces célébrations servent de viatique à l'âme du défunt pour la "belle vallée" (l'au-delà) où "nous nous retrouverons"1(*)82 tous un jour.

    En plus de cette mort physique qui comporte trois stades, nous avons d'autres types de morts. Ce sont: la mort ethnosociologique, c'est-à-dire celle de la civilisation mossé (nous l'aborderons dans le chapitre deux) et la mort atmosphérique ou "géographique". Cette vision pluridimensionnelle de la mort que nous enseigne le poète dans Quand s'envolent les grues couronnées est aussi, remarquable dans Refrains sous le sahel. En effet Titinga à son retour de France a trouvé le Sahel envahir son village natal (Manéga). Il en fut profondément marqué. Il exprime cette amertume dans le poème liminaire "Manéga" de Refrains sous le Sahel, à travers ses versets:

    "Je suis né dans ce village
    Perdu des savanes

    Dans la chaleur du Sahel"

    Ces versets retrouvent ceux de Quand s'envolent les grues couronnées, où le poète a écrit :

    "Terre en feu

    j'ai retrouvé la terre en feu".

    En plus qu'il évoque la mort dans toutes ses dimensions le corpus est fortement satirique.

    II -Deux oeuvres satiriques

    En effet, Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel sont deux oeuvres hautement satiriques. Outre la célébration de la mort, Quand s'envolent les grues couronnées est "un réquisitoire contre l'Occident"1(*)83. Il en est de même des poèmes de Refrains sous le Sahel .

    poète dénonce dans ses oeuvres poétiques la politique coloniale des occidentaux, le mensonge, l'hypocrisie, le racisme du Blanc, mais aussi l'irresponsabilité de certains africains qui se laissent aller à ces mauvais sentiments ou mauvais comportements du colon. Certains africains vont même jusqu'à collaborer avec leurs bourreaux et le poète ne lésine pas sur les moyens métriques et prosodiques pour dénoncer cet état de fait. "La deuxième guerre", "Aux anciens combattants" et plusieurs séquences de Quand s'envolent les grues couronnées tiennent de cette volonté du poète de faire entendre la complainte qui étreint tout Nègre digne de ce nom. Alors que les négritudiens s'en prenaient uniquement au Blanc, PACERE et ceux de sa génération, n'innocentent pas le Nègre. Aussi tiennent-t-ils certains de leurs frères Nègres pour responsables du désastre de l'Afrique. Ces versets extraits des pages 50 et 51 du poème fleuve illustrent bien ce que nous venons d'énoncer :

    "Adieu "Adieu

    Tous les frères nègres ethnocidés Tous les frères ethnocidés

    Nous errerons Qui prirent Tibo pour un moaga

    Pour que s'enflent les poitrines Et le couvrirent d'anathèmes!"

    De ceux qui sont Quand s'envolent... , P50

    Sans dents pour rire," Quand s'envolent... , P51

    Ces versets témoignent du malaise dans nos sociétés modernes: le débat politique est tribalisé. La responsabilité des africains est très engagée dans ce drame que nous vivons au quotidien en Afrique depuis les indépendances. La haine semble habiter le coeur de certains africains. La fraternité n'a plus de sens pour ces derniers. C'est ce qu'exprime le poète lorsqu'il écrit, dans le poème "L'ATTENTE", de Refrains sous le Sahel, que :

    "Le cercle est cruel! / Des hommes / En veulent à leurs frères".

    Ainsi que nous pouvons le constater, le message du poète dans ces deux oeuvres poétiques est de faire prendre conscience aux africains, ses frères, de la nécessité de faire taire les querelles intestines et de conjuguer leurs forces pour affronter l'ennemi commun: le sous-développement, la pauvreté. L'appel du poète de Manéga est on ne peut plus clair lorsqu'il écrit, dans son poème: "LA DEUXIEME GUERRE", les versets qui suivent et qui mettent en exergue ce que nous venons de dire :

    "Cette guerre prélude à la grande guerre"

    "Nous combattrons jusqu'à la bataille finale"1(*)84.

    D'emblée, le poète s'adresse à ses frères. Il communique avec la conscience africaine. Il s'adresse à ceux-là même qui ont tout perdu: leur culture, leur fils les plus valeureux, ... Samory, Béhanzin, ... ont été tués par le Blanc. Non content de ce crime, ces "vautours venus du Nord" comme le poète les appelle lui-même, ont emporté certains de nos frères afin qu'ils les aident à défendre leur patrie à eux. Ces tirailleurs sénégalais dont on ignore jusqu'au petit nom, ont versé leur sang sans en recevoir la moindre récompense. Le poète stigmatise cette injustice à travers le poème de Refrains sous le Sahel intitulé "AUX ANCIENS COMBATTUS" .

    Suivons ces versets:

    "Tirailleurs improvisés

    Méconnus

    Inconnus

    Mal nommés

    Sans étiquettes," P. 54

    Du point de vue donc de la dynamique historique, notre corpus s'articule bien avec son époque. Celle où les affres de la colonisation sont encore perceptibles, mais surtout où le néocolonialisme fait des ravages. Le nègre a hérité de tout du colon. Bon ou mauvais, tout a été assimilé. Au nombre des mauvaises choses nous pouvons citer le racisme, l'hypocrisie et la haine tribale. Ces mauvais sentiments étaient presque inexistants en Afrique avant l'intrusion du Blanc dans cet univers paisible. Le poète s'insurge contre la corruption des moeurs africaines dues à cette intrusion. Il dénonce l'injustice et fustige l'abâtardissement de la culture africaine. Il s'appuie sur le cas pratique de Manéga pour parler de toute l'Afrique où la voix des maîtres initiateurs s'est tue à jamais, laissant des générations sans repaires et mélancoliques. Cette mélancolie qui s'apparente à celle des romantiques est pourtant spécifiquement africaine, propre à PACERE, en tant que Nègre désabusé.

    Nous retiendrons donc qu'à la première lecture, Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel sont des complaintes, des textes élégiaques et sarcastiques. En effet, le poète y pleure la disparition de ceux qui constituaient pour lui les remparts contre l'abâtardissement dû à la civilisation importée et imposée. Aussi s'élève-t-il contre ces "vautours venus du Nord" pour dévorer sa belle Afrique. Il n'épargne pas pour autant ses frères "ethnocidés" qui le prirent pour un "moaga". Ceux-là même qui sont aussi noirs que lui et qui le haïssent au même degré que l'Occidental, voire même plus. Il a gardé de "mil neuf cent soixante huit" un souvenir très amer. En effet cette année, ni l'homme Blanc, ni ses frères Nègres, ne l'ont épargné de leur haine rageuse. Il a connu la prison à Dakar. Ce fut une année ou en France, il eut des soulèvements dans le milieu estudiantin. Cette crise atteignit toutes les classes sociales en Métropole et les colonies. Et PACERE qui était étudiant à Dakar cette année, fut arrêté et incarcéré.

    Au-delà de cette première lecture des oeuvres de PACERE, une autre s'impose. Celle-là sera profonde et nous l'avions déjà annoncée au début de cette partie. Le sens mystique et métaphysique du corpus reste à découvrir, pour le faire, une analyse anagogique s'impose à nous et nous n'allons pas nous dérober à cette tâche.

    Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel sont deux oeuvres porteuses d'un message plus profond que celui que nous venons d'élucider au chapitre précédent. Il ne peut se saisir qu'après une lecture anagogique des deux oeuvres poétiques du poète de Manéga.

    En effet, la quintessence du "bounvaonlobo" ne peut se livrer en une première lecture. Il en est de même des poèmes aphoristiques1(*)85 de Refrains sous le Sahel. La poésie dans ces deux oeuvres tient à quelques exceptions près, de la poésie tambourinée. Cette poésie médiatisée ainsi que l'appelle ZADI Zaourou, propre à la cour royale du Mogho ne s'adresse qu'à une élite de la société. D'où une lecture spirituelle et mystique pour saisir le message profond qu'elle diffuse.

    En Afrique, lorsque le tambour ("l'Attoungblan" des Akans, le "Bendré" des Mossé ou le "Tabingue" des Sénoufos) "parle", son message est chargé de signification perceptible à des degrés divers suivant qu'on est "bambin", "fileuse", ou "talon-rugeux". Lorsqu'on appartient à la dernière couche sociale citée, c'est-à-dire, lorsqu'on fait partie de l'élite chez les mossé (nous sommes dans une société gérontocratique) l'effet que produit les phrases sonores du tambour est différent du bonheur qu'elles procurent aux profanes. En effet pour ceux qui constituent l'élite de la société, c'est-à-dire les initiés, "la parole tambourinée" est une véritable révélation. Elle instruit ou donne à réfléchir, au sens métaphysique et spirituel du terme. Contrairement à cette élite, les profanes ne tirent des sons du "tam-tam -parleur" qu'un simple divertissement. Et même si le rythme du tambour émeut certains des profanes, cette émotion ne se limite chez eux qu'à la simple sensation due au plaisir éphémère qu'il leur procure. Nous ne prêterons pas attention, dans ce présent chapitre, à cette émotion passagère des profanes. En revanche, nous nous attèlerons à mettre en relief dans ce chapitre la révélation que constitue la "parole-force" ou "grave" des "tambours sacrés" de Manéga.

    I - Pleure du poète pour une civilisation qui se meurt

    La mort du "philosophe à la barbe de poussière", de Timini, du Roi-lion et de Zoundou ( le Baloum-Naba du Roi-lion ), a une signification beaucoup plus profonde que leur simple disparition. En entonnant la "chanson funèbre" dans Quand s'envolent les grues couronnées et par endroits dans Refrains sous le Sahel, le poète pleure l'Afrique antique qui s'en est allée avec ses maîtres initiateurs. Il pleure cette civilisation où l'initiation avait une place prépondérante parce qu'elle conférait à l'homme sa place dans la société.

    La disparition ou le voyage à la "belle vallée" du philosophe à la barbe de poussière et de tous ceux qui constituaient pour le poète, le socle de la civilisation antique, a sonné le glas de l'équilibre et de la force du pouvoir traditionnel. Le poète s'indigne de la malédiction qui s'abat sur l'Afrique.

    Dans la séquence métaphorique suivante, PACERE écrit:

    "Ainsi
    Ainsi
    Battent les tam-tams

    Près

    Des murs maudits

    Quand s'envolent

    Les grues

    Couronnées!"

    Dans ces versets, le poète fait allusion aux "murs mauddits" qui constituent une partie de la clôture du palais royal du Naba (du roi) chez les mossé. C'est par ces murs faits en matériaux provisoires (paille ) que sortent les orphelins pour accompagner la dépouille du roi, leur père. Ils passent au travers de ces murs provisoires en chantant la chanson funèbre ou le "bounvaonlobo". Cependant, au-delà de cette allusion, il s'agit de l'Afrique ruinée par le colon. En effet, il ne reste de notre continent que "des murs maudits" . Après la mort de nos anciens et de notre culture, notre continent est à la traîne des autres et ouvert à toutes les autres cultures, bonnes ou mauvaises.

    En effet, la grue couronnée dont le moaga, selon PACERE, n'a jamais vu de cadavre permet d'insister chez le poète sur la symbolisation de la dégénérescence totale de la civilisation africaine. Celle-ci s'est effondrée, elle s'est volatilisée au contact de la civilisation occidentale. Pour nous rendre compte de la véracité de ces propos, suivons ces versets:

    "Manéga

    Manega

    Plus rien du passé

    ........................

    Adieu grandeurs et termitières

    Adieu forêts de kombaongo "1(*)86

    Ces versets sont extraits d'une séquence réitérée trois fois dans Quand s'envolent les grues couronnées . C'est, un refrain qui nous rappelle que l'Afrique a perdu son âme en perdant son passé, ses forêts sacrées, ses tam-tams sacrées, sa solidarité, ... De même dans Refrains sous le Sahel, le poète lance un cri de détresse aussi aigu, strident que celui contenu dans le long poème. En effet, que ce soit à la lecture de "MANEGA," poème liminaire ou de "JE SUIS TRISTE ", PACÉRÉ a un message très douloureux. Il y verse beaucoup de larmes au constat de la ruine de ce qui faisait la fierté de son village: le bois sacré, la termitière, ... En partant de son village, le poète s'intéresse à toute l'Afrique dont les générations futures risquent de ne rien savoir de leur passé. L'Afrique se meure, sous les coups violents de l'aliénation, et des africains se laissent aller à la manipulation. Le poète nous laisse entendre donc un cri de détresse à la fin duquel, il nous invite à la reconstruction des nations modernes. Ainsi que nous le lisons dans ce refrain du poème, "LA TERMITIERE":

    "Sur les ruines de la Patrie

    Des termites,

    Des termites ont construit une termitière".1(*)87

    Outre le cri de détresse qu'il constitue, le corpus nous instruit de la nécessité d'avoir un socle culturel assez solide pour la construction du présent et de l'avenir. Cette forte fondation, nous ne pouvons l'avoir qu'en fouinant dans notre passé où elle se trouve tapie dans les décombres de l'Afrique antique. En effet, c'est au milieu des ruines du passé que nous retrouverons le socle et les matériaux indispensables à la construction de l'Afrique moderne. Ainsi que nous le suggère PACERE dès les premières pages de Quand s'envolent les grues couronnées :

    " L'Avenir

    Se tire du passé !

    La grandeur

    ...............

    La valeur

    De toute l'histoire est à ce prix !"

    A l'analyse, l'impératif dans ces versets, insiste sur la nécessité, pour l'africain d'aujourd'hui, de puiser dans son passé le "levain" indispensable à la construction de l'Afrique moderne. Il nous faut proposer des valeurs à l'échelle universelle, c'est-à-dire à l'humanité, aux autres cultures. Cela nous devons le faire, si nous voulons en tant qu'africains, avoir quelques égards de la part des autres peuples. Si nous voulons une identité propre à nous et qui fera notre fierté dans le village planétaire, nous devons nous intéresser à notre passé y faire la plongée indispensable. Certes ce passé nous à été renié à un moment de l'histoire, cependant nous avons eu depuis, nos "Prométhées".

    En effet des africains nous ont apporté, de l'Occident, le "feu sacré". Ces illustres fils du continent noir sont allé au-delà des mers et des océans, et nous ont apporté "la connaissance" . Ce sont nos historiens, nos poètes, nos romanciers, pour ne citer que ceux-là. Ils ont, grâce à la connaissance acquise en Occident ou à l'école, réhabilité le passé glorieux que fut celui de l'Afrique noire. Avec Cheihk Anta Diop nous savons que la civilisation égyptienne, au bord du Nil, fut nègre avant de se répandre en Grèce et en Occident. Avec Thomas M'folo et Senghor, nous avons découvert le brave et stratège Chaka . Enfin, avec Djibril tamsir Niane, nous avons été instruits de la sagesse extraordinaire de Soundjata qui fut un politique hors du commun. Il fonda le Manding et l'organisa si bien qu'il atteignit un niveau élevé de développement. Les exemples sont légions. Dans ses poèmes, PACERE diffuse l'histoire du "Mogho" (le royaume mossé) ainsi que la philosophie du peuple dont il est issu (le peuple mossé).

    En somme, notre corpus est un cri de détresse entrecoupé d'appels lancés à l'endroit de l'africain moderne. En effet au milieu de ses larmes sur les ruines de l'Afrique, le prince de Manéga nous rappelle que le passé à son importance si nous voulons bâtir les sociétés présentes et à venir sur des bases solides et inébranlables, qui résisteront aux furies des autres cultures.

    II - Appel à la solidarité et à la reconstruction nationale

    Au milieu des ruines de l'Afrique antique, se dresse une "termitière". Elle est perceptible à chaque page de l'oeuvre de PACERE. Cette parole révélée des ancêtres est mise à la disposition de notre génération. C'est une énergie vitale, une puissance des dieux. Le poète conscient de l'effet que peut produire cette réserve inépuisable de force, au sens métaphysique et mystique du terme, a dressé à l'entrée de Manéga, son village natal, une gigantesque termitière. Il en a fait de même dans ses poèmes.

    Mais dans ses textes poétiques, il ne s'agit pas d'une seule, mais de plusieurs "termitières" qui indubitablement, rivalisent avec celle à l'entrée de Manéga où il est gravé cette devise du poète: "si la termitière vit, qu'elle ajoute la terre à la terre".

    Fort de cette parole souterraine venant des ancêtres qui ont rejoint la "belle vallée", le poète veut galvaniser la jeunesse africaine. PACERE lui propose surtout cette puissance pour qu'elle puisse s'en servir pour reconstruire l'Afrique.. La solidarité, l'union, l'entente parfaite qui constituent les sens de ce symbole sont indispensables aux forces vives des nations modernes africaines pour relever le défi du sous-développement et de la pauvreté, mais surtout pour s'affranchir de l'hégémonie occidentale.

    Que ce soit dans Quand s'envolent les grues couronnées ou dans Refrains sous le Sahel, l'Afrique est présentée comme désabusée, trahie, exploitée. Pour sortir le continent de sa situation difficile qu'est le sous-développement, les africains ont besoin de ressources financières, mais aussi morales et intellectuelles. Car le problème actuel de l'Afrique n'est pas seulement d'ordre économique. Il est aussi éthique . Et le poète qui en est conscient, joue ici sa partition d'éclaireur et de mobilisateur des peuples. Il a pris à la tradition ce symbole: "la termitière" et l'a mis à la disposition des africains qui ne s'en souvenaient certainement plus, tellement étourdis par les contingences de l'histoire et de la vie moderne.

    PACERE a ressuscité la parole souterraine des dieux pour servir de levain à l'élan de reconstruction nationale commencée depuis les indépendances. Nous savons, avec ZADI Zaourou, que ce symbole incarnait le mouvement lent mais continu du groupe social vers le progrès, vers les cimes, en d'autres termes vers le développement, le bonheur. Le symbole de la "termitière" que le poète utilise à volonté dans le corpus témoigne de sa mission d'inculquer aux générations présente et future, "cette puissance des légats de Dieu"1(*)88que constitue ce symbole. Nous l'avons dit, au troisième degré, "la termitière" symbolise "l'unité des contraires ". En effet, c'est elle qui "unit le ventre de la terre et le monde fini des vivants"1(*)89, ou le souterrain et la surface de la terre. Fort donc de cette unité retrouvée, de leur solidarité, les peuples africains pourrons affronter et vaincre leurs ennemis communs que sont: l'Occident, le sous-développement, la pauvreté ... Aussi pourrons-ils bâtir une société moderne qui prendra en compte leurs aspirations communes et légitimes.

    Outre l'appel à ses frères, le poète donne l'occasion aux autres peuples qui liront ses poèmes de se saisir de cette puissance des ancêtres et de s'en servir à souhait. Ainsi contribue-t-il à la résolution d'un problème crucial qui s'est posé à l'Afrique: Sa contribution à la construction du village planétaire.

    Désormais, les africains, peuvent se vanter avec ce symbole ressuscité par PACERE et qui fait partie de leur patrimoine culturel. Zadi Zaourou l'a enrichi dans son oeuvre La guerre de femmes suivi de La Termitière1(*)90 . En effet, il nous instruit qu'elle est chez les Bété (peuple du centre-ouest de la Côte d'Ivoire), le nombril de la terre et chez les Dogons du Mali, le clitoris de la terre-mère-épouse de Amma-Dieu. Aussi affirme-t-il qu'elle héberge la reine des termites qui est le symbole du pouvoir politique, de l'équilibre et de l'harmonie.

    En plus de ce symbole (la termitière) qui permet de galvaniser les forces vives des nations modernes, le poète burkinabé évoque cette époque où l'on se sacrifiait pour recevoir son hôte. Les versets qui suivent, illustrent l'hospitalité qui caractérisait l'africain:

    "Son parent

    Fut le bubale!

    A l'époque.

    Où les hommes étaient encore

    Des hommes

    Il s'immolait

    En recevant chaque ami!" P13 de Quand s'envolent les grues couronnées.

    Ainsi que nous l'avons montré antérieurement, le poète remonte, dans cette séquence, aux temps immémoriaux pour mettre en exergue l'hospitalité qui pouvait aller jusqu'au sacrifice de soi et qui faisait la particularité des africains.

    Au-delà de cette hospitalité que les africains ont perdue, le poète fait allusion aux valeurs traditionnelles, voire à la civilisation de l'Afrique ancienne, qui s'est effritée au contact de celle de l'Occident. En effet ce qui faisait autrefois la force des africains, n'est plus. C'était le sens de l'honneur et de la fraternité qui poussaient au sacrifice de soi pour celui qu'on recevait. Même si ces valeurs, ne constituent pas en elles-mêmes la civilisation africaine, elles en sont des éléments essentiels.

    Ce sont ces valeurs cardinales que la jeunesse africaine a perdue en plus des us et coutumes que la colonisation a détruits. La conséquence de ces pertes est grave et compromet dangereusement le présent et l'avenir de l'Afrique. Dans Quand s'envolent les grues couronnées, le poète de Manéga évoque la haine qui a pris la place de l'amour fraternel entre les africains. Cet amour qui rivalisait avec celui du Christ pour l'humanité, l'Afrique l'a perdu. A sa place nous retrouvons les guerres fratricides, les ethnocides, ou les génocides. Et PACERE s'indigne face au constat amer de cette perte énorme. Nous pouvons lire sa grande déception dans ces versets extraits de son poème fleuve:

    "Adieu! / Adieu! / Adieu! / Tous les frères nègres ethnocidés, / Qui prirent Tibo pour un moaga, / ..."

    Ainsi que nous le constatons, le poète a personnellement fait les frais de la détérioration de cette valeur cardinale qui est l'amour fraternel chez l'africain moderne. C'est fort de cette expérience douloureuse que le poète lance un appel à la fraternité, à l'union et à la solidarité.

    Conscient de ce que la répétition est une vertu pédagogique le poète ne se lasse pas de multiplier les symboles et de lancer des appels afin de se faire entendre par les initiés qui se chargeront de répercuter son message aux masses laborieuses qui n'ont ni le temps ni la capacité de comprendre les phrases du bendré venant de la cour royale de Manéga depuis le Nord du Burkina Faso.

    ZADI Zaourou dans Césarienne, a explicitement demandé à Dowré d'accomplir cette mission de diffusion de son message. Le prince de Manéga (PACERE), n'a pas daigné le faire. Certainement que cela est dû à sa culture à lui. Dans tous les cas nous avons tenté de joué ce rôle d'agent rythmique des tambours de Manéga tout au long de ce présent travail.

    Nous irons dire partout que PACERE demande à la jeunesse africaine de s'armer de solidarité, de fraternité et d'entente, chères aux anciens et aux dieux, afin de sortir le continent de sa léthargie.

    Maintenant que nous croyons avoir dégagé la signification profonde qui sous-entend le corpus, nous allons conclure.

    A l'issue de la réflexion sur Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel, il ressort que PACERE est un poète moderne à tous les niveaux. Par modernité, nous entendons bien, rupture dans le temps entre le passé et le présent. Et cette rupture est bien perceptible dans la poésie du prince de Manéga tant au niveau de la forme qu'au niveau de la thématique. Nous avons eu à faire cette dichotomie pour bien saisir le caractère moderne du corpus et toute sa quintessence.

    En effet, le poète a emprunté sa voix au bendré des mossé, peuple du Burkina Faso dont il est issu. Cependant, la rupture de la poésie pacéréenne avec la poésie tambourinée des cours royales mossé est d'autant plus tangible que les versets dans ses oeuvres écrites ne peuvent se lire que d'une voix unique.

    Au demeurant, nous savons que la poésie tambourinée des mossé est le fait de plusieurs tambours dont les phrases se succèdent sans se compléter. Cette poésie médiatisée ou tambourinée des mossé crée donc une polyrythmie, ainsi que cela s'observe dans toutes les poésies orales ou médiatisées de l'Afrique traditionnelle. En d'autres termes la poésie que diffusent les tambours sacrés de Manéga et partant de l'Afrique traditionnelle, est une poésie rythmée, à plusieurs temps. C'est, comme le dit PACERE dans son ouvrage de Bendrologie, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, à la page 25, une poésie rythmée et à rythme.

    En effet, le rythme est créé non seulement par les répétitions, les refrains, les interventions des différents tambours mais aussi par d'autres instruments qui souvent les accompagnent. Ces instruments qui accompagnent parfois les tambours sont entre autres, les castagnettes, la flûte, etc...

    C'est donc cette poésie au rythme pluriel que tente de retrouver PACERE dans ces oeuvres poétiques. Cependant malgré "l'impression de réalité" que produit le rythme dans la poésie écrite du poète Burkinabé, elle reste et demeure une tentative et ne peut se confondre avec la poésie du Bendré mossé qui d'après le poète lui-même "a disparu dès l'époque coloniale".

    En plus de sa rupture avec la poésie des tambours sacrés de Manega ou de la poésie de l'Afrique traditionnelle, la poésie de PACERE, nous l'avons vu, ne coïncide pas avec celle de ses devanciers. Que ce soit avec la poésie occidentale ou avec celle des poètes négro-africains de la première génération que sont les négritudiens, la poésie de PACERE est une rupture parfois totale.

    En effet, à la poésie Occidentale il n'a pris que quelques règles de prosodies pour traduire sa négritude à lui (ici "négritude" a le sens de la spécificité nègre du poète). Avec les négritudiens, c'est-à-dire les poètes de la première génération de la poésie moderne d'Afrique francophone, la rupture se situe surtout au niveau du fond. Pour ce qui est de l'écriture ou la forme, quelques divergences seulement sont à signaler.

    En effet, alors que Senghor, Damas, Césaire, revendiquaient à coup d'Alexandrins, de vers libres et de versets, la liberté des Noirs à disposer d'eux-même et la reconnaissance d'une civilisation nègre, le poète de Manéga (PACERE) a fait une "plongée" dans sa culture, pour mettre à la disposition de la jeunesse africaine et de celles des autres continents, des valeurs et des symboles propre à l'Afrique.

    Loin de s'enfermer dans sa culture, la culture mossé, le poète généralise certains éléments positifs de cette culture. Entre autre nous pouvons citer la "termitière", le "stabilisme", "le rakiré". Pour ce qui est du stabilisme, c'est une philosophie qui vise la recherche du bonheur pour le moaga (singulier de mossé). Il s'agit en fait d'un équilibre dans tous les domaines de l'existence chez les mossé.

    Quant au rakiré ou la littérature satirique par la plaisanterie, c'est une pratique sûre qui participe de la réalisation de cet équilibre dans le Mogho ou le royaume mossé. Ce sont ces valeurs, cette philosophie que diffuse PACERE dans ses textes poétiques. Ainsi avec PACÉRÉ, nous assistons à l'approfondissement du particulier et à sa généralisation.

    Comme nous le voyons, notre poète est véritablement enraciné dans sa culture et il y a puisé et diffusé ce qui peut contribuer à l'affranchissement et au développement de l'Afrique moderne, surtout au plan culturel mais aussi aux plans politique et économique. Loin de s'opposer à l'action des négritudiens qui l'ont devancé, il fortifie leur action et démontre l'existence d'une culture Nègre. En outre, il revendique pour cette culture dont l'existence est désormais établie, sa place dans le concert des civilisations.

    Aussi des poètes de sa génération ont-ils fait comme PACERE. Citons ZADI Zaourou qui a fait du "Didiga" une esthétique poétique et théâtrale, qui rivalise avec les courants littéraires venus de l'Occident.

    En effet, ZADI Zaourou a puisé dans sa culture d'origine (la culture Bété), le concept du Didiga qu'il a ensuite enrichi des connaissances acquises a l'école Occidentale et ailleurs.

    En agissant ainsi, ZADI Zaourou, Titinga PACERE et les poètes de leur génération, font plus que revendiquer une culture. Ils en proposent une à l'humanité, comme s'ils voulaient prendre le contre-pied des poètes anglophones qui disaient avec WOLÉ Soyinka que le tigre ne proclame pas sa tigritude, le tigre saute sur sa proie et la dévore. Cette attaque à l'endroit des poètes négritudiens a certainement réveillé les génies tels que PACERE, NIANGORAN Boua, ZADI Zaourou, NIANGORAN Porquet, qui ont vite fait de proclamer respectivement, la "Bendrologie", la "Drumologie", le "Didiga", la "Griotique".

    En effet, la "Griotique", c'est l'étude du langage des griots africains, tel que Balla Fasséké, dans Soundjata ou l'epopée manding, de Djibril Tamsir Niane. Quand à la "Drumologie" de NIANGORAN Boua, elle s'intéresse au langage de "l'attouglan" et des tambours en général. Ce concept retrouve donc la "Bendrologie" chère à PACERE Titinga.

    La "Bendrologie": voilà le nom que PACERE a donné à une de ses oeuvres. Mais il s'agit en fait de toute sa poésie, à l'exception de quelques poèmes comme "héros d'ébène" qui sont fortement liés à la poésie occidentale. La poésie "pacéréenne" est d'une modernité déconcertante.

    En effet, elle retrouve la parole médiatisée mossé sans toutefois se confondre avec elle. En outre, nous l'avons déjà dit, les textes poétiques de PACERE diffusent des valeurs, une philosophie et des symboles hérités de la culture mossé et enrichies des connaissances acquises par le poète à l'école occidentale et ailleurs.

    Ainsi au plan formel, l'équilibre entre le signifiant et le signifié apparaît dans la poésie de PACERE, à l'identique de celui qui règne dans la poésie traditionnelle. Aussi l'axe initiatique tel que défini par ZADI Zaourou, apparaît-elle dans toute sa splendeur dans la poésie de notre auteur et finit par nous convaincre que le prince de Manéga est un néo-oraliste.

    Autres indices qui participent du caractère moderne de la poésie du prince de Manéga, ce sont les espaces et les temps évoqués par le poète. En effet, l'allusion est beaucoup faite à l'Afrique moderne et à la France. Pour un africain francophone, c'est la France qui a sonné le glas des "temps anciens" et des traditions ancestrales.

    En conséquence l'évocation du pays des Gaulois est un signe patent de la modernité des textes poétiques du poète Burkinabé. Autrement dit, pour une poésie que l'on dit être culturelle, voire cultuelle, pour emprunter le mot à AMOA Urbain, la poétisation de référents relatifs à la France ou à l'Occident en général trahit indubitablement cette ambition et finit de nous convaincre que

    Titinga PACERE est un poète en phase avec son époque, d'où sa modernité. Aussi l'école est-elle évoquée avec tous les souvenirs dignes de l'enfance pendant la colonisation.

    En effet, PACERÉ est né vers 1943 et par ailleurs, il affirme lui-même à la page 15 de son ouvrage Ainsi on a assassiné tous les mossé: "j'ai vécu le passé et le présent, la brousse comme il est convenu d'appeler ces campagnes dites des débuts du monde et l'école". Nous comprenons donc qu'il ait été marqué par "la vieille case" et "la fête du 14 juillet" qui marquait le début des vacances scolaires.

    Au-delà de cette modernité, le poète diffuse un message. En effet, ses oeuvres sont porteuses d'une signification plus mystique que celle qu'on leur prête à première lecture. L'analyse anagogique du corpus nous a permis de saisir l'idéologie du poète: galvaniser les forces vives pour la reconstruction des nations modernes africaines et donner à la jeunesse un motif de fierté. Cette mission, le poète l'a d'ailleurs exprimée dans son ouvrage de Bendrologie, en ces termes: "... la littérature a pour mission ... d'être au service des élaborations et constructions nationales."

    Ne se bornant pas à la simple expression de la mission qu'il assigne à sa littérature, Titinga PACERE se veut pragmatique, ainsi que nous le constatons à travers ces lignes qui suivent: "il existe des formules pour inciter au travail; c'est dans ce cadre qu'utilisant la littérature orale et ses principes et sans l'aide extérieure, j'ai édifié avec la population de Manéga un dispensaire, une PMI (Prévention Maternelle et Infantile). Ainsi que nous le voyons, désormais la jeunesse africaine est armée de la "Bendrologie" pour relever le défi du sous développement et de la pauvreté.

    En somme, il est à retenir que Quand s'envolent les grues couronnées et Refrains sous le Sahel sont deux expressions poétiques modernes. Leur analyse nous a permis non seulement de le montrer, mais aussi de les situer par rapport aux poésies Occidentales, Africaines traditionnelles et modernes.

    En faisant usage des outils mis à notre disposition par nos maîtres, nous avons tenté par ce travail d'ajouter à cette "termitière" gigantesque qui se dresse dans les pages poétiques de PACERE, quelques mottes de "terre". A la tâche, il nous semblait entendre ces devises ou "zabyouya" proférées par les tambours sacrés de Manéga:

    "Si la branche veut fleurir

    qu'elle n'oublie pas ses racines".

    "Si la termitière vit

    Qu'elle ajoute de la terre à la terre".

    Ce sont celles du prince de Manéga, Titinga PACERE, notre poète. La première se trouve inscrite sur la termitière monumentale qu'il a érigée à l'entrée de Manéga. Elle incite au travail qui libère l'homme et l'honore. Quant à la deuxième, elle est un appel à l'enracinement dans sa culture, dans la culture africaine.

    Corpus

    1- PACERE (T.F), Quand s'envolent les grues couronnées, Ed. J.P. OSWALD, Paris, 1976, 78p.

    2- PACERE (T.F), Refrains sous le Sahel, Ed. J.P. OSWALD, Paris, 1976, 102p.

    Ouvrages Généraux

    1- ALAIN Richard, L'Afrique noire (des langues aux livres) CNRS Ed.et Karthala, 1995, 304 p.

    2- ANDOIN (Philipe), Les surréalistes, Paris, Seuil, 1995.

    3- BEAUMARCHAIS (J.P)., COUTY (Daniel) et REY (Alain), Dictionnaires des Littératures de la langue française.

    4- CÉSAIRE (Aimé), Discours sur le colonialisme, Paris, Présence Africaine, 1955.

    5- CHEVRIER (Jacques), Anthologie africaine: Poésie, Volume 2 Paris, Hatier, 1988, "Collection monde noir" Poche, 176 p.

    6- CHEVRIER (J.), Littérature nègre, Armand Colin - NEA, Paris, 1984, 272 p.

    7- COCULA (Bernard), PEYROUTET (Claude), Didactique de l'expression: de la théorie à la pratique, Paris, Delagrave, 1978, 318 p.

    8- DARCOS (Xavier), ROBERT (J. P.), TARTAYRE (Bernard), Moyen âge et XVIè Siècle en Littérature, Paris Hachette, 1987, "Collection Perspective et Confrontation".

    9- DARCOS (Xavier), TARTAYRE (B), XVIIè Siècle en littérature, Paris, Hachette, 1987 "Collection, Perspective et Confrontation", 400 p.

    10- DARCOS (Xavier), AGARD (Brigitte), BOIREAU (M.F.), XIXè Siècle en littérature, Paris, Hachette, 1986. Collection Perspective et Confrontation.

    11- ENO (Belinga S.M.), Comprendre la littérature orale africaine, Ed. Saint-Paul, Paris, 1978.

    12- Histoire Générale des Littératures, "XVIIè et XVIIIè Siècles, Romantisme."

    13- . KESTELOOT (Lilyan), Anthologie Négro-africaine, la littérature de 1918 à 1981, alleur, Belgique, Marabout, 1987.

    14- LANSON (G), Histoire de la Littérature française, Paris, Hachette, 1992 (Remaniée et complétée pour la période de 1850 à1950 par Paul TUFFUDU) .

    15- La tradition orale source de la littérature contemporaine en Afrique, Dakar, NEA, 1984 (Colloque à l'Institut Culturel Africain), 202 p.

    16- MAKOUTA - MBOUKOU (J.P), Les grands Traits de la poésie négro-africaine (Histoire poétiques, signification) Abidjan, NEA, 1985, 347 p.

    17- N'GAL (Georges), Création et rupture en littérature africaine, Paris, L'Harmattan, 1984.

    18- NONY (Danièle), Alain-André, Littérature Française, Histoire et Anthologie, Paris, Hâtier, 1987, 464 p.

    19- PACERE (T.F.), Ainsi on a assassiné tous les mossé, Ed. Maaman, 1979, ...p.

    20- PACERE (T.F.), Le langage des tam-tams et des masques en Afrique (Bendrologie), Paris, l'Harmattan, 1991.

    21- PIUS (N'gandu Nkashama), Littérature africaine, de 1930 à nos jours, Paris, Editions Silex, 1984.

    22- RICHARD (Alain), Littérature d'Afrique noire, des langues aux

    Livres, CNRS Editions et kathala, 1995, 304 p.

    23- YÉPRI (Léon), Pour Comprendre l'oeuvre de Titinga F. PACERE, ENS, Abidjan.

    24- YÉPRI (Léon), Titinga Frédéric PACERE, Le Tambour de l'Afrique Poétique, Paris, L'Harmattan, 1999.

    Ouvrages d'histoire

    1- ADU (Boachen A.) Histoire Générale de l'Afrique, VII, "l'Afrique sous la domination coloniale, 1880 - 1935" Dakar UNESCO/NEA, 1987.

    2- KI-ZERBO (Joseph), Histoire de l'Afrique noire, Paris, Hatier, 1978, 731 p.

    3- MALET et ISSAC, l'Histoire,"Rome et le moyen âge, l'âge Classique, les Révolutions, la naissance du Monde Moderne", Gembloux (Belgique) Marabout, 1993.

    4- VENARD Marc, Les débuts du Monde moderne, Tome II, Paris, Bordas et Laffont, 1967, "Collection le monde et son Histoire."

    Dictionnaires

    1- Dictionnaire Universel des Littératures "Volume 2" PUF, 1994.

    2- GENOUVIER(E), DESIRAL (Claude), HORDE(T.), Dictionnaire des synonymes, Paris, Larousse-Bordas, 1998.

    3- MORIER (Henri), Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique, PUF, 1961.

    Ouvrages spécialisés et revues

    1- Annales de l'université d'Abidjan, Sénie D, "Lettres", Tome 7, 1974, 315 p.

    2- BERGEZ (Daniez), GÉRAUD (V.), ROBRIEUX (J.J), Vocabulaire de l'Analyse Littéraire, Paris Dunod, 1984.

    3- FRAGNIÈRE (Jean Pierre), Comment Réussir un Mémoire, Paris, Bordas, 1986.

    4- GRAMMONT (Maurice), Petit Traité de versification française, Paris Armand Colin, 1966,"Collection U", 155 p.

    5- KOTCHY (Barthélémy), Rythme et Idéologie, in Lire Léon Damas (l'oeuvre pour une lecture africaine de L.G. Damas), Abidjan, CEDA, 1989, pp. 98 - 99.

    6- Revue de littérature et d'esthétique négro-africaines N°1 Abidjan, NEA, 191p.

    7- . TURIEL Frédéric, Précis de versification, Paris, Armand Colin, 1998 "Collection synthèse".

    8- VAILLANT (Alain), La poésie: Initiation aux méthodes d'analyse des textes poétiques, Paris, Nathan, 1992.

    Thèses consultées

    1- LISSOSSI (Jean-Bernard), Tradition et modernité dans l'oeuvre de Wolé Soyinka, Thèse de Doctorat présentée sous la Direction du Professeur Jean-Pierre DURIX, Université de Bourgogne, 1989.

    2- ZADI ZAOUROU (Bernard), La parole poétique dans la poésie africaine (Domaine de l'Afrique de l'ouest francophone), Thèse de Doctorat d'Etat, Université de Strasbourg II, 1981, Tome 1.

    Mémoires consultés

    1. FOBAH EBLIN (Pascal), Etude de l'expression poétique dans Fer de Lance, livre I de B. Zadi Zaourou, Université de Cocody (1996, 1997), (Mémoire de Maîtrise) sous la direction de Mme Monnet, 219p.

    2. ILBOUDO (Gomdaogo), la Satire dans l'oeuvre Poétique de T.F. PACÉRÉ (Mémoire de Maîtrise), sous la direction de B. Kotchy, Université de Cocody, juin 1979, 98p.

    3. IPOU (Ludovic), Etude de la fonction initiatique du langage symbolique dans D'éclairs et de foudres de J. M. Addiaffi, Université de Cocody, 1996, sous la direction de ZADI ZAOUROU, 59p. (mémoire de maîtrise).

    4. N'GORAN K. (David), Lectures sociocritique et formaliste de la poésie Négro-africaine, le cas de : "Refrains sous le Sahel" de F.T. PALERE, mémoire de Maîtrise, Université de Cocody, 1979, 129p.

    Poésies, théâtres

    2- ADIAFFI (J.M.), D'éclairs et de Foudres, Abidjan, CEDA, 1983.

    3- CESAIRE (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal , Paris, Présence Africaine, réédition, 1971, 155p.

    4- PACERE (T.F), La poésie des Griots, Ed. SILEX Paris, 1982

    5- PACERE (T.F), Poèmes pour l'Angola, Ed. SILEX Paris, 1982

    6- ZADI ZAOUROU (B.) Césarienne et Fer de lance (livre II), Abidjan, CEDA, 1984, 164p.

    7- ZADI ZAOUROU (B.) Fer de lance, Abidjan, NEI/NETER, 2002, 173p.

    8- ZADI ZAOUROU (B.), La guerre des femmes suivie de la Termitière, Abidjan, NEI/NETER, 2001, 143p.

    * 1 ZADI Zaourou (Bernard), La parole poétique dans la poésie africaine, Thèse de Doctorat d'Etat, Université de Strasbourg II, 1981, Tome 1, p.611.

    * 2 -Le Nouveau Petit Robert

    * 3 Marc Venard, Les débuts du monde moderne, Paris, Bordas et Laffont, 1967,"coll. Le monde et son histoire",IV,p.7

    * 4 Id.,p.14

    * 5 Ibid.,p.15

    * 6 Ibid.,p.9

    * 7 Ibid.,p.7

    * 8 Ibid.,p.9.

    * 9 Ibid.,p.7.

    * 10 Malet et Isaac, L'Histoire, Marabout, 1983, p.924.

    * 11 MALET et ISAAC,op.cit.,p.939.

    * 12 Id.,p.947.

    * 13 Joseph KI- ZERBO, Histoire de l'Afrique noire, paris, Hatier, p.208 .

    * 14 Id., p. 104.

    * 15 Histoire générale, VII, " L'Afrique sous la domination coloniale", 1880-1935, Dakar, UNESCO,1987,p.22.

    * 16 CHEIKH Hamidou Kane, Les Gardiens du temple, NEI, ABIDJAN, 1996, p.41.

    * 17 Dictionnaire Universel des Littératures.

    * 19 -D. T. NIANE, Soundjata ou l'épopée mandingue, Présence Africaine, 1960.

    * 20 -Ahmadou Ampaté-Ba, Oui mon commandant ,(Mémoires II),Collection Babel, Ed. Actes Sud, 1996.

    * 21--Danièle Nony, Alain Andrée, Littérature Française, Histoire et Anthologie, Paris, Hatier,1987, p.153.

    * 22 -Danièle Nony, Alain Andrée, id., p.242.

    * 23 -Danièle Nony, Alain Andrée, op. cit.,p.143.

    * 24 -Lagarde et Michard, la Littérature française, "des classiques aux philosophes" volume II, pp.289-294

    * 25 -Xavier Darcos, Tartayres (B), XVII ème siècle en Littérature, Paris, Hachette, 1986, p.371.

    * 26 Lagard et Michard, ibid., p.398

    * 1 G. LANSON, Histoire de la littérature, Paris, Hachette, 1992, p.595.

    * 2 Xavier Darcos, Tartayres (B.), op. cit., p.369.

    * 3 Xavier Darcos, Tartayres (B.), op. cit., p. 366.

    * 4 Effet Xavier et tartyres disent de la Fontaine, qu'il s'est inspiré du grec E sope, du fabuliste latin Phèdre et du

    Brahmane de l'Inde Pilpay. Cependant, il affirme lui-même dans son " Epître à Monseigneur l'évêque de Soissons" : «  Mon imitation n'est point un esclavage:

    Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois

    Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois !» Id., p.296 et p.371.

    * 5 Ibid., p.366

    * 6 Saint-Évremond affirme: "Si Homère vivait présentement il ferait des poèmes admirables, accommodés au siècle où il écrirait." Ibid., p.368.

    * 7 Op. cit., p.376.

    * 8 -Lagarde et Michard, op. cit., p.434.

    * 9 Poème lu le 27 Janvier 1687 devant l'Académie Française pour célébrer la santé de Louis XIV, Xavier Darcos,

    XVIIè siècle en littérature, op. cit., P434.

    * 10 -Xavier Darcos, op. cit., p.368.

    * 11 Madame de Staël, De l'Allemagne, II, 31, cité par Xavier Darcos et Agard, in, XXè siècle en Littérature, Paris, Hachette, 1986, P. 50.

    * 12 Maurice G rammont, Petit traité de versification française, Paris, Armand Colin, 1965, p.55.

    * 13 Frédéric Turiel, L'analyse littéraire de la poésie, Paris , Armand Colin, 1998, p.22. Effet, selon F. Turiel : "l'alexandrin ternaire superpose au rythme binaire traditionnel (6//6) une segmentation du vers en trois parties égales dans le cas du trimètre (4/4/4); inégales dans celui de l'alexandrin semi-ternaire (3/5/4 ; 4/5/3) ".

    * 14 Makouta M'boukou (J. P.), Les grands traits de la poésie nègro-africaine, Abidjan, NEA,1985, p.103.

    * 15 Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, puf, 1961, p.416.

    * 16 Nicolas Boileau, Art poétique I, V137-V138.

    * 17 -Xavier Darcos, Brigitte Aga r,... XIXè siècle en Littérature, Paris, Hachette, 1986.

    * 18 Paul Claudel, "contacts et circonstances", 1940.

    * 19 Cité par Madame Monnet Agnès, (Cours Magistrale de licence 2000 Université de vacances) extrait de L'aventure Littéraire de l'Humanité

    * 20 Guillaume Apollinaire, Esprit Nouveau, Paris, Gallimard, 1912

    * 21 Ce mouvement d'avant garde en poésie est né en Italie avec Phillipio Mareneti, comme chef de file. L'ambition des futurisrtes était de chanter " les grandes foules agitées par le travail, le plaisir ou la révolte..." leur langage est affecté par l'influence du monde moderne.

    * 22 Selon les auteurs de Littérature française, Histoire et Anthologie, des jeunes artistes exilés, regroupés à Zurich, autour du Roumain Tristan Tzara baptisent par dérision leur entreprise du premier mot qu'ils rencontrent dans le dictionnaire:" Dada". Ils refusent en bloc l'engagement politique, les conventions sociales et les préjugés esthétiques" op. cit. P370.

    André Breton, Louis Aragon, Soupault, ... vont adhérer à ce mouvement dont la poésie ne cherche que la spontanéité créatrice. Ils vont par la suite s'éloigner de ce mouvement pour créer le surréalisme.

    * 23 Le surréalisme est ainsi défini par André Breton:" Surréalisme: automatisme psychique par lequel on se propose d'exprimer, soit par écrit, soit verbalement, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale."

    * 24-Danièle Nony, op. cit., p.420.

    * 25 . ZADI Zaourou dans sa Thèse d'Etat a longuement fait cas de la poésie médiatisée ou tambourinée. Pour lui, la notion d'oralité se révèle trop étroite et pas toujours opérationnelle pour exprimer toutes les réalités culturelles africaines qu'elle prétend découvrir.( Op. cit. P273) Quant à PACERE, il a montré dans son ouvrage, Le Langage des tam-tams et des masques en Afrique (Brendrologie), que la poésie du Bendré (tambour moaga) n'est ni orale, ni écrite, elle est une poésie instrumentale, tambourinée.( Op cit. P83)

    * 26-L. S. Senghor, cité par Jacques Chévrier, in Littérature nègre, Paris, Armand Colin, 1984.

    * 27 Nous avons largement abordé, dans la Partie II de ce travail, cette fonction qui caractérise la poésie africaine.

    * 28 -PACERE T. F. , op. cit., p.25.

    * 29 - Pour Senghor, si l'on veut trouver des maîtres aux négritudiens, il serait plus sage de les chercher du côté de l'Afrique (Poèmes, Paris, Seuil, 1964) cité par J. Chévrier, in Littérature nègre, op. cit., P 35.

    * 30 J. Chévrier, op.cit, pp. 11-13.

    * 31 J. Chévrier, Anthologie africaine : poésie, V II, Paris, Hatier, 1988 pp. 14-15.

    * 32 Histoire générale de l'Afrique tome VII, UNESCO / NEA, 1987, p 106.

    * 33 -J. Chévrier, id., p.17.

    * 34 Aimé Césaire cité par Jacques Chevrier, Ibid., p.29

    * 35 J. Chevrier, op. cit., p.62.

    * 36 ce poème est étudié dans la deuxième partie de ce travail

    * 37 Cités à la page 29 in Notre Librairie N° 137

    * 38 Lilyan Kesteloot Anthologie négro-africaine, la Littérature de 1918 à 1981, Alleur (Belgique), Marabou, 1987, p. .......

    * 39 Pius N'gandu N'KASHAMA, op. cit., p.24.

    * 40 Lilyan Kesteloot, id., p.153.

    * 41 Pius N'gandu N'KASHAMA, op.cit, Paris, Ed. Silex, 1984, P 148.

    * 42 id., pp.148-149

    * 43 opcit., p. 234

    * 44 Lilyan Khesteloot, op.cit., p. 159.

    * 45 Pius N'gandu N'KASHAMA, ibid. p.234.

    * 46 Cité par Makouta M'boukou (J.P.), op.cit, PP 24-26

    * 47 Bernard ZADI ZAOUROU, La parole poétique dans la poésie africaine, Thèse de Doctorat d'Etat, Université de Strasbourg II, 1981, Tome 1, p. 596.

    * 48 YEPRI Léon, op. cit., p.42.

    * 49 T. F. PACERE, Refrains sous le Sahel, op. cit., pp.56-59.

    * 50 La numérotation des vers et la nomination des strophes de ce poème sont de nous. Nous avons procédé ainsi pour faciliter les analyses dans la suite du travail.

    * 51 Frédéric Turiel, l'Analyse littéraire de la poésie, op. cit., p.12.

    * 52 Parmi les vers des premières strophes (tableau2 ), il n'y a qu'un seul alexandrin régulier.

    * 53 YEPRI Léon, op. cit., p.42.

    * 54 Ce poème est présenté en début du chapitre I de cette partie II.

    * 55 En effet, selon Frédéric TURIEL, "Verlaine a contribué à priver la césure de toute marque linguistique et accentuelle". Op. cit., p.23

    * 56 Frédéric TURIEL, id. , p.23.

    * 57 T. F. PACERE, op. cit., p.3.

    * 58 B.ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, op. cit., p.582 &YEPRI Léon , op. cit., p.43.

    * 59 F. TURIEL, op. cit., p.78 . Selon cet auteur, "l'expression vers libre se réfère de nos jours à un type de vers qu'ont théorisé les symbolistes(Gustave Kahn, Laforgue, ...). Ce vers s'affranchit de toute mesure préétablie, qu'elle soit ou non issue de la norme classique."

    * 60 En effet chez les symbolistes " les vers sont de rythmes et de mètres variables, même si un élément métrique, numériquement constant apparaît parfois à des intervalles plus ou moins réguliers." F. TURIEL, op. cit., p.79.

    * 61 " A l'origine, les versets (étymologiquement , les "petits vers") sont les brefs passages numérotés des textes sacrés. Mais depuis le début du siècle (XXème siècle), le mot est employé pour désigner des unités qui excèdent les mètres longs traditionnels. En fait, les versets sont d'étendue variable: ils compte parfois un seul mot, quelques mots ou plusieurs lignes, ..." D'après F. TURIEL op. cit., p.83.

    * 62 F. TURIEL, id. p.83

    * 96 PACERE, Le langage des tam-tam et des masques en Afrique, Paris, 85. l'Harmattan,1991,P73 « Bendrologie »

    * 97 Lilyan Kesteloot, Antrologie, op. cit., p. 12.

    * 98 Pius N'gandu N., op. cit., pp. 17-18

    * 99 Pius N. N., id.,p.8.

    * 100 ZADI Zaourou Césaire entre deux cultures, op. cit., pp.186-190

    * 101 Refrains sou Sahel, op. cit. pp. 60-75

    * 102 Barthélémy KOCHY,"Rythme et Idéologie", in lire Léon G. Damas, (l'oeuvre pour une lecture africaine de L.G. Damas), Abidjan, CEDA, 1989,PP-98-99

    * 103 Alain VAILLANT, La poésie : Initiation aux méthodes d'analyse des textes poétiques, Nathan, Paris, 1992, p.105

    * 105 Cité par Léon YÉPRI, op.cit. p. 170.

    * 106 Roland Barthes, "Eléments de sémiologie" in Communication IV, Paris, Seuil, 1964 cité par YEPRI (Léon) Opt.cit , p.167.

    * 107Claude (P.) & Bernard Colula, Didactique de l'expression, op. cit., p 125.

    * 108 Léon YEPRI, Op. cit., p 169.

    * 109 Léon YEPRI, id., p.161.

    * 110 IPOU (Ludovic), Etude de la fonction initiatique du langage symbolique dans D'éclairs et de foudres, de J. M. Adiaffi, Université de Cocody (Côte d'Ivoire), 1996.

    * 111 Selon Pius N'gandu N'kashsma, Le mouvement de la Négritude s'étend de 1930 à 1970; Les poètes de cette période sont considérés comme ceux de la première génération dans la littérature écrite africaine. La deuxième génération, quant à elle comprend les poètes dont les écrits datent des années 1970 jusqu'aux années 1990. Op.cit., p.229.

    * 112 Ahmadou Ampaté-Bâh, Kaydara, NEA, Abidjan, 1978, p.17.

    * 113 Le langage des tam-tam et des masques en Afrique , op. cit., p. 83.

    * 114 En effet, PIUS N'gandu, fait la dichotomie entre oralité-ouverture et écriture-clôture dans son ouvrage Littérature africaine de 1930 à nos jours, silex, 1984, p. 16.

    * 115 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, op. cit., p.585.

    * 116 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, op. cit., p.582.

    * 117 ZADI Zaourou, Césaire entre deux cultures , op. cit., p.204.

    * 118 YEPRI Léon, op. cit., p.6, & ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, p.589 .

    * 119 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, p.589.

    * 120 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, p.589.

    * 121 YEPRI Léon, id., p.7.

    * 122 YEPRI Léon, ibid., p.7.

    * 123 YEPRI Léon, ibid., p.7.

    * 124 En effet, ZADI ZAOUROU écrit: "Timini, c'était la mère du poète, pas celle qui l'a conçu, mais celle à qui le groupe social avait demandé de l'éduquer, de l'instruire, d'en faire un homme au sens entier..." Thèse d'Etat, p.590.

    * 125 Ludovic IPOU, op. cit., p.50.

    * 126 Cette disposition et la numérotation sont de nous.

    * 127- Parlant de la littérature des tam-tams, PECERE à écrit ceci "cette littérature est liée aux cours, aux responsables politiques, aux lieux d'exercices du pouvoir; .... Leur nombre ( les tam-tams) pour s'exprimer ensemble peut atteindre une trentaine toutes catégories comprises.... Un des tam-tams (le chef) peut dire le poème, le texte littéraire, les autres, à des moments précis, reprennent les refrains; il peut s'agir d'un débat.... Cette littérature d'ensemble est très complexe puisque des phrases se succèdent, s'entrechoquent et ne se complètent souvent pas; c'est ce qui m'a influencé dans mon recueil, Quand s'envolent les grues couronnées . op. cit., p.86.

    * 128 PACERE affirme "on a voulu que le langage ne fût pas par la bouche, ne fût pas oral afin de rester réservé à une élite; cela c'est au moins depuis un millénaire (le Bendré est venu avec les Mossé au Xè siècle sur leur terroir actuel)". Op. cit., p. 83.

    * 129 - ZADI Zaourou, Post-face de "La guerre de femme "suivi de La Termitière, Abidjan, NEI/NETER, 2001, pp.138-140: "chez les bété la termitière est aussi le nombril de la terre-mère" chez les dogon (Mali) elle est le clitoris de la terre-mère-épouse de Auma-Dieu. Elle heberge la reine des termites, signe du pouvoir politique de l'équilibre et de l'harmonie-".

    * 130 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, p. 595.

    * 131 idem., p. 595.

    * 132 Selon ZADI ZAOUROU "c'est par la fonction rythmique que s'enrichit la parole, quelle se poétise en s'accomplissant. C'est elle qui fait pièce à la fonction, symbolique. L'équilibre entre ces deux éléments permet de surmonter la contradiction. Thèse d'Etat, p. 231.

    * 133 B. ZADI ZAOIUROU, id., p. 231.

    * 134 B. ZADI ZAOIUROU, op. cit., p. 181

    * 135 B. ZADI ZAOUROU, Thèse d'Etat, p 599.

    * 136 "Le mot-accoucheur" est une théorie de Makhily Gassama et présentée par ZADI Zaourou comme la manifestation de l'agent rthymique. Op. cit., p.600.

    * 137 - ZADI Zaourou, Césaire entre deux cultures, NEA, 1978, p.195.

    * 138 Il s'agit ici de la fonction poétique telle que définie par Roman Jakobson.

    * 139 ZADI Zaourou, id., p.205.

    * 140 J.P. Makouta-Mboukou, op. cit., p. 105.

    * 141 pour Lilyan KESTELOT "la négritude de demain fera la synthèse de cette civilisation ancestrale et des apports étrangers (sciences, techniques) pour permettre à l'Afrique de s'adapter au monde moderne". Op. cit, p.7.

    * 142 Lilyan KESTELOT, Anthropologie négro-africaine de la littérature de 1918 à 1981, p. 7.

    * 143 - YÉPRI Léon, op. cit., p.10.

    * 144 - YÉPRI Léon, id., p. 208.

    * 145 - selon les régions, l'on dit "Rakiré" ou "Dakié" , YEPRI, op. cit., p.19.

    * 146 selon YEPRI Léon, le "Rakiya" est le personnage qui joue le "rakiré".

    * 147 Dans son oeuvre Ainsi on a assassiné tous les mossé, PACERE explique que dans la vie du Moaga, il y a un contre poids à tous. Il a inventé le concept de "stabilisme" pour rendre compte de cet équilibre dont relève l'existence chez les mossé.

    * 148 T.F. PACERE, le Langage des tam-tams et des masques en Afrique, op. cit., p 62.

    * 149 T.F.PACERE, Ainsi on a assassiné tous les mossé, Ed. Naaman, 1979, p.15.

    * 150 - YEPRI Léon, op. cit., p. 120.

    * 151 Le refrain est le suivant: "Mais, / Aux lendemains de l'inéluctable victoire, / Nous serons écartés /Des épanchements de joie, / Nous serons écartés / Des effusions de gloire! / On nous a trahis, / On nous trahira! / LA DEUXIEME GUERRE SERA SANGLANTE ! "

    * 152 T.F. PACERE, Le langage des tam-tams et des masques en Afrique, op. cit., p 70 .

    * 153 Le " Zabyouré" (Les zabyouré) est une dévise que porte une personne, un roi, ou même un village.

    * 154 Les "soanda" sont des devises de corporation ( forgerons, tisserands, ...).

    * 155 YÉPRI Léon, op. cit., p. 9.

    * 156 Gnougoussé et Nakomsé sont des sous-groupes de l'ethnie Mossé. Ce sont des peuples originaires du Burkina Faso . Les Nakomsé s'occupaient de la politique, tandis que les Gnougnnoussé s'occupaient du culte des ancêtres ou de la terre. YEPRI Léon, op. cit., p.180.

    * 157 ZADI ZAOUROU, thèse d'Etat, p. 595.

    * 158 YEPRI Léon, op. cit.

    * 159 Birago Diop, "Souffles", in Anthologie de la Poésie nègre , Op.cit p. 144.

    * 160 ZADI Zaourou, Thèse d'Etat, p.588.

    * 161 YÉPRI Léon, op. cit., p.252.

    * 162 Dans son oeuvre, Ainsi on a assassiné tous les mossé, PACÉRÉ affirme: "je suis né à un moment où cette civilisation détruite, substituée par d'autres visions du monde, dans les grands centres connus de l'empire, était dans mon village de Manéga, encore en proie aux flammes." p. 15.

    * 163 En effet , en 1968, la France connue des troubles sociaux qui furent durement vécus et reprimés dans les milieux estudiantins en métropole et dans les colonies (à Dakar pour ce est de l'AOF).

    * 164 YÉPRI Léon, op. cit., p. 118.

    * 165 T. F. PACERE, Ainsi on a assassine tous les mossé , op . cit., p. 14.

    * 166 T. F. PACERE, id., p. 15.

    * 167 Le stabilisme pour PACERE, c'est l'équilibre général qui est la condition sine qua non du bonheur collectf. Ibid., p.22.

    * 168 YÉPRI Léon, op. cit. , pp. 120-121.

    * 169 T.F. PACERE, op. cit., p 15.

    * 170 Barthélémy KOTCHY, op. cit, p.65.

    * 171 J. P. Makouta-Mboukou, op. cit., p.170.

    * 172 Au Moyen age, selon J.P. Makouta-Mboukou, "une oeuvre pour être bien décodée exigeait plusieurs lectures successives". Et on accédait au sens littéral par la "lectura" (une lecture élémentaire), puis le sens profond se révélait après la "lectio" (lecture profonde) qui comprenait trois étapes: lecture allégorique, lecture tropologique et lecture anagogique. Op.cit p. 121.

    * 173 J. P. Makouta_Mboukou, op. cit., p.171.

    * 174 Au Moyen Age, la lecture allégorique "permettait de recenser les symboles, les images, les figures, en un mot tous les aspects matériels du texte". La lecture topologique, quant à elle "interprétait les symboles recensés pour leur faire correspondre des significations morales". J. P. Makouta-Mboukou, id., p.121.

    * 175 Ahmadou Ampaté-Bâ, op.cit, p.17

    * 176 Ahmadou Ampaté-Bâ dit de son conte (Kaydara) qu'il est futile pour les bambins, utile pour les fileuses et instructeur pour les mentons velus et les talons rugueux. Op.cit, p.17

    * 177 YEPRI Léon, op. cit., p.62.

    * 178 Zida, Bougoum, Tanga, sont des rois qui ont règné sur Manéga. Zida est le fondateur de Manéga.

    * 179 J. P. Makouta-Mboukou, op. cit., p.165.

    * 180 J. P. Makouta-Mboukou, id., p.165.

    * 181 Barthélémy KOTCHY, op.cit, p.65.

    * 182 Quand s'envolent les grues couronnées, p.47

    * 183 YEPRI Léon, op. cit., p.68.

    * 184 Refrains sous le Sahel, "La deuxième guerre", pp.60-68

    * 185 YEPRI Léon a dans son oeuvre: Titinga F. PACERE, Tambours Poétiques d'Afrique, écrit que les poèmes dans Refrains sous le Sahel sont aphoristiques. P.49.

    * 186 Quand s'envolent les grues couronnées, p.26.

    * 187 Refrains sous le Sahel, p.69.

    * 188 ZADI Zaourou, op.cit., p.138. (post-face)

    * 189 ZADI Zaourou, id.

    * 190 ZADI Zaourou, id., p.140 (post-face)






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