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L'aliénation dans le théà˘tre d'Aimé Césaire

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par N'golo Aboudou SORO
Université de Bouaké - D. E. A. 2005
  

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PARTIE III

PRESENTATION DES AXES DE RECHERCHE

Dans cette partie notre objectif est de poser la problématique du sujet et de mettre en relief les éléments à développer dans le cadre de notre Thèse. Il s'agit de montrer l'intérêt de notre sujet, de présenter l'esthétique théâtrale de Césaire et le projet de société du dramaturge martiniquais.

Nous nous évertuerons à analyser chaque élément brièvement, sachant qu'il s'agit de résultats provisoires et de perspectives.

Chapitre I : la problématique du sujet

Le théâtre de Césaire en tant que théâtre militant fondé sur des aspirations révolutionnaires est une plate forme où le Noir proclame son refus des préjugés raciaux dont il est victime depuis des siècles. D'où l'intérêt du thème de l'aliénation dans ces textes théâtraux.

Notre tâche consistera donc à relever les traces de la réification, de la dépersonnalisation ou encore de cette perte de soi-même, de la perte de l'identité du Nègre dans le théâtre de Césaire et notamment dans les trois pièces sus présentées. Notre visée est de montrer que les textes dramatiques de l'insulaire sont "un cri qui déchire la surdité de notre indifférence : Nègre, Nègre, nègre depuis le fond du ciel immémorial"31(*), qui stigmatise l'asservissement, l'aliénation du Nègre, et surtout l'idéal de "blanchir la race" chez l'Antillais qui

" adopte toutes les valeurs non pas tant par un désir d'imitation que par le besoin profond d'acquérir les valeurs au non desquelles l'occident a infériorisé sa race : valeurs bourgeoises, valeurs chrétiennes, valeurs culturelles ... "32(*)

En somme, nous montrerons que l'oeuvre dramatique de Césaire

" se positionne comme un lucide regard poético-historique et politique sur le peuple qui l'a vu naître et à qui il veut donner une conscience claire de sa propre évolution, de ses propres capacités"33(*).

Chapitre II : Aperçu des grandes étapes de la réflexion

I- Les problématiques du capitale et de l'idéologie : Origine de l'aliénation du Nègre.

Si le premier Noir capturé en 144234(*) par Antoine Gonzalve, fut présenté à la cour de Lisbonne comme un objet exotique, très vite, il devint un "objet à profit". Avec la découverte du nouveau monde en 1492, "l'homme marchandise" devint l'objet d'importants investissements.

Le profit s'accrut parce que c'est "un moteur" qu'on venait chercher en Afrique "l'unique machine " qui aux XVIIe et XVIIIe siècles était capable de produire le sucre, le riz, le coton et le café aux Antilles et en Amérique35(*).

A partir du XIX siècle, c'est sur le "continent-source" du "bois d' ébène", ou de la force productrice de sucre, que l'on viendra s'installer pour piller les richesses minières et forestières tout en faisant plier l'échine à ceux qui ont échappé au négriers ou qu'ils ont laissés à dessein .

Cependant cette réification absolue du Nègre, si elle est guidée par la recherche effrénée du profit, elle est également sous-tendue par l'idéologie raciste du Blanc à quelque classe sociale qu'il appartienne. Et c'est au nom de ce racisme qui nie toute nature humaine au Noir ou qui fait de lui un grand enfant qu'on doit assister éternellement, que le blanc entreprendra de l'assujettir, de le chosifier.

C'est cette aliénation, cette dépersonnalisation du Nègre qu'Aimé Césaire dénonce. Il stigmatise les marques indélébiles qu'ont laissées les nombreux siècles d'esclavage et de servitude dans les consciences collective et individuelle du Nègre. Il s'en prend aussi bien au Blanc qu'au Noir. A ce dernier, il ne tolère pas le fait de s'être laissé prendre au piège historique tendu par le Blanc.

1- De La traite à la colonisation

La traite négrière et la colonisation sont les deux faits historiques qui ont abouti à l'aliénation du Nègre. En effet, ces deux faits historiques ont âprement participé à la destruction du Nègre tout en lui niant toute valeur humaine commune avec le Blanc. C'est en tant que marchandise que le Noir a été envoyé aux Antilles et en Amérique. Et si le Blanc vint s'installer chez lui, ce fut pour davantage exploiter le Nègre et pour jouer pleinement le rôle paternaliste qu'il s'est assigné depuis qu'il a découvert le nègre-grand-enfant.

Aimé Césaire dans ses pièces de théâtre fustige la négation de l'humanité du Nègre et la trop grande dépendance fictive ou réelle de celui-ci du Blanc. Les personnages tels que Caliban, Kala-Lubu, Christophe, ... permettent au dramaturge de mettre à nu les stigmates que le commerce triangulaire et la colonisation ont gravés sur la conscience collective du Nègre. À quelques exceptions près, les personnages du théâtre de l'insulaire ont intériorisé le portrait mythique du Noir fait et à lui imposer par le colon. Même les plus illuminés de la race se sont laissé prendre au piège. Christophe et Lumumba adhérent à cette idée du Nègre oisif et paresseux. Ils croient mordicus que l'oisiveté et la paresse du Nègre sont des tares congénitales qui font de lui un miséreux, un grand-enfant qu'il faut mettre au travail. Ils s'acharnent sur le peuple afin de le pousser à se débarrasser de ces tares et à se donner au travail libérateur. Cependant, se sont-ils jamais interrogés comme Albert Memmi : " peut-on accuser de paresse un peuple entier ?

La réponse à cette interrogation ferait certainement d'eux des Prométhée achevés pour la race noire. Cependant Lumumba, Christophe et Caliban n'en demeurent pas moins des éclaireurs, des libérateurs, des bâtisseurs. Seulement, leur désaliénation n'est pas parfaite, ce qui témoigne de l'indélébilité des stigmates, des estampilles que plusieurs siècles d'esclavage et de servitude ont laissé dans la conscience et même dans l'inconscient du Nègre.

Sans nier leur rôle historique de libérateur, de révolutionnaire, Césaire nous présente des héros marqués à jamais, comme tous les Nègres, par l'idéologie raciste du Blanc.

2- L'idéologie raciste du blanc

A l'origine du drame de l'homme noir fut l'idéologie raciste de l'Européen qui a voulu voir en lui : un être non-homme, un être inférieur à cause de la pigmentation excessive de sa peau ; un maudit descendant de Cham. Ce racisme, doublé de la cupidité blanche, occasionna la traite négrière et l'exploitation abusive du Noir. Cette idéologie a fini par créer des complexes chez le Blanc lui-même tel que "le complexe de Prospero" que Mannoni définit comme :

" L'ensemble des dispositions névrotiques inconscientes qui dessinent tout à la fois la figure du paternaliste colonial et le portrait du raciste dont la fille a été l'objet d'une tentative de viol (imaginaire) de la part d'un être inférieur36(*). »

Ce mythe tiré de La tempête de Shakespeare est conservé dans l'hypertexte de Césaire. Cependant l'inférieur ici c'est le Nègre, c'est à Caliban le Nègre-esclave que Prospero cache sa fille Miranda par crainte que celui-ci ne la viole.

Dans La tragédie du roi Christophe, le roi fait sien ce complexe propre au Blanc, lorsqu'il prend les paysans pour des sujets qui courent braguette ouverte comme des "sauvages ". Pour protéger les femmes, il propose le mariage à l'occidental afin d'empêcher les paysans de courir à gauche et à droite " sans rime ni raison ". Ici le complexe de Prospero transpire, même s'il est édulcoré parce que certainement émanant d'un Nègre et non d'un Blanc. Le racisme du blanc fini par atteindre le Nègre qui : soit se comporte en blanc vis-à-vis des gens de sa race, soit devient raciste vis-à-vis du Blanc. C'est ainsi que Caliban hait Prospero de la même haine que ce dernier a pour lui37(*).

En définitive, si le Noir est aliéné, il le doit aux contingences historiques ou à ses rapports de choc avec l'Européen. Cependant comment cela se manifeste-t-il concrètement et comment y remédier ?

II- Manifestation de l'aliénation du Nègre et sa tentative de prive de conscience

En effet, comme Frantz Fanon l'a montré dans Peau noire, masques blancs, le Nègre a intériorisé tous les préjugés à son encontre et refuse désormais de se regarder en tant que tel. S'il accepte sa négritude, c'est en général avec douleur et déchirement. Cela est vrai aussi bien pour l'Antillais que pour le Nègre resté en Afrique. Ce dernier, selon Frantz Fanon :

" C'est en tant que victime d'un régime basé sur l'exploitation d'une certaine race par une autre ; sur le mépris d'une certaine humanité par une forme de civilisation tenue pour supérieure "38(*).

La seule alternative qui reste au Nègre : c'est l'assimilation. Et Césaire dans son oeuvre théâtrale, témoigne de cette forme d'aliénation du Noir.

1- L'assimilation

En effet, le dramaturge martiniquais dans ces oeuvres théâtrales s'insurge contre l'imitation grotesque des Blancs dans les manières d'être et d'agir des leaders négro-africains. L'exemple le plus remarquable de cette dénonciation se voit à travers le personnage de Christophe qui se fait couronner roi. Pas roi, comme le Mami Congo, mais roi comme Louis XIII, Louis XIV, ou Napoléon, qu'il appelle d'ailleurs son cousin39(*). Il se fait couronner comme l'histoire française le lui a enseigné. Et pour joindre la lettre à l'esprit, il se fait "importer " un maître de cérémonie à moins qu'on le lui ait envoyé.

Haïti, terre indépendante, où le Nègre se dirige lui-même, cet orgueil du Nègre, se trouve subitement administré par des Ducs, des Barons, des Comtes. Ici l'aristocratie blanche est caricaturée et l'objectif est de se faire passer pour le plus civilisé, le plus proche du Blanc.

Ce comportement, est l'apanage des Nègres transplantés aux Antilles, écrit Frantz Fanon qui cite Westerman :

" il existe un sentiment d'infériorité des Noirs qu'éprouvent surtout les évolués et qu'ils s'efforcent sans cesse de dominer. La manière employée pour cela ... est souvent naïve : porter des vêtements européens ou des guenilles à la dernière mode, adopter les choses dont l'européen fait usage, ses formes extérieures de civilité, fleurir le langage indigène d'expressions européennes ... tout cela est mis en oeuvre pour tenter de parvenir à un sentiment d'égalité avec l'européen et son mode d'existence"40(*) .

Cependant, le Christophe d'Aimé Césaire, est un personnage pluriel. Il n'est seulement la mise sur scène de leader Antillais, c'est aussi la représentation des présidents africains dont les pays viennent d'accéder à la souveraineté nationale et dont les palais sont les lieux où ces grotesques imitations de l'Occident sont observables.

2- Le complexe de dépendance

Le Noir longtemps subjugué a été présenté comme un grand enfant qui a besoin du Blanc pour devenir homme. Et cette idéologie raciste qui fait de lui un inférieur, le Noir a fini par l'intérioriser et se comporte très souvent comme tel à moins qu'il ne le fasse à dessein.

Le dramaturge martiniquais, lève un voile sur cette forme d'aliénation du Noir qui fait de lui un pantin entre les mains du Blanc. Prenons l'exemple de Kala-Lubu, Mokutu ou des leaders Katangais dans Une saison au Congo. Ces personnages dont la matérialité historique est on ne peut plus vérifiée sont manipulés par le Belge ou les intérêts financiers.

Dans son discours, le jour de l'indépendance du Congo, le roi Belge n'a pas caché son intention de continuer son rôle de père auprès des nouveaux dirigeants du Congo. Le refus de ce paternalisme très intéressé par le premier Ministre Lumumba est d'ailleurs ce qui l'a perdu.

Cette dépendance consubstantielle à la nature de l'homme asservi est perceptible dans le comportement d'Ariel.

Avec ce mulâtre-esclave, Prospero ne souffre aucune insoumission, il ne craint aucune désobéissance. Ariel attend sa liberté de son maître comme un fils attend de son père la permission de sortir. Et même si dans son attente, on peut voir une forme de non-violence, elle est au stade où on peut la confondre avec le commandement Biblique : "Honore ton père et ta mère". Du moins, c'est ce qu'Ariel fait tout en espérant la bénédiction, la liberté.

3-De révolte à l'affirmation de l'identité nègre

a- La révolte

Le Noir à qui l'on a ravi la liberté et nié la nature humaine pendant des siècles n'est pas resté sans jamais réagir. En effet, comme le dit Albert Memmi, "la seule issue qui ne soit pas une trompe oeil" et que " l'esclave ou le colonisé découvre tôt ou tard ", est la révolte. Césaire qui a écrit Cahier d'un retour au pays natal : immense cri d'indignation et de révolte nègre, en est conscient.

Dans son théâtre, cette volonté de briser le carcan, ce refus de l'avilissement transpire à travers ses héros : Lumumba, Caliban, Christophe, ...

La révolte ici c'est la prise de position par rapport à la situation du Nègre : l'esclavage, la colonisation, la servitude, ... La volonté de faire éclater le cercle infernal dans lequel a été placé le Noir, est incarnée par les héros des pièces du dramaturge martiniquais. Lumumba, Christophe, Caliban et le Rebelle (dans Et les chiens se taisaient) sont les portes flambeaux de leur peuple lancés à l'assaut de l'enfer dans lequel l'histoire les a placés. Ce sont des porte-étendards qui ne sont pas nécessairement indemnes, mais des leaders sortis de cette boue dans laquelle l'on a voulu maintenir enfoncé le Noir, pour conduire leur peuple, pour conduire le Noir à la liberté, à sa libération totale et à son affirmation en tant qu'homme faiseur d'histoire. Ils sont avant tout des iconoclastes.

b- L'affirmation de l'identité nègre

En s'attaquant de front à l'oppression, en se "débarrassant de cette image annihilante, refusant l'esclavagiste ou le colonisateur, le nègre tend vers la reprise de soi, vers l'affirmation de son identité41(*). Les Négritudiens ont suffisamment montré cette position du Noir dans leur poésie. Et Césaire père fondateur de ce mouvement poétique, montre cela sur la scène. Suivons Lumumba à la fin de son discours le jour de l'indépendance du Congo :

" Nous réviserons, les unes après les autres, toutes les coutumes pour Kongo !

Traquant l'injustice, nous reprendrons, les unes après les autres toutes les parties du vieil édifice et du pied à la tête, pour Kongo ! Tout ce qui est courbé sera redressé, tout ce qui est dressé sera rehaussé."42(*)

A la fin de sa tirade, le héros de Une saison au Congo prophétise sur le Congo qui pour devenir une nation indépendante et moderne se doit se puiser dans les sources intarissables de son passé, l'énergie, la force indispensable à sa construction et à son édification.

Christophe et Caliban, par des réminiscences d'une Afrique à laquelle ils ont été arrachés, tentent ce ré-enracinement. Cependant, en tant que transplantés, ils sont convaincus que seul le travail libre leur permettra de s'affirmer et d'être l'égal du Blanc.

Mais comment tout cela est-il montré par le dramaturge ? Que vise-t-il ?

* 31 Lilyan Kesteloot. -Op. Cit., p.10.

* 32 Id. p.15.

* 33 Blédé Logbo. -in En-Quête. Op. cit, p.12

* 34 Joseph Ki-Zerbo. -Histoire générale de l'Afrique (Paris, Hatier, 1978, p.208)

* 35 Id. p.222.

* 36 Mannoni cité par Frantz Fanon. Op. Cit., p.86.

* 37 Une tempête (Op. cit, Acte II, Scène 4, pp. 88-89)

* 38 Frantz Fanon. -Op. cit., p.181.

* 39 La tragédie du roi Christophe (Acte II, Scène 5, p.91)

* 40 Frantz Fanon. -Op. Cit., p.20.

* 41 Albert Memmi. -Op. cit., p.137.

* 42 Une saison au Congo (Acte I, Scène 6, p.29)

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