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Nguélémendouka et la colonisation allemande

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par Hanse Gilbert Mbeng Dang Le Prince
Université de Yaoundé I - Maitrise en Histoire  2005
  

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3. Une économie d'autosubsistance sous NKAL MENTSOUGA

Comme le plus part des sociétés de la forêt dense, les Omvang ne font pas exception et sont capables d'assurer leurs besoins d'autosubsistance. Ils produisent la totalité de leurs biens à partir des ressources naturelles. Autrefois ils ne produisaient pas au-delà de leur consommation et il n'existait pas de spéculation. Bien avant la fin de XIXème siècle, les Omvang vont faire face à de nombreux besoins.

En effet, ils avaient besoin d'armes à feu et de certains produits de luxe (étoffe, verrerie, verroterie...) de sel et de sel gemme. Ces produits leur étaient vendus par des tribus qui avaient des rapports avec celles de la côte notamment les Yebekolo, les Esum et les Yekaba, mais surtout les Haoussa141(*) qui venaient de la partie septentrionale du Cameroun et même du Nigeria actuel. Pour faire face à ces besoins, les Omvang vont produire davantage d'ivoires, de l'huile de palme, des palmistes et surtout ils vont commencer à saigner le caoutchouc à travers la forêt. Ces denrées vont leur permettre de faire du troc afin d'acquérir les produits cités beaucoup plus haut.

D'une manière générale, la production ici a un caractère familial. Tous les membres de la famille ont libre accès à la terre et à ces matières premières. La division du travail est fondée sur le sexe et l'âge. L'homme est chargé du déboisement des champs par le défrichement et l'abattage des arbres. La femme a la responsabilité de toutes les activités culturales ; car à elle, est associée l'idée de fécondité et de fertilité. Ainsi elle aura ici dans plusieurs rites relatifs aux cultures et à l'agriculture, une place centrale. On peut à titre de rappel dire que l'homme s'adonne aux activités de la chasse ou de la pêche. Tout au plus, il participe à la production de certains vivres pour lesquels l'effort physique requis nécessite son intervention. Ainsi les courges au niveau des semailles et même des récoltes nécessitent l'intervention des hommes (ignames pour la pose des tuteurs et courges pour la récolte). L'exploitation des ignames et des bananes s'expliquerait par les techniques y afférentes. Elle nécessite la pose des tuteurs. L'homme se charge également de la cueillette des noix et du vin de palme. Les enfants se chargent de certains petits travaux comme piquage du maïs et de légumineuses.

En ce qui concerne la réparation des biens, elle est familiale et communautaire. Elle traduit les rapports d'autorité et de dépendance. Au niveau des échanges, il existe un système d'échange local. Mais à la fin du XIXème siècle, bien avant l'arrivée des occidentaux, les échanges sont régionaux. Les Omvang échangeaient des ivoires, l'huile de palme, le caoutchouc contre des armes à feu et la pacotille qui leur étaient apportés par les Yebekolo, les Esum, les Haoussa et autres. Ces échanges furent plus accentués avec l'arrivée de nombreux commerçants européens dans l'actuelle ville de Nanga-Eboko142(*) si bien que lorsque le major Dominik va soumettre toute la région, il fait le constat selon lequel :

Les Omvang du chef NKAL MENTSOUGA combattent avec des mousquets...143(*).

Il existe plusieurs types d'échanges chez les Omvang ; l'on retient deux types :

- Le "Metchinda" appelé `'Bilabi `' chez les Beti est une fête au cours de laquelle on assiste à un échange de donc entre deux chefs de famille. Le jour de la fête, le chef de la famille A donne au chef de la famille B une certaine quantité de biens (poulets, chèvres moutons, viande fraîche et boucanée, et arachide) lequel distribue cela à sa famille en vue de la consommation. Six mois plus tard le chef de la famille B donne au chef de la famille A une quantité de biens supérieure à celle qu'il avait reçu. Cette fête est toujours accompagnée d'un festin et lorsque les gens sont bien reçus, ils se livrent à la danse et à des jeux virils. On parle alors de `'Bi Metchinda `' (se livrer au Metchinda). Le jeu se renouvelle de manière infinie. Le but de la fête est non seulement de garder des liens d'amitié entre deux familles mais aussi c'est une sorte de cotisation, une épargne productive.

- Le `'Bouomo `' littéralement le terme signifie en langue maka `'rencontre''. Il s'agit d'un marché périodique qui se déroule à la limite des terres de deux clans en vue d'échanger des produits. Ces endroits sont généralement des lieux sacrés (carrefours, l'ombre d'un arbre, à côté d'un cours d'eau). On y pratique du troc qui est l'échange des marchandises pour se procurer les biens que l'on ne possède pas et en vue de la consommation. Ce n'est donc pas un échange tourné vers l'enrichissement, l'accumulation des biens, mais en vue de la satisfaction des besoins. Les produits concernés ici sont les produits vivriers (banane, macabo, igname, patate, chèvres, moutons, poulets, arachides, concombre, légumineuse, viande boucanée et fraîche) et d'autres produits tels que les peaux de bêtes, les armes et des objets forgés. Dans ce marché il se produit toujours des rapts de personnes mâles qui seront fait esclave et femelles qu'on prend comme épouse.

Ainsi dans cette société Omvang comme dans beaucoup d'autres qui vivent dans le même milieu écologique, il n'existe pas de classe sociale commerçante. Le riche est quelqu'un qui a beaucoup de femmes, d'enfants et de clients en vue de produire des biens de consommation. Ce dernier n'accumule pas de biens mais les distribue.

Néanmoins, l'atmosphère de cette organisation socio-politique et économique de Nkal Mentsouga et les Omvang trouve un terrain d'obstacles avec l'arrivée du colon blanc qui déclenche le processus de son affaiblissement.

CHAPITRE 3 : LES OMVANG, NKAL MENTSOUGA ET LA

COLONISATION ALLEMANDE 1906-1916

Entre le 1906 et 1916, le stratège Nkal Mentsouga et les Omvang connaissent une nouvelle ère moins sereine. Cette ère diffère manifestement de celle qu'ils avaient vécu aux multiples grandeurs144(*). Nkal Mentsouga accède à une page qui annonce sa chute prochaine dans son évolution historique avec l'arrivée du colon allemand. Ainsi cette phase va se reconnaître à travers divers indices à la fois endogènes et exogènes à cette entité sociopolitique naguère rayonnante.

A. NKAL MENTSOUGA ET LES OMVANG FACE A L'ARRIVEE

DE LA COLONISATION ALLEMANDE.

Les Omvang comme tous les autres peuples du Cameroun subirent la double colonisation germano-française. La période allemande fut cependant moins longue à cause des contingences historiques. Et c'est elle qui nous importe car elle marque profondément le pays Omvang.

Nkal Mentsouga et le peuple omvang subirent pendant dix ans environ la colonisation germanique. Celle-ci commence avec les premières conquêtes du pays Omvang le 7décembre 1906145(*) et prend fin autour de 1918 avec la perte du Cameroun par l'Allemagne146(*).

Conquêtes et résistances en pays OMVANG

sous le commandement de NKAL MENTSOUGA

1. Conquêtes

La conquête du pays omvang fut l'oeuvre du major Dominik à partir de décembre 1906. Elle fut très difficile et pénible compte tenu des problèmes posés par le milieu naturel et la ténacité de ces populations maka et omvang au combat. Le pays MAKA était redouté des Allemands et aucun colon n'osait s'y aventurer bien qu'étant déjà présent à Nanga-Eboko depuis 1901147(*). Le major Dominik affirme que les Maka sont des cannibales et que rien ne pouvait être conclu avec eux qu'au péril de la mort148(*). A propos de leur armement le major Dominik écrit :

Les Maka sont moins pourvus de fusils et de poudre que leurs voisins les Yebekolo... Mais ils se servent habilement de l'arc de la lance et utilisent avec beaucoup d'habilité des fosses, des flèches de pieds et de l'abdomen qu'ils fixent dans les hautes herbes ou dans la brousse de telle façon que toute personne non initiée marche dessus et se blesse grièvement `'149(*).

Il poursuit et affirme que :

Les Omvang du chef NKAL MENTSOUGA combattent avec des mousquets. 150(*)

A partir de ces indices on peut comprendre pourquoi Omvang et Maka étaient réputés redoutables par les Européens. Pour soumettre le pays omvang ou du moins la zone contrôlée par Nkal Mentsouga, l'expédition allemande sous le commandement du major Domink sera secondé par le Capitaine Schlosser, le chef de la police, Muhler ,et un médecin, le professeur Haberer.

A la centaine de soldats dont ils disposent, va s'ajouter des troupes auxiliaires dont le rôle est toujours déterminant dans les guerres de conquête.

Pour pouvoir exécuter la soumission avec plus de succès, écrit le major DOMINIK, j'ai amené avec l'expédition environ 1000 auxiliaires des tribus woutés, Jeccaba et Esum. A nouveau, ils ont fait leurs meilleures preuves pour la poursuite à grande échelle comme ce fut le cas lors de l'expédition Yebekolo151(*).

Bien entendu, l'armement utilisé par les forces coloniales est moderne. Sur le terrain l'ensemble des troupes était commandé par le chef de l'expédition. Les soldats étaient répartis en plusieurs groupes en fonction du nombre d'officiers, et chaque soldat avait à sa disposition 20 à 30 auxiliaires, ce qui permettait un parfait ratissage de la forêt, car, les Maka et les Omvang s'y dissimulaient habilement.

Le pays maka, comme nous l'avons déjà présenté, est couvert de forêt dense que traversent de nombreux cours d'eau jusqu'au Nyong. Le long et Ayong en font partie. Ces cours d'eau ne peuvent être traversés que par des moyens de secours ; ces cours d'eau s'élargissaient quelques fois en marécages de plusieurs kilomètres, couverts de raphias, de hautes fougères et parfois de hautes herbes. Dans ces marécages se trouvent en général autour de quelques arbres immenses, des îlots de collines sur lesquelles les Maka tout comme les Omvang cachent tout ce qu'ils ont de plus précieux, notamment leurs femmes, leurs enfants, leur volaille et leur mobilier... Ils atteignent ces cachettes par des chemins qu'ils sont seuls à connaître, souvent en marchant dans la vase du marécage avec l'eau jusqu'aux hanches ou en utilisant de toutes petites pirogues152(*). Sur ces petites collines, des cases légères ont préalablement été construites et des vivres mis en réserve en attendant les périodes troubles.

Au premier signe de danger, les gens quittent leur village et s'en vont dans leurs cachettes. Là les femmes et les enfants restent sous la protection de quelques hommes qui s'installent en sentinelles, en général bien cachés sur les chemins d'accès éventuels ; dans le marécage, sur un arbre ou sur ses contreforts. Les autres hommes se rassemblent en groupes à des endroits désignés d'avance et s'établissent très habilement se maintenant sur des pistes ou dans des maisons des villages abandonnés pour attendre des divisions ou des patrouilles. Souvent ils vagabondent dans des marécages et la brousse pour dénicher des soldats ennemis isolés en patrouille qu'ils attaquent en terrain difficile153(*). Dans un rapport adressé au gouvernement impérial en 1910, le major Dominik écrit :

Lorsqu'on pénètre dans la brousse où souvent les chausse-trappes sont installées très habilement en blessant ceux qui avancent, lorsqu'une flèche est lancée ou lorsqu'un fusil est tiré. C'est énervant et oppressant. Si on y ajoute qu'on se trouve longtemps seul parmi les anthropologies, l'entourage horrible du champ de mort et le lieu de la véracité de tant de gens, alors il n'est pas étonnant que le sergent Fourrier Sussieck ait eu une dépression nerveuse. Quand on les poursuit, les Maka disparaissent et toujours ils se trouvent là ...154(*)

Ainsi, compte tenu de la difficulté du milieu naturel, il fallait à l'expédition des hommes qui maîtrisent cet environnement. C'est ici qu'apparaît l'importance et le rôle des troupes auxiliaires.

Il n'y a donc qu'un seul moyen : les dénicher dans leurs cachettes, leur enlever la capacité de pouvoir disparaître ; c'est à dire après que les endroits plus faciles à dénicher ont été enlevés, des patrouilles les plus fortes, fouiller en longue chaîne la forêt et les marécages. Pour cela il faut des gens et même beaucoup de gens, sinon les Maka se terrent comme des lapins qui laissent passer les traqueurs ; et les gens dissimulés sont des guerriers de réserve. Car même si on employait toute la troupe coloniale disponible, il n'aurait jamais assez d'eux à ma disposition. Ces troupes ne doivent pas combattre, mais voir dénicher et faire des prisonniers :

Combattre est l'affaire de la troupe. Mais celle-ci doit avoir un adversaire contre lequel combattre, et sans les troupes auxiliaires, celui-ci ne peut être déniché dans les marécages Maka155(*).

2. Expédition punitive de Hans Dominik et Schlosser

en pays Omvang

Le pays Omvang fut attaqué sur deux fronts. A partir du Nord-Ouest venant de Nanga-Eboko156(*), une première colonne forte d'une cinquantaine de soldats et 1000 auxiliaires Vouté Jeccaba et Esum157(*) commandée par le major Dominikavec. La deuxième colonne venait du Sud,et était commandée par le capitaine Schlosser parti d'Atok le 1er décembre 1906 avec une cinquantaine d'hommes, plus 250 Vouté et Mvele158(*). Elle arriva à Nguélémendouka le 30 décembre, et engaga une bataille acharnée contre Oundi-Nguélé, un des fils de Nkal Mentsouga dont le village comptait 138 grandes casses159(*). Après de violents combats, Nkal Mentsouga s'enfuit avec une partie de son armée le 5 décembre, son fils Oundi-Nguélé dut se rendre. Le 06 décembre, arriva à Nguélémendouka la colonne du major Dominik venant de Nanga-Eboko, et qui avait livré quelques combats contre de petits villages Maka et Omvang en cours de route. Les pertes sont légères de part et d'autre. Du côté Omvang, quelques dizaines de guerriers sont tués, la grande partie de l'armée ayant pris la fuite avec leur chef. Du côté de l'expédition, un porteur est blessé mortellement, 4 soldats sont blessés. Le 07 décembre, le capitaine SCHLOSSER poursuit sa mission dans la région de Doumé (Sud-Est de Nguélémendouka). Le major Dominik et sa colonne devaient poursuivre son action vers le Nord-Est jusqu'à Bertoua. Le professeur Habere quant à lui demeura à Nguélémendouka qui allait dorénavant servir de point d'appui et de camp de rassemblement des blessés. Le chef de police Muhler se joignit au capitaine Schlosser.

Aidés des auxiliaires Yeccaba et Esum, deux patrouilles suivaient la trace du chef des Omvang à partir de la frontière du pays Yebekolo en amont du Nyong, dans les vastes zones de forêt vierges et de marécages. La plupart des chefs Maka de la région qui avaient été soumis par les Omvang collaboraient avec les Allemands. Pour eux l'arrivée des colons était salutaire car, ils allaient pouvoir se libérer du joug Omvang :

Tous les chefs de la région, écrit le capitaine Schlosser, veulent participer à l'action contre Nkal Mentsouga. Ils les auraient traités abominablement et les auraient empêché d'entrer en contact avec les Européens160(*).

Après sa fuite de Nguélémendouka, Nkal Mentsouga s'était réfugié dans le village natal de sa mère à Badisham à une douzaine de kilomètres au Nord (est de son village principal. Mais il fut tout de suite trahi par des chefs Maka, collaborateurs considérés comme «amicaux » par les Allemands. De nombreuses troupes ratissent le pays Omvang, aidés par les auxiliaires Voûté Yeccaba, Esum et Mvele. Le 22 décembre, toute la région de Nguélémendouka est sous contrôle. Un rapport signale la mort de centaines d'Omvang et fait état 300 prisonniers. Du côté des assaillants, un rapport du capitaine SHLOSSER dénombrait 2 morts et 6 soldats blessés dont 2 grièvement ; les pertes des auxiliaires s'étaient également assez élevées161(*).

Nkal Mentsouga s'enfuit de Badisham, pour se réfugier à Ngele-Gobbo à 6 heures, à l'Est de son ancienne résidence. Il tenta à plusieurs reprises d'entrée en pourparlers avec le professeur Haberer, mais ils n'aboutirent jamais à un accord. Trahi à nouveau par les Maka qui lui étaient hostiles, il fut encerclé le 6 janvier 1907 par environ 2000 guerriers Voûté, Yeccaba, Esum, Mvele et Maka commandés par Dominik. Le 7 janvier dans l'après-midi, il envoya un émissaire au major Dominik pour lui annoncer sa reddition. Il se rendit quelques heures plus tard avec 200 guerriers qui lui étaient restés fidèles.

Comme preuve de sa soumission, Dominik lui imposa la construction par ses gens la route de Doumé qui traverse son territoire, de fournir 100 travailleurs de force par an, et de couvrir les frais de la campagne du pays omvang qui s'élevait à 10 grandes défenses d'ivoire.

L'arrestation de Nkal Mentsouga marquait la fin de la résistance et la soumission du pays Omvang. Bien sûr cette résistance continua de manière passive jusqu'en 1910. Par ailleurs, cette résistance ne va pas permettre une administration et une exploitation efficiente du pays Omvang.

2. Administration, mise en valeur et exploitation économique

du pays Omvang

Le territoire Omvang de Nkal Mentsouga appartenait à la circonscription administrative de Doumé (Dume Station) où étaient installés le poste militaire.

La station de Doumé avait été crée en 1906 à l'endroit où la rivière Doumé, large de plusieurs mètres, commence à être navigable. Elle avait été édifiée par le lieutenant Kirch avec l'aide des Maka pacifiés dans un premier temps ; et plus tard, avec les travailleurs de force. Avec sa création, les Allemands affirment que ce fut le pas en avant le plus remarquable qui fut fait sur la voie du développement et de l'exploitation de l'Est- Cameroun. En effet, comme écrit le major Dominik :

Cette région avec ses riches reserves en caoutchouc est actuellement au centre des parties productives de la colonie162(*).

Bien que les raisons économiques paraissent fondamentales dans la création de la station de Doumé, il ne faudrait pas perdre de vue les intérêts militaires et :

Le besoin d'établir une administration permanente dans la région pour le pays, des européens et des indigènes163(*).

Pour aller de la station de Yaoundé à celle de Doumé, le Nyong constituait la voie commerciale par excellence vers le centre du caoutchouc de l'Est-Cameroun. La route menait en deux jours d'Abong-Mbang, le terminus de la portion navigable du Nyong à la station sur le Doumé. L'autre route, la plus proche et la plus septentrionale par Nguélémendouka et par le pays Yebekolo allait prendre de plus en plus d'importance. Le pays Omvang qui jouxte la région de Doumé allait constituer le principal foyer de main d'oeuvre et même le grenier de la station. Les travailleurs Omvang étaient envoyés à Lomié dans la Sud-Est de la circonscription où la population est très faible pour la construction des routes et les aménagements divers ; la plupart était occupée à l'édification de la station de Doumé achevée en 1911. Ils furent également utilisés pour construire la route Nguélemendouka-Doumé et celle qui va vers Yaoundé jusqu'en pays Yebekolo.

Malgré la soumission des Omvang et la participation active de lsa population aux travaux de mise en valeur de la région, le district de Doumé, et partant, le pays Omvang, n'était pas encore définitivement soumis et ne le fut d'ailleurs jamais. C'est ce qui fait dire au major Dominik en 1910 dans un rapport adressé au gouvernement impérial que la région appartenant au district de Doumé n'était pas encore mûre pour une administration, car elle n'était pas encore définitivement soumise164(*). C'est pour cette raison que jusqu'au départ officiel des Allemands en 1916, cette région ne sera administrée que par des militaires.

Pour ce qui est de la mise en valeur du pays omvang, il faut tout d'abord signaler que les principales infrastructures dont vont bénéficier les Omvang sont constituées de routes qui vont traverser et desservir toute la région. Une large route de communication entre la station de Doumé et Yaoundé par Nguélémendouka a été construite ; sur le plan sanitaire, un centre accueillant des blessés est installé à Nguélémendouka sous la direction d'un médecin : le professeur Haberer. Les Allemands n'ont pas créé de plantations dans la région. Ils se bornèrent à tout simplement faire saigner le latex par les populations moyennant une petite récompense aux chefs. Les populations étaient encouragées également à fabriquer de l'huile de palme et à casser les palmistes. La région regorge en effet de grandes réserves de caoutchouc et de palmiers à huile. Toute cette production était acheminée à Deng-Deng, près de Bertoua où s'étaient installées la plupart des firmes Allemandes.

L'exploitation du pays omvang par les Allemands n'a été possible que grâce à la politique de cantonnement qu'ils mirent sur pied. En effet, les populations qui vivaient ici dispersées dans la forêt étaient ramenées de force le long des routes. C'est de cette façon que le village Mbama où se trouve le poste de Doumé, fut créé. Mais ici, le cantonnement fut à grande échelle. En effet les populations venaient de tout le district en vue de créer un grand village autour du poste. Les populations maka et omvang de la région seront déportées à Mbama (Doumé) par l'un des hommes de main des Allemands le chef Amougou Tsie Mekouogou un Maka Ebessep qui sillonnait la région avec des guerriers en arme. Grâce à sa collaboration avec l'administration allemande, il était devenu très influent avait vu et son pouvoir s'accroitre.

Les rapports entre l'administration coloniale, les populations Maka et surtout Nkal Mentsouga vont très vite se détériorer à cause des nombreuses exactions dont ceux-ci étaient victimes. Ces exactions allaient provoquer l'insurrection de 1910 contre l'administration allemande.

3. L'insurrection Maka de 1910

L'insurrection de 1910 concerne tout le district de Doumé dont la majeure partie de la population est Maka et dont fait partie de la population du pays Omvang. Les causes de cette insurrection sont diverses et les conséquences multiples.

Les causes

Les causes de l'insurrection du district de Doumé sont diverses et controversées. Pour la capitaine Marschiner cité par le major Dominik, les motifs propres à l'insurrection sont la construction de la digue à Abong-Mbang ou la mortalité suite à la construction du chemin de fer comme le gouvernement impérial croît pouvoir le supposer d'après son ordonnance du 2-6 N° 696165(*). Selon le major Dominik, ces épisodes ont aussi agité et aigri de nombreux Maka, les motifs les plus profonds pour l'agitation dans tout le district de DOUME sont les suivants :

Le district n'a encore jamais été soumis définitivement et ne fut jamais véritablement entre les mains du poste...... 166(*).

Les Maka combattaient régulièrement contre l'armée coloniale allemande dont ils n'avaient jamais admis la domination. Ils n'ont jamais toléré la présence des commerçants et des colporteurs qui entreprenaient des négoces. Pire encore, ils n'avaient jamais apprécié le travail forcé. Pour des gens en qui sommeille l'esprit de liberté, la présence répétée des patrouilles était calvaire. Toutes les populations de la région étaient convoquées par la poste de Doumé. Au début elles venaient encore de bon gré au travail sous l'effet des combats où ils ont été soumis et par l'influence de l'autorité des officiers allemands, comme le capitaine Scheuneman. Mais plus tard, il fallait aller les faire chercher ou rechercher sans cesse par des patrouilles :

Ces patrouilles se sont fait haïr énormément comme le premier lieutenant Schipper.... Et leur utilisation fut aussi une des raisons principales à l'origine de l'insurrection... 167(*).

Au Nord du Sunnanga168(*), Warschener, et le chef de la station vont échapper à la mort successivement à Issousala169(*) et sur la route Elany-Etoa bogo170(*). Un policier de Linga, lui aussi est attaqué à Issousala et à Mimbang, informa Warschener que le chef Nkal Mentsouga avait ordonné à ses sujets de tuer tous les soldats, parce que ceux-ci voulaient les conduire dans les camps de travail où ils iraient mourir de travail et d'inanition171(*).

Le rapport du 26 avril 1906 du capitaine faisait remarquer au gouverneur que toute la région était déjà en état de soulèvement172(*).

Manifestations et conséquences

C'est dans cette atmosphère très tendue qu'un employé de la firme John Holt et Compagnie, Arnold Bretscheneider, envoyé le 9 mai 1910 dans la zone troublée pour récupérer les travailleurs, fut abattu. Trois porteurs seulement de son équipe purent échapper à la mort. Les colis de viande furent distribués aux villageois dans différentes localités173(*).

Comme nous l'avons maintes fois signalé, le district de Doumé est constitué en majorité de Maka. Les Allemands pensent que le chef Nkal Mentsouga aurait joué un rôle capital dans le déclenchement de la rébellion. Celui-ci se serait habilement servi des motifs de rébellion de chacun de ses féaux Maka, résultant du désir de liberté contre le surtravail et de la haine contre les soldats, pour en faire le motif principal de l'insurrection générale.

Les Omvang avaient soumis tous les Maka de leurs environs ; ils exerçaient par conséquent une grande influence sur eux. Ceux-ci sont devenus indépendants avec l'aide du poste de Doumé. Les Omvang se sentent alors offensés du fait que les Maka étaient désormais mis au même pied d'égalité qu'eux avec l'arrivée des Européens. Ainsi, ils auraient voulu rétablir leur pouvoir, c'est pourquoi ils avaient rassemblé tous les chefs Maka qu'ils connaissaient, et leur auraient dit :

Tuez tous les blancs et les soldats, alors vous n'aurez plus besoin de travailler, de payer les impôts et aucun soldat ne vous maltraitera plus174(*).

Les Maka l'ont fait dans la mesure où cela leur était possible, et le pays se trouva en état de rébellion.

L'insurrection de 1910 se manifesta par une désobéissance généralisée de la part des populations, vis-à-vis de l'autorité coloniale, par l'assassinat de commerçants blancs et de soldats. Le premier blanc assassiné fut le commerçant Arnold Bretscheneider 175(*), probablement dans le village de Sallé entre Doumé et Nguélémendouka, village que commandait le chef Omvang Tole Nguélé fils de Nkal Mentsouga. L'autre assassinat fut celui du commerçant Hinrichsen176(*) le 27 décembre dans le secteur de Ndjong-Kol177(*).

Déjà, peu après l'annonce de l'assassinat de Arnold Bretscheneider, le chef de circonscription Hauptman expédiait le 17 mai, l'adjudant adjoint Sussiek sur les lieux du crime avec 30 soldats. Lui-même quitta Ngamba après avoir bloqué la route de Doumé-Ndengué pour se rendre à la station où il arriva le 20 mai. Conformément au télégramme qui lui était parvenu, il se porta le jour suivant dans la zone d'insurrection en compagnie d'une puissante armée. La colonne de Rosener qui avait pris la direction de Sangama et d'Ebah178(*), essuya des tirs à plusieurs reprises à partir de ce dernier village. Lorsque la jonction s'opéra, il retourna à Ngamba et envoya les Ngassé renforcer la colonne de Sussiek. Celui-ci avait déjà eu un mort et 16 blessés dans sa suite179(*). Le soir, Sussiek arriva au camp avec Nkal Mentsouga pour qu'ensemble avec d'autres chefs, fassent partir les Européens de leur région. Nkal Mentsouga fit accord, offrit son aide et ses cartouches. Le lendemain, il devrait se rendre dans son village et attaquer tous les ennemis qui emprunteraient la route reliant Doumé à son fief. Dans la nuit, Sussiek apprit que le plan de Nkal Mentsouga n'était qu'une trahison. Il retira, par conséquent des hommes de Nkal Mentsouga, 46 fusils ; ensuite, il se présenta ainsi que sa section et les autres chefs qui l'accompagnaient à Hauptman. L'interrogatoire auquel celui-ci procéda immédiatement révéla qu'à la suite d'une réquisition d'ouvriers entreprise par la circonscription, et surtout à cause de nombreux morts enregistrés au moment de la construction du pont d'Abong-Mbang, et du fait l'insécurité provoquée dans la région, 50 chefs Maka commandés par Nkal Mentsouga s'étaient réunis et avaient préparé une conspiration destinée à tuer tous les Européens et tous les soldats installés à Doumé. Il était dès lors prouvé que Nkal Mentsouga faisait partie de cette conspiration contre les Européens180(*).

Suite à ces révélations et face à cette situation, l'administration allemande réagit par des mesures draconiennes vis-à-vis des «indigènes ». Des expéditions punitives étaient organisées et les populations décimées comme le témoignent les dizaines de squelettes découverts par des paysans sur les bords du Nyong à Konaké181(*) et que nous avons examiné chez les Maka du Sud. De nombreux chefs considérés comme responsables de l'insurrection furent arrêtés et condamnés selon la loi martiale. Le vieux Nkal Mentsouga n'échappa pas à ce destin. Arrêté, il fut pendu publiquement devant la station de Doumé avec Okang, Ngoen, Bobele, Bonanga, Aulemaku et bien d'autres.

Le bilan de l'insurrection fut lourd pour les autochtones. De nombreuses populations furent décimées, les mesures de police furent renforcées. Pour ce qui est des pertes allemandes, le major Dominik écrit :

Les pourcentages des pertes de la compagnie sont si élevés que j'ai dû me résoudre, malgré les hésitations que le gouvernement fédéral a fait connaître à employer des guerriers de secours des tribus. Marschner avait tout d'abord refusé le recrutement d'auxiliaires. Mais, il a reconnu à juste titre qu'on ne peut pas du tout opérer sans eux, vu l'état du pays où se joue la guerre182(*).

La colonisation allemande prit fin avec la guerre de 1914-1918. Malgré la répression exercée à son encontre la population ne fut jamais totalement soumise.

* 141 C'est ainsi qu'on désigne tous les Soudanais dans la région.

* 142 ANY, TA 29, 93 Vol 8-920 F° 35-41.

* 143 ANY, TA 29, 93 Vol 8-920, F° 36-42.

* 144 Le chapitre 2ème de ce travail recèle les explications indispensables à la compréhension de cette séquence historique.

* 145 ANY, TA 29, Cote AZ93-Vol 8-920 F° 127-129.

* 146 Diktat de Versailles de juin 1919.

* 147 Les Allemands voulaient encercler le pays Maka. Il fallait aller jusqu'à Bertoua et prendre cette zone en tenaille. Le major Dominik affirme à ce propos qu'il ne fut pas possible d'attaquer les Maka par le flanc. Il fallait contourner le pays Maka.

* 148 ANY, TA Cote AZ 93 Vol 8-920 F° 127-129.

* 149 Ibid.

* 150 Ibid.

* 151 ANY, TA 29, Cote AZ 93-Vol 8-F° 126-127.

* 152 Jean Nguélé, interrogé le 26/12/2004 à Samba.

* 153 Françoise Fouba Nguélé, interrogée le 28/12/2004 à Nguélémendouka.

* 154 ANY, TA 12, Dossier 1040 F° 94-107.

* 155 ANY, TA 12, Dossier 1040 F° 93-106.

* 156 A cette époque Nanga-Eboko était dans la province de l'Est-Cameroun

* 157 ANY, TA Cote AZ 93-Vol 8-920 F° 124-126.

* 158 ANY, TA 29, Cote AZ 93-Vol 8-920 F° 127-129.

* 159 ANY, TA 29, Cote AZ 93-Vol 8-920 F° 128-129.

* 160 ANY, TA 29, cote AZ 93-Vol 8-920 F° 127-129.

* 161 Ibid.

* 162 ANY, TA 29, Cote AZ 93-920 F° 42-48.

* 163 Ibid.

* 164 ANY, TA 12, Dossier 1040 F° 94-97.

* 165 ANY, TA12, Dossier 1040 F°94-107.

* 166 Ibid.

* 167 ANY, TA12, Dossier 1040 F°93-106.

* 168 C'est une localité située à l'Est du district de Doumé

* 169 Localité située entre Doumé et Nguélémendouka

* 170 Localité située entre Doumé et Abong-Mbang

* 171 ANY, TA 171, 1908 « A travers le pays Maka au Nord-Ouest de la station de Doumé », p. 19.

* 172 Ibid.

* 173 ANY, TA-12, p.5.

* 174 ANY, TA 12.

* 175 Ibid.

* 176 Ibid.

* 177 La route qui partait d'Abong-Mbang à Yaoundé et par où passait la ligne télégraphique.

* 178 Localité située à 12 kilomètres de Nguélémendouka.

* 179 ANY, FA1/92, p. 1.

* 180 ANY, FA1/92, pp.4-5.

* 181 A Konaké petit village situé à 42 kilomètres à l'Ouest d'Abong-Mbang (Njong-Kol), se trouve une vallée pleine d'ossements humains sur les bords du Nyong. On parle du massacre de tout un village par les Allemands.

* 182 ANY, TA 13, p.90-104.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams