WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit: le cas du Rwanda

( Télécharger le fichier original )
par Claudette Chancelle Marie-Paule BILAMPASSI MOUTSATSI
Université protestante d'Afrique Centrale - Master II en paix et développement 2012
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

B. Les perceptions des Juridictions Gacaca dans la société rwandaise

La question de la neutralité ethnique est au centre des Juridictions Gacaca et à ce propos, nos interlocuteurs se sont exprimés avec des mots forts, sans trop de réserve. Pour commencer, les mots `Hutu' et `Tutsi' bien que désormais rayés des cartes d'identités143, - l'une des premières décisions du nouveau gouvernement fut d'abolir le système des cartes d'identité ethniques, qui avaient été le passeport pour la mort de tant de Tutsi pendant le génocide quand bien même que sans ces papiers, tout le monde savait qui étaient ses voisins-,

139 La compétence des juges, leur impartialité, leur capacité à comprendre et appliquer les principes directeurs régissant les juridictions Gacaca, leur indépendance vis-à-vis du politique et de toute autorité, leur représentativité apparaissent comme des facteurs important pour la crédibilité du système, sans laquelle les représentations des Juridictions Gacaca sont fragilisées.

140 Les Juridictions Gacaca ont été présentées comme une alternative aux juridictions classiques, plus proches du citoyen, plus rapides et plus efficaces. Le bon déroulement des séances, la présence de tout le monde, le respect des échéances qui en découle seront déterminants pour la vraisemblance du système, l'expérience de leur localité aura un impact direct sur la représentation des acteurs.

141 Le bon déroulement du témoignage, la prise en compte des traumatismes et des blessures des témoins, leur sécurité avant, pendant et après les témoignages, la capacité d'identifier et punir les faux témoignages apparaissent aussi comme des facteurs importants.

142 Le bon déroulement des aveux, la dignité du traitement des prévenus, leur sécurité avant, pendant et après les aveux, la capacité d'identifier et punir les aveux partiels ou complètement mensongers semblent également être des facteurs importants nous permettons de répondre à notre question).

143 L'inscription de l'appartenance ethnique sur les cartes d'identité avait été rendue obligatoire lors de la colonisation belge.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

remplacés par le mot `Rwandais' dans les écoles, ces mots font un peu figure de tabou dans le Rwanda de l'après génocide. A ce propos, cité par un rapport de recherche sur la Gacaca, Ervin Staub, spécialiste en psychologie du génocide souligne :

Les facteurs qui ont contribué à l'émergence du génocide n'ont pas disparu. Travailler sur les changements psychologiques constitue un besoin urgent, au moment où la notion problématique d'unité nie l'existence de Hutu et de Tutsi. Mon hypothèse est que cela n'aide pas (...). Le problème avec cette notion du `Tous Rwandais', c'est qu'elle étouffe l'expression144.

En effet, l'argument, aussi important soit-il, selon lequel il faut combattre les idées divisionnistes au profit d'une politique d'unité et de réconciliation, risque de conduire, de manière générale, et plus particulièrement dans le processus Gacaca, à prohiber toute discussion sur la façon dont la population perçoit la question de l'identité ethnique. Or, un tel environnement est susceptible de créer un frein à la mise en oeuvre d'une justice participative qui suppose une reconnaissance de la liberté d'expression. Bien que la variable ethnique soit occultée dans le processus des Juridictions Gacaca, notre expérience sur le terrain, nous a permis d'intégrer celle-ci dans notre analyse pour appréhender et comprendre les craintes, les besoins, intérêts, espoirs, etc. des différents rwandais. Ce qui est vrai c'est que la réalité sociale rwandaise est encore aujourd'hui tributaire de son histoire et par conséquent, d'un vécu relatif à ce clivage Hutu/Tutsi. L'association Hutu égal criminel potentiel reste dans certains esprits. Une rescapée du génocide nous souligne :

Parmi mes enfants, il y en a qui connaissent la vérité, je ne leur cache pas ce que ces gens-là ont fait. Je leur dis ouvertement qu'ils sont mauvais, qu'ils ont tué les leurs, qu'il faut faire attention. Je prends tous les groupes de ces gens-là de malfaiteurs. Nos enfants se mélangent entre groupes, mais se méfient. A l'extérieur, ça ne se voit pas, mais au fond des choses, nos enfants grandissent dans un climat de conflit et c'est inévitable pour moi. C'est la conséquence du génocide. Je ne sais pas si les générations futures pourront s'entendre comme dans le passé. Peut être qu'une fois que la génération qui a connu le génocide sera dépassée, cela pourra aller avec le temps et les nouveaux enfants. Mais le problème, c'est que les histoires de vie se transmettent.145

Cette rescapée met en exergue le premier pilier de la justice transitionnelle : le droit de savoir. D'après les actes de la Deuxième conférence sur la justice transitionnelle, La Justice transitionnelle : une voie vers la réconciliation et la construction d'une paix durable, le droit de savoir se décline selon trois axes : le droit inaliénable à la vérité, le devoir de mémoire et le

144 Rapport de recherche sur la Gacaca. Rapport V., sd., p. 40.

145 Entretien à Kigali, 27 février 2012.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

droit de savoir des victimes. Les propos de la rescapée s'inscrivent plus sur le droit inaliénable à la vérité qui traduit le droit pour chaque peuple ou personne de connaitre la vérité sur les événements passés relatifs à la perpétration des crimes odieux. C'est aussi le droit de connaître la vérité sur les circonstances et les raisons qui ont conduit à la perpétration de ces crimes.

De plus, lorsqu'on aborde la question des Juridictions Gacaca, il est clair que, dans l'esprit général, ces juridictions sont destinées principalement aux crimes commis en 1994. Elles sont liées a priori aux crimes des Hutus contre les Tutsis. Dès lors, les Juridictions Gacaca ne sont elles pas perçues par les Tutsis comme un instrument de revanche et par les Hutus comme un instrument de vengeance à leur égard ? Le statut d'instrument neutre et impartial est-il vraiment exact ? Pour répondre à ces interrogations, nous soulignons tout d'abord que les Juridictions Gacaca sont compétentes pour juger uniquement les crimes de génocide dont la minorité tutsie et des opposants hutus ont été la cible. Les crimes de guerre commis par les soldats tutsis du Front Patriotique Rwandais (FPR) et les actes de vengeance, relèvent des tribunaux militaires ou des juridictions classiques. Force est de constater cependant que si les autorités reconnaissent les violations du FPR et les actes de vengeance, elles ne se donnent cependant pas les moyens de les juger. Parmi les victimes du génocide figurent des centaines de milliers de Tutsis mais aussi des Hutus qui ont voulu se démarquer des génocidaires. Ces derniers, comme nous venons de le préciser, sont destinés à être défendus par les Juridictions Gacaca au même titre que les premiers. En d'autres termes, même s'il n'y a pas de mention explicite sur le fait que les poursuites et les jugements des crimes se feront au bénéfice de toutes les victimes, indépendamment de leur appartenance ethnique, la neutralité et l'impartialité des Juridictions Gacaca concernant les victimes du génocide sont implicitement instituées.

Toutefois, certaines rescapées mettent leur espoir dans les Gacaca. Pour elles, ces juridictions sont un vecteur de paix et de réconciliation. Une rescapée souligne : « Aux réunions, j'ai pu connaître à travers les témoignages des prisonniers, les lieux où on a mis les membres de ma famille. J'ai pu en ré-enterrer quatre au mémorial de Gigosi. C'est peu mais grâce aux aveux, je sais quand même pour quatre »146.

Mais, bien de nos entretiens avec la population rwandaise fondent plus d'espoir sur les Juridictions Gacaca comme instrument de réconciliation entre les Hutus et les Tutsis. Bien

146 Entretien à Kigali, 22 février 2012.

La mobilisation de la démarche judiciaire dans le processus de justice transitionnelle en sociétés post-conflit : le cas du Rwanda.

que de façon générale, les Hutu perçoivent les Juridictions Gacaca soit comme un instrument de vengeance à leur égard, soit comme une opportunité de se faire pardonner, la libération de prisonniers innocentés semble être perçue comme une démonstration de rigueur et d'équité. Un prisonnier bien âgé souligne avec émotion : « Après ces événements horribles, c'était nécessaire qu'on puisse entreprendre quelque chose comme Gacaca pour juger. J'ai été innocenté grâce à la Gacaca et c'est pour cette raison que je pense que Gacaca est importante car cela peut rendre justice. Gacaca favorise la justice et pourra aider les gens à vivre ensemble »147. De plus, les Gacaca sont fortement orientés vers les principes de vérité, de pardon et de réconciliation.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite