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D'Orphée et des poètes noirs de l'Anthologie ou les raisons d'une comparaison imagologique

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par Mor Anta Kandji
Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maà®trise 2006
  

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UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP DE DAKAR

FACULTE DE LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT DE LETTRES MODERNES

MEMOIRE DE MAITRISE

D'ORPHEE ET DES POETES NOIRS DE

L'ANTHOLOGIE OU LES RAISONS D'UNE

COMPARAISON IMAGOLOGIQUE

Présenté par : Sous la direction du

Mor Anta KANDJI Pr MAMADOU BA

Université Cheikh Anta DIOP de DAKAR

Année académique 2005 -2006

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Dédicace

A toutes les personnes qui, par leur soutien, leur compréhension, leur encouragements et leur

rigueur ont contribué à rendre possible ce travail, je dédie cette recherche.

Il s'agit de :

- mes parents,

qu'Allah, le Maître de l'Univers, illumine leur séjour éternel !

- mes épouses,

Mariama GUEYE, Ndèye Diarra MBAYE et Khady Thiaw

que se raffermisse davantage leur amitié dont ma personne reste le bienheureux complice !

- mon grand frère

M. Mamadou Baïdy DIENG,

qu'il trouve ici la reconnaissance d'avoir fait de moi un ami !

- mes enfants,

Bidi, Joe, Yaye Fatou, Ndèye Marie, Ndèye Sokhna, Sokhna Mai, Bébé Diarra,;

qu'ils continuent d'être un motif de fierté, de satisfaction dans la famille !

- mes amis,

pour leur fidélité.

Je tiens, parmi ces gens, à distinguer en particulier mon Directeur de mémoire, pour la disponibilité dont il a fait preuve, la vigilance et la rigueur avec lesquelles il a conduit cette recherche.

3

Mes remerciements

Ils sont adressés à :

- M. Moustapha Thialaw Diop, mon Conseiller Pédagogique national, pour son

soutien et son assistance à tous mes projets.

- M. Mamadou Baïdy DIENG, Coordonnateur du P.R.F. / Kaolack, parce qu'il m'a ouvert la section littérature de sa bibliothèque personnelle.

- mes collègues Conseillers pédagogiques du Pôle Régional de Formation de Kaolack, parce qu'ils ont tout fait et tout mis à ma disposition pour que rien ne puisse constituer un obstacle à l'aboutissement de ce travail.

- M. Dembo SADIO, Professeur de Lettres modernes au Lycée Valdiodio Ndiaye de Kaolack, un frère qui a toujours accordé un intérêt particulier à toutes mes initiatives.

- mon Directeur de Mémoire pour l'attention qu'il a su accorder à ce travail dont il a bien voulu qu'il soit une contribution à l'hommage rendu cette année, sur le plan international, au défunt poète-président, Léopold Sédar SENGHOR (1906 - 2003), qui aurait fêté le 9 octobre dernier ses cent ans parmi nous.

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INTRODUCTION GENERALE

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Une certaine lecture de « Orphée noir » de Jean - Paul Sartre, de cette Préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française1 de Léopold Sédar Senghor, a permis de nous interroger sur un certain nombre de rapports dont la pertinence impose au lecteur que nous sommes certaines appréciations.

Quel rapport y a-t-il entre le titre de la Préface et la lecture critique de la poésie nègre et malgache que propose le philosophe français ? entre Orphée, ce personnage de la mythologie gréco-romaine et les poètes que nous présente Senghor dans son oeuvre ?

C'est à ces genres de rapports que nous nous sommes intéressé, des rapports qui se dégagent déjà des titres du texte de Jean-Paul Sartre et de l'oeuvre du poète sénégalais, parce que « noir » et « nègre » se rejoignent, du moins, dans la perspective imagologique2 qui a effectivement influencé l'intitulé à travers lequel nous avons voulu présenter notre sujet.

Nous nous sommes donc rendu compte que le projet de Orphée de descendre aux Enfers pour récupérer sa femme, rappelle celui des poètes nègres qui, dans leur désir de retrouver l'Afrique originelle, initient un mouvement de descente aux sources, même s'il est, pour eux, seulement spirituel, comparé à l'expérience vécue de l'époux d'Eurydice.

C'est le rapprochement de ces deux expériences, la descente aux Enfers et la descente aux sources, qui a inspiré le titre que porte le sujet de notre mémoire de maîtrise, D'Orphée et des poètes noirs de l'Anthologie ou les raisons d'une comparaison imagologique.

1 Senghor (L.S.), Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, PUF, 1948

2 Dans sa Préface à l'ouvrage de Léon Fanoudh-Siefer, Le Mythe du Nègre et de l'Afrique dans la littérature française de 1800 à la 2ème Guerre mondiale (NEA, 1980), p.9, Guy Michaud définit l'imagologie comme cette branche de la littérature comparée qui étudie à travers les documents écrits la représentation que les peuples se font les uns des autres.

En cela, elle permet, par rapport à nos préoccupations, de mettre en évidence certaines images de l'Afrique et de l'Occident, à travers la lecture comparative de la descente aux Enfers de Orphée et de la descente aux sources initiée - même si c'est d'une manière spirituelle - par les poètes noirs de l'Anthologie.

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En effet, il s'agit, à travers ce sujet, de convoquer, dans l'analyse, des niveaux qui permettent de lire deux expériences, mais aussi deux aventures, à partir de la Préface de Jean-Paul Sartre et des textes que nous propose Léopold Sédar Senghor dans son Anthologie1.

Ces niveaux de comparaison, nous les avons identifiés en rapport avec la chronologie des événements, à partir de la décision prise par le héros mythologique de descendre aux Enfers pour récupérer sa femme Eurydice.

C'est ainsi que dans la première partie de notre travail, intitulé Discours colonial et poésie négro-africaine, nous avons considéré l'Afrique comme cette autre « Eurydice » que les poètes noirs de l'Anthologie veulent sortir de l' « Enfer ». En effet, c'est l'image du continent noir que le discours colonial a pendant longtemps vulgarisée dans les Métropoles. C'est un continent qui, dans la poésie négro-

africaine, est représenté comme une terre souillée, une terre qui a longtemps
souffert de l'esclavage et de la colonisation, même si les misères favorisées par ces situations historiques sont loin d'influencer négativement les auteurs dans leur volonté de revendiquer leur identité bafouée, c'est-à-dire de retrouver l'Afrique originelle.

Ce qui n'est pas sans avoir ce que nous appelons dans la deuxième partie un prix, le prix d'une rédemption , c'est-à-dire de tout désir de sauver le continent noir et ses valeurs de civilisation dans un contexte politique non encore favorable à l'émancipation des peuples noirs dans les colonies. Ce qui a d'ailleurs fait de la descente aux sources non seulement un moment de révolte, de remise en cause, par les poètes noirs de l'Anthologie, de l'ordre colonial, des violences et injustices que le Noir a connues dans ses rapports avec l'Occident, mais aussi un moment d'affirmation des valeurs nègres originelles, qui ne fait pas obstacle à leur désir de rencontrer les autres races, de fraterniser avec tous les hommes.

1 Notre corpus, dans cette recherche, est constitué de l'ensemble des textes et oeuvres des poètes de l'Anthologie (ainsi sera définitivement cité l'ouvrage de Senghor) excepté ceux des auteurs malgaches. Nous élargissons ce corpus aux poètes présentés par Marc Rombaut dans son anthologie, La Poésie négro-africaine d'expression française (Paris, Ed. Seghers, 1976), parce que Senghor dans son oeuvre n'a représenté le continent noir qu'à travers trois poètes, et seulement du Sénégal (Birago Diop, David Diop, L.S. Senghor)

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Mais comme Orphée qui a tourné la tête et vu Eurydice disparaître à ses yeux, nos poètes, dans leur quête initiatique, se sont rendu compte des écueils que constituent l'adoption dans l'expression de leurs oeuvres de la langue du colonisateur et l'assimilation dont ils se plaignent d'être les victimes, des écueils qui semblent limiter leur projet de remise en cause, voire de rejet de tout ce qui les relie à l'Occident et à ses valeurs de civilisation. C'est là une difficulté rencontrée par les « Orphées noirs » dans leur volonté de faire corps avec l'Afrique-Eurydice, c'est-à-dire l'Afrique authentique.

C'est une situation dont les conséquences sont analysées dans la troisième partie du mémoire. Dans cette partie, nous nous intéressons aux misères et splendeurs de l'aventure orphique de nos poètes.

A l'image de Orphée mis en pièces par les femmes de Thrace dont il avait, par fidélité à son épouse, refusé l'amour, les poètes noirs de l'Anthologie, du fait de l'assimilation, sont partagés entre deux civilisations, deux visions du monde, qui ont fini de faire d'eux des métis culturels. C'est une condition, a-t-on remarqué, qui n'est pas une solution à leur malaise, ni même la Civilisation de l'Universel qui est d'ailleurs beaucoup plus un idéal de vie1 qu'une réalité vécue.

C'est ce qui nous permet de constater l'échec de l'entreprise de nos poètes. En effet, l'Afrique authentique dont ils veulent retrouver le visage n'est plus. Comme Eurydice, elle a disparu à jamais, parce que les mutations, en particulier socio-économiques, dont elle a été le théâtre, ont gravement dégarni l'objet de leur quête, à savoir cette Afrique des traditions, gardienne des valeurs négro-africaines originelles.

Ces valeurs sont effectivement celles convoquées par la Négritude. C'est pourquoi, dans la quatrième et dernière partie, après avoir rappelé les définitions que les ténors ont données à l'idéologie, nous nous sommes intéressé à Jean-Paul Sartre à travers sa retentissante Préface, aux admirateurs et détracteurs de la Négritude.

1 L'édification de la Civilisation de l'Universel à l'époque, à l'image de celle de la mondialisation aujourd'hui, a suscité des inquiétudes et des interrogations.

Il est vrai que l'idéologie de la Négritude a divisé, dans son appréciation, le monde intellectuel. Elle a fait l'objet d'une critique virulente. Ce que nous avons relevé, tout comme il n'a pas été question pour nous de nier la place que l'histoire et la pratique des textes ont réservé à nos poètes, à tous ces poètes noirs dont le « panthéon » qui se confond avec leurs oeuvres, reste, d'une manière ou d'une autre, notre mémoire collective, une mémoire collective qui rappelle cette sépulture que les Muses1 ont accordée au pied de l'Olympe aux membres épars de Orphée.

Ce sont là des rapports que nous nous proposons d'éclairer davantage dans le présent travail de recherche.

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1 Filles de Zeus et de Mnémosyne (personnification de la mémoire), ce sont les déesses qui inspirent les chants et qui président aux différentes formes de la poésie. Elle sont au nombre de neuf : Clio (Histoire), Euterpe (Poésie lyrique), Thalie (Comédie), Melpomène (Tragédie), Terpsichore (Danse), Erato (Poésie érotique), Polhymnie (Hymne), Uranie (Astronomie) et Calliope (Poésie épique). Cette dernière est la mère d'Orphée.

PREMIERE PARTIE

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Discours colonial et poésie négro-africaine

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« ... tous ceux, colons et complices, qui ouvriront ce livre, croiront lire, par-dessus une épaule, des lettres qui ne leur sont pas destinées. (...) cette poésie qui parait d'abord raciale est finalement un chant de tous et pour tous. En un mot, je m'adresse ici aux blancs, et je voudrais leur expliquer ce que les noirs savent déjà : pourquoi c'est nécessairement à travers une expérience poétique que le noir, dans sa situation présente, doit prendre conscience de lui-même. »

Jean - Paul Sartre, « Orphée noir »

« Le révolutionnaire nègre est négation parce qu'il se veut pur dénuement : pour construire sa Vérité, il faut d'abord qu'il ruine celle des autres. »

Id. ibid.

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Une certaine image de l'Afrique a été pendant longtemps vulgarisée par la littérature coloniale. Nous voulons, à travers elle, saisir, pas de manière exhaustive, un discours qui a négativement présenté le continent noir, puisque, par ce fait, il a vu sa dignité bafouée, ses valeurs de civilisation mises à mort.

En portant notre intérêt à un tel discours, nous cherchons à comprendre l'Afrique à travers cette Eurydice de la mythologie, qui a perdu la vie après la morsure du serpent1. Comme elle, arrachée à Orphée, l'Afrique dans le discours colonial est représentée non sous son vrai visage mais pour répondre à l'idéal d'une politique de domination. Il s'agissait en fait pour les écrivains coloniaux2 de satisfaire la curiosité des lecteurs occidentaux en présentant, à travers des stéréotypes, le continent noir et ses hommes.

Ce refus de l'objectivité dans la représentation de l'Afrique était délibéré, puisqu'il était question, pour les uns comme pour les autres, de justifier

l'entreprise coloniale, c'est -à - dire d'aider à légitimer l'idéologie coloniale.

Ce que précise Bernard Mouralis dans son ouvrage, Littérature et développement la fonction de cette idéologie est essentiellement d'expliquer et de justifier les déterminismes internes et externes qui, dans la société du colonisateur et celle du colonisé, ont permis et rendent légitimes l'établissement de la situation coloniale »3.

C'est contre cette idéologie que vont se dresser les poètes de l'Anthologie de Léopold Sédar Senghor Dans leurs textes, ils procèdent à la remise en cause du discours colonial et cherchent, par la dénonciation et la révolte, à rétablir le vrai visage de l'Afrique, par conséquent le vrai visage de

1 Poursuivie par le berger Aristé qui était amoureuse d'elle, Eurydice a été mordue par un serpent. Elle mourut. Las de pleurer et ne pouvant supporter son absence, Orphée, son époux obtint de Zeus la permission d'aller la réclamer à Pluton , dieu des Enfers.

2 Essentiellement des voyageurs, des agents métropolitains, des fonctionnaires de l'administration coloniale.

3 Mouralis (Bernard), Littérature et développement, Paris, Edit. Silex, 1984, p. 21

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cette nymphe dont la beauté, parce qu'elle se doit d'être recouvrée, mobilise, et à l'unisson, tous les « Orphées noirs ».

En effet nous pensons que la poésie négro-africaine, surtout pour l'époque qui nous intéresse, est essentiellement une poésie militante, autrement dit une poésie qui lutte pour la réhabilitation des Noirs, leur dignité en tant qu'hommes à part entière, en un mot pour la libération de l'Afrique.

Chapitre I

L'Afrique dans le discours colonial

I.1 Le pays et son paysage

La littérature coloniale s'est largement plu à présenter le continent noir comme une terre de perdition et de déchéance. Dans Littérature nègre1 Jacques Chevrier a beaucoup insisté sur cet aspect très important de la thématique des oeuvres romanesques de l'époque, comme Tartarin de Tarascon (1872) d'Alphonse Daudet, Le Roman d'un Spahi (1881) de Pierre Loti et Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant. « Le héros romanesque de toutes ces oeuvres, écrit-il, est le soldat français exilé, dont la présence n'est le plus souvent qu'un prétexte permettant de dévoiler le monde malsain de la colonie... ».2

Ce monde malsain de la colonie, comme l'a si bien indiqué Léon Fanoudh-Siefer3, est largement décrit par Pierre Loti. L'Afrique, pour cet auteur, est un monde de fauves, un « continent brûlé par (un) soleil »4 implacable, un « pays de mort ».5

C'est d'ailleurs la peinture du Sénégal qu'il fait dans une des pages du Roman d'un Spahi : « Le Sénégal de Faidherbe, avec son morne ennui, ses midis écrasants de lumière inexorable et de silence, la mélancolie de ses

1 Chevrier (Jacques), Littérature nègre, Paris, A. Colin, 1984

2 Chevrier (J.), op.cit, p.17

3 Fanoudh - Siefer (Léon), Le Mythe du Négre et de l'Afrique noire dans la littérature française de 1800 à la 2ème Guerre mondiale, op.cit.

4 Fanoudh - Siefer (Léon), op.cit, p.64

5 Fanoudh - Siefer (Léon), op.cit, p.64

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crépuscules, la tristesse des nuits qu'emplit le cri des chacals et des hyènes »1.

Rien ne semble épargné dans le paysage de l'Afrique, représenté par Pierre Loti. Tout est étrange sur cette terre d'Afrique de la chaleur qui compromet la santé physique au monde des animaux sinistres, en passant par la végétation « luxuriante et écrasante où grouille et fourmille dans des marécages traîtres, un monde de reptiles et d'animaux terribles »2.

L'Afrique que décrit en effet Loti est une Afrique qui fait peur, surtout par « (sa) végétation imposante, sa verdure épaisse, touffue, mais qui ne rassure pas plus que les sables du désert, tant elle impressionne, tant elle écrase l'homme »3.

Cette description, précise Léon Fanoudh - Siefer, est celle de la région des rivières du Sud, vers la Guinée. En effet les rivières et les forêts, celles africaines en particulier, constituent des zones qui n'ont rien de rassurant. Elles symbolisent, aussi bien dans le roman de Loti que dans le mythe, le danger, celui-là même qui a entraîné la mort d'Eurydice, cette nymphe des forêts mordue par un serpent caché dans l'herbe au bord d'une rivière.

En effet l'Afrique de Pierre Loti, qui apparaît dans Le Roman d'un Spahi4, avec ses reptiles, les moustiques de ses grands marais fétides, est une Afrique noire désolée, épouvantable, étrange, mystérieuse, infernale, une terre de mélancolie et de mort. C'est la terre de Cham, une terre maudite et oubliée de Dieu.

1 Loti (Pierre), Le Roman d'un Spahi, cité par Fanoudh - Siefer (Léon), Le Mythe du Négre et de l'Afrique noire dans la littérature française de 1800 à la 2ème Guerre mondiale , op.cit, p.64

2 Fanoudh - Siefer (Léon), op.-cit., p.75

3 Fanoudh - Siefer (Léon), op.-cit., p.76

4 Loti (Pierre), op. cit.

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I.2. Le pays et ses hommes

La littérature coloniale est une justification de la « mission rédemptrice de l'Occident »1, mission qui se veut une réponse aux images infernales véhiculées par les oeuvres d'un certain nombre de romanciers.

Jacques Chevrier dans le n° 90 de Notre Librairie2 rappelle l'expérience du voyage en Afrique des héros romanesques de l'époque : « ... le voyage au coeur de l'Afrique s'effectue le plus souvent par la remontée d'un fleuve qui fait inéluctablement songer à l'Achéron, le fleuve des Enfers conduisant aux sombres demeures d'Hadès »3.

L'Afrique, ainsi présentée aux lecteurs occidentaux, est un monde mystérieux, un monde obscur. Comme dans les Enfers, ce lieu de séjour des âmes maudites, ce pays de l'ombre, le continent noir est habité par des hommes qui vivent dans les ténèbres.

Les ténèbres, les ombres renvoient au mythe, car Orphée, après la permission des dieux d'aller récupérer sa femme, descend aux Enfers et trouve Eurydice parmi les ombres dans le domaine du Tartare4. En effet le Tartare dans le « Livre VI » de L'Enéide (30 - 19 av. J.C) de Virgile est une région sans joie, une région triste, sombre où coulent les fleuves maudits et empoisonnés de l'Achéron, du Pyriphlégéton5, du Cocyte et du Styx. Il est envahi, comme le décrit Fénelon dans le « Livre quatorzième » des Aventures de Télémaque

(1699) , d'une fumée noire et épaisse qui couvre un fleuve de feu (le
Phlégéton) et des tourbillons de flammes bruissants qui font qu'on ne peut rien entendre de cet empire des damnés.

C'est dire que les Enfers dans la mythologie gréco-romaine comme l'enfer représenté par Dante dans La Divine Comédie (1307 - 1327), sont un

1 Chevrier (Jacques), « Les romans coloniaux, enfer ou paradis ? », « Images du Noir dans la littérature occidentale », Vol I « Du Moyen-âge à la conquête coloniale », dans Notre Librairie , N°90 Octobre - Décembre 1987. p. 62

2 Chevrier (Jacques), in Notre Librairie n°90, op.cit.

3 Chevrier (Jacques), dans Notre Librairie N°90, p.63

4 Le Tartare s'oppose dans la mythologie aux Champs Elysées, domaine des bienheureux.

5 Pyriphlégéton ou Phlégéton

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lieu de supplice, un lieu qui ne garantit aux âmes qui le peuplent aucune espérance. Ce que rappelle par ailleurs ce soleil d'Afrique : «un soleil implacable dont les morsures ne peuvent être que mortelles, surtout pour un Européen. Un soleil qui ne revigore pas, mais engourdit les sens et les facultés, qui plonge l'homme dans la torpeur, dans un état d'atonie totale propice aux obsessions, au désespoir... ».1

A travers ces images entretenues par la littérature coloniale, Léon Fanoudh - Siefer relève une fois de plus cette mythologie infernale que les romanciers ont développée sur le continent noir et ses hommes. Pour eux « si l'enfer est le lieu des ténèbres, il est également le foyer d'un intense brasier »2 qui fait du continent non seulement un pays d'exil où le destin fait échouer les Européens mais surtout une terre de Cham, parce que considérée par la littérature coloniale comme une terre affectée par l' « antique malédiction, qui contribue à marquer et à renforcer l'atmosphère à la fois macabre et démoniaque que les romanciers distillent à dose variable dans leur présentation de l'Afrique ».3

Chapitre II

Le continent noir dans la poésie négro-africaine

La littérature coloniale a largement vulgarisé une image absolument négative du

continent noir. Les poètes noirs de la diaspora comme ceux de l' « Afrique
noire » ont dans leurs oeuvres tenté de corriger cette représentation de l'Afrique en développant un discours en rapport avec leur situation historique.

II.1 Les poètes de la diaspora et l'image de l'Afrique

II.1.1 Une expression nostalgique

La nostalgie du continent noir est un thème majeur dans la poésie négro-africaine, en particulier dans les oeuvres des poètes de la diaspora. Elle semble

1 Fanoudh - Siefer (Léon), op. cit. p.64

2 Chevrier (Jacques), dans Notre librairie n°90, op.cit, p.16

3 Chevrier (Jacques), dans Notre librairie, n°90, op.cit, p.65

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cristalliser tous les discours, comme aussi toutes les manifestations qui ont aidé en Amérique, aux Antilles, à entretenir une image positive de l'Afrique.

En fait il s'agissait pour les auteurs de réagir contre l'idéologie esclavagiste, c'est-à-dire d'opposer le continent noir aux réalités d'un vécu de tensions sociales, de discrimination raciale.

A remarquer que les poètes de la diaspora que nous évoquons ici n'ont souvent, au moment où paraissent leurs oeuvres, qu'une connaissance livresque de l'Afrique, de cette Afrique-là même dont parlent certains explorateurs et ethnologues avertis. Le continent noir, pour eux, est non seulement une patrie mais surtout « le lieu même où se subliment l'espoir et la foi de l'homme »1 « une terre de bonheur infini »2, celui d'un peuple qui vivait, comme le disait Aimé Césaire, « sous les hautes futaies de l'innocence »3 .

L'Afrique, dans l'imaginaire des auteurs, est un paysage qui rappelle le paradis perdu. C'est l'origine, la terre des Ancêtres que René Belance revendique dans son poème « Couvercle » :

« Je porte en mes yeux la nostalgie de mes déserts perdus. J'ai mes racines lointaines que perd la frondaison.»4.

En effet, le monde lointain des Ancêtres dont parlent les poètes se présente comme un univers de traditions harmonieuses5. C'est un univers dont l'évocation « réveille l'espérance »6, en un mot toute une mythologie sur l'Afrique, chargée d'images qui renvoient aux idées de résurrection, de rédemption, idées chères à ces poètes noirs « déportés aux Etats-Unis et aux Antilles »7.

1 Nkashama (Pius Ngandu), La littérature africaine écrite, Paris, Ed. Saint-Paul, Coll. Comprendre, 1979, p.27

2 Nkashama (Pius Ngandu), op.cit., p.27

3 Césaire (Aimé), Soleil Cou coupé, 1948, « La pluie », in Anthologie de L. S. Senghor, op.cit., p.74

4 Belance (René), Luminaires, 1941, « Couvercle », poème in Anthologie de L. S. Senghor, op.cit., p.130 5Nkashama (Pius Ngandu), op.cit., pp.23 - 24 6Nkashama (Pius Ngandu), op.cit., p. 24 7 Nkashama (Pius Ngandu), op.cit., p. 27

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II.1.2. L'ombre de l'esclavage

Cette image de l'Afrique apparaît aussi à travers la représentation que les poètes ont faite de l'esclavage. Celui-ci, autant dans ses violences que dans ses conséquences, surtout humaines, occupe une place centrale dans la thématique des oeuvres.

Il est vrai qu' « aucun écrivain négro-africain n'a fait l'expérience de l'esclavage dans son corps et dans son âme »1. Cependant, qu'il soit d'Afrique, d'Amérique ou des Antilles, chacun, d'une manière ou d'une autre, a parlé de cette réalité historique douloureuse.

Avec ses conséquences sociales particulières en Amérique et aux Antilles, la traite négrière dans la poésie de la diaspora se présente comme une situation qui a fini de faire des Noirs une humanité à part. Dans les poèmes, ce sont les drames que la discrimination raciale a favorisés qui ont surtout retenu l'attention des auteurs.

En effet l'esclavage apparaît comme une blessure de l'histoire, une

humiliation qui a aidé à entretenir chez l'homme de couleur le sentiment d'être

bafoué dans sa dignité. En fait il est marqué, dans les rapports entre l'Afrique,

l'Europe et l'Amérique, par la violence, cette violence dont parle Léon-Gontran

Damas dans Pigments2, où un Nègre, à travers une complainte, rappelle les

réalités douloureuses de cette page de l'histoire.

«Les jours inexorablement tristes jamais n'ont

cessé d'être à la mémoire de ce que fut

ma vie tronquée

Va encore mon hébétude du temps jadis

de

coups de corde noueux de corps calcinés

de l'orteil au dos calcinés

de chair morte de tisons de fer rouge de bras

1 Mboukou (J.P. Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, Abidjan, NEA, 1985, p.26

2 Damas (L.G.), Pigments, Paris, GLM Editeur,1937

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brisés sous le fouet qui se déchaîne sous le fouet qui

fait

marcher la plantation s'abreuver de sang

de mon sang de sang la sucrerie

et la bouffarde du commandeur crâner au ciel »1.

Ce tableau des misères de l'esclavage a amené les poètes à entretenir, dans le rejet des valeurs de civilisation non africaines, le sentiment de leur différence, puisqu'ils se sont rendu compte, comme Aimé Césaire, que « le blanc est la juste force controversée du noir »2.

Dans leurs oeuvres poétiques, des auteurs comme Damas, Guy Tirolien, Léon Laleau, pour ne citer que ceux-là, ont dénoncé, à travers ses valeurs, le monde blanc, d'ailleurs présenté par Paul Niger comme une terre de Pénitence3, parce qu'à l'opposé de cette terre d'Afrique où « un peuple en marche promissoire », 4 des hommes qui enseignent l'amour, oeuvrent pour réaliser le rêve d'une fraternité universelle.

II.2 Représentation du continent noir chez les poètes de l' «Afrique noire »

II.2.1 Une expression réaliste

L'Afrique que présentent les écrivains appelés dans le cadre de cette recherche poètes de l' « Afrique noire » (cf. Table des matières de l'Anthologie de L.S. Senghor), est la terre natale des auteurs, c'est-à-dire un continent que l'on a connu après y être né et y avoir grandi avant de le quitter à un moment déterminé de sa vie.

Le réel qu'ils convoquent dans leur représentation fait qu'ils ne parlent pas du continent comme l'ont fait les poètes de la diaspora, même s'il y a dans les oeuvres de ces derniers, par endroits, des traits de réalisme qui recoupent certainement nos préoccupations.

1 Damas (L.G.), Pigments, « La complainte du nègre », in Anthologie de L. L. S. Senghor, op.cit. pp.10 - 11

2 Césaire (Aimé), Soleil Cou coupé, « Couteaux midi », in Anthologie de L.S. Senghor, p.77

3 Niger (Paul), Initiation, 1944, « Je n'aime pas l'Afrique », in Anthologie de L.S. Senghor, p.97

4 Niger (Paul), op.cit p.99

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A ce titre, il convient de relever l'image de l'Afrique que laisse entrevoir le poème de Paul Niger, « Je n'aime pas l'Afrique ». Nous ne la retenons pas, parce que nous pensons qu'elle a toute l'allure d'un pastiche, du pastiche du roman colonial. Ce que d'ailleurs indique le titre du poème, puisque l'auteur a pris le soin de dire à son lecteur qu'il n'aime pas cette Afrique-là1, car l'Afrique dont il veut parler est « une terre de Rédemption »2 « une terre de grandeur »3, une terre où les hommes sont réellement des hommes.

En réalité, même les poètes de l' «Afrique noire » n'ont pas échappé à pareille représentation de l'Afrique. Senghor, en évoquant dans « Femme noire » cette Eurydice - Afrique, parle d'une « Terre promise »4. Son village natal, Joal, écrit Gusine Gawdat Osman, est « synonyme de paradis. Cet espace paradisiaque de l'Enfant du Royaume de Sine, rejoint ainsi l'Eden révolu de tout son continent, dans ses premiers temps, où ses ancêtres (...) vivaient dans la paix et dans la prospérité, au sein d'une nature foncièrement accueillante »5.

C'est à cette Afrique des Ancêtres que fait référence Joseph Miézan

Bognini dans son recueil de poèmes Ce dur appel de l'espoir, une Afrique de

liberté, de paix et d'espoir dont il annonce le retour avec la victoire sur les

injustices de l'histoire.

« Afrique - c'est ma couronne de paix !

La paix d'un monde épanoui.

Afrique - l'étoile qui gicle

Dans la montagne

La flamme qui jaillira demain. »6

1 L'Afrique de la désolation, de la mort.

2 Niger (Paul), op.cit., « je n'aime pas l'Afrique », in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p.99

3 Niger (Paul), op. cit., « je n'aime pas l'Afrique » , in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p.98

4 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945, « Femme noire », in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p.151

5 Osman (Gusine Gawdat), L'Afrique dans l'univers poétique de Léopold Sédar Senghor, Dakar, NEA, 1978, p.183

6 Bognini (Joseph Miézan), Ce dur appel de l'espoir, 1960, in La Poésie négro-africaine d'expression française de Marc Rombaut, Paris, Ed. Séghers, 1976, p.71

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Ces évocations nostalgiques n'enlèvent rien au réalisme1 dont les poètes ici considérés ont fait montre dans leur représentation de l'Afrique. Dans les poèmes, le paysage a particulièrement retenu l'attention des auteurs. Il est évoqué dans ce qu'il a de spécifique, de caractéristique pour le continent. Dans « Neige sur Paris », Senghor s'en prend à l'Occident pour avoir détruit les forêts africaines. En effet ni le pardon, ni l'oubli manifestés tout au long du poème ne l'empêchent de pointer un doigt accusateur sur

« Les mains blanches qui abattirent la forêt de rôniers, qui dominait l'Afrique, au centre de l'Afrique

(Celles qui) abattirent la forêt noire pour en faire les traverses de chemin de fer

(Celles qui) abattirent les forêts d'Afrique pour sauver la Civilisation parce qu'on manquait de matière première humaine 2

Ce paysage, parmi d'autres réalités3, tout comme les expériences individuellement vécues par les poètes dans le terroir natal, rendent compte d'une image du continent noir opposée à celle vulgarisée par la littérature coloniale. Il s'agit, dans le sillage de la Négritude, de manifester la présence des Noirs dans le monde, et comme le dit Senghor, de « manifest(er) l'Afrique ».4

C'est un réalisme qui est caractéristique des oeuvres des poètes de l'«Afrique noire ». Gusine Gawdat Osman en a parlé, et plus exactement à propos de l'Afrique que présente la poésie de Léopold Sédar Senghor : «Cette Afrique se manifeste dans son oeuvre comme il l'a toujours voulu et sa vision du continent noir n'est pas pure invention ou exotisme. Quand le poète d'Hosties noires parle des palmes, de la tornade, ou des hommes de la danse, il ne fait pas appel à son imagination, il n'invente rien, ce sont des réalités

1 Nous pensons à David Diop qui est né à Bordeaux et à Tchicaya U'Tamsi qui est arrivé très jeune en France.

2 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945, in OEuvre poétique, Paris, Ed. Seuil, 1990, p.22

3 En rapport avec la nature, avec la vie sociale, religieuse et politique.

4 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945, « A la mort », in OEuvre poétique, op. cit. , p.26 («...je manifesterai l'Afrique comme le sculpteur de masques au regard intense »)

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tangibles qu'il connaît fort bien, qu'il a vues, qu'il a "vécues" . L'univers poétique ne fait que transposer par l'écriture sa réalité quotidienne »1.

A cette réalité quotidienne appartiennent aussi les Ancêtres « ceux qui

sont morts (et qui) ne sont jamais partis, » parce qu'ils

« ne sont pas sous la terre :

ils sont dans l'ombre qui frémit,

ils sont dans le bois qui gémit,

ils sont dans l'eau qui coule,

ils sont dans l'eau qui dort,

ils sont dans la case, ils sont dans la foule.»2

C'est « une croyance fortement ancrée chez le Négro-africain »3, une vision du monde, écrit Amadou Ly, qui, à travers « le souffle des ancêtres (...) continue de féconder toutes les activités des Africains »4.

Comme les Ancêtres, les héros de l'Afrique ancienne ont permis aux poètes de parler du continent et de son passé. A travers les personnages de l'Almamy Samory Touré, de Lat-Dior, de Chaka, de Béhanzin, ils ont cherché à réhabiliter les figures de l'histoire africaine, les héros qui ont lutté pour la libération de l'Afrique, des héros présentés alors par le colonisateur comme « des tyrans, des "monstres sanguinaires"et des brigands »5.

C'est là une peinture de l'Afrique qui a seulement privilégié quelques traits du réalisme des oeuvres poétiques publiées pour la période qui nous intéresse. Ce n'est pas une simple évocation nostalgique, mais une présentation objective de l'Afrique, de ses hommes, de ses réalités, mais aussi de ses valeurs de civilisation.

1 Osman (G.G.), L'Afrique dans l'univers poétique de Léopold Sédar Senghor, op.cit., p.10

2 Diop (Birago), Leurre et Lueurs, 1960, « Souffles », in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit. p.145

3 LY (Amadou), « Le souffle des ancêtres » , art. in Notre Librairie N°68, « Approche historique et thématique des littératures africaines », Janvier-Avril 1983, p.37

4 LY (Amadou), art. cit., p.37

5Nkashama (Pius Ngandu), op.cit. p.29

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II.2.2 L'enfer de la situation coloniale

La situation coloniale a beaucoup inspiré les poètes de l' « Afrique noire ». En fait c'est une réalité qu'ils ont vécue dans le terroir natal ou dans l'exil de leur âme qui, dans la douleur, s'identifie aux souffrances d'une race. David Diop en est un exemple. Dans son poème « Afrique »1 , il fait de la découverte du continent une occasion de rappeler, à travers l'esclavage et la colonisation, ces « souffrances vécues par les nègres »2.

C'est dire qu'en parlant ici de la situation coloniale, nous entendons apprécier seulement une expérience particulièrement vécue par les Noirs d'Afrique, d'où sont originaires les poètes que nous considérons dans cette partie de notre recherche.

Nous ne reviendrons pas, pour autant, sur tout ce qui a été dit à propos des violences et des injustices de cette société coloniale. Les historiens ont suffisamment donné des éclairages sur les massacres occasionnés par l'opposition et la résistance des populations indigènes à la politique du colonisateur. « L'occupant, écrit Joseph Ki-Zerbo, avait imposé non pas tant la paix que sa paix, (...) parce que, en raison de la puissance des armes, ses guerres de conquête et de répression avaient fait beaucoup plus de victimes que les batailles menées par les meilleurs leaders de l'Afrique n'en avaient prélevées pour créer des royaumes où régnait la paix »3.

C'est une situation que les poètes ont évoquée dans leurs oeuvres.

David Diop en a parlé dans son poème intitulé « Le temps du martyre » :

« Le Blanc a tué mon père

Car mon père était fier

Le Blanc a violé ma mère

Car ma mère était belle

1 Diop (David), « Afrique », Coups de pilon, 1956

Il ne s'agit pas dans ce poème de l'Afrique des tyrans comme représentée dans la littérature coloniale, mais de l'Afrique de la résistance, de l' « Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales », donc de cette Afrique des hommes qui luttent contre l'oppression, c'est-à-dire contre tout ce qui constitue une entrave à la liberté des peuples noirs, à la liberté de l'homme tout court.

2 Mboukou (J.P Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, Abidjan, NEA, 1985, p.33.

3 Ki- Zerbo (Joseph), Histoire de l'Afrique noire, Paris, Hatier, 1972, p.425

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Le Blanc a courbé mon frère

Sous le soleil des routes

Car mon frère était fort

Puis Le Blanc a tourné vers moi

Ses mains rouges de sang

Noir

M'a craché son mépris au visage »1

C'est ce mépris dont les Noirs sont l'objet qui est à l'origine de la coexistence non pacifique entre les deux races. Il a non seulement fait des Nègres une humanité à part par rapport à une humanité supérieure, favorisé des comportements racistes, mais aussi permis à l'homme noir de prendre conscience de sa différence, et par conséquent de dénoncer l'Occident et ses valeurs de civilisation.

En fait la société coloniale est une société qui refuse toute dignité humaine aux Noirs. Dans les poèmes, elle rappelle pour l'homme de couleur la misère, le désespoir, la prison et la mort, faisant ainsi de l'Afrique une terre de populations opprimées, donc des Nègres :

« Le Peuple que l'on traîne

le Peuple que l'on jette en pâture

Dans les champs avides de boucherie

Le Peuple qui se tait

Quand il doit hurler

Hurle

Quand il doit se taire

Le Peuple lourd de siècle de servitude

Sur ses épaules de bon géant

Le Peuple que l'on caresse

Comme le serpent caresse sa proie »2

1 Diop (David), Coups de pilon, 1956, in Anthologie de L.S. Senghor, pp.174 - 175

2 Diop (David), Coups de pilon, 1956, « Peuple noir », poème cité par Mboukou (J.P. Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, op.cit., p.32

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C'est cette Afrique qui nous a intéressé dans cette première partie de notre recherche, plus précisément l'image d'une Afrique - Eurydice historiquement souillée, mais dont la beauté, même niée, rappelle celle légendaire de cette nymphe, épouse d'Orphée.

Nous avons essayé de retrouver cette image du continent noir dans le discours colonial, à travers essentiellement la littérature de l'époque. Celle-ci, parce qu'elle répondait aux motivations d'une politique de domination, présente l'Afrique à travers des stéréotypes qui réfèrent curieusement à certaines images de la mythologie infernale gréco-romaine. Le pays, le paysage et les hommes dans cette littérature coloniale, sont situés, dans un cadre où dominent essentiellement, du fait de la malédiction, le danger, la chaleur et les ténèbres.

Cette image de l'Afrique, comme nous l'avons montré, est récusée par les poètes que nous avons considérés dans notre corpus. Le continent noir dont ils parlent est une terre des origines pour les des poètes de la diaspora et une terre natale pour ceux que nous avons appelés poètes de l' « Afrique noire ».

Nous relevons cela, parce qu'il nous a paru important de distinguer deux attitudes qui ont prévalu dans la représentation qui est faite de l'Afrique. Loin d'être exclusives, ces attitudes sont complémentaires, même si nous avons reconnu particulièrement le réalisme mobilisé par les oeuvres des poètes de l' « Afrique noire » dans leur représentation du continent.

L'évocation de l'histoire répond aussi aux objectifs de l'analyse que nous avons voulu faire d'une part de l'esclavage et d'autre part de la colonisation. Ces moments du passé des Nègres ont permis la naissance d'idéologies dont les conséquences, pour avoir été contextuellement et spécifiquement mesurées, obligent les poètes à initier, ne serait-ce que par l'imaginaire, des démarches en vue de faire sortir de l'ombre cette Afrique - Eurydice dont l'image se doit d'être redorée.

Ce que, à la lumière des oeuvres des poètes noirs de l'Anthologie1, nous entendons montrer dans la deuxième partie de notre recherche.

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1 Senghor (L. S.), Anthologie, op. cit.

DEUXIEME PARTIE

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Le prix d'une rédemption

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« Il s'agit d'une quête, d'un dépouillement systématique et d'une ascèse qu'accompagne un effort continu d'approfondissement. Et je nommerai "orphique " cette poésie parce que cette inlassable descente du nègre en soi-même me fait songer à Orphée allant réclamer Eurydice à Pluton. Ainsi, par un bonheur poétique exceptionnel, c'est en (...) chantant ses colères, ses regrets ou ses détestations, en exhibant ses plaies, sa vie déchirées entre la " civilisation " et le vieux fond noir, bref en se montrant le plus lyrique, que le poète noir atteint le plus sûrement à la grande poésie collective : en ne parlant que de soi il parle pour tous les nègres. »

Jean - Paul Sartre, « Orphée noir »

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Le désir de retrouver l'Afrique dans son authenticité a amené les poètes noirs de l'Anthologie à entreprendre une descente aux Sources1. C'est une descente qui rejoint la descente aux Enfers d'Orphée, car dans leur volonté de recouvrer l'image réelle du continent noir, ils ont procédé à la dénonciation de tout ce qui est discrimination raciale, injustice, préjugés, en un mot de tous les comportements qui, dans la situation coloniale2, faisaient du Nègre une victime parce que dominé et du Blanc un bourreau parce qu'il avait avec lui la force nécessaire pour ériger en règle sa domination.

En effet les poètes ont bravé courageusement le système colonial. Leurs textes, parce qu'expression de la réhabilitation d'une race, se présentent comme un discours discordant en ce qu'ils s'opposent à un état de choses qui fait la quiétude d'une seule communauté : la communauté blanche. En fait, il s'agit pour les auteurs de manifester la volonté de libérer leur continent, le désir de le sauver, par conséquent de trouver là le sens de leur combat, tout ce qui anoblit leur mission, en un mot la justification de leurs oeuvres.

C'est là, nous semble-t-il, qu'il y a lieu de mettre en évidence le caractère « révolutionnaire »3 de la poésie noire, car c'est une poésie qui vient justement briser un mythe, celui d'un homme blanc technologiquement et intellectuellement supérieur pour être déifié.

Tout comme Orphée qui a pris des risques en allant comme vivant dans le royaume des Ombres, les poètes noirs de l'Anthologie, en défiant justement le pouvoir colonial, procèdent en même temps à la remise en cause d'une autorité qui ne permettait pas aux intellectuels noirs de « ressusciter (leur) peuple asservi »4 .

1 Nous l'avons ainsi écrit, parce que nous lui donnons le contenu et la personnification du mot Enfers dans la mythologie.

2Nous allons faire seulement référence à la colonisation, dans la mesure où la descente aux Enfers-Sources, telle que nous l'apprécions, est un acte de témoignage, donc d'engagement.

3 Sartre (J.P.), « Orphée noir », p.XII, Préface à l'Anthologie de L.S Senghor .

« La poésie noire de langue française est, de nos jours, la seule grande poésie révolutionnaire »

4 Kesteloot (Lilyan), Négritude et situation coloniale, Yaoundé, Ed. Clé, 1968, p.11

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En effet, parce qu'ils ont récupéré leur fierté1, ils vont dans leurs oeuvres assumer leur responsabilité, non seulement par rapport à une situation devenue intolérable2 , mais aussi par rapport à tout ce qui les rattache aux valeurs de civilisation occidentales.

Chapitre I

La descente aux Enfers - sources

I.1. Par l'acte révolutionnaire

Il ne s'agit pas, dans cette partie de la recherche, de revenir sur les considérations qui ont permis à Jean-Paul Sartre de relever le caractère révolutionnaire de la poésie noire. Cela est perceptible tout au début du texte de sa préface où le philosophe français a pris le soin d'indiquer au lecteur européen ce qu'il est en droit d'attendre de cette poésie.

« Qu'est-ce que donc vous espériez, quand vous ôtiez le bâillon qui fermait ces bouches noires ? Qu'elles allaient entonner vos louanges ? Ces têtes que nos pères avaient courbées jusqu'à terre par la force, pensiez-vous, quand elles se relèveraient, lire l'adoration dans leurs yeux ? Voici des hommes debout qui nous regardent et je vous souhaite de ressentir comme moi le saisissement d'être vu. Car le blanc a joui trois mille ans du privilège de voir sans qu'on ne le voie (...) (Il) éclairait la création comme une torche, dévoilait l'essence secrète et blanche des êtres. Aujourd'hui ces hommes noirs nous regardent et notre regard rentre dans nos yeux ; des torches noires, à leur tour, éclairent le monde... »3.

En effet, pour pouvoir manifester leur présence dans le monde, les poètes noirs ont d'abord volé « les armes miraculeuses »4 au Blanc, des armes miraculeuses dont ils se sont servi pour dénoncer et critiquer l'Europe et sa vision du monde.

1 L'expression est de Lilyan Kesteloot, Négritude et situation coloniale, op.cit., p.11

2 Kesteloot (Lilyan), Négritude et situation coloniale, op.cit., p.48

3 Sartre (J.P.), « Orphée noir », p.IX, in Anthologie de L.S Senghor, op.cit.

4 Titre d'un recueil de poèmes de Aimé Césaire.

A travers cette expression, on peut comprendre tous les moyens, linguistiques en particulier, que l'éducation occidentale a su mettre à la disposition des gens qui ont choisi d'être « la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche » (Cahier d'un retour au pays natal, 1939)

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En fait les poètes de l'Anthologie luttent, comme l'a montré Jean-Pierre Makouta Mboukou, pour « la libération totale de l'homme noir dans son milieu d'origine, ou "exilé", libération du corps, de l'âme, de la conscience et de son intelligence »1.

Leur poésie est une poésie de combat ; elle développe un discours qui se veut une condamnation de la colonisation, de la politique de l'administration coloniale, donc une volonté, comme dit Jean-Paul Sartre, de « briser les murailles de la culture- prison »2.

Pour ce faire, les auteurs, comme Orphée allant réclamer Eurydice à

Pluton3, opèrent une descente aux Sources, mais aussi une descente en eux-

mêmes, en exprimant, « en chantant, écrit Sartre, (leurs) colères, (leurs) regrets

ou (leurs) détestations, en exhibant (leurs) plaies »4. Autant de misères de

l'histoire que nos poètes noirs ne pardonnent pas à ceux qui ont favorisé une

telle situation. Jacques Roumain, d'ailleurs, s'en fait l'écho dans son recueil,

Bois d'ébène :

« Nous ne leur pardonnerons pas, car ils savent ce qu'ils font

Ils ont lynché John qui organisait le syndicat

Ils l'ont chassé comme un loup hagard avec des chiens à travers bois

Ils l'ont pendu en riant au tronc du vieux sycomore

Non, frères, camarades

Nous ne prierons plus

Notre révolte s'élève comme le cri de l'oiseau de tempête, au dessus du

clapotement pourri des marécages

Nous ne chanterons plus les tristes spirituals désespérés

Un autre chant jaillit de nos gorges

Nous déployons nos rouges drapeaux

Tachés du sang de nos justes

1 Mboukou (J-P. Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, op. cit. , p.55

2 Sartre (J.P.), « Orphée noir », in Anthologie de L.S Senghor, op. cit. , p.XVII

3 Il s'agit du même dieu, appelé Pluton par les Latins et Hadès par les Grecs

4 Sartre (J.P.), « Orphée noir », in Anthologie de L.S Senghor, op. cit. , p.XVII

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Sous ce signe nous marchons Debout les damnés de la terre Debout les forçats de la faim. »1

Cet appel à la révolte est très présent dans Coups de pilon2 de David Diop. L'auteur, dans un poème intitulé « Défi à la force », interpelle un frère de race, à qui il demande de refuser la situation qui lui est imposée.

«Toi qui meurs un jour comme ça sans savoir pourquoi

Toi qui luttes qui veilles pour le repos de l'autre

Relève-toi et crie : Non ! »3.

En fait la révolte, dans les oeuvres de nos poètes, est perçue comme un

passage obligé pour les Noirs qui posent le problème de la colonisation.

Décisive pour leur avenir, cette révolte scelle le rejet de l'Occident et de ses

valeurs. Elle va se manifester, promet Léon-Gontran Damas, le jour où :

« Alors je vous mettrai les pieds dans le plat

ou bien tout simplement la main au collet

de tout ce qui m'emmerde

en gros caractères

colonisation

civilisation

assimilation et la suite

En attendant vous m'entendrez souvent

claquer la porte »4.

Il s'agit d'une remise en cause systématique de l'ordre colonial, et pour parler comme Sartre, d'une entreprise de dénonciation de tout ce qui concourt à ternir l'image de l'Afrique, à compromettre la dignité des Nègres, donc d'une entreprise de démolition de tout ce qui fait obstacle à leur liberté.

1 Roumain (Jacques), Bois d'ébène, 1945, « Nouveau sermon nègre », in Anthologie de L. S. Senghor, op. cit, p.120

2 Diop (David), Coups de pilon, Paris, Présence Africaine, 1956

3 Diop (David), Coups de pilon, 1956, « Défi à la force », poème cité par J.P Makouta Mboukou, Les Grands traits de traits de la poésie négro-africaine, op. cit. p.33

4 Damas (L.-G), Pigments, 1937, « Pour sûr », poème cité in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p-12

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« ... cette démolition en esprit, écrit Jean-Paul Sartre, symbolise la grande prise d'armes future par quoi les noirs détruiront leurs chaînes »1.

I.2. Par l'affirmation des valeurs de civilisation négro-africaines

Il est important de souligner la part que les poètes noirs de l'Anthologie ont réservée au thème de la révolte. En effet, c'est un thème que la critique a l'habitude de privilégier dans l'appréciation des oeuvres poétiques négro-africaines. Ce que regrette Pius Ngandu Nkashama qui pense que cela n'est qu'une façon de « rétréci(r) le concept même d'une lecture poétique2 ».

« ...si, écrit-il, le thème de la révolte et de la violence, dans la contestation des conditions nouvelles créées en Afrique par la colonisation, a réussi à donner quelques textes littéraires importants, il ne faudra pas pour autant négliger les autres thèmes qui apparaissent dans la même poésie et qui, eux aussi, ont inspiré de nombreux ouvrages et méritent d'être commentés, tout comme la révolte»3 .

Il est vrai que ce constat est loin d'avoir influencé l'orientation que nous donnons, à ce niveau, à notre analyse. Seulement il nous a semblé intéressant de voir le traitement que les poètes noirs ont fait des thèmes de l'enracinement et de l'ouverture, parce que, avons-nous considéré, ils s'inscrivent comme le thème de la révolte, dans ce mouvement de la descente aux Enfers-Sources, d'autant plus que celui-ci exige de la part des uns et des autres un engagement, une responsabilité, mais aussi une attitude par rapport à des valeurs à défendre ou à proposer aux hommes, compte non tenu de leur appartenance raciale.

Remarquons qu'une des tendances de l'inspiration poétique dont nos textes rendent compte, c'est cette fierté que les auteurs trouvent dans la revendication de leur identité, de leur histoire, de leurs traditions. Jamais le contexte politique qui a vu l'émergence, à l'époque, d'une certaine population fortement assimilée, n'a eu raison de la passion qu'ils ont de s'identifier au passé de la race noire, aux valeurs de civilisation négro-africaines originelles.

1 Sartre (J.P.), « Orphée noir », p.XVII, in Anthologie de L.S Senghor, op. cit.

2 Nkashama (Pius Ngandu), La Littérature africaine écrite, op. cit., p.11

3 Nkashama (Pius Ngandu), La Littérature africaine écrite, op. cit., p.12

33

Dans un poème de Pigments, Léon - Gontran Damas se plaint d'avoir

perdu « ses poupées noires ». A travers elles, il réclame ainsi sa personnalité

authentique dissipée par des valeurs étrangères :

«Rendez-les moi mes poupées noires que je joue avec elles

les jeux naïfs de mon instinct

rester à l'ombre de ses bois

recouvrer mon courage

mon audace

me sentir moi-même

nouveau moi-même de ce que hier j'étais

hier

sans complexité

hier

quand est venu l'heure du déracinement »1.

C'est une situation présentée par le poète guyanais comme « un désastre »2 dans « Hoquet », poème où il met en évidence le complexe entretenu par certains hommes de couleur, à l'image de sa mère désireuse de le voir rompre avec certains comportements. En effet elle avait l'habitude de lui dire :

« les mulâtres ne font pas ça

laissez donc ça aux nègres »3.

Si Damas s'identifie, effectivement, à un monde, c'est à celui des valeurs nègres, un monde malheureusement mis à mort par les hommes de race blanche :

« ils ont cambriolé l'espace qui était le mien

la coutume les jours la vie

la chanson le rythme l'effort

1 Damas (L.-G), Pigments, 1937, « Limbe », poème cité in Anthologie de L.S. Senghor, op.cit, p-9

2 Damas (L.-G), Pigments, 1937, « Hoquet », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.15

3 Damas (L.-G), Pigments, 1937, op. cit., « Hoquet » », in Anthologie p.17

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le sentier l'eau la case

la terre enfumée grise

la sagesse les mots les palabres »1.

Guy Tirolien, de même, dans « Prière d'un petit enfant nègre » dit qu'il ne veut plus aller à l'école parce qu'il veut vivre comme son père et non imiter ces « messieurs de la ville » :

« qui ne savent plus danser au clair de lune

qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds qui ne savent plus conter les contes aux veillées »2.

En fait les poètes, dans cette revendication de la vision du monde négro-africaine, ont développé des attitudes critiques vis-à-vis des valeurs de civilisation occidentales, des préjugés entretenus à propos de l'Afrique et des Nègres d'une manière générale .

C'est donc à ce titre que Senghor, dans « Prière aux masques » récuse l'identité des Noirs inventée par les Blancs en rapport avec l'idéologie qui accompagne et motive la politique métropolitaine dans les colonies.

« Ils nous disent les hommes du coton du café de l'huile

Ils nous disent les hommes de la mort

Nous sommes les hommes de la danse dont les pieds reprennent vigueur en frappant le sol dur »3.

Cette affirmation des valeurs originelles par nos poètes n'a pas été non plus un obstacle à leur désir de rencontrer les autres races. Ce qu'Aimé Césaire dans le Cahier d'un retour au pays natal, précise en prenant son coeur à témoin.

« ...mon coeur, préservez- moi de toute haine

ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n'ai que haine car pour me cantonner en cette unique race

1 Damas (L.-G), Pigments, 1937, « Limbes », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.9

2 Tirolien (Guy), Balles d'or, 1943, « Prière d'un petit enfant nègre », in Anthologie de L. S. Senghor, op.cit, p.86

3 Senghor (L.S.), Chants d'Ombre, 1945, « Prière aux masques », in La Poésie négro-africaine d'expression française de Marc Rombaut, op.cit, p.166

35

vous savez pourtant mon amour tyrannique

vous savez que ce n'est point par haine des autres races que je m'exige bêcheur de cette unique race»1.

C'est cette ouverture à l'autre, qui va permettre tous les espoirs, en ce qu'elle est pour l'humanité, annonciatrice d'un jour, le jour tant attendu, le jour qui mettra fin aux misères de l'histoire, à tout ce qui n'est pas amour entre les hommes.

« un jour pour nos pieds fraternels

un jour pour nos mains sans rancunes

un jour sans nos souffles sans méfiance

un jour pour nos faces sans vergogne »2.

Chapitre II

Les écueils d'une épreuve initiatique

II.1 La langue d'expression

Il n'est pas moins important, avant d'aborder cette question de la langue d'expression, de relever la tendance qui consiste à signer la naissance de la littérature négro-africaine avec des auteurs qui ont fait de la revendication des Noirs, le thème principal de leurs oeuvres3. Pourtant avant la fulgurante parution du seul numéro de Légitime défense4 le 1er juin 1932, il a existé des textes poétiques et surtout romanesques5, qui ont annoncé les débuts de cette littérature.

1 Césaire (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal, 1939, in La Poésie négro-africaine d'expression française de Marc Rombaut, op.cit., pp 301 - 302

2 Césaire (Aimé), Soleil Cou coupé, op. cit., « Couteau, midi », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.78

3 Les poètes de la Négro - Renaissance américaine, puis les poètes de la Négritude. Sur le plan romanesque, René Maran avec Batouala (1921) est considéré comme l'auteur « qui le premier, a exprimé "l'âme noire" avec le style nègre, en français » (L.S. Senghor, Liberté I, Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964, p.410)

4 Ses auteurs, une équipe de jeunes intellectuels antillais, invitaient les Nègres à accorder dans leurs oeuvres une importance particulière à l'histoire de la race, aux idéologies qui permettent de libérer l'homme noir.

5 Nous pensons à des textes romanesques comme Les Trois volontés de Malic (1920) de Mapaté Diagne, Force-Bonté (1926) de Bakary Diallo, à l'oeuvre de Massyla Diop, Le Réprouvé (1926)

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Nous pensons, en ce qui concerne la poésie, à certains textes des « Poèmes perdus » de L.S.Senghor et de Leurres et lueurs de Birago Diop où les réminiscences de la poésie française du XIXe siècle sont réelles. C'est une poésie en langue française comme celle présentée par l'auteur de Chants d'ombre dans son Anthologie. Mais il s'agit d'une part d'une poésie d'imitation qui se plait à développer des thèmes universels comme par exemple l'amour et la mort, et d'autre part d'une poésie de rupture aussi bien dans l'écriture des textes que dans l'inspiration.

C'est ainsi que l'amour et la mort dans cette poésie de rupture n'apparaissent plus seulement comme l'expression de la condition humaine, mais comme des thèmes qui n'ont de sens et de valeur que par rapport aux situations que l'histoire, dans la douleur, a imposées à l'humanité nègre, à travers, nous l'avons montré déjà, des réalités historiques que sont l'esclavage et la colonisation.

Il convient de rappeler, pour ce qui est de la colonisation, que c'est une période qui a vu l'implantation dans les colonies de l'école étrangère et la formation des premiers intellectuels qui vont constituer, dans les Antilles comme en Afrique l'élite noire, à laquelle d'ailleurs, appartiennent les poètes noirs de l'Anthologie.

En indiquant cela, nous ne cherchons pas à évaluer la fascination exercée par les valeurs de civilisation occidentales sur certains intellectuels négro-africains. Il nous a paru seulement intéressant de constater que ces valeurs, dans la période que nous avons considérée, ont été dénoncées, condamnées par nos auteurs , à travers non des langues locales, mais dans la langue du colonisateur, donc dans ce que ces valeurs ont de non authentique, et par conséquent d'aliénant.

Cette situation est à l'origine d'un malaise qui est exprimé par le poète haïtien, Léon Laleau, dans son poème, « Trahison ».

« ... sentez-vous cette souffrance Et ce désespoir à nul autre égal

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D'apprivoiser avec des mots de France Ce coeur qui m'est venu du Sénégal ? ».1

En fait rejeter l'Occident et ses valeurs, c'est aussi, pour les poètes, vivre

ce malaise d'user d'une langue véhicule de ces mêmes valeurs. Dans les familles qui ont fait de l'assimilation leur cheval de bataille, la situation est souvent des plus tendues, comme le montrent les injonctions de la mère de Damas, quand le fils se donne dans la maison la liberté de parler une langue autre que le français.

« Taisez-vous

Vous ai-je dit qu'il vous fallait parler français

Le français de France

Le français du français

Le français français »2.

C'est ce désir même de se révolter contre la langue de l'oppresseur, qui a amené les poètes noirs à poser le « problème de la recherche d'une authentique expression nationale »3.

Il ne s'agit pas pour nous de revenir sur les débats suscités par ce problème et les considérations qui ont porté sur l'intérêt d'une poésie nationale qui ferait corps avec les sentiments et préoccupations de tous les frères de race, donc avec leur vision du monde4. Mais compte tenu de la réaction des uns et des autres, nous avons jugé important de relever le point de vue de David Diop. En effet, l'auteur de Coups de pilon a reconnu les limites expressives d'une poésie négro-africaine en langue étrangère, en ce que celle-ci « rend plus

1 Laleau (Léon), Musique nègre, 1931, « Trahison », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.108

2 Damas (L-G), Pigments, 1937, « Hoquet », in Anthologie de L.S. Senghor, op., p.16

3 Wauthier (Claude), l'Afrique des Africains, Paris, Seuil, Coll. « L'histoire immédiate », 1977, p27

4 On peut lire avec profit Mouralis (Bernard), Littérature et développement, op. cit., pp 432 - 444, et Wauthier, l'Afrique des Africains, op. cit, pp 27 - 29

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difficile le contact du poète avec son peuple »1. Cependant, considère-t-il, pour éviter les piéges d'une négritude superficielle, il urge de se servir de la langue du colonisateur pour se faire comprendre et mieux combattre la politique et la situation imposée aux Nègres dans les colonies.

Le poète, écrit-il, « sait qu'en écrivant dans une langue qui n'est pas celle de ses frères, il ne peut véritablement traduire le chant profond de son pays. Mais en affirmant la présence de l'Afrique avec toutes ses contradictions et sa foi en l'avenir, en luttant par ses écrits pour la fin du régime colonial, le créateur noir d'expression française contribue à la renaissance de nos cultures nationales »2.

Obligés alors de recourir à la langue française, de l'utiliser comme moyen d'expression, les poètes noirs de l'Anthologie se trouvent ainsi limités dans leur projet de remise en cause totale et systématique des valeurs de civilisation occidentales, dans la mesure où l'obstacle linguistique qu'ils veulent franchir, et qu'ils ne franchiront pas, est révélateur de la difficulté qu'il y a pour ces « Orphées noirs » à retrouver cette Afrique- Eurydice dans son visage le plus authentique.

II.2. Le poids de l'assimilation

Comme nous l'avons vu avec la langue d'expression, il s'agit de montrer que l'assimilation est encore un de ses phénomènes sociaux qui permettent de rendre compte, aussi bien aux Antilles qu'en Afrique, de l'influence des valeurs de civilisation occidentales.

Nous avons déjà parlé de certains parmi les premiers intellectuels négro-africains qui ont été fascinés par ces valeurs, et des parents préoccupés de voir leurs enfants rompre avec des comportements qui rappellent des formes d'éducation non occidentales. C'est ce qui motive les réactions de la mère de Damas. Son désir, son rêve, c'est de voir son fils adopter des « manières »qui

1 Mouralis (Bernard), Littérature et développement, op. cit., p. 442

2 Mouralis (Bernard), Littérature et développement, op. cit., p. 443

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répondent aux aspirations sociales des Mulâtres1 , ce qui l'éloignerait le plus possible de tout ce qui peut rappeler le Nègre.

En effet le Nègre, pour elle, c'est l'anti-modèle. Par conséquent les valeurs qu'il incarne sont à combattre, à détruire, parce que négatives pour une communauté qui a fini de trouver dans la culture occidentale un idéal de vie, donc une vision du monde à nulle autre pareille.

C'est d'ailleurs une situation que Léon Laleau a évoquée dans son poème « Trahison » que nous avons déjà cité. Il a évoqué le fait d'être assimilé comme une expérience particulièrement vécue par l'intellectuel nègre. Parce qu'il est formé par le Blanc dont il a souvent adopté la façon de vivre, de s'habiller, donc les valeurs sociales, il vit parfois l'assimilation comme un drame auquel il est souvent difficile d'échapper. C'est cette impuissance vis-à-vis de ces valeurs étrangères que le poète haïtien avoue. Il reconnaît que sa personnalité profonde, exhibée par la métonymie, se trouve atteinte par ces valeurs imposées par l'histoire. Il s'en prend à « ce coeur » étranger qui est venu se substituer, et à regret, à son coeur authentique.

« Ce coeur obsédant, qui ne correspond Pas avec mon langage ou mes coutumes, Et sur lequel mordent, comme un crampon, Des sentiments d'emprunt et des coutumes D'Europe (...) »2

C'est un malaise vécu par nos poètes qui se trouvent obligés, comme au théâtre, d'inhiber leur moi authentique pour répondre, par le comportement, aux exigences de la civilisation. Ce que souligne bien Damas dans son poème intitulé « Solde » :

« j'ai l'impression d'être ridicule

dans leurs salons dans leurs manières

1 Comme catégorie sociale intermédiaire, les Mulâtres pensent qu'ils sont beaucoup plus proches des Blancs que des Nègres.

2 Laleau (Léon), Musique nègre, op. cit., «Trahison », in Anthologie de L. S. Senghor, op. cit. p.108

dans leurs courbettes dans leurs formules dans leur multiple besoin de singeries »1

Il est affecté par la situation. A l'image d'Aimé Césaire qui a souffert d'avoir fait preuve de lâcheté avec le Nègre rencontré dans le tramway2, le poète guyanais n'a pas aussi la conscience tranquille. Il pense que l'adoption des valeurs de civilisation occidentales pourrait amener les Nègres à voir en lui un « complice » de la race des oppresseurs, celui qui a aidé, aux côtés des Blancs, à la politique de la violence instaurée, à l'époque, par l'administration coloniale.

«J'ai l'impression d'être (...)

parmi eux complice parmi eux souteneur

parmi eux égorgeur les mains effroyablement rouges du sang de leur civilisation »3.

Il est vrai que la formation dont les intellectuels de l'époque en général, des poètes en particulier, ont bénéficié, a accordé une importance particulière à la culture occidentale. En fait la civilisation qui est considérée comme une trouvaille de l'Occident4, est véhicule d'une vision du monde qui, dans les enseignements, ne réservait aucune place aux cultures négro-africaines traditionnelles.

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1 Damas (L-G) , Pigments, 1937, « Solde », in Anthologie de L. S. Senghor, op.cit., p.11

2 Césaire (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal, op.cit., pp. 40-41

3 Damas (L-G) , Pigments, 1937, « Solde », in Anthologie de L. S. Senghor, op.cit., p.12

4 Pour le colonisateur, il n'y a de civilisation qu'occidentale. Aussi sa politique dans les colonies, prétendait-il, consistait fondamentalement à lutter contre la barbarie.

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Nous avons ainsi situé la responsabilité qui a été celle de nos poètes, les réactions qui ont été les leurs par rapport à la situation coloniale et aux valeurs de civilisation occidentales dont l'adoption a été un obstacle pour les uns et les autres dans leur volonté de faire corps avec le visage d'une Afrique authentique.

Pour cela, nous avons tout d'abord porté notre attention sur le discours révolutionnaire mobilisé par les oeuvres. Les auteurs ont procédé à la remise en cause des injustices et violences de la situation coloniale, affronté un pouvoir, comme l'a fait Orphée venu réclamer Eurydice, sa femme, à Hadès.

Cet engagement, les poètes noirs de l'Anthologie l'ont mis aussi au service de l'affirmation d'un certain nombre de valeurs qui témoignent non seulement de leur enracinement, mais aussi de leur ouverture à tout ce qui favorise l'amour entre les hommes.

Il est vrai que nos poètes, à l'image d'Orphée qui n'a pas su répondre à la condition de Hadès, ont rencontré des écueils dans leur projet de rejet systématique des valeurs de civilisation occidentales. Ils ont découvert assez tôt les limites de leur engagement, non seulement dans le choix du français comme langue d'expression, mais aussi dans le sentiment qu'ils ont de vivre l'assimilation comme un drame existentiel, donc comme une épreuve.

Ce qui va nous permettre d'aborder, dans la dernière partie de notre recherche, les problèmes psychologiques qui se sont posés aux poètes noirs de l'Anthologie, en ce qu'ils sont à l'origine de la réception que la critique a réservée à la poésie négro - africaine dont il est ici question.

TROISIEME PARTIE

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Misères et splendeurs d'une quête

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«La situation du noir, sa "déchirure " originelle, l'aliénation qu'une pensée étrangère lui impose, sous le nom d'assimilation le mettent dans l'obligation de reconquérir son unité existentielle. »

Jean - Paul Sartre, « Orphée noir »

« Dans le moment que les Orphées noirs embrassent le plus étroitement cette Eurydice, ils sentent qu'elle s'évanouit entre leurs bras. »

Id. ibid.

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Il est vrai que la situation imposée par la colonisation a, d'une manière décisive, influencé la première génération des intellectuels négro -africains. Les oeuvres, en effet, rendent compte du malaise dans lequel l'adoption des valeurs de civilisation occidentales a installé les poètes noirs de l'Anthologie, en particulier ceux de la diaspora.

En fait l'assimilation dont nous avons déjà parlé a fait de nos poètes des êtres hybrides, des êtres dont la situation , parce que douloureuse, est insupportable puisqu'elle oblige les auteurs à trouver dans la Civilisation de l'Universel une alternative à leur drame existentiel.

Comme Orphée, dont la femme est « noyée » par les Ombres infernales, les poètes de l'Anthologie voient, à travers les valeurs étrangères, l' « Ombre » qui est venue envahir le continent noir, compromettre les valeurs de civilisation négro-africaines traditionnelles, par conséquent cette image authentique de l'Afrique dont la préservation, et non seulement la découverte ou la revendication, semble motiver le discours présent dans leurs textes.

Malgré les mutations qu'elle a connues, cette Afrique n'a pas complètement disparu, d'autant plus qu'elle continue plus ou moins à se manifester à travers certaines traditions qui rendent compte des valeurs de civilisation nègres originelles

Chapitre I

Conscience d'être(s) divisé(s) ou l'impossible reconquête d'une unité existentielle

C'est une conscience qui est née de l'influence de l'Occident et de ses valeurs de civilisation, donc d'une situation que l'Histoire, en Afrique et aux Antilles, a rendu irréversible en ce qu'elle ne permet plus à nos poètes de circonscrire leur avenir et l'avenir de leur peuple dans la seule convocation des valeurs de civilisation originelles.

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I.1. La condition de métis culturels

En abordant, à ce niveau, le problème du métissage culturel, il ne s'agit pas pour nous, de dire que les poètes noirs dans leurs oeuvres ont fini de renier leur civilisation originelle. Dans les analyses que nous avons faites jusque là, nous avons présenté l'assimilation comme une situation difficile, parce que vécue douloureusement par les aèdes nègres ; en ce sens elle ne pourrait aucunement être un prétexte pour que les Nègres renoncent à leur originalité ou échangent délibérément leur civilisation originelle contre la civilisation du métissage hybride1.

C'est une situation qui a permis aux poètes de constater néanmoins l'échec de leur entreprise, celle-là même qui a consisté à faire sortir de l'ombre l'Afrique authentique, à travers l'épreuve initiatique de la descente aux Sources. Les poètes noirs, comme le montre bien Aliko Songolo à propos de Aimé Césaire, ont en fait échoué dans leur tentative de retrouver le paradis perdu2 , perdu parce que la situation politique a fait de ce paradis un enfer, en même temps qu'elle a fini, à travers l'assimilation, de conférer à nos poètes un « destin de métis culturels »3.

En effet le concept de métis culturel a suscité des commentaires les plus remarquables, des commentaires qui sont plus particulièrement à apprécier en rapport avec les idées développées par L. S. Senghor sur la question.

Nous n'entendons pas revenir sur ces commentaires, car ils ont le mérite d'avoir, d'une manière ou d'une autre, éclairé le sens du concept et de procéder à son analyse critique4.

Il s'agit pour nous de jauger les conséquences du métissage culturel à partir des situations et expériences dont ces créateurs ont rendu compte dans leurs oeuvres.

1 Mboukou (J.-P.Makouta), Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, NEA, 1980, P.46

2 Songolo (Aliko), Aimé Césaire, une poétique de la découverte, Paris, l'Harmattan, 1985, P.37

3 Senghor (L.S.), Liberté I Négritude et Humanisme, « De la liberté de l'âme ou éloge du métissage », op.cit., P.103

4 Nous pensons à Jean-Pierre Makouta Mboukou, Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, op.cit., pp 44 - 90, du chapitre II au chapitre V, soit quatre chapitres traitant du problème du métissage culturel sur les seize constituant l'ouvrage

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Ce sont des poètes qui sont conscients du drame qui est le leur, qui vivent dans la souffrance leur condition qui a fini de faire d'eux des êtres divisés. Cette situation rappelle celle d'Orphée qui a vu ses membres dispersés par les femmes de Thrace dont il dédaigna l'amour, parce qu'il a juré de rester fidèle à Eurydice1 .

Cette fidélité, nous l'avons montré, nos poètes l'ont aussi manifestée à propos de l'Afrique et de ses valeurs de civilisation. Elle ne les a pas empêché, comme Senghor, de reconnaître ce qu'ils doivent à l'Europe, à la France en particulier, en termes de valeurs à partager, même si les réalités de l'histoire, en ce qui concerne les hommes de couleur, s'imposent par leur cruauté.

En effet dans le « Poème liminaire » de Hosties noires, le poète

sénégalais se présente comme un de ces intellectuels nègres qui ont accepté

d'être les porte-parole de leur peuple, de lutter pour la réhabilitation de l'homme

noir, mais qui ont aussi admiré les autres peuples dans ce qu'ils peuvent

apporter de positif à l'humanité tout entière.

« Ah ! ne dites pas que je n'aime pas la France - je ne suis

pas la France, je le sais -

Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu'il a libéré ses mains

A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments

Qu'il a distribué la faim de l'esprit comme de la liberté

A tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin

catholique.

Ah ! ne suis-je pas assez divisé ? »2.

Ce drame, certains de nos poètes en ont fait l'expérience dans leur chair, d'autres comme Damas l'ont vécu au niveau familial par la mise en évidence de deux visions du monde dont l'une qui se veut le modèle cherche à détruire l'autre qui est la marque des valeurs originelles, donc des valeurs à préserver, à défendre, parce qu'expression de l'authenticité.

1 Eurydice disparue à ses yeux, Orphée refusa dès lors tout amour féminin, et n'aima plus que les jeunes garçons.

2 Senghor (L.S.), Hostie noires, 1948 in Oeuvre poétique, Ed. du Seuil, 1990, p.56

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C'est dire que « le métissage culturel, remarque Jean-Pierre Makouta Mboukou, n'est donc pas un fait librement consenti. L'école l'impose aux Nègres qui ne peuvent opposer aucune résistance. Leur vie même est une vaste défaite, même si les Nègres se battent encore, pour tenter de conjurer le sort ; ne pouvant vaincre, le Nègre est obligé de se compromettre. »1

C'est là le drame véritablement vécu par nos intellectuels, même si les apports de l'Occident, au niveau matériel et sanitaire surtout, ne se sont pas sans avoir influencé le mode de vie de la grande masse des populations nègres, parce que amenées elles aussi, par ce fait, à s'éloigner de leur milieu sociologiquement originel, autrement dit, à sortir de leur sociologie2.

I.2. La Civilisation de l'Universel : leurres et lueurs d'une alternative

L'attention que nous avons portée, dans le temps et dans l'espace, à la situation des Nègres et à l'influence qui a été celle des valeurs de civilisation occidentales en Afrique comme aux Antilles, nous a permis de circonscrire le destin des peuples noirs dans son rapport avec l'histoire, l'histoire dans ce qu'elle a d'irréversible.

En ce sens, le métissage culturel déjà évoqué se présente non seulement comme une situation qui est venue répondre au dialogue culturel qui naît de la rencontre de peuples divers, mais aussi comme une solution qui s'impose à un peuple qui lutte et continue à lutter, parce que son originalité culturelle qui se veut manifestation de sa présence au monde se trouve menacée par d'autres cultures.

Comme solution donc, le métissage culturel, pour les poètes noirs de l'Anthologie, pour Senghor en particulier, n'invite pas les Nègres à renoncer à leur originalité. Au contraire, ils souffrent de voir cette originalité compromise par des valeurs étrangères qui ne réservent aucune place à d'autres, aux leurs

1 Mboukou (J.-P.Makouta), Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, op.cit. p.52

2 Mboukou (J.-P.Makouta), ibid., p.56

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qui se trouvent d'ailleurs dénoncées parce qu'expression de la barbarie, et non véhicule de la "civilisation" en tant que telle.

Dans ces conditions, le combat qui urge pour les poètes noirs, celui qui se lit dans leur révolte, dans la revendication de leur identité bafouée et leur volonté de réhabiliter la race noire, c'est le combat pour la reconnaissance des valeurs nègres de civilisation, autrement dit pour la reconnaissance de la part d'originalité du Nègre.

En effet l'apport culturel des Nègres est un apport de complémentarité, un apport nécessaire à la Civilisation de l'Universel, civilisation dont l'édification impose la présence de tous, puisqu'il s'agit, à travers elle, « de construire, plus qu'un ordre, une vie nouvelle aux dimensions du monde et de l'Homme »1.

C'est, considère Senghor, une civilisation du futur qui se veut « la symbiose de toutes les valeurs, de toutes les civilisations particulières »2.

Cet idéal de vie, Aimé Césaire, dans le Cahier d'un retour au pays natal en a fait une préoccupation. Il a exprimé dans cette oeuvre son rêve de voir un jour tous les hommes, indépendamment de leur appartenance raciale, oeuvrer dans le sens de réaliser la fraternité universelle, c'est-à-dire lutter ensemble pour « la faim universelle », pour « la soif universelle » :

« que ce que je veux

c`est pour la faim universelle

pour la soif universelle »3.

L'humanité est une, par conséquent, considère le poète martiniquais, cette terre, parce qu'elle appartient à tous, a besoin d'entente, de solidarité, d'amour pour permettre aux uns et aux autres d'être, comme le dit

1 Senghor (L.S.), Liberté I, Négritude et Humanisme, op.cit, p.311

2 Senghor, ibid., p 310

3 Césaire (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal, 1939, in Anthologie de L. S. Senghor, Op. cit., pp. 60 - 61

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Michel Quoist, « des hommes intérieurement disponibles à leurs frères »1, des

hommes conscients de leur responsabilité :

« Et voyez l'arbre de nos mains !

il tourne pour tous, les blessures incises en son tronc

pour tous le sol travaille »2.

Un tel message est révélateur de la volonté d'ouverture à l'autre, manifestée par les poètes noirs. Même leur dénonciation des valeurs de civilisation occidentales a fini de leur imposer de reconnaître l'irréversibilité de leur itinéraire. L'assimilation a fait d'eux des êtres dont les options axiologiques sont davantage influencées par l'Occident, encore qu'ils n'ignorent pas la difficulté, voire l'impossibilité qu'il y a à reconquérir totalement leur unité existentielle.

Ce que relève, à propos de la poésie de la Négritude, assez nettement Jean - Paul Sartre. Le préfacier de l'Anthologie de Senghor montre que la Négritude -- et c'est là ce qu'il appelle sa beauté tragique -- « est cette tension entre un Passé nostalgique où le Noir n'entre plus tout à fait et un avenir où elle cédera la place à des valeurs nouvelles. »3

C'est d'ailleurs là une situation qui a donné à la théorie de Senghor sur la Civilisation de l'Universel tout le retentissement dont elle a bénéficié à l'époque. En effet c'est une théorie qui est fille d'un malaise, du malaise de ces intellectuels que l'assimilation a rendus, pour les leurs, méconnaissables. Elle a mobilisé, il est vrai, des idées généreuses qui ne cachent cependant pas - du moins avec les multiples visages du néo-colonialisme ambiant - non seulement les relents de racisme dont l'Allemagne et la Russie, ces dernières années, ont été le théâtre4 mais aussi et surtout des désillusions en rapport avec le sort réservé, encore aujourd'hui dans le monde, aux cultures négro-africaines, du fait des préjugés dont elles ont souffert avec la période coloniale.

1 Quoist (Michel), Réussir, Paris, Ed. Economie et humanisme, 1961,, p. 118

2 Césaire (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal, 1939, in Anthologie de L. S. Senghor, Op. cit., p. 61

3 Sartre (J-P), « Orphée noir », Préface à l'Anthologie de L. S. Senghor, op. cit, p.XLIII.

4 Séquestrations, meurtres, assassinats de Noirs, en particulier des travailleurs émigrés, des étudiants.

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Chapitre II

L'Afrique -Eurydice, est-elle ensevelie ?

Il y a des situations - et nous l'avons montré - qui ont aidé à compromettre la quête des poètes noirs de l'Anthologie. Entrent dans cet ordre, avons-nous déjà considéré, l'assimilation dont les intellectuels nègres de l'époque ont été victimes et les mutations sociales que l'Afrique a connues pendant cette période de la domination coloniale.

I.1. L'Afrique « européanisée »

Nous avons reconnu que « la colonisation a déstructuré l'univers traditionnel africain1 ». C'est une situation dont nos poètes ont bel et bien rendu compte, parce qu'elle produit à leur niveau une « déchirure2 » mentale qui n'est pas sans rapport avec ce que nous avons appelé les idées généreuses de la Civilisation de l'Universel.

Parler donc de cette civilisation, c'est aussi parler, en ce qui concerne les Africains, de l'adaptation à un monde qui ne semble pas se préoccuper de leur part d'originalité.

En fait le Blanc a toujours fait comprendre que l'entreprise coloniale, en Afrique et dans les autres parties du monde, avait fondamentalement une mission civilisatrice. L'Europe était venue lutter contre la barbarie des autres peuples, parce qu'il n'y avait de civilisation qu'occidentale.

Ce qui a favorisé en Afrique un climat d'injustice et de violence dans les rapports entre les autochtones et la communauté blanche, climat entretenu par le mépris dont les valeurs de culture nègres, le Noir et sa vision du monde faisaient l'objet dans la société coloniale.

1 Lezou (Gérard Dago), La Création romanesque devant les transformations actuelles en Côte d'Ivoire, NEA, 1977, p.81

2 Le mot est de Jean - Paul Sartre

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Le Nègre, dans cette société, n'est pas du tout respecté. Il est considéré par le colonisateur comme un homme entièrement à part, un sous - homme, un être dont on cherchait à détruire la personnalité, à qui on a refusé toute dignité humaine.

En effet des propos racistes de cet ordre sont rapportés dans un poème

de David Diop, intitulé « Un Blanc m'a dit... » :

« Tu n'es qu'un nègre !

Un nègre !

Un sale nègre !1 ».

Ce mépris dont le Noir est l'objet répondait à une volonté du colonisateur d'amener les Africains à se renier eux-mêmes, à apprécier négativement leur monde originel, parce que, il faut l'avouer, la destruction des sociétés traditionnelles se trouvait au coeur de son action politique.

Cet objectif que nous évaluons ici en rapport avec l'échec de nos poètes dans leur désir de retrouver l'Afrique authentique et ses valeurs de civilisation, a été atteint, dans la mesure où ce colonisateur a apporté un changement aux société africaines, a su créer en Afrique un ordre social nouveau, en procédant à la mise en place d'une société coloniale qui n'a pas, il est vrai, son modèle en Occident2.

C'est cet ordre social nouveau qu'on se plaît à mettre au compte des bienfaits de la colonisation, en ce que celle-ci, considère-t-on, a « (créé) des emplois nouveaux, dans le commerce, l'administration, l'armée et la police, les Travaux Publics, l'industrie et (offert) ainsi aux Africains des possibilités d'enrichissement et de promotion sociale »3.

1 Diop (David), Coups de pilon, 1956, « Un Blanc m'a dit », poème cité dans l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française de Léopold Sédar Senghor, op. cit. p. 175

2 Sur la question, on lira avec intérêt les deux premiers chapitres de l'ouvrage de Bernard Moralis, Littérature et développement, op. cit.

3 Mouralis (Bernard), Littérature et développement, op.cit., p.25

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Ces mutations que le continent noir, pendant la période coloniale, a connues, les poètes noirs de l'Anthologie en ont parlé. Ils ont parlé non seulement du fait qu'elles ont rendu méconnaissable la terre ancestrale, mais aussi et surtout des misères qu'elles ont favorisées dans les rapports entre les Noirs et la communauté blanche présente dans les colonies.

Les Nègres, victimes des injustices et violences de la société coloniale, vivaient dans la peur et l'angoisse dans une situation qui rappelle celle de ce frère de race que David Diop dans « Défi à la force » interpelle :

Toi qui ne regardes plus avec le rire dans les yeux

Toi mon frère au visage de peur et d'angoisse1».

En fait le traitement inhumain qui est réservé à ce frère et l'exploitation dont il est l'objet dans ce qu'il produit, dans les services rendus à son maître blanc, sont des réalités qui n'ont rien à voir avec l'image rassurante que l'Afrique des origines a fini d'offrir à nos poètes.

Nous n'entendons pas, cependant, revenir sur l'ensemble des mutations, sur ce qu'elles comptent comme pièges, déviations, problèmes et misères de la société coloniale. Joseph Ki-Zerbo s'est largement penché sur la question. Comme historien, il ne peut que nous éclairer davantage sur cette période qui a vu se compromettre les valeurs, voire la vision du monde noir.

« En général, écrit-il, la colonisation a mis en train un processus de transformation intérieure. Des sociétés closes et repliées sur elles - mêmes sont désormais travaillées par le levain de l'argent et des idées nouvelles. La propriété privée peu connue jusque-là s'implante surtout dans les zones côtières et dans les villes. La dot qui était versée à la fiancée, jusque - là symbole et lien, se transforme surtout dans les villes en un prix comme les autres »2.

1 Diop (David), Coups de pilon, 1956, « Défi à la force », poème cité dans l'Anthologie de L.S. Senghor, op. cit, p.176

2 Ki-Zerbo (Joseph), Histoire de l'Afrique noire, Paris, Hatier, 1972. p. 435

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Dans cette Afrique coloniale, cette Afrique du « Nègre noir comme la Misère »1, « des boys suceurs, des maîtresses de douze ans »2, le Noir, pour avoir la vie comme le Blanc, « a du tronquer sa liberté, sa dignité, sa foi ancestrale contre la vie domestique, de bâtard et de chrétien, il a dû "se dépersonnaliser" »3 pour se rapprocher du Blanc et « lui ressemble(r) le plus possible »4.

C'est une attitude, d'ailleurs, qui lui est dictée par sa conscience, la

conscience qu'il a de l'irréversibilité de cette situation imposée par l'histoire.

I.2. L'Afrique des traditions

L'immixtion décisive des valeurs de civilisation occidentales dans le vécu quotidien des Africains apparaît comme un coup dur porté sur l'avenir des valeurs qui ont aidé à véhiculer, pendant longtemps, la vision négro-africaine du monde.

Nous l'avions montré dans nos analyses précédentes. Nous avons remarqué que c'est là un mouvement irréversible en ce qu'il ne permet plus aux poètes noirs - à commencer par eux - de réapprendre, du fait de l'assimilation, à vivre comme leurs ancêtres.

En parlant donc de l'Afrique authentique non encore influencée par l'Occident, ils ont donné à leur évocation un cachet nostalgique5 qui témoigne de l'échec programmé de leur quête6.

Ce qui ne veut pas dire que l'Afrique, pour autant, a perdu à jamais les valeurs qui motivent cette quête. C'est un fond idéologique mobilisé dans leur

1 Diop (David), Coups de pilon, 1956, « Souffre pauvre Nègre», poème cité dans l'Anthologie de L.S. Senghor, op. cit., p.176

2 Niger (Paul), Initiation, op.cit., « je n'aime l'Afrique », in Anthologie de L.S. Senghor, op. cit, p.94

3 Mboukou (J-P Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, op.cit, p.191

4 Mboukou (J-P Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, op.cit., p.190

5 Même pour les poètes de l' « Afrique noire », l'Afrique authentique appartient au passé, même si, dans leur enfance, les relents de cette Afrique ne sont pas sans influencer, à différents niveaux, leur éducation.

6 La colonisation et l'assimilation sont des obstacles, qui ne leur ont pas permis de retrouver cette Afrique-Eurydice.

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discours par les poètes noirs de l'Anthologie, qui, d'une manière ou d'une autre, continue d'influencer la vie sociale en Afrique.

Ce que L.S. Senghor a bien relevé, lorsqu'il interpelle les Nègres par rapport au sort qu'ils doivent réserver à leurs valeurs de civilisation. « Le problème qui se pose, maintenant, à nous, Nègres de 1959, est de savoir comment nous allons intégrer les valeurs négro-africaines (...) au monde de 1959. Il n'est pas question de ressusciter le passé, de vivre dans le Musée négro-africain ; il est question d'animer ce monde, hic et nunc, par les valeurs de notre passé. »1

Ces valeurs, Senghor les a indiquées dans ses développements sur la civilisation nègre, sur ce que l'homme noir apporte au monde nouveau2.

Ce sont des développements qui mettent en évidence le sens communautaire des Africains, puisque celui-ci, dans les villages, et même dans les villes, à travers les cadres qui regroupent par exemple les ressortissants d'un même village, n'a pas cessé d'influencer, d'une manière ou d'une autre, les rapports sociaux.

« La morale consiste à ne pas rompre la communion des vivants, des Morts, des génies et de Dieu (...). Et celui-là est puni proprement d'isolement qui rompt ce lien mystique »3.

C'est un sens communautaire, un sens de la solidarité qui fait que « dans (la) communauté, personne surtout aucun de ceux qui ont quelque pouvoir ne peut agir seul. Tous se font la charité »4 .

Ce sens de l'humain dans les rapports sociaux est un témoignage d'amour, amour de l'Autre qui ne semble pas, dans la situation coloniale, préoccuper les Blancs dans leurs relations avec les hommes de race noire.

1 Senghor (L.S.), Liberté I, Négritude et humanisme, op. cit. p.283, « Eléments constitutifs d'une civilisation d'inspiration négro- africaine », IIème Congrès des Artistes et Ecrivains noirs, Tome I, Mars - Avril 1959 2Lire « Ce que l'homme noir apporte » et « Vue sur l'Afrique noire ou assimiler, non être assimilés » in Liberté I, Négritude et humanisme de L.S. Senghor, op. cit

3 Senghor (L.S.), Liberté I, Négritude et humanisme, op.cit., pp26 - 27, « Ce que l'homme noir apporte »

4 Senghor (L.S.), Liberté I, Négritude et humanisme, op.cit ; p.29 « ce que l'homme noir apporte »

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D'ailleurs David Diop, pour mettre en évidence leur inhumanité, les appelle des « hommes étranges ».

« Hommes étranges qui n'étiez pas des hommes

Vous saviez tous les livres vous ne saviez pas l'amour »1.

En fait cette civilisation négro-africaine communautaire dont parle Senghor, parce qu'elle ne rompt pas la communion des vivants et des morts, a fait de l'Ancêtre et de la femme, « la Mère, dépositaire de la vie et la gardienne de la tradition »2, des valeurs qui ont marqué et continuent de marquer en Afrique, d'une façon ou d'une autre, la vie en société.

Il est vrai que l'impact social de ces valeurs n'est pas, depuis la colonisation, le même partout. Dans les villes, comme l'a remarqué, Louis-Vincent Thomas, « il n'existe plus à proprement parler d'Afrique " traditionnelle " tant il est vrai que les valeurs islamiques ou chrétiennes et les idées-forces de la civilisation occidentale ont apporté des perturbations profondes (...), affectant plus ou moins selon les cas les structures (institutions, croyances), les comportements, les mentalités»3 .

Heureusement que Vincent Thomas a mis l'adjectif traditionnelle entre guillemets, car la situation est autre dans la plupart des villages du continent où, plus ou moins, et malgré les mutations, se trouvent encore préservées certaines de ces valeurs négro-africaines originelles.

Ce qui ne nous permet pas, en rapport avec nos analyses, de dire que l'Afrique dont les valeurs authentiques sont recherchées par nos aèdes , a complètement disparu comme Eurydice qui est retournée, et d'une manière définitive, dans le royaume des Ombres.

Au contraire, c'est une Afrique traditionnelle qui continue de proposer, voire d'offrir à nos sociétés modernes des valeurs de référence, des valeurs qui

1 Diop (David), Coups de pilon, 1956, « Les vautours » cité par Marc Rombaut, La Poésie négro - africaine d'expression française, op.cit., p. 147

2 Senghor (L.S), Liberté I, Négritude et humanisme, op.cit. p.26, « Ce que l'homme noir apporte »

3 Thomas (Louis - Vincent), La Terre africaine et ses religions, Paris, Ed. L'Harmattan, 1980, p.266

permettent de faire face à ce que Louis-Vincent Thomas appelle des « tentations ».

« En fait, écrit-il, l'Africain doit éviter deux tentations : celle d'un retour inconditionnel à un passé révolu, celle d'une occidentalisation sans frein au moment précis où l'Occident lui-même, s'interroge sur le bien-fondé de ses options techniciennes ; il s'agit plus simplement pour lui de bien connaître son passé afin de pouvoir enfin librement choisir son avenir »1.

L'influence des valeurs de civilisation occidentales a fait de nos poètes des métis culturels. C'est une situation qui a créé, à leur niveau, un malaise qu'ils ont cherché à dépasser par la convocation de valeurs que se doit de mobiliser la Civilisation de l'Universel qui est, comme le dit Senghor, une civilisation de l'homme nouveau, c'est-à-dire une civilisation à travers laquelle se reconnaissent toutes les civilisations particulières.

C'est une volonté de la part des poètes noirs de l'Anthologie de résoudre, avons-nous relevé, un drame existentiel, un drame qui s'est d'ailleurs accru avec les mutations que l'Afrique a connues, même si ces mutations, il faut le dire, n'ont pas signé la disparition effective de certaines valeurs et traditions négro-africaines.

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1 Thomas (L.-V.), La Terre africaine et ses religions, op. cit., p.276

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QUATRIEME PARTIE

Du bilan de l'expérience orphique des poètes négro-africains

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« Ainsi la négritude (...) est annonciatrice de sa naissance et de son agonie, elle demeure l'attitude existentielle choisie par des hommes libres et vécue absolument, jusqu'à la lie. Parce qu'elle est cette tension entre un Passé nostalgique où le noir n'entre plus tout à fait et un avenir où elle cédera la place à des valeurs nouvelles, la négritude se pare d'une beauté tragique qui ne trouve d'expression que dans la poésie. »

Jean - Paul Sartre, « Orphée noir »

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Ces valeurs négro-africaines originelles que désirent retrouver les poètes noirs de l'Anthologie sont effectivement à l'origine de l'expérience orphique mise en évidence par leur oeuvres. C'est une expérience qui se confond avec la naissance de la véritable poésie nègre1.

Celle-ci, du fait de l'idéologie de la Négritude, a été diversement appréciée non seulement par la critique littéraire négro-africaine, mais aussi par des lecteurs occidentaux, soucieux de relever la spécificité des textes poétiques en rapport avec les systèmes de pensée du moment, leur vision du monde ou leur conception de la littérature.

Quelle que soit la critique dont ils ont d'ailleurs été l'objet, ce sont des poètes qui ont fini d'appartenir à l'Histoire. Pour avoir aimé leur race, l'Afrique et ses valeurs de civilisation, assumé des responsabilités, fait preuve de fidélité à leur peuple, lutté pour la fraternité universelle, ils restent, pour la mémoire collective, des hommes qui, à un moment de l'histoire, ont revendiqué l'émancipation des Noirs, en défiant sans regret l'Occident et ses valeurs.

Chapitre I

La Négritude, sa poésie et Jean-Paul Sartre

La poésie négro-africaine, pour la période qui nous intéresse, a mobilisé, en ce qui concerne sa critique, les points de vue les plus divers. La Négritude dont elle a été l'expression a influencé les uns et les autres dans l'appréciation des théories et des oeuvres.

I.1. Les ténors et leurs conceptions de la Négritude

Au lieu de parler des divergences dans la conception de la Négritude, nous avons jugé nécessaire de rappeler tout simplement certaines définitions

1 Celle que l'on oppose à la poésie d'imitation dénoncée par les auteurs de Légitime Défense, parce qu'ils la considèrent comme non authentique

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que Senghor, Césaire et Damas ont données au concept, parce qu'ils l'ont illustré et défendu, exhibé partout la vision du monde dont il a été porteur.

I.1.1. Léopold Sédar Senghor

Ce poète sénégalais a été le grand théoricien de la Négritude. Il a consacré un des quatre volumes de Liberté1 au concept, un volume dont le sous -titre rappelle L'Existentialisme est un humanisme2 de Jean-Paul Sartre.

La Négritude, pour Senghor, est aussi un existentialisme, parce que véhicule de valeurs qui permettent à l'homme noir de donner un sens à sa vie. « C'est, comme il le dit, l'ensemble des valeurs culturelles du monde noir », donc, « l'affirmation de la personnalité noire, précise Michel Têtu, par la recherche des valeurs essentiellement africaines »3

C'est un enracinement, mais aussi une ouverture à l'Autre, c'est-à-dire un enracinement africain à l'Universel, d'autant plus qu'il s'agit, pour Senghor, non seulement de rassembler ces valeurs africaines, mais aussi et surtout de « les dépasser afin de préparer avec les Blancs dont on reconnaît aussi les valeurs, la civilisation de l'Universel »4.

I.1. 2. Aimé Césaire

Comme Senghor aime à le dire, à le rappeler, le mot Négritude, c'est Césaire qui l'a forgé.

Le poète et dramaturge martiniquais la définit comme « la simple reconnaissance du fait d'être noir, et l'acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture »5.

Il s'agit, à travers la Négritude, de revendiquer le passé et la dignité de l'homme de race noire, de manifester son originalité culturelle, c'est-à-dire ce que Jean-Paul Sartre appelle « l'être-dans-le-monde du Nègre »1.

1 Léopold Sédar Senghor, Liberté I, II, III, IV, Paris, Ed. du Seuil, 1964.

2 Sartre (J.-P.), L'Existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1946

3 Tétu (Michel), La Francophonie, Paris, Hachette, 1988, p.144

4 Tétu (Michel), La Francophonie, op.cit., p.144

5 Césaire (Aimé) cité par Paul Désalmand, 25 Romans clés de la littérature négro-africaine, Paris, Hatier, 1981, p.11

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La Négritude comme idéologie n'est pas racisme. En même temps qu'elle est expression de l'authenticité, elle est désir de vivre dans un monde de solidarité, de fraternité, par conséquent dans un monde d'amour.

« Partant de la conscience d'être noir, précise Aimé Césaire, (...) la Négritude est la simple reconnaissance de ce fait, et ne comporte ni racisme, ni reniement de l'Europe, ni exclusivité, mais au contraire une fraternité entre tous les hommes »2.

I.1.3. Léon-Gontran Damas

Pour parler de la Négritude, Damas fait souvent référence à la situation qui était, à l'époque, celle des Noirs vivant au Quartier Latin, situation qui avait amené un groupe d'étudiants africains et antillais à créer L'Etudiant noir, un périodique dont il était co-fondateur avec Césaire et Senghor.

Il s'agissait, à travers ce périodique « de mettre fin au système clanique en vigueur au Quartier Latin (et de) rattacher les Noirs à leur histoire, à leurs traditions et leurs langues »3.

En cela, la Négritude pour le poète guyanais, est l'expression d'une prise de conscience, celle des Noirs par rapport aux injustices de l'histoire.

« Le terme " Négritude" qui couvre aujourd'hui une plus vaste compréhension, revêtait des significations bien précises au cours des années 1934 - 1935, à savoir que le Noir cherchait à se connaître, qu'il souhaitait devenir un acteur historique, un acteur culturel et non point simplement un objet de domination ou un consommateur de culture »4.

Cependant, précise Damas, la Négritude, même si elle est volonté de réhabiliter le patrimoine africain, n'invite pas les Noirs à se replier sur eux-mêmes. « Il n'était nullement de notre intention de ressusciter une Afrique du

1 Sartre (J.-P.), « Orphée noir », p.XXIX, in Anthologie de L.S.Senghor, op.cit.

2 Césaire (Aimé) cité par Paul Désalmand, 25 Romans clés de la littérature négro-africaine, op.cit., p.11

3 Damas (L-G), cité par Jacques Chevrier, Littérature africaine, Paris, Hatier, 1987, p.14

4 Damas (L-G), cité par Daniel Racine, Léon -Gontran Damas, l'homme et l'oeuvre, Présence Africaine, 1983, p.189

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passé, de transformer l'avenir en une sorte de musée. Mais nous pensons que la vie ne pouvait être fondée que sur une prise de conscience du passé, une prise de conscience claire, critique et certainement sélective »1.

Cette prise de conscience, considère Damas, en elle-même, est positive ; elle a été le point de départ qui a aidé l'homme noir a approcher l'universel, ce point qui a permis la jonction des civilisations européenne et africaine. En effet : « Il n'y a rien de plus anti-africain que le racisme, que la haine de l'autre, que le refus de l'autre »2.

L'auteur de Pigments et de Black Label3 montre que l'histoire ne peut nier cette attitude du Noir vis-à-vis de l'autre.

« Depuis le Moyen âge, tous les explorateurs ont découvert cette ouverture de la nature essentielle de l'homme noir, orienté vers l'universel, vers tous les courants étrangers quelles que soient leurs origines. Et je crois, maintenant plus que jamais, que c'est ce qu'il nous faut »4.

I.2 Sartre et le discours de la Négritude

La Négritude, à travers même les nuances qui ont opposé dans sa définition ses partisans (en particulier Senghor, Césaire et Damas), a reçu un retentissement assez particulier avec « Orphée noir », la Préface de Jean-Paul Sartre à l'Anthologie de Senghor. Elle a fasciné, non sans les influencer, un certain nombre d'intellectuels qui ont su donner les raisons qui motivent leurs réactions, c'est-à-dire leur appréciation de l'idéologie qu'elle a été.

I.2.1.1Un discours de rupture

La poésie de la négritude est présentée par Sartre comme un discours de rupture, de rupture avec un discours traditionnel, celui de l'homme blanc, qui avait pendant longtemps présenté au monde, d'une manière stéréotypée, l'Afrique et les Nègres.

1 Damas (L-G), cité par Daniel Racine, Léon -Gontran Damas, l'homme et l'oeuvre, op.cit., p.189

2 Damas (L-G), cité par Daniel Racine, op.cit., p.190

3 Damas (L-G), Black Label, Paris, Gallimard, 1956

4 Damas (L-G), cité par Daniel Racine, op.cit., p.190

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Le Blanc a, des siècles durant, monopolisé la parole et a donc parlé au nom de tous les hommes, en particulier des hommes de race noire. Il s'agit, avec la poésie de la Négritude, d'inverser les rôles dans le champ de l'interlocution, dans la mesure où ce n'est plus l'Occident qui regarde et juge l'Afrique et les Noirs, mais des hommes noirs qui, ayant pris conscience de leur race, jugent l'Occident, incapable désormais de manifester leur présence dans le monde, après avoir jeté l'opprobre sur leur identité.

C'est une poésie révolutionnaire , parce qu'elle se veut non seulement remise en cause des rapports d'influence , mais aussi volonté de lutter pour que le Nègre puisse recouvrer totalement sa dignité humaine.

« ... puisqu'on l'opprime dans sa race, relève Sartre, et à cause d'elle, c'est d'abord de sa race qu'il lui faut prendre conscience. Ceux qui, durant des siècles, ont vainement tenté parce qu'il était nègre, de le réduire à l'état de bête, il faut qu'on les oblige à le reconnaître pour un homme»1.

Dans ce combat pour l'émancipation, ce n'est plus, comme dans la littérature coloniale, le Blanc qui se fait centre du monde. Au contraire, ce sont les Noirs, des « regards », pour parler comme Sartre, que le colonisateur avait qualifiés de « sauvages » « qui jugent notre terre »2, en même temps qu'ils revendiquent leur dignité, leur liberté, la liberté pour tous.

I.2.2. Un discours de l'exil

La descente aux Sources évoquée dans nos précédents développements est à évaluer essentiellement en terme de volonté. Il s'agit en fait, pour les poètes de la Négritude, de mettre en place un projet de « retour au pays natal »3 qui s'est imposé à leur conscience mais motivé surtout par la situation d'exilés et de colonisés qu'ils vivent respectivement en Europe et dans le monde noir, en Afrique et aux Antilles4.

1 Sartre (J.-P.), « Orphée noir », in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit. , pp.XIII-XIV 2Sartre (J-P.), « Orphée noir, in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit. » , p.X

3 Expression employée par Sartre (« Orphée noir », P.XVII) mais qui rappelle le titre de l'oeuvre poétique d'Aimé Césaire, Cahier d'un retour au pays natal (1939)

4 Pour Sartre, les Antillais vivent déjà l'exil, après que « les Négriers ont arraché (leurs) pères à l'Afrique »

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« Le héraut de l'âme noire, déclare Sartre, a passé par les écoles blanches, selon la loi d'airain qui refuse à l'opprimé toutes les armes qu'il n'aura pas volées lui-même à l'oppresseur. C'est au choc de la culture blanche que sa négritude est passée de l'existence immédiate à l'état réfléchi. Mais du même coup il a plus ou moins cessé de la vivre. En choisissant de voir ce qu'il est, il s'est dédoublé, il ne coïncidait plus avec lui-même (...). Il commence donc par l'exil, un exil double : de l'exil de son coeur l'exil de son corps offre une image magnifique »1.

L'Europe, d'où certains poètes noirs de l'Anthologie ont écrit ou vu leurs oeuvres publiées, a été une source d'inspiration, non seulement par rapport au contexte politique dans les colonies, mais aussi et surtout par rapport à la situation d'écartèlement psychologique de l'élite noire exacerbée par les deux grandes Guerres mondiales.

Cette situation comme l'expérience qu'on a souvent considérée comme celle qui a, d'une manière décisive2, poussé Aimé Césaire à écrire son Cahier d'un retour au pays natal, n'est pas étrangère à la littérature, à la création littéraire, à l'écriture des oeuvres.

Elle rappelle même cette autre expérience dont Senghor rend compte, non sans ambiguïté, dans son poème, un poème intitulé « Chant d'ombre » dans son recueil portant d'ailleurs le même titre3. En effet le poète, dans le texte, parle à une Africaine avec qui il partage les mêmes valeurs, la même vision du monde, une amie qu'il interpelle dans les derniers vers que voici :

« Ecoute ma voix singulière qui te chante dans l'ombre

Ce chant constellé, de l'éclatement des comètes chantantes,

Je te chante ce chant d'ombre d'une voix nouvelle.

Avec la nouvelle voix de la jeunesse des mondes »4.

1 Sartre (J-P.), « Orphée noir », P.XV-XVI, in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit

2 Lire II-2 « le poids de l'assimilation » dans le chapitre II de la deuxième partie de cette recherche

3 Il s'agit du recueil de Chants d'ombre publié en 1945

4 Senghor (L.S), «Chant d'ombre », Chants d'ombre, in Oeuvre poétique, op-cit, P.40

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Au-delà des commentaires que le mot ombre a suscité dans l'interprétation de l'oeuvre de Senghor, du titre en particulier, il serait malaisé de voir dans le premier vers autre chose qu'une situation dans l'espace, donc une situation à comprendre par rapport au lieu qui a servi de cadre pour l'écriture du poème, et pourquoi pas, de l'oeuvre, c'est-à-dire du recueil de Chants d'ombre. Ce serait, dans ce cas, « l'ombre » parisienne, c'est-à-dire ce contexte de la guerre qui a vu naître les « chants », donc ces poèmes, écrits dans une situation particulière de l'Europe, qui convoquent l'Afrique et ses valeurs de civilisation, parce qu'elles rassurent l'auteur et lui permettent de faire face à la réalité douloureuse et angoissante de cette période de l'histoire de l'humanité.

Ce sont des situations qui ne sont pas sans rapport avec certaines des réactions de nos poètes, quand on sait que la plupart d'entre eux ont eu à vivre1 pendant longtemps en Europe.

I.2.3. Un discours de l'échec

Sartre a analysé le discours des poètes comme un discours de l'échec, l'échec d'une quête qui n'est qu'une simple aventure spirituelle, parce que : « En fait la Négritude apparaît comme le temps faible d'une progression dialectique : l'affirmation théorique et pratique de la suprématie du blanc est la thèse ; la position de la Négritude comme valeur antithétique est le moment de la négativité. Mais ce moment négatif n'a pas de suffisance par lui-même et les noirs qui en usent le savent fort bien ; ils savent qu'il vise à préparer la synthèse ou réalisation de l'humain dans une société sans races. Ainsi la Négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin dernière. Dans le moment que les Orphées noirs embrassent le plus étroitement cette Eurydice, ils sentent qu'elle s'évanouit dans leurs bras »2.

Les valeurs qui font l'objet de leur quête appartiennent au passé, et comme le dit Jean-Paul Sartre, à un passé nostalgique. En fait, il ne s'agit pas, pour le philosophe français, de contester la légitimité de ce que revendiquent

1 Les uns partis en Europe pour poursuivre des études ou suivre une formation, les autres nés dans un pays européen ou qui y vivent avec un statut de réfugiés politiques.

2Sartre (J.-P.), « Orphée noir », P.XLI, in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit.

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nos poètes, ni de nier le rôle que la Négritude comme mouvement a pu jouer dans la prise de conscience des Nègres du monde entier.

La situation historique qui justifie l'émergence de ce mouvement, remarque Sartre, est appelée à être dépassée. « La Négritude est dialectique »1. Par conséquent les valeurs au nom desquelles elle justifie son idéologie, sont effectivement celles-là dont l'humanité a besoin pour faire le monde de demain, ce monde où l'amour et l'acceptation de l'Autre triompheront du racisme, de tout ce qui est revendication raciale, c'est-à-dire de tout ce qui n'aide pas, dans les rapports entre les races, à « trouver l'aurore de l'universel »2.

C'est donc une idéologie dont la disparition est envisagée à l'aune des valeurs que le monde nouveau se doit de mobiliser. C'est ce que Jean-Paul Sartre nous fait comprendre à travers ces propos : « La Négritude n'est pas un état, elle est pur dépassement d'elle-même »3.

Chapitre II

Admirateurs et détracteurs de la Négritude

II.1. Points de quelques admirateurs

II.1.1.Paulin Joachim

La Négritude est saluée par le béninois Paulin Joachim comme une idéologie qui a permis aux Africains de renouer avec le passé, de relever ses splendeurs et misères, en vue d'une meilleure compréhension de la personnalité nègre authentique.

« La Négritude, écrit-il, m'aide à retrouver mes sources, non pour les pleurer, mais pour y puiser cette sève somptueuse dont le monde a besoin »4.

Donc, à travers elle, il s'agit de retrouver les valeurs négro-africaines originelles, non pour s'y complaire mais pour trouver les ressources

1 Sartre (J.-P.), « Orphée noir », in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit. , P.XLIII

2 Sartre (J.-P.), « Orphée noir », in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit. , P.XLII

3 Sartre (J.-P.), « Orphée noir », in Anthologie de L.S.Senghor, op. cit. , P.XLII

4 Joachim (Paulin), cité par Jacques Chevrier, Littérature nègre, op-cit, P-44

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susceptibles d'aider l'Afrique et les Noirs à répondre conséquemment aux exigences du monde moderne, donc à « participer, comme le dit Marc Rombaut, à la parturition de peuples qui portent la promesse du monde »1.

Ce qui va d'ailleurs dans le sens de ces propos mitigés de René Depestre : « la vérité n'est peut-être pas un assujettissement aveugle au concept de négritude, ni dans sa négation systématique »2.

II.1.2 Alioune Diop

Il est appelé par Frédéric Grah Mel « le bâtisseur inconnu du monde noir». En effet, présenté comme celui qui « a donné au monde noir la revue et la maison d'édition Présence Africaine »3, Alioune Diop, selon Mel, reste l'intellectuel négro-africain dont on parle le moins, alors qu'il s'est imposé comme « figure de proue de l'émancipation des peuples noirs »4.

Il a très tôt compris la nécessité qu'il y avait pour les Noirs du monde entier de s'impliquer dans la construction d'une culture commune en créant les conditions qui permettent, « face à un Occident négateur »5, de sauver la culture noire, les valeurs culturelles du monde noir pour parler comme Senghor.

Alioune Diop considère que « l'Européen (...) est partout à l'aise parce qu'il a écrasé la langue des autres, violé la spiritualité des autres, falsifié l'histoire des autres, dévalorisé l'expérience technologique ou artistique des autres, humilité et étouffé la créativité des autres »6.

Par conséquent, pour lui, « la négritude n'est autre que le génie nègre et en même temps, la volonté d'en révéler la dignité »7. C'est une perception positive de l'idéologie de la Négritude, qui ne l'a pas empêché, en 1947, c'est-à-

1 Rombaut (Marc), La Poésie négro-africaine d'expression française, op-cit, P-56

2 Depestre (René), cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op-cit, P-45

3 Mel (Frédéric Grah), Alioune Diop, Le bâtisseur inconnu du monde noir, PUCL, ACCT, 1995, P-11

4 Mel (Frédéric Grah), Alioune Diop, Le bâtisseur inconnu du monde noir, op-cit, P-12

5 Mel (Frédéric Grah), Alioune Diop, Le bâtisseur inconnu du monde noir, op-cit, P-89

6 Mel (Frédéric Grah), Alioune Diop, Le bâtisseur inconnu du monde noir, op-cit, P-95

7 Diop (Alioune), cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op-cit-, P-31

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dire dès le premier éditorial de Présence Africaine, de se prononcer contre toute logique partisane.

« Cette revue ne se place sous aucune obédience idéologique, philosophique ou politique. Elle veut s'ouvrir à la collaboration de tous les hommes de bonne volonté (blancs, jaunes ou noirs), susceptibles de nous aider à définir l'originalité africaine et de hâter son insertion dans le monde moderne »1.

II.1.3. André Breton

Ce chef de file du Surréalisme ne s'est pas, de manière spécifique, intéressé à la Négritude. Il a seulement fait référence à sa thématique, la thématique de sa poésie, dans la Préface qu'il a faite à l'édition Bordas de 1947 du Cahier d'un retour au pays natal de Aimé Césaire.

Dans cette oeuvre, Breton a surtout admiré une poésie de rupture, parce que la mission qu'elle assigne à l'homme, c'est « de rompre violemment avec le mode de penser et de sentir qui l'ont mené à ne plus pouvoir supporter son existence »2.

C'est une poésie de révolte, une poésie à travers laquelle les Noirs ont montré à la face du monde, « l'opinion que l'émancipation des peuples de couleur ne peut être que l'oeuvre des ces peuples eux-mêmes »3.

En effet les situations intolérables qu'ils ont connues rendent légitime leur revendication. « Cette revendication, écrit Breton, on ne saurait trop faire observer qu'elle est la plus fondée du monde, si bien qu'eu égard au droit seul le Blanc devrait avoir à coeur de la voir aboutir »4.

C'est pourquoi Césaire, qui s'est révélé à lui à travers le Cahier d'un retour au pays natal, lui apparaît comme ce « Noir qui est non seulement un

1 Diop (Alioune), cité par Frédéric Grah Mel, Alioune Diop, le bâtisseur inconnu du monde noir, op.cit., p.91

2 Breton (André), Préface à l'édition Bordas de 1947, Cahier d'un retour au pays natal de Aimé Césaire, Présence africaine, 1947, p.80

3 Breton (André), Préface à l'édition Bordas de 1947, in Cahier d'un retour au pays natal, op. cit. p.85

4 Breton (André), Préface à l'édition Bordas de 1947, in Cahier d'un retour au pays natal, op. cit. p.85

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Noir mais tout l'homme, qui en exprime toutes les interrogations, toutes les angoisses, tous les espoirs et toutes les excuses et qui s'imposera de plus en plus à moi comme le prototype de la dignité »1.

I.2. Les détracteurs et leurs thèses

La poésie négro-africaine de la période que nous avons considérée, parce qu'elle a servi de véhicule à l'idéologie de la Négritude, a été l'objet des critiques les plus virulentes, celles d'auteurs qui ont discuté « la signification et les implications de la Négritude telle que l'ont définie Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas ».2 Leur réaction, par rapport au contenu idéologique manifesté par les oeuvres de nos poètes peut se lire à travers trois attitudes différentes.

I.2.1. La Négritude comme « une idéologie dangereuse »

La Négritude est un mouvement très contesté par les intellectuels noirs anglophones de l'époque, parce qu'elle est, pour eux, véhicule d'une idéologie dangereuse. Elle présente, considèrent-ils, le monde de façon manichéenne, en ce sens qu'elle fait du Noir l'incarnation du bien et de l'homme blanc celle du mal, comme d'ailleurs certains textes l'ont mis en évidence, textes dans lesquels - nous l'avons déjà montré- les auteurs ont cherché à opposer deux systèmes de valeurs, les deux visions du monde, occidentale et négro-africaine.

En cela la Négritude comme idéologie ne permet pas aux poètes de faire une présentation objective du continent noir. L'Afrique traditionnelle convoquée dans leur discours est « un symbole d'innocence et de pureté, à jamais figée dans la dimension du mythe »3 .

1 Breton (André), Préface à l'édition Bordas de 1947, in Cahier d'un retour au pays natal, op. cit. p.80

2 Rombaut (Marc), « Introduction » de son ouvrage, La Poésie négro-africaine d'expression française, op. cit, p.38

3 Chevrier (J.), Littérature nègre, op.cit., p. 43.

L'ouvrage fournit au lecteur des informations qui permettent de mieux comprendre la réaction de ces intellectuels noirs anglophones, dont Wole Soyinka, d'ailleurs, est le porte-parole.

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C'est une vision qui a été aussi dénoncée par le Malien Yambo Ouologuem. Dans son ouvrage Le Devoir de violence1, il s'en prend non seulement à cette image idyllique de l'Afrique, mais aussi à tous les Africanistes comme Léo Frobenius, à tous ceux qui se sont laissé influencer par leurs idées2, parce qu'ils ont aidé à vulgariser cette « vision d'une Afrique précoloniale parée de toutes les vertus »3, donc cette utopie derrière laquelle se dissimulent la réalité des situations vécues dans les grands empires médiévaux célébrés par les ethnologues, à savoir la violence, l'injustice et l'esclavage.

Dans une autre perspective, le caractère « dangereux » de l'idéologie de la Négritude est perçu par Marcien Towa à travers la pensée senghorienne en ce qu'elle apparaît comme une justification de la supériorité biologique de l'homme blanc par rapport à l'homme de race noire. En effet la formule, « l'émotion est nègre, comme la raison hellène »4 amène le philosophe camerounais à dire que Senghor, non seulement cautionne la subordination du Nègre au Blanc, mais aussi « admet avec sérénité la domination européenne »5.

I.2.2. La Négritude comme déviation idéologique

L'on a par ailleurs considéré la Négritude comme un moment de l'histoire, une « affaire de génération »6 qu'il convient de dépasser, parce que l'idéologie qu'elle véhicule recèle des relents de racisme.

Ce que relève à la suite de Thicaya U'Tamsi, V.Y. Mudimbé : « La Négritude me paraît avoir été une remarquable subversion contre un pouvoir aliénant. Sa coloration particulière, son caractère racial proviendra d'une aimable duperie sur la spontanéité révolutionnaire. C'était à l'époque, un peu normal. Lorsqu'on parcourt par exemple la farce qu'est Sang et tempérament, de L. Bourdel (Juliard, Editeur), on « comprend » le nazisme et l'on peut, dans

1 Ouologuem (Yambo), Le Devoir de violence, Paris, Ed. du Seuil, 1968.

2 En particulier Senghor

3 Chevrier (J.), Littérature africaine, op. cit., p.228

4 Senghor (L.S.), Liberté I, Négritude et Humanisme, op.cit., p.24, « Ce que l'homme noir apporte »

5 Towa (Marcien), Léopold Sédar Senghor, Négritude ou servitude ?, Yaoundé, Ed. CLE, 1971, p.113

6 L'expression est de Thicaya U'Tamsi, citée par Jacques Chevrier dans Littérature nègre, op.cit., p.43

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un moment de sentimentalité, bénir Senghor, Césaire, Damas, d'avoir eu le courage d'ériger, contre toute raison, un racisme antiraciste... »1

Les auteurs, donc, n'ont pas méconnu le rôle qu'elle a joué dans la période qui a vu naître le mouvement dont elle a été à l'origine. On reconnaît qu'elle a été « un moyen de combat contre l'oppresseur blanc »2, et comme le dit René Depestre, « un effort de la part de certains intellectuels des Amériques noires, des Antilles et de l'Afrique, qui se sont retrouvés à Paris et qui ont mené un combat pour revaloriser nos cultures, pour établir une revalorisation à la fois morale, esthétique et politique de nos divers héritages africains. A ce moment, la Négritude avait une signification bien précise et s'intégrait dans la lutte pour la décolonisation »3.

En effet, pour ce poète haïtien, l'idéologie de la Négritude s'est compromise lorsqu'elle s'est convertie en idéologie politique, en une idéologie-panacée. Par conséquent, remarque Daniel Boukman, elle ne répond plus en cela à sa mission originelle.

« La négritude a été, avant la Seconde Guerre mondiale, un électrochoc salutaire, mais son rôle est aujourd'hui terminé »4.

C'est ce que pensent des auteurs comme Frantz Fanon et Sembène Ousmane qui considèrent que « sa prolongation artificielle bien au-delà des conditions de son émergence aboutit à en faire une mystique équivoque. L'évolution de la situation, la disparition de la tutelle coloniale entraînent un déplacement des problèmes et provoquent en particulier l'oppression de l'homme noir par l'homme noir : il faut donc se méfier de la Négritude »5.

1 Mudimbé (V.Y.), Interview in La Parole noire (Marc Rombaut), cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op.cit., pp.40-41

2 Salifou, auteur nigérien, lors du colloque organisé par le Centre d'études littéraires francophones de l'Université, Paris - Nord, en Janvier 1973, cité par Jacques Chevrier, Littérature nègre, op. cit., p.45

3 Depestre (René), cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op.cit., p.40

4 Boukman (Daniel), Interview in Jeune Afrique n°531 ; cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op. cit., p.39

5 Chevrier (J), Littérature nègre, op.cit. pp.43-44

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I.2.3 La Négritude ou l'univers de la culture - écran

Cette attitude vis-à-vis de la Négritude se justifie aussi parce que certains la considèrent « l'univers de la culture - écran ». Ainsi Marcien Towa ne pardonne-t-il pas au poète - président, qu'il considère comme principal vulgarisateur de la Négritude, d'avoir présenté la race non comme « quelque chose de dynamique dont le devenir dépendrait du milieu, mais [comme] une entité absolue (...), une essence immuable », et d'avoir parler du Nègre comme de la « victime d'une véritable fatalité biologique »1.

Ce sont d'ailleurs des idées de ce genre qui laissent apparaître ce que Stanislas Adotévi, auteur de Négritude et Négrologues2 appelle l' « essence rigide du Nègre que le temps n'atteint pas »3, celle qui « fait des nègres des êtres semblables partout et dans le temps »4.

C'est à cette essence et à ses multiples implications raciales que s'en prend l'Antillaise Maryse Condé, dans son intervention lors du Colloque de Paris -Nord.

« Je refuse, déclare-t-elle, toute étiquette, toute catégorisation visant à limiter, orienter, canaliser l'expression de mes aspirations et de mes revendications. »5

En effet l'idéologie de la Négritude est perçue comme une idéologie - écran, parce que ses « thèse(s) fixiste(s) » pour parler comme Adotévi ne répondent plus aux préoccupations des sociétés modernes négro-africaines, des sociétés du tiers-monde. « La négritude a échoué, dit René Depestre, parce qu'elle n'a pas pu être l'idéologie de développement des sociétés du tiers-monde »6.

1 Towa (Marcien), op.cit., p.108

2 Adotévi (Stanislas), Négritude et Négrologues, , Paris, U.G.E, coll. 10/18, 1972

3 Adotévi (Stanislas), Interview in La Parole noire, (Marc Rombaut) cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op.cit p.39

4 Adotévi (Stanislas),ibidem

5 Condé (Maryse), Intervention citée par Jacques Chevrier, Littérature nègre, op. cit., p. 46

6 Depestre (René), propos cités par Jacques Chevrier, Littérature Nègre, op. ci.t., pp. 46-47

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C'est un échec envisagé, attendu par des auteurs comme Jean Baptiste Tati-Loutard. Ils ont même reproché aux tenants de la Négritude, le fait d'établir des différences entre les peuples par une quelconque spécificité ou essence raciale. C'est une façon, ont-ils considéré, de circonscrire tout dans une thématique raciale, et même l'écriture de l'oeuvre littéraire négro-africaine : « Un inconvénient de la Négritude et qui est une conséquence de toute conception essentialiste, c'est que du point de vue de la critique littéraire on juge l'écrivain noir non par ce que vaut son oeuvre, ce que vaut sa personnalité, son individualité artistique, mais on cherche dans l'oeuvre africaine ou d'un

Africain une spécificité raciale. C'est ainsi que Senghor ne relève
invariablement, dans toutes les oeuvres des Africains que le rythme, l'émotion, l'union avec les forces cosmiques
»1.

C'est une situation que Tati-Loutard a effectivement déplorée, parce qu'il considère qu' « Entre l'homme et l'art, il faut ôter l'écran de la race »2 qui paralyse, selon lui, les vocations littéraires et empêche les jeunes écrivains africains de « libérer leur tempérament d'écrivain »3.

Chapitre III

Le « Panthéon » des poètes négro-africains

Les critiques faites à l'idéologie de la Négritude, qu'elles proviennent des admirateurs ou des détracteurs, ont fini d'influencer l'image de chacun de nos poètes4. L'histoire dont ils ont été les témoins a réservé ses pages négro-africaines les plus illustres non seulement à leur nom, à leurs oeuvres littéraires,

mais aussi et plus particulièrement à leurs oeuvres par rapport aux
préoccupations socio-politiques des peuples noirs.

1 Tati - Loutard (J.B.), Interview in La Parole noire (Marc Rombaut), cité par Marc Rombaut dans La Poésie négro-africaine d'expression française, op.cit., p.39

2 Tati - Loutard (J.B.), cité par J.-P. M. Mboukou, Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, op.cit., .188

3 Tati-Loutard (J.B), cité par Marc Rombaut, La Poésie négro-africaine d'expression française, op. cit. p.42

4 Ce sont des hommes, par conséquent ils ne peuvent réaliser que des oeuvres humaines, c'est-à-dire imparfaites.

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III.1. Piédestal des lettres négro-africaines

Nous n'entendons pas revenir sur les conditions qui ont permis la naissance de la littérature africaine écrite. Des auteurs comme Lylian Kesteloot1, Mouhamadou Kane2, Pierre Cornevin3, Jacques Chevrier4 et Bernard Mouralis5 se sont largement penchés sur la question.

Dans son ouvrage, Pierre Cornevin, par exemple, a réservé tout un chapitre aux précurseurs de cette littérature, c'est-à-dire à ceux qu'il considère comme des « écrivains "indigènes français" du XIXe siècle »6.

Il ne serait cependant pas inutile de discuter leur statut d'écrivains. En effet, leurs écrits avaient beaucoup plus une tendance journalistique, ethnographique, géographique et historique que littéraire. Ce sont des écrits qui, en réalité, rappellent les oeuvres de ces historiens du Moyen âge comme Joinville et Commynes que Gustave Lanson présente dans son Manuel illustré d'histoire de la littérature française7 aux côtés de Chrétien de Troyes et de Villon.

Nous avons aussi fait des remarques sur les premières oeuvres romanesques et poétiques négro-africaines, qui ne semblaient pas, selon la critique, répondre à la thématique qui se doit d'être convoquée dans l'expression des réalités et situations auxquelles les Noirs font face dans leur rapport avec le Blanc et ses valeurs de civilisation8.

1 Kesteloot (Lylian), Les Ecrivains noirs de langue française : naissance d'une littérature, Bruxelles, ULB, 1965

2 Kane (Mouhamadou), Roman africain et tradition, Dakar, NEA, 1982.

3 Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique noire de langue française, Paris, PUF, 1976

4 Chevrier (Jacques) Littérature Nègre, op.cit

5 Mouralis (Bernard), Littérature et développement, op. cit.

6 Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique noire de langue française, op. cit. p.107

Il s'agit de Felix Darfour (esclave libéré d'origine soudanaise), de Léopold Panet (né à Gorée), des Abbés David Boilat (métis sénégalais né en 1814), Pierre Moussa (prêtre noir en Haïti, né en 1815) et Léopold Diouf (né à Gorée en 1850) et de Paul Holle (métis de Saint Louis, administrateur, chef de poste au service du Gouverneur Faidherbe)

7 Lanson (Gustave), Manuel illustré d'histoire de la littérature française, Paris, Librairie Hachette, 1953

8 Nos remarques ont été développées dans le chapitre II (lire II.1 « La langue d'expression ») , deuxième partie.

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C'est, en effet, cette thématique qui est au coeur de l'inspiration de nos poètes. C'est elle d'ailleurs qu'on salue comme celle ayant donné une orientation décisive à la littérature négro-africaine.

Ce que Cornevin reconnaît bien mais non sans relever le rôle joué par l'idéologie de la Négritude dans les milieux intellectuels de l'époque.

« L'impact du mouvement de la Négritude, de Césaire et Senghor, revêt dans les milieux universitaires et littéraires une importance telle qu'il a éclipsé les auteurs d'avant la Deuxième Guerre mondiale »1.

C'est un mouvement qui a marqué l'histoire des grandes idées mobilisées dans le siècle. Il a d'une part aidé les Nègres à prendre conscience de leur condition, et d'autre part suscité des réactions qui permettent difficilement de trouver ailleurs la période qui a signé définitivement ce que Jacques Chevrier appelle « la montée de la grande poésie nègre »2 d'expression française.

III.2 Témoins de l'histoire politique

Nous reconnaissons que ce sont leurs oeuvres littéraires qui ont révélé au monde la plupart des poètes noirs de l'Anthologie.

Cependant il y a lieu de noter ce que l'action politique a ajouté dans la geste de certains d'entre eux qui ont marqué, d'une manière indélébile, l'histoire de leur pays. Ce sont des poètes qui n'ont pas seulement été des témoins de l'histoire mais comme acteurs de la vie nationale, ils ont assumé des responsabilités politiques le plus souvent les plus hautes en Afrique, aux Antilles, dans leur pays d'origine.

C'est le cas de Aimé Césaire qui a pris une part active dans la départementalisation de la Martinique, c'est-à-dire dans son intégration à la

1 Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique noire de langue française, op. cit. p.105

2 Chevrier (Jacques) Littérature Nègre, op.cit., p. 48

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Métropole1, en tant que président du Parti Progressiste Martiniquais et député - maire de Fort de France2.

Léon -Gontran Damas a été aussi élu député de la Guyane en 1948 à la place de René Jadfard. Ce qui lui a permis de siéger à l'Assemblée nationale sur le banc des socialistes S.F.I.O. Tout comme il a été membre de nombreuses commissions et participé aussi à la discussion de nombreux projets portant sur les rapports entre la France et les Territoires d'Outre-Mer.

De même, Léon Laleau est un homme de lettres doublé d'un diplomate. Ministre et plusieurs fois membre du gouvernement haïtien, il a représenté son pays dans plusieurs rencontres panaméricaines.

Cet engagement politique de nos poètes trouve en la personnalité de Senghor une autre figure non moins révélatrice des options prises, à l'époque, par une certaine partie de l'intelligentsia négro-africaine.

Elu en 1945 député du Sénégal à l'Assemblée Constituante, comme membre de la commission chargée d'étudier la représentation des colonies, l'auteur de Chants d'ombre a été aussi un homme de cabinet et un ministre, avant d'être hissé, après la dislocation de la Fédération du Mali et la proclamation de l'indépendance du Sénégal, à la présidence de l'Etat le 5 Septembre 19603.

C'est, pour Senghor une mission à l'égard de son peuple, mais aussi à l'égard de l'Occident, parce qu'elle fait de lui, comme le laisse apparaître l'idéologie de la Négritude, un ambassadeur qui accepte « de mourir pour la querelle de (son) peuple »4 et qui rêve en même temps « d'un monde de soleil dans la fraternité de (ses) frères aux yeux bleus »5

1 Sur Césaire et la politique, on lira avec profit l'ouvrage de M. a M. Ngal, Aimé Césaire, un homme à la recherche d'une patrie, NEA, 1975, pp.205-242

2 Il a été élu en 1945

3 Cf Kesteloot (Lilyan), Les Poèmes de L. S. Senghor, coll. Comprendre Ed. Saint-Paul, Paris 1986, p.19

4 Senghor (L.S.), « Le retour de l'enfant prodigue », Chants d'ombre, in Oeuvre poétique, op.cit., p.51

5 Senghor (L.S.), « Le retour de l'enfant prodigue », Chants d'ombre, in Oeuvre poétique, op.cit., p.50

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« L'ambassadeur, écrit Lylian Kesteloot, dans toutes les civilisations, est avant tout un diplomate. Non la tête, mais l'intermédiaire. »1

Birago Diop l'a été à Tunis au lendemain de l'indépendance du Sénégal, même s'il a été, à l'époque, réticent à certaines idées de la Négritude2, alors que Senghor, son compatriote, a poursuivi cette mission avec le projet de la francophonie, ce projet d'édification d'une civilisation francophone.

En effet, souligne Michel Têtu : « Lorsque, prenant sa retraite, en 1981, L.S. Senghor a laissé les rênes de l'Etat sénégalais avec son premier ministre Abdou Diouf, il ne s'est pas arrêté pour autant de célébrer la francophonie et de travailler à la rendre plus vivante, en multipliant ses interventions à travers le monde »3.

Ce sont là autant d'actions qui ont fait des poètes noirs, en particulier ceux dont nous venons de mettre en évidence l'engagement politique, des hommes qui se sont préoccupés de leurs sociétés, donc des hommes dont les faits et gestes appartiennent désormais à l'Histoire, à l'histoire des peuples, à l'histoire politique des nations.

III.3. Trésors de la mémoire collective.

Les déclamations dont les textes de nos aèdes font souvent l'objet ont, en partie, aidé à vulgariser leurs noms.

A l'école, l'enfant apprenait par coeur ces textes, terminait sa récitation par le nom de celui qui en est l'auteur, sans se préoccuper de la race à laquelle il appartient, de son étiquette sociale ou de son pays d'origine.

C'est un exercice qui, en ce qui concerne le Sénégal, continue d'être pratiqué, en particulier, au niveau de l'élémentaire.

1 Kesteloot (Lilyan), Comprendre Les Poèmes de L. S. Senghor, op.cit., p.20

2 Il n'a pas suivi les autres « dans la vitupération du Blanc, dans l'engagement politique » note Mohamadou Kane, son biographe, dans son ouvrage Essai sur les contes d'Amadou Coumba, NEA, 1981, p.63

3 Têtu (Michel), La Francophonie, op.cit. p.68

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L'engouement, peut-être, n'est pas resté le même. Ce que semble, d'ailleurs, regretter J.-P.Makouta Mboukou qui parle de cette expérience positive comme d'une expérience qui rappelle une époque révolue.

« La poésie, écrit-il, a cessé de nourrir l'esprit des jeunes Africains. Les programmes scolaires l'ignorent presque totalement. Les temps ne sont plus, en effet, où nous déclamions Victor Hugo, La Fontaine ou Alfred de Vigny. Nous ne les comprenions sans doute pas. Mais, tout au moins sentions-nous que c'étaient des textes particuliers chargés d'une beauté également particulière, des textes différents de la prose (...) Toute cette poésie tapissait notre esprit, façonnait notre intelligence. Nous ne déclamions pas seulement la poésie, nous la chantions aussi. »1

Ce sont des situations, remarque Mboukou, qui permettent aux élèves candidats au Certificat d'Etudes Primaires Elémentaires « de préparer entre autres une épreuve orale de récitation comportant des textes choisis. C'étaient des poèmes, généralement, pour ne pas dire toujours »2.

C'est une tradition, nous l'avons déjà dit, avec laquelle le Sénégal n'a pas encore rompu. Elle a l'avantage d'aider les jeunes à asseoir des connaissances, et par conséquent à leur faire aimer la poésie, à travers la mémorisation de ces textes et le moment de bonheur que procure souvent, à leur niveau, la récitation réussie d'un poème.

Par rapport à cette situation, il faut, en ce qui concerne le Sénégal, relever la tendance remarquée dans le choix des poèmes de David Diop, de Senghor et de Birago Diop3, les seuls auteurs, d'ailleurs, qui figurent dans l'Anthologie, de Senghor.

Par ailleurs des poètes comme Césaire et Damas, au-delà de ce qu'ils représentent respectivement à la Martinique et à la Guyane, ont fini d'imposer

1 Mboukou (J.P-M), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, op.cit., « Introduction générale », pp.5-6

2 Mboukou (J.P-M), op.cit. p.6

3 Beaucoup de poèmes de David Diop pour leur veine engagée ; « Femme noire » et « Joal » en particulier pour Senghor et « Souffles » pour Birago Diop.

Ce qui ne veut pas dire que les autres textes poétiques des mêmes auteurs ou d'autres ne sont jamais déclamés.

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leur image dans la conscience des Négro-africains, en particulier élèves ou étudiants, qui se sont familiarisés avec leurs idées dans les universités1 et dans les lycées d'Afrique.

Ils ont été, comme tous les autres poètes de l'Anthologie, les porte - paroles de la race noire, des libérateurs en luttant pour l'émancipation des Nègres, donc des intellectuels qui marqueront à jamais la mémoire collective négro-africaine.

C'est une situation que nous avons appréciée à partir de l'idéologie de la Négritude qui a, d'une manière ou d'une autre, influencé la thématique des textes et oeuvres considérés, idéologie que nous avons tenté de comprendre avant de parler des réactions qu'elle a favorisées, autant dans le monde des lecteurs occidentaux que dans celui de l'intelligentsia négro-africaine.

En effet les réactions, qu'elles soient justifiées ou non, sont loin d'avoir terni l'image de nos poètes, puisque leurs productions littéraires et leurs actions politiques appartiennent désormais à l'histoire.

1 Nous pensons seulement aux thèses, à tous ces travaux universitaires qui ont porté sur leurs oeuvres analysées souvent en rapport avec l'idéologie de la Négritude.

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CONCLUSION GENERALE

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Au terme de notre travail, il nous a paru important de dire l'intérêt que nous avons trouvé dans la lecture des textes des poètes noirs, à partir des données comparatives que Jean-Paul Sartre, à travers le mythe d'Orphée, propose dans sa Préface à l'Anthologie de Léopold Sédar Senghor.

C'est une recherche qui entre dans le cadre de cette vielle tradition qui consiste, dans la littérature, à se servir des mythes comme espace de symbolisation des actes humains primordiaux. A ce titre, des personnages comme Orphée restent

pour la mémoire collective - en particulier dans la culture occidentale - des
personnages à travers lesquels les hommes, aujourd'hui plus qu'hier, lisent le premier geste, celui qui, d'une façon ou d'une autre, influence la condition humaine, c'est-à-dire l'homme et tout ce qui permet de le comprendre, de comprendre les origines de l'humanité.

Dans la Bible, par exemple, Caïn, fils aîné d'Adam, est resté le premier homme à porter atteinte à la vie d'un autre homme, et Abel, le frère tué, le premier homme victime d'un meurtre fratricide.

Dans l'antiquité grecque, des personnages comme OEdipe, Antigone, Achille, ont, dans ce sens, marqué l'histoire, à travers des expériences singulières dont ils sont restés, chacun en ce qui le concerne, l'incarnation.

En littérature, donc, il a semblé commode, le plus souvent, de convoquer ces figures symboliques pour trouver en elles un fondement par exemple à la révolte, à l'amour, au savoir, à l'aventure, c'est-à-dire à toute expérience humaine.

Ceci pour montrer que les situations que l'homme, aujourd'hui, est en train de vivre, ont été vécues par d'autres hommes qui, effectivement, s'imposent comme des repères, puisqu'ils sont les premiers à baptiser des attitudes, des valeurs ou des traditions qui viennent illuminer les grandes interrogations de l'être humain, les réalités du monde ou les manifestations qui ponctuent la vie de l'homme sur terre.

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C'est à ces images que Jean-Paul Sartre, à travers Orphée, fait référence, en ce que le personnage dont il parle dans sa Préface est dans la civilisation occidentale l'ancêtre d'une tradition qui a marqué pendant des siècles le génie créateur de l'homme, pour ne pas dire le génie créateur de l'homme blanc.

Ce génie, d'ailleurs, les « Orphées noirs » l'ont manifesté dans leurs oeuvres, par conséquent il n'est plus, comme le dit Sartre dans son texte, le monopole d'une race, puisque l'aventure des poètes de l'Anthologie rejoint - et d'une manière fort curieuse -- celle d'Orphée, telle que le mythe l'a entretenue dans le temps et dans l'espace.

Cependant l'époux d'Eurydice est un élu des dieux. C'est Apollon1 qui a fait de lui le grand poète légendaire qu'il est devenu. Les neuf cordes de sa lyre, qui rappellent les neuf Muses témoignent de l'origine divine de ses dons. Tandis que les poètes noirs ont été les témoins de l'histoire ; ils ont fait de l'Afrique et des Nègres le centre de leur inspiration, et de leurs oeuvres une expression de leur responsabilité historique, parce que porte-parole d'une race qui se trouve dans l'impératif d'adresser un message au monde, à l'humanité tout entière, donc « trompette »2, pour parler comme Senghor, d'une race qui cherche par la magie du verbe à se faire entendre.

Il s'est agi pour eux d'une lutte, d'une lutte que nous avons appréciée par rapport au contexte colonial qui était un obstacle réel à l'émancipation des Nègres, à la volonté de libération qu'ils avaient toujours manifestée dans les colonies.

C'est une situation que nous avons effectivement relevée dans nos analyses. Elle a été à l'origine de la révolte de nos poètes, mais aussi de tout le discours mobilisé par les textes que nous a proposés L.S. Senghor dans son Anthologie.

1 Divinité tutélaire de tous les arts, Apollon, ce fils de Zeus et de Léto, est pour les Grecs le reflet du génie artistique de leur pays, l'idéal de la jeunesse, de la beauté et du progrès.

2 Senghor (L.S.), « Poème liminaire », Hosties noires in Oeuvre poétique, op. cit., p. 56

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Comme écho des réalités sociales vécues pendant la période coloniale, la poésie nègre à laquelle nous nous sommes intéressé, n'a pas été, quand même, l'expression ultime des souffrances et misères des hommes de race noire.

Ces souffrances et misères, en Afrique, ont continué avec les indépendances. « Ces indépendances (qui) n'ont pas, remarque Mboukou, permis à tous les espoirs de s'épanouir. Elles nous révèlent que les Nègres, nouveaux dirigeants africains, ont relayé, sur un certain plan, les oppresseurs venus de l'autre côté de la mer. Il est vrai que ces oppresseurs respirent sous la peau des Nègres devenus eux-mêmes profiteurs, ou de simples prête-noms, tandis que le reste des Nègres gémissent encore sous le poids de la souffrance. »1

C'est dire que nous n'avons pas été influencés par une orientation thématique quelconque. Ce qui nous aurait obligé, peut-être à prendre en compte dans notre recherche cette période de l'histoire négro-africaine, cette période des indépendances africaines, qui, par certains aspects, semble recouper nos préoccupations.

C'est une période remarquable et d'un intérêt certain en matière de création poétique2. Elle pourrait nous intéresser dans l'avenir, dans la mesure où elle serait une occasion pour nous d'apprécier, en continuité comme en rupture, les caractéristiques d'une écriture poétique qui a plus ou moins tourné le dos à l'idéologie de la Négritude, pour ne pas dire à toute idéologie d'ordre essentialiste.

1 Mboukou (J.-P. M.) , Les Grands traits de la poésie négro-africaine, op. cit., p.34

2 Entre autres, nous pensons à des poètes comme Maxime Ndébéka (Soleils neufs, 1969), Charles Nokan (La Voix grave d'Ophimoï, 1970), Cheik Aliou Ndao (Mogariennes, 1970), V. Y. Mudimbé ( Déchirures, 1971), Paul Dakeyo (Le Cri pluriel, 1976).

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ANNEXE

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Schéma actanciel comparé des deux aventures

ORPHEE

(un poète, un artiste)

SUJET

LES POETES NOIRS

(des dyâlis, des ambassadeurs, des porte-parole)

EURYDICE

(une nymphe morte après la morsure d'un serpent)

OBJET

L'AFRIQUE

(une mère souillée, bafouée dans sa dignité, une terre-mère dont les valeurs sont mises à mort par le colonisateur)

LES DIEUX

(Zeus et Apollon qui ont aidé Orphée à entreprendre son voyage dans le monde des Ombres)

ADJUVANT

L'HISTOIRE

(l'esclavage et la colonisation, des situations historiques qui ont aidé les poètes à prendre conscience de leur responsabilité)

HADES

(à travers une condition- obstacle : ne pas regarder derrière. Le faire, c'est perdre définitivement Eurydice)

OPPOSANT

L'ECOLE ETRANGERE (condition-obstacle : ne pas être assimilés. Aller à l'école du Blanc, c'est être fasciné par l'Occident et ses valeurs)

CONTEXTE

MYTHOLOGIQUE

(à l'origine, un désir de

libération : libération de Eurydice pour lui permettre d'être à l'abri de la tutelle de l'impitoyable dieu des Enfers)

DESTINATEUR

CONTEXTE POLITIQUE

(celui de la manifestation d'un désir de libération : libération de

l'Afrique, émancipation des Nègres)

EURYDICE

(triomphe de la fidélité, de l'amour, même après l'échec de son projet, c'est-à-dire la disparition d'Eurydice, puisque Orphée est mort pour n'avoir pas voulu répondre à la demande des femmes de Thrace)

DESTINATAIRE

L'AFRIQUE ET LES NEGRES (fidélité aux valeurs de civilisation nègres originelles, témoignage d'un amour pour le continent noir, même si les mutations qu'il a connues, du fait de l'influence de valeurs nouvelles, ont aidé progressivement à la disparition de l'Afrique authentique)

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BIBLIOGRAPHIE

87

I - CORPUS

Sartre (Jean-Paul), « Orphée noir », pp. IX - XLIV, Préface à l' Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, PUF, 1948

Senghor (L.S.), Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, Paris, PUF, 1948

Rombaut (Marc), La Poésie négro-africaine d'expression française, Paris, Ed. Seghers, 1976

II - OEUVRES LITTERAIRES D'AFRIQUE ET DE LA DIASPORA

Belance (René), Luminaires, 1941

Césaire (Aimé), Cahier d'un retour au pays natal, Paris, Présence Africaine

1939

Les Armes miraculeuses, Paris, Gallimard,1946

Soleil Cou coupé, Paris, Ed. du Seuil, 1948

Damas ( Léon-Gontran ), Pigments, Paris, Présence Africaine 1937

Black label, Paris, Gallimard, 1956

Diagne (Mapaté), Les Trois volontés de Malic, Paris, Larousse,1920

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Diop (Birago), Leurres et lueurs, Paris, Présence Africaine, 1960

Diop (David), Coups de pilon, Paris, Présence Africaine ,1956

Diop (Massyla), Le Réprouvé, 1926

Laleau (Léon), Musique nègre, Port-au-Prince, Imprimerie de l'Etat, 1931

Maran (René), Batouala, Paris Albin-Michel, 1921

Niger (Paul), Initiation, Paris, Ed. Seghers, 1944

Roumain (Jacques), Bois d'ébène, Paris, Editeurs français réunis, 1945

Senghor (Léopold Sédar), Chants d'ombre, 1945

Hosties noires, 1948

Tirolien (Guy), Balles d'or, Paris, Présence Africaine, 1943

III - Autres textes

Dante, La Divine Comédie, 1307 - 1327

Daudet (Alphonse), Tartarin de Tarascon, 1872

88

Fénelon, Les Aventures de Télémaque, 1699 Loti (Pierre), Le Roman d'un Spahi, 1881 Maupassant (Guy de), Bel-Ami, 1885

Virgile, L'Enéïde, 30 - 19 av. JC

IV - OUVRAGES GENERAUX

1. Littérature

Chevrier (Jacques), Littérature nègre, Paris, A. Colin, 1984

Cornevin (Pierre), Littératures d'Afrique noire de langue française, Paris, P.U.F., 1976

Desalmand (Paul), 25 Romans clés de la littérature négro-africaine, Paris, Hatier, 1981

Kane (Mohamadou), Roman africain et tradition, Dakar, NEA, 1982 Kesteloot (Lylian), Les Ecrivains noirs de langue française : naissance d'une littérature, Bruxelles, U.L.B., 1965

Mboukou (J.-P. Makouta), Les Grands traits de la poésie négro-africaine, Abidjan, NEA, 1985

Introduction à l'étude du roman négro-africain de langue française, NEA, 1980

Mouralis (Bernard), Littérature et développement, Paris, Ed.Silex, 1984

Nkashama (Pius Ngandu), La Littérature africaine écrite, Paris,

Ed. Saint-Paul, Coll. Comprendre, 1979

2. Histoire

Brunet (A.), La Civilisation occidentale, Paris, Hachette, 1985

Histoire générale de l'Afrique, VIII « L'Afrique depuis 1935 », Paris, UNESCO, 1998, Directeur du volume : A.A. Mazrui, Co-directeur : C. Wondji

Ki-Zerbo (Joseph), Histoire de l'Afrique noire, Paris, Hatier, 1972 Lanson (Gustave), Manuel illustré d'histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 1953

3. Sociologie

Thomas (L.V.), La Terre africaine et ses religions, Paris, Ed. L'Harmattan, 1980

V - ETUDES SPECIALISEES

89

Fanoudh - Siefer (Léon), Le Mythe du Nègre et de l'Afrique dans la littérature française de 1800 à la 2ème Guerre mondiale, NEA, 1980

Lezou (Gérard Dago), La Création romanesque devant les transformations actuelles en Côte-d'ivoire, NEA, 1977

Kesteloot (Lylian), Les Poèmes de L. S. Senghor, Coll. Comprendre, Paris, Ed. Saint-Paul, 1982

Cahier d'un retour au pays natal d'Aimé Césaire, Paris, Ed. Saint-Paul, 1982

Mel (Frédéric Grah), Alioune Diop, le bâtisseur inconnu du monde noir, PUCL, ACCT, 1995

Ngal (M.a M) Aimé Césaire, un homme à la recherche d'une patrie, NEA, 1975

Osman (Gusine Gawdat), L'Afrique dans l'univers poétique de Léopold Sédar Senghor, NEA, 1978

Racine (Daniel), Léon-Gontran Damas, l'homme et l'oeuvre, P. A., 1983 Songolo (Aliko), Aimé Césaire, une poétique de la découverte, Paris, L'Harmattan, 1985

VI - OUVRAGES SUR LA NEGRITUDE ET SA CRITIQUE

Adotévi (Stanislas), Négritude et Négrologues, Paris, U.G.E., Coll. 10/18, 1972

Kesteloot (Lylian), Négritude et situation coloniale, Yaoundé, Ed. CLE, 1968

Ouologuem (Yambo), Le Devoir de violence, Paris, Ed. du Seuil, 1968 Towa (Marcien), Léopold Sédar Senghor, Négritude ou servitude ?, Yaoundé, Ed. CLE, 1971

VII- ESSAIS

Kane (Mohamadou), Essai sur les contes d'Amadou Coumba, NEA, 1981 Quoist (Michel), Réussir, Paris, Ed. Economie et Humanisme, 1961 Rombaut (Marc), La Parole noire, Paris, Librairie Saint-Germain- des-Prés, 1976

Sartre ( J.-P.), L'Existentialisme est un humanisme, Paris, Nagel, 1946

90

Senghor (L.S.), Liberté I, Négritude et humanisme, Paris, Seuil, 1964 Têtu (Michel), La Francophonie, Paris , Hachette,1988

Wautier (Claude), L'Afrique des Africains, Paris, Seuil, Coll. « L'Histoire immédiate », 1977

VIII - ARTICLES ET REVUES

Ethiopiques N° 24, « Hommage à Alioune Diop », Octobre 1980

Ly (Amadou), « Le souffle des ancêtres », art. in Notre librairie N° 68, « Approche historique et thématique des littératures africaines », Janvier -Avril, 1983

Chevrier (Jacques), « Les romans coloniaux, enfer ou paradis ? », in Notre librairie N° 90, Vol. I « Du moyen âge à la conquête coloniale », Octobre - Décembre, 1987

IX - DICTIONNAIRES

Balandier (Georges) et Maquet (Jacques), Dictionnaire des civilisations

africaines, Paris, Fernand Hazan, Editeur, 1968 Dictionnaire de culture générale (rédaction dirigée par Alain Rey),

Paris, Dictionnaires Le Robert, 1990

Dictionnaire des personnages littéraires et dramatiques de tous les temps et de tous les pays, S. E. D. E. et V. Bompiani, 2ème édition, 1962

Schmidt (Joël), Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine , Paris, Larousse, 1965

91

TABLE DES MATIERES

Dédicace 1

Mes remerciements 2

INTRODUCTION GENERALE 3

PREMIERE PARTIE : DISCOURS COLONIAL ET POESIE NEGRO-AFRICAINE 8

Chapitre I : L'Afrique dans le discours colonial 11

I.1 Le pays et son paysage 11

I.2 Le pays et ses hommes 13

Chapitre II : Le continent noir dans la poésie négro-africaine 14

II.1 Les poètes de la diaspora et l'image de l'Afrique 14

II.1.1 Une expression nostalgique 14

II.1.2. L'ombre de l'esclavage 16

II.2 Représentation du continent noir chez les poètes de l' «Afrique noire » 17

II.2.1. Une expression réaliste 17

II.2.2. L'enfer de la situation coloniale 21

DEUXIEME PARTIE : LE PRIX D'UNE REDEMPTION 25

Chapitre I : La descente aux Enfers - sources 28

I.1. Par l'acte révolutionnaire 28

I.2. Par l'affirmation des valeurs de civilisation négro-africaines 31

Chapitre II : Les écueils d'une épreuve initiatique 34

II.1 La langue d'expression 34

II.2. Le poids de l'assimilation 37

TROISIEME PARTIE : MISERES ET SPLENDEURS D'UNE QUETE 41

92

Chapitre I : Conscience d'être(s) divisé(s) ou l'impossible reconquête d'une unité

existentielle 43

I.1. La condition de métis culturels 44

I. 2. La Civilisation de l'Universel : leurres et lueurs d'une alternative 46

Chapitre II : L'Afrique -Eurydice, est-elle ensevelie ? 49

I.1. L'Afrique « européanisée » 49

I.2. L'Afrique des traditions 52

QUATRIEME PARTIE : DU BILAN DE L'EXPERIENCE ORPHIQUE DES POETES

NEGRO-AFRICAINS 56

Chapitre I : La Négritude, sa poésie et Jean-Paul Sartre 58

I.1. Les ténors et leurs conceptions de la Négritude 58

I.1.1. Léopold Sédar Senghor 59

I.1.2. Aimé Césaire 59

I.1.3. Léon-Gontran Damas 60

I.2. Sartre et le discours de la Négritude 61

I.2.1. Un discours de rupture 61

I.2.2 Un discours de l'exil 62

I.2.3. Un discours de l'échec 64

Chapitre II : Admirateurs et détracteurs de la Négritude 65

II.1. Points de vue de quelques admirateurs 65

II.1. 1. Paulin Joachim 65

II.1. 2. Alioune Diop 66

II.1. 3. André Breton 67

II.2. Les détracteurs et leurs thèses 68

II.2.1. La Négritude comme « une idéologie dangereuse » 68

II.2.2. La Négritude comme déviation idéologique 69

II.2.3. La Négritude ou l'univers de la culture-écran 71

93

Chapitre III : Le « Panthéon » des poètes négro-africains 72

III.1. Piédestal des lettres négro-africaines 73

III.2. Témoins de l'histoire politique 74

III.3. Trésors de la mémoire collective 76

CONCLUSION GENERALE 79

ANNEXE 82

BIBLIOGRAPHIE 85

TABLE DES MATIERES 90






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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius