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Signe et expression dans les réécritures des recherches logiques de Husserl

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par Lydia AZI
Université de Lille 3 - Master 1 2014
  

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Université de Lille III Charles de Gaulles
Département de Philosophie - UFR Humanités

SIGNE ET EXPRESSION

DANS LES

RÉÉCRITURES DES

RECHERCHES

LOGIQUES DE

HUSSERL

Par

Lydia AZI

N° étudiant : 21110299

Lille, année universitaire 2014-2015

Mémoire de Master 1 sous la direction du
Professeur Claudio MAJOLINO

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Université de Lille III Charles de Gaulles
Département de Philosophie - UFR Humanités

SIGNE ET

EXPRESSION DANS

LES RÉÉCRITURES

DES RECHERCHES

LOGIQUES DE

HUSSERL

Par

Lydia AZI

N° étudiant : 21110299

Lille, année universitaire 2014-2015

Mémoire de Master 1 sous la direction du Professeur Claudio MAJOLINO

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Table des matières

INTRODUCTION 6

1. SIGNE, EXPRESSION ET SIGNIFICATION : 16

Les distinctions essentielles dans la première édition des Recherches Logiques. 16

1.1 Indice et expression : La distinction sémiologique 17

1.2 La distinction phénoménologique : Intuition de l'objet et signification 23 1.3 L'idéalité de la signification : L'indépendance de la signification dans le

cadre de l'expression 28

2. LES REECRITURES DE HUSSERL : VERS UNE NOUVELLE DEFINITION DE L'EXPRESSION

30

30

2.1. LE CARACTÈRE INTERSUBJECTIF DES EXPRESSIONS

LINGUISTIQUES 31

2.1.1. L'expérience phénoménologique face à la logique

31
2.1.2. Le langage et l'expression

32
2.1.3. Nouvelles distinctions entre signe et indice : Traduction partielle et analyse du Beilage VII

34

2.2. ANALYSE DE LA FONCTION GÉNÉRALE DU SIGNE 40

2.2.1 La tendance du devoir et la tendance à l'attente : Traduction partielle et commentaire du Beilage VII

40
2.2.3. Entre production et compréhension : Bühler et Marty

49
2.2.4 Traduction partielle du texte n°16 : Analyse de la fonction d'influence

52

3. SIGNES ET SIGNIFICATIONS DANS LES REECRITURES 56

3.1. ANALYSE DU FONDEMENT MATÉRIEL DU SIGNE 57

3.1.1. Le Wortlaut : Fondement matériel de l'acte de signification

57

3.1.2. L'acte catégorial et l'acte de signification 58

3.2. SIGNE ET CONSTITUTION DU SENS 64

3.2.1 Traduction partielle et analyse du texte n°5 : « Signification comme

Identité dans l'expression parlée et comprise » 64
3.2.2. Fonction de la tendance

69
3.2.3. Traduction partielle et analyse du Beilage XVI « Tendance et désir »

La tendance est-elle une volonté ? 70

CONCLUSION 73

5

ANNEXE 1 77

ANNEXE 2 78

Bibliographie analytique 79

6

INTRODUCTION

D'abord étudiant en mathématique, Husserl (1859-1938) se questionne sur les fondements de la science et utilise la philosophie pour approcher la question de la définition de la logique. Les mathématiques sont une science, mais face aux présupposés logiques de toutes les sciences, Husserl décide d'entreprendre une analyse minutieuse de la définition de la logique. Dans la tradition aristotélicienne, la logique forme un fondement sur lequel nos raisonnements peuvent être considérés comme corrects ou non, c'est une grammaire de la pensée, qui lorsqu'elle est bien utilisée, peut permettre au sujet d'arriver à une conclusion cohérente puisque, la logique, à défaut d'être vraie, est cohérente. Cette cohérence est un critère de la vérité. Elle permet de mener à elle avec par exemple, des inductions ou des déductions correctes. Si la logique n'apporte pas de vérité, elle ne traite pas d'objet du monde, d'objet vérifiable dans l'expérience ou dans l'abstraction.

Cette définition ne convient cependant pas à Husserl. Si la logique est, comme elle l'est pour Kant, « la façon dont nous devons penser1 », la logique n'est pas une science. Cette idée kantienne est directement inspirée des thèses d'Aristote où la logique est relayée à une simple forme de raisonnement humain, une forme de grammaire de la pensée car la « logique repose sur des principes a priori qui permettent de déduire et de démontrer toutes ses règles.2 » comme l'explique Kant dans son traité sur la logique. Avec Kant dans sa Critique de la Raison pure en 1787, la logique comporte des catégories qui forment un modèle qui fonde toutes idéations et n'apparaît pas dans l'expérience. Ces catégories logiques sont les structures de l'expérience qui existaient déjà chez Aristote. Les expériences réelles se produisent dans le champ de nos sens, dans l'espace et dans le temps. C'est « ce qui, dans l'espace et le temps, est immédiatement représenté

1 Ibid, p. 12

2 Ibid, p. 13

7

comme réel, à travers la sensation3».

Lorsqu'on considère la logique comme un présupposé de toutes les pensées correctes, on définir la logique comme étant un domaine de la psychologique puisqu'elle n'a pas d'objet d'étude. La logique devient une branche de la philosophie qui peut par exemple déterminer le degrés de rationalité d'un être humain. Husserl est fermement opposé à cette idée : La logique est une science, et c'est cela qu'il tentera de développer dans ses recherches sur la logique, en tentant de déterminer, si c'est une science, son objet d'étude. Le psychologisme apporte une vision trop personnelle du monde où la logique est relayée à un état pré-scientifique et possède pour seule fonction de déterminer la validité des assertions scientifiques . Cela ne convient pas à Husserl qui veut ériger la phénoménologie comme étant une « science sérieuse, rigoureuse, et même apodictiquement rigoureuse [...]4 ». Pour devenir rigoureuse, elle doit parvenir à lier le monde empirique et le monde de l'homme et pour cela, la logique est d'une importance cruciale.

Classer la logique comme une capacité psychologique, c'est la classer comme étant un art au sens technique : l'art de faire des propositions correctes. Husserl revient sur ce point et tente de prouver que la logique est une science, elle n'est pas le fruit d'une habilité technique, elle n'est pas subjective. L'importance des travaux de Husserl est alors de lier une certaine objectivité - peut être idéale à nos vécus subjectifs, à nos expériences vécues et il s'attelle à décrypter les modèles qui régissent nos relations avec le monde sans pour autant faire tomber la logique dans un domaine obscur de la psychologie.

Dans l'introduction des Recherches Logiques de 1900, Husserl décrit son projet et explique en détail, la nécessité de définir la logique comme une science en lui attribuant un objet d'étude.

3 E. Kant, Critique de la Raison Pure, Logique Transcendantale, Chapitre II, « De la déduction des concepts purs de l'entendement », Paragraphe 22, 1787

4 E. Husserl, Krisis, p. 563, appendice XXVIII, § 73

8

« Ich setze also voraus, dass man sich nicht damit begnügen will, die reine Logik in der blossen Art unserer | mathematischen Disziplien als ein in naiv-sachlicher Geltung erwachsendes Sätze-system auszubilden, sondern dass man in eins damit philosophische Klarheit in betreff dieser Sätze anstrebt »

« Je suppose donc qu'on ne peut pas se contenter de considérer la logique pure comme un type de technique de nos disciplines mathématiques en tant que construction naïve de la validité d'un ensemble de proposition, mais qu'on veut plutôt lutter pour la considérer comme un type de clarté philosophique en lien avec de système de propositions 5» [Notre traduction]

Dans la première Recherche Logique « Ausdruck und Bedeutung », l'enjeu est alors d'attribuer à la logique un objet de recherche, un objet de connaissance pour la définir en tant que science et non plus comme une simple technique. Et cet objet de connaissance n'est rien d'autre que les significations qui s'émancipent du subjectivisme pour atteindre un statut d'idéalité qui ne peut être conféré que dans le domaine de la logique. Pour Husserl, il existe une signification qui est idéale, qui ne change pas et qui ne dépend pas des sujets ou de la fluctuation des vécus. A la fin de la Première Recherche, Husserl revient sur ce concept de signification en-soi, de signification idéale qui dépasse le cadre variable de nos expériences, mais qui dépasse aussi de la forme de nos expressions linguistiques puisque, les significations sont véhiculées par le langage, par les signes, mais ce n'est pas seulement dans le langage qu'elles existent.

« Wie die Zahlen - in dem von der Arithmetik vorausgesetzen idealen Sinne - nicht mit dem Akte des Zählens entstehen und vergehen und wie daher die unendliche Zahlenreihe einen objectiv festen, von einer idealen Gesetzlichkeit scharf umgrenzten Inbegriff von generellen

5 Hua, XIX.I, p. 5 lignes 24 à p. 6 lignes 3

9

Gegenständen darstellt, den niemand vermehren und vermindern kann, so verhält es sich auch mit den idealen, rein-logischen einheiten, den Begriffen, Sätzen, Wahrheiten, kurz den logischen Bedeutungen. »

« Comme les nombres - dont le sens idéal est présupposé en arithmétique - qui ne correspondent pas à ce qui est transmis à travers l'acte de compter et comme la liste infinie des nombres représentent un objectif fixé, où il y a une loi idéale qui représente des concepts bien définis d'objets généraux que personne ne peut ni augmenter ni réduire, les unités idéales de la logique pure fonctionnent aussi de cette manière : les concepts, les propositions, les vérités ou plus clairement, les significations logiques.6 » [Notre traduction]

Le projet de Husserl avec la Première Recherche est alors clair : Il faut en premier et avant toutes tentatives de développement d'une théorie de l'expression, prouver que la logique est une science et lui offrir, au même titre que l'arithmétique, un objet d'étude, celui des significations idéales qui, comme en mathématique, ne sont pas modifiables par le sujet qui ne peut ni « augmenter ni réduire » leur sens idéal. Les significations de la logiques pures sont fixées et intersubjectives, elles sont des idéalités qui sont indépendantes du langage qui les porte, même si elles sont représentées par celui ci.

La capacité du langage à reproduire ces idéalités à travers les signes, c'est l'expression. L'expression est « la dimension signifiante du langage, à savoir le fait que l'acte de signification possède un rapport interne avec l'objet qu'il vise, par contraste avec la notion d'indication dans laquelle le rapport à l'objet est accidentel.7 ». Le signe est donc un objet au sens objet de pensée, matériel ou non, qui définit un autre objet dans une perspective intersubjective, dans la mesure où le sens du signe est reconnu et peut être reconnu par tous. L'expression est un signe qui, actuellement -- au sens du moment durant lequel le signe est perçu -- définit un autre objet que lui-même, c'est le cas lorsque le signe est compris et que

6 E. Husserl, Logischen Untersuchugungen, Ausdruck und Bedeutung, p.110, lignes 5-14

7 S. Kristensen, Parole et subjectivité : recherche sur la phénoménologie de l'expression, Genève, 2007, p. 13

10

le sujet qui le rencontre est capable d'en comprendre le sens. L'indice est quant à lui quelque chose qui renvoie à une signification objectuelle indirectement mais de manière accidentelle. Il renvoie cependant à quelque chose, en fonction de l'intention du sujet, mais il ne certifie en aucun cas une présence nécessaire, c'est une opération fortuite et accidentelle, une anticipation, une induction de présence.

Ce qui, dans l'expression permet une compréhension, c'est bien l'idéalité logique de la signification qui à travers le concept d'intersubjectivité, provoque une reconnaissance d'un signifié parfaitement fonctionnel dans le cas du signe : L'objet n'est pas présent, il n'a donc pas les particularités fluctuantes de l'expérience dans le vécu. L'objet de l'acte de signification est un sens qui prend forme dans l'expression linguistique logique.

La signification idéale que nous avons décrite précédemment ne dépend en rien des formes linguistiques grammaticales et de la langue qui est utilisée au moment de l'acte de signification. Ces particularités du fonctionnement signitif peuvent être illustrées grâce à une oeuvre d'art conceptuel de Joseph Kosuth One and three chairs8. On peut y voir l'objet chaise, ainsi qu'une représentation photo de cette même chaise et la définition du mot chaise telle qu'elle apparaît dans un dictionnaire. Le mot chair inscrit sur le cartel est un signe de la chaise. Malgré le fait que le mot soit composé de différents caractères, qu'il ait un Wortlaut particulier, c'est le signe linguistique qui correspond à l'objet chaise en anglais. Si le spectateur de l'oeuvre est un anglophone, le signe chair possède une signification actuelle, il fait sens pour le spectateur : c'est donc une expression, puisque le signe exprime son contenu objectuel. Si le spectateur n'est pas anglophone, le signe reste un signe mais son sens n'est pas actuellement exprimé pour le spectateur. Il reste cependant un signe, avec un pouvoir expressif latent. Ceci est donc le fonctionnement et le rôle du signe : pouvoir exprimer actuellement une signification. Mais ce n'est pas parce que le signe n'est pas compris que la signification n'existe pas. Effectivement, puisque pour Husserl, la signification est idéale, le sens du mot chaise existe indépendamment de la langue

8 J. Kosuth, One and three chairs, Bois, épreuve gélatino-argentique, 118 x 271 x 44 cm, 1965, Centre Pompidou Paris, (Voir Annexe1)

11

dans laquelle il est utilisé. Les mots Stuhl en allemand, chair en anglais ou chaise en français, correspondent au même sens idéal qui est véhiculé par l'intermédiaire d'un signe, qui est complètement arbitraire et ne possède aucune ressemblance avec la signification : La signification est idéale elle dépasse toutes formes linguistiques puisque si elle ne l'était pas, la traduction serait un exercice impossible.

Maintenant que nous avons clarifier ceci, il est nécessaire de revenir plus en détails sur la place du signe accordée par Husserl dans la première édition des Recherches, en particulier la Sixième Recherche qui fera l'objet d'une réécriture attentive publiée en 1921. En 1901 dans le paragraphe quinze de la Sixième Recherche Logique, Husserl propose une définition du signe :

« Le signe n'a rien de commun avec le signifié [...]. Le signe nous parvient dans l'acte de l'apparence. Cet acte n'a rien de signification, cela exige la liaison d'une nouvelle intention à nos analyses passées, une nouvelle manière de voir, à travers laquelle, à la place de l'apparition (Erscheinenden) intuitive, l'objet signifié est désigné (gemeint).9 »

Cependant dans la première édition des Recherches, le mot signe est utilisé de manière imprécise. C'est bien plus tard comme nous le verrons, en 1921, que Husserl revient sur ces définitions dans le cadre de sa nouvelle théorie de l'expression. La distinction faite est celle entre signe et expression, mais l'indice n'est pas considéré comme étant autre chose qu'un signe.

La vocation du signe est donc de représenter le signifié et le signe ne possède d'autre sens que celui du signifié, ni d'autre pouvoir que celui de signifier et d'exprimer. L'expression n'est cependant possible que lorsque l'objet signifié fait sens à une conscience particulière. Le signe présuppose donc la connaissance et est directement lié au vécu et à la subjectivité, dans le cadre nécessaire d'une reconnaissance du signe. C'est dans ce contexte qu'il faut alors définir le signe et l'expression, qui même ils possèdent tous deux un lien vers la signification, ils

9 E. Husserl, Hua XIX.II, paragraphe 15

12

apparaissent sous des formes distinctes l'une et l'autre dans l'acte de signification.

Dans la première édition des Recherches Logiques, Husserl explique que l'expression est une forme de signe doté d'un pouvoir signifiant, d'un pouvoir expressif actuellement. Le signe est simplement signifiant, au sens de la démonstration de quelque chose, il indique (anzeigend) et l'expression est un signe qui fait sens (bedeutsam), lié comme nous l'avons expliqué à la subjectivité, qui est capable de reconnaître ou non le sens exprimé du signe. Le signe expressif ne doit pas être confondu avec l'indice, qui lui, indique en partie un objet entier : « Nous différencions des signes qui indiquent, les expressions qui font sens.10 » [Notre traduction]. Ces expressions qui font sens, c'est ce que Husserl sont les seules qui peuvent mener à une signification idéale. Les indices sont eux-aussi dans la première édition, des signes, mais il ne sont pas porteurs des significations idéales puisqu'ils sont beaucoup plus soumis à la subjectivité des intentions, aux expériences et aux attentes de chacun.

Pour pouvoir comprendre le rôle de l'expression dans la signification, il faut revenir aux premières pages de la première Recherche Logique où Husserl commence à définir le concept d'expression. L'expression peut être utilisée de manière différente, elle porte par exemple, dans le cas qui nous intéresse, une signification mais il existe aussi les gestes, les expressions du visages qui sont des expressions qui n'ont « en fait, aucune signification 11» [Notre traduction] : ce sont les indices.

Dans les réécritures de Husserl, il y a une clarification de la production de la signification par l'intermédiaire du signe. La constitution du sens à travers l'expérience de l'acte de signification et les nouvelles distinctions que Husserl opère entre signes et expressions prennent un enjeux crucial dans la compréhension de nos modes subjectifs qui nous donnent un accès au sens dans le

10 Hua XIX.I, Ausdruck und bedeutung, Ausdrücke als bedeutsame Zeichen ; Absonderung eines nicht hierhergehörigen Sinnes von Ausdruck, 6, p. 37, « Von den anzeigenden Zeichen unterscheiden wir die bedeutsamen, die Ausdrücke. »

11 Ibid, p;38, ligne 2 « [Sie] haben eigentlich keine Bedeutung »

13

cadre du discours. Comment, dans les réécritures, le signe devient-il expression ? Comment le signe, un objet de représentation indirecte, peut-il dans les faits être amener à devenir une expression ? Quels sont les liens qui fondent la relation entre signe et signification ? La question du « comment » est véritablement traitée par Husserl. Cela commence par une distinction entre signe et indice puis cela se développe vers une ouverture du concept de signe, comme nous le verrons, à tout ce qui peut comporter une signification idéale, donc également les signaux, les signes définit comme étant des signes non catégoriaux. Dans cette logique pure, il faut cependant soulever un problème : Comment l'intuition matérielle d'un signe peut-elle nous mener à une présence de la signification d'un objet absent ? Si comme nous le verrons, dans la Kundnahme et la Kundgabe, l'influence du locuteur perd de son importance dans le domaine des significations idéales, comment est-il possible d'associer une idéalité à un signe alors qu'il n'est pas lui même la signification ?Comment, comme nous le verrons dans la troisième partie, ce concept de tendance d'association, influence nouvellement la théorie de la signification ?

Dans un premier temps, nous reviendrons sur la définition du signe et de l'expression que Husserl propose dans la première Recherche. Husserl opère alors trois distinctions pour analyser les signes, qu'il considère comme étant une catégorie comprenant l'expression et indice. Cependant, dans ses analyses, il sépare le fonctionnement de l'indice, du fonctionnement de l'expression qui seule peut mener à une signification. L'indice est alors considéré comme un objet ayant un rapport d'existence avec l'objet qu'il indique là où l'expression ne présuppose non pas l'existence, mais un état de chose qui n'a pas de rapport avec une correspondance intuitive. L'expression mène à une signification et cette signification doit donc être séparée de l'objet qui lui peut être perçu, puisque la signification possède une idéalité qui dépasse l'expérience des sens et des vécus fluctuants.

Dans une deuxième partie, nous allons comparer ses thèses avec ses nouveaux travaux qu'il publie vingt ans après la première édition des Recherches

14

Logiques en 1900 et 1901. Il revient sur la définition du signe et ne considère plus alors l'indice comme étant un signe. Plus encore, il ne fait plus de distinction entre l'expression proférée dans l'espace intersubjectif de la communication, et celle qui apparaît dans la conscience seule. En revenant sur le fonctionnement de l'expression, Husserl accepte de considérer certains signes, qu'il avait cités auparavant comme étant des indices, comme appartenant au modèle de l'expression. Effectivement, si dans la première édition, l'expression ne peut être provoquée que par les signes linguistiques, elle ne l'est plus dans les réécritures et Husserl introduit des signes non-catégoriaux. Pour comprendre ces modifications, il faut revenir à ce qui est à la base de la distinction entre signes et indices : les tendances. Dans le cadre du signe, la tendance du devoir est celle qui prédomine. Ce devoir, c'est le devoir de savoir, le devoir de connaître la signification que le signe propose. L'indice impose au sujet une disposition d'attente, une tendance à l'attente de l'apparition de l'objet auquel il réfère. Pour parfaire une théorie du signe et de la signification objective, il faut aussi s'intéresser à la place respective des interlocuteurs dans l'accès à la signification. Si il n'y a plus de distinction entre l'expression dans la communication et l'expression dans la conscience seule, l'influence du locuteur ne peut pas être une donnée d'importance lorsqu'on traite d'expression. Husserl, en étudiant les travaux de Bühler sur Marty, revient sur la fonction d'influence et se refuse à attribuer au locuteur une véritable importance dans la production du sens. Si il n'y a jamais d'égalité entre le locuteur et le destinataire, il n'y a aucun des deux partis qui peut prétendre influencer l'autre.

Enfin, comme nous le verrons dans la troisième partie, si Husserl modifie ainsi ses thèses, c'est parce que l'importance se place à ce stade de ses travaux sur les tendances et les associations qu'il présuppose comme existante dans le cadre d'une théorie du langage. Cependant leurs fonctionnements restent obscur. Les tendances ne peuvent pas être intentionnelles. En décrivant l'acte qui mène à la signification, Husserl introduit les tendances comme faisant le lien entre les différents actes. Ces tendances ne sont pas intentionnelles, mais peut être infra-intentionnelles car elles font l'association des actes intentionnels. Mais alors si

15

elles ne sont pas actes, elles sont vécues passivement : serait-ce donc le moyen d'atteindre à travers le fonctionnement de l'acte de signification une objectivité non plus idéale, mais aussi phénoménologique ?

16

1. SIGNE, EXPRESSION ET SIGNIFICATION :Les distinctions essentielles dans la première édition des Recherches

Logiques

17

Pour comprendre l'évolution de la théorie husserlienne de l'expression il faut revenir aux fondements qui existent dans la première édition, ce que Husserl appelle les distinctions essentielles. C'est dans la Première Recherche que naît le concept husserlien de signe. La première distinction faite par Husserl, c'est celle qui sépare l'expression du signe puisqu'elle possède cependant un enjeu linguistique d'importance.

Tout d'abord, un mot désigne un vécu. Cependant, notre capacité à donner du sens est de nature idéale et c'est cette idéalité qui donne une consistance temporelle aux représentations des vécus psychiques. Cette idéalité fixe le nombre des vérités et rend possible l'habitus, qui est cette capacité même de reconnaître et d'identifier sous le même signe expressif, une signification toujours identique lorsqu'elle est proférée dans les mêmes conditions. Pour Husserl, c'est grâce à cela que le nombre de vérités n'augmente pas à chaque fois que l'on vit une expérience subjective. Cette unité idéale entre le concept et l'objet fait la distinction entre les actes psychiques et les actes physiques, qui eux provoque un remplissement à travers l'expérience. C'est la signification -- Bedeutung -- qui reste idéale dans l'expérience intuitive : « Par significations, nous indiquerons toujours et définitivement ces unités idéales, le sens idéal identique.12 » [Notre traduction].

1.1 Indice et expression : La distinction sémiologique

Dans la Première Recherche Logique de 1900, Husserl décrit la double signification du terme signe mais aussi la distinction nécessaire qu'il faut opérer dans sa terminologie avec le terme expression.

« Chaque signe est signe de quelque chose, mais ils n'ont pas tous une signification, un sens, qui serait exprimé par le signe : c'est pourquoi un

12 Ibid, p. 59

18

signe ne désigne (bezeichne) pas nécessairement ce dont il est le signe.13» [Notre traduction].

Certains signes sont emprunts d'expression, mais il n'y a pas encore chez Husserl une volonté de différencier le signe de l'indice, mais une volonté de différencier le signe de l'expression, puisque seule l'expression peut mener à une signification idéale. Tous les signes n'ont donc pas forcément de pouvoir expressif actuel. L'expression quant à elle possède toujours une signification, c'est un signe qui renvoie actuellement à un objet et qui possède une certaine idéalité. « Cependant le signe au sens d'indice [...] n'exprime pas.14 ». Il renvoie donc à un objet de manière infondée. Ce sont les Anzeichen, une forme de signe (Zeichen) qui ne mène pas à une signification. Dans cette édition, le signe au sens d'indice n'est pas un signe linguistique. Il est surtout considéré en tant que quelque chose de caractéristique à l'objet auquel il renvoie « Dans ce sens, le stigma est le signe des esclaves, le drapeau le signe d'une nation. 15» [Notre traduction]. Pour Husserl, ce constat est aussi valable pour tous les indices, puisque le fonctionnement est le même et correspond à la catégorie des indices : dans le cas de l'indice, nous inférons l'existence de ce dont il est la caractéristique. Mais c'est une question de motivation, une question d'intention du sujet qui voit dans le signe au sens d'indice, la présence de l'objet auquel il se réfère. En soi, ils ne sont qu'une caractéristique de l'existence d'un autre objet : « Nous considérons les canaux sur Mars comme des signes de l'existence de martiens intelligents 16» [Notre traduction]. Cependant, le signe qui désigne, celui qui est lié à l'expression et donc à la signification est seulement le signe construit arbitrairement à ce stade des Recherches, comme le signe linguistique, qui mène à un désigné dont nous n'inférons pas forcement l'existence présente. Le lien entre l'indice et l'objet est un lien créé par le sujet qui suppose et attend l'existence de manière accidentelle, de

13 E. Husserl, Logische Untersuchung, Hua XIX.I, « Ausdruck und bedeutung », paragraphe 1

14 S. Kristensen, Parole et subjectivité : recherche sur la phénoménologie de l'expression, Genève, 2007, p. 13

15 Hua, XIX.I, p. 31, lignes 14-15, « In diesem Sinne ist das Stigma Zeichen für den Sklaven, die Flagge Zeichen der Nation. »

16 Hua XIX.I, p. 31, ligne 20, « Wir nennen die Marskanäle Zeichen füir die Existenz intelligenter Marsbewohner »

19

ce qu'il croit être indiqué par l'indice. L'indice n'a rien à voir avec le langage. « Dans le cas de l'indice, il n'y a pas de discours. 17» [Notre traduction]. Il provoque une position subjective comparable à celle de l'attente et c'est en cela que ce type de signe, n'est en rien un signe expressif :

« Wo wir sagen, dass der Sachverhalt A ein Anzeichen für den Sachverhalt B sei, dass das Sein des einen darauf hinweise dass auch der Anderer sei, da mögen wir in der Erwartung, diesen letzteren auch wirklich vorzufinden, völlig gewiss sein : aber in dieser Weise sprechend, meinen wir nicht, dass ein Verhältnis einsichtigen, objectiv notwendigen Zusammenhanges zwischen A und B bestehe »

« Là où nous considérons qu'un état de chose A est un signe pour un état de choses B, que la présence du premier désigne la présence du second, nous sommes alors dans l'attente de trouver réellement ce dernier dans la réalité, d'une manière complètement certaine ; mais dans ce cas de figure, nous ne signifions pas qu'il existe un fonctionnement, un lien nécessaire entre A et B 18» [Notre traduction]

C'est donc ainsi que fonctionne l'indice, il fonctionne comme un Hinweis, quelque chose qui indique, quelque chose qui place le sujet pensant dans une position d'attente face à l'existence d'un état de chose B à cause de la présence d'un état de chose A. Ceci n'est pas considérer comme une nécessité, comme dans le cas de la preuve, mais comme une inférence, une attente de présence, comme l'exemple des canaux sur Mars. En soi, ils ne désignent rien, en revanche, une conscience peut les considérer comme des indications de présence d'une intelligence extraterrestre. De ces indices, il faut différencier l'expression, qui est un signe doté de signification.

Dans la première édition, les signes sont bien souvent considérés par

17 Ibid, ligne 25 « Im Falle der Anzeige ist von all dem keine Rede. »

18 Ibid, lignes 28-33

20

Husserl comme étant « anzeigenden19 », des signes qui indiquent, puisque, comme nous l'avons précédemment vu, il ne fait pas encore de distinction entre signe et indice. Mais le signe dans le sens d'expression a une connotation linguistique et sémiologique, que l'indice n'a pas. Pour Husserl, les expressions du visage et les gestes ne signifient pas comme l'expression signifie, « ils n'ont pas précisément le sens d'un signe linguistique, mais fonctionne totalement dans le sens de l'indice.20 ».

Le fonctionnement de l'expression en tant que signe est alors tout autre que celui de l'indice. C'est lui qui peut apporter une signification idéale. Il y a deux éléments liés à l'expression, le premier est le sens physique, le mot en lui même et le second, une association psychique entre le mot et le sens, ce que Husserl appellera plus tard, comme nous le verrons dans la troisième partie, la tendance. Le premier élément est l'expression « d'un point de vue physique21 » [Notre traduction]. C'est l'expression physiquement présente comme le mot prononcé, le Wortlaut, ou l'expression écrite. Elle est ce qui peut être perçue directement grâce aux sens. Le second événement lié au phénomène de l'expression est « une expérience psychique qui est liée à l'expression de manière associative22» [Notre traduction]. D'après cette description, l'expression lorsqu'elle est vécue se réalise par conséquent en deux temps, le premier en rencontrant par l'intermédiaire de la perception, un signe qui fait sens et qui exprime et le second grâce à un vécu psychique qui amène à l'expression de manière associative -- donc de manière figurée. Husserl donne une forme à la théorie de la signification linguistique lorsque celle-ci est fondée sur la présence d'un signe, qui se trouve donc être « dans le Wortlaut comme une certaine manifestation sensible de la perception ou de la fantaisie23 » et :

19 Ibid, p. 37, ligne 1

20 Ibid, p. 38, lignes 8-9 « sie [haben] keine Bedeutungen im prägnanten Sinne sprachlicher Zeichen, sondern bloss im Sinne von Anzeichen. »

21 Ibid, p. 38, ligne 16 « den Ausdruck nach seiner physischen Seite »

22 Ibid, p. 38, lignes 19-20, « einen gewissen Belauf von physischen Erlebnissen, die, an den Ausdruck assoziativ genüpft »

23 E. Husserl, Logik, Hua Materialen II, Vorlesung 1902/1903, p. 55

21

« dans un certain acte de viser, dans un certain acte psychique lié au phénomène du Wortlaut. [...] Grâce à ce viser, le mot n'est plus qu'un son vide, plus qu'une manifestation sensible quelconque. Elle vise quelque chose et par conséquent, elle se réfère à quelque chose d'objectuel.24 »

Le Wortlaut en tant que fondement matériel perçu maintient le lien entre la réalité et la signification idéale, le lien entre la réalité et la représentation qu'il désigne.

Pour comprendre comment l'expression peut atteindre une signification et proposer de telles unités idéales, il faut d'abord décomposer la fonction communicative de l'expression en cela qu'elle s'adresse à quelqu'un dans un espace intersubjectif, ainsi que l'expression en elle-même lorsqu'elle est proférée de manière subjective, à l'intérieur même de la conscience seule. C'est une distinction que Husserl fait dans la première édition des Recherches, mais sur laquelle il revient dans les réécritures, comme nous le verrons plus tard lorsqu'il généralise la fonction de signification et place le Wortlaut comme étant le fondement physique de toutes expressions, mais aussi comme possesseur abstrait de la qualité d'exprimer dans la communication mais aussi dans la conscience seule.

Dans « L'expression dans la fonction communicative 25» Husserl distingue donc l'expression fonctionnelle dans le cadre de la communication et celle dans le cadre de la pensée subjective. C'est dans ce contexte qu'il est alors important de décrire les deux fonctions existantes dans le langage intersubjectif : La notification de sens provoquée par le locuteur et la prise de sens opérée par le destinataire du discours. Comme nous l'avons vu précédemment, l'expression commence avec le complexe du mot articulé, parlé ou écrit (die articulierte Lautkomplexion). Le mot prononcé sert à extérioriser quelque chose avec des sons qui donne un sens désiré qu'une personne décide de partager avec une autre. L'expression de la parole nécessite et présuppose deux éléments, qu'un sujet ait

24 Ibid.

25 Ibid, p. 39

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quelque chose à dire et qu'il ait quelque chose à dire de l'expérience possible mais aussi qu'il existe un espace commun où la communication d'un langage intersubjectif peut convenablement se produire, en faisant sens chez un locuteur et un destinataire ce qui présuppose une forme idéale du sens. La compréhension n'est alors possible que si le destinataire comprend l'intention du locuteur ; il est alors intéressant de préciser que l'expression faite à quelqu'un relève aussi du domaine de la corrélation des informations. Aussi lorsque l'on fait acte de parler et donc de notifier quelque chose de nos propres vécus psychiques avec quelqu'un (c'est ce que Husserl nomme la Kundgabe), le destinataire, en comprenant l'intention de notifier du locuteur opère une prise d'information ou Kundnahme. Ces deux éléments distincts mais présents dans le processus de l'expression, sont liés et subordonnés l'un à l'autre. Le fondement de l'expression communicative est ainsi le même que l'indice (Anzeichen) puisque les mots prononcés sont des indications, qui poussent à comprendre les pensées du locuteur mais avec une constitution différente de celle de l'indice dans leur rapport à la signification, puisque les indices n'ont pas de significations idéales.

Ceci constitue la fonction de la notification d'information (kundgebende Function) du côté de l'émetteur et de la prise d'information, la compréhension de l'intention du locuteur et la perception des formes linguistiques (Kundnahme) du côté du destinataire. Ces fonctions permettent de transmettre une signification, bien qu'elles ne soient jamais parfaitement corrélées de manière impartiale. En vérité, le locuteur notifie en mots, en signes, une certaine intention que le destinataire reçoit par l'expression. Mais en aucun cas le destinataire ne ressentira l'événement psychique du locuteur qui est à l'origine de l'expression. Il y a donc une corrélation associative entre la notification d'information et la prise d'information au sens sémiologique, mais il n'y a jamais d'égalité au sens phénoménologique. Ce n'est donc pas une correspondance avec la vérité qui est provoquée dans le cas de l'expression communicative, mais une correspondance avec le sens idéal identique. Comme nous l'avons vu précédemment, la logique offre des significations, non pas des vérités absolues. Ce sens idéal identique est

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transmis par l'intermédiaire des formes linguistiques qui sont des formes logiques. Il faut cependant remarquer que l'un des rôles de l'expression communicative est le rôle de l'indication dans la mesure où elle aussi provoque une corrélation indirecte entre un événement vécu et une forme intersubjective d'expression signifiante. L'expression communicative n'est pas une opération directe qui permettrait un contact avec la vérité, c'est une forme de représentation de la vérité et une telle corrélation n'est possible que dans le cadre du langage. Cependant, l'expression faite dans la pensée n'est pas pour Husserl, à ce stade de ses travaux, considérée comme une véritable expression puisque pour lui, nous pensons « avec des représentations et non pas de véritables mots. 26» [Notre traduction]. Ceci est donc la première distinction insurmontable et elle est d'ordre sémiologique. C'est celle qui sépare fondamentalement le fonctionnement de l'indice et celui de l'expression.

1.2 La distinction phénoménologique : Intuition de l'objet et

signification

La distinction phénoménologique est celle qui existe dans la sphère du vécu. La duplicité de la fonction de l'expression, est le coté physique du signe réel et l'acte de signification qui en découle. L'expression porte une signification, il correspond à une réalité. Pour créer un tel lien, il faut se servir de la logique.

« Eine erste wichtige Unterscheidung gewinnen wir, wenn wir mit Husserl die gewöhnliche Rede betrachten. Wir können feststellen, dass mit der sprachlichen Äußerung ein bestimmter Sinn vermittelt werden soll. Jedes Wort hat demgemäß zwei Komponenten: Rein material ist es eine Lautkomplexion, die einen Sinn »transportiert«. »

« Nous pouvons comprendre une première distinction importante, lorsque nous observons le discours ordinaire avec Husserl. Nous pouvons constater, qu'avec un énoncé linguistique, un certain sens est transmis. Chaque mot a

26 Ibid, p. 42, ligne 27 « mit vorgestellten anstatt mit wirklichen Worten. »

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donc deux éléments, la forme du mot (Lautkomplexion) qui "transporte" un sens.27 » [Notre traduction].

C'est cette dualité entre l'expérience réelle du sujet, la forme du mot et l'expérience psychique, qui crée la relation entre les lois objectives et leur application phénoménologique. Elles sont donc dépendantes du sujet, dans l'expérience au monde.

Le signe en question, capable de provoquer une expérience psychique, un acte de signification, ne peut être alors que l'expression. La terminologie de Husserl est la suivante : le matériel pur du signe linguistique est la Lautkomplexion ou complexe du mot prononcé, la Schriftkomplexion est le complexe du mot écrit, lorsqu'il s'agit d'un destinataire lecteur. C'est lui qui apporte le sens (Sinn) du mot par l'intermédiaire de sa forme. La conscience fait le lien entre ces deux entités distinctes dans l'acte donateur de sens (sinnverleihenden Akt) : « Le locuteur prête au mot prononcé (ou au mot écrit) un sens -- il effectue un acte de notification de signification28.» [Notre traduction]. Cet acte est nécessaire, c'est lui qui détermine le sens du signe. L'aspect subjectif de l'acte donateur de sens reste à souligner : pour un mot homonyme, c'est l'acte donateur de sens effectué par le sujet pensant qui déterminera avec les informations contextuelles etc. le sens du signe linguistique. Le contexte est d'une importance capitale et il peut être présenté de différentes manières, la situation, le temps actuel, les informations complémentaires, la phrase, le comportement du locuteur ou le type de document etc.

Le signification du mot, Bedeutung, mais aussi apparaissant parfois dans la terminologie de Husserl en tant que sens, le Sinn ou contenu, Inhalt, n'est pas la seule fonction du mot. Le mot possède aussi et avant tout la fonction de nommer, Bennenung, un objet, de le représenter par l'intermédiaire du signe linguistique. Ici, le sens ou le nom ne requiert pas la présence matérielle dans l'expérience, de l'objet qu'il désigne. Il n'y a pas de remplissement puisqu'il n'y a pas d'intuition de

27 P. Precht, Husserl zur Einführung, Hamburg, Junius Verlag, 1991, p. 29

28 Ibid, p. 29

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la signification. L'objet de pensée est pour Husserl un objet logique, un prédicat qui ne nécessite pas d'apparaître matériellement et physiquement dans l'expérience. C'est dans cette mesure que Husserl reviendra sur l'existence de la production de l'expression dans la conscience seule, puisque l'expérience de l'objet de pensée n'est pas limitée à la communication.

« In dem Verständnis einer realistischen Semantik gelten nur die Namen als sinnvoll, die auf einen tatsächlich existierenden Gegenstand verweisen. Davon unterscheidet sich Husserls Position grundlegend: Eine gegenständliche Vorstellung bedeutet für Husserl nicht einen dringlichen Gegenstand, wie wir ihn aus der Wahrnehmung kennen. Der Begriff »Gegenstand« besagt bei Husserl vielmehr: Irgendeinem logischen Subjekt wird ein Prädikat zugeschrieben. Wenn es also von Gegenständlichkeit die Rede ist, dann ist damit noch nicht impliziert, dass diese als dinglicher Gegenstand in der Wirklichkeit aufzeigbar ist. »

« Dans la compréhension d'une sémantique réaliste, seuls les noms sont considérés comme pourvu de sens, les noms qui se réfèrent à un objet existant réellement. Parmi ceux-ci, Husserl différencie fondamentalement deux positions : Une représentation objective ne signifie pas pour Husserl un objet concret, comme nous le connaissons dans l'expérience. Le concept "objet" signifie bien plus pour Husserl : N'importe quel sujet logique a un prédicat attribué. Donc, lorsqu'on parle d'objectivité, cela ne signifie pas que cet objet concret est présent dans la réalité29. »[Notre traduction]

Chaque mot a donc un sens, Bedeutung et c'est cette signification qui aide à remplir la fonction représentative, la Bennenung de l'objectivité, Gegenstandlichkeit, du mot qui donc - correspond à l'objet réel ou pensé. Puisqu'un objet peut être lié à des sens différents et un sens peut être lié à des objets différents, le sens ne peut donc pas être la seule fonction du signe expressif. Les sens pouvant différer, la Bennenung devient un acte précisant l'objet et le sens qu'il faut lui attribuer dans le contexte. Dans la sixième Recherches Logiques, Husserl donne une définition de la fonction nominale :

29 Ibid, p. 31

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« Le mot nomme le rouge comme étant rouge. Le rouge apparent est signifié avec le nom rouge et il signifie spécifiquement le rouge. De cette manière dans la signification nominale, le nom apparaît comme appartenant au nommé et forme avec lui une unité30. » [Notre traduction].

Dans le cadre de l'expérience signifiante, le fonction du signe est de définir un autre objet. Le signe lui même a donc peu d'importance car il n'y a pas de ressemblance nécessaire entre signe et signifié, ce qu'il désigne n'est pas un objet présent, il renvoie à un objet. Donc la fonction de nommer du signe linguistique est celle de nommer quelque chose autre que lui-même.

Lorsque l'expression est présente, l'intention de signification l'est aussi. L'expression fonde les unités phénoménales, les phänomenale Einheiten, du signe matériel et de sa signification. Le signe est alors perçu et immédiatement corrélé avec son sens actuel dans l'acte de signification. Cependant, cet acte se produit dans la conscience et si elle ignore le sens du signe, il sera impossible de transformer le signe en expression. La terminologie de Husserl est alors la suivante, lorsque la compréhension est possible dans la signification intentionnelle, l'unité phénoménale est alors comprise, gemeinte.

L'intention de signification est en lien avec un objet signifié mais aussi un objet pensé. Cet objet pensé est vide d'intuition, car il n'est pas perçu. Si l'objet est perçu dans le cadre de l'expérience physique actuelle, l'intention de signification est alors remplissante, elle est cependant vide lorsque lorsqu'il n'est que pensé, puisqu'il n'apparaît pas dans l'intuition. C'est le cas du signe qui renvoie seulement à son contenu mais ne donne pas de présence perceptible de l'objet qu'il désigne.

Un acte est chez Husserl, toujours une expérience volontaire faite par une conscience. Le sens dans l'acte notifiant de sens se trouve déjà dans l'expérience de l'acte, non pas dans l'objet. L'acte de conscience-de, le Bewusstseinakt, n'est pas dirigé sur un objet existant mais sur un objet de pensée dans le cadre de

30 E. Husserl, Hua XIX.I, VI, « Bedeutungsintention und Bedeutungserfüllung », p.499, 1900

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l'expression. Les intentions dirigées vers l'expression ne sont pas celles qui résultent d'une intuition remplissante de la perception d'un objet, mais bien d'une signification idéale de l'objet. C'est la différence entre le mot et la chose, qui pour Husserl se déroule dans le regard que la conscience porte sur l'objet perçu, car même si le Wortlaut est perçu et qu'il y a un remplissement intuitif provoqué par sa présence, il s'efface face à une signification non perçue dans l'expérience mais apparaissant à travers le fonctionnement logique de l'expression.

La dernière distinction est certainement celle de l'objet intentionnel, l'objet que la conscience vise, et l'objet réel. L'objet réel est celui qui entre dans les cadres sensoriels et qui est ressenti à travers l'expérience physique, l'objet intentionnel est déjà sa représentation fondée sur une présence matérielle à travers la perception ou non, dans la conscience.

C'est dans cette optique qu'il faut comprendre le lien entre le signe et la signification, qui passe par un pouvoir expressif possible. La noème, c'est signification idéale qui se produit dans la transmission qui est portée par l'intermédiaire du signe. Cependant, l'ancien schéma de l'expression n'est plus valable dans la réécriture de la Sixième Recherche de 1921. Husserl remet en question le remplissement possible de l'expression. La signification devient une, quelle soit le résultat de la perception d'objet catégoriaux ou non catégoriaux, elle reste la même. Que l'expression soit remplissante ou vide, toutes les fonctions du langage actuellement expressif doivent être construites de la même manière puisque la signification est toujours la même, elle est idéale. Cependant, en ce qu'il s'agit des mots, Husserl introduit un nouveau concept, celui de la tendance. « Il y a une conscience du Wortlaut en lien avec une conscience de la signification vide ou pleine et cette liaison se produit grâce à une tendance de transition (Übergangstendenz) particulière, qui va du mot à la conscience de signification (qu'elle soit vide ou pleine). 31» [Notre traduction]

31 E. Husserl, Hua XX.II,177 ; Beilage XVII, « Wir haben Wortlautbewusstsein in Verknüpfung mit leerem oder vollem Bedeutungsbewusstsein, und die Verknüpfung besteht in der eigentümlichen Übergangstendenz, die vom Wort aus in das Bedeutungsbewusstsein (ob volle oder leere) hineingeht. »

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1.3 L'idéalité de la signification : L'indépendance de la signification dans le cadre de l'expression

La dernière distinction essentielles que Husserl fait apparaît, au paragraphe onze de la première partie de la première Recherche Logique. Husserl s'intéresse alors à « l'expression elle-même, sa signification et son objectivité propre. 32» [Notre traduction]. Pour Husserl, la signification, si elle est idéale, doit être séparée de l'objet qui lui est propre dans le cadre de l'expression, puisque, lorsqu'une phrase exprime un état de chose, elle n'exprime pas une existence. Elle n'infère pas la présence d'un objet, elle exprime en elle même un état de chose qui « possède une unité de validité en soi. 33» [Notre traduction]. Cette validité n'a rien à voir avec les jugements du sujet. La signification de l'expression, c'est cette validité, c'est ce qui reste identique dans la répétition du même énoncé.

« Was diese Aussage aussagt, ist dasselbe, wer immer sie behauptend aussprechen mag [...] und dieses selbige ist eben dies, dass die drei Höhen eines Dreieckes sich in einem Punkte schneiden - nicht mehr und nicht weniger. Im wesentlichen wiederholt man also « dieselbe » Aussage, und an wiederholt sie, weil sie eben die eine und eigens angemessene Ausdrucksform für das Identische ist, das ihre Bedeutung heisst. »

« Ce que l'énoncé propose est toujours la même chose pour qui voudrait l'exprimer [...] et cela est toujours la même chose : les trois médianes d'un triangle se croisent en un point - rien de plus et rien de moins. En soi on répète ainsi le « même » énoncé, et on le répète puisque à travers une forme d'expression qui est particulièrement ordonnée pour l'identique, et cet identique se nomme la signification. 34» [Notre traduction]

32 Hua XIX.I, p. 48, lignes 26-27, « den Ausdruck selbst, seinen Sinn und die zugehörige Gegenständlichkeit. »

33 Ibid, p.49, lignes 32-33, « ist eine Geltungseinheit an sich. »

34 Ibid, lignes 19-26

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Cette capacité de reproduire à l'identique une signification, c'est le pouvoir même de l'expression. Dans ce contexte, l'importance de la notification et de la prise de sens n'a plus d'importance. Le caractère idéal de la signification devient une nécessité, pour conférer au langage un certain degrés d'intersubjectivité, mais aussi pour considérer la logique non pas comme une technique mais comme une science. C'est cette signification, présente idéalement et transmise par l'expression qui garantie une certaine objectivité du langage et qui peut fonder une véritable étude logique de l'expression. Cependant, dans les réécritures, Husserl revient sur ces concepts et redéfinit le signe et l'expression.

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2. LES REECRITURES DE HUSSERL : VERS UNE NOUVELLE DEFINITION DE L'EXPRESSION

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2.1. LE CARACTÈRE INTERSUBJECTIF DES EXPRESSIONS LINGUISTIQUES

2.1.1. L'expérience phénoménologique face à la logique

« Il n'y a pas de pensée logique sans fondement matériel35 » [Notre traduction]. Le monde dont nous faisons l'expérience à chaque instant n'a rien de personnel, on le considère comme le monde commun. C'est l'utilisation commune de la copule être : Il est. Nous embrassons le monde et nous l'appelons réalité, non pas réalité pour Je, ni pour les hommes mais pour nous en tant qu'homme. Dans cette expérience du monde tel qu'il nous apparaît, nous sommes les spectateurs de la réalité, mais dans ce faire nous n'analysons pas les objets particuliers.

Nous cherchons « l'aperçu général36 » [Notre traduction]. Le constat de Husserl est alors le suivant : « L'aperçu général contemplé s'applique indépendamment de l'être du particulier37 ». [Notre traduction]. Lorsque nous observons la généralité de la réalité, l'intérêt de l'existence des objets particuliers n'a plus d'importance. La réalité en ce sens n'est pas constituée dans l'intuition par des milliers d'objets donateurs de sens, qui forment ce qu'on appelle le monde commun. Notre regard est alors porteur d'une volonté d'unifier fondamentalement le flux total d'informations transmis par le monde.

Ce qu'on appelle généralement la réalité n'a pas été précédemment analysée par la conscience dans tous ses détails avant d'en former une unité phénoménale, c'est une évidence, un postulat du sujet pensant qui recherche un aperçu général. Cette expérience particulière est une expérience qui reste cependant uniquement phénoménologique. La logique elle, décrit le monde avec une « forme linguistique38 » [Notre traduction]. Cette expérience de la totalité n'y est pas

35 E. Husserl, Hua XX.II, p. 17, ligne 33-34, « Es gibt nicht logisches Denken ohne materialen Untergrund »

36 Ibid, p. 19, ligne 30, « generelle Einsichten »

37 Ibid, p. 19, lignes 34-35, « Das einsichtig erschaute Allgemeine gelte unabhängig vom 35 Sein des Einzelnen. »

38 Ibid, p. 20, ligne 6, « sprachlicher Form »

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retranscrite, elle est uniquement vécue. Les formes logiques font extraction des objets du monde et transpose dans le langage la présence d'un prédicat, auxquels on peut attribuer des adjectivités particulières et une signification idéale. C'est dans ce cadre qu'on peut fixer l'identité de la signification, qui n'est pas pareille à ce que Husserl appelle l'aperçu général. Cependant il y a une véritable nécessité de rendre la logique elle aussi intersubjective, malgré cette lacune linguistique : L'impossibilité de transcrire en mot l'aperçu général. Elle ne peut certes pas donner un tel aperçu du monde, mais la logique est porteuse d'un point de vue scientifique et objectif. Il est nécessaire, pour éviter toutes formes de solipsisme, ou tomber dans un relativisme radical qui empêche la logique de garantir les significations des expression. Il faut qu'elle puisse elle aussi, à travers l'idéalité de la signification, véhiculer la notion d'intersubjectivité.

2.1.2. Le langage et l'expression

La science a un caractère démontrable et c'est en cela que le concept d'intersubjectivité est aussi présent dans la logique. Les objets de la logique sont des informations que l'on peut désigné dans la réalité, donc partager avec d'autres sujets. Cependant une objection est ici possible : L'expression linguistique n'est-elle alors qu'un vêtement qui couvre un pensée originairement non linguistique - une expérience purement phénoménologique ? Parce que, comme l'écrit Husserl, « Les pensées ne s'effectuent-elles pas la plus part du temps de manière muettes, en expérience muettes, en forme de pensées non linguistiques ?39» [Notre traduction]. Ceci est une remarque pertinente car les formes logiques ne semblent pas suffisantes pour justifier notre expérience au monde et notre sentiment de vérité. L'exemple des formulations énoncées du théorème de Pythagore, précise Husserl, est facilement rejetable d'un point de vue linguistique. Il est très facile d'en effacer l'expression linguistique pour simplement la penser sans le besoin des mots, sans pour autant perdre la vérité de ce fait. La vérité de l'expression est indépendante de la forme linguistique qui l'exprime. La réalité du monde, au sens scientifique,

39 Ibid, p. 20, ligne 30-32, « Vollzieht sich Denken nicht in großen Strecken als sprachloses, insprachlosen Erfahrungen, sprachlosen Denkformungen? »

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n'a pourtant aucun rapport avec le sujet pensant. En fait, les faits nous viennent de manière géométrique, ils correspondent à nos modèles préétablis.

Ces modèles sont les bases de toutes idéations et n'apparaissent pas dans l'expérience. Le principe même des structures de l'expérience apparait déjà chez Kant dans la Critique de la Raison pure en 1787. Toutes expériences réelles se produisent dans le champ de mes sens, dans l'espace et dans le temps, deux concepts humains qui structurent toutes nos expériences phénoménologiques? C'est « ce qui, dans l'espace et le temps, est immédiatement représenté comme réel, à travers la sensation40».

Ces structures sont des éléments objectifs dans l'expérience. Il existe aussi pour Husserl une structure de l'intentionnalité. Cette logique objective sert à combattre le psychologisme qui guette toute philosophie du sujet. Husserl propose une véritable élucidation des fondements de la connaissance car l'intentionnalité vise une signification. Cette signification est idéale et dépasse l'historicité, les vécus précédents du sujet. La conscience sort d'elle-même, elle vise la signification objective d'un objet puis redevient subjective, dans l'acte notifiant le sens.

« La signification du mot n'est pas un rapport entre deux faits psychologiques ni entre deux objets dont l'un est le signe de l'autre mis entre la pensée et ce qu'elle pense. C'est là toute l'originalité de l'intention par rapport à l'association... Le pensé est idéalement présent dans la pensée. Cette manière qu'a pour la pensée de contenir idéalement autre chose qu'elle - constitue l'intentionnalité41 ».

L'acte de signification est pour Husserl fondée par un objet de pensée, comme nous l'avons précisé dans la partie précédente, cependant, il y a un passage de l'expression (le signe avec un caractère expressif actuel) et l'intention de signification. L'acte de signification recherche un remplissement et ce remplissement n'est pas forcement effectué par le signe expressif, puisque le signe

40 E. Kant, Critique de la Raison Pure, Logique Transcendantale, Chapitre II, « De la déduction des concepts purs de l'entendement », Paragraphe 22, 1787

41 E. Levinas, En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 2004, p. 32

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n'offre pas l'objet dans l'intuition, il renvoie à lui. Lorsque le signe est objet de l'intentionnalité et qu'il offre une possibilité d'acte de signification, comment est-il possible de passer d'un acte à un autre ? En d'autres termes, le signe est l'objet de l'intuition, donc de l'intentionnalité et l'acte de signification produit dans la conscience n'est pas fondé sur un remplissement de l'intuition par l'objet auquel le signe renvoie. Seul le signe est intuitionné. Comment se produit l'apparition du sens du signe si il est l'objet intuitionné, mais qu'il n'est pas le signifié ? Avant de développer plus amplement le fonctionnement du signe, il faut analyser les nouvelles distinctions que Husserl opère entre le signe et l'indice.

2.1.3. Nouvelles distinctions entre signe et indice : Traduction partielle et analyse du Beilage VII

En mars-avril 1914, Husserl revient, dans le Beilage VII sur les distinctions entre signes et indices. Il faut aller plus loin dans la définition car les signes et indices sont multiples. L'expérience de la signification et de la reconnaissance d'un signifiant, ne fait pas naturellement la distinction entre le signe et la l'indice, effectivement, cette distinction est logique et ne s'impose d'elle même dans l'expérience, puisqu'ils sont tous deux, dans une certaine mesure, vecteurs de signification pour le sujet. Ici donc Husserl revient sur ces définitions, en intégrant de nouvelles réflexions : le signe et son pouvoir de désignation et de sens ne dépend pas de sa réalité.

« Die Aussage ist etwas Wirkliches mitsamt ihrem sprachlichen Leib, obschon der sinnliche Laut ein Phantasielaut, das sinnliche Schriftzeichen ein Phantasie-Schriftzeichen ist und keineswegs als erinnerungsmäßiges gesetzt ist. Ist das Wortzeichen ein aktuell Gese-henes, Gehörtes, so spielt sein Dasein als dinglich-reale Wirklichkeit in der Bezeichnung auch keine Rolle. »

« L'énoncé est quelque chose de réel avec son corps linguistique même si son son sensuel est un son imaginé et son caractère écrit est un caractère écrit imaginé et qu'il n'est en aucun cas un souvenir. Le fait que que le mot-signe ait

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véritablement été vu ou entendu, son existence [Dasein] en tant que chose présente dans la réalité, ne joue aucun rôle dans la désignation42 » [Notre traduction].

Dans les faits, si je pense un signe ou si je le vois, la seule distinction d'état est que dans le cas de la perception, j'ai conscience, j'ai connaissance de sa réalité mais ce n'est pas la réalité qui lui confère son caractère fonctionnel et communicant :

« Wo Wirkliches vorliegt, wo ich an Wirkliches die bezeichnende Funktion knüpfe, Wirkliches als Zeichen verwende und äußere, um dadurch mitzuteilen, da kann ich natürlich nicht dieWirklichkeit abtun. Aber auch da konstituiert sich das Zeichen nicht als Beschaffenheit desWirklichen, sondern als funktionaler Charakter, und er konstituiert sich aufgrund der Erscheinung von Wirklichem, aufgrund der Wahrnehmung und durch darin fundierteAkte; inWahrnehmungen gründenden Sollens-tendenzen, gesättigt (entspannt) in thematisch vollzogenem Bedeutungsbewusstsein. »

« Lorsque le réel est présent, lorsque je considère la fonction de désignation comme réelle, lorsque j'utilise et que j'exprime un signe comme réalité, pour ainsi le partager, là je ne peux pas bien sûr, me défaire de son caractère réel. Mais ici aussi, le signe ne se constitue pas comme une qualité de la réalité, mais comme un caractère fonctionnel, et il se constitue à cause de l'apparence de la réalité, à cause de la perception et de l'acte qui y est fondé ; dans les perceptions se fondent une tendance du devoir, [...] dans la conscience de signification thématiquement accomplie43 » [Notre traduction].

Cette tendance du Sollen, du devoir, n'est pas présente dans la perception des indices. C'est plus tôt une tendance à l'attente. Nous allons donc traduire et commenter en partie le Beilage VII, Indices en tant qu'indications et véritables signes. Le devoir des véritables signes. Indications artificielles. « Je désigne un SA comme un indice, dans le but que quelqu'un d'autre ou moi-même puisse voir

42 E. Husserl, Hua XXII.II, « Ausdruck und Zeichen », Das Zeichen als funktionaler Character., 3. Auf die Wirklichkeit kommt es für die Zeichenkonstituion nicht an, p. 94-95, lignes 31-01

43 Ibid, p. 95, lignes 7-16

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que cela est B. Ce n'est pas un signe44 » [Notre traduction]. Ce n'est pas un signe car c'est une conscience subjective qui le désigne. Ce n'est pas un signe existant dans l'espace intersubjectif de la logique. Le signifié d'un signe se désigne normalement de lui-même à moi. Dans ce cas présent, c'est un indice que le « je » transforme en indication de sens pour un autre objet, de manière à ce que moi-même ou quelqu'un d'autre puisse reconnaître dans cet indice, la présence prochaine d'un autre objet. Le signe est naturellement porteur de sens, il ne nécessite pas que je lui ajoute arbitrairement un sens. En revanche, un indice n'a pas le caractère intersubjectif du signe. Pour exemple, on pourrait citer les phrases inspirées des vers de Verlaine qui ont servies à prévenir les résistants français que l'opération Overlord allait commencer dans les prochaines quarante-huit heures, à compter du message radio le 5 juin 1944. Le message codé était alors le suivant : « Les sanglots longs des violons de l'automne, blessent mon coeur d'une langueur monotone ». Ni les allemands, ni les français en général ne pouvaient comprendre ce message qui s'adressaient uniquement à ceux qui était capable de le comprendre. Ils ont reçu des indications préalables pour pouvoir le comprendre. Ce n'est donc pas un signe, c'est un indice, un code qui a été produit dans le but d'être crypté pour la population, mais compréhensible pour les personnes préalablement prévenues.

« 2) Wenn ich das Anzeichnende, das Merkzeichen sehe, mag ich wissen, dass es dazu da ist, in dieser Absicht aufgestellt worden ist. Das ist kein kommunikatives Verstehen und kein Verstehen eines eigentlichen Zeichens. »

« 2) Lorsque je vois un indice, ou quelque chose de remarquable et que je veux savoir si cet objet a été installé ici dans cette intention. Ce n'est ni une compréhension communicative, ni un véritable signe45 » [Notre traduction].

Lorsque je doute du sens du signe et que je m'aide du contexte pour savoir si cet indice que je pense être un signe en est un, ce n'est pas véritablement un signe,

44 Ibid, p. 96, lignes 29-30, « Ich erzeuge ein ZA als Anzeichen zu dem Zweck, dass ich oder dass 30 jedermann daran ersehen kann, dass B ist. Das ist kein Zeichen. »

45 Ibid, p. 96, lignes 31-33

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c'est un indice. Le signe s'offre à nous directement, il n'est pas emprunt de doute et il n'est pas hasardeux. C'est le cas de l'interprétation d'oeuvres artistiques. Lorsqu'on pense comprendre une oeuvre artistique, on lui donne un sens en s'aidant des indices que l'on pense importantes et on lui donne une interprétation. Cependant l'interprétation n'est jamais univoque, l'oeuvre ayant un caractère autotélique. L'interprétation ne coïncidera jamais tout à fait au sens primaire de l'oeuvre - celui potentiellement donné par l'auteur, mais sera lié au lecteur. « L'observation et les commentaires d'un poème peuvent être profonds, singuliers, brillants ou vraisemblables, ils ne peuvent éviter de réduire à une signification et à un projet le phénomène qui n'a d'autre raison que d'être46 ».

Husserl continue ses distinctions :

« 3) Ein Zeichen liegt auch nicht vor, wenn ein Objekt A mich an ein Objekt B erinnert oder wenn ein A in mir die Vorstellung, dass B ist, durch Daran-Erinnern assoziativ erweckt. »

« 3) Un signe aussi n'est pas, quand un objet A me fait souvenir d'un objet B ou quand A est d'après moi la représentation de B à travers le souvenir d'une association.47 » [Notre traduction].

Les signes ne sont pas non plus, comme le précise Husserl, des indices qui nous font personnellement souvenir d'une association qui est directement liée à l'historicité du sujet et à la multiplicité de ses vécus psychiques. Ce genre d'indices ne sont que personnels, ils n'ont pas de caractère intersubjectif et sont liées à nos expériences. C'est le cas de la reviviscence, symptôme psychiatrique du trouble de stress-post-traumatique qui fait revivre à travers une association partielle d'objets, l'événement traumatisant qui lui est associé, d'un point de vue uniquement personnel.

« 4) Auch nicht dann, wenn ein gewohnheitsmäßiges Verhältnis hier vorliegt. Und wieder nicht, wenn gewohnheitsmäßigA als das Uninteressantere

46 R. Char, préface aux Poésies, Une saison en enfer, Les Illuminations de Rimbaud, éditions NRF Poésie/Gallimard, 1956

47 E. Husserl, Hua XXII. II, p. 97, lignes 1-3

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zurücktritt und B als das Interessante mich anzieht, also in gewissem Sinn eine gewohnheitsmäßige Tendenz des Übergangs erwächst. »

« Ce n'est pas un comportement habituel non plus. Et ce n'est toujours pas, quand le A habituel perd son intérêt et que l'intérêt de B commence à m'attirer, donc dans un sens, cela donne naissance à une tendance habituelle48 » [Notre traduction].

Un signe n'est pas non plus une tendance transitionnelle habituelle. C'est n'est pas le fait de voir un objet qui pour moi, à force d'habitudes devient porteur d'un autre sens. C'est le cas par exemple de la transsubstantiation, où le croyant ne voit plus l'intérêt du pain et du vin, mais voit le corps du Christ. Ces objets sont le symbole d'une expérience divine, même si, pour Charles Sanders Peirce l'eucharistie peut être considérée comme un signe car :

« we can get it wrong--that our judgments about reality are always provisional and thus subject to revision.64 In this sense we can understand the eucharistic species to retain their indexical character even if someone fails to notice them or thinks of them as no more than ordinary bread and wine. »

« nous pouvons avoir faux, nos jugements sont toujours provisionnels et donc, sujets à la révision. Dans ce sens, nous pouvons comprendre que l'eucharistie retient son caractère indexical même si quelqu'un n'arrive pas à le reconnaître ou si il ne voit pas plus que du pain et du vin ordinaire49 » [Notre traduction].

Husserl conclut en décrivant l'essence du signe, qui est et doit être utilisé comme un pont, un Brücke :

« 5) Notwendig ist zwar das äußerliche Bloß-Daran-Erinnern«, wobei kein sachliches Anzeichenverhältnis statthat, und wieder die Tendenz des gewohnheitsmäßigen Übergangs. Aber notwendig ist auch, dass Z dazu da und nur dazu da ist, auf B hinzuweisen (Hinweis das Gemeinsame mit dem

48 Ibid, lignes 4-7

49 William P. O'Brien S.J., Eucharistic Species and Peirce's Sign Theory, p.87, Saint Louis University, 2014

Anzeichen-Verhältnis), oder dass Z ein bloßes Mittel« ist. Aber wieder nicht Mittel im Sinne einer Zwecksetzung [...], sondern Mittel im Sinne einer von Z ausgehenden Forderung des Übergangs und zugleich einer auf Z zugehenden Aufforderung, es zu erfassen und nur als Brücke zu verwenden. »

« Le "souvenir" [Bloss-Daran Errinern] est nécessaire, même si il n'y a pas d'indice physique mais seulement la tendance de la transition habituelle. Mais il est nécessaire aussi que S ne soit présent que pour démontrer B (signal commun grâce à l'indice), ou qu'un Z ne soit qu'un "moyen". Mais ce n'est toujours pas un moyen [...] dans le sens d'un Z comme l'exigence explicite d'une transition ainsi qu'un Z comme invitation implicite à le voir comme tel et à l'utiliser seulement comme un pont50 » [Notre traduction].

Finalement, Husserl explique : L'indice du souvenir, en tant que transition habituelle est tout aussi nécessaire que le signe qui offre une invitation implicite à n'être utiliser que comme un pont. En fait, les termes traduit ici comme implicite et explicite reflètent deux types de réalité : Dans le cas du souvenir, la transition est explicite, puisque le sujet a fait un acte de cette transition, mais elle est implicite dans le cas du signe puisque le signe, lui, s'impose de lui même. Plus encore, le signe comme nous l'avons expliqué auparavant, n'a pas d'autres sens que le signifié. C'est un objet arbitraire dont l'existence est effective uniquement dans le but de désigner un autre objet, de le rendre présent dans l'acte de signification, sans pour autant que l'objet rendre dans le champs des perceptions.

39

50 E. Husserl, Hua XXII.II, p.97, lignes 8-16

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2.2. ANALYSE DE LA FONCTION GÉNÉRALE DU SIGNE

2.2.1 La tendance du devoir et la tendance à l'attente : Traduction partielle et commentaire du Beilage VII

Plus loin dans ce texte Husserl propose des distinctions entre signes et indices non pas d'un point de vue fonctionnel, mais en analysant les tendances dont ils sont porteurs. Il y décrit la tendance du devoir, seule tendance portée par le signe, et la distingue les autres tendances qui appartiennent aux indices.

« Sturmsignale und sonstige mitteilende Signale: Zeichen, denen ein Sollen anhaftet. Das Signal wird gehisst, die Signalkörbe werden aufgezogen: Die Militärbehörde will die Schifffahrer etc. etwas wissen lassen. Sie sollen wissen, und sie verstehen in diesem Sinn. Aber dieses Sollen hat jede mitteilende Rede, jedes öffentliche Schriftstück z.B., aber auch jede Rede, in der ich mich an andere mit der Absicht einer Mitteilung wende. Alle echten Zeichen haben den Ursprung aus solchem zumutenden, von Subjekten ausgehenden Sollen. Und nachdem die Zumutung (selbst wo sie mitgedacht ist) außer Aktion getreten, bleibt das reine Sollen des Zeichens.

Dieses Sollen fehlt natürlich (bzw. jedes Wollen) bei Anzeichen, etwa Vorzeichen, wie z.B. das Aufflammen des Kronleuchters Vorzeichen für den Beginn der Aufführung ist. Eine Tendenz ist bloß da, eine Erwartungs tendenz, der ich folge. (Ich bin ohnehin in Erwartung«, aber zuständlich. Das Anzeichen macht wieder lebendig-aktuelle Erwartung daraus.) »

« Le signal de tempête et les autres signaux communs : Ce sont des signes, auxquels est ajouté la notion de devoir. Le signal a été hissé, la bouée de signalisation a été lancée à l'eau : L'autorité militaire veut faire savoir quelques chose aux bateliers. Ils doivent savoir et ils le comprennent dans ce sens. Mais ce sens du devoir, tous les discours notifiants et toutes les notes publiques en sont porteurs par exemple, mais aussi tous les discours dans

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lesquelles je m'adresse à quelqu'un d'autre dans l'intention de lui faire parvenir un message. Tous les véritables signes ont à l'origine une telle exigence du devoir explicite dirigés vers les sujets. Et après cet ordre imposé, (même là où il est juste pensé) expulsé par l'action, il reste le pur devoir du signe.

Ce devoir n'est naturellement pas présent [...] dans les indices, ou dans les choses désignées, comme par exemple montrer les lumières qui s'allument pour désigner le début d'une représentation. Une tendance est tout à fait là, une tendance à l'attente, à laquelle je me fis. (Je suis déjà dans l'attente, mais de manière réactualisable)51 » [Notre traduction].

Les signes transportent donc une notion de devoir, lorsqu'on en en rencontre un, ils nous signifie quelque chose, cette chose est censée être comprise par le sujet qui la voit : C'est là où se trouve le devoir. Les signes linguistiques sont aussi inscrits de manière à être compris, ils sont porteurs d'une volonté d'être partagés et aussi d'un fondement tacite : Ils sont fait pour être compris, ils sont appris par les sujets puis doivent être compris. La bouée de signalisation est un objet officiel qui permet une reconnaissance directe de la tempête. C'est un objet qui fait parti du code maritime et qui a été fabriqué de toutes pièces pour indiquer la tempête. Lorsque la tendance du devoir est présente, elle s'adresse aux marins qui comprennent le signal tel qu'il doit l'être : Les autorités militaires indiquent que le temps est mauvais et donc, il faut prendre les précautions nécessaires pour adapter son bateau. Tous les signes possèdent une telle capacité et ceci les différencie des indices et des indications.

Les indices indiquent quelque chose mais le sens du devoir n'y est pas présent. Husserl prend donc l'exemple des lumières qui s'allume avant le spectacle. Il y a ici une indication qui est présente de par elle même, mais aussi grâce au contexte ; je me trouve dans une salle de représentation, les lumières s'allument, j'attends donc le spectacle. C'est une tendance à l'attente, mais cela reste une tendance. C'est parce que j'ai l'habitude de voir les spectacles

51 Ibid, Lignes 17-32

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commencer de la sorte que j'attends le début du spectacle. C'est une tendance, une transition habituelle.

« Wegweiser: zeigt unmittelbar die Wegrichtung an. Ich muss mich erst besinnen und komme darauf, dass er aufgestellt ist zu dem Zweck, dem Wanderer Mitteilung davon zu machen, dass der Weg zur Stadt da gehe. ausdruck und zeichen Windfahne: aufgestellt zu dem Zweck, dass man daran die Windrichtung ,,ersehen« kann. Also das sind zur Anzeige bestimmte Zeichen - Signale.

Was liegt vor bei der Anzeige: Ein GegenstandAwird im Dasein erfasst, und nunwirdder geistigeBlick fortgerissen, fortgelenkt zu dem damit ,,durch Motivation« verbundenen ,,Es ist B!«, ,,Es wird B kommen!«. Lichtschein am Himmel - es brennt irgendwo! Dunkle Wolken, schwüle Luft - ein Gewitter im Anzug. Und in dieser Einheit des Übergangs ist A charakterisiert als anzeigend (als Anzeichen, Vorzeichen), B als angezeigt.

Nun kann ich künstlich eine Anzeige herstellen. Zum Beispiel, eine bewegliche Fahne folgt dem Wind und zeigt die Windrichtung an. Ich mache eine Wetterfahne, umfürmich oder andere diese nützliche Anzeige jederzeit bereit zu haben. Eine Wetterfahne ist kein Mitteilungszeichen. Es ist bloß eine zweckvoll hergestellteAnzeige, und eventuell fasse ich es als Zweckding und als zu diesem Zweck hergestellt auch auf.

Anders bei den Lotsenzeichen, Sturmsignalen, bei allen echten Signalen. An sich zeigen sie nichts an, sie stehen als das,was sie sind, und an und für sich betrachtet, danach, dass sie sind, nicht in einem Verhältnis der Seinsmotivation zu dem,was sie bezeichnen. Es ist nicht erst ein Anzeigeverhältnis [...]. Es können innerhalb Klassen von anzeigenden Gegenständen nicht nur Zweckgegenstände konstruiert werden, um Anzeige jederzeit oder in passenden Lagen zu erwecken; es können auch schon konstituierte Anzeigen dazu dienen, wirkliche Zeichen zu konstituieren. »

« Indications de chemin : Indique directement la direction du chemin. Je dois en premier me rappeler que je suis sûr que ce qui est mis est dans le but de

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notifier au voyageur que ceci est le chemin de la ville où je vais.

Les drapeaux indicateurs du vent : Installés dans le but, que chacun puisse "voir" la direction du vent. Donc ce sont des signes - signaux particuliers pour afficher. Qu'est ce qu'une indication : Un objet A a été créé, et maintenant le regard spirituel est emporté, il s'éloigne avec motivation de A pour se lier à "Ceci est B !", "B va apparaître!" De la lumière dans le ciel - il y a un incendie quelque part ! Des nuages noirs, l'air lourd, un orage se prépare. Et dans cette unité de la transition, A est caractérisé comme indiquant (en tant qu'indice ou prévision), le B comme indiqué.

Maintenant je peux aussi installer un indice artificiel. Par exemple un drapeau mouvant suit le vent et montre donc la direction du vent. Je fais un drapeau indicateur du temps de manière à avoir cette information utile à chaque instant pour moi ou pour les autres. Le drapeau indicateur du vent n'est pas un signe notifiant. C'est plutôt un indice installé dans ce but, et je peux éventuellement le considérer comme une chose ayant un but, et également en tant qu'installé à cette fin.

Mais il n'en est pas de même pour les indicateurs de chemin, les signaux de tempête, pour tous les vrais signaux. En soi il ne montrent rien, ils restent tel qu'ils sont, ils sont pris en compte seulement en eux-mêmes, parce qu'ils ne sont pas dans une relation motivée de l'être de ce qu'ils désignent. Ce n'est pas tout d'abord un état de démonstration [...]. Il peut y avoir des objets désignant qui ne sont pas construit seulement comme des objets ayant un but, pour susciter un indice tout le temps, ou de manière succincte52 » [Notre traduction].

Cette relation non motivée du signal, c'est la tendance. Cette tendance est non motivée car elle n'est pas explicable contextuellement ou personnellement comme les indices. Le signe et le signal n'a rien de psychologique. Ils n'ont pas de rapport de faits avec les vécus personnels des consciences. Ce n'est pas non plus une habitude ou un instinct. S'attendre à un orage lorsque l'air devient lourd est une indice associatif qui est provoqué par l'expérience. Elle fait place à l'attente

52 Ibid, Ligne 33, p. 97 à lignes 23, p. 98

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d'un orage. La relation non motivée du signe vers son désigné, c'est aussi le caractère arbitraire du signe. Le signe n'a pas de but, Zweck, puisque c'est seulement un moyen. Il existe seulement en lui-même.

Ici cependant, il est intéressant de revenir sur la distinction entre les signes catégoriaux et les signes non catégoriaux, les signaux - comme dans ce texte, la bouée de signalisation, pour pouvoir comprendre la portée du mot Anzeichen, l'indice, l'indication en comparaison avec le signe expressif, puisque, dans la première édition des Recherches Logiques, il n'était pas question d'attribuer une Sollenstendenz à un signe autre que linguistique.

Le signe et l'indice sont tous deux des termes qui relaient d'autres objets. La bouée de signalisation relaie la tempête, les lumières s'allumant dans la salle de théâtre relaie l'information du début de la représentation. En général, on utilise ces mots de la même manière - toujours pour désigner un mot ou une chose qui désigne un autre mot. Mais l'indice ne désigne rien, rien n'est signifiée à travers la présence d'un indice. Lorsque les lumières s'allument, ce qui est signifié, c'est que les lumières sont allumées, ce qui est attendu, comme l'explique Husserl dans le Beilage VII, c'est le commencement du spectacle.

Il est alors évident que les lumières du spectacle ne sont pas des signaux, même si elles sont données de manière non catégoriale. La distinction entre les signes catégoriaux et les signes non catégoriaux est nouvelle dans les travaux de Husserl. Il avait laissé, dans ses anciennes Recherches logiques, la prédominance de la définition du signe au signe linguistique, donc - catégorial mais il revient sur ce point dans les réécritures.

2.2.2. Analyse comparative : De la première édition aux
réécritures, une requalification du signal

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Dans la première Recherche, Ausdruck und Bedeutung, Husserl explique ce qu'est la Kundgabe, la notification de sens. En ce qu'il s'agit des signes linguistiques, le locuteur exprime quelque chose avec des signes à un destinataire et le destinataire conçoit l'expression comme « un signe des "pensées" du locuteur53 » [Notre traduction]. Husserl définit ceci comme la fonction de manifestation, une des fonctions opérantes de l'expression linguistique. Cette fonction du langage est pour Husserl, ni un jugement, ni une connaissance c'est « que le destinataire perçoit le locuteur à travers l'intuition comme une personne qui exprime ceci et cela54 » [Notre traduction]. Cependant Husserl fait une distinction entre les signes linguistiques et les signes non linguistiques qui pour lui ne sont que des Anzeichen, des indices, car ils ne signifient rien : « Il lui signifie quelque chose, dans la mesure où cela peut être interprété, mais ils n'ont pas en soi de véritables significations, dans le sens exact d'un signe linguistique, mais tout à fait dans le sens d'un indice55 » [Notre traduction]. Ce genre de signes, ne sont que des affichages de la pensée de quelqu'un. Ils n'offrent pas pour Husserl, à ce stade de ses recherches, une véritable signification, une expression aussi précise que l'expression linguistique. Dans les réécritures, Husserl introduit une précision. Il y a signes qui ne font pas partie des langues naturelles et qui ne sont pas pour autant des indices. Car dans la première Recherche, Husserl s'est concentré sur le signe et le signifié en tant que mot et forme linguistique. Ici il explique :

"Le drapeau comme signe d'une nation, le stigma comme signe des esclaves ont été justement utilisés comme des exemples d'indices. Mais ce sont en même temps de véritables signes, même si il y a une différence dans les faits avec les signes linguistiques et que tous les signes artificiels se fondent de la même manière en dehors des langues naturelles."56[Notre traduction]

Ici alors, il faut analyser les signes catégoriaux et introduire la possibilité de l'existence de signes non catégoriaux sans qu'ils soient forcement définis comme des indices ou des indications. Tout d'abord, le signes, est bien ce qui définit

53 E. Husserl, Hua XIX.I, p. 40, lignes 3-4

54 Ibid, lignes 25-27

55 E. Husserl, Hua XIX.I, p. 38, lignes 6-9

56 E. Husserl, Hua XX.II, p 52 , lignes 18-24

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quelque chose d'autre que lui même. Il possède cette dualité inhérente en lui. Le drapeau d'une nation est un signe non pas linguistique, mais visuel, et il définit une nation. Le signe exprime le même : C'est un objet qui en plus d'être lui même en tant que fondement matériel, Wortlaut, est aussi quelque chose d'autre de manière évidente, non pas dans l'intuition, mais dans la signification. Il ne l'indique pas, il l'exprime clairement. Husserl appelle cela le signal, lorsqu'il est non linguistique :

« Il a un sens exprimé, il transforme une visée [Meinung] en expression, il désigne quelque chose, même si il possède aussi sa fonction normale d'indice pour quelque chose, mais d'un autre coté, il n'exprime pas comme une formule mathématique ou comme un énoncé de mots dans n'importe quelle langue peut le faire. [...] Il peut désigner un fait [Tatsache], il peut signaliser la "même" chose57 » [Notre traduction].

Le signe n'est pas le mot ou le dessin dans sa composition, c'est un signal qui n'a rien à voir avec la construction du signifié. Il ne peut pas être déconstruit. Il est vide en lui même, il possède un sens non explicatif, un sens arbitraire et idiomatique. Le signal est une entité entière qui ignore la grammaire car la grammaire est importante dans les structures logiques de la signification, lorsqu'il s'agit de l'expression linguistique :

« Im Reich der Signale gibt es keine Grammatik; wir wissen aber schon, dass Grammatik nicht Sache der sinnlichenWortzeichen, sondern Sache der Bedeutungen und ihrer Formen ist. Eine Sachlage kann in bestimmter logischer Fassung, die imangemessenen grammatischen Ausdruck sich nach Inhalt und Formen ausprägt, bezeichnet sein. Sie kann aber auch einfach indiziert sein, sei es als Ganzes, sei es nach Bestandstücken, wobei die Signale für die Teilsachlagen auch für sich, wo nur diese Teile von Interesse sind oder sie das Ganze ausmachen, fungieren können. »

« Dans le domaine du signal il n'y a pas de grammaire ; nous savons cependant déjà que la grammaire n'est pas n'est pas importante en matière de

57 Hua, XX.II, p. 52, lignes 27-34

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signes linguistiques physiques [sinnlichen], mais elle joue un rôle dans la signification et ses formes. Une situation peut être désignée par une certaine constitution logique, qui exprime avec une expression grammaticale appropriée, le contenu et la forme. Elle peut aussi être indiquée, soit en tant que tout, soit par parties, où les signaux peuvent composer des parties de la situations aussi pour soi, où seule ces parties sont intéressantes, ou alors ils peuvent composer le tout58 » [Notre traduction].

La forme grammaticale dans lequel le signe apparaît n'est pas importante. C'est en cela que des signaux, donc des signes non-linguistiques peuvent eux aussi désigner. La fonction du signe dépasse même les formes différentes et les nuances de son apparition grammaticale. Le sens du signe et son expression ne sera en aucun cas changé si il est utilisé de différentes manières dans le contexte d'une phrase. Par exemple, Husserl explique qu'il existe des énoncés qui exprime la même chose, avec des formes linguistiques différentes. Dire qu'une tempête vient du nord-est, ou qu'une tempête arrive, quand bien même la direction n'a pas été donnée, le signe reste signifiant. Même si ce signe est un Teilsignal, un signal d'une partie seulement de la chose. Comme Husserl le précise, un signal peut indiquer une partie ou la chose entière, tout dépend de l'intérêt du destinataire et de l'intention qui exprime. La Kundgabe, la manifestation restera ici l'approche d'une tempête. Le signal n'exprime pas dans une forme de phrase précise, une exprime directement la chose correspondante, c'est la cas de la bouée de signalisation. Lorsque quelqu'un la verra, il comprendra la présence de la tempête mais le signifié ne sera pas une phrase explicite et construite « comme quelque chose inscrit en tant que définition explicative des signaux marins dans les livres des codes de signaux59 » [Notre traduction], mais une forme d'évidence, de corrélation avec le signifié et donc avec le comportement à adopter.

Il faut donc alors définir les signes non catégoriaux et cela dépend alors non pas de sa précision logique ou linguistique, mais d'une présence de son véritable caractère intersubjectif. Le langage est un domaine intersubjectif, mais les codes

58 Ibid, p. 53, lignes 11-19

59 Ibid, p. 53, lignes 34-35, « wie etwa die denMarinesignalen beigegebenen Erklärungs-35 sätze in den Signalbüchern »

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et les signaux le sont aussi dans la mesure où ils adressent un message à quelqu'un qui le comprendra comme tel. C'est là que se trouve la véritable fonction, le devoir de savoir ce qui est intersubjectif et qui s'adresse avec intention à quelqu'un qui est censé, qui doit - le comprendre. Le signal devient alors dans ces nouvelles recherches aussi un signe qui n'a pas besoin d'être exprimé ou compris dans un cadre linguistique.

« Liegt in der Art des Bedeutens der Unterschied zwischen kategorialen und nicht kategorialen Zeichen (die wir uns immer durch Signale verdeutlichen können), so bleibt andererseits gemeinsam auf beiden Seiten »

« Il y a donc dans le domaine de la signification une différence entre les signes catégoriaux et les signes non catégoriaux (que nous pouvons toujours nommer signaux), mais il reste quelque chose de commun à ces deux types de signes60 » [Notre traduction].

Et cette chose commune c'est le pouvoir intersubjectif du signe. C'est sa fonction qui dépasse sa forme. Derrière chaque signe, il y a au fondement, une possibilité d'expression possible mais aussi - et surtout, le postulat que les autres comprennent le sens du signe, sinon c'est un indice personnel :

« diese Funktion dadurch in Kraft tritt, dass sich Adressanten und Adressaten, Zeichengeber und Zeichenempfänger in einem intersubjektiven Bewusstsein konstituieren, sich selbst ineinverstehenden Bewusstseinsakten einander gegenüberwissen, der eine das Zeichen mit seiner Bedeutung übermittelnd, der andere es in eben dieser Bedeutung verstehend. »

« cette fonction tient sa force du fait que le locuteur et le destinataire, le donneur de signes et le receveur de signes, se constituent dans un conscience intersubjective, elle même dans l'acte de la conscience de compréhension connaissent entre eux, l'un en transmettant un signe avec sa signification, et l'autre comprenant entièrement la signification61 » [Notre traduction].

Cet espace intersubjectif, et cette conscience de la signification n'est alors

60 Ibid, p.54, Lignes 16-19

61 Ibid, p 54, lignes 21-26

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plus centrée sur la précision grammaticale et logique de nos formes expressives. Les signes peuvent ainsi être non-catégoriaux, l'importance étant cette intersubjectivité possible, cette conscience de la signification. Il nous faudra désormais analyser jusqu'où peut on désigner la communication comme un espace intersubjectif, et pour comprendre ce fait, il faut analyser pourquoi Husserl en s'inspirant de Bühler refuse de donner trop d'importance à la fonction d'influence définie dans les travaux de Marty, dans le domaine de la communication.

2.2.3. Entre production et compréhension : Bühler et Marty

Les Recherches Logiques, publiées en 1900 et 1901 ont été l'objet de modifications dans les années 1910 par Husserl en ce qui concerne l'expression et de théorie du signe. L'intentionnalité qui est issue des thèses de Brentano est de nouveau développée par Husserl qui opère une distinction entre les types d'intentions possibles. Il y intègre la notion de Tendenz, qui n'existait pas dans ses travaux précédent et de Meinung, de visée, comme deux intentions distinctes possibles. Comme l'explique Ulrich Mell : « Il s'agit de différencier l'intention en tant que tendance, comme l'intention d'indiquer [Hinweisintention] et l'intention en tant que visée62 » [Notre traduction]. Les conséquences de l'introduction de tels concepts dans l'intentionnalité husserlienne permettent alors de clarifier certains points de sa philosophie de l'expression :

« In seiner neuen Ausdrucks- und Erkenntnislehre verbindet die Hinweisintention den Wortlaut mit einer sei es leeren, sei es anschaulichen Meinung, die durch diese Verbindung zum Bedeutungsbewusstsein wird, die aber ebensogut auch ohne diese Verbindung bestehen kann. »

« Dans sa nouvelle théorie de l'expression et de la connaissance, il lie l'Hinweisintention de la Wortlaut avec une visée soit vide, soit intuitionnée, qui grâce à ce lien, devient conscience de signification, mais qui peut aussi exister sans ce lien63 » [Notre traduction].

62 Ibid, « Einleitung des Herausgebers » , p. XXIII, « Es gilt zwischen Intention als Tendenz, als Hinweisintention und Intention als Meinung zu unterscheiden. »

63 Ibid

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Dans les travaux de Husserl, il n'est pas rare de trouver les termes de visée, Meinung, sens, Sinn et signification, Bedeutung utilisés en tant que synonyme puisque Husserl a rarement fait de distinction en question d'intentionnalité. Il écrit même dans l'introduction des Recherches Logiques : « Il n'est malheureusement pas possible de définir les actes de visée [meinenden Akte] sans recourir à l'expression de la chose signifiée64 » [Notre traduction].

Les travaux d'auteurs contemporains, comme Marty et Bühler dans les années 1900 à 1910 ont grandement influencés les travaux de Husserl, apportant de nouvelles problématiques au développement de la philosophie du langage. Bühler propose d'établir une distinction entre les contenus possibles de pensée : Le contenu intelligible et le contenu sensible. Ils deviennent alors, en tant que contenu - bien indépendant de la pensée, ils sont extrinsèques à nos modes logiques. En s'inspirant des premières Recherches Logiques, il s'interroge sur la nature des objets de pensée et il en résulte que pour lui, les représentations ne sont pas de véritables contenus de pensée. Il est loin de lier la visée à la signification comme Husserl l'a fait dans la première recherche. En s'émancipant des théories husserliennes, mais en s'inspirant de ses problématiques, il conçoit en 1909 les prémisses de son Organon Modell et s'éloigne pour ainsi dire, des thèses husserliennes. La signification devient indépendante de la représentation là où Husserl, dans la première Recherche Logique, fait le lien entre la signification et le Meinen, la visée.

Dans ce contexte, si pour Anton Marty, la signification est une fonction de la communication, elle devient pour Bühler l'effectivité de toutes les fonctions de la communication. C'est la réalisation de toutes les fonctions et de toutes les parties du langage. Marty soulève l'importance des états du locuteur et du recepteur dans la réalisation de la communication mais Bühler introduit une nouvelle fonction du langage : La fonction de représentation ou Darstellung du monde ou des objets existants, c'est l'état des choses, le domaine symbolique du langage sans recours à une forme sensible. Il faut alors distinguer trois étapes dans la réalisation de la signification : La logique de la conscience ou Regelbewusstsein et la relation ou

64 E. Husserl, Hua XIX.I, p. 16

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Beziehung obéissent aux mêmes modèles que l'intuition catégoriale que Husserl développe dans la Sixieme Recherches Logiques. Cependant, les intentions, le troisième moment dans la constitution de la signification, sont pour Bühler à distinguer, ce sont des actes signitifis, comme décrit dans la terminologie husserlienne dans la Sixième Recherche Logique : C'est non pas « l'intuition du tout, mais seulement son contenu représentatif65 » [Notre traduction], car « l'acte signitif pur se trouve toujours attaché à une intuition fondamentale. Cette intuition du signe n'a cependant aucun rapport avec l'objet de l'acte signitif pur66 » [Notre traduction]. Il n'est pas remplissant, comme la signification, c'est donc une intention vide : « La signification, dans l'acte ne parait possible alors que lorsqu'elle est liée à une intention avec la présence d'une nouvelle intention, où l'objet intuitif [...] apparait comme un signe67 » [Notre traduction].

En 1909 Bühler publie sa récension sur Marty et developpe sa théorie : si Marty concoit la communication comme une relation entre le locuteur et le recepteur, la fonction de signification chez le destinataire et de manifestation chez le locuteur n'ont pas un statut égalitaire. Il semble que le locuteur dans la production du message fait le message avec intention, avec Absicht, donc influence toujours l'auditeur, qui reçoit le message sous forme d'indice. La fonction d'influence devient alors plus importante que la Kungnahme. Une telle théorie conçoit la communication comme une approximation émotionnelle, où les signes ne peuvent plus être signes intersubjectifs, mais des indices emprunts d'une influence externe. « Le but primaire est bien plus une influence et une domination d'un état d'âme étranger chez le recepteur68 » [Notre traduction].

Bühler revient sur ce point. Toutes propositions communicationnelles ne se réalisent pas toujours dans l'influence du recepteur et ces études le pousse à introduire la fonction de représentation et à distinguer les types d'intentionnalités :

65 Hua XIX.II, VI., 25, p. 619, lignes 20-21

66 Ibid, Lignes 8-10

67 Ibid, Lignes 12-15

68 A. Marty, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik und Sprachphilosophie , 2e partie, ch. 3, §58 p. 284, Halle a. S., Verlag von S. Niemeyer, 1908, « Das primär Beabsichtigte ist vielmehr eine gewisse Beeinflüssung oder Beherrschung des fremden Seelenlebens im Hörenden. »

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« En conséquence de ce principe, devrait également être prise en compte la proposition selon laquelle, partout où l'intention première du locuteur ne peut ni être décrite comme une intention d'influencer, ni comme une intention d'exprimer, réside justement une nouvelle fonction du moyen linguistique 69 »

Cette nouvelle fonction, que Marty ignore dans ses ouvrages, change les conceptions de la communication. Il y a une nouvelle fonction possible du moyen linguistique : l'expression de l'état des choses. Husserl revient en mars 1910 sur la fonction d'influence et la fonction de représentation que Bühler a developpé dans ses Récensions sur Marty, après avoir longuement étudié le texte.

2.2.4 Traduction partielle du texte n°16 : Analyse de la fonction

d'influence

« Das sprachliche Ausdrücken, seine Funktionen und das in ihm liegende

geistige « Ausdrücken als eigenartiges Begreifen oder Erkennen

§ 1. Die Frage nach den unterschiedlichen Funktionen der sprachlichen Ausdrücke. Bühlers Unterscheidung zwischen Darstellungs- und Beeinflussungsfunktion.

Seine Verwechslung von Sinngeben und Beschreiben Marty hatte gesagt, dass man von Emotiven nicht immer sagen könne, sie stellten etwas dar, sondern dass dies nur soweit gelte, als sie von derAbsicht getragen sind, anderen etwas als gut an- oder schlecht abzubefehlen`« (S. 375). Bühler spricht dabei von Darstellung« - es ist genau das, was ich in meinen Logischen Untersuchungen gegenüber der Kundgabe herauszustellen suchte - und andererseits Kundnahme. Intention auf Beeinflussung des Seelenlebens des Hörers, Ausdrücken der eigenen psychischen Erlebnisse etc. Aber wer etwa eine soeben gemachte Beobachtung sprachlich fixiert`,

69 K. Bühler, Rezension von Anton Marty, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik un Sprachphilosophie. 1. Band, p. 964-965, Niemeyer : Halle, 1908

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der braucht nicht die leiseste Spur einer Beeinflussungsabsicht fremden Seelenlebens dabei zu haben. Er will das Objektive, um das es sich dabei handelt, den Tatbestand, darstellen, und dazu bedient er sich des Sprechens, wie er sich vielleicht auch des Zeichenstifts oder des photographischen Apparats bedienen könnte. »

« Les expressions linguistiques, ses fonctions et ce qui en elle est expressions spirituelle« en tant que compréhension ou reconnaissance particulières ;

§ 1. La question des différentes fonctions de l'expression linguistique. Distinction de Bülher entre la fonction de représentation et la fonction d'influence.

Marty avait dit qu'on ne « pouvait pas toujours exprimer les émotions, elles illustrent quelque chose, mais seulement quelque chose de valable dans la mesure où, elles sont porteuses d'un certain point de vue, autre que leurs portées plutôt positives ou négatives »70. Bühler parle à ce propos de représentation, c'est exactement ce que j'ai tenté de proposer contre la manifestation [Kundgabe] dans mes Recherches Logiques, qu'il faut opposer d'un autre coté à la prise de sens. L'intention de l'influence de la vie affective de l'interlocuteur, l'empreinte d'événements psychiques particuliers etc. Mais celui qui fixe, une telle proposition linguistique n'a pas besoin de la moindre trace d'un point de vue influencé par les expériences affectives d'un autre individu. Il veut représenter l'objectif, la manière dont cela s'est passé, l'état de fait et c'est pour cela qu'il utilise le discours comme il utiliserait peut être le crayon ou l'appareil photo. » 71[Notre traduction]

70 Cit. De Husserl : Karl Bülher « Rezension von Anton Marty, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik un Sprachphilosophie. 1. Band (Niemeyer : Halle 1908) », in « Göttingische gelehrte Anzeigen, 1909, Nr. 12, S. 971

71 Hua, XX.II, texte Nr. 16, p. 241

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L'expression partagée n'est pas objective, en revanche, elle est utilisée comme si elle l'était. Husserl prend l'exemple de l'appareil photo. Les discours qu'on tente de partager sont toujours subjectifs mais cela n'empêche pas que ce soit un moyen d'expression possible et cela est utilisé de cette manière. On considère les mots et les descriptions étaient figées et que le destinataire comprendra forcement comme le locuteur les assertions de ce dernier.

« Den Funktionen der bewussten Kundgabe (Ausdrücken`) und der Beeinflussung fremden Seelenlebens (Bedeuten`) müsste also vom Standpunkt Martys aus als dritte Funktion die des Darstellens an die Seite gesetzt werden." (Darstellen« analog wie bei darstellender Geometrie«, sagt Bühler.)

Marty erkennt diese Funktion nicht als eine selbständige Funktion an. Er handle zwar von der Beziehung unserer Sprachmittel zu etwas Objektivem, unseren Gegenständen und Tatbeständen, so z.B. bei den Namen von dem, was sie nennen, im Unterschied von ihrer Wirkung als Beeinflussungsmittel, und ebenso bei den Aussagen, aber er übersehe die Selbständigkeit der Funktion des Darstellens. »

« Les fonctions de la notification consciente de sens (« expression ») et l'influence des vécus psychiques étrangers (« sens ») doivent alors être, du point de vue de Marty, figurée comme étant la troisième fonction de la représentation. (« représentation » analogue comme celle de la « géométrie représentative », disait Bühler ).

Marty ne reconnaît pas cette fonction comme étant une fonction indépendante. Il travaille sur la relation de notre moyen linguistique avec quelque chose d'objectif, nos objets et les faits donc par exemple, par les dénominations de ce qu'ils nomment et faisant la distinction de leurs effets et tant que moyens d'influences, de la même manière que pour les énoncés, mais il néglige l'indépendance de la fonction de la représentation. »

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Ainsi, ce n'est pas dans le fond des énoncés ni dans l'importance d'une possible l'influence du locuteur, qu'il faut ériger les lois objectives de la communication mais bien dans les propriétés logiques de notre rapport au monde. Cette découverte de Bühler, la fonction de représentation, émancipe l'influence des vécus psychiques des interlocuteurs : les objets et la dimension verbale objective ne sont plus de simples jugements. La visée de la signification s'émancipe alors avec Bühler des contenus de représentations sensibles. Husserl, dans son analyse des travaux de Bühler critique cependant plusieurs points, pour lui l'analyse des fonctions linguistiques n'est pas à attribué à Marty, parce que le fait que « Marty a été ici le précurseur, est très douteux 72 » [Notre traduction]. L'importance des formes fonctionnelles du langage ne sont pas à attribuer à Marty, même si Bühler le pense. Dans cet extrait Husserl critique Bühler sur un point : Il confond l'usage des termes notification de sens et description.

L'étude des textes de Marty et de Bühler font que Husserl prend en compte de nouvelle question en matière d'expression. Mais pour lui, il est clair que l'explication des vécus psychiques et des émotions n'est pas une fin en soi pour justifier une quelconque approximation de l'expression lorsqu'elle est utilisée dans le domaine de la communication. Suivant l'exemple de Bühler, la fonction d'influence n'apparaît plus comme primordiale dans l'acte de la notification du locuteur. Il est important de préciser le fonctionnement de l'expression puisque postuler la non-corrélation des informations dans la communication intersubjective à cause des passions des interlocuteurs, fait tomber la communication humaine dans un subjectivisme qui ne peut pas garantir une certaine objectivité des significations.

72 Ibid, p. 244, ligne 6, « Dass Marty hier der Anreger war, ist wohl zweifelhaft. »

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3. SIGNES ET SIGNIFICATIONS DANS LES REECRITURES

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3.1. ANALYSE DU FONDEMENT MATÉRIEL DU SIGNE

3.1.1. Le Wortlaut : Fondement matériel de l'acte de signification

Dans l'expression orale, c'est le Wortlaut, donc l'ensemble des sons prononcés constitutifs du signe en question qui joue le rôle de représentation symbolique et idéale de l'objet. C'est le fondement matériel du signe acoustique, tout comme le caractère écrit est le fondement matériel, du signe lu ou écrit. Lorsque le Wortlaut est prononcée, elle est objet de l'intuition du sujet qui en prend conscience. C'est un objet à elle même, c'est un son qui est intuitionné. Cependant, l'acte de signification est fondé sur un objet qui n'est pas présent et dont le Wortlaut est le signe. L'acte de signification est donc vide et n'est ni le centre d'une intuition, ni le fait d'une association de ressemblance puisque le signe ne ressemble pas à son signifié. Qu'est ce qui fonde la transition de la l'intuition du Wortlaut à l'acte de signification, si elle n'est pas le même objet ? Car lorsqu'on fait l'intuition du Wortlaut, un autre objet est signifié.

L'importance physique du Worlaut n'a que très rarement l'objet même de la visée. C'est par exemple le cas d'un étudiant d'une langue étrangère qui voudrait apprendre phonétiquement un mot et qui le répéterait plusieurs fois successivement. L'intuition du Wortlaut et l'objet de la signification est ici le même : prononcer correctement le Wortlaut. Dans tous les autres cas, pour que le Wortlaut devienne médiateur de la signification, il faut qu'il cesse d'être seulement le contenu intuitif de lui-même. Il faut qu'il y ait une autre opération qui n'est pas l'opération qui n'est pas déjà la donation de sens, mais que le regard, l'intention que l'on porte sur le Wortlaut change, il faut que quelque chose s'ajoute à la simple intuition des sonorités pour pouvoir fonder la signification.

Lorsque le Wortlaut est prononcé, nous avons donc son intuition objective et

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un acte de signification qui se fonde sur cette intuition. Le fonctionnement du Wortlaut regroupe la définition même du signe. D'un point de vue formel, le signe renvoie à un signifié, à un objet autre que lui même. Mais d'un point de vue phénoménologique et non plus logique, il y a la réalisation de plusieurs actes qui rendent possible la signification. Il y a un acte de visée qui, à travers l'intuition du Wortlaut permet d'atteindre un autre objet.

« Avec la conscience du Wortlaut (Wortlautbewusstsein) par quoi le simple Wortlaut (bloße Wortlaut) est objectif (gegenständlich), nous n'avons pas encore la conscience de signification (Bedeutungsbewusstsein), la conscience en général de tout ce qui s'étend au-delà de l'établissement de l'objectivité de son de mot (Wortlautgegenständlichkeit). Il apparaît donc, en unité avec la conscience du Wortlaut, des actes nouveaux, les actes de `viser ceci et cela avec le mot' (`mit dem Wort dies und jenes Meinens')73 ».

Les essences de ces deux actes ne sont pas pensées l'une sans l'autre pour Husserl. La conscience de la signification n'est possible qu'à travers la présence du Wortlaut ou du caractère écrit. Elle fonde alors, dans la conscience, une unité de l'acte dans la conscience. Ces deux actes ne sont pas pensés l'un sans l'autre lorsqu'un signe transmet une signification :

« Il s'agit bien plutôt, ce qui dépasse cela, d'une liaison phénoménologique particulière qui se fonde sur l'essence des deux actes pour les amener à l'unité d'une conscience d'acte. La conscience de signification (Bedeutungsbewußt sein) se construit sur la conscience du Wortlaut (Wortlautbewusstsein). » 74

3.1.2. L'acte catégorial et l'acte de signification

Il est alors bien intéressant de relever la conception que Husserl propose de l'acte de signification dans la première recherche logique, à laquelle il apporte des nuances dans les textes de XX.II des Husserl Band. En séparant l'acte de signification lorsqu'il a lieu dans la Seelensleben, donc dans l'intimité de notre

73 E. Husserl, Hua XXVI, Vorlesungen über Bedeutungslehre Sommersemester 1908, Ursula Panzer (éd.), Dordrecht/Boston, Lancaster : Martinus Nijhoff, 1987, p. 15, tr. fr. J. English, Paris : Vrin, 1995, p. 35-36

74 Ibid., p. 17-18, tr. fr. p. 39

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propre vie psychique, et l'acte de signification lorsqu'il se réalise dans un contexte de communication partagée. En séparant ces deux situations, Husserl construit, dans la Première Recherche Logique, l'indépendance de l'acte de signification:

« Quand nous réfléchissons au fonctionnement de l'expression et de la signification et donc à cette fin d'ordonner la construction de l'intime unité de l'événement de l'expression remplissante grâce aux deux facteurs mot et sens, ici le mot apparaît en lui même, comme identique à lui même et le sens apparaît comme ce qui a été "vu" avec le mot, ce qui par les moyens du signe est signifié [...]"75 » [Notre traduction].

Ici donc, Husserl fait cette première distinction : Il semble qu'il y ait deux facteurs dans l'expression remplissante, le mot et le sens, le Wortlaut et la signification. Et lorsqu'on les pense séparément, le mot apparaît en lui même, en tant que caractère et le sens apparaît comme transmis par ce caractère, la signification du signe. Cependant, Husserl développe :

« L'expression semble de temps à autre dirigée vers l'intérêt de soi [...]. Mais cette visée n'est pas celle dont nous avons déjà parlée. La présence du signe me motive par la présence, ou mieux encore, la démonstration de la présence de la signification. Ce qui pour nous doit nous servir d'indice ou de signe connu, doit pour nous être percu comme étant présent. Ceci est aussi le cas de l'expression partagée, mais ce n'est pas le cas dans le discours avec soi même. Ici nous fonctionnons, normalement, avec des représentation [vorgestellten] au lieu de véritables mots76 » [Notre traduction].

Dans ce texte, Husserl fait la différence entre le signe et sa fonction communicative et le signe lorsqu'il est seulement pensé. La fonction de signification parait indépendante du signe, puisque dans le cadre de la Seelensleben « la non existence d'un mot ne nous dérange pas77 » [Notre traduction]. Ce qui fait sens est, dans la Première Recherche, la représentation. Il n'est pas nécessaire d'intégrer le matériel - le Wortlaut, pour fonder l'acte signifiant dans la pensée. Mais Husserl revient sur ce point dans les réécritures :

75 E. Husserl, Hua XIX.I, « Ausdruck und Bedeutung », 7, p. 42, lignes 14-18

76 Ibid, p.42, lignes 19 à 27

77 Ibid, lignes 35-36

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Ce n'est en rien un acte indépendant. L'acte de signification est fondé sur le Wortlaut. Plus encore, le parallélisme entre cette analogie et celle du fonctionnement de l'intuition catégoriale est frappant : La signification est basée elle aussi sur une intuition sensible, cette intuition, c'est le matériel sonore, le Wortlaut. C'est une synthèse, un acte dialectique de dépassement : Les deux parties primaires, l'intuition du Wortlaut et l'intention de signification donne lieu à la signification.

Effectivement :

« l'intention et l'intuition catégoriale exigent une succession d'actes avec des actes articulés et fondateurs qui sont ensuite réunis dans un acte qui les ressaisit tous [Übergreifende Akte] et qui a lui même une intention distincte et nouvelle. Dans ces actes fondés, quelque chose est donc donné qui ne pouvait pas encore l'être dans les actes fondateurs simples78 »

Le signifié n'étant pas le Wortlaut, il existe d'autres actes qui fondent l'unité de l'acte de la signification. En considérant l'acte de signification comme une intention et intuition catégoriale, Husserl lie les élements fondateurs de l'acte de signification. La signification dans la einsame Seelensleben, dans l'intimité de notre psychè, ne peut donc plus se faire à l'aide de contenus représentés, puisque les contenu représenté se représentent eux-mêmes, mais le processus qui mène à la représentation est lié à un objet non représentatif, le signe. Le signe linguistique fonctionne comme ci il était écrit ou prononcé y compris dans le cadre de la pensée.

Mais cependant, comme le relève Maria Gueynmnt dans son étude comparative de l'acte de signification et des actes catégoriaux, ils ne se fondent pas tout à fait de la même manière :

« La fondation des actes catégoriaux est une superposition partielle de matières intentionnelles : il s'agit d'actes qui visaient les mêmes objets, ou des objets qui, en tout cas, coïncidaient partiellement. Or on voit bien que ce n'est pas le cas pour les actes de signification. Au contraire, l'objet signifié

78 D. Lohmar, Le concept husserlien d'intuition catégoriale, Revue philosophique de Louvain, 2001, 99, 99-4, p. 653

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ne peut jamais être le Wortlaut lui-même. »79

Ainsi, l'acte de signification qui utilise comme fondement le signe, ne se présente pas tout à fait sous le modèle d'un acte catégorial. Dans la sixième Recherches Logiques, Husserl explique que le signe en tant qu'objet apparait dans un premier temps dans l'expérience, en tant que Wortlaut ou signe écrit, mais :

« Cet acte n'est pas encore désignant, cela nécessite dans le sens de nos analyses précédentes l'apparition d'une nouvelle intention, une nouvelle constitution à travers laquelle la perception intuitive est remplacée par quelque chose de nouveau, l'objet désigné est ainsi signifié80 » [Notre traduction].

L'intuition du signe n'est pas ce qui motive directement la signification. Il y a une série d'actes nouveaux qui précèdent l'acte de signification et ne respectent pas tout à fait le fonctionnement de l'acte catégorial puisque l'acte catégorial, comme le précise Maria Gueymant, est une sucession d'actes qui visent le même objet mais de différente manière. Leur correspondance forme ensuite l'unité de l'acte. C'est une synthèse d'actes intentionnels, qui vise une partie d'un objet donné, comme décrit très justement par Husserl dans la paragraphe 48 de la Sixième Recherches Logiques.

L'intuition du Wortlaut possède donc une relation nouvelle avec la signification. Dans les réécritures, Husserl clarifie l'acte de signification du signe linguistique fondateur avec l'introduction d'un nouveau concept, la tendance.

3.1.3. Le mot et la chose

Pour mener à bien l'étude de la donation de sens, il faut tout d'abord revenir

79 M. Gyemant, «Le rôle du concept de Tendenz dans l'analyse husserlienne de la fondation à l'époque des Recherches logiques», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 8 (2012), Numéro 1: Le problème de la passivité (Actes n°5), URL : http://popups.ulg.ac.be/1782-2041/index.php?id=534.

80 E. Husserl, Hua XIX.II, paragraphe 14, « Zeichen, Bild und Selbstdarstellung », p. 587, Lignes 6-9

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à la base : l'état des choses. Le mot et le discours n'est pas naturellement présent dans le monde. Les objets existent et les mots signifient des objets du monde, mais « le discours n'est pas pareil à un objet réel81 » [Notre traduction]. Cependant les discours entretiennent une relation avec les choses, on peut les lier à des objets, lorsqu'ils sont signifiant, c'est à dire, lorsqu'ils sont des signes dotés d'un pouvoir expressif : Dans ce cas, ils correspondent à une réalité. Les mots, la grammaire, les structures logiques et tout ce qui est doté d'un pouvoir expressif et signifiant servent à isoler un évenement dans la vie courante, à le soulever et à porter une intention dessus : « une phrase qui ordonne seule n'est pas un évenement réel comme l'est l'ordre et son corrélat momentané82 » [Notre traduction]. La phrase n'est pas un évenement en elle même mais elle permet à un corrélat de devenir un évenement. Pour nous, dans l'expérience du discours, le mot est la même chose que celle qu'il définit, mais ça n'est pas le cas.

Une succession d'acte et de visée différente transforme le mot en signifiant du signifié. Les analyses de l'oeuvre de Magritte La trahison de l'image83, propose souvent de distinguer l'image, la Darstellung, de l'objet, la pipe, et c'est en cela que la pipe peinte n'est pas une pipe. Cependant, Magritte a écrit en dessous de l'image cette phrase : « Ceci n'est pas une pipe ». Le mot, comme la représentation, ne sont pas l'objet qu'ils représentent. Dans le cas de l'image et du mot, comme nous l'avons déjà constaté, les actes de significations sont différents, mais le mot non plus n'est pas une réalité. Comme Husserl le précise : « Dans le monde, dans la nature dans son sens large, il n'est rien de tel que les mots84 » [Notre traduction]. Les mots et les signes sont des inventions, ils sont conventionnels. Ils appartiennent au monde de la logique et de la culture, mais pas au monde de la phénoménologie et de la nature;

Les signes linguistiques n'ont pas d'intérêt en eux-mêmes, ils portent leur intérêt sur quelque chose d'autre. Ils sont porteurs d'une tendance, d'une sorte

81 E. Husserl, Hua XX.II, « Beilage XIII », p. 111, ligne 27, « die Rede nicht als eine reale Gegenständlichkeit [ ...] ist »

82 Ibid, Ligne 3-4

83 Annexe 2

84 E. Husserl, Hua XX.II, « Beilage XIII », p. 113, ligne 8-9, « In der Welt, in der Natur« imweitesten Sinn, gibt es nicht so etwas wie Worte. »

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d'attirance vers leur signification : le signifié. « Je ne conçois pas le signe de la manière, dont je conçois (et contemple) un objet. Je conçois l'ouverture dans la signification, je conçois la tendance85 » [Notre traduction]. Le signe renvoie à une signification, mais qu'est ce que la signification du signe ? L'indice pour Husserl, est un objet perceptible qui renvoie, comme les lumières de la salle de spectable, à une situation perceptible. Le signe lui, donne une signification. L'intuition matérielle du signe, le Wortlaut, offre une matière perceptible qui de surcroît désigne un autre objet, le signifié, qu'il soit présent ou non. Le caractère signifiant du signe et du signal dans les réécritures, c'est celui d'une ouverture vers un acte signitif. Si l'acte est signifiant, c'est parce que les vécus psychiques, les évenements personnelles de la conscience qui en fait l'expérience, permettent de corréler une relation entre un mot qui est arbitraire et un sens, un objet qui n'est pas là.

Mais ce qui est arbitraire dans la donation de sens n'est que le Wortlaut, c'est lui qui ne ressemble jamais au signifié, car c'est lui qui n'existe pas comme objet dans la nature. Le signe en tant que moyen de l'expression sert de manifestation, d'indice donc - de la manifestation dans le discours partagé, de l'intention du locuteur. Il agit donc comme « un indice de l'intention de signification qu'il représente86». Le Wortlaut, c'est donc la composante qui définit véritablement le signe et son caractère spécial : sa capacité de désigner pour différents actes intentionels, un objet autre que lui même.

Les Wortlaute fonctionnent donc comme un type d'indice, qui peut être intuionné. Ils viennent de la vie psychique du locuteur qui extériose cet information, ce mot arbitraire, comme matériel possible pour fonder l'acte de signification chez le destinataire. Il indique la volonté du locuteur de viser tel ou tel mot. En cela c'est un code, qui peut être corrélé à une information, une signification si le destinaire peut le reconnaitre. Et il le reconnait grâce à la somme

85 E. Husserl, Hua XX.II, « Beilage XVIII », p. 183, lignes 1-3, « Also erfasse ich nicht das Zeichen in derArt, wie ich sonst einen Gegenstand erfasse (und betrachte). Ich erfasse das Eingangstor in das Bedeuten, ich erfasse die Tendenz »

86 M. Gyemant, Investigaciones Fenomenológicas : Razón y Vida., Qu'est ce qu'un signe linguistique ?, p, 227, vol. Monográfico 4/I, 2013

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de ses vécus psychiques précédents qui font que le signe n'est jamais une connaissance, mais toujours de l'ordre de la reconnaissance, Erkennen. C'est grâce à « une certaine somme de vécus psychiques qui, reliée de manière associative à l'expression, qui en fait par ce moyen l'expression de quelque chose87 »

Dans cette optique, on peut considérer le signe comme engageant toujours la reconnaissance, car même si l'identification peut être une connaissance, non une reconnaissance, comme l'acte d'intuition et l'intention de signification d'une image qui ressemble à l'objet représenté, le signe ne ressemble pas à son signifié. Ainsi, la reconnaissance d'un « objet repose dans une identification qui semble indiquer un reconnaître, une démarche dans laquelle il y a eu vérification, vérification d'une adéquation88 » Parce que la vérification c'est toujours pour comparer un état de chose à un état chose déjà connu. L'acte de signification n'est alors possible que si le signe est déjà une connaissance.

3.2. SIGNE ET CONSTITUTION DU SENS

3.2.1 Traduction partielle et analyse du texte n°5 : « Signification comme Identité dans l'expression parlée et comprise ».

Ici il est question de développer comme la compréhension se fait à travers de l'expression et de donner une description de la signification comme étant l'identification, donc la reconnaissance mutuelle de la même intention de signfiier.

« Dans le cas le plus simple et pour ainsi dire, naif, [...] nous avons malgré les très différents phénomènenes des deux cotés une unité de l'être, qui est exprimé avec les mots89 » [Notre traduction]. Dans ce cas, les interlocuteurs sont

87 E. Husserl, 1re Recherche logique, p. 31

88 Alievtina Hervy, «Perception et imagination : La problématique des actes mixtes», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 9 (2013), Numéro 1, URL : http://popups.ulg.ac.be/1782-2041/index.php?id=587.

89 E. Husserl, Hua XX.II, p. 42, lignes 24-27, « In demeinfacheren Fall der sozusagen naiven, nicht umgewerteten Vergegenwärtigung haben wir trotz der sehr verschiedenen Phänomene beiderseits eine Gemeinsamkeit des Wesens, die sich mit den Worten ausdrückt »

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d'accords entre eux, ils ont compris la même chose : « Des deux cotés ils sont conscients de la même Wortlaut dans une unité avec le même jugement actuel «S est P!»90 » [Notre traduction]. La signification donc, sur laquelle les interlocuteurs sont d'accord dans ce cas de figure, est toujours celle que le locuteur apporte, celle que le locuteur vise dans cet expérience de discours partagé :

« Verstehen wir unter Bedeutung das, was der Sprechende mit seinen Worten sagen, was er mitteilen wollte, so ist sie das Urteil [...] ; sein Urteilen, der Akt, aber konstituiert - im Zusammenhang mit den Wortlaut konstituierenden und den sonstigen zur aktuellen Rede gehörigen Akten - die Bedeutung »

« Nous comprenons sous le nom de signification, ce que le locuteur dit avec ses mots, ce qu'il veut partager, donc le jugement est [...] ; son jugement, l'acte, cependant constitué - en lien avec le Wortlaut constituant et les actes qui appartiennent actuellement au discours - la signification91 » [Notre traduction]

C'est de cette manière que les interlocuteurs comprennent le discours : Le sens doit être identique, même si fondamentalement, les actes menant au sens et motivant le sens sont différents. Il y a une identité, celui du Wortlaut comme fondement et partage de la signification :

« Der Hörende versteht die Worte in ihrer Bedeutung, [...]. Gemeinsam ist beiderseits eine Idee: die Idee des betreffenden Urteils, die Idee ,,Satz«, das Identisch-Herauszuschauende aus aussagenden und verstehenden Akten. »

« Le destinataire comprend les mots dans leur signification [...]. Une idée est commune aux deux partis : L'idée de la rencontre du jugement, l'idée «phrase», la désignation de la chose identique [Herauszuschauende] des actes d'énonciation et de compréhension92 » [Notre traduction].

Mais alors dans les faits, comment se passe cette transmission et cet accord

90 Ibid, p .42, lignes 27-30, « Die im Einverständnis stehenden Mitunterredner vollziehen (ansprechend und verstehend) denselbenAussagebestand; sie haben beiderseits bewusst dieselbenWortlaute und in Einheit mit diesen dasselbe aktuelle Urteil ,,S ist p!« »

91 Ibid, p. 43, lignes 7-12

92 Ibid, p. 43, lignes 14-19

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tacite fondé le Wortlaut ?

« Ein aktives Bewusstsein Vollziehen ist ein Bezeichnen, in gewisserWeise Erzeugen, es heißt aber nicht soviel, wie ein Zeichen verhältnis stiften«.Das sagende Bezeichnen oder das ausdrückende ist dasjenige, wobei das Zeichenbewusstsein eben erzeugendes und das Zeichen in seiner Bedeutung als Erzeugnis bewusst ist. [...] [Es] erzeugt im Modus des bloßen Mittels, der Brücke für die Bedeutung.»

« Une conscience active d'accomplissement est un signifié, démontré d'une manière connue, cela n'explique pas pour autant comment le fonctionnement du signe «donne». Le signifié énoncé ou exprimé est celui où la conscience du signe déjà produite et le signe dans sa signification a été produit. [...] il produit dans le monde du pur moyen, le pont vers la signification93 » [Notre traduction].

Le signifié est quelque chose qui a été compris et pensé, il est alors intéressant de voir comment le signe fonctionne des deux cotés du discours, comment son pouvoir expressif est possible chez le locuteur mais aussi le destinataire. « Ici nous avons donc une distinction : a) D'ou vient pour le locuteur l'intention du tout, de toute l'unité entre le signe et la signification94 » [Notre traduction].

Cette intention est en pratique comme Husserl la définit, l'intention d'unifier une signification que l'on veut partager grâce à l'usage des signes correspondants.

« Die praktische Intention ist doppelschichtig, sie geht primär auf das Erzeugen des Wortlauts, sofern die Wortlautschicht als ausdruck und zeichen Mittelschicht Priorität hat und das Terminieren in der Bedeutung das Endziel ist. »

« L'intention pratique se déroule à deux niveaux : En premier, c'est le produit du Wortlaut, à condition que le niveau du Wortlaut a une priorité de niveau de moyen [Mittelschicht] et la détermination de la signification en est le but

93 Ibid, « Aktiv-sagendes und passiv-verstehendes Zeichenbewusstsein. Die Priorität des Letzteren », p. 87, lignes 23-29

94 Ibid, p. 87, lignes 30 -32, « Hierbei haben wir Unterschiede: a) Voran geht für den Sprechenden die Intention auf das Ganze, auf die ganze Einheit von Zeichen und Bedeutung. »

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final95 » [Notre traduction].

Le Wortlaut doit être considéré comme un moyen, si il est prononcé, dans le but d'être seulement utilisé comme un moyen. Il est à différencier du cas des apprenants d'une langue etrangère qui sont intéressés dans la phonétique, le Wortlaut alors n'est pas un moyen ici utilisé comme un moyen mais comme une fin en soi. Ici, il faut que le Wortlaut - celui utilisé comme un signe, doit être le moyen de parvenir à une signification, le pont vers la signification, et il est utilisé comme tel : moyen de détermination du sens dont j'ai l'intention de partager.

Mais alors, la fonction d'influence décrite par Marty est elle véritablement présente dans les discours ? Le locuteur influence-t-il le lecteur ?

« Nun kann man noch fragen, welchem Bewusstsein, dem aktiven oder passiven, dem sprechenden (sagenden) oder lesenden (verstehenden) man die Priorität zusprechen muss; und zwar wohlgemerkt ist nicht [...] der Priorität, die natürlich das Sprechen vor dem Lesen hat. Es ist auch nicht überhaupt die Rede von der Priorität der Erzeugung vor der Verständnisnahme [...]. Dem signifikativen Sollen sieht man den Ursprung « aus dem stiftenden Wollen an. »

« on peut se demander, laquelle des consciences, l'active ou la passive, le locuteur (parlant) ou le lecteur (comprenant) doit avoir la priorité dans le discours ; et il n'est pas évident [...] que le locuteur a la priorité sur le lecteur. Et ce n'est pas non plus non plus évident de donner la priorité dans le discours du produit de la compréhension [...]. Le devoir signitif voit son origine venir de la donation du vouloir96 » [Notre traduction].

Le locuteur lorsqu'il parle donne une information, c'est de l'ordre de sa volonté, mais les signes sont porteurs d'une tendance, la tendance du vouloir. La fonction du signe et l'acheminement vers la signification chez les interlocuteurs est bien différente. Chez l'auditeur il y a une tendance qui va vers la signification, et cette tendance est celle d'un intérêt nouveau qui va du Wortlaut à la signification, comme un devoir de signification qui est présent lorsque le Wortlaut

95 Ibid, p. 87 ligne 34 à p 88 ligne 2,

96 Ibid, p. 90, lignes 20-30

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résonne. « je parle d'une tendance qui a son terminus a quo dans le signe97 » [Notre traduction]. Mais l'intérêt de l'objet intuionné n'est pas l'intérêt qui est opéré dans l'acte de signification.

« so erregt auch das Zeichen ein Interesse«, aber nicht ein Selbst-Interesse, ein thematisches, sondern ein Mittel«-Interesse. Es geht also vom Ich aus eine Erfassungstendenz zum Zeichen, aber es ist eine Durchgangserfassung, das Interesse ist ein Durchgangsinteresse, die Tendenz geht durch oder über das Zeichen hin zum Bezeichneten. »

« le signe procure un intéret, mais pas l'intérêt de lui même, c'est un intérêt thématique, un intérêt de «moyen». Cela va donc de moi qui opère une tendance de constitution mais c'est une tendance de passage, l'intéret est un intéret de passage, la tendance va au travers du signe ou encore sur le signe jusqu'au signifié98 » [Notre traduction].

C'est la tendance du devoir de savoir quel signe correspond à quel signifié. Le Wortlaut dirige vers le signifié, « une tendance part de lui mais ne doit pas finir en lui99 » [Notre traduction]. Elle passe par la signification, elle mène jusqu'à la conscience de signification pour finir dans la présence du signifié. « La tendance du devoir est là et ce n'est pas le fonctionnement d'une tendance fondée de l'indication, mais à la base il y a un souvenir-de [Daran-errinern] associatif d'un tel contenu100 » [Notre traduction]. Le contenu dont il faut se souvenir, c'est le signifié, « le souvenir en tant que «signifié avec», en tant que désigné101 » [Notre traduction]. Ce pont entre signe et signifié c'est la tendance, et il faut se souvenir du désigné pour que la tendance puisse fonctionner. C'est en cela que les véritables signes sont porteurs de la Sollenstendenz, une tendance du devoir, du souvenir associatif.

97 Ibid, p. 91, lignes 21-22, « Aber ich spreche von einer Tendenz, die ihren terminus a quo im Zeichen hat. »

98 Ibid, p. 91, lignes 24-27

99 Ibid, lignes 35-36, « Eine Tendenz geht zu ihm hin, aber soll nicht in ihm terminieren »

100 Ibid, p. 93, lignes 33-35, « Die Sollenstendenz ist da, und kein Verhältnis einer in einer Anzeige begründeten Tendenz, sondern zugrunde liegt ein assoziatives« Daran-Erinnern von solchem Gehalt »

101 Ibid, p. 93, lignes 38, 94, ligne 1, « Erinnerten als damit Gemeinten«, als ausdruck und zeichen dem Angezeigten »

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3.2.2. Fonction de la tendance

Les signes sont porteur d'une tendance du devoir, le devoir de savoir comme nous l'avons expliqué dans la deuxième partie en ce qu'il s'agissait de différencier les signes et d'indices qui sont porteurs de tendances différentes : celle de l'habitude, celle de l'attente etc. Le mot remplit une tendance, lorsqu'il est signe, celle d'un devoir de lien corrélatif entre Wortlaute et signifiés.

« Le mot et la chose ne sont pas seulement représentés en général en même temps, chacun à sa manière, par sa fonction de représentation, mais <il faut> que `avec le mot, la chose soit visée', que la prise en considération primaire du mot passe, et passe, en cela, dans le remplissement d'une tendance (Erfül-lung einer Tendenz), d'un devoir (eines Sollens), à l'état du viser thématique de la chose, et cela, dans le milieu de la conscience de signification (im Medium Bedeutungsbewusstseins) 102 ».

Que le signe soit expressif actuellement ou qu'il ne le soit pas, cette tendance existe car elle est inhérente au Wortlaut. Tous les signes sont expressifs, mais ils doivent pouvoir diriger, en se fondant sur le Wortlaut, vers la signification qui est une identification, une adéquation avec un souvenir. Pour Maria Geymant, la tendance ne peut pas être définie comme un acte, mais comme un vécu infra intentionnel :

« La tendance, si elle est un acte, est à comprendre en un tout autre sens que les actes qu'elle relie, et ce type de poussée infra (ou en tout cas autre que) intentionnelle n'est probablement pas limitée au cas des actes de signification, mais joue le rôle de lien partout où il y a des synthèses intentionnelles. Elle est justement le moteur, la cause, le moyen par lequel ces synthèses se réalisent. »103

102 E. Husserl, Hua XXVI, Vorlesungen über Bedeutungslehre Sommersemester 1908, Ursula Panzer (éd.), Dordrecht/Boston, Lancaster : Martinus Nijhoff, 1987, p. 23-24, tr. fr. J. English, Paris : Vrin, 1995

103 M. Gyemant, «Le rôle du concept de Tendenz dans l'analyse husserlienne de la fondation à l'époque des Recherches logiques», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 8 (2012), Numéro 1: Le problème de la passivité (Actes n°5), URL : http://popups.ulg.ac.be/1782-2041/index.php?id=534.

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La tendance lie des actes qui n'ont pas en apparence de lien : un signe vers sa signification. En cela elle ne peut pas être intentionnelle, elle est plutôt motivante. Elle motive le passage du Wortlaut au signifié. Cependant, son fonctionnement reste obscur. Si elle n'est pas un acte intentionnel, qu'est-elle ? C'est plutôt une sorte de vécu dont nous faisons l'expérience avec le signe.

3.2.3. Traduction partielle et analyse du Beilage XVI « Tendance et désir » La tendance est-elle une volonté ?

« Jedes Bewusstsein von etwas ist zugleich ein tendierendes. Darin läge, dass jedes Bewusstsein-von ein Komplex von Intentionen ist. Den allgemeinen Begriff von Intention könnenwir ja nichtmit dem der Tendenz identifizieren: Die Glaubensintention, das Glaubensbewusstsein-von ist als solches nicht langendes Bewusstsein-nach, ist als solches nicht Tendenz. Bestenfalls gehört zu jedem Bewusstsein-von, das in sich nicht als Tendenz charakterisiert ist, sondern als Glaube »

« Chaque conscience de quelque chose est comme une conscience tendue. Il est possible que chaque conscience-de est un complexe d'intentions. Nous ne pouvons pas identifier le concept commun d'intention avec la tendance : L'intention de croire, la conscience de la croyance-de en tant que tel n'est pas une conscience-vers, n'est en tant que tel pas une tendance. Il convient mieux à chaque conscience de quelque chose de ne pas être caractérisé en soi comme une tendance, mais cependant comme une croyance104 » [Notre traduction].

L'intention et les actes intentionnels, comme le croyance et le jugement sur un objet n'est pas une tendance. La tendance elle, ne s'exprime pas, elle ne semble pas se fonder comme un acte d'intention, un acte de volonté. La relation qui lie les actes intentionnels n'est pas un acte intentionnel, c'est plutôt une necessité passive

104 E. Husserl, Hua XX.II, p 146, Lignes 14-20

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qui fait le lien entre différents actes. La tendance lie non seulement la conscience du Wortlaut au signifié, mais aussi le signifié au remplissement. Elle fait le lien entre tous les actes intentionnels, elle est infra-intentionnelle, elle est sous-bassement de chaque intention qui se réalise à travers une synthèse d'acte. « La discussion autour de l'accomplissement et des modalités de l'accomplissement d'un acte doit être utilisé avec prudence, l'effectuation n'est pas une poursuite, un vouloir, une action105 » [Notre traduction]. C'est une simple tendance, une tension qui lie deux actes d'essences différentes.

.

En cela, sa définition ne peut pas être clairement établie. De part son caractère passif, l'Hinweiztendenz, la tendance d'indication, la Sollenstendenz, la tendance du devoir, ne sont vécues que phénoménologiquement, c'est une expérience, un vécu, ça n'est pas un acte. Ce qui relie le signe à un acte de signification c'est l'Hinweiztendenz dans un premier temps, puis la Sollenstendenz lie l'acte de signification au remplissement d'une véritable signification, celle de l'objet signifié.

Comme la tendance à l'attente et toutes les autres tendances, elles sont logiquement très difficiles à concevoir. Elles sont une necessité inhérentes aux actes, inhérentes au vouloir. Elle sont de l'ordre de l'anté-prédication. Et peut être qu'il serait plus convenable de décrire les actes intentionnels non pas comme des volontés, mais comme des possibilités, puisque ce qui rend leurs synthèses possibles, ce sont ces tendances passives. Le monde est extrinsèque à notre conscience, il est différent de nous. Ce qui peut apparaitre dans les visées intentionnelles est ce qui est donné dans la perception, même dans le cas du signe où la signification vient par la synthèse d'actes intentionnels distincts. C'est ce qui est possible qui peut être objet de la volonté, donc c'est la possibilité de vouloir. Et la tendance, c'est ce qui fait en sorte que la possibilité puisse apparaitre dans le vouloir. C'est la tendance d'indication qui permet à la conscience une visée intentionnelle du signifié, c'est cette tendance qui dans monde attire notre

105 Ibid, p. 149, Lignes 31-33, « Die Rede von Vollzug und Vollzugsmodalitäten der Akte ist selbst nur mit Vorsicht zu gebrauchen, das Vollziehen ist kein Streben, Wollen, Handeln »

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conscience sur un objet. Et c'est certainement en cela que la tendance reste un concept obscur, puisqu'il n'est pas partie intégrante de notre conscience-de dans le cadre d'un discours signifiant : La tendance est ce qui rend la conscience-de possible. Si la signification est alors idéale, la tendance devient un moyen alors de fixer une objectivité dans le fonctionnement de nos vécus puisqu'elle conditionne, elle structure, notre accès à la signification.

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CONCLUSION

Le fonctionnement de l'expression peut paraître parfois très simple, mais lorsqu'on étudie plus précisément son fonctionnement, le lien entre signe, signification et signifié devient plus obscur. Dans la première édition des Recherches Logiques, Husserl propose une définition de l'expression qui serait un indice qui peut mener à la signification. Husserl la considère alors comme une sous catégorie de signe qui peuvent signifier un contenu idéalement. Cependant, dans les réécritures, il redéfinit grandement les limites du concept du signe et d'indice.

Le domaine du signe est le domaine de la logique et des significations idéales, qui crée une correspondance avec le domaine de la phénoménologie. Mais la correspondance, même dans le discours, n'est pas véritablement totale. Entre le locuteur et le destinataire, il y a une intentionnalité, une notification et une prise de sens qui n'existe pas dans une relation égalitaire. Malgré cette inégalité, l'expression est possible et s'approche de la vérité logique, dans l'espace intersubjectif du discours. L'expression, c'est le caractère effectivement signifiant du signe, c'est le signe qui mène au signifié. C'est une transition entre un son et un objet qui n'ont en apparence, rien en commun. Ce qui apparaît comme nouveau dans les réécritures des Recherches, c'est bien la nouvelle perspective que Husserl adopte vis-a-vis du signe. Les signes ne sont plus des signes sémiologiques, il y a une possibilité de signes non catégoriaux, de signes en dehors des langues naturelles mais qui posséderaient le même fonctionnement que le signe autrefois traité dans la première édition.

La distinction entre les signes et les marques s'éclaircit dans les réécritures, ce qui permet de nouvelles précisions en matière de signification. La marque, comme le signe est porteuse d'une tendance, mais ce n'est pas la même tendance que celle qui apparaît comme une nécessité dans l'expérience de la signification.

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La tendance de l'attente, c'est celle qui régit le fonctionnement de la marque. La marque fait un lien associatif lié à nos expériences entre un objet et l'anticipation d'une présence. Le signe lui, provoque un lien de nécessité lorsqu'il est actuellement connu du sujet, il y a une correspondance, et plus encore, le signe n'existe pas pour lui même ; il existe pour quelque chose d'autre : le signifié. Mais l'expression existe dans un espace intersubjectif, et c'est dans cet espace qu'elle prend tout son sens.

Les travaux de Bühler paraissent en 1909 et Husserl étudie consciencieusement ses Recensions sur Marty, où il s'interroge sur la possible fonction d'influence du locuteur. Si cette fonction existe telle que Marty la décrit, il n'est pas possible d'attribuer au signe dans le discours une fonction objective, puisqu'il est teinté de l'importance des vécus psychiques du locuteur. Or pour Husserl, le lien entre le signe et la signification est un lien idéal, il ne change pas, il y a une conscience de l'intentionnalité du locuteur chez le destinataire qui ne lui laisse pas simplement une place passive dans la réception des messages. C'est une notification de sens, mais ce sens ne sera jamais le même si il est destiné à plusieurs destinataires. La signification est alors le produit d'un signe arbitraire que le locuteur et le destinataire connaissent et reconnaissent. Mais qu'est ce que le signe en soi, qu'est ce qui provoque la présence d'un signifié ? Lorsqu'on observe l'expérience phénoménologique, il paraît alors évident que le fondement même de toute transition vers le signifié est la présence d'un Wortlaut, d'un son, sur lequel se base les différents actes intentionnels qui le lient au signe. Mais comment une telle chose est possible ? C'est bien parce qu'il existe une tendance du devoir qui lie strictement un signe à son signifié, une tendance de connaissance singulière. Mais cette tendance n'est pas comparables aux actes catégoriaux et l'acte de signification devient alors obscur, puisqu'il n'est pas vraiment un acte, si il n'est pas intentionnel.

Le lien entre le Wortlaut et le signifié n'a rien de subjectif, il s'impose à une conscience dans une association de vécus de manière nécessaire, de manière infra-

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intentionnel. On peut alors conclure que certainement, sous les fondements capitaux de l'intentionnalité dans le domaine de la phénoménologie, il existe en matière de signification des nécessités liées à l'idéalité de la signification. La signification devient alors quelque chose qui n'est plus dans l'acte de vouloir d'une conscience, mais dans l'acte de pouvoir : si le signe est l'objet d'une reconnaissance actuelle, je suis alors capable de connaître son signifié, mais même si la signification paraît intentionnelle dans la Kundgabe et la Kundnahme, l'association fondamentale entre signe et signifié est une tendance, visiblement indépendante de toute intentionnalité.

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ANNEXES

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ANNEXE 1

(c) Philippe Migeat - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP
(c) Adagp, Paris

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ANNEXE 2

La Trahison des images,1928, huile sur toile, 59 x 65 cm, Los Angeles

County Museum of Art, René Magritte

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Bibliographie analytique

LITTERATURE PRIMAIRE

Edmund Husserl, Logische Untersuchungen Ergänzungsband Zweiter teil, Texte für die Neufassung der VI. Untersuchung., Zur Phänomenologie des Ausdrucks und der Erkenntnis (1893/94-1921), Herausgegeben von Ullrich Melle, Springer 2005 (Husserliana Band XX.II)

Edmund Husserl, Logische Untersuchungen, M. Niemeyer, Tübingen, 1968, Bd. II/1, trad. fr.

G. Guest.

Edmund Husserl, Logische Untersuchungen, Zweiter Band Erster Teil, Herausgegeben von
Ursula Panzer, Martinus Nijhoff Publishers, 1984 (Husserliana Band XIX.I)

Edmund Husserl, Logische Untersuchungen, Zweiter Band Zweiter Teil, Herausgegeben von

Ursula Panze, Martinus Nijhoff Publishers, 1984 (Husserliana Band XIX.II)

LITTERATURE SECONDAIRE
Ouvrage théorique

Edmund Husserl, Die Krisis der europäischen Wissenschaften und die transzendentale
Phänomenologie,
1936

Emmanuel Levinas, En découvrant l'existence avec Husserl et Heidegger, Vrin, 2001

Edmund Husserl, Ideen zu einer reinen Phänomenologie und phänomenologischen
Philosophie. Erstes Buch: Allgemeine Einführung in die reine Phänomenologie.
Max
Niemeyer Verlag, Halle (Saale) 1913

Edmund Husserl, Husserliana XXXIV. Zur phänomenologischen Reduktion. Texte aus dem
Nachlass. 1926-1935, Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 2002 ; traduction par J.-F.
Pestureau, De la réduction phénoménologique. Textes posthumes (1926-1935), Grenoble,
Millon, 2007

Edmund Husserl, Cartesianische Meditationen und Pariser Vorträge, Hua I, S. Strasser. The

Hague, Martinus Nijhoff, 1973.

Emmanuel Kant, Logique, 1800, Trad. J. Tissot.
Edmund Husserl, Logik, Hua Materialen II, Vorlesung 1902/1903

80

Emmanuel Kant, Critique de la Raison Pure, 1787

William P. O'Brien S.J, Eucharistic Species and Peirce's Sign Theory, Saint Louis

University, 2014

Anton Marty, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik und
Sprachphilosophie
, Halle a. S., Verlag von S. Niemeyer, 1908

Edmund Husserl, Hua XXVI, Vorlesungen über Bedeutungslehre Sommersemester 1908, Ursula Panzer (éd.), Dordrecht/Boston, Lancaster : Martinus Nijhoff, 1987, tr. fr. J. English,

Paris : Vrin, 1995

Etude critique

Kristensen Stefan, Parole et subjectivité : recherche sur la phénoménologie de l'expression,

Genève, 2007

Peter Precht, Husserl zur Einführung, Hamburg, Junius Verlag, 1991

René Char, préface aux Poésies, Une saison en enfer, Les Illuminations de Rimbaud, éditions
NRF Poésie/Gallimard, 1956

Denis Fisette, Sandra Lapointe, Aux origines de la phénoménologie: Husserl et le contexte des Recherches , Vrin, 2003

Karl Bühler, Rezension von Anton Marty, Untersuchungen zur Grundlegung der allgemeinen Grammatik un Sprachphilosophie. 1. Band, Niemeyer : Halle, 1908

Dieter Lohmar, Revue philosophique de Louvain, Le concept husserlien d'intuition
catégoriale
, 2001, 99, 99-4

Maria Gyemant, Investigaciones Fenomenológicas : Razón y Vida., Qu'est ce qu'un signe
linguistique ?, vol. Monográfico 4/I, 2013

Sources internet

Maria Gyemant, «Le rôle du concept de Tendenz dans l'analyse husserlienne de la fondation à
l'époque des Recherches logiques», Bulletin d'Analyse Phénoménologique

[En ligne], Volume 8 (2012), Numéro 1: Le problème de la passivité (Actes n°5), URL :
http://popups.ulg.ac.be/1782-2041/index.php?id=534 ; 10 avril 2015

Alievtina Hervy, «Perception et imagination : La problématique des actes mixtes», Bulletin
d'Analyse Phénoménologique

81

[En ligne], Volume 9 (2013), Numéro 1, URL :
http://popups.ulg.ac.be/1782-2041/index.php?id=587 : 20 avril 2015






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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote