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La neknomination : défi d'expression de soi et culture du « share ».

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par Clémence CORDEAU
Institut Français de Presse (Paris 2) - Master 1, Sciences politiques et sociales, mention médias, information et communication 2015
  

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Partie 2 - Le défi comme matière à sociabiliser

La Neknomination s'inscrit dans cette tendance du « toujours plus » désignée par le terme de Social Bragging. Véritable jeu d'alcool physique, puis numérique, elle est pratiquée par de vrais fêtards. Cette partie montrera à quel point les soirées alcoolisées sont routinières chez ces jeunes qui ont participé à la chaîne. Les jeux d'alcool sont pratiqués très souvent lors des fêtes entre amis. Pour eux, bien tenir l'alcool représente une certaine fierté, plus on boit plus on est un héros aux yeux de nos camarades. Ce défi prend forme autour d'un usage collectif qu'ils ont choisi de valoriser. Une certaine pression s`exerce ainsi sur les nominés dans la vie réelle qui les a motivé à relever le défi. Plus encore, une pression numérique s'exerce, montrés du doigt sur Facebook par l'intermédiaire du tag, tous ceux présents sur le réseau savent qu'ils sont mis à l'épreuve et qu'ils ont vingt-quatre heure, ils sauront aussi quand les Neknominés l'auront relevé, s'ils le font, car, heureusement, ils ne sont pas dépossédés de leur libre-arbitre.

CHAPITRE 3 : UN JEU D'ALCOOL EN CLAIR OBSCUR

Cette chaîne, pourtant virtuelle, est un véritable jeu d'alcool en clair obscur40 (accessible qu'aux seuls amis pour ceux qui ont modifié leurs paramètres de confidentialité sur Facebook), ces vidéos sont une manière de s'amuser en soirée pour la majorité d'entre elles. De se désinhiber grâce à l'alcool. On s'amuse en la faisant, on boit sur les réseaux sociaux mais il ne faut pas oublier que d'abord, on a bu chez soi avec un ou des amis. Les enquêtés ont confié qu'ils étaient assez adeptes des jeux d'alcool en tout genre lors des soirées festives, à l'exception de Lucas alias Norby Zuman, qui n'a d'ailleurs pas bu une goutte d'alcool dans sa vidéo.

40 Pour une typologie des modes d'expression sur les réseaux sociaux, voir Dominique Cardon, « le design de la visibilité », Réseaux, n°152, 2008

 

CORDEAU Clémence| Mémoire de master 1 | juin 2015

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Selon Olivier Glassey, « ces tendances [de défi] ne se forment qu'autour des usages collectifs que l'ont choisi de valoriser », ici, l'alcool est assez significatif dans la mesure où se sont essentiellement des jeunes hommes, étudiants, assez adeptes de soirées alcoolisées entre amis, qui, comme déjà mentionné plus haut, pratiquent régulièrement des jeux d'alcool. Pour eux, boire en grande quantité et bien tenir l'alcool est quelque chose d'important dans leur groupe et participe d'une certaine fierté. Ces vidéos sont des manières d'exposer à leur réseau de connaissances, ce qui, pour eux, est une sorte de talent.

A/ La culture de la fête et des fêtards

La fête : rituel de jeunesse et échappatoire

Ces individus considèrent la fête comme un rituel de leur jeunesse. Monique Dagnaud, chercheuse à l'EHESS, dresse dans son ouvrage, La teuf - essai sur le désordre des générations, trois schémas de fêtards. Le premier concerne les moins fêtards, ceux qui préfèrent les sorties cinéma ou les rencontres « cosy » entre petits groupes d'amis, ils se défoulent quelques samedis soirs mais de manière exceptionnelle. Le second profil comprend les jeunes qui sortent tous les weekends, Monique Dagnaud parle de « rituels festifs de fin de semaine ». Ils savent néanmoins contrôler leur consommation d'alcool ou de cannabis et restent plutôt raisonnables, « ils cadrent avec le scénario de sociabilité juvénile gentille telle que la conçoivent les adultes ». Le dernier schéma est celui de ceux communément appelé « teuffeurs », des soirées toujours dans l'excès où se mêlent avalanche de décibels, renfort de l'alcool et de psychotropes, et ce, plusieurs fois par semaine. Cette dernière catégorie inclue ces jeunes en recherche d'adrénaline pour tenter de bousculer leurs limites, de se mettre l'épreuve. Ce dernier profil est cependant assez minoritaire chez les jeunes, ils ne représentent que 10 à 15% des 18-24 ans41.

Les enquêtés, qui ont pratiqué la Neknomination, ne font pas parti du troisième schéma, le plus extrême. Ils correspondent davantage au deuxième, même s'ils peuvent dépasser leurs limites par des challenges, comme celui du Grand Schelem,

41 Chiffres tirés d'une étude du CREDOC, Le Risque routier chez les jeunes, conduite en 1999

 

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une tradition de l'Ecole d'ingénieur des quatre premiers Neknominés de notre chaîne qui consiste à être ivre tous les soirs pendant une semaine, ils restent néanmoins assez raisonnables et connaissent leurs limites. Ce profil entre donc dans une logique hédoniste qui fait l'apologie de la fête.

Cette hédonisme est consolidé par Internet qui a favorisé l'arrivée de l'homme du « tout et tout de suite », habitué à accéder à tout, de manière rapide et simple.

« Un individu dominé par le besoin de satisfactions immédiates, un individu intolérant à la frustration, un individu qui exige tout et tout de suite, dans un contexte où la satisfaction de ce besoin est rendue possible non seulement par l'hyperchoix permanent de la société de consommation, mais aussi par la quasi-instantanéité avec laquelle ce besoin peut être satisfait. »42

Ceci favorise la recherche du plaisir instantané, surtout chez ces jeunes, Digital Natives, habitués, depuis leur enfance, à cette manière de vivre. Un plaisir auquel la fête peut répondre.

Néanmoins, c'est aussi à cause d'un mal-être développé par notre société auquel ces jeunes tentent d'échapper par ces fêtes alcoolisées. William Lowenstein, médecin spécialiste des addictions, remarque qu'« Aux jeunes, on ne parle pas d'existence mais de réussite ». C'est bien dans ce contexte que la fête trouve son efficacité. Monique Dagnaud affirme qu'« Elle permet de décompresser face à ces pressions, et donc de pouvoir les assumer. Elle permet de s'en évader, et donc de les ignorer, de les oublier »43. Effectivement, les enquêtés, Louis, Damien, Antoine et Maxime, sont en Ecole d'ingénieur, des études compliquées et longues où la pression est omniprésente. Louis, par exemple, a des difficultés de compréhension, il n'est pas rare qu'il obtienne de mauvaises notes lors des interrogations mais confie ne pas avoir le droit au redoublement à cause de la quantité d'argent qu'il a investi pour

42 Nicole Aubert, « L'individu hypermoderne : un individu « dans l'excès » », in Joyce Aïn (dir.), Dépendances, paradoxes de notre société, Paris, Érès, 2005

43 Monique Dagnaud, La teuf - essai sur le désordre des générations, Éditions du Seuil, 2008, p. 23

 

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pouvoir étudier dans cette école. Alors, pour lui, les soirées avec ses amis sont une sorte de libération où il peut se défouler et l'alcool augmente ce sentiment.

D'abord, les virées nocturnes s'inscrivent dans un rituel d'âge, celui du passage de l'adolescence au statut d'adulte, période de transition qui configure ce que les spécialistes de la jeunesse nomment la post-adolescence - caractérisée par l'allongement des études et la désynchronisation entre le moment de départ du foyer familial, l'installation dans l'indépendance économique grâce à un métier et la formation d'un nouveau couple. »44

Avec qui, où et quand fait-on les plus grosses fêtes ?

Ce petit groupe de potes sort toujours ensembles lorsqu'ils sont dans la ville où ils font leurs études. Ils ont confié sortir en moyenne trois ou quatre fois par semaine. A l'occasion, certaines nouvelles personnes sont accueillies avec plaisir, ils n'excluent personne et sont plutôt sociables. Ils disent tous compartimentés leurs groupes d'amis, celui de leur ville d'origine, là où ils retrouvent leurs amis d'enfance et le groupe des camarades de leur promotion. Ils sont un peu caméléons, s'adaptant à chacun de ces deux groupes. Cependant, Lucas confie trouver que Maxime a changé depuis son arrivée dans l'Ecole d'ingénieur. Tous deux sont amis depuis le lycée et Lucas n'est pas adepte des grosses soirées où l'alcool coule à flot, c'est aujourd'hui le contraire pour Maxime. L'explication ressortie de l'enquête est double, il y a évidemment un effet de groupe et de « promo » mais aussi l'effet d'une ville inconnue, territoire vierge où Maxime confie ne pas avoir peur de croiser ses parents ou un de leurs amis. Il se sent libre de toute critique qui aurait pu lui être faite.

Non seulement ces jeunes compartimentent les groupes d'amis et les villes où se produisent ces soirées, mais ils savent aussi quand est-ce qu'il faut être sérieux. Ils « passent sans difficulté d'un état à l'autre, de l'état débridé à l'état concentré, de l'ébriété à l'esprit clair »45. Ils n'oublient pas qu'ils sont aussi là pour étudier, que c'est ici que se joue leur avenir professionnel.

44 Monique Dagnaud, La teuf - essai sur le désordre des générations, Éditions du Seuil, 2008, p. 78

45 Ibid., p. 105

 

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Souvenirs de fêtes comme péripéties héroïques

Lorsque chacun des enquêtés de cette école parlent de leurs souvenirs de fête, c'est comme s'ils racontaient des « faits d'arme », leurs soirées sont faites de péripéties héroïques comme lorsque Damien raconte celles de Maxime qui se tient juste à côté de lui, le visage épris d'une expression pleine de fierté d'avoir saccagé son appartement qu'il appelle « terre d'accueil des soirées ». Maxime décrit d'ailleurs son logement comme un « no man's land » le jour de l'entretien, car il n'a pas eu le temps de nettoyer, une semaine après une grande fête organisée chez lui.

Damien (en s'adressant à Maxime) : Ah et c'est cette semaine où tu as saccagé ton appart' !

Maxime : Ah oui c'est cette soirée là, la plus folle que j'ai vécu !

- Donc racontez moi, Damien était là ?

Maxime : Oui il était là et il s'en souvient d'ailleurs certainement mieux que moi (rires) Damien : En fait on était en soirée, donc dans l'appart' de Maxime, vers minuit, il nous dit « faudrait peut-être partir les gars » donc nous on commence à s'habiller, on met nos manteaux, et là, on voit Maxime qui arrive avec une bouteille de bière, il l'éclate au plafond, comme si il avait remporté un grand prix tu vois, comme au podium ; et après il commence à jeter des verres droite gauche sur les murs (rires), c'était n'importe quoi (rires). Après on va dans la cuisine, on voit un sac de café, il l'appelle Monsieur Café et il lui parle, il fait une conversation après il le balance un grand coup donc ça salit tout son appart'. Et donc pareil avec Monsieur Bière, donc rebelote, conversation avec la bière, et puis Monsieur Poubelle (Rires) avec le sac de poubelle. Après il a pris le sac et il tapait dedans comme dans un punching ball avec l'autre main et le sac s'est déchiré. C'est Louis qui a donné l'idée de faire ça à Maxime donc Maxime ça a percuté. Après d'ailleurs vous vous êtes chamaillés il me semble.

Maxime : Ouais on s'est tombé dessus.

Damien : Et après y a eu la mayonnaise sur les murs et il s'est douché habillé, ça c'était marrant aussi, il s'est douché habillé le mec (rires).

Maxime : Il m'a fallu plus d'une semaine pour tout nettoyé le saccage de cette soirée, y a encore des traces d'ailleurs. J'ai totalement pété un câble.

On voit bien ici l'importance de la désinhibition que provoque l'alcool, ces enquêtés ont tous confiés être adeptes des jeux de boissons. Louis dit passer en moyenne 30% de la soirée à pratiquer ce genre de jeux avec les autres personnes

 

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présentes. Ceci pour deux raisons, se motiver, se lancer et pour faire participer tout le monde. Selon lui, l'alcool est un « lien social », et favorise donc un être ensemble. La Neknomination, d'une certaine manière, en est un.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand