B- Des difficultés liées au volet
pénal
Les pratiques irrégulières qui surviennent lors
de la passation des marchés publics se déclinent
généralement en corruption passive225, la prise
illégale d'intérêt, le trafic d'influence226 et
le favoritisme227. Pour le magistrat sénégalais Malick
LAMOTTE, « On est en face d'une corruption passive lorsqu'on envisage
l'infraction du côté du corrompu », c'est-à-dire
celui qui
223 Conformément à l'article 127 alinéas
2 du CMP Togo, les opérateurs économiques qui ne sont pas
d'accord avec les décisions rendues par le Comité de
Règlement des Différends peuvent saisir la chambre administrative
de la juridiction d'appel compétente.
224 Charles DEBBASCH, Déclin du contentieux
administratif, page 97
225 Dans le cadre de la corruption passive, le corrompu
sollicite ou accepte un avantage pour lui-même ou un proche que son
interlocuteur reste libre de ne pas verser.
226 Le trafic d'influence n'apparait pas clairement dans les
CMP du Sénégal et du Togo mais il demeure tout de même, une
infraction occulte pouvant être commise dans le cadre des marchés
publics.
227 Le favoritisme s'assimile au non-respect des conditions
d'attribution des marchés publics.
Titre 2, Chapitre II : Diagnostic des mécanismes de
contrôle et recommandations générales 97
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
rend service en contrepartie d'un avantage. Inversement, il
s'agit pour les autorités contractantes, dans l'optique d'obtenir un
avantage indu de procurer ou de tenter de procurer un avantage anormal à
un candidat ou de passer un marché avec un candidat exclu des
marchés publics. Les faits qui entrent dans la définition de
cette infraction apparaissent à la lecture des dispositions des articles
146 et 147 du CMP du Sénégal et 132 du CMP du Togo, toutes
relatives aux sanctions des candidats, soumissionnaires et titulaires des
marchés, applicables pour non-respect de la règlementation des
marchés publics.
Si l'on observe attentivement le constat contenu dans nos
derniers propos, un fait interpelle notre attention en tant que juriste. En
effet, on remarque d'une manière on ne peut plus claire, que la
répression de cette première catégorie d'infraction, bien
que reconnue au juge pénal, tient cependant moins à une
disposition du code pénal du Sénégal ou du Togo,
qu'à une disposition relevant de leurs codes des marchés publics.
Ainsi s'ouvre la brèche qui s'identifie aux difficultés d'ordre
pénal qui assaillent le secteur de la passation des marchés
publics et qui de ce fait dénotent d'une absence d'un arsenal
pénal propre, destiné à réprimer les
irrégularités constatées dans les procédures de
passation.
La pénalisation des marchés publics au
Sénégal et au Togo reste en effet du moins au plan textuel, un
domaine peu exploré à la fois par le législateur que par
les tenants de la doctrine. Ne disposant pas de l'outillage juridique
nécessaire, le juge pénal se contente jusqu'ici d'un
pis-aller228 pour sanctionner les irrégularités qui
lui sont signalées dans les procédures de passation.
L'imprécision des statistiques pénales en ce domaine, l'absence
de volet économique et financier dans les codes pénaux
sénégalais et togolais, le nombre peu connu des décisions
de justice non diffusées ou encore l'absence d'une formation
spécifique des magistrats révèlent que l'émergence
d'un droit pénal229 directement applicable aux marchés
publics, n'a jusque-là pas encore été
concrétisée.
Aujourd'hui, si on se réfère à la lente
formation d'un véritable contentieux pénal de la
228 Un pis-aller est une solution que l'on choisit faute de
mieux. Dans ce cas-ci, il s'est agi pour le juge pénal, à
défaut de disposer des textes spécifiques, de se baser sur les
dispositions générales contenues dans le code pénal.
229 Catherine PREBISSY-SCHNALL « La
pénalisation du droit des marchés publics »,
publié aux éditions LGDJ dans la collection Bibliothèque
de droit public (tome 223).
Titre 2, Chapitre II : Diagnostic des mécanismes de
contrôle et recommandations générales 98
La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
commande publique et ses hésitations à suivre
l'évolution actuelle des mutations propres aux marchés publics,
on peut facilement remarquer qu'il est urgent et impératif de
créer un cadre juridique autonome adapté au volet pénal de
la passation.
En plus de cela, nous avons également constaté
qu'il n'est nulle part mentionné dans les codes pénaux
sénégalais et togolais, un délit dit de «favoritisme
» bien que l'expression soit récurrente dans les débats
juridiques. Si nous prenons par exemple le droit positif français, les
« atteintes à la liberté d'accès et à
l'égalité de traitement des candidats dans les marchés
publics », ont été instituées comme un délit
depuis la loi du 3 janvier 1981 et sont réprimées par l'article
432 alinéas 14 du code pénal français230.
Cependant, même si la violation des conditions d'attribution des
marchés est abordée par les codes sénégalais et
togolais des marchés publics231, il ne reste pas moins vrai
que leurs codes pénaux gardent le silence quant à leur
qualification pénale.
En définitive, même s'il est vrai que les
marchés publics ont d'une certaine manière réussi à
allier droit administratif et économie, ils n'ont cependant pas encore
totalement réussi ce pari pour le droit pénal, ce qui à
tous égards est perçu aujourd'hui comme un défi à
relever pour le Sénégal et le Togo.
Sous ces dernières observations, les faits
rapportés ci-haut viennent clore la longue liste, mais non exhaustive
des insuffisances que connaissent la passation des marchés publics au
Sénégal et au Togo. Ces irrégularités
répertoriées, il importe maintenant de faire des recommandations
pour voir dans quelles mesures la transparence peut être
restaurée.
230 Article 432 alinéas 14 code pénal
français « Est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une
amende de 200 000 euro, dont le montant peut être porté au double
du produit tiré de l'infraction, le fait par une personne
dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une
mission de service public ou investi d'un mandat électif public ou
exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent
de l'Etat, de collectivités territoriales, des établissements
publics, des sociétés d'économie mixte locales ou par
toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées
de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage
injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou
règlementaires ayant pour objet de garantir la liberté
d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés
publics et délégations de service public ».
231 Cf. articles 146 et 147 du CMP du Sénégal et
132 du CMP du Togo
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La transparence dans les marchés publics au
Sénégal et au Togo
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