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La conservation du dugong en nouvelle- Calédonie. La mobilisation et la confrontation de savoirs et pratiques pour la protection d?une espèce « emblématique » menacée.

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par Audrey DUPONT
Université Aix-Marseille - Master Professionnel Anthropologie et Métiers du Développement durable 2014
  

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III.2.2. Assimilations à d'autres espèces et à l'homme

Animaux associés au dugong pour leur proximité physique et comportementale

Les habitants de l'île que nous avons rencontrés ont tendance à établir de nombreux parallèles avec d'autres espèces de Nouvelle-Calédonie à partir de caractéristiques physiques proches. Par exemple, le dugong possède les mêmes attributs que les cétacés, comme la baleine ou le dauphin : la silhouette générale et la queue sont sensiblement identiques. Cette assimilation est relativement ancienne puisque, dans ses écrits, Charles Lemire de 1884 (Voyage à pied en Nouvelle-Calédonie et description des Nouvelles-Hébrides, 2012 : 329) le qualifie de « gros cétacé mammifère ». De même, comme nous l'avons expliqué précédemment, certains Vieux de la commune de Pouébo nous ont parlé du « pudo» (la baleine en langue Jawé) en évoquant le « mudep » (dugong).

Ensuite, beaucoup de personnes ont observé le dugong depuis le bord de mer en train. Ils l'ont se nourrir et savent qu'il « broute » les herbes marines (tout comme la

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tortue verte auquel il est également associé). Cela les emmène à penser à la vache, qui broute et qui possède un peu le même gabarit, ou encore au cochon, qui se nourrit de manière similaire en remuant le sol avec son groin semblable à son museau. Ces « ruminants » sont plutôt des animaux du quotidien dont tout le monde connaît le comportement. En se référant à eux, les Néo-Calédoniens essaient de qualifier son comportement par la métaphore et ils le rendent peut-être plus proche d'eux, de leur vie quotidienne.

Enfin, le dugong est souvent associé à la tortue parce que, comme l'indique un notable de Pouébo : « ils mangent à la table et finissent dans la même assiette ! ». En effet, tout comme la tortue marine, le dugong se nourrit d'herbier et est mangé lors des mêmes cérémonies coutumières kanak, telles la Fête de la Nouvelle-Igname, les mariages ou encore les deuils etc. (cf. sections suivantes). En outre, il faut noter que certains animaux auxquels l'animal est associé (telle la tortue marine, la baleine, la raie ou le requin) sont aussi des animaux importants dans la tradition kanak car ils représentent des totems importants. Ils sont perçus par l'ensemble de la population néo-calédonienne comme des « emblèmes » de l'île. En ce sens, cette association est basée à la fois sur l'observation des comportements des deux animaux et sur leur place dans la tradition kanak.

Ainsi, par le jeu des analogies, les personnes interrogées ayant déjà observées un dugong à travers leurs pratiques de la mer sont capables de décrire avec une relative précision le comportement de l'animal. Certes, ils n'utilisent pas le même vocabulaire que celui des scientifiques ou des environnementalistes mais leurs connaissances, relativement poussées, du comportement du mammifère sont du même ordre. L'autre analogie d'ordre comportemental qui revient régulièrement dans les discours est celle du dugong et de l'homme. Elle est portée plus particulièrement par les Kanaks, et ce pour plusieurs raisons. Si certains n'utilisent pas un vocabulaire scientifique en préférant la métaphore pour désigner le fait que le dugong est un mammifère, ils emploient en fait un outil conceptuel qui est particulièrement utilisé dans leur propre système de sens : la métaphore.

Analogie avec l'homme comme manifestation de la pensée symbolique kanak

En effet, les Kanak appartiennent à une société qui fonctionne sur la base du totémisme. Il s'agit d'« un mouvement de génération continue où se trouvent associés des humains et des non-humains, les uns et les autres partageant avec leur totem certaines propriétés, et une identité de nature entre eux consistant en un ensemble d'attributs moraux, physiques et comportementaux » (Friedberg, 2007 : 170). L'homme paraît donc se différencier de l'espèce animale, végétale ou minérale mais en fait, il entretient une relation de filiation avec la nature, notamment à travers l'invocation des totems partageant des caractéristiques avec certains individus qui se reconnaissent de ce/ces totem(s).

Dans sa thèse (2004), Jean-Brice Herrenschmidt a analysé la structure des mythes mélanésiens, qui intègrent très souvent des « opérateurs totémiques » dans la trame narrative. Il explique que le rôle du totem n'est pas tant de marquer la différence que de favoriser la communication entre l'homme et la nature. Par conséquent, il ne doit pas se comprendre comme appartenant à la nature et à la culture mais comme l' « enfant » et le

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« médiateur » de ces deux entités (Herrenschmidt, 2004 : 117). Dans les mythes analysés, les opérateurs totémiques invoqués sont le trait d'union entre la nature et la culture, entre l'environnement et l'homme. « Au lieu de les opposer, leur présence et leur complicité montrent à quel point ce n'est pas le rejet de la nature qui est fondamentalement enjeu, mais bien l'affirmation de la dualité comme vecteur civilisateur et fondement culturel » (Ibid.). Il se situe donc dans la continuité de la pensée de Lévi-Strauss qui explique que le totémisme est une méthode classificatoire établissant une « homologie des écarts différentiels entre une série naturelle, les espèces éponymes, et une série culturelle, les segments sociaux » (Lévi-Strauss, 1962 : 204).

En ce sens, les mythes kanak sont des paraboles de la genèse sociale et culturelle d'un groupe défini, qui y puise son identité et sa mémoire sur la base d'une histoire d'un ou plusieurs ancêtres mythiques, en des lieux donnés. Ainsi, il n'est pas étonnant de constater que cette analogie entre l'homme et le dugong ont été repéré dans de nombreux mythes kanak récoltés sur le terrain.54 Par exemple, le mythe de la création d'un clan de la tribu de Kélé, qui se revendique du totem dugong, indique que le mammifère est aussi poilu qu'un homme, voire possède une origine humaine ancienne. Il nous a été raconté par une vielle dame d'une tribu de la chaîne de Bourail et le voici retranscrit :

« Les gens dont je parle là, ce sont les gens de la vache-marine. Ils avaient dit qu'il y avait deux frères dans le clan. Ils se sont disputé, ils n'arrivent pas à s'entendre et les parents n'arrivent pas à les réconcilier. Ca fait que le plus jeune, il voulait se réconcilier avec son frère mais il ne veut pas. Comme son frère ne voulait pas accepter sa demande de réconciliation, il a préféré partir. Il a décidé de partir de lui-même.

Quand il est parti, avant de partir, il y avait chez eux un régime de bananes-poingo. Il a pris deux bananes, deux bananes mûres pour partir. Il marche, marche et continue sa route en descendant vers la mer. En marchant, il avait faim, il a mangé la moitié d'une banane. Il ne l'a pas mangé en entier, ca fait qu'il lui restait une banane entière et la demi-banane. Il va, il descend dans l'eau parce qu'il boude son frère. Il descend dans la mer, il descend. Il a mis le reste de bananes qu'il n'a pas mange sous son bras et il descend, il descend dans la mer. La marée monte sur lui, elle continue à monter et lui à descendre. Son frère, il reste là-haut et regarde après lui mais il ne peut rien faire. L'autre il descend, il descend jusqu'à ce que l'eau recouvre sa tête. C'est comme cela qu'il s'est transformé.

Et tu sais, à chaque fois qu'ils vont tuer cela, quand il dépouille la bête pour la manger, ils trouvent toujours cette forme de banane en entier et de demi-banane sous l'aisselle. Moi je dis parce que j'ai vu, c'est pour cela que je crois en cette histoire. La peau, ce n'est pas comme la peau du poisson, c'est comme cela [elle caresse son bras]. Il a des poils.

C'est la légende du clan dont sont issu les XXX. Il y avait beaucoup de descendants de ces clans, il ne reste plus que ces gens-là. C'est-à-dire que du temps des anciens avant, il n'y avait pas encore la religion mais chaque clan a sa propre idole pour pouvoir croire en quelque chose. Maintenant, il y a la religion mais avant c'était les animaux. »

54 Ils sont tous différents mais qui possèdent la même trame narrative.

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De plus, Emmanuel Tjibaou, directeur de l'ADCK, explique que le dugong, s'il fait parti des grandes espèces marines, possède probablement un statut spécifique dans la culture mélanésienne. Il incarne l'ancêtre, et donc un être lié au monde humain : « Les espèces de mammifères marins, ils ont ce statut là de référence, un ancêtre commun à tous, c'est comme un Vieux quoi ».

Si, par la référence analogique entre l'homme et l'animal, les personnes manifestent le fait que le dugong est un mammifère, l'utilisation de la métaphore ne correspond pas au protocole et aux modes de formation du savoir (au singulier) mis en place par les sciences. Au contraire des connaissances « scientifiques », celles des Kanak est totalement concomitante de leur manière de vivre, de penser et de s'organiser socialement. En fait, il s'agit là d'une caractéristique des « savoirs populaires » bien connue de l'anthropologie du développement puisque Olivier de Sardan formule leur distinction ainsi : les « savoirs populaires techniques sont localisés, contextualisés, empiriques, là où les savoirs technico-scientifiques sont standardisés, uniformisés, formalisés » (Olivier de Sardan, 1995 : 193). Si auparavant, nous avions convenu d'une possible complémentarité entre le « savoir scientifique » et les « savoirs naturalistes locaux » par exemple, cela ne signifie pas que les « savoirs traditionnels » et le « savoir scientifique » relatifs au dugong sont équivalents. En fait, ils délimitent les frontières d'appartenance à tel ou tel groupe d'acteur relié à cet animal.

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