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Réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Discours, représentations et processus d'entrée en résistance.

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par Elise LABYE
Université de Toulouse-Le-Mirail - Master 1 Anthropologie Sociale et Historique 2009
  

Disponible en mode multipage

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Toulouse
Septembre 2009

Université de Toulouse Le Mirail

Master Mention "Anthropologie sociale et historique"

Mémoire de Master 1
(Maîtrise)

RÉINTRODUCTION DE L'OURS DANS LES PYRÉNÉES:
DISCOURS, REPRÉSENTATIONS ET PROCESSUS
D'ENTRÉE EN RÉSISTANCE

par Elise LABYE

Directrice de recherche : Marlène ALBERT-LLORCA

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 1

Première partie : LE TERRAIN, LA COLLECTE DE DONNÉES

5

I. LES OBSERVATIONS 5

A. L'assemblée générale annuelle de l'Aspap 5

B. Le symposium Life Coex 6

C. Les Pastoralies 9

D. Les Rencontres des Transhumants d'Europe 11

E. La manifestation du Val d'Aran 12

F. Les rencontres ANEM 15

II. LES PRODUCTIONS ÉCRITES 16

III. LES ENTRETIENS 17

IV. À PROPOS DE MA PLACE SUR LE TERRAIN 24

Deuxième partie : DISCOURS ET REPRÉSENTATIONS 26

I. LES ADHÉRENTS DE L'ASPAP 26

A. Un territoire qu'on veut ensauvager, des pratiques pastorales mises en danger ? 27

1. « Ça va à l'encontre de l'élevage en montagne » 27

2. Une modification du paysage perçue négativement 27

3. Un territoire, des savoir-faire: un patrimoine local 29

4. La perturbation d'un équilibre: celui du système de transhumance 31

5. Réinvestir les territoires de montagne 33

B. Quelles perceptions des ours ? 34

1. À propos des ours autochtones 34

2. À propos des ours réintroduits 36

a. Des ours déviants... 36

b. ...qui entraînent un sentiment d'insécurité... 38

c. ...et victimes de la volonté de l'homme de tout gérer ? 39

C. Critiques faites sur le projet et sa mise en oeuvre 41

1. À propos de « l'équipe technique du suivi de l'ours » 41

2. À propos des mesures de protection 42

3. À propos de l'État, de la bureaucratie, d'un projet politique global 43

4. C'est qui les « écolos »? C'est quoi être « écolo »? 44

5. L'impact des prédations sur les hommes et leur travail 46

II. D'AUTRES AVIS, D'AUTRES PERCEPTIONS 47

A. Martine, une éleveuse du label: « Le Broutard du Pays de l'Ours » 47

B. Deux agents de l'Oncfs 51

III. QUELLES REPRÉSENTATIONS DE LA NATURE ET DU TERRITOIRE

55

A. Une nature humanisée, culturelle 56

B. Une nature où tous les êtres sont « égaux en droits » 60

65

65

IV. RAPPROCHEMENTS AVEC LE CAS DU LOUP DANS LES ALPES 62 Troisième partie: L'ASPAP, D'UNE ENTRAIDE LOCALE À UN PROJET GLOBAL POUR LE MASSIF PYRÉNÉEN

I. LES MOYENS MIS EN OEUVRE FACE AU PROJET DE RÉINTRODUCTION

A. L'Aspap: pour « structurer les révoltes individuelles » 65

B. « Pastoralies, la fête de la montagne vivante » 67

C. La mobilisation d'éléments identitaires en lien avec un patrimoine culturel 69

D. De la redéfinition de certains termes « en vogue » 71

E. Des discours scientifiques légitimant la logique d'opposition 73

II. CONSÉQUENCES: DU NIVEAU LOCAL AU NIVEAU EUROPÉEN 75

A. Entre resserrement de liens et accentuation de différences 75

1. Une plus grande cohésion du monde agro-pastoral 75

2. Des camps qui s'affrontent 78

B. Un projet commun pour le territoire 79

CONCLUSION GÉNÉRALE 82

BIBLIOGRAPHIE 84

ANNEXES 85

Annexe 1: Un peu d'humour... 85

Annexe 2: Carte de la répartition des ours sur le massif pyrénéen 87

Annexe 3: Schéma de l'étagement montagnard 88

Annexe 4: Plaquette de présentation des Pastoralies 89

Annexe 5: Plaquette de présentation des Rencontres des Transhumants d'Europe 90

Annexe 6: Sommaire du bilan réalisé par Bruno Besche-Commenge pour l'Addip 91

Annexe 7: Le Manifeste des Pyrénées 92

Annexe 8: Tableau extrait de l'ouvrage d'Isabelle Mauz 94

Annexe 9: Le programme du Symposium Life Coex 95

Annexe 10: Extrait des résultats d'une enquête sur l'efficacité des chiens de protection 99

Annexe 11: Adresses de sites internet 101

Annexe 12: L'entretien de Laurent, éleveur 103

Remerciements

Je tiens à remercier tous ceux qui ont permis que ce mémoire voit le jour, et tout

particulièrement, les personnes qui, sur le terrain, ont accepté de me recevoir et m'ont ouvert leurs portes. Merci à Nicolas qui m'a été d'une aide précieuse et qui m'a encouragé tout au long de ce travail.

Je remercie également mes parents, notamment pour leur grand soutien « logistique ». Ainsi que Vanessa et Céline pour leur aide à la relecture du mémoire, je leur exprime ici mon amitié et ma reconnaissance. Merci aussi à Brigitte, Gaëlle, Christelle, Maël et Marc.

Je voudrais ensuite remercier les membres du jury d'avoir pris le temps de se pencher sur mon travail.

Et enfin, j'adresse un très grand merci à Marlène Albert-Llorca pour m'avoir dirigée et accompagnée dans la réalisation de ce mémoire.

1

INTRODUCTION

Les réintroductions d'ours qui ont eu lieu en 2006 dans les Pyrénées Centrales dans le cadre du « Plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises, ont été le théâtre de nombreuses perturbations, donnant lieu notamment au déplacement du lâcher d'un des ours importés de Slovénie pour renforcer la population ursine pyrénéenne. Des tentatives d'empêchement plutôt musclées de ces lâchers ont eu lieu ainsi que plusieurs manifestations d'opposants. Ces évènements ont été à l'époque largement médiatisés. A une époque où la protection de l'environnement est devenue, en quelque sorte, « cause nationale », il ne se passe pas un jour sans que l'on entende parler dans les médias d'émissions de gaz à effet de serre, d'énergies renouvelables, d'éco-construction ou de sauvegarde de la biodiversité. Les dernières élections européennes ont d'ailleurs montré, avec le très bon score des écologistes, que la société est de plus en plus préoccupée par les questions environnementales. Quasiment tout le monde est désormais d'accord pour dire que préserver la « santé » de notre planète est une priorité. Mais il se trouve que tout le monde n'est pas d'accord sur ce qui constitue cette priorité et comme dans toute idéologie, il y a différents courants. Dans le cas qui nous intéresse ici, que ce soit les détracteurs ou les défenseurs de cette réintroduction, tous se disent défenseurs de la biodiversité mais sans avoir la même idée de ce qui doit la constituer et de ce qui est un patrimoine naturel à préserver, à sauvegarder. Ainsi, les éleveurs opposés aux réintroductions d'ours se disent volontiers écologistes et même « les vrais écologistes ».

D'autre part, lorsque l'on aborde ce sujet avec tout un chacun, la première chose que l'on vous demande c'est bien souvent: « t'es pour ou t 'es contre ?» Ou alors, cela donne lieu à un débat, qui peut être plus ou moins passionné selon que ce thème vous touche ou pas particulièrement, mais bien souvent les gens ont un avis sur la question ou ont du moins quelque chose à dire à ce propos: « l'ours a toujours été là », « il était là avant l'homme »... ou au contraire: « l'homme a toujours cherché à se débarrasser des prédateurs, pourquoi en remettre aujourd'hui », et cela, selon que l'on approuve ou pas cette réintroduction. Isabelle Mauz (2005 p.167) a fait la même remarque à propos des loups. Ayant fait une enquête de terrain dans les Alpes au moment où le loup a fait son retour dans la région, elle écrit que pour expliquer ces phénomènes qui déchaînent les passions, de façon parfois irrationnelle, il faut faire appel à la psychanalyse et elle fait référence aux travaux de Sophie

2

Bobbé1 qui a traité les thèmes de l'ours et du loup selon une approche psychanalytique dans son

« essai d'anthropologie symbolique ». Il semble qu'il en soit de même pour l'ours. Mais ce n'est pas cet aspect que je vais pouvoir développer ici.

La question centrale de ma recherche est: pour quelles raisons peut-on rencontrer une telle résistance au projet de restauration d'une population viable d'ours dans les Pyrénées ? Et cela, plus précisément dans le département de l'Ariège, où l'on rencontre une forte opposition au projet et qui a constitué l'essentiel de mon terrain d'étude. Afin de tenter de répondre à cette question, je vais en poser plusieurs autres. Tout d'abord, qui sont les gens qui s'opposent à ce projet ? Est-ce que ce sont uniquement des éleveurs? Si ce sont des éleveurs, quels éleveurs ? Est-ce que ce sont uniquement des éleveurs transhumants? Habitent-ils tous en montagne, ou sont-ils aussi des piémonts et de la plaine? Sont-ils originaires de la région ou est-ce que ce sont aussi des néo-ruraux ? Quelles sont leurs conditions de vie, de travail ?

Ensuite, quel sens donnent-ils à leur action ? Et par quel discours argumentatif justifient-ils leur opposition ? Quel est leur discours sur la situation qu'ils sont en train de vivre ? Quelles perceptions ont-ils de l'ours ? (un danger physique ? Un danger symbolique ?) Il semble que le sentiment dominant soit que leur mode de vie, lié à leur activité de transhumance, est mis en danger de disparition par la volonté de l'État et des associations écologistes « d'ensauvager leurs

montagnes » en y réintroduisant des ours. Leur vision est exclusive: c'est eux ou les ours, mais la cohabitation est impossible.

En réaction, ils ont décidé de « rentrer en résistance » et se sont fédérés au sein d'une association. Par quels processus en sont-ils arrivés à rentrer dans cette logique de lutte, de résistance? Quelles sont leurs intentions, et par quels processus cherchent-ils à les mettre en oeuvre ? Quel est leur but, et quelles sont les actions entreprises pour l'atteindre ?

Pour tenter de répondre à certaines de ces questions, je formule l'hypothèse que, dans le but de se défendre face à ceux qu'ils voient comme mettant en danger leur mode de vie (l'État français, et ceux qu'ils qualifient « d'écologistes intégristes », termes employés très souvent employés par les opposants au programme de réintroduction) pour des raisons qui ne leur semblent pas valables. Ils sont entrés en résistance par le biais de structures associatives au niveau départemental et au niveau pyrénéen. Ces associations ont eu un rôle fédérateur en produisant un discours dans lequel tous semblent se retrouver, «nivelant» ainsi les disparités individuelles et permettant la diffusion d'une conception commune de l'idée de nature (une nature humanisée, culturelle) et de ce qui constitue un

1 Dans son ouvrage: L'ours et le loup, essai d'anthropologie symbolique publié en 2002

3

patrimoine commun à préserver: leurs savoir- faire, les races domestiques autochtones, la culture montagnarde... Et comme il est plus facile de se défendre quand on a le sentiment d'appartenir à un même groupe, avec des valeurs communes, l'identité d'éleveur transhumants et l'identité

pyrénéenne sont mises en valeur (par exemple, dans le manifeste des Pyrénées qui commence ainsi: «Nous, qui vivons dans les Pyrénées... » aussi bien du côté espagnol que français) ainsi, des personnes qui ne sont pas des éleveurs et ne sont donc pas directement concernées par les prédations d'ours rejoignent « les rangs de la lutte » par « solidarité pyrénéenne ». Les dénominations des structures associatives me semblent assez significatives en ce sens: Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Ariège Pyrénées (ASPAP) et Association pour le Développement Durable de l'Identité Pyrénéenne (ADDIP).

On peut remarquer également que l'Ariège bénéficie d'une image de pays de résistance, qui s'est plusieurs fois opposé à l'État dans son histoire, et les habitants du département revendiquent volontiers cette image un peu rebelle. Sur la page d'accueil du site internet à vocation touristique « Ariège.com », il y a une sorte de devise: « nature, tradition, courage, refuge, résistance ».En dessous il y a un petit texte qui explique chaque point de la devise2, pour le mot résistance, il est fait référence entre autres aux Cathares, et à la Guerre des Demoiselles. C'est au 19ème siècle, principalement dans le Couserans, qu'eut lieu cette révolte, en réaction à la mise en application d'un nouveau code forestier qui interdisait l'usage des forêts notamment pour le pâturage. Les paysans s'attaquaient aux gardes forestiers et aux gendarmes vêtus de longues chemises blanches de femmes et le visage noirci ou caché. Lors des manifestations d'opposition au plan ours, des opposants ariègeois ont défilé le visage noirci et vêtus de longues chemises blanches en référence à cet épisode de l'histoire locale. Jean, éleveur en Haute-Ariège, y fait également allusion dans ses propos: « ...tout le temps être en rébellion...c'est pas nouveau...y'a eu la guerre des demoiselles avant nous...si les montagnes elles sont restées ce qu'elles sont c'est parce que les gens s'y sont accrochés et faut continuer à s'y accrocher... ».

Je vais tout d'abord décrire quel a été mon terrain, comment j'ai collecté les données à partir desquelles j'ai pu réaliser ce mémoire. Ensuite, je présenterai quels sont les discours tenus par les acteurs que j'ai rencontrés sur le terrain à propos du programme de réintroduction, des ours et du territoire sur lequel ils vivent; puis quelles représentations de la nature ils impliquent. Dans une troisième partie j'aborderai certaines des conséquences de ce projet dans le département, dont fait

2 Depuis, la page de présentation du site a été modifiée, cette devise et les explications qui allaient avec ont été supprimées.

4

partie le processus mis en oeuvre par les acteurs locaux pour structurer leur résistance, et notamment un processus de mise en valeur, de réactivation d'une identité collective pyrénéenne, de gens de montagne, et d'éleveurs transhumants; et ce par le biais de structures associatives.

5

lère partie: LE TERRAIN, LA COLLECTE DE

DONNEES.

I. LES OBSERVATIONS

Avec pour thème de départ: l'ours des Pyrénées, la réintroduction en Ariège, j'ai abordé le terrain en me rendant à des évènements de la vie locale où je savais qu'il serait, au moins en partie, question d'ours.

A. L'assemblée générale annuelle de l'Aspap

Ma première approche, a eu lieu à l'occasion de l'assemblée générale annuelle de l'ASPAP, (Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Ariège Pyrénées) association ariègeoise créée en janvier 2006, quelque temps après que l'État ait annoncé le projet de nouvelles réintroductions. « Les ariègeois, largement touchés (2/3 des ours, 3/4 des dégâts, selon le ministère de l'écologie3), décident alors de se doter d'une véritable structure de résistance, avec des moyens, des compétences et une détermination qui jusque là n'avaient pas été réunis ». (Extrait du site internet de l'association dans la rubrique « qui nous sommes ». La partie en caractère gras l'est aussi sur le site.)

Elle est composée principalement d'éleveurs mais aussi de professionnels du tourisme, de scientifiques, de simples habitants du département en relation ou non avec le monde agro-pastoral,etc... Cette structure compte plus de 1000 adhérents. Avant sa création, l'opposition à la réintroduction se fait déjà sentir en Ariège mais pas sous la forme d'une association départementale. Il existe une autre structure associative, l'Addip (Association pour le Développement Durable de l'Identité Pyrénéenne). « L'Addip regroupe les associations départementales opposées à l'ensauvagement artificiellement recréé du massif pyrénéen que supposerait une population d'ours naturellement viable » (Extrait du « Bilan de la situation créée aujourd'hui par le plan de conservation et de restauration de l'ours brun 2006-2009 dans les Pyrénées et conséquences pour le massif » édité par l'Addip et rédigé par Bruno Besche-Commenge4) .

3 Voir la carte de la répartition des ours sur la chaîne en annexe.

4 Voir portrait en page 21

6

Cette assemblée générale se déroule dans la salle des fêtes d'un petit village du piémont ariègeois non loin de Foix, environ 250 personnes sont présentes, de toutes les générations, cela va des jeunes enfants aux personnes âgées, les gens sont venus en famille. A l'entrée de la salle se tient un stand où l'on peut trouver des tee-shirts, des autocollants, des dépliants à l'effigie de l'association et un livre intitulé: « Les raisons de la colère » de Violaine Bérot5. Différentes personnes se succèdent à la tribune pour présenter le bilan des actions menées pendant l'année, le lancement de perspectives pour l'année suivante et réaffirmer leur détermination à faire cesser ce plan ours en reprenant leur argumentaire à ce sujet. A la fin, il y a un buffet pour lequel chacun a apporté quelque chose, dont beaucoup de produits faits-maison (étiquettes écrites à la main sur les bouteilles et les conserves): vin de noix, charcuteries, pâtés, fromages, pains, pizzas préparées par les femmes,etc...C'est un moment convivial sur fond d'accordéon. Les discussions vont bon train, les plaisanteries aussi, on se demande des nouvelles des bêtes. Un des éleveurs qu'on me présente me parle du livre proposé sur le stand: « tout est dedans »... « elle est d'ici ». Lors de cette soirée j'obtiens quelques contacts pour réaliser des entretiens.

B. Le Symposium Life Coex

Quelques temps plus tard, je me rends à Luchon en Haute-Garonne au colloque intitulé: « Symposium Life Coex. Des ours, des loups et des hommes: initiatives européennes pour la cohabitation et la valorisation » organisé par l'association « ADET pays de l'ours » (Association pour le Développement Économique et Touristique des Pyrénées Centrales) basée à Arbas également dans la Haute-Garonne et qui est partenaire de l'État dans la mise en place et en pratique du "plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées française". Au moment de sa création, en 1991, cette association regroupe les maires de 4 communes des Pyrénées centrales, auxquelles d'autres s'ajouteront au fil des années. Puis en 1999, l'Adet s'ouvre à de nouveaux partenaires publics et privés. C'est en 1993, qu'une charte a été signée entre l'Adet et le ministre de l'environnement de l'époque, Michel Barnier, prévoyant les conditions de la réintroduction et confiant à l'Adet la maîtrise du programme de réintroduction.

Cette association est donc composée d'élus, de professionnels, d'associations et de particuliers. « Avec le programme « Pyrénées centrales, pays de l'ours », l'ADET contribue au

5Violaine Bérot est une pyrénéenne d'origine paysanne mais qui a vécu plusieurs années en ville, aujourd'hui elle élève des chèvres et des chevaux en Ariège.

7

développement et à la valorisation d'activités et de produits à forte composante éthique et humaine, respectueux des terroirs, répondant à la demande des hommes d'aujourd'hui et aux besoins des générations futures. » (Extrait du site internet de l'ADET). Plusieurs organismes sont partenaires de ce colloque: le programme Life-coex (qui mène des actions en faveur de la cohabitation hommes-grands prédateurs dans plusieurs pays européens), l'association WWF, le projet Natura 2000, le ministère de l'écologie et du développement durable ainsi que la Direction Régionale de l'Environnement Midi-Pyrénées (DIREN).

Lors de ce colloque, on a pu sentir, surtout le premier jour, une certaine anxiété de la part des organisateurs et de certains participants qui redoutaient que des opposants à la réintroduction ne viennent perturber le déroulement de l'évènement, les gendarmes étaient d'ailleurs présents le premier jour du colloque. Des journalistes de télévision et de radio sont également là le premier jour, ils interviewent surtout le maire d'Arbas, commune de Haute-Garonne, François Arcangeli (également président de l'association Adet ). Le colloque se déroule dans la salle cinéma du Casino de Luchon beaucoup des participants semblent se connaître et l'ambiance est plutôt conviviale. Les organisateurs qui font partie de l'Adet portent une sorte d'uniforme, chemise marron et verte avec un écusson sur l'épaule, il s'agit du logo de l'association Adet, Pays de l'ours.(image ci-dessous). Dans la salle où ont lieu les interventions se tient un stand sur lequel on peut retrouver la plupart des articles du catalogue de l'association: des livres sur les ours, sur la randonnée, sur la faune et la flore des Pyrénées, des ours en peluche portant chacun le nom d'un des ours réintroduits en 2006, il y a aussi des moulages d'empreintes d'ours, des cartes postales d'ours, etc...Pendant toute la durée des conférences, un dessinateur est présent, Marc Large, qui a notamment écrit un livre reprenant le mythe de « Jean de l'ours » intitulé Xan de l'ours, la légende de l'homme sauvage. Il va tout au long du colloque réaliser des dessins humoristiques qui seront projetés sur grand écran et ne manqueront pas de faire rire l'assemblée, perturbant parfois les intervenants dans leur présentation.

Logo de l'association Adet, pays de l'ours.

8

Les intervenants viennent de différents pays européens, dont ceux qui bénéficient du programme européen LIFE (programme de financement européen dont le volet nature finance des actions de conservation de la nature notamment dans le cadre du réseau Natura 2000). Chacun fait part de ses expériences, des actions menées, des résultats obtenus ou non. Le but du colloque est la confrontation des expériences pour pouvoir avancer et analyser les résultats des différents types d'actions menés concernant la cohabitation de l'homme et des grands prédateurs tels que l'ours et le loup: voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.

Plusieurs thèmes sont abordés: les différentes méthodes de protection des troupeaux (la présence humaine, les clôtures électriques, les aménagements d'estives, les chiens de protection, le mode de conduite du troupeau), la perception des populations locales et les solutions possibles pour une plus grande acceptation du programme, l'écotourisme en lien avec la « grande faune », la valorisation des produits avec l'image de l'ours ou du loup. Sur chacun des thèmes, les expériences de différents pays sont présentées et débattues. Alain Reynes, de l'ADET terminera son intervention ainsi: « concilier conservation de l'ours et développement de l'élevage vivant, voilà un beau défi de développement durable ».

Le public du colloque est très divers, différentes nationalités sont représentées, il y a des italiens, des croates, des espagnols, des portugais, des grecs, des bulgares, des canadiens, des albanais. Ce public se compose de naturalistes, d'universitaires, de responsables d'associations écologistes, d'employés de la DIREN et de l'ONCFS, d'éleveurs de chiens patou (race pyrénéenne de chiens de protection pour les troupeaux), d'éleveurs. Beaucoup de participants semblent être en groupes, mais il y a aussi des personnes qui sont venues seules comme cette jeune femme, qui a fait des études de zooarchéologie et qui maintenant, s'occupe de loups en captivité dans un parc situé dans le Gévaudan, on peut dire que c'est une « passionnée de loups ».

Des éleveurs présents lors de ce colloque ont développé un produit (en collaboration avec l'Adet), « le broutard du pays de l'ours », c'est à dire un agneau qui a passé l'été en estive dans une zone à ours et qui est un « produit du terroir soumis à un cahier des charges très précis ». Comme le précise l'intervenante (éleveuse en Ariège) qui fait la présentation de cette démarche, la création de ce label a permis de valoriser ce produit et de faire un plus grand bénéfice car la viande est vendue directement au consommateur et à un prix plus avantageux pour l'éleveur (du fait que la qualité du produit est mise en avant). Comme elle le précise en réponse à une question du public, ils ont du mal à faire accepter leur label auprès des autres éleveurs opposés à la réintroduction et peinent à trouver de nouveaux éleveurs pour se joindre à eux car cela reviendrait à accepter le programme de

réintroduction. Six éleveurs font partie de cette démarche dont quatre sont en Ariège. Les éleveurs de montagne qui sont favorables au projet de réintroduction sont fortement minoritaires, et, selon l'intervenante certains qui sont plus neutres ou même favorables ne le disent pas car c'est mal-vu dans le monde agro-pastoral.

Statue située au centre ville de Luchon

9

C. Les Pastoralies

Au mois d'août 2008 a eu lieu sur le plateau de Beille en Ariège au dessus du village des Cabannes un évènement intitulé: « Pastoralies, la fête de la montagne vivante » organisée par l'ASPAP avec pour partenaires le Conseil Général d'Ariège- Pyrénées, le Pays des vallées d'Ax et la station de ski du plateau de Beille. « Vous aimez la montagne et vous avez envie de la comprendre: éleveurs transhumants, bergers, vachers, professionnels du tourisme, de l'aménagement de l'espace montagnard, producteurs fermiers...vous révèlent les multiples vocations du pastoralis me.»6. Il y a beaucoup de visiteurs bien que le temps soit très brumeux. Sur une partie du site on trouve un marché avec des stands de produits du terroir (miel, charcuterie, fromage,...), un forgeron qui vend ses couteaux, un vendeur de vêtements (dont des capes de berger en laine),...on trouve aussi des stands liés au tourisme, un pisciculteur a même installé un bassin et on peut y pêcher des truites.

Sur le stand de la Fédération Pastorale de l'Ariège (association se présentant comme « rassemblant des acteurs du monde rural montagnard pour une meilleure prise en compte de l'espace et de ses usages ») on trouve des panneaux explicatifs sur différents sujets tels que: la conduite des troupeaux en estive, l'entretien des estives etc. Sous la même tente se trouve le stand de l'ASPAP: vente de tee-shirts, livres, DVD, du numéro « spécial ours » du magazine

« l'Ariègeois ».

Différentes races domestiques pyrénéennes sont présentées. Il y a un troupeau de chevaux de

6 Extrait de la plaquette de présentation de l'évènement reproduite en annexe

Merens, des ânes des Pyrénées, des chèvres pyrénéennes (en voie de disparition). On trouve aussi le chien de Carélie qui n'a rien de pyrénéen mais qui est utilisé pour la chasse au gros gibier, notamment à l'ours ! Un des évènements majeurs de la journée: l'arrivée du troupeau de vaches gasconnes.

La chèvre pyrénéenne L'âne des Pyrénées L'arrivée du troupeau de

vaches gasconnes

10

Tout au long de la journée un animateur fait des commentaires au micro, quand il ne parle pas, ce sont des chants traditionnels (ariègeois, pyrénéens) en patois qui sont diffusés. Si on a réservé on peut participer au « grand repas Ariègeois ».Le public est familial, on voit beaucoup de voitures immatriculées dans la Haute-Garonne et dans d'autres départements plus éloignés, sûrement des personnes en vacances dans la région.

L'après-midi a lieu un forum dont l'intitulé du programme est: «Pour une biodiversité à visage humain », il y sera surtout question de l'ours et de la gestion des estives. Les discours sont passionnés. Ensuite des interventions plus scientifiques sont faîtes par des techniciens pastoraux et un biologiste.

Un technicien pastoral de la Chambre d'Agriculture base son discours sur une étude réalisée par l'INRA7; des observations ergonomiques montrent que les éleveurs travaillent beaucoup, qu'ils ont des conditions de travail pénibles et qu'avec des ours en plus, « on rend des gens malheureux » et cela crée des « difficultés humaines ».

Ensuite un technicien de la Fédération Pastorale prendra l'exemple d'une estive où la vulnérabilité du troupeau a été analysée et où ont été faites des propositions pour protéger l'estive des attaques d'ours, pour limiter les risques, car il estime que ce n'est pas possible de les supprimer totalement. Il met en avant le coût important de l'aménagement de l'estive (entre 400000 et 500000

7 Institut National de la Recherche Agronomique.

11

euros). Et il estime que les mesures de protection ont un impact négatif sur l'estive et sur le troupeau, car les bêtes étant rassemblées dans le bas de l'estive, il y a un abandon des bons quartiers, une obligation de réduire les effectifs et au final une fermeture du milieu (la végétation ligneuse se développe sur les prairies qui ne sont plus pacagées). La concurrence entre les bêtes pour la nourriture étant plus importante, les agneaux grossiraient moins et le regroupement des bêtes favoriserait les maladies. De plus, des attaques pourraient quand même avoir lieu ou bien elles se répercuteraient sur les estives voisines moins bien protégées.

Le biologiste8 qui intervient ensuite argumente autour du fait que, si l'estive n'est plus pacagée, de nombreuses espèces de plantes et de micro-organismes, dont la présence est liée à celle des bêtes, vont disparaître en entraînant un recul de la biodiversité montagnarde.

Il apparaît clairement que ce qu'ont voulu mettre en avant les organisateurs de cette journée ce sont les hommes, leurs troupeaux et donc la « culture montagnarde » liée à une pratique pastorale, la transhumance; en d'autres termes ce qu'ils estiment mis en danger par la présence de l'ours. C'est aussi une démonstration de leurs pratiques et de leur savoir-faire.

D. Les Rencontres des Transhumants d'Europe

Au mois de septembre ont eu lieu à Seintein, village de montagne du Couserans, « Les Rencontres des Transhumants d'Europe ». Cet évènement a lieu dans le cadre de la Foire de Seintein et à l'occasion des vingt ans de la Fédération Pastorale de l'Ariège9. De nombreuses animations sont proposées sur trois jours: cela va de la projection de films sur la montagne et le pastoralisme à la possibilité de partager une montée en estive et de redescendre un troupeau avec un éleveur en passant par des démonstrations techniques (conduite de troupeau, fabrication de fromage,pressage de jus de pomme, etc...), la présentation de races rustiques locales, un marché10, un repas spectacle( avec spectacle de danses traditionnelles locales), des débats, des conférences de chercheurs sur le thème du pastoralisme (géographe, anthropologue,...), des animations sont également prévues pour les enfants. Des délégations d'éleveurs transhumants de différents pays d'Europe sont présentes (Irlande, Bulgarie, Portugal, Roumanie, Espagne,...). Sur le stand de

8 Voir portrait en page 14.

9 La fédération Pastorale de l'Ariège a été crée en 1988 à l'initiative des éleveurs, des élus de la montagne et du

Conseil Général de l'Ariège. Elle a pour vocation la mise en oeuvre de la politique pastorale départementale .Elle intervient auprès des acteurs locaux pour organiser les territoires d'estive, de zone intermédiaire et de fond de vallée.

10 Sur ce marché se trouve entre autres une démonstration de filage de laine, des producteurs de miel, des cocottes en fonte à l'ancienne, des chaussons en peau de mouton, etc...

l'ASPAP, on peut voir des photos de prédations d'ours sur des ovins mais aussi des bovins.

Encore une fois, comme pour les Pastoralies, ce qui est donné à voir aux visiteurs, c'est tout ce qui tourne autour du monde du pastoralisme, et qui semble renforcer ses acteurs dans un sentiment d'appartenance à un groupe, une profession, celui des éleveurs transhumants, et à une culture, celle des gens de montagne. On cherche aussi à valoriser les productions alimentaires et artisanales locales ainsi que le tourisme. Avec la présence des délégations d'autres pays, on entre dans la dimension transnationale de cette culture. Cela donne lieu à des échanges de points de vue, d'expériences et de techniques entre les éleveurs. Je retrouve en partie les mêmes personnes que dans les manifestations précédentes. J'obtiens un rendez-vous pour réaliser un entretien avec un éleveur le lendemain.

E. La manifestation du Val d'Aran

anneaux préparés pour la manifestation

Au mois de novembre 2008, un habitant du village de Lès dans le Val d'Aran en Espagne, âgé de 70 ans, est blessé par un ours au cours d'une partie de chasse. Cet évènement va susciter une grande émotion dans la région où a eu lieu l'accident. Les médias espagnol mais aussi français vont se faire le relais de cet évènement et des réactions que cela a suscité, il va même être question de recapturer l'ours à l'origine de

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l'agression et de le ramener en France. Le Val d'Aran est une des régions où la présence des ours est régulière.

Quelque temps après, le conseiller général du val d'Aran et l'ADDIP vont lancer un appel « aux élus des départements pyrénéens et aux représentants professionnels agricoles, consulaires et syndicaux des Pyrénées » tout d'abord pour le boycott de la réunion du Groupe National Ours organisée par le Ministère de l'Écologie, au motif que cela reviendrait à cautionner la mise en oeuvre du plan ours. Ensuite parce qu'ils veulent mettre en place une « plateforme transfrontalière pyrénéenne ». Une réunion suivie d'une manifestation est prévue à Lès le 6 décembre. Dans son invitation, le conseiller du Val d'Aran s'exprime en ces termes: « Le Conseil Général du Val d'Aran

a rejeté, sans équivoque, la réintroduction de l'ours et ses conséquences, mais nous voulons que la voix de l'ensemble des Pyrénées résonne avec force face à ceux qui nous imposent leurs projets contre la volonté de ceux qui vivent et travaillent dans ces vallées ».

Je me suis donc rendue à cette manifestation à Lès quelques kilomètres après la frontière avec la France. Tout d'abord, dans une salle de la mairie du village (« la casa pera vila ») a eu lieu la réunion prévue. Les intervenants sont des aranais et des français, des élus et des professionnels. Parmi les français il y a Bruno Besche-Commenge qui est linguiste et fait partie de l'ASPAP, son discours, dont voici quelques extraits, est un résumé quasiment exhaustif de la façon dont la situation est perçue et du message que l'on souhaite faire passer:

« La gravité du problème auquel on est confronté et qui n'est pas qu'un problème d'ours, qui est comme tout le monde le dit, comme l'Aran le dit, un problème de mépris pour la culture pyrénéenne, un problème de mépris pour les gens les hommes et les femmes pyrénéens, et un problème de mépris pour tout le travail énorme que nos ancêtres ont fait pour transformer les Pyrénées en montagnes humaines [...] aujourd'hui on est à un moment où [...] au niveau national, européen, on dit qu'il y a besoin d'envisager l'agriculture, l'élevage, la production non seulement sous l'aspect industriel qui est devenu dominant mais sous des formes de productions plus en accord avec le milieu, plus respectueuses des équilibres naturels, avec des races [...] locales qui sont adaptées au milieu, avec des hommes et des femmes qui sont encore les connaisseurs, les porteurs du savoir qui permet de produire dans ce milieu avec ces races locales. [...] Toutes les montagnes du monde [...] ne sont pas des milieux naturels, c'est des milieux culturels, [...] (qui) ont été travaillées, transformées par le travail de l'homme, [...] ce que nous savons faire n'a jamais été autant à la mode qu'en ce moment: continuer à produire de la viande de qualité, dans des conditions saines, en accord avec un milieu, [...] il va falloir demander à nos politiques d'être clairs [...] est-ce que l'on devient pays sauvage ou est -ce-que l'on essaie de relancer, de récupérer, de rattraper tout ce qui est notre culture, notre savoir [...] on sait très bien que si il n'y a pas d'éleveurs, d'agriculteurs pour entretenir le milieu, [...] éviter l'embroussaillement général, les touristes ne viendront plus [...] il y a un lien total entre notre développement économique pour l'avenir, entre la préservation du milieu pour permettre nos formes d'élevage et cet aspect fondamental de notre économie qu'est le tourisme [...] l'ours n'est pas une espèce menacée au niveau européen, c'est reconnu par l'Europe elle-même, le berger pyrénéen oui, est une espèce menacée, on le sait. »

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Divers intervenants vont ainsi se succéder à la tribune. Une fois les interventions terminées, chacun

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est appelé à signer le manifeste rédigé conjointement entre les français et les aranais. Dans ce manifeste, on retrouve les revendications des « pyrénéens » espagnols et français, ainsi que leur point de vue sur la situation. Il est intitulé « Le Manifeste des Pyrénées »11et commence ainsi: « Nous, qui vivons dans les Pyrénées, nous adoptons ce manifeste,... »

Les personnes présentes sortent petit à petit et se regroupent devant la mairie en attendant le départ du cortège de la manifestation. Un des militants de l'ASPAP porte à son bras de nombreuses cloches qu'il fait sonner et tient un énorme bâton de marche sur lequel on peut lire : "defensor del pueblo"12. On discute politique, on se donne des nouvelles, on parle de ses bêtes... Il y a une délégation ariègeoise, une délégation basquo-béarnaise que l'on peut reconnaître grâce à leurs drapeaux basque et béarnais. Il y a aussi des gens du luchonais et bien sûr de nombreux aranais.

La manifestation se met en marche jusqu'à une place, plus loin, toujours dans le village où sont entreposées, le long des murs de la place, de nombreuses pancartes et banderoles qui ont été préparées par les aranais. Elles sont rédigées en aranais, en castillan et en français. Voici quelques uns des slogans que l'on peut lire: « Non au danger dans nos montagnes, nous voulons être libres », « Para vosotros la montana es un jardin, para nosotros nuestra medio de vida13 », « Avant tout nos bêtes, non à l'ours », « Réintroduction de l'ours au bois de Boulogne »... Chacun s'empare d'une pancarte et après une halte, la manifestation continue son tour du village. Font également partie du cortège « la société de pêche et de chasse du Val d'Aran », « le parti populaire du Val d'Aran", et d'autres organismes ou associations... On peut lire leurs dénominations sur les banderoles.

Une fois le défilé terminé, un dernier discours sera prononcé depuis le balcon du premier étage de la mairie par le conseiller général du Val d'Aran, et par le représentant du Conseil Général de l'Ariège sur un ton très déterminé, ils seront particulièrement applaudis à la fin du discours. Selon le site internet de l'ASPAP environ 700 personnes ont participé à cet évènement. Tout au long de la manifestation, des chants traditionnels pyrénéens sont diffusés depuis une voiture par des hauts-parleurs.

Beaucoup de journalistes français et espagnols étaient présents pour couvrir l'évènement, ils ont fait de nombreuses interviews et pris de nombreuses photos tout au long de la matiné. Le but de cette manifestation était de fédérer les deux versants des Pyrénées, pour s'unir dans la lutte contre un même projet qui concerne un territoire qui a une unité au delà des frontières: le territoire pyrénéen. Mais aussi pour s'unir dans la poursuite d'un même projet de « développement durable »

11 Le manifeste est reproduit dans sa totalité en annexe.

12 « Défenseur du peuple. »

13 «Pour vous la montagne est un jardin pour nous c'est notre moyen (ou milieu) de vie. »

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des activités humaines dans les Pyrénées françaises et espagnoles. La rédaction et la signature du manifeste des Pyrénées en est, en quelque sorte, le symbole, l'écrit qui symbolise cette volonté. Mais il s'agit aussi d'une opération de communication dont les médias sont le relais. On pouvait donc remarquer une certaine mise en scène de cette manifestation, une mise en scène dont le public est: les médias et ceux qui verront les images retransmises à la télévision, entendront les discours à la radio ou les liront dans les journaux.

F. Les rencontres ANEM".

Comme chaque année, au printemps 2009, en Haute-Ariège, quelques prédations (sur des ruches et sur des troupeaux) ont eu lieu dans des exploitations car les troupeaux ne sont pas encore en estive. Suite à cela, le 15 mai 2009 a eu lieu à Luzenac en haute Ariège une autre action de l'Aspap quelques jours après que la première attaque d'ours de l'année ait eu lieu précisément sur cette même commune. Un message a été diffusé à tous les adhérents de l'Aspap afin qu'ils se rejoignent devant le lieu où se tenait la réunion départementale de l'ANEM. Un courrier a également été envoyé aux élus de cette association afin qu'ils rejoignent « le front commun » en précisant que « cette nouvelle action s'inscrit dans le droit fil de toute la démarche de l'Aspap: communiquer, occuper le terrain, agir ensemble ». Il est également noté dans ce courrier que « la rencontre départementale de l 'ANEM en un lieu symbolique-celui de la première attaque chaque année- [leur] offre une opportunité médiatique de renouveler au plus haut niveau [leur] détermination à faire cesser le plan ours à sa date prévue, sans reconduction possible. ».

Le stand de l'association a été monté devant la salle où se tient la

réunion. On y trouve des panneaux explicatifs de leur action et du fonctionnement du pastoralisme, deux ouvrages (toujours celui de Violaine Berot cité plus haut et l'ouvrage de Corinne Eychenne,15 géographe intitulé: Hommes et troupeaux en montagne, la question pastorale en Ariège et un DVD, à propos duquel on me dit: « c'est des souvenirs »16. Une enveloppe

contenant divers documents rédigés par l'Aspap est distribuée à chaque élu se rendant à la réunion.

14 Association Nationale des Élus de Montagne.

15 Corinne Eychenne est Maîtresse de Conférences au Département de Géographie-Aménagement de l'Université de Toulouse le Mirail. Son ouvrage traite de la gestion des estives, en Ariège, par les éleveurs; et de ce que cela implique notamment au niveau identitaire et symbolique.

16 Dans ce DVD on trouve une compilation d'images des manifestations auxquelles l'association a participé ainsi que des extraits de reportages réalisés par les médias.

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Et, avant que la réunion ne commence, ceints de leur écharpe tricolore ils posent en groupe, sous la banderole de l'Aspap, devant les photographes de la presse locale. Une carcasse de brebis attaquée quelques jours plus tôt est exposée sur une bâche posée au sol au dessus de laquelle est accrochée la banderole de l'association. (voir photo).

Ce jour là, est annoncé la mise en place d'une permanence téléphonique tenue par le réseau de l'Aspap. Estimant que le répondeur mis en place par l'équipe technique du suivi de l'ours est inefficace car rarement à jour il a été décidé la mise en place d'un répondeur d'information alimenté par les acteurs du réseau Aspap afin de renseigner ceux qui le souhaitent sur les localisations d'ours. C'est à dire que l'on peut laisser un message pour donner des informations dont on a été témoin ou bien consulter les informations sur les localisations des prédations, les observations visuelles d'ours, mais également connaître la localisation des équipes techniques de suivi de l'ours.

II. LES PRODUCTIONS ECRITES

Une littérature très nombreuse existe au sujet de la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Tout d'abord dans les journaux locaux, comme la « Gazette Ariègeoise » et le magazine

« l'Ariègeois », mais aussi les journaux nationaux où de nombreux articles ont été publiés et le sont encore à chaque nouveau rebondissement de « la saga » des ours des Pyrénées qui comporte d'innombrables épisodes (certain parle de « guerre de l'ours »). C'est d'ailleurs par la lecture d'articles de presse que j'ai commencé à me familiariser avec le sujet. Ensuite, de nombreux sites internet17 y sont consacrés, notamment les sites des différentes associations « pro » et « anti » ours qui se présentent toutes comme actives dans la défense de la biodiversité et du patrimoine des Pyrénées. Il y a également le site du ministère de l'environnement entièrement consacré au « plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées françaises ». Font aussi partie de ces données écrites les programmes des différents évènements cités plus haut et au cours desquels j'ai réalisé des observations. Ainsi que le compte-rendu de l'Assemblée générale de l'Aspap à laquelle j'ai assistée et certains exemplaires de la lettre mensuelle d'information que l'Aspap envoie à ses

adhérents, intitulée « Vivre en Pyrénées ».

17 Voir les adresses en annexe

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III. LES ENTRETIENS

Sur dix entretiens, huit ont été réalisés auprès de personnes du monde agro-pastoral ariègeois, les deux derniers sont des interviews des agents de l'Oncfs. Ils sont pour la plupart âgés d'une cinquantaine d'années, cinq d'entre eux sont néo-ruraux, les autres sont natifs du département. La question de départ de l'entretien n'a pas toujours été la même. Pour les personnes avec qui je suis entrée en contact par le biais de l'Aspap, j'ai leur ai généralement demandé de me raconter ce qui les avait amené à adhérer à cette structure. C'est donc le cas pour six des interviews réalisés. Ensuite, pour les agents de l'Oncfs, je leur ai demandé de me parler de leur métier. A l'éleveuse favorable à la cohabitation, je lui ai demandé ce qui l'avait amenée à créer un label de qualité avec l'image de l'ours. Pour un des éleveurs, dont je ne savais pas au départ s'il était adhérent à l'Aspap mais dont je savais qu'il avait été victime de prédations sur ses bêtes, j'ai lui ai demandé de me raconter les histoires qui lui étaient arrivées avec l'ours.

* Jean

Jean habite dans un petit village qui se situe à la limite de la zone intermédiaire c'est-à-dire à environ 900m d'altitude. Il y élève avec sa femme et son fils des vaches gasconnes qui transhument, et des ânes des Pyrénées. Leur production de viande, ils la vendent « en direct »18. Il est également prestataire de randonnées, il loue des ânes aux touristes pour se balader dans la montagne. Il n'est pas né en Ariège mais il est venu s'y installer avec sa femme il y a trente ans. Il a environ cinquante ans et est issu d'un milieu rural, son père était éleveur à 60 km de Paris. Le métier d'éleveur de montagne, il l' appris « en montagne [...] en regardant ce que faisaient les autres ». Il est opposé au projet de réintroduction « depuis les cinq premières minutes » car pour lui, il est évident que c'est incompatible avec l'activité pastorale. Il est très critique envers ceux qu'il qualifie « d'intégristes écologistes »et se dit prêt à se mettre hors-la-loi puisqu'il n'y a pas d'autre solution, qu'avec le projet de réintroduction on veut imposer des choses déraisonnables et qu'on ne veut pas entendre les arguments de ceux qui y sont opposés. Il se dit inquiet de l'insécurité que génère la présence des ours pour les habitants des montagnes notamment au printemps quand les ours sortent d'hibernation, que les troupeaux ne sont pas encore en altitude et qu'il y a des attaques dans les exploitations . Il

18 Ils vendent leur production directement au consommateur, sans intermédiaires.

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estime que la présence des ours n'est pas attractive pour le tourisme évoquant que des gens venus pour louer des ânes hésitent à partir en raison de la présence éventuelle d'ours dans les alentours notamment des personnes avec des enfants en bas âge. Il est adhérent de l'Aspap depuis sa création.

* Laurent

Laurent est éleveur avec sa compagne dans un village situé en limite de zone intermédiaire à environ 900m d'altitude. Ils ont un troupeau de brebis tarasconnaises qui estive et une vingtaine de cochons, dont ils transforment sur place la viande en charcuterie. Tout comme Jean, ils font beaucoup de vente directe. Avec sa compagne, ils sont venus s'installer dans la région il y a une trentaine d'années. Il est âgé d'une cinquantaine d'années et a une formation d'architecte. Mais il ne s'est jamais installé estimant que c'était un métier de marchand qui ne lui convenait pas et il avait vraiment envie de « vivre plein air intégral ». Depuis le début des réintroductions, il est régulièrement victime d'attaques sur son troupeau de brebis; en été sur l'estive mais aussi au printemps sur son exploitation. Il l'a très mal vécu surtout au début et il a perçu cet état de fait comme une atteinte à son travail, ce qui l'a révolté. Il estime qu'il y a beaucoup d'autres choses à faire de plus important pour la protection de l'environnement que de persister à réintroduire des ours dans les Pyrénées. Actuellement il est un des co-présidents de l'Aspap. Selon lui, cette réintroduction, telle qu'elle a été menée, manque complètement de bon sens et traduit un mépris de tous les acteurs de terrain qui, à son avis, font que les Pyrénées sont ce qu'elles sont ou qui perpétuent, maintiennent ce qu'ont fait leurs prédécesseurs. Pour lui, avec cette réintroduction, on perturbe un fragile équilibre.

* M. et Mme Joly.

Ce couple d'une soixantaine d'années vit dans une maison près de la ferme familiale où M.Joly est né. Ils exploitent cette ferme, mais pour que cela soit « viable », M.Joly travaille également dans une usine située non loin de son lieu de résidence, il est donc bi-actif par nécessité et se décrit comme un passionné de son travail d'éleveur. Il a un troupeau de vaches gasconnes qui passe l'été sur l'estive voisine. En 2004, « de la colère », il a vendu son troupeau d'une cinquantaine de brebis à la suite d'attaques, mais depuis, comme il dit: « j'ai replongé, j'ai racheté des brebis [...]

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j'ai toujours eu des brebis et faut toujours des brebis ». Depuis, pour son plaisir, il a quelques brebis autour de la maison, dont il dit que c'est comme si c'était ses chiens, chaque jour il leur donne du pain souvent accompagné de ses petits enfants. Il dit avoir beaucoup d'affection pour elles et c'est pour cela qu'il a été très affecté: « quand j'ai vendu le troupeau j'étais pas loin de la déprime ». Depuis 1999, il est victime quasiment chaque printemps d'une ou deux prédations, mais maintenant il dit avoir « mis de l'eau dans [son] vin ». Il est critique à l'égard de l'équipe du suivi de l'ours dont il aurait souhaité un peu de soutien lors des attaques notamment pour le rassemblement du troupeau. Et surtout, il souhaiterait qu'ils le préviennent quand ils savent qu'un ours est dans le secteur. Tout comme les autres interviewés, il estime que cette réintroduction a été très mal préparée. Pour lui, il est aberrant de mener un projet qui met en danger le pastoralisme et décourage les jeunes qui voudraient s'installer. Il a également des inquiétudes au niveau de la sécurité des personnes, sa femme insiste sur ce point, elle est inquiète pour ses petits enfants, au printemps elle ne les laisse plus seuls dehors. Ils sont adhérents à l'Aspap depuis le début de sa création car ils estiment que seuls il ne peuvent être entendus. Ils souhaitaient notamment que l'association permette la diffusion d'informations autres sur la situation qu'ils vivent au quotidien, que cela montre que ce ne sont pas eux les « méchants » dans l'histoire, mais qu'ils sont simplement victimes. L'entretien a duré quasiment deux heures, ils avaient beaucoup à raconter sur le sujet. Et, à la fin de l'entretien, M. Joly me dira qu'il n'a pas perdu son temps parce que les informations qu'il m'a apportées, je ne les aurais pas eues ailleurs.

* Bernard et Josiane.

Il s'agit d'un couple d'éleveurs qui est installé dans les piémonts de l'Ariège, ils ont un troupeau de chevaux qu'ils élèvent pour la viande. Ils sont âgés d'une cinquantaine d'années. Bernard est venu à l'élevage après avoir travaillé dans différents domaines. Ses parents étaient également éleveurs dans le département. Comme ils n'ont pas assez de surfaces pour faire pacager leurs chevaux toute l'année, ils passent l'été en estive avec leur troupeau. Il sont dans une zone où les ours sont en présence régulière et certains dérochements de juments ont été reconnus comme dégâts de l'ours. Ils ont adhéré à l'Aspap parce qu'ils ont été victimes de l'ours et ils y ont une présence assidue, participant très souvent aux réunions de l'association. Ils sont mécontents car ils estiment que certains des dégâts qui pour eux sont dus à l'ours ne sont pas pris en compte. Pour

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Bernard, ce qui fait le succès de l'Aspap, qu'il considère comme devenue une instance incontournable sur le département, c'est notamment le fait qu'elle soit apolitique et que le « leader »de l'association n'est comme il le dit:« à la remorque de personne ».

* Bernadette.

Bernadette est éleveuse de brebis laitières dans les piémonts ariègeois avec son compagnon. Elle est âgée d'une cinquantaine d'années, originaire d'une ville du centre de la France, elle est venue s'installer dans le département il y a une trentaine d'année. Ce qui l'a amenée à l'Aspap, c'est la musique. Elle est musicienne et des amis lui ont demandé de venir jouer dans les manifestations. Elle est sympathisante de la cause depuis le début, mais elle n'est pas concernée par des prédations et ses brebis n'estivent pas. En tant qu'éleveuse de brebis, elle se sent solidaire et en empathie avec ceux qui sont victimes de prédations. Elle insiste sur le fait que ce projet a été imposé comme elle dit: « par des écolos n'importe quoi ». Elle ne condamne pas le principe selon lequel l'homme exploite la nature et pense que s'il ne l'avait pas fait l'homme ne serait plus là, tout en estimant qu'il faudrait peut-être le faire autrement, avec plus de respect. Pour elle, certaines des personnes qui défendent le projet de réintroduction sont des fanatiques et les idées de nature qu'ils ont relèvent du religieux. Elle pense qu'ils montrent la nature comme détachée de l'humain. Elle a déjà été victime d'attaques de chiens sur son troupeau et dit que c'est plus difficile qu'on le penserait pour l'éleveur de subir des attaques sur son troupeau, même si les gens ont des sensibilités différentes.

* Bruno Besche-Commenge.

Cet ancien professeur de français et linguiste19 est spécialiste de l'histoire des techniques agro-pastorales (aujourd'hui à la retraite). Très actif au sein de l'Aspap, il a réalisé un important travail de recherches donnant notamment lieu a un dossier intitulé: « Ecologie, un vrai problème manipulé de façon inquiétante: bilan de la situation créée aujourd'hui par le «plan de restauration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées 2006-2009 » et conséquences pour l'avenir du massif » publié par l'Addip (coordination européenne). Il s'agit d'un dossier d'une quarantaine de pages, une information sur le sujet qui lui paraît plus représentative de la réalité du terrain. Pour

19 Il a été chercheur au Centre de Linguistique et de Dialectique de Toulouse.

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cela, il fait de nombreuses références à des travaux de scientifiques mais aussi à des déclarations de personnalités politiques. Bruno Besche-Commenge pense que ce qui se joue autour de cette réintroduction revêt de nombreuses facettes. Et pour lui, ce n'est qu'un épisode de plus dans un processus déjà ancien, qui relève notamment d'une « guerre des savoirs ». Il considère que ce projet a agi comme un catalyseur mettant en évidence d'autres phénomènes à l'oeuvre depuis longtemps, notamment en terme d'aménagement du territoire. Pour lui, le fond du problème, c'est une marginalisation d'une forme de savoirs (ici agro-pastoraux) par rapport au développement d'une pensée scientifique et un problème de dépossession des gens d'un territoire et surtout d'un savoir.

* Nicolas

Il se présente lui-même comme biologiste, spécialiste des écosystèmes d'altitude et des écosystèmes méditerranéens, réalisant à ce titre des expertises environnementales pour des bureaux d'étude. Il est ce qu'on appelle un autodidacte, il a obtenu récemment une équivalence universitaire pour ses compétences et a été intégré à une équipe de recherche scientifique en tant qu'ingénieur d'étude. Il est âgé d'environ cinquante ans. D'origine hollandaise, il est arrivé dans le département de l'Ariège dans les années 70 alors qu'il n'avait que 17 ans pour vivre dans une communauté qu'il a ensuite quittée pour fonder une famille mais il est toujours resté dans le département. Il a été pendant plusieurs années salarié de l'association des Pâtres de Haute Montagne20 qui forme des bergers et des vachers, il en était le coordinateur; il organisait l'ensemble des activités de l'association et notamment la formation des pâtres. Il n'était pas au départ opposé au projet de réintroduction mais il a changé d'avis, en voyant la façon dont la réintroduction était menée par le ministère. Et du surplus de travail que cela représentait pour les bergers ainsi que le stress auquel cela les soumettait: « d'avoir discuté avec des membres de l'association euh. Je me rendais compte que...ça a été quelque chose de terrible qui leur arrivait ». Il est très critique à l'égard de la façon dont cette réintroduction est menée, notamment concernant les compétences des équipes qui s'occupent d'expertiser les prédations. Il est également très critique vis-à-vis des associations partenaires du ministère dans sa mise en place qu'il qualifie pour certaines d'intégristes et dénonce

20 L'association des pâtres était au départ partenaire du Ministère de l'Ecologie pour la réintroduction des ours, mais s'est retirée du dispositif en 2001 estimant que leurs propositions n'étaient pas écoutées et de plus, il s'est avéré que

nombre de ses membres voyant les difficultés générées par les grands prédateurs commençaient à s'opposer au projet.

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ce qu'il appelle une « disneylandisation de la nature » qu'il ne reconnaît pas comme étant de l'écologie. Il a rejoint l'Aspap dès le début de sa création.

* Annie

Annie travaille à l'Oncfs21 depuis seize ans et habite un village de montagne. Elle est native de la région, a cinquante cinq ans et a grandi en montagne. Elle allait à la chasse à l'isard avec son père quand elle était petite. Elle s'occupe du comptage et du suivi de la faune sauvage mais aussi de la gestion des populations d'animaux nuisibles tels que les renards, les martres, les fouines. Son travail, c'est la gestion des milieux et des espèces. Elle se dit passionnée et parcourt la montagne depuis très jeune. Elle n'aime pas rester dans les bureaux et est le plus souvent sur le terrain en montagne. Elle s'occupe notamment de la gestion de l'habitat du grand tétras qui se réduit du fait de la fermeture du milieu à l'oeuvre depuis que les montagnes sont moins exploitées. Selon elle, ce qui a manqué dans la mise en place du plan de réintroduction c'est l'information et la communication. Comme il n'y avait plus d'ours, elle était pour la réintroduction, mais son point de vue a changé avec les années. Elle pense que le « vrai » ours des Pyrénées ne pose pas les problèmes que posent les ours slovènes réintroduits. Elle dit aussi qu'à cause de la fermeture du milieu, les ours descendent plus bas qu'ils ne le faisaient autrefois où la forêt ne descendait pas aussi bas dans les vallées. Elle précise ne rien avoir contre l'ours et être pour que l'on protège ceux qui sont là (« moi je protège l'animal pas la bêtise humaine »). Mais elle est contre de nouvelles réintroductions. Néanmoins, elle ne plaint pas ceux qui laissent leurs troupeaux sans surveillance. Elle estime que les chasseurs sont plus écolos que les écolos car ils sont sur le terrain.

* Cédric.

Cédric travaille également à l'Oncfs, il fait partie de l'équipe technique du suivi de l'ours. Il a environ trente ans. Natif du département il a une formation de technicien supérieur dans le domaine de l'environnement et de la gestion de la faune sauvage. Cela fait deux ans qu'il fait ce travail de suivi technique des ours. La principale fonction de cette équipe est de collecter des données sur la population d'ours des Pyrénées afin que l'équipe scientifique puisse ensuite traiter ces données. Ce

21 Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage.

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qui donne lieu a la réalisation de cartes de déplacements et de zones d'occupation par l'animal. Elle fait également la collecte d'indices, d'échantillons (poils, excréments) qui sont ensuite analysés génétiquement. Sa mission comprend aussi la vérification de témoignages d'observations d'ours, les constats de dommages causés par l'ours (exceptionnellement, car ce sont les agents départementaux qui font habituellement ce travail), les captures quand c'est nécessaire, et de l'information auprès de différents publics (éleveurs, chasseurs, scolaires, etc.). Son métier lui plaît, il le trouve intéressant mais il regrette que son équipe soit souvent la cible des opposants au projet de réintroduction du département en raison de ses fonctions. Il estime donc qu'il faut être vraiment «blindé, [...] bien moralement et physiquement pour supporter ça » et comme il le dit: « faut pas qu'on ait d'avis tranché, même si au fond de nous on a le droit d'avoir une opinion, [...] on se doit l'impartialité ».

* Martine.

Elle a quarante huit ans, elle est née à Paris. Arrivée en Ariège en 1982 pour suivre une formation de berger, elle est finalement restée dans la région. Avec son compagnon, elle élève dans un village situé dans les piémonts pyrénéens des brebis et des vaches qui passent l'été en estive. Elle fait parti des éleveurs qui ont choisi de créer un label de qualité en utilisant l'image de l'ours. Le label s'appelle: « Le broutard22 du pays de l'ours ». Ils ont décidé de tirer parti de la présence de l'ours, du côté positif de sa présence, afin de valoriser leur produit qui se vendait mal et à un prix plutôt bas. La mise en place de ce label s'est montrée être une démarche efficace puisque le prix de vente de leurs agneaux, distribués en vente directe, a connu une hausse importante. Et la demande est supérieure à la capacité de production de ces quelques éleveurs. Selon Martine, c'est parce que les « écolos » qui habitent à Toulouse sont prêts à faire cette démarche pour aider les éleveurs à cohabiter avec l'ours. Ce qui en fait un acte de soutien, et même un acte presque politique dit-elle. Elle regrette qu'il n'y ait pas plus d'éleveurs qui « osent » commercialiser sous ce label d'autant plus que la demande est là. Si elle pense que la cohabitation avec des grands prédateurs est possible, elle dit que c'est parce qu'elle place les êtres humains à la même hauteur que « le reste » et estime, au départ, que « l'ours a autant le droit de vivre [qu'eux] dans les Pyrénées ».

IV. A PROPOS DE MA PLACE SUR LE TERRAIN

22 Veau ou agneau élevé en plein air nourri au lait maternel et au pâturage. Ici, il s'agit d'un agneau.

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Au début de mon travail de terrain, je n'avais qu'une connaissance vague du sujet bien que originaire de l'Ariège, mais n'y vivant plus depuis six ans, j'avais certes quelques notions ou prénotions sur le sujet mais pas de réelles convictions. Ainsi, tout au long de mon travail, je me suis demandé si je n'étais pas de parti pris et comment faire pour ne pas l'être alors que j'ai principalement réalisé mon terrain dans un « camp », celui des opposants au projet de réintroduction, et que mon père est éleveur, bien que non directement concerné, car il a son exploitation dans les piémonts pyrénéen et n'est pas victime de prédations d'ours sur son troupeau. Cela a été une de mes principales préoccupations et j'espère y être parvenue au moins en partie.

C'est en tant que fille d'éleveur et «belle-fille » d'un membre de l'Aspap que je suis entré sur le terrain. Ceci a été a été un atout pour être plus facilement en contact avec les adhérents et obtenir des rendez-vous pour des entretiens, car j'ai été perçue comme étant, au moins partiellement, de leur monde, comme quelqu'un du coin et donc à même de comprendre leur démarche. Cela m'a probablement conféré une certaine légitimité à m'intéresser à leurs activités et, si ce n'est le statut d'alliée, cela a du moins certainement levé la suspicion sur une éventuelle appartenance au « camp adverse ». J'ai notamment pu le remarquer avec un des éleveurs interviewés, son visage s'est illuminé et son ton est devenu de suite plus amical quand je lui ai dit de qui j'étais la fille. Peut-être ne m'aurait-il pas dit exactement les mêmes choses si cela n'avait pas été le cas.

J'ai rencontré chez les personnes interviewées et notamment chez ceux qui ont subi des dégâts d'ours, une réelle envie de communiquer à ce sujet car ces personnes ont le sentiment de n'être ni entendues ni comprises par l'État et par le reste de la société. Comme M. Joly qui me dit à la fin de l'entretien qu'il n'a pas perdu son temps parce que les informations qu'il m'a apportées je ne les aurai pas eues ailleurs. Je suis donc perçue, me semble-t-il, comme quelqu'un qui va pouvoir diffuser leur parole, ou du moins je suis une personne qui va écouter leur point de vue, qui va pouvoir les comprendre. Jean, lui, m'a dit à propos de la difficulté de trouver des créneaux pour rencontrer les gens que ce n'est pas qu'ils ( les éleveurs de l'Aspap) ne veulent pas communiquer, et même au contraire, mais trouver un moment dans leur emploi du temps pour le faire, est parfois difficile. Donc malgré quelques difficultés parfois pour les rencontrer, toutes les personnes interviewées l'ont fait volontiers.

Les refus que j'ai eus étaient plutôt le fait de personnes favorables à la réintroduction comme ce berger, ami d'une personne rencontrée au colloque de Luchon, qui a refusé de me rencontrer. Et cette jeune bergère également qui aurait d'ailleurs croisé l'ours sur l'estive où elle garde un troupeau

et que j'ai tenté de contacter sans recevoir de réponse. Ces refus s'expliquent certainement en partie par le fait qu'« être favorable à l'ours » quand on fait parti du monde agro-pastoral, c'est faire partie d'une minorité et ce n'est donc pas toujours facile à vivre et à exprimer ouvertement.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Mes observations ont eu lieu en différents endroits des Pyrénées, principalement en Ariège mais aussi dans le département voisin de la Haute-Garonne et dans le Val d'Aran en Espagne et j'ai parallèlement réalisé une dizaine d'entretiens. A l'exception des deux personnes travaillant pour l'ONCFS, tous ceux que j'ai interviewés font parti du monde agro-pastoral ariègeois. La lecture d'une partie des nombreuses informations écrites existantes sur le sujet, notamment sur internet, m'a permis d'avoir un autre aperçu de la situation notamment concernant l'historique du programme de réintroduction, et les réactions qu'il a suscité. Ainsi, j'ai pu rassembler de nombreuses données qui constituent le corpus sur lequel je me suis appuyée pour mener l'analyse présentée dans ce mémoire. Dans la partie suivante, je vais présenter tout d'abord quels sont les discours tenus à propos du programme de réintroduction par ses opposants et donc, ce qui constitue dans ses grandes lignes leur logique de rejet de ce projet. Ensuite, je présenterai d'autres témoignages sur le sujet et enfin, je tenterai d'expliquer en quoi ces différents points de vue sont liés à une façon de concevoir la nature et le territoire.

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2ème partie: DISCOURS ET REPRESENTATIONS

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I. LES ADHERENTS DE L'ASPAP.

Ils sont opposés au plan de réintroduction de l'ours dans les Pyrénées et pourtant, la plupart d'entre eux se disent écologistes et même les « vrais écologistes » par opposition à ceux qu'ils qualifient souvent d'« intégristes écologistes » ou d'« écologistes des villes ». Comment en sont-ils arrivés à se positionner ainsi ? Dans cette partie, c'est donc leur point de vue sur la question dont j'ai souhaité rendre compte et pour cela j'ai repris la majorité des éléments de discours qui reviennent chez toutes les personnes interviewées et donc probablement le point de vue de la majorité des personnes opposées au plan ours, et plus précisément celles qui ont fait la démarche d'être adhérentes de l'Aspap. Ces personnes exposent leur point de vue, mais aussi leur analyse de la situation, comment elles l'expliquent et la perçoivent, ainsi que les raisons de leur engagement dans un processus d'entrée en « résistance » en se fédérant au sein de l' Aspap. La majeure partie de leurs propos est une critique du projet, depuis sa conception jusqu'à sa mise en oeuvre, une remise en cause des arguments des « pro-ours », et d'autre part, une description du travail des éleveurs, des « gens de terrain », de leur conception de la façon dont le territoire doit être géré. Ils parlent aussi, surtout pour ceux qui ont été victimes de prédations, de la difficulté, du choc des prédations subies et du sentiment d'irrespect de leurs pratiques, de leur travail. On leur dit qu'ils doivent protéger leurs troupeaux et que pour cela l'État finance les équipements, mais c'est pour eux incompatible avec leurs pratiques, d'une efficacité relative et d'un coût financier qui leur paraît démesuré par rapport au bénéfice pour le territoire et pour les gens. Ainsi, ils développent leur logique d'opposition et ce qu'ils considèrent être le « bien-fondé » de leur position. Corinne Eychenne (2006) a décrit ainsi la réaction des éleveurs ariégeois: « cette réintroduction a été vécue par les éleveurs comme une négation même de leur présence en montagne, de leur activité et de leur avenir. [...] au delà des risques de pertes d'animaux c'est bien l'atteinte à leur identité, à leur fierté et à leur honneur qui révolte les éleveurs. »

A. un territoire qu'on veut ensauvager, des pratiques pastorales mises en danger ?

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1. « Ça va à l'encontre de l'élevage en montagne »

Tout d'abord, la première remarque d'ordre général que je puisse faire, c'est que toutes les personnes interrogées considèrent que ce projet a un impact négatif sur le pastoralisme et qu'il pourrait précipiter sa disparition en décourageant les éleveurs. C'est perçu comme une menace pour la profession d'éleveur en zone de montagne et étant donné que le système pastoral fait vivre beaucoup de gens en montagne, ils souhaitent le défendre et ne comprennent pas que l'on agisse contre lui. La cohabitation avec les grands prédateurs leur apparaît comme impossible car selon eux les mesures de protection préconisées sont inutiles, ne peuvent que limiter les dégâts ou les déplacer ailleurs et surtout sont inadaptées à leurs pratiques.

« Ça va à l'encontre de l'élevage en montagne..si un jour y'a davantage d'ours que ça et davantage même de prédateurs voire des loups et tout ça quoi...c'est...c'est pratiquement sûr y'aura plus d'élevage en montagne [...] y'a beaucoup d'éleveurs qui ont arrêté [...] parce qu'ils ne veulent pas laisser les troupeaux aux ours quoi... » (M.Joly)

« C'est vrai que avant y'en avait des ours enfin y'en a eu et c'était tellement peu compatible avec euh l'activité pastorale que le gouvernement donnait une prime quand on pouvait prouver qu'on avait abattu un ours [...] c'est évident que c'est incompatible avec l'activité pastorale euh...de nos montagnes...y'a pas d'endroits sauvages y'a pas d'endroits inexploités...elles sont sauvages entre guillemets mais....mais utilisées pour le pastoralisme et utilisées

intelligemment »(Jean)

«Nous on tient à notre pastoralisme et à la façon dont on utilise nos montagnes et...et on veut que ça dure comme ça quoi...et y'a pas de place pour l'ours... » (Jean)

2. une modification du paysage2; perçue négativement

Le rôle d'entretien des espaces de montagne et de haute montagne par l'activité agricole et la pratique de la transhumance leur paraît être quelque chose de primordial pour le territoire. Et donc, la présence des prédateurs entraînerait une diminution de l'activité pastorale en décourageant les éleveurs qui subissent des prédations mais aussi les jeunes qui souhaitent s'installer. Ce qui aurait pour conséquence la déprise, et donc à terme une modification des paysages de montagne, perçue comme négative non seulement pour le tourisme mais également par rapport à quelque chose de

23 Par paysage s'entend la végétation qui le compose.

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plus profond qui les touche dans leur rapport à leur environnement, ce que M.Joly désigne comme « la liberté des Pyrénées ». Ainsi, pour eux, nuire au pastoralisme, c'est nuire aux éleveurs et donc nuire au paysage, support du tourisme dans la région. Aussi, rejettent-ils l'idée avancée par les promoteurs du plan ours selon laquelle ce projet doit être un atout pour la région au niveau touristique.

« Alors pour restaurer des ours on va supprimer tout ce qui est élevage...qu'est ce qui est plus naturel hein je sais pas, qui est ce qui entretiendra la montagne ? Qui est ce qui entretient les estives ? C'est pas les ours qui vont entretenir les estives, ce sont les éleveurs... »(Mme Joly)

«Maintenant y'a un éleveur par village...si tu protèges pas ça c'est...c'est les ronces et les broussailles qui vont arriver, si ça reste comme ça, au ras des maisons [...] mais maintenant y'a plus personne, y'a plus personne, ça fait que plus personne ne nettoie rien...alors si tu perds le peu d'élevage qu'y a, le peu d'élevage...alors là là les Pyrénées ce sera les ours et les loups ça c'est sûr y'en aura, mais y'aura plus de touristes ça je peux te l'affirmer ! [...] y'aura des chemins d'accès et vraiment délimités euh bien balisés et tout mais dans des zones boisées, ce sera interdit d'y aller ou alors à tes risques et périls, y'aura plus la liberté des Pyrénées, ce sera une autre forme de Pyrénées [...] si t'as des chemins en montagne qui sont nettoyés, si t'as des estives qui sont propres avec des beaux pacages et tout, c'est quand même grâce aux bêtes... » (M.Joly)

Ce n'est pas seulement une modification du paysage qui est redoutée mais une profonde transformation de leur environnement où ce ne serait plus les Hommes et leurs troupeaux qui seraient les gardiens d'une nature apprivoisée, domestiquée, façonnée par l'homme. Mais c'est bien la crainte d'une primauté donnée aux « bêtes sauvages » et au développement de zones ensauvagées, désertée par les éleveurs et les troupeaux domestiques et où il serait dangereux et difficile de se promener en raison de la présence des prédateurs et de la broussaille. Et ce, par opposition à ce qui est aujourd'hui vécu comme un espace de liberté, maitrisé, domestiqué par l'homme et son activité. Et c'est bien le refus de cet « ensauvage ment » des espaces de montagnes qui est revendiqué par les associations opposées à la réintroduction comme l'Addip et l'Aspap. C'est pour ces raisons qu'ils considèrent que l'argument selon lequel la présence d'une population d'ours est un atout pour le tourisme n'est pas fondé car selon eux cela va entraîner une modification du paysage, non propice au tourisme.

3. un territoire, des savoir-faire: un patrimoine local

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En ce qui concerne le territoire, en premier lieu, ils estiment qu'il n'est plus adapté à la présence de grands prédateurs comme l'ours, car selon eux il y a trop d'infrastructures humaines (notamment routières) et trop d'humains pour qu'il puisse y avoir à nouveau une population d'ours importante sur le massif. Ils pensent par exemple que le dense trafic présent en Haute-Ariège sur la nationale qui conduit au Pas de la Case est un obstacle sur le territoire des ours. Le danger que cela représente pour les automobilistes est également mentionné, ils prennent en exemple pour justifier cet argument la collision qu'il y a eu au cours de l'été 2008 en Haute-Ariège entre un minibus et un ours.

Ensuite, les éleveurs ont le sentiment qu'avec cette réintroduction on veut les exclure ou du moins limiter leur action sur le territoire pour laisser la place aux ours et aux loups. « On veut pas être parqués...parqués là dans un coin » (Jean). On retrouve aussi ce sentiment que l'on cherche à les déposséder de quelque chose que les générations précédentes ont contribué à créer, à entretenir et qui est aussi un savoir-faire. Sur ce thème, certains font référence à la « guerre des demoiselles » dans laquelle ils trouvent des similitudes avec la situation actuelle et même en quelque sorte une justification du combat présent qui,comme à l'époque, est mené contre « le pouvoir central »qui souhaite modifier leurs habitudes hérités de leurs parents et limiter leur action sur le territoire.

« Si [...] les mentalités n'avaient pas changé euh y'aurait pas d'ours en ce moment... ça se serait passé à coup de fourche et à coup de fusils...parce que ils auraient pas supporté ça...la propriété privée était réglementée à l'époque... » (M.Joly)

« Comme on l'a trouvée la nature comme on l'a trouvée on veut la laisser comme ça...c'est à dire euh comme nos parents nous l'ont transmis... » (M.Joly)

« On fait un boulot on le fait bien, on le fait en conscience [...] on sait ce qu'on a à faire, on a pas la science infuse mais on sait ce qu'on a à faire sur notre terrain [...] c'est évidemment intolérable d'entendre des gens d'ailleurs venir nous dire comment il faut garder les bêtes et comment élever les troupeaux quoi...ça ça ça tient pas la route ! » (Laurent)

« Voilà tout le temps être en rébellion...c'est pas nouveau...y'a eu la guerre des demoiselles avant nous...si les montagnes elles sont restées ce qu'elles sont c'est parce que les gens s'y sont accrochés et faut continuer à s'y accrocher »(Jean)

« C'est exactement le même problème que celui qui s'est passé après le vote du code forestier en 1827 appelé bêtement souvent la guerre des demoiselles [...] c'est le même problème de dépossession des gens...d'un territoire et surtout d'un savoir, [...] le territoire comme croisement d'une géographie d'une histoire donc...d'une culture...hein c'est ça euh, et ce qu'il y a

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avec le plan ours ce n'est donc que la suite de quelque chose qui s'est déjà mis en place bien bien avant hein quant au fond... » (Bruno Besche-Commenge).

Pour Bruno Besche-Commenge, ce qui est similaire entre la Guerre des Demoiselles et la situation actuelle, c'est qu'il s'agit dans les deux cas d'une guerre des savoirs.

« Le scientifique travaille sur les éléments de la nature, les éléments du vivant tandis que les éleveurs ils ont affaire à la globalité, alors ils ont développé des savoirs de la globalité[...]mais donc y'a un rejet total de ces formes de savoir comme pas le vrai savoir, et ça s'est retrouvé de façon magnifique, j'ai beaucoup travaillé sur ces archives là, [...] les archives forestières du 19ème siècle quand il y a eu l'opposition hein, la mise en place du code forestier c'était vraiment une guerre des savoirs[...]nous on sait mieux que vous ce qui faut faire pour votre milieu, non c'est nous qui savons, et on trouve dans le plan ours les mêmes acteurs [...] moi j'ai vu des gens dans les deux camps hein [...] qui me disaient [...] exactement les mêmes phrases, mais au mot près [...] c'est très impressionnant ».

La majorité des acteurs du monde agro-pastoral (éleveurs, techniciens de la chambre d'agriculture,...) perçoivent cela comme une intrusion dans leurs pratiques qui doivent être modifiées, notamment en ce qui concerne les mesures de protection préconisées pour faire face aux prédations d'ours. Ils estiment que ces mesures de protection sont incompatibles avec leurs pratiques car le regroupement nocturne ne permet pas au bêtes de brouter « à la fraîche » avant le lever du jour ce dont elles ont l'habitude et entraîne l'abandon des bons quartiers (zones riches de l'estive), favorisant ainsi la fermeture du milieu. Le regroupement des bêtes favoriserait aussi les maladies . Ils contestent aussi leur efficacité: les troupeaux protégés sont aussi victimes de prédations où alors les attaques se déplacent sur les estives voisines. Ils condamnent le coût élevé (bien que pris en charge par l'État) pour protéger une estive. Selon eux, des personnes extérieures qui ne connaissent pas le terrain veulent leur expliquer comment faire leur travail.

Ensuite, en cas de prédations, il y a une charge de travail en plus dont le berger doit s'acquitter. Il faut retrouver la bête tuée dans la montagne et la recouvrir avec une bâche pour que d'autres animaux ne viennent pas effacer les signes permettant de déterminer que c'est une attaque d'ours et pouvoir être indemnisé. Ensuite il faut rassembler le troupeau et soigner éventuellement les bêtes blessées. Puis enfin prévenir l'équipe technique ours afin que l'expertise puisse être réalisée le plus rapidement possible. Tout cela les oblige à modifier leurs pratiques, leurs habitudes, leur ajoute

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une charge de travail. Cela est ainsi vécu comme une perturbation de l'équilibre qui permet à leur pratique de subsister.

4. la perturbation d'un équilibre: celui du système de transhumance.

On retrouve cette idée que le plan ours viendrait perturber quelque chose de fragile: l'équilibre qui existe en montagne entre les hommes, leurs troupeaux et la nature qui les entoure. Un équilibre qui est signifié par la pratique de la transhumance, c'est à dire l'utilisation des espaces de haute montagne pour l'élevage.

«Nous, la vie telle qu'on a choisi de l'avoir depuis des années (Laurent et sa femme ne sont pas issus d'un milieu agricole et sont venus par choix dans cette région) c'était une recherche d'équilibre, une recherche d'harmonie avec tout un milieu naturel et évidement avec un contexte social et euh donc comme la base de notre économie c'était un troupeau d'ovins transhumant...c'était l'amélioration du foncier et euh enfin tout un équilibre entre un pays et des gens, nous on a ressenti ces attaques comme une atteinte voilà et c'est vrai que moi dès le début ça m'a révolté [...] après euh les prédations...c'est c'est j'allais dire c'est du fait divers c'est...le fond du problème il est pas là...le fond du problème c'est une perturbation...énorme de tout un équilibre qui est, qui reste fragile qui reste fragile malgré tout parce que c'est des conditions géographiques, des conditions météorologiques qui font que...l'agriculture l'élevage de montagne euh...et encore plus l'utilisation des grands territoires, les estives restent quelque chose de très fragile...très très fragile et le moindre grain de sable peut venir bloquer toute une dynamique...voilà... » (Laurent)

Et, cette pratique de la transhumance, leur apparait comme essentielle, pour l'exploitation, et même vitale. C'est une pratique qui fait partie intégrante de la plupart des exploitations de montagne et, moins fréquemment tout de même, pour des structures qui sont plus bas dans les vallées comme c'est le cas de Bernard. Pour des éleveurs qui ont peu de surface pour faire pacager leurs troupeaux, cela représente une alimentation de qualité pour leur troupeau et à un coup raisonnable. L'été quand tout est sec en bas dans les vallées et en plaine, l'herbe est toujours abondante en montagne.

« Ici placés comme on est [en zone intermédiaire, à environ 900m d'altitude] on pourrait pas faire autrement...non...avec la race qu'on a...puis c'est des terrains pauvres ici...c'est très c'est

des terrains très légers...euh pour nous l'estive c'est le poumon, c'est le poumon de

l'exploitation ».(Laurent)

«Pour l'équilibre de nos exploitations une exploitation de montagne ça se conçoit pas sans une estive et...l'estive c'est pas un plus à l'exploitation, c'est ça fait parti de l'exploitation »( Jean)

Le système de transhumance est présenté comme indispensable, particulièrement adapté au territoire et le seul qui permette la survie de l'exploitation en libérant du temps et de l'espace pour l'éleveur pendant les mois d'été. Ce système est pensé comme actuel, performant, très adapté et pas seulement comme une tradition d'un autre âge qui serait maintenue pour son côté folklorique.

« C'est important parce que c'est...à la fois en terme de ressources fourragères, les bêtes vont en altitude pendant l'été et libèrent les prairies et les endroits plus plats qui sont autour des villages qu'on peut utiliser pour faire du foin, ça c'est le truc traditionnel et c'est aussi important en terme de travail parce que pendant une période de l'année on a pas la charge des bêtes et ça nous permet de faire justement les travaux des foins et en plus l'été il fait très chaud en bas et les bêtes sont mieux en altitude, l'herbe y est plus riche, y est plus variée et c'est tout ce système qui est ancestral et qui est hyper bien adapté à la région. »(Jean)

Il y a chez les éleveurs le sentiment qu'ils ne peuvent pas être compris concernant ce système de fonctionnement et que seuls ceux qui le vivent peuvent le comprendre. Ils pensent que c'est en vivant en montagne que l'on peut comprendre ce qu'ils décrivent comme une sorte d'alchimie subtile entre des hommes et un territoire que même les gens de la profession travaillant dans la plaine ne peuvent pas percevoir. On touche ici à ce qui fait une des spécificités de l'identité montagnarde, la façon dont cette population se perçoit, se définit, se démarque par rapport aux gens de la plaine, de la ville.

« L'estive c'est pas un plus à l'exploitation, ça fait parti de l'exploitation et bon je sais que c'est incompréhensible pour des gens de la plaine même pour des gens de la profession, pour des éleveurs de la profession...c'est compliqué à comprendre cette façon de fonctionner euh et cette organisation... » (Jean)

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5. réinvestir les territoires de montagne

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Face à ce qu'ils voient comme une volonté d'ensauvager les montagnes, ils estiment qu'au contraire, il faudrait que les montagnes soient plus peuplées et ils trouvent illogique que l'on mette en oeuvre des actions qui ont pour conséquence une accélération de la diminution du nombre d'éleveurs de montagne. Ils voudraient que l'on favorise plus l'installation de gens dans les montagnes et ils y voient même une solution à certains problèmes de société.

«Quand tu vois dans les villes au contraire où tout est prêt à exploser parce qu'y a pas de boulot, que les gens ils n'arrivent plus à se loger, ils n'arrivent même plus à manger correctement et qu'on ne favorise pas justement l'installation dans les campagnes mais c'est c'est la solution de demain c'est ça! ...au moins laisser ceux qui y sont., ne pas leur dire vous fermez les portes et vous allez pointer au chômage à Toulouse» (Mme Joly)

C'est donc plutôt un réinvestissement des milieux ruraux qu'ils préconisent, pas simplement comme lieu de résidence mais comme lieu de travail, d'exploitation des ressources naturelles pour l'agriculture, l'élevage. Donc pour eux, il y a quelque chose d'illogique, dû au système économique dans lequel on évolue, dans le fait de laisser à l'abandon des zones qui pourraient faire vivre des gens, les «nourrir ». Ce qui leur paraît illogique c'est notamment que des gens qui sont dans les villes n'arrivent pas à vivre correctement alors que des zones rurales sont à l'abandon sans personne pour les cultiver ou les exploiter. Et c'est d'ailleurs même en partie pour cette raison que Laurent est venu s'installer dans la région pour devenir éleveur :

« Je supportais mal de voir tous ces pays euh en voie de désertification...(pause)...parce que y 'a un potentiel énorme euh quand je vois tous ces gens qui font les fins de marché pour ne pas dire les poubelles...qui ont des salaires euh...c'est y'a y'a vraiment quelque chose qui ne va pas quoi, alors qu'on est sur des dizaines pour ne pas dire des centaines d'hectares qui pourraient nourrir euh...toute une population euh...donc moi j'ai choisi ca ».

Les éleveurs de montagnes sont conscients des difficultés que rencontre leur profession. Mais ils ont aussi conscience que leur travail est bénéfique pour le maintien d'un certain paysage et semblent avoir incorporé cette fonction de « jardinier de la montagne » et même, ils la revendiquent. De plus ils ont conscience que leur activité longtemps marginalisée, car peu productive, peut aujourd'hui au contraire être valorisée comme un mode de production respectueux

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de l'environnement générateur de produits naturels de qualité. D'autant plus que la demande en produits écologiques est en pleine augmentation.

En conclusion, ce que ces gens ont a reprocher à cette réintroduction, c'est notamment le fait que cela va à l'encontre de la façon dont ils considèrent que le territoire doit être géré. Et aussi, parce que cela vient perturber leurs habitudes, que c'est une contrainte qui s'ajoute à d'autres déjà existantes. Ils contestent le caractère écologique de cette opération de réintroduction qui d'un autre côté leur semble mettre en péril une activité agricole respectueuse de l'environnement, par opposition aux exploitations agricoles de la plaine de type plus industriel qui produisent en masse et non en qualité. Leur activité, ils la voient comme bénéfique pour le paysage et donc indispensable pour le tourisme et pour le territoire. Tout ceci les amène à se considérer comme écologistes, les « vrais écologistes », par opposition à ceux qu'ils considèrent comme centrés sur une espèce dite emblématique et voulant « ensauvager leurs montagnes » pour revenir à une sorte de nature originelle préservée de l'action « néfaste » de l'homme. Et c'est pour cela, et ils le disent, que la cible de leur colère, c'est ceux qui ont fait en sorte que ce plan voie le jour et ceux qui le mettent en pratique tous les jours, bien plus qu'une colère envers l'animal sauvage qu'est l'ours: « j'en veux pas particulièrement à l'ours à la bête [...] [mais]c'est le mode de réimplantation de l'ours... » (M.Joly).

B. Quelles perceptions des ours ?

1. À propos des ours autochtones.

Lorsqu'ils parlent des ours, ils le font dans des termes très différents selon qu'il s'agit des ours réintroduits ou des ours de la population autochtone. Le fait que certains utilisent le terme

« introduction » et non « réintroduction » lorsqu'il parlent du plan ours marque cette différence. Tous sont d'accord pour dire que la présence de prédateurs est incompatible avec le pastoralisme et se justifient souvent en faisant référence au passé: on éliminait les ours qui attaquaient les troupeaux et l'État donnait des primes pour cela. De plus, du fait que les ours bruns ne sont pas classés par l'UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) comme espèce en voie de disparition au niveau européen, ils estiment qu'il n'est pas primordial de recréer ou de renforcer la population d'ours sur la chaîne pyrénéenne.

Néanmoins, lorsque qu'ils parlent des ours autochtones certains le font avec sympathie et regrets quant à leur disparition, mais ils estiment que c'est trop tard, que la lignée pyrénéenne est éteinte. Le plus souvent ils en parlent pour les comparer, les opposer aux ours réintroduits, jugés différents .

« J'étais vraiment pour défendre ce que j'appelle une population ursine autochtone, donc ça c'était nos vieux ours, je, c'était très difficile, c'était très difficile, notre ourse qui a été tuée par un chasseur, qui était ce que j'appelle moi des nôtres... » (Bernard).

« Vouloir préserver la souche pyrénéenne de toute façon c'est trop tard il ne reste plus que

de petits vieillards édentés qui ont largement dépassé l'andropause... » (Nicolas).

« Voilà c'est vrai que c'est sûrement un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais bon euh c'est comme beaucoup de choses de l'existence du règne végétal animal, voilà c'est comme nous...euh un jour ou l'autre euh y'a quelque chose qui s'éteint...bon je le vois comme ça...peut-être que c'est à ce moment là mais euh maintenant on peut tout dire, à cette époque là qu'il aurait fallu des mesures de conservation plus draconiennes, se pencher sur le problème, en attendant le constat c'est que y'a je sais plus trois quatre ours autochtones qui tournent en rond qui sont en consanguinité... » (Laurent)

Le plus souvent, ils évoquent les ours autochtones pour opposer leurs qualités à celles des ours réintroduits, pour dire qu'ils étaient, eux, plus adaptés au milieu, qu'ils savaient les limites à ne pas dépasser, c'est-à-dire se cantonner aux zones de haute-montagne loin des villages et des exploitations agricoles. Et de toute façon, s'ils dépassaient ces limites, les gens avaient la possibilité de les abattre et les ours « le savaient » ce qui les incitait à rester à l'écart des hommes. Et ce par opposition aux ours réintroduits qui ne respecteraient pas ces limites.

« C'est absolument pas une espèce en voie de disparition maintenant que l'ours des Pyrénées on ait fait tout ce qu'on a pu pour maintenir la population et bé j'aurais un tout autre discours mais pas l'introduction...[...] parce que ça aurait été de toute façon en nombre limité avec des bêtes habituées à , au système d'exploitation donc des bêtes qui vivent que dans des endroits assez reculés mais là ces ours introduits y connaissent rien au pays, ils ont des habitudes alimentaires complètement différentes...[...] qu'il y ait trois ours qui se tiennent à peu près correctement, mais des ours de montagne enfin des...pas des ours d'élevage quoi ! »(Jean)

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Cet extrait de l'entretien de M. et Mme Joly m'a paru particulièrement significatif de cette

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distinction qui est faite entre ours autochtones et ours réintroduits:

« Lui:...dans les Pyrénées y'en avait toujours des ours...y'a y'a enfin le noyau ici mon grand-père il me disait qu'il y en avait...mais la seule euh la seule présence de l'ours, de sentir l'odeur humaine il s'enfuyait...

Elle: et puis quand y'avait un ours qui descendait trop dans les villages ils prenaient le fusil ils l'abattaient point...ça faisait partie des moeurs de l'époque donc ils n'étaient pas menacés directement, les ours se tenaient en altitude et quand y'en avait un par hasard qui s'amusait à descendre trop bas bah ils prenaient les armes et ils s'en débarrassaient!

Lui: un ours qui est vraiment affamé qui descendait dans des exploitations...ils le tuaient point...et ils avaient des primes en plus...[...] donc ils étaient en estive et ils entendaient les plombs de temps en temps et ils avaient peur de l'homme quoi...et là y'avait, ça se passait très...comme ça...

Elle: ils avaient pas le même comportement...

Lui: non mais c'est pas...et puis...ça a pas été des ours qui ont été réimplantés ça avant ils étaient de souche naturelle...

Elle: comme l'an dernier y'en a un qui se fait prendre sur la route nationale par une voiture hein là y'en a une autre qui se retrouve en pleine partie de chasse qui prend un plomb enfin ils sont en plein milieu de la civilisation là euh...ils vivent avec les gens ce qui n'était pas le cas à cette époque là...personne n'aurait supporté de voir des ours traîner comme ça ».

2. À propos des ours réintroduits.

a. Des ours déviants...

Cette question des limites que les ours ne doivent pas dépasser pour être acceptés par les hommes est à rapprocher de ce que Isabelle Mauz(2006, p.37) a relevé concernant d'autres animaux sauvages dans les Alpes, les chamois et les bouquetins:

« Le caractère plus ou moins déviant des animaux est mesuré à l'aune de leur distance à ces repères [l'orée du bois, la rivière, la route,les habitations], comme si en se rapprochant d'eux, et à fortiori en les franchissant, ils trahissaient une aggravation de leur cas. Que les bouquetins, contrairement aux chamois, sortent de la forêt et traversent les routes est considéré comme la preuve qu'ils ne respectent pas des frontières cependant clairement délimitées et bien

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reconnaissables.

La « prolifération » du sauvage doublé de sa « descente » est assimilée à une véritable invasion. Sentiment qu'accentue, par contraste, le retrait apparent des animaux domestiques. Ceux-ci ne sont pas tellement moins abondants que par le passé mais, concentrés dans un petit nombre d'exploitations agricoles, ils semblent moins présents. »

Les ours qui ont été réintroduits sont donc considérés tantôt dans leur dimension d'animal sauvage tantôt dans une dimension qui les rapproche plus d'animaux domestiques ou du moins d'animal sauvage qui sort de son rôle, de ses limites et c'est bien ce qu'on lui reproche. Les ours réintroduits apparaissent comme des animaux « déviants », dont on ne sait plus s'ils sont sauvages ou domestiques, car ils ne respecteraient pas certaines normes et adopteraient des comportements qui ne sont pas tolérés de la part d'animaux sauvages.

Différentes raisons sont invoquées par ces personnes pour expliquer cette vision qu'ils ont de leur comportement. Tout d'abord, les ours ne sont plus chassés par l'homme et ils n'en ont donc plus peur ce qui les rendraient plus dangereux car moins distants, et d'autre part, leur déviance viendrait du fait qu'ils sont inadaptés au milieu naturel des Pyrénées car venant d'un pays où les montagnes sont moins hautes. De plus, la façon dont ils vivent là-bas aurait modifié leur régime alimentaire au fil des générations. Ainsi une des principales mises en cause de ces ours est de dire qu'ils seraient plus carnassiers que les ours autochtones, en raison du fait qu'ils auraient été nourris de carcasses d'animaux pendant des générations, en Slovénie, et que cela aurait modifié leur comportement alimentaire.

« Ces ours slovènes, amenés qui vivent à 600, 700 mètres d'altitude, qui ont des comportements tout autres que nos ours pyrénéens nous ennuient, ce sont des viandards, ils ont été nourris, ils restent habitués à cette viande [...] ils se comportent comme des jeunes chiens qui font les cons »(Bernard)

Selon Annie, agent de l'Oncfs, la fermeture du milieu expliquerait le fait que les ours descendent plus près des zones d'habitation, car la reconquête des espaces de moindre altitude par la forêt et la broussaille leur permet de coloniser ces zones où ils ne sont plus à découvert. On dit que c'est pour cela qu'autrefois les ours restaient dans la haute montagne. A l'époque ils n'y avait pas autant de végétation dans le fond des vallées et en plus, les ours savaient que les hommes les chasseraient s'ils descendaient trop bas, ainsi cela n'arrivait que lorsqu'ils étaient affamés mais dans

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ces cas là, ils étaient bien souvent abattus.

b... qui entraînent un sentiment d'insécurité...

Cette idée que ces ours sont plus familiers et n'ont pas peur de l'homme entraîne chez les habitants des villages de montagne un sentiment d'insécurité et de très nombreuses d'histoires d'ours vus aux abords des habitations circulent en Haute-Ariège. Des histoires où les ours franchissent les « repères » dont parle Isabelle Mauz. Ils traversent régulièrement les routes et on raconte qu'il arrive d'en voir un se désaltérer depuis le café surplombant le torrent dans un village traversé par la route nationale. Au printemps, ces inquiétudes peuvent être fortes dans certaines fermes situées en limite de zone intermédiaire comme c'est le cas de M. et Mme Joly, elle s'exprime ainsi à ce sujet:

«Mais il n'empêche que, après chaque attaque au printemps [...] [nos] petits enfants viennent régulièrement se promener dans les champs et tout...chaque fois qu'il y a une première attaque c'est au printemps, c'est quand même l'époque où on commence à sortir on se promène avec les petits, pendant trois mois y'a une chape de plomb qui tombe, on sort plus et on ne laisse plus les enfants dehors on leur dit de rentrer, ne vous éloignez pas, alors qu'on vit dans un domaine exceptionnel vraiment on est tranquilles, on a la sécurité y'a des espaces verts c'est magnifique c'est la nature [...] et d'un coup on se dit on est agressé, on se sent plus en sécurité, un peu comme si on vivait au centre ville et que y'avait des agressions sur des gens [...] on n'est pas

habitué et pour nous c'est extrêmement choquant ça ».

Parfois, cela s'exprime simplement par un « on y pense » quand il fait nuit et qu'il faut faire un trajet à pied par exemple ou qu'une bête vient d'être attaquée: «Peur on en a pas, mais le moindre bruit tu te dis...c'est peut-être ça...[...] même le plus courageux il y pense »(M.joly). Des craintes sont également évoquées par des éleveurs quant à la sécurité des gardiens de troupeaux sur les estives.

La présence des ours inquiéterait aussi certains touristes24 et le bivouac serait de plus en plus rare, les gens préférant dormir dans les cabanes ou dans les refuges. « En plein été c'était courant de voir des tentes sur les estives [...] y'avait des familles...même des randonneurs qui allaient à la

24 Encore une raison qui selon eux remet en cause le bénéfice que ces ours représenteraient pour le tourisme, certains précisent que si l'ours peut avoir un intérêt touristique pour les Pyrénées, ce n'est pas le cas pour les zones où il est en présence régulière comme en Haute-Ariège.

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pêche, des tentes tu en vois plus, les types s'ils y vont dormir, ils vont dormir dans les cabanes ». La présence d'ours en montagne aurait donc modifié certaines habitudes des randonneurs.

c. ...et victimes de la volonté de l'homme de tout gérer ?

Dans les propos des gens revient souvent l'idée que ces ours sont victimes de la volonté de l'homme de tout contrôler, même le sauvage. On les manipule, on les utilise, on les opère pour leur mettre un émetteur dans le ventre, on les recapture, puis on les relâche, on soupçonne qu'ils sont nourris et on s'étonne de toute cette attention qu'on leur porte25. Ils semblent ainsi perdre leur

caractère sauvage aux yeux de ces personnes qui critiquent le caractère artificiel de cette réintroduction et l'humanisation dont ils sont l'objet. C'est pourquoi Jean refuse de les nommer: « je veux pas les appeler par leur nom, je m'y refuse ».

« Le plus malheureux dans l'histoire euh hormis tous les gens qui étaient touchés, c'était qu'on se servait de ces ours pour véhiculer et pour faire passer surement d'autres enjeux [...] quand je vois la façon dont ils ont été ramenés, capturés ramenés euh en fait il y est pour rien quoi, on aurait mieux fait de les laisser dans les forêts où ils étaient je pense qu'ils étaient mieux qu'ici...opérés équipés d'émetteurs euh suivis nuit et jour...euh c'est pas de l'écologie ça, c'est [...] une opération médiatique ! » (Laurent)

«Pourquoi y'a des secteurs il faut qu'il y soit et des secteurs il faut pas qu'il y soit ? Pourquoi c'est pas à lui à décider où c'est qu'il veut vivre ? Puisqu'il faut le laisser en liberté...Les secteurs qu'ils le jugent qu'il est trop en danger [...] ils y vont ils l'effarouchent, pour le faire partir ailleurs, ça fait que l'ours il est toujours en train de naviguer, il a pas de territoire...et c'est pour ça qu'il y aura des problèmes... c'est parce qu'une fois de plus, l'homme il veut tout gérer...y'a des fois c'est pas à lui à gérer tout, il faut laisser la nature aller...enfin moi c'est mon avis ». (M. Joly)

Raphaël Larrère (1999) a souligné la contradiction qu'il y a à qualifier de sauvages les animaux réintroduits par la main de l'homme et qui proviennent le plus souvent de zoos ou d'élevages26 : « Ainsi, le retour du sauvage qui symbolise l'ensauvagement des campagnes, n'est

25 Ce type de réflexions revient souvent à propos de Balou, un des ours relâchés en 2006 qui s'était d'abord dirigé vers la région toulousaine et dont les rumeurs disent qu'il a été plusieurs fois recapturé ou éffarouché pour être redirigé vers la montagne. Il a été bléssé en 2008 lors d'une partie de chasse et donc l'objet d'une attention particulière de la part de l'équipe du suivi de l'ours

26 A la différence que ce n'est pas le cas ici, bien que Jean qualifie les ours slovènes « d'ours d'élevage », ils vivent en liberté dans les forêts slovènes.

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qu'une image: la pratique est, en fait de contrôler la reproduction d'animaux que l'on a dû ensauvager » . Et à propos du fait que l'on parle souvent de ces animaux comme s'ils étaient des animaux domestiques (ils ont un nom, des métaphores anthropomorphiques sont utilisées pour parler d'eux), il écrit que « s'impose une représentation domestique, familière, parfois même humanisée des animaux réintroduits [et que] cette imagerie conduit à une confusion des catégories du sauvage et du domestique ». La perception que les opposants au plan de réintroduction ont des ours réintroduits semble effectivement symptomatique de cette confusion des catégories du sauvage et du domestique.

Il y a donc deux sortes d'ours pour ces gens, ce qui se traduit de manière flagrante dans leur façon d'en parler. Les ours autochtones jouissent d'une image presque positive, amènent à l'expression de regrets concernant leur extinction et sont même parfois évoqués en termes affectueux. A l'opposé, les ours réintroduits sont décrits comme des animaux déviants dont on ne sait plus s'ils sont sauvages ou domestiques. A la fois ils font peur et sont objet de compassion.

L'attention qu'on leur porte semble amener certains éleveurs à se sentir dévalorisés, mis en marge, estimant que l'on fait plus cas du sort d'un animal, certes emblématique et en voie d'extinction dans les Pyrénées, que du leur. « S'il y a des animaux en voie de disparition c'est nous quoi...nous on est vraiment en voie de disparition, et personne nous protège »(Mme. Joly). Quelque part, ils revendiquent le fait d'être eux aussi emblématiques et en voie d'extinction. Cela leur paraît d'autant plus injuste qu'ils se sentent victimes d'un projet écologique alors qu'ils se considèrent eux-mêmes, en tant qu'agriculteurs de montagne, comme écologistes, appliquant des méthodes d'élevage en accord avec l'environnement, par opposition aux exploitations intensives de la plaine qui utilisent engrais et pesticides.

Les ours réintroduits sont donc pour eux comme le symbole d'une ingérence dans leur territoire et, d'un irrespect de leurs pratiques et de leur avis sur la question de la gestion des espaces montagnards. C'est donc à d'autres hommes qu'ils en veulent, ceux qui ont mis en oeuvre le plan ours et dont ils pensent qu'ils n'ont pas compris la façon dont cela fonctionne en montagne.

En conclusion, les ours réintroduits sont perçus négativement par une certaine partie de la population vivant sur les territoires où ils sont présents. Ils sont considérés comme différents des ours autochtones en raison de leur comportement, ce qui justifie à leurs yeux leur inadaptation et donc en partie leur illégitimité sur le territoire. D'un autre côté, le fait que les ours réintroduits et les ours autochtones soient génétiquement identiques car faisant partie de la même espèce d'ours (ursus

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arctos) et plus précisément de la sous-espèce européenne, remet, selon eux, en cause leur caractère d'animal en voie de disparition, du fait que cette sous-espèce est plutôt abondante dans certains pays européens tels que la Russie par exemple.

Par contre, les personnes qui sont favorables au plan ours ne semblent pas faire cette distinction, pour eux il n'y a qu'un seul ours: c'est l'ours brun. Ils ne font pas de différence entre ours réintroduits et autochtones en tout cas pas en ce qui concerne leur comportement. Et ce, d'autant plus que ces ours réintroduits sont là pour renforcer cette population autochtone, se reproduire avec elle pour sauver le noyau d'ours qui restent. Ce qui semble important pour eux, c'est surtout la présence d'ours sur le territoire pyrénéen comme garant de la « bonne santé » du territoire. Et le fait que ce soit des ours slovènes d'une lignée différente, mais néanmoins génétiquement identique, ne semble pas être une caractéristique déterminante de la perception qu'ils en ont.

Et contrairement à ceux qui considèrent que les ours slovènes ne sont pas adaptés aux Pyrénées, Martine qui est éleveuse et pour la réintroduction, considère au contraire que ces ours se sont parfaitement adaptés, que leur reproduction se passe bien et que le territoire est tout à fait adapté à leur développement.

C. Critiques faites au projet et à sa mise en oeuvre

1. A propos de « l'équipe technique du suivi de l'ours ».

Tout d'abord, la mission première de cette équipe est de collecter des informations, des indices matériels permettant de mener des études scientifiques sur les ours, sur leur adaptation au milieu, l'évolution de leur implantation sur le territoire, leurs lieux de prédilection, savoir s'ils se reproduisent bien, en bref, il s'agit de suivre l'évolution de la population d'ours sur le massif pyrénéen. Ils sont formés pour faire les constats de dommages de prédations, mais c'est habituellement une autre équipe, celle des agents départementaux, qui les réalise.

Les éleveurs pour se prémunir des attaques disposent de deux moyens mis à leur disposition par l'État: le répondeur téléphonique pour la localisation des ours et la mise en place de mesures de protection dont le coût est pris en charge par l'État. Ce qui génère à mon avis une partie des critiques envers les techniciens de l'équipe ours, c'est que les éleveurs attendent de leur part quelque chose qui ne fait pas partie de leur mission, ce qui entraîne de l'incompréhension des deux côtés. Pour l'équipe de suivi, en théorie, prévenir les éleveurs de la présence éventuelle de prédateurs dans

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leur secteur ne fait pas partie de leur travail et cela, les éleveurs ne le comprennent pas. Les éleveurs disent : ils savent précisément où sont les ours mais ils ne nous disent rien. Les gens du suivi disent: ce n'est pas notre travail, il faut protéger vos troupeaux, vous avez les moyens de le faire. Cet état de fait conforte chez les éleveurs ce sentiment de mépris à leur égard, et d'irrespect de leur travail.

« Il m'a fallu deux jours pour rassembler tout [son troupeau de brebis] et personne ne m'a aidé c'est ça que je regrette, que j'en ai tant voulu au suivi de l'ours parce que c'est des gars ils sont payés uniquement pour rester dans les voitures et localiser, s'ils m'avaient prévenu la veille comme quoi l'ours était dans le coin, moi mes brebis je les aurais rentrées »(M. Joly)

2. A propos des mesures de protection

Or, l'efficacité de ces moyens de prévention est remise en cause par les éleveurs. Ils estiment que le répondeur n'est jamais à jour et que les informations y sont très limitées. Et c'est en invoquant cette raison que l'Aspap a mis en service son propre répondeur de localisation alimenté par son propre réseau. En ce qui concerne les mesures de protection27, nombreux sont ceux qui estiment qu'elles sont inefficaces, inadaptées voire inapplicables comme par exemple M. Joly qui a eu des attaques en journée ( comme mesure de protection, un rassemblement nocturne du troupeau est préconisé ) et des attaques dans sa bergerie. Il estime qu'un ours qui a faim trouvera toujours un moyen de contourner la protection28. Et il laisse même ses brebis dehors, plutôt que de les rentrer estimant qu'il risque moins de dégâts en les laissant dehors.

« Je les rentre plus depuis la fois qu'il m'avait coupé la porte [...] si jamais je les rentre toutes [...] il va me tuer tout, là au moins [...] il en attrape une et les autres se sauvent [...] au moins je me sens pas responsable ». (M. Joly)

D'autres pensent que les mesures de protection sont d'une efficacité relative et extrêmement coûteuses. Ils se demandent donc si cela vaut vraiment le coup de faire toutes ces dépenses pour sauver une population qui est certes en train de disparaître dans les Pyrénées mais pas au niveau européen. Une autre mesure de protection existe, il s'agit des chiens de protection. Mais là aussi, les

27 Les principales mesures sont le regroupement nocturne, la présence permanente d'un berger, les chiens de protection, les clôtures électriques.

28 Dans le discours de M. Joly revient souvent l'idée que les concepteurs du projet de réintroduction n'ont pas pensé à la

manière dont les ours allaient se nourrir. Et il parle souvent de « l'ours qui a faim ».

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éleveurs estiment leur efficacité relative. Les éleveurs qui en ont seraient quand même victimes de prédations. Ils pensent qu'ils peuvent être dissuasifs dans un certains cas mais qu'un ours qui a fai m attaquera quand même et que les chiens ne pourront rien y faire.

« Y'a des estives qui ont deux ou trois chiens[...]et les chiens ils se retrouvent au vétérinaire et les brebis sont tuées point[...] s'il vient par là, qu'il rôde par là qu'il a pas trop fai pourquoi pas, deux trois chiens ça prévient le pâtre ça peut l'effaroucher un peu un peu, ça je veux bien y croire... mais s'il a faim il attaque »(M. Joly) .

Concernant les mesures de protection, il est difficile de faire la part des choses. Par exemple, à propos des chiens de protection, les résultats présentés lors du colloque de Luchon29 par La Pastorale Pyrénéenne30 et « l'Adet, pays de l'ours » font état d'une réelle efficacité contre les

prédations lorsque des chiens de protection sont mis en place au sein d'un troupeau.

3. A propos de l'État, de la bureaucratie, d'un projet politique global

Dans le discours des gens revient souvent cette idée qu'on leur a imposé un choix politique qu'ils n'approuvent pas et qui pourtant les concerne directement. L'État est décrit comme une instance lointaine détachée de la réalité et qui a décidé du sort d'une partie de la population des Pyrénées depuis des bureaux parisiens sans prendre en considération l'avis des populations qui sont sur le terrain.

« J'ai l'impression plutôt que[...]c'est une population locale qui se voit imposer des diktats par un État central » (Nicolas )

«C'est un souci de plus, et un souci qui est imposé et ça moi je l'avoue, je le revendique, ça me révolte parce que je ressens ça comme une injustice malgré tous les discours qu'on nous fait, parce que les premières personnes qu'on aurait dû écouter et concerter c'était nous c'était les gens du terrain [...] je m'aperçois que dans d'autres domaines, c'est la façon de faire d'un État: on décide, on organise, on assène la décision et ensuite on met en place une simili concertation, on veut se donner des allures de processus démocratique mais en fait tout est joué d'avance ». (Laurent)

29 Voir description en page 6.

30 Cette association s'occupe de la mise en place et du suivi des chiens de protection au sein de troupeaux. Voir en annexe à propos des résultats de l'enquête menées sur l'efficacité des chiens de protection.

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Ensuite, beaucoup estiment que l'État devrait donner la priorité à d'autres problèmes, notamment écologiques, plus urgents et plus importants selon eux. « Je pense qu'au niveau conservation, protection de l'environnement y'a d'autres choses à faire beaucoup plus importantes [...] je pense notamment à la question des déchets nucléaires, bon à une agriculture raisonnée. » (Laurent)

Certains disent que ce projet s'insère dans une politique plus globale qui voudrait faire des Pyrénées une sorte de grand parc voué aux touristes et aux bêtes sauvages31. Et ce projet politique, ils n'y adhèrent pas, ce n'est pas ainsi qu'ils voient l'avenir des Pyrénées. Et ils trouvent contradictoire que l'on souhaite le faire en excluant les éleveurs (qui s'en considèrent, de par leur activité, les jardiniers) ou du moins en les décourageant par la présence d'ours. Néanmoins, ils sont pour le développement du tourisme mais sans que cela se fasse au détriment de l'élevage. Ils souhaitent que les deux soient liés et c'est ce qu'ils cherchent à développer, un tourisme qui soit aussi en relation avec le monde de l'élevage et la promotion des produits de qualité que l'on trouve dans la région (alimentaires ou artisanaux)32. Ils pensent que cela pourrait permettre de maintenir l'activité agricole en partie grâce à la présence du tourisme. D'ailleurs, de plus en plus d'éleveurs ont développé en parallèle une activité liée au tourisme (camping à la ferme, chambre d'hôtes, visite de l'exploitation...).

4. c'est qui les « écolos » ? c'est quoi être « écolo » ?

Les associations écologistes faisant partie du programme de réintroduction sont la cible de vives critiques de la part des opposants au plan-ours et par extension, ceux qui soutiennent plus ou moins activement ce programme. Notamment, le caractère écologique de leur démarche est remis en cause, en tout cas dans le cadre de ce projet. On estime qu'ils sont utopistes et déconnectés de la réalité et qu'il veulent recréer artificiellement de la nature naturelle, sauvage. Considérés comme focalisés sur cette image du nounours, ils sont relégués au domaine de l'imaginaire, du rêve. On les appelle: les « écologistes intégristes », les « écolos n'importe quoi », les « écologistes de villes », des «religieux », des ayatollahs etc...Leur conception de la nature, de l'écologie serait comparable à une religion. Les éleveurs de montagnes se définissent comme écologistes en opposition à ce qu'ils

31 Néanmoins, ils sont favorables à la création d'un grand parc où les gens pourraient venir voir les ours. Pour eux c'est la seule façon de rendre réellement attractive pour le tourisme la présence de l'ours. Voici à ce propos la formule d'un des éleveurs interviewé: « il faut laisser l'ours libre et il faut fermer les brebis, et nous, on avait décidé de fermer l'ours et de laisser les brebis libres, nous étions à l'envers de leur schéma ».

32 Ce point sera développé plus loin dans la troisième partie.

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appellent de « l'écologie de salon ».

Pour eux être « écolo » en ce qui les concerne au quotidien, c'est vivre au contact de la nature, vivre d'elle en la respectant, en respectant un certain équilibre qui permet de l'exploiter au bon sens du terme. Et même comme le dit Laurent, il lui semble que du fait d'être éleveur en montagne, cela tombe sous le sens d'être en équilibre avec la nature. Cela lui paraît comme une évidence dictée par la nature et ses lois faute de quoi, on ne peut y vivre de l'élevage.

« [Son choix de s'être installé en montagne] c'est une recherche de qualité de vie...d'équilibre donc c'est pour ça que ça me fait un peu sourire toutes les histoires qu'on nous raconte sur la biodiversité l'écologie euh...en montagne on peut pas être autrement...de pratiquer une écologie quotidienne...parce que la moindre erreur se paye au prix fort...il faut respecter...[...] ne serait-ce qu'au niveau météo ça peut changer très vite et ça peut être très vite compliqué, astreignant et donc faut prévoir on fait pas n'importe quoi, et comme c'est peu mécanisable c'est de l'extensif je dirai...raisonné ». (Laurent)

«Moi je pense que les vrais écolos c'est les agriculteurs tu vois...y'en a toujours quelques uns c'est pareil...mais les véritables écolos c'est les agriculteurs...en montagne...après en plaine c'est autre chose, eux c'est du rendement...c'est les insecticides et les pesticides [...] mais ici y'a personne qui emploie ni des insecticides ni des pesticides...les gens ils nettoient à la main et ils fauchent parce que on a des petites surfaces [...] moi à mon avis c'est ça l'écologie [...] comme on l'a trouvée la nature, comme on l'a trouvée on veut la laisser c'est à dire comme nos parents nous l'ont transmis». (M. Joly)

On peut remarquer ici que néo-ruraux (ici Laurent) et natifs, de milieu paysan, du département (ici M. Joly) ont sur ce point quasiment le même discours sur ce que c'est que d'être écologiste et à propos du fait qu'être agriculteur de montagne c'est forcément être écologiste car on vit très proche de la nature et il faut être en équilibre avec elle. On peut remarquer aussi le lien qui est fait entre écologie et production de produits naturels33. Comme si c'était aussi le fait de produire des aliments naturels qui faisait d'eux des écologistes et justifiait ainsi leur priorité sur le territoire par rapport à l'ours ou du moins à des ours réintroduits.

5. l'impact des prédations sur les hommes et leur travail

Les adhérents de l'Aspap estiment que les indemnités ne sont qu'une compensation financière

33 Sur ce point, pour M. Joly, c'est le fait que ses bêtes mangent principalement de l'herbe qui en fait des produits naturels et même «bio ».

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qui ne peut réparer le tort émotionnel causé aux éleveurs et aux bergers, selon leur degré de sensibilité. Et aussi le tort causé au travail que constitue l'élaboration du troupeau. Et cela d'autant plus qu'ils se présentent comme des passionnés, travaillant beaucoup, mais avec plaisir. Sans cette passion, beaucoup disent qu'ils ne feraient pas ce métier là qui ne rapporte pas beaucoup voire même, quasiment rien.

« On a les exploitations qui sont sentimentalement vivables...mais...pas pratiquement... » (M. Joly)

«L'argent ça n'a rien à voir avec avec le fait du sentiment qu'il retrouve l'éleveur...l'éleveur il a tout perdu là...il a perdu toutes les brebis qu'il avait tous les jours qu'il a nourri, les brebis les agneaux qui sont nés...qui sont passés par les doigts, que tu fais téter, t'y passes des heures à faire téter et...merde tu t'y attaches à ces bêtes ! C'est obligé ou alors t'es mauvais éleveur ». (M. Joly à propos d'un éleveur qui a perdu un grand nombre de brebis suite à un dérochement causé par une attaque d'ours)

« Nous au début on l'a perçu comme une atteinte à notre travail voilà...dans la mesure où on considère que, on vit la constitution, l'élaboration, la construction d'un troupeau comme le travail de toute une vie...(pause) donc quand on a eu les premières attaques, ça m'a beaucoup touché parce que j'ai pas compris [...] qu'on détruise, qu'on touche à la production...au travail d'autrui, quand je dis travail [...] ça fait plutôt appel à la créativité de l'individu ». (Laurent)

Ensuite, ils estiment que les dommages collatéraux34 ne sont pas suffisamment pris en compte et que parfois ils ne peuvent pas être pris en compte comme dans le cas des bêtes qui ne sont pas retrouvées. Il faut bien une preuve pour être indemnisé, mais dans ces cas là, ils ne peuvent pas l'être faute de preuve.

Ils pensent que ceux qui ne vivent pas la situation ne peuvent pas comprendre et que c'est pour cela qu'ils ne sont pas soutenus au delà du niveau local. Et il semblerait également que certains de ces éleveurs de montagne souffrent du fait que l'image qu'ils ont d'eux-mêmes est très différente de celle que le reste de la société leur renvoie. L'image de personnes qui vivent en dehors des réalités de la société, peu sociables, égoïstes, qui ne veulent pas laisser de place à l'ours. Et c'est notamment par le biais de l'Aspap qu'ils souhaitent pouvoir exprimer et changer cela.

« Mais celui qui est pas dedans, il peut pas se rendre compte, c'est pas possible » (M. Joly)

34 Tels que les avortements, le stress causé aux bêtes, le temps parfois très long qu'il faut pour rassembler le troupeau et qui oblige à abandonner les autres tâches en cours.

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« C'est sûr que suivant qu'on est éleveur et victime d'attaques, on a pas le même raisonnement que celui qui le voit de l'extérieur. [...]Ce qu'il faut lutter aussi, c'est contre cette image de ringardise de tous ceux qui sont contre, c'est des ringards c'est des vieux machins heu...ils ne pensent qu'à eux, non c'est pas ça quoi, enfin nous on se considère pas du tout comme ça quoi...on est ouverts à plein de choses »(Mme. Joly)

A propos de cet impact psychologique, une des éleveuses interviewée raconte qu'il y a une spécificité dans le rapport entre un éleveur et son troupeau de brebis qui pourrait expliquer une sensibilité particulière en cas d'attaque sur le troupeau. En effet les brebis sont des animaux qui vivent en troupeau, et ont l'esprit grégaire, comme s'ils ne formaient qu'une seule entité, un peu comme un banc de poissons. Et cela obligerait l'éleveur ou le berger à une attention constante particulière à son troupeau le rendant plus sensible en cas de perturbation par un élément extérieur. Voici comment Bernadette exprime cette idée:

« T'as quand même une sensibilité comme ça au troupeau, c'est un effet de troupeau les brebis c'est pas des animaux c'est un troupeau, c'est très particulier et...t'es toujours en communication avec le troupeau donc quand y'a des événement comme ça qui arrivent c'est c'est très traumatisant... même si tu fais pas de la sensiblerie si tu veux, je sais pas comment dire donc voilà...y'a une réponse quoi tu réponds et si t'as pas cette capacité là, tu fais pas d'élevage longtemps parce que tu te plantes, ça veut dire que tu perçois pas les problèmes » (Bernadette)

II. D'AUTRES AVIS, D'AUTRES PERCEPTIONS

A. Martine, une éleveuse du label: « le Broutard du Pays de l'Ours »35

Martine est éleveuse de vaches et de brebis avec son compagnon, ils sont arrivés dans la région au début des années quatre-vingt pour se former au métier de berger. Elle est née à Paris, son père était professeur et sa mère psychologue. Son compagnon lui, est originaire d'une région rurale du centre de la France et est issu du milieu rural. Elle explique leur démarche par une « prise de position au départ » avant les premiers lâchers en 1996. A la suite de réunions, avec quelques autres

35 Les parties entre guillemets sont extraites de l'interview de Martine

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éleveurs, ils ont pris contact avec l'association « Adet, pays de l'ours » qui était en train de mettre en place la marque « pays de l'ours » en lien avec un territoire. De ces réunions entre éleveurs a découlé une volonté de « profiter de la présence de l'ours, du côté positif » pour réfléchir sur « comment valoriser cette présence auprès de [leurs] produits ». Ils ont donc créé leur association et mis en place un cahier des charges prévoyant entre autres que les agneaux de ce label doivent avoir passé l'été sur une estive en « zone à ours ».

Ce produit a trouvé de nombreux débouchés notamment pour une clientèle citadine

« écolo ». Martine explique ce succès par le fait que cette clientèle citadine est prête à consommer ce produit car il est de qualité, mais aussi pour soutenir les éleveurs qui cohabitent avec les ours36 et que pour cela ils sont prêts à payer un peu plus cher. Cette démarche a donc permis une forte augmentation du prix de la viande, permettant aux éleveurs un plus grand bénéfice. Martine pense que le développement de ce label permettrait à de nombreux éleveurs de valoriser leur production car la demande est très grande pour ce genre de produit.

Ce qu'elle déplore, c'est que très peu d'éleveurs souhaitent utiliser l'image de l'ours, car dans le monde agro-pastoral, le consensus se fait autour du refus des réintroductions. Elle pense aussi que certains éleveurs souhaiteraient le faire mais ne font pas la démarche en raison de la pression sociale parce que « vendre avec le label de l'ours, c'est pactiser avec l'ennemi ». Pour cette raison, elle explique que le nombre d'éleveurs qui font partie de l'association est faible (actuellement, trois éleveurs plus un ou deux « en périphérie ») ce qui fait que l'offre est très réduite alors qu'il y a une forte demande. Pour elle il y a là un non sens, car des gens qui ont des difficultés pour « faire tourner » leur exploitation auraient pu « avoir un produit nettement plus facile à vendre et à produire37 ».

Pour elle, il y a deux explications principales au fait que la majorité des éleveurs se soient ainsi opposés. Tout d'abord, il y a une peur « qui n'est pas raisonnée », une peur du « côté sauvage de l'animal ». Elle estime que l'on ne peut rien faire contre ça. Ensuite, la deuxième explication qu'elle donne est d'ordre plus technique. Elle pense que c'est parce que des gens ont été dérangés dans leur pratiques.

Selon elle, autrefois, la lutte contre les ours était plus justifiée qu'elle ne l'est aujourd'hui car

36 Il ressort des sondages que la population des villes est plus majoritairement favorable au projet de réintroduction que la population rurale et surtout montagnarde. Les résultats des différents sondages réalisés sont consultables sur le site du gouvernement dédié au programme de réintroduction: voir adresse en annexe.

37 Plus facile à produire, car elle explique que les naissances d'agneaux se font alors au printemps comme il est

« naturel » de le faire pour les brebis et non pas à l'automne comme le font de nombreux éleveurs, les obligeant à « désaisonner les naissances ».

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c'était une « question de survie » même si « en tant qu' écolo » elle ne « la tolère pas plus ». Elle dit que, à cette époque, il y avait « beaucoup de gens, pas un seul arbre, tout le monde essayait de vivre sur son petit lopin de terre, c'était très difficile, y'avait des ours et des hommes donc c'était forcément la lutte ». Elle pense que ceux qui sont des descendants des paysans de cette époque ont gardé cet état d'esprit selon lequel « leurs ancêtres se sont battus contre l'ours » et il faut donc « défendre [son] lopin de terre ».

En ce qui concerne les néo-ruraux venus s'installer dans la région à partir des années soixante-dix, elle avance une explication tout à fait différente. Elle dit que lorsqu'ils sont arrivés dans la région, celle-ci était très dépeuplée, ils sont donc arrivés dans des « territoires inoccupés » et ils ont pu les occuper « en toute liberté, en toute quiétude, surtout en montagne » contrairement à ceux qui comme elle et son compagnon, habitant dans une zone de piémont, ont « toujours dû contenir [leurs] bêtes pour qu'elles aillent pas chez les voisins ». Et donc, dans ce contexte, comme elle le décrit, « quand l'ours est arrivé il a été un voisin particulièrement désagréable ». Elle estime que « les ancêtres n'occupaient pas l'espace comme il le font » et qu'ils avaient « une gestion du pâturage qui était très correcte ». En gérant l'espace comme ils l'ont fait, ils auraient favorisé une fermeture du paysage. Car « les brebis en liberté ne gèrent pas le pâturage, elles laissent le mauvais qui continue à grandir, les arbres montent et referment le paysage alors qu'avec un berger et un chien la forêt se tient là où elle est ».

Pour ces raisons, selon elle, de nombreux éleveurs n'appliquent pas les méthodes de protection de leur troupeau et donc ceux qui sont « vraiment embêtés avec l'ours, sont ceux qui ne mettent rien en place pour protéger [leurs troupeaux], si on veut prouver que l'ours est négatif, on met pas en place des mesures de protection ».

Pour Martine, la présence de l'ours est « un plus pour le métier de berger car ça a permis de faire voir que ce métier a été abandonné et les brebis laissées en liberté » et que quand « y'a un ours en liberté dans ces espaces là c'est impossible ». Et donc avec les subventions de l'Etat dans le cadre du plan ours, on peut « remettre des pratiques, reformer des bergers, des chiens, re-garder ses brebis, refermer des espaces, re-clôturer ». Pour elle c'était donc « enfin une possibilité d'avoir une reconnaissance, enfin Paris s'occupait de savoir qu'il y avait des bergers en montagne qui s'occupaient d'un espace ». Et donc elle trouve dommage que les politiciens ne l'aient pas « tourné à l'avantage du département et de toute la chaîne des Pyrénées ». Selon elle, des personnalités politiques ont attisé « la grogne ».

Contrairement aux adhérents de l'Aspap, Martine relègue dans le passé le fait qu'il n'y ait plus

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de place pour les ours sur le territoire pyrénéen, pour elle c'est une époque révolue du temps où les Pyrénées étaient surpeuplées et les montagnes exploitées au maximum. « Jamais de la vie on ne réutilisera tous ces espaces au point que l'ours ou le loup ne puissent plus vivre ». Pour elle, le refus de cohabiter avec les ours n'est plus justifiable car s'il pouvait se comprendre de la part des paysans qui vivaient il y a un siècle quand c'était une question de survie, il est par contre irrationnel de la part des paysans contemporains qui sont moins nombreux, qui ne sont pas en situation de survie et à qui on donne les moyens financiers de protéger leurs troupeaux.

Ensuite, elle condamne le fait que face à des éléments qui perturbent les activités humaines, la réponse des hommes soit de tuer. « La politique de tuer ce qui nous ennuie elle est impossible à long terme ». Pour elle l'homme doit se protéger face aux éléments qui freinent ses activités. L'ours est donc dans sa vision un élément auquel il faut s'adapter au même titre que « les guêpes, les scorpions, les accidents de voiture, les orages,... ». Martine explique ainsi les raisons pour lesquelles elle et son compagnon croient en la cohabitation:

« C'est vrai que nous on a toujours été écolos donc forcément quand on est écolos [...] on se place nous êtres humains à la même hauteur que le reste, on se met pas en tant que supérieurs et comme ayant des droits que les autres n'ont pas. On estime au départ que l'ours a autant le droit que nous de vivre dans les Pyrénées, [...] à partir du moment où on pose cette loi qu'il a autant le droit que nous de vivre que nous ainsi que tout ce qui existe quoi, [...] il faut bien trouver un moyen de cohabiter ».

Dans le monde agro-pastoral, en tant que personnes favorables à la réintroduction, Martine dit qu'ils se sentent « à côté, pas entendus, pas reconnus ». Puis, à propos de ceux qui ont fait la démarche d'oeuvrer dans le sens d'une cohabitation avec l'ours: « on est pas cachés mais on est dans l'ombre parce qu'on peut pas s'afficher publiquement ». Au niveau de la mise en place de nouvelles pratiques et de nouveaux aménagements pour le monde pastoral, elle déplore le fait que « les pôles de compétences [soient] séparés par des clivages politiques et idéologiques ». Ce qui selon elle amène à des contradictions et à un manque de cohésion sur le terrain en partie dûes au fait qu'il n'y a pas assez de corrélations entre la politique du ministère de l'écologie et celle du ministère de l'agriculture. Elle pense que s'il n'y avait pas ces clivages sur le terrain « toutes les montagnes auraient des bergers compétents et des pratiques correctes [...] [et que] mille et une choses pourraient être faîtes [...] soutenues financièrement ».

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Néanmoins, Martine ne perd pas espoir. Elle pense pour l'instant que la situation est bloquée. Mais elle dit que progressivement « ça se tassera ». Il faut selon elle attendre un changement de génération afin que les mentalités évoluent et que les personnes qui actuellement veulent stopper le projet ne soient plus en activité. Alors seulement, le projet pourra se développer dans de meilleures conditions, les gens accepteront la présence des ours et les éleveurs pourront commercialiser leurs productions avec le « label ours ». « Maintenant c'est foutu pour une bonne décennie, va falloir attendre que ces gens là aient quitté le métier de la politique et de l'élevage ».

B. deux agents de 1'ONCFS38.

* Annie

Âgée de 55 ans, Annie travaille à l'Oncfs depuis 16ans. Elle s'occupe de la régulation des nuisibles tels que: renards, martres, fouines, etc...Elle est également technicienne cynégétique et en cette qualité, elle s'occupe de la gestion des milieux et des espèces pour la fédération de chasse. Elle se décrit comme « à fond » et « passionnée ». Elle allait à la chasse à l'isard avec son père quand elle était petite et depuis très jeune, elle parcourt la montagne. De son enfance, elle a le souvenir d'un jour, quand elle avait douze ans, et qu'elle était partie à la chasse à l'isard, avec son père et un groupe de chasseurs, qu'ils avaient fait un grand feu de bois devant le refuge parce qu'ils avaient entendu un cri d'ours: c'était une femelle et son petit.

Aujourd'hui,elle s'occupe du suivi de différentes espèces telles que: le grand tétras, la perdrix grise, l'isard, le mouflon, le lagopède. La première chose dont elle me parle lorsque j'arrive pour l'interviewer, c'est qu'elle ne comprend pas que l'on fasse venir des touristes sur les «places de chant » des grands tétras39 dont elle suit l'évolution de la population et la protection de l'habitat. Il y a pour elle, ici, une contradiction entre la démarche touristique et la démarche de protection d'une espèce. La fermeture du milieu lui apparaît comme un problème puisque les animaux tels que les sangliers viennent plus près des habitations. Mais ce qui est vraiment dérangeant, c'est que le grand tétras y est sensible car il se nourrit en partie de myrtilles que l'on trouve sur les terrain dégagés.

En ce qui concerne la réintroduction de l'ours, elle pense qu'il y a eu un grand manque de

38 Les passages entre guillemets sont extraits des entretiens.

39 Le grand tétras ou coq de bruyère est le plus gros gallinacé d'Europe. Devenu rare en France, il peuple les forêts de conifères des montagnes. Les «places de chant »sont les lieux où ils se retrouvent au printemps pour la parade des mâles et l'accouplement.

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communication et d'information auprès des populations montagnardes40. Au départ, elle était pour la réintroduction car, pour elle: « quand on aime les animaux, un ours n'est pas dérangeant ». Mais elle a révisé son jugement car selon elle, « le vrai ours des Pyrénées ne cause pas les problèmes que les ours slovènes posent ». Ici aussi, elle met en cause la fermeture du milieu qui permettrait aux ours de descendre plus bas.

Pour ces raisons, elle n'est pas pour que de nouvelles réintroductions soient faîtes, mais elle est pour « protéger ceux qui sont là » car « ceux-là, les hommes les ont mis dans la merde » et comme elle dit: « moi je protège l'animal, pas la bêtise humaine ». Ici aussi, on retrouve comme chez les adhérents de l'Aspap cette perception des ours slovènes comme différents des ours autochtones, et cette idée qu'ils sont les victimes de directives humaines.

En ce qui concerne les éleveurs: elle « plaint l'agriculteur qui garde ses moutons mais pas ceux qui les laissent sans surveillance ». Les chasseurs, elle dit qu'ils sont « plus écolos que les écolos » parce qu'ils sont sur le terrain, et que: « ceux qui foutent la merde, c'est les écolos qui n'y connaissent rien au fonctionnement de la nature ».

Annie a un discours un peu à l'entre-deux des discours présentés précédemment. Sur certains points elle rejoint les adhérents de l'Aspap et sur d'autres elle se rapproche du discours de Martine. Elle illustre en quelque sorte une des nombreuses nuances possibles du discours sur l'ours et sur le plan de réintroduction. Elle rejoint les adhérents de l'Aspap sur la question de la revendication d'un écologisme en lien avec la connaissance et la pratique du terrain montagnard, sauf que pour elle ce sont les chasseurs et non plus les éleveurs dont elle parle comme des « vrais écolos ». Par contre, sur la question de la surveillance des troupeaux, elle rejoint le point de vue de Martine c'est-à-dire que ceux qui ne protègent pas leurs troupeaux ne sont pas à plaindre.

* Cédric

Il est technicien au sein de l'Equipe Technique du suivi de l'Ours (ETO) qui dépend à la fois de l'ONCFS et de la Fédération Départementale de la Chasse. Âgé d'environ 25/30 ans il a comme formation un « Brevet de Technicien Agricole en gestion de la faune sauvage » et un « Brevet de

40 Elle fait ici référence notamment à ce qui s'est passé lorsque l'ours Balou a été blessé au cours d'une partie de chasse, et que le préfet n'a pas souhaité communiquer sa localisation. Cela a été perçu par certains comme un manquement au devoir de protection des populations face au risque que représente un ours blessé.

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Technicien Supérieur en gestion et protection de la nature ». Cela fait environ deux ans qu'il travaille au sein de cette équipe. Son travail comporte deux volets en ce qui concerne le « suivi de l'ours ». Il y a une partie technique qui se situe sur le terrain et une partie scientifique de traitement des données recueillies. Cette équipe remplit différentes missions.

Tout d'abord, ils doivent assurer « le suivi technique de toute la population ursine des Pyrénées ». Il y a le « suivi direct », qui se fait grâce aux émetteurs41 dont sont équipés les ours, et permet d'avoir instantanément une idée de la localisation des ours. Ces données sont ensuite retranscrites par les ingénieurs et permettent la réalisation d'une cartographie des déplacements des ours sur le territoire. Ce suivi ne peut se faire que pour les ours qui sont équipés d'émetteurs.

Quant au « suivi indirect », il consiste en la récupération de données matérielles sur le terrain. C'est à dire des « échantillons » comme ils les appellent. Il s'agit de poils, d'excréments, mais aussi de traces laissées par les ours. Sur tout le massif des Pyrénées, un « maillage » a été réalisé par les techniciens dont chaque carré de 4km2 a été équipé d' une « station de suivi 42». Il s'agit d'un enclos d'environ 25 m2 situé dans une zone boisée, réalisé en fils barbelé et dans lequel on met des appâts (poisson, sang de veau, maïs). Ainsi, ils peuvent recueillir des poils et d'autres échantillons qui sont ensuite analysés génétiquement, permettant ainsi de savoir de quel ours il s'agit ou du moins de connaître son sexe et savoir de quelle lignée il est issu. Ces stations sont visitées tous les quinze jours. Ce « suivi indirect » permet aussi la réalisation de cartes et de savoir, par exemple, si des naissances ont eu lieu.

Ces deux méthodes de suivi permettent donc de réaliser année par année des cartes de déplacement, d'occupation de zone et donc de voir « quel type d'habitat [l'ours] sélectionne en priorité ». Et ainsi ils peuvent « déterminer les sites et les domaines vitaux de l'ours » et « ces informations [sont] essentielles pour avoir une idée de l'activité de l'espèce, de sa situation dans les Pyrénées ».

Leur travail consiste aussi à vérifier les témoignages d'observation d'ours, communiquer avec le monde de l'élevage et sensibiliser le public43. Les discussions avec les personnes présentes sur le terrain représentent également une part non négligeable de leur emploi du temps. En ce qui concerne la réalisation des constats de dommages causés par les ours, généralement, ce sont les

41 Les ours réintroduits en 2006 ont été équipés d'un collier (qui devait être récupéré au bout d'un an mais une défaillance technique a fait certains colliers ne sont pas tombés) permettant de récolter de nombreuses informations sur les activités des ours et d'un émetteur intra-abdominal qui a une durée de vie de trois ans.

42 Une soixantaine en tout sur le massif des Pyrénées.

43 Cela se fait par la tenu de réunions d'information auprès de différents publics tels que les scolaires, les chasseurs, les éleveurs et aussi par la réalisation de plaquettes d'information.

agents départementaux qui les réalisent, car « ce n'est plus la branche études et recherches qui s'en occupe ». Mais ils sont habilités à les réaliser au cas où ils seraient présents sur le secteur au moment du dommage.

Cédric se dit satisfait de son travail, c'est d'ailleurs lui qui a demandé à être « à 100% sur le suivi de l'ours » parce que c'était ce qui lui plaisait le plus. Voici ce qu'il en dit:

« C'est un travail intéressant qui permet de rencontrer du monde, de voir une espèce qui est quand même emblématique on peut dire, et surtout passionnante à observer et ça jamais personne m'a dit le contraire, même les pires opposants quand on leur a montré de l'ours, ils ont toujours été émerveillés. On a la chance de pouvoir avoir ça assez fréquemment. [...] C'est une passion mais [...] en même temps faut que ça en soit pas trop une, puisque faut souvent faire la part des choses [...] faut pas qu'on ait d'avis tranché [...] on se doit l'impartialité»

Néanmoins, il dit que cela peut être très difficile et qu'il y a des moments de pression dûs au fait qu'ils sont « un peu victimes du rejet du plan ours par les opposants dans le département ».

« Ils s'en prennent à nous parce qu'on est la cible, on est les agents de l'État chargés du suivi des ours. Donc on est souvent la cible de ces attaques là, c'est très dur à supporter, on a des collègues qui ont eu des problèmes à cause de ça et il faut être vraiment blindé et dur et bien moralement et aussi physiquement pour supporter tout ça ».

En ce qui concerne les relations sur le terrain avec les espagnols, Cédric dit que cela se passe très bien avec les agents de terrain et même des fois, les agents espagnols font appel à eux parce qu'ils sont mieux formés sur certains points. Ils déplorent par contre quelques difficultés dues au fait que la politique locale, concernant le suivi de la population d'ours, de certaines Régions Autonomes espagnoles est parfois différente de la politique ministérielle nationale. Aussi, les « échanges de données se font plus ou moins bien selon les lieux », selon que cela soit considéré comme prioritaire ou pas par la Région Autonome. Il y a aussi beaucoup d'échanges de données et de techniques avec d'autres pays d'Europe où il y a des population d'ours. Notamment certains pays de l'est de l'Europe comme la Slovénie et la Croatie mais aussi l'Italie et les Monts Cantabriques en Espagne.

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III.QUELLES REPRESENTATIONS DE LA NATURE ET DU TERRITOIRE

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« Si les portraits des loups diffèrent tellement selon les enquêtés, ce n'est pas seulement une question de représentation ou d'imaginaire. A ce stade là de la crise déjà, les gens ont quelque expérience de l'animal. Ceux qui l'admirent consacrent des journées et des nuits à le chercher, l'aperçoivent parfois, fugitivement, croisent sa piste ou trouvent la carcasse d'une proie sauvage. Ou bien ils fréquentent des parcs animaliers, regardent et lisent des documentaires qui exaltent leurs qualités. De leur côté, les éleveurs et leurs partenaires constatent de visu l'état des troupeaux après le passage des prédateurs. Ce sont bien les mêmes loups dont parlent les uns et les autres, mais ne les voyant pas se livrer aux mêmes activités, ils s'en font des idées très différentes, les idéalisant ou les diabolisantccil est vrai que les diverses faces de l'animal ne sont pas si faciles à emboîter ». ( Isabelle Mauz, 2005, p.179)

On peut remarquer à travers les discours des uns et des autres, que la perception que chacun a du monde qui l'entoure, et plus précisément ici, des territoires de montagne et des ours, est liée à l'expérience que chacun a de son environnement. Une expérience du réel qui est en grande partie fonction des activités quotidiennes de chacun. Ainsi un éleveur n'a, bien souvent, pas la même vision du territoire qu'un randonneur ou qu'un agent chargé du suivi des espèces animales sauvages. Leurs visions ne sont pas les mêmes puisque chacun aborde la nature, avec un but et des pratiques spécifiques. L'usage qu'ils font de la nature, du territoire n'est pas le même. Mais ce fait n'est pas le seul qui entre en jeu puisque qu'il y a aussi des éleveurs qui pensent que la cohabitation est possible, qui soutiennent le plan de réintroduction et qui ont une conception de la nature différente.

Néanmoins, quelles sont les similitudes que l'on peut retrouver au sein d'une même catégorie de perception ? A quels grands principes se réfèrent-ils pour justifier leur positionnement ? D'après le discours des personnes interviewées, il semblerait que ce qui est à la base de leur positionnement soit la priorité donnée ou non à l'humain dans la nature. Ils ont aussi une définition différente de l'écologie et de ce qui fait que l'on est écologiste ou pas. Et de ces différences de perception découle une approbation ou un désapprobation du projet de réintroduction.

D'une manière générale, là où les opposants voient la nature comme un territoire où l'homme occupe la place centrale, les défenseurs des ours y voient le lieu où l'homme doit faire preuve d'humilité et se placer au même niveau que les animaux qui les entourent. Ils ont une perception différente du territoire, les opposants le voient comme très anthropisé et donc n'étant plus adapté à la présence de grands prédateurs, quand Martine, elle, le voit comme moins anthropisé qu'autrefois et donc désormais plus adapté à une cohabitation entre les éleveurs et les grands prédateurs que ce soit les ours ou les loups.

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A. Une nature humanisée, culturelle.

Pour les opposants au projet de réintroduction, l'homme est et doit être au centre du territoire de montagne. Il en est le pilier, et mettre en place un projet qui risque de limiter l'action des éleveurs sur le territoire peut même être perçu comme « contre nature »: « c'est un gain pour rien quoi...c'est à l'encontre quand même de la nature, je sais pas » (Mme Joly à propos du projet de réintroduction). Et ils estiment que sans l'homme, la montagne n'a pas d'avenir. Il semblerait que ce soit surtout la dimension anthropisée de la nature qui ait de la valeur, qui soit prioritaire. « Le jour que tu décourages ces quelques jeunes [éleveurs] qu'y a...et bé...la vallée elle est foutue quoi...elle est foutue non, mais elle redevient sauvage quoi..sauvage...livrée à elle-même... » (M. Joly). La nature apparaît comme devant être maîtrisée par l'homme sans quoi elle se retrouve « livrée à elle-même », comme sans repères. L'absence d'action de l'homme sur la nature semble être perçue comme un retour au chaos, à une certaine primitivité, symbolisés par la nature sauvage, broussailleuse et où prolifèrent les bêtes sauvages.

Ensuite, ces personnes considèrent que les Pyrénées ne sont plus adaptées pour abriter une population d'ours puisque les infrastructures humaines s'y sont beaucoup développées au cours du 20ème siècle. L'élargissement des routes, un trafic routier plus dense, bref une plus grande fréquentation de la montagne serait la raison majeure pour laquelle les ours ne peuvent disposer d'un territoire assez vaste sans être dérangés par les humains ou sans déranger les humains. Il y a donc là l'idée que, si autrefois les Pyrénées permettaient aux ours d'avoir leur territoire sans être dérangés, ils estiment que ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Quand on sait la fréquentation qu'il y a dans les Pyrénées entre les stations de ski et les déboisements qu'il y a eu, les pistes forestières euh les les pistes d'accès aux estives euh le nombre de gens qui fréquentent la montagne de très tôt jusqu'à très tard dans la saison, les pêcheurs, les randonneurs, tout ça euh...voilà c'est vrai que c'est sûrement un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais bon c'est comme beaucoup de choses de l'existence du règne végétal, animal ». (Laurent)

Les Pyrénées leurs apparaissent comme un lieu très peuplé et éloigné de l'image d'un pays sauvage et peu habité. C'est pour cette raison que dans des manifestations d'opposants au projet ont

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a pu voir écrit sur des banderoles: « On est pas la frontière sauvage »; ceci en référence à un slogan publicitaire, à des fins touristiques, datant des années quatre-vingt qui présentait les Pyrénées comme « la frontière sauvage ». Ils souhaitent promouvoir cette image des Pyrénées comme lieu de vie d'une population et non comme une zone sauvage adaptée au développement d'une population d'ours. Pour justifier ce positionnement et expliquer que la cohabitation n'est possible que dans une zone où l'homme est très minoritaire, ils font référence à d'autres zones du globe comme les vastes forêts du Canada ou de Russie où il y a d'importantes populations d'ours.

«Que ce soit en Russie, que ce soit dans certains pays de l'est, que ce soit en Suède, y'a des zones suffisamment grandes sans quasiment, où l'homme est marginal effectivement [...] et où l'ours il est chez lui quoi, comme les ours dans les grandes forêts canadiennes. Tu peux avoir un petit îlot humain par-ci par-là et l'homme est marginal par rapport à l'ours. Faut que l'un des deux soit marginal par rapport à l'autre c'est tout ». (Bruno Besche-Commenge)

Le territoire pyrénéen, ils le perçoivent comme le fruit du travail réalisé par les générations précédentes. Un travail, un façonnage de la végétation, qui s'est fait à travers l'utilisation des montagnes pour l'élevage et l'agriculture. Ils ont ainsi transformé leur territoire, et lui ont donné son aspect actuel. Pour eux, la nature qui les entoure est plus culturelle que naturelle, mais ils reconnaissent également l'existence d'une nature différente, moins anthropisée, à laquelle l'ours serait plus adapté.

Une des revendications principales de ces gens à travers l'association l'Aspap est mettre en avant que le territoire de montagne pyrénéen est une nature anthropisée même si l'activité humaine agricole sur ces territoires est en diminution. Et, c'est bien pour cette raison qu'ils sont d'autant plus opposés à ce projet. Il leur semble que l'on va ainsi précipiter la disparition de l'activité pastorale des montagnes pyrénéennes comme si elle était devenue inutile ou même gênante. Au contraire, ils souhaiteraient que l'activité humaine pastorale soit maintenue, voire redéveloppée dans ces territoires de montagnes afin qu'une certaine tradition soit maintenue, qu'un certain héritage continue à être transmis aux générations suivantes.

« Y'a un stage de formation berger-vacher où j'interviens en tant que professionnel, parce que c'est important que y'ait des jeunes qui continuent et puis qui ont envie, donc faut leur amener les moyens, les outils, les connaissances quoi...parce que la vie pastorale euh le système pastoral c'est la clé de voute de toute une économie montagnarde » (Laurent).

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Et tout cela, constitue pour eux un patrimoine dont ils revendiquent la préservation. Ce qui est considéré comme un patrimoine ici, ce sont notamment des pratiques dont ils souhaitent la perpétuation. Pour eux, c'est ce patrimoine là, plutôt qu'une espèce emblématique comme l'ours qui doit être mis en valeur pour le développement du territoire. Et cela, dans une alliance entre tourisme et activité agricole. Car ils ont conscience que le tourisme est un moteur de développement incontournable pour le massif pyrénéen. En témoigne le nombre important d'éleveurs qui développent en parallèle une activité liée au tourisme44. Mais l'activité agricole est aussi pour eux la garante d'une certaine forme de paysage qui fait l'identité du territoire.

Leur conception de la nature et du territoire, elle se construit face à la conception de la nature qu'ils prêtent aux défenseurs du projet de réintroduction. Ainsi l'altérité s'est construite puis accentuée entre les deux camps. Ceux-ci chercheraient à exclure l'homme de la nature et considèreraient que son action sur la nature est néfaste. Eux au contraire estiment que c'est dans l'ordre normal des choses que l'homme exploite la nature qui l'entoure. Aussi, ils estiment que l'on cherche à faire des Pyrénées une sorte de sanctuaire ou de parc à très grande échelle pour des citadins en mal de nature et où l'homme n'aurait sa place qu'en tant que spectateur et/ou gestionnaire du lieu.

« Le plan ours participe, comme de toute la reconstruction « Natura 200045 », c'est une sorte euh une disneylandisation de la nature que l'on opère. [...] Moi je persiste à croire que l'homme a sa place sur terre et qu'il fait partie intégrante de la vie sur terre, et qu'on ne peut pas l'exclure comme ça, le mettre en opposition avec la nature. [...] Dans ce sens là, j'estime que le pastoralisme génère un environnement qui est totalement respectueux de la plupart des composantes naturelles de cet environnement bien plus que de vouloir intervenir manu militari dans cet environnement pour en faire un parc de plaisance, un parc pour touristes où les gens, ils peuvent rêver à une naturalité qui est perdue depuis bien longtemps je crois ». (Nicolas )

« Bon y'en a ils vont te le présenter autrement, les mecs qui sont pour l'ours, ils vont te dire...mais euh...moi je pense que c'est des rêves...moi je suis sur le terrain et...tous les éleveurs je pense que c'est eux les principaux acteurs ». (M. Joly)

«Ceux qui sont pour l'ours, c'est pas rationnel [...] ...[l'ours] ça représente la nature... [...]

44 Chambre d'hôtes, visite à la ferme,etc...

45 «Avec pour double objectif de préserver la diversité biologique et de valoriser les territoires, l'Europe s'est lancée, depuis 1992, dans la réalisation d'un ambitieux réseau de sites écologiques appelé Natura 2000. Le maillages des sites s'étend sur toute l'Europe de façon à rendre cohérente cette initiative de préservation des espèces et des habitats naturels. » Citation extraite du site internet: natura2000.fr

l'homme il a passé son temps à combattre la nature et il va continuer [...] on a dompté la nature disons, ou qu'on exploite la nature , naturellement.... c'est sûr que va falloir s'arrêter ou que faut le faire autrement, mais le principe je condamne pas le principe moi, que l'humain exploite la nature, c'est normal c'est son karma, s'il l'avait pas fait il serait mort....alors euh ces espèces d'idée là de nature, c'est une religion quoi maintenant ! C'est insupportable donc c'est pour ça que j'suis allée aux anti-ours, parce que les pro-ours c'est des religieux, c'est des ayathollas » (Bernadette)

Aussi, ils sont renvoyés au domaine du rêve, de l'imaginaire, de l'utopie et même du religieux. De plus, ces personnes ne connaitraient pas le terrain, et auraient une vision déconnectée de la réalité. Même si certains disent comprendre que l'on puisse avoir une telle vision de la situation quand on habite en ville. En opposition à cela, eux se réclament comme étant des gens de terrain, au plus près de la réalité, et ayant une connaissance concrète des territoires de montagne. Ce qui leur donnerait une plus grande légitimité pour juger de la façon dont le territoire doit être géré.

On chercherait donc à recréer artificiellement une zone sauvage, où les activités humaines agricoles seraient tolérées ou apparaîtraient comme élément folklorique d'un parc. « On veut pas être parqués...parqués là dans un coin et...ça c'est un éleveur et y'en a un autre à 80 ou 60 km plus loin... » (Jean). Il me semble que c'est pour cette raison qu'ils disent ne pas vouloir être « parqués », considérés comme les « indiens des Pyrénées », et qu'ils parlent de « réserve de paysans », en référence aux réserves d'indiens qui existent aux États-Unis. Ils pensent que certains cherchent, tout comme pour les ours, à les '' muséifier''. Ils pensent que si les ours sont objets de toutes les attentions et érigés en priorité écologique, c'est parce qu'ils symbolisent un ordre naturel restauré. Mais, ils contestent le caractère écologique prioritaire donné à la restauration d'une population d'ours. Cette idée irait dans le sens d'une volonté de restauration d'un équilibre naturel perdu, qu'ils considèrent comme utopique, puisque pour eux, la nature est depuis bien longtemps humanisée.

C'est toujours dans cet ordre des choses que Nicolas fait une distinction entre nature et environnement. Pour lui, la nature au sens de: « endroits sur terre où l'homme n'a jamais influencé la nature » n'existe plus. Il estime que même dans les zones considérées comme les plus sauvages sur terre, comme l'Amazonie ou les Pôles nord et sud, « l'homme a modifié de manière plus ou moins durable son environnement », notamment, selon lui, en modifiant le climat. Et la nature serait devenue l'environnement, au sens de « milieu dans lequel vit l'homme ».

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B. une nature où tous les êtres sont « égaux en droits ».

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Ce que je décris ici, est principalement issu de l'entretien de Martine, puisque qu'elle est le seul des éleveurs interviewés qui soutient le projet de réintroduction. Martine justifie son positionnement du fait que, pour elle, l'homme ne se situe pas au dessus des autres êtres de la nature, mais que au contraire, il doit se considérer comme un être parmi d'autres dans la nature. Par conséquent, il doit reconnaître aux ours le même droit que l'homme à vivre dans les Pyrénées et donc s'adapter à la présence d'éléments qui peuvent lui nuire, il doit faire avec et surtout cesser d'avoir pour principe d'éliminer ce qui le gène. Elle n'a pas du tout ce discours de dire qu'être éleveur en zone de montagne, c'est forcément être écologiste, au contraire, elle pointe du doigt certaines pratiques qui seraient néfastes pour le paysage, comme l'absence de conduite des troupeaux.

Et, pour Martine, il semblerait que ce qui fonde l'idéologie écologiste, c'est notamment ce principe « d'égalité » qu'il doit y avoir entre l'homme et les autres êtres. Et c'est ce qui dans le cas présent les a poussés elle et son compagnon à tout faire depuis le début des réintroductions pour promouvoir l'idée qu'une cohabitation avec les grands prédateurs est possible. Ce serait une question de volonté et d'adaptation de l'homme. Qui doit se traduire par la mise en place de mesures de protection pour son bien afin de limiter les prédations. Il s'agit de protéger son troupeau et non d'éliminer les autres êtres de la nature qui lui font concurrence. Cela leur est apparu comme étant une évidence pour des gens se considérant comme écologistes.

On est ici en quelque sorte dans une dimension de droits et de devoirs auxquels l'homme doit se conformer. Il doit se conformer à cet état de fait, c'est pour lui une sorte de devoir que de partager le territoire avec les autres êtres de la nature même si cela doit le contraindre dans ses activités. Les animaux ont des droits que les humains doivent respecter. Et être écolo pour un éleveur c'est, selon Martine, respecter ce principe.

Dans le cas présent, l'homme doit adapter ses pratiques et sa conception du territoire, accepter qu'il n'est pas au dessus des autres êtres de la nature. Pour cela, il doit s'adapter et modifier ses pratiques, ses habitudes de travail. Il doit prendre conscience que ses pratiques actuelles peuvent être néfastes pour l'environnement. Notamment en ce qui concerne la conduite des troupeaux et l'impact qu'ils ont sur l'environnement, le paysage. Les troupeaux qui ne sont pas conduits par un berger auraient tendance à stagner dans certaines zones de la montagne qu'ils dégraderaient par le piétinement. Ici, donc l'activité de l'homme et de ses troupeaux n'est plus considérée uniquement dans sa dimension bénéfique pour l'environnement. Elle est perçue comme potentiellement néfaste

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en l'absence de conduite du troupeau par un berger. Il y a donc toujours ici l'idée qu'il ne faut pas laisser faire complètement la nature, mais que le troupeau doit être maîtrisé pour ne pas endommager certaines zones de la montagne. Pour Martine, l'arrivée des ours pourrait faire changer les habitudes des gens pour le bénéfice de la faune ( dont les ours ) et la flore (dont celle des estives). Pour elle, cela pourrait être donc un grand bénéfice pour le territoire puisque l'État donne, dans le cadre de la réintroduction, des moyens financiers importants qui pourraient permettre une amélioration de la gestion des zones de montagnes.

De même que les « anti-ours », elle a conforté son point de vue en opposition à la vision de la nature qu'elle prête à l'autre camp. Pour elle, ceux de l'autre camp se considèrent comme plus importants que l'ours et comme les êtres qui dominent la nature, et qui refusent de changer leurs habitudes par commodité et par non respect envers les êtres non humains qui peuplent la nature. Se considérant comme « écolo », elle estime que ceux de l'autre camp ne le sont pas.

Et, il semblerait que, sans la présence des ours, le territoire pyrénéen perdrait en quelque sorte « son sens ». C'est leur présence sur le territoire pyrénéen qui est importante en plus du fait que l'on sauvegarde une espèce menacée. Ceci répond à l'argument des opposants de dire que ce n'est pas une espèce menacée au niveau européen.

Sa perception du territoire en ce qui concerne la présence de grands prédateurs est à l'opposé de celle des adhérents de l'Aspap. Elle estime en effet que le territoire est redevenu propice à la reconstitution d'une population d'ours puisque les montagnes pyrénéennes sont de nos jours beaucoup moins peuplées qu'elle ne l'étaient au 19ème siècle. Sa perception des ours réintroduits et des territoires de montagne est très différente de celle des opposants au projet de réintroduction.

« L'ours se reproduit merveilleusement bien, parce que y'a un biotope dans tous les espaces que nous n'occupons pas qui sont des bois, l'ours il a largement de quoi vivre, beaucoup de faune sauvage s'est développée, il peut continuer à croître avant qu'il nous pose des problèmes[...] on reviendra jamais aux temps d'avant où y'avait plus de place pour

l'ours »(Martine).

IV. RAPPROCHEMENTS AVEC LE CAS DU LOUP DANS LES ALPES

Ce que Isabelle Mauz a décrit à propos du retour des loups dans les Alpes peut quasiment être repris point par point pour décrire ce que j'ai pu observer en Ariège (Mauz, 2005 p.176 à 196 « la

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polémique et son extension au pastoralisme »). Les arguments d'un camp et de l'autre sont dans les grandes lignes exactement les mê mes46 . Et, quasiment toutes les personnes que j'ai interviewées ont fait référence à un moment ou à un autre de l'entretien au cas des Alpes et/ou du retour du loup.

Dans ce contexte de réintroduction d'ours dans les Pyrénées, on retrouve les deux mondes47 que cet auteur a décrits dans son ouvrage. Cela m'a paru très éclairant concernant les propos des personnes qui sont natives du lieu de l'enquête, particulièrement Annie, technicienne cynégétique, et

M. et Mme Joly, éleveurs. Ils me sont apparus clairement comme présentant les caractéristiques communes aux mondes du sauvage et du domestique, même si ils ont par moment utilisé les catégories habituelles de l'autre monde (montrant ainsi le fait qu'ils se sont penchés, peut être en raison du contexte, sur la façon de penser de l'autre monde48). Et ce surtout concernant la dimension spatio-temporelle de leurs récits, c'est à dire qu'ils évoquent des événements survenus lorsqu'ils étaient jeunes et qui ont eu lieu non loin de là. Ensuite, j'ai remarqué également qu'ils avaient tendance à comparer le présent au passé (Mauz 2005, p.29). Quand aux autres personnes, il m'a paru plus difficiles de les classer dans un monde ou dans l'autre, notamment les « néo-ruraux »qui forment la plus grande partie des personnes que j'ai interviewées.

Les mondes dont parle Isabelle Mauz m'ont parus effectivement « ébranlés » et en pleine « recomposition » tout comme elle le décrit dans le contexte de l'arrivée des loups dans les Alpes (Mauz 2005, p.211 et 212). La « recomposition des mondes » et « l'évanouissement des frontières » dont cet auteur parle semblent donc être également à l'oeuvre dans le contexte pyrénéen de la réintroduction de l'ours.

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

Le discours argumentatif des opposants met l'accent sur le fait que la présence d'une

46 Voir en annexe le tableau extrait de l'ouvrage d'Isabelle Mauz.

47 Isabelle Mauz décrit deux grands types de mondes à propos des personnes auprès desquelles elle a enquêté sur l'évolution des populations d'animaux sauvages. Tout d'abord il y a les «mondes réduits du sauvage et du domestique », structurés par une opposition entre sauvage et domestique et qui d'une manière générale regroupent les chasseurs, les éleveurs et les agents du parc national les plus anciens. Ensuite, il y a le « vaste monde de la nature et de l'artifice » dans lequel des « îlots de naturalité émergent d'un océan d'artifice » et qui regroupe principalement les nouveaux gardes du parc et les naturalistes.

48 De même, Isabelle Mauz parle d'« évanouissement des frontières » entre les mondes qu'elle a décrit, au moment de l'arrivée des loups.

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population d'ours est déstabilisante et décourageante pour les éleveurs de haute montagne alors qu'ils sont les garants d'un certain type de paysage et les détenteurs d'un patrimoine culturel paysan qui risque de disparaître. Ils estiment que les efforts qu'on leur demande dans le cadre de la réintroduction de l'ours sont impossibles à réaliser, inutiles et contre-productifs. De plus, ils sont très critiques quant à la conception et la mise en oeuvre de ce projet. A l'opposé ceux qui soutiennent le projet estiment que les éleveurs ne veulent pas faire l'effort de faire évoluer leurs pratiques et que s'ils protégeaient correctement leurs troupeaux la cohabitation serait possible. De plus, ils ont une image des ours réintroduits qui oscille entre celle d'un animal déviant, voire dangereux, et celle d'un animal quasi domestiqué, victime de la volonté de l'homme de vouloir les contrôler. Traduisant là une certaine confusion des catégories du sauvage et du domestique.

De ces discours il ressort qu'il existe différentes façon de concevoir la nature et un animal sauvage tel que l'ours, y compris lorsque l'on vit sur un même territoire. Chacun, selon ses pratiques, ses expériences mais aussi son milieu social d'origine, a développé une représentation de la nature différente. Certains mettent en avant le fait que la « nature naturelle », non domestiquée n'existerait plus vraiment depuis longtemps dans les Pyrénées, alors que d'autres, au contraire estiment qu'elle est en train de faire son retour du fait de la déprise agricole. Certains discours peuvent aussi être le fruit d'une conception de la nature émanant des concepts diffusés par des associations telles que l'Aspap. Concepts dont les personnes les plus érudites semblent être en partie à l'origine. Il s'agit de l'idée que la nature qui constitue les territoires de montagne, est le résultat de l'action ancestrale et bénéfique, de l'éleveur [et/ou berger] et de son troupeau. Et cela ferait de ce qui est communément appelé patrimoine naturel, un patrimoine culturel au même titre que les pratiques et les savoir-faire ancestraux.

Les conceptions que les gens ont ne forment pas un tout homogène pour chaque camp, mais sont au contraire traversées par de nombreuses nuances. Néanmoins, il me semble que ce projet a entraîné un renforcement des convictions de chaque camp et même pour certains une radicalisation des discours. Sur certains forums internet, les termes utilisés pour qualifier ceux de l'autre camp sont très forts, et témoignent de cette radicalisation des positions: ainsi, les associations qui soutiennent le projet de réintroduction sont parfois appelées les « sectes du sauvage ». A l'inverse, les opposants sont qualifiés d' « ultrapastoraux ». Renvoyant ainsi ceux du camp adverse dans leur dimension la plus extrême: partisans du « tout sauvage » d'un côté et partisans du « tout pastoral de l'autre »; laissant peu de place pour une voie médiane.

Chacun des arguments avancé par un camp donne lieu à un contre-argument de la partie

adverse qui sera lui-même contesté et ainsi de suite... ce qui rend le débat très complexe et provoque de vives polémiques. Mon analyse est ici limitée aux grandes lignes argumentaires et à ce qui m'est apparu comme les grands principes de chaque « camp ». Ceci pourrait certainement être l'objet d'une analyse plus fine et plus détaillée notamment concernant les nuances existantes entre ces deux extrémités.

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Sème partie: L'ASPAP: D'UNE ENTRAIDE LOCALE

A UN PROJET GLOBAL POUR LE MASSIF

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PYRENEEN

I. LES MOYENS MIS EN OEUVRE FACE AU PROJET DE REINTRODUCTION

A. L'Aspap: pour « structurer les révoltes individuelles »

Depuis 2006, l'Aspap regroupe les opposants au projet de réintroduction pour le département de l'Ariège. Rapidement, elle est apparue comme la structure salutaire qui a permis aux éleveurs, victimes de prédations et/ou opposés au projet, de prendre conscience qu'en se fédérant, ils auraient plus de poids et pourraient se sentir moins impuissants face à ce qui leur arrivait. Cela leur a également permis de se soutenir, d'être entourés face ce qui est vécu comme une épreuve. Ainsi, les révoltes individuelles se sont agrégées et l'Aspap s'est donné pour mission première de défendre les intérêts des éleveurs. Pour pouvoir contrer ce projet auquel ils n'adhèrent pas, ils ont voulu se rassembler pour pouvoir être mieux entendus, parler d'une seule voix. Un grand nombre de personnes a adhéré et ses portes-paroles sont rapidement devenus des interlocuteurs incontournables du département, notamment auprès des médias. Certains mettent aussi en avant, pour expliquer leur engagement initial au sein de l'association, le caractère légal de ce mode de lutte, permettant une alternative à des actions répréhensibles envisagées par certains49.

L'association, sur le département soutient les éleveurs et défend leurs intérêts dans des situations en lien avec la réintroduction des ours. Ainsi, un protocole, une« conduite à tenir » lors des expertises en vue d'indemnisation a été élaboré à destination des éleveurs victimes de prédation. Et il leur est aussi proposé qu'une délégation de l'Aspap soit présente lors de l'expertise pour défendre leurs intérêts50. Il s'agit aussi de soutenir l'éleveur qui dans certains cas vient de perdre beaucoup, est choqué ou en colère. Ensuite, sur le plan préventif, l'association a permis la

49 Néanmoins, certains envisagent toujours la possibilité de se mettre hors la loi s'il le faut pour contrer ce projet. Un éleveur s'exprime ainsi à propos du risque de se retrouver en prison s'ils décident de se défendre par des moyens illégaux: « de toute façon c'est la prison ou alors on a plus la possibilité de vivre ici ». La récente actualité du mois de septembre 2009 semble confirmer cet état d'esprit, puisqu'il y a des rumeurs d'éventuels abattages d'ours en Haute-Ariège. Voir à ce propos la Dépêche du Midi du 05 septembre 2009.

50 Plusieurs de mes interlocuteurs m'ont relaté le même cas de dérochement d'un troupeau qui avait fait de nombreuses victimes et ou l'expertise avait été faîte sans la présence de l'éleveur et de la délégation de l'Aspap. Celle-ci a exigé que l'expertise soit refaite et il s'est avéré que des bêtes avait été oubliées au comptage et des traces permettant de prouver que c'était bien le fait d'un ours n'avaient pas été relevées.

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constitution d'un réseau, des gens qui sont en contact se tiennent au courant de ce qui se passe et, dans la mesure du possible, de la localisation des ours. C'est dans ce sens qu'a été mis en place le répondeur de l'Aspap qui donne des informations sur la localisation des ours, et qui est alimenté par le réseau. Il s'agit donc là d'entraide au sein d'un groupe de personnes confrontées à un même type de problème.

L'Aspap a également fait jouer la solidarité de ses adhérents lors des condamnations dont ont été l'objet plusieurs de ses membres suite à la manifestation d'Arbas qui avait amené à des dégradations de la mairie du village d'Arbas. Ils avaient été condamnés à verser environ 20 000 euros d'amendes, de dommages et intérêts et de frais de justice. L'Aspap a lancé une souscription de soutien pour payer cette somme qui a pu être réunie en quelques mois grâce à des dons d'adhérents et de sympathisants.

Ensuite, parmi les personnes interviewées revient cette idée qu'ils mènent un combat et que, comme pour tout combat, des stratégies doivent être élaborées et mises en place. Ainsi, la lutte s'est peu à peu organisée. Des objectifs ont été définis et des moyens mis en place. Un des objectifs premiers est la promotion de leur point de vue, faire connaître « le sentiment et la vie des gens en montagne »(extrait des propos de Jean) auprès de l'État, mais aussi auprès du grand public. Il s'agit donc de communiquer, car ils estiment que leur point de vue n'est pas assez relayé et que les gens ont une image faussée d'eux et de leur quotidien. La partie communication est essentielle dans l'association, c'est par elle que leur point de vue va pouvoir être diffusé. Cette communication est faite à destination de l'État, des médias et du grand public, pour sa plus grande part, mais L'Aspap communique également auprès des élus du département, par exemple, afin de leur faire passer des informations pour eux et leurs administrés51.

« L'Aspap [sert à] faire remonter les informations, faire connaître nos problèmes, nous défendre [...] on arrive pas à faire remonter directement en préfecture [...] on a des gens qui sont...les oreilles fermées...ils veulent pas nous écouter ceux-là [...] il a fallu monter ça, faire agir les médias et tout...alors que c'est...c'est du folklore pour moi tout ça...mais on a que cette solution [...] légale...c'est pas la solution miracle mais bon on a que ça [...] sinon à titre individuel...on a aucune force» (M. Joly)

«L'Aspap reste vigilante à toutes les décisions qui peuvent être prises...tout ce qui se passe voilà...parce que dans une stratégie de... de combat parce que pour moi ça reste un combat pour une vie [...] et la perpétuation [...] d'une civilisation pastorale » (Laurent)

51 Voir page 14 à propos des rencontres ANEM.

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B. « Pastoralies, la fête de la montagne vivante »

Toujours dans un même but de communication, l'Aspap monte régulièrement son stand, tenu par des bénévoles de l'association, dans divers évènements du monde pastoral et agricole 52. Ce qu'ils veulent c'est que le plus grand nombre de gens possible puissent entendre, comprendre leur point de vue et pourquoi ils s'opposent au projet de réintroduction. C'est dans ce but que sur les stands on trouve notamment des photos de prédations. C'est pour que les gens puissent se mettre à leur place, imaginer ce qu'ils ressentent quand ils trouvent une bête attaquée par l'ours et donc comprendre leur colère.

Mais, un des événements majeurs de leur stratégie de communication envers le grand public, c'est une grande fête que l'association organise depuis deux ans maintenant au mois d'août53. Cette fête s'est à chaque fois déroulée en haute montagne afin que les gens puissent se rendre compte, au plus près, de ce qu'implique la pratique de la transhumance, pour leur expliquer, leur montrer le travail des hommes et des troupeaux sur l'estive. Ils veulent faire valoir, montrer, dans un cadre festif et familial, ce qui pour eux constitue un patrimoine naturel à préserver et qui est le fruit du pastoralisme: les prairies d'altitude et l'alternance de différents types de végétation54, caractéristiques des montagnes où il y a du pastoralisme. En ce qui concerne la faune, ce qui est un patrimoine naturel « domestique » à conserver, ce sont les races domestiques autochtones, sélectionnées au fil du temps pour leur adaptation au territoire, qui constituent souvent leurs troupeaux.

Ceci est en droite ligne de cette conception de la nature comme fille de la maîtrise harmonieuse de l'homme sur son territoire mais aussi sur les espèces animales. Il leur apparaît comme plus important de sauvegarder des races domestiques qu'un animal sauvage emblématique comme l'ours. Ils pensent que c'est prioritaire par rapport à la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées, reprochent aux associations qui ont mis en place cette réintroduction de réduire la biodiversité aux seules espèces sauvages et revendiquent la nécessité de sauvegarder les espèces domestiques également sources de biodiversité et en voie de disparition. A ce propos, ils citent la

52 Voir à ce sujet le chapitre: « les observations » dans la première partie du mémoire.

53 Voir à ce propos la description de la fête en page 8

54 Voir en annexe le schéma de l'étagement montagnard.

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conférence de Rio de 199255 qui avait précisé l'importance de la sauvegarde de espèces domestiques et leur participation à la richesse de la biodiversité. Il semblerait que pour eux, patrimoine culturel et patrimoine naturel soit indissociables.

Ensuite, cette fête leur permet de donner l'image qu'ils souhaitent aux gens des villes venus en vacances en Ariège et à ceux qui vivent dans le département mais ne connaissent pas forcément

leur travail. Un des buts principaux est de véhiculer une autre image des montagnes pyrénéennes et des éleveurs qui y travaillent. Communiquer, mais sur ce qui leur tient à coeur, pas uniquement sur l'ours dont ils pensent qu'il les stigmatise mais sur l'élevage et la pratique de la transhumance qu'ils souhaitent maintenir notamment grâce au tourisme et aux produits du terroir que cette activité permet de produire.

Ce type de démarche communicative sous la forme de fêtes mettant en avant le monde pastoral ou agricole, souvent associé à un patrimoine culturel, et principalement à destination des populations citadines, a été l'objet de plusieurs analyses dans le domaine des sciences humaines. Pour François Labouesse (1998), ce type de manifestation est motivé par des raisons économiques de la part des éleveurs. Ainsi, son hypothèse est que: « Lorsqu'aujourd'hui des agriculteurs entreprennent d'exploiter le gisement de curiosité qu'ils ressentent à leur égard, ce n'est pas pour se prêter à un simple échange de nature culturelle ou pour participer de manière « gratuite » à des opérations d'animation locale, mais bien, d'une manière ou d'une autre, pour défendre, promouvoir ou conforter leur activité, soit à une échelle locale, soit à des niveaux plus larges, y compris national ». Dans le cas des Pastoralies, les motivations économiques sont présentes, mais il y a également l'envie de « conforter leur activité » qu'ils estiment menacée. Cette fête est organisée par des éleveurs qui ont une production à valoriser et une idée à faire passer: le fait qu'ils sont détenteurs d'un patrimoine culturel qu'ils estiment mis en danger par le programme de réintroduction de l'ours, alors que l'ours lui est communément considéré comme un élément du patrimoine naturel.

François Labouesse évoque également le même type de démarche mis en place à titre individuel, comme par exemple les visites à la ferme. Le porte-parole de l'Aspap et actuel président de l'Addip, Philippe L. a en parallèle à son activité d'éleveur une activité touristique, c'est-à-dire qu'il fait visiter son estive à des touristes en partie citadins. Il fait cela dans le même esprit que ce qui se fait dans le cadre des Pastoralies, c'est le même type de démarche. C'est à dire une

55 Notamment dans les publications écrites de l'association.

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conciliation entre élevage et tourisme, permettant à son élevage d'être plus « rentable ».

« Philippe L., il veut pas des ours mais lui par contre il a proposé des trucs [...] il est dans une dynamique là [...] de produire [...] de faire un produit touristique avec ça en emmenant les gens sur les estives moi je trouve que c'est bien ça [...] je trouve que c'est pas du folklore à carte postale [...] il montre pas des ours là qu'il faut aller voir dans la nature sauvage [...] il montre la nature et qu'est ce que l'homme en fait [...] il montre une activité humaine qui fait vivre des gens qui s'inscrivent dans une histoire humaine, et les autres ils montrent la nature [...]détachée de l'humain, mais contre l'humain presque » (Bernadette)

« Comme ça on ne fera rien de bon...on va sacrifier l'élevage et on va sacrifier le tourisme à long terme, ça c'est 100% vrai...(pause)...et les gens de l'Aspap ils sont conscients de ça, P. le premier il est à fond pour le tourisme [...] il vit que de ça [...] et des produits naturels...il vend de la viande de par toute la France...il est conscient qu'il faut le tourisme en Ariège et dans les Pyrénées[...] il défend quand même l'élevage parce que si un jour il a pas de bêtes à vendre...aux touristes, il pourra pas leur vendre des produits de Super U, ça marche pas » (M. Joly)

C. La mobilisation d'éléments identitaires en lien avec un patrimoine culturel

« La plupart des recherches sur l'identité locale montrent que se définir par rapport à un lieu c'est surtout faire référence à une manière d'être au monde et aux autres, à un patrimoine culturel produit d'une histoire et d'expériences de la vie quotidienne » (Denis Chevallier et Alain Morel 1985)

Il y a dans ce contexte la mise en avant de deux éléments identitaires, l'un est professionnel et rassemble les éleveurs de montagne qui sont pour la plupart transhumants; l'autre est territorial et permet de fédérer une part beaucoup plus grande de la population, il s'agit de la notion d'identité pyrénéenne. Ces éléments existaient déjà auparavant mais ils ont été réactivés plus particulièrement dans ce contexte d'opposition, de lutte. Ces « étiquettes » fédératrices ont été réinvesties afin de conforter un rapprochement entre des personnes au sein d'un même projet ou contre-projet. Les références à ces notions identitaires sont assez présentes dans le discours de l'Aspap et on peut les retrouver dans les productions écrites de cette association56. Et même, concernant la notion d'identité pyrénéenne, elle est clairement annoncée dans le nom de l'association qui regroupe les différentes associations départementales: Association pour le Développement Durable de l'Identité

56 Voir notamment « le manifeste des Pyrénées » en annexe.

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Pyrénéenne.

Dans le sens où Nathan Glazer et Paul P. Moynihan (1975) l'ont écrit à propos du concept d'ethnicité, il semble qu'il y ait un but stratégique à ce phénomène, comme une stratégie identitaire au service d'une stratégie sociale collective. Ces éléments ne semblent pas ici être créés artificiellement, mais plutôt réactivés dans un but stratégique, utilisés pour revendiquer une légitimité sur un territoire et le droit à en disposer comme ils le souhaitent. Ils se revendiquent pyrénéens ou éleveurs transhumants pour appuyer leurs revendications. Et aussi tout simplement parce qu'ils peuvent se sentir plus forts en tant que groupe pour atteindre un but: faire stopper le plan-ours et promouvoir une façon différente de développer le territoire. Comme cela a été décrit dans d'autres situations du même type, les érudits locaux investis dans la lutte contre le projet de réintroduction, ne sont probablement pas étrangers à la mobilisation de ces éléments identitaires. Et dans le cas de ces associations il y a effectivement des érudits devenus des acteurs essentiels du mouvement. Ces éléments identitaires sont à la fois fédérateurs, pour rallier le plus grand nombre possible de personnes à la cause, et légitimant quant aux revendications qui sont faîtes.

Au delà d'une conception purement utilitariste des concepts identitaires, il y a aussi chez les personnes que j'ai interviewées cette idée qu'ils se battent pour la perpétuation d'un système ancien qui risque de disparaître, ou bien une sorte de sentiment retrouvé de se sentir appartenir à une communauté unie avec des idéaux et des valeurs communes. Et même une vision commune de ce qu'ils veulent pour l'avenir du territoire qu'ils partagent. Tout cela dans le contexte d'une culture de montagne pyrénéenne revendiquée. Avant ces événements, il semblerait que les éleveurs et même tout simplement certains habitants des Pyrénées avaient un plus grand sentiment d'isolement. Et qu'ils n'avaient pas cette sensation de faire partie d'un groupe, d'une culture particulière, celle des gens de montagne. Paradoxalement, les opposants reconnaissent que cette oppositions au plan-ours a eu des conséquences positives pour les relations entre les gens de montagne et ceci pour une grande partie des Pyrénées.

« Y'a le côté humain qui a été superbe parce que ça a permis aux gens de se retrouver, parce que y'avait plus d'identité montagnarde, ça s'était bien perdu, les gens ils se sont retrouvés dans les manifs et ils se sont retrouvés avec cette identité là qu'était oubliée. » (Bernadette)

« Pour moi ça reste un combat pour une vie et pour la perpétuation d'une civilisation pastorale. » (Laurent)

« L'ours ça a permis de conforter, de donner un nom et de matérialiser la mentalité

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pastorale [...] de rassembler des gens qui se seraient jamais vu. » (Jean)

D. De la redéfinition de certains termes « en vogue ».

Depuis quelques années, on voit fleurir un peu partout dans les médias, dans les propos des politiciens et dans des projets de développement du territoire des termes tels que développement durable, sauvegarde du patrimoine naturel, sauvegarde de la biodiversité. Ces termes vont de pair avec une façon actuelle de concevoir l'économie et l'écologie au sein de notre société. Dans les écrits et les discours tenus par les militants de l'Aspap57, ces termes prennent une signification qu'ils adaptent à leurs revendications et à leur situation. Ainsi ils cherchent à justifier leur positionnement, ce qu'ils défendent, comme étant dans la droite ligne des politiques publiques actuelles, à une échelle nationale voire internationale et qui sont mises en oeuvre dans différents domaines de la vie sociale. Ils cherchent ainsi à démontrer ce qu'ils estiment être le caractère contradictoire du projet de réintroduction.

En réutilisant ces termes, ils veulent montrer aux politiciens et aux personnes qui sont à l'origine du projet de réintroduction qu'il y a une contradiction entre ce que ce projet induit sur le terrain et d'autres politiques à l'oeuvre, notamment dans le domaine agricole. Comme par exemple la prise de conscience du fait que l'agriculture telle qu'elle est pratiquée depuis des décennies est destructrice de la nature; et le fait qu'actuellement il est question de modifier ces pratiques pour mettre en place une agriculture plus « raisonnée ».

C'est ainsi que le terme « écologiste », censé désigner des personnes soucieuses de l'environnement et qui par exemple soutiennent des projets de sauvegarde d'espèces menacées, est repris à leur compte par les opposants au projet de réintroduction. Les écologistes, ce sont eux, puisqu'ils ont des pratiques extensives respectueuses de l'environnement et qu'ils estiment être en accord les projets politiques mis en place en terme de développement durable.

En ce qui concerne le terme biodiversité, ils en ont une version qui s'adapte à leur point de vue. Biodiversité signifie: « diversité biologique », c'est à dire que tout organisme si petit soit-il participe à la biodiversité. Quand on parle de « sauvegarde de la biodiversité », cette expression reste vague, car c'est là une question de choix et de priorité donnée à telle ou telle espèce.

« Ces écologistes intégristes quand ils ont trois mauvaises herbes dans leurs carottes dans

57 Voir à ce propos l'extrait du discours de Bruno Besche-Commenge lors de la manifestation du Val d'Aran en page 12

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leur jardin ils les enlèvent et pourtant les mauvaises herbes ça fait aussi partie de la biodiversité... » (Jean).

Ce que l'Aspap revendique, c'est que les espèces domestiques qui participent aussi à la biodiversité et sont donc susceptibles d'être autant, voire plus prioritaires pour être sauvegardées que les espèces sauvages telles que l'ours. C'est ainsi que l'on retrouve dans les deux camps des gens qui se disent « écolos » et voulant sauvegarder la biodiversité des Pyrénées.

Dans le même ordre d'idées, les deux camps disent vouloir mettre en place un projet de développement durable pour les Pyrénées. Les noms des associations témoignent: d'un côté il y a l'Association pour le Développement Durable de l'Identité Pyrénéenne (ADDIP), qui souhaite défendre l'avenir des éleveurs et d'un certain tourisme, et de l'autre, il y a l'Association pour le Développement Économique et Touristique (l'ADET) qui dit également mener un projet de développement durable pour les Pyrénées, notamment par la création de « labels ours ».

Il y a aussi la notion de patrimoine naturel, dont les deux camps revendiquent la sauvegarde. Mais l'Aspap a ajouté une nuance en précisant que le patrimoine dit « naturel » est en fait pour eux quelque chose de culturel. Une fois de plus, la composante humaine est mise au premier plan. C'est un patrimoine culturel qu'il veulent sauvegarder mais avec des composantes « biologiques »58 dont ils estiment qu'elles sont le fruit d'un travail de transformation par les hommes. Là aussi, les noms des associations montrent que c'est leur version de ce qu'est le patrimoine local qu'il veulent préserver: Aspap signifie: Association pour la sauvegarde du Patrimoine Ariège Pyrénées. L'association qui est l'équivalent de l'Aspap pour les Hautes-Pyrénées a quasiment le même nom: ASPP65, c'est à dire Association pour la sauvegarde du Patrimoine Pyrénéen59.

E. Des discours scientifiques légitimant la logique de l'opposition

*Nicolas , biologiste et spécialiste des écosystèmes montagnards

58 Comme le paysage et les espèces domestiques.

59 Cette association a été récemment le sujet d'une polémique entre «pro » et « anti-ours ». En effet l'ASPP 65 a reçu un agrément départemental qui en fait une association de protection de l'environnement et à ce titre, sa présidente Marie-Lise broueilh a été nommée au conseil d'administration du Parc National des Pyrénées. Cela n'a pas manqué de susciter des réactions de la part d'autres associations environnementalistes qui se sont insurgés contre le fait qu'une « militante anti-ours » puisse siéger à ce conseil d'administration. Finalement, sa nomination aurait été annulée.

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Il s'agit d'un naturaliste en lien avec le monde pastoral60. Lorsqu'il travaillait au sein de l'association des pâtres il intervenait dans la formation des bergers pour leur donner des cours sur la flore de montagne in situ, c'est-à-dire sur l'estive. Lors des Pastoralies, il est intervenu sur le forum intitulé: « Pour une biodiversité à visage humain »et il a animé des balades pédagogiques d'initiation à la botanique. Il estime que le pastoralisme est plus générateur de biodiversité que l'ours. Ou du moins que la disparition du pastoralisme entraînerait la disparition d'un certain type de milieu et des espèces qui y sont liées61. Il met également en avant le fait que la biodiversité ce n'est pas seulement les espèces sauvages, mais que cela peut être aussi des espèces domestiques. Les discours tenus par Nicolas, qui est un scientifique reconnu permettent à l'Aspap d'apporter une légitimation à son point de vue à ce sujet.

« La biodiversité [...] ça peut être aussi la diversité des animaux domestiques, des plantes domestiquées par l'homme et des diversités générées par l'homme »

« Si demain il n'y a plus que des ours dans les Pyrénées et que le pastoralisme a été anéanti [...] ça veut dire qu'il y aura une forêt uniforme jusqu'à l'altitude de 2400m [...] cette uniformisation et surtout cette disparition des pelouses sub-alpines et des étages montagnards amènera la disparition de centaines d'espèces qui sont aujourd'hui endémiques, c'est-à-dire qu'on ne trouve que dans les Pyrénées [...] derrière ces centaines d'espèces végétales y'a des écosystèmes entiers qui sont voués à la disparition [...] ce ne sont pas seulement des plantes, ce sont aussi des mousses, ce sont des lichens, ce sont des invertébrés, ce sont des micro-mammifères, ce sont des champignons, ce sont des bactéries, imaginez-vous que dans un centimètre cube de terre on trouve jusqu'à deux cents millions de bactéries, ça va pas disparaître, ça va être modifié, je dis pas que ça va être moins bien, je dis que ça va être moins riche, [...] il y a des cortèges entiers d'espèces inféodées spécifiquement aux écosystèmes pastoraux qui seront voués à la disparition totale, irrémédiable ».

*Bruno Besche-commenge, « ethno-historien des usages pastoraux62 »

60 Voir portrait en page 17.

61 Certains auteurs ont également un avis proche sur ce point, comme Jean-Claude Duclos et Marc Mallen (1998): « La spécialisation technique des éleveurs et l'altération des savoir-faire pastoraux traditionnels, d'une part et, d'autre part, la montée en puissance des lobbies environnementaux, peuvent laisser penser que l'exploitation pastorale des alpages est aujourd'hui néfaste au maintien de la biodiversité en montagne. Or il apparaît nettement que ce n'est pas la pratique de la transhumance qui doit être mise en cause mais un ensemble de faits, liés à la baisse sensible de la pression pastorale sur l'ensemble des Alpes du sud, à la perte des anciennes pratiques pastorales, mais aussi à des clivages intellectuels et sociétaux d'autant plus profonds que ceux qui les dénoncent n'ont aucun moyen de se faire entendre ».

62 C'est ainsi qu'il est présenté sur le site internet de l'ASPP 65.

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Il est plus investi dans l'association que Nicolas, son rôle y est plus actif. Il a mis ses compétences au service de l'Aspap. Et pour lui, c'est normal de le faire puisqu'il a déjà « les pieds dedans » comme il dit. Au cours de ses travaux de recherches antérieurs, il a réalisé des études sur les savoirs agro-pastoraux et sur la vie pastorale dans les montagnes pyrénéennes dans une perspective contemporaine et historique. Il a réalisé ses propres recherches à propos du programme de réintroduction, notamment pour savoir comment se passent les réintroductions d'ours dans d'autres pays européens; et pour voir si c'est comparable avec ce qui se passe dans les Pyrénées autour des réintroductions. Il se dit, comme d'autres membre de l'Aspap, engagé dans un combat et le but de ses investigations est principalement de contrer l'argumentation des défenseurs de la réintroduction63 et dénoncer ce qu'il considère comme étant la « manipulation inquiétante » d'un vrai problème: l'écologie. Et c'est ce qu'il fait dans un bilan de quarante pages publié par l'ADDIP,64. Le premier éleveur que j'ai interviewé m'en a donné un exemplaire, et par la suite, deux autres des éleveurs que j'ai rencontrés avait prévu de m'en donner un aussi lors de l'interview. Ce qui en fait, je pense, un document essentiel de communication et de légitimation du discours de l'association. Bruno Besche-Commenge a tissé avec d'autres, peu à peu, un réseau qui couvre toute la chaîne pyrénéenne et même au delà. Il est en lien avec de nombreuses personnes et notamment avec Marie-Lise Broueilh, docteur en sociologie et présidente de l'ASPP 6565.

Ces deux personnalités reconnues du monde agro-pastoral ariègeois permettent une légitimation, une justification scientifique de la logique du discours de l'association. De plus, l'Aspap comprend un certain nombre d'éleveurs ayant fait des études supérieures, notamment parmi les néo-ruraux, comme Laurent par exemple qui a une formation d'architecte.

II. CONSEQUENCES: DU NIVEAU LOCAL AU NIVEAU EUROPEEN

A. Entre resserrement de liens et accentuation de différences

63 Pour un résumé de sa logique qui est aussi celle de l'association voir l'extrait de son discours prononcé lors de la manifestation du Val d'Aran retranscrit à la page 12.

64 Le sommaire de ce bilan est reproduit en annexe.

65 Équivalent de l'Aspap pour les Hautes-Pyrénées.

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1. Une plus grande cohésion du monde agro-pastoral

« Le groupe professionnel trouve dans le refus de la réintroduction un élément de cohésion et de résistance face à l'indifférence dont il se sent de plus en plus l'objet. Sur le sujet, les éleveurs de tous bords (désormais soutenus par les élus et les techniciens) sont aujourd'hui solidaires en Ariège. Ils se doivent d 'afficher un front commun, malgré parfois des positions personnelles un peu divergentes » (Corinne Eychenne, 2006 p.235)

Les mouvements d'opposition qu'il y a eu autour des nouvelles réintroductions de 2006 ont fait prendre conscience aux personnes opposées qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir ce point de vue. Ensuite, au niveau départemental, une solidarité s'est déployée et il est un fait à propos duquel tout le monde semble d'accord, c'est que l'opposition au plan-ours a rassemblé les gens. Face à un projet qui a mis certaines personnes dans une situation difficile, une certaine solidarité s'est déployée entre les éleveurs et les gens se sont régulièrement retrouvés pour mettre en place une stratégie de défense, au sein de l'Aspap; et lors de la mise en pratique de cette opposition au plan-ours, c'est-à-dire lors des manifestations et des actions menées par les opposants au projet. Ainsi, petit à petit, un réseau s'est créé. Les gens qui ne se seraient jamais rencontré sans cela se sont mis à se parler. Avant, chacun était dans sa vallée le plus souvent assez isolé. Mais ce « combat », cette opposition a fait se rapprocher les gens, en leur donnant des occasions de faire des choses ensemble, de communiquer. Et puis, cela fait un sujet sur lequel quasiment tout le monde est d'accord, un point d'entente qui permet de se retrouver. Permettant ainsi de dépasser les éventuelles querelles habituelles.

« Y'a le côté humain qui a été superbe parce que ça a permis aux gens de se retrouver, parce que y'avait plus d'identité montagnarde, ça s'était bien perdu, les gens ils se sont retrouvés dans les manifs et ils se sont retrouvés avec cette identité là qu'était oubliée »(Bernadette)

« L'ours ça a permis de matérialiser la mentalité pastorale [...] de rassembler des gens qui se seraient jamais vus [...] même moi...y'a des gens que j'aimais pas spécialement que je connaissais mais comme ça...voilà bon l'ours voilà salut, et avec qui de par la lutte on est devenus très proches, et plein d'autres, énormément d'autres que je connaissais pas, que c'est la bagarre contre l'ours qui a fait que je les connais, et que j'apprécie» (Jean).

« [l'Aspap] c'est un réseau de connaissances [...] y'a tous les gens de terrain avec leurs sensibilités différentes mais qui se retrouvent au sein de l'Aspap parce que y'a quelque chose de

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commun qui les anime [...] en fait ça a fédéré beaucoup de gens qui avaient peu ou pas de rapports entre eux, si ce n'est leur quotidien...ça a fédéré des gens d'autres départements [...] ça a créé un tissu, ça crée des liens, ça fait des échanges, ça fait des adresses qu'on conserve [...] les gens se sont mis à parler entre eux, ont eu le respect de s'écouter, voilà de se structurer, ça c'est énorme [...] en plus du côté efficace de la création de l'Aspap et de sa stratégie...ça a été un enrichissement pour beaucoup de gens...parce qu'on est quand même relativement isolés chacun dans son coin [...] par la force des choses il a fallu se réunir, communiquer et voilà, là le mot de solidarité il prend tout son sens » (Laurent).

Le consensus qu'il y a autour de la question des ours a permis à des gens très différents de trouver un terrain d'entente, de se rapprocher, de se retrouver et dans ce cadre, de mettre en avant ce qui les lie: leur lieu de vie, les Pyrénées et donc une certaine identité pyrénéenne et pour les éleveurs, l'identité d' éleveur transhumant. S'opposer à ce projet les a amenés à revaloriser, réinvestir des notions identitaires. Ce qui lie tous ces gens au delà de leur opposition au projet de réintroduction, c'est aussi leur lieu de vie et leur profession. Ces deux éléments correspondent à la notion d'identité pyrénéenne de gens de montagne et à celle d'éleveur transhumant de montagne. Certains font uniquement partie de la première catégorie, ils habitent en montagne mais ne sont pas éleveurs. D'autres cumulent les deux, c'est-à-dire qu'ils vivent en montagne et sont aussi éleveurs transhumants. Et enfin, mais ils sont moins nombreux il y a les éleveurs qui font transhumer leur troupeau mais qui habitent plutôt vers la plaine.

Au niveau départemental, le renforcement de la cohésion et la puissance fédérative de l'Aspap s'est manifestée lors de la crise de la FC066. Une manifestation a eu lieu, et pour mobiliser le plus de monde possible, les syndicats agricoles ont fait appel à l'Aspap pour y convier tous les éleveurs.

«Aujourd'hui, les gens se sont structurés pour se battre contre les grands prédateurs de manière extrêmement efficace [...] l'Aspap arrive même à faire un consensus comme par exemple de réunir autour d'un problème commun comme la fièvre catarrhale ovine l'ensemble des syndicat agricoles [...] l'Aspap y est pour beaucoup de structurer l'ensemble de la filière d'élevage dans le département» (Nicolas )

« [Les syndicats agricoles] pour appeler à manifester ils sont venus faire appel à l'Aspap parce que ça concerne tous les éleveurs et il savaient bien que l'Aspap allait mobiliser beaucoup plus qu'eux, parce que l'Aspap c'est pas syndical donc ça rassemble plus de monde » (Jean).

66 Il s'agit de la fièvre catarrhale ovine. A l'automne 2008 a eu lieu cette épidémie qui a décimé de nombreuses bêtes au sein des troupeaux, les troupeaux ariègeois ont été particulièrement touchés par cette épidémie.

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Il semblerait donc que les structures associatives nées de la lutte contre les grands prédateurs aient fédéré les gens, comme ici les éleveurs, et que les effets s'en ressentent au delà de l'opposition au projet de réintroduction. Puisque dans l'exemple précédent, on peut voir que son action, son influence s'est étendue au monde agricole en général, à un niveau départemental. Le projet semble avoir également comme effet inattendu de favoriser un rapprochement des éleveurs et des chasseurs du département. En effet, ils partagent l'usage du même territoire et la cohabitation entre éleveurs et chasseurs n'a pas toujours été facile. Et voici que maintenant les chasseurs commencent également à s'opposer au plan-ours car on s'en prend à leurs intérêts: leur droit de chasse à été remis en question en raison des risques d'accidents de chasse mettant en cause des ours. Et, à la suite d'une requête judiciaire faite par une association écologiste du département, un arrêté préfectoral risque d'entraîner la suspension la chasse dans le département de l'Ariège67 pour cette année si des mesures ne sont pas prises pour protéger les espèces menacées dont l'ours. Une manifestation de protestation des chasseurs a eu lieu au début du mois d'octobre 200968 et l'Aspap a appelé ses adhérents à y participer.

Ensuite, le réseau s'est élargi progressivement à d'autres niveaux. Tout d'abord, les différentes associations qui se sont créées dans des buts similaires à ceux de l'Aspap tout le long des Pyrénées se sont fédérées. Ce qui leur a permis d'élargir le mouvement, c'est la communication qui s'est mise en place entre les acteurs de terrain et sur ce point, internet a joué un rôle important dans la diffusion d'informations et la communication entre les gens. Les personnes très actives du réseau utilisent beaucoup internet pour communiquer et échanger rapidement des informations. Ce qui leur permet d'être en contact quasi permanent même s'ils ne se voient pas très souvent.

Le réseau s'est encore plus élargi lorsque des connexions ont été établies avec l'autre versant des Pyrénées, du côté espagnol. Déjà en 2006, des manifestations avait eu lieu en commun avec les espagnols, permettant la créations de liens. Et en décembre 2008, il y a eu la manifestation du Val d'Aran69 avec la signature du « Manifeste des Pyrénées », apparaissant comme un point culminant de la rencontre du mouvement amorcé côté français, avec les espagnols. Des liens ont également été établis avec des éleveurs des Asturies, région d'Espagne où l'ours est également présent. Le réseau s'étend également aux Alpes, où les éleveurs confrontés aux loups se sont également mobilisés dans

67 Voir à ce sujet l'actualité de la fin du mois de septembre et du début du mois d'octobre 2009. dont: « la Depêche du Midi » du 18 septembre 2009.

68 Cette manifestation, qui a eu lieu à Foix, aurait réuni environ 7000 personnes

69 Voir à ce propos la description en page 12.

78

un mouvement d'opposition à la présence de grands prédateurs sur leur territoire. Une rencontre inter-massifs a déjà eu lieu en avril 2007. Cette rencontre réunissait des éleveurs des Alpes, des Pyrénées et du Massif Central. Au cours de cet événement, l'ADDIP a proposé de redynamiser « l'association européenne de défense du pastoralisme contre les grands prédateurs ». On peut donc remarquer que ce réseau comprend différents degrés qui vont d'un niveau local à un niveau européen. Ce dernier semble être le but à atteindre pour être plus reconnus et mieux entendus.

2. Des camps qui s'affrontent ?

Ce projet a créé des camps et, comme le ton est monté, les discours et les positions se sont radicalisées. D'où les termes très forts utilisés pour caractériser ceux de l'autre camp ( par exemple « sectes du sauvage » ou « intégristes écologistes » d'un coté et « ultraspastoraux » de l'autre. Certes le projet de réintroduction a fédéré des gens, mais il en a aussi opposés. Au fil des années, les deux camps semblent s'être éloignés de plus en plus. Tout d'abord le dialogue paraît rompu, il n'y a plus de concertation et le Groupe National Ours qui devait permettre de trouver un terrain d'entente a été boycotté par les associations « anti-ours » et les élus opposés au projet.

Sur le terrain, les choses sont peut-être différentes notamment concernant le travail de « la pastorale pyrénéenne » qui s'occupe de placer des chien patou chez les éleveurs et qui tente de promouvoir la cohabitation. Je n'ai pas fait d'enquête de terrain de ce côté, aussi je ne peux pas en parler. Martine dit, au nom de ceux qui cherchent à promouvoir une possible cohabitation avec les ours: « on est pas cachés mais on est dans l'ombre parce qu'on peut pas s'afficher publiquement [...] on est à côté et pas entendus, pas reconnus » mais elle dit tout de même qu'elle trouve « qu'il y a une amélioration ». Cédric qui travaille dans l'équipe technique de suivi de l'ours, lui relate des relations difficiles avec le monde de l'élevage et même il semblerait que cela en arrive parfois à des menaces de mort par courrier à l'encontre du personnel de l'équipe. Ce qui apparaît, ce sont des tensions sur le terrain beaucoup plus marquées qu'il y a quatorze ans lors des premières réintroductions d'ours et qu'au fil des années, les relations entre les gens concernés sur le terrain semblent s'être distanciées. Dans le même ordre d'idées, M. et Mme Joly raconte que lorsque les prédations qu'ils ont eues chez eux ont été médiatisées, ils ont reçu des appels téléphoniques et des courriers anonymes de sympathisants de la cause des ours qui allaient aussi jusqu'aux menaces de mort. D'un côté comme de l'autre, il peut y avoir des relations difficiles entre défenseurs de la cause des ours et défenseurs de la cause des éleveurs. Ceci paraît être dû à une radicalisation de la situation et des positions de

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chacun.

B. Un projet commun pour le territoire pyrén éen70

Forts de cette fédération des gens opposés au programme de réintroduction, un projet plus global pour le territoire a été pensé notamment par certains politiques et par des leaders de mouvements associatifs, notamment à l'échelle du massif pyrénéen. Ils existe néanmoins des divergences de points de vue entre politiciens et les associations telle que l'Aspap. Ces personnes en sont les artisans et ils disent vouloir sortir du débat sur l'ours pour proposer une autre façon de concevoir le développement futur des territoires de montagne. C'est dans ce sens que dans « le Manifeste des Pyrénées » il est écrit : « Nous voulons et demandons qu'au lieu des groupes de travail spécialisés « ours et loups », soit créé un groupe de travail qui envisage comme une totalité le problème de la conservation de nos montagnes: en tenant compte des aspects environnementaux, économiques, professionnels et sociaux ». Ils estiment donc que ces aspects ne sont pas pris en compte dans les réunions organisées par l'Etat français dans le contexte de la réintroduction de l'ours.

Ce manifeste a été rédigé dans le cadre du refus de se joindre au « groupe national ours » organisé par l'État français. C'est-à-dire, plutôt que d'aller dans le sens de la création de zones où l'homme n'influencera plus le milieu naturel, ils souhaitent au contraire que soit plus développés les métiers de d'élevage et les productions de qualité. En utilisant des méthodes de production respectueuses de l'environnement, comme c'est déjà bien souvent le cas et en réhabilitant, en relançant les races domestiques adaptées au milieu. C'est en ce sens qu'ils disent vouloir interpeller les États français, espagnol et andorran et leur demander ce qu'ils souhaitent, quels sont leurs projets pour les Pyrénées. Ils estiment que le projet de réintroduction d'ours n'est pas compatible avec leur projet de développement et que c'est même une antithèse de ce qu'ils souhaitent mettre en place pour les Pyrénées. Ce projet qu'ils ont pour le territoire ils le partagent aussi avec ceux qui ont signé le « Manifeste des Pyrénées », dont un député du parlement catalan pour le syndic du Val d'Aran, Paco Boya qui a proposé aux associations et aux élus français signataires du Manifeste de mettre en place cette «plateforme transfrontalière » de concertation et de travail afin de réfléchir à un projet d'avenir pour les territoires de montagnes pyrénéens, sans attendre que les hautes instances politiques répondent à leurs attentes.

70 Voir aussi à ce sujet l'extrait du discours de Bruno Besche-Commenge en page 13.

80

Ici aussi, les « leaders intellectuels »du mouvement qui sont investis dans ce projet pour aller à l'encontre de celui que l'État est en train de mettre en place notamment avec le projet de réintroduction. Bruno Besche-Commenge en est un des artisans avec Marie-Lise Broueilh entre autres. Ils ont rédigé ensemble un programme, pour un projet pour les Pyrénées qu'ils ont déposé au niveau européen. Selon Bruno Besche-Commenge et ceux qui partagent les mêmes projets pour les Pyrénées, il faut « sortir du problème ours pour pouvoir en sortir ». Car l'ours serait le révélateur d'autres problèmes d'ordre plus général et c'est à ces problèmes qu'ils disent vouloir s'attaquer. Et finalement ils pensent que c'est grâce à l'ours que cela va pouvoir se faire puisqu'il a permis la constitution d'un réseau, qui a à peu près les mêmes idées, sur toute la chaîne des Pyrénées.

« Le meilleur moyen d'en sortir, c'est nous-mêmes d'en sortir [...] on a fait un gros boulot sur les problèmes de fond et le gros avantage, le seul avantage de l'ours mais c'est un avantage énorme [...] c'est qu'il a permis justement que des liens s'établissent entre des gens de la chaîne et sur les deux versants au demeurant [...] qui ne se voyaient pas ou peu ou qui ne se connaissaient pas et donc ça a créé un mouvement de fond au delà du problème ours. On est en train de mettre en place avec Marie-Lise (Broueilh) qui avait des réseaux dans les Asturies on a fait un lien avec eux là, et on en a un pas mal aussi au niveau Val d'Aran Catalogne. Ça permet donc de structurer quelque chose au niveau européen qui est le seul niveau d'ailleurs qui compte [...] aujourd'hui, ça a permis donc de donner quelque chose que chacun croyait plus ou moins de façon floue dans son coin [...] ça a permis de fédérer des gens qui avaient pas tous les mêmes solutions qui se rendaient compte de problèmes [...] ça a permis à ces gens de se rencontrer, de travailler ensemble et effectivement de mettre un truc en place qui au delà du problème ours va rester. » ( Bruno Besche-Commenge).

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE

De l'opposition au projet de réintroduction est né une association, l'Aspap, qui a mis en oeuvre différents moyens pour défendre la cause des éleveurs et faire entendre leur point de vue

notamment en utilisant un moyen de communication qui est en pleine expansion, une fête ayant

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pour thème la ruralité et la transhumance. La réutilisation de termes tels que développement durable ou biodiversité, à leur compte, semble également être un moyen de se faire comprendre et de revendiquer leur utilité pour le territoire. Et l'on a pu remarquer que des discours scientifiques en adéquation avec leurs arguments sont mis en avant afin d'apporter une légitimité à leur combat.

On a pu voir également comment le projet de réintroduction de l'ours a eu des effets plutôt inattendus. L'opposition d'une part de la population a favorisé en son sein plus de cohésion et plus de lien social. Avoir un « ennemi commun »: ceux qui veulent « prendre le contrôle du territoire » et un but commun: faire cesser le plan-ours, a resserré les liens d'un groupe (les éleveurs), et l'a rapproché d'un autre avec lequel les relations étaient jusqu'alors plutôt conflictuelles: les chasseurs. Mais, en contrepartie, cela a encore accentué l'altérité construite avec ceux qui soutiennent le projet de réintroduction.

Je n'ai pas parlé des implications politiques qui sont à l'oeuvre dans un tel mouvement et qui pourraient aussi être l'objet d'une étude. De même en ce qui concerne les stratégies individuelles des personnes impliquées dans le mouvement et qui pourtant doivent jouer un rôle important surtout en ce qui concerne certaines personnalités politiques. Il me paraît évident que des luttes de pouvoir et des quêtes personnelles sont également en jeu dans ce qui passe71.

Néanmoins, il apparaît clairement que l'opposition qui s'est mise en place contre le projet de réintroduction a enclenché un processus qui a abouti à une structuration apparemment solide du mouvement, dont l'action et l'influence vont au delà du contexte de la réintroduction. C'est comme une sorte de contre-pouvoir qui se serait progressivement mis en place avec un projet global

différent pour le territoire.

CONCLUSION GENERALE

Le traitement des données que j'ai recueillies m'a permis de constater qu'il existe dans ce contexte de réintroduction de l'ours différents groupes sociaux qui ont des façons très différentes et même parfois contradictoires de concevoir la nature qui les entoure et le territoire sur lequel ils

71 Farid Benhammou (2003), géographe, a décrit au sujet des opposants à la réintroduction de l'ours ce qui lui semble relever d'« une stratégie socio-professionnelle et politique pour le maillage et le contrôle du territoire, pour l'appropriation et la maîtrise de postes de pouvoir institutionnel et de ressources financières publiques ».

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vivent. Au delà des nombreuses nuances existantes m'ont semblé apparaître deux grandes tendances dont découlent deux conceptions de ce que sont l'écologie et le patrimoine naturel des Pyrénées à préserver; et par conséquent une approbation ou un rejet du plan ours. Dans ce contexte, le concept de protection de la biodiversité semble perdre son sens et nécessiter un débat éthique. Il en est de même en ce qui concerne la gestion des territoires de montagne et la notion de développement durable pour le territoire des Pyrénées, également liés à une certaine conception de l'écologie.

Dans le cas présent, des divergences d'opinions à propos d'un projet écologique de conservation de la nature ont donné lieu à de telles dissensions que dans les Pyrénées, ou en tout cas en Ariège, il semblerait qu'une sorte de contre-pouvoir soit à l' euvre, ce qui n'est pas dénué de conséquences dans le monde politique du département. Un sujet qui rassemble à ce point une bonne part de la population peut représenter une aubaine électorale afin de pérenniser une « place politique », et, d'un autre côté, les partis écologistes ariègeois risquent de perdre des voix dans leur propres effectifs.

Au delà de l'arrêt des réintroductions, c'est qui est revendiqué c'est donc le droit à gérer eux-mêmes le territoire sur lequel ils vivent et dont ils estiment qu'ils le gèrent comme il faut. C'est pour cela qu'ils se revendiquent comme des écologistes, non reconnus par le reste de la société. Et ils s'insurgent contre le fait que des écologistes dont ils ne partagent pas la vision de la nature souhaitent que certaines zones ne soient plus destinées aux activités humaines (comme la chasse ou l'élevage). Ils redoutent que le territoire sur lequel ils ont leurs activités soit géré par des personnes qui les considèrent comme nuisibles pour les espèces végétales et animales qui composent les espaces naturels du territoire pyrénéen. Selon les opposants au plan ours, avec un tel projet, on cherche à exclure l'homme de la nature.

L'enquête de terrain que j'ai réalisée ne m'a pas permis de déterminer de façon catégorique si la valorisation de la nature dans sa dimension humanisée, et la diffusion d'une telle conception des espaces naturels sont uniquement le fruit du discours des associations d'opposants. Mais je pense toutefois que l'on peut dire qu'elles y ont contribués. De même en ce qui concerne la mobilisation d'éléments identitaires qui permettent de revendiquer collectivement l'arrêt du projet de réintroduction et la valorisation en parallèle d'un patrimoine culturel comme « produit d'une histoire et d'expériences de la vie quotidienne »(Chevallier D. et Morel A. 1985).

Concernant les limites de ce travail, je dirai que les réflexions présentées dans ce mémoire sont principalement issues des témoignages que j'ai récoltés et qu'ils ne sont pas forcément représentatifs de tous les types de discours qui peuvent être faits sur cette situation. De plus,

accompagner les personnes en montagne aurait également permis d'autres observations et d'avoir une idée plus précise de leurs pratiques en lien au territoire. Et, la principale faille de ce travail est certainement le fait que l'enquête de terrain a été réalisée principalement dans le camp des opposants. Il serait, je pense, très intéressant de réaliser une enquête auprès des personnes qui vivent dans les villages de montagne, et recueillir leurs points de vue. Mais aussi auprès des personnes qui en Ariège oeuvrent en faveur de la cohabitation72 ou font partie d'associations écologistes, défendant le programme de réintroduction. Cela permettrait de voir si la situation évolue, si d'autres voies sont à l'oeuvre entre ce qui apparaît comme deux points de vue extrêmes sur une même d'une situation.

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BIBLIOGRAPHIE

BENHAMMOU, Farid et MERMET, Laurent 2003. « Stratégie et géopolitique de l'opposition à la conservation de la nature: le cas de l'ours des Pyrénées », Natures, Sciences, Sociétés, n°11, p.381393.

72 Notamment l'association La Pastorale Pyrénéenne qui s'occupe du placement de chiens patou chez des éleveurs.

CHEVALLIER, Denis et MOREL, Alain 1985. « Identité culturelle et appartenance régionale: quelques orientations de recherche », Terrain, n°5, p.3-5.

DUCLOS, Jean-Claude et MALLEN, Marc 1998. « Transhumance et biodiversité : du passé au présent », Revue de géographie alpine, Tome 86 n°4, p.89-101.

EYCHENNE, Corinne 2006. Hommes et troupeaux en montagne : la question pastorale en Ariège. Paris, l'Harmattan, collection « Itinéraires géographiques ».

GLAZER, Nathan and MOYNIHAN, Daniel P. with the assistance of SCHELLING, Corinne Saposs 1975. Ethnicity: theory and experience: [conference held at the American Academy of Arts and Sciences in Brookline, Massachusetts in October 1972]. Cambridge (Mass.), London, Harvard University Press.

LABOUESSE, François 1998. « La construction de nouvelles relations entre monde agricole et société : une approche à partir de fêtes de la transhumance », Ruralia, n°2.

LARRERE, Raphaël 1993. « Sauvagement artificiel », Le Courrier de l'environnement de l'INRA, n°21, p. 35-37.

MAUZ, Isabelle 2005. Gens, cornes et crocs. Antony: Cemagref, Montpellier: Cirad, Plouzané: Ifremer, Versaille: Inra, collection « Indisciplines ».

Annexe 1

84

Un peu d'humour...

Annexe 1 (suite)

dessin de Emilien Gauthier

Annexe 2

87

Carte de la répartition des ours sur le massif pyrénéen

source: Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage ( janvier 2006 )

Annexe 3

schéma de l'étagement montagnard

source : plaquette de présentation de la Fédération Pastorale de l'Ariège

Annexe 4

Plaquette de présentation des Pastoralies

Annexe 5

Plaquette de présentation des Rencontres des

Transhumants d'Europe

Annexe 6

Sommaire du bilan réalisé par Bruno Besche-

2-3

4-8

4-7 7-8 9-22 9-13 13-14 15-21

16-18

18-19

19-21

21-22

23-40

24-31

24

24-29

29-31

32-40

33-35

35-37

37-40

Mai 2008 -- ADDIP Coordination pyrénéenne -- Bilan: Ours? Avenir des Pyrénées? 1 140

ÉCOLOGIE, UN VRAI PROBLÈME MANIPULÉ DE FAÇON INQUIÉTANTE:
bilan de la situation créée aujourd'hui par le
Plan de restabration et de conservation de l'ours brun dans les Pyrénées 2006-2009
et conséquences pour l'avenir du massif

SOMMAIRE

Introduction : comment penser, et qu'y a-t-il à penser ?

1) - Pyrénées, biodiversité à visage humain et développement durable

I-A) - Les Pyrénées ne sont pas naturelles

I-B) - Mais de quoi parlez-vous : « Mère-nature » des mythes?

Ii) - L'ours brun, sa vie, son oeuvre ... pour ainsi dire

II-A) - L'ours, espèce juridique à géographie variable

II-B) - L'ours, espèce-parapluie

II-C) - L'ours espèce machine-à-sous

IIC-1) Asturies

IIC-2) Le Trentin

IIC-3) - L'ADET et les Pyrénées

C3-A) L'ADET et le « Broutard du Pays de l'ours n C3-B) L'Aoc Barèges-Gavarnie

C3-C) L'Aoc Osau-lraty et le Pé Descaous

B-D) Conclusion vue des Asturies : réintroduction = des millions = échec ..., III) - L'ours-alibi, ou des Pyrénées riches d'une biodiversité à visage humain ?

III-A) - Autre espèce non en péril : l'ours-lobbyiste

Ill-A1) Au niveau national

III-A2) Au niveau européen

a) - Le réseau: acteurs et chronologie

b) - L'étude WWF-LifeCoex de 1997 et ses suites

III-A3) L'ours végétarien

III-B) - Une biodiversité à visage humain

III-BI) - Savoir des troupeaux, savoir des hommes : un système agro-pastoral III-B2) - Autre voie ?... Exclusion humaine, sociale ... progrès en marche arrière

Ill - C) - Mais que veut la France ?

L'ADDIP remercie Bruno Besche Commenge, concepteur et rédacteur de ce rapport pour son enthousiasme, son énergie et bien évidemment, pour l'important travail réalisé.

91

Commenge pour 1'Addip

Annexe 7

A dupliquer et faire suivre, puis retourner à l'ASPAP 32 rue Général de Gaulle 09000 FOIX 06 30 29 90 86 aspap.contact@gmail.com wwww.aspap.info www.aspp65.com www.pyrenees-pireneus.com FEUILLE

Le Manifeste de Pyrénées

MANIFESTE DES PYRENEES.

NOUS, QUI VIVONS DANS LES PYRÉNÉES, NOUS ADOPTONS CE MANIFESTE :

1) - Depuis des centaines d'années les éleveurs et les habitants de ces montagnes ont modelé le paysage : vallées dessinées par les prés, forêts façonnées depuis des temps immémoriaux par le travail anonyme de nos ancêtres. Ils nous ont légué cet héritage : une biodiversité qui est le fruit de la culture pastorale, et du travail des femmes et des hommes de ces montagnes.

2) - Dans le premier Manifeste des Pyrénées, signé à Vielha le 31 mars 2006, nous avons déjà dénoncé les plans de réintroduction de l'ours et autres grands prédateurs qui nous ont été imposés sans aucune concertation, ni le moindre respect pour la volonté des habitants de ces vallées.

Depuis leur lancement en 1996, ces plans ont entraîné la réintroduction d'espèces animales qui ont affecté gravement l'activité dans ces montagnes. Ce faisant, on a oublié de prendre les mesures réelles et concrètes pour assurer la survie de secteurs d'activité qui sont, eux, aujourd'hui, les grands menacés de disparition dans les Pyrénées.

3) - Aux portes du XXI° siècle, à l'entrée du troisième millénaire, nous, habitants des Pyrénées, nous manifestons notre ferme conviction de vouloir continuer à exister dans des montagnes mi l'homme, comme il l'a fait pendant des siècles, occupera toute sa place dans un projet de vie digne et respectable. Nous ne voulons pas disparaître.

POUR CELA, NOUS VOULONS ET NOUS DEMANDONS ;

1) -- Nous voulons et demandons que les Administrations publiques utilisent les ressources publiques pour mettre en oeuvre des projets garantissant la présence des éleveurs et des activités traditionnelles dans nos montagnes, en tenant compte des facteurs sociaux et humains qui en dépendent.

2) -- Nous voulons et demandons qu'à l'avenir les principes de la biodiversité soient abordés dans une perspective globale de la réalité de nos montagnes, en tenant compte des facteurs environnementaux, sociaux, et économiques, afm d'assurer un développement durable sous tous ses aspects, et pas uniquement sous l'angle d'espèces emblématiques.

3) -- Nous voulons et demandons qu'au lieu des groupes de travail spécialisés « ours et loups », soit créé un groupe de travail qui envisage comme une totalité le problème de la conservation de nos montagnes : en tenant compte des aspects environnementaux, économiques, professionnels, et sociaux ; en associant des chercheurs et spécialistes de ces divers domaines et des acteurs représentatifs de l'ensemble du territoire.

4) -- Nous voulons et demandons que, compte tenu de l'échec social du programme Life, les Administrations responsables récréent dans nos montagnes les conditions qui prévalaient avant le début des opérations initiées en 1996, afin que, de façon définitive, soient écartés les effets négatifs qui pèsent actuellement sur nos économies et sur le développement durable de nos territoires.

Institutions publiques, représentants élus des populations, éleveurs, groupements économiques et associations, signataires de ce manifeste, nous le portons devant les diverses autorités de l'Union Européenne, de l'Etat espagnol, de l'Etat français, de la Généralité de Catalogne, du Gouvernement d'Andorre, et devant toutes les personnes et institutions concernées.

Manifeste établi en français, aranais, castillan et signé à Les, Val d'Aran, par les représentants français et aranais le 6 décembre 2008.

Nom, Commune

Signature

Nom, Commune

Signature

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I0.

 

20.

 
 

Annexe 7 (suite)

Annexe 8

Tableau extrait de l'ouvrage d'Isabelle Mauz : « Gens,

cornes et crocs ».

Annexe 9

Le programme du Symposium Life Coex

Annexe 9 (suite)

Accueil des participants Déjeuner

Discours d'ouverture

François Arcangeli, Maire d'Arbas et président de l'association Pays de l'Ours - Adet Christine Sourd, WWF-France

Présentation du programme Life COEX et synthèse des systèmes d'indemnisation des dégâts en Europe Annette Mertens, Istituto di Ecologia Applicata (Italie)

La stratégie de l'État pour améliorer la cohabitation Homme-ours dans les Pyrénées

Evelyne Sanchis Diren Midi Pyrénées

- Le point de grue d'un opposant Intervenant rr confirmer

Champions des mesures de cohabitation, champions de la contestation, éléments de compréhension du paradoxe français Alain Keynes, Pays de l'Ours Adet

Pause

Renforcement de la présence humaine sur les troupeaux ovins des Alpes françaises : bilan et perspectives du programme Pastoraloup

Jean-Luc Borelli & Yannick Giloux, FERUS

Les Techniciens pastoraux itinérants : bilan de 10 années d'actions en zone â ours

Frédéric Decaluwe et Gérard Rolland,

ONCES - Équipe Technique Ours

Les équipes d'urgence « Ours » en Croatie

Djuro Huber, Faculté vétérinaire de Zagreb (Croatie)

Discussion

Les méthodes de protection traditionnelles et modernes mises en oeuvre dans le cadre du Life COEX en Espagne

Belén Pliego, Fundacion Oso Pardo (Espagne)

Cohabitation homme-ours dans ie Trentin : 30 ans de gestion

Claudio Groff, Provincia Autonoma di Trento (Italie)

Modes de conduite des troupeaux : analyse et optimisation pour diminuer les risques

Blondine Milhau et Gilbert Guillet,

La Pastorale Pyrénéenne (ex ACP)

Discussion Pause

Élaboration de tests

comportementaux pour les chiens de:. protection adultes

Marie-Catherine Lederç Institut de (élevage, Pascal Cacheux, La Pastorale Pyrénéenne (ex ACP)

Le statut juridique du chien de protection

Alexandre Meybeck, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche

La mise en place et le suivi des chiens de protection, les spécificités pyrénéennes

ÇyprienZaire, La Pastorale Pyrénéenne (ex ACP)

La problématique e chiens errants » au Portugal

Silvia Ribeira, Grupo Lobo (Portugal)

Discussion

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Annexe 9 (suite)

Au choix :

Démonstration Chiens de troupeaux (conduite et protection)

: Sortie terrain ,< Écotourisme avec un accompagnateur en montagne du Pays de l'Ours »

Déjeuner

97

Une définition de l'écotourisme

Spyros Psaroudas,Callisto (Grèce)

Programme d'écotourisme et valorisation des produits du Parc National des Abruzzes

Daniéla D'Arnica, Parco Nazionale d'Abruzzo, Lazio e Molise (Italie)

L'écotourisme lié au loup : méthodologie et résultats des premières expériences portugaises

Clara Espirito Santo, Grupo Lobo (Portugal)

Impact économique des grands prédateurs pour les populations locales en

Bulgarie -

Aleksander Dutsov (Bulgarie)

Le réseau des Professionnels du z< Pays de l'Ours

Alain Keynes, Pays de l'Ours Ader

Entre tourisme et science, le projet Altaïr-nature.

Frantz Breitenbach, Altaïr-Nature

Discussion Pause

La perception des grands carnivores en Europe :éléments de synthèse

Jean Paul Mercier, Pays de l'Ours -Ader

Le Plan de gestion de la population d'ours bulgare : un exemple de concertation

,Alistair Bath, Memorial University of Foundland (Canada)

Cohabitation ours et loups en Slovaquie : solutions envisagées aux problèmes rencontrés depuis la restauration de ces populations

Robin Rigg, Slovak Wildlife Society (Slovaquie)

Projet lié à la cohabitation en Albanie (étude sur le vécu des populations rurales dans les zones de présence des grands prédateurs)

Alexander Trajçe, Protection and Preservation of Natural Environment in Albania (Albanie)

Discussion

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Annexe 9 (suite)

L'ours et la valorisation des productions locales pyrénéennes

Evelyne Falguière, Midi marketing

Le fromage fermier dés vallées â ours : Pè Descaous

Jérôme Ouilhon, FIEP Groupe Ours Pyrénées

Le broutard du Pays de l'Ours

Catherine Lacroix, Estive do Pays de l'Ours

Pause

 

Les produits labellisés «Ours» : un outil pour améliorer l'acceptation locale en Croatie

Duro Huber, Faculté vétérinaire de Zagreb (Croatie)

La valorisation des produits locaux avec l'image du loup au Nord du Portugal

Maria Ana Borges et Clara Espirito-Santo, Grupo Lobo (Portugal)

Discussion

Présentation et analyses des actions Life COEX menées en Italie

lEA (Italie)

Présentation et analyses des actions Life COEX menées au Portugal

Grupo Lobo (Portugal)

Présentation et analyses des actions Life COEX menées en Espagne

FOP (Espagne)

Présentation et analyses des actions Life COEX menées en Croatie

Faculté vétérinaire de Zagreb (Croatie)

Présentation et analyses des actions Life COEX menées en France

WWF France

Discussion

Déjeuner

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Annexe 10

Extrait des résultats d'une enquête sur l'efficacité des

chiens de protection réalisée entre 2003 et 2005

(source : plaquette éditée par Pays de l'Ours-Adet dans le cadre du programme Life Coex
« améliorer la coexistence entre les grands carnivores et l'agriculture en Europe du Sud »)

Annexe 10 (suite)

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Annexe 11

Adresses de sites internet

www.ours.ecologie.gouv.fr (site du ministère de l'écologie consacré au programme de réintroduction) www.paysdelours.com (site l'association Adet, pays de l'ours qui coordonne la mise en oeuvre du plan-ours)

www.ferus.org (association nationale pour la conservation de l'ours, du loup et du lynx en France) www.loup-ours-berger.org (la Buvette des Alpages, site de promotion de la cohabitation entre l'homme, la nature et les grands prédateurs)

www.aspap.info (site de l'association l'Aspap opposée aux programme de réintroduction) www.aspp65.com (site de l'association l'Aspp65 opposée au programme de reintroduction) www.pyrenees-pireneus.com/Ours_des_Pyrenees.ht m

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Annexe 12

L'entretien de Laurent

L'entretien a lieu un matin du mois de mai environ quinze jours après le début des premières prédations de l'année Laurent, qui a environ 50 ans, est éleveur de brebis et de porcs avec sa femme en haute Ariège à environ 900m d'altitude, l'exploitation se situe en zone intermédiaire. L'entretien a lieu à son domicile. Les bâtiments agricoles sont aux abords de la maison. La pièce principale est à la fois cuisine et salon et l'on s'installe autour d'une grande table en bois. La discussion démarre autour d'un café.

L: vaste sujet hé...y'a quand même un paquet de facettes hein..c'est pas l'ours en tant que tel hein... E: tout ce que ça révèle autour...

L: oui et c'est toute une situation heu...économique, géographique, c'est la vie pastorale heu... (pause)...c'est tout un système en fait...c'est tout un système heu qui est qui est en place depuis des siècles et donc heu...qui est ce qu'il est et qui évidement subit la crise comme beaucoup d'autres secteurs quoi et heu et puis à côté de ça des décisions politiques qui sont prises à haut niveau [...]

E: Est ce que tu pourrais me raconter en fait l'histoire ou les histoires que vous avez eu vous avec les ours ?

L:...(pause)...oui en fait heu moi je veux bien mais c'est heu...j'allais dire c'est heu les histoires c'est quoi ? Les faits divers en fait ? le vécu ?

E: heu oui ce qui vous est arrivé ici quoi?

L: la perception qu'on en a eu, comment on l'a vécu quoi... E: oui...

L: ...(une pause puis une grande inspiration et expiration)...ouais ça c'est très personnel...parce que je m'aperçois que d'un individu à l'autre heu...le le comment dire...les les sont très, les motivations, les réactions ...sont différentes, enfin sont différentes...ouais...après chacun le formule comme il peut selon selon ce qui fait et selon son vécu heu...(pause)...nous au début on l'a perçu comme heu heu...comme une atteinte à à...comme une atteinte à notre travail voilà...dans le mesure où on considère que...et on vit heu...la constitution, l'élaboration, la construction d'un troupeau comme un travail de...de pfff...je vais dire de toute une vie...(pause) donc quand on a eu les premières attaques, ça ça m'a beaucoup touché parce que j'ai pas compris et et je ne...à vrai c'est je...c'est une question de principe je supporte pas...qu'on... qu'on détruise qu'on touche au, comment dire à...à la production d'autrui... au travail d'autrui...quand je dis travail je dis tu vois c'est heu...(pause)...pour moi c'est pas...c'est pas contraignant c'est pas péjoratif, péjoratif:je devrai pas dire ça...C'est heu...c'est plutôt ça fait plutôt appel à la créativité de l'individu, pour moi le travail...hein tel que je l'entend...donc heu dans ce cadre là...nous ici la vie telle qu'on a choisi de...de l'avoir heu...depuis des années...c'était heu...une recherche d'équilibre heu...une recherche d'harmonie avec tout un

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milieu naturel et évidement avec un contexte social heu...et heu donc comme la base de notre économie c'était heu un troupeau d'ovin transhumant...c'était l'amélioration du foncier et heu..enfin tout un un équilibre en fait entre heu...entre un pays et des gens...heu...nous on a ressenties ces attaques comme heu comme heu comme une atteinte voilà...et c'est vrai que moi ça ça...dès le début ça m'a révolté heu...surtout dans la mesure où...jusqu'alors heu je m'étais pas méfié...de...quand j'avais entendu parler de réintroduction d'ours j'étais heu, j'allais dire innocent on s'est pas méfié du tout bon heu évidement qu'y a pas eu de concertation tu dois le savoir même si par ailleurs on dit que les populations, j'pense que les les cartes étaient jouées heu bien après que le...bien avant que tout soit mis en place...(pause)...hein c'était qu'une façade de hum...comment dire de...relations démocratiques avec la population...du terrain...en fait avec les acteurs principaux hein...c'est à dire tous les pastoraux et puis tous les gens qui gravitent autour de la question pastorale et de la vie pastorale...et heu...donc c'est déjà heu un choc heu...et ensuite c'est un souci heu supplémentaire heu de heu...allez on va dire de...d'avril à novembre...dans la mesure où le fonctionnement du troupeau heu veut que...à certaines périodes y'a...tout le troupeau en plein air...en...en extensif hein...heu...donc évidement il est beaucoup plus vulnérable qu'un troupeau qui est rentré tous les soirs et qui est gardé dans la journée et ça bon ça c'est impossible faut faut pas rêver on est tout seul et heu 400 brebis plus heu pas mal d'autre heu boulot heu...(puis il reprend sur un ton plus haut et plus énergique.) donc ça a été un souci permanent de pendant de...2000 à maintenant hein...ça s'est un peu calmé là...depuis deux ans...(pause) alors évidement d'une année sur l'autre depuis depuis 2000 disons que ça en 2000 heu...2000, 2001, 2002 heu là on a eu des prédations (sur un ton qui veut dire qu'il y en a eu beaucoup) régulièrement hein...des cartons...alors bon moi je comprenais pas...des des...(soupir)...des bêtes tuées pas bouffées du tout heu...hum...et à côté de ça évidement un système heu...qui est mis en place depuis longtemps heu...avec heu toute politique de médiatisation heu...et de...heu...d'utilisation de l'emblème de l'ours du du du nounours de l'enfance , de chaque individu et cetera et cetera heu...pour faire passer la pilule quoi, moi je comparais ça au début à...à la mise sur le marché d'un...d'un yaourt bio...(pause)...le plus malheureux dans l'histoire heu hormis tous les gens qui étaient touchés heu c'était qu'on se servait de ces ours pour véhiculer et pour faire passer sûrement d'autres heu enjeux...(pause)...d'autres enjeux que l'emblème des Pyrénées...hein je pense vraiment et puis les recherches qu'on a faites l'on montré, y'a eu comment dire des tractations à haut niveaux entre des élus locaux, conseillers généraux, conseillers régionaux sur des aménagements des infrastructures, d'aménagement du territoire et puis la la réintroduction, l'introduction d'ours slovènes dans les Pyrénées...(pause)...heu voilà maintenant heu...avec un peu de recul quand même et puis heu le combat qu'on a mené depuis 2005, qui était beaucoup plus structuré au sein de l'Aspap heu...heu qui s'avère heu pour beaucoup de de heu de gens la population hum...j'allais dire classique heu...pas forcément des gens de terrain, que c'est une histoire un peu...heu...qui s'emberlificote dans des ...dans des des schémas, des raisons, des raisonnements heu qui tiennent de moins en moins la route, hein parce que je pense qu'au niveau conservation, protection de l'environnement y'a d'autres choses à faire de plus important, beaucoup plus important que de réintroduire des ours slovènes dans les Pyrénées...bon je pense notamment à...à la question des déchets nucléaires heu...bon à une agriculture raisonnée, enfin bref je vais pas énumérer tout ça...donc quand on nous met en avant la protection de l'environnement derniers défenseurs ou dernier maillon de la chaîne...protection de la biodiversité heu bon ça nous fait rigoler quoi...parce que la biodiversité dans les Pyrénées c'est pas heu...(rires)...c'est pas la...l'introduction d'ours, loin s'en faut, heureusement d'ailleurs...heu...voilà...en gros heu j'pense que cette histoire ça va se finir en noeud de boudin..y'a un certain nombre d'ours qui sont là mais ça ça heu ça représente une population qui est pas...viable pour pouvoir heu se perpétuer se régénérer à long terme sans problème de consanguinité...heu je pense que pour heu vraiment pour aller pour que que...les les les

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défenseurs de cette opération heu heu soit soit comment dire heu...poussent jusqu'au bout leur processus faudrait qu'y ait heu facilement 50 ours...heu à l'heure actuelle introduire des ours quelle que soit la zone des Pyrénées heu ça me paraît hypothétique parce que parce que pour un tas de raisons...(profonde respiration)...donc il y a cet espèce de statu quo heu...non volontaire heu je pense que la situation va pourrir...[...]...moi je je je ressens mais ça, c'est tout à fait instinctif hein heu...une fois de plus on aura une espèce d'opération qui aura fait beaucoup de bruit qui aura quand même monté heu...des gens les uns contre...enfin monté...si opposés des gens les uns contre les autres heu...heu qui aura...bon au niveau financier n'en parlons pas heu...qui aura fait dépenser beaucoup d'énergie heu...qu'on soit loin mais alors vraiment loin du...du résultat qu'on nous avait promis et puis qu'on avait laissé envisager heu...bon heu...pour la population en général...

E: c'est à dire...les retombées heu...positives...?

L: bah déjà des des des...l'emblème des Pyrénées qui allait faire venir les touristes heu les gens ils verront jamais un ours heu...bon heu moi je pense que si ils veulent voir des ours heu...ou ils vont dans un pays étranger où y'en a en pagaille où c'est organisé..ou alors on se donne les moyens ici de...enfin l'État se donne les moyens de de structurer heu...je sais pas entre 10 000 ou 5000 hectares heu dans les Pyrénées ça c'est...heu c'est possible et faire un immense parc de vision et voilà d'en faire une activité économique et puis heu d'y mettre des ours qui seront heu...pénards... (pause)...mais heu ce qui a été fait à mon avis c'est heu ça ça a été mal fait, ça manque complètement de bon sens et puis heu le plus grave c'est heu...ça a été heu un mépris heu...de de tous les acteurs de terrain...et qui font que les Pyrénées sont ce qu'elles sont ou qui qui perpétuent heu et qui maintiennent heu...ce qu'ont fait leurs prédécesseurs...et à mon avis heu c'est c'est c'est ce qui fait venir les les visiteurs hein après l'ours des Pyrénées c'est un emblème c'est heu...ça reste du domaine de...(pause)... maintenant de l'imaginaire quoi voilà...(pause) surtout quand on sait la fréquentation qu'il y a dans les Pyrénées entre les stations de ski et les les heu les déboisement qu'il y a eu les pistes forestières heu les pistes d'accès au estives heu le nombre de gens qui fréquentent la montagne heu...de très tôt jusqu'à très tard dans la saison, les pêcheurs, les randonneurs, tout ça heu...voilà c'est vrai que c'est sûrement...un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais bon heu c'est comme beaucoup de choses heu de l'existence du règne végétal animal voilà c'est comme nous...heu un jour ou l'autre heu y'a quelque chose qui s'éteint ...bon je le vois comme ça...p't'être que c'est à ce moment là mais heu maintenant on peut tout dire heu...à cette époque là qu'il aurait fallu des mesures de conservation plus draconiennes heu se pencher sur le problème...en attendant le constat c'est que...heu y'a j'sais plus 3, 4 ours autochtones qui tournent en rond heu...qui sont en consanguinité heu...heu heu et voilà...après heu les prédations...c'est c'est c'est j'allais dire c'est du fait divers c'est...le fond du problème il est pas là...le fond du problème c'est une perturbation heu...énorme de tout un équilibre qui est, qui reste fragile qui reste fragile malgré tout parce que c'est des conditions géographiques des conditions météorologiques qui font que...l'agriculture l'élevage de montagne heu...et encore plus l'utilisation des grands territoires, les estives heu...restent quelque chose de très fragile...très très fragile et le moindre heu...grain de sable peut venir bloquer toute une dynamique...voilà...[...]... et heu...il suffit aussi de regarder dans les Alpes avec le loup c'est un peu le même heu...c'est un peu le même constat heu...même si le loup heu...peu importe est réapparu naturellement ou pas alors là le débat reste toujours ouvert... mais heu je dirai même que c'est encore plus grave parce que les attaques de loup c'est vraiment heu...heu...d'après tous tous les témoignages que j'ai entendu ce que j'ai pu voir c'est c'est...c'est pire voilà...c'est pire et y'a des gens des jeunes qui veulent plus s'installer qui avaient décidé de reprendre heu...l'exploitation familiale heu y'a des gens qui sont au bord du du du...(soupir)...j'allais

105

dire du désespoir parce que parce que quand une meute de loup intervient et que y'a 20, 25 ou 30 bêtes sur le carreau heu y'a quand même eu depuis plusieurs années j'sais pas combien des milliers et des milliers de brebis heu...

E: ça fait plus de dégâts...?

L: ça fait plus de dégâts et et et donc le choc est plus rude hein...(pause)...et l'État actuellement avec ce problème du loup ne sait plus du tout comment le gérer parce que la population est en constante augmentation et heu quand ils vont être en surpopulation dans les Alpes heu ils vont commencer à chercher ailleurs et c'est ce qui se passe d'ailleurs parce que il en a traversé la vallée du Rhône heu et puis ça a redescendu là sur heu les Pyrénées Orientales heu...et heu nous c'est un de nos plus gros souci heu...que le loup arrive dans...très prochainement...(pause)...alors heu je sais pas y'aura des réactions heu pfff...après tout dépend de du caractère des individus hein heu y'en a qui vont résister heu...y'en a qui vont baisser les bras heu...y'en a qui vont s 'organiser comme on l'a fait, comme on a su le faire..(pause)...heu on..et puis heu...j'espère du moins que heu l'homme trouvera heu les ressources qu'il a toujours eu heu dans ces cas là...ça date pas d'hier et puis heu y'en aura d'autres devant un élément extérieur qui vient heu qui vient perturber heu sa vie son économie heu...il saura trouver les moyens heu je sais pas comment pour heu remettre un équilibre à tout ça...(pause)... mais en attendant heu c'est un c'est un souci de plus, un souci de plus et et et un souci qui est imposé par heu qui est imposé et ça moi je le heu ça j'avoue heu je revendique je le vie...ça ça me révolte, ça me révolte parce que je ressens ça comme une heu...une injustice...malgré tous les discours qu'on nous fait...parce que les premières popula...les premières personnes qu'on aurait du écouter et concerter c'est c'était nous c'était les gens de les gens du terrain et bon, maigre consolation je m'aperçois que dans d'autres domaines c'est la c'est la façon de faire d'un État...on décide heu on organise heu heu...on assène la décision et ensuite heu heu on...on met en place un simili heu un simili concertation heu voilà heu on veut se donner des allures de de processus démocratique, mais en fait heu tout est joué d'avance quoi...et ça ça c'est pas bon...à mon avis c'est pas bon du tout pour heu...pour les relations entre heu...une population, son gouvernement, ses élus heu...c'est pas bon on peut pas faire ce genre de trucs si y'a pas un climat de de confiance réciproque...donc heu nous heu quoi qu'il en soit heu...enfin quand je dis nous, nous c'est heu...c'est les éleveurs de montagne concernés hein les gestionnaires d'estives et cetera on reste très heu vigilants...très très vigilants sur la moindre déclaration, sur tout ce qui va se passer...heu voilà...(pause)

E: et en fait heu...vous avez eu des attaques sur l'estive et ici ?

L: ici...le 28 avril là ici...là en ce moment heu en ce moment...tout le monde est dehors plusieurs lots là, j'ai trois lots heu...y'a un gros de bêtes vides...donc qui ont pas d'agneaux et qui sont heu qui sont dehors là sur une zone de 100 hectares là et sont sous un régime heu d'association foncière pastorale...

E: c'est loin d'ici ?

L: en face là...(il me montre le versant de la montagne où se situe leur exploitation mais plus haut dans la pente) tout ce joli bout de montagne...[...] donc j'y étais ce matin j'y suis tout les matins à heu six heures moins le quart, six heure, la pointe du jour...bon je prend le troupeau et je lui donne une direction et le soir je vais voir où elles sont et et voilà le 28 avril heu j'étais pas loin en fait de du cadavre, c'est un randonneur qui l'a trouvé et aussitôt après il est parti sur heu S., le

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lendemain...et la veille...oui la veille donc ça devait être le 27 dans la nuit...27 au 28 parce qu'il a attaqué du 28 au 29...il a été vu traversant la nationale à l'entrée de P. ...donc il venait de l'autre côté, côté V....

E: hum hum...vous avez fait faire une expertise ?

L: Oui oui ils sont venus le le 29...oui oui y'avait pas photo quoi...on est trop habitué maintenant...on le voit tout de suite quoi...sans être des experts...donc heu voilà heu...en 2007 heu il était resté un moment ici...j'avais eu trois attaques sur les ruches et au moins trois quatre bêtes...

E: c'est toujours à cette période, à la même période ?

L: ouais parce qu'après les troupeaux sont en montagne donc il monte.. [...]

L: ...mi-mai, fin-mai, début juin, les bêtes sont dehors hein...on les rentre plus dedans elles ont plus de foin elles ont à manger dehors et c'est c'est un système heu...je veux dire heu traditionnel...

E: et après l'estive, vous les mettez en estive pas loin d'ici aussi non ?

L: heu c'est pas loin, si c'est loin et pas loin y'a pas de route à traverser heu mais c'est quand même relativement...haut c'est ça fait parti de la commune de S. je peux y accéder par la piste là qui continue...en partie...et après y'a deux heures, deux heures et demi pour arriver à la première cabane mais là pareil y'a 3000...heu cette années y'a à peu près 3400 bêtes hein y'a deux bergers...l'an dernier y'avait eu une attaque heu...très tôt...tout début juin..et une autre heu...en début aussi au mois de juin et après dans l'été y'en a eu une...deux...trois...

E: vous êtes combien d'éleveurs sur l'estive ?

L: quatorze...

E: ah oui quatorze quand même...ça fait un gros troupeau....

L: ouais 3400 bêtes je dis...petites et grosses c'est à dire les mères et les agneaux heu...des jeunes heu...mais heu bon c'est c'est...une perturbation de plus parce que bon les troupeaux sont tranquilles en montagne heu...les les deux jeunes qui font leur boulot, quand il y a une prédation bon y'a les vautours heu bon il faut heu faut dissimuler la carcasse enfin le cadavre...sous une bâche en plastique parce que sinon les vautours en une heure ils ont tout grignoté heu...il faut téléphoner aux experts, faut qu'ils montent, c'est du temps perdu heu... heu...c'est du temps perdu voilà ...que les bergers consacrent pas à leur boulot quotidien et et puis ça perturbe le fonctionnement de l'estive quoi...

[...]

L: ...mais heu voilà ce qui fait un peu notre heu...spécialisation ce sont les agneaux qui descendent de montagne...on fini pas au grain ou aux céréales heu..les agneaux engraissent naturellement là-

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haut..ça c'est un peu une spécificité et heu on a les clients pour ça... E: parce que les clients demandent justement...

L: ouais des agneaux qui ont justement ce goût de réglisse heu de de d'estive d'altitude quoi...bon on a la chance d'avoir une très bonne estive aussi...tous tous les territoires d'estive ont pas la même qualité fourragère hein...la notre pour ça on est bien lotis, disons...

E: et vous avez toujours fonctionné comme ça avec un système de transhumance ?

L: oui...ici placés comme on est on pourrai pas faire autrement...non...avec la race qu'on a...puis c'est des terrains pauvres ici...c'est très c'est des terrains très légers...heu pour nous l'estive c'est le poumon, c'est le poumon de l'exploitation , ça y'a pas de doute là-dessus...les bêtes montent début juin jusqu'à fin septembre début octobre et heu elles font leurs réserves de de...d'un paquet d'éléments qu'elles n'ont pas ici heu..quoi qu'on leur donne hein parce que la flore est particulière heu...C'est une flore d'altitude heu...les bêtes sont habituées ce qui est énorme elles sont habituées à un territoire donc heu...

E: cette race ou ce troupeau, c'est la race qui fait ça ?

L: la la race fait que au moi de mai, elles pensent qu'à une chose c'est monter...ça c'est la tarasconnaise hein...si vous gardez la tarasconnaise en bas dans les parcs en bas elle s'ennuie quoi c'est comme la chèvre de Monsieur Seguin ça...hum..et après le troupeau évidement...depuis maintenant 25, 30 ans qu'on monte elles sont habituées au territoire donc heu elles reconnaissent très vite leurs repères heu...donc là-haut y'a quand même du boulot de surveillance hein..on garde pas un troupeau serré comme on pourrait garder en bas ça ça ça existe pas et dans le livre de justement de Corinne Eychenne c'est très bien expliqué ça...(pause)...

E: le fait que...?

L: que les bêtes doivent être laissées libres en montagne...mais contrôlées, hein libres c'est pas heu à l'abandon...voilà autant pour les vaches que pour les les brebis...(pause)...la liberté ça n'a pas de prix...(pause)...après c'est du boulot parce que faut être toujours sur le terrain heu...regarder où c'est..par quartier, parce que c'est immense, y'a des heures de marche y'a des endroits difficile d'accès...une partie basse plus facile mais une partie haute heu...assez difficile donc heu il faut une condition physique et puis il faut il faut connaître le terrain...mais heu...moi c'est ce que j'ai choisi de vivre depuis longtemps donc heu...voilà c'est le bonheur...

E: ça fait longtemps que vous êtes installés ici ?

L: ça va faire trente ans...

E: vous êtes pas né en Ariège ?

L: non...non non je suis du Lot-et-Garonne...(pause)...

E: et donc vous avez décidé de venir ici...?

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L: les hasards de la vie...on va dire...voilà bon ça aurait pu être ailleurs mais ça aurait été en montagne quoi qu'il en soit...puis c'est une recherche de qualité de vie quoi...voilà...et puis comme je disais tout à l'heure c'est...heu...une recherche d'équilibre heu...d'équilibre...donc c'est pour ça que ça me fait un peu sourire quoi toutes les histoires qu'on nous raconte sur la biodiversité l'écologie heu...en montagne on peut pas être autrement...heu...de pratiquer une écologie quotidienne...parce que la moindre erreur se paye au prix fort...il faut respecter...

E: c'est à dire...par exemple ?

L: il faut respecter hé ben heu par exemple...y'a des choses qu'on fait des travaux qu'on fait à une certaine époque heu on prévoit le temps qu'il va faire heu...c'est beaucoup d'observation beaucoup d'écoute de gens qui ont vécu déjà sur place...beaucoup de connaissance du terrain, connaissance de la flore du sous-sol...heu des expositions heu...des saisons...voilà c'est c'est tout un équilibre...qui est encore plus fragile dans des zones comme ici...oui parce que...ne serait-ce qu'au niveau météo ça peut changer très vite et ça peut être très vite heu...heu compliqué, astreignant et heu donc faut prévoir on fait pas n'importe quoi et comme c'est heu...peu mécanisable, c'est c'est de l'extensif heu je dirai heu raisonné...et heu moi j'pense vraiment qu'on fait un boulot d'intérêt public parce que...si on était pas là c'est c'est la friche, déjà qu'elle y est c'est c'est une heu un combat perpétuel avec la friche avec l'enfriche ment quoi ...et puis c'est aussi une transmission de du savoir-faire...(pause)...

E: transmission heu...l'envie de transmettre...?

O: voilà heu par rapport...aux jeunes bergers heu...qui sont...qui sont...dans le...puisqu'il y a un stage heu de formation berger-vacher et où j'interviens en tant que...professionnel parce que c'est important que y'ait des jeunes qui continuent et puis qui ont envie donc heu...faut leur amener les moyens les outils les connaissances quoi...parce que la la la vie pastorale heu le système pastoral c'est quand même heu la clé de voute de toute une économie montagnarde hein...et y'a beaucoup d'activités qui gravitent autour...donc si les chemins les pacages sont abandonnés c'est vite la la déprise c'est la forêt qui reprend le dessus heu et heu c'est heu...c'est la friche quoi...et heu les utilisateurs de la montagne heu...la friche heu...ça les intéresse pas...ça les intéresse pas...alors là est ce qu'on veut faire des Pyrénées des montagnes sauvages ou si on veut continuer à ce qu'y ait des gens qui viennent heu s'y promener heu...passer les vacances, découvrir les populations ou découvrir le territoire...en fait c'est...le fond du problème il est là...et si tout ça c'est perturbé par heu...des réintroductions de prédateurs heu...je pense pas que ça aille dans le sens d'un développement économique qui est qui existe c'est une dynamique...malgré heu...heu les moyens de préventions qu'on..les indemnisations hein le problème n'est pas là...c'est pas un problème d'argent...c'est un problème de volonté humaine heu...savoir ce qu'on veut faire...et je pense que...c'est d'abord aux gens du terrain aux acteurs locaux à à donner leur avis sur la question...donc heu c'est un choix politique...quelle politique on veut pour heu...le massif pyrénéen...(pause)...

E: et heu est ce que vous pourriez me parler un peu de l'Aspap ?

L: bah l'Aspap heu..l'Aspap c'est heu...heu c'est à un moment donné la création d'une association qui heu...qui a structuré toutes ces...toutes ces révoltes...individuelles...(pause)... alors c'est vrai que c'est c'est parti en Ariège et surtout d'abord en Haute-Ariège donc heu ici hein...entre Tarascon et ...et Merens quoi et Ax...p't'être parce que y'avait heu c'est pas là que les prédations ont vraiment

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commencé à à être mis en exergue hein...c'était le Couserans d'abord heu...je m'en souviens bien...et pt'être que tout simplement y'avait quelques individus heu dans cette zone là heu qui heu j'sais pas qui ont eu l'énergie et puis la perspicacité de de de...de mettre cette association sur pied et puis de définir des objectifs et de rassembler en fait toutes ces énergies heu qui étaient un peu heu...de droite et de gauche heu qui étaient individuelles quoi...et l'individuel quand heu on veut...combattre une opération pareille heu...qui est menée qui est décidée depuis longtemps par un État par des règlements et et c'est coton...donc heu il vaut mieux être heu...organisés on est plus efficace, et heu je pense quand même que...on a marqué pas mal de point...même si y'a des actions qui ont pu paraître heu...un peu dures heu...je pense qu'il fallait qu'elles soient, qu'elles existent à ce moment là...de toute façon c'est un combat c'est un combat...heu...et un combat heu...on y va pas comme ça à l'aveuglette heu...y'a une stratégie y'a des objectifs heu y'a une dynamique heu...heu...l'Aspap a su mettre tout ça sur pied et puis l'insuffler hein...moi je j'en voudrai pour preuve heu..ce que ça a suscité sur toute la chaîne pyrénéenne quoi on a quand même coordonné heu les mouvements qu'il y avait similaires dans d'autres départements hein heu la Haute-Garonne, les Hautes-Pyrénées heu...le Béarn heu...Pyrénées Atlantiques heu..on s'est retrouvés au sein de l'Addip...l'Addip c'est quand même une coordination pyrénéenne hein heu bon...les politiques s'y sont mis aussi hein tous les conseillers généraux heu...les maires heu...ça fait de l'énergie tout ça...heu...(pause)...et j'allais dire on est un interlocuteur incontournable...parce qu'au sein de l'Aspap heu...y'a des bon heu...y'a beaucoup de gens qui réfléchissent et qui savent que...un combat ça se mène pas tout seul... (pause)...c'est le combat heu...de toute une population heu... montagnarde...(pause)...et surtout surtout ce sont des gens...bon heu...ce sont des gens du terrain, des acteurs locaux que ce soit, évidement des des gens heu concernés par l'élevage l'agriculture en montagne et aussi les gens du tourisme...des pêcheurs des chasseurs, les chasseurs de plus en plus là en ce moment...ils montent au créneau...depuis le temps qu'on leur dit mais...(pause)...il faut savoir quand même que l'Office National de la Chasse ils sont partenaires de cette opération de d'introductions d'ours slovènes hein...mais heu les fédérations départementales heu...elles se rebellent de plus en plus parce que heu ils s'aperçoivent que...va y avoir des zones interdites de chasse quand il va y avoir par exemple l'ourse avec ses petits et et bon heu...le passé l'a montré hein...quand il y a eu le tir sur Balou heu...tout le monde savait que l'ours était dans le secteur de la battue, le préfet en premier quoi...et il a rien fait pour l'interdire heu parce que parce que les chasseurs c'est quand même un sacré lobby...

E: et pourquoi il l'a pas interdit alors...?

L: je pense qu'il y aurait eu une levée de boucliers et heu...qu'il avait pas besoin..résultat heu l'ours a été blessé et et le chasseur heu il a pas été inquiété...c'est pas un hasard hein...(pause)...y'a un tas d'incohérences et puis d'une année sur l'autre les les les...le fossé se creuse en fait...moi je pense qu'il aurait été tout à l'honneur d'un État de dire heu...heu...on a p't'être fait des erreurs heu on va remettre les choses à plat et on gèle le moratoire heu...et cetera et cetera...on s'assoient autour d'une table et on regarde comment on peut faire...mais non non non (grande respiration) ils sont restés campés sur leurs positions heu alors est-ce que la pression des associations de défense de l'environnement ont heu je sais pas heu y'a sûrement des intérêts...qu'on connait pas...forcement qui rentraient en jeu et et y'a une situation qui s'entérine et qui est pas bonne quoi...pas bonne du tout... (pause)...et puis on s'aperçoit quand même que malgré tout ce qu'on dit heu...l'introduction d'ours dans les Pyrénées heu c'est pas un facteur de développement économique ça c'est des masturbations d'intellectuels, enfin quand je dis d'intellectuels, j'ai rien contre les intellectuels, évidement mais heu...quand je dis intellectuel je pense à des gens qui... voient ça heu...du du du...depuis leur bureau ou depuis leur heu depuis leur maison qui ont rien à voir avec le terrain et qui savent pas comment

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ça se passe et heu (soupir)...qui qui sont un peu aveuglés par heu l'image heu...emblématique de l'ours des Pyrénées qui revient chez lui (rires prononcés)...mais ça je pense que ça fait parti d'une des facettes de notre époque hein...on est très portés sur l'image et sur les emblèmes hein...sur le...la façon de paraître...mais faut pas faut pas s'amuser avec ça....les gens qui en parle le plus c'est les gens qui ont rien à voir avec la réalité du terrain..faut écouter les gens de terrain...c'est un truc tout simple hein c'est une histoire de bon sens...(profonde respiration)...donc l'Aspap reste vigilante heu...à toutes les décisions qui peuvent être prises et heu tout ce qui...(pause)...tout ce qui se passe voilà...parce que dans une stratégie de...de combat parce que pour moi ça reste un combat pour heu...pour une vie...pour une vie...une vie et la perpétuation de de comment dire d'une civilisation pastorale...voilà ça paraît être des grands mots mais en fait heu...je suis persuadé que c'est...c'est ça tout ce que...tout le travail et toute la vie qu'ont ces éleveurs en montagne ces...transhumants...heu...c'est « vie humaine dans les Pyrénées ariègeoises73 »...(pause)..et déjà déjà qu'on est pas nombreux...déjà que les installations de jeunes sont sont difficiles et périlleuses pour un tas de raisons...heu on a pas besoin de...heu..de ce genre d'opérations en plus...et puis ne serait ce que le...le...procédé...voilà moi je...(rire) ça c'est ma réaction personnelle quoi ... moi je suis très à cheval sur certains principes y'a des choses qu'on fait et y'a d'autres choses qu'on fait pas...voilà c'est comme quand on éduque un gosse...heu j'suis désolé mais y'a...y'a des repères y'a des critères, heu y'a des fondamentaux comme on dit...voilà et quand on prend des décisions qui vont concerner heu...toute une population toute une heu...activité économique heu...bon je me répète mais qui est fragile qui est qui est délicate heu...on le fait pas comme ça...on le fait pas sur un coup de tête à grands renforts de médias heu parce que on a les moyens de le faire quoi...(soupir) c'est du mépris tout simplement...et ça c'est pas acceptable...(pause)... si c'était si facile et si on était si aidés que ça y'aurait des centaines de jeunes en montagne...y'aurait des installations en pagaille quoi...

E: si aidés que ça dans le sens des primes, de la Pac et tout ça ?

L: oui voilà...non on fait un boulot on le fait bien...on le fait en conscience...et heu...on...on sait ce qu'on a à faire...hein on a pas la science infuse mais on sait ce qu'on a à faire dans sur notre terrain dans notre partie et on a pas...c'est c'est évidement intolérable d'entendre des gens d'ailleurs venir nous dire comment il faut garder les bêtes et comment élever les troupeaux quoi...ça ça ça tient pas la route, j'oserai jamais dire aux gens de chez Continental ou de chez Caterpillar heu comment il faut faire pour garder leur emploi...c'est à eux de prendre heu...leur combat et leur truc en main, si, tout ce que je pourrai amener c'est de la solidarité...parce que en fait heu...sous d'autres formes ils subissent le même processus que que cette histoire là encore que ça c'est c'est...en ce moment c'est plus grave pour eux quoi...nous on pourra toujours bouffer quoi...mais quand du jour au lendemain y'a une entreprise qui est délocalisée et heu...et des gens qui touchent des ponts d'or pour partir heu...et heu les salariés qui du jour au lendemain qui se retrouvent à la rue heu...je trouve que c'est un peu dur quoi...(pause)...

E: et sinon au niveau des moyens mis en oeuvre par l'Aspap pour heu...?

L: et bé déjà c'est un réseau...c'est un réseau de de connaissances de gens qui sont placés à droite à gauche et puis qui ont leurs compétences quoi...je vois Bruno Beshe-Commenge qui est à la retraite qui est très compétent pour tout ce qui est heu...vie pastorale biodiversité dans nos montagnes heu...bon bé il a fait un boulot énorme...bon bé des gens comme ça heu il font un énorme boulot pour l 'Aspap puis après y'a y'a tous les gens de terrain avec leurs sensibilités différentes mais heu

73 Ouvrage Michel Chevallier, géographe, paru en 1956.

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qui qui se retrouvent au sein de l'Aspap parce que parce que y'a quelque chose de commun...qui les anime...ça c'est énorme ça...en fait ça a fédéré beaucoup de gens qui qui avaient je dirais peu ou pas de rapport entre eux si ce n'est heu heu...leur quotidien...ça a fédéré des gens d'autres départements et bon y'a qu'à voir heu...les rassemblements qui a eu à Bagnère de Luchon, Bagnère de Bigorre heu...c'était énorme donc ça créé un tissu ça créé des liens, ça fait des échanges ça fait des adresses qu'on conserve...heu et heu...et puis et puis...(pause)... les gens se sont mis à parler, ils se sont mis à parler entre eux, on eu le respect de s'écouter et heu voilà de se structurer, ça c'est énorme...en dehors ou en plus du côté efficace de de la création de l'Aspap et de sa stratégie...ça ça a été ça a été un enrichissement...pour beaucoup de gens...parce qu'on est quand même relativement isolés heu chacun dans son coin hein...donc ça par la force des choses, il a fallu se réunir, communiquer heu et et voilà, là le mot solidarité il prend tout son sens...et ça quand c'est quand c'est arrivé une fois, quand on sait ce que c'est heu...(forte expiration) c'est beaucoup j'crois dans...c'est beaucoup...c'est beaucoup parce que on sait ce que ça peut représenter, c'est une force en fait...et dans des cas comme ça heu...on a besoin de se sentir heu...soutenu...parce que bon des prédations chez un éleveur c'est heu...un troupeau c'est quand même une histoire d'amour heu entre heu des bêtes et des hommes et des prédations c'est c'est toujours un choc...hein c'est pas...c'est...on travaille sur du vivant donc heu on a une relation avec heu les bêtes qui qui est...qui est difficilement perceptible par des gens de l'extérieur qui...qui c'est c'est comme ça heu... heu je juge pas mais heu...donc quand on voit des bêtes heu...des bêtes déchirées et éventrées heu...et et qu'on arrive pas heu...sans sans aucuns motifs valables heu, c'est toujours un choc heu et forcément heu...c'est soit de la détresse soit de la révolte...donc c'est une histoire de relations humaines...et ces décisions étatiques heu...heu on le sait quoi ça fait fi des relations humaines et dieu sait si ces relations humaines c'est le ciment de de toute dynamique heu économique...c'est c'est un tout tout ça...(pause)...donc déjà cette solidarité qui s'est crée entre éleveurs dès qu'il y avait une prédation dès qu'il y avait quelqu'un de touché heu les gens se retrouvaient chez lui...bon ça c'est...c'est beaucoup...(pause)...en fait en gros c'est heu la réaction d'une heu...d'une population qui heu...face à heu...face à une décision heu...j'allais dire inique..une décision qui est prise voilà du jour au lendemain heu bon vous allez devoir supporter heu...pour nous c'est la présence du prédateur heu animal protégé heu vous serez indemnisés heu de toute façon vous avez rien à dire heu...on va faire des réunions de concertation mais heu...évidement qu'elles ont eu lieu, elles ont eu lieu les carottes étaient cuites depuis longtemps déjà...

[...]...voilà alors on reste vigilants...heu pfff...là on attend on attend heu...en fait il faudrait que d'ici la fin de l'année il y ait une réponse de l'État parce que heu le plan il s'arrêtait heu en 2009... moi je le vois bien empêtré...comme quoi heu...(pause)....le temps heu fait son oeuvre aussi parce que les gens réfléchissent comme quoi heu notre combat est pas si si...(pause)...est juste je dirais...parce que même les sondages et dieu sait si il faut les prendre avec des pincettes hein...heu les sondages heu on beaucoup évolués à ce niveau là...les gens prennent conscience du fait que à force de répéter les mêmes choses heu...se posent des questions...mais est-ce bien nécessaire heu est ce bien judicieux...y'a des gens sur place, les Pyrénées c'est pas un désert, c'est pas tous des abrutis et et des gens qui y vivent qui travaillent et qui développent des activités...et ça ça fait un moment qu'on le serine quand mê me...(pause)...donc les choses évoluent et et changent dans le bon sens à mon avis...et je pense aussi que Chantal Jouano heu...on l'a rencontré à Toulouse y'a deux ans deux ou trois ans...c'est quelqu'un qui a les yeux en face des trous...et puis bon c'est vrai que l'actualité malheureuse ment...heu elle nous donne un coup de pouce heu entre les ours qui se font écraser heu sur la route et heu...le le désespoir dans lequel se trouve heu...pas mal de gens à cause de ...cette crise économique heu...on a p't'être d'autre chats à fouetter et heu et d'autres choses à faire avec l'argent heu de faire suivre des ours par des gens...(pause)...

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[...]

L: j'ai fait des études, j'suis pas d'un milieu paysan [...] j'avais vraiment envie de vivre heu heu plein air intégral...plein air intégral et puis heu mettre un peu mes idées en pratiques en accord avec heu ce que je pensais de la vie hein...déjà j'ai jamais pu supporter un patron heu...je voulais décider de ma vie voilà...ce que je pense avoir réussi en partie...et ça m'a apporté, ça continue à m'apporter beaucoup de bonheur...et puis heu et puis avoir aussi heu la notion de perpétuer quelque chose quoi, je supportais mal de voir tous ces pays heu en voie de désertification...(pause)...parce que y'a un potentiel énorme heu quand je vois tous ces gens qui font les les fins de marchés pour ne pas dire les poubelles...qui ont des salaires heu...c'est y'a y'a vraiment quelque chose qui ne...qui va pas quoi alors qu'on est sur des dizaines pour ne pas dire des centaines d'hectares qui pourraient nourrir heu toute une population heu...donc moi j'ai choisi ça...bon après c'est heu c'est mon choix hein c'est...et puis t'as moins de contraintes heu évidement des joies et bon et ça correspond à ce que à ce que je cherchais, je suppose que tout individu cherche heu c'est une grande quête quoi la vie...après on trouve on trouve pas heu on réalise on réalise pas heu on se donne les moyens on se les donne pas mais heu...bon moi voilà j'ai eu des opportunités j'ai p't'être fait les choix qui me correspondaient au mo ment...(pause)...

[...]

L: ...voilà...c'est un combat voilà j'aime bien appeler ça comme ça parce que je pense que c'est vraiment ça et heu c'est vraiment pas heu un combat contre l'ours lui-même heu ça c'est c'est ça serait trop réducteur quoi c'est pas ça du tout ...il se trouve que cet ours heu, quand je vois la façon dont ils ont été ramenés, capturés ramenés heu (rire) en fait heu il y est pour rien quoi ...on aurait

ieux fait de les laisser dans les forêts où ils étaient j'pense qu'ils étaient mieux qu'ici...opérés équipés d'émetteurs heu suivis nuit et jour...heu c'est pas de l'écologie ça...c'est une opération heu j'sais pas moi une opération médiatique...qui cachent sûrement d'autres enjeux quoi...(profonde respiration)...mais un des points un des points forts de, ce dont je parlais tout à l'heure c'est heu...cette heu prise de conscience d'appartenir à heu...d'avoir une identité...tous ces gens que j'ai pu côtoyer que je côtoie toujours d'ailleurs et ces élans de solidarité...ça c'est ça c'est énorme...je crois qu'on a surtout besoin de ça...parce que tout seul heu tout seul on est rien...donc ça aura eu au moins le mérite de mettre ça en évidence...que la solidarité c'est pas qu'un mot...et ça ça se...ça se monnaye pas...voilà..parce que c'est quand même ça aussi...on nous parle de moyens financiers heu d'argent à tout bout de champ...et heu le fond du problème il est pas là...le sel de la vie il est pas là, même si c'est incontournable...il faut savoir lui..remettre tout ça à sa place...c'est pas c'est pas l'i mportant...l'important c'est les relations humaines...voilà...






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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984