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Réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Discours, représentations et processus d'entrée en résistance.

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par Elise LABYE
Université de Toulouse-Le-Mirail - Master 1 Anthropologie Sociale et Historique 2009
  

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D. Les Rencontres des Transhumants d'Europe

Au mois de septembre ont eu lieu à Seintein, village de montagne du Couserans, « Les Rencontres des Transhumants d'Europe ». Cet évènement a lieu dans le cadre de la Foire de Seintein et à l'occasion des vingt ans de la Fédération Pastorale de l'Ariège9. De nombreuses animations sont proposées sur trois jours: cela va de la projection de films sur la montagne et le pastoralisme à la possibilité de partager une montée en estive et de redescendre un troupeau avec un éleveur en passant par des démonstrations techniques (conduite de troupeau, fabrication de fromage,pressage de jus de pomme, etc...), la présentation de races rustiques locales, un marché10, un repas spectacle( avec spectacle de danses traditionnelles locales), des débats, des conférences de chercheurs sur le thème du pastoralisme (géographe, anthropologue,...), des animations sont également prévues pour les enfants. Des délégations d'éleveurs transhumants de différents pays d'Europe sont présentes (Irlande, Bulgarie, Portugal, Roumanie, Espagne,...). Sur le stand de

8 Voir portrait en page 14.

9 La fédération Pastorale de l'Ariège a été crée en 1988 à l'initiative des éleveurs, des élus de la montagne et du

Conseil Général de l'Ariège. Elle a pour vocation la mise en oeuvre de la politique pastorale départementale .Elle intervient auprès des acteurs locaux pour organiser les territoires d'estive, de zone intermédiaire et de fond de vallée.

10 Sur ce marché se trouve entre autres une démonstration de filage de laine, des producteurs de miel, des cocottes en fonte à l'ancienne, des chaussons en peau de mouton, etc...

l'ASPAP, on peut voir des photos de prédations d'ours sur des ovins mais aussi des bovins.

Encore une fois, comme pour les Pastoralies, ce qui est donné à voir aux visiteurs, c'est tout ce qui tourne autour du monde du pastoralisme, et qui semble renforcer ses acteurs dans un sentiment d'appartenance à un groupe, une profession, celui des éleveurs transhumants, et à une culture, celle des gens de montagne. On cherche aussi à valoriser les productions alimentaires et artisanales locales ainsi que le tourisme. Avec la présence des délégations d'autres pays, on entre dans la dimension transnationale de cette culture. Cela donne lieu à des échanges de points de vue, d'expériences et de techniques entre les éleveurs. Je retrouve en partie les mêmes personnes que dans les manifestations précédentes. J'obtiens un rendez-vous pour réaliser un entretien avec un éleveur le lendemain.

E. La manifestation du Val d'Aran

anneaux préparés pour la manifestation

Au mois de novembre 2008, un habitant du village de Lès dans le Val d'Aran en Espagne, âgé de 70 ans, est blessé par un ours au cours d'une partie de chasse. Cet évènement va susciter une grande émotion dans la région où a eu lieu l'accident. Les médias espagnol mais aussi français vont se faire le relais de cet évènement et des réactions que cela a suscité, il va même être question de recapturer l'ours à l'origine de

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l'agression et de le ramener en France. Le Val d'Aran est une des régions où la présence des ours est régulière.

Quelque temps après, le conseiller général du val d'Aran et l'ADDIP vont lancer un appel « aux élus des départements pyrénéens et aux représentants professionnels agricoles, consulaires et syndicaux des Pyrénées » tout d'abord pour le boycott de la réunion du Groupe National Ours organisée par le Ministère de l'Écologie, au motif que cela reviendrait à cautionner la mise en oeuvre du plan ours. Ensuite parce qu'ils veulent mettre en place une « plateforme transfrontalière pyrénéenne ». Une réunion suivie d'une manifestation est prévue à Lès le 6 décembre. Dans son invitation, le conseiller du Val d'Aran s'exprime en ces termes: « Le Conseil Général du Val d'Aran

a rejeté, sans équivoque, la réintroduction de l'ours et ses conséquences, mais nous voulons que la voix de l'ensemble des Pyrénées résonne avec force face à ceux qui nous imposent leurs projets contre la volonté de ceux qui vivent et travaillent dans ces vallées ».

Je me suis donc rendue à cette manifestation à Lès quelques kilomètres après la frontière avec la France. Tout d'abord, dans une salle de la mairie du village (« la casa pera vila ») a eu lieu la réunion prévue. Les intervenants sont des aranais et des français, des élus et des professionnels. Parmi les français il y a Bruno Besche-Commenge qui est linguiste et fait partie de l'ASPAP, son discours, dont voici quelques extraits, est un résumé quasiment exhaustif de la façon dont la situation est perçue et du message que l'on souhaite faire passer:

« La gravité du problème auquel on est confronté et qui n'est pas qu'un problème d'ours, qui est comme tout le monde le dit, comme l'Aran le dit, un problème de mépris pour la culture pyrénéenne, un problème de mépris pour les gens les hommes et les femmes pyrénéens, et un problème de mépris pour tout le travail énorme que nos ancêtres ont fait pour transformer les Pyrénées en montagnes humaines [...] aujourd'hui on est à un moment où [...] au niveau national, européen, on dit qu'il y a besoin d'envisager l'agriculture, l'élevage, la production non seulement sous l'aspect industriel qui est devenu dominant mais sous des formes de productions plus en accord avec le milieu, plus respectueuses des équilibres naturels, avec des races [...] locales qui sont adaptées au milieu, avec des hommes et des femmes qui sont encore les connaisseurs, les porteurs du savoir qui permet de produire dans ce milieu avec ces races locales. [...] Toutes les montagnes du monde [...] ne sont pas des milieux naturels, c'est des milieux culturels, [...] (qui) ont été travaillées, transformées par le travail de l'homme, [...] ce que nous savons faire n'a jamais été autant à la mode qu'en ce moment: continuer à produire de la viande de qualité, dans des conditions saines, en accord avec un milieu, [...] il va falloir demander à nos politiques d'être clairs [...] est-ce que l'on devient pays sauvage ou est -ce-que l'on essaie de relancer, de récupérer, de rattraper tout ce qui est notre culture, notre savoir [...] on sait très bien que si il n'y a pas d'éleveurs, d'agriculteurs pour entretenir le milieu, [...] éviter l'embroussaillement général, les touristes ne viendront plus [...] il y a un lien total entre notre développement économique pour l'avenir, entre la préservation du milieu pour permettre nos formes d'élevage et cet aspect fondamental de notre économie qu'est le tourisme [...] l'ours n'est pas une espèce menacée au niveau européen, c'est reconnu par l'Europe elle-même, le berger pyrénéen oui, est une espèce menacée, on le sait. »

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Divers intervenants vont ainsi se succéder à la tribune. Une fois les interventions terminées, chacun

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est appelé à signer le manifeste rédigé conjointement entre les français et les aranais. Dans ce manifeste, on retrouve les revendications des « pyrénéens » espagnols et français, ainsi que leur point de vue sur la situation. Il est intitulé « Le Manifeste des Pyrénées »11et commence ainsi: « Nous, qui vivons dans les Pyrénées, nous adoptons ce manifeste,... »

Les personnes présentes sortent petit à petit et se regroupent devant la mairie en attendant le départ du cortège de la manifestation. Un des militants de l'ASPAP porte à son bras de nombreuses cloches qu'il fait sonner et tient un énorme bâton de marche sur lequel on peut lire : "defensor del pueblo"12. On discute politique, on se donne des nouvelles, on parle de ses bêtes... Il y a une délégation ariègeoise, une délégation basquo-béarnaise que l'on peut reconnaître grâce à leurs drapeaux basque et béarnais. Il y a aussi des gens du luchonais et bien sûr de nombreux aranais.

La manifestation se met en marche jusqu'à une place, plus loin, toujours dans le village où sont entreposées, le long des murs de la place, de nombreuses pancartes et banderoles qui ont été préparées par les aranais. Elles sont rédigées en aranais, en castillan et en français. Voici quelques uns des slogans que l'on peut lire: « Non au danger dans nos montagnes, nous voulons être libres », « Para vosotros la montana es un jardin, para nosotros nuestra medio de vida13 », « Avant tout nos bêtes, non à l'ours », « Réintroduction de l'ours au bois de Boulogne »... Chacun s'empare d'une pancarte et après une halte, la manifestation continue son tour du village. Font également partie du cortège « la société de pêche et de chasse du Val d'Aran », « le parti populaire du Val d'Aran", et d'autres organismes ou associations... On peut lire leurs dénominations sur les banderoles.

Une fois le défilé terminé, un dernier discours sera prononcé depuis le balcon du premier étage de la mairie par le conseiller général du Val d'Aran, et par le représentant du Conseil Général de l'Ariège sur un ton très déterminé, ils seront particulièrement applaudis à la fin du discours. Selon le site internet de l'ASPAP environ 700 personnes ont participé à cet évènement. Tout au long de la manifestation, des chants traditionnels pyrénéens sont diffusés depuis une voiture par des hauts-parleurs.

Beaucoup de journalistes français et espagnols étaient présents pour couvrir l'évènement, ils ont fait de nombreuses interviews et pris de nombreuses photos tout au long de la matiné. Le but de cette manifestation était de fédérer les deux versants des Pyrénées, pour s'unir dans la lutte contre un même projet qui concerne un territoire qui a une unité au delà des frontières: le territoire pyrénéen. Mais aussi pour s'unir dans la poursuite d'un même projet de « développement durable »

11 Le manifeste est reproduit dans sa totalité en annexe.

12 « Défenseur du peuple. »

13 «Pour vous la montagne est un jardin pour nous c'est notre moyen (ou milieu) de vie. »

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des activités humaines dans les Pyrénées françaises et espagnoles. La rédaction et la signature du manifeste des Pyrénées en est, en quelque sorte, le symbole, l'écrit qui symbolise cette volonté. Mais il s'agit aussi d'une opération de communication dont les médias sont le relais. On pouvait donc remarquer une certaine mise en scène de cette manifestation, une mise en scène dont le public est: les médias et ceux qui verront les images retransmises à la télévision, entendront les discours à la radio ou les liront dans les journaux.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld