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Compréhension du processus d'engagement écologique - l'importance du collectif, des connaissances et des émotions pour une transformation intérieure et extérieure de nos représentations


par Laurie Benisti
Institut Catholique de Paris - Politiques environnementales et management du développement durable 2018
  

Disponible en mode multipage

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    Second lecteur : Romain Huët

    Institut catholique de Paris

    Faculté de Sciences Sociales et Economiques

    Master 2

    Politiques environnementales et management du développement durable

    MEMOIRE DE RECHERCHE

    Compréhension du processus d'engagement écologique

    L'importance du collectif, des connaissances et des émotions
    pour une transformation intérieure et extérieure de nos représentations

    Laurie Benisti

    Directrice de mémoire : Caroline Quazzo

    Année universitaire 2018-2019

    Remerciements

    Je remercie d'abord ma directrice de mémoire Caroline Quazzo, dont les idées et conseils m'ont chaque fois aidée à voir plus clair, et dont le positivisme et les encouragements m'ont chaque fois remotivée en période de doute.

    Merci à François Benichou pour sa gentillesse, sa bienveillance et son soutien pour ce mémoire et tout au long de mon stage.

    Un grand merci à Gaëlle, Luc, Valentin, Alix, Juliette, Angèle d'avoir accepté de se livrer et de m'avoir partagé leur histoire. Un merci tout particulier à Juju et Angélou, mes deux amies de coeur dans ce chemin de vie que nous avons pris. Merci à Guillaume et Thibaud pour leur temps et leur expertise précieuse dans ma réflexion.

    Merci à Avenir Climatique et à chacune des personnes qui contribue à faire de cette association ce qu'elle est.

    Un immense merci aux 187 personnes qui ont pris le temps de répondre au long questionnaire que je leur ai proposé. Au-delà de vos idées, vos nombreux mots d'encouragements laissés à la fin du questionnaire m'ont profondément touchée et donné une vraie force et motivation dans ce travail.

    Enfin, je remercie ma famille, mes piliers, pour leur aide, leur soutien et leurs encouragements. Papa et Jéjé pour vos conseils toujours constructifs et raisonnés, Cloclo pour tes talents de motivatrice et ton aide, et surtout Maman pour ta présence, ton soutien et tes relectures si précieux. Je vous aime de tout mon coeur !

    Sommaire

    INTRODUCTION 1

    PARTIE 1 : REVUE DE LITTERATURE 3

    I- Tableau de la situation actuelle 3

    1) Constats et mécanismes des crises socio-écologiques 3

    2) Implications de ces constats 7

    3) Moyens d'actions face à ces constats 10

    II- Les blocages psychologiques à la prise de conscience et à l'engagement 12

    1) Barrières cognitives 12

    2) Barrières sociales 13

    3) Barrières émotionnelles 15

    4) Barrières culturelles 16

    5) Conséquences des barrières 17

    III- Le processus de prise de conscience et d'engagement écologiques 18

    1) La conscientisation (Paulo Freire) 19

    2) L'échelle de conscience (Paul Chefurka) 19

    3) La courbe du deuil (Elisabeth Kübler-Ross) sous le prisme de la collapsologie et de l'écopsychologie

    (Pablo Servigne et Joanna Macy) 20

    Bilan de la revue de littérature 24

    PARTIE 2 : ENQUÊTE DE TERRAIN 27

    Méthodologie de l'enquête de terrain 27

    1) Formulation des hypothèses de recherche 27

    2) Objectivation participante : expérience personnelle d'engagement écologique 28

    3) Présentation des méthodes de recherche 33

    I- Entretiens individuels : histoires de prise de conscience et d'engagement 35

    1) Méthodologie 35

    2) Présentation des personnes 36

    3) Description et analyse 38

    4) Conclusions 51

    II- Participation observante - Avenir Climatique 53

    1) Méthodologie 53

    2) Description et analyse 54

    3) Conclusions 61

    III- Questionnaire sur le processus d'engagement écologique 63

    1) Méthodologie 63

    2) Description et analyse 65

    3) Conclusions 71

    BILAN DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN 73

    Hypothèse 1 : Connaissance 73

    Hypothèse 2 : Groupe 73

    Hypothèse 3 : Transformation 74

    Hypothèse 4 : Emotions 75

    PRECONISATIONS 76

    Pour des personnes conscientes mais pas ou peu engagées 76

    Pour des personnes engagées 76

    Pour des structures collectives 77

    Pour la recherche 77

    BIBLIOGRAPHIE 79

    ANNEXES 80

    Entretiens individuels 80

    Annexe 1 : Retranscription d'entretien - Thibaud Griessinger 80

    Annexe 2 : Guide des entretiens individuels sur le processus d'engagement 84

    Annexe 3 : Retranscription - Valentin 85

    Annexe 4 : Retranscription - Juliette 91

    Annexe 5 : Retranscription - Alix 95

    Annexe 6 : Retranscription - Angèle 100

    Annexe 7 : Retranscription - Gaëlle 105

    Annexe 8 : Retranscription - Luc 108

    Annexe 9 : Guide d'entretien - Guillaume Martin 113

    Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume Martin 114

    Questionnaire 117

    Annexe 11 : Méthodologie de la répartition des groupes 117

    Annexe 12 : Profil des répondants 118

    Annexe 13 : Réponses - Conscience et connaissance des enjeux 119

    Annexe 14 : Réponses - Niveau d'engagement 122

    Annexe 15 : Réponses - Blocages et leviers d'engagement 124

    Annexe 16 : Réponses - Emotions 129

    1

    INTRODUCTION

    « Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs ». Ce sont les mots prononcés le 2 septembre 2002 par Jacques Chirac au sujet du réchauffement climatique. « Notre maison brûle, littéralement ». Ce sont les mots prononcés le 22 août 2019 par Emmanuel Macron au sujet des intenses feux de forêts qui touchent l'Amazonie depuis fin juillet. 17 ans ont passé, notre maison brûle toujours, les flammes se propagent, et nous regardons toujours ailleurs. Le constat est grave et fait maintenant consensus au sein de la communauté scientifique : si on ne change pas radicalement nos façons de produire et de consommer, et donc aussi de vivre et de penser, nous connaîtrons des catastrophes sans précédent et un effondrement de notre civilisation. Mais malgré ces perspectives, ce changement n'a pas lieu. Tous les voyants sont au rouge. Nous avons certes entamé une transition, mais très lente, faite de « petits pas », et notre système n'est pas fondamentalement remis en question, malgré l'urgence de le faire. Collectivement comme individuellement, nous continuons à produire, à consommer, à vivre comme si demain allait être comme aujourd'hui, comme si nos modes de vie actuels étaient durables et pouvaient perdurer.

    Comment expliquer ce décalage entre la conscience collective de la gravité et de l'urgence des crises, et les changements très superficiels qui s'opèrent, à la fois collectivement et individuellement ? Vaste question, à laquelle de nombreux auteurs et spécialistes se sont déjà intéressés. Cette inertie, bien qu'elle puisse paraître incompréhensible au vu des enjeux, peut s'expliquer par de nombreux facteurs. Parmi eux, la barrière culturelle est très importante : nous agissons et pensons en fonction de croyances et représentations qui sont construites socialement et collectivement, et se sont construites au cours de nos vies. Or, les changements qu'imposerait la situation dans laquelle nous nous trouvons impliqueraient une remise en question fondamentale de beaucoup de ces représentations. Pour le philosophe Dominique Bourg, il faut « repenser notre manière de voir le monde, c'est-à-dire notre manière d'être au monde ». On comprend dès lors toute la difficulté qu'impose cette transition lorsque notre vie est ancrée dans un tout autre fonctionnement.

    Mais de plus en plus de personnes font ce cheminement aujourd'hui. Depuis la démission de Nicolas Hulot du gouvernement, il semble y avoir un processus d'engagement collectif pour une partie de la population. Il est encore temps, Youth for Climate, Le Manifeste pour un réveil écologique, la Bascule, ou encore Extinction Rebellion, autant de mouvements au sein desquels des citoyens s'en-gagent, travaillent et militent pour des changements radicaux et pour faire face aux crises. Ces personnes peuvent aussi s'engager dans leur métier, dans leur quotidien, dans leur mode de vie afin de construire des façons d'agir et de penser plus durables et résilientes. Il existe aussi des degrés très

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    variables d'engagement. De façon plus générale, l'engagement écologique consiste à prendre parti par son action et par ses discours pour plus de durabilité et pour le respect de l»environnement.

    Face à ce décalage et à la nécessité de l'engagement, la compréhension du processus d'engagement écologique est fondamentale et sera l'objectif de ce mémoire. Comment une personne consciente des enjeux écologiques mais pas ou peu engagée en vient à s'engager et à faire de ces enjeux une priorité dans sa vie ? Quels sont les facteurs clés d'engagement d'une personne ? Comment l'engagement est-il vécu et qu'implique-t-il pour la personne ? La compréhension du processus d'engagement poursuit donc un double objectif : mieux comprendre les facteurs de l'engagement, mais aussi mieux comprendre l'impact de l'engagement, d'un point de vue personnel et d'un point de vue collectif.

    Pour répondre à ces questions, ce mémoire se divise en deux grandes parties : un volet théorique via la revue de littérature et un volet empirique via l'enquête de terrain. La revue de littérature a pour but à la fois de contextualiser notre objet de recherche, tout en présentant l'état de la recherche existante sur ce sujet, afin de dégager des pistes de réponses et des hypothèses qui seront ensuite testées par l'enquête de terrain.

    Dans la revue de littérature, nous aborderons d'abord les constats qui sous-tendent la prise de conscience, puis nous analyserons les différents types de blocages qui entravent l'engagement, et enfin nous présenterons et analyserons trois modèles du processus de prise de conscience et d'engagement écologiques.

    3

    PARTIE 1 : REVUE DE LITTERATURE

    I- Tableau de la situation actuelle

    « Entrer dans la réalité profonde du monde est infiniment dangereux. Il s'y mêle l'horreur et la merveille et toujours nous demeurons suspendus entre les deux », Jacques Masui.

    Cette partie a pour objectif de comprendre les connaissances et les fondements qui sous-tendent l'engagement écologique. Pour cela, nous essaierons d'abord de dresser les principaux constats écologiques et sociaux, puis les implications de ces constats, et enfin comment y faire face.

    1) Constats et mécanismes des crises socio-écologiques

    Nos sociétés industrielles connaissent une série de problèmes environnementaux, socio-économiques et politiques graves et indéniables. Dans la 1ère partie de son ouvrage « Comment tout peut s'effondrer », Pablo Servigne présente cinq problèmes fondamentaux de nos sociétés modernes en prenant l'image de la voiture pour symboliser la civilisation industrielle.

    a) La grande accélération

    Après un démarrage lent et progressif au milieu du XIXème siècle, la voiture prend de la vitesse et entame une ascension fulgurante appelée « la grande accélération ». En effet, depuis la révolution industrielle, de très nombreux paramètres de nos sociétés et de notre environnement montrent une allure exponentielle. C'est ce que représente ce « tableau de bord », très connu parmi les scientifiques, et qui décrit très bien la nouvelle époque géologique appelée Anthropocène1.

    1 Anthropocène : époque où les humains sont devenus une force qui bouleverse les grands cycles du système-Terre. Terme popularisé à la fin du XXème siècle par le météorologue et chimiste de l'atmosphère Paul Joseph Crutzen prix Nobel de chimie en 1995.

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    Figure 1 : Le tableau de bord de l'Anthropocène

    Source : W.Steffen et al. « The trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration », The An-thropocene Review, 2015

    Population, PIB, consommation d'eau, d'énergie, transports, télécommunication, tourisme, en même temps qu'émissions de gaz à effets de serre, acidification des océans, déforestation... La tendance est claire et présente partout : nous sommes dans une société marquée par l'accélération et la croissance exponentielle, dans un monde où des plafonds existent.

    b) Des ressources limitées

    Au fur et à mesure qu'elle accélère, la voiture épuise peu à peu les ressources dont elle est devenue dépendante. Parmi ces ressources : les énergies fossiles, qui représentent 80% de notre production d'énergie et dont nous sommes totalement dépendants. Or, selon l'Agence internationale de l'énergie, le pic mondial de pétrole conventionnel a été franchi en 2006. Nous nous trouvons au-jourd'hui sur un plateau, après lequel nous connaîtrons le déclin. Les spécialistes s'accordent au-jourd'hui à dire que l'ère du pétrole facilement accessible est révolue. Ces limites desquelles nous nous rapprochons touchent d'autres ressources que nous exploitons. Une étude récente2 a par exemple évalué la probabilité pour 88 ressources non renouvelables de se retrouver en situation de pénurie avant 2030 : argent, indium, lithium... des ressources utilisées pour la fabrication d'éoliennes, de cellules photovoltaïques et de batteries. Philippe Bihouix, spécialiste des ressources et auteur de

    2 C. Clugston, « Inscreasing global non renewable natural resource scarcity - An analysis », Energy Bulletin, vol. 4, n°6, 2010

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    « l'Age des Low Tech », explique : « Nous pourrions nous permettre des tensions sur l'une ou l'autre des ressources, énergie ou métaux. Mais le défi est que nous devons maintenant y faire face à peu près en même temps. », ce qui pose un problème de taille puisqu'il faut de l'énergie pour extraire des métaux, et il faut extraire des métaux pour produire de l'énergie renouvelable.

    c) Frontières planétaires et points de bascule

    En plus d'un réservoir qui se vide, la voiture a franchi les bords de la route et se trouve dans une zone instable avec des obstacles imprévisibles. Le franchissement des bords de route, c'est ce que les scientifiques appellent les frontières planétaires, et les obstacles, ce sont les « tipping points » ou « points de bascule ».

    Le climat est la plus connue de ces frontières invisibles, car, cela fait maintenant consensus au sein de la communauté scientifique, elle pourrait provoquer à elle seule des catastrophes globales, massives et brutales, qui pourraient mener à la fin de la civilisation, voire de l'espèce humaine. Mais il y en a d'autres : déclin de la biodiversité, acidification des océans, perturbation du cycle du phosphore et de l'azote, pollution chimique... Dans une étude publiée en 2009 et mise à jour en 20153, une équipe internationale de chercheurs a identifié 9 frontières planétaires vitales à ne pas franchir pour éviter de basculer dans une situation dangereuse et irréversible ; or 4 ont été identifiées comme déjà franchies. Non seulement chacune de ces frontières peut à elle seule provoquer un emballement et des catastrophes irréversibles, mais en plus il existe des liens, des connexions entre tous ces phénomènes, qui font qu'ils viennent se renforcer les uns les autres dans un effet domino que l'on ne maîtrise pas et que l'on ne perçoit pas. L'aspect systémique des crises est donc central.

    Lorsque l'on dépasse une frontière, les réponses du système-Terre deviennent très imprévisibles, et le risque de dépasser des points de basculement augmente très fortement. Pour mieux comprendre ces tipping points, imaginons un interrupteur sur lequel on exerce une pression croissante. On sent que l'interrupteur est sous pression et prêt à céder, mais on ne peut pas en prévoir le moment exact. D'un coup, l'interrupteur bascule. Pour les écosystèmes, la situation est comparable : ils subissent des perturbations régulières qui leur font progressivement perdre leur capacité de résilience, jusqu'à atteindre un point de rupture (tipping point), un seuil invisible au-delà duquel l'écosys-tème s'effondre de manière brutale et imprévisible. En 2008, une équipe de climatologue a recensé 14 « éléments de basculement climatiques », dont le permafrost en Sibérie, les courants océaniques atlantiques, la forêt amazonienne, les calottes glaciaires4... Non seulement chacun peut accélérer le changement climatique de façon catastrophique, mais en plus déclencher les autres dans un effet domino incontrôlable. D'où la volonté du GIEC de limiter la hausse de la température à 2°C : au-delà,

    3 W.Steffen et al, « Planetary boundaries : Guiding human development on a changing planet », Science, sous presse, 2015

    4 T.M. Lenton et al, « Tipping elements in the Earth's climate system », Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 105, n°6, 2008, p1786-1793.

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    on prend le risque de dépasser la frontière et de connaitre des effets d'emballement et des points de bascule dévastateurs et irréversibles.

    Dans le cas de l'interrupteur, nous pouvons décider d'enlever notre doigt facilement et éviter ainsi son basculement ; mais dans la situation actuelle, la voiture est toujours en pleine accélération, a déjà dépassé des barrières, et nous ne savons pas si nous pourrons l'arrêter avant qu'elle n'atteigne les points de bascule.

    d) Un système ultra-verrouillé

    D'autant plus que la pédale d'accélérateur et la direction de la voiture semblent bloqués. Nos sociétés sont maintenues par de véritables verrouillages socio-techniques (lock in). L'efficacité des systèmes en place rend difficile d'en sortir, surtout quand une compétition s'est instaurée entre pays. En se mondialisant, notre société industrielle a étendu ses verrouillages sociotechniques ; nous connaissons en fait un « gobal lock-in ». Nous sommes arrivés à un tel niveau de développement et de complexité, et un tel niveau de mondialisation, que nous ne pouvons en sortir sous risque de déstabiliser complètement nos économies et vies qui en découlent. Ce global lock-in peut être illustré par trois exemples. Dans le champ financier, ces dernières années, la finance se concentre en un nombre très réduit d'immenses institutions financières, qui sont devenues « too big to fail » (trop grands pour faire faillite) et « too big to jail » (trop grandes pour aller en prison). Notre dépendance aux énergies fossiles est probablement le plus grand verrouillage de l'histoire : presque tout ce que nous connaissons en dépend. Il en va de même pour la croissance : nos institutions ne sont pas adaptées à un monde sans croissance, puisqu'elles ont été conçues par et pour la croissance. Sans croissance, le système économique risquerait d'imploser sous des dettes qui ne seraient jamais remboursées.

    Nous semblons nous trouver dans une situation inextricable : nous avons créé des systèmes gigantesques et dévastateurs, mais qui sont devenus en même temps indispensables au maintien des conditions de vie de milliards de personnes. Servigne résume la situation ainsi : « Pour espérer survivre, notre civilisation doit lutter contre les sources de sa puissance et de sa stabilité, c'est-à-dire se tirer une balle dans le pied. » Autrement dit, si nous décidons de lever le pied de l'accélérateur pour éviter ou limiter l'accident à venir, nous risquons aussi de provoquer un accident.

    e) Des systèmes ultra fragiles et vulnérables

    Enfin, l'habitacle de la voiture est de plus en plus fragile et vulnérable, et pourrait céder à tout moment. L'hyperglobalisation et la complexification caractéristiques de nos sociétés ont transformé l'économie mondiale en un système hautement complexe où tout est devenu interconnecté, augmentant aussi considérablement la vulnérabilité et la fragilité de ces systèmes. C'est le cas dans le champ de la finance, dans les chaînes d'approvisionnement, et dans nos réseaux (transports, électriques, télécommunication...). La moindre perturbation peut se répandre comme une traînée de poudre, avoir

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    des effets en chaîne et provoquer des dégâts considérables sur le système global. Par des chaînes d'approvisionnement optimisées et des stocks se renouvelant sans cesse, le système économique mondial a gagné en efficacité mais perdu en résilience. Or, nous sommes devenus totalement dépendants de ce système complexe : « Très peu de gens savent survivre sans supermarché, sans carte de crédit ou sans station-service. Quand une civilisation devient hors-sol, c'est-à-dire lorsqu'une majorité de ses habitants n'a plus de liens directs avec le système-Terre (la terre, l'eau, le bois, les animaux, les plantes, etc.), la population devient entièrement dépendante de la structure artificielle qui la maintient dans cet état. Si cette structure, de plus en plus puissante mais de plus en plus vulnérable, s'écroule, c'est la survie de l'ensemble de la population qui pourrait ne plus être assurée

    ».

    Nous avons donc vu, par le biais de la synthèse scientifique faite par Pablo Servigne, que nous accélérons dans un monde de ressources finies, en franchissant des barrières planétaires qui ne devraient pas l'être, que nous allons si vite que nous n'arrivons plus à freiner, et que nous avons créé des degrés d'interconnexion et de complexité qui nous rendent de plus en plus fragiles et vulnérables.

    2) Implications de ces constats

    Face à tous ces constats, il est maintenant clair que la voiture ne pourra pas s'en sortir indemne. Les catastrophes sont en effet déjà présentes et vont inévitablement se renforcer, et il y a un risque élevé que nos civilisations s'effondrent, ce qui impose des changements nécessaires, radicaux et urgents.

    a) Les catastrophes en cours et à venir

    Aujourd'hui déjà, des catastrophes sont en cours. Hausse globale des températures, événements climatiques extrêmes, effondrement de la biodiversité, montée des eaux, acidification des océans, pollution de l'air, déforestations... ces phénomènes ont déjà un impact considérable d'un point de vue humain, environnemental, et économique. L'exemple de la biodiversité est l'un des plus parlants : selon le WWF (World Wildlife Foundation), sur les 40 dernières années, nous avons perdu plus de 60% des animaux sauvages. Cela fait maintenant consensus, la 6ème extinction de masse est en cours. Autre exemple : l'OMS estime à 7 millions le nombre de personnes qui meurent prématurément chaque année dans le monde à cause de la pollution, et 48000 morts par an en France.

    De plus, certaines crises sont enclenchées et vont inévitablement se renforcer dans les années à venir. Même si l'on arrivait à entreprendre des changements radicaux, rapides et efficaces - ce qui est peu probable au vu des constats précédemment énoncés - les effets des changements climatiques continueront à se mettre en oeuvre dans les prochaines décennies. Il s'agit en effet d'un phénomène différé dans le temps : les émissions que nous émettons aujourd'hui ont un impact dans les

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    décennies suivantes. Même logique pour la biodiversité : l'extinction d'une espèce a un impact sur toute la chaîne alimentaire, entraînant d'autres espèces dans un effet domino difficilement arrêtable. Le rapport publié en mai 2019 par l'IPBES, le « GIEC de la biodiversité », estime qu'1 million d'es-pèces vont disparaître dans les années à venir. L'ONU a estimé à 250 millions le nombre de réfugiés climatiques à horizon 2050, ce qui risque de provoquer une crise migratoire sans précédent.

    Les conséquences sur les écosystèmes et sur les sociétés humaines sont déjà visibles et graves, et vont inévitablement se renforcer dans les années à venir et causer des catastrophes naturelles, humaines, économiques et sociales.

    b) Un effondrement de nos civilisations industrielles ?

    De plus en plus de spécialistes évoquent même la probabilité d'un effondrement de nos civilisations industrielles. C'est la thèse centrale du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens « Comment tout peut s'effondrer », qui ont créé le concept de collapsologie, « l'exercice transdisciplinaire d'étude de l'effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder ». Selon eux, l'étude approfondie des 5 paramètres que nous avons présentés précédemment (accélération de nos sociétés, limites planétaires, frontières planétaires et points de bascule, verrouillage socio-technique et fragilité de nos systèmes) mène à la conclusion qu'un effondrement de notre civilisation est très probable, voire inévitable.

    Un effondrement peut être défini par une diminution rapide et importante de la population et/ou de sa complexité. Une autre définition a été formulée par l'ancien ministre de l'environnement Yves Cochet comme une « situation dans laquelle les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». De tels effondrements ont déjà eu lieu dans l'histoire de l'humanité. Jared Diamond, dans son livre « Effondrement », étudie la façon dont des civilisations passées (Mayas, île de paques, vikings...) se sont effondrées, afin d'en tirer des leçons. Cinq facteurs entrent toujours potentiellement en jeu : des dommages environnementaux, un changement climatique, des voisins hostiles, des rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux, et les réponses apportées par une société à ces problèmes ; des facteurs réunis aujourd'hui. Il a aussi mis en évidence le fait qu'un effondrement ne se produit pas de façon brutale, mais sur des durées parfois très longues. Certains considèrent d'ailleurs que nous serions déjà dans une période d'effondrement. Diamond note que la grande différence entre les effondrements passés et la situation actuelle est qu'au-jourd'hui, nous vivons dans une civilisation mondialisée et interconnectée, et donc que le risque d'ef-fondrement pèse sur la civilisation humaine dans sa globalité, et non plus sur une civilisation isolée. Enfin, à la différence de nombreuses prédictions de fin du monde et notamment de l'eschatologie basées sur des croyances ou des religions, les théories de l'effondrement n'annoncent pas la fin du

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    monde, mais évoquent, en s'appuyant sur des données scientifiques, la possibilité de la fin d'un monde, celui de nos sociétés thermo-industriels et de notre civilisation.

    c) Des changements nécessaires, radicaux et urgents

    Si certains spécialistes estiment que l'effondrement est inévitable, voire déjà en cours, d'autres postulent qu'il est encore possible de l'éviter, mais à condition que des changements radicaux soient mis en oeuvre rapidement. Ici, nous donnons au mot « radical » son sens originel, qui vient du latin radicalis, dérivé de radix (« racine ») et signifie agir sur la cause profonde que l'on veut modifier. Il faudrait donc remettre en question et repenser totalement et fondamentalement nos modèles économiques, de production, de consommation et sociétaux.

    Actuellement, le chemin pris par les sociétés occidentales n'implique pas de remise en question fondamentale de nos systèmes. Les modèles du développement durable et de croissance verte misent avant tout sur le déploiement de technologies et des comportements plus sobres, qui permettraient d'éviter l'effondrement de la civilisation tout en maintenant une croissance économique globale. Cela implique ce qu'on appelle un découplage, c'est-à-dire la séparation entre la croissance économique et la consommation de ressources et d'énergies (et donc l'impact environnemental). Cette idée représente la pensée dominante dans laquelle s'inscrivent entreprises, politiques et population. Pourtant, de nombreux spécialistes ont montré que ce découplage absolu était impossible, qu'il n'a aucun fondement scientifique et qu'il n'a jamais eu lieu. Aujourd'hui, on vit même plutôt un « surcouplage ». Le seul espoir reposerait sur le fait de trouver et de mettre en oeuvre rapidement une innovation ou technologie révolutionnaire à la fois non polluante et non consommatrice d'énergie et de ressources. Or, il est fort probable que cela n'arrive pas à très court terme.

    Trois grandes possibilités se distinguent donc. La première est que nous entreprenions des changements radicaux rapidement, mais avec le risque de provoquer des crises économiques et financières à court terme. L'autre option est la transition écologique, le développement durable, ou encore croissance verte, qui misent sur le découplage entre croissance et impact environnemental, avec cependant une forte probabilité que ce découplage ne fonctionne pas, que ces changements ne se fassent pas assez vite, trop superficiellement, et une forte probabilité d'un effondrement de nos civilisations à moyen terme voire court terme. Enfin, et c'est le chemin que nous sommes en train de suivre globalement, nous pouvons ne rien changer fondamentalement - c'est le cas par exemple des Etats-Unis - et empirer la situation, auquel cas la probabilité d'un effondrement est presque certaine.

    Ainsi, que nous le subissions (catastrophes, effondrement) ou que nous le décidions (changements radicaux, mobilisation générale), nous allons connaître des bouleversements profonds ; nous ne vivrons pas demain comme aujourd'hui. Mais la collapsologie et ces perspectives pessimistes - mais réalistes, cela ne fait plus de doute - ne sont pas pour autant fatalistes. Au contraire, pour Pablo

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    Servigne et Raphaël Stevens, elles sont une invitation, voire une injonction à agir, partout et en profondeur. Face à ces constats et à ces perspectives, que pouvons-nous faire ?

    3) Moyens d'actions face à ces constats

    Que l'effondrement et les catastrophes soient évitables ou non, il est essentiel d'agir, à la fois pour en limiter les conséquences, et pour d'ores et déjà construire de nouvelles façons de penser et de faire. Les moyens et leviers d'actions sont nombreux, et chaque personne a un rôle à jouer. Joanna Macy, par son ouvrage « Ecopsychologie pratique et rituels pour la terre », propose un guide pratique pour aider chacun d'entre nous à prendre part à la « révolution silencieuse » qui est en marche, qu'elle appelle le « Changement de cap », ou le passage radical d'une société de croissance industrielle autodestructrice à une société compatible avec la vie. Macy décrit trois dimensions complémentaires et interdépendantes de ce Changement de cap.

    a) Résister et atténuer

    Le premier pilier regroupe toutes les actions ayant pour but de limiter et ralentir la destruction de la vie en cours. Il peut s'agir du travail politique, législatif, et judiciaire, qui vise par exemple à limiter les émissions de gaz à effet de serre, la déforestation ou la production de déchets. Il peut également s'agir d'actions directes comme des boycotts ou des actions de désobéissance civile visant à inciter les politiques et les grandes puissances économiques à entreprendre les changements et transformations qui s'imposent. Selon Joanna Macy, ceux qui agissent en ce sens peuvent ressentir beaucoup d'anxiété, d'exaspération et d'épuisement. Selon elle, il s'agit en effet du travail le plus difficile, mais qui est nécessaire et utile car il fait gagner du temps et sert à sauver des vies et des écosystèmes.

    b) Construire des alternatives

    Le deuxième pilier consiste à analyser les causes structurelles de la situation tout en pensant et entreprenant la création d'institutions et de modèles alternatifs. Pour limiter les dommages créés par nos sociétés, il est en effet important d'en comprendre les dynamiques. Selon Joanna Macy, ce travail permet aussi d'éviter de diaboliser des personnes mais de les comprendre, une philosophie qui rappelle Spinoza et son fameux « ne pas se moquer, ne pas se lamenter, ne pas détester, mais comprendre ». Pour Joanna Macy, c'est un travail difficile car il faut du courage et de la confiance dans notre sens commun pour regarder le tableau de nos sociétés avec réalisme. Cette deuxième dimension du Changement de Cap comprend aussi la création d'alternatives à ce système, les deux efforts allant de pair. Selon elle, « les actions qui bourgeonnent de nos esprits et de nos mains peuvent sembler marginales, mais elles contiennent les graines du futur ».

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    c) Changer nos façons de voir le monde et de nous voir dans le monde

    Le troisième grand champ d'action concerne un changement des perceptions de la réalité sur les plans cognitif et spirituel. Il s'agit du pilier le plus fondamental pour Joanna Macy. C'est un pilier qui s'impose de plus en plus comme une des clés du changement, et qui semble depuis peu commencer à germer dans la société française. De plus en plus d'auteurs, d'artistes, d'écrivains, et de citoyens s'emparent de la question et travaillent sur la construction de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires positifs, désirables et humains. Selon Dominique Bourg, « le seul choix qui nous reste est de repenser notre manière de voir le monde, c'est-à-dire notre manière d'être au monde ». Ainsi, selon lui, ce changement de perception se fait aussi par notre façon d'agir et notre façon d'être. Cela rejoint la célèbre citation de Gandhi : « sois le changement que tu veux voir dans le monde ». Cela peut inclure d'autres façons de voyager, de consommer, de travailler, de vivre en société... Pour Joanna Macy, « ces révélations et ces expériences sont absolument nécessaires pour nous libérer de l'emprise de la société de croissance industrielle. Elles nous offrent des objectifs plus nobles et des plaisirs plus profonds ».

    Ainsi, « le grand tournant » ne pourra advenir que si nous conjuguons trois niveaux d'action : résister, c'est-à-dire refuser les projets industriels catastrophiques pour l'environnement (c'est ce que font les opposants à la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, à l'exploitation des gaz de schiste, à l'hégémonie de Monsanto...) ; préparer et mettre en place le monde de demain (expérimenter d'autres sources d'énergie, d'autres modes d'éducation, une autre économie, une autre manière de vivre ensemble...) ; et surtout, en amont, opérer un changement intérieur en reconsidérant notre vision de nous-mêmes et de notre place dans la nature.

    Par cet état des lieux rapide de la situation actuelle, nous avons cherché à présenter les fondements du processus de prise de conscience et d'engagement étudiés. Nous connaissons une crise socio-écologique vaste, complexe, sans précédent et caractérisée par la diversité et par l'intercon-nexion de problèmes environnementaux, socioéconomiques, politiques, culturels et psychosociaux. Cette crise a déjà des conséquences catastrophiques, qui vont se renforcer dans les années à venir, allant jusqu'à menacer la survie même de la civilisation, voire de l'humanité telle qu'on la connait. Mais ces constats pessimistes et réalistes ne sont pas fatalistes, et d'innombrables moyens d'action existent pour changer de cap : cela passe à la fois par limiter au maximum notre impact, par penser et créer des modèles plus résilients et durables, et par réinventer notre façon de penser, de voir et d'être au monde, à l'autre et à nous-même.

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    Mais nous sommes soumis à de nombreux blocages qui nous empêchent de prendre conscience de tous ces éléments et de prendre part au Changement de Cap que décrit Joanna Macy, qui doute alors de sa réussite :

    « Bien que nous discernions le Changement de cap et que nous prenions courage dans ses activités multiples, nous n'avons aucune certitude qu'il arrivera à temps. Nous ne pouvons prédire ce qui arrivera en premier : le point de non-retour, celui où nous ne pourrons plus arrêter la destruction des systèmes qui soutiennent les formes de vie complexes, ou le moment où les éléments d'une société soutenable détermineront la direction du système entier. Si le Changement de cap devait échouer, ce ne serait pas par manque de technologie ou d'information, mais par manque de volonté politique. Lorsque nous sommes confus ou apeurés et que l'adver-sité nous frappe, il est très facile de se retrouver le coeur et l'esprit engourdis. Les dangers que nous encourons à présent sont si omniprésents et en même temps si difficiles à distinguer - et douloureux à voir quand on arrive à les regarder en face - que cette anesthésie nous touche tous. Tout le monde en est affecté. Personne n'est immunisé contre le doute, la dénégation ou l'incrédulité quant à la gravité de notre situation et à notre capacité à changer cet état de fait. Et pourtant, au-delà de tous les dangers encourus, des changements climatiques aux guerres nucléaires, aucun n'est aussi grave que notre paralysie. Cette insensibilité de l'esprit et du coeur nous afflige déjà, dans les diversions que nous créons en tant que citoyens et en tant que nations, dans les querelles que nous choisissons, les objectifs que nous poursuivons, les articles que nous achetons. Alors, ouvrons les yeux. Examinons à quoi cette paralysie correspond et comment elle se produit. Reconnectés à notre désir le plus profond, nous serons capables de prendre part à ce Changement de cap. Nous choisirons la vie. »

    Alors, à quoi est due cette paralysie ? Pourquoi, face à de telles perspectives et face à un risque qui touche à notre survie même, pourquoi chacun n'agit-il pas en conséquence ?

    II- Les blocages psychologiques à la prise de conscience et à l'engagement

    « Si on ne questionne pas nos barrières mentales, on restera dans nos prisons », François Taddei

    Il existe de très nombreuses raisons qui expliquent pourquoi la prise de conscience et le passage à l'action sont si difficiles. Les recherches dans le domaine sont foisonnantes, et les blocages à l'ac-tion et à la prise de conscience sont très nombreux et encore difficiles à catégoriser et prioriser. Beaucoup de raisons sont structurelles et au-delà du contrôle de l'individu, comme nous l'avons vu avec le verrouillage sociotechnique de nos sociétés. Mais ces blocages structurels ne peuvent expliquer à eux-seuls l'inaction, et ne signifient pas que l'on ne peut rien faire ; il y a aussi de nombreux blocages psychologiques que nous pouvons chacun réussir à lever. Nous présenterons ici les principales barrières cognitives, sociales, émotionnelles, et culturelles à la prise de conscience et à l'enga-gement écologiques, ainsi que leurs conséquences.

    1) Barrières cognitives

    Le premier grand type de barrière tient à notre connaissance des enjeux, et à la capacité limitée du cerveau à recevoir et traiter ces informations.

    Cela inclut d'abord la capacité limitée du cerveau humain à penser à long terme et loin de nous. La psychologue Robert Gifford, qui a étudié ce qu'il appelle les « Dragons de l'Inactions », parle d'

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    « ignorance du cerveau primitif ». L'instinct de survie qui a guidé l'humanité pendant des milliers d'années a en effet rendu nos cerveaux plus aptes à utiliser notre instinct pour la résolution de l'im-médiat concret et visible, plutôt que notre raison pour la résolution du lointain. Or, les changements climatiques et autres crises socio-écologiques ne sont pas toujours immédiatement perceptibles et tangibles dans nos sociétés occidentales. Cette distance à la fois temporelle et spatiale rend difficile le traitement de l'information par le cerveau, qui, sans expérience et projection émotionnelle, privilégie les problèmes de court terme et touchant la personne de plus près. Daniel Gilbert, professeur de psychologie à Harvard explique cyniquement : « De nombreux écologistes disent que le changement climatique est trop rapide. En fait, il est trop lent. Trop lent pour obtenir notre attention ». Mais tout cela est de moins en moins vrai, et malheureusement c'est l'expérience de canicules, d'inondations, d'effondrement de la biodiversité de plus en plus intenses et fréquents, qui contribuent actuellement à un certain éveil des consciences. Certains estiment d'ailleurs que seules des catastrophes qui nous toucheront gravement permettront une vraie prise de conscience et de vrais changements.

    Gifford évoque aussi ce qu'il appelle un « engourdissement environnemental » (environmental numbness), qui peut se manifester de deux façons. Lorsqu'un trop grand nombre d'informations parvient à l'individu, il peut s'y habituer ou les éviter : « l'attention se rétrécit à mesure que l'accoutu-mance augmente ». C'est ce qu'on appelle aussi communément la fatigue environnementale (green fatigue) qui peut aussi se manifester par une réaction d'exaspération face au discours ou aux informations catastrophistes, qui mène à faire un rejet de l'information et à bloquer la connaissance. Cet engourdissement environnemental peut aussi se manifester par le fait que les changements se produisent de façon graduelle, et que nos cerveaux n'arrivent pas à les percevoir et à les intégrer. La fable de la grenouille plongée dans une casserole d'eau bouillante illustre bien ce concept. Si on la plonge directement dans de l'eau bouillante, la grenouille saute et s'échappe, mais si la grenouille est déjà dans la casserole et que la température monte progressivement, elle ne bouge pas et meurt. Philippe Bihouix appelle ce phénomène le « décalage du point de référence » (shifting baseline), c'est-à-dire que nous avons du mal à visualiser et à mesurer le changement de référentiel qui se produit. On s'est par exemple habitués peu à peu au fait de voir moins de papillons, moins de grenouilles... L'information et la connaissance s'en retrouvent biaisées.

    Ainsi, le trop-plein d'informations, les changements graduels, et la distance temporelle et géographique par rapport à l'information peuvent constituer de fortes barrières à la prise de conscience et l'engagement. Mais les barrières cognitives sont aussi intimement liées aux rapports sociaux que l'on entretient.

    2) Barrières sociales

    Nos relations et représentations sociales peuvent constituer de fortes entraves à la prise de conscience et à l'engagement écologiques.

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    D'abord, notre pensée et nos comportements ont tendance à s'aligner sur les pensées et comportements dominants. Selon Robert Gifford, les individus comparent en effet régulièrement leurs actions avec celles des autres, et tirent des normes sociales subjectives et comportementales de leurs observations sur ce qui doit être la ligne de conduite « appropriée ». Mai, les attitudes conformistes ne sont pas passives, car elles contribuent aussi à construire et entretenir les normes dominantes. Selon l'anthropologue, historien et philosophe René Girard, ces normes se construisent dans le mimétisme mutuel du désir de l'autre. C'est ce qu'il appelle le désir mimétique, c'est-à-dire le fait que « l'homme désire toujours selon le désir de l'autre ». Or, si le désir dominant est celui de la consommation ostentatoire, de la richesse, de la mode vestimentaire, des voyages exotiques, etc, la plupart se conforment à ce désir et contribuent à renforcer ces représentations communes. Cette théorie rejoint celle du philosophe Jean-Louis Vullierme, qui parle « d'interaction spéculaire » (spéculaire = relatif au miroir). Selon lui, la société est un système de représentations croisées entre individus. Chaque schème est différent, mais tous tendent à s'adapter mutuellement au fur et à mesure que se multiplient les rapports sociaux. La résistance des mentalités face à la crise écologique serait donc issue de cette attente et actions réflexives : on pense et on agit, souvent inconsciemment, par rapport aux pensées et aux actions des autres, de peur de se retrouver exclu ou marginalisé. Nous nous retrouvons dans une situation de conformisme global.

    D'autre part, nous pouvons avoir tendance à minimiser notre responsabilité d'action lorsque nous nous comparons aux autres. Selon Gifford, le risque d'inéquité est souvent perçu comme une raison de ne pas agir ; c'est le fameux « pourquoi devrais-je changer si les autres ne changent pas ? », ou encore « Pourquoi devrais-je faire des efforts et arrêter de prendre l'avion si tout le monde continue à prendre l'avion ? ». Au-delà de cette réticence à agir par rapport à d'autres qui n'agiraient pas, de nombreuses personnes pensent qu'elles ne peuvent rien faire en tant qu'individus face à des changements et des crises d'une telle ampleur. C'est le sentiment d'impuissance acquise, c'est-à-dire le sentiment de ne pas pouvoir affecter son environnement. Ce sentiment peut se transformer en fatalisme si l'individu n'agit pas parce qu'il considère que rien ne peut être fait, que « c'est foutu ». Enfin, d'autres considèrent que ce n'est pas de leur responsabilité d'agir : nous vivons dans un monde si complexe et nous sommes si nombreux qu'il y a une très forte dilution de responsabilité. Individuellement, on ne se sent pas responsable et on laisse la tâche à ceux qui ont plus d'impact et plus de responsabilités dans la situation. Ainsi, d'après un sondage de l'Union Européenne en 2014, seul un Européen sur quatre pense avoir un rôle personnel à jouer dans le combat contre le changement climatique. Cela peut aussi s'expliquer par une méconnaissance sur les moyens d'action.

    Nous voyons donc que nos façons de penser et d'agir dépendent largement des représentations sociales et du regard des autres, de notre désir d'intégration et de conformisme aux normes sociales, ainsi que de la vision que nous avons de notre capacité et de notre responsabilité d'agir. Notre rapport aux autres nous amène aussi à intérioriser et à refouler nos émotions sur ces enjeux.

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    3) Barrières émotionnelles

    Selon Joanna Macy, l'inertie comportementale face aux crises que nous connaissons peut s'ex-pliquer par un refoulement de nos émotions. Le refoulement désigne le fait de ne pas oser ou de ne pas s'autoriser à exprimer un sentiment, qui reste cependant présent inconsciemment.

    Les raisons de ce refoulement sont nombreuses. Dans nos cultures occidentales, l'expérience de la douleur et d'émotions négatives est considérée comme dysfonctionnelle, ce qui nous mène la plupart du temps à les ignorer, de peur de perdre contrôle. L'état de notre monde, et les crises humaines et environnementales déjà en cours sont si graves et inquiétantes, que nous évitons de les regarder en face par peur de souffrir. De plus, si un citoyen intégré dans le système occidental fait cet effort de regarder les constats et les crises en face, une grande partie de sa vie peut perdre de son sens et de sa valeur. On ferme donc les yeux de peur de désespérer et de nous retrouver paralysés. Il y a aussi derrière ce refoulement, une peur de culpabiliser. Il est difficile, au sein du système dans lequel nous vivons, de se nourrir, de s'habiller, de se déplacer, de se loger sans avoir un certain impact écologique ou social. Mais nous n'aimons pas nous sentir coupables, donc nous jetons un voile dessus. Toutes ces émotions sont aussi refoulées du fait du regard des autres. La confiance, l'optimisme et la positivité sont des marques caractéristiques de nos sociétés modernes, et il existe une peur de paraître morbide, négatif ou pessimiste qui provoque un refoulement de ces sentiments. De façon générale, la culture dominante dissocie raison d'émotion, et les réponses teintées d'émotions sont souvent prises pour un signe de faiblesse, d'instabilité, de non-fiabilité, alors que l'impassibilité est vue comme une preuve de « solidité émotionnelle ». Il y a donc une peur de paraître faible en exprimant ses émotions, surtout si celles-ci sont négatives.

    Or, selon Joanna Macy, se confronter à ces émotions est une étape essentielle dans la prise de conscience et l'engagement écologiques. Selon elle, « notre douleur pour le monde, faite de la peur, de la colère, de la tristesse et de la culpabilité que nous ressentons au nom de la vie sur Terre n'est pas seulement largement répandue. Elle est naturelle et saine. Elle n'est dysfonctionnelle que dans la mesure où elle est incomprise et refoulée ». Plus que cela, ressentir, exprimer et accepter ces émotions permettraient de prendre conscience et de passer à l'action, car les émotions ont une influence capitale sur nos jugements et nos décisions, et sont l'un des principaux déclencheurs des comportements humains. Pour Joanna Macy, « cette douleur est le prix de la conscience dans un monde menacé et souffrant ».

    Ainsi, le déni et l'inaction peuvent aussi s'expliquer par l'évitement de ces sentiments de douleur, de souffrance, de culpabilité ou encore de peur de paraître morbide ou faible. Comme pour les barrières sociales, on voit que beaucoup d'éléments entravant notre prise de conscience et notre engagement viennent des représentations et des croyances qui nous guident et guident nos sociétés.

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    4) Barrières culturelles

    Nos croyances et nos représentations sont si présentes et ancrées en nous, qu'elles influencent la plupart de nos actes, et agissent comme les principales barrières à la prise de conscience et à l'engagement.

    L'historien Yuval Noah Harari, dans son livre « Sapiens : une brève histoire de l'humanité » décrit comment de grands récits et mythes ont permis de construire et développer nos sociétés et déterminent aujourd'hui notre façon de penser et d'être. Selon lui, depuis la Révolution cognitive, l'Homo Sapiens vit dans une double réalité : la réalité objective, qui regroupe tout ce qui existe physiquement, comme les arbres, les rivières, ou les animaux, et la réalité imaginaire, qui regroupe ce qui n'existe que dans notre imagination, comme l'argent, les nations, ou les religions. Harari explique qu'il nous est très difficile de prendre conscience et de comprendre l'ordre imaginaire de ces récits, parce qu'ils sont incorporés au monde matériel, parce qu'ils façonnent nos désirs, et parce qu'ils sont intersubjectifs. Par exemple, l'argent n'a pas d'existence objective, il s'agit d'une construction imaginaire de l'homme, mais qui peut se matérialiser par des billets de banque ou par des coquillages, qui façonne nos désirs par l'importance qu'il a acquis dans la société, et qui existe et a de la valeur dans la conscience de tous. Il est donc devenu difficile de l'appréhender comme quelque chose d'imaginaire, et il est devenu totalement intégré à nos façons de penser et d'agir. Les récits ne sont pas intrinsèquement mauvais ; ce sont eux qui ont permis la coopération et le développement de nos sociétés. Mais ils deviennent dangereux dès lors qu'ils construisent des façons de penser et d'agir qui ont des conséquences néfastes. Or, selon Harari, « au fil du temps, la réalité imaginaire est devenue toujours plus puissante, au point que de nos jours, la survie même des rivières, des arbres et des animaux dépend de la grâce des entités imaginaires ».

    En effet, la plupart des récits dominants actuels entrent en contradiction avec les changements qu'imposeraient la lutte pour le respect de la vie et pour la survie de l'humanité. Selon Robert Gifford, l'idéologie et la vision du monde occidentales, fondés sur le capitalisme et la croissance, portent de nombreuses contradictions avec l'action environnementale. Nous sommes tous, individuellement et collectivement, tellement conditionnés par ces récits et croyances qu'il nous est particulièrement difficile de s'en détacher. Par exemple, pour réduire notre impact, il faudrait drastiquement réduire notre consommation (de biens vestimentaires, informatiques, de loisirs...), or la croyance de la consommation comme condition nécessaire au bonheur est très ancrée dans nos mentalités, ce qui nous empêche de la réduire malgré son impact. L'importance de l'apparence physique, des vêtements, de l'argent, du travail, de la technologie, du voyage... tous ces éléments sont des récits collectifs que nous avons construits, qui déterminent nos désirs, notre façon d'être et de penser, et qui entrent bien souvent en contradiction avec le changement de mentalité et de comportements qu'impose la sauvegarde de la vie.

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    Enfin, nos récits et représentations ont créé des habitudes fortes qu'il est difficile de changer. Prendre sa voiture, manger de la viande, faire ses courses au supermarché... autant d'habitudes qui sont encore profondément ancrées dans notre culture occidentale.

    5) Conséquences des barrières

    Les différents types de barrières psychologiques - non exhaustives - que nous avons présentées mènent à différents types de réactions ou de comportements face aux constats et aux implications écologiques.

    La dissonance cognitive est une des principales conséquences des barrières culturelles. Ce concept a été formulé pour la première fois par le psychologue Leon Festinger dans son ouvrage A theory of cognitive dissonance (1957). Il s'agit d'une situation de malaise, de tension dans lequel se trouve un individu quand il est en présence d'éléments cognitifs5 contradictoires. Dès lors qu'il y a un décalage entre intention et action, entre conscience et engagement, il y a dissonance cognitive. Par exemple, une personne consciente des enjeux environnementaux mais dont le travail n'est pas en accord, voire est incompatible avec l'écologie, est en situation de dissonance.

    Cela peut créer des sentiments de culpabilité, de frustration et de mal-être, mais pour les éviter, nous développons inconsciemment des comportements et stratégies visant à réduire cette dissonance. Selon Festinger, « pour ne pas se mettre psychiquement en danger, l'individu a besoin de maintenir une certaine cohérence entre ses croyances, ses attentes et ses actes. Quand la dissonance est trop grande, cela provoque une réaction de négation, de rejet, d'évitement ou d'oubli. » Il existe donc plusieurs façons de réduire la dissonance cognitive. La personne peut réduire les éléments dissonants en évitant, en ignorant ou en minimisant toutes les informations qui entrent en contradiction avec ses croyances ou valeurs. Une autre façon de réduire la dissonance est d'aug-menter les éléments consonants en renforçant ses croyances ou en justifiant son comportement. Pour cela, nous avons tendance à chercher et privilégier des informations confirmant nos idées, et accorder moins de poids aux hypothèses et informations allant à l'encontre de ses conceptions ; c'est ce qu'on appelle le biais de confirmation. Enfin, nous pouvons réduire la dissonance en ajoutant des éléments de justification à nos croyances ou à nos comportements. Par exemple, nous pouvons justifier le fait de prendre l'avion par le fait que nous avons fait des efforts pendant l'année pour réduire notre bilan carbone. Plus les croyances sont ancrées, plus le déni et la justification sont forts, plus les croyances se renforcent, dans une boucle de rétroaction difficilement arrêtable.

    5 Un élément cognitif désigne tout ce qui est susceptible de devenir objet de connaissance : comportement, opinion, croyance, réaction, sensation...

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    Ainsi, les barrières cognitives, sociales, émotionnelles et culturelles que nous avons présentées peuvent mener à des situations de dissonance cognitive, de déni, et d'évitement très puissants, qui expliquent l'inertie, et la difficulté à prendre conscience et à agir. Nous n'avons ici vu que les principaux blocages psychologiques, il en existe beaucoup d'autres. De plus, au-delà de ces blocages psychologiques, il existe de très nombreux blocages structurels et sociétaux dépendant moins de nous : l'accélération et le manque de temps, la pression sociale autour du travail, de l'argent, les verrous techniques et économiques, le manque d'alternatives pour certains domaines... L'aspect systémique de ces blocages est aussi très important à noter : tous ces blocages sont reliés entre eux, se cumulent et se renforcent les uns les autres, et se manifestent à la fois psychologiquement, socialement, comportementalement et neurologiquement, ce qui explique aussi la diversité des recherches et des disciplines, et la difficulté à identifier des catégories et une vision linéaire de ces phénomènes. Mais la littérature étudiée nous a mené à conclure que la plupart de ces barrières sont liées aux représentations culturelles, aux croyances et aux récits que nous avons construits, qui constituent donc le principal verrou à la prise de conscience et à l'engagement écologiques. Lorsqu'il s'agit de notre vision du monde, du sens de notre vie, et de notre avenir qui sont remis en question, la phase de déni peut être très longue, et la prise de conscience difficile. Cela permet aussi de comprendre que changer véritablement ses habitudes de vies et s'engager passe nécessairement par une dé-construction et une reconstruction de notre façon de voir le monde, et donc par un transformation intérieure profonde.

    Alors, face à la puissance et la diversité de ces blocages, comment cette transformation intérieure a-t-elle lieu ? Comment ce processus est-il vécu ? Malgré cette diversité et complexité de barrières, il suffit parfois d'un verrou qui saute pour que les autres suivent, dans un processus de changements et de libération profonds.

    III- Le processus de prise de conscience et d'engagement écologiques

    « Un coeur qui s'ouvre peut contenir tout l'univers », Joanna Macy

    « Il y a des choses qu'on ne voit comme il faut qu'avec des yeux qui ont pleuré », Henri Lacordaire

    « Je ne crois pas que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n'ayons corrigé nous-même », Etty Hillesum

    La prise de conscience et d'engagement a peu été étudiée en tant que processus. Nous avons réuni trois types d'approches qui nous semblent pertinentes et complémentaires, et que nous présenterons à tour de rôle, en essayant de mettre en évidence à chaque fois leurs apports et leurs limites.

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    La conscientisation (Paulo Freire)

    Le pédagogue brésilien Paulo Freire, connu pour ses travaux et sa pratique de l'éducation comme moyen militant et politique de conscientisation et de libération, identifie trois niveaux de conscience dans un processus de changement profond.

    Le premier niveau correspond à ce qu'il appelle la « conscience magique ». Il s'agit du degré de conscience le plus aliéné ; la conscience est dépendante et soumise, les personnes manquent de distance suffisante avec la réalité pour l'objectiver et l'aborder de manière critique. Puis un processus de construction des savoirs et d'alphabétisation culturelle permet de dépasser l'ignorance. C'est la conscience naïve, qui amène les personnes à soupçonner ce que peut être la véritable raison de l'ordre des choses et de la réalité. Enfin, le troisième niveau correspond à la conscience critique. Les personnes prennent conscience de la réalité socioculturelle qui moule leur vie, et comprennent l'ampleur du potentiel qu'elles ont pour transformer la réalité et se transformer elles-mêmes comme partie de cette réalité.

    On retrouve dans son raisonnement trois éléments clés qui permettent de dépasser l'igno-rance et de se libérer de notre dépendance aux croyances : la connaissance et la construction des savoirs, la conscience des éléments qui nous déterminent, et la conscience de notre capacité à agir dessus. Un autre élément intéressant est la portée libératrice de ce processus. Enfin, selon lui, l'action est centrale dans ce processus : la conscientisation sans action, ne créerait qu'une illusion de changement. La réflexion et l'action s'alimentent l'une l'autre dans un aller-retour que Paulo Freire nomme l'action réflexive, c'est-à-dire le fait de mettre la réflexion au coeur de l'action en vue à la fois de l'améliorer et d'en apprendre. La conscientisation permet alors, selon Freire, de s'émanciper et de se libérer des oppressions.

    L'approche de Freire n'est cependant pas liée aux enjeux écologiques, même elle peut facilement s'y appliquer. Limites

    2) L'échelle de conscience (Paul Chefurka)

    Dans son article « Gravir l'échelle de la conscience » (climbing the ladder of awareness), le chercheur canadien Paul Chefurka propose une échelle de prise de conscience en 5 étapes.

    La 1ère étape est celle du sommeil profond. La personne ne semble pas voir de problème fondamental. Si problème il y a, c'est qu'il n'y a pas assez de ce qu'il y a déjà (croissance, emplois, salaires, développement...). Puis, la personne prend conscience d'un problème fondamental qui retient toute son attention. Ce peut être le changement climatique, la biodiversité, le pic pétrolier, la pollution, les inégalités, les migrations... Cela peut mener à devenir un ardent militant pour la cause choisie. Ensuite, la personne prend conscience de la diversité des problèmes. Elle cherche à les hiérarchiser selon leur urgence et leur force d'impact, sans forcément les relier entre eux. Dans un

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    quatrième temps, la personne prend conscience des interconnexions entre les problèmes. Tout devient systémique, les solutions isolées ne fonctionnent plus. Il y a une tendance à se rapprocher de cercles restreints de personnes aux vues similaires pour échanger et approfondir leur compréhension. Enfin, la personne prend conscience que la situation englobe tous les aspects de la vie. Ces aspects incluent tout ce que nous faisons au quotidien, comment nous le faisons, nos relations... La personne prend conscience qu'on n'est plus face à un problème que l'on doit résoudre, mais face à un predicament (=situation inextricable qui ne peut être résolue). Il faut donc apprendre à vivre avec, et on prend conscience des bouleversements inévitables à venir. On a le sentiment d'être complètement dépassé, tout est remis en question. Il y a un risque réel de dépression.

    Nous voyons donc que la connaissance est au coeur du processus de prise de conscience de Paul Chefurka. L'élément au coeur du processus de prise de conscience est la conscience des interconnexions entre les problèmes et du côté systémique de la situation. Deux autres éléments sont importants selon lui : la conscience que la situation englobe tous les aspects de notre vie, et la conscience qu'il s'agit d'un problème qui ne peut être résolu complètement et qu'il faut donc accepter. L'intérêt de cette approche est donc de comprendre les grandes étapes de la prise de conscience des problèmes de notre civilisation, et de souligner l'importance primordiale du systémique.

    Mais la notion d'engagement et d'action n'est pas du tout présente dans cette échelle, et se concentre sur un aspect certes important, mais limité de la prise de conscience. Surtout, l'approche ne se concentre pas sur les apports de la prise de conscience. La perspective est très négative, la dernière étape se terminant sur une situation sans issue et un risque de dépression. Mais Chefurka précise tout de même dans son article que pour faire face au désespoir de la 5ème étape, deux routes semblent se dégager : un chemin intérieur, consistant à repenser notre façon d'être au monde par une forme de développement personnel et/ou un chemin extérieur, consistant à agir pour s'adapter et devenir plus résilient. Ainsi, contrairement à Freire, l'approche de Chefurka présente l'action comme un résultat du processus de prise de conscience plutôt que comme une partie intégrante de celui-ci.

    3) La courbe du deuil (Elisabeth Kübler-Ross) sous le prisme de la collapsologie et de l'écopsy-chologie (Pablo Servigne et Joanna Macy)

    La psychiatre Elisabeth Kübler-Ross a développé en 1969 une théorie portant sur les différents stades émotionnels par lesquels passe une personne qui apprend sa mort prochaine : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation. Elle a également appliqué ces étapes à toute forme de perte difficile (emploi, divorce, infertilité...). Aujourd'hui, de plus en plus de personnes vivent ce processus dans leur prise de conscience écologique. Pablo Servigne et Joanna Macy expliquent tous deux avoir ressenti et retrouvé ces étapes dans les réactions des publics qu'ils ont rencontrés. En effet, comme nous l'avons vu dans les précédentes parties, prendre conscience des catastrophes en

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    cours et à venir, d'un possible effondrement de nos civilisations, et de la nécessité de remettre en question et de changer radicalement nos façons de vivre et de penser, peut être vécu comme un véritable effondrement intérieur.

    L'illustration suivante a été réalisée par le facilitateur graphique Matthieu Van Niel, et présente les différentes étapes par lesquels une personne passe dans ce processus.

    Figure 2 : Collapsologie et courbe du deuil Source : Mathieu Van Niel

    a) Déni

    La première étape, souvent la plus longue, est le déni, que nous avons déjà évoqué, et qui peut impliquer une attitude consistant soit à nier, à ignorer ou à éviter les informations, et à réprimer ses émotions. Ici, si l'on considère le « choc » comme l'information selon laquelle nos civilisations pourraient s'effondrer, la phase de déni peut-être très longue, voire insurmontable.

    b) Colère et peur

    La personne peut aussi passer par une étape de colère et/ou de peur. Selon Pablo Servigne, la colère est « une forme d'expression de la peine et de la souffrance, et surtout la preuve d'une grande sensibilité à l'injustice. La colère peut aussi signifier une volonté, une rage de vivre, et même

    de vivre ensemble ». Elle peut mener à vouloir désigner des coupables et des responsables. La peur se manifeste plus comme de l'anxiété et de l'angoisse, qui peuvent nous paralyser lorsque l'on pense au futur. Mais les études sont partagées sur l'impact de ces sentiments sur l'engagement : certaines montrent qu'ils sont positifs, d'autres l'inverse. Il ne semble finalement pas y avoir de corrélation, et d'autres facteurs sont à prendre en compte.

    c) Marchandise et négociation

    La phase de marchandise, ou de négociation peut consister à vouloir trouver des moyens alternatifs sans aller aux racines des problèmes ; Mathieu Van Niel a choisi l'exemple de la voiture électrique, mais la principale manifestation de la marchandise est sûrement la croyance aux technologies comme moyen de nous sauver. Cette étape peut inclure les phénomènes du biais de confirmation et de la justification que nous avons évoqués précédemment, et qui permettent de réduire la dissonance ou de fuir la souffrance.

    d) Dépression et éco-anxiété

    Lorsque l'on réussit à faire face aux problèmes, à notre capacité limitée à les résoudre, et donc au risque d'effondrement, le choc peut être rude. Comme le soulignait Chefurka dans son échelle, il y a un risque réel de dépression associé à la prise de conscience écologique. La personne peut se sentir complètement dépassée, ne plus trouver de sens à sa vie si celle-ci est ancrée dans le système et contribue aux crises en cours. « C'est vraiment le bazar, plus rien n'a de sens », illustre Matthieu Van Niel. Plus largement, pour désigner la souffrance et l'angoisse liées à l'état du monde et à la perspective d'un effondrement, le terme d'éco-anxiété a été développé en 2011 par la psychiatre et chercheuse Véronique Lapaige. C'est un phénomène récent auquel commencent tout juste à s'intéresser les psychologues et psychanalystes, au vu de la multiplication de sa manifestation. Il est toutefois important de distinguer éco-anxiété et dépression : la dépression est une maladie, tandis que l'éco-anxiété n'en est pas une mais peut mener à la dépression. Une des principales critiques de la collapsologie porte sur le risque de démobilisation, de dépression et de comportements surviva-listes que la perspective d'un effondrement peut provoquer. Mais l'éco-anxiété peut aussi être une véritable source de motivation et d'engagement : « le nombre d'éco-anxieux croit de jour en jour, et heureusement (...). Parce que précisément, c'est ce phénomène d'éco-anxiété qui va nous permettre de faire face, de nous engager, à différents niveaux, face à l'ampleur des impacts environnementaux », estime Véronique Lapaige. Ses propos rejoignent la pensée de Joanna Macy, qui, comme nous l'avons vu, considère que la « douleur est le prix de la conscience dans un monde menacé et souffrant. Dans tous les organismes, la souffrance a une finalité : celle d'un signal d'alarme. Non seulement elle est naturelle, mais c'est une composante indispensable de notre guérison collective ».

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    e) Acceptation et renouveau

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    Selon Joanna Macy, cette phase de souffrance et de désespoir serait en effet nécessaire, libératrice et régénératrice. Lorsque nous commençons à participer et à nous épanouir dans la construction de nouvelles façons de penser et de vivre, nous entrons dans la phase d'acceptation et de renouveau.

    Cette phase se construit à la fois dans la réflexion et dans l'action. D'une part, faire face à nos contradictions et aux catastrophes écologiques peut nous amener à réfléchir et à se poser des questions fondamentales sur notre place dans le monde et sur le sens de notre vie. D'autre part, l'action et l'engagement permettent de construire de nouvelles façons de se voir, de voir l'autre et de voir le monde. Ainsi, selon Servigne, « l'action n'est pas l'aboutissement d'un processus, mais elle fait partie intégrante du processus de transition intérieure. C'est elle qui permet dès le début de la prise de conscience de sortir d'une position d'impuissance inconfortable en apportant quotidiennement des satisfactions qui maintiennent optimistes. Ce sont d'abord de petites actions qui paraissent insignifiantes, puis de plus conséquentes, suivant les gratifications que chacun a pu tirer des premières. C'est en agissant que notre imaginaire se transforme ». Ainsi, ce processus de réflexion et d'action liées peuvent permettre de (re)définir son soi profond, son rapport aux autres, et son rapport au monde, ce qui peut être source de joie et de bonheur profonds. Joanna Macy explique que ce processus peut libérer une énergie créatrice renforcée, et permettre de « recouvrer sa passion pour la vie, sa créativité innée et sauvage ». D'autres auteurs ont étudié l'aspect libérateur et créateur de la prise de conscience : pour Murphy, « la conscience est un seuil qui, une fois franchi, nous ouvre tout un univers : langage, objectivité, connaissance, curiosité, apprentissage créatif, action subjective, motivation intérieure, espoir, intention, libre choix - bref, un univers où nous pouvons jouer un rôle actif », et pour Rouillard : « La liberté est proportionnelle au degré de conscience d'un être, laquelle est elle-même et de manière implicite proportionnelle au degré de responsabilité qu'il ressent ». Les notions de liberté et de pouvoir d'action, de responsabilité, semblent intimement liées. Pour autant, il est important de noter qu'il ne s'agit pas d'un processus linéaire, qu'il est possible de faire des allers-retours entre désespoir et joie, voire de ressentir des sentiments contradictoires en même temps. Comme le résume Mathieu Van Niel sur son illustration : « C'est pas simple, c'est pas facile, mais c'est beau ». Aussi, toutes les étapes ne sont pas forcément vécues, et pas forcément dans cet ordre, et Pablo Servigne précise également que cette courbe n'est pas une norme applicable pour tous, mais un repère utile pour beaucoup.

    Cette approche du processus de prise de conscience par le prisme des émotions est particulièrement intéressante car elle nous permet de réaliser l'importance de l'expression de nos émotions pour nous engager et changer pleinement. Surtout, elle peut se révéler très utile pour accompagner et aider les personnes dans leur cheminement ; c'était la vocation première de la courbe de deuil de Kübler-Ross pour ses patients. Pablo Servigne explique que la connaissance même de cette courbe peut représenter une vraie libération et un vrai soulagement, car la personne réalise que ses émotions

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    sont naturelles, que le processus de changement est long, dynamique, et complexe, et qu'il finit par déboucher sur un horizon plus serein. Aider et accompagner les personnes dans ce cheminement et dans leur rapport à leur environnement est d'ailleurs l'objet de l'écopsychologie portée par Joanna Macy. Enfin, l'approche montre que pour dépasser le stade du désespoir et du sentiment d'impuis-sance, un des éléments clés est de prendre conscience de sa capacité et de sa responsabilité d'agir en prenant part et en s'épanouissant dans un processus d'action et de réflexion reconstructeurs. On retrouve ici la pensée de Paulo Freire, pour qui la conscience de sa capacité d'agir, l'action et la réflexion sont tous trois essentiels et reliés.

    Cependant, l'échelle ne permet pas toujours de comprendre ce qui permet de passer d'une étape à une autre, et notamment pour la phase de déni. On peut également se demander si passer par cette phase de dépression, de désespoir est « nécessaire », comme semble l'indiquer Joanna Macy, et questionner les risques que cela peut entraîner

    Ces trois approches révèlent des processus complémentaires. Les échelles de Freire et de Chefurka mettent l'accent sur l'importance de la connaissance et de la construction des savoirs dans ce processus. Freire parle « d'alphabétisation culturelle » et de « conscientisation », tandis que Che-furka souligne l'importance de la conscience du systémique. Les approches de Macy, Servigne, et de Freire soulignent l'aspect libérateur de ce cheminement, qui, par un processus de réflexion et d'action s'alimentant l'un l'autre, permettrait à la personne de recouvrir son pouvoir d'action, et de se redéfinir dans son rapport à soi, aux autres et au monde. Cela permettrait à la personne de se transformer, et de transformer la réalité imaginaire qui nous guide. Enfin, Macy et Servigne, en reprenant la courbe de deuil développée par Elisabeth Kübler-Ross, montrent que le processus de prise de conscience peut être vécu comme un véritable deuil : faire face aux crises, aux constats et aux implications peut à la fois désespérer, faire peur et rendre triste, et en même temps remettre en question tout le sens d'une vie. Mais faire le deuil de la société et de mode de vie peut être vécu comme un processus libérateur, régénérateur et créateur.

    « Il fallait que nous changions du tout au tout notre attitude à l'égard de la vie. Il fallait que nous apprenions par nous-même et, de plus, il fallait que nous montrions à ceux qui étaient en proie au désespoir que l'important n'était pas ce que nous attendions de la vie, mais ce que nous apportions à la vie. Au lieu de se demander si la vie avait un sens, il fallait s'imaginer que c'était à nous de donner un sens à la vie à chaque jour et à chaque heure ».

    Bilan de la revue de littérature

    Nous avons d'abord vu la complexité, la diversité, et l'interdépendance de toutes les crises que nous connaissons, qui ont déjà des conséquences catastrophiques, et qui pourraient mener à un

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    effondrement de la civilisation telle qu'on la connait. Que nous le subissions ou que nous le choisissions, des changements radicaux dans nos modes de production, de consommation, d'organisation et de vie sont inévitables. Les moyens d'action ne manquent pas, et nous pouvons agir pour à la fois limiter les dégâts, créer de nouvelles façons de faire, et changer nos façons de penser. (Tableau 1)

    Mais individuellement, la prise de conscience et le passage à l'action sont très difficiles, et, en plus de barrières politiques et socio-techniques, ils sont soumis à de nombreux blocages psychologiques. Difficulté à percevoir et interpréter les informations, volonté de se conformer aux normes sociales, refoulement de nos émotions, et surtout, puissance des récits et croyances dominants qui déterminent notre façon d'être et d'agir ; toutes ces barrières s'érigent ensemble comme une montagne entre nous et le chemin de la durabilité. Une montagne qui semble infranchissable, et provoque des sentiments de culpabilité, de frustration, de mal-être lorsqu'on la regarde en face, et des comportements de déni, d'évitement et de justification pour éviter de la gravir. (Tableau 2)

    Mais cette montagne n'est pas infranchissable. Lorsqu'on réalise la nécessité de l'emprunter, il faut changer du tout au tout sa façon de penser et de vivre, ce qui peut se révéler très difficile, mais finalement initiatique. En effet, en agissant, réfléchissant, ressentant et exprimant des émotions, on peut prendre conscience de notre pouvoir d'action, de notre rôle, mettre en accord et ajuster nos pensées et nos actions, et ainsi finalement se reconstruire dans une démarche de conciliation respectueuse et durable entre soi, les autres et le monde. (Tableau 3).

    Ainsi, le processus d'engagement écologique semblerait être un processus transformateur intérieur et extérieur libérateur (Hypothèse principale)

    Tableau 1 : Résumé de la partie 1 - Fondements de la prise de conscience et de l'engagement

    Constats

    - un monde d'exponentielles

    - un monde de ressources finies : les limites auxquelles nous nous heurtons

    - le franchissement de barrières et la proximité avec des points de bascule

    - le verrouillage sociotechnique de nos sociétés qui empêchent le changement

    - la fragilité et vulnérabilité croissantes de nos sociétés

    Implica-
    tions

    - les catastrophes en cours et inévitables à venir

    - la probabilité d'un effondrement

    - la nécessaire remise en question fondamentale de nos modèles

    Actions

    - limiter les dégâts (atténuation et adaptation)

    - comprendre la situation et créer des alternatives - changer de paradigme culturel

    Tableau 2 : Résumé de la partie 2 - Barrières psychologiques à la prise de conscience et à l'engage-ment

    Type de barrières

    Manifestations

    Conséquences

    Barrières cognitives

    - cerveau primitif, distances

    - fatigue environnementale

    - décalage du point de référence

    - dissonance cognitive - impuissance acquise - déni, réactance

    Barrières sociales

    - normes sociales, désir mimétique, interaction spéculaire

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    - conformisme, ignorance concertée, conditionnement collectif

    - dilution de responsabilité

    - évitement, fuite - justifications

    Barrières émotion-
    nelles

    - peur de souffrir, de désespérer, de cul- pabiliser

    - peur de paraître morbide, de paraître faible

    Barrières culturelles

    - récits et croyances - habitudes

    Tableau 3 : Résumé de la partie 3 - Processus de prise de conscience

     

    Conscientisation
    Paulo Freire

    Echelle de conscience
    Paul Chefurka

    Courbe de deuil
    Elisabeth Kübler Ross
    Macy et Servigne

    Etapes

    - conscience magique - conscience naïve

    - conscience critique

    - sommeil profond

    - un problème fondamental

    - plusieurs problèmes hiérarchisés - plusieurs problèmes intercon- nectés

    - predicament

    - déni

    - colère et peur

    - marchandage

    - dépression et éco-anxiété

    - acceptation et renouveau

    Eléments
    clés de la
    prise de
    conscience

    - connaissance (« alphabé- tisation culturelle »)

    - conscience des détermi- nants

    - conscience de son pou- voir d'action

    - action / réflexion

    Connaissance de :

    - l'interconnexion entre les pro- blèmes

    - la situation englobe tous les as- pects de nos vies

    - le pb ne peut être résolu (predi- cament)

    - accepter et exprimer ses émotions

    - souffrance et désespoir - conscience de son pou-voir d'action

    - action / réflexion

    Résultat

    - libération, émancipation - la personne contribue à transformer la réalité

    - action politique - action intérieure

    - Redéfinition de soi, de son rapport aux autres, de son rapport au monde - Libération, création, éner-gie, joie

    - la personne contribue à construire de nouveaux récits et imaginaires

    Apports

    - éducation au coeur du changement

    - nécessité d'action/ré- flexion

    Importance des interconnexions, du côté systémique des crises

    - peut aider, accompagner et soulager les personnes vivant ce processus

    - processus libérateur et

    transformateur, à la fois
    pour la personne et pour l'imaginaire collectif

    Limites

    Non reliée aux enjeux éco- logiques

    - Facteur explicatif limité

    - L'action ne fait pas partie du pro- cessus mais en est un résultat

    Ne prend pas en compte les

    premières étapes, part à
    partir d'un choc.

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    PARTIE 2 : ENQUÊTE DE TERRAIN

    Méthodologie de l'enquête de terrain

    1) Formulation des hypothèses de recherche

    Pour répondre à notre objet d'étude, à savoir la compréhension du processus d'engagement écologique, nous essaierons à la fois de comprendre comment une personne consciente mais bloquée en vient à s'engager, et qu'est-ce que cet engagement implique. La revue de littérature nous a déjà permis d'aborder des pistes de réponses, que nous allons ici présenter, pour ensuite les tester et les explorer dans notre enquête de terrain.

    Nous avons vu que la connaissance était au coeur des trois approches du processus de prise de conscience présentées. Aujourd'hui, la grande majorité de la population française a connaissance et conscience des changements climatiques, de l'extinction de la biodiversité, de la pollution atmosphérique, des océans, de la déforestation... Mais combien ont une connaissance approfondie des mécanismes climatiques ? Des limites et barrières planétaires, des effets de seuil, des boucles de rétroaction ? Combien ont conscience de la complexité et des interconnexions entre ces crises ? De leurs origines, de leurs implications ? Il n'existe pas d'étude approfondie sur ces degrés de connaissance, mais une étude de l'OFCE a révélé que le niveau de connaissances factuelles sur les changements climatiques des français était dans l'ensemble « faibles à passables ». Or, pour s'engager, il est essentiel de saisir l'urgence et l'importance des changements nécessaires, et donc pour cela d'appro-fondir les connaissances. Nous postulons donc qu'une connaissance approfondie et systémique des crises socio-écologiques, de leurs causes, de leurs implications et de leur complexité est un levier clé d'engagement écologique.

    Mais la connaissance n'est pas suffisante seule. Nous l'avons vu, les blocages sociaux sont extrêmement forts, et la puissance du conformisme est telle que même avec une connaissance approfondie des crises que nous traversons, une personne se plaçant dans un groupe social très peu sensibilisé aura du mal à s'en extraire et à agir et penser différemment. Mais ces mécanismes de mimétisme et de conformisme peuvent devenir une force et des leviers d'engagement s'ils fonctionnent dans l'autre sens. Nous posons donc que le processus d'engagement écologique individuel passe nécessairement par le groupe, le collectif.

    En s'engageant individuellement et collectivement, les personnes sont amenées, au fil du temps, à expérimenter des actions, à les mettre en oeuvre, à en apprendre, et donc, à changer et lever les blocages culturels à la prise de conscience et à l'engagement. Les approches de Freire ainsi que de

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    Joanna Macy via la courbe du deuil mettent en évidence la transformation des personnes par ce processus, et la transformation conséquence progressive des représentations sociales. En s'enga-geant, les personnes se transforment progressivement dans leur rapport à soi, aux autres, et au monde, ce qui mènerait, via les mécanismes d'interaction spéculaire et de désir mimétique étudiés précédemment, à une transformation conséquente progressive des récits collectifs et de la réalité imaginaire. Freire et Macy évoquent tous deux l'aspect libérateur de ces transformations : la personne, peu à peu, réduit les dissonances cognitives, comprend ses déterminants, vient à s'en émanciper, comprend son pouvoir d'action et construit de nouveaux modes de pensée et d'action. Ainsi, le processus d'engagement écologique serait un processus de transformation intérieure et extérieure libérateur.

    Ces transformations profondes peuvent être difficiles à vivre, mais aussi source de bonheur et de joie. Comme l'a étudié Joanna Macy, elles peuvent être vécues comme un effondrement intérieur, comme une perte de sens, et mener à des situations de stress, d'angoisse, de tristesse, voire de dépression si le choc ou la dissonance cognitive sont trop grands, ou le contexte personnel trop difficile. Mais ces émotions peuvent être déclencheurs de prise de conscience et d'engagement, et celui-ci mener à des émotions positives qui vont renforcer l'engagement dans un cercle vertueux. Les émotions semblent donc centrales dans ce processus : elles sont souvent refoulées, participant à l'inertie face à la gravité et la complexité de la situation, mais peuvent se révéler motrices de l'enga-gement lorsqu'elles sont exprimées, acceptées et comprises. Ainsi, nous postulons que l'accepta-tion, l'expression, la compréhension et l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le processus d'engagement écologique.

    Il convient de souligner l'aspect systémique de ces hypothèses et la complexité du processus d'engagement : la connaissance, le groupe, la transformation et les émotions sont des éléments clés du processus, mais ce ne sont pas les seuls, et ils sont complémentaires, fonctionnent ensemble, et peuvent se renforcer les uns les autres en fonctionnant par rétroaction. Il sera donc intéressant d'étu-dier ces liens dans l'enquête de terrain.

    2) Objectivation participante : expérience personnelle d'engagement écologique Méthodologie

    Le choix de ce sujet de mémoire a largement été motivé et construit à partir de convictions personnelles, et à partir de ma propre expérience de processus d'engagement écologique. Ce rapport étroit au sujet peut comporter le risque de vouloir imposer ma vision des choses et la projeter dans ma recherche de terrain, interprétant la pratique des agents par ce prisme. C'est pour réduire ce risque que le sociologue français Pierre Bourdieu a développé la notion d'objectivation participante,

    un travail central consistant à objectiver le rapport subjectif du sociologue à son objet. A noter que nous apportons une nuance à cette notion d'objectivation participante, car nous considérons qu'il n'est pas possible, ni même souhaitable d'objectiver totalement son rapport à l'objet d'étude. Nous pensons qu'il faut trouver un juste milieu entre l'utilisation de son propre vécu et convictions, et la recherche de terrain. Autrement dit, mon expérience et mon vécu peuvent et doivent être pris en compte dans la recherche, mais il faut veiller à ce que cette recherche et le terrain ne soient pas utilisés pour appuyer mes pensées, mais pour les éclairer.

    Pour mieux comprendre son rapport à l'objet et veiller à ne pas déroger à cette règle, il est important d'effectuer un travail de réflexivité. Pour Bourdieu, la réflexivité est le travail par lequel la science sociale « se prenant elle-même pour objet, se sert de ses propres armes pour se comprendre et se contrôler ». Selon lui, la capacité pour le sociologue de considérer la relation qu'il entretient avec son objet constitue un moyen d'améliorer la qualité scientifique de ses travaux. L'objectivation participante est donc un processus d'auto-analyse du rapport à l'objet, de son propre parcours pour rendre la recherche plus rigoureuse.

    Ici, l'objectivation participante va un peu plus loin qu'une compréhension de mon rapport à l'objet, puisque j'ai vécu mon objet d'étude. Il s'agira donc d'analyser mon propre vécu du processus d'engagement. Au-delà de l'objectif d'objectivation, ce travail peut aussi constituer un cas d'étude intéressant, ayant une vision assez complète de comment il s'est déroulé et a été vécu. Cependant, ce travail n'est pas inclus dans l'analyse du mémoire, puisqu'elle serait contraire à la règle énoncée précédemment. Elle pourra être mise en lien par le lecteur, mais pour cette recherche, ce récit cherche essentiellement à comprendre le rapport du chercheur à son objet d'étude. C'est un exercice délicat, d'abord car il implique de se livrer personnellement, et aussi parce qu'il peut y avoir un manque de recul sur l'analyse de son propre parcours, et une subjectivité qui ne permet pas forcément de saisir tous ses déterminants.

    J'ai donc essayé de retracer mon processus d'engagement, et ai ainsi distingué 5 grandes phases de ce processus, que je décrirai en précisant pour chacune le niveau de connaissance, le niveau d'engagement et les émotions liées. A noter que ce travail a été fait et rédigé avant les entretiens individuels et avant la revue de littérature, afin de ne pas être influencée par le récit d'autres personnes.

    Description du cheminement

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    Phase 1 - Ignorance et blocages :

    30

    Description : J'ai grandi dans un milieu aisé et ai toujours connu un grand confort matériel, financier et humain. Pendant la première partie de ma vie, jusqu'à mes 18 ans environ, j'ai vécu dans une ignorance écologique totale. En grandissant, et à partir de ma licence d'économie-gestion, j'ai commencé à avoir quelques informations sur ces enjeux, qui m'ont tout de suite paru importants, mais qui pour autant ne m'ont pas fait changer dans mon comportement et mes actions. Je portais de l'intérêt pour ces sujets, sans savoir comment m'en emparer, et donc sans m'en emparer. Mon quotidien, ma routine et mes habitudes étaient bien plus forts que cet intérêt et je ne me posais pas même la question du rôle ou de l'impact que je pouvais avoir à mon échelle.

    Connaissance des enjeux : très faible

    Engagement : Pendant ces 18 années, j'ai été ultra-consommatrice : de vêtements, de nourriture, de séries, d'énergie... j'étais dans une attitude très passive et inactive.

    Emotions : insouciance, passivité, inconscience

    Phase 2 - Déclic visuel et recherche de sens :

    Description : Pendant mon échange universitaire de L3 que j'ai eu la chance d'effectuer en Australie pendant 6 mois, j'ai pu voir des impacts des changements climatiques de mes yeux, notamment lors d'une randonnée sur un glacier qui était noir de terre. Il y avait un vieux panneau avec une photo du même paysage que j'avais sous les yeux, mais sur cette photo le paysage était blanc de glace. Cette expérience a été un vrai déclic et m'a poussée à m'informer plus en profondeur sur ces sujets. Ce processus a été long, ne s'est pas fait du jour au lendemain, mais en rentrant en France et en reprenant des études qui n'incluaient quasiment pas ces enjeux pourtant essentiels, j'ai développé un besoin de trouver et de donner du sens à ce que je faisais. Ce n'était pas le cas dans mes études, alors j'ai décidé d'en changer, et de faire un master en développement durable.

    Connaissance des enjeux : faible, informations dans les médias et sur internet

    Engagement : Cette période en licence s'est accompagnée de premières petites actions, éco-gestes notamment, mais il y a globalement eu peu de changement dans mes habitudes de vie quotidiennes. Emotions : pendant l'expérience visuelle : choc, tristesse, incompréhension, questionnements. Après : volonté de comprendre, de trouver du sens et de se sentir utile. Insatisfaction, stress, dissonance

    Phase 3 - Formation au développement durable et découverte de sens :

    Description : Ce master a été un véritable changement et étape clé dans mon cheminement. Il m'a fait découvrir de nombreuses thématiques (gestion des déchets, de l'eau, de l'énergie, biodiversité, RSE, politiques publiques...), m'a fait comprendre la nécessité et surtout les possibilités d'actions pour la transition écologique. J'étais convaincue de la pertinence du développement durable et ne remettait pas fondamentalement en question nos systèmes et modes de vie.

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    Connaissance des enjeux : moyenne, connaissance globale des enjeux mais superficielle, cours se focalisant plus sur les actions que sur le constat, et ne comportant pas d'état des lieux approfondi et de dimension systémique des problèmes.

    Engagement : intégration dans les études, éco-gestes, mode de vie plus écologique (courses, déchets, consommation alimentaire, baisse globale de consommation...)

    Emotions : satisfaction, cohérence, bien-être, positivité et optimisme

    Phase 4 - Effondrement intérieur et remises en question :

    Description : Cette étape a été la plus importante mais aussi la plus difficile. Par le biais de mon engagement au sein de l'association Avenir Climatique, par le biais de rencontres, de lectures, d'ap-profondissement et d'une meilleure compréhension et expertise de ces sujets, j'ai pris toute la mesure de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes. J'ai pris conscience que si nous ne changeons pas radicalement et très rapidement nos façons de produire, de consommer, et plus globalement de penser et de vivre, nous connaîtrons des catastrophes sans précédent et un effondrement de nos civilisations. Comprendre et accepter cela a été difficile car beaucoup de blocages sont entrés en jeu (refus, déni, dissonance cognitive, conditionnement...) et que cela a remis en question énormément de choses dans ma vie et ma vision du monde. Ce constat a impliqué une remise en question du fondement et du fonctionnement mêmes de notre système, de mon rôle et de ma place dans celui-ci, et donc aussi un bouleversement et une remise en question intérieurs.

    Connaissance des enjeux : bonne, lectures scientifiques, compréhension des origines, des mécanismes et des conséquences des changements climatiques, des rétroactions positives, effets de seuils, de l'interconnexion entre les crises, du côté systémique des problèmes...

    Engagement : début d'engagement associatif, beaucoup plus de simplicité dans le mode de vie, se recentrer sur l'essentiel, le social, l'humain, le savoir et la créativité.

    Émotions : dans le constat et la compréhension des enjeux, je me suis sentie triste, impuissante, dépassée, perdue pendant cette période. J'ai ressenti beaucoup de réconfort en vivant ce cheminement en même temps que deux de mes amies, ça a été d'une grande force.

    Phase 5 - Reconstruction et engagement :

    Description : Aujourd'hui, après cette période de doutes, j'ai trouvé beaucoup de réponses et de réconfort dans l'engagement associatif et militant, et dans les relations humaines. J'ai compris que chacun avait un rôle à jouer dans la construction de nouveaux récits et représentations via notre façon d'être, nos valeurs, nos relations sociales, nos discours et nos actions.

    Connaissance des enjeux : je commence à avoir une bonne connaissance globale et systémique, et essaie maintenant d'approfondir les sujets. Je me rends compte aussi de l'étendue de mon ignorance sur tant de choses, et de ma volonté d'apprendre toujours plus.

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    Engagement : ces enjeux sont la priorité numéro 1 de tout ce que j'entreprends. Je m'engage de plus en plus avec Avenir Climatique, participe à des actions militantes, et continue à évoluer dans mon mode de vie, dans mes représentations et croyances. Je suis aussi beaucoup plus engagée via les discours que je porte auprès de mes proches notamment.

    Émotions : Il m'arrive encore de me sentir impuissante, triste et frustrée en voyant les catastrophes se multiplier, la situation empirer sans que rien ne change fondamentalement. Il y a par périodes de la fatigue voire de l'épuisement quand ces enjeux sont omniprésents dans ma tête et dans mon quotidien. Il y a aussi souvent un fort sentiment de frustration de ne pas toujours réussir à convaincre ses proches. Mais dans l'engagement, dans le collectif, et les échanges humains et sociaux, je ressens beaucoup de réconfort, d'espoir, de bienveillance et d'optimisme, et finalement beaucoup d'épanouis-sement et de bonheur. Je passe par des hauts et des bas mais globalement, les émotions positives prennent largement le dessus. Finalement, je n'ai jamais ressenti autant d'émotions et aussi intensément, autant dans le positif que dans le négatif. Je n'avais jamais été aussi malheureuse, et je n'avais jamais été aussi heureuse dans le même temps. Et je ne me suis jamais sentie aussi vivante.

    Conclusions sur ma position par rapport à l'objet d'étude

    Choix de l'objet d'étude

    C'est en prenant du recul sur ma propre expérience, en réalisant la difficulté et la lenteur de cette prise de conscience, l'importance et le nombre de blocages, la difficulté émotionnelle liée, et, face à ces difficultés, en réalisant le gain au bout du chemin, en termes d'impact, de mobilisation, d'enga-gement, mais aussi en termes de sens donné à sa vie et de bien-être et cohérence personnelle et collective, que j'ai eu envie de travailler sur ce sujet, afin de comprendre s'il était vécu de façon similaire, et de pouvoir avoir des clés de compréhension pour accompagner d'autres personnes dans ce cheminement.

    De l'intérêt d'une subjectivité objectivée

    Nous voyons déjà des illustrations des éléments évoqués dans la partie méthodologie. En effet, on voit que la construction de mes hypothèses a été fortement influencée par mon expérience : toutes pourraient être validées en lisant la description de mon processus. Cependant, ces hypothèses ont aussi été construites par la revue de littérature, et, surtout, la recherche de terrain aura vocation à éclairer (confirmer, invalider, ou compléter) ces hypothèses. Ainsi, avec des éléments permettant de tester, d'approfondir et d'explorer les réflexions, et en gardant à l'esprit mes déterminants et les risques liés, mon expérience à l'origine des hypothèses de départ peuvent devenir une force et un facilitateur de compréhension. Ce rapport personnel au sujet a été délicat et parfois difficile à gérer, mais j'ai en tout cas essayé de l'utiliser au mieux et de la façon la plus rigoureuse.

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    3) Présentation des méthodes de recherche

    L'enquête de terrain a donc pour objectif de mieux comprendre le processus d'engagement écologique en testant, explorant et approfondissant les hypothèses introduites précédemment et résumées ci-dessous :

    1) Le processus d'engagement écologique passe par une connaissance approfondie et systémique des enjeux, de leurs causes et de leurs implications

    2) Le processus d'engagement écologique est nécessairement collectif

    3) Le processus d'engagement écologique est un processus de transformation intérieure et extérieure libérateur

    4) L'acceptation, l'expression, la compréhension et l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le processus d'engagement écologique

    Pour améliorer notre compréhension du processus et tester ces hypothèses, trois méthodes de recherche complémentaires ont été utilisées : entretiens individuels semi-directifs, participation observante au sein de l'association Avenir Climatique, et questionnaire. Nous présenterons brièvement chacune des méthodes de recherche afin d'avoir une vue d'ensemble de notre enquête de terrain et de comprendre sa logique, mais nous présenterons la méthodologie détaillée propre à chacune dans la description de l'enquête de terrain.

    Entretiens individuels de personnes engagées

    Pour mieux comprendre le processus d'engagement, il était essentiel de pouvoir recueillir des témoignages de personnes engagées, afin de comprendre leur chemin de vie, ce qui les avait amenées à s'engager, et comment elles vivaient aujourd'hui leur engagement. Je me suis donc entretenue avec 6 membres de l'association Avenir Climatique, ce qui a permis de faire le lien avec la participation observante, et ainsi d'analyser le processus d'engagement à la fois dans le contexte individuel et dans le contexte collectif.

    Participation observante à Avenir Climatique

    L'association Avenir Climatique a en effet été le terrain d'étude de ma participation observante. Il s'agit d'une association créée en 2007 et qui oeuvre à la sensibilisation aux enjeux énergie-climat. L'objectif était de comprendre les liens entre engagement individuel et collectif, et l'impact de cette association sur le processus d'engagement de ses membres. Je me suis également entretenue avec Guillaume Martin, membre actif de l'association, sur les facteurs clés d'engagement de l'association.

    Questionnaire

    34

    Enfin, au fil de ma recherche, il m'a paru important de pouvoir sortir du cadre d'Avenir Climatique afin de prendre de la distance de ce contexte pouvant être limité de par la subjectivité inhérente à mon statut de participante. J'ai donc réalisé un questionnaire afin de toucher des profils plus diversifiés et d'avoir une vision plus large de ce processus.

    Entretien individuel avec un chercheur

    J'ai aussi réalisé un entretien avec Thibaud Griessinger, chercheur en sciences comportementales au ACTE Lab, afin de bénéficier de l'avis d'un professionnel travaillant sur ces questions au quotidien. Le ACTE Lab est un organisme indépendant de recherche appliquée dont l'objectif est de développer une Approche Comportementale de la Transition Energétique (ACTE). Sa mission est « d'explorer les facteurs cognitifs et environnementaux modulant les comportements individuels et collectifs et de mettre ces connaissances au service de la transformation des modes de vie et d'organisation ». Cet entretien sera utilisé de façon transversale dans la description et l'analyse de terrain pour expliquer, appuyer ou remettre en question certains points au fil des trois parties. La retranscription partielle de l'entretien se trouve en annexe 1.

    Ainsi, l'enquête de terrain a cherché à être la plus holistique possible, en comptant sur quatre axes complémentaires :

    1) Des contextes individuels d'engagement via les entretiens individuels

    2) Un contexte collectif d'engagement via la participation observante

    3) Des données plus globales et diversifiées via le questionnaire

    4) L'avis spécialiste via un entretien individuel avec un chercheur en sciences comportementales

    Tableau résumé des méthodes de recherche :

    Parties

    Méthode de
    recherche

    Objectifs

    Stratégie de collecte des don-

    nées

    1

    Entretiens indi- viduels

    - analyse du processus à l'échelle individuelle

    - 6 entretiens semi-dirigés

    - Guide d'entretiens

    - Retranscriptions d'entretiens

    2

    Participation
    observante
    Avenir Clima-
    tique

    - analyse du processus à l'échelle individuelle et collective - comprendre les facteurs d'en- gagement au sein de l'associa- tion

    - Participation ACademy + UEDAC - Journal de bord

    - 1 entretien semi-dirigé (guide + synthèse d'entretien)

    3

    Questionnaire

    - données plus globales et di- versifiées

    - comprendre les différences entre des personnes très enga- gées et peu engagées

    - question ouvertes et fermées

    - approche holistique et décontrac-tée

    - 187 répondants divisés en trois groupes selon leurs réponses

    - analyse quantitative et qualitative

    Trans-
    versal

    Entretien indi-cialiste viduel

    - bénéficier de l'avis d'un spé-

    - entretien semi-dirigé avec un cher-cheur en sciences comportemen-tales du ACTE Lab

    35

    Nous aborderons donc successivement ces trois parties, en présentant pour chacune :

    1) La méthodologie employée, son intérêt et ses limites

    2) La description et l'analyse des résultats

    3) Une conclusion faisant le lien avec les hypothèses

    I- Entretiens individuels : histoires de prise de conscience et d'engagement 1) Méthodologie

    Pour mieux comprendre le processus d'engagement, il était d'abord fondamental de pouvoir l'explorer à travers le vécu de personnes engagées, de comprendre leur cheminement et la façon dont ils vivent leur engagement. J'ai donc pu m'entretenir avec 6 personnes membres de l'association Avenir Climatique. La place de l'association a été peu abordée dans ces entretiens, car l'objectif était avant tout de comprendre le cheminement et le ressenti de la personne dans son quotidien, et que le rôle du collectif sera surtout analysé dans la partie II.

    Il est de plus important de spécifier que ces personnes sont aujourd'hui tous des amis, plus ou moins proches (ils l'étaient avant ou le sont devenus après). Cette proximité avec les personnes interrogées comportait le risque ou la limite que les systèmes de représentations des personnes s'adaptent au mien, ou soient similaires de par l'appartenance des personnes au même collectif (cf interaction spéculaire). Mais ce qui nous intéresse ici est le chemin qui les a menés à l'engagement, et comment ils vivent l'engagement, ce qui revêt un caractère plus personnel. Le questionnaire (partie III) permet de plus de sortir de ce contexte collectif pour tester les hypothèses. Surtout, la proximité avec les personnes interrogées a été un grand avantage. En effet, par cette relation amicale, les personnes étaient en confiance pour se livrer, et se sont effectivement livrées de façon très libre et honnête, malgré le côté parfois très personnel de ce qu'elles me racontaient et malgré le dictaphone qui enregistrait leurs propos mais qu'ils ont tous vite oublié. Le fait de connaître ces personnes, de les voir évoluer au sein d'Avenir Climatique, et de mettre en lien ces éléments avec le récit qu'ils m'ont fait m'a permis d'avoir une vision assez complète et claire de leur processus d'engagement écologique.

    La méthode d'entretien choisie a été l'entretien semi-directif, en s'appuyant sur un guide d'entretien, mais en gardant une souplesse dans son suivi afin de privilégier le suivi du raisonnement et du récit de la personne. Ces entretiens se sont faits dans des contextes informels (soit chez moi soit dans un café) afin de mettre à l'aise la personne et qu'elle se sente dans une discussion informelle et donc libre. Le guide a été très important pour garder une structure globale similaire au fil des 6 entretiens.

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    A chaque fois, trois grandes parties ont été abordées dans une approche holistique du processus d'engagement : la première avait pour objectif de comprendre le niveau de conscience et d'engage-ment de la personne, la seconde de comprendre ce qui l'avait amenée là, et la troisième de comprendre comment la personne vivait son engagement aujourd'hui.

    Avant d'analyser les points clés du processus d'engagement qui sont ressortis de ces entretiens, nous présenterons brièvement les 6 profils.

    2) Présentation des personnes

    Annexe 2 : Guide des entretiens individuels

    Il est vivement conseillé de lire les retranscriptions complètes des entretiens, au fil de la présentation de chaque profil, pour avoir une compréhension complète de chaque parcours.

    Valentin a 21 ans. Sa prise de conscience s'est faite très tôt, mais son engagement a été plus tardif. Dès la 6ème, un documentaire lui a fait prendre conscience du problème de la surpêche des requins, qui a fonctionné comme un déclic pour lui, et lui a fait réaliser l'aspect systémique des choses. Valentin a commencé à réfléchir à la possibilité d'un effondrement dès la classe de 1ère, avec notamment la lecture du Manuel de transition de Rob Hopkins. Cette période a été très difficile, car dans la petite ville où il vivait, il était seul dans son cheminement, il n'avait personne à qui en parler, et n'avait pas de moyen de s'engager. Mais Valentin a pu sortir de cette phase difficile en déménageant à Paris pour un service civique dans une association promouvant l'économie sociale et solidaire, en rencontrant des personnes qui pensaient comme lui, et en agissant et s'engageant au quotidien. « Cette année à Paris m'a vraiment débloqué. Je m'engage beaucoup plus, je suis beaucoup plus en phase avec moi-même, avec mes idées. J'ai beaucoup plus de recul sur mes actions au quotidien ou de manière générale sur ma vie personnelle ». Annexe 3 : Retranscription - Valentin

    Juliette a 23 ans. Depuis qu'elle est petite, elle a toujours porté de l'intérêt pour les enjeux écologiques, mais sans aller plus loin dans la connaissance et dans l'engagement ; tout cela restait distant et flou. Le film Demain a été un premier déclic qui lui a donné envie d'agir et de s'engager, et qui l'a menée à faire un master en développement durable. Ce master a été une grosse étape qui l'a petit à petit amenée à mieux comprendre les enjeux. Puis elle a commencé à entendre parler des théories de l'effondrement et de collapsologie par son début d'engagement à Avenir Climatique. Avec d'autres questionnements personnels sur sa vie, ces découvertes ont eu un « effet boule de neige », et elle a vécu une période difficile où « plus rien n'avait de sens ». Aujourd'hui, c'est dans l'engagement, notamment avec Avenir Climatique, et dans les relations humaines, qu'elle retrouve du sens et de la joie. Annexe 4 : Retranscription - Juliette

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    Alix a 29 ans. Il a vécu à l'étranger entre ses 6 et ses 15 ans : en Côte d'Ivoire pendant 3 ans, au Cameroun pendant 3 ans, en Guadeloupe pendant 3 ans. Lorsqu'il est rentré à Paris, au fil des années, il s'est rendu compte qu'il était sur une « pente descendante vers la virtualité, l'apparence ». Alix a ensuite enchaîné les expériences, ne trouvant chaque fois pas de sens à ce qu'il faisait. Il est tombé dans une phase de dépression, de burnout : « je n'avais pas envie de me lever pour aller bosser parce que je ne voyais pas de sens à mon job ». Cela l'a fait se questionner plus globalement sur le sens de sa vie, de la vie et de nos sociétés. Au fil des recherches et des questionnements, il a découvert les théories de l'effondrement, qui ont été un vrai déclic pour lui en lui permettant de mieux comprendre les enjeux et d'y voir plus clair. Par la conscience de son rôle, par la philosophie, par les rencontres et par l'engagement, Alix a finalement trouvé le sens qui lui manquait et est aujourd'hui épanoui et en accord avec ses valeurs. Annexe 5 : Retranscription - Alix

    Angèle a 23 ans. Elle a toujours eu une sensibilité, une civilité écologique, qu'elle estime tenir de son père qui est horticulteur et qu'elle aide chaque été. Elle est rapidement devenue engagée, de par notamment son alimentation végétarienne, et son intérêt pour l'humanitaire. Après des études qui manquaient de sens, elle est entrée dans un master de développement durable, qui lui « a ouvert à une grande partie de ce qui a suivi ». Puis elle a découvert les théories de l'effondrement, qui l'ont à la fois désespérée et motivée. Aujourd'hui, elle trouve de l'espoir et de la joie dans son engagement citoyen et militant, notamment à Avenir Climatique, et dans le partage et l'humain. Annexe 6 : Retranscription - Angèle

    Gaëlle a 22 ans. Son engagement écologique est d'abord passé par l'alimentation via le végétarisme. Elle a ensuite eu besoin de convaincre ses proches, et pour cela de se renseigner et de s'informer plus en profondeur. C'est de cette façon qu'elle a pris conscience de la gravité des changements climatiques, mais aussi des interconnexions avec les autres crises, et du risque d'effondrement de nos civilisations. Bien que cela lui faisait du bien d'avoir des personnes avec qui parler d'autres choses, elle se sentait seule dans ses questionnements, et a donc cherché une association ou un groupe duquel se rapprocher. C'est là qu'elle a découvert Avenir Climatique, qui lui a permis de beaucoup réduire les émotions négatives via les rencontres et l'engagement dans le projet EduClimat. Aujourd'hui, elle prépare une thèse sur les modélisations du cycle du carbone et l'impact sur les calottes glaciaires au laboratoire des sciences du climat et de l'environnement, mais se pose des questions sur l'utilité et l'impact de ce travail par rapport à un travail plus actif de sensibilisation à plein temps. Annexe 7 : Retranscription - Gaëlle

    Luc a 25 ans. Il a grandi à Toulouse entre la ville et la campagne, a fait une école d'ingénieur et travaille aujourd'hui en tant que consultant énergie-climat à B&L Evolution pour accompagner des

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    territoires sur des plans climat. Pendant son année de césure, son voyage humanitaire de 3 mois à Madagascar lui a ouvert l'esprit et fait remettre en question beaucoup de choses dans son mode de vie. Le vrai déclic pour lui a été pendant ses 3 mois de chômage après ses études, lorsqu'il a eu du temps pour approfondir les sujets. Il parle d'un « engrenage » qui l'a poussé à s'engager, à s'informer, à mettre en accord son quotidien, son métier, avec ces enjeux. Annexe 8 : Retranscription - Luc

    3) Description et analyse

    Nous voyons déjà, par la présentation rapide de ces profils (et l'éventuelle lecture des retranscriptions), qu'il existe de grandes similarités dans ces parcours. Nous pouvons cependant faire une distinction entre les parcours de Valentin d'une part, d'Alix d'autre part, et de Juliette, Angèle, Gaëlle, et Luc d'autre part.

    Pour ces derniers, il y a au départ une sensibilité, un intérêt et une conscience de ces enjeux, puis une découverte plus approfondie des mécanismes, des enjeux, de leurs implications, puis une période difficile de remises en question et de bouleversements voire d'effondrement intérieur pour certains, et, enfin, un engagement associatif, personnel, professionnel, et des rencontres permettant de retrouver du sens et de la joie.

    Pour Valentin, la temporalité a été différente : il a été conscient des enjeux et de leur gravité très tôt, mais est resté seul pendant de nombreuses années, ne sachant à qui en parler ou comment s'enga-ger. La période de doutes et de déprime a été beaucoup plus longue, et il n'y a pas eu de choc ou d'effondrement, mais l'engagement s'est fait ensuite via le groupe et les rencontres. Il a l'impression de « s'être construit dans l'autre sens ».

    Enfin, pour Alix, c'est plus le contexte qui différait. Plus âgé, il était déjà dans la vie active et ce sont ses expériences professionnelles qui lui ont fait prendre conscience du manque de sens. Ces questionnements sont venus avant la découverte des théories de l'effondrement, qui ne sont donc pas arrivées pour lui comme un choc ou un effondrement intérieur, mais plutôt comme un déclic voire un soulagement qui lui a permis de comprendre et de mettre un mot sur ce qu'il ressentait, et de passer à l'action.

    On voit donc que la temporalité et les contextes ont été différents, il y a souvent des facteurs déclenchants, des déclics spécifiques au contexte de la personne. Mais dans ces 6 cheminements, nous retrouvons des facteurs clés communs : l'importance de la connaissance, notamment via les théories de l'effondrement, l'effet du groupe et de l'engagement, notamment via Avenir Climatique, et le rôle central des émotions, autant positives que négatives, dans ce processus.

    Approfondissement des connaissances et théories de l'effondrement comme déclencheurs de l'engagement

    Pour chacune des 6 personnes, la volonté de s'engager est passée par une connaissance approfondie des enjeux écologiques. Les théories de l'effondrement ont joué une place importante pour tous, souvent via le livre de Pablo Servigne, Comment tout peut s'effondrer.

    Pour Alix, qui était en pleine période de doutes, de perte et de recherche de sens, les théories de l'effondrement ont été comme un éclaircissement de tous ses questionnements : « C'est comme si tu avais une pelote de noeuds, et que tu trouvais le petit truc sur lequel tirer et tout devient limpide. Ça a permis de mettre un mot sur l'intuition qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, il y a un truc qui cloche. Ce n'est pas la perspective d'effondrement, mais finalement plus la compréhension, le modèle qui amène à ce fait là. Le fait que tout est lié. De comprendre par quoi c'est lié, par quoi ça a un impact. Là, ça a été... waouh. Ça a été ah ouais, ok, là je réalise, je comprends l'am-pleur du truc et... Ah c'était complètement dingue, c'était complètement dingue. » On voit ici que ce n'est pas la perspective de l'effondrement qui l'a le plus marqué, mais la compréhension des mécanismes qui amènent à cette perspective.

    Dans cette compréhension, la vision systémique des problèmes a été centrale chez les 6 personnes. Gaëlle explique ainsi : « j'ai commencé à comprendre que ce n'était pas juste un problème, que tout était connecté, que toute la société, tout le système allait mal ». On retrouve ici l'échelle de conscience de Chefurka : souvent, les personnes partaient d'un problème : l'alimentation ou l'humanitaire pour Angèle, l'alimentation aussi pour Gaëlle, les requins pour Valentin... puis réalisaient la diversité, l'interconnexion des crises, et enfin que ce problème était présent partout. « Tu vois tout par ce prisme-là », explique Juliette.

    Ainsi, par la collapsologie notamment, mais aussi par d'autres sources (ont été cités Jancovici, le manuel de transition de Rob Hopkins ou encore le rapport Meadows), les personnes ont approfondi leurs connaissances en réalisant notamment :

    - l'aspect systémique des crises (« tout est lié »)

    - la globalité et l'origine des problèmes (« toute la société, tout le système (va) mal »)

    - les liens entre les crises et son propre quotidien

    - les implications de ces constats (possible effondrement de nos civilisations, impossibilité d'un statu quo)

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    Implications émotionnelles des théories de l'effondrement

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    Pour chacun, l'approfondissement des connaissances a été difficile, à des degrés divers, mais tous ont été impactés en comprenant les mécanismes en jeu et donc l'ampleur et la gravité de la situation.

    Pour Angèle, « ça a provoqué beaucoup de peine. C'était à la fois désespérant, à la fois enrageant de se dire qu'on est un peu seuls à se préoccuper de ça, et en même temps j'avais parfois envie de m'amuser comme tout le monde, et en même temps je me disais comment est-ce qu'on peut s'amuser alors qu'il y a ces questions-là ». Il y a donc non seulement la peine des perspectives que ces constats imposent, mais il y a aussi une remise en question personnelle sur son mode de vie et sur soi, face à ces perspectives et à ces constats. Thibaud Griessinger, chercheur en sciences comportementales, explique en effet que : « Si tu te rends compte que ton mode de vie est délétère, ça nécessite de remettre en cause un certain nombre de certitudes et de représentations qui s'étaient stabilisées, sur lesquelles tu t'appuyais pour aller de l'avant sur autre chose. Donc en effet, tu vas t'attaquer à des bases que tu pensais stables. C'est anxiogène, ça conduit à des périodes de stress, de doutes, de remises en question etc. » Gaëlle explique ainsi : « Ça a un peu été un effondrement personnel. Une perte de sens. On t'a toujours dit il faut faire ça, avoir tel métier... Et en fait, tu réalises que ça n'a pas de sens, que notre société telle qu'elle est ne pourra pas continuer bien longtemps. ». Pour Luc aussi, ces connaissances ont impliqué des remises en question de son mode de vie : « Quand t'es au courant que factuellement, on va dans la mauvaise direction à grande vitesse, c'est difficile après de se dire qu'on peut continuer comme ça. Et ça impacte toute ta vie, parce qu'on fait des choses tout le temps qui ont des impacts, ça remet tout en question. » Pour Angèle, « c'est un peu comme un deuil, je suppose », rappelant les réflexions de Joana Macy et de Pablo Servigne sur la courbe du deuil.

    Pour Alix, le ressenti a été différent car il ne trouvait déjà pas de sens dans son travail et son quotidien ; comprendre pourquoi et y mettre un mot a plus été synonyme de soulagement et de renouveau que de deuil. Il explique ainsi : « Après, il s'en est suivi du coup que je n'étais pas forcément plus heureux de comprendre ça (rires). Mais au moins je pouvais mettre un mot là-dessus. Il y a d'abord eu du soulagement de me dire, je ne suis pas fou. Parce que dans mon quotidien où j'es-sayais d'en parler autour de moi c'était difficile. Donc du soulagement d'abord. Ensuite de la tristesse de se dire on est peut-être foutus. Et puis un sentiment de renaissance, de renouveau de me dire : ok, maintenant que j'ai compris ce qui me gênait dans mon mode de vie, voilà, je sais comment je peux agir là-dessus et essayer de vivre mieux. »

    Pour Valentin, ce passage à l'action a été plus long, et il avertit sur les risques que ces constats peuvent impliquer dans certains contextes « Je pense que c'est un truc qui peut te transformer en

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    quelqu'un de pas bien. Pendant plusieurs années, je faisais que me ressasser des données stressantes, je n'avais personne à qui en parler. Et c'était complètement inefficace. J'étais peut-être plus averti que d'autres personnes mais je ne faisais rien, rien n'avait de sens. C'était une période où j'étais un peu en mode zombie. Je n'avais pas trop de volonté, ni d'attrait pour quoi que ce soit ». Il ajoute plus tard : « Je pense qu'il y a des gens que ça va juste détruire et qui vont rester comme ça. Si j'avais dû rester dans mon village, je ne vois pas très bien où j'en serais et comment je m'en serais sorti ». On voit ici toute l'importance d'être entouré et bien accompagné psychologiquement dans ce cheminement. Angèle résume ainsi : « Je pense qu'il y a vraiment un passage de se rendre compte de tout ça, et il est plus ou moins difficile selon comment on est entouré ».

    Nous avons donc vu que l'approfondissement des connaissances pouvait mener à :

    - de la peine et de la tristesse de la situation et des perspectives

    - un effondrement intérieur, une remise en question et une perte de sens dans sa vie et dans la

    société

    - un soulagement et du sens dans la compréhension des problèmes

    - une motivation et une envie d'agir et de changer, l'impossibilité de ne rien faire ou de rester

    indifférent

    Que ce soit pour trouver du réconfort, pour trouver du sens, et/ou concrétiser cette envie d'agir, la

    place du groupe a eu une grande importance dans chaque parcours.

    Les rencontres et le groupe comme moyen d'engagement, de partage et de joie

    En effet, en leur demandant ce qui les avait aidés à sortir de cette phase difficile liée à la compréhension des constats et des théories de l'effondrement, c'est la plupart du temps l'aspect social et collectif qui est ressorti. « Le fait de ne pas être seule m'a énormément aidée », explique Juliette. Pour Angèle, « ça aide beaucoup d'être entourée et de se dire que si tu vas dans une direction, tu n'y vas pas tout seul ». Comme on l'a vu, pour Valentin, qui a passé plusieurs années seul avec ces questionnements, c'est en déménageant à Paris et en rencontrant d'autres personnes qu'il a pu remonter la pente : « je me dis que je ne suis pas le seul à porter le fardeau du monde sur les épaules. (...) Le fait de rencontrer des gens qui pensent la même chose que toi, ça ta rassérène beaucoup ». Gaëlle était aussi un peu seule dans son cheminement, et elle a « ressenti le besoin de (se) rapprocher de personnes, de milieux qui (la) comprennent » ; c'est de ce besoin et en faisant des recherches qu'elle a découvert Avenir Climatique. On voit donc que l'engagement de groupe peut venir du besoin de partage et de réconfort.

    Ce partage et l'aspect collectif de l'engagement est souvent source de moments de joie et d'épa-nouissement : pour Angèle, « ça crée des moments de solidarité qui sont incroyables et source de

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    joie ». Pour Gaëlle aussi, « le fait d'avoir rencontré d'autres personnes, ça a beaucoup enlevé les émotions négatives. » Même son de cloche pour Juliette : « le fait de voir que je ne suis pas seule. Je pense que c'est vraiment ça qui me tire vers le haut. Qui me fait voir la lumière au bout du tunnel. Qui me fait dire « il y a quelque chose, il y a des gens, il y a des pensées, il y a des idées ». Juliette ajoute : « c'est des moments presque euphoriques parfois, quand j'ai passé du temps avec des gens qui sont exactement dans les mêmes pensées, qui agissent pour ça, dans lesquels je me retrouve... (...), plein de critères qui font que tout est décuplé, une sorte d'intensité, d'énergie. »

    Pour Juliette, en plus du réconfort et de la joie, l'aspect social a eu un impact important sur son engagement. « J'ai rencontré des gens qui sont rapidement devenus des modèles. Ça m'a plus poussé à agir en me disant « si je veux être cohérente avec ce groupe, cette asso, il faut que ça suive derrière ». Sans rien m'imposer, mais une sorte de pression que je me mettais moi-même. Ça impliquait des choix. Pendant des années, j'ai eu peur d'être hors-système : il fallait que j'aie des habits à la mode, que je sois dans une université cool... Certains trucs que je plaçais à un niveau important. Et en fait aujourd'hui ces trucs là c'est presque la honte. C'est bizarre, mais il y a certains trucs qui faisaient que j'étais une fille cool. Mais aujourd'hui avec ces gens-là que j'ai rencontrés, ce serait ridicule parce que ce serait dérisoire. J'accorde beaucoup d'importance à ce qu'on pense de moi, donc en étant en cohérence avec les gens avec qui je suis, je tends vers un truc qui me ressemble plus et qui leur ressemble plus et qui est plus en cohérence avec ce pour quoi on se bat. Une sorte d'écosystème. » Ce témoignage est très intéressant car il illustre comment les notions de norme sociale, de désir mimétique et d'interaction spéculaire que nous avons abordées dans la revue de littérature peuvent fonctionner dans l'autre sens et au profit de nouveaux récits et imaginaires. Le système de représentations d'une personne peut ainsi évoluer grâce à l'engagement collectif.

    Cela implique aussi une certaine difficulté à jongler entre différents écosystèmes, avec des normes sociales, des façons de penser et d'agir très différentes. Ainsi, pour Juliette, « Ce qui est dur, c'est de toujours dépendre d'un système. Mon mode de vie en soi n'a pas changé drastiquement. Je vis toujours au même endroit, les mêmes amis. J'ai toujours cette espèce de socle de ma vie. Du coup c'est difficile d'évoluer tellement et tellement vite intérieurement et de rester les deux pieds bloqués dans un système et un mode de vie qu'on subit parce qu'on ne peut pas tout quitter du jour au lendemain non plus. » Et d'ajouter : « ces espèces d'obligations et de cases à cocher qui n'ont plus de sens et qui me retiennent comme si j'avais un boulet au pieds et que ça me retenait, que ça me faisait couler et que j'avais beau nager de toutes mes forces pour en sortir, ce me retient. A un moment ça va lâcher... ». Pour Angèle : « C'est difficile de convaincre les gens, et de ne pas être avec des personnes comme toi. Ça rend fou parce que j'ai l'impression que la question de l'environ-nement c'est le truc primordial aujourd'hui, que tu devrais te lever et penser à ça, te coucher et penser à ça. »

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    Malgré cette difficulté, certains ont aussi évoqué l'importance des groupes moins sensibilisés dans leur engagement. Pour Juliette, le fait de rester attachée à ce socle et à d'autres groupes sociaux peu ou pas engagés est une force : « au quotidien, (...) il y a encore des éléments qui confirment mon engagement, qui me font avancer. Je parle surtout des retours que j'ai sur l'écologie, des retours de mes proches ou des gens que je rencontre, qui parfois ne comprennent pas ce combat, posent des questions, ou me mettent en colère par un scepticisme ou une nonchalance ou un cynisme par rapport à ce que je fais ou à l'écologie. Ce sont des déclencheurs quotidiens qui me rappellent pourquoi je fais ça, ça me donne l'envie de les convaincre, de leur montrer que j'ai raison de me battre pour ça, d'avoir mis ça au centre de ma vie, qu'il y a des raisons de s'inquiéter et que tout le monde devrait s'engager, et que ce n'est pas moi qui suis censée être vue comme marginale ». Gaëlle a aussi expliqué qu'au moment où elle se posait « plein de questions intenses et assez dures », le fait d'être avec des gens peu sensibilisés lui permettait de se « vider le cerveau ». Valentin évoque aussi l'importance des groupes moins sensibilisés, et d'une complémentarité entre les différents groupes sociaux : « Il y a à la fois besoin de fréquenter des gens qui pensent comme toi pour voir que t'es pas tout seul, des gens moyennement sensibilisés avec qui tu peux faire de la « propagande », et aussi des gens qui n'en ont rien à foutre pour juste parler d'autre chose. Il faut aussi avoir des relations comme ça, des relations diverses. » Luc souligne aussi l'importance de savoir « déconnecter », à la fois pour pouvoir alléger la « charge mentale » que cela peut provoquer, et aussi pour ne pas rester enfermé dans un même cercle : « quand t'es dans ta bulle, tu ne vois pas forcément le reste, tu penses que tout est partout comme ça alors que pas du tout. » Enfin, selon lui, être avec des groupes moins sensibilisés est aussi une façon de se sensibiliser lui-même : « le fait d'être proac-tif et d'en parler autour de toi, c'est une forme d'engagement, ça te donne des responsabilités et une mission d'exemplarité, les gens vont regarder ce que tu fais, te suivre parfois. Du coup ça influence aussi ma manière de faire, ma manière d'agir, parce qu'il faut être en accord avec ce que je dis. Et donc ça m'engage et me sensibilise moi-même. »

    On voit donc que pour les 6 personnes, l'aspect social et collectif a été central dans la prise de conscience et dans l'engagement. Et ce à différents niveaux :

    - le groupe peut être source de partage, de réconfort et de moments de joie

    - le système de représentations d'une personne peut évoluer via les interactions au sein du groupe d'engagement

    - il peut y avoir une difficulté à faire partie de groupes sociaux aux systèmes de valeurs et de représentations différents

    - cette difficulté et le fait de rester attaché aux autres groupes sociaux peut être une force et permettre de renforcer l'engagement

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    Divers degrés et formes d'engagement

    Au fil de ces entretiens, différentes formes d'engagement ont été abordées. Nous les avons distinguées en trois groupes : l'engagement quotidien (mode de vie), l'engagement professionnel (métier ou études), et l'engagement collectif (associatif, militantisme).

    Engagement quotidien :

    L'engagement quotidien concerne tout ce qui peut être fait dans le mode de vie d'une personne pour

    limiter son impact écologique, et construire de nouveaux modes de vie. Ont été évoqués dans les

    entretiens :

    - l'alimentation via des produits locaux, de saison, bio

    - l'alimentation via un régime végétarien, végétalien, ou une baisse de la consommation de viande

    - une réduction des déchets pour tendre vers le zéro déchet

    - une baisse générale des biens de consommation

    - privilégier l'occasion au neuf

    - privilégier les mobilités douces

    - changer sa façon de voyager, ne plus prendre l'avion

    Cet engagement au quotidien n'est pas toujours facile, et les personnes avaient conscience de leurs limites. Juliette explique ainsi : « je sais que je ne suis pas au maximum mais j'essaie. En tout cas j'essaie d'être consciente d'absolument tout ce que je fais et de savoir que si je fais quelque chose qui ne va pas dans le sens de la planète, au moins je le sais. Ce qui est difficile, c'est de changer des habitudes ancrées depuis des années. » Et : « je trouve ça difficile tous ces changements, ces éco-gestes quand tu es dans un mode de vie, dans un système qui ne te facilite pas la tâche ». Alix évoque aussi ces difficultés : « j'ai grandi dans une société de consommation, donc il y a des choses qui restent. (...) Je ne suis pas critique, mais je suis conscient qu'il y a des améliorations à beaucoup d'égards qui pourraient être faites. Je suis en train de travailler là-dessus. » Valentin, quant à lui, explique avoir provisoirement fait « machine arrière » sur ses engagements au quotidien. Il explique s'être restreint pendant plusieurs années, avoir découvert de nouvelles choses à Paris, et vouloir ainsi « savoir comment est-ce que, de manière générale, quelqu'un de ma génération vit, avant de revenir comme avant ». Il explique que cela est aussi dû à son mode de vie parisien bien rempli et au manque de temps pour par exemple cuisiner ou faire des courses.

    Engagement professionnel :

    L'engagement professionnel concerne l'intégration de ces enjeux dans le métier et/ou dans les études. Dans les 6 cas, l'intégration de ces enjeux dans leur métier est une condition évidente : Juliette explique : « il est hors de question que je fasse un métier qui ne porte pas en son coeur ces

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    questions ». Pour Valentin : « Je ne m'imagine pas du tout ne pas intégrer ces enjeux dans mon métier, ne serait-ce que par sécurité personnelle. Je n'ai pas du tout envie de faire un métier qui contribue à pérenniser ce système et qui ne m'amène pas dans un futur particulièrement radieux, autant dans le mode de vie actuel que si tout se casse la gueule. » Valentin souligne d'ailleurs, parmi toutes les formes d'engagement, l'importance de l'engagement professionnel : « Je pense que l'en-gagement professionnel est une des clés de voûte. Créer un métier pour rendre sa zone d'implanta-tion plus résiliente, je pense que c'est une des actions les plus efficaces sur le court terme, et qui peut le plus traverser les crises. Car tu vas vraiment faire des choses qui vont rester. » Alix aussi place ces enjeux « en 1ère ligne » dans son métier.

    Au fil des entretiens, le ressenti concernant cette partie a été qu'il s'agissait de l'aspect le plus difficile à entreprendre, ou celui qui posait le plus de questionnements. En effet, sur les 6 personnes, seul Luc se voyait continuer son travail actuel (consultant dans le cabinet de conseil B&L Evolution pour accompagner les territoires sur des plans climat) toute sa vie. « C'est super stimulant, ça me plait et je me vois faire ça toute ma vie parce que c'est un but à côté duquel on ne peut pas passer ».

    Alix est volontairement au chômage depuis quelques mois, ayant démissionné de son ancien travail dans lequel il ne trouvait pas de sens. Il se focalise aujourd'hui sur un projet de création d'entreprise de vêtements éthiques en lin, avec un double objectif écologique et social. Il explique que sa vision du travail a changé, et que son projet n'est pas pensé « dans une optique de (s')enrichir mais de pouvoir proposer des alternatives utiles ».

    Angèle et Juliette, après avoir effectué leur stage de fin d'études dans des structures où elles ont douté de l'utilité, de l'impact et du sens de leur mission, ont toutes deux décidé de prendre une année pour se consacrer à des projets associatifs et militants, et pour aller à la rencontre de personnes et d'alternatives. Juliette explique son raisonnement : « Quand je parlais du système qui me retiens et que je subis encore, je vais essayer de m'en détacher petit à petit. C'est pour ça que je fais le choix de ne pas trouver un métier comme on l'entend l'année prochaine. Pour me rapprocher de mes valeurs, que tout mon écosystème soit en lien avec ça et que j'arrête de subir des situations et d'être retenue par des obligations, par ce système et tout ce qu'il engendre. Donc ma vision future c'est de me détacher petit à petit de ça. »

    Quant à Gaëlle, qui effectue une thèse sur les modélisations climatiques, elle se dit en « dilemme intérieur », et se questionne sur l'impact de ce travail : « je me dis que chaque temps compte, et que les 8h par jour que je passe au bureau je pourrais les passer à autre chose. Est-ce que je ne ferais pas mieux de faire autre chose pendant ce temps ? Parce que certes je vais apprendre plein de

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    choses sur mon sujet, mais la recherche c'est pas mal de temps devant un ordi à coder des trucs, à faire tourner des simulations, et pendant ce temps tu ne sensibilises pas grand monde. »

    Valentin évoque la notion de devoir en lien avec l'engagement professionnel : « Pour moi le choix du métier est une question de devoir. Je me demande plutôt « qu'est-ce que je dois faire ». Le sens du devoir est un sentiment qui prévaut beaucoup pour moi. C'est quelque chose qu'on a beaucoup oublié, et qui va devoir revenir en force. On y pense même plus, quand on demande « pourquoi tu fais ça », soit ils pensent que c'est parce que tu vas en retirer un bénéfice, soit parce que tu aimes. Alors qu'en fait il y a une troisième chose, juste le fait qu'il faut le faire. » De façon similaire, Angèle se pose la question de son métier sous le prisme de la nécessité et, « en se posant cette question, finalement, ce qui (lui) vient à l'esprit c'est de faire de l'agriculture ou de la boulangerie. Parce qu'il faut manger ! ».

    Engagement collectif :

    L'engagement collectif désigne l'engagement se faisant au sein d'un groupe ayant un objectif d'intérêt général commun : ce peut être une association, un groupe militant, un groupe politique, un groupe citoyen, un groupe d'habitants de quartier... Dans le cas des 6 personnes, c'est surtout l'aspect associatif, via Avenir Climatique, qui a eu un rôle central. Nous l'avons déjà abordé dans la partie précédente, et l'analyserons plus en détails dans la partie participation observante. Les 6 personnes ont toutes indiqué accorder une grande partie de leur temps à l'association, voire pour certains aussi à d'autres associations.

    Nous avons également évoqué l'engagement militant via la participation à des manifestations, des marches pour le climat, des grèves, des boycotts ou encore des actions de désobéissance civile. La désobéissance civile est intéressante à étudier, car c'est un mode d'engagement et d'action avancé et en plein développement. Certains n'y ont jamais participé, comme Gaëlle par manque de temps et d'occasion, ou comme Luc, pour qui l'aspect illégal et l'image que cela renvoie à la société font « un peu peur ». Juliette et Angèle ont toutes deux découvert ce mode d'action récemment et participé à une action. « C'était très intense et fort » pour Juliette, et « super motivant » pour Angèle. Valentin est engagé à ANVCOP21, mais n'est pas convaincu de la vraie utilité de ce type d'action « C'est peut-être plus pour évacuer la pression et être avec des gens qui se bougent que je fais ça. Je me demande s'il n'y a pas certains engagements que je fais juste pour évacuer la pression plutôt que pour changer le monde. » Enfin, Alix considère ce type d'action comme très important : « Je pense que les changements de société viendront de nos actes civils. Je trouve ça très dangereux de respecter des règles quoiqu'il arrive. Certaines règles ne sont pas bonnes à suivre et il faut savoir en bafouer certaines pour faire changer les choses ».

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    Engagement culturel ?

    Enfin, d'autres types d'engagement ont aussi été évoqués, moins pratiques et plus dans le discours et le comportement. Par exemple, pour Angèle, « le fait d'habiter en communauté, de créer du lien, de tenter de vivre avec bienveillance, je pense que c'est une forme d'engagement et des choses qu'il faut qu'on développe parce qu'on va en avoir besoin ». Pour Luc, comme déjà présenté précédemment, le fait d'être proactif et d'en parler autour de soi est aussi une forme d'engagement. Il évoque aussi le fait d'essayer de réfléchir et de penser de nouvelles façons de voyager, qui soient à la fois attrayantes et respectueuses de l'environnement. Ainsi, on pourrait considérer que le fait de vouloir construire de nouvelles représentations, de nouveaux récits basés à la fois sur l'humain et sur le respect de l'environnement via le discours et la façon de penser pourrait constituer une autre forme d'engagement, un engagement culturel.

    On a donc vu, via l'exploration des différentes formes d'engagement des personnes :

    - il semble y avoir trois grands types d'engagement (quotidien, professionnel et collectif) et divers degrés d'engagement pour chacun

    - les personnes ne semblent pas concentrer leurs efforts dans l'engagement quotidien

    - les notions d'utilité, de devoir et de nécessité sont centrales dans l'engagement professionnel - on pourrait distinguer une quatrième forme d'engagement : un engagement culturel, qui viserait

    au changement de mentalités (il peut être transversal aux trois autres, et se retrouve à la fois

    dans le discours et dans les actions)

    Une certaine similarité et intensité dans les émotions, tant positives que négatives

    Maintenant que nous avons une compréhension plus précise des types d'engagement des personnes, comment l'engagement est-il vécu ? Les émotions sont-elles plus positives ou négatives ? Pour Juliette, « C'est un doux mélange des deux », révélant bien la diversité et la palette d'émotions vécues et racontées par les 6 personnes.

    Un des principaux facteurs d'épanouissement de l'engagement est de se sentir en accord avec ses valeurs, et de pouvoir contribuer à construire une société meilleure. Alix explique ainsi : Ce qui m'attristait, c'était plus ma situation personnelle et de me dire que je suis un pion du système et que je ne sers à rien. Maintenant je sens mon rôle et mon utilité. On agit tous sur notre environnement au quotidien. » Et : « ça me rend heureux de pouvoir me dire que je contribue à mon échelle de construire la société telle que j'aimerais qu'elle soit (...) Aujourd'hui je me sens complètement en accord, et c'est source de satisfaction ». Pour Gaëlle, « le fait de sentir son impact fait se sentir mieux », et elle parle aussi de « la satisfaction de voir son impact sur les proches qui commencent à être

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    sensibilisés et à changer. » Luc aussi explique : « Ça procure du plaisir, de la satisfaction d'être en accord avec ses valeurs. T'as aussi des opportunités de redécouvrir plein de choses que t'aurais pas forcément pensé ou fait et qui vont être super et que tu vas vivre pleinement justement parce que c'est en accord avec tes valeurs. »

    Est aussi revenu le sentiment de fierté d'agir. Juliette parle d'une « fierté d'appartenir à un mouvement, de m'investir là-dedans ». Pour Luc : « c'est aussi positif parce que tu as l'impression d'être un peu là en précurseur. T'as l'impression d'apporter quelque chose et de faire avancer les choses sur un sujet qui est hyper important. Il y a une part de fierté, et une satisfaction de transmettre des savoirs que j'ai sur le sujet que d'autres n'ont pas forcément. »

    L'excitation du défi et du challenge à relever est aussi beaucoup revenue. Luc explique ainsi : « C'est un énorme défi, et c'est très challengeant. Pouvoir être à la hauteur de ce défi et pouvoir répondre à certaines problématiques, c'est hyper stimulant. Moi, ça me stimule. Et comme c'est stimulant, ça me procure aussi pas mal de bien-être et de bonheur. J'ai envie qu'on réussisse. Je trouve que c'est aussi une belle aventure. Et on le voit, quand on est engagés avec des gens qui sont un peu pareil, il y a des moments où tu te dis on va révolutionner ça, on va écrire de nouveaux récits, on va repenser des modes de transports, du coup ça ouvre plein de nouvelles portes, de nouvelles opportunités et ça j'adore. » Angèle parle aussi de « l'excitation de créer un truc, d'être dans un énorme projet » ; « C'est quand même fou ce qu'on vit là, c'est aussi super fédérateur et motivant. » Cette stimulation et motivation se retrouve aussi dans les propos de Valentin, pour qui « c'est une période rêvée pour avoir du recul sur le monde, sur l'humanité, sur la planète, sur le sens de la vie, sur toi-même. (...) Je pense que ça peut permettre d'être plus maître de nous-même, le fait de se poser les bonnes questions à cette époque. ».

    Enfin, nous l'avons déjà abordé, l'aspect social et collectif de l'engagement est souvent source de moments de joie.

    Mais pour tous, il subsiste encore des moments difficiles au quotidien. Certains sont parfois en colère, comme Juliette : « Parfois j'ai envie de secouer les gens en disant bon il est temps au moins d'être conscient, d'arrêter de se mettre des oeillères. (...) Mais tout ça prend du temps et c'est normal » ou encore : « Quand je vois que même sur des chaines nationales il y a des propos climatosceptiques qui sont tenus... là c'est vraiment de la colère parce que je n'ai pas de moyen d'action sur ces gens-là ». Angèle également : « La colère contre les autres, qui sont cons, et la colère contre moi-même qui suis peu indulgente et qui me permet de dire que les autres sont cons. »

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    La tristesse et la peine subsistent aussi. Angèle explique : « Parfois je lis des choses et ça me fait pleurer parce que c'est trop injuste. Les espèces animales en voie de disparition, ça peut me faire pleurer. De savoir comment on élève des animaux dans des abattoirs, ça peut me faire pleurer. Qu'il y ait des gens qui travaillent dans ces abattoirs, et qui n'ont soit pas le choix soit qui ne se rendent plus compte parce qu'ils sont victimes d'un système, ça aussi ça peut me faire pleurer. »

    Pour Gaëlle, « les moments où ça ne va pas, c'est plus sur des trucs précis et spécifiques. Par exemple, à l'élection de Bolsonaro au Brésil, je me suis sentie mal, je me suis dit ah ouais on n'y arrivera jamais. Ça arrive parfois ». Cette peur de ne pas y arriver se retrouve aussi chez Luc : « Un peu de peur. Peur qu'on n'arrive pas à relever ce défi et des conséquences que ça peut engendrer sur des guerres, sur des populations, des minorités. Un peu de peur, et je n'ai pas envie que ça arrive. »

    Luc ressent aussi « un peu de frustration, parce qu'on nous le dit depuis longtemps, on sait aussi ce qu'on peut faire, mais ce n'est pas du tout une conscience partagée par tout le monde, et les règles ne sont pas à la hauteur. Donc de la frustration, parce que c'est chiant, ça fait chier. » Il parle aussi de la frustration et des difficultés qu'il a à convaincre ses proches : « tu as l'impression de passer pour le rabat-joie ».

    Enfin, Valentin décrit un sentiment plus diffus, plus global : « le fait de ressasser tout ça, d'avoir tout ça en arrière-plan, toutes ces choses négatives, c'est pesant », en évoquant alors le concept d'éco-anxiété.

    De façon plus générale, certains ont affirmé ressentir beaucoup plus d'émotions, et de façon plus intense, qu'avant leur engagement : « j'affirme plus mes émotions aujourd'hui, et elles sont souvent plus intenses, que ce soit dans la joie ou dans la peine », explique Angèle. Juliette explique aussi : « C'est difficile de mettre un mot sur une émotion, mais il y a une sorte de puissance dans ce que je vis, dans ce que je ressens, où n'importe quelle rencontre, n'importe quelle action va être décuplée, je vais le ressentir de manière plus importante que les émotions que je ressens dans le quotidien. Ça accentue tout, mais le positif comme le négatif, ça accentue tout. Et c'est des moments presque euphoriques parfois ». Elle explique aussi comment comprendre l'origine de ses émotions l'a libérée : « Cette colère dont je parle, c'est des trucs qui ont toujours été là. C'est comme si ça me donnait un espace-temps, une sorte de truc intemporel pour sortir mes émotions. Depuis toute petite je suis en colère, pas à ma place, je sens que je suis en décalage. Et là c'est comme si pour la 1ère fois il y avait une légitimité, une raison à toutes ces émotions que j'ai ressenties toute ma vie. Je pense que ça me donne un espace pour laisser parler ces émotions et les justifier. Parfois je ne savais pas pourquoi j'étais en colère et triste, et là je sais pourquoi. Même s'il ne faut pas voir toutes ces émotions

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    par le prisme de ce combat, c'est un gros poids qui explique beaucoup de choses. » Ce témoignage fait écho à Joanna Macy, qui explique que l'expression et la compréhension de ses émotions en lien avec l'état du monde peut se révéler libérateur et fonctionner comme un déclic, comme un soulagement. Dans son entretien, Thibaud Griessinger souligne le risque de paralysie face aux émotions négatives provoquées par ces enjeux, et l'importance de la gestion des émotions et de la régulation émotionnelle afin de le réduire pour qu'elles soient génératrices d'action plutôt que de paralysie : « Mieux les émotions sont gérées, utilisées à bon escient, plus elles sont facteur de changement. Plus tu les subis, plus tu es incapable d'identifier ce qui les déclenche et ce à quoi elles peuvent te servir, et plus ça va être facteur de paralysie »

    De façon globale, les sentiments positifs étaient plus prégnants et les personnes se disaient surtout optimistes. Souvent pessimistes sur le constat et les crises, mais optimistes sur l'humain et le social.

    Finalement, on voit que les émotions ont un rôle central dans le processus d'engagement. Voici les principales conclusions des 6 témoignages analysés :

    - Les émotions fonctionnent à la fois comme résultat et comme moteur de l'engagement. Globalement, il semble que ce sont plus les émotions négatives qui mènent à l'engagement, et les émotions positives qui en sont le résultat, puis les émotions positives tout comme négatives permettent d'entretenir et de renforcer l'engagement.

    - La prise de conscience et l'engagement mènent à une libération des émotions qui sont ressenties de façon plus intense

    - Le processus de prise de conscience et d'engagement peut permettre une compréhension de l'origine de ses émotions, ce qui peut être source de soulagement ou de libération

    - L'engagement est source de joie et d'épanouissement plus que de peine

    Un processus de changements personnels

    On a déjà entrevu, via la connaissance, l'engagement, le groupe et les émotions, comment ce processus pouvait contribuer à changer les personnes.

    Ainsi, à la question de savoir si ce processus l'avait changé, Alix répond : « Complètement. Complètement. Ça a complètement changé ma façon d'aborder les choses, d'aborder l'autre. Ça a été un revirement total ». Pour Juliette aussi, les changements en cours sont considérables. Elle explique : « Je pense que je me suis construite socialement dans un certain milieu (social, éducatif, affectif) autour de certaines choses. Maintenant que je suis investie, je remets en question ces choses, je remets en question la manière dont j'ai été éduquée, dont je me suis comportée avec les gens, dont j'ai construit mes relations, mon rapport aux choses, au monde. Ces trucs-là sont en train

    de prendre moins de place pour laisser la place aux valeurs qui ont toujours été là mais un peu cachées : la solidarité, le militantisme, les relations plus simples, plus humaines... ça a toujours été là mais elles prenaient moins d'importance que le côté parisien, être inclue dans certains groupes, ressembler à certaines personnes... Toute cette espèce d'image sociale qu'on se construit, c'est en train de devenir dérisoire par rapport au combat qu'on porte. » Les notions de construction et de remise en question qu'elle évoque illustrent la pensée de Freire que nous avons étudiée, selon lequel la prise de conscience passe par une conscience des croyances et représentations qui nous déterminent, et une remise en question de celles-ci. Gaëlle aussi explique : « Je pense que des valeurs qui étaient déjà là se sont affirmées. La compassion, l'affirmation des convictions notamment. »

    Pour Valentin, « le fait de (s')engager (lui) permet d'avoir beaucoup plus d'énergie qu'avant, (il) fai(t) les choses avec plus de force ». Il évoque l'importance qu'a eu pour lui le fait de se connaître et de comprendre sa psychologie : « Il y a aussi le fait de m'analyser moi-même, et faire des ponts entre ça et d'autres choses de ma psychologie. Car encore une fois, tout est lié dans ta psychologie. Il n'y a pas d'un côté l'éco-anxiété et les relations sociales. Ça déteint sur tout. Donc tu prends du recul sur toi-même. Le fait de s'autoanalyser permet de voir où il faut agir. Le travail que j'ai fait sur moi-même il y a quelques temps, je le rapprocherais plus du développement personnel. Le fait de maîtriser sa construction psychologique : d'avoir tellement de recul sur toi-même que tu es capable de redisposer les trucs comme tu veux. Je pense que c'est la principale façon d'aller de l'avant. T'autoanalyser, te compartimenter, comprendre comment tu es structuré. Une fois que tu as ce recul-là tu peux agir. Parce que quand c'est juste des sentiments diffus dont tu ne sais pas pourquoi ils arrivent, tu es juste prisonnier de toi-même. Je pense que toutes ces choses, les relations sociales, aller à Paris, agir, j'ai pu commencer à faire tout ça avec énergie parce que j'ai appris à me con-naitre. Tant que tu ne te connais pas, tu ne peux pas vraiment agir. » Valentin se dit en ce sens intéressé par l'écopsychologie, car il pense que « la crise environnementale touche à beaucoup de points sensibles dans la psychologie humaine ».

    Nous avons donc vu que le processus d'engagement pouvait menait à une remise en question et une évolution du rapport à soi, aux autres et au monde :

    - Rapport à soi : meilleure connaissance de soi, plus d'énergie, de force

    - Rapport aux autres : relations plus simples, plus humaines, plus de solidarité, moins d'impor-tance à l'image sociale qu'on se construit et au regard des autres

    - Rapport au monde : évolution de ses représentations

    4) Conclusions

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    Le tableau suivant résume les principaux points abordés :

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    Tableau résumé des principales conclusions des entretiens individuels

    Eléments clés du
    processus

    Conclusions

    Approfondisse-
    ment des connais-
    sances

    - aspect systémique des crises

    - globalité et origine des problèmes

    - liens entre les crises et son propre quotidien

    - implications de ces constats, théories de l'effondrement

    Implications émo-
    tionnelles

    - peine et tristesse de la situation et des perspectives

    - effondrement intérieur, remise en question et perte de sens dans sa vie et dans la société

    ou soulagement et sens dans la compréhension des problèmes

    - motivation et envie d'agir et de changer

    Collectif

    - le groupe peut être source de partage, de réconfort et de moments de joie

    - le système de représentations d'une personne peut évoluer via les interactions au sein du

    groupe d'engagement

    - il peut y avoir une difficulté à faire partie de groupes sociaux aux systèmes de valeurs et de
    représentations différents

    - cette difficulté et le fait de rester attaché aux autres groupes sociaux peut être une force et
    permettre de renforcer l'engagement (importance de ne pas se restreindre à ce groupe et s'extraire des autres).

    Formes d'engage-
    ment

    - il semble y avoir trois grands types d'engagement (quotidien, professionnel et collectif) et

    divers degrés d'engagement pour chacun

    - les personnes ne semblent pas concentrer leurs efforts dans l'engagement quotidien

    - notions d'utilité, de devoir et de nécessité centrales dans l'engagement professionnel

    - possible quatrième forme d'engagement : l'engagement culturel

    Impact émotionnel
    de l'engagement

    - les émotions fonctionnent à la fois comme résultat et comme moteur de l'engagement

    o les émotions négatives sont déclencheur de l'engagement

    o l'engagement est source d'émotions positives

    o les émotions positives tout comme négatives permettent d'entretenir et de renfor-cer l'engagement

    - la prise de conscience et l'engagement mènent à une libération et un intensification des
    émotions

    - la prise de conscience et l'engagement peut permettre une compréhension de l'origine de
    ses émotions, ce qui peut être source de soulagement ou de libération

    Transformations

    - le processus d'engagement mène à une remise en question et évolution du rapport à soi,

    aux autres et au monde

    o rapport à soi : meilleure connaissance de soi, plus d'énergie et plus de force

    o rapport aux autres : relations plus simples, plus humaines, plus de solidarité, moins d'importance à l'image sociale qu'on se construit et au regard des autres

    o rapport au monde : évolution de ses représentations

     

    Pour résumer le processus dans les grandes lignes, à l'origine, divers facteurs comme un intérêt, une sensibilité de base ou une perte et un questionnement de sens peuvent mener à approfondir les connaissances de la situation. Cet approfondissement des connaissances fait prendre

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    conscience de l'ampleur, de la gravité, et de l'aspect systémique des crises, ainsi que de la possibilité d'un effondrement de nos civilisations industrielles. Cette compréhension peut mener à de la peine, et soit à un soulagement si la personne était en perte de sens, soit à un effondrement ou un deuil intérieur si ces constats remettent en question la vision qu'ils avaient du monde, de leur vie et de leur avenir. Elle mène aussi à une volonté d'agir, et une volonté de se rapprocher de personnes ayant les mêmes questionnements. Pour cela, les personnes s'engagent dans un collectif et entrent alors dans une boucle d'engagement via les personnes, les connaissances, l'action et les émotions. Au fil de ce processus, les personnes évoluent voire se transforment dans le rapport à soi, aux autres et au monde.

    Ce résumé permet d'avoir une idée générale du processus d'engagement, mais il reste général : ces cheminements nous ont aussi montré que le processus incluait aussi des facteurs personnels, propres au contexte, à la personnalité, à l'histoire de chacun (ex : voyages, lieux de vie, entourage...). Cependant, dans les 6 cheminements que nous avons analysés, la connaissance, le collectif, l'action et les émotions ont tous joué un rôle central.

    Enfin, il est important de souligner que, bien qu'il puisse être analysé de façon linéaire dans les grandes lignes, ce processus n'est pas linéaire : de nombreux facteurs entrent en jeu, se renforcent les uns les autres et il y a d'importantes rétroactions entre chaque élément.

    Nous avons vu, au travers ces entretiens, l'aspect central du groupe dans le processus d'engagement écologique. Pour mieux le comprendre, nous allons donc maintenant approfondir et analyser l'enga-gement dans le contexte du collectif, au sein de l'association Avenir Climatique.

    II- Participation observante - Avenir Climatique

    En effet, l'engagement individuel et l'engagement collectif écologiques semblent intimement liés. L'objectif de cette partie est d'explorer ces liens à travers la participation observante du chercheur au sein d'Avenir Climatique (AC), une association de sensibilisation aux enjeux énergie-climat, et en essayant de comprendre le processus d'engagement au sein de ce contexte collectif.

    1) Méthodologie

    Le choix du terme de participation observante plutôt qu'observation participante est volontaire et justifié par la place prégnante de la participation par rapport à l'observation pendant ma démarche de recherche. Dans son article sur l'usage et la justification de la notion de participation observante (PO) en sciences sociales, Bastien Soulé résume ainsi les enjeux du terme de PO : « Très fortement

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    impliqués sur leur terrain, voire enchâssés dans celui-ci, les chercheurs recourant au terme de PO revendiquent un rapport singulier au terrain, qui les place en décalage avec « la bonne pratique méthodologique » relatée dans les manuels : observer et participer à parts égales, en veillant à ne pas sacrifier l'un au bénéfice de l'autre. » En effet, mon rôle de recherche et d'observation est resté au second plan, étant avant tout participante et partie prenante des événements. Mais Soulé souligne les avantages de ce positionnement, qui permet d'enrichir considérablement l'analyse par l'expé-rience et le vécu des éléments étudiés, à condition que le travail de réflexivité soit effectué.

    J'ai donc essayé d'effectuer ce travail de réflexivité et d'observation via un journal de bord, sur le moment si cela était possible, ou sur mon temps personnel, lorsque je privilégiais la participation. Enfin, j'ai également réalisé un entretien avec Guillaume Martin, membre actif de l'association, au cours duquel nous avons évoqué les facteurs clés d'engagement d'AC. La méthodologie de cet entretien est la même que pour les autres ; le guide et la synthèse de l'entretien sont en annexe. Annexe 9 : Guide d'entretien - Guillaume Martin

    Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume Martin

    2) Description et analyse

    Présentation de l'association

    Schéma du fonctionnement de l'association

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    Ce schéma permet de mieux comprendre le fonctionnement de l'association. L'association forme des membres afin qu'ils puissent à leur tour informer et sensibiliser des structures (universités, écoles, associations...) ou des citoyens (proches, famille, amis, étudiants...). Les structures et les citoyens bénéficient des outils et des actions de l'association, et fournissent un feedback essentiel pour à la fois enrichir la réflexion et améliorer continuellement leur démarche. L'individu formé participe activement à la vie de l'association à la fois en relayant son action et en étant force de proposition pour améliorer ou porter de nouveaux projets. Ici, nous explorerons plus spécifiquement les liens entre individu (le membre) et l'association (le collectif).

    Pour cela, l'analyse s'appuiera sur la participation à deux projets de l'association : l'ACademy et l'UEDAC, les deux principaux projets permettant de recruter des membres (les autres étant plus tournées vers la sensibilisation extérieure). L'ACademy est une formation en quatre week-ends sur l'an-née permettant de former une centaine de personnes chaque année à présenter une conférence de sensibilisation aux enjeux énergie-climat (appelée « The Big Conf », ou TBC). L'UEDAC est l'Univer-sité d'Eté Décontractée d'Avenir Climatique, une semaine ouverte aux membres et aux nouveaux pour à la fois apprendre, débattre, réfléchir à l'avenir de l'association, mais aussi profiter de la nature, des temps libres et des vacances.

    Par la participation observante et par l'entretien réalisés, nous avons distingué 3 facteurs clés d'en-gagement de l'association : la connaissance, le pouvoir et la liberté d'action, et le collectif.

    L'association comme moyen de monter en connaissances et en compétences

    Pour Guillaume, l'objectif central de l'association est de donner les clés de compréhension des enjeux énergie-climat. L'association a été créée par un groupe d'ingénieurs, et a en son coeur la rigueur technique et scientifique des messages et informations qu'elle porte et transmet. Le fait de s'axer plus sur le constat que sur les solutions est volontaire : l'objectif est d'outiller les personnes pour qu'elles soient à même de prendre elles-mêmes leurs décisions. Guillaume explique ainsi : « Dans la Big Conf, on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais on donne les clés pour que les personnes comprennent la situation et arrivent aux bonnes conclusions d'action tous seuls. Autre exemple : pour le bilan carbone, on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais la personne regarde sa situation, où elle en est, et identifie elle-même les actions qui lui correspondent par rapport à la marge de manoeuvre qu'elle veut lui donner. » Thibaud Griessinger confirme : « on voit très bien que c'est compliqué de sensibiliser sur des actions spécifiques. Quand AC le fait en mettant l'emphase sur l'énergie, là c'est plus intéressant car c'est plus facile de voir à l'échelle individuelle comment tu peux arriver à faire le lien entre ton mode de vie et ces problématiques, et tu peux toi-même être constructeur d'actions que tu peux mettre en place ». Angèle, Juliette, Alix, Luc et Valentin ont tous les cinq participé à l'ACademy

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    l'année dernière, et l'approfondissement des connaissances conséquent a, comme nous l'avons vu, largement contribué à leur engagement.

    Au-delà d'une transmission et d'un approfondissement des connaissances, l'ACademy permet aussi aux participants de monter en compétences diverses : prise de parole, sensibilisation, organisation d'événement, communication... Ce peut être à un niveau supérieur pour les formateurs : une dizaine de personnes participant à l'ACademy cette année vont devenir formateurs l'année prochaine, ce qui va leur permettre à la fois de monter encore en connaissance, mais aussi de développer des compétences de prise de parole, d'organisation... La palette de compétences à développer est très large, et certains papillonnent de projet en projet chaque année en fonction des compétences qu'ils souhaitent développer.

    Au-delà des connaissances et compétences transmises aux membres, il y a une volonté constante d'amélioration continue et de co-construction des savoirs. Par exemple, sur l'outil informatique d'échanges d'AC, framateam, un canal de discussion est dédié au partage d'informations, aux questions, aux débats, pour pouvoir évoluer ensemble dans les savoirs. Lors des week-ends de l'ACademy et lors de l'UEDAC, un tableau références est affiché, où chacun peut ajouter ses conseils de lectures, documentaires, films, podcasts... Un projet de climathèque est aussi en cours, afin de répertorier les principales sources de données et de savoir à disposition. C'est aussi dans les discussions, dans les échanges, les débats ou présentations organisés que peut se construire et transmettre la connaissance.

    On voit donc que la connaissance des enjeux est un levier d'engagement individuel, mais aussi que chaque personne contribue aussi à cette connaissance et à l'engagement collectif.

    Pouvoir et liberté d'action comme leviers

    Un autre aspect clé de l'engagement des personnes au sein de l'association est bien sûr le fait de pouvoir agir et sentir son impact. Au-delà de la participation aux projets, des conférences réalisées et de leur impact, c'est aussi au sein même de l'association que les personnes peuvent ressentir leur liberté et pouvoir d'action. Une grande place est en effet laissée à l'autonomisation, à la participation et à la prise d'initiatives.

    Pour cela, l'organisation globale d'AC est horizontale. Guillaume explique : « Avenir Climatique n'a pas d'organigramme, pas de bureau, pas de hiérarchie, pas de chef. Il y a des personnes qui sortent du lot pour gérer les choses, certaines font partie du CADAC (Conseil d'Administration d'Avenir Climatique). L'organisation se veut la plus horizontale possible, à la fois pour que l'association ne repose pas sur 1 ou 2 personnes, mais aussi et surtout pour que chacun se sente libre et légitime de faire

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    des choses, sans avoir à rendre de comptes. » Aussi, cette volonté de liberté d'initiative se retrouve dans la gestion et l'organisation des événements. Par exemple, à l'UEDAC, la semaine est complètement auto-gérée, c'est-à-dire que les participants sont garants et responsables de la cuisine, du rangement, du bon entretien, mais aussi de l'organisation d'ateliers. Il y avait en effet des créneaux spécifiques sur lesquels les participants étaient libres de proposer un atelier, une discussion, un jeu... autour de ces enjeux. Ce modèle d'organisation permet de donner du pouvoir aux membres, qui se sentent acteur et ont un rôle à jouer au sein de l'association, tout comme face à aux crises de nos sociétés.

    Une grande liberté est aussi laissée dans les propositions d'idées et dans la prise d'initiative. Des espaces y sont même spécifiquement dédiés. A la fin de l'ACademy, lors du week-end 4 est organisé un Forum Ouvert pour laisser libre court aux propositions des participants pour l'association. Il y a d'abord eu un temps de propositions libres, où tous pouvaient lancer des idées de tous ordres ; une trentaine en est ressortie. Puis, il y a eu un temps de vote pour les projets les plus intéressants, et une dizaine ont été retenus. Enfin, des groupes se sont formés afin de discuter et approfondir ces idées, les personnes pouvant passer de groupe en groupe en trois temps différents. Aujourd'hui, plusieurs projets proposés et discutés lors de ce forum ouvert sont en cours de réalisation ou ont été réalisés. Par exemple, l'internationalisation de la Big Conf, qui est en cours de traduction et d'adap-tation des données dans plusieurs langues. Un autre exemple est le projet ACcostage Climatique, qui, après cette idée lancée lors du Forum, a pu être réalisé cette année, en partant de zéro et avec seulement quelques mois de préparation. 13 membres de l'association sont partis 5 jours à bord de 2 voiliers sur les côtes bretonnes, s'arrêtant de ville en ville pour organiser des ateliers ou conférences de sensibilisation autour des enjeux énergie-climat. Ce projet est en voie de devenir un projet structurant de l'association autour du voyage et de la construction de nouvelles représentations du voyage. On voit donc qu'il y a une très grande liberté d'initiatives qui contribue à l'engagement au sein de l'association. Guillaume voit en fait AC comme un « véhicule qui peut permettre aux gens de faire des choses autour de l'énergie et du climat ».

    Il y a aussi une liberté laissée dans la façon de transmettre les messages. Pour Guillaume, « La seule chose dont on doit être garant est la justesse du discours d'un point de vue technique et scientifique, mais il est essentiel que les personnes se sentent libres de porter des projets de la façon qu'elles le souhaitent. C'est par exemple pour cela que la conclusion de TBC reste vague : pour laisser aux personnes la possibilité de la faire comme ils le souhaitent, de se l'approprier. C'est important que les gens adaptent même le contenu de la conférence pour se sentir à l'aise avec. Mettre plus ou moins d'émotions, parler de telle ou telle chose, parler de soi personnellement, être plutôt pessimiste ou plutôt optimiste... Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de la faire, mais une bonne façon de la faire par rapport à toi, par rapport à ta personnalité, par rapport aussi au moment

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    où tu en es dans ta vie... ». Dans les week-ends de travail de l'ACademy, des temps spécifiques sont ainsi dédiés à la personnalisation de la Big Conf.

    Thibaud Griessinger souligne l'aspect émancipateur de ce pouvoir d'action : « A partir du moment où tu te sens en contrôle de ton environnement, tu te sens agent de ta transformation, de ton destin (...). C'est beaucoup plus émancipateur d'être acteur de son environnement que de le subir »

    Ainsi, la notion de liberté est de pouvoir d'action permis par le collectif est centrale dans le processus d'engagement écologique, et elle permet dans le même temps de nourrir l'action collective par la construction et l'amélioration de projets conséquente.

    Le sentiment d'appartenance à un collectif comme moteur de l'engagement

    Par cette année passée à Avenir Climatique, j'ai pu observer et vivre, comme tous les membres le décrivent, un très fort sentiment d'appartenance à une communauté. Pour Guillaume, « en termes d'identité, Avenir Climatique est vraiment une bande de potes. Les personnes prennent généralement beaucoup de temps de façon bénévole. C'est lié certes au message important qu'ils veulent passer, à la cause noble portée, mais s'ils le font c'est aussi parce qu'ils se sentent bien avec le reste des membres. Entre nous, on parle souvent de « communauté » ou de « famille » en parlant d'AC. La bière ou le verre de la soirée est aussi dans l'ADN de l'asso : après chaque événement AC, les membres vont prendre ensemble un verre. L'UEDAC aussi est un peu marketée. » En évoluant au sein d'un groupe portant des valeurs communes, réunie et agissant autour d'un objectif commun, les membres construisent des relations sociales enrichissantes et épanouissantes.

    Ce sentiment d'appartenance peut aussi être moteur de l'engagement via les normes sociales qui se construisent au sein du groupe. Les membres essaient en effet d'être exemplaire et en cohérence avec leurs valeurs, et les personnes arrivant dans le groupe vont avoir tendance à vouloir se faire accepter, à être en accord avec le groupe, à se conformer aux normes sociales, et donc à s'engager. On se souvient du témoignage de Juliette qui expliquait que les membres étaient devenus comme des « modèles », qui l'avaient poussée à agir en se disant « si je veux être cohérente avec ce groupe, cette asso, il faut que ça suive derrière ». L'exemplarité au sein de l'association s'incarne essentiellement par les individus, à la fois dans leurs discours, dans leurs relations sociales et dans leurs actions. L'engagement collectif peut donc permettre de faire évoluer les représentations de l'individu (transformation intérieure).

    Ces représentations et valeurs s'adaptent au fur et à mesure via des mécanismes d'interaction spéculaire. Ces représentations évoluent d'autant plus dans un contexte où les membres se posent de nombreuses questions sur leurs croyances, sur les récits et les représentations, et où la construction

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    de nouveaux récits est un des objectifs de l'association. Ainsi, l'association devient aussi un espace où les membres peuvent construire ensemble de nouveaux récits et représentations, ce qui peut aussi renforcer leurs sentiments de pouvoir d'action et leur épanouissement. Par exemple, pendant l'UEDAC, un espace de discussion sur le rapport au corps a été lancé spontanément suite à des questionnements sur la mixité ou non des douches communes. Au fil des échanges, les questionnements se sont multipliés : pourquoi les hommes semblent être plus à l'aise que les femmes avec la nudité ? Qu-est-ce qui nous gêne dans la nudité ? Le regard de l'autre ? Le regard de l'autre sexe ? La sexualisation du corps ? Quels sont les déterminants culturels qui mènent à la pudeur et l'intimité du corps ? Faut-il faire évoluer ces représentations ? Ou au contraire ? Cet exemple illustre bien un moment d'échange et de réflexion intéressant sur un sujet tabou et déterminé par beaucoup de représentations de nos sociétés modernes, où chacun a pu réfléchir à ses propres représentations, les questionner et peut-être les faire évoluer. Ainsi, au sein de l'association, les individus, par les idées qu'ils apportent individuellement mais aussi par les temps de réflexion dédiés et par les interactions, construisent de nouvelles représentations collectives (transformation extérieure).

    Le sentiment d'appartenance au groupe est tel que, combiné à la détermination et la force que mettent les membres dans leur lutte et dans la sensibilisation, il est fréquent d'entendre des personnes extérieures parler d'AC comme d'une secte, en plaisantant. Cela révèle aussi, au-delà des aspects positifs que nous avons évoqués ci-dessous, une des limites de cet aspect communautaire de l'association, qui peut bloquer certaines personnes à y entrer. En effet, l'association, bien qu'elle se veuille aparti-sane, comprend des individus ancrés politiquement d'un certain côté du débat, ce qui peut parfois bloquer des personnes n'ayant pas les mêmes positions. Un débat à ce sujet a été lancé lors de l'Assemblée Générale de l'association, qui a eu lieu pendant l'UEDAC. Certains membres les plus à droite se sont dit mal à l'aise d'exprimer certaines opinions en redoutant qu'elles seraient caricaturées. Le risque invoqué est à la fois d'exclure des personnes malgré l'objectif de sensibilisation et d'inclusion du plus grand nombre, mais aussi de se couper de certaines critiques pertinentes et de s'enfermer sur ses opinions, rendant plus difficile le travail de vulgarisation et la position relativement « neutre » de l'association. Finalement, il a été souligné une nécessité de vigilance et d'ouverture d'esprit dans les propos à la fois dans les moments formels mais aussi informels, où les réflexions peuvent être faites plus naturellement et inconsciemment du fait de la proximité relationnelle entre les membres.

    L'importance du bien-être des membres et la place croissante laissée aux émotions

    Dans notre entretien, Guillaume a souligné que l'épanouissement de chacun était essentiel, à la fois parce que le message porté par des personnes épanouies a plus de résonnance et d'impact, mais aussi et surtout parce que le fait que les membres puissent s'épanouir et s'en rendent compte favorise leur engagement.

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    Cet épanouissement a pu s'observer et s'analyser chez les membres comme étant le résultat des trois facteurs présentés : une montée en connaissances et en compétences, une conscience et mise en oeuvre de son pouvoir d'action, et un fort sentiment d'appartenance et d'adhésion au collectif. Une membre de l'association évoquait, lors de l'atelier d'écopsychologie de l'UEDAC, un sentiment « d'ex-tase » parfois ressenti dans l'engagement collectif, sentiment faisant écho aux « moments presque euphoriques » décrits par Juliette. Autre illustration de cet épanouissement de l'engagement collectif, les participants parlent parfois entre eux de « déprime post-UEDAC » ou de « déprime post we ACademy » tant les moments vécus sont stimulants et épanouissants. A la fin de cette semaine comme à la fin de chaque week-end de l'ACademy, j'ai pu observer, via les discussions, via les mails, les messages, et mon ressenti, une grande énergie, force et motivation chez les participants.

    Aussi, pour assurer l'épanouissement dont parle Guillaume, l'expression des émotions s'est récemment révélée être un élément important. Guillaume explique qu'« historiquement, AC est une association d'ingénieurs un peu « froids et renfermés ». Ça a beaucoup changé dernièrement, avec des personnes qui ont amené de l'émotion, de la culture, des éléments un peu moins « rationnels » dans l'asso et dans les projets. »

    L'ACademy a par exemple intégré un temps spécifique dédié au partage des émotions vécues dans l'engagement. Guillaume explique qu'il s'agit d'un de ses ateliers préférés à l'ACademy : celui des « sensibilisateurs anonymes », où les participants échangent sur leurs difficultés à convaincre, à vivre leur engagement. « C'est en fait un atelier qui a été complètement improvisé il y a deux ans ; il y avait beaucoup de discussions, les gens étaient très émotionnels, on a ressenti le besoin de faire ça. Et depuis, c'est resté ! »

    Autre exemple clé à l'UEDAC : cette année, pour la première fois, un atelier de 2h30 a été consacré au partage des émotions. L'objectif était de créer un espace pour pouvoir exprimer les émotions liées à notre engagement, sans qu'il y ait de débat ou d'objectif de résultat ou de productivité, simplement pour exprimer ces émotions. L'atelier est parti de la question suivante : « Quelle émotion vous fait le plus avancer dans votre combat écologique ? ». Les participants ont été invités à réfléchir quelques minutes à leur réponse, puis à se lever et marcher dans le champ où nous étions, en attendant de rencontrer quelqu'un, et alors de lui demander son émotion, et former un groupe si elle était similaire. Cela a permis de former différents groupes de discussion de plus petite taille, en fonction des émotions de chacun. Parmi les émotions invoquées, il y a eu la colère, l'angoisse, la tristesse, la joie, l'espoir, l'alignement (entre ses valeurs et son engagement)... Globalement, les émotions positives ont regroupé bien plus de personnes. Chaque groupe a eu un temps d'échange et de discussion, puis tous les groupes se sont retrouvés pour partager leurs échanges. Au-delà des résultats de ces

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    échanges, qui, bien qu'intéressants, ne sont pas ici notre objet d'étude, cet atelier a révélé l'impor-tance du partage des émotions pour souder le collectif. Cet atelier a en effet été un moment très fort et intense pour tous les participants. Chacun a parlé de ses difficultés, de ses joies, de son engagement, de sa vie, du monde actuel... Certains ont pleuré, de tristesse, de joie. A la fin, alors que l'atelier prenait fin, une participante a demandé qu'on reste encore quelques instants, même si personne n'avait rien à ajouter. Alors, le groupe est resté, enchaînant les moments de silence, et les nouvelles prises de paroles. On sentait, dans ces minutes de silence, la puissance des émotions planer au-dessus du groupe et en nous. Et, dans un de ces silences, une des participantes a demandé : « est-ce que vous avez pas tous envie de vous faire un câlin ? », une phrase qui peut faire rire mais très révélatrice de la puissance collective de ce moment. Cet atelier a été central dans ma recherche, car il m'a fait réaliser la force et l'énergie qui sortaient de ce groupe, ainsi que l'importance du partage des émotions pour créer du lien, souder le collectif et favoriser l'engagement.

    A noter qu'il y a eu une différence notable dans le ressenti des participants entre l'atelier des sensibilisateurs anonymes de l'ACademy et l'atelier d'écopsychologie de l'UEDAC. En effet, l'atelier de l'ACademy est très vite entré dans des débats, chacun donnant son opinion et réagissant aux réflexions de l'un ou de l'autre, alors que l'atelier de l'UEDAC a été présenté tout de suite comme un moment d'expression, d'écoute, et non de débat ou de réflexion sur les solutions. L'impact a été très différent. Dans le 1er atelier, ce qui est principalement ressorti est le contenu des débats et les différences d'opinion, tandis que dans le second, la plupart des participants ont souligné combien mettre des mots sur leurs émotions, les exprimer, les partager et écouter d'autres les partager était un grand soulagement, une grande aide, et faisait du bien.

    Le Pôle Culturel de l'association, récemment créé, propose aussi un espace d'expression des émotions via ses ateliers d'écritures, qui portent souvent sur les ressentis, les émotions, les nouveaux récits et représentations... Ce sont aussi de forts moments de partage, et de soulagement ou de bien-être pour les membres de pouvoir réfléchir, mettre des mots, et exprimer et partager leurs ressentis.

    3) Conclusions

    Tableau résumé des principales conclusions

    Facteurs d'engagement

    Conclusions

    Connaissances

    - monter en connaissances et en compétences

    - co-construction et amélioration continue des savoirs

    Pouvoir et liberté d'action

    - modèle d'organisation horizontal permet de donner du pouvoir et de faire sentir ce pouvoir d'action aux membres

    - Liberté d'initiatives

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    - liberté dans la façon de transmettre le message

    Communauté

    - sentiment d'appartenance à une communauté

    - exemplarité et les normes sociales du groupe permettent de faire évoluer les représentations et pratiques des individus

    - les interactions et espaces de réflexions permettent de construire de nouvelles représentations collectives

    - importance d'une vigilance et ouverture d'esprit dans les propos

    Bien-être et épanouisse-
    ment

    - l'épanouissement est source d'engagement

    - la connaissance, le pouvoir et la liberté d'action, ainsi que l'aspect humain sont trois facteurs importants et complémentaires d'épanouissement

    - l'expression et le partage des émotions est un facteur d'épanouissement à la fois personnel et collectif

    On voit donc que l'engagement individuel et collectif sont intimement liés, et que les liens se font souvent à double sens. L'association transmet à l'individu les connaissances nécessaires à l'enga-gement, alors que les individus coconstruisent et améliorent ensemble cette connaissance. La liberté d'initiatives et les projets de l'associations permettent à l'individu de s'engager et de sentir son pouvoir d'actions, alors que les individus nourrissent l'association de leurs initiatives et actions au sein de l'association. L'exemplarité et les normes sociales du groupe permettent à l'individu de faire évoluer ses pratiques et représentations, en même temps que les réflexions et interactions des individus permettent de faire évoluer les représentations du collectif. Enfin, le collectif peut fournir des espaces d'expression et de partage d'émotions, qui permettent de renforcer la solidarité, la cohésion et le groupe.

    Là encore, l'aspect systémique des facteurs d'engagement est important à souligner : ces éléments fonctionnent ensemble : connaissance, pouvoir d'action et groupe sont complémentaires et se renforcent entre eux. Le tout permet aux membres de trouver dans l'engagement collectif un fort épanouissement, qui renforce encore leur engagement (tant collectif que quotidien et professionnel). On voit aussi à quel point, via la connaissance, le pouvoir d'action et les relations humaines, l'engage-ment collectif peut être source de changements et transformations. Ainsi, lors des deux dernières Assemblées Générales de l'association, un membre a à chaque fois versé des larmes d'émotions en expliquant que « l'association (avait) changé sa vie », suscitant des réactions similaires d'autres membres, et suscitant un moment d'émotion fédérateur et là encore engageant.

    Nous avons maintenant une meilleure compréhension du processus d'engagement écologique, en l'ayant étudié sous le prisme individuel puis collectif. Mais cette compréhension est limitée par l'angle restreint qu'elle comporte, ayant choisi des individus faisant partie du même collectif. C'est pourquoi

    63

    nous avons complété notre démarche par un questionnaire destiné à toucher un plus grand nombre de personnes, mais aussi une plus grande diversité de profils.

    III- Questionnaire sur le processus d'engagement écologique 1) Méthodologie

    Le questionnaire se voulait le plus holistique possible par rapport au vécu de la personne, afin qu'elle puisse avoir la vision la plus complète de son cheminement. Le questionnaire a ainsi été construit en 5 parties :

    1) Conscience des enjeux

    2) Niveau d'engagement

    3) Blocages et déclics

    4) Emotions

    5) Processus et cheminement

    Le questionnaire a été construit de façon humaine et chaleureuse : il comportait une introduction expliquant ma démarche, utilisait le tutoiement, des notes d'humour, et une conclusion engagée. Cela avait pour objectif et a permis, d'après les retours particulièrement positifs que j'en ai eu, de mettre les personnes dans de bonnes conditions pour répondre au questionnaire, et de le rendre attractif et agréable à faire malgré sa longueur (entre 20 minutes et 1h selon le temps de réflexion des personnes). Le questionnaire alternait questions fermées et questions ouvertes, afin notamment de disposer de données qualitatives, parfois plus complètes et libres, d'éviter des réponses orientées, mais aussi afin de permettre un espace de réflexion et d'expression aux répondants.

    Le questionnaire a été essentiellement diffusé sur les réseaux sociaux, sur des groupes plutôt engagés, ainsi qu'auprès de mes proches (engagés et peu engagés), et dans les milieux et structures de mes proches peu engagés.

    Le questionnaire ne se veut pas représentatif : son objectif était de comprendre les différences entre un groupe de personnes conscientes et engagées, et un groupe de personnes conscientes et non ou peu engagées. En effet, pour analyser les réponses du questionnaire, j'ai divisé les 187 répondants en trois groupes, selon leur niveau de conscience et d'engagement. Cette division en groupes s'est faite selon les réponses à certaines questions. Une « note » de 1 à 3 a été attribuée pour chaque question puis une moyenne a été faite sur le niveau de conscience puis sur le niveau d'engagement, la moyenne entre les deux donnant le numéro de groupe de la personne. La méthodologie précise de cette répartition se trouve en annexe 11.

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    Ce travail a permis de former trois groupes :

    - Groupe 1 : peu conscients et pas engagés ? 2 personnes

    - Groupe 2 : conscients mais pas ou peu engagés ? 80 personnes

    - Groupe 3 : très conscients et engagés ? 105 personnes

    Nous voyons donc que seulement 2 personnes se sont retrouvées dans le groupe 1, dont une clima-tosceptique. Les données de ce groupe n'ont pas fait l'objet d'une analyse, à la fois parce que les données ne sont pas représentatives, mais aussi et surtout parce que notre sujet d'étude porte sur le passage à l'engagement de personnes déjà conscientes des enjeux. Le passage de personnes pas conscientes voire pas d'accord sur les enjeux environnementaux relève de toutes autres logiques et pourrait faire l'objet d'un tout autre travail. Il était cependant important de distinguer ce groupe, dont les logiques et les résultats sont très différents. Nous avons donc analysé les réponses de 185 personnes, avec une petite surreprésentation de personnes très engagées (105 personnes, soit 57%) par rapport aux personnes peu engagées (80 personnes, soit 43%). Les données relatives au profil des répondants se trouvent en annexe 12.

    Il convient aussi de noter que cette méthodologie d'analyse des réponses a nécessité beaucoup de temps (extraction des données sur excel, formules pour distinguer les groupes et analyser certaines données, formules, extractions pour chaque question et chaque groupe, mise en forme sur un tableau word, analyse...). En raison de cette méthodologie, de la longueur du questionnaire et d'un manque de temps dans ma démarche de recherche, je n'ai malheureusement pas pu analyser la totalité du questionnaire, et notamment les réponses ouvertes. Mais ce ne sont pas des réponses perdues, ces données sont d'une grande richesse et pourront faire l'objet d'un approfondissement et d'une analyse après ce mémoire. En annexe se trouvent donc seulement une partie des résultats du questionnaire, et seule une partie de ces résultats a fait l'objet d'une analyse.

    Enfin, à noter qu'il existe plusieurs biais à ce questionnaire, liés :

    - A sa construction. Certains répondants ont fait part d'une orientation dans certaines questions. J'avais ce risque à l'esprit en construisant le questionnaire, et j'ai essayé d'orienter le moins possible les questions (notamment en laissant la réponse ouverte lorsque des réponses fermées auraient impliqué la projection de mes propres réponses et donc une orientation), mais, comme un objectif secondaire de ce questionnaire était aussi d'aider les personnes à faire le point sur leur engagement, j'ai voulu y apporter des notes d'encouragement, notamment lors de la conclusion qui était très engagée et sortait quelque peu de mon rôle de chercheur, entrant plus dans un rôle de chercheur engagé. Cela a pu paraître comme un manque d'objectivité dans la construction du questionnaire.

    - Aux réponses des personnes. Certaines questions nécessitaient une autoévaluation (de son degré d'engagement, de son niveau de conscience...), ce qui peut être sur-évalué ou sous-évalué selon le caractère de la personne.

    - A la distinction des groupes, qui aurait pu être encore plus rigoureuse dans la méthodologie. Mais cette distinction s'est révélée pertinente au vu de l'analyse des résultats, et a l'intérêt d'avoir un bon aperçu des principales différences entre un groupe engagé et un groupe peu engagé.

    2) Description et analyse

    Nous décrirons et analyserons les résultats des deux groupes sur leur conscience des enjeux, sur leur engagement, blocages et leviers d'engagement, et enfin sur leur rapport aux émotions.

    Conscience des enjeux et vision des crises Données complètes à retrouver en Annexe 13

    Globalement, les personnes ont conscience de la gravité des crises : la moyenne du degré de gravité estimé est de 8,56/10 pour le groupe 2, et de 9,56/10 pour le groupe 3. Seulement 3% de la totalité des personnes interrogées, soit 6 personnes sur 187, estiment improbable la possibilité d'un effondrement de nos civilisations. On voit donc qu'il y a une conscience globale de la gravité des crises et de la possibilité d'un effondrement. Il y a cependant une différence notable entre les 2 groupes : 67% des personnes du groupe 2 le considèrent comme « probable, très probable ou certain », contre 95% dans le groupe 3.

    67% du groupe 3 considèrent comme improbable ou peu probable que nous réussissions à mettre en oeuvre une transition écologique et solidaire, contre 58% dans le groupe 2. Ainsi, globalement, la plupart ne croit en la réussite d'une transition, et les personnes engagées y croient moins que celles non engagées. Les résultats du questionnaire ont aussi révélé un grand différentiel dans la croyance en la technologie pour faire face aux crises : à l'affirmation « nous allons développer des innovations technologiques qui permettront de faire face aux changements climatiques », 61% du groupe 2 a répondu probable, très probable ou certain, contre seulement 26% dans le groupe 3. Enfin, le groupe engagé a tendance à plus croire en la capacité de la société civile à se mobiliser : 62% du groupe 3 considèrent comme probable, très probable ou certain une « mobilisation et révolution sans précédent de la société civile qui permettraient de mettre en place des changements radicaux », contre 52% pour le groupe 2.

    65

    Les résultats du questionnaire révèlent donc :

    66

    - une conscience globale de la gravité des crises et de la possibilité d'un effondrement de nos civilisations

    - une tendance d'évolution des représentations au fil de l'engagement : plus une personne est engagée, :

    o plus elle croit en la probabilité d'un effondrement

    o moins elle croit en la réussite d'une transition écologique et solidaire

    o moins elle croit en la capacité de la technologie à faire face aux crises

    o plus elle croit en la capacité de la société civile à changer les choses

    Niveau d'engagement, blocages et leviers

    Données complètes à retrouver en annexe 14 et annexe 15

    Le questionnaire a aussi révélé des différences notables selon le type d'engagement. D'abord, l'en-gagement quotidien semble ancré dans les deux groupes : 99% des personnes du groupe 3 se disent engagées ou très engagées, contre 87% dans le groupe 2. Cependant, le différentiel est plus élevé si l'on prend juste la réponse « très engagé » : 77% dans le groupe 3, contre seulement 31% dans le groupe 2, ce qui révèle un engagement quotidien limité du groupe 2. Cette tendance d'un engagement plus en profondeur du groupe 3 au quotidien se confirme dans les différents types de pratiques analysées.

    Tableau résumé des degrés d'engagement selon le type de pratique au quotidien :

     

    Groupe 2

    Groupe 3

     

    Engagés ou très
    engagés

    Très engagés

    Engagés ou très
    engagés

    Très engagés

    Tri des déchets

    91%

    60%

    97%

    78%

    Réduction des déchets

    86%

    42%

    98%

    71%

    Réduction consommation de
    viande

    82%

    44%

    99%

    77%

    Consommer mieux (alimentaire :
    bio, local, de saison)

    84%

    59%

    98%

    72%

    Consommer mieux (biens de con-
    sommation)

    84%

    42%

    98%

    82%

    Consommer moins (biens de con-
    sommation)

    81%

    41%

    98%

    77%

    Mobilités douces

    77%

    52%

    90%

    66%

    Limiter trajets en avion

    58%

    40%

    89%

    68%

    Limiter impact numérique

    32%

    9%

    54%

    14%

     

    Nous voyons en effet que la majorité des personnes se considèrent « engagées » ou « très engagées » sur la plupart des pratiques, à l'exception de l'impact numérique, et avec un petit différentiel

    67

    entre entre les deux groupes, mais que ce différentiel est bien plus grand pour la seule réponse « très engagée », révélant un engagement quotidien plus profond et ancré dans le groupe 3 que dans le groupe 2.

    Dans l'engagement professionnel, 82% du groupe 3 se dit engagé ou très engagé contre 57% dans le groupe 2. Cette différence révèle que l'engagement professionnel semble être une étape importante du processus d'engagement. Le différentiel est encore plus grand pour l'engagement collectif. Pour l'engagement associatif, 67% du groupe 3 se dit engagé ou très engagé contre 25% dans le groupe 2. Enfin, pour l'engagement militant, 65% des personnes se disent engagées ou très engagées (30% très engagés), contre seulement 10% dans le groupe 2 (0% très engagés). De plus, dans les questions portant sur les leviers d'engagement, on voit que l'engagement collectif a eu une forte influence dans le groupe des personnes engagées. En effet, 63% estiment que l'engagement associatif a eu une influence, grande ou très grande influence sur leur prise de conscience et leur engagement, et 57% pour l'engagement militant. Ces chiffres ne sont respectivement qu'à 26% et 13% dans le groupe 2. L'engagement collectif semble donc être une étape clé du processus d'engagement écologique.

    Certaines des questions cherchaient à évaluer l'importance de la connaissance dans le processus d'engagement. Or, 66% des personnes du groupe 2 estiment que le manque de connaissance n'a pas ou peu d'influence sur leur engagement, et 56% dans le groupe 3. Cela peut paraître surprenant à l'égard des hypothèses et des résultats précédemment dressés. Mais ces chiffres peuvent s'expli-quer facilement. Pour le groupe 3, très engagé, le résultat parait logique si l'on considère que les connaissances ont déjà été approfondies. D'ailleurs, il peut même paraître à l'inverse surprenant que 43% des personnes du groupe 3 considèrent que le manque de connaissance des enjeux a une influence, une grande influence ou une très grande influence sur leur engagement. Concernant le groupe 2, on peut supposer que les personnes, conscientes des enjeux, n'ont pas conscience de leurs lacunes de compréhension. En fait, le manque de connaissance ne constitue pas directement un blocage à l'engagement ; il est plus juste de dire que c'est l'approfondissement des connaissances qui constitue un levier d'engagement. Et, en effet, les chiffres le valident : 86% des personnes du groupe 2 considèrent qu'une meilleure connaissance des mécanismes en jeu a pu favoriser leur engagement. Le pourcentage s'élève à 98% dans le groupe 3. L'approfondissement des connaissances se révèle donc être un facteur clé d'engagement. On voit aussi, dans les leviers d'actions, que la lecture est privilégiée par rapport aux supports audio-visuels dans le groupe des personnes engagées : 91% disent qu'une ou des lectures spécifiques ont eu une importance, contre 73% dans le groupe 2. Pour les supports audiovisuels, ces chiffres s'élèvent à 89% pour le groupe 3 et 80% pour le groupe 2. On voit aussi qu'un cours ou une formation a plus d'influence dans le groupe 3 : 56% vs 42%.

    68

    Le manque de temps constitue un blocage pour 76% des personnes dans le groupe 2, 69% dans le groupe 3. Le fait d'avoir plus de temps pour se renseigner et s'engager a eu une influence, grande ou très grande influence dans 82% des cas dans le groupe 3, contre 65% dans le groupe 2. Les deux autres blocages clés observés sont le manque de moyens d'action (73% pour le groupe 2, 61% pour le groupe 3), et les habitudes (62% pour le groupe 2, 57% pour le groupe 3).

    Ainsi, nous avons vu que :

    - les pratiques écologiques quotidiennes sont de plus en plus profondes et ancrées au fil de l'en-

    gagement

    - l'engagement professionnel est une étape importante du processus d'engagement

    - l'engagement collectif est une étape clé du processus d'engagement

    - l'approfondissement des connaissances est un facteur clé d'engagement

    - le manque de temps, le manque de moyens d'action et les habitudes de vie semblent être des

    blocages importants à l'engagement

    Rapport aux émotions

    Données complètes à retrouver en annexe 16

    Le questionnaire a aussi révélé des différences notables dans le rapport aux émotions des deux groupes. Les sentiments d'impuissance et de peur sont présents plus souvent dans le groupe 2 que dans le groupe 3 : 59% ressentent souvent ou très souvent de l'impuissance dans le groupe 2, contre 42% dans le groupe 3, et 44% de la peur, contre 31% dans le groupe 3. A l'inverse, les sentiments de lassitude et d'épuisement sont présents plus souvent dans le groupe 3 que dans le groupe 2 : 35% ressentent souvent ou très souvent de la lassitude, contre 24% pour le groupe 2, et 26% de l'épuise-ment dans le groupe 3, contre 14% dans le groupe 2 (42% du groupe 2 n'en ressentent jamais, contre seulement 22% dans le groupe 2). Enfin, certaines émotions comme la frustration, la colère, la tristesse, la culpabilité se retrouvent à peu près autant dans les deux groupes. Ainsi, les personnes engagées peuvent ressentir plus souvent de la lassitude ou de l'épuisement, mais l'engage-ment semble diminuer les sentiments d'impuissance et de peur.

    Le plus grand différentiel concerne le sentiment de détermination, que 41% du groupe 3 ressentent très souvent (79% souvent ou très souvent), contre seulement 15% dans le groupe 2 (63% souvent ou très souvent). De même, 46% ressentent de l'excitation souvent ou très souvent, contre 25% dans le groupe 3 (très souvent : 14% vs 5%), les chiffres étant quasiment similaires pour le sentiment de satisfaction. La joie est ressentie très souvent ou très souvent par 53% des personnes du groupe 3, contre 29% dans le groupe 2. Enfin, le sentiment de fierté est présent souvent ou très souvent pour 59% des personnes du groupe 3, contre 30% pour les personnes du groupe 2. On voit donc que les

    69

    émotions positives comme la détermination, la satisfaction, l'excitation, la joie ou la fierté semblent plus souvent présentes chez les personnes engagées que chez les personnes non engagées.

    De façon plus générale, nous pouvons noter que les personnes du groupe 3 semblent ressentir plus souvent des émotions : la réponse « très souvent » représente 17% du total des réponses, contre 11% pour le groupe, tandis la réponse « jamais » représente 21% pour le groupe 2 et 12% pour le groupe 3. D'autres réponses vont en ce sens : à l'affirmation « je ressens des émotions positives très intenses », 19% des personnes du groupe 3 ont répondu très souvent, contre 8% pour le groupe 2. Aussi, 47% des personnes du groupe 3 indiquent exprimer leurs émotions négatives souvent ou très souvent, contre 37% dans le groupe 2. Enfin, 35% du groupe 3 estime utiliser ses émotions souvent, contre 25% pour le groupe 2 (18% ne le font jamais dans le groupe 2, contre 8% dans le groupe 3). Ainsi, l'engagement pourrait mener à une libération des émotions, ressenties plus souvent et plus intensément, ainsi qu'à une meilleure gestion de ses émotions.

    Une autre question de cette partie portait sur la personnalité des personnes. Une série de qualificatifs a été proposée, et la personne devait indiquer à quel degré ces qualificatifs lui correspondaient. Quelques différences entre les deux groupes peuvent être observées dans les différents qualificatifs proposés. 51% des personnes du groupe 3 se considèrent « complètement » curieux, contre 41% dans le groupe 2. 44% se considèrent complètement sensibles, 33% dans le groupe 2. Pour 71% du groupe 3, le qualificatif « heureux » leur correspondait complètement, contre 60% dans le groupe 2. Enfin, les plus grands différentiels concernaient les qualificatifs « libéré » et « créatif » : 57% du groupe 3 ont indiqué que la créativité leur correspondait beaucoup ou complètement, contre 40% dans le groupe 2 ; 63% pour l'aspect libéré dans le groupe 3, contre 49% dans le groupe 2. Ainsi, l'engagement pourrait rendre les personnes plus créatives, plus libres, plus sensibles, plus curieuses et plus heureuses.

    Enfin, a été abordée la question de l'importance de facteurs plus généraux ayant une influence sur la vie de la personne. Dans le groupe 2, 39% indiquent que le regard de l'autre a une influence, une grande influence ou une très grande influence, contre 26% dans le groupe 3. En ce qui concerne l'importance de l'argent, le chiffre s'élève à 46% pour le groupe 2 et à 26% pour le groupe 3. Concernant le besoin de consommation, 45% du groupe 3 indiquent qu'il n'a pas d'influence sur leur vie, contre 28% dans le groupe 2 (Influence, grande ou très grande : 19% groupe 3 vs 29% groupe 2). Enfin, la peur de l'autre ou la méfiance ont une grande influence chez 11% des personnes dans le groupe 2, contre seulement 1% dans le groupe 3. Ainsi, le processus d'engagement pourrait diminuer l'importance du regard des autres, l'importance de l'argent, l'importance de la consommation ainsi que la peur ou ma méfiance de l'autre.

    70

    Nous soulignons l'usage du conditionnel dans les trois derniers paragraphes : il est en effet difficile de tirer des conclusions certaines de ces éléments, et d'imputer directement les différentiels observés à l'engagement. En effet, la personnalité et le rapport aux émotions d'une personne se construit par de très nombreux facteurs, qu'il faudrait analyser en détails pour pouvoir en tirer des conclusions. De plus, on pourrait aussi supposer que c'est parce que les personnes étaient sensibles, heureuses, libres et créatives qu'elles ont pu s'engager. Cependant, ces différences sont tout de même importantes et à prendre en compte, et recoupent aussi des éléments observés dans les entretiens individuels et dans la participation observante, d'où l'intérêt d'en faire des hypothèses.

    Le questionnaire a donc révélé que :

    - l'engagement peut mener à de la lassitude et de l'épuisement

    - l'engagement peut diminuer les sentiments d'impuissance et de peur

    - l'engagement peut mener à une libération des émotions (plus souvent et plus intensément)

    - l'engagement peut mener à plus de détermination, de satisfaction, d'excitation, de joie et de

    fierté

    - l'engagement peut rendre les personnes plus créatives, libres, sensibles, curieuses et heu-

    reuses

    - l'engagement peut diminuer l'importance du regard des autres, de l'argent, de la consommation,

    et de la peur ou de la méfiance de l'autre

    Importance de l'introspection

    Au-delà de l'objectif de recherche, ce questionnaire avait aussi pour objectif de permettre à des personnes de faire le point sur leur engagement, et éventuellement de les sensibiliser. Au final, cet objectif secondaire s'est avéré utile dans la recherche ! En effet, les nombreux retours positifs que j'ai eus en fin de questionnaire ont montré l'importance de faire le point sur soi, l'importance de l'intros-pection, et l'importance du développement personnel qu'évoquait Valentin dans son entretien.

    Voici quelques extraits de réponses qui en attestent :

    - « En fait ce questionnaire m'a fait du bien. Je pense qu'un des enjeux climatiques est l'évolu-tion des pensées, et faire l'exercice d'écrire aide énormément car il force à organiser ses idées et je me rends compte à quel point mes idées ont besoin de décanter. Merci ! »

    - « Merci beaucoup pour cette introspection, mettre à l'écrit des choses qui se passent générale-

    ment à l'oral ou en pensées m'a fait un bien fou. Cela m'a fait à la fois réaliser où j'en étais vraiment, comment continuer à avancer, à sourire, à mettre mes idées au clair. »

    71

    - « Merci pour ce questionnaire, qui m'a permis de prendre un peu de temps pour réellement m'auto-évaluer et réfléchir au pourquoi & comment. »

    - « Merci pour ce questionnaire, d'exprimer sa pensée face à un ordinateur qui ne te juge pas permet de se libérer de certaines contraintes. On a peur ni d'être ignorant, ni d'être arrogant. J'ai passé un bon moment »

    - « Ce questionnaire m'a fait réfléchir sur plein de trucs, merci ! »

    Ainsi, nous voyons que réfléchir sur soi peut être facteur d'engagement et une façon de mieux vivre son engagement.

    3) Conclusions

    Tableau résumé des principales conclusions

    Thème

    Conclusions

    Vision des crises

    - il y a une conscience globale de la gravité des crises et de la possibilité d'un

    effondrement de nos civilisations

    - tendance d'évolution des représentations : plus une personne est engagée, :

    o plus elle croit en la probabilité d'un effondrement

    o moins elle croit en la réussite d'une transition écologique et solidaire

    o moins elle croit en la capacité de la technologie à faire face aux crises

    o plus elle croit en la capacité de la société civile à changer les choses

     

    Engagement

    - les pratiques écologiques quotidiennes sont de plus en plus profondes et an-

    crées au fil de l'engagement

    - l'engagement professionnel est une étape importante du processus d'enga-
    gement

    - l'engagement collectif est une étape clé du processus d'engagement

    - l'approfondissement des connaissances est un facteur clé d'engagement

    - le manque de temps, le manque de moyens d'action et les habitudes de vie

    semblent être des blocages importants à l'engagement

    - la réflexion sur soi peut être facteur de bien-être et d'engagement

    Emotions

    - l'engagement peut mener à de la lassitude et de l'épuisement

    - l'engagement peut diminuer les sentiments d'impuissance et de peur

    - l'engagement peut mener à une libération des émotions (plus souvent et plus

    intensément)

    Transformation

    - l'engagement peut mener à plus de détermination, de satisfaction, d'excita-

    tion, de joie et de fierté

    - l'engagement peut rendre les personnes plus créatives, libres, sensibles, cu-
    rieuses et heureuses

    72

    - l'engagement peut diminuer l'importance du regard des autres, de l'argent, de la consommation, et de la peur ou de la méfiance de l'autre

    BILAN DE L'ENQUÊTE DE TERRAIN

    Les entretiens individuels, la participation observante à Avenir Climatique et le questionnaire nous ont permis d'explorer les hypothèses que nous avions posées, souvent de les valider, et de les approfondir. Nous reviendrons ici sur chacune des hypothèses en résumant les principales conclusions tirées de l'enquête de terrain.

    Hypothèse 1 : Connaissance

    Le processus d'engagement écologique passe par une connaissance approfondie et systémique des enjeux, de leurs causes et de leurs implications

    L'enquête de terrain a permis de montrer que la connaissance était au coeur du processus d'engagement. Valentin résume ainsi l'importance d'approfondir la compréhension et la connaissance de ces enjeux pour mieux avancer : « Tous les facteurs sont tirés au maximum dans toutes les directions, que ce soit au niveau psychologique, philosophique, écologique, social, économique, politique... on n'a jamais été dans une société aussi extrême qu'aujourd'hui. Une fois que tu comprends tout ça, enfin une fois que tu as commencé à comprendre tout ça, car je ne pense pas qu'on soit capables en une vie d'avoir un recul total sur tout ça, ça peut permettre de te faire grandir beaucoup plus rapidement qu'avant ». En effet, la complexité des sociétés dans lesquelles nous vivons, la diversité des crises et des enjeux, leur aspect systémique, et leur ampleur inédite sont tels qu'ils sont difficiles à saisir. La population globale a aujourd'hui conscience des problèmes environnementaux, mais la connaissance reste faible, et comprendre la nécessité et l'urgence d'agir est une condition clé à une action efficace.

    Nous avons vu que différents éléments étaient cruciaux à saisir dans cet approfondissement de connaissances : l'aspect systémique des crises, la globalité et l'origine des problèmes, les liens entre les crises et son propre quotidien, et les implications de ces constats et la possibilité d'un effondrement de nos civilisations.

    Enfin, nous avons aussi évoqué différentes façons d'approfondir ces connaissances. Beaucoup passent par des lectures (ex : comment tout peut s'effondrer, le manuel de transition de Rob Hopkins, le rapport Meadows, les rapports du GIEC), d'autres par des supports audiovisuels. L'approfondissement des connaissances peut aussi se faire via l'engagement professionnel ou via les études par des formations ; le rôle de l'éducation est en ce sens central. Enfin, il peut aussi se faire par l'engagement collectif, à la fois grâce à des structures transmettant des savoirs, mais aussi par les échanges et la co-construction de savoirs au sein d'un collectif.

    73

    Hypothèse 2 : Groupe

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    Le processus d'engagement écologique est nécessairement collectif

    Nous avons vu que les personnes rejoignaient un collectif pour deux raisons principales : l'envie et le besoin d'agir, et l'envie et le besoin de se rapprocher de personnes vivant les mêmes cheminements. Le collectif est donc un moyen, pour la personne, de trouver du réconfort, du partage, de la joie dans les échanges, ainsi qu'un moyen de sentir son pouvoir d'action.

    Il peut alors y avoir une boucle d'engagement qui entraine la personne à la fois à monter en compétences et en connaissances, à agir, se sentir utile et sentir son pouvoir d'action, et à des rencontres humaines et en vivant des moments sociaux collectifs forts. Ainsi, la personne s'épanouit dans son engagement ce qui la conforte dans sa démarche. Nous voyons donc que l'engagement collectif est lui-même facteur d'engagement écologique globale de la personne.

    Aussi, le collectif a une importance centrale dans la construction de nouveaux récits et de nouvelles représentations. En effet, le système de représentations et de pratiques d'une personne peut évoluer via les normes sociales et interactions au sein du groupe d'engagement, tandis que les interactions et réflexions permises par les individus au sein du collectif permettent de construire de nouvelles représentations collectives. Le collectif contribue ainsi à la transformation intérieure et extérieure des mentalités et des pratiques.

    Hypothèse 3 : Transformation

    Le processus d'engagement écologique est un processus de transformation intérieure et extérieure libérateur

    Le processus d'engagement, via notamment le collectif, donc, peut effectivement mener à des bouleversements intérieurs profonds. Le terme est cependant à nuancer, car pour certaines personnes, l'engagement peut se faire de façon continue, et s'il n'a pas impliqué un choc ou une phase d'effondrement intérieure, il peut s'agir d'évolutions plus que de transformations.

    L'enquête de terrain nous a donc permis de montrer que l'engagement écologique pouvait mener à des changements profonds dans son rapport à soi, aux autres et au monde. Dans son rapport à soi, l'engagement peut impliquer une meilleure connaissance de soi, mais aussi plus d'éner-gie, de force, plus de détermination, de satisfaction, plus de créativité, de curiosité, et finalement plus de joie. Dans son rapport aux autres, nous avons observé que l'engagement pouvait mener à des relations plus simples, plus humaines, basées sur l'entraide, la solidarité et la confiance, et une importance moins grande donnée à l'image sociale et au regard des autres. Enfin, dans notre rapport au monde, l'engagement peut mener à une évolution de nos représentations avec une importance moins grande à la technologie, à l'argent ou à la consommation, et une importance plus grande aux relations humaines, au collectif ou encore à la nature.

    75

    Transformation intérieure et extérieure vont de pair dans un contexte collectif. En effet, comme nous l'avons souligné pour l'hypothèse précédente et comme étudié dans la revue de littérature via la notion d'interaction spéculaire, nos croyances et représentations communes se construisent par l'adaptation mutuelles de nos représentations individuelles au fur et à mesure que se multiplient nos rapports sociaux. Dans le contexte actuel et dans des collectifs engagés imprégnés de la volonté de changer de récits, les transformations intérieures et extérieures sont intimement liées et en cours de co-construction.

    Hypothèse 4 : Emotions

    L'acceptation, l'expression, la compréhension et l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le processus d'engagement écologique

    Enfin, nous avons vu que les émotions avaient un rôle central dans le processus d'engage-ment écologique. Elles peuvent être à la fois déclencheur et résultat de l'engagement, et en sont le principal moteur.

    Les émotions négatives peuvent être un déclencheur d'engagement. En effet, nous avons vu que l'approfondissement des enjeux et la compréhension de la gravité de la situation et de ses implications pouvait mener à une phase d'effondrement intérieur, de bouleversement de sa vision du monde, de sa vie et de son avenir. Cela peut provoquer une perte de sens qui peut-être plus ou moins difficile à vivre selon le contexte de son quotidien, et selon son entourage. Pour retrouver du sens, la personne cherche à s'engager ou à se rapprocher de personnes traversant les mêmes questionnements. On voit donc que les émotions négatives sont inévitables pour des personnes qui approfondiraient les connaissances, mais qu'elles provoquent comme un choc qui permet ensuite de passer à l'action, avec un impact bien plus important qu'avant, et aussi avec plus d'épanouissement.

    En effet, l'engagement écologique, via l'action, l'utilité, la connaissance et le groupe, peut être source de satisfaction, de cohérence, de fierté, d'excitation, et finalement de joie et d'épanouisse-ment, comme cela a été décrit, d' « euphorie » ou d'« extase », ce qui vient renforcer cet engagement. Cet engagement n'est pas tout le temps facile, il peut aussi mener à de la lassitude, de la frustration, de la peine ou de la colère, mais ces sentiments peuvent aussi permettre d'entretenir et de motiver l'engagement. De façon globale, les entretiens individuels, la participation observante ainsi que le questionnaire ont montré que l'engagement était avant tout source d'émotions positives plus que négatives. L'engagement peut aussi mener à une libération des émotions, ressenties à la fois plus souvent, et de façon plus intense.

    Aussi, nous avons vu que le fait de comprendre ces émotions, mais aussi de pouvoir les exprimer et les partager était important en termes de bien-être, et pouvait être à la fois source de soulagement, et facteur de consolidation de liens sociaux et du collectif.

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    PRECONISATIONS

    Alors, que faire maintenant ? Comment utiliser ces conclusions et ce travail pour les rendre utiles ? L'objectif de cette partie est de proposer des préconisations, des pistes à suivre pour s'engager, et pour bien vivre son engagement. Il s'agit de pistes, de propositions ayant pour but d'aider et aiguiller des personnes. Le lecteur, quel que soit son profil et son rapport à l'engagement, est aussi invité à réfléchir à ses pistes d'action.

    Pour des personnes conscientes mais pas ou peu engagées

    C'est le cas de la plupart des personnes en France aujourd'hui, et c'était l'objet de ce mémoire que de comprendre comment passer de la conscience non engagée à la conscience engagée. La première piste consiste à approfondir les connaissances. Nous avons vu toutes les implications que cela pouvait avoir, mais c'est un vrai facteur d'engagement, et il est central, dans les crises et les moments que nous connaissons et dans une telle complexité, de comprendre les mécanismes en jeu et ses implications.

    La deuxième préconisation est de se rapprocher de groupes ou de personnes engagées pour échanger. Nous l'avons vu, cet aspect est central pour pouvoir agir et monter en compétences et connaissances, mais il est aussi bien souvent source d'épanouissement ! Il peut s'agir d'associations (de tous types), de groupements citoyens, de personnes spécifiques...

    Pour des personnes engagées

    Pour des personnes engagées, les préconisations à tirer de ce travail sont nombreuses. D'abord, il convient de souligner l'importance de prendre soin de soi et des autres. L'épanouissement, nous l'avons vu, est en effet central dans l'engagement : c'est un fort moteur, à la fois d'engagement personnel, mais aussi de sensibilisation. Pour cela, un des moyens est de pouvoir soigner ses émotions, autant positives que négatives : savoir les exprimer, les partager, les comprendre, est un travail important qui peut être source de bien-être et de soulagement à la fois pour la personne, mais aussi pour ceux avec qui la personne les partage. Cela peut aussi contribuer à faire évoluer les représentations et la place des émotions dans nos sociétés.

    Une autre conclusion est d'éviter de se refermer ou critiquer les groupes moins engagés. Ce sont des sentiments normaux : au vu de la gravité de la situation, il est légitime d'être en colère ou de ne pas comprendre des personnes qui ne changent pas leur mode de vie. Il est aussi normal d'avoir des difficultés à rester avec des personnes ayant moins de valeurs en commun. Cependant,

    77

    nous avons vu l'importance qu'avait le fait de garder ces socles, à la fois pour ne pas s'enfermer dans ses positions et rester ouverts d'esprits, pour aussi apprendre d'eux, et pour aussi essayer de les engager. Les blocages sont nombreux et l'inertie compréhensible ; comprendre l'inaction sera bien plus utile et efficace que de la critiquer.

    Une autre préconisation qui en découle est d'essayer d'accompagner et aider des personnes à entreprendre cet engagement. Les personnes engagées, par leur cheminement, peuvent épauler des personnes le vivant ; cela peut passer par de la sensibilisation, par des partages d'expérience, par des conseils, ou simplement par des échanges, de l'écoute, de la compréhension et de l'entraide.

    Pour des structures collectives

    Nous l'avons vu via l'exemple d'Avenir Climatique, le rôle du collectif est central dans l'engagement écologique. Ainsi, les structures (de tous types, même des entreprises, si leur activité fait de ces enjeux une priorité) ont un rôle important à jouer pour mettre en oeuvre des éléments qui pourront permettre de favoriser l'engagement écologique.

    Pour cela, il est important de pouvoir fournir à ses membres les clés de compréhension et de connaissance des sujets qu'elle porte. Une autre piste est de créer un esprit de cohésion, de solidarité et de partage au sein du collectif. Enfin, créer des espaces de partage et d'expression des émotions est une façon d'accompagner les personnes dans leur cheminement mais aussi de souder les liens et renforcer la cohésion.

    Pour la recherche

    Par ce mémoire, et par les lectures entreprises, j'ai aussi découvert le potentiel et l'importance de la recherche pour mieux comprendre les mécanismes de l'engagement dans un contexte où tout va très vite, où les avis divergent, et où il est parfois difficile de s'y retrouver.

    Donc, une piste évidente serait d'approfondir les sujets abordés dans ce mémoire pour améliorer la compréhension du processus d'engagement. En effet, le travail s'est voulu très global pour avoir une vision d'ensemble et systémique du processus d'engagement, mais beaucoup d'éléments mériteraient d'être approfondis, comme par exemple le rôle des émotions, ou encore la transformation des personnes ou l'évolution des représentations.

    Aussi, par les entretiens individuels et par le questionnaire réalisé, j'ai compris le potentiel de la recherche comme outil de sensibilisation. Au-delà du travail de diffusion de ce mémoire, qui n'a

    78

    pas pour seule vocation de valider mon année universitaire, mais aussi d'être lu par le plus grand nombre, c'est aussi la démarche de recherche qui s'est révélée intéressante quant à notre objet d'études. En effet, les entretiens et questionnaires ont permis aux participants de les aider dans leurs questionnements, et pour certains de renforcer leur engagement. On pourrait donc voir la démarche de recherche aussi comme un moyen d'engagement, avec pour objectif de rendre la recherche plus accessible et vulgarisée.

    Finalement, nous avons vu les difficultés liées au processus d'engagement écologique : de nombreux blocages, un processus pouvant être long, la difficulté émotionnelle liée... Mais, face à ces difficultés, le gain au bout du chemin est considérable. En termes d'impact d'abord, parce que cet engagement contribue non seulement à construire des modes de vie beaucoup plus durables et résilients, mais aussi souvent à mettre tout son quotidien, via son métier et/ou via son engagement associatif et militant, au service de l'action et de la réflexion autour d'enjeux cruciaux et vitaux de notre temps. Mais aussi en termes de sens donné à sa vie, de bien-être et de cohérence personnelle et collective.

    79

    BIBLIOGRAPHIE

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    · Servigne Pablo, Stevens Raphaël, et Chapelle Gauthier (2015) - Une autre fin du monde est possible - Seuil, 2018

    · Diamond Jared, Effondrement, Gallimard, 2006

    · Bihouix Philippe, L'âge des low tech, Seuil, 2014

    · Macy Joanna, Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre, Le Souffle d'or, 2008

    · Harari Yuval Noah - Sapiens, une brève histoire de l'humanité - Albin Michel, 2015

    · Bohler Sebastien, le bug humain, Robert Laffont, 2019

    · Gifford Robert, The dragons of inaction : psychological barriers that limit climate change mitigation and adaptation. American Psychologist, 2011

    · Chefurka Paul, Climbing the ladder of awareness, 2012

    · Soulé Bastien, Observation participante ou participation observante ? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales, Recherches Qualitatives Vol. 27(1), pp127-140, 2007

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    ANNEXES

    Entretiens individuels

    Annexe 1 : Retranscription d'entretien - Thibaud Griessinger Retour au mémoire

    Thibaud est chercheur consultant en sciences du comportement appliquées aux questions de transition écologique. Il travaille au ACTE Lab (Approche Comportementale de la Transition Ecologique), qui a pour mission d'accompagner des collectivités territoriales ou des associations pour les aider à comprendre les points de blocages de changements de comportements, et comprendre comment adapter les stratégies et les outils pour les rendre les plus efficaces possible. Le ACTE Lab fait à la fois du conseil (utiliser les connaissances et les méthodologies pour optimiser les outils et les moyens d'actions), et de la recherche (avoir une meilleure compréhension des blocages). Il s'agit donc à la fois d'utiliser les connaissances déjà acquises, et d'en formuler de nouvelles ; de faire des ponts entre la recherche académique et le terrain.

    L'entretien avait pour objectif de mieux comprendre le changement de comportement via le prisme d'un chercheur travaillant sur ces questions au quotidien. Ce document est une retranscription partielle de l'entretien : il contient les extraits les plus importants de l'entretien vis-à-vis de notre objet d'étude.

    Sur le niveau de connaissances des enjeux écologiques

    Distinction entre connaissances d'ordre global et d'ordre pratique : « Il y a des connaissances qui peuvent être d'ordre très globales, c'est-à-dire par exemple il y a un réchauffement climatique qui prend son origine dans nos émissions de carbone, de gaz à effet de serre. Ce sont des connaissances globales, physiques sur la compréhension des mécanismes. Et il y a des connaissances plus d'ordre pratique, c'est-à-dire comment mon mode de vie, le mode d'organisation de la société dans laquelle je m'inclue est émettrice de carbone et participe au dérèglement climatique. Donc là, ce sont des connaissances un peu plus ancrées dans le quotidien, qui sont dans mes modes de transport, d'alimentation... ce qui cause ça et à quel point est-ce que ça cause ça. Donc il y a différents niveaux de connaissances, et il y a déjà beaucoup à creuser sur c'est quoi avoir conscience du problème, de quel problème on parle, et surtout d'avoir conscience de la complexité du problème, et ça c'est quelque chose de très difficile. »

    Niveau de connaissance global avancé dans la société française : « Par exemple, les sondages qui sont faits par l'ADEME, essaient de mesurer le niveau de connaissance global. Sur ces sondages, le niveau de conscience des problèmes est assez élevé, et à peu près constant. »

    Conscience grandissante de l'implication de nos modes de vies sur la situation écologique : « Par exemple, le tri a été très vite acquis, sur les déplacements, l'alimentation, ça commence à bouger. Et on voit que ce n'est pas dû simplement à la facilité de le faire, mais à la conscience que ces actions posent un problème d'un point de vue environnemental. » Une tendance cependant difficile à évaluer, car les sondages n'abordent jamais ces niveaux de granularité.

    Importance de développer une compréhension de la complexité et de l'aspect systémique de ces enjeux pour pouvoir avoir des changements de comportements efficaces. C'est sûrement sur cet aspect qu'il y a beaucoup de progrès à faire sur la connaissance des enjeux de la population. « Là où c'est difficile, c'est que quand tu as une sensibilisation qui n'est pas faite comme AC le fait, qui est faite sur une liste de choses à faire, c'est

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    compliqué parce que les écogestes sont dépendants de tout un tas de choses. Quand on dit de remplacer les sacs en plastique par des sacs en papier mais qu'en fait les sacs en papier consomment énormément d'eau, quand on dit mange moins de viande mais en fait manger du quinoa ou des avocats produits à l'autre bout du monde pollue, et que finalement c'était une viande élevée localement en plein air où il n'y a pas les mêmes problèmes que la viande venant d'argentine par exemple où il y a une déforestation massive... En fait, on voit très bien que c'est compliqué de sensibiliser sur des actions spécifiques. Quand AC le fait en mettant l'emphase sur l'énergie, là c'est plus intéressant car c'est plus facile de voir à l'échelle individuelle comment tu peux arriver à faire le lien entre ton mode de vie et ces problématiques, et tu peux toi-même être constructeur d'actions que tu peux mettre en place, toi-même tu peux vite voir si la voiture ou la trottinette électriques sont vraiment écolos. Donc ce sont des stratégies de l'ordre de l'heuristique qui peuvent porter leurs fruits. »

    Sur le « intention-action gap » et les blocages à l'engagement

    Décalage entre l'intention et l'action : « Le « intention action gap », c'est quand on voit que des personnes qui ont l'intention, qui savent quoi faire, qui veulent faire, se trouvent bornés par leur propre capacité de changement, par la capacité de changement du groupe social dans lequel ils sont, et par l'environnement technique et physique, le système socio-technique. Donc il y a différents niveaux d'obstacles, de barrières, qui vont limiter le passage de l'intention à l'action. Et les blocages comportementaux, sur lesquels travaille le ACTE Lab, sont une partie du problème, ce n'est pas tout. Il y a besoin de faire bouger les choses à l'échelle politique, économique, et également à l'échelle comportementale, à la fois individuelle et collective. Les imaginaires et nouveaux récits entrent dans le collectif et dans le comportement. En fait, il y a des boucles de rétroaction entre tous ces blocages qui font que si une part de la population fait des efforts à son échelle, change de récits, d'imaginaire, de rapport à l'environnement... il y a de grandes chances que ça se transmette en changement du marché, que les industriels s'adaptent, et aussi en pressions fortes sur les élus. Et ça marche dans l'autre sens. Ces boucles de rétroaction ne sont en général pas prises en compte dans les rapports prospectifs de B&L, de Carbone 4. Donc c'est compliqué, mais on arrive à différents points de blocages : les habitudes, les normes sociales, les représentations, la capacité de faire attention et d'être conscient de ça à chaque minute... »

    Différents types de blocages selon le type de population et selon le contexte : « Il y a des blocages plus d'ordre culturel ou social, d`autres plus de l'ordre de l'habitude ou physique. Donc ça dépend de l'échelle socio-économique. Après, même si elle est liée il y a l'échelle géographique. Il y a l'échelle d'âge aussi. Donc en fonction de la population à laquelle tu t'intéresses, il y aura différents points de blocages. Notre boulot est d'essayer de comprendre, en fonction des comportements et des populations, quels sont les points de blocages les plus importants. Dans le covoiturage par exemple, il y a des blocages plus de l'ordre de la confiance : laisser entrer quelqu'un dans son espace personnel, d'arriver à se synchroniser... ce sont des types de blocages très spécifiques à ce comportement. Il y a des blocages très différents sur la consommation de viande : ça va toucher aux pratiques alimentaires, à la culture, à la physionomie aussi car tu peux avoir des carences... »

    Distinction entre action et pratique : « L'action ça va être de recycler : t'as un emballage, tu le mets dans une poubelle. Une pratique, c'est par exemple le transport. Parce que ça va s'inclure dans toute une planification de ta journée, dans un rapport à ta mobilité différent. Diminuer ta consommation de viande ça peut être une action, mais aussi se rapprocher de la pratique si ça implique une évolution de ton quotidien. Donc toutes les actions ne sont pas égales parce qu'elles s'incluent plus ou moins dans un contexte individuel et nécessitent plus ou moins d'expertise, de connaissance. Quand l'action est dépendante d'autres actions, on parle de pratique. Si c'est une action indépendante, on parle d'action. Donc c'est une autre distinction importante à prendre en compte : plus l'action est dépendante d'autres, plus ça va être difficile. Les pratiques sont plus difficiles à changer que des actions individuelles. Comprendre les interdépendances entre actions et pratiques est une des clés pour essayer de faire opérer des changements de mode de vie et pas des actions spécifiques. »

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    Sur les principaux récits et croyances en contradiction avec les changements de modèle

    Le récit de la déconnexion à la nature : « Le récit le plus fort, c'est peut-être le fait qu'on se soit déconnecté de notre environnement. La chaîne d'interaction avec notre environnement s'agrandit. Entre ce que tu consommes et la manière dont c'est produit, la chaîne s'est allongée jusqu'au point qu'il peut y a voir des dizaines d'étapes entre les deux. Il y a une déconnexion forte entre le rapport à la terre et la production, et la consommation. Donc il y a déjà ce récit qui s'est créé de cette non-nécessité d'avoir un rapport aux ressources directement, et qu'on peut être indépendant de l'environnement dans lequel on se situe. Je ne sais pas comment on pourrait appeler ça, la dématérialisation peut-être. De penser qu'on peut s'abstraire des contraintes géographiques, saisonnières, environnementales, et qu'on peut avoir tout tout le temps, en permanence. C'est un récit fort. »

    Le récit libéral : « Le récit libéral un récit extrêmement fort qui est de dire que n'importe qui peut changer, peut s'abstraire de son environnement, de son contexte, quand on veut on peut... Cette espèce de truc de la motivation où le libre-arbitre suffit et c'est la condition nécessaire et suffisante au changement. C'est un récit qui est pas mal ancré et qui pose tout un tas de problèmes. Un des problèmes majeurs que ça pose, c'est le fait qu'on considère que dans un environnement où on va te faciliter l'accès à la consommation, aux ressources, tu as les mêmes capacités à te restreindre, à te contrôler. Ce récit est faux dans la mesure où une partie de notre capacité d'inhibition et de contrôle est dépendante de notre environnement. A partir du moment où c'est difficile pour toi d'avoir accès à du sucre, à du plaisir... parce que ton environnement ne permet pas d'avoir accès à tout, tout de suite, ton environnement le contraint. On arrive à s'équilibrer parce qu'on n'a pas tout, tout de suite. Mais une fois que cette friction est baissée, il n'y a plus de contrôle qui vient de l'envi-ronnement, donc tout repose sur ta capacité à te contrôler, à t'inhiber. C'est là où on puise dans nos propres ressources, on a conservé la capacité de penser qu'on était capables de ça avant, et que notre environnement n'était pas une forme de contrainte. Un autre problème du récit libéral est l'aspect individualiste qu'il implique : en tant qu'individu, on pourrait se passer de la collectivité ou du groupe. Mais c'est un truc que les sciences du comportement mettent à bas, en disant que si t'es tout seul tu peux t'en tirer en oubliant le fait que quand t'es dans une structure socio-technique, c'est la production du groupe. Donc on a tendance à penser qu'on peut s'en tirer seul parce qu'on a tout à disposition : les magasins, la sécu... Mais si on se retrouve seul dans une jungle, dans un champ, on ne s'en sortira pas... Donc il y a toujours ce récit, qui est le même en fait, le récit libéral, de l'individu seul et libre, la pensée qu'on peut s'extraire de tout, qu'on peut être libre de toute attache sociale, environnementale... »

    Sur les émotions et le changement de comportement

    Fonction des émotions : « En science cognitive, il y a 6 émotions qui ont des caractéristiques et une portée évolutive. Une émotion provoque une réaction assez rapide qui va passer par tout un tas de processus d'ana-lyse, de réflexion, de contrôle d'inhibition etc et ont pour but d'envoyer un signal rapide aux autres ou vers soi-même. C'est une fonction de ressenti mais aussi de communication et d'expression dans une perspective émotive. Donc ces émotions ne sont pas là par hasard, elles ont un intérêt. Et elles ont des conséquences. Par exemple, à partir du moment où tu as peur, tu ne vas pas être dans l'analyse ou dans la réflexion. Souvent, dans les émotions, on met aussi des réactions, ou des sentiments, des ressentis. Là c'est de différente nature. Si on met l'anxiété dedans, c'est un stress continu qui peut être déclenché par une inadéquation entre tes représentations et tes actions, la dissonance cognitive. Ca peut être du stress parce qu'on a plus de planification claire, on est dans l'incertain, extrêmement stressant et anxiogène. Donc là on ne va pas être dans quelque chose de moteur. »

    Impact émotionnel des changements : « A partir du moment où des représentations sont remises en question, ça va provoquer des émotions d'anxiété, de stress face à l'incertain. Ces émotions vont mener à mettre

    en place tout un tas de ressources pour refaire sens. Si tu te rends compte que ton mode de vie est délétère, ça nécessite de remettre en cause un certain nombre de certitudes et de représentations qui s'étaient stabilisées, sur lesquelles tu t'appuyais pour aller de l'avant sur autre chose. Donc en effet, tu vas t'attaquer à des bases que tu pensais stables. C'est anxiogène, ça conduit à des périodes de stress, d'anxiété, de doutes, de remises en question etc. Dans un contexte social, ça peut aussi conduire à la peur de l'exclusion de l'autre, facteur de stress aussi. »

    Refoulement des émotions négatives « Il y a aussi un récit de l'optimiste, cette espèce d'injonction à être tout le temps optimiste, assertif. Comme un récit qu'il y avait à l'époque que l'erreur était inacceptable, elle n'était pas du tout vue comme un signal d'apprentissage comme ça l'est réellement. Il y a une injonction à ne pas montrer ses émotions négatives. C'est de l'ordre du narratif, on est dans les normes sociales. A partir du moment où normativement c'est considéré comme mal vu, que tu vas être mal accepté si tu parles trop de tes problèmes parce qu'il faut être positif, ça peut être générateur de stress, de refoulement, donc négatif. »

    Hygiène mentale : « Mais il y a des possibilités de faire en sorte de diminuer la souffrance pour être plus confortable face à l'incertain, plus flexible cognitivement, d'accepter le doute, d'avoir une vision complexe des choses... on entre dans des changements de dispositions mentales, de gestion cognitive. C'est là où il faut avoir ce que certains appellent une « hygiène mentale » qui te permet d'être confortable dans ces milieux. On peut imaginer la situation inverse. Là, c'est une situation proactive où tu te dis il faut changer, donc tu te mets à remettre en question tout un tas de trucs. Mais tu peux avoir une situation dans laquelle tu vas considérer comme acquis ta situation financière, ton accès aux ressources, à l'eau potable... Imagine demain il y a un blackout ou un stress hydrique. Tu vas te retrouver dans une situation d'incertitudes où tu ne vas pas du tout savoir gérer l'aléa, l'incertain. Tu vas pas du tout savoir remettre en question certains trucs. Donc que ce soit dans le fait de le subir ou d'être proactif, dans les 2 cas il y a un intérêt à faciliter cette flexibilité mentale pour faire en sorte de moins subir ces émotions qui sont extrêmement coûteuse en énergie. Donc c'est là où il y a besoin de stratégies de régulation émotionnelle, d'acceptation du doute ou de l'incertain. »

    Régulation émotionnelle et gestion des émotions :« Mieux les émotions sont gérées, utilisées à bon escient, plus elles sont facteur de changement. Plus tu les subis, plus tu es incapable d'identifier ce qui les déclenche et ce à quoi elles peuvent te servir, et plus ça va être facteur de paralyse. La régulation émotionnelle est pas mal utilisée en psychologie clinique, elle a pour but de faire en sorte de moins subir de situation, qu'il y ait moins d'émotions qui viennent directement dans une situation de nature à déclencher des émotions négatives, et que tu puisses arriver à être dans la proposition et dans la projection. Il y a des stratégies de régulation émotionnelle qui peuvent porter leurs fruits sur ces questions. Plus t'arrives à gérer tes émotions, plus ça peut être moteur. Et à noter que réguler ses émotions, ce n'est pas les refouler, c'est les accepter, et les utiliser à bon escient »

    Sur l'aspect libérateur de la prise de conscience :

    « A partir du moment où tu te sens en contrôle de ton environnement, tu te sens agent de ta transformation, de ton destin. Ce doit être une émotion proactive, ça peut être moteur aussi avec les autres, pour développer une intelligence. C'est sûr que c'est beaucoup plus émancipateur d'être acteur de son environnement que de le subir. A partir du moment où tu perçois ton environnement comme plus contrôlable, tu le perçois comme moins hostile, et ça te met dans une prédisposition à pouvoir te projeter plus facilement, de coopérer, être moins orienté sur le court terme ou la survie. »

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    Sur la recherche :

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    Recherche et émotions : « La question des émotions est rarement ou jamais abordée de front en recherche sur les questions écologiques. C'est peut-être clairement un point aveugle. C'est une piste de réflexion intéressante. Mais encore une fois, l'idée serait de comprendre ce qui va générer ces émotions, de comprendre ce qui les fait survenir qui nous intéresse. Plus essayer de diminuer le stress, l'anxiété, les émotions négatives. Donc comprendre ce qui peut les faire émerger et faire en sorte de faciliter ça. En fait, il y a un doctorant qui vient d'entrer en thèse à Oxford et qui bosse avec nous, qui lui va aborder les questions de bien-être en écologie. Il est spécialisé dans les conditions évolutives au bien-être : ce qui garantit le bien-être et quel rôle joue le bien-être dans une perspective évolutionniste. Comment on peut concilier le bien-être avec le sacrifice. Est-ce que c'est forcément incompatible, est-ce qu'il y a des manières de le rendre compatibles, ça nécessite de comprendre ce qu'est le bien-être et comment il émerge. »

    Recherche et transformation des personnes : « Je pense qu'il y a des conditions à l'émancipation qui doivent prendre en compte les connaissances qu'on a sur ce qui paralyse, ce qui ne paralyse pas... Là je pense que les sciences du comportement ont beaucoup de choses à apporter sur essayer de planifier une transformation cadrée pour ne pas tomber dans la paralysie. Ce sont des travaux intéressants à faire. Les conditions de bon accompagnement de la transformation des personnes »

    Recherche et désobéissance civile : « Les chercheurs commencent à s'intéresser un peu aux actions de désobéissance. C'est intéressant, tu te sens reprendre possession d'une certaine forme d'agentivité, mais c'est cadré, et c'est ce qui permet d'engager. Les sociologues s'intéressent un peu à la désobéissance civile. Sur le côté émancipateur du groupe dans ce genre d'actions. Je ne suis pas sûr qu'il y ait d'études en psychologie. Mais les approches sont complémentaires, et il y aurait un travail super intéressant à faire sur ces questions avec un regard sociologie + psychologie ».

    Conciliation entre urgence écologique et lenteur du processus de recherche : « Il y a eu aussi que cette urgence-là fait une pression supplémentaire. Maintenant, je suis beaucoup plus rationnel dans les choix que je fais. Il y a des trucs où avant où j'aurais dit on prend le temps, je fais ça. Maintenant je fais un calcul à chaque fois de est-ce que ça a un impact et est-ce que ça m'intéresse. J'essaie de maximiser l'impact des choix. Ça facilite aussi les choses parce que ça élague les possibles, ça donne un cap. Mais c'est frustrant, parce que tous les mois où on est sur un projet, on voit le temps passer. Qui vient du fait que la recherche est un processus lent, et d'aligner ça avec l'urgence écologique ce n'est pas évident. Des fois tu as envie de vivre sur l'instant, mais tu te dis il faut du long terme. Allier des stratégies long terme avec une urgence, c'est là le plus dur, mais c'est le plus vertueux, il ne faut pas se précipiter. Ça prend du temps de penser les choses, de les réfléchir, de bien les comprendre pour guider l'action... C'est long, mais c'est nécessaire. Il faut arriver à catalyser les connaissances accumulées pour les pousser vers une action en réponse à une urgence. C'est une équation hyper difficile à résoudre, mais nécessaire. Et ça cadre la recherche, ça oriente la recherche vers l'action, ça donne un cap. Il faut aussi une pluridisciplinarité. »

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    Annexe 2 : Guide des entretiens individuels sur le processus d'engagement

    Niveau de conscience et d'engagement de la personne
    Objectif : mieux comprendre le profil et la vision du monde de la personne

    Profil


    ·

    Peux-tu te présenter ?

    Niveau de conscience
    Vision du monde et de l'éco-

    logie


    ·

    Considères-tu avoir une bonne connaissance des enjeux écologiques et so-ciaux ? Comment t'informes-tu ?

     

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    · Que penses-tu de la situation écologique et sociale aujourd'hui ?

    · Est-ce qu'il y a un problème, une crise que tu as tendance à prioriser ? (Changements climatiques, pollution, biodiversité...)

    · Est-ce que tu penses qu'on peut s'en « sortir » ? Ou penses-tu que nos civilisations industrielles vont s'effondrer ?

    · Quels sont les principaux leviers d'action / solutions pour toi ?

    Niveau d'engagement
    Traduction de cette vision
    du monde dans le quotidien

    · Que fais-tu dans ton quotidien et dans ton mode de vie pour limiter ton impact écologique ?

    · Comment intègres-tu ces questions dans ton métier ou tes études ?

    · Est-ce que tu peux m'en dire plus sur ton engagement associatif ?

    · Participes-tu à des actions collectives, militantes ?

    · Autre type d'engagement, d'action entrepris ?

    · Est-ce qu'il y a un type d'action/d'engagement que tu considères comme le plus important dans tout ce que l'on vient d'évoquer ?

    Décalage Conscience / Ac-

    tion

    · Est-ce que tu as parfois l'impression que tes actions, ton mode de vie sont en décalage avec tes intentions et ta conscience écologique ? Exemples ?

    · Comment l'expliques-tu ?

    Cheminement de la personne

    Objectif : mieux comprendre le cheminement, l'histoire de la personne, ce qui l'a menée à avoir cette vision du

    monde

    Question générale

    · Est-ce que tu serais capable de me raconter, de retracer ton cheminement écologique ? (Les différentes étapes par lesquelles tu es passé, des événements ou expériences, des « déclics » ...)

    Transition personnelle

    · Est-ce que tu penses que ta prise de conscience et ton engagement écolo-giques t'ont changé personnellement ? En quoi ?

    Ressenti et émotions de la personne aujourd'hui

    Objectif : mieux comprendre comment la personne vit sa prise de conscience et son engagement ajd

    Aujourd'hui

    · Quels sont tes sentiments dominants aujourd'hui ?

    · Quels sont les sentiments négatifs que tu ressens le plus souvent ? Par quoi sont-ils provoqués ? Qu'est-ce qui est le plus dur au quotidien ?

    · Qu'est-ce qui t'aide le plus dans les moments difficiles ?

    · Quels sont les sentiments positifs que tu ressens le plus souvent ? Par quoi sont-ils provoqués ?

    · Est-ce que ton entourage comprend ton cheminement et engagement ?

    Futur

    · Es-tu plutôt optimiste ou pessimiste en pensant à l'avenir ?

    · Comment imagines-tu le monde et toi-même dans une trentaine d'années ?

     

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    Annexe 3 : Retranscription - Valentin

    21 ans, service civique dans une association qui promeut l'économie sociale et solidaire dans le 13ème arrondissement de Paris. A grandi toute sa vie à Aix-en-Provence, a vécu 1 an à Rome, habite à Paris depuis septembre 2018.

    Connaissance :

    Je pense avoir une vision globale des choses. J'arrive à bien comprendre les enjeux et liens entre chaque sujet. Mais je n'ai pas forcément de connaissance précise, chiffrée, sourcée, avec des noms d'auteurs en tête pour chaque sujet. Je serais capable de présenter de manière cohérente tout ce qui se passe ces temps-ci mais si ensuite les gens me posent des questions plus précises, je ne saurais pas forcément immédiatement leur

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    répondre. Sur les sources d'informations, il y a eu plusieurs livres mais là c'est essentiellement internet. C'est à travers les réseaux sociaux, donc ce que mes amis vont partager. Il y a l'effet boucle, algorithme qui va me permettre d'avoir du contenu approprié. Et des sites d'information : Reporterre, Médiapart principalement, un peu le Monde. Il y a aussi mes discussions avec d'autres personnes. Le fait que j'habite à Paris me permet d'être en contact avec des personnes qui me font découvrir des sujets vers lesquels je ne me serais jamais penché tout seul et ça accroit beaucoup ma connaissance - entre autres - des enjeux environnementaux et sociaux.

    Gravité des crises :

    Il y a une période où ça me bouffait énormément le moral et j'y pensais tout le temps. Aujourd'hui, par instinct de survie en fait, j'y pense beaucoup moins, même si je continue à agir et en parler autour de moi, mais au quotidien j'essaie d'évacuer au maximum. Donc mon opinion dessus est qu'on a vraiment dépassé un point de non-retour et qu'on ne va pas s'en sortir par le haut. C'est vrai que je suis assez pessimiste. Il n'y a pas trop d'avancées qui... enfin il faudrait en fait avoir changé de civilisation d'ici 2 ans quoi d'après les experts... Donc c'est vrai que ce serait assez utopiste. Qu'est-ce que je pense de la gravité de la situation ? C'est tellement énorme que j'arrive même pas à vraiment en parler, parce que dès que tu en parles à la hauteur de la crise, t'as l'impression d'exagérer.

    Leviers d'action :

    Les 1ers que je recommande aux gens, ce sont plus les actions individuelles car je pense que c'est quand même ce qui est le plus gratifiant. Réduire sa consommation de viande, essayer d'acheter au maximum bio, local, réduire drastiquement sa consommation de tout ce qui n'est pas nécessaire (vêtements, objets qui nous entourent...), être vraiment dans le sobre. Je pense qu'un des leviers d'action c'est de devenir minimaliste et de manière quand même assez radicale, pas juste dire « j'ai 100 t-shirts je vais en garder que 50 », de vraiment aller à la source et de déconsommer à fond. C'est déjà une grosse étape.

    L'étape suivante, c'est de s'engager professionnellement, donc de faire en sorte soit de changer son métier de l'intérieur, soit de créer son métier dans une approche résiliente.

    Ensuite s'engager au niveau politique. Mais je pense que ça ne sert à rien tant que les gens n'ont pas modifié leur mode de vie et n'ont pas agi sur leur métier. Parce que c'est bien beau d'agir politiquement mais on est en démocratie, donc les politiciens qu'on a, c'est nous qui les avons élus et ils se font corrompre avec des multinationales et des lobbys à qui nous on donne notre argent en fait. Donc je pense que c'est quand même principalement notre faute. Agir politiquement contre des gens qu'on a mis en place, c'est complètement idiot. Je pense qu'on les fera tomber en leur coupant l'herbe sous le pied, pas en leur disant « arrêtez de faire ça » alors que derrière on leur donne de l'argent et des bulletins de vote.

    Engagement dans le quotidien

    Ces temps-ci je suis un peu en train de faire machine arrière sur mes engagements, comme une période transitoire parce que j'avais trop pris d'un seul coup, c'était plus gérable. Ma prise de conscience arrive assez tôt, ça fait depuis presque tout le temps que je suis sensibilisé (même si c'était superficiel au début et que ça a évolué). Ce qui fait que je n'ai jamais vraiment « profité », je me suis toujours posé des questions un peu stressantes. Et de manière générale je n'ai pas l'impression de m'être construit dans le même ordre que les autres en fait. Du coup j'ai l'impression qu'il y a beaucoup de gens aujourd'hui qui quand ils étaient au collège ou lycée, ils profitaient. Par exemple, je n'ai jamais voyagé en avion. Alors qu'il y en a qui ont bien eu le temps de s'éclater. Maintenant en fait, j'ai l'impression qu'ils ont peut-être plus de recul que moi sur ça. Alors que moi ça a été un peu « réprimé » depuis tout le temps. Du coup je suis dans une phase où j'essaie de juste « lâcher » sur beaucoup de trucs pendant quelques mois, pour ensuite peut-être reprendre de bonnes bases et savoir comment est-ce que, de manière générale, quelqu'un de ma génération vit avant de revenir comme avant. Et puis le train de vie à Paris est quand même assez stressant. Par exemple les plats préparés, ce serait assez dur pour moi de m'en passer, parce que c'est ultra pratique, et que même si ça crée plein de surembal-lage et que c'est pas du tout des produits locaux ni bio, je n'ai pas le temps de cuisiner. Et si j'ai le temps de cuisiner, je me fais des pâtes et c'est pas du tout équilibré. Pour avoir des fruits, légumes et tout ça, je n'ai pas

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    le temps de cuisiner ou la flemme. Donc là j'ai énormément de déchets, mais vu tous les efforts que je fais à côté, et surtout si c'est une phase transitoire, je peux me le permettre. Donc sur mes engagements, paradoxalement, je suis dans une phase où j'en ai de moins en moins mais de manière volontaire, dans une phase provisoire.

    Il y a deux trois trucs que je garde, par exemple être végétarien ou ne pas prendre l'avion.

    C'est surtout sur le zéro déchet que je ne fais pas d'effort. Sur internet aussi, je ne me pose pas trop de questions sur ma consommation numérique. J'ai un peu lâché sur ces trucs-là, en me disant que dans quelques mois ou quelques années, je reprendrai. Comme je serai consolidé sur les trucs sur lesquels j'agis maintenant, je pourrai aussi passer là-dessus.

    Engagement professionnel :

    Au niveau de mes études, comme j'ai ces pensées là depuis le lycée, je ne me suis jamais projeté dans un parcours « standard ». J'ai fait toutes mes études sans aucune vision d'avenir, sans me poser les questions. J'ai l'impression de me poser les questions aujourd'hui que tout le monde se posait quand il était au lycée. En fait j'étais tellement préoccupé sur des sujets plus larges quand j'étais au lycée que je ne me posais vraiment pas de questions de savoir ce que je voulais faire. J'ai terminé ma licence à contre-coeur, j'aurais voulu arrêter avant. Quand je suis arrivé en fin de licence, ça ne m'est même pas passé par la tête de continuer en master, parce que j'avais vraiment besoin de faire autre chose. Donc je suis monté à Paris, j'ai fait ce service civique et je ne regrette vraiment pas, c'était une bonne idée. Et maintenant que ça fait plusieurs mois que je ne fais que des choses que j'aime, où je fréquente des gens de l'associatif et que j'ai le temps de réfléchir, je recommence à me poser la question de reprendre un master pour ensuite m'engager professionnellement en faveur de la transition, pour acquérir des compétences pour ensuite créer un métier lié à tout ça.

    Je ne m'imagine pas du tout ne pas intégrer ces enjeux dans mon métier, ne serait-ce que par sécurité personnelle. Je n'ai pas du tout envie de faire un métier qui contribue à pérenniser ce système et qui ne m'amène pas dans un futur particulièrement radieux, autant dans le mode de vie actuel que si tout se casse la gueule.

    Engagement collectif :

    Je fais mon service civique dans une association qui fait de l'économie sociale et solidaire. Dans le même temps, je me suis engagé à Coexister, une association qui met ensemble des jeunes de différentes convictions, religieuses (chrétien, musulman, juif...) ou non religieuses (athée, agnostique), et ensemble on va faire des actions de sensibilisation. Ça peut paraitre hors sujet mais en fait ça a tout à voir car je considère que cette société ne pourra avancer que s'il y a du lien social qui se tisse et que si tout le monde travaille main dans la main. Donc Coexister rentre vraiment dans mon engagement écologique. Et ce que je constate aussi, c'est qu'à Coexister il y a énormément de gens qui ont une vision globale des choses et qui commencent à parler du pb des réfugiés climatiques par exemple, qui est très en lien avec l'association car ils vont venir de pays avec des cultures religieuses différentes.

    Le deuxième engagement c'est Avenir Climatique.

    Le troisième ANV COP21, qui organise des actions non violentes. Je vais participer mardi à une action non violente d'ailleurs, en tant que team leader, ce sera la 1ère fois que je vais prendre un petit poste à responsabilité là-dedans. Et ça fait 3-4 actions que j'ai faites depuis le début de l'année. Je ne suis pas convaincu de la vraie utilité de ce type d'action. C'est peut-être plus pour évacuer la pression et être avec des gens qui se bougent que je fais ça. Je me demande s'il n'y a pas certains engagements que je fais juste pour évacuer la pression plutôt que pour changer le monde.

    Actions plus utiles que d'autres :

    Je pense que l'engagement professionnel est une des clés de voûte. Je pense que créer un métier pour rendre sa zone d'implantation plus résiliente, je pense que c'est une des actions les plus efficaces sur le court terme, et qui peut le plus traverser les crises. Car tu vas vraiment faire des choses qui vont rester. Alors que le système politique, je ne suis pas sûr qu'il soit possible ni souhaitable qu'il évolue de manière continue. Je pense qu'il y aura un moment où il faudra faire une rupture. Les petites avancées ridicules qu'on arrive à obtenir à coups de main rouges sur le siège de Total, je les considère que comme des choses qui contribuent à radicaliser mais

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    dans le bon sens du terme notre génération, mais ça n'aura pas de sens tant qu'il n'y aura pas d'actions de plus grande envergure. La Vème république, par exemple, intrinsèquement n'est pas capable de mener des actions à la hauteur des enjeux, et là on parle que de la France (que 1% de la population mondiale). Je ne pense pas qu'elle acceptera de se changer radicalement.

    Les trois choses les plus importantes vont être de tisser du lien social de manière à ce que ce ne soit pas une brèche dans laquelle les tensions puissent éclater le jour où les choses empirent, s'engager professionnellement, et être prêt le jour où il va falloir changer de système de façon beaucoup plus poussée qu'aujourd'hui. Mais je pense que d'ici un mois tu me reposes la question et j'aurai peut-être changé d'avis. Tout ce que je dis, je n'en suis pas non plus super sûr. C'est tellement nébuleux, il y a tellement de choses à prendre en compte, que je suis encore dans un période où je teste, et si ça se trouve d'ici un an j'aurai encore changé d'opinion.

    Cheminement :

    En primaire, mes enseignants et la mère d'un ami étaient très écolos et nous avaient fait pas mal de sensibilisation. Donc je me demande si ce n'est pas un peu grâce à eux qu'il y a beaucoup de gens de ma classe de primaire qui sont assez politisés maintenant. Ils nous faisaient faire des potagers en CP, CE1. La mère d'un ami nous avait fait des petites interventions.

    Je me souviens qu'en 6ème j'avais vu un documentaire, le Seigneur des mers, qui parlait de la surpêche des requins. C'est là que j'ai eu un 1er traumatisme écologique. Pendant pas mal de temps, je n'arrêtais pas de parler autour de moi des requins, les gens ne comprenaient pas trop. Il y avait des images ultra choquantes de surpêche des requins : 100 millions de requins qui se faisaient tuer chaque année pour des trucs complètement idiots, juste pour leurs ailerons, pour de la bouffe, pour des plats inutiles. Alors que les requins, c'était bien expliqué dans le docu, sont vraiment une des clés de voûte de l'écosystème des océans. S'il n'y a plus de requin, les petits poissons se multiplient et tout est déséquilibré. C'était la 1ère fois où j'ai eu une vision un peu systémique d'un problème. Je pense que ça a été un des déclics.

    A partir de là, de la 6ème jusqu'à aujourd'hui, ça a été une escalade constante, il n'y a pas vraiment eu plus de déclic que ça, ça a été progressif. Je pense que la 1ère fois où j'ai commencé à réfléchir à la possibilité d'un effondrement, c'était en 1ère-terminale. En fait, un autre déclic peut-être a été de lire le manuel de transition de Rob Hopkins. En fait c'était lui le 1er vrai collapsologue, parce que c'est le 1er qui a vraiment fait des liens entre crise climatique et crise du pétrole. C'était un peu le préquel de « Comment tout peut s'effondrer », parce que c'était un début de prise de conscience systémique du problème. Et à partir de là, de moi-même je me suis aussi posé la question des métaux. Et c'est qu'ensuite que ça a été confirmé par Comment tout peut s'effondrer. Ce livre n'a pas été trop un déclic pour moi, ça n'a fait que confirmer des choses que j'avais lues par-ci par-là, mais ça a quand même été une lecture importante.

    Je pense que c'est aussi un peu pour ça que mes études ont bifurqué dans une direction complètement différente. Si je n'avais pas eu cette prise de conscience, je pense que je serais resté dans une voie littéraire, prépa, tout ça. Alors que quand on a toutes ces données en tête et qu'on n'a pas trop de recul, ça n'a pas de sens du tout. Et ça a fait que pendant pas mal d'année, comme j'étais dans une petite ville où rien ne bougeait et où les gens n'avaient pas trop de conscience, il y avait aussi un sentiment d'impuissance, et peut-être même de supériorité, parce que j'étais en mode « mais pourquoi les gens sont aussi cons ». Je pense que c'est un truc qui peut contribuer à te transformer en quelqu'un de pas bien. Pendant plusieurs années, je faisais que me ressasser des données stressantes, je n'avais personne à qui en parler. Et c'était complètement inefficace. J'étais peut-être plus averti que d'autres personnes mais je ne faisais rien, rien n'avait de sens. C'était une période où j'étais un peu en mode zombie. Je n'avais pas trop de volonté, ni d'attrait pour quoi que ce soit. Je m'engageais un peu dans des assos mais sans plus. Je me laissais un peu guidé par les années universitaires. Ce n'est que maintenant que je suis arrivé à Paris et que j'ai rencontré des gens qui pensent comme moi, que je me suis calmé. Je me dis que je ne suis pas le seul à porter le fardeau du monde sur les épaules. Alors que quand tu es juste entouré de familles et d'amis qui s'en fichent, tu es un peu en mode « c'est moi qui sais tout ». Et le fait de rencontrer des gens qui pensent la même chose que toi, ça te rassérène beaucoup. C'est sûr qu'on ne doit pas rester qu'entre nous, mais quand personne ne pense comme toi tu finis par devenir fou.

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    Cette année à Paris m'a vraiment débloqué. Je m'engage beaucoup plus, je suis beaucoup plus en phase avec moi-même, avec mes idées. J'ai beaucoup plus de recul sur mes actions au quotidien ou de manière générale sur ma vie personnelle.

    Ça faisait des années que j'étais dans mon coin, avec mes idées, je pensais à ça seul pendant des années. Paris m'a permis de m'aérer, de me sentir plus actif. Mine de rien, c'est que dans les grandes villes qu'on a des possibilités d'action à la hauteur des sentiments négatifs que peut provoquer la prise de conscience écologique contemporaine. Ça a peut-être changé depuis, mais à l'époque c'était nul, il n'y avait rien qui se passait quand tu voulais t'engager. En plus à l'époque au lycée tu es très passif, il n'y a pas la culture d'être actif, de l'enga-gement, ce n'était pas mon caractère à l'époque.

    Changement personnel

    Je me suis toujours vu là-dedans. Il n'y a pas eu un avant/après prise de conscience. D'aussi loin que je me souvienne je me suis toujours intéressé à ça. Ce n'est pas comme certaines personnes qui avaient une certaine vision du monde qui a bifurqué, moi ça a été assez continu. Au contraire, j'essaie aujourd'hui de rester engagé écologiquement, tout en évacuant tous les trucs toxiques que ça avait entrainé chez moi depuis des années (le fait d'être un peu dégouté de tout). Là je suis en train de lutter à travers des trucs qui n'ont rien à voir avec l'écologie (le karaté, des trucs qui n'ont rien à voir...) pour essayer d'évacuer les côtés négatifs de la prise de conscience écologique. Je n'avais pas vraiment réfléchi à cette question, mais ça ne m'a pas vraiment changé.

    Emotions négatives

    Comme ça fait longtemps, que c'était progressif, j'ai peut-être moins de sentiments négatifs mais peut-être plus pernicieux, plus profonds et agissent plus de manière inconsciente. Je commence à prendre conscience que ça avait déteint sur tous les aspects de ma vie. Je m'intéresse d'ailleurs à l'écopsychologie car je pense que la crise environnementale touche à beaucoup de points sensibles dans la psychologie humaine. Les gens qui utilisent tout le temps les mots effondrement, destruction, se détruisent avec des termes négatifs. Je me demande comment ça a pu déteindre pour moi. Je pense qu'il ne faut pas trop se morfondre dans ce genre d'idées car ça déteint sur tous les aspects de ta vie de manière très profonde et inconsciente, et c'est difficile d'en sortir. Je pense qu'il y a des gens que ça va juste détruire et qui vont rester comme ça. Si j'avais dû rester dans mon village, je vois pas très bien où j'en serais et comment je m'en serais sorti.

    Je ne me reconnais pas forcément dans les émotions de tristesse, de colère... Mais le fait de ressasser tout ça, d'avoir tout ça en arrière-plan, toutes ces choses négatives, c'est pesant. Il n'y a pas trop de mot pour le décrire. Il faudrait en inventer un. Sollastalgie, écoanxiété. En fait le mot existe, ça correspond assez à ce sentiment négatif omniprésent (que j'arrive de plus en plus à évacuer ces temps-cis).

    C'est inévitable, les sentiments négatifs, mais il ne faut pas que ce soit une fin en soi.

    Façons de sortir de l'éco-anxiété :

    J'ai besoin de penser à autre chose, par des activités comme la méditation ou le karaté, ou par des relations sociales avec des personnes moins sensibilisées. Il y a à la fois besoin de fréquenter des gens qui pensent comme toi pour voir que t'es pas tout seul, des gens moyennement sensibilisés avec qui tu peux faire de la « propagande », et aussi des gens qui n'en ont rien à foutre pour juste parler d'autre chose. Il faut aussi avoir des relations comme ça, des relations diverses.

    Il y a aussi le fait de m'analyser moi-même, et faire des ponts entre ça et d'autres choses de ma psychologie. Car encore une fois, tout est lié dans ta psychologie. Il n'y a pas d'un côté l'éco-anxiété et les relations sociales. Ça déteint sur tout. Donc tu prends du recul sur toi-même. Le fait de s'autoanalyser permet de voir où il faut agir. Le travail que j'ai fait sur moi-même il y a quelques temps, je le rapprocherais plus du développement personnel. Le fait de maîtriser sa construction psychologique : d'avoir tellement de recul sur toi-même que tu es capable de redisposer les trucs comme tu veux. Je pense que c'est la principale façon d'aller de l'avant. T'autoanalyser, te compartimenter, comprendre comment tu es structuré. Une fois que tu as ce recul-là tu peux agir. Parce que quand c'est juste des sentiments diffus dont tu ne sais pas pourquoi ils arrivent, tu es juste prisonnier de toi-même. Je pense que toutes ces choses, les relations sociales, aller à Paris, agir, j'ai pu

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    commencer à faire tout ça avec énergie parce que j'ai appris à me connaitre. Tant que tu ne te connais pas, tu ne peux pas vraiment agir.

    Sentiments positifs :

    On est dans une période tellement extrême. C'est une période rêvée pour avoir du recul sur le monde, sur l'humanité, sur la planète, sur le sens de la vie, sur toi-même... qu'à n'importe quelle autre époque. On est dans une époque complètement caricaturale. J'ai l'impression que tous les facteurs sont tirés au maximum dans toutes les directions, que ce soit au niveau psychologique, philosophique, écologique, social, économique, politique... on n'a jamais été dans une société aussi extrême qu'aujourd'hui. Une fois que tu comprends tout ça, enfin une fois que tu as commencé à comprendre tout ça car je ne pense pas qu'on soit capables en une vie d'avoir un recul total sur tout ça, ça peut permettre de te faire grandir beaucoup plus rapidement qu'avant. J'ai l'impression que les gens qui ont conscience de tout ça sont beaucoup plus matures. J'ai l'im-pression aussi que notre génération (jeune) a beaucoup plus de recul que la génération précédente. Ça dépend sur quoi, pas sur les trucs de la vie quotidienne, mais sur le long terme en tout cas. Je pense que ça peut permettre d'être plus maître de nous-même, le fait de se poser les bonnes questions à cette époque. Le fait de m'engager me permet d'avoir beaucoup plus d'énergie qu'avant, je fais les choses avec plus de force. C'est aussi une notion de devoir. Par exemple, mon engagement professionnel, j'ai du mal à en parler autour de moi. Parce qu'on me demande souvent « quel métier tu as envie de faire, quel métier te correspond », mais ce n'est pas la question que je me pose. C'est une question secondaire. Pour moi le choix du métier est une question de devoir. Je me demande plutôt « qu'est-ce que je dois faire ». Le sens du devoir est un sentiment qui prévaut beaucoup pour moi. C'est quelque chose qu'on a beaucoup oublié, et qui va devoir revenir en force. On y pense même plus, quand on demande « pourquoi tu fais ça », soit ils pensent que c'est parce que tu vas en retirer un bénéfice, soit parce que tu aimes. Alors qu'en fait il y a une troisième chose, juste le fait qu'il faut le faire.

    Optimiste ou pessimiste

    Ça dépend du point de vue.

    Je me suis largement habitué à l'idée que le 21ème siècle allait mal se passer. Ça ne me provoque plus grand-chose. Si jamais je décrivais ma vision du futur, certains seraient terrifiés parce que ce serait super négatif. Mais moi ça ne me dérange plus.

    Je pense plus à comment sera l'humanité dans 150 ans. Rien n'empêche qu'il y ait encore des universités, des gens qui aient du sens à leur vie. Les gens vivront peut-être moins longtemps, les gens auront une espérance de vie plus courte. Entre temps, il y aura eu une baisse de la population. Mais quand j'en parle, ça ne m'évoque rien de particulier ; Les gens me définiraient comme pessimiste. Mais la question que je me pose c'est est-ce que dans 150 ans les gens auront toujours une culture de laquelle ils seront fiers, est-ce qu'ils seront toujours empathiques envers des gens qui viennent de pays qui devront bouger pour des raisons politiques ou quoi, est-ce qu'on leur transmettra des bonnes valeurs, est-ce qu'on aura un sens à notre vie, des relations sociales. C'est largement possible. Les aborigènes d'Australie ont vécu 40 000 ans dans un désert stérile. Ils vivaient dans un environnement plus dur.

    J'ai confiance dans le fait qu'on puisse leur léguer quelque chose. Qu'il n'y ait pas une coupure entre au-jourd'hui et demain, qu'on leur lègue une culture et un sens à leur vie.

    Je me définirais plus comme optimiste dans le sens où je ne suis pas collapse et apocalypse. Je sais qu'il y a quand même la possibilité que les écosystèmes s'effondrent complètement et que la terre soit anéantie et que l'humanité disparaisse, mais je ne vois pas trop l'intérêt de se poser la question. Je sais qu'il faut agir au maximum, il faut mettre l'accélérateur à fond pour freiner à fond. Le principal c'est de faire tout ce qui est en notre pouvoir, de se radicaliser, mais il n'y a pas d'intérêt à se dire « si ça se trouve ce sera pas assez on va tous mourir », à ce moment-là on ne fait rien. Les seuls trucs qui retiennent mon attention, ce sont les scénarios (même si ce ne sont pas les seuls) où il y a une humanité qui est transmise. Là je me dis qu'on peut transmettre quelque chose, ça a toujours du sens d'écrire des livres, des films, de perpétuer la culture pour qu'elle soit transmise. Je suis peut-être pessimiste mais pas défaitiste.

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    Vision dans 30 ans

    Je pense que ce que je voudrais c'est avoir une certaine indépendance alimentaire. Mais ne pas être qu'agri-culteur, avoir une activité à côté. Avoir un petit potager pour me nourrir. Et un métier à côté que je suis en train de décider.

    Je n'ai pas non plus envie d'habiter à la campagne, j'aimerais bien habiter près d'une ville, car il y a plus d'ac-tivités culturelles, associatives... Il y aura un minimum de confort qui restera dans les villes, alors qu'il n'y aura probablement plus rien dans les campagnes. Peut-être quelque chose d'intermédiaire.

    Au niveau de la société en elle-même, c'est impossible de prévoir. On peut s'imaginer des scénarios probables, mais dire lequel est le plus probable c'est impossible.

    Retour au mémoire

    Annexe 4 : Retranscription - Juliette

    Fin de master de développement durable, fin de stage de fin d'étude. A décidé de ne pas travailler l'année pro pour se focaliser sur des projets plus associatifs et militants.

    Connaissance des enjeux, sources d'informations :

    Je pense progresser assez rapidement. A partir du moment où tu as un socle de connaissance, tout va assez vite. J'ai longtemps été dans le flou, mais en étant formée à animer une conférence et à comprendre les enjeux autour de l'énergie et du climat, j'ai compris beaucoup de choses, ça m'a donné une base de connaissances. Tous les articles ou interviews que je lis, je les comprends mieux. Je comprends mieux les enjeux, je comprends mieux ce qui se passe, c'est moins flou. Je n'ai pas une connaissance très très développée, mais qui vient petit à petit. Comment je m'informe ? Beaucoup d'articles, de sites internet un peu alternatifs, et aussi par les rencontres, les débats, les discussions, j'apprends beaucoup, et j'ai envie d'en apprendre plus.

    Gravité des crises :

    C'est la merde... je pense qu'on ne se rend pas compte de ce qui se passe. C'est le plus grand défi de l'humanité, on n'a jamais eu à faire face à de tels changements, de tels phénomènes. En fait, j'ai l'impression qu'on ne se rend pas compte. Evidemment que c'est grave, que c'est même dramatique, que si on ne fait rien il va y avoir des conséquences, mais je pense qu'on n'imagine même pas à quel point. Ce n'est pas normal qu'on ne s'en rende pas compte et qu'on ne fasse rien pour agir. Même moi à mon niveau personnel c'est difficile. Mais je pense que c'est important qu'on ait conscience de ce qui se passe pour s'investir et pour être prêt à ce qui va nous arriver, même psychologiquement.

    Je pense qu'on va s'en sortir mais pas comme on l'entend. Quand on pense « s'en sortir », c'est retrouver ce qu'on avait, c'est sauver les meubles, c'est rester dans la même situation globalement. Dans ce cas-là, non je pense qu'on ne va pas s'en sortir. Mais si on se dit s'en sortir c'est plus créer quelque chose d'autre et qu'on arrive à faire survivre des espèces et recréer une société, oui on va s'en sortir. Je ne vois pas le futur comme quelque chose d'apocalyptique où tout crame et il n'y a plus personne sur terre. On va s'en sortir, mais de manière alternative, différente. Oui, il va y avoir des dommages, des pertes, ça c'est sûr. Mais on va créer quelque chose, j'en suis sûre. C'est pour ça qu'il faut qu'on se bouge dès maintenant, pour créer quelque chose pour après, et pour atténuer les effets de ce qui va arriver.

    Pour moi toutes les crises sont liées, j'ai trop de mal à les différencier. Tout est lié. Tout est interdépendant, il n'y a pas de hiérarchie.

    Leviers d'action :

    Changer les politiques. Et l'économie. C'est ce qui fait qu'on est dans un tel système aujourd'hui, c'est le capitalisme, ce qui régit tout ce qui se passe autour de nous. Aujourd'hui, si on veut un changement drastique, il

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    faut un changement de système, et ça c'est au niveau politique. Il faut redéfinir les priorités, redéfinir la répartition des pouvoirs... Au niveau économique aussi, il faut un système complètement différent, arrêter cette recherche de profit tout le temps. Il faudrait se tourner vers l'économie sociale et solidaire, l'économie circulaire. Il y a aussi le niveau individuel, citoyen.

    Engagement au quotidien :

    Tout ce qui est éco-gestes, ce n'est pas assez mais ça fait quand même partie du changement. J'essaie, je sais que je ne suis pas au maximum mais j'essaie. En tout cas j'essaie d'être consciente d'absolument tout ce que je fais et de savoir que si je fais qqchose qui ne va pas dans le sens de la planète, au moins je le sais. Ce qui est difficile, c'est de changer des habitudes ancrées depuis des années. Je mange encore de la viande, c'est difficile d'y renoncer, par exemple quand tu vis chez tes parents ou quand tu ne te fais pas ta propre cuisine, c'est difficile d'imposer ça aux autres, de te détacher de tout ça. Il y a aussi un côté affectif, par exemple quand tu as toujours mangé la blanquette de veau de ton papa, du jour au lendemain d'arrêter d'en manger c'est un peu compliqué. Je trouve ça difficile tous ces changements, ces écogestes quand tu es dans un mode de vie, dans un système qui ne te facilite pas la tâche...

    Engagement professionnel et citoyen :

    Pour moi il est hors de question que je fasse un métier qui ne porte pas en son coeur ces questions. C'est une condition essentielle. Il y a eu le manifeste pour un réveil écologique qui a fait une grille d'entretien pour les recruteurs. Je trouve ça génial. Je ne sais pas encore ce que je ferai, ce n'est pas facile de trouver quelque chose qui nous corresponde dans ces contextes, mais je sais que ce sera intimement lié.

    Je fais partie de l'association Avenir Climatique, jusqu'ici j'ai reçu une formation sur les enjeux énergie-climat, et l'année prochaine je vais être plus active en devenant coach pour transmettre ce que j'ai appris.

    Je commence aussi à découvrir la désobéissance civile, j'ai fait une action il y a peu de temps, c'était très intense et fort.

    Processus d'engagement :

    J'ai toujours été touché et intéressée par les enjeux écologiques, mais sans m'investir ou aller plus loin ; ça restait distant et flou.

    Le 1er déclic a été le film Demain, c'est un film qui m'a chamboulée, je suis sortie en me disant « il faut que j'agisse », « c'est possible d'agir, tout le monde peut le faire ». C'est le côté positif, alternatif des choses qui m'a touchée et donné envie d'agir. J'avais une sorte de responsabilité. J'ai développé une sensibilité pour ces enjeux, mais ça restait encore un peu flou.

    Et quand je suis tombée par hasard sur internet sur le master DD, alors que je n'avais pas du tout pensé à cette voie avant, j'ai tout de suite pensé au film et ça a fait sens. Je suis entrée dans ce master et je me suis sentie complètement à ma place. Ça a été une grosse étape dans mon engagement, et puis le reste est venu petit à petit : plus j'apprenais, plus je faisais des rencontres, plus je discutais, plus la prise de conscience s'ancrait en moi, plus j'étais au courant de la variété de crises, des interconnexions...

    Et puis, la grosse claque, ça a été la découverte des théories de l'effondrement. J'ai toujours su que nos sociétés étaient vouées à leur perte, et qu'il allait se passer quelque chose. Ça m'a toujours parlé en tout cas. J'ai commencé à entendre parler de collapsologie à Avenir Climatique. Tout de suite, ça a fait sens. Rien ne m'a paru improbable, tout était fondé, il y avait un mot sur un phénomène dont tout le monde était au courant mais que personne n'ose vraiment mettre sur le devant de la scène parce que ça fait peur, ça peut rebuter. C'est arrivé à un moment de questionnement global de ma vie. Ça a eu un effet très accentué. C'était dans un moment où je me questionnais sur le sens de ma vie, de mes études, de mon travail. Ça a été un effet boule de neige. Ça n'a pas été facile. Tu vois tout par ce prisme-là. C'était difficile de me positionner... De prendre le métro, d'aller au travail, de faire ces choses-là basiques quand tu es dans une période de déprime liée à la collapsologie où plus rien n'avait de sens.

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    Mais j'ai compris ensuite que la collapsologie n'était pas seulement l'effondrement, mais c'était aussi la remontée et comment se reconstruire. Ça a été mieux parce que je me suis dit que c'était un combat dans lequel il fallait s'investir pour construire ce nouveau monde. Même si je ne peux rien faire pour lutter contre un effondrement, je peux faire partie de ceux qui adaptent le système à ce qui va se passer, qui créent des solutions en amont. Donc le fait de vouloir m'investir, m'engager, de me sentir utile et d'être en cohérence m'a aidée. Le fait de ne pas être seule m'a aussi énormément aidée.

    Et pour ça, Avenir Climatique a été une étape clé qui a vraiment ancré mon engagement écologique dans ma vie, dans ma personnalité, qui m'a donné les clés de compréhension et d'action, et qui a fait que je ne pourrais plus prendre une autre voie.

    Aujourd'hui, au quotidien, même si je sais maintenant que je suis à ma place en luttant contre l'urgence climatique, il y a encore des éléments qui confirment mon engagement, qui me font avancer. Je parle surtout des retours que j'ai sur l'écologie, des retours de mes proches ou des gens que je rencontre, qui parfois ne comprennent pas ce combat, posent des questions, ou me mettent en colère par un scepticisme ou une nonchalance ou un cynisme par rapport à ce que je fais ou à l'écologie. Ce sont des déclencheurs quotidiens qui me rappellent pourquoi je fais ça, ça me donne l'envie de les convaincre, de leur montrer que j'ai raison de me battre pour ça, d'avoir mis ça au centre de ma vie, qu'il y a des raisons de s'inquiéter et que tout le monde devrait s'engager, et que ce n'est pas moi qui suis censée être vue comme marginale.

    Changement personnel :

    Oui, je pense. Je pense que ça n'a pas forcément changé fondamentalement, mais que ça a réveillé quelque chose. Que ça a réveillé quelque chose qui était toujours là mais qui était enfoui. Oui, ça m'a changée. Ça a priorisé certains sujets, il y a des choses que je ne peux plus faire, qui n'ont plus de sens. Ou qui ont un sens différent, sur la question des voyages notamment. Par rapport à ma famille, à mes amis... Parce que j'appré-hende les choses d'une autre façon. Je suis en train de changer forcément parce que je me rends compte que tout est lié à ça.

    Je pense que ça a réveillé le côté « me battre pour une cause ». J'ai toujours su que j'avais ça en moi, j'ai toujours été très en colère, dans la confrontation, mais sans que ce soit fondé vraiment. Là je comprends enfin pourquoi. Il y a certains trucs qui étaient étouffés pour laisser la place à qui j'étais vraiment. C'est pas forcément des trucs qui ont été réveillés mais d'autres qui ont été atténués. Je pense que je me suis construite socialement dans un certain milieu (social, éducatif, affectif) autour de certaines choses. Maintenant que je suis investie, je remets en question ces choses, je remets en question la manière dont j'ai été éduquée, dont je me suis comportée avec les gens, dont j'ai construit mes relations, mon rapport aux choses, au monde. Ces trucs là sont en train de prendre moins de place pour laisser la place aux valeurs qui ont toujours été là mais un peu cachées : la solidarité, le militantisme, les relations plus simples, plus humaines... ça a toujours été là mais elles prenaient moins d'importance que le côté parisien, être inclue dans certains groupes, ressembler à certaines personnes... Toute cette espèce d'image sociale qu'on se construit, c'est en train de devenir dérisoire par rapport au combat qu'on porte.

    Importance du groupe :

    J'ai rencontré des gens qui sont rapidement devenus des modèles. Ça m'a plus poussé à agir en me disant « si je veux être cohérente avec ce groupe, cette asso, il faut que ça suive derrière ». Sans rien m'imposer, mais une sorte de pression que je me mettais moi-même. Ça impliquait des choix. Pendant des années, j'ai eu peur d'être hors-système : il fallait que j'aie des habits à la mode, que je sois dans une université cool... Certains trucs que je plaçais à un niveau important. Et en fait aujourd'hui ces trucs là c'est presque la honte. C'est bizarre, mais il y a certains trucs qui faisaient que j'étais une fille cool. Mais aujourd'hui avec ces gens-là que j'ai rencontrés, ce serait ridicule parce que ce serait dérisoire. J'accorde beaucoup d'importance à ce qu'on pense de moi donc en étant en cohérence avec les gens avec qui je suis, je tends vers un truc qui me ressemble

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    plus et qui leur ressemble plus et qui est plus en cohérence avec ce pour quoi on se bat. Une sorte d'écosys-tème.

    Sentiments dominants plutôt positifs ou négatifs ?

    C'est un doux mélange des deux.

    Le fait de ne pas être seule dans ce combat, ça fait qu'il y a beaucoup de positif. Il y a des actions concrètes dont je suis témoin, auxquelles je peux participer. Je vois qu'il se passe des choses, le fait d'être inclue dans ces milieux j'en suis d'autant plus témoin. La Bascule par exemple, des jeunes qui se laissent 6 mois dans leur vie. Il se passe des trucs, je le vois et pour moi c'est super positif.

    D'un autre côté, tu ne peux pas te réjouir de la situation. C'est la gravité de la situation et la négativité de tout ce qui se passe qui fait que tu peux t'engager. Donc l'un ne va pas sans l'autre.

    Mais c'est complètement mitigé.

    Je suis encore très en colère. Mais contre moi aussi. Parce que parfois j'ai l'impression de ne pas faire assez. Je suis très en colère contre des gens, contre ma famille, contre des gens qui ne font pas assez alors qu'ils pourraient faire assez, et qui ne font parfois même pas le minimum. Parfois j'ai envie de secouer les gens en disant bon il est temps au moins d'être conscient, d'arrêter de se mettre des oeillères. On ne peut pas tous quitter notre travail et ne plus s'acheter de fringues du jour au lendemain, tout ça prend du temps et c'est normal, il y a une distance psychologique. Mais il y a encore beaucoup de gens qui ne sont pas même conscients de la base de la base. Quand je vois que même sur des chaines nationales il y a des propos climatoscep-tiques qui sont tenus... là c'est vraiment de la colère parce que je n'ai pas de moyen d'action sur ces gens-là. Je peux en avoir en en parlant autour de moi mais ça ne bouge pas assez vite.

    Ce qui est dur, c'est de toujours dépendre d'un système. Mon mode de vie en soi n'a pas changé drastique-ment. Je vis toujours au même endroit, les mêmes amis. J'ai toujours cette espèce de socle de ma vie. Du coup c'est difficile d'évoluer tellement et tellement vite intérieurement et de rester les deux pieds bloqués dans un système et un mode de vie qu'on subit parce qu'on ne peut pas tout quitter du jour au lendemain non plus. Je pense qu'il ne faut pas non plus se mettre en rébellion totale avec le système, les gens... Ça doit se faire à long terme et petit à petit, mais c'est difficile de toujours dépendre d'un truc et subir des situations et des modes de vie (« il faut que je valide un stage pour valider mon master, que je fasse 6 mois dans une boite qui surement ne me plaira pas »...), voilà ces espèces d'obligations et de cases à cocher qui n'ont plus de sens et qui me retiennent comme si j'avais un boulet au pieds et que ça me retenait, que ça me faisait couler et que j'avais beau nager de toutes mes forces pour en sortir, ça me retient. A un moment ça va lâcher...

    Emotions positives dans la prise de conscience :

    Le fait de voir que je ne suis pas seule. Je pense que c'est vraiment ça qui me tire vers le haut. Qui me fait voir la lumière au bout du tunnel. Qui me fait dire « il y a quelque chose, il y a des gens, il y a des pensées, il y a des idées ». Au début, c'est très égoïste, mais il y avait une sorte de fierté de faire partie d'un mouvement du style « on a tout compris mais pas vous ». Cette espèce de fierté d'appartenir à un mouvement, de m'investir dedans.

    C'est difficile de mettre un mot sur une émotion, mais il y a une sorte de puissance dans ce que je vis, dans ce que je ressens, où n'importe quelle rencontre, n'importe quelle action va être décuplée, je vais le ressentir de manière plus importante que les émotions que je ressens dans le quotidien. Ça accentue tout, mais le positif comme le négatif, ça accentue tout. Et c'est des moments presque euphoriques parfois, quand j'ai passé du temps avec des gens qui sont exactement dans les mêmes pensées, qui agissent pour ça, dans lesquels je me retrouve, qui me tirent vers le haut etc... Parfois c'est des moments d'euphorie totale, où je me dis c'est fou, je suis en train de me faire des amis qui sont complètement engagés, qui me tirent vers le haut, avec lesquels je peux parler, qui ne me jugent pas, plein de critères qui font que tout est décuplé, une sorte d'intensité, d'énergie.

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    Libération des émotions :

    Cette colère dont je parle, c'est des trucs qui ont toujours été là. C'est comme si ça me donnait un espace-temps, une sorte de truc intemporel pour sortir mes émotions. Depuis toute petite je suis en colère, pas à ma place, je sens que je suis en décalage. Et là c'est comme si pour la 1ère fois il y avait une légitimité, une raison à toutes ces émotions que j'ai ressenties toute ma vie. Je pense que ça me donne un espace pour laisser parler ces émotions et les justifier. Parfois je ne savais pas pourquoi j'étais en colère et triste, et là je sais pourquoi. Même s'il ne faut pas voir toutes ces émotions par le prisme de ce combat, mais c'est un gros poids qui explique beaucoup de choses.

    Projets à venir :

    Quand je parlais du système qui me retiens et que je subis encore, je vais essayer de m'en détacher petit à petit. C'est pour ça que je fais le choix de ne pas trouver un métier comme on l'entend l'année prochaine. Pour me rapprocher de mes valeurs, que tout mon écosystème soit en lien avec ça et que j'arrête de subir des situations et d'être retenue par des obligations, par ce système et tout ce qu'il engendre. Donc ma vision future c'est de me détacher petit à petit de ça. Comment ? je ne sais pas encore exactement, mais je pense en allant me rapprocher de la nature, en allant rencontrer des gens qui sont totalement différents de ceux avec qui j'ai grandi, de gens qui sont investis dans ces problématiques depuis longtemps, et d'autres formes de combats ou de résistance aussi. On verra !

    Optimisme ou pessimiste :

    Je pense que je me force un peu à être optimiste. :Comme si j'avais la responsabilité d'être optimiste. Parce que si les gens qui sont investis là-dedans ne sont pas optimistes, ça ne sert à rien de se battre. Donc j'essaie de tendre vers un optimisme. Et ça revient à ce que je disais sur le « oui, il y a des trucs qu'on va perdre, il y a des trucs qui vont changer, mais il y a autre chose qui va arriver. » donc j'essaie de le voir comme ça, et d'en parler comme ça aussi autour de moi, à mes proches. Parce que si tu dis à tout le monde que tout est foutu, personne ne lève le petit doigt. Donc j'essaie d'être optimiste. C'est pas facile, mais j'essaie. (rires)

    Vision du monde dans une 30aine d'années :

    J'en sais rien. J'en sais tellement rien. Je ne sais pas s'il y aura eu déjà un effondrement des systèmes, mais je pense qu'il y aura eu des crises qui auront chamboulé pas mal de choses et de gens. Et je pense qu'on sera nombreux à être retournés à quelque chose de plus simple et de plus sobre. Et je pense aussi qu'il y aura plusieurs sortes de sociétés alternatives qui se sont créées, et je me vois bien en faire partie. Je pense que je me vois bien ne pas être totalement détachée du système parce que j'aurai du mal à 100% mais me créer et créer mon environnement hors du système quand même et faire partie d'une société alternative, être toujours très engagée associativement. Peut-être que j'aurai créé quelque chose pour transmettre. J'imagine de la ver-dure, quelque chose de plus simple, mais de choisi. Et qui sera beaucoup plus normal, banalisé dans 30 ans. Aujourd'hui, ça reste un peu marginal, hippie tout ça.

    Retour au mémoire

    Annexe 5 : Retranscription - Auix

    Présentation

    J'ai une formation d'ingénieur en informatique, et d'analyste financier en école de commerce. J'ai passé une grande partie de mon enfance en Afrique (de 6 à 12 ans), je suis parti ensuite dans les Antilles jusqu'à mes 15 ans. Et je suis ensuite allé à Paris et resté jusqu'à aujourd'hui. Je suis au chômage aujourd'hui, je ne travaille plus, parce que les derniers métiers que j'ai faits manquaient de sens dans une société qui est en train de

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    partir dans une croissance infinie sur un monde aux ressources limitées. Je ne voyais pas le sens dans le travail que je donnais tous les jours dans ma précédente boite (Amadeus, système de réservations pour les compagnies aériennes, les hôtels, tout ce qui a trait au tourisme). Ça me rendait profondément malheureux, et j'ai préféré, même si j'étais très bien payé, arrêter mon contrat. Donc je suis au chômage et j'essaie de donner un peu plus de sens à mon quotidien.

    Gravité des crises

    Il y a 2-3 ans, quand j'étais encore dans mon métier, j'étais en dépression, j'ai fait un burnout, j'avais pas envie de me lever pour aller bosser parce que je ne voyais pas de sens à mon job compte tenu des crises qu'on traverse. Je voulais et je veux donner un sens à mon existence et contribuer à faire en sorte que le monde change tel que j'aimerais le voir changer, et non pas travailler pour des personnes qui voient simplement leur intérêt et leur enrichissement matériel.

    Je suis entré dans l'écologie par la porte de l'effondrement. Dans le rapport Meadows, l'élément déclencheur de l'effondrement parmi d'autres était le manque de ressources en énergie. Une société qui consomme de plus en plus de pétrole, d'énergie, une croissance économique fortement corrélée à cette consommation, sachant qu'aujourd'hui on a passé le pic pétrolier, on est dans une économie qui se contracte, et on découvre très peu d'énergie par rapport à ce qu'on consomme.

    Ça m'a fait vraiment prendre conscience, j'ai eu un profond malaise de se dire on va dans le mur. C'est comme si on conduisait une voiture les yeux bandés. Quand tu enlèves le bandeau et que tu te rends compte qu'il y a un mur devant nous et qu'on n'a pas de frein, c'est...

    Malgré tout, je ne le vois pas d'un côté noir. J'ai grandi avec l'image du 11 septembre, des twin towers, et je projette un peu l'effondrement là-dessus, comme un château de cartes qui s'effondre et il reste un tas de cendre en bas. Mais ce n'est pas le sentiment que j'ai vis-à-vis de ça. J'ai le sentiment que notre société telle qu'on la connait est en train de s'effriter. Mais ce n'est pas forcément synonyme de chaos. Pour moi, c'est plus synonyme de renaissance. Et j'aimerais que cette renaissance-là se fasse sur des bases qui soient humanistes, tournées vers l'humain, vers le fait que l'on consomme de manière éthique et pas plus que ce que notre terre puisse nous offrir.

    Leviers d'actions généraux

    L'éducation. C'est le seul levier d'action qui vaille de mon point de vue, c'est pour ça que j'ai rejoint Avenir Climatique. Quand j'entends éducation c'est de la sensibilisation aux enjeux, au fait de comprendre les phénomènes qui sont en train de se passer et pourquoi on est en train de vivre tout ça. En ayant un certain recul, c'est-à-dire ne pas être forcément critique mais comprendre. Je ne pense pas que l'humain soit foncièrement mauvais, je pense qu'il y a des idiots, et quand je dis idiots c'est simplement des personnes qui ne se rendent pas compte de leurs actes. Et en faisant prendre conscience que chaque acte a des effets, on pourrait arriver à aboutir à un monde qui nous rende plus heureux. Oui, l'éducation.

    Engagement au quotidien

    Au départ j'allais travailler en prenant ma voiture car je ne mettais que 30 minutes pour arriver sur mon lieu de travail et environ 1h en bus. Mais au final j'ai rapidement préféré laisser ma voiture au parking et prendre le bus, même pas par question écologique, mais aussi par question économique et même de confort. Je ne le voyais pas comme une contrainte, mais comme du temps que je m'accordais : je n'avais plus besoin d'être focalisé sur ma conduite, je pouvais me concentrer à d'autres choses. Donc prendre les transports en commun, au final, ça m'a libéré du temps.

    Essayer de manger, et de m'habiller de manière éthique aussi. Je suis fana du lin, parce que c'est local, et parce que j'apprécie de manière générale de connaître l'histoire, l'environnement de chaque aliment ou vêtement que je consomme.

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    Au niveau de l'alimentation, j'essaie de limiter un max ce qui est emballé sous plastique, tout ce qui me parait inutile. Quand je peux aller faire mes courses au marché, je le fais. Je fais le tri. Mais je suis assez critique là-dessus. La bouteille de vin en verre, on va la jeter, elle va être cassée, refondue, et effectivement ce verra-là aura une nouvelle vie. Mais on va dépenser de l'énergie entre temps qui a déjà été dépensée pour la construire en 1er lieu. On pourrait très bien la réutiliser telle quelle et diviser par 5, par 10 la consommation d'énergie.

    Engagement dans le métier

    Je suis un peu partagé. J'ai une formation en informatique, liée à la technologie. J'aime beaucoup me servir de mes mains, je suis très manuel. J'ai beaucoup entendu la technologie ne va pas nous sauver ou la technologie va nous sauver. Aujourd'hui elle est là, et il faut voir les bienfaits qu'elle pourrait apporter. Cette question n'a à mes yeux pas beaucoup de sens car je ne pense pas qu'il soit possible ou même souhaitable de retourner à un état sans. Je pense qu'elle peut et doit servir à nous accompagner face aux défis qui se présenteront à nous et que nous devons arrêter d'essayer de suivre son rythme et essayer de nous adapter à elle.

    Mais j'ai quitté mon boulot il y a quelques mois, aujourd'hui je suis en train de travailler sur un projet d'entre-prise pour créer une marque de vêtements éthiques. Et quand je dis éthique, je vais plus loin que l'écologie. Ce sera du lin, ça pousse en France, ça ne demande pas d'eau, c'est sourcé, local, ça contribue à créer du lien, du tissu social.

    Ces questions doivent être en 1ère ligne dans mon métier.

    Engagement collectif

    J'ai découvert l'association Transparancy International il y a peu. Ils se battent contre la corruption, font du lobbying. La transparence est quelque chose de primordial pour nos sociétés. Pouvoir être transparent avec ce que je fais, avec ce que je pense, avec ce que je dis, c'est très important.

    Les marches je n'y vois pas d'intérêt.

    La désobéissance civile, je n'en ai jamais fait. Je pense que c'est très important. Je pense que les changements de société viendront de nos actes civils. Je trouve ça très dangereux de respecter des règles quoiqu'il arrive. Certaines règles de sont pas bonnes à suivre et il faut savoir en bafouer certaines pour faire changer les choses.

    Difficultés

    J'ai grandi dans une société de consommation, donc il y a des choses qui restent. Je continue à utiliser Amazon par exemple. Je ne suis pas critique, mais je suis conscient qu'il y a des améliorations à beaucoup d'égard qui pourraient être faites. Je suis en train de travailler là-dessus.

    Le problème aussi est qu'on trouve toujours des justifications. Parfois, je ne suis pas cohérent, mais j'arrive à aller justifier mon comportement. Mais je reste à l'écoute et ça c'est important.

    Cheminement

    Je pense que c'est très lié au fait que j'ai vécu à l'étranger : en Côte d'Ivoire pendant trois ans, au Cameroun pendant 3 ans, en Guadeloupe pendant 3 ans, et ensuite à Paris. Et la vie que j'ai à Paris par rapport à la vie là-bas, c'est complètement différent à tous les niveaux. Je pense que le 1er déclic s'est fait à ce moment-là, en me rendant compte qu'on vit vraiment différemment. C'était pas vraiment une prise de conscience parce que j'en ai profité dans le sens où à Paris j'avais les transports en communs, internet illimité, chose que je n'avais jamais connu... j'étais comme un fou. C'était nouveau pour moi. En fait je ne l'ai pas ressenti tout de suite en arrivant à Paris, mais quelques années plus tard où je me rendais compte que ça n'avait pas de sens tout ça. Je me suis rendu compte que j'étais beaucoup plus connecté à la réalité avant, alors qu'à Paris j'étais sur une pente descendante vers la virtualité, l'apparence... Je me suis rendu compte que c'était fou d'avoir tout à portée aussi. Et me rendre compte que mes camarades parisiens, qui étaient toujours à Paris, avaient souvent un regard complètement biaisé sur le reste du monde, et même sur le reste de la France. Et c'est là où tu te dis que le voyage est important pour ouvrir l'esprit. Je ne dis pas voyage en pensant au Club Med où tu restes

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    dans ton microcosme, mais passer du temps en dehors de chez soi pour apprendre à découvrir l'autre. C'est les autres qui t'ouvrent l'esprit, qui te font découvrir leur manière de vivre, leur quotidien.

    En Afrique c'était assez triste de voir que c'était sale, pollué, de voir des bouteilles plastique par terre partout. Donc j'étais sensibilisé à ça parce que quand tu vois ce genre de paysage, des déchetteries à ciel ouvert... Déjà ça m'a sensibilisé. En fait pas forcément écologie, mais juste faire attention à ses gestes quotidiens et à sa responsabilité.

    Pendant mon école d'ingénieur j'ai fait un voyage en Malaisie, et pendant mon école de commerce un voyage à Hong Kong. C'est à Hong Kong où j'ai eu une vraie prise de conscience. On a eu un cours sur l'efficience énergétique. HK est la ville la plus densément peuplée au monde, c'est très bien organisé au niveau des transports en commun notamment. On avait un cours sur cette organisation par rapport aux villes américaines qui sont plus sur l'étalement. HK, c'est des gratte-ciels immenses, mais tu sors à 15min de voiture et tu te retrouves en pleine nature.

    J'ai eu un déclic de me dire, il y a des axes d'améliorations, on peut s'inspirer d'une ville comme ça sur certains aspects.

    J'ai fait mon école d'ingénieur informatique. J'étais encore en stage, je faisais le même boulot qu'un gars qui avait plus de 50 ans. Et déjà je me suis dit que je ne voulais pas faire ça de ma vie. Ensuite je suis allé en école de commerce dans l'optique de créer mon entreprise. Je l'ai fait en alternance. Ma dernière année d'alter-nance était chez Arkema, un groupe industriel chimique. Je bossais en tant qu'analyste financier, j'établissais des business plans pour ouvrir des usines aux Etats-Unis, en Malaisie. Ça m'a frappé d'une part de me rendre compte à quel point c'était un métier bullshit. Le principe d'un business plan c'était : on a envie d'ouvrir une usine à un endroit, on va mettre en place un business plan avec certaines variables, et si ça ne fonctionne pas, on va les modifier pour le rendre fonctionnel. Je bossais sur un projet où on ouvrait l'usine, on faisait bosser des gars, les voyants étaient rouges. Et pour que ça passe au vert, il a fallu les faire bosser au 3/8 (bosser de 6h à 14h, ensuite une équipe de 14 à 22H, et une autre équipe de 22 à 6h, tu bosses 3 semaines sur un horaire, 3 semaines sur un autre... 3x8h). C'est complètement dingue. Ce truc-là ça a été un vrai déclic. Je suis dans mon bureau à Paris, et je suis en train de décider de la vie des gens en Malaisie. J'y étais allé en immersion, je les avais côtoyés, je savais ce qu'était la réalité là-bas. Et je suis dans mon petit bureau à Paris, à prendre des décisions aussi impactantes... Ça m'a complètement dégouté, et j'ai commencé à déprimer à ce moment-là, à me sentir en décalage avec la finance, avec les marchés financiers... Il y a des gens, derrière leurs ordinateurs qui font leurs trucs mais qui ne se rendent pas compte de l'impact que ça a sur le terrain. Et en ayant cette conscience de me dire, ce que je fais a un impact, je ne peux pas mettre des oeillères là-dessus, ça m'a profondément déprimé. J'étais encore à paris à ce moment-là, je me suis dit, il faut que je change d'air, j'ai eu un appel pour aller bosser à Nice à Amadeus. Je me suis dit, c'est de la technologie, c'est de l'informatique, ce sera mieux que la finance. Mais pareil, ça n'avait pas de sens. Je voyais des collègues qui avaient abandonné l'idée de faire un travail qui leur plaisait, c'était un travail qui les nourrissait. « Je ne suis pas heureux au boulot, mais c'est ok de faire 8h par jour voire plus avec les transports ».

    A cette même période, il y a eu la campagne présidentielle qui a aussi contribué à ma prise de conscience. Pendant la campagne, tu confrontes la vision de différents partis politiques. Je me suis dit : on est en train de parler de travailler plus pour gagner plus, des perspectives de croissance... Je me suis dit mais vers où on va en fait. J'ai eu une grosse remise en question sur le sens de la vie et le sens de ma vie. Et de cette question-là a découlé : comment fonctionne l'univers, comment fonctionne la planète etc. Et là tu comprends vraiment qu'on vit sur une planète sur laquelle les ressources sont limitées. J'ai découvert le rapport Meadows où c'était modélisé. Je ne sais pas si c'est la campagne présidentielle. C'est possible que ça ait été la campagne présidentielle. Ça a été un élément déclencheur dans le sens où il y avait beaucoup de personnes qui postaient des trucs sur fb. De fil en aiguille je suis tombé sur des groupes (transition 2030), sur la notion d'effondrement...

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    C'est comme si t'avais une pelote de noeuds, et que tu trouvais le petit truc sur lequel tirer et tout devient limpide. Ça a permis de mettre un mot sur l'intuition qu'il y a quelque chose qui fonctionne pas, il y a un truc qui cloche. C'est pas la perspective d'effondrement, mais finalement plus la compréhension, le modèle qui amène à ce fait là. Le fait que tout est lié. De comprendre par quoi c'est lié, par quoi ça a un impact. Là, ça a été... waouh. Ça a été ah ouais, ok, là je réalise, je comprends l'ampleur du truc et... Ah c'était complètement dingue, c'était complètement dingue. Après, il s'en est suivi du coup que je n'étais pas forcément plus heureux de comprendre ça (rires). Mais au moins je pouvais mettre un mot là-dessus. Il y a d'abord eu du soulagement de me dire, je ne suis pas fou. Parce que dans mon quotidien où j'essayais d'en parler autour de moi c'était difficile. Donc du soulagement d'abord. Ensuite de la tristesse de se dire, on est peut-être foutus. Et puis un sentiment de renaissance, de renouveau de me dire : ok, maintenant que j'ai compris ce qui me gênait dans mon mode de vie, voilà, je sais comment je peux agir là-dessus et essayer de vivre mieux. Je me suis aussi beaucoup penché sur la philosophie à ce moment-là. J'ai rencontré des personnes aussi avec qui j'ai pu échanger. J'ai appris à comprendre comment ne pas vivre ça avec colère, avec tristesse, avec dépression, comment faire en sorte de bien vivre.

    La philosophie m'a vraiment aidé. Spinoza et Nietzche, c'est deux philosophes pour qui le déterminisme est central. Quand je parle de déterminisme on peut l'illustrer avec les propos d'Einstein qui dit « dieu ne joue pas aux dés ». Il avait aussi dit « je ne crois pas en dieu, mais si je devais y croire ce serait dans le dieu de Spinoza ». Ce n'est pas un être hors de nous, c'est un être en nous, on est en Dieu. Dieu ne joue pas aux dés. La pomme tombe parce qu'il y a la loi de la gravité. Tout est cause et effet. Il y a toujours une forme de dualité entre pensée d'un côté et physique de l'autre. Mais l'un ne va pas sans l'autre. Nos sécrétions de sérotonine, de dopamine ont un fort impact sur la façon de penser, de vivre. Et on ne connait pas les lois qui régissent ces choses, mais Einstein suppute qu'il y a aussi des lois en jeu derrière.

    Quelque chose qui m'a frappé pendant mes études d'informatique. On devait faire un petit logiciel qui devait faire appel à une fonction aléatoire qui générait un chiffre entre 1 et 10. Et en fait, on est incapable de faire du hasard en informatique. La fonction random n'existe pas. Alors oui ça peut paraître incroyable mais il est vraiment impossible de générer un nombre de manière aléatoire. Il existe quelques astuces en revanche qui nous permettent de faire du « faux hasard », comme par exemple afin d'obtenir un chiffre entre 0 et 9 : on prend la 15ème décimale du temps qui s'écoule, et au moment où on a besoin de sortir un chiffre au hasard, on prend cette 15ème décimale de l'heure qu'il est. On prend un élément qui n'a aucun lien avec ce qu'on cherche à obtenir, et on estime que c'est du hasard, parce qu'aucun lien de causalité ne semble exister entre les deux. Dans la vie de tous les jours on le fait aussi. Par exemple, on peut dire qu'on s'est rencontrés par hasard, mais non.

    C'est la même chose pour un dé que tu jettes, on appelle ça du hasard, mais en fait ça dépend de la façon dont tu le lances.

    Savoir que tout est déterminé, c'est assez libérateur dans le sens où ça libère d'un poids. Si on est en train de vivre ça, c'est qu'il y a eu les causes et les effets qui sont arrivés à la situation actuelle. Donc je ne peux pas avoir de regard critique. Mais je veux essayer de faire en sorte qu'on change cette façon de fonctionner et de faire. Ça m'a permis d'accepter tout ça beaucoup plus facilement, c'est profondément libérateur, parce que si tu es la personne que tu es aujourd'hui, c'est qu'il y avait des causes et des raisons sous-jacentes. On est un peu spectateur de sa propre vie. Beaucoup voient ça comme une sorte de fatalisme, mais ce n'est pas le cas. Ça permet aussi de se dire que tout ce qu'on fait aujourd'hui détermine les choses de demain. Et donc qu'on a un pouvoir d'action.

    Changer ma philosophie de vie m'a vraiment aidé. Le déterminisme est en opposition au libre arbitre qui dit qu'on est capable de faire des choix en toute liberté sans qu'on ait été guidés par quoi que ce soit.

    Changement personnel :

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    Complètement. Complètement. Ça a complètement changé ma façon d'aborder les choses, d'aborder l'autre. Ça a été un revirement total. Par exemple sur le don de soi. Dans mon optique de créer une entreprise, je ne le fais plus parce que j'ai envie de créer une entreprise, mais parce que j'ai envie que le changement soit incarné par des valeurs éthiques. Je ne le fais pas dans une optique de m'enrichir mais de pouvoir proposer des alternatives utiles.

    Emotions négatives

    Je suis très désabusé par les crises en cours. Je pense que c'est principalement de la tristesse. Il n'y a pas de colère, parfois si mais dans le côté humain. Je suis effaré, sidéré en voyant le virage que prennent nos démocraties. Beaucoup d'incompréhension, et un peu de colère.

    Emotions positives

    En voyant qu'il y a des voix qui s'élèvent, des organisations qui prennent forme, des mouvements de désobéissance civile... je me dis que c'est notre dernier espoir. Mais ce qu'on est en train de vivre aujourd'hui, si ça advient c'est que les causes étaient là, on en vit les effets. Donc aujourd'hui, si j'ai envie de voir un changement, il faut que je l'incarne. Il faut que les causes qui amèneront les effets que j'ai envie de voir soient mises en place.

    Ça me rend heureux de pouvoir me dire que je contribue à mon échelle de construire la société telle que j'aimerais qu'elle soit. C'est pour ça que je n'ai plus de tristesse. Aujourd'hui je me sens complètement en accord, et c'est source de satisfaction.

    Ça m'attriste toujours de voir qu'on est dans la démesure, mais j'essaie de le comprendre. Ce qui m'attristait, c'était plus ma situation personnelle et de me dire que je suis un pion du système et que je ne sers à rien. Maintenant je sens mon rôle et mon utilité. On agit tous sur notre environnement au quotidien.

    Optimiste ou pessimiste

    Ni l'un ni l'autre. Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste. Bon il faudrait s'accorder sur les définitions, mais je suis plutôt optimiste en fait. J'ai envie d'être optimiste et me dire qu'on arrivera à créer une société profondément humaniste. Je suis heureux et curieux de voir comment les choses vont tourner, voir quels impacts chaque chose aura sur le monde.

    J'essaie de ne pas porter un regard critique sur ce qui advient. Même le plus gros des connards, je ne peux pas être en colère car si c'est le plus gros des connards c'est que des choses l'ont déterminé à être le plus gros des connards. Donc j'essaie de comprendre les raisons qui font que c'est la pire ordure. Et je peux peut-être faire en sorte de devenir une cause déterminante dans son existence pour qu'il devienne une meilleure personne.

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    Annexe 6 : Retranscription - Angèle

    J'ai 23 ans, je viens de Bretagne, je suis à Paris depuis 2 ans, en master de développement durable. Avant ça j'ai fait des études de gestion, et une année de césure où je suis partie travailler au Nicaragua. J'habite dans une collocation associative.

    Connaissance des enjeux et sources d'information :

    J'ai l'impression d'avoir une bonne connaissance des enjeux environnementaux. Mais c'est marrant parce qu'il y a un an, on m'avait posé cette même question, et j'avais déjà répondu oui par rapport à la moyenne. Et maintenant je ne répondrais plus oui sur mes connaissances d'il y a un an en fait. Donc peut-être que je me trompe encore maintenant, mais par rapport à la masse des gens c'est sûr que je suis plus sensibilisée. Après,

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    est-ce que je connais vraiment bien tout, je ne sais pas, notamment pour les enjeux sociaux liés à l'environne-ment que je ne connais pas si bien. Je m'informe de plusieurs manières : beaucoup en lisant des livres, en lisant des articles éventuellement, en regardant des vidéos, et sinon en échangeant beaucoup avec des gens, notamment dans le milieu associatif.

    Gravité des crises :

    C'est quand même un peu anxiogène, même s'il y a une partie de moi qui a l'impression que ce n'est ni maintenant ni ici que ça se passe. C'est un peu culpabilisant aussi parce qu'il y a une inégalité entre la source des problèmes et les endroits où ils vont être répercutés le plus fort et le plus vite.

    Est-ce qu'on va s'en sortir ? Je ne sais pas trop, mais c'est une question tellement grande qu'elle ne m'intéresse pas vraiment en fait. Je pense que le combat c'est surtout de limiter les inégalités, les injustices, qui sont la cause de nos modes de consommation, et remettre du sens dans les vies et les actions des gens ici et maintenant. Et si dans 150 ans tout le monde va mourir parce que c'est trop tard... Enfin ça me parait trop vaste comme question pour qu'on décide de se bouger.

    Le modèle actuel, à mon avis, ne permet pas que ça continue longtemps. Donc il faut que ça s'effondre, et peut-être rapidement, pour qu'on puisse commencer autre chose. C'est difficile de prévoir tout ça. Mais on peut voir ce qui se passe déjà aujourd'hui. Je pense qu'il faut qu'on agisse dans le présent, et qu'on arrête de se donner des objectifs débiles. Parler de ça, ça fait programmer un truc, mettre en place des objectifs sur du long terme, avec plein d'indicateurs... mais finalement peu de choses concrètes sur le court terme.

    Leviers d'action :

    Tout est à mener de front. Il faudrait tellement qu'il y ait des actions politiques, et en même temps j'y crois tellement pas. Mais je peux croire que les gens se détournent des politiciens et du modèle actuel si leurs voisins font pareil. Je crois à l'esprit d'équipe, et au fait qu'on est un peu tous des moutons, pas dans le sens péjoratif mais dans le sens où on a besoin d'appartenir à un groupe. Et si le groupe se détourne, ça pourrait marcher.

    Donc je crois plus au pouvoir de la société civile pour influer sur le politique et sur l'économique. Au pouvoir du boycott, d'essayer de se sortir du système même si on n'en sort jamais vraiment.

    Engagement quotidien :

    Dans les écogestes pas mal de choses, après est-ce que c'est utile ? Enfin si, je suis végétarienne et ça je pense que ça a un vrai impact. Je pense qu'à terme, j'irai aussi vers une limitation des produits laitiers. Essayer de consommer moins de produits jetables. Je tends vers le zéro déchet mais c'est pas facile. Une autre chose qui a un impact environnemental et social important, c'est sur la consommation de vêtements, que j'ai beaucoup diminuée. Je n'achète plus de neuf, à moins que ce soit des marques françaises qui vont tenir des années. Ça a un impact au moins social qui est incroyable.

    J'essaie de me renseigner le plus souvent possible, et d'en parler autour de moi, même si des fois j'ai un peu la flemme de passer pour la relou, et que parfois je ne crois pas trop en la capacité des gens de s'intéresser à la question. Mais j'essaie quand même parce que je me dis que c'est plus que pour moi.

    Il y a des choses que je n'essaie pas de faire, alors que je devrais, comme limiter le chocolat et le café. Je n'ai jamais été chercher ce qu'il y a derrière le café équitable, si c'est vraiment bien.

    Engagement dans le métier/études

    C'est ce qui m'a menée à faire les études que je fais (développement durable), et c'est aussi ce qui me mène à ne plus trop aimer les études que je fais (rires). Parce qu'on s'intègre dans le système finalement. Le développement durable c'est un truc qu'on aurait dû faire dans les années 70, 80. Ce qui est fou c'est qu'on le fait réellement maintenant, on en parle tout le temps, comme si c'était la bonne idée. Mais on ne nous questionne pas sur le sens de la société, sur notre capacité à changer les choses, on ne nous questionne pas assez en

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    général dans ces études. J'ai quand même appris beaucoup, c'était intéressant, mais ça ne m'intéresse pas de m'intégrer dans une entreprise. Je suis quand même en train de faire un stage en développement durable, et j'ai du mal à savoir si c'est inutile ou pas. Est-ce que ça sert à quelque chose de faire du développement durable dans un musée ? De se battre au quotidien pour qu'il y ait plus de gobelets à la machine à café ? Est-ce que la solution c'est pas que le musée disparaisse ? Ou que le musée change de façon de fonctionner ? Parce que là ils sont complètement intégrés dans un système capitaliste où il faut gagner de l'argent à tout prix donc ils font des choses pas du tout vertueuses. Mais le but du musée est de présenter les nymphéas, c'est une oeuvre magnifique et je n'aimerais pas qu'elle disparaisse sous prétexte que la civilisation s'effondre. Mais tout ce qui est autour devrait disparaitre. Ils font des privatisations tout le temps... Il faudrait totalement repenser la façon de concevoir leur activité. Donc je ne sais pas trop si c'est utile ce que je fais. Je me dis que les gens en entendent parler tous les jours, que ça rentre petit à petit dans la tête.

    C'est difficile de convaincre les gens, et de ne pas être avec des personnes comme toi. Ça rend fou parce que j'ai l'impression que la question de l'environnement c'est le truc primordial aujourd'hui, que tu devrais te lever et penser à ça, te coucher et penser à ça. Du coup dans mon travail je suis complètement en décalage avec des gens qui n'imaginent pas du tout ça.

    Je ne sais pas du tout ce que je veux faire plus tard, ça me fait un peu flipper, mais je ne me pose pas la question sous le prisme à quel point c'est en lien avec l'environnement, mais plutôt si c'est nécessaire. Et en se posant cette question finalement ce qui me vient à l'esprit c'est faire de l'agriculture ou de la boulangerie. Parce qu'il faut manger !

    Engagement associatif

    Avenir Climatique : j'ai participé à l'ACademy, où j'ai été formée à faire une conférence sur les enjeux énergétiques et climatiques. J'ai intégré l'association en tant que bénévole et je me suis portée volontaire pour travailler sur le projet EduClimat qui développe des outils pédagogiques pour les jeunes autour des enjeux énergie climat. On est aussi en train d'organiser un tour de voile de sensibilisation en Bretagne, je suis pas mal mobilisée et motivée.

    Et je fais aussi partie du Pôle Jeune de la mission de France, où le but est de créer du lien.

    Engagement collectif :

    J'ai fait une marche, la grève des étudiants. Les boycotts, je n'ai pas participé directement à un truc organisé mais au final je le fais dans mon quotidien : je ne vais plus chez h&m, Zara... J'ai participé pour la 1ère fois à une action de désobéissance il y a peu. C'est super motivant. Je pense qu'il y a des actions qui peuvent être utiles. Ça peut faire se poser des questions. J'ai un ami qui travaille dans une banque qui a été bloquée, quand il a vu les vidéos du blocage il a dit « ça me donne envie de les bloquer plutôt que d'y travailler », et il y travaille quand même... Donc je me dis, est-ce qu'il n'y a pas un genre de dédoublement de personnalité entre ce qu'on fait et ce qu'on sait qu'on devrait faire. Mais c'est mieux que rien. C'est pas parce qu'on fait ça qu'on ne peut pas faire autre chose. Il faut faire tout à la fois.

    Je pense que le boycott peut réellement être utile. Une amie me racontait qu'au Maroc il y a eu un boycott contre Danone qui leur a vraiment posé des soucis. Je pense que ça peut être utile, mais ce qui est difficile c'est que si on fait nos courses en supermarché, de savoir ce qui appartient aux marques qu'on veut boycotter : parce que tout est Danone, tout est Unilever, tout est Kinder... Et ce n'est pas évident de le savoir.

    Après, le vote, en théorie ça devrait bien marcher...

    Autre type d'engagement :

    Le fait d'habiter en communauté, de créer du lien, de tenter de vivre avec bienveillance, je pense que c'est une forme d'engagement et des choses qu'il faut qu'on développe parce qu'on va en avoir besoin.

    Cheminement :

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    Mon père est horticulteur, depuis longtemps je passe mes étés à travailler dans ce domaine, mon père est passionné. Je pense que ma sensibilité vient de là au tout départ. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu une sensibilité, des écogestes, une civilité, qui relèvent plus de l'éducation (éteindre les lumières, fermer les portes, jeter ses déchets, bien trier, ne pas gaspiller...). Sûrement des choses que mes parents héritaient de vies moins aisées.

    Je me souviens aussi de quand je suis partie en Allemagne pendant 6 mois quand j'avais 12 ans. Ils étaient beaucoup plus avancés qu'en France, et quand j'étais revenue, j'avais raconté tout ça à mes parents (les papiers de cours recyclés par exemple). Je pense que ça m'a marquée aussi.

    Pendant ma terminale, je m'étais posé la question de l'humanitaire. Ce n'est pas directement de l'environne-ment, mais c'est super lié. C'était plus la question d'être utile. Je me souviens que pendant ma 2ème année d'IUT, il fallait qu'on fasse un projet professionnel, et j'avais parlé d'un projet humanitaire.

    Finalement je suis partie au Nicaragua pour faire de l'humanitaire. Ça a pas mal contribué à ma prise de conscience. Je me suis retrouvée avec un groupe de personnes avec des végétariens, branchés bio... J'avais du temps pour me renseigner, je me souviens que j'ai lu pas mal de trucs, je me suis pas mal intéressée au minimalisme, ça m'a passionnée, et quand je suis rentrée j'ai vidé tous mes placards, j'ai donné plein de trucs.

    En parallèle, je crois qu'il y a eu Instagram qui m'a sensibilisée. Bon c'est un peu la honte (rires). Au début je suivais des filles qui étaient en mode fitgirl, qui faisaient du sport et mangeaient healthy. Pas mal d'entre elles, il y a eu des évolutions de passage au végétarisme. En fait, j'ai l'impression que beaucoup de gens ont commencé à être sensibilisés par l'alimentation.

    En rentrant du Nicaragua, j'ai aussi commencé à chercher des études, que je ne savais pas trop nommer. Finalement j'ai trouvé un concept qui me plaisait : l'économie sociale et solidaire. J'ai commencé à chercher ça, au final il fallait attendre le master donc j'ai fait une licence bullshit de gestion à l'IAE. Là j'étais déjà végétarienne, sensibilisée, j'étais un peu catégorisée écolo déjà.

    Puis j'ai fait ce master de développement durable pour trouver plus de sens, il y avait beaucoup de cours qui m'intéressaient. Ce master m'a ouvert à une grande partie de ce qui a suivi. Je me suis retrouvée enfin avec des gens avec les mêmes idées et valeurs. Ça aide beaucoup d'être entourée et de se dire que si tu vas dans une direction, tu n'y vas pas tout seul. Je ne sais pas comment font les gens qui prennent conscience seuls. Mais je n'étais pas encore du tout consciente de tous les enjeux. Il y a encore 2 ans, au début du master j'avais conscience de certaines choses mais il y avait plein de choses que je ne savais pas du tout.

    Ensuite il y a eu Pablo Servigne, « Comment tout peut s'effondrer ». Et puis ça a été un peu comme les filtres facebook, tu t'intéresses à un truc et tu ne vois plus que ça. Ces théories, en même temps ça me parait évident, et en même temps je ne me l'imaginais pas il y a quelques temps. Ça a provoqué beaucoup de peine. C'était à la fois désespérant, à la fois enrageant de se dire qu'on est un peu seuls à se préoccuper de ça, et en même temps pourquoi je ne m'amuse pas comme tout le monde, et en même temps comment est-ce qu'on peut s'amuser alors qu'il y a ces questions-là. Et en même temps c'est quand même fou ce qu'on vit là, c'est aussi super fédérateur et motivant. C'est à la fois motivant et désespérant, mais ça ne laisse pas indifférent. Je pense qu'il y a vraiment un passage de se rendre compte de tout ça, et il est plus ou moins difficile selon comment on est entourés. En l'occurrence j'étais entourée, et c'est rassurant.

    On se fait à l'idée. C'est un peu comme un deuil je suppose. Il y a le début où c'est difficile, et puis après il faut continuer. Et aussi l'espoir des choses qui se passent autour de nous, de gens qui se motivent et qui sont prêts à changer les choses. A Avenir Climatique et autour de moi, le truc qui me fascine, ce sont les gens qui ont arrêté de travailler, sans avoir forcément de plan, mais juste parce que ce n'est pas possible de bosser dans une boite qui n'a pas de sens. Et ça, ça me fait vraiment un truc. Ça me donne de l'espoir, je me dis que je ne suis pas seule, que si je me lance dans une certaine « précarité » je ne le fais pas seule. Donc ça aide d'être entourée.

    Et il y a mon frère aussi, qui est sensibilisé depuis bien plus longtemps. Il n'y a pas longtemps, il m'a raconté quelque chose qui m'a fait réaliser ça : il y a quelques années, on était dans la voiture et il a dit « je ne veux pas aller au macdo parce que c'est le symbole du capitalisme » et soi-disant on se serait tous foutus de sa

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    gueule. Il m'a dit ça et j'arrivais pas à y croire. Donc il y a quand même mon frère qui est un modèle, qui est engagé depuis longtemps, qui est en avance sur moi dans ses idées, qui me semblaient folles avant et qui maintenant font sens.

    Emotions négatives

    La colère, souvent. La colère contre les autres, qui sont cons, et la colère contre moi-même qui suis peu indulgente et qui me permet de dire que les autres sont cons.

    La peine, la tristesse aussi. Parfois je lis des choses et ça me fait pleurer parce que c'est trop injuste. Les espèces animales en voie de disparition, ça peut me faire pleurer. De savoir comment on élève des animaux dans des abattoirs, ça peut me faire pleurer. Qu'il y ait des gens qui travaillent dans ces abattoirs, et qui ont soit pas le choix soit qui se rendent plus compte parce qu'ils sont victimes d'un système, ça aussi ça peut me faire pleurer. Donc oui, principalement la colère et la tristesse.

    Emotions positives

    Souvent l'excitation de créer un truc, d'être dans un énorme projet, de pas être seule et de créer du lien. J'ai rencontré tellement de gens cette année par ce biais-là, et la connexion est tellement intéressante par rapport aux gens avec qui je suis en stage par exemple, qui sont des gens trop gentils, mais il n'y a pas ce truc de partage.

    De l'espoir aussi.

    Et ça me donne envie d'essayer d'être plus dans la fraternité, d'être plus indulgente. J'essaie le plus possible d'être une bonne personne parce que c'est utile et qu'il faut que les gens soient comme ça pour l'avenir. Ça crée des moments de solidarités qui sont incroyables et source de joie, parfois.

    Changement personnel

    Oui, ça a changé plein de choses. Il y a plein de choses que je ne peux plus faire comme avant. Je suis beaucoup plus sensible, il y a plus de choses qui m'affectent. Et je pense que je suis plus capable de le dire. Je ne sais pas si c'est ma prise de conscience ou mon entourage. On est aussi dans des âges où on change beaucoup dont peut-être juste la maturité de devenir quelqu'un qui affirme ses sentiments même quand ils ne sont pas faciles à exprimer. En tout cas j'affirme plus mes émotions aujourd'hui, et elles sont souvent plus intenses, que ce soit dans la joie ou dans la peine.

    Ça a changé mes valeurs. Ma personnalité, je ne sais pas, mais ça me fait y travailler vraiment. Je me dis qu'il faut être moins égoïste, plus ouvert, concilient, tolérante, je me le dis pour tout ça aussi.

    Optimiste ou pessimiste

    Ça dépend ce que ça veut dire. Si être pessimiste c'est croire en l'effondrement, je suis pessimiste. Si on fait un bilan de ce qu'a fait l'être humain jusqu'à maintenant, on a quand même fait de la merde, et c'est difficile d'être optimiste.

    Mais les jeunes se bougent en ce moment, et je ne sais pas si tout le monde le fait avec sincérité ou si ça devient une mode, mais en tout cas il y a un truc à faire avec ça, et ça rend optimiste.

    Et il y a des moments où je me dis ce n'est pas possible... qu'est-ce qu'on peut faire de plus pour que ça rentre dans la tête des gens.

    Donc je ne sais pas, ça dépend des jours.

    Enfin si, je crois que j'ai envie d'être optimiste en tout cas. Parce que je suis relativement heureuse. Et c'est quand même optimiste de se dire que l'année prochaine je ne veux pas travailler parce que je veux faire autre chose parce que je cherche du sens. Ça veut dire que je crois qu'il y a du sens dans le fait de sortir de cette société. Donc que je crois qu'on peut en sortir et développer quelque chose.

    Vision dans 30 ans

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    J'espère que j'aurai des enfants. Je sais que c'est une question qu'il faudra se poser pour toutes les questions écologiques que ça pose. C'est difficile pour moi de m'imaginer sans famille. Je crois que je m'imagine vraiment dans le domaine agricole, dans la production ou dans la vente. En tout cas dans le local, pour moi c'est évident qu'on va y revenir. En même temps, c'est fou de se dire ce que ça va impliquer, les distances vont être de nouveau des vraies distances... C'est pas facile, comment on peut imaginer ce que c'est d'avoir 40 ans dans un monde aussi indécis ?

    Retour au mémoire

    Annexe 7 : Retranscription - Gaëlle

    J'ai 22 ans, je suis née à Orléans, j'ai vécu à Lyon, j'ai fait une prépa scientifique, puis j'ai été en école d'ingé-nieur à l'Ensta en région parisienne. Je suis partie pour un double diplôme pour faire mon master à Vienne parce que j'avais envie de voir autre chose. Entre l'ensta et le double diplôme, j'ai fait mon stage de recherche pendant 3 mois à Cardiff au Royaume-Uni. Puis j'ai fait 1 an et demi à Vienne où j'ai commencé à m'intéresser à ces enjeux. En ce moment je suis en stage en France au laboratoire des sciences du climat et de l'environne-ment (LSCE) et au laboratoire de météorologie dynamique. J'ai été prise en thèse pour l'année prochaine au LSCE, sur les modélisations du cycle du carbone et l'impact sur les calottes glaciaires.

    Connaissance des enjeux et sources d'information :

    Par rapport à la population générale, oui, très clairement. Après, je pense qu'il y a toujours des choses qu'on ignore. Je m'informe sur internet, en faisant des recherches. Je lis des livres en rapport. J'ai eu une grosse phase en mode binge watching d'informations, et maintenant je n'ai pas l'impression de m'informer au quotidien, de lire des articles déprimants au quotidien... J'ai un peu l'impression que j'en connais assez globalement, je suis plus trop dans la phase de recherche d'informations même si je le fais encore quand je veux me renseigner sur quelque chose de spécifique.

    Gravité des crises :

    Typiquement, sur la biodiversité, j'ai du mal à me rendre compte. De ce que je comprends de la biodiversité, c'est plein de choses qui interagissent, et t'en enlèves, t'en enlèves, t'en enlèves, et ça tient encore, jusqu'à un moment où il y a un effet de seuil. Donc ça j'ai du mal à m'en rendre compte, avec ces effets de seuil, on ne se rendra pas compte jusqu'à être devant le fait accompli. Je sais que c'est grave, 6ème extinction... mais en quoi ça nous affecte et à quel point ça va nous affecter... je pense beaucoup, mais j'ai du mal à me le représenter.

    Pour ce qui est changement climatique, j'ai aussi du mal à me le représenter, ça va dépendre tellement de ce qu'on fait dans le futur. 1,5, 2 degrés, je n'y crois pas trop. Mais il y a quand même de grosses différences avec les pires scénarios où c'est au moins +4 de moyenne. En fait, je ne me le représente pas par un truc de concret. J'ai capté que c'était la merde, mais j'ai du mal à la visualiser concrètement.

    Engagement quotidien :

    Pour les déplacements, j'ai arrêté l'avion. Pour l'alimentation, je suis végétalienne. Je mange des produits majoritairement bio, locaux, de saison et en vrac. Je fais pas mal de zéro déchet, je ne suis pas à 100% mais j'essaie de limiter au max. Pour la consommation, je n'achète plus grand-chose de neuf. Ça fait un an et quelques que je n'ai rien acheté de neuf. Après, typiquement, quand j'ai emménagé, j'ai voulu trouver de l'occasion mais j'ai dû acheter du neuf.

    Engagement métier/études :

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    C'est central, c'est une condition. Mais je suis clairement en dilemme intérieur en ce moment. Je voulais faire un stage orienté climat. La recherche pour moi c'était un moins pire par rapport aux métiers que j'aurais pu faire après une école d'ingé.

    La recherche en climat ça me permet d'apprendre des trucs, ça aide la recherche dans le domaine, ça a un impact carbone neutre, je ne me lève pas pour aider des entreprises à s'enrichir. Pour ma thèse, c'est partagé. Je me dis que chaque temps compte, et que les 8h par jour que je passe au bureau je pourrais les passer à autre chose. Est-ce que je ne ferais pas mieux de faire autre chose pendant ce temps ? Parce que certes je vais apprendre plein de choses sur mon sujet, mais la recherche c'est pas mal de temps devant un ordi à coder des trucs, à faire tourner des simulations, et pendant ce temps tu ne sensibilises pas grand monde.

    Chaque année compte. J'ai envie d'utiliser ce que je fais en thèse à l'extérieur.

    Engagement associatif :

    A Avenir climatique je suis engagée dans un projet qui d'appelle EduClimat, qui développe des outils pédagogiques autour des enjeux énergie-climat pour les jeunes de primaire, collège et lycée. Ça me prend beaucoup de temps.

    Engagement collectif :

    Non. Je suis allée une fois à la marche pour le climat. J'aimerais bien participer à une action de désobéissance civile, mais je n'ai pas encore eu l'occasion notamment par manque de temps et de disponibilité.

    Je pense que les petits pas et les actions personnelles ne suffisent pas. Je crois beaucoup dans l'éducation, et notamment chez les jeunes qui n'ont pas encore des années d'habitudes derrière eux. Il y a plus de gens végétariens autour de la vingtaine que de la trentaine. Cette petite dizaine d'années d'habitudes en plus fait la différence. Donc j'ai beaucoup confiance en l'éducation, en le fait que les jeunes peuvent changer en étant bien informés, et aussi faire changer leurs parents et leurs proches.

    Cheminement :

    Au début, je voulais travailler dans les énergies renouvelables, mais sans plus de connaissances sur le sujet. Ce qui a fait que j'ai commencé à vraiment m'intéresser à tout ça, c'est la viande. Une amie végétarienne m'avait expliqué pourquoi elle ne mangeait plus de viande. J'ai essayé d'arrêter, j'ai vu que ce n'était pas compliqué. Puis j'ai commencé à m'informer sur la question, à regarder des documentaires... Puis un peu plus sur l'environnement. Dans le groupe d'amis où j'étais, on parlait très peu de ces enjeux, ce n'était pas vraiment nos préoccupations. J'ai commencé à comprendre les effets des changements climatiques. Je suis allée calculer mon bilan carbone, et changé quelques petites choses.

    Je n'avais pas encore vraiment conscience des interconnexions, de toutes les crises. Au début de mon stage à Vienne j'ai arrêté de prendre l'avion en réalisant l'impact que ça avait.

    Puis j'ai lu le fameux bouquin de Pablo Servigne, d'autres sources, et j'ai commencé à comprendre que ce n'était pas juste un problème, que tout était connecté, que ce n'est pas juste un problème mais que toute la société, tout le système va mal. Pourquoi on travaille pour enrichir des grosses boites qui polluent, le côté de sens en général...

    J'étais avec des amis peu sensibilisés, je me sentais un peu seule. Ce n'était ni dur ni facile. J'ai l'impression que je me posais plein de questions intenses et assez dures pendant mes temps libres, mais à côté, le fait d'être avec des gens peu sensibilisés ça me permettait de me vider le cerveau. Donc finalement ça ne m'a pas tant pesé. Mais j'ai quand même ressenti le besoin de me rapprocher de personnes, de milieux qui me comprennent. J'ai cherché tout ce qui existait sur internet, et je suis tombée sur la page d'Avenir Climatique, et je me suis inscrit pour l'université d'été. C'était génial, parce que j'ai passé quand même 6 bons mois à être consciente de tout ça et à en parler à personne sauf à ma mère, et à mon copain, mais avec qui on n'était pas

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    forcément d'accord sur tout. Là, rencontrer que des gens où tu n'as pas besoin de te justifier sur ce que tu fais, où toutes les discussions t'intéressent... Ca a créé une émulsion. Et je me suis engagée dans EduClimat. Ensuite j'ai réussi à faire mon stage en lien avec ces enjeux. Mais je me pose encore des questions sur si c'est le plus utile.

    Donc pour résumer, j'ai d'abord eu une période « je peux faire des trucs pour protéger la planète et ça ne me demande pas trop d'effort, pourquoi pas le faire ». Donc je les ai faits, et j'ai eu besoin de convaincre les gens de les faire ce qui m'a menée à plus me renseigner et donc à prendre conscience notamment du changement climatique. Ensuite il y a eu l'étape où j'ai compris que tout était interconnecté, que c'était un énorme problème de société. Puis je suis passée de l'engagement personnel à l'engagement associatif. Enfin, mon engagement au sein du boulot est en cours et en cours de réflexion !

    Blocages :

    C'est compliqué à dire, mais les amis. On avançait plus du tout dans la même direction. La période où je m'in-téressais à ça et j'étais un peu la seule à m'intéresser à tout ça, ça m'a forcément « retardée » dans mon engagement. Il y a aussi le boulot, le manque de temps.

    Théories de l'effondrement :

    Je ne sais plus ce que j'en ai pensé au début. Mais sur le coup, je n'ai pas fini le bouquin, ça veut tout dire... Ca a un peu été un effondrement personnel. Une perte de sens. On t'a toujours dit il faut faire ça, avoir tel métier... Et en fait, tu réalises que ça n'a pas de sens, que notre société telle qu'elle est ne pourra pas continuer bien longtemps. Sans dire que je sois collapsologue, parce que je ne sais pas trop où me situer par rapport à ça, je ne suis pas en mode collapso à 100%. Mais c'est plus que ça permet d'avoir une prise de conscience que la société telle qu'elle est actuellement n'a pas beaucoup de sens et ne peut pas continuer indéfiniment comme ça, alors que c'est toujours ce qu'on nous a vendu. Donc ça a été un effondrement de mes propres convictions.

    Changement personnel :

    Je pense que des valeurs qui étaient déjà là se sont affirmées. La compassion, l'affirmation de mes convictions notamment.

    Emotions :

    Le fait d'avoir rencontré d'autres personnes ça a beaucoup enlevé les émotions négatives. Je pense que j'ai une visualisation dans ma tête du fait que ça ne va pas et qu'il faut agir. En agissant au max ça enlève bcp d'aspects négatifs. Depuis mon boulot, j'ai de nouveau des questionnements sur le sens qu'il a. Un sentiment de frustration. D'impuissance face à la norme sociale, car j'aimerais bien, mais ne me sens pas prête à tout quitter.

    Le fait de sentir mon impact fait se sentir mieux. Les moments où ça ne va pas, c'est plus sur des trucs précis et spécifiques. Par exemple à l'élection de Bolsonaro (président brésilien), je me suis sentie mal, je me suis dit « ah ouais on n'y arrivera jamais ». Ça arrive parfois. Mais j'arrive à être positive pas mon engagement et les proches. Il y a aussi la satisfaction de voir son impact sur les proches qui commencent à être sensibilisés et à changer.

    Il y a le côté humain et social de l'engagement associatif qui apporte beaucoup. D'un point de vue plus personnel, ça me permet d'apprendre plein de choses sur moi, sur le monde... C'est super enrichissant.

    Optimiste ou pessimiste :

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    Plutôt pessimiste. Ça dépend par rapport à quoi. On sait qu'il y aura forcément des problèmes, mais à voir jusqu'à quel point. Je pense qu'on peut changer bcp de choses par l'éducation des jeunes. Pour les gens de 30 ans et plus, j'y crois moins, et là je suis un peu plus pessimiste. Il y a un peu des deux.

    On a fait un week-end de travail avec EduClimat, où on a été à un festival. La question « Qui est-ce qui croit qu'on va s'en sortir ? » a été posée, et on est 2 à ne pas avoir levé la main. Pourtant on est le deux plus investis sur le projet. Au fond de nous, on n'y croit peut-être pas, mais on a peut-être d'autant plus envie d'agir.

    Et pour le futur j'ai peur de me mettre dans le moule alors que je n'ai pas envie. Pourquoi pas monter une ferme, vivre en autonomie, mais actuellement je ne serais pas prête à faire les démarches, j'attends plus que ça me « tombe » dessus, je serai facile à motiver ! J'envisage une vie pas classique, je ne sais pas encore ce que ça veut dire mais j'espère que je ne me laisserai pas prendre dans le moule.

    Vision dans 30 ans

    C'est compliqué de savoir à quel point les changements vont aller vite, ça dépend de ce qu'on va faire à très court terme. Je me vois vivre à la campagne, dans un écovillage, dans une communauté.

    Retour au mémoire

    Annexe 8 : Retranscription - Luc

    Présentation

    J'ai grandi à Toulouse jusque mes 18 ans. On était entre la ville et la campagne. Ma mère est professeur et mon père architecte, ma soeur est professeur des écoles également. J'ai fait une filière S, je suis parti à Bordeaux pour faire une prépa intégrée, où je suis resté 2 ans, avec un cursus général mais orienté scientifique. On avait un choix parmi 33 écoles, j'ai choisi l'école l'Ense3 (école de l'énergie, de l'eau et de l'environnement). A la différence des prépas classiques où tu as ton école par rapport au classement, tu choisis plus par rapport à ce que tu aimes, par rapport à tes préférences. Donc je suis parti faire 3 ans d'école d'ingénieur à Grenoble à l'ense3. On a pas mal approfondi les thématiques de l'énergie, où j'ai eu une première vue sur ces sujets-là. Il y avait aussi des conférences organisées par les alumnis. C'était une bonne initiation aux enjeux énergie et environnement.

    J'ai fait une année de césure où j'ai fait un stage sur l'électricité en Martinique, et j'ai fait un volontariat associatif de 3 mois à Madagascar où j'étais avec une ONG qui s'appelle « Hydraulique sans frontières » et j'ai aidé des villages dans l'apport de l'eau potable. Ça m'a pas mal ouvert l'esprit et requestionné sur ma vie en France. Tu relativises pas mal de choses. Aujourd'hui je suis consultant énergie-climat à B&L évolution et j'accompagne des territoires sur des plans climat.

    Connaissance et sources d'informations

    Je pense que oui à travers ma formation et mon métier. Un peu moins sur la dimension sociale. A la fin de mon stage de fin d'études, j'ai été un petit peu au chômage, j'ai pris un peu de vacances puis j'étais en recherche d'emploi. Du coup j'avais pas mal de temps pour moi, et j'ai passé pas mal de temps à regarder des vidéos sur internet style Thinkerview, autres podcasts, MOOCs... C'est très accessible sur internet donc ça va vite de vouloir s'informer sur des sujets que tu voudrais approfondir. J'ai été 3 mois au chômage et ça m'a permis de vraiment affiner et creuser le sujet, clairement. J'ai aussi pris beaucoup l'habitude de lire des livres de compréhension de l'histoire de l'humanité, sur la géopolitique... Des livres comme Sapiens, « Votre cerveau vous joue des tours », « Le petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens », Jancovici... Du coup je me documente principalement en lectures, pas mal de vidéos sur internet, j'essaie d'écouter des podcasts 34 fois par semaines, des MOOCs, des médias un peu (Le Monde), et de la veille sur des sujets qui m'intéressent à travers les alertes google.

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    Gravité des crises

    Comme je suis assez conscient des enjeux écologiques, énergétiques et du changement climatique, à travers ma formation, mon métier, mes proches et mon association, je pense que je suis pas mal au courant, et quand t'es pas mal au courant, t'as une vision plutôt pessimiste sur ce qui va arriver dans les 5, 10, 30, 50 ans à venir. Donc ma vision de la crise est plutôt pessimiste, j'ai l'impression qu'on fonce un peu dans le mur. Et ce n'est pas qu'une impression, c'est aussi un constat partagé par les scientifiques, notamment le GIEC. Donc ma vision est plutôt mitigée. Je pense qu'on peut s'en sortir, mais il faut remettre totalement en question le système, et même nous, l'humain, qu'on se remette en question sur ce qu'on fait. On consomme tout le temps, tous les jours. Si on veut s'en sortir, il faut remettre en question tout ça. Mais c'est super difficile de tout remettre en question.

    Engagement au quotidien

    La consommation est un des impacts les plus importants. Là-dessus, j'essaie de consommer de saison, local (périmètre Ile-de-France). J'ai réduit ma consommation de viande. Sur la consommation de biens en général, j'ai aussi réduit les biens électroniques. Sur la mobilité, je privilégie le train par rapport à l'avion et à la voiture. J'ai beaucoup pris l'avion pour des voyages. Cet été on devait partir avec ma bande d'amis. Ils voulaient partir au Costa Rica mais j'avais d'autres plans, comme un voyage à vélo en Europe. On a eu une grosse discussion tous ensemble, pas facile. Parce qu'il y en a qui disent qu'ils travaillent pour ça, pour pouvoir partir loin, s'éva-der, changer de culture... Et toi tu essaies de convaincre, mais c'est compliqué de faire le « relou ». Finalement on va partir en Andalousie et au Maroc en prenant le bateau, c'est un bon compromis. Sur le textile, je n'ai quasiment pas acheté de nouveaux habits, je réduis au maximum. Les choses les plus compliquées sont sur les vacances. Si tu veux partir avec des amis mais qu'ils sont moins sensibilisés, c'est compliqué, et vraiment source de frustration. Réduire totalement ma consommation de viande, je n'y suis pas encore tout à fait. Le reste, je le vis bien et ça ne me change pas grand-chose au final.

    Engagement dans le métier et études

    Dans mon métier, mon but est d'accompagner des collectivités à mettre en oeuvre la transition énergétique et atteindre la neutralité carbone d'ici 2050. On essaie de décliner les grandes stratégies nationales sur les territoires. On prend les thématiques mobilités et transports, bâtiments et habitat, agriculture et consommation, économie locale, et on essaie de voir comment réduire les consommations énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre (GES) sur le territoire. C'est aussi intéressant parce qu'on discute avec les élus, on voit leur point de vue, on voit comment ils seraient prêts à évoluer ou pas... On essaie au max de pousser des arguments pour faire bouger les choses. C'est super stimulant, ça me plait et je me vois faire ça toute ma vie parce que c'est un but à côté duquel on ne peut pas passer. Le cabinet dans lequel je suis est très investi dans ces thématiques, c'est plaisant de pouvoir en parler au quotidien et de pouvoir évoluer dans ce domaine. Même si au final quand t'en parles au boulot, chez toi, et que tu regardes des articles, t'écoutes des podcasts... c'est tout le temps présent au quotidien et t'as aussi envie de « déconnecter » un peu parfois. Sinon ça prend tout l'espace et la charge mentale. Je pense que c'est important d'avoir un peu de distance par rapport à ça de temps en temps parce que sinon c'est dur. En plus, quand t'es dans ta bulle, tu ne vois pas forcément le reste, tu penses que tout est partout comme ça alors que pas du tout.

    Engagement associatif

    J'ai vu AC et l'ACademy passer sur les fils d'actualités d'anciens de mon école. L'an dernier, j'avais envie de m'investir dans une asso pour apprendre, rencontrer des gens, échanger sur ces sujets, m'investir personnellement dans une cause. J'aimerais bien continuer à m'investir dans certains projets qui me tiennent à coeur et pour lesquels je pense qu'il faut persévérer, comme l'ACademy dont on a reçu la formation, et dont j'aimerais bien maintenant dispenser et transmettre les savoirs qu'on a appris, et aussi apprendre des nouveaux qui arrivent. Il y a aussi EduClimat qui est un projet pour accompagner les écoles et les professeurs pour enseigner

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    ces thématiques dans l'éducation nationale. C'est un projet qui a beaucoup d'ambition et qui peut avoir un énorme impact s'il est mené à bien, parce que tous les élèves en France seraient sensibilisés à ces sujets-là, et comme c'est eux qui détiennent les rênes de l'avenir, c'est un enjeu super important. Donc niveau asso, Avenir Climatique. Ça prend pas mal de temps, on peut s'investir sur différents projets, et si t'as des projets en tête, tu peux les proposer.

    Engagement collectif

    J'ai déjà fait des marches pour le climat, poussé des amis à les faire. A travers le vote, aux européennes ou autres élections. Sinon, je n'ai jamais fait d'actions de désobéissance civile. Ça fait un peu peur au premier regard, tu ne sais pas trop ce que c'est. C'est sur des journées de travail en général. C'est un engagement au stade supérieur, peut-être qu'à terme, si je trouve que ça a un impact, je m'y mettrai. Pour l'instant je ne me suis pas trop posé la question, je me dis c'est vachement extrême, tu te confrontes à des policiers, à des CRS... c'est le côté un peu extrême. Et pourtant, je pense que si j'avais en tête que ça pouvait avoir de l'impact, je m'y serais plus intéressé, je ne me suis pas trop posé la question encore. Ça va peut-être évoluer. C'est aussi le côté un peu illégal et image que tu donnes à la société. Ça fait un peu peur.

    Autre forme d'engagement

    Je réfléchis pas mal au sujet du voyage et de l'écologie. On en parlait, c'est difficile quand t'es dans une discussion avec des amis qui veulent partir loin, changer de culture... Du coup j'essaie de réfléchir à comment lier voyage et écologie, en essayant de voir les solutions de voyages écologiques disponibles. Si tu veux faire un super voyage pas très loin et bas carbone, est-ce que c'est attrayant ? Si oui, qu'est-ce qui existe déjà ? Si non, qu'est-ce qu'on pourrait mettre en place ? Je réfléchis à des types de voyages hyper motivants et enthousiasmants que tu puisses proposer à tes amis et qu'ils aient envie de le faire, et qui soient aussi respectueux de l'environnement. J'aimerais rendre le tourisme plus durable et attrayant. Y a du boulot !

    Toutes ces actions sont à mener en parallèle. Le plan climat, on ne peut pas le mettre en place sans l'accord et la participation des citoyens. Donc s'ils ne sont pas sensibilisés ou s'ils n'ont pas envie de mettre en place des choses, ça ne marchera pas. Donc c'est nécessaire de mettre les différents types d'actions en parallèle. Mais je pense que ce qui a beaucoup d'impact c'est le changement de mentalité des citoyens. Je me dis que si moi je réussis à faire ce cheminement, d'autres pourront aussi le faire, et si tout le monde arrive à la faire, on pourra ensuite mettre des moyens plus contraignants qui permettent vraiment de respecter ce qu'on doit faire pour rester en dessous des 1,5 ou 2 degrés.

    Cheminement

    Je pense que mon intérêt pour ces sujets a démarré assez tardivement, quand j'étais à l'école, mais c'était un peu en surface. Je n'avais jamais lu de livres, vu de vidéos... C'était une 1ère marche sur laquelle j'étais et du coup mon cerveau avait quand même en tête ces sujets-là. J'étais déjà un petit peu dans le mouvement, sans vraiment m'intéresser.

    Pendant mon année de césure, il y a eu mon voyage à Madagascar, où je suis parti 3 mois avec une association qui faisait des projets pour alimenter certains villages en eau potable. A Madagascar, 70% de la population vit en zone rurale, et souvent n'a pas accès à l'eau potable, à l'électricité, à des moyens de mobilité. Tu relativises sur tellement de choses que t'as et sur ton confort de vie et ton mode de vie européen. Il y a tellement de différences entre le mode de vie malgache et le mode de vie européen. Et par rapport au mode de vie qu'il faudrait avoir pour pouvoir rester en dessous de certains seuils qu'on ne devrait pas dépasser. Tu vois qu'il y a tout un tas de trucs qui ne sont pas nécessaires, qu'on fait parce que c'est dans la norme et dans le modèle sociétal, mais qui ne sont pas du tout obligatoires et sur lesquels on ne se pose pas de question. Pouvoir se déplacer, faire Paris Toulouse en train et mettre 4h, certains vont se plaindre parce que c'est trop long et vouloir prendre l'avion. Tu vas à Madagascar, si tu veux prendre un bus, il ne part pas tant qu'il n'est pas

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    rempli, donc tu ne sais pas quand tu pars, ça peut être dans 10min, dans 2h, dans 2 jours... En France tu as 5min de retard dans ton train SNCF et tout le monde pète un câble. Du coup tu relativises sur tout un tas de trucs et sur tout ton mode de vie. Tu te dis, est-ce qu'on a vraiment besoin de tout ça ? Autant consommer... Il y a tellement d'écart. Et au final, le bonheur n'est pas du tout inférieur à Madagascar, les gens sont plutôt heureux. Ça m'a fait beaucoup relativiser. Et pour la prise de conscience de notre surconsommation, de notre modèle, ça m'a fait remettre en question beaucoup de choses.

    Mais je pense que le gros déclic a été pendant mon chômage après mon stage de fin d'études, et que j'ai eu du temps. Je me suis inscrit à AC, et je me suis intéressé à ces sujets (écologie, énergie, théorie de l'effondre-ment...). Quand tu commences à écouter Jancovici, à lire sur le sujet, ça va vite. C'est un engrenage, tu t'inté-resses à d'autres sujets qui semblent un peu annexes mais qui vont ensemble et qui sont cohérents. Du coup je pense que la plus grosse période c'était quand j'étais au chômage. Ça m'a permis de beaucoup approfondir les sujets. Je me souviens que je disais à mes collocs « regardez cette vidéo »... Et eux me répondaient « je suis fatigué, je travaille demain, j'ai pas le temps ». Donc le temps est vraiment essentiel pour prendre conscience, et ce n'est pas donné à tout le monde. Je pense que c'était ça la grosse brique.

    Du coup après quand t'es dans le sujet, tu cherches un boulot en rapport avec ça, t'achètes des bouquins en rapport avec ça, Avenir Climatique tu rencontres plein de gens. C'est une sphère qui t'entraine dans ce mouvement, et qui est super intéressante, parce qu'à la fois c'est alarmant, et à la fois tu vois qu'il y a plein de choses à faire, et tu te dis « putain, on peut sauver le monde ». Après, on ne te dit pas vraiment on peut sauver le monde, mais en tout cas t'essaie de le faire. C'est le défi d'une vie, et c'est vraiment stimulant.

    Théories de l'effondrement

    J'ai regardé des vidéos de Pablo Servigne. Il était très paisible, factuel, et il a un ton très posé. Et ce qu'il disait était super intéressant. Après j'ai creusé un peu, j'ai lu son bouquin « Comment tout peut s'effondrer ». A Avenir Climatique aussi on en parle, on a des débats mouvants dessus, ça permet aussi d'approfondir le sujet. Quand t'es au courant que factuellement, on va dans la mauvaise direction à grande vitesse, c'est difficile après de se dire qu'on peut continuer comme ça. Et ça impacte toute ta vie en fait, parce qu'on fait des choses tout le temps qui ont des impacts, ça remet tout en question. Ça m'a aussi impacté dans le sens où j'en parle à mes amis. Emotionnellement aussi, forcément, quand tu vois ça, t'as pas une vision du futur super positive. Plutôt bon comment on peut vivre durablement et en accord avec notre environnement.

    Changement personnel

    Certains traits de personnalité ont changé, oui. Je parle beaucoup plus de ces sujets-là. Tu as tendance à tout ramener à ça, ce qui est positif et aussi négatif, parce que ça te fait de la charge mentale, et aussi parce que dans les discussions tu vas toujours ramener ça à ça, alors que des fois, t'es pas obligé de tout le temps en parler.

    Mais je reste pas mal optimiste, j'ai envie de faire bouger les choses. Ça me motive encore plus, parce que du coup tu te dis qu'on est au courant de ça, qu'on a quelques années pour mettre en place de grands changements, et c'est très stimulant. Ça stimule encore plus d'avoir un défi de cette ampleur, dont tout le monde n'a pas encore conscience, ce n'est pas une évidence pour tout le monde.

    Je suis très impacté par ce que je vois et ce que je lis. Quand je vois une vidéo, que je la trouve très intéressante, j'ai envie de la partager à tout le monde, de partager à tout le monde ce que j'ai appris ou retenu de cette vidéo. Donc le fait d'être proactif et d'en parler autour de toi, c'est une forme d'engagement, ça te donne des responsabilités et une mission d'exemplarité, les gens vont regarder ce que tu fais, te suivre parfois. Du coup ça influence aussi ma manière de faire, ma manière d'agir, parce qu'il faut être en accord avec ce que tu dis. Et donc ça m'engage et me sensibilise moi-même.

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    Emotions négatives

    Un peu de peur. Peur qu'on n'arrive pas à relever ce défi et des conséquences que ça peut engendrer sur des guerres, sur des populations, des minorités. Un peu de peur, et je n'ai pas envie que ça arrive.

    Un peu de frustration, parce qu'on nous le dit depuis longtemps, on sait aussi ce qu'on peut faire, mais c'est pas du tout une conscience partagée par tout le monde, et les règles ne sont pas à la hauteur. Donc de la frustration, parce que c'est chiant, ça fait chier.

    Quand t'es avec tes potes, avec tes parents, tu as l'impression de pas du tout être sur la même longueur d'onde. Ceux qui connaissent bien le sujet, ils ont des ordres de grandeurs, des idées que tout le monde ne connait pas. Donc t'as l'impression de rabâcher des trucs, t'as l'impression de passer un peu pour le rabat-joie.

    Emotions positives

    Tous les engagements que j'ai pris, j'en suis content. Je ne les vois pas du tout comme des obstacles, des freins, des contraintes. Je les vois plutôt comme des opportunités de faire des choses différemment, qui soient à la fois en accord avec tes valeurs, ce en quoi tu crois, avec les constats scientifiques. Ça procure du plaisir, de la satisfaction d'être en accord avec ces valeurs. T'as aussi des opportunités de redécouvrir plein de choses que t'aurais pas forcément pensé ou fait et qui vont être super et que tu vas vivre pleinement justement parce que c'est en accord avec tes valeurs.

    Autre chose, je trouve que c'est un énorme défi, et c'est très challengeant. Pouvoir être à la hauteur de ce défi et pouvoir répondre à certaines problématiques, c'est hyper stimulant. Moi, ça me stimule. Et comme c'est stimulant, ça me procure aussi pas mal de bien-être et de bonheur. J'ai envie qu'on réussisse. Je trouve que c'est aussi une belle aventure. Et on le voit, quand on est engagés avec des gens qui sont un peu pareil, il y a des moments où tu te dis on va révolutionner ça, on va écrire de nouveaux récits, on va repenser des modes de transports, du coup ça ouvre plein de nouvelles portes, de nouvelles opportunités et ça j'adore. Par exemple, dans le domaine du voyage, pour moi le but c'est de rendre le tourisme durable. Et pas de faire des agences de tourisme durable à côté du tourisme « normal » ; de rendre le tourisme durable. Du coup, ça implique tout un tas de choses sur lesquelles il faut réfléchir en profondeur. Orienter les gens sur ce type de tourisme, c'est super stimulant et tu peux trouver de nouvelles choses.

    Après, c'est aussi positif parce que tu as l'impression d'être un peu là en précurseur. T'as l'impression d'ap-porter quelque chose et de faire avancer les choses sur un sujet qui est hyper important. Il y a une part de fierté, et une satisfaction de transmettre des savoirs que j'ai sur le sujet que d'autres n'ont pas forcément.

    Optimiste ou pessimiste

    Je suis pessimiste dans le modèle actuel et comment on évolue et ce qui va arriver, on ne pourra pas trop l'éviter. Assez pessimiste parce que le modèle dans lequel on est tiré par la consommation, le capitalisme, et je ne vois pas trop comment on peut en sortir actuellement.

    Mais je suis assez optimiste sur le fait que la population humaine pourra prendre conscience de ces enjeux et avoir un chemin un peu spirituel et intérieur pour remettre en question le modèle dans lequel on est, et du coup faire un changement qu'on ne peut pas trop faire à l'heure actuelle, mais je pense que ça peut arriver. Je ne sais pas trop comment mais je pense que ça peut arriver, et il y a pas mal de gens qui travaillent pour que ça arrive. Il y a cette citation qui dit : « Ne doutez jamais qu'un petit groupe de personnes peuvent changer le monde. En fait, c'est toujours ainsi que le monde a changé ». Ça j'y crois.

    Vision dans 30 ans

    C'est difficile, tu as les images pessimistes mais peut-être plus réalistes, et tu as les images que t'aimerais avoir, où tu te dis qu'on aura réussi à effectuer les changements nécessaires. Je préfère avoir ces images-là. Ce serait beaucoup plus décentralisé, chacun profiterait d'un confort réduit mais suffisant. Dans 30 ans, j'ai-merais bien pouvoir vivre une vie hyper simple. Que tout le monde ait fait ce chemin intérieur de devoir consommer en respectant l'environnement. Qu'on n'ait pas besoin de restreindre ou forcer, que ce soit naturel.

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    J'aimerais que tout le monde soit conscient et ait fait un shift. Pour pouvoir ne pas lutter contre la société, mais faire ensemble. Mais on n'y est pas encore...

    Retour au mémoire

    Annexe 9 : Guide d'entretien - Guillaume Martin

    Thème

    Questions

    Mots clés

    Profil

    - Te présenter

    - Retracer ton cheminement écologique

    - Où tu en es aujourd'hui de ton engagement ?

    - Blocages / Déclics /Etapes

    - quotidien / professionnel / collectif

    Facteurs clés d'engagement Avenir Climatique

    Impact d'AC

    - est-ce qu'on a une idée des chiffes de personnes engagées activement à AC ?

    - façon dont AC t'a sensibilisé personnellement - est-ce qu'un travail d'étude d'impact sur les membres a déjà été réalisé ?

    Boucle d'engagement

    Changement de comportements

    Connaissances

    - place de la connaissance dans l'asso

    - quelle est la stratégie d'AC pour transmettre la connaissance de la façon la plus efficace pos- sible ?

    - recherche et amélioration continue

    Pédagogie active

    Participativité, proactivité Emulation, stimulant Echange de savoirs Ex : ACademy, fresque climat

    Acteur du change-
    ment, implication

    Comment AC réussit à impliquer des personnes, à les faire sentir acteurs au sein de l'asso et acteurs du changement ?

    Prise d'initiatives Autonomie

    Forums ouverts

    Monter en compétences

    Communauté, dé-

    sir

    - comment se traduit pour toi l'idée de commu- nauté, de famille ?

    - en quoi cela permet d'engager les gens plus faci- lement ?

    - quelles sont les conditions propices, qui favori- sent l'aspect familial ?

    Verres après event

    Créer des liens personnels Brises-glace

    Sentiment d'appartenance, ef-fet de groupe

    Confiance, solidarité

    Communication /
    valeurs

    Comment communiquer de façon à engager ? Quelles sont les valeurs qui te paraissent impor- tantes à porter par chacun pour créer une atmos- phère propice à l'engagement ?

    Signes de paroles Ouverture d'esprit Bienveillance

    Ecoute et compréhension

    Exemplarité

    Pourquoi penses-tu que c'est important et que ça puisse engager les gens ? Comment ça se concré- tise au sein de l'asso ?

    Actions (repas partagés, végé, moins de déchets...)

    Valeurs (solidarité, bienveillance, égalité H/F...)

    Emotions

    Quelle place laissée aux émotions dans l'asso ? Est-ce que tu penses que ce serait le rôle de l'asso d'accompagner les émotions et les personnes ? Ou c'est plutôt une démarche personnelle et qui peut se faire naturellement en tissant des liens ?

    Eco-psychologie Groupes de paroles Discussions internes

    Bilan

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    Résumé facteurs

    Est-ce que tu peux résumer tous les facteurs qui permettent à AC de favoriser des prises de conscience et engagement écologiques ?

     

    Facteurs clés

    Quels sont les facteurs d'engagement qui te pa-raissent les plus importants ?

     

    Limites

    Est-ce que tu vois des limites à tout ça ? pistes d'amélioration ?

    Inclusion d'autres milieux On reste dans un entre soi, au niveau des origines sociales aussi

    Des personnes peuvent se bloquer ?

    Retour au mémoire

    Annexe 10 : Synthèse d'entretien - Guillaume Martin

    Guillaume est membre actif d'Avenir Climatique depuis 6 ans. Il a 27 ans, un bac S et une formation d'ingé-nieur, et travaille dans le cabinet de conseil B&L Evolution, pour accompagner entreprises et territoires dans l'intégration des enjeux énergie/climat. Le but de cet entretien était de comprendre la vision qu'il avait des facteurs clés d'engagement d'Avenir Climatique. Ce document synthétise les points les plus importants et utiles qui sont ressortis de cet entretien vis-à-vis de mon objet d'étude.

    Estimation de l'impact d'Avenir Climatique

    Il n'y a aucune étude ou indicateur pour essayer de quantifier la force d'impact d'Avenir Climatique. Guillaume donne les estimations suivantes :

    - Sphère d'influence : entre 10 000 et 100 000 personnes (ayant été un jour touché par une action d'AC) - Sphère de contributeurs : entre 100 et 1000 personnes (ayant aidé, contribué ou porté un projet d'AC) - Sphères de membres actifs : entre 10 et 100 personnes (actives dans les projets de l'asso)

    Très difficile à estimer car de nombreuses personnes utilisent les outils d'AC sans qu'on le sache.

    Une stratégie pour engager des personnes au sein d'Avenir Climatique

    Il y a 3-4 ans, l'association a failli s'arrêter faute de membres, de moyens et d'énergie. Mais des membres se sont réunis et ont réfléchi à des façons d'aller au-delà de la sensibilisation en engageant des personnes. C'est de là que sont partis les projets de l'UEDAC et de l'ACademy, devenus deux projets phares de l'association, et les deux projets qui permettent d'engager des membres et d'augmenter les forces vives de l'association.

    Il y a plusieurs exemples de stratégies qui ont été pensées dans le but de « séduire » et d'engager des personnes. Par exemple, une grande importance est accordée aux repas de l'UEDAC et de l'ACademy. Il faut qu'elle soit à la fois en accord avec les valeurs de l'association (végétarien, bio, local) pour montrer l'exemple, mais aussi de qualité gustativement, pour associer cela à quelque chose de positif et le rendre désirable. Guillaume parle même de manipulation dans cette stratégie d'engagement, qui pour lui n'est pas un mot négatif. Il s'agit d'orienter des comportements, des conduites dans le sens qu'on désire et sans que la personne s'en rende compte, ce qui nous arrive tout le temps au quotidien, ce qui peut expliquer que le mot soit connoté négativement. Mais on peut manipuler à des fins utiles et positives.

    La connaissance et l'expertise technique de l'association

    Pour Guillaume, l'objectif clé de l'association est de donner les clés de compréhension des enjeux énergie-climat. L'association a été créée par un groupe d'ingénieur, et a en son coeur la rigueur technique et scientifique des messages et informations qu'elle porte et transmet.

    La compréhension des enjeux énergie-climat est donc centrale. Le fait de s'axer plus sur le constat que sur les solutions est volontaire : l'objectif est d'outiller les personnes pour qu'elles soient à même de prendre elles-

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    mêmes leurs décisions. « Dans la Big Conf, on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais on donne les clés pour que les personnes comprennent la situation et arrivent aux bonnes conclusions d'action tous seuls. Autre exemple : pour le bilan carbone, on ne dit pas ce qu'il faut faire, mais la personne regarde sa situation, où elle en est, et identifie elle-même les actions qui lui correspondent par rapport à la marge de manoeuvre qu'elle veut lui donner. »

    Convivialité et épanouissement au coeur de l'association

    L'épanouissement de chacun est aussi essentiel. En effet, un message porté par des personnes épanouies a plus de résonnance et d'impact. Surtout, le fait que les gens puissent s'épanouir et s'en rendent compte favorise leur engagement. « En termes d'identité, Avenir Climatique est vraiment une bande de potes. Les personnes prennent généralement beaucoup de temps de façon bénévole. C'est lié certes au message important qu'ils veulent passer, à la cause noble portée, mais s'ils le font c'est aussi parce qu'ils se sentent bien avec le reste des membres. Entre nous, on parle souvent de « communauté » ou de « famille » en parlant d'AC. La bière ou le verre de la soirée est aussi dans l'ADN de l'asso : après chaque événement AC (causerie, ACademy...), les membres vont prendre ensemble un verre. L'UEDAC aussi est un peu marketée. »

    L'exemplarité

    Ça relève de chaque individu dans l'association de véhiculer une certaine exemplarité, de montrer aux personnes que c'est possible.

    Laisser liberté et autonomie aux personnes

    Guillaume voit AC comme « un véhicule qui peut permettre aux gens de faire des choses autour de l'énergie et du climat ». « La seule chose dont on doit être garant est la justesse du discours d'un point de vue technique et scientifique, mais il est essentiel que les personnes se sentent libres de porter des projets de la façon qu'elles le souhaitent. C'est par exemple pour cela que la conclusion de TBC reste vague : pour laisser aux personnes la possibilité de la faire comme ils le souhaitent, de se l'approprier. C'est important que les gens adaptent même le contenu de la conférence pour se sentir à l'aise avec. Mettre plus ou moins d'émotions, parler de telle ou telle chose, parler de soi personnellement, être plutôt pessimiste ou plutôt optimiste... Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise façon de la faire, mais une bonne façon de la faire par rapport à toi, par rapport à ta personnalité, par rapport aussi au moment où tu en es dans ta vie... ».

    Modèle d'organisation horizontal

    « Avenir Climatique n'a pas d'organigramme, pas de bureau, pas de hiérarchie, pas de chef. Il y a des personnes qui sortent du lot pour gérer les choses, certaines font partie du CADAC. L'organisation se veut la plus horizontale possible, à la fois pour que l'association ne repose pas sur 1 ou 2 personnes, mais aussi et surtout pour que chacun se sente libre et légitime de faire des choses, sans avoir à rendre de comptes. »

    « Il y a des limites à cette organisation, ce n'est pas facile à mettre en place. On est dans une société tellement habituée à des rôles définis, des responsabilités et de la hiérarchie, que quand on essaie de construire quelque chose d'horizontal et où les responsabilités sont éclatées, il y a des difficultés. Ce n'est pas dans notre ADN, c'est un apprentissage qu'il faut faire. C'est parfois flou sur les responsabilités, ça peut créer un peu de mal-être pour certaines personnes. » Guillaume donne un exemple qui l'a marqué. A l'UEDAC il y a un atelier « présenter AC », et aucun organisateur ne voulait l'animer, alors qu'ils étaient dans l'association depuis 3-4 ans ; certains ne se sentaient pas légitimes. C'est aussi quelque chose de personnel, certaines personnes ne se sentent pas à l'aise avec ce genre d'exercice, ont besoin d'être préparées. C'est pour cela que l'association essaie de faire des fiches d'animation, pour que tout le monde s'y retrouve. Mais il manque encore de la formalisation.

    Une place croissante mais encore faible laissée aux émotions

    « Historiquement, AC est une association d'ingénieurs un peu « froids et renfermés ». Ça a beaucoup changé dernièrement, avec des personnes qui ont amené de l'émotion, de la culture, des éléments un peu moins « rationnels » dans l'asso et dans les projets. »

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    Guillaume explique qu'un de ses ateliers préférés à l'ACademy est celui des « sensibilisateurs anonymes », où les participants échangent sur leurs difficultés à convaincre, à vivre leur engagement. « C'est en fait un atelier qui a été complètement improvisé il y a deux ans ; il y avait beaucoup de discussions, les gens étaient très émotionnels, on a ressenti le besoin de faire ça. Et depuis, c'est resté ! »

    Selon lui, l'approche des émotions et l'approche plus technique et rationnelle ne touchent pas les mêmes personnes, elles sont complémentaires et non opposables.

    Mais de façon générale, dans les projets de l'association, il y a peu de choses qui s'éloignent du rationnel. Pour Guillaume, le côté rationnel et technique doit rester le coeur de l'asso ; il ne faudrait pas perdre l'expertise et la capacité technique d'AC qui fait son identité.

    Ouverture d'esprit

    « Je ne pense pas qu'on soit assez ouverts d'esprit à AC. Sous couvert de bienveillance, il y a des moments où ce n'est pas le cas. » Guillaume se rappelle un moment marquant du WE3 pour illustrer ses propos. Lors de l'atelier des sensibilisateurs anonyme, où chacun pouvait exprimer ses difficultés au quotidien, une personne parlait de sa difficulté à cuisiner elle-même par manque de temps. Elle a alors évoqué l'idée de faire payer quelqu'un pour faire ses courses ou sa cuisine. « Elle s'est pris un mur dans la gueule, avec beaucoup de pression sociale, des gens presque agressifs sans s'en rendre compte. Donc j'ai l'impression qu'on n'est parfois pas si ouverts que ça ».

    « Il y a aussi des personnes qui m'ont déjà fait remonter des choses. Notamment des gens qui ne viennent pas du même milieu social ou culturel, et qui ont du mal à s'intégrer au sein d'AC, et qui d'ailleurs ne se sont pas intégrés au sein d'AC. Par exemple, au WE1, il est arrivé que des personnes soient venues voir les organisateurs pour savoir s'ils pouvaient aller acheter un sandwich car ils avaient envie de viande. Et ces personnes ne sont pas revenues au week-end suivant. On a toujours des pertes de charge. »

    « L'association se veut apartisane, mais les individus sont ancrés politiquement d'un certain côté du débat, ce qui peut bloquer des personnes. Il faut que des gens incarnent cette ouverture d'esprit dans la parole. De la même façon qu'il y a des gens de l'association qui incarnent le féminisme. Il y a eu aussi un moment où des personnes se sont posé des questions sur tout ce qui est distribution de la parole, comment incarner ça. Car ce n'est pas parce qu'on a appris 3 gestes qu'on sait faire de la communication non violente. Il faut former des gens, aller chercher des expertises, s'inspirer d'autres organisations... »

    « On fait au mieux, mais il ne faut pas se gargariser de ça car c'est loin d'être le cas. Nous ne sommes pas exemplaires, et il y a des effets culturels qu'on ne maîtrise pas. Dans la plupart des cas il n'y a pas de problème, mais cela peut arriver, et c'est important de garder un regard critique ».

    Biais de représentation

    Guillaume parle aussi d'un biais de représentation très important lié aux catégories socio-professionnelles des membres.

    Par exemple, le carbone à ras ne peut pas être animé dans un milieu social difficile. Il y a des vignettes avec 350€ de matériel informatique, avec des voyages en avion... Ce qui est loin de la réalité de beaucoup de personnes. « On a quand même ancré tous nos outils pour un certain milieu, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi, mais il faut en avoir conscience et ne pas se sentir universel ».

    Le coeur de cible d'AC reste les étudiants du supérieur qui sont entre les études et la vie professionnelle. Pour Guillaume, si AC veut toucher d'autres publics, il faudra qu'elle le fasse avec d'autres organisations.

    Il explique que c'est tout de même bien de tester des choses avec AC, mais il le voit plus comme une façon d'augmenter l'apprentissage des membres : en se confrontant à des publics différents, ils peuvent aussi évoluer et s'enrichir. Mais pour lui, ce n'est pas AC qui maximisera l'impact sur des catégories sociales inférieures. « Ce n'est pas dans notre identité, et c'est tout un métier. Il faudrait le faire avec d'autres assos qui ont cette expertise et ce savoir-faire. Travailler avec d'autres assos pour adapter nos outils, avec leur expertise, oui. Mais transformer AC, non. » Chacun peut aussi, au sein de l'asso, adapter les outils en fonction du public, ce qui est déjà fait.

    117

    Un impact surtout pour les membres

    « Dans tout projet associatif, on est convaincu d'avoir un réel impact, c'est ça qui fait avancer. Quand on fait une Big Conf, on est souvent convaincu d'avoir un vrai impact sur les personnes extérieures. Or le vrai impact, c'est surtout sur ceux qui font la conf. L'impact des projets est finalement faible, mais l'impact sur les individus qui les portent est considérable. Pendant toute leur vie ils auront ce marquage. »

    Retour au mémoire Questionnaire

    Annexe 11 : Méthodologie de la répartition des groupes Retour au mémoire

    Question

    Possibilités de ré-
    ponses

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    Quel est selon toi le degré de gravité des crises so- cio-écologiques ?

    1 à 10

    En dessous
    de 6

    7 et 8

    9 et 10

    Que penses-tu du déve- loppement durable ?

    Réponse libre

    Avis négatif

    Avis très positif

    Avis positif sur le
    principe, critique
    dans la réalité

    Penses-tu avoir personnellement un rôle à jouer pour faire face aux crises socio-écologiques ?

    Réponse libre

    Non

    Oui mais mi-
    nime

    Oui

    Moyenne niveau de prise de conscience

    Note de 1 à 3

    Pour chaque type d'enga- gement, indique à quel degré tu penses te situer

    Pas engagé / peu en-
    gagé / engagé / très en-
    gagé / engagé à fond

    Pas engagé

    Peu engagé

    Très engagé et
    engagé à fond

    Engagement profession- nel

    idem

    Pas engagé

    Peu engagé

    Très engagé et
    engagé à fond

    Engagement associatif

    idem

    Pas engagé

    Peu engagé

    Très engagé et
    engagé à fond

    Engagement militant

    idem

    Pas engagé

    Peu engagé

    Très engagé et
    engagé à fond

    Moyenne niveau d'enga-gement

    Note de 1 à 3

    TOTAL

    Moyenne niveau de prise de conscience + en-
    gagement

    2 personnes

    80 personnes

    105 personnes

    Annexe 12 : Profil des répondants Retour au mémoire

    118

    119

    Retour au mémoire

    Annexe 13 : Réponses - Conscience et connaissance des enjeux

    Quel est selon toi le degré de gravité des crises socio-écologiques que nous traversons ?

     

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    Moyenne

    9,07/10

    3,5/10

    8,56/10

    9,56/10

    Pour chaque hypothèse, indique le degré de probabilité que tu y accordes

    Nous allons réussir à mettre en oeuvre une transition écologique et solidaire

     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

    Groupe 3

    Improbable ou peu probable

    62%

     

    50%

     

    58%

    67%

    Improbable

     

    14% (26)

     

    50%

    13% (10)

    15% (15)

    Peu probable

     

    48% (90)

     
     

    45% (35)

    52% (54)

    Probable, très probable ou cer- tain

    38%

     

    50%

     

    42%

    33%

    Probable

     

    34% (63)

     

    50%

    36% (28)

    32% (33)

    Très probable

     

    3% (6)

     
     

    6% (5)

    0% (0)

    Certain

     

    1% (1)

     
     

    0% (0)

    1% (1)

    Nous allons développer des innovations technologiques qui permettront de faire face aux changements climatiques

     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

    Groupe 3

    Improbable ou peu probable

    57%

     

    0%

     

    39%

    74%

    Improbable

     

    26% (49)

     
     

    18% (14)

    34% (35)

    Peu probable

     

    31% (57)

     
     

    21% (16)

    40% (41)

    Probable, très probable ou cer- tain

    40%

     

    100%

     

    61%

    26%

    Probable

     

    30% (55)

     

    50%

    40% (31)

    21% (22)

    Très probable

     

    10% (19)

     
     

    17% (13)

    4% (4)

    Certain

     

    3% (5)

     

    50%

    4% (3)

    1% (1)

    Nos civilisations vont s'effondrer dans les décennies à venir

     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

    Groupe 3

     

    Improbable ou peu probable

    18%

     

    100%

     

    33%

    6%

     

    Improbable

     

    3% (6)

     

    50%

    5% (4)

     

    1% (1)

    Peu probable

     

    15% (28)

     

    50%

    28% (22)

     

    5% (5)

    120

    Probable, très probable ou cer-tain

    82%

     
     

    0%

    67%

     

    95%

     
     

    Probable

     

    41%

    (76)

     
     

    42% (33)

     

    42%

    (43)

    Très probable

     

    28%

    (51)

     
     

    16% (13)

     

    36%

    (37)

    Certain

     

    13%

    (24)

     
     

    9% (7)

     

    17%

    (17)

    Il va y avoir une mobilisation et une révolution sans précédent de la société civile qui permettront de mettre en place des changements radi-

    caux

     

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    Improbable ou peu probable

    42%

     

    50%

     

    48%

    38%

    Improbable

     

    8% (14)

     

    50%

    10% (8)

    5% (5)

    Peu probable

     

    34% (63)

     
     

    38% (29)

    33% (34)

    Probable, très probable ou cer- tain

    59%

     

    50%

     

    52%

    62%

    Probable

     

    35% (64)

     
     

    30% (23)

    39% (40)

    Très probable

     

    19% (35)

     
     

    16% (12)

    19% (20)

    Certain

     

    5% (9)

     

    50%

    6% (5)

    4% (4)

    Pour chaque type d'acteur, quelle confiance leur accordes-tu pour faire changer les choses ?

    Instances institutionnelles (échelle internationale)

     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe

    1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    84%

     
     

    100%

     
     

    76%

     
     

    89%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    35%

    (65)

     

    50%

    (1)

     

    30%

    (24)

     

    38%

    (40)

    Plutôt pas confiance

     

    49%

    (91)

     

    50%

    (1)

     

    46%

    (37)

     

    50%

    (53)

    Confiance ou grande confiance

    15%

     
     

    0%

     
     

    22%

     
     

    10%

     
     

    Plutôt confiance

     

    13%

    (25)

     

    0%

    (0)

     

    18%

    (14)

     

    10%

    (11)

    Grande confiance

     

    2% (3)

     

    0%

    (0)

     

    4% (3)

     

    0% (0)

    Je ne sais pas

    1%

     
     

    0%

     
     

    2%

     
     

    1%

     
     

    Instances institutionnelles (échelle européenne)

     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    74%

     
     

    50%

     
     

    64%

     
     

    82%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    27%

    (51)

     

    50%

    (1)

     

    23%

    (18)

     

    30%

    (32)

    Plutôt pas confiance

     

    47%

    (87)

     

    0%

    (0)

     

    41%

    (33)

     

    51%

    (54)

    Confiance ou grande confiance

    25%

     
     

    50%

     
     

    35%

     
     

    17%

     
     

    Plutôt confiance

     

    25%

    (47)

     

    50%

    (1)

     

    35%

    (28)

     

    17%

    (18)

    Grande confiance

     

    0% (0)

     

    0%

    (0)

     

    0% (0)

     

    0% (0)

    Je ne sais pas

    1%

     
     

    0%

     
     

    1%

     
     

    1%

     
     

    Instances institutionnelles (échelle nationale)

     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    75%

     
     

    50%

     
     

    64%

     
     

    85%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    28%

    (52)

     

    50%

    (1)

     

    30%

    (24)

     

    26%

    (27)

    Plutôt pas confiance

     

    47%

    (89)

     

    0%

    (0)

     

    34%

    (27)

     

    59%

    (62)

    Confiance ou grande confiance

    25%

     
     

    0%

     
     

    35%

     
     

    15%

     
     

    Plutôt confiance

     

    24%

    (44)

     

    50%

    (1)

     

    35%

    (28)

     

    14%

    (15)

     

    Grande confiance

     

    1% (1)

     

    0%

    (0)

     

    0% (0)

     

    1% (1)

    Je ne sais pas

    0%

     
     

    0%

     
     

    1%

     
     

    0%

     
     

    Instances institutionnelles (échelle locale)

     
     
     
     
     

    Global

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    28%

    50%

     
     

    33%

     
     

    25%

     
     

    Pas du tout confiance

    5% (10)

     

    0%

    (0)

     

    5%

    (4)

     

    6%

    (6)

    Plutôt pas confiance

    23% (43)

     

    50%

    (1)

     

    28%

    (22)

     

    19%

    (20)

    Confiance ou grande confiance

    69%

    50%

     
     

    67%

     
     

    72%

     
     

    Plutôt confiance

    54% (101)

     

    50%

    (1)

     

    48%

    (38)

     

    59%

    (62)

    Grande confiance

    15% (29)

     

    0%

    (0)

     

    19%

    (15)

     

    13%

    (14)

    Je ne sais pas

    3%

    0%

     
     

    1%

     
     

    3%

     
     

    Entreprises (multinationales)

     
     
     
     

    Global

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    88%

    100%

     

    82%

     

    94%

     

    Pas du tout confiance

    63% (118)

    0%

    (0)

    49%

    (39)

    75%

    (79)

    Plutôt pas confiance

    25% (46)

    100%

    (0)

    33%

    (26)

    19%

    (20)

    121

    Confiance ou grande confiance

    11%

     

    0%

     

    16%

     

    6%

     

    Plutôt confiance

     

    10% (18)

     

    0% (0)

     

    15% (12)

     

    6% (6)

    Grande confiance

     

    1% (1)

     

    0% (0)

     

    1% (1)

     

    0% (0)

    Je ne sais pas

    1%

     

    0%

     

    2%

     

    0%

     
     

    Entreprises (petites et moyennes)

     
     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe

    1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    56%

     
     

    0%

     
     

    59%

     
     

    56%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    12%

    (23)

     

    0%

    (0)

     

    16%

    (13)

     

    10%

    (10)

    Plutôt pas confiance

     

    44%

    (83)

     

    0%

    (0)

     

    43%

    (34)

     

    47%

    (49)

    Confiance ou grande confiance

    43%

     
     

    100%

     
     

    41%

     
     

    43%

     
     

    Plutôt confiance

     

    36%

    (68)

     

    50%

    (1)

     

    35%

    (28)

     

    37%

    (39)

    Grande confiance

     

    7%

    (12)

     

    50%

    (1)

     

    6% (5)

     

    6% (6)

    Je ne sais pas

    1%

     
     

    0%

     
     

    0%

     
     

    1%

     
     
     
     

    Entreprises (start-ups)

     
     
     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe

    1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    50%

     
     

    100%

     
     

    37%

     
     

    61%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    19%

    (36)

     

    50%

    (0)

     

    18%

    (14)

     

    21%

    (22)

    Plutôt pas confiance

     

    31%

    (57)

     

    50%

    (0)

     

    19%

    (15)

     

    40%

    (42)

    Confiance ou grande confiance

    45%

     
     

    0%

     
     

    61%

     
     

    35%

     
     

    Plutôt confiance

     

    36%

    (68)

     

    0%

    (0)

     

    43%

    (34)

     

    32%

    (34)

    Grande confiance

     

    9%

    (17)

     

    0%

    (0)

     

    18%

    (14)

     

    3% (3)

    Je ne sais pas

    5%

     
     

    0%

     
     

    3%

     
     

    4%

     
     

    Recherche et développement (innovations technologiques)

     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    42%

     
     

    0%

     
     

    28%

     
     

    54%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    16%

    (31)

     

    0%

    (0)

     

    13%

    (10)

     

    20%

    (21)

    Plutôt pas confiance

     

    26%

    (48)

     

    0%

    (0)

     

    15%

    (12)

     

    34%

    (36)

    Confiance ou grande confiance

    56%

     
     

    100%

     
     

    70%

     
     

    44%

     
     

    Plutôt confiance

     

    41%

    (76)

     

    100%

    (2)

     

    46%

    (37)

     

    35%

    (37)

    Grande confiance

     

    15%

    (28)

     

    0%

    (0)

     

    24%

    (19)

     

    9% (9)

    Je ne sais pas

    2%

     
     

    0%

     
     

    2%

     
     

    2%

     
     

    Associations (lobbying, sensibilisation, protection...)

     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

    Pas ou peu confiance

    24%

     
     

    50%

     
     

    31%

     
     

    15%

     

    Pas du tout confiance

     

    9%

    (17)

     

    50%

    (1)

     

    11%

    (9)

     

    7% (7)

    Plutôt pas confiance

     

    15%

    (28)

     

    0%

    (0)

     

    20%

    (16)

     

    9% (9)

    Confiance ou grande confiance

    73%

     
     

    50%

     
     

    65%

     
     

    80%

     

    Plutôt confiance

     

    47%

    (88)

     

    50%

    (1)

     

    46%

    (37)

     

    48% (50)

    Grande confiance

     

    26%

    (49)

     

    0%

    (0)

     

    19%

    (15)

     

    32% (34)

    Je ne sais pas

    3%

     
     

    0%

     
     

    4%

     
     

    5%

     

    Société civile (actions militantes : boycotts, désobéissances civile...)

     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

    Pas ou peu confiance

    14%

     
     

    100%

     
     

    21%

     
     

    7%

     

    Pas du tout confiance

     

    4%

    (8)

     

    100%

    (2)

     

    5%

    (4)

     

    2% (2)

    Plutôt pas confiance

     

    10%

    (18)

     

    0%

    (0)

     

    16%

    (13)

     

    5% (5)

    Confiance ou grande confiance

    79%

     
     

    0%

     
     

    73%

     
     

    85%

     

    Plutôt confiance

     

    34%

    (63)

     

    0%

    (0)

     

    40%

    (32)

     

    30% (31)

    Grande confiance

     

    45%

    (84)

     

    0%

    (0)

     

    33%

    (26)

     

    55% (58)

    Je ne sais pas

    7%

     
     

    0%

     
     

    6%

     
     

    9%

     

    Individu (éco-gestes : tri, conso d'énergie, d'eau...)

     
     
     
     
     

    Global

     
     

    Groupe

    1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    26%

     
     

    0%

     
     

    22%

     
     

    30%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    6%

    (11)

     

    0%

    (0)

     

    4%

    (3)

     

    8%

    (8)

    Plutôt pas confiance

     

    20%

    (37)

     

    0%

    (0)

     

    18%

    (14)

     

    22%

    (23)

    Confiance ou grande confiance

    71%

     
     

    100%

     
     

    76%

     
     

    68%

     
     

    Plutôt confiance

     

    46%

    (86)

     

    50%

    (1)

     

    46%

    (37)

     

    46%

    (48)

    Grande confiance

     

    25%

    (47)

     

    50%

    (1)

     

    30%

    (24)

     

    22%

    (23)

     

    Je ne sais pas

    3%

     
     

    0%

     
     

    2%

     
     

    3%

     
     

    Individu (choix de consommation : consommer moins et mieux)

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    122

    Pas ou peu confiance

    24%

     
     

    0%

     
     

    24%

     
     

    24%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    4%

    (7)

     

    0%

    (0)

     

    3%

    (2)

     

    5%

    (5)

    Plutôt pas confiance

     

    20%

    (37)

     

    0%

    (0)

     

    21%

    (17)

     

    19%

    (20)

    Confiance ou grande confiance

    72%

     
     

    50%

     
     

    71%

     
     

    73%

     
     

    Plutôt confiance

     

    44%

    (83)

     

    0%

    (0)

     

    45%

    (36)

     

    45%

    (47)

    Grande confiance

     

    28%

    (52)

     

    50%

    (1)

     

    26%

    (21)

     

    29%

    (30)

    Je ne sais pas

    4%

     
     

    50%

     
     

    5%

     
     

    3%

     
     

    Individu (philosophie de vie et changement de mentalités)

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

    Groupe 3

     

    Pas ou peu confiance

    27%

     

    0%

     

    30%

     

    26%

     
     

    Pas du tout confiance

     

    5% (9)

     

    0% (0)

     

    6% (5)

     

    4%

    (4)

    Plutôt pas confiance

     

    22% (42)

     

    0% (0)

     

    24% (19)

     

    22%

    (23)

    Confiance ou grande confiance

    60%

     

    0%

     

    66%

     

    67%

     
     

    Plutôt confiance

     

    36% (68)

     

    0% (0)

     

    43% (34)

     

    32%

    (34)

    Grande confiance

     

    24% (44)

     

    0% (0)

     

    23% (18)

     

    34%

    (36)

    Je ne sais pas

    13%

     

    100%

     

    5%

     

    8%

     
     

    Parmi les mouvements politiques suivants, lequel se rapproche le plus de tes convictions ?

     

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    Urgence Ecologie

    24%

    0%

    15%

    30%

    Europe Ecologie les Verts

    22%

    0%

    25%

    21%

    La France Insoumise

    11%

    0%

    4%

    16%

    La République en Marche

    9%

    0%

    19%

    2%

    Le parti socialiste

    3%

     

    4%

    3%

    Autre parti

    2%

     

    3%

    10%

    Aucun / Ne sait pas

    19%

    100%

    30%

    18%

    Penses-tu avoir personnellement un rôle à jouer pour faire face aux crises socio-écologiques ?

     

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    Oui

    79%

    0%

    75%

    83%

    Oui mais minime

    18%

    50%

    20%

    15%

    Non

    4%

    50%

    5%

    2%

    Retour au mémoire

    Annexe 14 : Réponses - Niveau d'engagement

    Pour chaque type d'engagement, indique à quel degré tu penses te situer

    Au quotidien

     
     

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    6%

     

    11%

    1%

     

    Pas engagé

    0% (0)

     

    0% (0)

     

    0% (0)

    Peu engagé

    6% (12)

     

    14% (11)

     

    1% (1)

    Engagé

    38%

    100%

    56%

    22%

     

    Très engagé

    56%

     

    31%

    77%

     

    Très engagé

    41% (77)

     

    23% (18)

     

    56% (59)

    Engagé à fond

    15% (28)

     

    8% (6)

     

    21% (22)

     

    Métier ou études

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    29%

     

    50%

     

    44%

     

    18%

     

    Pas engagé

     

    5% (10)

     
     
     

    10% (8)

     

    2% (2)

    Peu engagé

     

    24% (44)

     

    50% (1)

     

    34% (27)

     

    16% (17)

    Engagé

    28%

     

    50%

     

    34%

     

    24%

     

    Très engagé

    43%

     

    0%

     

    23%

     

    58%

     

    Très engagé

     

    26% (48)

     
     
     

    15% (12)

     

    34% (36)

    Engagé à fond

     

    17% (31)

     
     
     

    8% (6)

     

    24% (25)

    123

     

    Associatif

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    52%

     

    100%

     

    74%

     

    34%

     

    Pas engagé

     

    28% (53)

     

    100% (2)

     

    52% (42)

     

    9% (9)

    Peu engagé

     

    24% (44)

     
     
     

    22% (18)

     

    25% (26)

    Engagé

    23%

     

    0%

     

    21%

     

    25%

     

    Très engagé

    25%

     

    0%

     

    4%

     

    42%

     

    Très engagé.e

     

    15% (29)

     
     
     

    4% (3)

     

    25% (26)

    Engagé.e à fond

     

    10% (18)

     
     
     

    0% (0)

     

    17% (18)

     

    Militant / Collectif

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    59%

     

    100%

     

    90%

     

    34%

     

    Pas engagé

     

    26% (48)

     

    100% (2)

     

    54% (43)

     

    3% (3)

    Peu engagé

     

    33% (62)

     
     
     

    36% (29)

     

    31% (33)

    Engagé

    24%

     
     
     

    10%

     

    35%

     

    Très engagé

    17%

     
     
     

    0%

     

    30%

     

    Très engagé

     

    11% (21)

     
     
     

    0% (0)

     

    20% (21)

    Engagé à fond

     

    6% (31)

     
     
     

    0% (0)

     

    10% (11)

    Mode de vie : pour chaque action ou forme d'engagement, indique à quel degré tu penses te situer

     

    Trier mes déchets

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    6%

     
     
     

    9%

     

    3%

     

    Pas engagé

     

    1%

     
     
     

    0%

     

    1%

    Peu engagé

     

    5%

     
     
     

    9%

     

    2%

    Engagé

    24%

     

    50%

     

    31%

     

    19%

     

    Très engagé

    70%

     

    50%

     

    60%

     

    78%

     

    Très engagé

     

    30%

     
     
     

    30%

     

    30%

    Engagé à fond

     

    40%

     

    50%

     

    30%

     

    48%

     

    Réduire mes déchets

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    7%

     
     
     

    14%

     

    2%

     

    Pas engagé

     

    1%

     
     
     

    0%

     

    1%

    Peu engagé

     

    6%

     
     
     

    14%

     

    1%

    Engagé

    34%

     

    50%

     

    44%

     

    27%

     

    Très engagé

    59%

     
     
     

    42%

     

    71%

     

    Très engagé

     

    35%

     
     
     

    29%

     

    40%

    Engagé à fond

     

    24%

     

    50%

     

    13%

     

    31%

     

    Réduire ma consommation de viande

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    9%

     
     
     

    19%

     

    1%

     

    Pas engagé

     

    3%

     

    50%

     

    6%

     

    0% (0)

    Peu engagé

     

    6%

     
     
     

    13%

     

    1% (1)

    Engagé

    31%

     

    50%

     

    38%

     

    22%

     

    Très engagé

    60%

     
     
     

    44%

     

    77%

     

    Très engagé

     

    33%

     
     
     

    35%

     

    56% (59)

    Engagé à fond

     

    27%

     
     
     

    9%

     

    21% (22)

    Consommer mieux (alimentaire : bio, local, de saison)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    9%

     
     

    16%

     

    2%

     

    Pas engagé

     

    1%

    50%

     

    0%

     

    0%

    Peu engagé

     

    8%

     
     

    16%

     

    2%

    Engagé

    20%

     

    50%

    25%

     

    26%

     

    Très engagé

    71%

     
     

    59%

     

    72%

     

    Très engagé

     

    37%

     
     

    41%

     

    31%

    Engagé à fond

     

    34%

     
     

    18%

     

    41%

     

    Consommer mieux (biens de consommation)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    9%

     

    50%

    16%

     

    2%

     

    Pas engagé

     

    1%

     
     

    0%

     

    0%

    Peu engagé

     

    8%

     
     

    16%

     

    2%

    124

    Engagé

     

    30%

     

    50%

    42%

     

    16%

     

    Très engagé

     

    61%

     
     

    42%

     

    82%

     
     

    Très engagé

     

    35% (77)

     
     

    28%

     

    34%

     

    Engagé à fond

     

    26% (28)

     
     

    14%

     

    48%

     

    Consommer moins (biens de consommation)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    12%

     
     

    19%

     

    2%

     

    Pas engagé

     

    1%

     
     

    0%

     

    0%

    Peu engagé

     

    11%

     
     

    19%

     

    2%

    Engagé

    26%

     

    100%

    40%

     

    21%

     

    Très engagé

    62%

     
     

    41%

     

    77%

     

    Très engagé

     

    32%

     
     

    26%

     

    42%

    Engagé à fond

     

    30%

     
     

    15%

     

    35%

    Privilégier les mobilités douces au quotidien (transports en commun, vélo, marche...)

     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    16%

     
     
     

    23%

     

    10%

     

    Pas engagé

     

    4%

     
     
     

    9%

     

    0%

    Peu engagé

     

    12%

     

    50%

     

    14%

     

    10%

    Engagé

    25%

     

    50%

     

    25%

     

    24%

     

    Très engagé

    59%

     
     
     

    52%

     

    66%

     

    Très engagé

     

    26%

     
     
     

    26%

     

    27%

    Engagé à fond

     

    33%

     
     
     

    26%

     

    39%

     

    Limiter mes trajets en avion

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    25%

     
     

    43%

     

    11%

     

    Pas engagé

     

    6%

     
     

    15%

     

    0%

    Peu engagé

     

    19%

    100%

     

    28%

     

    11%

    Engagé

    19%

     
     

    18%

     

    21%

     

    Très engagé

    55%

     
     

    40%

     

    68%

     

    Très engagé

     

    20%

     
     

    19%

     

    22%

    Engagé à fond

     

    35%

     
     

    21%

     

    46%

     

    Limiter mon impact numérique

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu engagé

    55%

     
     
     

    69%

     

    46%

     

    Pas engagé

     

    13%

     

    50%

     

    23%

     

    6%

    Peu engagé

     

    42%

     
     
     

    46%

     

    40%

    Engagé

    33%

     

    50%

     

    23%

     

    40%

     

    Très engagé

    12%

     
     
     

    9%

     

    14%

     

    Très engagé

     

    10%

     
     
     

    9%

     

    10%

    Engagé à fond

     

    2%

     
     
     

    0%

     

    4%

    Retour au mémoire

    Annexe 15 : Réponses - Blocages et leviers d'engagement

    Pour chaque proposition, indique le degré d'influence sur ta prise de conscience et ton engagement écologiques

     

    Manque de connaissance des enjeux

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    61%

     

    100%

     

    66%

     

    56%

     

    Pas d'influence

     

    33%

     

    50%

     

    33%

     

    32%

    Peu d'influence

     

    28%

     

    50%

     

    33%

     

    24%

    Influence, grande, ou très grande influence

    39%

     

    0%

     

    36%

     

    43%

     

    Influence

     

    20%

     
     
     

    19%

     

    22%

    Grande influence

     

    12%

     
     
     

    13%

     

    11%

    Très grande influence

     

    7%

     
     
     

    4%

     

    10%

    Manque de temps

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

    Groupe 3

    125

    Pas ou peu d'influence

    28%

     

    100%

     

    24%

     

    31%

     

    Pas d'influence

     

    10%

     

    50%

     

    10%

     

    10%

    Peu d'influence

     

    18%

     

    50%

     

    14%

     

    21%

    Influence, grande, ou très grande influence

    72%

     

    0%

     

    76%

     

    69%

     

    Influence

     

    33%

     
     
     

    36%

     

    30%

    Grande influence

     

    29%

     
     
     

    29%

     

    30%

    Très grande influence

     

    10%

     
     
     

    11%

     

    9%

     

    Manque de moyens d'action

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    35%

     

    100%

     

    27%

     

    39%

     

    Pas d'influence

     

    11%

     

    50%

     

    10%

     

    10%

    Peu d'influence

     

    24%

     

    50%

     

    17%

     

    29%

    Influence, grande, ou très grande influence

    65%

     

    0%

     

    73%

     

    61%

     

    Influence

     

    39%

     
     
     

    42%

     

    36%

    Grande influence

     

    20%

     
     
     

    23%

     

    19%

    Très grande influence

     

    6%

     
     
     

    8%

     

    6%

     

    Habitudes, difficultés à changer

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    41%

     

    100%

     

    38%

     

    43%

     

    Pas d'influence

     

    14%

     

    50%

     

    14%

     

    13%

    Peu d'influence

     

    27%

     

    50%

     

    24%

     

    30%

    Influence, grande, ou très grande influence

    59%

     

    0%

     

    62%

     

    57%

     

    Influence

     

    36%

     
     
     

    31%

     

    40%

    Grande influence

     

    17%

     
     
     

    23%

     

    12%

    Très grande influence

     

    6%

     
     
     

    9%

     

    5%

     

    Raisons financières

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    60%

     

    100%

     

    60%

     

    59%

     

    Pas d'influence

     

    30%

     

    100%

     

    31%

     

    28%

    Peu d'influence

     

    30%

     
     
     

    29%

     

    31%

    Influence, grande, ou très grande influence

    40%

     

    0%

     

    40%

     

    41%

     

    Influence

     

    24%

     
     
     

    18%

     

    28%

    Grande influence

     

    11%

     
     
     

    14%

     

    10%

    Très grande influence

     

    5%

     
     
     

    8%

     

    3%

    Sentiment de ne pas pouvoir changer grand-chose

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    53%

     

    50%

     

    48%

     

    57%

     

    Pas d'influence

     

    20%

     
     
     

    19%

     

    22%

    Peu d'influence

     

    33%

     

    50%

     

    29%

     

    35%

    Influence, grande, ou très grande influence

    47%

     

    50%

     

    52%

     

    43%

     

    Influence

     

    23%

     
     
     

    25%

     

    23%

    Grande influence

     

    19%

     
     
     

    20%

     

    18%

    Très grande influence

     

    5%

     

    50%

     

    7%

     

    2%

    Cela me semble trop contraignant de m'impliquer

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    68%

     

    100%

     

    62%

     

    70%

     

    Pas d'influence

     

    35%

     

    100%

     

    26%

     

    40%

    Peu d'influence

     

    33%

     
     
     

    36%

     

    30%

    Influence, grande, ou très grande influence

    32%

     

    0%

     

    38%

     

    30%

     

    Influence

     

    22%

     
     
     

    29%

     

    17%

    Grande influence

     

    8%

     
     
     

    6%

     

    10%

    Très grande influence

     

    2%

     
     
     

    3%

     

    3%

    Le système dans lequel on évolue ne m'incite pas à prendre conscience et à m'engager

    126

     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    68%

     

    100%

     

    60%

     

    75%

     

    Pas d'influence

     

    45%

     

    100%

     

    40%

     

    49%

    Peu d'influence

     

    23%

     
     
     

    20%

     

    26%

    Influence, grande, ou très grande influence

    32%

     

    0%

     

    40%

     

    25%

     

    Influence

     

    11%

     
     
     

    11%

     

    10%

    Grande influence

     

    18%

     
     
     

    26%

     

    11%

    Très grande influence

     

    3%

     
     
     

    3%

     

    4%

     

    Croyances et conditionnement

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    75%

     

    50%

     

    77%

     

    74%

     

    Pas d'influence

     

    51%

     

    50%

     

    56%

     

    47%

    Peu d'influence

     

    24%

     
     
     

    21%

     

    27%

    Influence, grande, ou très grande influence

    25%

     

    50%

     

    23%

     

    26%

     

    Influence

     

    13%

     
     
     

    11%

     

    14%

    Grande influence

     

    8%

     
     
     

    8%

     

    8%

    Très grande influence

     

    4%

     

    50%

     

    3%

     

    4%

    Je fuis la prise de conscience et l'engagement car cela me fait trop peur, m'angoisse ou m'attriste

     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    87%

     

    100%

     

    85%

     

    87%

     

    Pas d'influence

     

    73%

     

    100%

     

    71%

     

    73%

    Peu d'influence

     

    14%

     
     
     

    14%

     

    14%

    Influence, grande, ou très grande influence

    13%

     

    0%

     

    15%

     

    13%

     

    Influence

     

    8%

     
     
     

    10%

     

    7%

    Grande influence

     

    4%

     
     
     

    3%

     

    5%

    Très grande influence

     

    1%

     
     
     

    2%

     

    1%

     

    Ce n'est pas ma responsabilité d'agir

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    93%

     

    50%

     

    94%

     

    93%

     

    Pas d'influence

     

    83%

     

    50%

     

    83%

     

    84%

    Peu d'influence

     

    10%

     
     
     

    11%

     

    9%

    Influence, grande, ou très grande influence

    7%

     

    50%

     

    6%

     

    7%

     

    Influence

     

    5%

     
     
     

    5%

     

    5%

    Grande influence

     

    1%

     
     
     

    1%

     

    1%

    Très grande influence

     

    1%

     

    50%

     

    0%

     

    1%

     

    L'écologie n'est pas attrayante

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    95%

     

    50%

     

    94%

     

    97%

     

    Pas d'influence

     

    87%

     

    50%

     

    84%

     

    90%

    Peu d'influence

     

    8%

     
     
     

    10%

     

    7%

    Influence, grande, ou très grande influence

    5%

     

    50%

     

    6%

     

    3%

     

    Influence

     

    3%

     
     
     

    5%

     

    2%

    Grande influence

     

    1%

     
     
     

    1%

     

    0%

    Très grande influence

     

    1%

     

    50%

     

    0%

     

    1%

    Pour chaque proposition, indique son degré d'influence dans ta vie

    Regard de l'autre (apparence physique, vêtements, maquillage...)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    69%

     

    100%

     

    61%

     

    74%

     

    Pas d'influence

     

    30%

     

    100%

     

    26%

     

    32%

    Peu d'influence

     

    39%

     
     
     

    35%

     

    42%

    Influence, grande, ou très grande influence

    31%

     

    0%

     

    39%

     

    26%

     

    Influence

     

    21%

     
     
     

    28%

     

    17%

    Grande influence

     

    10%

     
     
     

    11%

     

    9%

    Très grande influence

     
     
     
     
     
     
     
     

    127

     

    Importance de l'argent

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    65%

     

    50%

     

    54%

     

    74%

     

    Pas d'influence

     

    26%

     

    50%

     

    21%

     

    30%

    Peu d'influence

     

    39%

     
     
     

    33%

     

    44%

    Influence, grande, ou très grande influence

    35%

     

    50%

     

    46%

     

    26%

     

    Influence

     

    28%

     

    50%

     

    35%

     

    22%

    Grande influence

     

    6%

     
     
     

    10%

     

    3%

    Très grande influence

     

    1%

     
     
     

    1%

     

    1%

     

    Besoin de consommation

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    77%

     

    50%

     

    71%

     

    81%

     

    Pas d'influence

     

    38%

     

    50%

     

    28%

     

    45%

    Peu d'influence

     

    39%

     
     
     

    43%

     

    36%

    Influence, grande, ou très grande influence

    23%

     

    50%

     

    29%

     

    19%

     

    Influence

     

    19%

     

    50%

     

    23%

     

    17%

    Grande influence

     

    4%

     
     
     

    6%

     

    2%

    Très grande influence

     

    0%

     
     
     

    0%

     

    0%

     

    Peur de l'autre, méfiance

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    83%

     

    100%

     

    78%

     

    86%

     

    Pas d'influence

     

    51%

     

    100%

     

    51%

     

    50%

    Peu d'influence

     

    32%

     
     
     

    27%

     

    36%

    Influence, grande, ou très grande influence

    17%

     

    0%

     

    22%

     

    14%

     

    Influence

     

    11%

     
     
     

    11%

     

    11%

    Grande influence

     

    5%

     
     
     

    11%

     

    1%

    Très grande influence

     

    1%

     
     
     

    0%

     

    2%

     

    Peur de l'inconnu, de l'imprévisible

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    70%

     

    100%

     

    69%

     

    69%

     

    Pas d'influence

     

    34%

     

    100%

     

    36%

     

    30%

    Peu d'influence

     

    36%

     
     
     

    33%

     

    39%

    Influence, grande, ou très grande influence

    30%

     

    0%

     

    31%

     

    31%

     

    Influence

     

    17%

     
     
     

    16%

     

    18%

    Grande influence

     

    12%

     
     
     

    14%

     

    12%

    Très grande influence

     

    1%

     
     
     

    1%

     

    1%

     

    Importance de la routine, des habitudes

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    58%

     

    100%

     

    56%

     

    59%

     

    Pas d'influence

     

    24%

     

    100%

     

    23%

     

    24%

    Peu d'influence

     

    34%

     
     
     

    33%

     

    35%

    Influence, grande, ou très grande influence

    42%

     

    0%

     

    44%

     

    41%

     

    Influence

     

    30%

     
     
     

    33%

     

    29%

    Grande influence

     

    11%

     
     
     

    10%

     

    11%

    Très grande influence

     

    1%

     
     
     

    1%

     

    1%

    Parmi les éléments suivants, indique lesquels ont pu favoriser ta prise de conscience ou ton engagement

    Meilleure connaissance des mécanismes en jeu

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    7%

     

    0%

     

    14%

     

    2%

     

    Pas d'influence

     

    1%

     
     
     

    1%

     

    0%

    Peu d'influence

     

    6%

     
     
     

    13%

     

    2%

    Influence, grande, ou très grande influence

    93%

     

    100%

     

    86%

     

    98%

     

    Influence

     

    21%

     

    50%

     

    25%

     

    17%

    Grande influence

     

    30%

     
     
     

    31%

     

    32%

    Très grande influence

     

    42%

     

    50%

     

    30%

     

    49%

    128

    Plus de temps pour se renseigner et s'engager

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    26%

     

    50%

     

    37%

     

    18%

     

    Pas d'influence

     

    12%

     

    50%

     

    18%

     

    8%

    Peu d'influence

     

    14%

     
     
     

    19%

     

    10%

    Influence, grande, ou très grande influence

    74%

     

    50%

     

    65%

     

    82%

     

    Influence

     

    31%

     
     
     

    33%

     

    30%

    Grande influence

     

    29%

     
     
     

    23%

     

    34%

    Très grande influence

     

    14%

     

    50%

     

    9%

     

    18%

     

    Être convaincu ou inspiré par un proche

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    31%

     

    50%

     

    34%

     

    28%

     

    Pas d'influence

     

    14%

     

    50%

     

    18%

     

    11%

    Peu d'influence

     

    17%

     
     
     

    16%

     

    17%

    Influence, grande, ou très grande influence

    69%

     

    50%

     

    66%

     

    72%

     

    Influence

     

    25%

     

    50%

     

    28%

     

    24%

    Grande influence

     

    27%

     
     
     

    20%

     

    33%

    Très grande influence

     

    17%

     
     
     

    18%

     

    15%

    Une ou des lectures spécifiques (livres, articles, rapports...)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    17%

     

    50%

     

    27%

     

    9%

     

    Pas d'influence

     

    4%

     
     
     

    8%

     

    1%

    Peu d'influence

     

    13%

     

    50%

     

    19%

     

    8%

    Influence, grande, ou très grande influence

    83%

     

    50%

     

    73%

     

    91%

     

    Influence

     

    18%

     
     
     

    26%

     

    11%

    Grande influence

     

    37%

     
     
     

    31%

     

    43%

    Très grande influence

     

    28%

     

    50%

     

    16%

     

    37%

    Un ou des supports audiovisuels spécifiques (film, vidéo, série, podcast...)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    15%

     

    50%

     

    20%

     

    11%

     

    Pas d'influence

     

    3%

     

    50%

     

    4%

     

    2%

    Peu d'influence

     

    12%

     
     
     

    16%

     

    9%

    Influence, grande, ou très grande influence

    85%

     

    50%

     

    80%

     

    89%

     

    Influence

     

    27%

     
     
     

    34%

     

    21%

    Grande influence

     

    32%

     
     
     

    23%

     

    39%

    Très grande influence

     

    26%

     

    50%

     

    23%

     

    29%

    Un événement de sensibilisation (conférence, atelier, jeu...)

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    42%

     

    50%

     

    44%

     

    40%

     

    Pas d'influence

     

    16%

     

    50%

     

    23%

     

    10%

    Peu d'influence

     

    26%

     
     
     

    21%

     

    30%

    Influence, grande, ou très grande influence

    58%

     

    50%

     

    56%

     

    60%

     

    Influence

     

    24%

     
     
     

    30%

     

    20%

    Grande influence

     

    19%

     
     
     

    18%

     

    21%

    Très grande influence

     

    15%

     

    50%

     

    8%

     

    19%

     

    Un cours ou une formation

     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    50%

     

    50%

     

    58%

     

    44%

     

    Pas d'influence

     

    28%

     

    50%

     

    35%

     

    22%

    Peu d'influence

     

    22%

     
     
     

    23%

     

    22%

    Influence, grande, ou très grande influence

    50%

     

    50%

     

    42%

     

    56%

     

    Influence

     

    19%

     
     
     

    23%

     

    16%

    Grande influence

     

    15%

     
     
     

    9%

     

    20%

    Très grande influence

     

    16%

     

    50%

     

    10%

     

    20%

    129

    Discuter et échanger autour de ces enjeux

     
     
     

    Global

    Groupe 1

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    16%

     

    0%

     

    19%

     

    14%

     

    Pas d'influence

     

    5%

     
     
     

    10%

     

    2%

    Peu d'influence

     

    11%

     
     
     

    9%

     

    12%

    Influence, grande, ou très grande influence

    84%

     

    100%

     

    81%

     

    86%

     

    Influence

     

    31%

     

    50%

     

    38%

     

    26%

    Grande influence

     

    28%

     
     
     

    19%

     

    36%

    Très grande influence

     

    25%

     

    50%

     

    24%

     

    24%

     

    Engagement associatif

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    53%

     

    100%

     

    74%

     

    37%

     

    Pas d'influence

     

    33%

     

    100%

     

    50%

     

    18%

    Peu d'influence

     

    21%

     
     
     

    24%

     

    19%

    Influence, grande, ou très grande influence

    47%

     

    0%

     

    26%

     

    63%

     

    Influence

     

    15%

     
     
     

    13%

     

    17%

    Grande influence

     

    18%

     
     
     

    9%

     

    25%

    Très grande influence

     

    14%

     
     
     

    4%

     

    21%

     

    Engagement militant

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    62%

     

    100%

     

    87%

     

    43%

     

    Pas d'influence

     

    40%

     

    100%

     

    63%

     

    21%

    Peu d'influence

     

    22%

     
     
     

    24%

     

    22%

    Influence, grande, ou très grande influence

    38%

     

    0%

     

    13%

     

    57%

     

    Influence

     

    15%

     
     
     

    10%

     

    18%

    Grande influence

     

    12%

     
     
     

    1%

     

    21%

    Très grande influence

     

    11%

     
     
     

    2%

     

    18%

     

    Un ou des voyages

     
     
     
     

    Global

     

    Groupe 1

     

    Groupe 2

     

    Groupe 3

     

    Pas ou peu d'influence

    55%

     

    100%

     

    51%

     

    58%

     

    Pas d'influence

     

    35%

     

    100%

     

    38%

     

    31%

    Peu d'influence

     

    20%

     
     
     

    13%

     

    27%

    Influence, grande, ou très grande influence

    45%

     

    0%

     

    49%

     

    42%

     

    Influence

     

    18%

     
     
     

    19%

     

    19%

    Grande influence

     

    17%

     
     
     

    20%

     

    13%

    Très grande influence

     

    10%

     
     
     

    10%

     

    10%

    Retour au mémoire

    Annexe 16 : Réponses - Emotions

    Lignes vertes : Groupe 2 Lignes orange : Groupe 3

    Pour chacune de ces émotions, à quelle fréquence les ressens-tu dans ta conscience des enjeux ou dans ton engagement ?

     

    Jamais

    Parfois

    Souvent

    Très souvent

    Lassitude

    26%

    50%

    21%

    3%

    13%

    52%

    26%

    9%

    Frustration

    9%

    35%

    35%

    21%

    8%

    31%

    36%

    25%

    Découragement

    20%

    48%

    26%

    6%

    11%

    52%

    24%

    12%

    Tristesse

    16%

    38%

    34%

    13%

    130

     

    9%

    42%

    33%

    16%

    Anxiété

    25%

    36%

    20%

    19%

    17%

    38%

    28%

    17%

    Culpabilité

    19%

    44%

    25%

    13%

    18%

    50%

    23%

    9%

    Epuisement

    46%

    40%

    11%

    3%

    22%

    52%

    22%

    4%

    Impuissance

    8%

    34%

    40%

    19%

    10%

    49%

    27%

    15%

    Peur

    25%

    31%

    30%

    14%

    23%

    46%

    20%

    11%

    Colère

    14%

    26%

    39%

    21%

    10%

    27%

    35%

    28%

    Détermination

    10%

    28%

    48%

    15%

    1%

    20%

    38%

    41%

    Satisfaction

    23%

    50%

    23%

    5%

    11%

    44%

    30%

    15%

    Excitation

    34%

    41%

    20%

    5%

    16%

    37%

    32%

    14%

    Joie

    26%

    45%

    23%

    6%

    10%

    37%

    35%

    18%

    Fierté

    25%

    45%

    21%

    9%

    10%

    30%

    42%

    17%

    Espoir

    18%

    41%

    34%

    8%

    8%

    43%

    33%

    16%

     

    Groupe 2

    Groupe 3

    Nombre de réponses « jamais »

    274

    (21%)

    207

    (12%)

    Nombre de réponses « parfois »

    505

    (40%)

    684

    (41%)

    Nombre de réponses « souvent »

    359

    (28%)

    508

    (30%)

    Nombre de réponses « très souvent »

    142

    (11%)

    281

    (17%)

    De façon générale, indique si ces qualificatifs te correspondent :

     

    Pas du tout

    Pas vraiment

    Un peu

    Beaucoup

    Complètement

    Curieux

    0%

    0%

    9%

    50%

    41%

    0%

    0%

    7%

    42%

    51%

    Gentil

    0%

    1%

    20%

    49%

    30%

    0%

    0%

    12%

    53%

    34%

    Ambitieux

    4%

    18%

    40%

    26%

    13%

    10%

    31%

    32%

    20%

    6%

    Libéré

    0%

    13%

    39%

    39%

    10%

    2%

    7%

    28%

    51%

    12%

    Discipliné

    8%

    14%

    30%

    38%

    11%

    7%

    26%

    30%

    28%

    10%

    Aventureux

    4%

    25%

    35%

    19%

    18%

    1%

    14%

    40%

    32%

    12%

    Peureux

    9%

    35%

    43%

    11%

    3%

    17%

    34%

    39%

    9%

    1%

    Sensible

    0%

    3%

    28%

    38%

    33%

    0%

    0%

    19%

    37%

    44%

    Créatif

    5%

    14%

    41%

    30%

    10%

    2%

    13%

    28%

    34%

    23%

    Heureux

    3%

    3%

    35%

    46%

    14%

    0%

    9%

    20%

    53%

    18%

    Positif

    3%

    19%

    20%

    41%

    18%

    1%

    11%

    24%

    43%

    22%

    Quel est ton rapport aux émotions ?

    131

     

    Jamais

    Parfois

    Souvent

    Très souvent

    Je ressens des émotions positives très
    intenses

    3%

    41%

    49%

    8%

    3%

    35%

    43%

    19%

    Je ressens des émotions négatives très intenses

    11%

    41%

    36%

    11%

    8%

    46%

    36%

    10%

    J'exprime mes émotions positives

    1%

    35%

    50%

    14%

    5%

    26%

    56%

    13%

    J'exprime mes émotions négatives

    10%

    54%

    34%

    3%

    8%

    46%

    41%

    6%

    Je refoule mes émotions positives

    69%

    25%

    6%

    0%

    57%

    37%

    5%

    1%

    Je refoule mes émotions négatives

    21%

    58%

    16%

    5%

    22%

    51%

    22%

    5%

    J'arrive à identifier mes émotions

    0%

    25%

    53%

    23%

    2%

    19%

    56%

    23%

    J'arrive à comprendre mes émotions

    3%

    31%

    51%

    15%

    2%

    27%

    56%

    15%

    J'arrive à utiliser mes émotions

    18%

    50%

    25%

    8%

    8%

    51%

    35%

    6%

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