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Compréhension du processus d'engagement écologique - l'importance du collectif, des connaissances et des émotions pour une transformation intérieure et extérieure de nos représentations


par Laurie Benisti
Institut Catholique de Paris - Politiques environnementales et management du développement durable 2018
  

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PARTIE 2 : ENQUÊTE DE TERRAIN

Méthodologie de l'enquête de terrain

1) Formulation des hypothèses de recherche

Pour répondre à notre objet d'étude, à savoir la compréhension du processus d'engagement écologique, nous essaierons à la fois de comprendre comment une personne consciente mais bloquée en vient à s'engager, et qu'est-ce que cet engagement implique. La revue de littérature nous a déjà permis d'aborder des pistes de réponses, que nous allons ici présenter, pour ensuite les tester et les explorer dans notre enquête de terrain.

Nous avons vu que la connaissance était au coeur des trois approches du processus de prise de conscience présentées. Aujourd'hui, la grande majorité de la population française a connaissance et conscience des changements climatiques, de l'extinction de la biodiversité, de la pollution atmosphérique, des océans, de la déforestation... Mais combien ont une connaissance approfondie des mécanismes climatiques ? Des limites et barrières planétaires, des effets de seuil, des boucles de rétroaction ? Combien ont conscience de la complexité et des interconnexions entre ces crises ? De leurs origines, de leurs implications ? Il n'existe pas d'étude approfondie sur ces degrés de connaissance, mais une étude de l'OFCE a révélé que le niveau de connaissances factuelles sur les changements climatiques des français était dans l'ensemble « faibles à passables ». Or, pour s'engager, il est essentiel de saisir l'urgence et l'importance des changements nécessaires, et donc pour cela d'appro-fondir les connaissances. Nous postulons donc qu'une connaissance approfondie et systémique des crises socio-écologiques, de leurs causes, de leurs implications et de leur complexité est un levier clé d'engagement écologique.

Mais la connaissance n'est pas suffisante seule. Nous l'avons vu, les blocages sociaux sont extrêmement forts, et la puissance du conformisme est telle que même avec une connaissance approfondie des crises que nous traversons, une personne se plaçant dans un groupe social très peu sensibilisé aura du mal à s'en extraire et à agir et penser différemment. Mais ces mécanismes de mimétisme et de conformisme peuvent devenir une force et des leviers d'engagement s'ils fonctionnent dans l'autre sens. Nous posons donc que le processus d'engagement écologique individuel passe nécessairement par le groupe, le collectif.

En s'engageant individuellement et collectivement, les personnes sont amenées, au fil du temps, à expérimenter des actions, à les mettre en oeuvre, à en apprendre, et donc, à changer et lever les blocages culturels à la prise de conscience et à l'engagement. Les approches de Freire ainsi que de

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Joanna Macy via la courbe du deuil mettent en évidence la transformation des personnes par ce processus, et la transformation conséquence progressive des représentations sociales. En s'enga-geant, les personnes se transforment progressivement dans leur rapport à soi, aux autres, et au monde, ce qui mènerait, via les mécanismes d'interaction spéculaire et de désir mimétique étudiés précédemment, à une transformation conséquente progressive des récits collectifs et de la réalité imaginaire. Freire et Macy évoquent tous deux l'aspect libérateur de ces transformations : la personne, peu à peu, réduit les dissonances cognitives, comprend ses déterminants, vient à s'en émanciper, comprend son pouvoir d'action et construit de nouveaux modes de pensée et d'action. Ainsi, le processus d'engagement écologique serait un processus de transformation intérieure et extérieure libérateur.

Ces transformations profondes peuvent être difficiles à vivre, mais aussi source de bonheur et de joie. Comme l'a étudié Joanna Macy, elles peuvent être vécues comme un effondrement intérieur, comme une perte de sens, et mener à des situations de stress, d'angoisse, de tristesse, voire de dépression si le choc ou la dissonance cognitive sont trop grands, ou le contexte personnel trop difficile. Mais ces émotions peuvent être déclencheurs de prise de conscience et d'engagement, et celui-ci mener à des émotions positives qui vont renforcer l'engagement dans un cercle vertueux. Les émotions semblent donc centrales dans ce processus : elles sont souvent refoulées, participant à l'inertie face à la gravité et la complexité de la situation, mais peuvent se révéler motrices de l'enga-gement lorsqu'elles sont exprimées, acceptées et comprises. Ainsi, nous postulons que l'accepta-tion, l'expression, la compréhension et l'utilisation des émotions sont fondamentales et motrices dans le processus d'engagement écologique.

Il convient de souligner l'aspect systémique de ces hypothèses et la complexité du processus d'engagement : la connaissance, le groupe, la transformation et les émotions sont des éléments clés du processus, mais ce ne sont pas les seuls, et ils sont complémentaires, fonctionnent ensemble, et peuvent se renforcer les uns les autres en fonctionnant par rétroaction. Il sera donc intéressant d'étu-dier ces liens dans l'enquête de terrain.

2) Objectivation participante : expérience personnelle d'engagement écologique Méthodologie

Le choix de ce sujet de mémoire a largement été motivé et construit à partir de convictions personnelles, et à partir de ma propre expérience de processus d'engagement écologique. Ce rapport étroit au sujet peut comporter le risque de vouloir imposer ma vision des choses et la projeter dans ma recherche de terrain, interprétant la pratique des agents par ce prisme. C'est pour réduire ce risque que le sociologue français Pierre Bourdieu a développé la notion d'objectivation participante,

un travail central consistant à objectiver le rapport subjectif du sociologue à son objet. A noter que nous apportons une nuance à cette notion d'objectivation participante, car nous considérons qu'il n'est pas possible, ni même souhaitable d'objectiver totalement son rapport à l'objet d'étude. Nous pensons qu'il faut trouver un juste milieu entre l'utilisation de son propre vécu et convictions, et la recherche de terrain. Autrement dit, mon expérience et mon vécu peuvent et doivent être pris en compte dans la recherche, mais il faut veiller à ce que cette recherche et le terrain ne soient pas utilisés pour appuyer mes pensées, mais pour les éclairer.

Pour mieux comprendre son rapport à l'objet et veiller à ne pas déroger à cette règle, il est important d'effectuer un travail de réflexivité. Pour Bourdieu, la réflexivité est le travail par lequel la science sociale « se prenant elle-même pour objet, se sert de ses propres armes pour se comprendre et se contrôler ». Selon lui, la capacité pour le sociologue de considérer la relation qu'il entretient avec son objet constitue un moyen d'améliorer la qualité scientifique de ses travaux. L'objectivation participante est donc un processus d'auto-analyse du rapport à l'objet, de son propre parcours pour rendre la recherche plus rigoureuse.

Ici, l'objectivation participante va un peu plus loin qu'une compréhension de mon rapport à l'objet, puisque j'ai vécu mon objet d'étude. Il s'agira donc d'analyser mon propre vécu du processus d'engagement. Au-delà de l'objectif d'objectivation, ce travail peut aussi constituer un cas d'étude intéressant, ayant une vision assez complète de comment il s'est déroulé et a été vécu. Cependant, ce travail n'est pas inclus dans l'analyse du mémoire, puisqu'elle serait contraire à la règle énoncée précédemment. Elle pourra être mise en lien par le lecteur, mais pour cette recherche, ce récit cherche essentiellement à comprendre le rapport du chercheur à son objet d'étude. C'est un exercice délicat, d'abord car il implique de se livrer personnellement, et aussi parce qu'il peut y avoir un manque de recul sur l'analyse de son propre parcours, et une subjectivité qui ne permet pas forcément de saisir tous ses déterminants.

J'ai donc essayé de retracer mon processus d'engagement, et ai ainsi distingué 5 grandes phases de ce processus, que je décrirai en précisant pour chacune le niveau de connaissance, le niveau d'engagement et les émotions liées. A noter que ce travail a été fait et rédigé avant les entretiens individuels et avant la revue de littérature, afin de ne pas être influencée par le récit d'autres personnes.

Description du cheminement

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Phase 1 - Ignorance et blocages :

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Description : J'ai grandi dans un milieu aisé et ai toujours connu un grand confort matériel, financier et humain. Pendant la première partie de ma vie, jusqu'à mes 18 ans environ, j'ai vécu dans une ignorance écologique totale. En grandissant, et à partir de ma licence d'économie-gestion, j'ai commencé à avoir quelques informations sur ces enjeux, qui m'ont tout de suite paru importants, mais qui pour autant ne m'ont pas fait changer dans mon comportement et mes actions. Je portais de l'intérêt pour ces sujets, sans savoir comment m'en emparer, et donc sans m'en emparer. Mon quotidien, ma routine et mes habitudes étaient bien plus forts que cet intérêt et je ne me posais pas même la question du rôle ou de l'impact que je pouvais avoir à mon échelle.

Connaissance des enjeux : très faible

Engagement : Pendant ces 18 années, j'ai été ultra-consommatrice : de vêtements, de nourriture, de séries, d'énergie... j'étais dans une attitude très passive et inactive.

Emotions : insouciance, passivité, inconscience

Phase 2 - Déclic visuel et recherche de sens :

Description : Pendant mon échange universitaire de L3 que j'ai eu la chance d'effectuer en Australie pendant 6 mois, j'ai pu voir des impacts des changements climatiques de mes yeux, notamment lors d'une randonnée sur un glacier qui était noir de terre. Il y avait un vieux panneau avec une photo du même paysage que j'avais sous les yeux, mais sur cette photo le paysage était blanc de glace. Cette expérience a été un vrai déclic et m'a poussée à m'informer plus en profondeur sur ces sujets. Ce processus a été long, ne s'est pas fait du jour au lendemain, mais en rentrant en France et en reprenant des études qui n'incluaient quasiment pas ces enjeux pourtant essentiels, j'ai développé un besoin de trouver et de donner du sens à ce que je faisais. Ce n'était pas le cas dans mes études, alors j'ai décidé d'en changer, et de faire un master en développement durable.

Connaissance des enjeux : faible, informations dans les médias et sur internet

Engagement : Cette période en licence s'est accompagnée de premières petites actions, éco-gestes notamment, mais il y a globalement eu peu de changement dans mes habitudes de vie quotidiennes. Emotions : pendant l'expérience visuelle : choc, tristesse, incompréhension, questionnements. Après : volonté de comprendre, de trouver du sens et de se sentir utile. Insatisfaction, stress, dissonance

Phase 3 - Formation au développement durable et découverte de sens :

Description : Ce master a été un véritable changement et étape clé dans mon cheminement. Il m'a fait découvrir de nombreuses thématiques (gestion des déchets, de l'eau, de l'énergie, biodiversité, RSE, politiques publiques...), m'a fait comprendre la nécessité et surtout les possibilités d'actions pour la transition écologique. J'étais convaincue de la pertinence du développement durable et ne remettait pas fondamentalement en question nos systèmes et modes de vie.

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Connaissance des enjeux : moyenne, connaissance globale des enjeux mais superficielle, cours se focalisant plus sur les actions que sur le constat, et ne comportant pas d'état des lieux approfondi et de dimension systémique des problèmes.

Engagement : intégration dans les études, éco-gestes, mode de vie plus écologique (courses, déchets, consommation alimentaire, baisse globale de consommation...)

Emotions : satisfaction, cohérence, bien-être, positivité et optimisme

Phase 4 - Effondrement intérieur et remises en question :

Description : Cette étape a été la plus importante mais aussi la plus difficile. Par le biais de mon engagement au sein de l'association Avenir Climatique, par le biais de rencontres, de lectures, d'ap-profondissement et d'une meilleure compréhension et expertise de ces sujets, j'ai pris toute la mesure de la gravité de la situation dans laquelle nous sommes. J'ai pris conscience que si nous ne changeons pas radicalement et très rapidement nos façons de produire, de consommer, et plus globalement de penser et de vivre, nous connaîtrons des catastrophes sans précédent et un effondrement de nos civilisations. Comprendre et accepter cela a été difficile car beaucoup de blocages sont entrés en jeu (refus, déni, dissonance cognitive, conditionnement...) et que cela a remis en question énormément de choses dans ma vie et ma vision du monde. Ce constat a impliqué une remise en question du fondement et du fonctionnement mêmes de notre système, de mon rôle et de ma place dans celui-ci, et donc aussi un bouleversement et une remise en question intérieurs.

Connaissance des enjeux : bonne, lectures scientifiques, compréhension des origines, des mécanismes et des conséquences des changements climatiques, des rétroactions positives, effets de seuils, de l'interconnexion entre les crises, du côté systémique des problèmes...

Engagement : début d'engagement associatif, beaucoup plus de simplicité dans le mode de vie, se recentrer sur l'essentiel, le social, l'humain, le savoir et la créativité.

Émotions : dans le constat et la compréhension des enjeux, je me suis sentie triste, impuissante, dépassée, perdue pendant cette période. J'ai ressenti beaucoup de réconfort en vivant ce cheminement en même temps que deux de mes amies, ça a été d'une grande force.

Phase 5 - Reconstruction et engagement :

Description : Aujourd'hui, après cette période de doutes, j'ai trouvé beaucoup de réponses et de réconfort dans l'engagement associatif et militant, et dans les relations humaines. J'ai compris que chacun avait un rôle à jouer dans la construction de nouveaux récits et représentations via notre façon d'être, nos valeurs, nos relations sociales, nos discours et nos actions.

Connaissance des enjeux : je commence à avoir une bonne connaissance globale et systémique, et essaie maintenant d'approfondir les sujets. Je me rends compte aussi de l'étendue de mon ignorance sur tant de choses, et de ma volonté d'apprendre toujours plus.

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Engagement : ces enjeux sont la priorité numéro 1 de tout ce que j'entreprends. Je m'engage de plus en plus avec Avenir Climatique, participe à des actions militantes, et continue à évoluer dans mon mode de vie, dans mes représentations et croyances. Je suis aussi beaucoup plus engagée via les discours que je porte auprès de mes proches notamment.

Émotions : Il m'arrive encore de me sentir impuissante, triste et frustrée en voyant les catastrophes se multiplier, la situation empirer sans que rien ne change fondamentalement. Il y a par périodes de la fatigue voire de l'épuisement quand ces enjeux sont omniprésents dans ma tête et dans mon quotidien. Il y a aussi souvent un fort sentiment de frustration de ne pas toujours réussir à convaincre ses proches. Mais dans l'engagement, dans le collectif, et les échanges humains et sociaux, je ressens beaucoup de réconfort, d'espoir, de bienveillance et d'optimisme, et finalement beaucoup d'épanouis-sement et de bonheur. Je passe par des hauts et des bas mais globalement, les émotions positives prennent largement le dessus. Finalement, je n'ai jamais ressenti autant d'émotions et aussi intensément, autant dans le positif que dans le négatif. Je n'avais jamais été aussi malheureuse, et je n'avais jamais été aussi heureuse dans le même temps. Et je ne me suis jamais sentie aussi vivante.

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"L'imagination est plus importante que le savoir"   Albert Einstein