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L'analyse de l'Etat et de l'Etat démocratique dans la Philosophie politique d'Eric Weil


par Davy Dossou
Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2006
  

Disponible en mode multipage

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Introduction générale

Eric Weil est né à Parchim (Mecklemburg) en Allemagne en 1904. Il étudie la médecine et la philosophie à Berlin et Hambourg. Il soutient sa thèse allemande, que dirige Ernst Cassirer, sur P. Pomponazzi en 1928. En 1933, il quitte l'Allemagne. Naturalisé français en 1938 et mobilisé en 1939, il reprend au retour de quatre années de captivité - sous le nom d'emprunt d'Henri Dubois - son enseignement aux hautes études. Il entre au Centre National pour la Recherche Scientifique (CNRS) et fonde avec d'autres la revue Critique dans laquelle il publie beaucoup sur la politique et l'histoire. En 1950, il soutient sa thèse française, Logique de la philosophie, avec comme thèse secondaire Hegel et l'Etat, puis publie Philosophie politique (1956), Philosophie morale (1961), Problèmes kantiens (1963) et deux volumes d'Essais et Conférences (1970-1971). Professeur à l'Université de Lille de 1956-1968, puis de Nice jusqu'en 1974, il meurt à Nice le 1er février 1977.

La philosophie d'Eric Weil est celle d'un homme confronté à l'histoire, celle des deux grandes guerres mondiales, de la barbarie du Nazisme, de la guerre froide et de l'avènement progressif d'une société mondiale. Elle se caractérise par la volonté de poser de la manière la plus radicale les problèmes de notre temps : celui de la violence pure qui remet en question la confiance en la raison, celui du rapport entre la liberté de l'individu et la systématicité du discours, celui de la diversité des philosophies et de la remise en cause de l'idée de vérité. Elle développe la forme et le contenu d'une morale qui n'invite pas l'homme à se retirer du monde, mais au contraire à assumer les risques et les responsabilités de l'action. Elle s'interroge sur l'Etat et son devenir, sur la possibilité et les conditions d'une existence sensée dans le monde de la technique.

Sa libre réflexion philosophique sur la politique le conduit à cette hypothèse : la politique, science philosophique de l'action raisonnable, a affaire à l'action universelle, laquelle, tout en étant, de par son origine empirique, action d'un individu ou d'un groupe, ne vise pas l'individu ou le groupe en tant que tel, mais la totalité du genre humain. La politique, visant l'action raisonnable et universelle sur le genre humain, se distingue ainsi de la morale, action raisonnable et universelle de l'individu, considéré comme représentant de tous les individus sur lui-même en vue de l'accord raisonnable avec lui-même. La réflexion morale aura désormais affaire aux rapports réels des hommes entre eux, formulés sous forme universelle par le droit positif.

Réfléchissant sur la société moderne qui est également la nôtre, Eric Weil se rend compte qu'elle est une société marquée par la communauté de travail, une société qui s'organise en vue d'une lutte progressive avec la nature extérieure. Autrement dit, le mécanisme social est largement dominé par la rationalisation du travail. Cet état de choses donne naissance à une société rationaliste, calculatrice et matérialiste. Cette manière d'interpréter les rapports de l'homme avec la nature extérieure est le résultat d'une évolution longue et complexe, laquelle caractérise l'homme moderne en tant que tel. Le caractère du rapport de la société avec la nature grâce au travail social, dépend dans le cas de chaque communauté de conditions concrètes. Il s'agit justement aujourd'hui de l'organisation scientifique et technique du travail. La société moderne sur laquelle réfléchit Eric Weil, est une communauté du travail qui est devenue, de par le principe de sa technique de travail et d'organisation, une communauté englobant l'humanité entière. Dès lors, toute communauté qui veut survivre en tant que communauté sera obligée de s'élever, pour le moins au niveau technique atteint par ses ennemis potentiels.

Or la communauté, selon Eric Weil, est ce qui est vécu dans une expérience directe de la compréhension humaine, dans le cadre d'institutions qui n'ont pas été créées ni « re-organisées » par un organisateur rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux origines, aux temps immémoriaux, au mos majorum.1(*)

On peut, poursuit-il, opposer pratiquement dans un sens analogue, le peuple à l'Etat considéré comme création récente, non comme aboutissement d'une évolution organique. C'est d'ailleurs ce qui nous a poussé à réfléchir avec lui sur l'Etat. Nous sommes invités non seulement à réfléchir sur l'Etat mais aussi sur l'Etat dit démocratique. D'où le choix de notre thème : Analyse de l'Etat et de l'Etat démocratique dans la philosophie politique d'Eric Weil.

Eric Weil nous ouvre une perspective autre que celle des penseurs et philosophes qui ont vécu avant lui sur la notion d'Etat en s'inspirant non seulement de la logique ou de la perspective de Hegel mais en opérant à son propre niveau un décollage philosophique de la réalité qu'est l'Etat dans l'acception moderne du terme. L'Etat semble être un mot passe-partout que quiconque peut utiliser n'importe comment. Ce qui crée justement une confusion dans la tête de plus d'un et même au sein de la classe des cadres et autres intellectuels. C'est parce que l'approche définitionnelle de l'Etat n'est pas aussi facile qu'on le pensait que l'abord de la problématique de l'Etat par Weil va nous inviter à aller au-delà du sens vulgaire dans lequel on a voulu l'enfermer. D'où l'indispensable question : qu'est-ce que l'Etat ? Cette question nous conduira à une randonnée philosophique où nous examinerons les approches de ce concept depuis l'Antiquité jusqu'à Weil pour faire ressortir les évolutions opérées par ce dernier pour rendre aussi claire que possible cette notion à la fois simple et complexe.

Notre réflexion avec Eric Weil ne va pas seulement se limiter à l'Etat. Elle va nous conduire à méditer sur l'Etat démocratique. Dans notre monde, marqué par les dictatures ou, mieux, des autocraties surtout dans certaines régions d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie du sud-est, du Moyen-Orient, le rêve ou le besoin croissant de voir s'instaurer des Etats démocratiques devient de plus en plus pressant. C'est pourquoi, il nous importe d'analyser avec Eric Weil l'Etat démocratique2(*).

A travers une méthode analytico-critique, nous allons approfondir ce thème qui nous concerne. Dans la première partie, nous centrerons notre réflexion sur l'Etat. D'une part, nous réfléchirons sur l'approche weilienne de l'Etat ; d'autre part nous aborderons le processus historique de l'institution de l'Etat, pour terminer notre étude en traitant des fonctions ou tâches de l'Etat. Dans la deuxième partie, nous aborderons la notion d'Etat démocratique. Primo, nous réfléchirons de façon approfondie sur la notion de la démocratie. Secundo, nous dégagerons l'approche weilienne de l'Etat démocratique, ses caractéristiques et son impact sur l'ensemble géopolitique, Tertio nous montrerons en dernier ressort quelques faiblesses des valeurs démocratiques.

PREMIERE PARTIE : DE L'ETAT

Chapitre 1 : Approche weilienne de la notion de l'Etat

Introduction

L'Etat est une notion diversement perçue par les hommes. Il est à la fois une notion simple puisque tout le monde, y compris les illettrés en parlent, et complexe parce que l'Etat est ou exprime une réalité au- delà de sa simple appellation.

Dans ce chapitre, mon travail consistera à montrer l'approche définitionnelle de l'Etat selon Eric Weil

I - La conception weilienne de l'Etat

Se situant dans la même perspective que Hegel, Eric Weil considère l'Etat comme un principe rationnel organisant la communauté historique structurée comme société. Il aborde la notion de l'Etat dans les termes de l'Etat moderne. Pour lui, les définitions de l'Etat moderne sont nombreuses encore qu'on écarte celles qui ne représentent que des jugements de valeur ou, plus exactement des proclamations de foi mal déguisées et dont leurs adhérents ne paraissent guère capables de développer les postulats premiers3(*). L'Etat moderne est la forme consciente et ce n'est qu'en lui (dans la tension entre la société et la communauté qu'il pense) que la communauté se voit comme communauté. L'Etat est l'organisation consciente d'une communauté qui travaille rationnellement.

L'Etat weilien  est l'organisation d'une communauté historique4(*), c'est l'ensemble organique des institutions de la communauté historique. Il est organique par le fait que chaque institution présuppose et supporte toutes les autres en vue de son fonctionnement. Ce qui suppose que la communauté est capable de prendre des décisions dans la mesure où elle est organisée en Etat. L'Etat est l'organisation d'une communauté historique - elle-même définie par ses traditions et sa morale vivante - en institutions solidaires qui lui permettent d'agir, c'est-à-dire de prendre conscience des problèmes qui se posent à elle, d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions propres à résoudre ces problèmes. Au nombre de ces institutions figurent le gouvernement, le parlement, le système judiciaire, mais aussi le peuple. Le peuple politiquement actif est en effet distinct de la population ; il est institué par la loi qui fixe, par exemple l'âge de la majorité légale.

Ainsi, l'Etat devient la superstructure d'une réalité plus fondamentale, plus vraie, plus essentielle, la forme extérieure d'un « esprit » qu'il suffit de saisir pour comprendre l'Etat comme épiphénomène5(*). L'Etat n'existe pas en lui seul ni par lui-même. Il est l'organisation d'une communauté historique et d'une société particulière, et celle-ci en lui possède (puisqu'elle se l'est donnée dans son histoire) la possibilité de décisions, de la réflexion pratique et de l'action consciente. D'où il ne peut lui être assigné d'autre but que celui de durer en tant qu'organisation consciente. L'Etat comme organisation informe donc l'ensemble de la communauté. Il est la forme de la communauté agissante. Quant à la finalité de son action, elle est d'abord de permettre à la communauté historique de se perpétuer comme telle. Cette finalité détermine deux objectifs politiques majeurs : l'indépendance et l'unité de cette communauté. Ces deux objectifs politiques font une nécessité à l'homme d'Etat de concilier, dans une situation toujours particulière et changeante, les impératifs de la justice et ceux de l'efficacité. Ce problème fondamental est celui de tout gouvernement dans un Etat moderne : les impératifs de l'efficacité commandent à la communauté de s'adapter à un monde en perpétuelle évolution sur le plan des techniques de production et d'organisation du travail social6(*).

Eric Weil ne perd pas de vue la dimension selon laquelle l'Etat moderne est caractérisé par l'emploi de la violence. En tant qu'organisation politique de la communauté, l'Etat apparaît comme un appareil de contrainte, un instrument d'oppression par rapport à l'individu et à tout groupe pour autant que ceux-ci refusent de se soumettre à la raison qui, sur ce plan, n'est rien d'autre que l'intérêt de la communauté dans sa totalité vivante. Les éléments tels que la police, le percepteur d'impôts, l'administration, le conseil de guerre, éléments sur lesquels il s'appuie pour rendre effectif l'usage de la violence, sont là pour rafraîchir la mémoire de ceux qui, sur ce point, seraient portés à la distraction.

Mais l'Etat moderne n'est pas simplement caractérisé par la violence ; il est aussi un Etat de droit, ce qu'Eric Weil lui-même appelle Rechtsstaat. Il s'agit là de l'Etat qui voit l'essentiel non dans le monopole de la violence, mais dans le fait que son action, de même que celle de tout citoyen, est réglée par les lois. L'Etat ne peut pas faire usage de la violence n'importe comment, n'importe où et n'importe quand. Il le fait selon les circonstances déterminées par la loi : cas de trouble à l'ordre public, cas d'une menace extérieure provenant part d'un Etat voisin. Il est le lieu de la raison. Ce qui constitue l'Etat moderne, selon Eric Weil, c'est d'une part le fait que la loi soit formelle et universelle, c'est-à-dire qu'elle s'applique à tous sans souffrir d'exception, et d'autre part, le fait que pour la délibération et la décision, le gouvernement, organe exécutif de l'Etat, s'appuie sur l'administration. C'est le gouvernement qui dans l'Etat moderne forme le seul ressort de l'action. C'est lui seul qui parle au nom de l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Que faut-il donc en dégager ?

De ce qui précède, il ressort que l'Etat peut se définir comme une entité politique, administrative et juridique. L'Etat est le produit d'une rationalisation croissante de la vie politique. C'est une communauté d'hommes régie par les mêmes lois et vivant sous une même autorité politique et administrative devant défendre les intérêts matériels et moraux conformément aux lois et aux normes réglementant la Cité. L'Etat est caractérisé par l'occupation permanente d'un territoire donné, le monopole de la législation pour l'espace et la concentration du pouvoir de décision entre les mains d'un petit nombre.

II - Les types d'Etat moderne chez Eric Weil

Pour Eric Weil, les gouvernements des Etats modernes sont, soit autocratiques, soit constitutionnels. En faisant abstraction de la classification classique, il formule sa classification en se basant sur le type de gouvernement.

Pour lui, l'Etat autocratique est l'Etat dans lequel le gouvernement est seul à délibérer, à décider et à agir, sans aucune intervention obligatoire des autres instances suprêmes de l'Etat. L'Etat autocratique ne connaît pas de constitution comme loi fondamentale réglant son action et son activité. La durée de l'exercice de l'autorité n'y est pas fixée et les mesures gouvernementales n'y sont pas soumises à des restrictions précises ni à l'approbation d'un parlement, lequel posséderait la faculté réelle de refuser cette approbation. C'est ce type de gouvernement que nous qualifions sous le vocable de régime centralisé, dictatorial et totalitaire.

Dans l'Etat constitutionnel, le gouvernement se considère et est considéré par le citoyen comme tenu à l'observation de certaines règles légales qui limitent sa liberté d'action par l'intervention obligatoire d'autres institutions qui définissent la validité des actes gouvernementaux.

Je reviendrai sur ce modèle d'Etat dans la deuxième partie de mon travail lorsque j'aborderai la notion d'Etat démocratique.

Chapitre 2 : Du processus historique de l'institution de l'Etat

Introduction

L'Etat n'est pas simplement un donné ou une invention humaine qui s'est effectuée par un coup de baguette magique. Il est le fruit d'un travail de longue haleine, le produit pratique de la rationalisation humaine. Tout comme l'humanité a connu des cycles d'évolution, de même l'Etat, avant d'être tel, a été précédé par un certain nombre d'étapes ; étapes que je qualifierai de hiérarchique, allant de la morale à la communauté, de la communauté à l'Etat.

Ce chapitre a pour but de montrer les étapes expliquant la genèse de ce que nous appelons aujourd'hui l'Etat.

1 - La genèse de l'Etat

1.1 - De la morale à la communauté

La question de la destinée, du sens de la vie, de la fin à poursuivre par toutes ses actions, l'homme la pose à l'intime de sa conscience. Et c'est en cela que consiste l'originalité de l'expérience morale, prescrivant à chacun une règle de conduite, une norme à observer dans ses engagements quotidiens. Emmanuel Kant a bien défini la pure expérience de la morale en y voyant le triomphe de la raison sur les passions. C'est en effet la raison universelle qu'il s'agit de promouvoir, dépassant les réactions arbitraires d'une subjectivité qui n'a pas encore accédé à l'authentique liberté.

Mais une telle référence à Kant suffit à marquer les limites d'une telle expérience morale. La considération purement formelle peut certes gouverner la vie des communautés. Mais agir, c'est se déterminer ; et le critère négatif de la lutte contre tout arbitraire de la « volonté empirique » ne peut dès lors suffire. Toute action est un choix positif, une incarnation dans le monde lui aussi empirique. L'universalité de la raison, révélée par l'expérience du devoir, doit dès lors se déterminer dans l'histoire concrète.

C'est alors que l'homme moral rencontre, s'offrant à la détermination de son choix, une communauté où s'inscrit son action morale. Son engagement le plonge dans un univers de relations et d'interactions où la morale individuelle le laisse dépourvu, mais il découvre par contre une autre loi, immanente au monde et à sa communauté particulière entendue par Eric Weil comme « ce qui est vécu dans une expérience directe de compréhension « humaine », dans le cadre d'institutions qui n'ont pas été créées ni « ré-organisées » par un organisateur rationaliste et calculateur, mais qui remontent aux « origines », aux temps « immémoriaux », au mos majorum »7(*). Si cette loi ne traduit pas immédiatement sa volonté raisonnable, elle est cependant dans le monde une réalisation inchoative de la raison, sans laquelle la liberté morale resterait fixée aux vains désirs. Non pas sans doute qu'il faille tout de suite adhérer à ces prescriptions extérieures et identifier à la loi positive de la communauté où l'individu vit la loi intérieure de l'éthique. Le décalage peut exister parfois et les conflits ne pourront pas toujours être évités. Comme tout individu, fût-ce celui dont les passions indomptées se rebellent, l'homme parfaitement moral pourra dès lors éprouver, bien qu'à un autre niveau, l'opposition entre la loi positive et la liberté. Mais puisque cette liberté est en lui pleinement fidèle aux invitations du devoir moral, ce conflit ne fera que manifester la tension qui existe entre les deux lois : la loi morale et la loi positive ; conflit inévitable que celui-là, dans la mesure où l'histoire n'est pas achevée et où la morale des communautés doit encore découvrir sa pleine réalisation. Mais, conflit qu'il faut se garder de trancher en rejetant l'un des termes de l'alternative. Car sous la loi positive, la loi morale reste, dans toute sa pureté, incomplète et insuffisante, faisant abstraction des conditions concrètes d'incarnation de la liberté. Et la loi positive n'est vraiment adéquate que dans la mesure où elle recouvre les exigences authentiques de la réalisation des libertés. La morale juge la loi, sans laquelle cependant elle ne pourrait s'exercer. C'est ici que le philosophe pourra dégager la notion importante du droit naturel d'une part, en tant « celui auquel le philosophe se soumet lui-même, quand bien même le droit positif ne l'y obligerait pas : il veut agir afin de contribuer à la réalisation de l'universel raisonnable, de la raison universelle »8(*). C'est une sorte de moyen terme entre la loi positive et la loi morale. Si le philosophe emprunte à la loi morale le principe d'égalité entre les êtres raisonnables, le droit naturel s'en distingue en effet par son exigence intrinsèque d'un droit positif historique. De celui-ci aussi il se distingue, puisque sa fonction propre est de le juger et de le promouvoir : « le droit naturel comme instance critique, doit donc décider si les rôles prévus par la loi positive ne sont pas en conflit et si le système que forme leur ensemble ne contredit pas au principe de l'égalité des hommes en tant qu'êtres raisonnables »9(*). En d'autres termes, la notion de droit naturel joue un rôle fondamental dans l'histoire de la pensée politique. Cette notion fonde en effet la possibilité de juger des imperfections et des insuffisances du droit positif. Le droit naturel définit le point de vue d'extériorité qui permet de porter un jugement sur un système social et un régime politique. Il permet de dénoncer, là où ils se trouvent, l'arbitraire et l'injustice. L'originalité de la théorie weilienne du droit naturel10(*), c'est qu'elle dépasse cette opposition entre droit naturel et droit positif. En effet, Eric Weil fait toute sa place à la notion de droit naturel. Elle lui permet d'élaborer une théorie du jugement politique, de définir la possibilité d'une analyse critique des sociétés et de leurs institutions politiques. Mais en même temps, Weil reprend à son compte les objections opposées par le positivisme juridique aux doctrines classiques du droit naturel, celles de Hobbes ou de Spinoza. Eric Weil n'accepte pas l'idée d'un droit que l'individu aurait par nature. Il n'y a pas de droit de l'individu isolé, atomisé, considéré indépendamment de son appartenance à une société. Seul le membre d'une société organisée a des droits. Il s'agit pour Eric Weil d'élaborer une théorie qui tienne compte de ce fait fondamental, qui fasse un usage non-métaphorique du concept de droit. Mais il s'agit en même temps de fonder les critiques que nous opposons aux systèmes juridiques cohérents et performants, mais néanmoins inadmissibles parce que discriminatoires ou contraires aux principes de la dignité humaine. A cette fin, Eric Weil élabore sa propre théorie du droit naturel à partir d'une double référence, la théorie aristotélicienne du juste de nature et la conception kantienne de la loi morale.

  Historique par sa liaison essentielle à la loi positive, le droit naturel juge cependant l'histoire. Il trouve son contenu dans l'histoire à partir des « convictions, des moeurs, des traditions de la Cité »11(*) . Sa source n'est pas la moralité immédiate de l'individu mais la morale historique d'une communauté vivante. Si l'homme moral peut agir dans le monde, s'il peut remettre en question les lois positives qui imposent l'exercice concret de sa liberté, c'est qu'il trouve déjà la raison au travail dans l'histoire. La communauté qui le porte moule sa conscience morale et fait naître à chaque époque les principes capables de dépasser une loi positive désormais insuffisante. C'est par ce droit naturel de sa communauté, révélation extérieure de la raison que l'homme moral peut agir dans le monde en conformité avec les exigences les plus intérieures de sa propre raison. Dès lors apparaît l'éducation qui s'affirme nécessaire à la morale. Car, c'est elle qui permet à l'individu d'accéder au plan de l'universel où il doit poser son action. Il appartiendra au philosophe, qui a découvert ce rapport et cette nécessité d'éduquer à son tour les membres de sa communauté, afin de constituer un monde où toute liberté puisse se réaliser de manière authentique. Au lieu de limiter sa réflexion au monde olympien des « réalités éternelles », il comprendra que rien n'existe pour l'homme qui n'ait son corps dans l'histoire. C'est justement là qu'il faut agir et trouver l'inspiration de sa réflexion. Il ne cherchera pas seulement à former le monde à partir des exigences intérieures découvertes en soi, mais, s'ouvrant au sens dont est déjà porteuse l'histoire et que révèle la communauté vivante, il s'interroge sur la manière de s'y insérer et de le parfaire.

L'homme qui veut agir moralement dans le monde n'est jamais un point de départ, car le monde lui-même où il agit révèle la présence d'une moralité déjà au travail et dont vivent et s'inspirent les communautés en tant que « unité vivante au-dessus des passions contradictoires »12(*). Les lois positives elles-mêmes ne sont que les réalisations toujours en sursis de ce souffle de moralité présent dans les communautés humaines. Vaincre la violence de l'arbitraire et établir ainsi le règne de la vraie liberté, c'est pour l'homme qui ne se retire pas au désert, obéir non seulement à l'inspiration de la conscience, mais aussi à la moralité dont vit aujourd'hui sa communauté historique. Qu'en sera -t-il alors du passage de la société à l'Etat ?

1.2 - De la Société à l'Etat

Pour Eric Weil, ce qui fonde la société, c'est la lutte avec la nature extérieure. De prime abord, la nature extérieure est l'environnement dans lequel l'homme vit. Entre l'individu et son environnement, il y'a une hostilité qu'Eric Weil qualifie de violence première13(*). Cette hostilité se comprend dans la mesure où pour survivre, l'homme est contraint de modifier la nature ; ce qui veut dire concrètement que l'homme ne se contente pas seulement de ce que la nature met à sa disposition mais affiche le désir ardent de transformer ce donné qui devient matière, matériau de construction. Puisqu'il s'agit d'un affrontement où l'homme se sait incapable de lutter seul, « la lutte est celle du groupe organisé et c'est cette organisation qui est la société »14(*) .

Ainsi pour l'homme, « être social » c'est être engagé de manière organique dans une lutte contre la nature extérieure aux côtés de ses semblables. Et cette lutte connaît les étapes d'une histoire où progressivement la nature se transforme et s'humanise. A chaque étape de ce processus apparaît un « sacré », une valeur fondamentale en fonction de laquelle s'organise la lutte et le travail, et qui permet de juger le bien et le mal, l'essentiel et l'inessentiel ; en d'autres termes, la valeur fondamentale qui s'impose à tous les membres d'une société donnée et en fonction de laquelle ceux-ci organisent leur vie.

Aux différents moments de leur histoire, les sociétés ont ainsi « consacré » certaines valeurs, héritage de leur tradition et norme actuelle de vie pour leurs membres. Mais la société est entrée aujourd'hui, comme le souligne Eric Weil lui -même, dans une phase nouvelle et décisive ; car il ne s'agit plus de concevoir une pluralité de sociétés juxtaposées. Au niveau de la lutte contre la nature qui nous a permis de la définir, la société est à présent mondiale ; et voilà qui la force à dégager des valeurs capables d'être reconnues par tous. Or ce que tous ont en commun, en deçà des traditions et des cultures particulières, n'est-ce pas d'être engagé dans la lutte qui les affronte ensemble à la nature extérieure ? C'en est assez pour qu'on ne doive pas chercher ailleurs le « sacré » de la société devenue mondiale aujourd'hui. C'est donc en référence à ce nouveau « sacré » qu'elle se définit justement, en référence à cette réalité purement formelle qui est l'application au travail de la raison et de ses lois. L'efficacité du calcul, condition d'efficacité de ce travail, devient ainsi la loi de la civilisation contemporaine. Et la raison impose de la sorte, au niveau du rapport entre l'homme social et la nature son universalité. Même si, dans l'attente de la réalisation parfaite de cette universalité rationnelle, la loi de la société continue à supporter la permanence d'éléments historiques empruntés aux stades antérieurs à savoir aux « groupes » et aux « couches » qui s'opposent encore à la pleine égalité sociale.

Mais l'analyse qui vient d'être faite ne suffit-elle pas à faire apparaître le caractère abstrait de la société ? Si la société industrielle consacre le travail et se définit selon ses lois, elle se rend par le fait même incapable de répondre comme telle aux exigences légitimes des individus comme le faisaient jadis les sociétés historiques munies de leurs « sacrés » traditionnels. L'homme en effet n'est pas seulement et exclusivement un être social. Engagé dans la société industrielle, l'individu se voit réduit par elle à l'état d'une force de travail insérée dans l'ensemble du mécanisme producteur, au détriment des exigences essentielles de sa personnalité. Or il se fait que le triomphe de l'homme sur la nature par le travail lui offre précisément les loisirs nécessaires pour revenir à soi et exercer sa liberté. La société et son travail lui apparaissent alors comme les conditions d'une émancipation, qui est pour lui essentielle. Promue par le calcul, la société révèle à l'homme qu'il est au-delà du calcul, que sa vie ne doit pas être seulement rationnelle mais raisonnable, c'est-à-dire qu'elle ne se définit pas exclusivement dans le rapport universel de la société à la nature par le travail, mais qu'elle exige que lui soient conférés un sens, une valeur positive et concrète. Sur ce plan, il faut le reconnaître, la société de travail doit se déclarer incompétente. « C'est en lui-même, en son individualité, que l'homme doit trouver un sens à sa vie, à cette partie de lui-même qui n'est pas soumise au calcul »15(*). Tel se révélait bien en effet le travailleur : homme engagé dans la lutte contre la nature, mais dans la mesure même où il est un être qui parle, qui conceptualise. Or la parole situe sa réalité au-delà du travail et l'ouvre sur un sacré qui n'est plus celui du calcul. La société qui fait fi du sens de la parole se révèle donc à son tour, au même titre que la dimension morale (purement individuelle) comme une abstraction.

 La société devrait supprimer tout langage sensé si elle voulait empêcher ses membres de la dépasser ; comme elle ne le peut pas ( pour des raisons sociales), sa volonté de rationalité, faisant du sens l'insensé même, la rend problématique et la révèle comme abstraction 16(*).

De ce fait, on saisit en quoi consiste la distinction importante du « rationnel » et du « raisonnable ». L'universalité établie par le premier niveau, celui du calcul, laisse à l'extérieur de soi le sens même sans lequel l'homme de la société serait incapable de vivre. Le travail n'est pas pour l'individu la réalité dernière ; il n'est qu'un moyen pour lui de se procurer des loisirs où grandisse et s'exerce sa liberté. Si l'homme est un être qui travaille, il est aussi un être qui donne sens à son action.

Dès lors, si la société en tant que société de travail se constitue en société universelle, elle n'existe pas cependant, puisqu'elle est composée d'hommes et que l'homme ne peut s'identifier sans plus au travailleur, indépendamment des communautés particulières où se proclament les sens et les valeurs poursuivis par les membres de la société. Ce que la société considère comme survivances historiques du passé, traduit aux yeux de l'individu le seul fondement possible de sa propre liberté.

Comme je l'ai montré dans l'analyse précédente en relevant qu'il ne saurait y avoir de moralité exercée sur le monde, sinon par reconnaissance d'une moralité présente dans la communauté historique vivante, de même il ne saurait y avoir de société du calcul universel sans l'existence des communautés historiques particulières. Nous voyons se constituer alors une sphère centrale où se rejoignent les exigences de l'historicité du calcul, de la morale et de l'efficacité. Cette réalité intermédiaire - seule concrète, puisque la moralité pure et la société de travail ont révélé à l'analyse leur caractère abstrait - n'est autre que la réalité politique : « L'Etat est l'organisation d'une communauté historique »17(*). En tant qu'organisation, il fait sienne la loi rationnelle de la société de travail et, en tant que communauté historique, il adopte et consacre la moralité raisonnable déjà présente dans la réalité en devenir. Le monde où vit l'homme est un monde sensé, un monde de valeurs, un monde moral et raisonnable. C'est dans ce monde, c'est dans l'histoire que dès l'abord, il se trouve engagé et responsable. Chacune des communautés particulières où il se trouve se définit par un ensemble de valeurs traditionnelles qui constituent la morale vivante et l'historique de cette communauté. La morale vivante ne peut exister qu'en vertu d'une organisation rationnelle qui la soutienne et la consacre. On voit dans l'union de ces deux dimensions, à mon avis, complémentaires, ce qui définit précisément l'Etat.

Ceci étant, nous sommes conduit à la suite d'Eric Weil à étudier la structure formelle de la société politique ; autrement dit, en quoi consiste l'Etat comme réalité historique, comme communauté consciente d'elle-même à l'intérieur de la société universelle. En quel sens la loi peut-elle être dite la forme de l'Etat ?

L'Etat comme réalité historique, comme communauté consciente d'elle-même à l'intérieur de la société universelle consiste en ce qu'il n'est pas l'Etat d'un être supra - ou extra-historique, mais l'Etat d'une société donnée, la nôtre, société de la lutte rationnelle et calculatrice contre la nature, d'une communauté de travail organisée et constamment à réorganiser, qui a un besoin absolu d'ordre et de paix intérieure si elle ne veut pas renoncer à tout ce que le travail social produit pour satisfaire les besoins, également historiques, de ceux qui y participent18(*). On rencontre l'individu qui parle et agit. L'Etat n'apparaît nulle part à la manière de l'individu. On ne voit et n'entend jamais que les représentants de l'Etat, ministres, soldats, fonctionnaires, policiers. Mais cela ne signifie pas que l'Etat serait la somme de ses représentants, pas plus qu'il n'est la somme des citoyens. La forme de l'Etat est réelle et cette réalité réside dans le fait que c'est en fonction de l'Etat qu'on est citoyen ou fonctionnaire. L'Etat ne parle pas. Ce qui parle en son nom, c'est d'après Eric Weil, le gouvernement, c'est-à-dire l'ensemble de « ceux qui exercent les fonctions d'autorité, c'est-à-dire décident pour tous et au nom de tous en tant que ces « tous » sont membres de la société et de l'Etat »19(*). Le gouvernement forme le seul ressort de l'action. Le gouvernement parle au nom de l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ainsi, peut-on dire que la forme de l'Etat s'incarne dans les institutions sur lesquelles il repose. Certes, l'Etat reste une réalité particulière et c'est comme telle qu'il reste maître de ses décisions. D'autant plus qu'il n'ya pas dans le monde d'aujourd'hui, d'Etat universel, chaque nation continuant à jouir de sa souveraineté, dans l'acte où elle se soumet ou refuse de se soumettre à la volonté exprimée des autres Etats. Si l'Etat représenté par le gouvernement s'appuie sur l'administration pour rendre manifestes ses décisions, la question que nous pouvons nous poser est celle de savoir ce qui caractérise l'administration elle-même.

Ce qui caractérise l'administration, c'est qu'elle est, selon les dires d'Eric Weil, l'organe de la rationalité technique de la société particulière. Elle est l'organe subordonné qui remplit les tâches qu'elle ne détermine pas. Elle n'a pas de droit de décision, à moins qu'il ne lui soit délégué par le gouvernement, expressément et dans les limites déterminées par la loi. L'administration exécute la volonté du gouvernement, une fois la décision prise, décision qu'elle n'a pas le droit de remettre en question, quoiqu'elle puisse et doive faire connaître au gouvernement les observations faites par elle au cours de cette exécution. D'où l'indispensable question des tâches ou fonctions de l'Etat.

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE

Il ressort de l'analyse développée ci-dessus que l'Etat est une notion diversement perçue par les hommes. C'est cette diversité qui fait de lui un objet de réflexion depuis les premiers penseurs jusqu'à nos jours ; réflexion qui nous révèle que l'Etat est l'organisation politique d'une communauté historique. Et en tant qu'organisée, cette communauté historique est capable de prendre des décisions. Il s'agit de décisions sur ses actions, son fonctionnement, bref, des décisions qui engagent son devenir ou sa destinée. Il est le produit et l'invention de la rationalité de l'homme, car l'homme voyant qu'il ne sera pas assez fort pour être toujours le maître a eu l'idée d'une telle institution pour la garantie de sa sécurité personnelle et celle de ses biens. L'Etat n'est pas né par un coup de baguette magique. Il est le fruit d'un long processus, un processus long qui s'est révélé finalement prometteur et qui a été atteint. Dans le cadre de ce processus, il apparaît clairement qu'avant de parvenir à ce que nous appelons de nos jours l'« Etat », l'homme est passé par d'autres organisations intermédiaires qui sont entre autres la famille, la tribu, puis de la morale à communauté, et de la société à l'Etat proprement dit. Etant instauré, l'Etat comme nouvelle organisation politique et rationnelle de la communauté historique s'est donné pour tâche d'assumer un certain nombre de rôles ou de fonctions et ce pour les intérêts généraux et particuliers de cette communauté historique. Ces rôles sont d'une part, la défense du territoire et des intérêts généraux et vitaux de la communauté particulière contre les dangers qui la menacent soit de l'intérieur, soit de l'extérieur, la garantie de la paix et de la sécurité de l'individu, la sanction infligée à tout fauteur de trouble qui ne respecterait pas les lois et règlements en vigueur, et d'autre part, l'attention à la croissance économique, à la cohésion sociale en faisant barrière à toute politique de discrimination raciale, ethnique ou autres.

Pour finir, je dirai que l'Etat tout en étant le fruit d'une longue organisation, est un processus dynamique qui évolue dans le temps et dans l'espace. Parler de l'Etat, c'est parler d'un tout complexe qui implique divers paramètres. L'Etat ne se réduit pas seulement au gouvernement. L'Etat, c'est tout le monde, c'est l'ensemble des citoyens allant en ordre décroissant allant des gouvernants jusqu'aux gouvernés en passant par les institutions. Cette partie du travail nous a permis de dépasser l'idée réductionniste qu'on se fait de l'Etat en le ramenant seulement au seul niveau des gouvernants. L'Etat n'est pas la propriété d'une catégorie donnée. Il appartient à tout le monde, y compris à l'esclave puisque vivant sur un territoire relevant de l'autorité de l'Etat. Donc, l'Etat est plus que ce que nous pensions, et sans lui, règnerait un perpétuel état de nature, un état qui pourrait être caractérisé par la vengeance, la guerre de tous contre tous, où l'homme serait un loup pour l'homme.

DEUXIEME PARTIE : DE l'ETAT DEMOCRATIQUE

Chapitre 1 : La démocratie : l'approche weilienne de l'Etat constitutionnel ou démocratique

Introduction

La démocratie est une notion diversement perçue par les hommes. L'expression « démocratie » à mon avis, fait partie des réalités dont parle saint Augustin lorsqu'il écrit :  « quand on ne vous a jamais demandé d'en parler, vous croyez tout savoir ; mais quand on vous demande de le faire, vous vous rendez compte que vous n'en connaissez pas grand-chose » .

Ce constat justifie combien la démocratie est à la fois banale, parce que tout le monde en parle, mais délicate, parce qu'elle est complexe dans son contenu, et très précise en vertu de son application diversement réalisée dans la réalité politique.

Il faut dire que la démocratie est un idéal ; un idéal selon lequel tous les individus sont appelés à trouver leur compte, quant au respect et à la satisfaction de leurs besoins vitaux. Il s'agit bien entendu d'un idéal politique où l'individu verra ses droits primordiaux respectés. Dès lors, la force, la dictature cèderont la place au droit. Le peuple déjà meurtri sous des autorités dictatoriales décide de prendre en mains ses destinées. La démocratie se révèle un mot passe-partout de nos jours. Chaque pays, chaque peuple désire être appelé démocratique non seulement à cause de la simple expression mais à cause du fait qu'elle est, de tous les systèmes politiques, le moins mauvais.

Si nous admettons que l'expression « démocratie » est une notion à la fois banale et délicate, la question que nous pouvons nous poser est de savoir ce qu'elle signifie d'une part et, et de dégager d'autre part les raisons qui expliquent à la fois son emploi et son choix, comme système politique idéal, par bon nombre d'Etats. Bien qu'elle soit une notion qui va au-delà de ce que croit le commun des mortels, c'est-à-dire qu'elle soit complexe, ce chapitre a pour but de montrer ce que nous entendons par démocratie et comment elle se définit dans la perspective d'Eric Weil .

I - La démocratie

I.1- Approche étymologique de la notion

Le terme démocratie est apparu dans la langue grecque au Vè siècle avant Jésus-Christ pour désigner une forme particulière d'organisation de la Cité. Etymologiquement, le terme « démocratie » est dérivé de deux mots grecs « äåìïò » qui veut dire peuple et « êñáôïò » qui signifie pouvoir. De ce fait, la démocratie est le gouvernement du peuple pour le peuple. Plus concrètement, la démocratie est le régime politique où le peuple exerce lui-même sa souveraineté. En d'autres termes, elle est le régime politique dans lequel tous les citoyens possèdent à l'égard du pouvoir un droit de participation (vote) et un droit de contestation (liberté d'opposition). Dès lors, il importe de distinguer la démocratie directe où le peuple exerce sa souveraineté lui-même sans l'intermédiaire d'un organe représentatif et la démocratie représentative où le peuple est représenté par des mandataires élus.

L'usage et la signification du mot « démocratie » ont connu depuis le XIXè siècle une extension considérable, qui se mesure au fait que la quasi-totalité des Etats actuels se proclament démocratiques. Mais cette extension s'accompagne d'un changement de statut : la démocratie ne désigne plus un régime parmi d'autres, mais semble être l'horizon de tout ordre politique légitime. L'accession de la démocratie au statut d'idéalité normative se traduit par le fait que cette notion recouvre désormais, plus que les institutions définies, un ensemble de valeurs : les droits de l'homme. La notion tend par là ( la variété de ses usages en témoigne) à n'être plus d'ordre strictement politique, alors qu'elle-même est devenue la référence commune, et peut-être équivoque, des projets politiques les plus divers.

Si la démocratie désigne étymologiquement le « règne du peuple », elle l'est au double sens que semble avoir comporté très tôt le terme « äåìïò » qui implique non seulement la communauté politique tout entière, mais également le petit peuple. Nous pourrions dire que la démocratie fut la réponse à une crise de l'ordre traditionnel, aristocratique et tribal. C'est ce que stipule d'ailleurs Aristote par cette fameuse phrase : « A Athènes, cité qui grandit en même temps que la démocratie20(*) ». Désormais, le pouvoir est exercé par l'Assemblée du peuple dont le conseil n'est qu'une large commission permanente, au sein de laquelle sont les magistrats. La participation des citoyens aux institutions, assemblée, tribunaux, magistrature, est massive et active. Pour la première fois dans l'histoire, l'identité personnelle et collective se constitue dans l'espace public, et ne dépend plus essentiellement des réalités familiales ou tribales. La naissance de la démocratie est celle d'un nouveau mode du vivre ensemble ; elle accompagne l'invention de la politique. Elle révèle l'essence de la polis et il n'est pas fortuit que ce qu'Aristote nomme politeia, c'est-à-dire « gouvernement constitutionnel » mais aussi « constitution » tout court, ne soit rien d'autre qu'une démocratie de bonne qualité. Selon cette analyse, la démocratie est l'Etat politique dans lequel s'exerce la souveraineté des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité. Au total, la démocratie est à la fois l'idéal du gouvernement du peuple par le peuple et les institutions de fait ou de droit qui s'en réclament.

La description des formes contemporaines de la démocratie montre qu'elles présentent toutes au moins deux caractéristiques communes : la première, c'est qu'elles constituent des régimes représentatifs, la seconde, c'est leur idéologie héritée du XVIIIè siècle. L'idée démocratique est souvent assimilée à l'idée égalitaire. Celle-ci renvoie immédiatement à l'idée d'évolution, puis de progrès : sous peine de mort, la démocratie doit affirmer que si l'égalité n'existe pas dès à présent, elle est au moins à venir, en dépit des apparences. Les piliers d'une démocratie sont la souveraineté du peuple, la reconnaissance et le respect des droits des minorités, la garantie des droits fondamentaux de la personne humaine.

Si la démocratie s'entend comme la description que nous venons de faire ci-dessus, il importe de savoir ce qu'elle est pour Eric Weil.

I.2 - La démocratie selon Eric Weil

Eric Weil n'utilise pas le terme démocratie et cela pour des raisons que lui-même évoque en ces termes :

il ne suffit pas de promulguer une constitution raisonnable pour que la communauté vive par la raison. Il ne suffit pas non plus, de parler de démocratie pour que les citoyens soient capables ou seulement désireux de prendre part aux décisions qui règlent le sort de la communauté 21(*)

Ce constat traduit selon lui, la difficulté qu'il y'a à définir le terme démocratie. En d'autres termes, ainsi que le souligne Eric Weil, la démocratie n'est pas un mot passe-partout ;  il est d'un emploi tellement difficile qu'il vaudrait presque mieux renoncer à son emploi. Pris dans son sens étymologique, il ne recouvre aucune réalité : le peuple opposé aux institutions sociales et politiques qui lui donnent une structure et la possibilité de réfléchir et d'agir, n'existe pas en tant qu'unité et, à plus forte raison, ne décide de rien. Les décisions, la réflexion, l'action sont l'affaire des institutions - et c'est à ces institutions que le terme de démocratie, dans l'acception indiquée et qui n'est pas celle des philologues, oppose le peuple. C'est le gouvernement qui réfléchit et agit, et il peut le faire avec l'aide et le concours d'une représentation du peuple, non pas du peuple22(*) . Si nous nous limitons à la dernière phrase, nous sommes en droit de dire avec Eric Weil que la démocratie est un système politique où le gouvernement réfléchit et agit avec l'aide et le concours d'une représentation du peuple et non le peuple tout entier. D'un point de vue formel, la réticence d'Eric Weil à employer le terme « démocratie » réside dans le fait que la démocratie est un régime politique dans lequel le peuple exerce lui-même sa souveraineté. En fait, dire que le peuple exerce lui-même sa souveraineté ne signifie pas que c'est tout le peuple qui prend part aux décisions devant régir son sort ou celui de la communauté entière. Loin de là ! Dans le fond, c'est une partie du peuple qui prend part aux décisions et cette partie est celle à laquelle le peuple a lui-même confié la tâche ou la mission de le représenter. Il s'agit bien entendu du parlement, organe ou institution qui représente et incarne les désirs et les volontés de ce peuple en vue de ses intérêts généraux et particuliers. Mais Eric Weil poursuit sa réflexion :

 si en revanche, on nomme démocratique tout gouvernement qui jouit de l'adhésion des citoyens, les différences de forme n'entrent plus en ligne de compte, et le gouvernement le plus autocratique peut être plus démocratique que tel régime constitutionnel 23(*).

Cette réflexion est pertinente en ce sens qu'elle relève l'idée sournoise, voire erronée, qu'on tend à se faire de la démocratie. La démocratie en elle-même comme idéal n'est pas corrompue, mais c'est l'usage qu'on en fait qui fait dévier de cet idéal. La démocratie ne signifie pas le fait d'avoir un gouvernement qui jouit de l'adhésion de ses citoyens. Elle est plus que cela. Elle inclut non seulement un gouvernement qui reconnaît et respecte la constitution comme loi fondamentale, mais également elle implique le respect et l'application de la légalité constitutionnelle. Il ne suffit pas pour un gouvernement d'abuser de la naïveté du peuple pour se proclamer démocratique. C'est contre ces manies que Weil se montre un peu réticent quant à l'emploi du terme démocratie.

Cependant, force est de constater que la description et l'analyse que Weil fait de l'Etat constitutionnel sont celles que nous reconnaissons de nos jours à certains de nos Etats qui se disent démocratiques. En fait, nous notons que Eric Weil évite ce mot dans sa Philosophie politique, parce qu'il s'efforce d'utiliser un vocabulaire aussi peu chargé que possible de connotations affectives et d'évaluations subjectives. La démocratie correspond donc à ce qu'Eric Weil analyse sous le concept d'Etat constitutionnel. Ce qui fait du gouvernement constitutionnel un gouvernement démocratique, c'est le fait que chaque citoyen soit considéré comme gouvernant en puissance et non seulement comme gouverné. Ce statut de gouvernant en puissance est un statut juridique : il correspond au fait que tout citoyen en possession de ses droits civiques peut prétendre exercer une fonction politique (notamment en sollicitant un mandat électif). La démocratie ne se définit donc pas seulement par le suffrage universel, mais aussi par l'éligibilité de tous les citoyens à des conditions définies par la loi.

Correspond à ce statut de gouvernant en puissance la participation de tous à la discussion publique sur les problèmes de la communauté. Tout régime, tout mode de gouvernement suppose la discussion. L'Etat constitutionnel, qui correspond plus particulièrement sous cet aspect à ce que nous entendons par démocratie, se définit ainsi par la discussion ouverte (publique) et universelle (qui concerne la totalité des citoyens).

I.3 - Les raisons de la démocratie

La démocratie est inévitable, parce qu'elle est la seule voie par et dans laquelle la société peut être dirigée par le droit plutôt que par la force. En effet, la démocratie reconnaît et proclame le droit et la liberté d'opinion et de jugement personnels : sur chaque question, chaque citoyen a le droit de se prononcer, c'est-à-dire de penser et de dire ses opinions et ses jugements. La liberté d'expression recouvrant la liberté d'opinion, de conscience, de pensée, de presse et ses corollaires vise la libre communication orale ou écrite des pensées, des opinions et toute manière d'être dans la cité sans être pour autant inquiété par le pouvoir politique ou par le groupe dominant, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. Cette définition correspond aux articles 10 et 11 de la Déclaration de 1789 à la suite de la première révolution française qui a abouti à la prise de la Bastille. Cela conduit en fait au respect de chaque individu, de chaque citoyen, au progrès de la vérité et au bonheur des hommes. Ce respect garantit l'égalité de tous dans la société et oblige l'Etat à n'imposer le silence à aucune idée ni à aucune manière d'être. Evidemment, une telle conception de la liberté est à remettre en cause ; cependant, elle a l'avantage d'exprimer que la liberté d'expression est un moyen de lutte contre l'avènement de la tyrannie. A l'heure actuelle, les hommes ont une conscience croissante de leurs droits et de leurs libertés et ils se préparent à exiger la reconnaissance de leurs libertés et leur mise en application concrète. Ainsi, les principes de noblesse oblige et de natus imperio qui étaient utilisés pour justifier les lois de l'aristocratie ou celles des nouvelles dictatures s'avèrent faux.

Aujourd'hui, beaucoup croient à la croissance de la démocratie, d'autres en parlent avec joie, d'autres encore s'en lamentent parce que leurs espoirs sont déçus. Cela montre l'importance de la démocratie pour l'épanouissement ou pour l'avilissement de l'individu.

Une société où les libertés de parole, de pensée, d'opinion, d'association et de religion ne sont ni reconnues ni respectées laisse le plus souvent à désirer. Cette situation est révélatrice de l'immaturité politique de cette société. Certes, ceux qui gouvernent ont alors mis en oeuvre leur raison pour planifier le liberticide ; mais leur raison est ainsi mise au service du mal ou, mieux, de l'asservissement des autres. Car, la raison est la faculté de discerner, de sortir des ténèbres et de l'erreur, de se corriger, de choisir, d'adhérer au bien, d'intuitionner, de comprendre, de réfléchir, de juger et d'aimer. Or, un homme mûr est celui qui est capable de se servir de sa raison pour sa conduite et pour ses choix ainsi que pour tout ce qui a trait à sa vie privée et à sa vie en société.

Ainsi, celui qui peut se servir librement de sa raison sans porter atteinte à la liberté d'autrui jouit d'une grande liberté. Ses facultés ont atteint leur maturité et dès ce moment, son autonomie individuelle est atteinte, autonomie en tant que capacité de s'améliorer par le raisonnement et par la discussion. Celui qui réfléchit sur la vie en général, sur la vie sociale, sur la politique, sur les cultures et sur sa propre personne, celui qui est capable de douter, de mettre en question ses propres opinions et de les modifier par induction et par déduction bénéficie de la liberté. Cela suppose donc une certaine somme d'expérience et surtout un pouvoir de dépassement. Autrement dit, cette capacité suppose que l'individu soit sage au sens socratique ou aristotélicien du terme. Et celui qui n'est pas encore capable de réfléchir par lui-même n'est pas encore mûr et n'est donc pas encore sage ; par conséquent, il a besoin d'un tuteur pour l'aider à être lui-même. Tel est le cas des mineurs. Mais le drame de nos sociétés est de réduire même ceux qui sont capables de réfléchir au rang de mineurs. C'est ainsi que le groupe dominant opprime tous ceux qui veulent secouer son joug de fer et il brise de la sorte toutes les individualités.

II - La notion d'Etat démocratique

II.1 - L'analyse de l'Etat démocratique selon Eric Weil

Pour Eric Weil, l'Etat constitutionnel ou démocratique est l'Etat dans lequel le gouvernement se considère, et est considéré par les citoyens comme tenu à l'observation de certaines règles légales qui limitent sa liberté d'action par l'intervention obligatoire d'autres institutions et définissent ainsi les conditions de la validité des actes gouvernementaux24(*). En d'autres termes, dans l'Etat constitutionnel, la loi règle et limite la liberté d'action du gouvernement25(*). Les lois - dont la plupart sont l'expression juridique des initiatives politiques du gouvernement ne peuvent être mises en oeuvre sans avoir été formellement adoptées par le parlement. Cet état de choses suppose donc que les tribunaux soient autonomes, la participation des citoyens à la législation et à la prise des décisions politiques est requise par la loi.

Dans l'Etat constitutionnel ou démocratique, le citoyen dispose d'un recours légal contre les actes de l'administration, soit devant les tribunaux ordinaires, soit devant des cours spéciales (tribunaux administratifs). Le citoyen peut invoquer le droit devant les autorités indépendantes du gouvernement et de l'administration et obtenir d'elles, soit qu'une mesure illégale soit invalidée, soit qu'un tort soit redressé (dommages-intérêts, restitutions etc). Le gouvernement de même que l'administration, est soumis au juge, et les organes du gouvernement sont tenus d'exécuter les décisions judiciaires, d'ordinaire sur instruction du gouvernement, réellement donnée ou supposée telle26(*). Cet état de choses montre que les tribunaux sont maîtres de leurs décisions, de sorte que le gouvernement et son administration agissent sous leur contrôle. D'où il convient de dire avec Eric Weil que

 L'indépendance des tribunaux constitue une condition indispensable. En son absence, l'esprit de cette vie, esprit d'obéissance volontaire et librement consentie aux lois ne saurait se maintenir 27(*)

L'Etat démocratique se caractérise ainsi par le principe de l'interdépendance des pouvoirs, donc par le respect de la loi fondamentale qui règle, d'une part le jeu de cette interdépendance, et, d'autre part, « la modification qui est la sienne propre »28(*). Cela signifie concrètement que la caractéristique de l'Etat démocratique réside dans le fait qu'il y a non seulement séparation des pouvoirs mais surtout dans le fait que la loi y soit respectée par le gouvernement, l'administration, les juges, la législature. En outre, les lois existantes ne peuvent pas être modifiées sans le consentement des citoyens donné dans les formes prescrites par la loi constitutionnelle. C'est dans le respect de ce fait que le référendum a sa place d'or. Il s'agit pour le peuple de se prononcer pour ou contre une décision.

En définitive, la notion d'Etat démocratique ou constitutionnel est chez Eric Weil une notion synthétique qui par certains aspects recouvre la notion d'Etat de droit, et par certaines autres la notion de démocratie. Elle recouvre en particulier la notion d'Etat de droit à partir du principe que l'action gouvernementale s'effectue dans le respect de la loi. L'usage de la force - dans le cadre du monopole de la violence détenu par l'Etat - s'effectue dans les conditions définies par la loi. Cela donne au citoyen des garanties contre l'arbitraire du pouvoir, garanties qui n'existent pas dans l'Etat autocratique puisque le gouvernement y est libre d'agir sans contrôle effectif.

II.2 - Etat démocratique : Etat né ex nihilo ou rejeton des vieilles autocraties ?

Se demander si l'Etat démocratique est un Etat né ex nihilo revient à dire qu'il est né de rien. En d'autres termes, l'Etat démocratique serait un Etat provenant de génération spontané, c'est-à-dire ne portant pas en lui les traces ou les germes d'un système ou d'une organisation politique qui l'aurait précédé. Comme le souligne Eric Weil, l'Etat constitutionnel, que je qualifie de démocratique, est « le résultat d'une révolution ou d'une lutte, d'un refus de gouvernement autocratique »29(*) . Les démocraties modernes sont nées d'un refus : celui de l'arbitraire, du pouvoir despotique, de la dépendance envers les caprices ou les volontés obscures des puissances en place. Il y'a bien en effet à la racine de la démocratie, une méfiance du pouvoir de l'homme sur l'homme, une tentative de limiter celui-ci le plus possible, et peut-être même de rêver de sa suppression. Cette méfiance de l'arbitraire dont tout pouvoir est virtuellement porteur va de pair avec une volonté positive de le contrôler soit par des mécanismes institutionnels divers et équilibrés, soit par le désir explicite que les citoyens puissent juger par eux-mêmes de l'exercice de ce ou de ces pouvoirs. Il s'agit donc d'exiger du ou des pouvoirs qu'ils rendent compte de leurs actes, et qu'ils en rendent compte finalement à l'appréciation des citoyens, à leur jugement, par exemple à leurs suffrages. L'avènement de l'Etat démocratique est la conséquence de l'évolution économique d'une communauté qui, à un moment donné, déterminé non exclusivement mais nécessairement, ne reconnaît pas le gouvernement existant, fondé sur la violence et héritier de celle-ci. Cette communauté veut décider de son propre sort par elle-même, selon la raison, selon les nécessités rationnelles, selon le bon vieux droit antérieur à ce qui maintenant est qualifié d'oppression. Ces analyses nous amènent à soutenir que l'Etat démocratique n'est pas un Etat né ex nihilo. Il a son origine dans une autocratie qui s'est modifiée, soit par la voie du réformisme politique, soit par le biais d'une révolution. Ceci étant, l'Etat démocratique garde de quelque manière les traits de l'autocratie dont il provient. D'où,

 il est possible que le nouveau gouvernement soit de même structure que le précédent, autocratique, mais disposant de la confiance de cette partie des citoyens qui a déclenché la révolution contre le gouvernement antérieur. Le nouveau gouvernement sera alors, pour employer des termes courants, responsable devant le peuple : il n'aura pas seulement la confiance de celui-ci, mais sera soumis à son contrôle 30(*)

II.3 - Son mode de fonctionnement

Comme il a été souligné dans les pages précédentes, l'Etat démocratique n'a pas un fonctionnement anarchique ou anarchiste. Sa référence d'action est la loi et de surcroît la constitution qui est la loi fondamentale. L'Etat démocratique n'est pas une « pétaudière », c'est-à-dire inscrit à la cour du roi Pétaud où chacun agit indignement dans le désordre. L'Etat démocratique fonctionne dans la reconnaissance et dans la proclamation des droits et des libertés des individus. Il s'agit bien entendu des libertés religieuses, des libertés d'expression, d'opinion, de jugements personnels. Cela suppose que sur chaque question, chaque citoyen a le droit de penser et de dire ses opinions et ses jugements. La conséquence de cet état de choses est que l'Etat démocratique vise à travers ces libertés et droits, la libre communication orale ou écrite des pensées, des opinions et toute manière libre d'être dans la cité sans être pour autant inquiété par le pouvoir politique ou le groupe dominant. La loi y est présente pour être respectée. Elle n'est pas la propriété d'une catégorie sociale privilégiée. Elle est là pour tous et tous sont égaux devant elle. Il n'y a donc pas de différences : que l'on soit président de la république ou ministre, administrateur ou commerçant, militaire ou ouvrier, la loi est là pour nous juger et nous ramener à l'ordre et nul n'est au dessus d'elle. Le gouvernement qui est l'organe exécutif n'agit pas comme bon lui semble. Il agit conformément aux prérogatives que lui accorde la loi. Toutes les institutions de la république bien qu'étant autonomes les unes par rapport aux autres, travaillent en synergie, c'est-à-dire dans une interdépendance harmonieuse. Dans un Etat démocratique, la chasse à l'homme, la torture et les exécutions sommaires n'ont pas normalement leur raison d'être.

La démocratie n'est pas synonyme de libertinage. La liberté dont chaque citoyen jouit dans un régime démocratique ne signifie pas qu'il doit en abuser en confondant liberté et désordre. Le régime démocratique présuppose comme conditions minima, du côté des citoyens, la rationalité du comportement et la soumission par consentement à la loi comme formellement universelle, et du côté du gouvernement, la volonté de raison, sinon la raison31(*), c'est-à-dire que le gouvernement s'engage à respecter la liberté raisonnable des citoyens. En cas d'abus, la justice n'hésite pas en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, à dire la loi en prononçant des sentences contre ceux ou celles qui seraient reconnus coupables de trouble à l'ordre public. En fin de compte, nous pouvons affirmer que l'Etat démocratique fonctionne et exerce son action conformément aux lois comme coeur de son agir.

Chapitre 2 : Les caractéristiques de l'Etat démocratique

Introduction

Penser l'Etat démocratique, c'est penser un Etat plus ou moins idéal, c'est-à-dire un Etat où les libertés et les droits de l'hommes sont respectés en fait et non en théorie, où le minimum social commun est garanti. En d'autres mots, c'est penser un Etat politiquement bien organisé et responsable, responsable devant le peuple et responsable de ses actions. Il s'agit bien entendu des actions qui sont conformes au droit ou conformes à ce qui est prescrit par la loi en vigueur.

Si nous convenons que l'Etat démocratique est l'organisation d'une communauté particulière où le gouvernement ne peut pas agir seul, mais doit plutôt agir avec le concours du parlement, il se pose alors un certain nombre de questions. Il s'agit de savoir quelles sont les caractéristiques d'un Etat qui se dit ou se proclame démocratique.

Si l'Etat démocratique se caractérise par le principe de la séparation des pouvoirs et de l'interdépendance dans leur action de ces pouvoirs, donc par le respect de la loi fondamentale qui règle d'une part le jeu de cette interdépendance et d'autre part, « la modification de toute autre loi et la sienne propre »32(*), quels sont alors les éléments ou les facteurs essentiels qui expliquent cette caractéristique ? Qu'en sera-t-il de leur portée ? Autrement dit, quel est l'impact des caractéristiques inhérentes à l'Etat démocratique sur l'ensemble géopolitique ? Les tentatives de réponse à ces diverses questions méritent une étude approfondie.

I - Les caractéristiques de l'Etat démocratique

Nombreux sont les éléments qui caractérisent un Etat démocratique. Au nombre de ceux-ci, nous pouvons citer :

I.1 - La séparation des pouvoirs

Il est généralement admis que le régime démocratique implique le principe de séparation des pouvoirs. Ces pouvoirs sont au nombre de trois : l'exécutif - le législatif - le judiciaire. L'exécutif est représenté par le gouvernement, le législatif par le parlement et le judiciaire par les cours et les tribunaux. D'un point de vue constitutionnel, ces trois pouvoirs sont autonomes l'un à l'égard de l'autre. Cette autonomie suppose que l'un n'a pas le droit d'exercer une sorte d'impérialisme sur l'autre. Cette autonomie ne signifie pas cependant que chaque pouvoir travaille en vase clos. Bien qu'ils soient autonomes l'un à l'égard de l'autre, ils oeuvrent dans une réelle interdépendance et ce, en vue de la réalisation des intérêts généraux et particuliers de l'Etat ou de la nation tout entière.

Cette séparation de pouvoirs suppose également que chacun de ces organes est appelé à respecter les lois qui régissent son fonctionnement ou ses activités.

I.1.1- Le pouvoir exécutif

Le pouvoir exécutif est l'organe de ceux qui gouvernent, de ceux qui prennent des décisions, de ceux qui exercent les fonctions d'autorité, c'est-à-dire qui décident pour tous et au nom de tous en tant que ces « tous » sont membres de la société et de l'Etat. Le pouvoir exécutif est l'instance de décision. Pour Eric Weil, c'est le gouvernement qui est l'organe représentatif de ce pouvoir, c'est lui seul qui parle au nom de l'Etat aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Et, ce faisant, son but ultime est de conserver l'Etat autonome d'une communauté-société existante, sa mission est de réaliser les buts les plus rationnels en vue des intérêts généraux et particuliers de l'Etat. Il est ce qui forme le seul ressort de l'action. Sa tâche naturelle est de favoriser ou d'oeuvrer pour la cohésion sociale. Pour que celle-ci soit possible, il revient à l'exécutif d'être attentif aux situations de mécontentement qui engendrent des révoltes ou des révolutions. C'est la raison pour laquelle nous pouvons affirmer avec Eric Weil que l'exécutif « a un intérêt vital à connaître les facteurs d'insatisfaction qui agissent dans la société et menacent la forme présente de l'Etat 33(*)». Pour la délibération et l'exécution de ses décisions, il s'appuie sur l'administration. Cette dernière est l'organe de la rationalité technique de la société particulière. Elle est l'exécutrice des décisions gouvernementales. Elle est l'organe grâce auquel les décisions du pouvoir exécutif sont rendues.

Dans un État démocratique, la souveraineté du pouvoir exécutif est limitée par l'intervention d'un pouvoir législatif. Que les représentants de l'exécutif soient élus directement par la population ou qu'ils soient choisis par un collège de délégués des citoyens, leur action dans un régime démocratique est soumise au contrôle d'une instance intermédiaire, d'une institution essentielle à l'exercice de la démocratie moderne, qui est l'assemblée législative. Il ne saurait exister de régime démocratique sans cette institution. Le mode de formation de cette assemblée est susceptible de varier d'un État à un autre ; la représentation peut être soit professionnelle, soit territoriale ; le scrutin législatif peut-être aussi proportionnel ou majoritaire. Mais il n'en demeure pas moins que sans une telle institution, la démocratie est inconcevable dans un État.

1 .1.2 - Le pouvoir législatif

Le pouvoir législatif joue un rôle prépondérant dans le processus de fonctionnement de la démocratie. Il est comme le souligne Eric Weil lui-même, l'institution qui caractérise principalement l'Etat constitutionnel34(*), lequel exprime les désirs et la morale vivante de la société-communauté particulière. Exprimant de ce fait les désirs et la morale vivante de la société-communauté, sa tâche consiste à contrôler l'action rationnelle et raisonnable du gouvernement et donne à celui-ci la possibilité d'éduquer le peuple35(*). Dans un Etat démocratique, le pouvoir législatif est la représentation du peuple. Sa fonction, tel que l'exprime Eric Weil, ne se comprend que par rapport au gouvernement, devant lequel il représente la nation : vérité évidente, mais souvent oubliée parce que le souvenir est trop vif de l'époque où l'institution a acquis son importance dans la lutte contre les gouvernements arbitraires.36(*)Le parlement gêne l'action du gouvernement et l'activité de l'administration, cela est exact, - et c'est en cela précisément que réside sa fonction positive. Aucun gouvernement, aucune administration ne peut prétendre à l'infaillibilité. Le parlement est le lieu où le désir traditionnel, voire le besoin, les préférences, les goûts, toute la vie morale entrent en contact avec les nécessités de la rationalité, pour se les soumettre en s'y soumettant. Il incombe à l'assemblée législative d'organiser la discussion des choix politiques opérés par le pouvoir exécutif, par le gouvernement. Le répéter semble être d'une grande trivialité. Mais, outre qu'il faut se méfier du culte de l'originalité quand il est question de pensée, il convient d'indiquer que l'organisation de la discussion dans l'assemblée législative traduit la conviction, essentielle à l'esprit démocratique, que nul n'est infaillible. Il a déjà été indiqué que le régime démocratique consacre l'amenuisement de la croyance en la toute-puissance du gouvernement. La raison de cette démarche devient seulement accessible maintenant. Le régime démocratique se fonde sur le principe selon lequel aucun homme n'est naturellement destiné à commander aux autres, à les guider. Les hommes naissent tous égaux en droits. Dès lors toute autorité ne peut s'établir en leur sein qu'avec leur consentement. La discussion dans l'assemblée législative a pour objectif de susciter le consentement indispensable à l'exercice de l'autorité. Il est significatif de constater que, quelle que soit la composition d'une assemblée législative dans une démocratie moderne, ses membres sont toujours désignés par voie de vote. La fonction de délégué des citoyens n'est pas héréditaire.. Tous les citoyens sont, dans des conditions déterminées par la loi, éligibles aux fonctions de représentants du corps politique. Aristote avait déjà relevé que l'égalité est un principe fondamental dans l'État démocratique37(*). Cette égalité des citoyens est le principal trait caractéristique de l'idéal démocratique.

1.1.3 - Le pouvoir judiciaire

L'indépendance de la magistrature est aujourd'hui unanimement considérée comme une condition capitale du régime démocratique. L'institution de la magistrature est désormais un pilier de l'État démocratique. Cette consécration devrait pourtant surprendre. Le magistrat n'est ni élu par les citoyens, ni choisi parmi ou par leurs délégués. Il est nommé par le gouvernement. Sa désignation n'est cependant pas abandonnée aux humeurs des gouvernants : elle s'appuie sur des critères rationnellement définis, elle exige une qualification, une formation, en un mot, une compétence. Le magistrat est un spécialiste du droit. La consécration de la magistrature comme support du régime démocratique révèle un élément incarné par cette institution, aussi indispensable au fonctionnement de l'État démocratique que l'autorité réclamée par le gouvernement et la discussion organisée par l'assemblée : la compétence.

L'indépendance des tribunaux et la participation requise par la loi, des citoyens à la législation et à la prise des décisions politiques, affirme Eric Weil, caractérise le gouvernement constitutionnel. Dans un Etat démocratique, le gouvernement, de même que son administration, est soumis au juge, et les organes du gouvernement sont tenus d'exécuter les décisions judiciaires, d'ordinaire sur instruction du gouvernement, réellement donnée ou supposée telle. Cet état de choses traduit bien l'autonomie des tribunaux et le souci du respect de la loi, car dit-on, nul n'est au-dessus de la loi, y compris l'Etat même qui la crée. L'autonomie du pouvoir judiciaire traduit également que nous sommes effectivement dans un Etat de droit. Et le magistrat est chargé, à son tour, de dire le droit. Il ne doit pas être partial, sinon il risque de tordre le coup à la justice. Ce droit n'est cependant pas laissé à son inspiration. Il est bien connu que la jurisprudence est une source du droit, que le jugement rendu par une cour est un acte de création de normes juridiques38(*). Mais le droit consiste d'abord et avant tout en un ensemble de règles explicitement formulées, codifiées, qui régissent les rapports entre les membres d'une collectivité. Cet ensemble est organisé, ordonné, hiérarchisé. À son sommet se trouve, dans un État démocratique, la loi fondamentale, la constitution, qui fixe la configuration générale de cet Etat et définit jusqu'aux rapports entre les institutions. La connaissance et l'application de ce droit que coiffe la constitution bâtissent ensemble l'ultime garantie de la pérennité du régime démocratique. Cette connaissance n'est pas accessible à tous les citoyens. Le droit est une affaire de spécialistes, et les représentants de l'ordre étatique ne sont pas toujours de tels spécialistes. D'où la nécessité de recourir souvent à la magistrature pour indiquer le droit, parfois en contradiction avec les décisions même des dirigeants de l'État.

Il est significatif d'observer que l'évolution récente de l'État démocratique culmine dans l'installation de juridictions constitutionnelles et la consolidation de leur rôle39(*). La cour suprême aux États-Unis, ou le conseil constitutionnel en France ou dans certains pays africains où le processus de démocratisation est effectif, montrent que l'instauration de la démocratie semble reposer autant, sinon plus, sur la compétence des spécialistes que sur le consentement des citoyens. Le triomphe de l'institution de la magistrature, avec la hiérarchie de ses juridictions, manifeste bien l'emprise du phénomène de l'institution sur l'État démocratique. L'institution n'est pas seulement nécessaire au fonctionnement de l'État démocratique. La démocratie, du moins telle qu'elle apparaît à l'opinion contemporaine, est le régime des institutions. Nulle part ailleurs la suprématie de l'institution n'est aussi forte que dans l'État démocratique. L'État de droit qu'est le régime démocratique est l'État du droit, l'État des juridictions et, en définitive, des institutions.

I.1.4 - L'Etat de droit

Pour Eric Weil, l'Etat de droit est ce qu'il appelle du le terme allemand de Rechtsstaat. Il s'agit pour lui d'un Etat qui voit l'essentiel non pas dans le monopole de la violence, mais plutôt dans le fait que l'action de l'Etat, de même que celle de tout citoyen soit réglée par les lois40(*).Cela démontre que l'Etat apparaît sous forme rationnelle aux yeux de tous les citoyens, comme ce cadre des lois qui règle tous leurs rapports entre eux, avec la société et avec l'Etat pour autant que ces relations peuvent donner lieu à l'emploi de la violence41(*). La loi est souveraine. Elle est, comme le souligne Eric Weil lui-même

 la forme dans laquelle l'Etat existe en se pensant... C'est à elle de donner la forme de la conscience aux buts derniers de la communauté et puisque la vie consciente de la communauté, capable de transformer tout donné, s'exprime en elle. 42(*)

La loi est loi pour tous les citoyens et tous les citoyens sont égaux devant elle. Cela suppose donc que ce n'est pas l'existence de lois formellement universelles qui donnent à un Etat le qualificatif de démocratique, mais plutôt le fait que les lois sont respectées d'une part, et d'autre part, le fait que les lois existantes ne sauraient être modifiées sans le consentement des citoyens donné dans des formes prescrites par la loi fondamentale. Partant de cette analyse d'Eric Weil, nous pouvons affirmer avec conviction que l'Etat de droit est l'Etat qui respecte les canons du droit, c'est-à-dire n'agit pas contre la loi (nihil contra legem). Il agit toujours en fonction d'un texte juridique (omnia secundum legem). L'Etat de droit respecte une hiérarchie des normes, c'est-à-dire la constitutionnalisation de l'organisation juridique. Cette idée suppose qu'il y a une pyramide de droits dont les plus fondamentaux sont les plus contraignants (on peut donc remettre en cause une loi plus faible au nom d'une loi plus forte). Une telle idée émane du positivisme juridique pour lequel le droit est un système abstrait de règles dotées de force logique. Cette hiérarchie est, en cas de conflit, déterminée par un tribunal adéquat (juridiction constitutionnelle)

L'Etat de droit est une manière de discipliner, d'organiser, mais aussi bien de limiter et de confisquer le respect des droits de l'homme comme droit naturel. Nous pouvons nuancer cette analyse selon laquelle la seule compréhension moderne de la liberté est la liberté dans le droit. C'est dire que l'Etat de droit suppose une logique intérieure à l'Etat ; entre les droits de l'homme et l'Etat de droit, il ya donc une affinité : en fait elle dérive du droit naturel qui postule que le droit n'est pas une entité simple, mais un complexe organisé à partir d'une hiérarchie dite désormais de normes. Les décrets, les arrêtés, les circulaires doivent être conformes aux lois, lesquelles doivent être, à leur tour, conformes à la constitution. D'où le contrôle de la constitutionnalité des lois, qui limitent le pouvoir des législateurs eux-mêmes. En d'autres mots, on considère que les institutions qui exercent la souveraineté doivent prendre des décisions conformes au droit et que, si le droit est modifié, ce doit être selon les procédures elles-mêmes légales. D'où l'Etat de droit est l'Etat où, dans les rapports avec les citoyens, l'administration est soumise à des règles de droit. Les citoyens disposent d'une possibilité de recours contre les décisions si et seulement si celles-ci sont arbitraires ; il y a donc une existence de juridictions qui jugent les différends entre les citoyens et l'Etat. Par ce fait, celui-ci s'oppose à l'Etat de police et devient comme le souligne G. Lebreton

 l'Etat qui,étant à la fois esclave et protecteur des libertés, tire sa légitimité de son aptitude à les développer et à s'y soumettre. Pour que cette « mission-soumission » caractéristique de l'Etat de droit soit menée à bien, deux conditions doivent être réunies. Il faut d'une part que l'action des gouvernants soit enserrée dans une hiérarchie des normes, au sommet de laquelle figure la déclaration des droits, d'autre part que les juges soient suffisamment indépendants pour en sanctionner la méconnaissance 43(*).

La conception d'un Etat soumis au droit soulève cependant une difficulté majeure. Puisque c'est l'Etat qui produit le droit, comment peut-il être soumis au droit qu'il produit lui-même ? Autrement dit, étant donné qu'il est souverain, comment son action pourrait-elle être limitée ?

A cette question, il convient de dire que l'Etat est certes souverain, mais qu'il accepte de lui-même de se soumettre à un ordre juridique qu'il ne peut décider de remettre en cause sans saper les bases mêmes de son action. Ensuite, il faut évoquer le fait que les Etats démocratiques sont des Etats qui ne sont pas nés ex nihilo. Comme le souligne Eric Weil, ils sont le résultat d'une révolution ou d'une lutte, d'un refus de gouvernement autocratique44(*). Et s'ils sont le résultat d'une révolution, d'un refus de gouvernement autocratique, cela suppose que les droits de l'homme étaient bafoués ; et pour que de telles injustices ne se reproduisent plus dorénavant, il faut donc qu'au sommet de la hiérarchie se trouve la déclaration des droits de l'homme qui reconnaît les droits naturels, inaliénables et sacrés. Dans cette perspective, c'est la conformité du contenu des lois aux principes fondateurs des droits de l'homme qui définit l'Etat de droit. Bref, on ne peut parler d'Etat de droit que si et seulement si les gouvernants sont responsables de leurs actes, si les tribunaux sont indépendants et si les citoyens se voient garantir les droits qui en fait leur revenaient de droit.

L'idée que l'action de l'Etat doit se soumettre à des règles juridiques qui garantissent les droits et les devoirs inviolables des citoyens est largement admise. Il y a donc un lien entre Etat de droit et démocratie, car « si tout Etat de droit n'est pas nécessairement une démocratie, toute démocratie doit être un Etat de droit »45(*). Cela conduit à une réflexion sur la nature du droit et sur la distinction entre la légalité et la légitimité des normes juridiques. Par ailleurs, l'Etat de droit n'est pas une réalité statique. Il n'est pas l'expression ou la traduction de principes immuables. Il est une réalité dynamique, liée à l'activité politique. Les principes fondamentaux sont eux-mêmes l'objet d'interprétations et de débats. Par exemple au nom des principes juridiques, la cour suprême des Etats-Unis a sanctionné les principaux textes adoptés à l'initiative du président Franklin Delano Roosevelt lors du New Deal. Mais la réélection de ce dernier, l'évolution des idées relatives à l'intervention de l'Etat dans l'économie, la mise en cause de la légitimité même de la cour par les intellectuels progressistes ont conduit à une évolution des juges constitutionnels. Ces derniers ne sont pas insensibles aux rapports de force politiques et à l'état de l'opinion. La loi elle-même est susceptible d'interprétations, notamment à travers la jurisprudence, mais aussi sous l'influence de la doctrine juridique. Le droit doit être relié à la démocratie ; l'ordre juridique n'est légitime que si les citoyens sont les acteurs du processus d'élaboration des lois (et pas seulement sous forme de l'élection des parlementaires). Les citoyens ne peuvent se percevoir comme collectivement auteurs des règles auxquelles ils sont soumis que dans la mesure où des pratiques et des règles délibératives permettent l'existence d'une véritable démocratie juridique.

Au total, d'après ce qui vient d'être ci-dessus, on déduit que la notion d'Etat de droit recouvre les notions de justice, de respect des libertés d'opinion, d'expression, de pensée, de religion. A ceci, s'ajoute l'instauration réelle et non en théorie du multipartisme où la liberté d'opinion des partis politiques, qu'ils soient de l'opposition ou de la mouvance au pouvoir est garantie. Bref, l'Etat de droit est l'Etat dans lequel  il y'a d'une part, la garantie par l'Etat de la paix intérieure et de la sécurité juridique pour tous les citoyens, mais il y a tout autant d'autre part, l'exigence que l'ordre de l'Etat soit reconnu par les citoyens comme légitime, et ce de leur propre chef, c'est-à-dire délibérément.

I.1.5 - La place de la discussion

Eric Weil estime que c'est dans et par la réflexion sur ce qui est nécessaire que se fait l'éducation des citoyens (y compris des gouvernants). Elle s'effectue sous la forme de la discussion. Dès lors, se pose la question suivante : la discussion est-elle vraiment le seul instrument d'éducation ? Et la vie des Etats modernes est-elle vraiment et exclusivement caractérisée par elle ? En réponse, Eric Weil déclare que cela dépendra du sens dans lequel on aura pris la question. Si l'on cherche un jugement qui porte sur les faits, il faudra reconnaître que la violence joue un rôle de premier plan dans la vie des Etats existants, soit comme violence active, qui tâche d'imposer par tous les moyens ce qu'elle conçoit être le bien, soit comme violence passive qui refuse de servir ce qui lui semble inadmissible, serait-ce au prix de la vie. D'où la discussion forme, selon le principe de l'Etat moderne, ce qu'Eric Weil appelle l'accès à la décision rationnelle. La discussion, pour Eric Weil, est le fondement idéal46(*) du système démocratique. Elle suppose que tout citoyen est considéré comme capable de partager les responsabilités du gouvernement et cela comme gouvernant en puissance47(*).En effet, l'objectif de la discussion est de faire éclater la vérité car « la discussion est le tamis de la vérité et son but ne doit pas être la victoire, mais l'amélioration 48(*)». Mais doit-on tout discuter dans une démocratie ? Il m'est difficile de répondre à cette question si je ne considère pas d'abord une certaine tendance qui a abêti les hommes. Certains hommes ont eu recours aux arguments d'autorité pour fermer la porte à toute discussion, parce qu'ils croyaient que les auteurs auxquels ils se referaient avaient tout dit, qu'ils avaient raison et qu'on ne pouvait rien leur reprocher. C'est une erreur de croire que la liberté de discussion ne fait pas partie intégrante des droits naturels. Enlever à l'homme la liberté de discussion, c'est lui arracher manu militari son être d'homme. Selon Emmanuel Kant,

 la liberté de penser est prise au sens où elle s'oppose à la contrainte exercée sur la conscience. C'est là ce qui se passe lorsqu'en matière de religion, en dehors de toute contrainte externe, les citoyens se posent en tuteurs à l'égard d'autres citoyens et que, au lieu de donner des arguments, ils s'entendent, au moyen des formules de foi obligatoire et en inspirant la crainte poignante du danger d'une recherche personnelle à bannir tout examen de la raison grâce à l'impression produite sur les esprits49(*).

Le droit de discussion n'est effectif qu'en passant au droit à la discussion. Le droit à la discussion est un devoir civil et politique. Lorsqu'un chef d'Etat ou un gouvernement retire à un individu le droit à la parole, il lui enlève de fait le droit à la discussion et fondamentalement la liberté de pensée. Car penser, c'est réfléchir et confronter sa pensée à d'autres pensées. Une pensée n'est valide que si elle accepte de passer par le creuset de la critique, de la discussion et de la loi que s'est fixée l'individu. Le problème du droit à la discussion conduit à celui de la connaissance. On discute pour connaître, ou bien, quand on connaît on doit soumettre sa connaissance à la critique et aux lois de sa propre raison. L'individu doit se convaincre que, pour sortir de l'erreur ou pour être utile à sa société, il a besoin de jouir pleinement de sa liberté de discussion qui est un droit naturel dont il devrait jouir indépendamment de l'apport spécifique de la société pour se critiquer, pour prendre distance par rapport au vécu immédiat, et de sa liberté à la discussion relevant des droits politiques. Cette liberté à la discussion est en fait le droit à la libre expression de la pensée et la garantie de ce droit politique implique la tolérance, le respect de la pensée et de la manière d'être d'autrui ainsi que du respect de l'ordre public50(*).

Si le respect de la dignité de la personne, de sa liberté responsable et de la justice à lui rendre en tout domaine est une référence cardinale, on comprend alors que la démocratie implique une manière de résoudre les conflits et les tensions sociales qui tentera d'écarter le plus possible l'usage de la violence, de la séduction, de la tromperie, de la manoeuvre qui écrase ou terrorise. Autrement dit, la démocratie ne va pas sans une forte dose de non-violence. Plutôt que de dresser les uns contre les autres ou d'écraser l'adversaire, la voie démocratique cherche mille et un moyens de laisser s'exprimer les revendications, ce que Machiavel appelait « les humeurs d'une société » ; et pour ce faire, elle s'ingénie à mettre en place une pluralité de canaux permettant l'expression publique de ces humeurs : existence de partis, de syndicats ou clubs de pensée, presse pluraliste, acceptation de la manifestation des désaccords, y compris par la grève, en tout cas par des expressions publiques fortes, etc. Elle cherche à les laisser s'exprimer pour tenter, au sein de ce concert de protestations et de réclamations qui constitue le surprenant théâtre quotidien de la vie démocratique, de trouver un chemin de solution et de parvenir à des accords satisfaisants. Autrement dit, par rapport à la lutte ou à la violence physique, la démocratie privilégie le débat, la discussion, l'échange d'arguments, ce qui est aussi une façon de faire prévaloir la raison sur la passion, ou plutôt de chercher à travers l'expression des passions ou des indignations ce qui peut encore faire tenir ensemble ceux-là mêmes qui s'opposent. C'est ce qui permet à Eric Weil d'affirmer que la démocratie entretient un rapport essentiel avec la vérité et la raison. Elle présuppose... qu'individus et groupes aient des opinions différentes et des intérêts divergents, mais qu'il existe toujours une voie pour résoudre les conflits si toutes les parties en cause déclarent ouvertement ce qu'elles visent et ce qu'elles veulent et se soumettent à l'obligation de ne proposer que des solutions de portée universelle. Utopie sans doute à bien des égards, mais elle entraîne à parier plutôt sur le débat raisonnable que sur la violence, sur la confrontation d'arguments plutôt que sur l'échange de coups ou de pavés. Par là encore une forme de non-violence constitue bien une valeur de référence. Et cette recherche de non-violence imposera toujours aussi que les « vainqueurs », qui ne sont jamais que des vainqueurs relatifs et temporaires (ainsi dans une élection) aient le souci de respecter la minorité, et non pas de jouer à ceux qui incarneraient seuls la raison, le bon droit ou la justice. Ils devront donc aussi tenir compte des frustrations de l'opposition et continuer à tendre l'oreille à ses revendications. C'est bien pourquoi l'exercice de la démocratie passe par la recherche du compromis. Vais-je choquer si j'affirme que le compromis est une valeur démocratique éminente, justement en ce qu'elle est liée à une volonté de non-violence et à la recherche permanente du bien ou de la justice, alors qu'on sait qu'aucune solution, aucune loi, aucune disposition administrative, si heureuses soient-elles, ne seront pleinement justes ou pleinement satisfaisantes ? Le compromis est en effet lié à une modestie de la raison démocratique, osons le mot : à un sain relativisme qui s'oppose à toute tyrannie d'une vérité supposée connue ou détenue par certains. Certes il est des compromis qui sont des compromissions, des lâchetés, des fuites devant les sacrifices nécessaires, des alibis pour les responsables incapables de prendre les mesures amères qui s'imposeraient. Mais ces fléchissements ne doivent pas compromettre la recherche du compromis, et ils le doivent d'autant moins que tel est bien le régime ordinaire et nécessaire de la vie démocratique, lié à sa philosophie. Eric Weil défend encore avec force l'idée selon laquelle toute démocratie suppose une philosophie précise de la vérité. Il écrit à ce sujet :

 personne, proclame toute démocratie, ne possède la totalité de la vérité, et personne n'est absolument « objectif » (ou ne pense d'une manière totalement « universelle ») ; il y'a de la vérité et elle est le résultat de cette confrontation non-violente d'idées et d'intérêts que l'on appelle une discussion. Personne n'est entièrement « raisonnable », mais il y'a une différence significative entre raison et violence, entre hommes et groupes qui veulent convaincre, et hommes et groupes qui pensent que la victoire justifie la violence51(*) 

Le relativisme dont on accuse souvent la démocratie n'est pas un refus de la vérité, mais il a partie liée avec la perception que toute vérité pratique est le fruit de débats et de confrontations entre points de vue opposés, tout autant que tentative de parvenir à des accords qui ne seront que provisoires, précaires, susceptibles d'être remis en cause, soumis à révision. Et cela implique bien une conception non dogmatique de la vérité, mais une conception fort précise et fort honorable. Il s'agit moins alors de croire que la décision prise ou le compromis atteint répondent à la vérité absolue, mais d'admettre qu'ils cernent au plus près ou au moins mal le bien qui nous est accessible ici et maintenant. Ces valeurs de référence essentielles à l'exercice de la démocratie ne présupposent pas un total accord sur les fins entre les citoyens, elles sont certes liées à un régime de la raison et à un sens de la dignité de l'homme, mais elles ne disent rien sur le destin ultime de l'humanité.

Chapitre 3 : Les faiblesses de la démocratie

En voyant mes analyses ci-dessus, beaucoup doivent se demander si je n'affiche pas un optimisme bien naïf, et donc dangereux, en exaltant ainsi les valeurs de la démocratie. Serais-je

assez idéaliste pour ignorer qu'entre affirmation de valeurs et fidélité concrète à celles-ci, il y'a souvent et toujours un abîme ? En effet, un auditeur avisé, attentif n'aura pas été dupe. La démocratie n'est pas un système politique parfait. Elle a ses limites et ses faiblesses. Et nous savons tous combien nos démocraties sont fragiles, et travaillées par des éléments de corruption qui peuvent signer leur arrêt de mort. L'une des façons pour expliquer cette situation consiste à se placer au niveau des institutions pour analyser les dysfonctionnements. Dès lors que l'on parle

des « valeurs » comme il m'était donné de le faire dans les pages précédentes, on parle d'entités suprêmement friables, fragiles, sans cesse menacées de dégradation et même de disparition. Une valeur en effet n'est pas une chose qui serait là, donnée une fois pour toutes, acquise définitivement parce qu'on en aurait, individuellement ou socialement, reconnu la pertinence ou la beauté. Une valeur, c'est aussi une visée, comme un idéal qu'on se donne mais qu'on ne réalise jamais pleinement. Parler en termes de valeurs, c'est nécessairement penser hors des conforts des théories qui croient qu'une fois bien perçue l'objectivité du réel, du bien, de la vérité, l'assise de l'action est alors assurée. Parler de valeurs, c'est se situer à un entrecroisement entre un principe et une volonté : il n'est de valeur que voulue et assumée par une liberté, donc par un sujet, par un sujet forcément situé en un moment de l'histoire et de sa société. Dès lors qu'une valeur n'est plus voulue, plus comprise, plus assumée, dès lors qu'un sujet se détourne de cet univers de sens ou refuse d'y adhérer, le monde des valeurs se trouve atteint de décadence ou se voit même menacé de mort. Dans les parties précédentes, je montrais que la démocratie n'est pas un fait de nature, mais elle découle d'une culture. Il est donc le produit d'une éducation hautement élaborée, d'un travail des volontés sur elles-mêmes pour qu'elles soient persuadées de la grandeur des valeurs à elles proposées. Or il peut se faire en effet que les volontés se désagrègent, désespèrent de leurs valeurs et donc que les plus belles références se dégradent et se pervertissent. Les valeurs démocratiques n'échappent pas à ce possible déclin au risque d'être elles mêmes dévaluées par ce que Nietzsche appelait le nihilisme.

Faut-il faire ici un long tableau des vices de nos systèmes démocratiques, et évoquer la corruption, les impuissances des pouvoirs à décider, la démagogie exagérée de nombreux acteurs politiques, la complaisance envers l'opinion, la manipulation de cette opinion par mille et un moyens dont disposent nos sociétés armées de média et de sondages ? Surtout comment ignorer le sentiment largement partagé selon lequel les citoyens n'ont plus la certitude de contrôler réellement les pouvoirs (ce contrôle étant la base de toute démocratie), donc d'être les jouets plus que les acteurs de nos systèmes représentatifs ? Comment ne pas reconnaître que ces vices viennent compromettre les discours démocratiques, et détourner les volontés de vouloir les valeurs, les faisant même apparaître comme de pseudo valeurs ou comme des alibis, des masques idéalistes maquillant des pratiques tout à fait opposées ? Il faut en convenir qu'un système démocratique est structurellement dégradable, exposé sans cesse à la dévalorisation, car les valeurs qui le portent doivent être entretenues, inculquées, désirées comme bonnes et souhaitables de préférence à l'abandon, au destin ou à la fatigue devant l'engagement. Le goût de la justice et de la solidarité, le sens, la dignité de la personne humaine, la volonté de contrôler les pouvoirs peuvent disparaître, et qui niera qu'en ce tragique XX è et XXI è siècles en effet, bon nombre de démocraties ont capitulé devant les contre-valeurs de la force, de la violence, de la démagogie ou devant les illusions d'avenirs radieux qui pouvaient dispenser temporairement des chemins malaisés de la démocratie. Pas de démocratie, sans les démocrates convaincus des valeurs de la démocratie. Le pire vient quand la volonté manque. Pour rappel, la démocratie est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Or, depuis quelques décennies, les démocraties sont confrontées à un paradoxe. Alors que ces régimes ne voient plus leur autorité contestée, les études de sociologie électorale soulignent une désaffection grandissante des citoyens pour le jeu démocratique, en particulier pour les élections (locales ou nationales). C'est une défiance croissante des représentés pour les représentants qui se manifeste notamment par des taux d'abstention élevés aux élections. La démocratie a eu raison de ses ennemis jurés, les systèmes totalitaires. Seul type de régime dorénavant acceptable, modèle indépassable, elle n'en est pas pour autant exempte de tout reproche.

Cependant le péril qui la menace n'est plus de nature extérieure, mais plutôt endogène : séparation fictive des pouvoirs, conflits insoluble de la liberté et de l'égalité, défaillances du parlementarisme et du sectarisme des partis, assujettissement choquant du citoyen à l'administration, du droit à la politique, complaisance obstinée des « clercs » pour des idéologies, corruption généralisée trahissant une crise magistrale de l'esprit civique et un recul sans précédent de l'éthique. La démocratie n'est sans doute pas le régime le plus facile à faire fonctionner. L'homme rêve parfois d'un monde aux contours nets, d'une régression dans le giron d'un système paternaliste et autoritaire dont il pourrait dépendre comme le petit enfant dépend de ses parents. Ainsi, il serait délivré du fardeau consistant à prendre des décisions, à s'engager, à revendiquer et il serait de plus délivré de la mauvaise conscience que l'on peut plus ou moins éprouver dans un système démocratique lorsqu'on « laisse faire » quand bien même on pourrait agir ; car l'action demande beaucoup d'énergie et d'abnégation et peut-être une forme de foi. La tentation d'un régime fort, d'un despotisme plus ou moins éclairé est sans aucun doute latente. Le grand frisson des dernières élections présidentielles en France en 2002 nous l'a rappelé. On a frôlé l'abîme dans lequel une partie non négligeable des Français était prête à plonger. L'originalité de la démocratie tient sans doute beaucoup plus au pouvoir que se donnent les hommes de décider collectivement de leur avenir en agissant ainsi sur eux-mêmes. Mais la démocratie ne doit pas se résumer à des apparences formelles, elle doit pour exister réellement être une pratique.

La question des limites et des paradoxes de la démocratie n'est pas une question nouvelle, mais de nouveaux problèmes qui lui sont inhérents se posent aujourd'hui avec une acuité toute particulière. Ayant vaincu les totalitarismes, la démocratie triomphante se trouve confrontée à elle-même, à ses propres démons, à ses limites. La crise de la démocratie vient, selon certains observateurs de la « perte de sens ». Pour Marcel Gauchet52(*), les trois piliers que sont la religion, l'éducation, la politique sont en crise et entraîneraient une véritable désagrégation anthropologique préjudiciable au fonctionnement de la démocratie. Luc Ferry, s'appuyant sur Marcel Gauchet, estime pour sa part que ce qui plus que tout autre trait spécifique à nos espaces démocratiques, ce qui fait obstacle au bon fonctionnement de la démocratie, c'est la fin de l'enracinement des normes et des valeurs collectives dans un univers théologique.

Par ailleurs, il sied de dégager d'autres éléments plus nombreux qui expliquent que nos démocratie soient en crise. Il y a quelques années (en1990), un processus électoral démocratique a été interrompu par le pouvoir algérien, car selon toute probabilité, il allait porter au pouvoir u parti islamiste radical. On se souvient qu'Hitler lui-même a accédé au pouvoir par les élections... On sait ce qu'il est advenu par la suite... L'année 1989 a été marquée par la chute du mur de Berlin. Deux ans après, la démocratie avait théoriquement triomphé dans toutes les nations de l'Est européen et dans toutes les républiques de l'ex-URSS. Mais les rêves entourant l'accès à la démocratie dans les pays de l'Est ne se sont-ils pas transformés pour beaucoup en cauchemars ? En 2002, la France s'est offert une grande frayeur quand un certain Jean-Marie Le Pen, leader populiste d'extrême droite dont les valeurs semblent bien éloignées de l'idéal démocratique est parvenu au second tour des présidentielles. La démocratie peut-elle, doit-elle tolérer en son sein des mouvements qui cherchent à la détruire et qui peuvent arriver au pouvoir en utilisant les opportunités offertes par la démocratie elle même ? Ce que Charles Benoist traduira par le « n'importequisme ». On sait qu'en Angleterre, pays de l'habeas corpus des mouvements islamistes radicaux pouvaient en toute impunité et en toute légalité développer leur propagande anti-démocratique et leurs discours poussant à la haine et au terrorisme. Aujourd'hui, la nation phare de la démocratie, les Etats-Unis, se sont lancés dans une offensive militaire en Irak, sans l'aval de l'ONU et sans avoir réussi à convaincre ses alliés au bien fondé de cette action. De même, les opinions publiques sont désormais majoritairement opposées à un conflit dont on comprend mal les raisons. En fonction de quelle légitimité cette décision est-elle prise ? On pouvait pourtant s'imaginer que dans un pays démocratique, la participation des citoyens au calcul des coûts et des bénéfices d'une solution violente allait freiner les ardeurs belliqueuses et que les contraintes institutionnelles - notamment la séparation des pouvoirs législatif et exécutif - ainsi que la complexité des processus de prise de décision tendraient à limiter l'autonomie et la marge de manoeuvre des dirigeants et donc les risques de débordements arbitraires. Enfin, on pourrait espérer que la culture politique qui est celle des démocraties inciterait à rechercher une solution négociée transposant au niveau international les normes, les règles et les procédures reconnues comme valides privilégiant la tolérance, la négociation de compromis et la recherche de consensus plutôt que la menace ou l'usage de la force.

Ce fut la déception de plus d'un. On pouvait penser que la guerre en Irak, allait faire émerger des personnes désireuses de débattre sur le thème de la démocratie, sur ses problèmes, ses paradoxes et ses limites...Mais malheureusement, le sujet n'a pas fait déplacer les foules. Si l'on en croit les réactions des uns et des autres, des constats plus ou moins pessimistes voire désabusés, montreraient la démocratie est en crise. Démocratie de quelle forme ? Démocratie directe ou démocratie représentative ? Nous constatons que dans les pays qui se disent démocratiques, qu'ils soient de l'Occident ou du TIERS-MONDE, le pouvoir du peuple doit nécessairement être délégué. Mais quelle est la marge de manoeuvre des hommes politiques, des élus ? Certains pensent que le vrai pouvoir est ailleurs, au niveau des décideurs économiques, financiers, des experts... Entre pessimisme absolu et optimisme relatif, il convient de rappeler cette phrase de Churchill qui considérait la démocratie comme le pire des systèmes... à l'exception de tous les autres. Si la démocratie porte en elle de tels malaises, n'est- ce pas là tôt ou tard un mauvais signe annonçant son requiem et le retour en force des vieux démons de l'autocratie ?

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

L'Etat démocratique est cette organisation historique de la communauté où le gouvernement se considère, et est considéré par les citoyens, comme tenu à l'observation de certaines règles légales qui limitent sa liberté d'action par l'intervention obligatoire d'autres institutions et définissent ainsi les conditions de la validité des actes gouvernementaux. En d'autres termes, dans l'Etat constitutionnel, la loi règle et limite la liberté d'action du gouvernement. Il n'est pas un système politique né ex nihilo. Il est un système qui tire son origine des vieilles autocraties. La démocratie est, à mon humble avis, le dépassement et le souci d'amélioration, de rejet des caprices et autres inepties des autocraties. Son mode de fonctionnement est centré sur le respect des lois et des règlements en vigueur. Car dans la démocratie, nul ne peut prétendre être au-dessus de la loi. Du gouvernement jusqu'aux simples citoyens, tous sont tenus au respect et à l'application de la loi fondamentale. De par ses caractéristiques propres, la démocratie est un système politique qualifié de moindre mal. Comme tout système de valeurs, la démocratie se constitue dans une opposition à un mal qu'elle refuse et qu'elle tente par conséquent de repousser. Il s'agit bien entendu de l'arbitraire, du pouvoir despotique, de la dépendance envers les caprices ou les volontés obscures des puissances en place. La démocratie veut, de par ses principes, redonner à l'homme sa dignité, une dignité longtemps bafouée par les régimes autocratiques. Les conséquences de la démocratie sont la liberté d'opinion, de parole, de pensée, de religion, la libre entreprise, la stabilité politique fondée sur des élections régulières, libres et transparentes. Le souci majeur de l'Etat démocratique, c'est de favoriser l'esprit créateur en chaque individu et de respecter ses droits naturels ainsi que la recherche, la bonne gestion et la distribution équitable du Bien commun. Mais à côté de ce souci, demeurent d'innombrables difficultés auxquelles la démocratie est appelée à faire face et à se corriger si elle veut assurer durablement son existence.

CONCLUSION GENERALE

Au terme de cette longue réflexion avec Eric Weil, il convient de noter que l'Etat est une notion diversement perçue par les hommes. En tant que communauté historique organisée, l'Etat est capable de prendre des décisions. Il s'agit de décisions portant sur ses actions, son fonctionnement, bref, des décisions qui engagent son devenir ou sa destinée. L'Etat est le produit et l'invention de la rationalité de l'homme, car l'homme, voyant qu'il ne sera toujours assez fort pour être toujours le maître, a eu l'idée d'une telle institution pour garantir sa sécurité personnelle et celle de ses biens. En d'autres termes, l'Etat n'est pas né par un coup de baguette magique. Il est le fruit d'un long processus, qui s'est révélé finalement prometteur et a atteint ses buts. Dans ce cadre du processus, il apparaît clairement qu'avant de parvenir à ce que nous appelons de nos jours Etat, l'homme est passé par d'autres organisations intermédiaires qui sont entre autres la famille, la tribu, de la morale à la communauté, de la société à l'Etat proprement dit. Etant instauré, l'Etat comme nouvelle organisation politique et rationnelle de la communauté historique s'est donné pour tâche d'assumer un certain nombre de rôles ou fonctions et ce pour les intérêts généraux et particuliers de la communauté historique. Ces rôles sont d'une part, la défense du territoire et des intérêts généraux et vitaux de la communauté particulière contre les dangers qui la menacent soit de l'intérieur, soit de l'extérieur, la garantie de la paix et de la sécurité de l'individu, etc.

Pour finir, je dirai que l'Etat tout en étant le fruit d'une longue organisation, est un processus dynamique qui évolue dans le temps et dans l'espace. Parler de l'Etat, c'est parler d'un tout complexe qui implique divers paramètres. L'Etat ne se réduit pas seulement au gouvernement. L'Etat, c'est tout le monde. Donc, l'Etat est plus que nous pensions, et c'est sans lui, règnerait un perpétuel état de nature, un état qui pourrait être caractérisé par la vengeance, la guerre de tous contre tous, où l'homme serait un loup pour l'homme. Contrairement à d'aucuns qui considèrent l'Etat comme un mal, comme une institution détestable qui prive l'homme de ses droits naturels, je dirai plutôt que l'Etat est un moindre mal. Il est un moindre mal, parce qu'il est institué par le consentement de tous qui confient leurs droits à une autorité alors qu' en retour cette dernière a pour tâche de sauvegarder leurs droits dans le cadre d'institutions justes et légitimes. Ces institutions, pour que leur justice et leur légitimité acquièrent la confiance des contractants, doivent, dans l'exercice de leurs tâches, être impartiales pour ne pas créer des frustrations qui constituent une menace pour l'existence même de l'Etat.

L'Etat démocratique est cette organisation historique de la communauté où le gouvernement se considère, et est considéré par les citoyens comme tenu à l'observation de certaines règles légales limitant sa liberté d'action et comme requérant l'intervention obligatoire d'autres institutions définissant les conditions de validité des actes gouvernementaux. En d'autres termes, dans l'Etat démocratique, la loi règle et limite la liberté d'action du gouvernement. Il n'est cependant pas un système politique né ex nihilo. Il est un système qui tire son origine des vieilles autocraties. Sa devise est centrée sur le respect des lois et règlements en vigueur. Car dans la démocratie, nul ne peut prétendre être au dessus de la loi. Du gouvernement jusqu'aux simples citoyens, tous sont tenus au respect et à l'application de la loi fondamentale. De par ses caractéristiques propres, la démocratie est un système politique qualifié de moindre mal. Comme tout système de valeurs, la démocratie se constitue dans une opposition à un mal qu'il refuse et qu'il tente par conséquent de repousser. Il s'agit bien entendu de l'arbitraire, du pouvoir despotique, de la dépendance à l'égard des caprices ou les volontés obscures des puissances en place. La démocratie veut, de par ses principes, redonner à l'homme sa dignité, une dignité longtemps bafouée par les régimes autocratiques. Les conséquences de la démocratie sont la liberté d'opinions, de parole, de pensée, de religion, la libre entreprise, la stabilité politique fondée sur des élections régulières, libres et transparentes. Le souci majeur de l'Etat démocratique, c'est de favoriser l'esprit créateur en chaque individu et de respecter ses droits naturels ainsi que la recherche, la bonne gestion et la distribution équitable du Bien commun. Mais à côté de ce souci, demeurent d'innombrables difficultés auxquelles la démocratie est appelée à faire face et à se corriger si elle veut assurer durablement son existence.

BIBLIOGRAPHIE (*)53(*)

A - OEuvres d'ERIC WEIL

ERIC WEIL, Philosophie politique, Paris, J. Vrin, 1984.

, Philosophie morale, Paris, J. Vrin , 1961.

, Logique de la philosophie, Paris, J. Vrin, 1950.

, Essais et Conférences, tome II, Paris, Plon, 1970-1971.

B - Etudes sur ERIC WEIL

CANIVEZ P. , Eric Weil ou la question du sens, ellipses, Paris, collection « Philo-philosophes, 1998.

C - OUVRAGES DIVERS

ARISTOTE, La politique, traduction de J. Tricot, Paris, édition J.Vrin, 1995

G. LEBRETON, Libertés publiques et droits de l'homme, Paris, Armand Collin, Collection U, 1995.

M.TROPER, Sur le concept d'Etat de droit, Droits, Paris, n°15, 1992.

MALOUX M. , Dictionnaire des proverbes, sentences, et maximes, Librairie Larousse, Paris.

KANT E. , Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ?, Commentaire, traduction et notes par Alexis Philenko, Paris, J.Vrin, 1959.

KELSEN H. , Théorie pure du droit, traduction C.Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.

CHEVALIER,J., L'Etat de droit, Collection CLES, 3è édition, Montchrestien, Paris, 1999

LAVIGNE P. , Article in Encyclopaedia Universalis, corpus 7, 1999.

Table des matières

Introduction générale 1

PREMIERE PARTIE : DE L'ETAT 5

Chapitre 1 : Approche weilienne de la notion de l'Etat 6

Introduction 6

I.2 - La conception weilienne de l'Etat 6

II - Les types d'Etat moderne chez Eric Weil 9

Chapitre 2 : Du processus historique de l'institution de l'Etat 10

Introduction 10

1 - La genèse de l'Etat 10

1.1 - De la morale à la communauté 10

1.2 - De la Société à l'Etat 14

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE 19

DEUXIEME PARTIE : DE l'ETAT DEMOCRATIQUE 22

Chapitre 1 : La démocratie : l'approche weilienne de l'Etat constitutionnel ou démocratique 23

Introduction 23

I - La démocratie 24

I.1- Approche étymologique de la notion 24

I.2 - La démocratie selon Eric Weil 26

I.3 - Les raisons de la démocratie 28

II - La notion d'Etat démocratique 30

II.1 - L'analyse de l'Etat démocratique selon Eric Weil 30

II.2 - Etat démocratique : Etat né ex nihilo ou rejeton des vieilles autocraties ? 32

II.3 - Son mode de fonctionnement 34

Chapitre 2 : Les caractéristiques de l'Etat démocratique 36

Introduction 36

I - Les caractéristiques de l'Etat démocratique 36

I.1 - La séparation des pouvoirs 37

I.1.1- Le pouvoir exécutif 37

1 .1.2 - Le pouvoir législatif 38

1.1.3 - Le pouvoir judiciaire 40

I.1.4 - L'Etat de droit 42

Chapitre 3 : Les faiblesses de la démocratie 51

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 56

CONCLUSION GENERALE 57

BIBLIOGRAPHIE (*) 60

Table des matières 61

* 1 Eric Weil, Philosophie politique, Paris, J.Vrin, p.70.

* 2 Eric Weil n'utilise pas le terme d'Etat démocratique. Il parle d'Etat constitutionnel. Mais après une lecture sérieuse de son livre Philosophie politique, l'Etat démocratique chez Eric Weil correspond, pour moi, à ce qu'il appelle l'Etat constitutionnel. La description qu'il fait de l'Etat constitutionnel est celle que nous reconnaissons aux Etats que nous qualifions de nos jours d'Etats démocratiques.

* 3 Eric Weil, Philosophie politique, Paris, J.Vrin, 1984, p.142

* 4 Idem, p.131.

* 5 Idem, p.132

* 6 Patrice Canivez, Eric Weil ou la question du sens, Philo-philosophes, collection dirigée par Jean-Pierre Zarader, Paris, Ellipses / édition Marketing S.A., 1998

* 7 Eric Weil, Philosophie politique, Paris, J. Vrin, 1984, p.70

* 8 Eric Weil, op.cit, p.34

* 9 Eric Weil, idem , pp.37-38

* 10 Cette théorie est pour l'essentiel exposée dans deux textes. D'une part, elle est développée dans la Philosophie politique, dans les paragraphes 11 à 14 ( Cf Eric Weil , Philosophie politique , Paris, Vrin, 1956) . D'autre part, Eric Weil y consacre un texte de 1968 intitulé « Du droit naturel » qui est repris dans le premier tome des Essais et Conférences, Paris, Plon,1970, réédité depuis aux éditions Vrin.

* 11, idem p.38

* 12 Eric Weil, Logique de la philosophique, Paris, J Vrin, 1950, p.148

* 13 Eric Weil, philosophie politique, p.62

* 14 Ibidem

* 15 Eric Weil, idem, p.93

* 16 Idem, p.103

* 17 Idem, p.131

* 18 Eric Weil, Essais et Conférences, Paris, Plon, 1971, p.366.

* 19 Eric Weil, Essais et Conférences

* 20 Aristote, La politique, livre VI, 4, 14, Paris, J. Vrin, 1995, pp.438-439

* 21 Eric Weil, idem, p.173

* 22 Idem,  pp.172-173

* 23 Ibidem

* 24 Idem, p.157

* 25 Ibid

* 26 Idem, p.161

* 27 Idem, p.163

* 28 Idem, p.164

* 29 Idem, p.158

* 30 Idem, p.159

* 31 Idem, p.174

* 32 Op.cit

* 33 Eric Weil, Essais et Conférences

* 34 L'Etat constitutionnel au sens de l'Etat démocratique, tel que je l'ai déjà évoqué dans les pages précédentes.

* 35 Eric Weil, Philosophie politique, p.167

* 36 Idem, p.169

* 37 Cf. La politique, Paris, Vrin 1977.

* 38 Cf. Hans. Kelsen, Théorie pure du droit, traduction C. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962.

* 39 Voir à ce sujet J. Chevalier, L'État de droit, Paris, Monchrestien 1992.

* 40Idem, p.143

* 41 Ibid

* 42 Idem, p.144

* 43 G. Lebreton, Liberté publiques et droits de l'homme, Paris, Armand Colin, Coll . U, 1995, p.24

* 44 Eric Weil,, op.cit, p.158

* 45 M. Troper,  Sur le concept d'Etat de droit, Paris, Droits, 1992, n°15, p.59

* 46 Idem, p.203

* 47 Ibid

* 48 Maurice Maloux, Dictionnaire des proverbes, sentences et maximes, Larousse-Paris Montparnasse et 1960, p. 136

* 49 E. Kant, Qu'est-ce que s'orienter dans la pensée ?, Commentaire, traduction et notes par A. Philonenko, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 1959, p.86

* 50 Article de Pierre Lavigne, in Encyclopaedia Universalis, corpus 7, 1993, p.714

* 51 Eric Weil, Essais et Conférences, op.cit, p.356

* 52 Marcel Gauchet est l'auteur d'un livre dont le titre est : La démocratie contre elle-même, Paris, Gallimard.

* 53 Ne sont répertoriés que les oeuvres que j'ai utilisées pour mon travail






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