WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le vocabulaire des discours d'investiture au Québec et en France (1995-2006)

( Télécharger le fichier original )
par Jean-Marie GIRIER
Institut de la communication - Université Lyon 2 - Master 1 en Sciences de l'Infomation et de la Communication 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion

Faire de la politique, c'est d'abord prendre la parole. Pour celui qui la contrôle, le vocabulaire n'est plus très loin du pouvoir. Les linguistes appellent cela « le Besetzung »

Emmanuel Faux

Onze années de gouvernance, onze années de pouvoir, onze discours, sept Premiers ministres, 86 508 mots, les fréquences sont fécondes et offrent une entrée originale dans notre corpus. Nous avons confronté des discours issus de deux pays que seule la langue réunit. L'emploi des mots et la comparaison du vocabulaire ont constitué la trame du travail.

Au-delà, nous avons étudié les discours de politiciens contemporains. Aujourd'hui Lucien Bouchard, Bernard Landry et Lionel Jospin se sont retirés de la vie politique tout en restant des acteurs incontournables à la veille d'échéances électorales importantes. Alain Juppé revient justement du Québec pour relancer sa carrière politique interrompue durant quelques années, et Jean-Pierre Raffarin courtise la présidence du Sénat. Quant à Jean Charest et Dominique de Villepin, ils font face à des contestations chaque jour plus grandes, mais tiennent la barre et poursuivent leur mission au service de l'État.

Dans quelques mois, des élections présidentielles vont se dérouler en France et un scrutin provincial au Québec, les discours seront-t-ils à nouveau semblables ?

Il est indéniable qu'il existe une importante contrainte institutionnelle qui a pesé sur les discours d'hier et dont on peut supputer qu'elle pèsera encore sur ceux de demain. Notre hypothèse selon laquelle cette contrainte déterminerait les termes employés par les Premiers ministres en France et au Québec semble validée aux vues des résultats fournis par l'analyse lexicométrique. Le discours d'ouverture au Québec et la déclaration de politique générale en France présentent de nombreux éléments communs. Premièrement, il s'agit des conditions d'énonciation. Dans chaque pays, ce type de discours relève du rituel et est conditionné par un ensemble de traditions : la forme, qui consiste dans une vision programmatique, mais aussi l'auditoire qui se compose toujours d'une assemblée, et les attentes des citoyens comme des médias. Cet exercice, élevé au rang d'art, fait parti des plus difficiles d'un mandat car il constitue le fondement de la gouvernance future ainsi qu'une sorte de baptême du pouvoir pour le locuteur. Construit sensiblement de la même manière, il s'inscrit dans une chronologie forte et subit le poids des prédécesseurs.

Dès lors, nous avons mis en avant que la France et le Québec partagent les mêmes caractéristiques : formes convenues, thèmes redondants et identiques, faibles innovations lexicales... Le parlé d'assemblée est aujourd'hui marqué par la dépolitisation du discours, la recherche de l'efficacité des mots. Outre le renforcement des valeurs universelles, ce type de discours est teinté par l'enjeu personnel qu'il représente pour le locuteur.

Nous avons démontré empiriquement que les Premiers ministres usent d'un style très proche. Ordinairement, lors du visionnage de ces discours, nous avons tendance à les associer de près, et cela s'explique par le style. Ainsi nous avons fait émerger grâce aux fréquences des vocables certaines caractéristiques communes. Le nombre de mots, la longueur des phrases, le recours aux chiffres ou à la ponctuation ont révélé des proximités intrigantes. Ceci d'autant plus que le style est généralement l'aspect individuel qui permet de distinguer un locuteur. Certes les discours sont écrits par des plumes professionnelles, et les Premiers ministres y ajoutent leur touche personnelle, mais nous postulons que l'institution impose encore un style convenu, comme si la même recette devait être appliquée par tous.

Notre analyse stylistique a permis de faire émerger l'existence de plusieurs formes différentes de ce style de discours. Il existe en France deux sortes de déclarations de politique générale. La première, qui suit la nomination d'un Premier ministre, joue pleinement son rôle programmatique de présentation des grandes lignes des années à venir. La seconde forme est un second discours de milieu de mandat, suivant généralement un remaniement ministériel, qui abandonne une visée trop générale pour se concentrer sur un thème unique. C'est en quelque sorte un discours de crise qui consiste à demander au Parlement de réitérer sa confiance dans l'action gouvernementale. Il intervient pour palier une contestation interne ou nationale, alors le ton adopté est beaucoup plus consensuel, les réussites gouvernementales sont mises en valeur, et les réformes à venir font l'objet d'un éclaircissement particulier.

Nous pouvons également dégager une variable commune aux deux corpus qui réside dans le type de discours adopté. La déclaration est lue, et ne relève aucunement de l'oral. Une comparaison avec des prestations orales d'anciens présidents ou de répliques de l'opposition officielle nous a permis de caractériser notre objet d'étude par une « oralisation de l'écrit ». Le discours d'investiture est le seul de toute une magistrature à ne pas être construit à partir de notes mais écrit, retravaillé et lu mot à mot, preuve qu'il a une importance toute particulière dans un discours d'une telle portée.

En répondant à ces questionnements à propos des contraintes institutionnelles et du style, nous sommes parvenus à la conclusion que les deux pays utilisent un même type de vocabulaire pour évoquer la gouvernance. Au-delà, nous avons souligné que la langue française offre un nombre limité de vocables pour décrire et exercer le pouvoir. Si les discours se ressemblent tant, c'est en partie parce qu'ils mobilisent des mots outils et des mots usuels à une hauteur de plus de 40 % des vocables. De plus, ces termes apparaissent dans les mêmes proportions et parfois dans une répartition similaire dans le texte.

La délimitation du style « discours d'ouverture » nous a permis de le recontextualiser vis-à-vis d'un certain nombre d'autres interventions politiques. Les répliques officielles au Québec nous ont permis d'exclure la polémique, la redondance, et la négativité de notre corpus. La déclaration se veut unificatrice, positive et davantage consensuelle. Par ailleurs, les résultats parfois obtenus nous laissaient croire à des écarts entre la France et le Québec, mais grâce à une mise en parallèle avec d'autres types de discours politiques, nous avons pu rendre compte d'une homogénéité au sein de notre corpus.

Cependant, les limites de la comparaison apparaissent dans les caractéristiques nationales. Les deux pays ne subissent pas la même conjoncture : le Québec se place sous l'ombre du géant américain alors que la France tente de mener l'Europe. Leurs ressources naturelles ne sont pas les mêmes, leurs industries sont différentes, et au-delà, la sociologie même de la population est dissemblable.

Le Québec est marqué par la question nationale. L'avenir de cette province est incertain et les discours se déchirent constamment à propos du débat sur la souveraineté. La contestation du pouvoir fédéral entraîne tout un ensemble de vocables qui caractérisent le discours québécois. C'est en particulier avec les déterminants identitaires que nous avons pu montrer l'importance accordée à la caractérisation d'un peuple québécois.

En France, c'est la conjoncture qui s'est imposée avec la difficile résorption du chômage. Tous les Premiers ministres ont utilisé un fort champ lexical de l'emploi et de l'action. Tout cet ensemble de vocables a été mobilisé en vue de souligner la détermination du gouvernement. En parallèle, nous pouvons constater la réaffirmation des valeurs de la République. Face à la recrudescence de l'exclusion, des incivilités, de la contestation des institutions de l'État, les Premiers ministres se font porteurs de valeurs unificatrices de l'État-repère en prônant la cohésion nationale à travers un pacte républicain.

Au-delà des thématiques nationales privilégiées, nous avons démontré que le système politique influe sur l'emploi des mots. Notre étude des pronoms personnels souligne deux conceptions de la gouvernance. Au Québec, le système parlementaire conduit à une vision collégiale du pouvoir. À l'inverse, le discours en France est très personnalisé, preuve de la place centrale du Premier ministre.

Retour sur la méthodologie

Tout d'abord, il convient d'apporter quelques limites à notre corpus. En termes de représentativité, notre travail présente le désavantage de n'être composé que de peu de discours de Jean Charest et Lionel Jospin. Pour le libéral, nous disposons de deux discours, et pour le socialiste d'un seul. Ce dernier cas présente une situation importante d'isolement au milieu d'un corpus de droite, et nous ne sommes pas dans la capacité de généraliser à partir de cet unique discours. Pour le québécois, nous disposons de données conséquentes dans la mesure où nous avons élargi aux répliques officielles, mais nous ne disposons d'aucun texte d'un autre locuteur libéral. Cependant, pour avoir un corpus davantage équilibré, il aurait été nécessaire de remonter au milieu des années 1980.

Du point de vue de la méthode, nous avons développé en introduction sa rigueur scientifique. Une fois les textes analysés, nous avons généralement confirmation de nos hypothèses intuitives. Comme le souligne Antoine Prost à propos de la lexicométrie :

« On bute ici sur la force rétroactive de l'évidence. L'exposé des résultats suscite une telle impression d'évidence, qu'on s'imagine les avoir toujours connus. L'évidence provoquée par l'étude s'impose comme évidence antérieure à l'étude, et le lecteur conclut de bonne foi que l'étude était inutile, puisque ses conclusions étaient évidentes...150(*) »

Certes l'usage de la lexicométrie prête parfois à la validation d'évidences, mais sa mise en contexte permet également d'obtenir des surprises et des éléments inattendus. Ainsi notre analyse des longueurs de phrase, tout comme l'usage des pronoms personnels nous a permis de mettre l'accent sur des spécificités « cachées ». Par ailleurs, la fiabilité de la méthode rend possible des comparaisons avec des résultats obtenus dans des études précédentes. Ce fait est particulièrement intéressant et permet au chercheur qui étudie un discours de disposer sans cesse de références fiables. Il nous a été possible de rapprocher notre corpus avec des études précédemment établies sur le vocabulaire de René Lévesque, Charles de Gaulle ou encore François Mitterrand.

Si la méthode est scientifique, elle n'en est pas pour autant aisée. Nous avons suivi les normes de saisies et de dépouillement des textes politiques établies par Dominique Labbé en 1990151(*). Le travail sur les homonymies s'est révélé particulièrement long. De même, toutes les mesures que nous avons réalisées manuellement nous ont conduit à de longs dépouillements. Il en est ainsi pour le calcul de la diversité du vocabulaire pour lequel nous avons du partager notre corpus en 86 parties de longueur identique.

Le logiciel Lexico 3.45 présente une interface souple d'utilisation mais s'avère peu performant dès que le corpus est trop long. Nous n'avons pas pu effectuer une analyse factorielle des correspondances. Cette fonction calcule une distance entre les textes puis les dispose sur un graphique, elle nous aurait permis de présenter dans l'espace les différents types de discours et valider nos conclusions.

De même, à travers l'état de la littérature effectué, nous avons noté un certain nombre d'innovations qui méritent notre attention. Tout d'abord, Luong et Barthélémy ont développé en 1998 la représentation arborée des distances entre un corpus de discours. Il s'agit d'un arbre qui n'est pas planté mais qui se présente d'une manière dynamique dans l'espace152(*). Cet outil offre la grande opportunité de traiter le vocabulaire ainsi que la grammaire. Il a récemment été utilisé dans les ouvrages de Damon Mayaffre153(*) et de Dominique Labbé154(*).

La représentation des distances par un dendrogramme est aussi un outil qui sera très pertinent lorsque son utilisation se simplifiera155(*). Un algorithme construit des classes, en regroupant deux textes séparés par une distance faible, qui sont ensuite placées dans le graphique en fonction de leur distance avec les autres groupes qui auront été ainsi construits. Cette méthode accélère les regroupements par une automatisation rigoureuse qui prend en compte tous les éléments du corpus alors que pour notre part nous avons effectué des liens à partir de quelques correspondances.

Pour aller plus loin, nous pourrions souhaiter disposer de davantage de mesures linguistiques misent en rapport avec la réception. Comme l'avait effectué Jean-Marie Cotteret en son temps, il serait positif de comparer les discours à ce que l'on nomme le « français fondamental ». Nous relions directement cela à une théorie de la réception, car selon la plus ou moins grande proximité avec un langage commun, nous pourrions voir si le discours est adapté à la compréhension par les cibles actuelles. Subséquemment, il serait intéressant d'aborder les sciences cognitives pour mesurer les effets de la fréquence sur l'auditoire. Ainsi, mêlant ces deux dernières remarques, nous pouvons imaginer un dispositif consistant à sélectionner un panel d'individus afin d'analyser leur réception, leur comportement et leur compréhension du discours. Nous approchons ici une utilisation professionnelle de cette technique qui permettrait de « tester » l'efficacité d'un texte sur une population cible.

À l'image du travail de Denis Monière effectué sur la presse156(*), nous pourrions ensuite élargir cette analyse à davantage de pays francophones. La Belgique et la Suisse présenteraient des cadres proches de celui de la France ; mais il serait très intéressant de voir comment se développent les discours dans les pays d'Afrique noire et du Maghreb.

Enfin, il serait important d'analyser la construction du mythe du « parler d'assemblée » institutionnalisé. Dans une perspective ethnologique, philosophique, et historique, il s'agirait de comprendre le maintient de traditions qui ne correspondent plus aux réalités politiques et institutionnelles. Au coeur de cette agora, il semble exister des codes gestuels, un ensemble d'attitudes et de réactions convenues. C'est donc aux fondements de notre démocratie que certains questionnements méritent d'être posés.

* 150 Antoine Prost, « Les mots », in René Rémond, Pour une histoire politique, Paris, Editions du Seuil, Seconde édition, 1996, page 269

* 151 Dominique Labbé, Normes de saisie et de dépouillement des textes politiques, Grenoble, Université Pierre Mendès-France Grenoble II - Institut d'Etudes politiques de Grenoble, Cahiers du CERAT, Cahier n°7, Avril 1990, 119 pages.

* 152 Cf. annexes, figures n°1, page 23.

* 153 Damon Mayaffre, Paroles de Président. Jacques Chirac (1995-2003) et le discours présidentiel sous la Ve République, Paris, Éditions Honoré Champion, 2004, 291 pages.

* 154 Dominique Labbé, Denis Monière, « La connexion intertextuelle. Application au discours gouvernemental québécois », Lausanne, Actes des 5ème journées internationales d'analyse statistique des données textuelles, 2000, 10 pages.

* 155 Cf. annexes, figure n°2, page 24.

* 156 Denis Monière, Démocratie médiatique et représentation politique, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1999.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote