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Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba

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par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu
Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004
  

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UNIVERSITE DE KINSHASA

FACULTE DES SCIENCES SOCIALES, ADMINISTRATIVES ET POLITIQUES

DEPARTEMENT DE SOCCIOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE

DISCRIMINATIONS ET CONFLITS

Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba.

Par

Jean-Pierre Mpiana Tshitenge Wa Masengu

Gradué en Sociologie et Anthropologie

Licencié en Sociologie

Mémoire présenté et défendu en vue de

l'obtention de diplôme d'études supérieures en

Sociologie.

Directeur : SYLVAIN SHOMBA KINYAMBA

Professeur Ordinaire

Année académique 2003-2004

INTRODUCTION GENERALE

1. Problématique

Les hiérarchies et les conflits sont inhérents à tout système social. Ils en sont constitutifs et régissent continuellement sa composition. Et même les sociétés qui semblent les moins différenciées ou plus égalitaires, fonctionnent sous le régime de leur loi. Ce n'est pas sans raison que Pierre Bourdieu soutient que « le champ social constitue un espace de différenciation dans la mesure où les agents sociaux cherchent souvent à se distinguer les uns des autres partant de certaines ressources dont ils sont détenteurs. Ces ressources (capitaux) peuvent être matérielles, culturelles, ou sociales ou même symboliques. »1(*)

S'interrogeant sur leur omniprésence, Georges Balandier avance que « devant satisfaire aux exigences propres à tout système, le système social se constitue à partir de la mise en relation d'éléments différenciés. Ceux-ci sont définis en valeur et hiérarchisés. (C'est nous qui soulignons).L'ordre social découle de cette hiérarchie ; et étant ainsi constitué, le système social est nécessairement porteur de tensions, donc vulnérable. Ce sont ces inégalités instituées et informelles qui alimentent la contestation et poussent les forces de remise en question d'opérer. »2(*)

Ces hiérarchies constitutives de tout système social ne sont pas seulement instituées, mais aussi intériorisées, vécues, perçues et senties par les membres d'une société et gouvernent leur pratique sociale. Elles se traduisent dans la vie quotidienne par des classements différentiels des individus dans des catégories sociales par un processus de comparaison et de compétition. Ces classements différentiels assignent, en définitive, des individus à des status sociaux (inférieur ou supérieur), opposant les positions et les situations positivement et celles négativement appréciées.

En d'autres termes, par ces classements, les positions sociales sont définies, évaluées et distinguées sur l'échelle de valeurs dont les niveaux s'expriment en termes de supériorité et d'infériorité, de mieux ou de pire, de plus ou moins éminent, ou encore de plus grande valeur de l'opinion publique. Ces termes traduisent les types d'évaluation en fonction des ressources valorisées. Ces dernières constituent les enjeux pour lesquels les agents sociaux s'engagent dans le jeu social.

Cette étude se prépose de scruter les classements différentiels qu'opèrent quotidiennement les habitants de la Commune de Ngaba. Dans la pratique ces classements se réalisent par des discriminations dans l'attribution de la considération sociale, consistant à élever à un status supérieur ou à rejeter dans une position inférieure des agents sociaux ou groupes d'agents sociaux sur base de leur « poids social », et ce en les estampillant des labels. Ceux-ci, surtout lorsqu'ils sont péjoratifs, appellent la réaction des personnes infériorisées qui dégénère souvent en conflits. Ces discriminations, comme le relève notre observation, procède de la perception, mieux de la conscience des différences de conditions existentielles. D'où l'intitulé de notre travail : Discriminations et Conflits. Contribution à l'étude de la conscience de condition de la population de Ngaba.

En effet, la vie quotidienne et les discours populaires à Ngaba se ponctuent des pratiques discriminatoires. Celles-ci couvrent tous les domaines de la vie sociale, notamment la profession, la résidence, l'habillement, l'alimentation, le niveau d'instruction, etc. Il ne se tient une discussion ou une solennité sans que les gens se fassent prévaloir, encenser ou mépriser et dénigrer soit du fait de leur quartier de résidence, de la possession ou du manque de certains biens matériels valeureux comme les voitures de luxe, de leur habillement et parure, soit de leur métier, de leur style de vie, de leur niveau d'instruction ou de leurs affinités avec certaines personnalités marquantes de la Ville.

En fait, les discriminations statutaires (ou socio-économiques) s'expriment par le labelage ou l'étiquetage dont on estampille des individus suivant les catégories sociales auxquelles on les affecte. Dans cette Commune de la Ville de Kinshasa, les épithètes mélioratives telles que « grand prêtre », « grand pays », « mikiliste » (résident en Occident », mopreso ou mopao (président), congratulent et gratifient toute personne qui, soit habite les Communes et quartiers résidentiels comme Gombe, Ma campagne, Binza, Righini, soit roule avec une luxueuse voiture, soit s'habille chèrement et se pare avec des bijoux coûteux, soit qu'il est ami ou frère d'un haut officier militaire, d'un dignitaire du régime en place ou d'un bailleur de fonds, c'est-à-dire de quelqu'un qui dispose d'assez des moyens financiers.

Ces différents titres de noblesses font office d'actes de reconnaissance de la position sociale privilégiée de ces catégories sociales par ceux qui les confèrent. Les tenants de ces titres saisissent toute opportunité pour faire étalage de leur réussite sociale. Ils jouissent de la popularité et légitiment leurs positions sociales par des pratiquent ostentatoires, notamment les libéralités exhibitionnistes.

Par contre, le labelage péjoratif tel que mohuta ou mbokatier (villageois ou quelqu'un de moins civilisé), mungamba ou mobola (pauvre ou démunis) estampillent et relèguent dans un status inférieur, les résidants de certains quartiers ou les gens d'une condition sociale médiocre. Les habitants du quartier résidentiel Mbulambemba, par exemple, qui considèrent que leur quartier, qu'ils appellent Righini II, prolonge un autre du même nom de la Commune de Lemba et qualifient de ngabiens les autres habitants d'autres quartiers de la Commune de Ngaba, c'est-à-dire de gens moins civilisés aux conduites rétrogrades. Par ailleurs, certains ethnonymes et professions, du reste licites, revêtent un caractère classificatoire. Tel est le cas de Muyaka et de fonctionnaire devenus de termes génériques pour désigner toute personne aux allures misérabilistes et aux conditions sociales archaïques. C'est ainsi qu'il n'est pas étonnant qu'une personne fulmine parce qu'elle a été étiquetée enseignant, fonctionnaire, muyaka ou ngabien.

Les pratiques discriminatoires se font observer même au sein des églises (surtout des églises dites de réveil). Les prestations sociales ne sont pas assurées de manière égale à tous les fidèles. Nous n'avons qu'à considérer les différences dans la célébration de mariages, l'assistance sociale à l'occasion d'un deuil ou d'une maternité, les visites et les veillées de prière à domicile, la dispensation de la bénédiction, etc., qu'elles organisent pour nous en rendre compte. Les fidèles d'un standing social élevé bénéficient de l'attention particulière et soutenue de la haute hiérarchie de l'église, alors que le commun des mortels est renvoyé aux bons offices des diacres. Les fidèles trouvent normal que le mariage d'une haute personnalité soit célébré par un évêque et non pas par un simple prêtre alors que celui-ci peut également administrer ce sacrement. Tout se passe comme si au sein de ces églises la hiérarchie se fonde sur les considérations matérielles et non sur le degré de spiritualité des fidèles.

Ces quelques exemples suffisent pour montrer que dans la Commune de Ngaba, les gens ne témoignent pas de la même considération sociale à tout le monde et, par ricochet, assignent les habitants de leurs quartiers à des rangs sociaux différents.

Somme toute, nous pouvons lire dans ces différentes discriminations des positions sociales que les agents sociaux s'attribuent et attribuent aux autres dans l'espace social au regard des ressources qu'ils disposent et sur base desquelles ils fondent leur pouvoir ou leur domination dans les rapports sociaux avec autrui.

Toutefois, l'inflation des critères d'attribution des positions sociales et leur caractère diffus, tel qu'il apparaît dans les labelages aussi bien mélioratifs que péjoratifs ci-haut décrits, obscurcissent les principes objectifs à partir desquels les habitants de Ngaba structurent leur champ social, c'est-à-dire déterminent les positions ou les rangs des individus dans ce champ. Ces multiples critères agissent, certes, simultanément dans la comparaison évaluative des individus ou des groupes d'individus. Mais dans le faisceau qu'ils forment, ils n'ont pas tous le même poids, certains exercent une influence plus marquée que d'autres et constituent des capitaux agissant dans ce champ.

Ce faisant, notre effort dans ce travail consiste à dégager et à analyser les principes objectifs à partir desquels le champ social est structuré, les positions sociales qu'expriment ces discriminations, les conflits qu'elles engendrent, les schèmes culturels qui les sous-tendent ainsi que leurs implications sociales. Dès lors, il est question dans ce travail de savoir comment ces discriminations ont-elles pris corps dans la Commune de Ngaba et que traduisent-elles.

2. Hypothèse

Tout travail scientifique ne procède pas d'une collecte et d'une accumulation hasardeuse des données sans qu'un fil conducteur soit dégagé au préalable. Ce fil conducteur - appelé hypothèse - permet la sélection adéquate des faits dont l'entrelacement et la complexité exposent toujours le chercheur à l'errance.

Dans notre hypothèse, nous avançons que les habitants de Ngaba structurent leur espace social et attribuent les positions sociales à partir des ressources (capitaux) qui procurent prestige dans un contexte de l'informalité et dont la détention atteste la triomphe sur la crise socio-économique sous laquelle ploient la quasi-totalité des congolais. Ce mode de structuration de l'espace social procède de la stratification induite par le mode de production capitaliste qui a déstructuré les anciens ordres sociaux des sociétés traditionnelles africaines, même si certains de leurs éléments subsistent. Cette nouvelle stratification s'est remodelée à la suite de la crise socio-économique dans laquelle le pays est plongé.

Ces discriminations traduisent d'une part, la « conscience de condition » dans une société où l'élite a secrété un habitus de jouissance fondé sur le pouvoir perçu en termes d'espace d'enrichissement et d'amélioration de la situation matérielle ainsi que d'un lieu de la force (violence) qui désormais procure le prestige social. C'est pourquoi, dans la ville de Kinshasa, où le pouvoir de l'élite (matérialiste) tient aux biens matériels et à sa capacité d'imposer la force (violence), ces deux ressources servent de critère d'évaluation sociale.

D'autre part, elles traduisent les luttes symboliques quotidiennes, individuelles ou collectives, auxquelles se livrent les agents sociaux pour la conquête du capital symbolique qui, dans le cas d'espèce, est le prestige social. Luttes saisissables dans les attitudes, les comportements, les actions, les gestes, le regard, les discours qui émaillent les relations sociales et qui sont autant de stratégies de lutte.

3. Méthode

Notre étude se veut une saisie complète des discriminations socio-économiques partant du contexte social qui les a générés et servi de cadre de leur évolution et maturation. Elle s'interdit, par conséquent, de les isoler de ce contexte qui leur donne sens et signification. Ce contexte c'est la conjoncture sociale dominée par la « désalarisation » de l'économie nationale qui a déstructuré l'édifice social issu de l'économie formelle capitaliste et, par voie de conséquence, engendré l'économie informelle qui, à son tour, s'accompagne des nouvelles formes d'inégalités sociales.

Cette conjoncture a engendré des forces sociales qui sont en lutte permanente pour la conquête du prestige social. Ce sont d'une part les gens fortunés, c'est-à-dire ceux qui de par leur condition sociale peuvent accéder à toutes les commodités qu'offre la vie urbaine et d'autre part, les démunis comprenant les pauvres et les appauvris. Lutte qui tantôt s'occulte dans la détention et l'exhibition des symboles de distinction sociale, tantôt dégénère en conflits ouverts, soit par une violence langagière, gestuelle, de regard, soit par des bagarres.

Dans cet antagonisme, les individus appartenant à ces deux groupes de status s'engagent dans la recherche de mécanisme d'amélioration non seulement de leur condition matérielle, mais aussi de leur image sociale. C'est dans cette perspective que la fascination des biens matériels comme symbole de distinction sociale trouve tout son sens et finit par secréter un type comportemental caractérisé par la prétention.

Une telle perspective correspond aux quatre lois de la méthode dialectique, à savoir la connexion universelle des phénomènes, la lutte des contraires, la négation de la négation et le changement qualitatif par le changement quantitatif. A propos de cette méthode, Loubet Del Bayle avance qu'elle « est d'abord associée au concept de la totalité en niant l'isolement entre ensembles et leurs parties et en soulignant que la réalité sociale est faite de l'ensemble des interactions entre ses différents éléments. Elle tend ensuite à privilégier la recherche des contradictions au sein de cette réalité, en mettant en relief, derrière l'apparente unité du réel, les tensions, les oppositions, les conflits, les luttes, les contraires et les contradictoires. »3(*)

Ce sont ces lois telles qu'agencées ci-haut, qui nous ont guidé dans l'analyse des résultats des enquêtes menées grâce aux techniques ci-après :

4. Techniques

L'hypothèse formulée ci-haut requiert la manipulation des techniques de collecte des données pouvant conduire à sa vérification, techniques qui tiennent également compte de nos options méthodologiques. La rigueur qu'impose le travail scientifique nous oblige de procéder à un usage cumulatif des techniques afin de pallier les insuffisances que renferment chacune d'elles. Pour cette étude, nous avons recouru aux techniques ci-après :

4.1. L'observation directe

Elle est à l'origine de la présente étude. Elle remonte à l'année 1999 au cours de laquelle les discriminations sociales ont attiré notre attention. Elle s'est poursuivie pendant toute la période d'investigation pour saisir certains aspects dont la susceptibilité pourrait empêcher les enquêtés d'exprimer librement leurs opinions. Cette observation est désengagée dans la mesure où elle procède d'une perception externe de la population d'enquête sans prendre part active dans sa vie quotidienne.

4.2. La technique documentaire.

L'ampleur du travail que nous nous sommes assigné de réaliser nous a imposé une fouille systématique des documents écrits et principalement des publications scientifiques se rapportant tant aux dimensions empiriques qu'aux considérations théoriques de notre étude. Ces publications scientifiques ont contribué à la formulation des hypothèses, au choix des méthode et techniques, à la clarification des concepts et l'analyse des résultats de notre étude.

4.3. Le questionnaire

Pour atteindre, dans un temps record, une partie importante de notre population d'enquête, nous avons recouru au questionnaire. Celui-ci comprend des questions à éventail, c'est-à-dire à chaque question nous avons adjoint un ensemble des réponses parmi lesquelles l'enquêté choisit celle qui correspond le mieux à son opinion. De cette façon, l'enquêté a la possibilité de nuancer sa réponse vue les propositions de réponses en rapport avec la question. Ce type de questionnaire nous a permis de récolter rapidement les informations et facilité les opérations de dépouillement, d'analyse et d'interprétation des résultats de l'enquête. Néanmoins, comme tout questionnaire, il ne laisse pas libre champ à l'enquêté dans l'expression de son opinion. Il limite la quantité et la qualité de l'information. C'est pourquoi nous avons également recouru à l'entretien.

4.4. L'entretien

Le caractère exploratoire de notre étude et l'importance de la tradition orale dans notre univers d'enquête nous ont suggéré le recours à l'entretien libre. Ce qui nous a permis d'obtenir les informations détaillées révélatrices des systèmes de valeurs, des comportements et des états émotionnels non seulement des enquêtés mais aussi du milieu socio-cultutrel dans lequel l'enquête a été menée. Pour ce faire, nous avons interviewé individuellement vingt personnes sur le mode de perception et d'évaluation sociale en vogue dans la Commune de Ngaba. Avec eux et au moyen de notre questionnaire qui nous a servi de guide d'entretien, un échange communicationnel a été établi en toute liberté. Ainsi, chaque informateur a eu la latitude d'exprimer son opinion jusqu'aux moindres détails.

4.5. L'échantillonnage.

Cette technique nous a permis de sélectionner des enquêtés dont le prélèvement a été fait selon le procédé accidentel. Nous y reviendrons avec force détails au troisième chapitre.

5. Intérêt du travail

Alors que les grands défis préoccupent l'humanité au seuil de ce 21ème siècle, notamment ceux de la mondialisation, de l'environnement, de l'eau, de la lutte contre le VIH/SIDA, le terrorisme et la criminalité ; alors que la RDC est confrontée aux problèmes de la paix, de la démocratie et du développement ; alors que les populations congolaises se trouvent en proie à la guerre, aux maladies diverses, à la faim, au chômage, au manque de logement, bref à la misère ; alors que l'émergence des phénomènes nouveaux comme les enfants de la rue, la prolifération des sectes, des églises et de nouveaux mouvements religieux font actualité, il paraît simpliste et superfétatoire de disserter sur les discriminations sociales, surtout en cette période où tous les discours officiels (politique, social et religieux) prêchent l'homogénéisation sociale.

Mais à y voir de près, tous ces défis se fondent sur les discriminations sociales. La recherche de puissance, du pouvoir, des richesses, et donc de différence sociale, conduit certains à concentrer entre leurs mains toutes les ressources de la société et en priver d'autres, à exclure et à anéantir de la compétition les potentiels ou réels concurrents. Il en résulte la misère, la famine, le chômage, etc. qui martyrisent une frange importante de la population nationale et mondiale. Les frustrations qui en découlent sont à la base des conflits sociaux, politiques et militaires, du terrorisme et des criminalités qui bouleversent l'humanité en ce jour.

Tous ces défis ne peuvent être relevés que si l'on saisit les valeurs qui motivent les pratiques discriminatoires de l'homme de manière à convertir les différences sociales en facteur de progrès pour tous. Comme l'écrit Melvin Tumin « l'analyse de la gamme des rôles mis en valeur fournit une excellence base de compréhension des grands systèmes de valeurs de sociétés. Ces objets privilégiés de l'évaluation constituent une aide précieuse pour comprendre une société. »4(*)

Ainsi, ce travail, sur le plan scientifique jette un nouveau regard sur la problématique de la stratification sociale. Par une approche subjectiviste, il met à jour les modalités de structuration de l'espace social par les agents sociaux et les luttes symboliques auxquelles ils se livrent pour conforter ou améliorer les positions dans cet espace. Il s'agit d'aller au « coeur de la vie sociale où logent les relations et les conflits »5(*)pour repérer les motivations fondamentales qui sous-tendent les pratiques quotidiennes parmi les populations de la Commune de Ngaba et éclairer leur incidence sur le processus de développement. Ou, pour reprendre l'expression de Michel de Coster, saisir les enjeux réels des conduites humaines et sociales6(*). Une fois clairement dégagées (ces valeurs), il sera possible de débattre des nouvelles valeurs pour un nouveau type d'homme et un nouveau projet de société capable de prendre en charge les aspirations des masses populaires. En effet, « si l'on s'accorde que les systèmes symboliques sont produits des produits sociaux qui produisent le monde, qu'ils contribuent à les constituer, force est alors d'admettre que l'on peut, dans certaines limites, transformer le monde en transformant la représentation.» 7(*)

6. Contenu du travail

Notre effort d'analyser les discriminations sociales à travers les modes de perception et d'évaluation sociales dans la Commune de Ngaba est pris en charge par quatre chapitres.

Le premier pose le fondement théorique du travail. Il s'ouvre par un débat sur les travaux de nos prédécesseurs. Ce débat évaluatif de ces travaux nous fraye la voie pour l'élaboration de notre modèle d'analyse créant ainsi une rupture avec le regard (devenu classique) que l'on jette sur la problématique de stratification sociale. Le chapitre se clôture par la clarification des concepts de base de cette étude.

Le deuxième présente la morphologie sociale de la ville de Kinshasa où sont observées les pratiques discriminatoires. En effet, celles-ci ne peuvent être bien comprises que si elles sont rapportées au substrat matériel qui les sert de support et leur donne toute la signification.

Le troisième expose les résultats de l'enquête. Il s'agira dans un premier temps de présenter notre milieu d'enquête, c'est-à-dire la Commune de Ngaba. Ensuite, nous décrirons les modalités selon lesquelles les enquêtes ont été menées. Enfin, nous présenterons les résultats des enquêtes. Le quatrième analyse et interprète les résultats de l'enquête.

CHAPITRE I : TRAVAUX ANTERIEURS ET ESQUISSE D'UN MODELE D'ANALYSE

Ce chapitre, essentiellement théorique, s'ouvre par la revue de la littérature portant sur la stratification sociale. Il propose ensuite un modèle d'analyse de la stratification sociale dans la ville de Kinshasa en prenant en compte les mutations qui se sont opérées au Congo depuis plus d'une décennie. Il s'achève par une discussion sur les concepts de base de notre étude.

Section 1 : Revue de la littérature

1.1 Repères théoriques.

De manière générale, les études sur les inégalités sociales se réalisent sous deux courants différents répondant aux idéologies visiblement opposées8(*).

Le premier d'obédience libérale représenté par la sociologie américaine, insiste sur la fonction remplie par la stratification et s'intéresse aux équilibres, aux structures, plus qu'aux changements. Le principe est que la stratification sociale répond à une nécessité sociale, et le problème est d'examiner comment le fonctionnement de telle ou telle société détermine tel ou tel système de stratification. Pour ce courant, c'est l'existence et la distribution des récompenses qui contribuent à maintenir l'ordre social qui sont à l'origine de la stratification. L'étude des inégalités sociales consiste en l'analyse des mécanismes sociaux qui répartissent les statuts et qui font en sortent que chaque individu joue le rôle correspondant à son statut.

Ce courant est représenté par Talcott Parsons. Celui-ci, dans le sillage de Max Weber, considère que la stratification sociale est un système des hiérarchies fondées sur les valeurs suprêmes de chaque société. Les échelles de valeurs sont elles-mêmes en rapport avec l'action sociale, c'est-à-dire avec « l'activité intentionnelle que déploient les individus dans le cadre des institutions », et, en définitive, avec ce que la société considérée juge désirable.

La société, estime-t-il, fonde ses jugements de valeur relatifs à la stratification en prenant en considération divers avantages qui se ramènent à trois catégories.

Ce sont, d'abord, les qualités que l'individu possède personnellement, en dehors de toute circonstance particulière, par exemple : son intelligence, sa noblesse ; et c'est la société qui, suivant son échelle de valeurs, accordera plus moins d'importance à telle ou telle qualité pour évaluer la position sociale.

Ce sont, en second lieu, les réalisations (ou »performances »), autrement dit l'activité de l'individu dans son rapport avec autrui. Ici encore, il appartient à la société d'évaluer et de hiérarchiser ces accomplissements de telle ou telle façon selon ses valeurs essentielles. Par exemple, dans certaines sociétés, ce sont les performances techniques qui sont les plus prisées ; dans d'autres, ce sont les prouesses guerrières.

Enfin, en troisième lieu, l'évaluation des activités peut se faire par rapport à l'acquis, c'est-à-dire à la possession de certains objets (fortune) ou de certains talents et compétences (diplômes, etc.).

Ces trois caractéristiques ne sont évaluées que par rapport aux valeurs essentielles de la société. Parsons estime qu'il y a quatre types de valeurs qui président au fonctionnement de toute société. Ce sont l'universalisme, la définition des fins, l'intégration et le maintien des modèles culturels.

L'universalisme, qui peut être aussi appelé capacité d'adaptation, correspond à la nécessité pour toute société de s'ajuster à ses conditions d'existence et concerne la rationalité telle que Max Weber l'entend, c'est-à-dire, en définitive, l'efficience, l'efficacité technique, la mise en oeuvre des moyens propres à réaliser une fin.

Le second type de valeur (qu'il eût été peut-être plus logique de placer en premier) est la définition du but ou la satisfaction du but atteint et concerne les normes d'accomplissement. Chaque société se propose certaines finalités collectives qu'elle cherche à faire prévaloir sur les intérêts individuels.

Le troisième type, qui est l'intégration, considère la solidarité sociale comme valeur primordiale. Les actions sont, de ce point de vue, jugées bonnes ou mauvaises selon qu'elles favorisent ou empêchent l'intégration des individus dans la société et leur solidarité entre eux.

Enfin, le quatrième critère est le maintien du modèle. Chaque société a son modèle culturel propre, avec ses structures et ses normes, et elle tend à les conserver. C'est en somme le traditionalisme qui est ici la valeur suprême.

Somme toute, nous constatons que Talcott Parsons, dans la perspective fonctionnaliste, n'analyse qu'une face de la réalité sociale : celle du maintien de l'ordre social existant. Il semble ignorer l'autre face de la même réalité : celle des forces sociales de contestation de cet ordre. Il est bien entendu que l'idéologie libérale qui guide ses travaux ne lui permet pas d'aller au-delà de l'optique fonctionnaliste.

Le deuxième courant est d'inspiration marxiste. Il met l'accent sur les conflits engendrés par les inégalités et s'intéresse au processus historique. Pour ce courant, il y a, dans toute société passée ou présente, une inégale distribution des biens qui entraîne un déséquilibre entre la masse de ceux qui ne possèdent pas les richesses et le petit nombre de nantis. Ce déséquilibre est générateur de luttes conduisant à des transformations sociales. Nous pouvons dire qu'à chaque phase du développement historique se déroule un processus dialectique par lequel le système de production fait naître une classe dominante et, en même temps, produit des conditions du progrès de la classe dominée qui prendra le pouvoir dans la période suivante. Dans cette perspective, la théorie de la stratification sociale se ramène alors pratiquement à l'étude de la formation des classes sociales, de leurs luttes et des lois de leur devenir.

Ce qui caractérise une classe, pour ce courant, c'est son unité, son insertion dans le processus de production, la conscience qu'elle a de son existence, son opposition aux autres classes et aussi un certain nombre de caractères communs à tous ses membres, comme les modes de vie, les intérêts et la culture. Karl Marx distingue la classe en soi qui résulte de l'organisation objective de la production et la classe pour soi qui suppose la prise de conscience collective des intérêts de classe. Au sein du mode de production capitaliste, l'exploitation repose sur la contradiction entre travail et capital eux-mêmes constitués en classes sociales antagonistes, le prolétariat et la bourgeoisie.

A propos de la conscience de classe, condition suffisante pour la constitution d'une classe dans l'optique marxiste, Emmanuel Terray9(*) fait remarquer qu'une classe n'intervient comme principe de détermination des événements que dans la mesure où elle forme un ensemble cohérent, capable de réflexion, de délibération et d'actions collectives. Le repérage des classes implique que l'on identifie pour chacune d'elles, non seulement le rôle économique qu'elle exerce, mais aussi les institutions et les procédures par lesquelles elle se donne les moyens de penser et d'agir comme un sujet unique. A cet égard, l'énumération des fonctions économiques n'est qu'une étape, il faut examiner comment la classe au sens économique du terme se transforme en force politique. Ici, les genres de vie, les formes de sociabilités, les domaines comme ceux de l'éducation, du mariage, des loisirs, de la culture, ...prennent une importance capitale. C'est en eux qu'un agrégat d'individus prend conscience de son unité et se transforme en corps cohérent susceptible d'intervenir de façon concertée.

Actuellement, les efforts tendent vers la conciliation de ces deux modèles extrêmes par la saisie des facteurs qui sont à la fois à la base de l'intégration et de dynamisme des systèmes sociaux. On peut citer ici les travaux de Gérhard E. Lenski qui observe qu'il y a, dans la vie sociale, à la fois un certain consensus sur lequel insistent les fonctionnalistes et une coercition sur laquelle les marxistes mettent l'accent. La coopération et le conflit sont deux éléments de la vie sociale.

1.2. Etat des lieux des études congolaises de classes sociales.

Au Congo, la plupart des études sur la stratification sociale se sont inscrites dans le modèle marxiste et ont porté sur les classes sociales saisies à partir de l'intégration de cette formation sociale dans le mode de production capitaliste. Ces études ont décrit les différentes classes de la société congolaise, leurs rapports ainsi que leur rôle dans le devenir national.

Parties des années 1950, les études sur les classes sociales au Congo peuvent être regroupées en trois périodes correspondant chacune à une thématique spécifique.

1.2.1. La constitution de la classe organique à la colonisation

La première période court de 1950 à 1970. Les études de cette période sont dominées par l'analyse de la classe moyenne qui se développe en marge des colons blancs et des "indigènes"10(*). La constitution de cette classe, comme l'entrevoyait les colons belges, devrait répondre aux impératifs de l'efficacité de l'entreprise coloniale belge au Congo. Dans une correspondance confidentielle adressée à Buiseret, Ministre des colonies, la Fédacol (Fédération congolaise des classes moyennes) stigmatisait la vocation de cette classe en ces termes : « Il faut organiser une classe d'indigènes évolués (...) qui se déclarerait d'accord avec les idéaux et les principes de notre civilisation occidentale, et qui seront, à standing égal, nos égaux en droits et devoirs ; moins nombreux que la masse indigène, mais puissants et influents, ils seront ces alliés qu'il nous est indispensable de trouver auprès des communautés indigènes. Ces classes moyennes seront la bourgeoisie noire qui commence à se développer partout, que nous devons aider à s'enrichir et à organiser et qui, comme tous les bourgeois du monde, seront opposés à tout bouleversement aussi bien intérieur que venant de l'extérieur11(*) ».

Ce projet de formation d'une classe moyenne des indigènes alliés à l'entreprise coloniale n'a pas suscité que d'enthousiasme dans les milieux coloniaux. Certains redoutaient du revirement de la situation et du danger qui en résulterait pour l'entreprise coloniale. A ce sujet, le CEPSI, repris par Crawford Young, déclarait que « l'expérience coloniale des nations européennes doit nous inciter à éviter de créer hâtivement une classe d'indigènes hautement qualifiés de laquelle surgiraient probablement des éléments cherchant à s'emparer de la masse inculte pour accéder au pouvoir et la priver de l'assistance encore indispensable du peuple colonisateur12(*) ».

Les événements qui conduisirent à l'indépendance du Congo en 1960 confirmèrent cette crainte exprimée par CEPSI. Cette classe moyenne avait joué un rôle important dans la lutte pour la souveraineté du Congo.

1.2.2. Classes sociales et émancipation nationale

La deuxième va de 1970 à 1980. Cette période est marquée par les études qui rendent compte des réactions des populations locales contre l'Ordre colonial13(*).

Ces études, tel qu'il ressort de l'analyse, cherchent, pour paraphraser R. Aron, à déterminer dans les circonstances historiques particulières les groupes sociaux qui ont exercé une influence sur les événements politiques.

C'est dans cette optique que Georges Nzongola Ntalaja analysant la participation des différentes classes sociales à la lutte anticoloniale, conclut que la révolution anticoloniale au Congo fut une révolution bourgeoise. Pour lui, la petite bourgeoisie noire au Congo était la seule classe qui était préparée à tirer profit de la situation révolutionnaire en s'organisant comme représentant du peuple. Elle a été la classe qui a formulé de manière plus moins claire les idées révolutionnaires, c'est-à-dire qui a revendiqué l'indépendance immédiate, thème qui a mobilisé les autres classes sociales (paysannerie, prolétariat et lumpenprolétariat). Elle a exploité la révolte et la violence de la classe ouvrière et du lumpenprolétariat du 4 janvier 1959 (phase de la participation politique de la masse populaire), pour préparer les conditions de son avènement au pouvoir.

Faustin Mulambu Mvuluya établit une filiation entre cette révolution nationale bourgeoise déclenchée à Léopoldville avec le pré-nationalisme des masses rurales qui s'est manifesté par des mouvements de résistance et révolte contre l'occupation étrangère. Pour lui, la lutte anticoloniale déclenchée en milieu urbain de Léopoldville entre 1955 et 1960 est une maturation d'un long processus amorcé par les masses paysannes et ouvrières dès la pénétration coloniale au Congo*14(*). Elle est la continuité des comportements et des attitudes de refus des populations locales contre la colonisation.

En effet, écrit F. M. Mulambu, le pré-nationalisme paysan s'est d'abord manifesté comme mouvement de résistance à l'occupation étrangère. Ce mouvement a revêtu tantôt la forme pacifique (fuites individuelles, délocalisation des villages entiers) tantôt la forme violente (bataille rangée contre l'occupant). Avec l'installation effective de la colonisation, ce mouvement de résistance s'est mué en révolte paysanne. On a enregistré au cours de la période qui a suivi l'implantation de l'E.I.C et la reprise du Congo par la Belgique, plusieurs mouvements de révolte dûs notamment à l'exploitation des paysans par les sociétés commerciales et concessionnaires, aux exigences de l'Etat colonial (fiscalité, levée des miliciens, travaux obligatoires, etc.), ou à la menace de disparition ressentie par certains pouvoir traditionnels. Ces révoltes ont pris plusieurs formes : mouvements messianiques, envois de mauvaises récoltes, exécution incomplète des corvées prescrites par l'administration, violence à l'endroit des agents de l'administration, révolte armée, etc. Avec l'industrialisation, l'instruction et l'évangélisation, ces mouvements de révolte ont été transférés en milieu urbain où ils ont engendré des formes supérieures de résistance qui débouchèrent sur les premières associations claniques, embryons et précurseurs du nationalisme des années 1955 à 1960.

Dans cette étude comme dans celle qui lui a précédé, F.M. Mulambu s'inscrit en faux contre la thèse marxienne qui méconnaît le caractère révolutionnaire à la classe paysanne. Pour Marx, la paysannerie, qu'il compare à un sac de pommes de terre, n'est pas une force sociale autonome, capable de décider de l'évolution des formations sociales. Elle est donc une force passive, incapable même de devenir une classe politique constituée. Comme Lénine et Mao, F.M. Mulambu réhabilite la classe paysanne dans son rôle de sujet historique. Mais il reconnaît néanmoins que les révoltes paysannes ont presque connu un échec à cause, notamment de manque de formation politique, le faible niveau d'instruction, la dispersion démographique et le manque de lucidité de leurs leaders. Elle a aussi servi dans la plupart des cas de clientèle à laquelle recourt d'autres classes pour réaliser leurs intérêts.

A notre avis, l'échec des mouvements paysans est dû à l'absence d'intellectuels organiques, c'est-à-dire d'éléments capables, selon Gramsci, d'analyser leur situation en termes d'antagonismes des classes et de mettre sur pied des stratégies adéquates pour la changer. Notons, cependant, à l'actif de K. Marx, que la classe ouvrière a une conscience de classe plus aigue que celle des paysans et a plus de possibilité de vouloir des changements structurels que ces derniers par le fait que la pratique des rapports sociaux de production antagonistes dans le secteur industriel est plus propice à l'accès à une dimension structurelle que celle du travail plus parcellaire du monde rural.

1.2.3. La sociologie de l'impérialisme

La troisième période se situe entre 1970 et 199015(*). Cette période est dominée par la Sociologie de l'impérialisme, largement inspiré par les travaux de Samir Amin, d'Abdel -Malek, et des analystes latino-américains tels que P. Sweezy, A.Gunder Frank, Baron, etc. Celle-ci "se réalise comme un courant théorique de la Sociologie du développement qui s'attache à étudier la dialectique de l'impérialisme et les mouvements nationaux. Elle se préoccupe fondamentalement de l'élaboration des réflexions critiques sur la vie sociale dans les ensembles économico-politiques et idéologiques de domination et d'exploitation des peuples en liaison avec la formation historique concrète de ces ensembles."16(*)

En clair, la sociologie de l'impérialisme analyse les mécanismes de domination et d'exploitation mis en place par le capitalisme à l'échelle mondiale. Par ces mécanismes, le capitalisme devenu impérialisme et se constituant en centre, subjugue, par les bourgeoisies locales interposées, les peuples entiers de la périphérie pour assurer sa propre survie.

Se plaçant dans cette lignée, Kalele Ka-Bila étudie les mécanismes de domination et d'exploitation capitalistes ayant généré le sous-développement à Kabinda.

En effet, note Kalele, le capitalisme pour assurer sa domination et son exploitation procède par la polarisation en cascade. Concernant le Zaïre, converti en satellite du système capitaliste, ce pays a été divisé en régions métropoles et en régions satellites sur un triple plan de son organisation : économique, politico-administrative et culturelle. En deuxième lieu, ces différentes métropoles et satellites étaient solidement rattachés aux métropoles capitalistes mondiales. Par ce procédé, Kabinda était relié à Bruxelles, Paris, Washington, Londres via Mbuji Mayi et/ou Lubumbashi et Kinshasa.

Kalele en arrive, partant de ce procédé, à constater que la structure économique de Kabinda est désarticulée au profit des intérêts des industries capitalistes installées sur place et dans le Haut Katanga Industriel.

Pour assurer la prospérité des intérêts capitalistes dans la région et intégrer Kabinda dans le système capitaliste, les colonisateurs avaient imposé la culture du coton au peuple songye et ont recruté ses membres comme main-d'oeuvre pour les industries du Haut Katanga Industriel. Pour contraindre les songye à la nouvelle rationalité économique, les colonisateurs ont engagé une lutte contre les moyens traditionnels d'existence, notamment la restriction en matière de chasse, de pêche et de cueillette ; l'interdiction formelle de distiller l'alcool indigène et d'abattre les palmiers, la compression des prix des produits agricoles ; l'élimination des commerçants ambulants, de l'élevage du gros et du petit bétail et de la métallurgie traditionnelle.

Cette structure d'exploitation capitaliste, constate Kalele, demeure jusqu'à ce jour en dépit de l'indépendance du pays. La prise en main de la destinée de cette région par les nationaux plutôt que de démolir cette structure, l'a renforcée au point qu'à maints égards, la situation actuelle des basongye est même devenue pire qu'avant l'indépendance.

Cette exploitation capitaliste, conclut Kalele, a contribué à l'apparition des indices de sous-développement, notamment le très faible degré d'industrialisation de la région de Kabinda, l'aliénation et l'oppression politique et culturelle, la dépression démographique, les perturbations sociales (conflits sociaux, mariage de calcul, relâchement de la solidarité clanique.), etc.

Comme voie de sortie, Kalele propose que la lutte contre le sous-développement doit se réaliser à la fois sur le plan social, économique, politique et culturel et passe nécessairement par la transformation de la société nationale.

Dans une autre étude similaire17(*), Kalele montre comment le capitalisme, par divers mécanismes mis en place par ses deux gendarmes économiques (Banque mondiale et le Fonds monétaire international) contribue à la paupérisation des larges masses laborieuses et à l'enrichissement de la bourgeoisie locale et métropolitaine.

Pour sa part, Kazadi Kimbu examine et valide les stratégies de lutte contre le capitalisme mises sur pied par les salariés du Haut Katanga Industriel.

Son analyse des mécanismes d'intervention impérialiste au Congo lui permet d'établir que le projet capitaliste impérialiste ne se conçoit et ne se réalise que comme une imposition du salariat, ce mode de travail dépendant. Le mouvement impérialiste parcourt toujours un processus de suppression du droit des autres êtres sociaux de produire et de transformer librement leurs moyens de subsistance. C'est un mouvement de périphérisation toujours renouvelé.

Dans cette dynamique capitaliste, la vie quotidienne des travailleurs congolais se trouve être marquée par le salaire irrégulier, insuffisant ou même simplement absent. Par voie de conséquence, on voit se réaliser une double aliénation : la réduction de l'Etat en Etat garant des intérêts capitalistes - Etat compradore, dirait S. Amin- et, d'autre part du travailleur salarié en garant des intérêts des patrons, donc en ennemi de lui-même.

Pour Kazadi K., les phénomènes de résistances observées chez les travailleurs salariés dans le Haut Katanga Industriel tels que la prolifération des hommes d'affaires (commerçants grossistes comme détaillants et trafiquants), les détournements des deniers publics, les vols chez les travailleurs, les prêts à usure, l'absentéisme, le mutualisme tribal, les ristournes, les démissions du travail salarié, les refus de ce genre de travail, témoignent, en fait, d'une réelle prise de conscience par les salariés congolais, des conditions objectives d'existence leur imposées par le capital.

Mais, cette prise de conscience apparaît comme une conscience historique encore largement diffuse parce que simple conscience de condition. En effet, pour Kazadi, ces mécanismes relèvent de l'illusion. Ils enchaînent les travailleurs qu'ils ne les libèrent des sérails du capitalisme.

Le drame de ces salariés, estime-t-il, dont la conscience est ainsi endormie, est qu'ils s'interrogent moins sur la formation historique des conditions minées et minables dans lesquelles ils vivent et où les placent justement le circuit des affaires, le manque de contrôle suffisant de l'appareil commercial par l'Etat libéral et l'individualisme anarchique ainsi institué. Ce qui leur échappe : découvrir aussi que l'on peut prétendre s'être sauvé du capital industriel, du travail salarié mais se retrouver dans les circuits de reproduction du capital industriel par le petit ou grand commerce permettant l'augmentation de la production, reproduction du capital financier par la circulation élargie de la monnaie et finalement reproduction du capital commercial par le jeu inconscient de représentation locale des maisons-mères des marchandises importées.

Ainsi, donc, cette propension aux affaires généralisée et généralisante, plutôt que de combattre le capitalisme, parait consolider les conditions de sa réussite au Congo.

L'analyse minutieuse des études couvrant ces trois périodes fait ressortir que ces différents chercheurs ont cerné les classes sociales comme un effet du processus de l'industrialisation de la société congolaise à la suite de la colonisation, rendu spécifique par les formes particulières que prend le mode de production capitaliste dans les sociétés extra-occidentales, étant donné sa coexistence avec les autres modes de production, et par l'ordre socio-politique propre à la société congolaise. Ces études éclairent, par ailleurs, les mouvements et les enjeux sociaux, politiques, économiques et idéologiques qui ont marqué l'histoire du Congo, et permettent la compréhension de la situation actuelle de cette formation sociale à la périphérie du système capitaliste.

En outre, elles présentent, sous la forme pyramidale, la structure de la société congolaise composée des classes sociales ci-après :

La bourgeoisie

compradore

Le prolétariat urbain et rural

La petite bourgeoisie

urbaine

La paysannerie

Le lumpen prolétariat

Ces classes, comme le note G.N. Nzongola, sont le produit de la restratification des sociétés pré-capitalistes qui a créé la différence dans les modes de vie de populations indigènes, éclot une conscience différenciante parmi elles, surtout entre la bourgeoisie18(*) et la masse populaire.

Ce sont ces classes, à travers divers processus dans lesquels elles sont impliquées, qui président au devenir national. Elles sont analysées, comme nous pouvons le constater, à partir de la place qu'elles occupent dans le procès de production capitaliste.

Si la place de chacune des classes dans le procès de production économique a été clairement identifiée et leurs conditions matérielles suffisamment décrites à travers ces études, leur conscience de classe n'a pas été explorée. Seul, à notre connaissance, Clément Mwabila Malela a consacré des réflexions sur la conscience de classe en étudiant le prolétariat urbain de Lubumbashi19(*).

Dans sa configuration sociologique de l'époque, le prolétariat urbain de Lubumbashi paraissait à C.M. Mwabila à la fois comme organisé et inorganisé.

Organisé parce qu'il dispose d'un ensemble d'institutions dont la vocation est de prévenir et de résoudre les problèmes liés à la condition ouvrière, notamment le syndicat, etc. Mais, contrairement au prolétariat européen, celui de Lubumbashi subit la transformation sociale sans agir sur elle. Il l'accepte comme une prérogative de la puissance politique dont seuls les détenteurs du pouvoir, de la richesse ont le droit d'user. Cette incapacité du prolétariat d'influer sur les transformations sociales résulte de la dualité, du décalage existant entre la société nationale prise dans sa globalité et le poids de ses contraintes extérieures de domination technico-économique.

En plus, le dirigisme politique et idéologique qui en résulte sur le plan interne (sous le régime Mobutu), inspire au prolétariat de Lubumbashi un sentiment de soumission à l'Etat national, fondement légitime du pouvoir politique, et, par conséquent, aux dirigeants politiques auxquels sont associés les gens fortunés, ainsi que l'élite professionnelle et intellectuelle.

Inorganisé parce que, du fait de l'ombre omniprésente de l'instance politique qui impose le mutisme et ne tolère les contestations sociales pouvant remettre en question l'ordre social, les travailleurs de Lubumbashi se réfugient dans les organisations informelles pour assurer leur sécurité sociale. Ainsi, s'explique l'espoir qu'ils fondent dans les institutions spontanées de solidarité, créées en marge de l'organisation du travail, pour atténuer les aléas de la détérioration incessante de leur pouvoir d'achat. Il s'agit d'un comportement de fuite ou de retrait devant la dépersonnalisation culturelle due au système technique du travail où des types de relations mécaniques tendent à se substituer à la solidarité née des relations primaires.

Face à ces deux réalités, d'une part, le dirigisme dont le prolétariat fait l'objet politiquement et idéologiquement, d'autre part, la faiblesse interne entretenue notamment par son fractionnement ethnique, par sa séparation dans les entreprises, le prolétariat de Lubumbashi développe une conscience de condition au détriment de la conscience de classe. Alors que la conscience de condition est la reconnaissance pour les travailleurs de leur position sociale et repose sur l'acceptation de la hiérarchie, la conscience de classe postule une convergence d'intérêts particuliers dans un même mouvement de revendication active contre l'exploitation politique et économique et contre les aliénations, principe revendicatif susceptible de provoquer une mutation politique et économique.

La conscience de condition permet certes aux travailleurs de mesurer la distance qui les sépare des autres catégories sociales mieux nanties (employés, cadres africanisés, bourgeoisie naissante, etc.) mais du fait de leur manque d'unité, ils ne peuvent opposer à la privation et à la marginalisation un « principe revendicatif » cohérent selon le mot de A. Touraine.

C.M. Mwabila constate que la conscience de condition est segmentée et repose sur un projet de mobilité. Segmentée parce qu'elle se caractérise par un comportement s'inspirant tantôt de modèles traditionnels, tantôt de modèles modernes de type occidental (mutuel tribal-syndicat), et de mobilité à cause de l'espoir dans les chances d'ascension sociale de l'individu et plus encore de ses enfants.

1.2.4. Des études évaluatives

L'analyse des sociétés africaines en général et congolaise en particulier, partant du modèle marxiste des classes sociales soulève quelques difficultés ainsi que le fait remarquer C.M. Mwabila à la suite de G. Balandier20(*).

En effet, pour C.M. Mwabila, les classes sociales se heurtent en Afrique à deux ordres de difficultés : la diversité et l'hétérogénéité. La diversité résulte des facteurs multiples telles que la variété des sociétés traditionnelles, les incidences différentielles des colonisations, les divergences résultant des choix faits après l'indépendance en matière politique. Ces diversités ne peuvent s'interpréter à partir d'un modèle structurel unique, telles les classes sociales, bien que ces diversités voisinent avec certaines caractéristiques communes comme par exemple une large prédominance de la paysannerie, un petit nombre des entrepreneurs autochtones, l'importance de la couche vivant de la bureaucratie, l'émergence d'une nouvelle classe que Balandier appelle « classe des gestionnaires de l'Etat moderne ».

Quant à l'hétérogénéité, elle découle principalement de l'existence dans les sociétés africaines modernes d'éléments d'âges différents, la multiplicité de critères de différenciation sociale, des critères relevant du passé, d'autres conditionnés par le présent. S'agissant des critères du passé, G. Balandier signale une forte résistance à l'apparition des classes sociales parce que les inégalités s'expriment davantage au niveau de prestige et de pouvoir qu'au niveau de richesse. Concernant les critères du présent, Balandier le nouveau type de différenciation sociale issue de la généralisation de l'Etat, du développement des villes et de l'économie marchande, de la modification directe ou indirecte des régimes fonciers, de la diffusion d'un savoir nouveau qui valorise la connaissance écrite, de la dénaturation de la culture traditionnelle et de la dissolution du système religieux qui lui est associé.

Ainsi pour C.M. Mwabila, le processus de subdivision des sociétés en classes antagonistes ne peut être considéré comme achevé en Afrique malgré l'existence remarquée de différents groupes d'intérêts. Ce caractère inachevé des classes se rattache au processus (inachevé) de constitution de l'Etat, de la Nation et de l'économie moderne.

Ces considérations pertinentes développées par C.M. Mwabila se renforcent avec les mutations induites par la déstructuration et la dégradation de l'appareil économique qui a servi de repère d'identification des classes sociales ci-haut mentionnées. Du fait de l'implosion de l'appareil de production, la détermination de différentes classes sociales devient difficile, de même les critères à partir desquels elles sont hiérarchisées. On assiste, par ailleurs, à l'émergence d'autres groupes sociaux ne pouvant être saisis en terme des classes sociales. Tel est le cas notamment des artistes musiciens, des chefs religieux dans les églises de réveil, des opérateurs du secteur informel, etc.

Ce malaise provoqué par le recours aux catégories marxistes pour identifier les acteurs sociaux au Congo, a été également ressenti par J.T. Omasombo et T.K. Biaya. En effet, affirment-ils, la conformité à l'orthodoxie marxiste, conditionnant les classes sociales au rôle joué dans le procès de production et à la prise de conscience politique, a conduit plusieurs chercheurs à nier leur existence au Congo. Dans ce pays, poursuivent-ils, par delà l'identification des groupes sociaux par rapport au procès de production, on n'a pas dans différents cas, encore assez réussi à saisir le niveau de la conscience de classe et sa diversité, son caractère fluide et changeant et son rapport à des sous-cultures engendrés localement. Chez le petit peuple, par exemple, le climat de conscience ambiant résulte d'un dosage d'éléments tels que la résignation, le respect souvent formel des règles de jeu social, la source de révolte vite attisée et vite calmée, le double langage, les croyances aux solutions dans l'au-delà.

Ainsi pour eux, la saisie de la réalité des classes sociales au Congo exige qu'on renonce à calquer des modèles trop élaborés et/ou figés produits dans des sociétés plus stables et homogènes, c'est-à-dire n'ayant pas été soumises à l'action déstructurante de la colonisation tant sur le plan économique, politique que culturel. Il s'impose, estiment ces deux auteurs, la nécessité d'une analyse tendant à situer la société congolaise dans son contexte et la rendre à son histoire. On découvrira ainsi la permanence des classes sociales d'un certain type et les ruptures de ce type vers un nouveau qui se recherche.

Leur analyse les amène à découvrir au Congo, cette formation sociale au confluent des valeurs pré-capitalistes et du capitalisme périphérique encore mal adoptées, une division de la société induite par la colonisation en classe dominante et en classe dominée. Entre les deux, se loge la classe moyenne flottante. Chaque classe se compose de quelques échelons. Ainsi, le Congo se constituerait des classes sociales ci-après :

- la bourgeoisie comprenant : - la bourgeoisie politique

- la bourgeoisie commerçante

- la classe moyenne

- la classe dominée composée de :

- la masse prolétarienne

- les travailleurs indépendants

- les chômeurs et sans emploi.

- les masses rurales et paysannes.

Relevons quelques observations à propos de la trouvaille de J.T. Omasombo et T.K. Biaya.

Cette étude, comme l'ont affirmé les auteurs, renonce à l'orthodoxie marxiste pour s'inscrire dans une approche qui restitue le Congo dans son contexte et dans son histoire. Mais son développement la ramène dans les ornières marxistes. En effet, ces deux auteurs recourent aux mêmes repères élaborés par Marx pour identifier les classes sociales, à savoir la place ou le rôle dans la production et la conscience de classe.

Ainsi donc, comme Marx et les marxistes, J.T. Omasombo et T.K. Biaya distinguent dans la société congolaise la classe dominante et la classe dominée entre lesquelles s'insère une classe moyenne flottante. Ces classes sont, qu'ils en aient eu conscience ou non, identifiées à partir de leur rôle dans le procès de production.

C'est pourquoi, sans réaliser un dépassement des travaux existants partant des données empiriques, ambition première de leur étude, J.T. Omasombo et T.K. Biaya en arrivent à découvrir dans la réalité congolaise actuelle les classes sociales déjà repérées depuis très longtemps par plusieurs chercheurs (pensons ici à G.N. Nzongola, C.M. Mwabila, Ngokwey).

D'autre part, comme Marx et les marxistes, J.T. Omasombo et T.K. Biaya insistent sur la conscience de classe qui caractérise les différents groupes sociaux qu'ils ont découverts, comme le témoignent plusieurs passages de leur article. « La bourgeoisie politique désigne la classe dirigeante, tant elle est identifiable, consciente de son existence et de ses intérêts de classe. La bourgeoisie commerçante est consciente que son existence et sa prospérité tient à son alliance avec la bourgeoisie politique ». A propos de la classe ouvrière, ils écrivent : « les travailleurs des entreprises privées sont donc les seuls vrais prolétaires dans le système capitaliste encore contrôlé par le capital étranger. La crise économique fait d'eux une minorité consciente et privilégiée au milieu d'une population adulte valide qui ne fait pas partie des structures organisées de production.

On voit en définitive que cette étude n'a opéré aucun dépassement tant sur le plan théorique que sur le plan empirique.

1.2.5. Des nouvelles perspectives.

Toutes ces difficultés apparaissent, à notre avis, du fait que la taxinomie des classes sociales chez la plupart des auteurs procède des diagnostics et formulations ne tenant pas compte de la réalité locale et de son dynamisme. La rigidité des modèles d'analyse utilisés tronque souvent l'image de la société. En effet, le fonctionnement de la société déborde la rationalité, le cadre logique dans lequel la théorie prétend l'enfermer.

Retrouvons ici Jean Cazeneuve pour poser avec lui que le domaine de la stratification sociale est extrêmement vaste et complexe. Comme nous retrouvons dans chaque société plusieurs stratifications et que celles-ci sont agencées différemment suivant les contextes, nous devons aussi dépasser le niveau de la théorie globale pour étudier les divers types de stratification et leurs combinaisons dans les divers types de sociétés21(*). En effet, toute théorie doit être élaborée sur la base de la réalité concrète, à partir des données empiriques. Au sujet de la nécessité de prise en compte de la réalité concrète disons avec Jean Copans que la sociologie se veut être une rupture empirique qui intègre l'histoire réelle des populations africaines. En effet, pour cet auteur, l'apparition d'un nouvel ordre de phénomènes sociaux (économiques, politiques et idéologiques) rend possible l'apparition d'une certaine réflexion scientifique sur cet ordre de phénomènes. L'évolution de la société impose à l'intention des théoriciens des problèmes nouveaux ou à l'intérieur d'une science déjà constituée, en une problématique (ou en plusieurs problèmes).22(*)

En effet, le cadre général de l'étude des clases sociales au Congo a été, ainsi que nous l'avons ci-haut mentionné, reste la Grande entreprise capitaliste qui a déstructuré et structuré l'édifice social en fonction de la logique qui la sous-tend. Cette grande entreprise a constitué la charpente de l'économie formelle du Congo. Celle-ci a amorcé leur désintégration depuis la fin des années 70 qui s'est achevée dans la décennie 90 avec les jacqueries militaires et populaires orchestrées par un pouvoir en perte de vitesse. Les deux guerres de 1996 et de 1998 n'ont fait que boucler un long processus. Il est aujourd'hui malaisé d'évaluer la part des unités de production dans la vie de la population et de la nation. Ce qui est évident est que la déstructuration du secteur économique a exclu une part très importante de la population du procès de production économique. Ce secteur ne concerne désormais qu'une infime portion de la population dont l'existence ne s'y rattache pas. « Le congolais type, écrivent Remy Mbaya Mudimba. et F. Streiffler, travaille dans l'agriculture ou dans le secteur informel pour 54% ou dans l'emploi salarié pour 15%23(*) ».

Par conséquent la définition des classes sociales à partir de leur place dans les différents segments de cette économie formelle, devenue secondaire, ne semble pas se rapporter à la situation actuelle de la R.D.C. L'émergence et l'expansion du secteur informel vers lequel se ruent toutes les couches de la population, suite à l'effondrement de l'économie nationale, invitent à la relecture de la structure sociale au Congo. Ce nouvel ordre des phénomènes socio-économiques, comme l'exige ci-haut Jean Copans, nous contraint de réexaminer la problématique de la stratification sociale en RDC, en général, et dans la ville de Kinshasa en particulier.

Remy Mbaya Mudimba fait remarquer que la difficulté dans l'étude des classes sociales au Congo résulte du fait que « souvent, les gens n'utilisent pas la théorie de l'articulation des modes de production pour essayer de comprendre le système social congolais. Seule une conception dialectique est féconde pour analyser la formation sociale congolaise. Dialectique concernant la théorie et la pratique. Dialectique concernant l'analyse des modes de production »24(*).

Cette perspective a été inaugurée par Donat Olela Nonga Shotsha25(*). Celui-ci a appréhendé le secteur informel comme un mode production dans ses articulations avec les anciens modes de productions traditionnels et le mode de production capitaliste dominant. Abordant la question relative au système social que génère le mode de production informel, Olela en arrive à la conclusion que celui-ci se trouve subdivisé en deux classes sociales.

D'une part, celle constituée des entrepreneurs qui répondent à d'autres tâches et activités salariées. Et d'autres part, celles des exploitants n'exerçant aucune autre activité en dehors de ce commerce où la catégorie des chômeurs, des sans emplois et des retraités, qui tirent l'essentiel de leur survie ainsi que de celle de leurs familles respectives.

Sur le plan de rapports sociaux de production, la spécificité de l'instance économique de la première catégorie réside dans la complexité du nouveau type des relations de production. Dans le secteur informel existent des gens qui ont un double statut ; ils sont à la fois des travailleurs exclus de la propriété des moyens de production lorsqu'ils répondent comme salariés dans les entreprises des autres d'une part, et des patrons propriétaires des unités de production, lorsqu'ils sont dans leurs propres entreprises du secteur informel d'autre part. Ils sont ainsi dans une double relation de propriétaire/non-propriétaire, de salarié/entrepreneur.

Ce statut social hybride a été constaté dans une étude réalisée à l'INERA26(*) en 1996. Nous avons découvert que l'impératif du vécu quotidien dans une situation de crise imposait aux agents de cet Institut l'imagination d'autres mécanismes d'acquisition du revenu pour assurer la survie de leurs familles. Parmi ces mécanismes, outre les « coups de mains », c'est-à-dire les services parallèles prestés dans les écoles, les garages, les ateliers, etc., la plupart des agents avaient initié le petit commerce ou le petit métier, souvent tenus avec leurs épouses et enfants.

Avant nous, Kazadi Kimbu avait également constaté le développement de ces activités parmi les cadres et ouvriers des entreprises du Haut Katanga Industriel. Leurs conditions de vie et de travail leur révèlent que le meilleur moyen de s'adapter à la crise, de trouver des solutions dans le capitalisme, c'est de lancer ses propres affaires ; c'est utiliser les moyens fournis par le capitalisme lui-même pour travailler à son propre compte. Leur conviction : « pour ne pas périr, il faut se débrouiller ».27(*)

Cette pratique est devenue monnaie courante en R.D. Congo. A ce jour, et principalement dans la ville de Kinshasa, Ministres, PDG, Professeurs d'université, Chefs religieux, artistes musiciens, ouvriers, chômeurs, etc., la plupart tiennent des activités relevant de l'informel au sens large du terme. Cette nouvelle donne rend caduque le découpage de la population en classe des propriétaires de moyens de production et classe non possédante entre lesquelles vacille une classe moyenne.

Le cumul des plusieurs activités par un seul individu (agent de l'administration publique, conseiller dans un cabinet ministériel et propriétaire d'une grande boulangerie) et le caractère composite du revenu qui en résulte, rend aléatoire la classification des groupes sociaux sur base de la profession. Un tel individu devra-t-il être classé parmi les cadres ou bien parmi les bourgeois ? Concernant les rapports de classes, on voit par exemple que du fait du développement des activités du secteur informel que certains membres de la classe moyenne (employés de bureau) qui occupent formellement un rang supérieur se lient organiquement, pour leur survie, aux ouvriers qui ont prospéré dans une activité informelle. Ceux-ci entretiennent, de par leur nouvelle situation, de relations étroites avec des membres des classes supérieures.

Il en est de même, poursuit Olela N.S., pour la deuxième catégorie, celle des chômeurs. Ces gens, en même temps qu'ils se reconnaissent comme des chômeurs, sont aussi à la fois propriétaires des unités de production, au lieu d'être, comme des chômeurs de la société capitaliste, c'est-à-dire simplement une armée de réserve.

Cela dit, dans sa logique économique de fonctionnement, conclut Olela N.S., le secteur informel est différent du capitalisme ; alors que le capitalisme divise la société en deux blocs : d'un côté celui des propriétaires des moyens de production, et de l'autre côté celui de ceux ne disposant que de leur force de travail qu'ils aliènent contre un salaire, le secteur informel crée, quant à lui, une société des plusieurs possédants, non juxtaposés, de moyens de production, dont les uns répondent encore chez les autres comme salariés.

Mais cette étude de Olela N.S. reste muette quant à la nature des rapports entre ces différentes catégories des possédants, le type de conscience qu'elles développent et les places qu'elles s'assignent et les luttes qu'elles se livrent pour conforter ou transformer leurs positions.

La sociologie ne gagnerait-elle pas en découvrant la manière dont la population construit son échelle sociale par laquelle elle prend conscience d'elle-même, se projette et se mire. Cette perspective nous parait la moins impertinente dans la mesure où, elle permet de cerner les valeurs prévalant au sein d'une société et de comprendre les motivations qui président aux actions des différents groupes sociaux qui donnent à la société son dynamisme.

A notre avis, et tel que nous suggère l'observation de la vie quotidienne à Ngaba, la construction de l'échelle sociale se fonde la situation de classe28(*). Celle-ci est appréciée à partir des indices de consommation, la possession de certains biens, l'accès à certains services, etc. Le nivellement de l'échelle sociale ainsi construite procède de valeurs esthétiques29(*) qui procurent prestige, pouvoir et puissance. Telle sera l'orientation de ce travail.

Section 2. Situation de classe, condition sociale et hiérarchie sociale à Kinshasa/Ngaba

Le concept de situation de classe désigne, à la suite de Max Weber, la chance caractéristique pour un individu d'accéder aux biens. Les individus du fait de leur famille, de leur profession, des capitaux qu'ils possèdent, de la région où ils habitent, ou du tout autre cause déterminante, ont des chances (au sens de possibilité) inégales, différentes, d'accéder aux biens. Ces différences définissent des situations de classes différentes.

La situation de classe se rapporte à deux ordres : économique et social. L'ordre économique est le mode selon lequel, les biens et les services sont distribués et utilisés tandis que l'ordre social renvoie à la sphère de répartition de l'honneur, c'est-à-dire le mode selon lequel le prestige se distribue dans une communauté. Cet ordre social M. Weber l'appelle condition sociale, c'est-à-dire la chance caractéristique pour un individu de jouir d'une certaine considération sociale dans la société. Il ne s'agit plus de la chance d'accès au bien mais à l'honneur social. La condition sociale est le domaine de l'être : elle est définie par les marques de distinctions symboliques qui se lisent dans la consommation et les loisirs ostentatoires. Ces marques de distinction apparaissent à travers le respect du code des bonnes manières, l'éducation, la culture, le chic dans l'habillement, l'aisance et la prestance dans les mondanités, la consommation raffinée de mets délicats, etc., dans le style de vie. Mais la considération ou l'honneur qui marquent le groupement de prestige ne sont pas des attributs nécessairement liés à une situation de classe quand bien même la facilité d'accès aux biens tend à devenir à la longue ou à la limite une condition nécessaire d'appartenance à un groupement de prestige.

Dans la Commune de Ngaba, comme dans l'ensemble de la ville de Kinshasa, la situation de classe d'un individu est reflétée par le confort matériel et définit sa place dans la hiérarchisation sociale. Nous n'avons qu'à considérer les différentes formes de discrimination présenter à l'introduction de ce travail pour nous en rendre compte. Comme nous le verrons plus loin, la situation sociale au lieu d'être un indice d'un status social en est plutôt constitutive et conditionne le degré de la considération sociale à réserver à un individu. Elle constitue en définitive le fondement de la perception et de l'évaluation sociale.

Section 3. Elaboration du modèle d'analyse

Les inégalités entre les hommes sont une donnée naturelle et inéluctable. Aucun régime politique ou social ne peut y remédier, et les utopistes les plus hardis n'ont jamais caressé un aussi fol espoir30(*)

Cette réalité indéniable, évidente même aux esprits les plus étourdis, appelle, cependant, des polémiques quant à la saisie de son fondement, de sa configuration, de son amplitude et de son rôle dans le devenir de la société. Les uns y trouvent le moteur des transformations sociales alors que les autres l'inscrivent dans l'inhérence de toute organisation sociale et de sa stabilité. Le débat amorcé dans la première section est révélateur de cette divergence théorique. Dans un cas comme dans un autre, les inégalités sociales constituent un enjeu et un ferment des conduites humaines et que c'est la société qui en donne la signification.

1.3.1. Espace social comme lieu de différenciation.

C'est en observant les pratiques culturelles et les logiques de différenciation sociale que P. Bourdieu construit sa théorie de l'espace social que l'on peut résumer de la manière suivante : la société est un espace de différenciation dans lequel les rapports de domination sont dissimulés, car profondément intériorisés par les individus31(*).

Pour P. Bourdieu, la construction d'une théorie de l'espace sociale suppose une série de ruptures avec la théorie marxiste. Rupture avec la tendance à privilégier les substances - ici les groupes réels dont on prétend définir le nombre, les limites, les membres, etc. - au détriment des relations et avec l'illusion intellectualiste qui porte à considérer la classe théorique, construite par le savant, comme classe réelle, un groupe effectivement mobilisé ; rupture avec l'économisme qui conduit à réduire le champ social, espace multidimensionnel, au seul champ économique, aux rapports de production économique, ainsi constitués en coordonnées de la position sociale32(*) ; rupture enfin avec l'objectivisme, qui va de pair avec l'intellectualisme, et qui conduit à ignorer les luttes symboliques dont les différents champs sont le lieu et qui ont pour enjeu la représentation même du monde social et, notamment la hiérarchie au sein de chacun des champs et les différents champs33(*).

Parler de l'espace social selon P. Bourdieu, c'est dire qu'on ne peut rassembler n'importe qui avec n'importe qui en ignorant les différences fondamentales économiques et culturelles notamment ...Partant de ce principe, P. Bourdieu estime que l'espace social, vocable qu'il préfère à la société à cause de sa précision, est le lieu de différenciation en fonction des propriétés spécifiques et agissantes en circulation dans cet univers et conférant à leurs détenteurs de la force, du pouvoir.

En d'autres termes, les inégalités sociales sont une résultante de l'inégale répartition de certaines propriétés valorisées dans un univers social donné. Ces propriétés permettent la société de distinguer un individu des autres et éventuellement de lui attribuer une place sur l'échelle sociale.

Pour être retenu comme principe de structuration de l'espace social, cette propriété doit être agissante, c'est-à-dire être une ressource utile, en cours au moment et au lieu où se réalise l'observation et susceptible d'affecter la condition existentielle de son détenteur. Il s'en suit que toute propriété est soumise à la loi de la cinématique sociale qui intègre l'effet différentiel du temps et de l'espace. En effet, selon les époques et les lieux les propriétés peuvent se convertir soit en propriété agissante déterminant dans la hiérarchisation des individus, en propriété potentielle, c'est-à-dire virtuelle ou de seconde zone, ou tout simplement cesser d'être un critère de référence. Ainsi, en est-il de l'âge et du sexe qui naguère dans nos sociétés étaient de critères fondamentaux de hiérarchisation sociale ne sont plus de nos jours de facteurs structurants de rapports sociaux. La propriété considérée devra, pour être agissante, accroître ou diminuer le volume du capital symbolique qu'elle est censée procurer.

P. Bourdieu nomme capital, ces propriétés, et en distingue quatre espèces : capital économique, social, culturel et symbolique. Ces espèces du capital, à la façon des atouts dans un jeu, sont des pouvoirs qui définissent les chances de profit dans un champ donné.

Le capital culturel peut exister sous trois formes : à l'état incorporé, c'est-à-dire sous la forme de dispositions durables de l'organisme ; à l'état objectivé, sous la forme de biens culturels (tableaux, livres, dictionnaires, instruments, machines) qui sont la trace ou la réalisation de théories ou de critiques de ces théories, de problématiques, etc. ; enfin à l'état institutionnalisé (titre scolaire attestant la compétence acquise et ayant une valeur conventionnelle).

Le capital social est l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées d'interconnaissance et d'inter-reconnaissance ; ou, en d'autres termes, un ensemble des relations sociales - principalement le pouvoir d'autrui - dont un agent peut se servir à son profit. Tel qu'il est courant à Kinshasa d'entendre les certaines gens se faire prévaloir ou proférer les menaces de toutes sortes parce qu'ils ont des relations privilégiées avec telle ou telle autre autorité du pays.

L'ensemble de ces capitaux détermine l'apparition d'un capital symbolique, c'est-à-dire une sorte de charisme qui, à la faveur de la reconnaissance sociale de capitaux particuliers, procure à son détenteur prestige, autorité et notoriété34(*).

Bourdieu découvre ainsi une pluralité des capitaux circulant dans l'espace social et dont la spécificité définit chacun de ses compartiments et lui imprime une logique ainsi que les formes de lutte particulières. Ces capitaux qui s'imbriquent, ne déterminent pas avec la même intensité la hiérarchie sociale.

Faisons remarquer que de manière générale, le capital agissant dans un univers social donné est celui qui renforce la position de l'élite, assure sa domination et lui permet de maintenir la distance avantageuse qui la sépare des groupes dominées. C'est pour dire comme P. Bourdieu que c'est l'élite qui légitime un capital en fonction de ses intérêts. En effet, souligne P. Bourdieu, ce sont les plus visibles du point de vue des catégories de perception en vigueur qui sont les mieux placés pour changer la vision en changeant les catégories de perception. Le capital ainsi légitimé dévient un enjeu pour lequel les agents sociaux entrent en compétition pour son acquisition, son maintien ou sa modification.

Ainsi, P. Bourdieu conclut qu'il y a dans toute société des dominants et des dominés, et que dans cette différence réside le principe de base de l'organisation sociale. Mais cette domination, fait-il remarquer, dépend de la situation, champ ou espace social lui-même, des ressources (capital agissant) et de la stratégie (jeu, forme de lutte dans le champ ou l'espace social).

C'est pourquoi, l'espace social apparaît comme un champ de forces, c'est-à-dire comme ensemble de rapports de force objectifs qui s'imposent à tous ceux qui entrent dans ce champ et qui sont irréductibles aux intentions des agents individuels ou même aux interactions directes entre agents.

La position d'un agent déterminé dans l'espace social peut ainsi être définie par la position qu'il occupe dans les différents champs, c'est-à-dire dans la distribution des pouvoirs qui sont agissants dans chacun d'eux, soit principalement le capital économique - sous ses différentes espèces - le capital culturel et social, ainsi que le capital symbolique, communément appelé prestige, réputation, renommée, etc. qui est la forme perçue et reconnue comme légitime de ces différentes espèces de capital.

En somme, la situation actuelle d'un agent peut être définie en fonction d'un système multidimensionnel de coordonnées dont les différentes valeurs correspondent aux valeurs pertinentes. Les agents s'y distribuent, dans la première, selon le volume global du capital qu'ils possèdent et, dans la seconde, selon la composition de leur capital, c'est-à-dire selon le poids relatif des différences dans l'ensemble de leurs possessions.

P. Bourdieu constate dans sa société que l'espace social s'organise autour de deux dimensions : le volume global des ressources détenues, et sa répartition entre capital économique (fortune, salaires, revenus) et le capital culturel (connaissances, diplômes, bonnes manières). Ce clivage entre l'argent et la culture est très discriminant. Toutefois, malgré son relativisme et son regard multidimensionnel de la société, il reconnaît, comme K. Marx, l'autonomie relative des autres structures de la société et le déterminisme de la structure économique en dernière instance sur les autres.

Revenons sur les différentes espèces du capital pour dire que pour qu'elles soient agissantes et donc fonder la hiérarchie sociale, elles doivent être légitimes, c'est-à-dire reconnues comme élément de mobilité sociale à un moment donné de l'évolution de la société. Elles interviennent dans la différenciation sociale que lorsqu'elles influent sur le volume global du capital symbolique (honneur, prestige, etc.). En d'autres termes, pour qu'un capital soit retenu comme agissant, il doit contribuer à accroître ou à diminuer le capital symbolique. Aussi, le volume du capital symbolique n'est-il pas déterminé par un seul et unique capital comme l'a pensé K. Marx. Il s'y joint toujours un autre capital qui joue un rôle secondaire ou d'appui.

Ainsi, considérons-nous que la stratification ou l'échelle sociale se construit sur base de la hiérarchisation des différents volumes du capital symbolique qui résulte de la possession du capital agissant soutenu par le capital potentiel.

Es= somme Cs=f(Ca)+ Cp.

Es = Echelle sociales, Cs= Capital symbolique, Ca= Capital agissant, Cp= Capital potentiel.

Cette formule présente un avantage : elle montre, pour reprendre la formule de P. Bourdieu, qu'il n'y a pas un déterminisme mécanique dans la fluctuation du volume du capital symbolique, mais des lois tendancielles qu'il s'agit de mettre à jour35(*).

C'est dire qu'une espèce de capital bien qu'étant spécifique peut jouer un rôle secondaire, dans un système de stratification. On voit par exemple qu'au Congo l'instruction (capital culturel) qui jadis servait de pilier majeur de l'édifice social ne l'est plus bien que l'on reconnaisse son importance dans la société. Dans ce cas, ce capital culturel loin d'être agissant devient plutôt un capital potentiel et cède sa place au capital économique.

1.3.2. Propriétés générales des champs sociaux36(*).

1. Les champs se présentent à l'appréhension synchronique comme des espaces structurés des positions (ou de postes) dont les propriétés dépendent de leur position dans ces espaces et qui peuvent être analysés indépendamment des caractéristiques de leurs occupants ;

2. Il y a des lois générales des champs :des champs aussi différents que le champ de la politique, le champ de la philosophie, le champ de la religion ont des lois des fonctionnement invariantes ;

3. Un champ, s'agit-il du champ scientifique, se définit entre autres choses en définissant des enjeux et des intérêts spécifiques, qui sont irréductibles aux enjeux et aux intérêts propres à d'autres champs et qui ne sont perçus de quelqu'un qui n'a pas été construit pour entrer dans ce champ ;

4. Pour qu'un champ marche, il faut qu'il y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés d'habitus impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du jeu, des enjeux, etc. ;

5. La structure du champ est un état du rapport de force entre les agents ou les institutions engagés dans la lutte ou, si l'on préfère, de la distribution du capital spécifique qui, accumulé au cours des luttes antérieures, oriente les stratégies ultérieures. Cette structure, qui est au principe des stratégies destinées à la transformer, est elle-même toujours en jeu : les luttes dont le champ est le lieu ont pour enjeu le monopole de la violence légitime (autorité spécifique) qui est caractéristique du champ considéré, c'est-à-dire, en définitive, la conservation ou la subversion de la structure de la distribution du capital spécifique ;

6. Ceux qui, dans un état déterminé du rapport de force, monopolisent (plus ou moins complètement) le capital spécifique, fondement du pouvoir ou de l'autorité spécifique caractéristique du champ, sont inclinés à des stratégies de conservation (défense de l'orthodoxie), tandis que les moins pourvus de capital sont enclins aux stratégies de subversion - celles de l'hérésie ;

7. Tous les gens qui sont engagés dans un champ ont en commun un certain nombre d'intérêts fondamentaux, à savoir tout ce qui est lié à l'existence même du champ : de là une complicité objective qui est sous-jacente à tous les antagonistes. On oublie que la lutte présuppose un accord entre les antagonistes sur ce qui mérite qu'on lutte, c'est-à-dire tout ce qui fait le champ lui-même, le jeu, les enjeux, tous les présupposés qu'on accepte tacitement, sans même le savoir, par le fait de jouer, d'entrer dans le jeu.

8. Ceux qui participent à la lutte contribuent à la reproduction du jeu en contribuant, plus ou moins complètement selon le champ, à produire la croyance dans la valeur des enjeux.

9. Les nouveaux entrants doivent payer un droit d'entrée qui consiste dans la reconnaissance de la valeur du jeu et dans la connaissance des principes de fonctionnement.

10. Les révolutions partielles dont les champs sont continûment le lieu ne mettent pas en question les fondements mêmes du jeu, son axiomatique fondamentale, le socle de croyances ultimes sur lesquelles repose tout le jeu. Bien au contraire, la subversion hérétique se réclame du retour aux sources, à l'origine, à l'esprit, à la vérité du jeu, contre la banalisation et la dégradation dont il fait l'objet.

11. Un des facteurs qui met les différents jeux à l'abri des révolutions totales, de nature à détruire non seulement les dominants et la domination, mais le jeu lui-même, c'est précisément l'importance même de l'investissement, en temps, en efforts, etc., que suppose l'entrée dans le jeu qui contribue à rendre impensable pratiquement la destruction pure et simple du jeu.

Le schéma explicatif étant élaboré, examinons à présent le sens que nous attribuons aux concepts clés de cette dissertation.

Section 4. Des concepts

Pour ne pas noircir des pages entières au sujet de l'importance de cette partie de notre travail, disons tout simplement à la suite de Godon Mace que la définition d'un concept exercice périlleux et incontournable. Périlleux, du fait de caractère abstrait du concept et incontournable parce qu'il ne peut y avoir des connaissances sans concepts. En effet, les concepts sont des instruments de la méthode scientifique qui interviennent au moment de la désignation du problème de recherche. A cette étape de recherche, les chercheurs les utilisent essentiellement pour reconnaître les éléments ou dimensions qui se rapportent au problème général et également pour préciser les relations établies ou postulées entre ces éléments37(*).

Devant répondre à cette exigence, nous définissons les concepts ci-après :

1.4.1. Stratification sociale.

Il est évident que nous ne saurons rendre compte en quelques lignes, le concept de stratification sociale qui a déjà fait l'objet d'innombrables publications38(*). Notre effort consistera à saisir dans ses grandes articulations, ce concept central de notre étude.

La société, écrit Jean Golfin, n'est pas un tout homogène et elle n'a rien d'une masse amorphe et indifférenciée. Ses membres se répartissent en un certain nombre de couches sociales auxquelles on donne le nom de strates, emprunté à la géologie. Et l'on appelle stratification le processus selon lequel se constituent les strates39(*).

De ce qui précède, retenons que par stratification on entend la hiérarchisation de tout groupe humain sur une échelle de positions, c'est-à-dire l'alignement vertical des statuts ou strates sociales. Ce phénomène, comme le fait observer Jean Golfin est ressenti subjectivement dans la société. C'est à ce sentiment que correspond la vision commune verticale que les membres ont de l'ensemble social et qui fait dire quand on passe d'une strate inférieure à une strate supérieure que l'on monte. La stratification est donc aussi un processus de hiérarchisation et d'inégalité. Elle est un processus social (hiérarchisation) et un état social (hiérarchie).

Toute stratification obéit à des significations conventionnellement attribuées et à des critères et prescriptions culturellement définis. Elle renseigne sur la nature particulière d'une société, et sur les valeurs dominantes qu'elle professe. Partout, note J. Golfin, la hiérarchisation implique une inégale participation au pouvoir, à la richesse, au prestige : mais ce qui importe, c'est le fondement de cette inégalité. Et donc, le pouvoir, la richesse, le prestige sont les principales sources des inégalités entre les hommes.

La stratification sociale se caractérise par les traits suivants :

· caractère social, c'est-à-dire qu'elle répond à des significations conventionnellement attribuées et à des critères et prescriptions socialement définis ;

· ancienneté : elle est présente dans toutes les sociétés passées, car elle se transmet de génération en génération ;

· la stratification sociale est omniprésente et universelle ; elle existe dans toutes les communautés humaines ;

· la stratification se manifeste sous des formes variées ;

· la stratification sociale est dotée d'une série de conséquences précises, c'est-à-dire que ce sont essentiellement les choses les plus importantes, les plus désirées et souvent les plus rares dans la vie de l'homme qui tombent sous le coup de l'inégale répartition.

Revenons au caractère multiforme de la stratification sociale pour dire qu'elle se construit selon des formes diversifiées. Les sociologues en distinguent principalement trois types :

1. les castes : sont des groupes sociaux hiérarchisés principalement sur la base de principes religieux. Les différentes castes constituent des groupes fermés et séparés : on naît et on meurt dans la même caste ; on se marie à l'intérieur de la caste. La société indienne traditionnelle se décomposait ainsi en quatre castes fondamentales : prêtres (brahmanes), guerriers, producteurs et marchands. Une dernière catégorie est constituée des « intouchables » qui sont « hors caste ». Chaque caste définit un ensemble des rituels d'habitudes vestimentaires (couleur particulière), alimentaire (les brahmanes sont végétariens), de façons de parler, de professions, etc.

2. les ordres : sont des groupes sociaux hiérarchisés en fonction de la dignité accordée aux différentes fonctions sociales. Par exemple, dans la France de l'Ancien Régime on distingue la Noblesse, le Clergé, et le Tiers-Etat. La transmission des statuts sociaux est fortement héréditaire et la mobilité entre ordres est réduite. Même déchu, un noble reste noble.

3. les classes sociales, concept plus ambigu. Pour certains sociologues, on parle de classe lorsqu'on est en présence d'une situation de fait et non de droit (bourgeois et prolétaire sont soumis aux mêmes règles juridiques, ce n'était pas le cas des seigneurs et des serfs dans la féodalité). Pour K. Marx (mais aussi pour certains sociologues non marxistes), le terme de classe est utilisé pour désigner toutes les formes de hiérarchies sociales. C'est en ce sens que « l'histoire de toute société jusqu'à aujourd'hui est l'histoire de la lutte des classes » dans la perspective marxiste, la classe sociale apparaît lorsqu'un groupe d'individus s'approprie un surplus de type économique.

M. Tumin avance que les systèmes de stratification sont nécessairement créés, élaborés et maintenus par certains processus sociaux communs à tous. Il s'agit de la différenciation, de la classification, de l'évaluation et de la gratification40(*).

La différenciation est le processus par lequel les positions sociales sont définies et distinguées les unes des autres par l'assignation à chacune d'elles d'un rôle spécifique, c'est-à-dire d'un ensemble de droits et de responsabilités. La classification consiste en la hiérarchisation des positions sociales sur base de trois critères :

1. les caractéristiques personnelles, c'est-à-dire qualité requise pour une bonne exécution d'un rôle ;

2. les aptitudes et les qualifications acquises, jugées indispensables pour s'acquitter efficacement d'un rôle ;

3. les conséquences (ou les effets) du rôle sur les membres individuels et sur l'ensemble de la société ou les fonctions sociales di rôle.

Le troisième processus intervenant dans la stratification est l'évaluation. Celle-ci implique l'assignation à chacun des positions sociales d'une place déterminée sur une échelle de valeurs. Les niveaux de cette échelle peuvent encore être exprimés en termes de supériorité et d'infériorité, de mieux et de pire, de plus ou de moins éminent, ou encore de plus ou moins grande faveur de l'opinion. Ces termes dénotent les grands types de jugement exercés par l'évaluation. Cette dernière est parfois appelée « distinction enviable » c'est-à-dire distinction appelée à « susciter la haine, l'impopularité ou le mépris envieux »

Une fois différenciées, classifiées, évaluées, les positions sociales se voient accorder à des degrés différents la jouissance des bonnes choses de la vie : c'est le processus de gratification. Ainsi, toute société se donne-t-elle des lois et normes destinées à régir l'octroi des attributs. Ces règles ne sont pas uniques et immuables : elles peuvent tantôt assurer un confort et un luxe relatifs à une minorité au détriment de larges parts de la population plongées dans le besoin, et tantôt s'efforcer de garantir une répartition plus ou moins égale entre tous. Il est un fait établi, néanmoins, que toutes les sociétés connues à ce jour furent parquées par un certain degré d'inégalité d'attribution.

Constatant cette inégalité d'attribution, Henri Mendras affirme que l'attribution des positions, même dans une société très rationalisée, n'est jamais une attribution purement individuel, et les différences entre les rôles reposent rarement sur un parfait consensus de l'ensemble de la société. Il y a une certaine hérédité des positions. Un fils de médecin a beaucoup de chance de devenir un médecin que le fils d'un ouvrier. D'autre part, ces inégalités entre rôle ne sont pas acceptées universellement. Ce qui revient à dire que dans notre société chacun revendique, chacun se compare à d'autres et chacun met en cause la situation acquise par d'autres groupes. Cette contestation fait partie de notre société même, dans laquelle il n'y a pas une hiérarchie universellement acceptée, même si en fait elle est généralement reconnue.41(*)

La stratification sociale ainsi analysée crée des inégalités entre groupes sociaux et se fonde sur certains biens rares et valorisés dans la société. Elle renseigne sur les types de discriminations et de conflits qui prévalent au sein de la société et explique son dynamisme. L'intériorisation par les membres de la communauté des structures qui sous-tendent la stratification sociale génère un schème de perception appelée habitus.

1.4.2. Habitus.

Ce concept, dans le corpus conceptuel élaboré par Pierre Bourdieu, désigne un système de dispositions à agir, percevoir, sentir et penser d'une certaine façon, intériorisées et incorporées par les individus au cours de leur histoire et qui fonctionnent comme des principes inconscients d'action, de perception et de réflexion. Il s'agit, en d'autres termes, de l'intériorisation des conditions objectives d'existence qui modèle et façonne l'être social de l'individu.

L'habitus, comme le mot l'indique, c'est ce que l'on a acquis, mais qui s'est incarné de façon durable dans le corps sous forme de dispositions permanentes. Ce concept se réfère à quelque chose d'historique, qui est lié à l'histoire individuelle.

L'habitus se manifeste fondamentalement par le sens pratique, c'est-à-dire l'aptitude à se mouvoir, à agir et à s'orienter selon la position occupée dans l'espace social, selon la logique du champ et de la situation dans lesquels on est impliqué, et cela sans recours à la réflexion consciente, grâce aux dispositions acquises fonctionnant comme automatisme.

L'habitus est ce principe générateur et unificateur des conduites et opinions qui est le principe explicatif, puisqu'il tend à reproduire en chaque moment (...) des conditions objectives dont il est le produit. Il est par ailleurs, constitué d'un ensemble systématique des principes simples et partiellement substituables, à partir desquels peuvent être inventées une infinité de solution qui ne se déduisent pas directement de ses conditions de production.

Il est le produit des conditionnements qui tend à reproduire la logique objective des conditionnements en lui faisant subir une transformation. C'est une espèce de machine transformatrice qui fait que nous «reproduisions » les conditions sociales de notre propre production, mais d'une façon relativement imprévisible, dune façon telle qu'on ne peut pas penser simplement et mécaniquement de la connaissance des conditions de production à la connaissance des produits.

L'habitus est un principe d'invention qui, produit par l'histoire est relativement arraché à l'histoire : les dispositions sont durables, ce qui entraîne toutes sortes d'effets d'hystérésis (de retard, de décalage).

L'habitus détermine ainsi notre perception de l'univers social et de ses membres.

1.4.3. Perception sociale

Le dictionnaire de sociologie définit la perception sociale comme l'étude qui prend pour objet le fait que, en psychologie, en linguistique, en sociologie, etc., ce que les individus voient des choses ou des gens est modelé, d'une certaine manière, par la société.

De cette définition, nous retenons que la perception sociale est la vision que nous avons de nous même, des autres et de la société, vision acquise au cours d'un long processus de socialisation. Elle implique des schèmes de perception, mieux de réflecteurs, des projections à partir desquels nous percevons autrui.

Pour P. Bourdieu, la perception du monde social est produite d'une double structuration sociale42(*).

Du côté objectif, elle est socialement structurée parce que les propriétés attachées aux agents ou aux institutions ne se livrent pas à la perception de manière indépendante, mais dans des combinaisons très inégalement probables (....). En d'autres termes, la perception sociale est d'abord une perception de la structure sociale, c'est-à-dire du positionnement et des rapports des différents groupements sociaux. Le sens de la position occupée dans l'espace social est la maîtrise pratique de la structure dans son ensemble qui se livre au travers du sens de la position occupée dans cette structure. Elle implique des catégories, des éléments considérés comme atouts à partir des individus qui sont perçus. Les catégories de perception du monde social, comme le note P. Bourdieu lui-même, sont pour l'essentiel le produit de l'incorporation des structures objectives de l'espace social. En conséquence, elles inclinent les agents à prendre le monde social tel qu'il est, à l'accepter comme allant de soi, plutôt que de se rebeller contre lui, à lui opposer des possibles différents, voire antagonistes : le sens de la position comme sens de ce que l'on peut ou que l'on ne peut pas « se permettre », implique une acceptation tacite de sa position, un sens de limites, «ce n'est pas pour nous ».... Ainsi donc, si les rapports de forces objectifs tendent à se reproduire dans les visions du monde social qui contribuent à la permanence de ces rapports, c'est donc que les principes structurants de la vision du monde prennent leur racine dans les structures objectives du monde social et que les rapports de force sont aussi présents dans les consciences sous la forme des catégories de perception de ces rapports.

(...) Du côté subjectif, elle est structurée parce que les schèmes de perception et d'appréciation susceptibles d'être mis en oeuvre au moment considéré, et tous ceux notamment qui sont déposés dans le langage, sont le produit des luttes symboliques antérieures et expriment sous une forme plus ou moins transformée l'état des rapports de force symboliques. Et donc, la connaissance du monde social et, plus précisément, les catégories de perception qui la rendent possible, sont l'enjeu par excellence de lutte politique, inséparablement théorique et pratique pour le pouvoir de conserver ou de transformer le monde social en conservant ou en transformant les catégories de perception de ce monde.

Somme toute, la perception sociale consiste en la connaissance de la distribution des positions dans un espace social, distribution qui se réalise en fonction du volume du capital agissant dans cet espace. Suivant la nature et le volume de capital agissant, les agents sociaux s'identifient et se différencient des autres, s'apprécient et classent sur l'échelle sociale. Le capital agissant sert ainsi de catégorie de perception, mieux de critère d'humanité. La catégorie ou le critère de perception légitime, c'est-à-dire reconnu en tant tel, est celui qui légitime les couches sociales dominantes et leur permet d'assurer leur domination.

1.4.4. Conflits sociaux.

Ce concept est au centre de l'analyse sociologique depuis l'accueil combien chaleureux que les sociologues ont réservé aux oeuvres de K. Marx. Les auteurs le définissent de plusieurs manières au point qu'il est à certains moments confondus à d'autres concepts comme tensions, rivalités, la concurrence, etc. Nous tenterons, à la suite d'Alain Touraine, de spécifier son contenu et de le rapporter aux faits étudier dans ce travail.

Dans l'encyclopaedia universalis, A. Touraine43(*) avance que « un conflit est une relation antagonique entre deux ou plusieurs unités d'action dont l'une au moins tend à dominer le champ social de leurs rapports. L'existence d'un conflit suppose en effet deux conditions apparemment opposées : d'une part, des acteurs, ou plus généralement des unités d'action délimitées par des frontières, et qui ne peuvent donc être des « forces » purement abstraites ; de l'autre, une interdépendance de ces unités qui constituent les éléments d'un système.

Dans cette définition, A. Touraine met en exergue des conditions, des facteurs et des agents du conflit social. D'abord, l'existence des relations socialement déterminées entre deux ou plusieurs personnes. Ensuite la négation par un agent au moins de la nature de ces relations (le pouvoir ou la domination des rapports sociaux) et sa volonté de les transformer à son profit et, enfin, les agents que lient les relations, à la fois autonomes et interdépendants. Ainsi, le conflit n'est ni la rivalité entre des acteurs indépendants ni des tensions entre des acteurs définis par la différenciation des status et rôles à l'intérieur d'une organisation moins encore la concurrence entre les acteurs qui se réfèrent à un cadre d'action commun. Dans le conflit, au contraire, l'interaction est telle qu'elle remet en cause ce qui n'est plus un cadre social, mais un système de rapports sociaux.

Et donc, le conflit pour nous est la négation d'un type donné des relations par au moins un de deux sujets qu'elles relient, négation qui se porte au visible soit par une attitude d'indifférence, soit par des disputes, soit encore par une violence qui peut être physique, verbale ou symbolique.

1.4.5. La ville

La ville est l'un des concepts qui ont suscité moult controverses entre les spécialistes des sciences humaines en général et entre sociologues en particulier. La diversité de la réalité qu'elle désigne est à l'origine de ces controverses. Cette diversité se rapporte à la taille de la ville (Volume de la population et étendue de la ville), à sa configuration (infrastructure, équipement matériel, aménagement de l'espace) et au type des activité qui s'y exercent (administration, commerce, industrie, etc.). Les uns et les autres se sont appuyés sur un aspect pour faire prévaloir leur vision de l'espace urbain.

A partir de ces critères, des auteurs ont tenté plusieurs définitions de la ville. Ainsi, les géographes et les démographes entendent par là un fait de concentration de population et de services. Pour les économistes, il est question surtout de nouveaux marchés. Pour les politicologues, il s'agit de l'apparition de nouvelles structures politico-administratives. Les sociologues enfin pensent pour leur part aux nouvelles modalités d'organisation sociale et aux nouvelles mentalités.

Ce dernier aspect, celui des nouvelles mentalités paraît intéressant. En effet, la ville est perçue à travers le système de valeurs, les attitudes, les comportements, bref la culture urbaine qu'elle sécrète. P. Georges indique que lorsqu'on parle de société urbaine, il ne s'agit pas de simple constatation d'une forme spatiale. La société urbaine est avant tout définie par une certaine culture, c'est-à-dire par un certain système de valeurs, les normes et les relations sociales possédant une spécificité historique et une logique propre d'organisation et de transformation. Il s'agit d'un milieu artificiel, créé grâce à la prédominance d'une activité déterminée et à caractère sociologiquement hétérogène44(*).

Analysant les villes africaines à la lumière de ce critère, Evariste Tshishimbi Katumumonyi45(*) estime que celles-ci n'ont pas encore élaboré leur propre culture à cause notamment de la persistance des cultures d'origine ethnique qui continuent à dicter les comportements de leurs habitants. Tout en prenant en compte l'interférence des cultures ethniques dans la vie quotidienne des populations urbaines africaines, il y a lieu de reconnaître qu'une nouvelle culture est en élaboration en milieu urbain africain observable dans le comportement des populations qui y habitent. Au Congo par exemple, il est si facile de distinguer une personne qui vit en ville de celle qui habite la campagne ; un habitant de Kinshasa de celui de Lubumbashi, sur base des comportements qu'ils affichent.

Par ailleurs, la ville se caractérise par la diversité et l'hétérogénéité de sa population. Du fait de la densité démographique, de diversification des activités et de l'inégale possibilité d'accès aux moyens d'existence, la ville engendre différentes catégories sociales que l'on peut appréhender à partir de leur mode de vie. La ville devient ainsi un lieu de mobilité sociale et par conséquent de haute compétition entre individus et groupes sociaux qui se disputent les meilleures places de la société. Ce qui ne va pas sans entraîner des heurts, des tensions et des conflits entre diverses catégories sociales.

Nous considérons la ville comme une agglomération comprenant une population d'environ 20000 habitants, lesquels exercent pour leur survie une multiplicité de fonctions, partageant une dynamique culturelle déterminée et caractérisée par une forte différenciation sociale.

CHAPITRE II. KINSHASA. MORPHOLOGIE ET CLIVAGES SOCIAUX

Introduction

La société, objet de la sociologie, apparaît du point de vue analytique comme un édifice à quatre niveaux. Nicole Delruelle Vosswinkel désigne le premier niveau par la morphologie sociale, le second par les structures sociales, le troisième par les conduites collectives et le quatrième par les faits de conscience46(*). Ces différents niveaux de l'édifice social entretiennent des relations complexes que l'analyse sociologique doit mettre à jour.

La morphologie sociale, autrement dénommée substrat matériel, constitue la base sur laquelle reposent les trois autres instances de la société et en constitue l'expression objective. Elle résume, somme toute, les conditions matérielles d'existence déterminant les conduites et les valeurs de la société. C'est pourquoi, elle figure en bonne place dans les analyses sociologiques dont la particularité par rapport aux autres sciences réside dans leurs efforts de circonscrire chaque fait, chaque phénomène dans son temps et dans son espace. Ainsi, dit-on en sociologie qu'aucun fait, qu'aucun phénomène ne peut être compris s'il n'est resitué dans son contexte qui lui donne sens et signification.

Mais quid de la morphologie sociale ? Maurice Halbwachs nous propose la réponse selon laquelle, la morphologie sociale est constituée par la masse des individus qui composent la société, la manière dont ils sont disposés sur le sol, la nature et la configuration de toutes sortes de choses qui affectent les relations collectives. Il s'agit, en somme, du substrat matériel d'une société comprenant les phénomènes géographiques, les phénomènes démographiques, les ressources en ce compris les techniques qui agissent sur le milieu géographique et le transforment.47(*)

Explicitant cette définition, Sylvain Shomba Kinyamba indique que la morphologie sociale se réfère aux parties palpables, visibles, matérielles de la vie de toute collectivité humaine. Il s'agit en clair, conclue-t-il, de l'extériorisation matérielle de la réalité sociale. Au titre d'éléments constitutifs de la morphologie sociale, S. Shomba cite les données démographiques et géographiques, notamment la densité de la population, la distribution de celle-ci sur le sol, les voies de communication ainsi que les bâtiments et tous les objets de l'industrie humaine. Elle offre l'image globale de la vie d'une société (...) ou un tableau de fond duquel se détachent à la fois les caractéristiques des objets et les pratiques susceptibles de permettre la description approximative de la vie sociétale. Ce tableau rassemble donc les données physiques (géographies, architecture,...) ; économiques (production, distribution et consommation) et humaines (comportements et pratiques diverses). Elle varie selon la complexité ou la configuration de chaque milieu humain 48(*)

Ce substrat matériel n'est en fait que la projection sur le sol des relations sociales dominantes dans une société. Sa lecture permet d'accéder à la connaissance des modes d'agencements des groupes sociaux, de leurs rapports ainsi que des idéologies qui les structurent.

Raison pour laquelle, notre effort dans ce chapitre consiste à offrir la physionomie de la ville de Kinshasa à travers laquelle s'expriment les hiérarchies sociales. Ce qui permet de comprendre les pratiquent discriminatoires qui prévalent dans cette Ville.

Section 1 : Quelques considérations géo-démographiques sur la ville de Kinshasa

2. 1. 1. Milieu physique49(*

La province urbaine de Kinshasa créée le 23 août 1881 par Henri Morton Stanley est située entre 4° et 5° de latitude sud et entre 15° et 16° de longitude est. Elle a comme limites géographiques : la province de Bandundu au nord et à l'est ; la province du Bas-Congo au sud ; la République du Congo à l'ouest.

Son relief est marqué par le plateau de Kwango qui débouche sur le pool malebo ; la plaine de Kinshasa (subdivisée en deux entités et séparées par la rivière Ndjili : plaine de Lemba et celle de Ndjili) et la ceinture collinaire qui proviendrait du démantèlement du plateau de Kwango.

La province urbaine de Kinshasa est traversée par un climat tropical humide à deux saisons : la saison pluvieuse (7 mois) et la saison sèche (3 mois) avec une forte pluviosité aux mois de décembre et d'avril.

Cette province urbaine est baignée par le fleuve Congo et son territoire est sillonné par plusieurs rivières et ruisseaux, notamment la rivière N'djili, Nsele, Makelele, etc.

Il sied d'indiquer que ces éléments du relief ont déterminé l'occupation de l'espace Kinois entre les différentes couches de la société ainsi que nous le verrons dans les points suivants. On voit par exemple que les points les plus de la ville et les bords du fleuves sont occupés par les couches les plus nanties qui convoitent l'air frais qui arrose ces collines (Binza, Righini, Salongo) alors que les basses altitudes où règne la chaleur sont habitée par les populations les moins nanties.

2.1.2. Données démographiques

Selon les prévisions de SNSA, la population résidante de la ville de Kinshasa se chiffrerait en 2000 à 5.284.589 habitants. L'INS répartit cette population en 50,5% d'hommes et 49,5% de femmes avec un taux de masculinité de 102 hommes pour 100 femmes. La population est relativement jeune (50% ont au moins 15 ans). La densité moyenne est de 441 habitants au Km2. La plus grande concentration de la population se trouve dans la Commune de Kinshasa dont la densité est de 25.761 habitants au Km2. La concentration la plus faible s'observe par contre dans la Commune de Maluku qui ne compte que 7 habitants au Km250(*).

Sa structure par âge et par sexe se présenterait en 2000 de la manière suivante.

Tableau n° 1 : Structure par âge et par sexe masculin (en milliers

d'habitants).

Année

Tranche d'âge

1995

1996

1997

1998

1999

2000

0-19

1406

1485

1564

1646

1733

1823

20-54

1012

948

987

1027

1065

1103

55 et plus

100

104

109

114

120

126

Total

2518

2537

2660

2787

2918

3052

Source : INS, Projections démographiques, Zaïre et Régions, 1984-2000, p.18, cité par Inswan Bidum, Promotion socio-économique de l'épouse et tensions sociales à Kinshasa, Mémoire de D.E.S. en Sociologie, Unikin, Kinshasa, 2002.

Tableau n° 2 : Structure par âge et par sexe féminin (en milliers

d'habitants).

Année

Tranche d'âge

1995

1996

1997

1998

1999

2000

0-19

1399

1477

1556

1637

1724

1814

20-54

895

935

976

1019

1060

1100

55 et plus

75

79

81

85

91

96

Total

2369

4860

2613

2741

2875

3010

Source : INS, Projections démographiques, Zaïre et Régions, 1984-2000, p.18, cité par Inswan Bidum, Promotion socio-économique de l'épouse et tensions sociales à Kinshasa, Mémoire de D.E.S. en Sociologie, Unikin, Kinshasa, 2002.

Les données reprises dans ces 2 tableaux appellent les commentaires ci-après :

1. la structure par groupes d'âges renseigne que la population de Kinshasa est en majorité constituée des jeunes. La part de la population active est inférieure à celle dépendante (enfants et vieillards. L'importance de ces derniers dans l'ensemble de la population est moindre, car ne représentants que 4,1%.

2. l'afflux considérable des immigrants venant d'autres provinces semble également avoir un impact sur le volume de population juvénile. Cette situation serait actuellement largement renforcée par les migrations provoquées par l'état de belligérance qui a prévalu au pays depuis l'année 1996.

La population de Kinshasa croît à un rythme d'environ 4,7% par an. Cette croissance comprend l'accroissement naturel estimé à 3,9 et un pourcentage correspondant à l'immigration en provenance de l'arrière pays. Les taux de natalité et de mortalité y sont respectivement de 51,5 % et 12,6%. L'espérance moyenne de vie est de 53 ans. Elle est de 55 ans pour les femmes et 51 ans pour les hommes.

Section 2 : Architecture de la ville de Kinshasa

Contrairement à l'image répandue dans la presse d'une ville mal structurée avec d'immenses quartiers sans fin, Kinshasa, dans son architecture, obéit aux principes discriminatoires induits par l'idéologie coloniale. La ségrégation spatiale des quartiers reflète globalement les clivages sociaux. Les cadres de vie quotidienne que définissent les différents quartiers de la ville expriment les disparités sociales dans une ville où la pauvreté s'exacerbe sans cesse.

Marc Pain note que les critères socio-économiques sont déterminants dans la répartition de la population à Kinshasa. La physionomie des quartiers est le reflet direct de la stratification sociale de la capitale. Ce qui ne veut pas dire que la distribution des quartiers dans l'espace se traduise par une courbe socio-économique descendante de telle sorte que, lorsqu'on quitte les quartiers anciens et qu'on se dirige vers la périphérie, on passe forcément de quartiers d'un bon niveau à des quartiers où la pauvreté constitue le critère fondamental. Un tel schéma resterait trop simpliste tant il est vrai que les contrastes violents entre quartiers juxtaposés ou très rapprochés existent dans toute la ville, aussi bien à la périphérie que dans les parties centrales51(*).

Un regard, même rapide, permet de découvrir quatre villes sur l'espace urbain de Kinshasa52(*).

2.2.1. La ville et les quartiers résidentiels.

Il y a d'abord ce que tout le monde a convenu d'appeler « la ville », anciennement habitée par les colons belges. Occupant la partie septentrionale de la capitale et les bords du fleuve, la ville, qui s'étend de la Commune de la Gombe à celle de Ngaliema, héberge les affaires (commerces, services et institutions politiques) et abrite les quartiers résidentiels. Elle est talonnée par la zone industrielle qui débouche sur le quartier Kingabwa et la Commune de Limete et est traversée par le Boulevard du 30 juin. Elle marque ses limites avec la « cité » par le terrain de golf côtoyant le cimetière de la Gombe, les jardins Zoologique et botanique et le Camp militaire Kokolo,

Le choix de ce site par le colon, estime M. Pain, semble être dicté un climat frais qu'offre son relief. La pointe de la Gombe, les sommets plats ou arrondis des collines, les versants adoucis de Joli-parc, Binza, Mont amba, Mont Ngafula portent, sur un espace encore boisé, un habitat résidentiel de type européen, peu dense et de qualité.

Ces quartiers résidentiels isolés à l'origine, sont peu à peu cernés par un habitat spontané au fur et à mesure que se développe la couronne périphérique. L'avancée urbaine dans un site précaire et dégradé dès qu'on gagne les pentes, affirme les contrastes sociaux par la juxtaposition des quartiers résidentiels luxueux, implantés sur les hauteurs de la ville, et de quartiers d'auto-constuction particulièrement pauvres.

2.2.2. Les premières cités noires.

Celles-ci comprennent ce que Marc Pain appelle « les anciennes et les nouvelles citées » dont la vocation première était d'accueillir la main d'oeuvre de l'administration et des entreprises coloniales. Kitambo, Kinshasa, Lingwala et Barumbu forment les anciennes citées alors que Kasa-vubu, Ngiri-Ngiri et Kalamu constituent les nouvelles. Il y a lieu de mentionner que ces cités concentrent une forte densité de la population de la ville de Kinshasa53(*). Du fait de leur ancienneté, elles ont une infrastructure qui impressionne par sa décrépitude.

En effet, les principales artères les reliant aux autres communes portent une vielle asphalte, le réseau routier interne est en état de dégradation très avancé. La Commune de Ngiri-Ngiri, par exemple, est à ce jour inaccessible par véhicule.

La saturation des équipements existants cause dommages aux cadres de vie par la multiplication anarchique des bâtiments.

Il s'y constate une surpopulation. Chaque parcelle réunit plus de 3 ménages, bien souvent 4. La surface des parcelles est bâtie aux ¾. Certains d'entre elles sont totalement occupées par la construction que seuls séparent d'étroits passages. On y trouve un pourcentage très élevé des locataires logeant généralement dans des appartements cloisonnés en petites pièces. En moyenne, chaque parcelle compte 5 ménages. Ce qui porte à plus de vingt le nombre de personnes résidantes et entraîne une promiscuité indescriptible. Cette surpopulation dans ces cités entraîne la dégradation des infrastructures et de l'environnement : les canalisations mal entretenues et bouchées  l'entassement des immondices qui font de ces cités le bastion des moustiques et des autres parasites.

Outre le problème d'assainissement et de voirie qui se pose dans ces cités, elles se caractérisent par un habitat reflétant un passé colonial récent construit avec des briques adobe dont les murs et les toitures accusent une vétusté que ponctuent les fentes et les trous béants. La fourniture d'eau et d'électricité y est plus ou moins régulière.

Les Communes de Lingwala, Barumbu et Kinshasa se distinguent comme siège des activités commerciales et l'artisanat. C'est dans ces cités que l'on rencontre les équipements collectifs tels les stades (Reine Astride, Tata Raphaël et de Martyrs, le vélodrome de Kitambo), le grand marché, les hôpitaux, les écoles, les cathédrales, etc.

2.2.3. Les cités planifiées.

A coté des premières cités, on trouve des cités planifiées répondant aux normes urbanistiques. Il s'agit des cités de Lemba, Bandalungwa, Matete et N'djili. On y associe également des quartiers comme camp Livulu, la cité Maman Mobutu, Salongo Léopard, Yolo, etc.

La spécificité des cités planifiées réside dans l'uniformité de leur habitat. Construites en matériaux durables, ces maisons à étage unique sont compartimentées en pièces trop étroites. Au rez-de-chaussée il y a un salon au fond duquel se trouve la cuisine que prolongent les installations hygiéniques. L'étage comporte deux chambres à coucher.

Aujourd'hui, il s'érige dans ces cités planifiées les maisons d'autoconstruction tantôt de bonne qualité tantôt précaires.

Elles sont habitées par une couche de population d'un niveau socio-économique relativement bon. Mais il s'y développe les petits métiers et le petit commerce, expression d'une crise socio-économique qui frappe indistinctement toutes les couches sociales.

Le logement locatif y est coûteux comparativement au revenu de la majorité de la population de Kinshasa. Il varie entre 30 et 200 dollars américains.

2.2.4. Les cités d'autoconstruction.

Enfin, une couronne périphérique d'auto-construction qui cerne les trois premières villes. Elle s'étale sur une large étendue couvrant les Communes de Ngaba, Makala, Kinsenso, Kimbaseke, Maluku, Nsele, Bumbu, Selembao et Mont Ngafula. Comptent également parmi ces zones d'auto-construction, les quartiers tels Mombele et Kingabwa dans la Commune de Limete, Kimbangu dans la Commune de Kalamu, etc.

Ces zones d'autoconstruction accueillent les exclus des trois premières cités et les transfuges des provinces frontalières de la ville de Kinshasa, à savoir le Bandundu, le Bas-Congo et l'Equateur. C'est dans ces zones que vivent les larges couches sociales les plus démunies dont les conditions de vie frisent l'indulgence.

Hormis quelques maisons de bonne qualité qu'on peut y trouver, ces quartiers se démarquent par leur construction assez précaire, notamment des maisons bâties avec du matériau de récupération. L'infrastructure urbaine et l'équipement collectif y font cruellement défaut. Les routes non asphaltées, sont généralement inaccessibles par véhicule. Certains quartiers de cette périphérie comme Ngaba, Mombele, Masina, etc. sont alimentés en eau et électricité dont la fourniture n'est pas toujours régulière. D'autres quartiers, surtout les plus éloignés des cités équipées, comme Mokali à Kimbaseke, Kinseso, la périphérie de Kindele, etc. ne sont reliés ni au réseau électrique de la SNEL ni au réseau de distribution d'eau de la Regideso. Ici on s'éclaire à la lampe à pétrole, on fait la cuisine à l'aide de bois ou de la braise, on va chercher de l'eau au puits ou à la rivière. La population y mène une vie quasi- rurale.

Avec l'intensification de la crise socio-économique, du coût de plus en plus élevé du loyer locatif dans les trois premières cités et des prix exorbitants des parcelles, on trouve dans ces quartiers toutes les catégories socio-professionnelles, principalement celles relevant du secteur public : enseignants, professeurs d'université, agents et cadres des entreprises publiques, ouvriers, sans emploi, etc.

La population active travaille généralement en dehors de son lieu de résidence : la Gombe, et à Limete, au grand marché de Kinshasa ou dans sa périphérie. Les petits métiers s'y développent de plus en plus. Le petit commerce s'y porte bien à telle enseigne qu'on à l'impression que tout le vend à tout le monde. Les quartiers de plus faible niveau socio-économique sont ici et dans certains cas, on approche de l'extrême pauvreté.

On peut retenir, à la suite de cette architecture de la ville de Kinshasa, que « la croissance spatiale s'accompagne d'une évolution significative de l'occupation du sol. Les surfaces occupées par la ville (habitat) augmentent considérablement alors que celles qui sont dévolues aux industries et aux équipements ne suivent pas, loin s'en faut, le même rythme de progression. L'évolution de ces 20 dernières années montre qu'équipement et industries occupent en valeur relative une place de plus en plus restreinte par rapport à celle de l'habitat. »54(*)  Par ailleurs, les espaces verts en voie de disparition sont occupés soit par les stations de vente de carburant, les boutiques et ateliers et le logement.

Section 3. Quelques problèmes de la ville de Kinshasa.

Quand on parle de problème de ville, il s'agit à l'heure actuelle de tous ces problèmes relatifs à la qualité de la vie de la majorité de la population urbaine. Cette question est absolument centrale dans les sociétés contemporaines55(*).

A Kinshasa, la question urbaine se résume en un ensemble de problèmes fort caractéristiques, à savoir : le chômage, le logement précaire, l'insécurité alimentaire, le transport pénible, l'accès difficile à l'école et aux soins de santé, etc. Ces difficultés de la vie urbaine engendrent des pratiques de survie diverses et la déviance.

2.3.1. Emploi et chômage dans la ville de Kinshasa

La structure d'emploi en 1975 se présentait comme suit, à la suite des études de Beau56(*).

Tableau n° 3. Structure de l'emploi à Kinshasa en 1975.

Secteur d'emploi

Nombre d'emploi

%

Primaire

5.000

1,5

Secondaire

95.000

27,5

Tertiaire

170.000

49,3

Informel

75.000

21,7

Total

345.000

100

Source : Schéma directeur d'Aménagement et d'Urbanisation, Décembre 1976 BEAU

Le rapport du volume d'emploi sur la population kinoise de la même période (1.679.091 habitants) dégageait un taux d'activité de plus ou moins 20%.

Dans l'emploi permanent du secteur primaire, les maraîchers étaient de l'ordre de 3500 personnes, soit 70% du secteur.

Les secteurs secondaires et tertiaires qui comportaient les entreprises industrielles et commerciales représentaient, l'administration et l'armée incluses, les 77% du total des emplois. Dans ce secteur, les transports venaient en première place, Kinshasa étant un point de rupture de charge. Les industries de transformation des produits agricoles occupaient la deuxième place suivie des industries de production de biens de consommation pour la ville et le marché national. Les emplois administratifs de Kinshasa étaient estimés à quelques 50.000, soit 23% du total des emplois.

Dans le secteur informel reprises les petites et moyennes activités socio-économiques ainsi que les vendeurs des marchés.

En maintenant ce taux d'activité de 20%, l'on serait passé en 1996 de 345.000 à 879.538 emplois. Ils seraient répartis dans l'hypothèse du maintien des mêmes proportions intersectorielles comme suit :

Tableau n°4 : Nombre d'emplois dans les différents secteurs

Secteur d'emploi

Nombre d'emploi en 1975

Nombre d'emploi en 1996

%

Accroissement

Primaire

5.000

 

1,5

8.193

Secondaire

95.000

 

27,5

146.873

Tertiaire

170.000

 

49,3

263.612

Informel

75.000

 

21,7

113.860

Total

345.000

 

100

 

Cette configuration supposait un effort de la part du pouvoir public de créer ou favoriser la création annuelle de l'emploi au rythme de :390 pour le secteur primaire

· 6.994 pour le secondaire

· 12.553 pour le tertiaire

· 5.517 dans l'informel

Malheureusement, la situation actuelle est loin de refléter cette hypothèse en raison surtout de l'effondrement économique que le pays connaît depuis 1991. Le volume de l'emploi privé a significativement régressé avec les pillages et l'instabilité politique.

L'administration publique comme emploi rémunérateur est quasi inexistant. La quasi-totalité de l'activité économique de la ville s'est dépotée dans le secteur informel, modifiant profondément les rapports intersectoriels d'emploi de 1975. Selon l'INSS, le nombre de travailleurs Kinois affiliés à cet institut est passé de 700.000 travailleurs en 1991 à 113.000 en 1994, soit une chute de plus de 80%.

Au cours de cette année 1994 la population Kinoise en âge de travailler (au dessus de 14 ans) était estimée à 2.315.000 habitants. Le taux d'emploi était donc à cette période seulement de 4,8%, niveau qui est loin inférieur à 20% de 1975. Et depuis, la situation s'est davantage dégradée.

Ainsi donc, la population kinoise est confrontée à la fois aux problèmes de salaires et de chômage. A ce propos, R.M. Mbaya et F. Streiffler écrivent que la dégradation des conditions de vie des salariés congolais se développe au fil de temps. La faiblesse des revenus salariaux et l'insuffisance des emplois salariés dans le secteur formel trouvent l'issue dans les activités informelles57(*). Les écrits de Marc Pain à ce sujet restent d'actualité : « l'évolution respective de la population active et de l'emploi pose dans toute son acuité le problème de la crise urbaine. La montée des jeunes générations vers l'âge adulte, le poids des effectifs à l'heure actuelle scolarisés et bientôt présents sur le marché du travail ne peuvent que laisser prévoir, dans les conditions actuelles, une accentuation des déséquilibre entre les chiffres de la population en âge de travailler et le nombre d'emplois offerts. Le coût social des jeunes scolarisés et de sans emplois, le déséquilibre entre la masse des inactifs et les perspectives de travail qu'offre la ville vont en s'accroissant 58(*)».

Les déséquilibres entre l'emploi offert par le secteur productif et la quantité du travail offerte par la population en âge de travailler ont été renforcés par les pillages de 1991 et de 1993 qui ont détruit la plupart d'unités de production et renvoyer ainsi une bonne partie de la main-d'oeuvre au chômage. A ces pillages, il convient d'ajouter les effets des guerres de 1996 et 1998 qui ont contraint beaucoup de personnes à venir s'installer à Kinshasa accroissant de ce fait l'offre du travail sur un marché quasi inexistant.

2.3.2. Problèmes d'équipement sanitaire.

La ville de Kinshasa souffre d'une insuffisance notoire en matière d'équipement sanitaire au regard du volume et des besoins de la population. Cette insuffisance se manifeste par un nombre trop réduit des hôpitaux, de leur faible capacité d'accueil, de leur manque de matériels médicaux et de produits pharmaceutiques.

Pour une population estimée à plus ou moins 6 000.000 d'habitants, la ville de Kinshasa compte quelques hôpitaux, essentiellement concentrés dans le centre ville. Les plus importants sont : l'hôpital général de Kinshasa (1.793 lits), l'hôpital de Ngaliema (189 lits), la clinique Kinoise (254 lits), l'hôpital de Kintambo (600 lits), hôpital de camp militaire Kokolo, Pédiatrie de Kalembe-lembe (120 lits), hôpital ONATRA de Kalamu (61 lits), hôpital ONATRA de Barumbu (161 lits), hôpital de Makala (ex sanatorium, 400 lits), les cliniques Universitaires (600 lits ) et CNPP (986 lits)de Mont Amba, Hôpital de référence de N'djili( 145 lits) et l'Hôpital Roi Baudoin de Masina (150 lits), CNPP Kinkole (550 lits)59(*).

Ces hôpitaux officiels sont complétés par quelques centres les centres hospitaliers des entreprises privées ou publiques, les centres sanitaires privés et des confessions religieuses, les dispensaires privés disséminés dans la périphérie de la ville où vivent les populations les plus démunies.

Ces hôpitaux, de manière générale, ne disposent pas d'équipements modernes. Dans certains d'entr'eux, les malades passent la nuit à même le sol. Le manque des médicaments est caractéristique. Le malade s'en procure lui-même dans des conditions qui ne garantissent pas l'efficacité. Comme le constatent Mbaya Mudimba et F. Streiffler « souvent importés, les médicaments synthétiques de la médicine occidentale sont non seulement coûteux, et de ce fait inaccessibles à bon nombre de congolais, mais aussi de fois périmés. Les prix incontrôlés, et souvent abusifs de ces médicaments et/ou ordonnances livrés aux malades par les médecins dépassent en général les revenus de ces derniers60(*).

Ainsi, il est fréquent de constater que dans les grandes formations médicales de la place, les malades et les femmes y sont retenus pendant plusieurs jours voire plusieurs mois après leurs traitements ou accouchement de suite de leur insolvabilité. Ils quittent l'hôpital que par fugue ou grâce à l'intervention des personnes généreuses ou des organismes philanthropiques.

C'est ainsi que la plupart des démunis, pour leurs soins, se confient aux centres privés de la cité. Là, le manque de manque de qualification du personnel, l'absence de surveillance médicale autorisée conduisent à des fréquents désastres.

Le manque de politique nationale cohérente en matière de santé, la dégradation du système de prophylaxie hérité de la colonisation, la détérioration de l'environnement sont à l'origine de l'émergence et de la réapparition de certaines maladies, notamment la tuberculose, la lèpre, la rougeole, la variole, la poliomyélite, la trypanosomiase, etc.

Face à la décrépitude des structures sanitaires et étant données les difficultés d'accès aux soins médicaux, les couches sociales démunies ont trouvé d'autres voies de salut. Elles recourent aux églises, aux exorciseurs et à la phytothérapie traditionnelle. D'autre part, ils s'arrangent avec les médecins pour se faire soigner dans leurs hôpitaux privés.

Dans un tel environnement, se soigner ou accoucher dans un grand centre hospitalier (comme l'Hôpital de Ngaliema où l'hospitalisation ou la maternité coûtent plus ou moins 200 $ us) devient un luxe et un indice de distinction sociale.

2.3.3. Problèmes d'accès à l'éducation

Jusqu'en 1973, le Congo avait maintenu et même amélioré le système éducatif hérité de la colonisation. Depuis lors, ce système s'est dégradé au point que l'école évoque dans l'imaginaire collectif la misère de l'enseignant, le délabrement des infrastructures, le manque des matériels didactiques et un enseignement de complaisance. La déliquescence du système éducatif se traduit par le niveau douteux des produits qui en sortent.

D'abord, il faut indiquer qu'à Kinshasa, comme dans d'autres villes du pays, l'incapacité des écoles officielles et confessionnelles d'absorber toute la population scolarisable a entraîné à tous les niveaux (primaire, secondaire et universitaire) la prolifération des écoles privées, souvent moins viables, dont les motivations sont essentiellement lucratives.

Puisque ce sont les élèves et étudiants qui font vivre enseignants, promoteurs et l'école elle-même, il va sans dire que l'enseignement et les épreuves se font dans une largesse consacrant le principe de l'année passe tout le monde passe. Toutefois, il sied de mentionner qu'il existe encore quelques écoles, notamment dans le réseau d'enseignement catholique qui assurent une bonne formation. Mais elles sont moins nombreuses et inaccessibles à la majorité des postulants à cause principalement de la hauteur trop élevée des frais de scolarité (ils varient dans ce réseau entre 50 et 150 $ us)

Du fait de cette cherté, certaines familles ont adopté des stratégies. Soit on fait étudier d'abord les enfants âgés avec espoir qu'à la fin de leurs études ils pourront s'occuper de leurs jeunes frères. Soit on retire la fille au profit du garçon. Cette stratégie débouche sur l'accroissement du taux de déperdition scolaire et l'élargissement du nombre des analphabètes. Selon les estimations de l'UNICEF, la déperdition scolaire à Kinshasa dans certaines écoles ces sept dernières années se situerait entre 60 et 80 % et que sur 12 millions d'enfants en âge de scolarité en 1996, seule la moitié, soit 6 millions avaient effectivement étudié. Quant à la déperdition scolaire, elle concernait les ¾ de ces 6 millions, soit une moyenne nationale de 75 %61(*).

D'autres part, parce que l'école ne garantit plus les possibilités d'une ascension sociale, la plupart d'enfants surtout dans la périphérie de la ville la désertent et se ruent vers les activités de survie.

R. Mbaya Mudimba et F. Streiffler en dressent un bilan sombre en ces termes : « la destruction du système éducatif se traduit par le non paiement et/ou l'insuffisance des salaires du personnel enseignant à tous les niveaux de ce système éducatif : primaire secondaire, supérieur et universitaire. D'où, la démotivation de ce personnel, des écoliers, des élèves et des étudiants effectifs ou potentiels et la déconsidération du système éducatif par une partie de ces derniers et par leurs parents dont les liens avec le système éducatif passent essentiellement par diverses pratiques informelles de corruption. Le développement du clientélisme, du népotisme, du tribalisme et tant d'autres anti-valeurs a détruit la société congolaise en partant de la destruction d'un de ses fondements que constitue le système éducatif. Il relève de l'informalité.

Que des problèmes dans le système éducatif congolais : destruction et pillage des infrastructures scolaires, délabrement du matériel pédagogiques, inadaptation des programmes d'enseignement aux besoins et aux réalités du pays, incompétence et irresponsabilité des gestionnaires des établissements d'enseignement souvent nommés au mépris des critères de performance et moralité.»62(*)

2.3.4. Problèmes de transport.

Le problème de transport est parmi les complexes que l'on rencontre dans la ville de Kinshasa. En effet, l'immensité de la ville, le volume de la population, la structure et l'état de la voirie, la concentration dans un seul pôle de la quasi-totalité des services, la faiblesse et la vétusté du charroi automobile, etc., font du transport un calvaire pour la population de Kinshasa.

Le domaine de transport urbain à Kinshasa est organisé en deux réseaux : ferroviaire et routier.

1. Le réseau ferroviaire.

Le réseau ferroviaire est le monopole de l'Office National des Transports (ONATRA) et relie la partie est (N'djili, Kingasani et Masina, Lemba et Matete) à la partie ouest de la ville (Kitambo et Ngaliema), en passant par Gombe.

Le transport ferroviaire est limité et marginal, il assure à peine 1% du trafic. Dix services de trains, c'est-à-dire 5 aller et retour sont organisés par jour dont six sur le tronçon Kin-est/Kin-aéroport, deux sur la ligne Lemba/Kin-est et deux autres entre Bokassa et Matete.63(*)

Le déplacement par ce réseau est trop pénible. Tous les passagers restent debout tout au long du parcours après avoir attendu à la gare pendant au moins 45 minutes. L'état de rails, de trains et l'irrégularité des rotations ne rassurant personne, la plupart des habitants des Communes que dessert ce réseau préfèrent emprunter le réseau routier.

2. Le réseau routier.

Le transport sur ce réseau est conditionné par la structure et l'état de la voirie. En effet, « les mouvements de la population inter-quartiers affectent l'ensemble de l'agglomération. La configuration de la ville et l'emplacement des pôles d'activités situées au nord et au centre-est, font que certaines zones soient très appelantes et réceptrices. La zone de la Gombe, qui rassemble le port et des industries importantes, le centre des affaires et le centre administratif, reçoit chaque jour plusieurs dizaines de milliers de personnes, mais n'en envoie que très peu d'ailleurs. D'autres au contraire, soit par leur position à proximité d'une zone industrielle (kitambo), soit par leur situation périphérique (Bumbu, Makala, Kisenso, Kimbaseke), sont surtout émettrice. »64(*)

L'essentiel des mouvements de la population de Kinshasa s'effectue à travers 4 principaux axes reliant les cités au centre Ville que sont : le boulevard Lumumba, avenue de l'Université, avenue Kasa-vubu, avenue Pierre Mulele.

C'est dans ce domaine de transport routier que s'atteste la démission des pouvoirs publics. Il n'existe pratiquement plus d'entreprise publique de transport en commun. Les anciennes entreprises telles que Otcz, Sotraz, Tranzam, Citaz, ont disparu les unes après les autres sans donner satisfaction à la population kinoise. A ce jour, l'entreprise publique City train, avec un charroi automobile moins important (plus ou moins 6 bus en panne constamment), n'arrive pas à répondre à la demande de la population de Kinshasa en matière de transport.

C'est ainsi que s'est développé un service de transport en commun tenu par les particuliers. L'essentiel de ce service est assuré par un charroi automobile constitué de fula-fula, de bus, de taxi-bus et de taxis. Il constitue une source de revenus la plus sûre pour les propriétaires et s'intègre le plus souvent aux activités du secteur informel. « Cela va du particulier, propriétaire de un ou deux taxis, à l'homme d'affaires qui entretient plusieurs camionnettes, mini-cars ou taxi-bus, à l'entrepreneur ou à la société qui gère un parc de camions »65(*).

Il importe d'indiquer ici que dans la majorité de cas ce charroi accuse une vétusté impressionnante. Ce sont des vieux véhicules remis en marche ou les occasions importées de l'Occident. C'est dans ce domaine qu'il convient de constater le génie du Kinois qui réussit à faire fonctionner un véhicule par l'assemblage des pièces de véhicules différents. Un véhicule de marque Mazda peut fonctionner avec des pièces de Peugeot, de Toyota, de Land-Rover, etc. Les occasions d'Europe sont les résultats des transferts que font les immigrés congolais en faveur des leurs familles restées aux pays pour leur permettre de survivre.

Avec l'orientation unidirectionnelle de la structure et de la voirie urbaines (toutes les routes convergent vers le centre ville, lieu des affaires, de travail, des institutions de la République), on assiste à des scenarii rocambolesques à des heures de pointe : le matin lorsque les populations de la périphérie se dirigent vers le centre ville et le soir lorsqu'elles quittent le centre ville pour regagner leurs résidences.

L'affluence aux arrêts de bus est telle que l'arrivée d'un véhicule provoque une bousculade qui se solde de fois par des blessures, le déchirement des habits, des bagarres, des échanges des propos désobligeants, etc. Les passagers en partance n'attendent pas que le bus s'arrête pour qu'il soit évacué. Les uns accourent et s'entassent à la portière empêchant même à ceux qui arrivent de descendre, tandis que d'autres se glissent par les issues de secours ou passent par le coffre du véhicule pour trouver une place assise à bord du bus. Ce dans ce cafouillage que les chegues, ces enfants de rue, et autres malfrats opèrent en toute quiétude pour subtiliser aux passagers en lisse pour une place à bord du véhicule, un téléphone, de l'argent , le bijou ou tout autre colis précieux.

Les passagers qui prennent place à bord du bus ou taxis dépassent toujours sa capacité d'accueil. Le taxis prend à son bord 6 personnes dont 4 sur le siège de derrière et 2 sur le siège de devant au côté du chauffeur. Le taxi-bus quant à lui prend 20 personnes au lieu de 8 prévues par le constructeur. Les uns y trouvent une place assise alors que d'autres restent debout jusqu'au terminus. Les bus et les fula-fula prennent jusqu'à 80 personnes que l'on resserre au point de manquer un petit espace de mouvement de corps. Ils se confinent au point que le taxi devient simplement un étouffoir.

Ces difficultés de transport ont fini par créer un métier, celui des « chargeurs ». Il s'agit des enfants et adultes qui flânent autour des arrêts des bus. Au départ leur tâche consistait à aider le passager à faire descendre ou monter un bagage pesant à bord d'un taxi ou bus. D'où le nom de chargeur. Avec les difficultés des transports ils interviennent pour aider les chauffeurs à avoir la clientèle et aux passagers de trouver une place à bord du taxi ou bus. A des heures creuses, c'est-à-dire quand il n'y a pas une forte affluence des passagers, les chargeurs criaillent pour faire venir les passagers en indiquant la ligne empruntée par le taxi ou le bus. Aux heures de pointe, ils font réservation des places en faveur des personnes incapables ou qui répugnent de se bousculer pour trouver une place à bord de bus. En contre partie, ils reçoivent du chauffeur et du « passager-client » une somme d'argent selon la convenance de dernier. Généralement ils bénéficient de 50 FC.

Le coût de transport relativement moins coûteux (60 FC ou 0.20 $us) n'est pas à la portée de toutes les bourses. Ainsi, les militaires, les policiers, les fonctionnaires de l'administration publiques, les enseignants des écoles publiques, etc. grâce à leurs cartes de service qui servent de laisser-passer, bénéficient de la gratuité de transport en commun. Ils sont les moins aimés des chauffeurs et de leurs receveurs qui les appellent des « faux-têtes » (sic), c'est-à-dire des personnes qui ne payent pas.

Généralement, le transport se fait dans les conditions les moins sécurisantes. Les taxis-bus, bus et fula-fula roulent avec des portières ouvertes auxquelles s'agrippent les receveurs, les « faux-têtes », surtout les policiers et les militaires, et mêmes certains passagers qui n'ont pas trouvé de place assise dans le véhicule. C'est à l'approche d'un poste des policiers de roulage que le receveur ferme la portière qu'il ouvre aussitôt qu'il le dépasse.

Les carrefours et certains lieux de forte circulation sont placés sous la surveillance des agents de la police spéciale de roulage qui règlent la circulation. Ces agents harcèlent les chauffeurs en situation régulière et se font corrompre au grand jour par ceux qui sont irréguliers. En effet, tout chauffeur, quelle que soit sa situation administrative, est tenu de leur glisser sous la main une somme de 100 FC à chaque passage. Ils participent ainsi à rendre difficile le transport sur certaines lignes parce que les chauffeurs les redoutent et évitent de les emprunter sous peine de se faire dépouiller.

Le transport est aussi rendu difficile par l'état de routes dont le défoncement n'émeut aucune autorité publique. Il réduit le trafic sur certaines lignes parce que les chauffeurs les évitent, provoquent des accidents, créent des embouteillages à cause des pannes de véhicules qu'il entraîne. Par esprit mercantiliste, la plupart des chauffeurs pratiquent ce qu'on appelle à Kinshasa « demi-terrain ». Il s'agit pour eux, de sectionner en deux ou trois courses une ligne qui d'ordinaire ne fait l'objet que d'une seule course. Ce qui lui apporte une plus-value parce que les clients doivent payer trois fois pour une même ligne.

Toutes ces difficultés conduisent les agents des entreprises, les élèves, étudiants et leurs enseignants à arriver généralement avec un retard au service. Elles ont un impact sur la ponctualité, car à Kinshasa il est rare que l'on réponde au temps convenu à un rendez-vous. D'autre part, il importe de souligner que la part des piétons dans la ville de Kinshasa est considérable.

2.3.5. L'insécurité alimentaire.

L'alimentation est le domaine qui reflète le mieux la pauvreté d'une bonne partie de la population kinoise. Celle-ci vit dans une insécurité alimentaire quasi permanente. En effet, les enquêtes menées en 2001 par l'UNICEF montrent que 73,2% de la population de Kinshasa ne disposent pas de réserve alimentaire66(*). De manière explicite, cette situation montre qu'à Kinshasa, la majorité de la population vit au jour le jour. L'insécurité alimentaire se traduit également par le nombre de repas qu'une famille peut s'offrir par jour. Les mêmes enquêtes de l'UNICEF sont révélatrices à ce propos : 62,3% se procurent 2 repas par jour, 23,3% en prennent 1, 12,6% seulement ont la possibilité de s'offrir 3 repas et, ce qui est dramatique, 1,8% est incapable d'avoir régulièrement un repas par jour et donc ne mange pas tous les jours67(*).

Il se dégage de ces données fournies par les enquêtes de l'UNICEF qu'elles sont peu nombreuses les familles qui s'offrent plus deux repas consistants par jour. De manière générale, outre le « déjeuner » que l'on peut s'offrir le matin selon la providence, nombreux sont ceux qui préfèrent manger le soir ou la nuit pour dormir rassasier et espérer se réveiller le lendemain matin avec un peu de vigueur et de l'énergie dans les jambes.

Compte tenu des difficultés que rencontrent les parents pour procurer une ration alimentaire à tous leurs enfants, ceux-ci sont soumis à des coupes drastiques. Tantôt, les parents garantissent l'unique repas de la journée à tous les enfants en réservant le déjeuner aux seuls cadets de la famille. Tantôt, il n'y a que les plus jeunes qui ont un repas réguliers alors que les adultes sont invités à se débrouiller pour s'en procurer. Tantôt encore les adultes doivent chercher les condiments pour accompagner l'aliment de base que la maman a préparé. Il faut souligner ici que dans les familles les plus démunies ce sont les enfants qui font nourrir leurs familles grâces aux activités de survie qu'ils exercent.

C'est dire qu'à Kinshasa la plupart d'emplois sont mal rémunérés et ne tiennent pas compte du panier de la ménagère.

Suite à ces difficultés la plupart des parents offrent à leurs enfants une alimentation de faible qualité. Le repas est généralement partagé collectivement par les membres de la famille. Le menu est souvent constitué d'aliments traditionnels. Le fufu est mangé avec le chinchard que l'on a dénommé « le champion de toutes les catégories » parce que consommé dans toutes les couches de la population. Il est souvent accompagné des amarantes, des feuilles de manioc, de patates, de l'oseille, etc.

La faiblesse du pouvoir d'achat de la majorité de la population Kinoise que défie la flambée intempestive des prix des denrées alimentaires a fini par donner naissance à des diverses stratégies. Pour être accessibles à toutes les bourses, la plupart des produits alimentaires sont sectionnés et vendus en petits morceaux. D'autre part, les parties résiduelles des volailles et des bétails comblent le déficit en viande dans l'alimentation de la plupart des kinois. Figurent en bonne place les croupion, viscères et ailes de dindon, des poulets ; les sabots, tripes, queue, tête, langue, peau de boeuf, porc et chèvre tantôt importés tantôt obtenus localement.

Cette alimentation de mauvaise qualité est à l'origine de la sous-alimentation et de la malnutrition constatées chez les jeunes enfants et qui finissent de fois par les emporter.

Tous ces problèmes ci-haut décrits, principalement ceux relatifs à l'emploi et à la rémunération sont à l'origine du développement spectaculaire du secteur informel dans cette ville. Ce secteur est une réponse locale à l'incapacité de l'économie capitaliste de donner satisfaction aux préoccupations de la population.

Le secteur informel n'est pas, comme l'ont pensé certains, le sanctuaire de seuls démunis. Il attire toutes les couches sociales et couvre une infinité d'activités allant de l'agriculture au commerce en passant par la production et les services divers tels les ateliers, les garages, le change de la monnaie, etc.

Ce secteur est perçu comme voie de sortie du sous-développement dans la mesure où il est considéré comme stratégie endogène de développement. Mais, faisons aussi remarquer que la plupart des opérateurs de ce secteur sont animés par les motivations d'autosubsistance.

CHAPITRE III : DE L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE ET DE LA PRESENTAION DES RESULTATS.

Ce chapitre se propose de dresser, dans la première section, le portrait de notre champ d'investigation. Il décrit dans la deuxième section, le processus de l'enquête qui a permis de rassembler les données présentées à la troisième section.

Section 1 : Du cadre contextuel.

3.1.1. Quelques aspects géo-historiques.

Créée par l'arrêté ministériel n°68/026 du 30 septembre 1968, la Commune de Ngaba est limitée au nord par l'avenue Kikwit, au sud par l'avenue By-pass, à l'est par la rivière Kalamu et à l'ouest par l'avenue de l'Université. Elle est au sud de la ville de Kinshasa dans le District de Mont Amba et est quadrillée par les Communes de Limete au Nord, de Lemba à l'est et au sud et de Makala à l'ouest. Cette municipalité couvre une superficie de 4 Km2 et est découpée en six quartiers, à savoir : Baobab, Bulambemba, Luyi, Mateba, Mpila et Mukulwa. Elle compte 112 allées dont 104 rues et 8 avenues, 5982 parcelles et est habitée par 204.449 âmes dont 180 étrangers.

3.1.2. Quelques caractéristiques socio-économiques de la population de Ngaba.

Sur le plan socio-économique, Ngaba, comme les autres Communes populaires, est habitée par une population en majorité pauvre. Cette Commune abrite quelques cadres d'entreprises et médecins, des fonctionnaires de l'Etat, des opérateurs de la petite économie marchande, des enseignants, des sans emploi, etc. Comme nous pouvons nous l'apercevoir, il s'agit, pour l'essentiel, des catégories socio-professionnelles à faibles revenus qui vivent en deçà du seuil de la pauvreté.

Les enquêtes menées à ce propos établissent que la majorité des habitants de cette Commune (66,6%) vivent avec un revenu journalier de 0.26 $ us. Ce degré de dénuement a été qualifié d'hypopauvreté par Pascal Kapagama Ikando, parce qu'en deçà du seuil de pauvreté extrême fixé à 0.75$/personne par le PNUD. Cet auteur perçoit cette hypopauvreté à travers plusieurs indicateurs, notamment le type d'habitat, l'accès difficile à certains services sociaux (eau, électricité, soins de santé, éducation, transport, salubrité, etc.) et singulièrement dans la consommation alimentaire. A propos de ce dernier indicateur, l'auteur mentionne que la plupart des ménages enquêtés (86,6%) mangent en moyenne une ou deux repas par jour.

Commentant ces observations, il note que « ce chiffre n'est qu'un leurre. Car il est silencieux sur la consistance des repas en question. De nos données empiriques, il s'avère, en outre, que le premier repas pris souvent le matin n'est, en fait, composé, dans la plupart de cas, que des restes du repas unique et principal de la veille. Et encore, est-il que ce sont peut-être juste les enfants qui s'en contentent. Souvent, les adultes se sacrifient. Le menu est habituellement constitué, outre le fufu ou la chikwangue, des légumes, des poissons chinchard, de haricot ou pois. La viande et le poulet sont rarement consommés68(*), et de manière générale à l'occasion des festivités de fin de l'année.

Contre cette hypopauvreté, il s'est développé dans cette Commune les activités de survie, notamment la petite économie marchande. Ces activités comprennent la vente des denrées alimentaires, des petites boutiques, des petites officines pharmaceutiques, de la vente à la criée d'arachide, de l'eau en sachet, des articles divers comme la cigarette, les bonbons et biscuits, les oeufs bouillis, etc.

A côté de ce petit commerce, on trouve des petits métiers tels que le quado, les ateliers de couture, de menuiserie, les cireurs des chaussures, etc. Ces différentes activités économiques, traduisant la pauvreté d'une population en quête des moyens de survie, se développent le long des grandes artères, notamment l'avenue de l'Université et celle de Kianza et dans des petits marchés disséminés sur toute l'étendue de la municipalité. L'ampleur de ces activités laisse l'impression que toute personne cherche à vendre quelque chose pour se procurer un revenu pouvant satisfaire ses besoins primaires.

Cette pauvreté pressurant conduit la majorité des habitants à se tourner vers Dieu en vue de résoudre leurs problèmes existentiels. D'où, l'hyper religiosité observée dans cette Commune qui se manifeste par la prolifération des églises de réveil. Chaque avenue en compte au moins deux. D'autres personnes, par contre, s'organisent en mutuelles d'entraide, notamment les « likelemba », le « moziki » , d'autres encore s'organisent dans les mutuelles tribales et d'autres enfin se livrent à la déviance sociale( prostitution, criminalité, escroquerie,etc.).

3.1.3. Quelques aspects relatifs à l'habitat

Sur le plan urbanistique, Ngaba est une Commune d'auto-construction, où le lotissement et la construction ne répondent pas de manière rigoureuse aux normes urbanistiques. Il est à noter que Ngaba est construite sur un terrain fort marécageux où des eaux stagnantes favorisent la reproduction des moustiques à l'origine du paludisme, maladie endémique en RDC. Ce qui ne manque pas d'avoir des répercussions sur les conditions de vie des habitants. La plupart des parcelles ne sont pas clôturées, il s'y observe encore des maisons construites avec des matériaux de récupération. Dans une résidence d'une pièce, 7 à 8 personnes y habitent. D'où, la promiscuité qui expose les enfants comme les adultes à plusieurs maladies et à la déviance sociale. C'est au sud de la Commune, spécifiquement au quartier Bulambemba adossé à l'avenue By-pass, que se développe un habitat du type résidentiel.

Section 2. Organisation de la recherche

Cette section revêt une importance capitale. En effet, elle rend compte de notre cheminement dans la collecte des données qui ont servi à l'élaboration de ce travail. Il s'agit des modalités d'application des instruments mis en contribution lors de nos enquêtes. Ainsi, aborderons-nous les points relatifs à la population d'étude et à son échantillon, à l'élaboration du questionnaire et à son administration et, enfin, aux difficultés rencontrées.

3.2.1. Univers d'enquête et échantillon.

1. Univers d'enquête

En sciences, lorsqu'on parle d'univers d'enquête, il faut entendre par là un ensemble fini, délimité dans le temps et dans l'espace qui fait l'objet d'une étude. Pour les sciences sociales en général, et en sociologie en particulier, l'univers ou population d'enquête est un « ensemble humain dont on cherche à connaître les opinions, les besoins, etc. Elle est caractérisée, c'est-à-dire qu'elle a en commun des caractéristiques connues permettant l'identification psychosociale des individus de ce groupe. »69(*)

En rapport avec cette définition, notre univers d'enquête (population d'étude) se compose de 204.449 habitants de la Commune de Ngaba70(*). Cette population a été caractérisée sur base des variables ci-après : âge, sexe, niveau d'études, profession, revenu, confession religieuse, ancienneté dans la ville Kinshasa et ancienneté dans le quartier habité.

L'inexistence des statistiques se rapportant à chacune de ces variables et l'impossibilité matérielle de les constituer nous-même nous a conduit à ne pas en tenir compte dans la constitution de notre échantillon.

2. Constitution de l'échantillon

La saisie des modes de structuration des hiérarchies sociales à Ngaba requérait, pour être exhaustive, que nous passions en revue chacune des unités constitutives de notre univers d'enquête (204.449 habitants). Une telle entreprise s'est avérée irréalisable à la suite d'une double difficulté.

D'abord d'ordre temporel. Le temps nous imparti (douze mois) ne nous offrait pas la possibilité de sillonner systématiquement toutes les parcelles pour recueillir les informations auprès de chaque habitant de cette Commune. Ensuite, les maigres moyens financiers à notre disposition ne pouvaient procurer les outils matériels indispensables (questionnaire) pour mener une enquête d'une telle envergure.

Face à cette double difficulté, et considérant la possibilité statistique de décrire le tout par la partie, il s'est imposé à nous la technique de sondage consistant à observer une partie de la population pour tirer des conclusions extrapolables à celle-ci en relevant les limites de nos généralisations, au regard de la taille réduite de notre échantillon. S'agissant de cette technique (sondage), « tous les efforts gravitent autour de l'échantillon. Ce concept évoque une portion de la population totale qui sera réellement enquêtée et qui permettra par extension, de dégager les caractéristiques de l'ensemble de la population. L'apport de cette technique dans les enquêtes des sciences sociales ne se discute plus. Grâce à elle, on s'autorise de mener par exemple, une investigation fiable sur l'ensemble de la population à la fois. »71(*)

Cette technique ayant été adoptée, une autre difficulté s'est dressée à nous quant à savoir quelle partie décrire pour espérer élucider le tout et comment s'y prendre. En termes voisins, qui interroger et selon quel procédé faut-il le sélectionner dans la multitude pour échapper à l'arbitraire ?

Considérant que la problématique de la perception et de l'évaluation sociales ainsi que les discriminations qui en résultent côtoient au quotidien tout le monde, nous avons estimé que toutes les catégories sociales, des plus nanties aux plus démunies, des hommes comme des femmes, des jeunes comme des vieux, des croyants comme des non croyants, des sans emploi comme des employés, etc., sont concernées par notre étude. Et par conséquent, elles pouvaient bien figurer dans notre échantillon.

Mais comment les extraire et à quel nombre ? Au sujet du second volet de cette question, M. Grawitz indique que « tout dépend de la nature des éléments à observer, c'est-à-dire de l'homogénéité du tout. En effet, si la dispersion est nulle, toutes les unités auraient la même valeur égale à la moyenne et le prélèvement d'une seule unité serait un échantillon suffisant et représentatif. Si la dispersion est faible, c'est-à-dire si les valeurs du caractère étudié sont très groupées autour de la moyenne, l'ensemble est homogène et un échantillon restreint donnera une précision suffisante. Au contraire, si la dispersion est élevée, si la population est très hétérogène, un échantillon beaucoup plus important s'impose pour obtenir la même précision »72(*).

Nous considérons que notre population d'étude du point de vue des caractéristiques socio-économiques et culturelles n'est pas trop hétérogène. C'est pourquoi nous avons opté pour un taux de sondage de 1/1000 de la population-mère. Ainsi, notre échantillon comporte 200 sujets.

Comment ces 200 sujets ont-ils été extraits de la population-mère ?

Les statistiques officielles recueillies auprès du service de la population de la Commune répartissent les 204.449 habitants de Ngaba dans les six quartiers de la manière suivante :

1. quartier Baobab : 35.222 habitants

2. quartier Bulambemba : 36.535 habitants

3. quartier Luyi : 30.911 habitants

4. quartier Mateba : 22.435 habitants

5. quartier Mpila : 35.116 habitants

6. quartier Mukulwa : 44.233 habitants

Il sied d'indiquer qu'outre cette répartition numérique de la population par quartier, il n'existe pas, rappelons-le, de statistiques officielles décrivant celle-ci sur base d'autres caractéristiques, notamment l'âge, le sexe, le niveau d'études, la profession, la religion, etc. Ce qui rend impossible le prélèvement de l'échantillon par le procédé de quota. Il ne nous restait que la possibilité de recourir à un échantillonnage aléatoire, en accordant à tout sujet de notre population-mère la même chance de figurer dans notre échantillon. Nous avons considéré que dans le cadre de notre étude toute personne adulte, c'est-à-dire dont l'âge varie entre 20 et 65 ans habitant la Commune depuis au moins une année, quel que soit son sexe, son niveau d'études, sa profession, sa religion, son ethnie, etc. était susceptible de faire partie de notre échantillon. L'échantillonnage aléatoire renferme plusieurs variantes parmi lesquelles nous avons opté pour le procédé occasionnel. Celui-ci consiste à prendre pour unité d'échantillon tout individu disponible au moment de l'enquête.

En pratique, nous avons regroupé les six quartiers de la Commune de Ngaba en trois entités en tenant compte de train de vie qui marque la différence sociale entre les habitants. Ce train de vie est perceptible à travers le type d'habitat et le confort matériel des uns et des autres.

La première entité (A) va de l'avenue Kitona à l'avenue By-pass dans la direction nord-sud et de la rivière Kalamu à l'avenue de l'Université dans la direction est-ouest. Cette partie de la Commune de Ngaba au sud des quartiers Bulambemba et Mateba contiguë à l'avenue By-pass connaît un habitat du type résidentiel avec une population qui accuse un niveau de vie relativement élevé par rapport au reste de la population de la Commune. Les résidants de cette entité n'admettent pas faire partie de la Commune de Ngaba, mais se réclament plutôt du quartier Righini II estimant prolonger le quartier du même nom situé dans la Commune de Lemba.

La deuxième entité (B) va de l'avenue KiKwit (au nord) jusqu'à l'avenue Kitona (au sud) et se trouve comprise entre les avenues de l'Université (à l'ouest ) et Frigo (à l'est). Elle comprend les quartiers Baobab, Luyi et une partie de Bulambemba. Elle est habitée par une population hétérogène du point de vue socio-économique : les uns ont un niveau de vie relativement élevé, d'autres sont moyens et enfin d'autres encore ont un niveau de vie assez faible.

La troisième entité ( C ) comprend les quartiers Mateba, Mpila et Mukulwa situés entre l'avenue Frigo à l'ouest et la rivière Kalamu séparant à l'est la Commune de Ngaba et celle de Lemba. Visiblement, la majorité de la population habitant cette entité vit dans ce que P. Kapagama a appelé hypopauvreté perceptible à travers le type d'habitat et le mode de vie qui y prévaut.

Pour arriver à prélever les unités de notre échantillon, nous avons procédé par un tirage au sort sans remise des avenues regroupées dans ces trois entités. Nous avons, sur des bouts de papier, attribué à chaque avenue un numéro. Ces bouts de papier ont été introduits dans une urne. Par la suite, nous avons successivement tiré les avenues où l'enquête devait se dérouler. A la suite de ce tirage au sort, les avenues ci-après ont été retenues :

1. pour l'entité A : Kitona, Kaziama et Kingulu.

2. pour l'entité B : Bindungi, Mopulu, Manzengele, Mwanza et Masimanimba

3. pour l'entité C : Kisangani, Minikongo, Bulungu, Lobo et Panzi

Ainsi, sur chaque avenue, nous interrogions tout individu disponible, c'est-à-dire tout celui ou toute celle que nous rencontrions au moment de notre passage et qui acceptait de répondre à notre questionnaire. Etant donné l'étendue de chaque entité et du degré d'homogénéité de sa population, nous avons inégalement réparti les unités de notre échantillon. Ce faisant, nous avons interrogé 40 sujets dans l'entité A (14, 14,12), 60 sujets dans l'entité C (12, 12, 12, 12,12) et 100 sujets dans l'entité B (20, 20, 20, 20,20). Au total 200 sujets ont fait partie de notre échantillon.

3.2.2. Collecte des données

Collecter les données c'est rassembler les informations indispensables à la réalisation d'un travail scientifique. Ces informations peuvent être, soit de première soit de seconde main. Ce dernier type de données est disponible et consigné dans des documents sous diverses formes : ouvrage, article, thèse, mémoire, rapport, etc. L'exploitation de ce type de données offre le bénéfice de temps, d'énergie et de moyen. Toutefois, il convient d'indiquer que parce que constituées pour d'autres objectifs, ces données n'apportent pas toujours satisfaction aux préoccupations des nouvelles recherches. Raison pour laquelle les données primaires sont préférables parce que issues des investigations menées en fonction de la problématique et des hypothèses soulevées par une recherche en cours.

En pratique, toute recherche se réalise grâce au recours simultané à ces types de données dont l'exploitation judicieuse rapporte des résultats féconds.

Dans un cas comme dans un autre, la collecte de données se réalise grâce à la manipulation des techniques de collecte de données. Pour notre étude, outre l'interview réalisée avec 20 sujets, les données (de première main) présentées dans ce chapitre ont été rassemblées à l'aide du questionnaire dont le processus d'élaboration est décrit dans le point suivant.

1. Elaboration du questionnaire.

L'élaboration de notre questionnaire a franchi les étapes ci-après :

i. Formulation des thèmes.

Cette phase d'élaboration du questionnaire a consisté en la détermination des principaux sujets devant guider la conception des items élucidant la problématique et les hypothèses de cette étude.

Le premier thème se rapporte à l'identification des enquêtés. Il s'est agi, sous ce thème de décrire les unités de notre échantillon du point de vue de l'âge, du sexe, du niveau d'études, de la profession, du revenu, de la confession religieuse, de l'ancienneté dans la ville Kinshasa et de l'ancienneté dans le quartier habité. Ces caractéristiques nous paraissent pertinentes dans la mesure où elles influencent la perception par les enquêtés de la structure du champ social.

Le deuxième thème porte sur la perception des différences sociales et de l'attribution à un agent d'une position dans le champ social. A la lumière des critères de classement retenus, la situation sociale de chaque agent est définie en fonction du volume de l'atout (critère) qu'il détient.

Le troisième thème concerne les principaux protagonistes du jeu social. Il est question ici des agents qui luttent pour accroître leur capital symbolique.

Le quatrième thème est relatif aux stratégies de conquête et d'accumulation du capital symbolique. Ce thème examine les actions menées par les uns et les autres pour occuper une position de domination et de s'affranchir de celle de dominée.

Le cinquième thème porte sur le classement et l'auto-classement. Ce thème scrute les positions que les agents s'attribuent et attribuent aux autres dans le champ social.

C'est en rapport avec ces thèmes que nous avons structuré et élaboré notre questionnaire.

ii. Nature des questions.

La complexité de notre problématique, les contraintes matérielles et temporelles ainsi que les exigences de dépouillement de données nous ont conduit à combiner à la fois les questions fermées, à éventail et ouvertes.

Les premières sont celles pour lesquelles l'enquêté ne peut répondre que par oui ou non. Les secondes sont celles assorties des assertions parmi lesquelles, l'enquêté choisit celle qui correspond le mieux à son opinion. Ces deux types de question ont été retenus d'une part, pour parer aux réponses « impertinentes » qui résulteraient d'une mauvaise compréhension des questions et, d'autre part, du fait de l'avantage qu'elles présentent, notamment la facilité de dépouillement. Les troisièmes qui laissent à l'enquêté la possibilité de formuler ses réponses en ses propres termes, ont été retenues pour obtenir des enquêtés des réponses détaillées suggestives des aspects non envisagés par nous73(*).

Le test de fiabilité de notre questionnaire a été réalisé au cours de l'enquête préliminaire organisée à ce propos du 9 au 15 février 2004.

iii. Pré-enquête.

Celle-ci s'est déroulée pendant sept jours dans le quartier Baobab et a touché 20 sujets de notre population-mère.

Deux procédés ont été exploités à ce niveau. Le premier a consisté à convier 5 sujets à remplir personnellement le questionnaire. Ce procédé a eu l'avantage de nous dévoiler les difficultés de compréhension de certaines questions. Quant au second procédé, nous avons eu à administrer nous-même le questionnaire. Cet échange nous a permis de découvrir certains aspects non prévus dans notre projet de questionnaire.

Grâce à cette pré-enquête, nous avons reformulé toutes les questions qui suscitaient des difficultés de compréhension et en avons ajouté d'autres pour enrichir notre questionnaire.

iv. Questionnaire définitif

A la suite de la pré-enquête, nous avons élaboré un questionnaire définitif comprenant 24 questions dont 8 identifient les enquêtés et 16 scrutent leurs opinions au regard de notre problématique et de nos hypothèses. C'est ce questionnaire qui a été administré aux 200 unités faisant partie de notre échantillon.

2. Administration du questionnaire.

C'est la phase de la collecte proprement dite des données. Elle s'est concrétisée par notre descente dans les six quartiers de la commune de Ngaba afin de recueillir, à l'aide du questionnaire, des informations utiles à la réalisation du présent travail.

Etant donné les impératifs temporels, le recours aux enquêteurs s'est avéré indispensable pour récolter les données dans un bref délai. Ceux-ci (au nombre de huit) ont été recrutés parmi nos étudiants de deuxième licence en sociologie connus pour leur assiduité74(*). Tenant compte de leurs occupations académiques - assistance aux cours, rédaction de mémoire de licence et de rapport de stage - nous avons estimé qu'un nombre assez réduit d'enquêtés pour chacun d'eux allégerait leur tâche et leur permettrait de réaliser les enquêtes de manière efficace dans un temps record. Ainsi, nos huit enquêteurs ont été chargés de questionner cent sujets de notre échantillon (six enquêteurs ont questionné chacun douze enquêtés et deux autres enquêteurs ont administré chacun le questionnaire à quatorze enquêtés).

Avant le déploiement sur le terrain, nous avons organisé à l'intention des enquêteurs une séance de travail de deux heures le 01 mars 04 au local 17 de la Faculté des Sciences Sociales, Administratives et Politiques au cours de laquelle, nous avons explicité les objectifs de la recherche, le contenu du questionnaire, les modalités de son administration et rappelé les tacts pour surmonter les éventuelles difficultés qui surgiraient pendant les enquêtes. Un accent particulier a été mis sur l'attention à faire montre pour cerner la subtilité de certaines réponses des enquêtés et sur l'effort qu'ils devaient fournir pour éviter d'influencer leurs opinions. Au cours de cette séance, chaque enquêteur avait choisi le quartier dans lequel il allait administrer le questionnaire. Une exigence leur avait été faite de mentionner sur le protocole d'enquête, le numéro de la parcelle de l'enquêté, le jour et l'heure auxquels l'enquête a eu lieu et de nous dresser un rapport journalier.

Pour nous rassurer de l'effectivité du déroulement de l'enquête, nous avons constitué, à l'insu des enquêteurs, une équipe de contrôle composée de deux étudiants de première licence en sociologie75(*). Cette équipe passait le lendemain vérifier si l'enquêteur a réellement administré le questionnaire dans la parcelle indiquée sur le protocole. Nos enquêteurs ont couvert leur tâche dans une semaine.

Au même moment, nous descendions personnellement sur le terrain pour administrer aussi le questionnaire aux cent autres sujets de notre échantillon. La descente sur le terrain s'effectuait dans les après midi, les avant-midi étant consacrés à nos exigences professionnelles. Nous avons mis 25 jours (du 02 au 26 mars 2004) au lieu de 14 initialement prévus. La longueur des entretiens, les explications à fournir pour nous faire recevoir par les enquêtés et pour élucider certaines questions, l'approfondissement de certains détails pertinents, ont été à l'origine de cette prolongation.

Pour éviter le report des rendez-vous et éventuellement la perte des protocoles d'enquête, la consigne était que nous devrions nous-mêmes administrer le questionnaire. Mais, au cours des enquêtes, certains enquêtés avaient sollicité le bénéfice de temps pour répondre avec sérénité à notre questionnaire. Nous avons accédé à cette requête et revenions 48 heures après pour le retrait du protocole.

3.2.3. Difficultés rencontrées.

Toute investigation scientifique est toujours émaillée des difficultés. Celles-ci diffèrent suivant l'objet d'étude, la nature du terrain et l'importance de la logistique.

Il n'est aisé, dans le contexte actuel de la ville de Kinshasa marqué par la suspicion, des tensions, des crispations dues à la basse conjoncture socio-économique, etc., de mener une étude sur un phénomène qui touche aux susceptibilités comme celui des discriminations sociales. Un tel sujet expose le chercheur à la méfiance et à l'évitement des enquêtés déjà traumatisés par les conditions matérielles d'existence. Au cours de nos enquêtes, nous nous sommes buté au refus pure et simple de certains enquêtés qui nous renvoyaient parce que, disaient-ils, ils n'avaient pas de temps et d'énergie physique à nous consacrer. Pour d'autres par contre, l'annonce de notre sujet de recherche suscitait en eux un sentiment de frustration et nous demandaient d'aller nous confier auprès de ces personnes qui les infériorisent ou les jugent méchamment à cause de leur statut. Nos explications pour justifier le bien fondé de notre étude ne rencontraient pas souvent un écho favorables auprès de cette catégorie d'enquêtés. D'autres encore exigeaient un verre de boisson ou de l'argent avant de se livrer à fournir des réponses à notre questionnaire.

Par ailleurs, Ngaba, comme les autres communes populaires de la ville de Kinshasa, est habité par une population qui vit au jour le jour si bien que la survie des ménages tient à la débrouille quotidienne appelée « libanga ». Dans ces conditions, il est difficile de rencontrer pendant la journée des personnes adultes en leurs résidences. Et parce que nous tenions d'administrer nous-même le questionnaire pour éviter les pertes éventuelles des protocoles ou les reports des jours de retrait et que nos enquêtes se déroulaient dans les après-midi, les avant-midi étant consacrés à nos obligations professionnelles, il nous arrivait de parcourir une avenue de bout en bout sans trouver une personne adulte à interroger. Ce qui a contribué à l'échelonnement de l'enquête sur plusieurs jours que prévus.

Le dérobement de la plupart des femmes à l'entretien pour des raisons diverses nous a fait perdre d'autres informations qui seraient utiles pour l'élaboration de ce travail. D'autant plus que dans la vie quotidienne, ce sont elles qui sont les principaux sujets-objets des discriminations analysées dans cette étude. Leurs opinions auraient peut-être apporté un éclairage supplémentaire à la compréhension de notre sujet d'étude.

Le manque des moyens financiers et matériels a retardé sensiblement le déroulement de l'enquête et la rédaction de ce travail. Outre le fait que la modicité de nos ressources avait différé la confection et l'impression de notre questionnaire, elle n'a pas permis un déploiement en toute quiétude des enquêteurs sur le terrain. Elle a par ailleurs porté de ses empreintes notre survie dans la mesure où elle nous contraint de mobiliser et d'affecter toutes nos ressources tant physique, mentale et financière, en les privant bien sûr à notre maisonnée, pour l'aboutissement de ce travail.

Notre abnégation et notre engagement ainsi que le concours de nos enquêteurs qui ont accepté le bénévolat, ont rendu possible la gestion efficace de toutes ces contraintes ayant émaillé les investigations dont les résultats sont présentés dans la section suivante.

Section 3 : Présentation des résultats

Dans cette section, nous reprenons les opinions des enquêtés en rapport avec les questions qui leur ont été posées. Ces opinions sont quantifiées en effectifs, en fréquences et en pourcentages rendant possible une comparaison pour dégager les tendances dominantes.

3.3.1. Eléments d'identification des enquêtés

Sous cette rubrique, nous présentons nos enquêtés du point de vue âge, sexe, niveau d'études, profession, revenu, religion, ancienneté dans la ville de Kinshasa et dans le quartier.

a. Tableau I : Répartition des enquêtés selon l'âge.

Tranches d'ages

Fréquences

Pourcent

20 à 24 ans

29

14.5

25 à 29 ans

47

23.5

30 à 34 ans

46

23

35 à 39 ans

23

11.5

40 à 44 ans

30

15

45 ans et plus

25

12.5

Total

200

100

Ces données se présentent dans un graphique de la manière suivante :

Figure 1 : Répartition des enquêtés suivant l'âge.

Il ressort de la lecture de ce tableau que 23.5% des enquêtés ont l'âge variant entre 25 et 29 ans, 23% entre 30 et 34 ans, 15% entre 40 et 44 ans, 14.5% entre 20 et 24 ans, 12.5% ont un âge égal ou supérieur à 45 ans et, enfin, 11.5% entre 35 et 39 ans.

Tableau II : L'âge moyen des enquêtés.

TRANCHES D'AGES

CI

XI

FI

CIXI

CIFI

20 À 24 ANS

22

29

14,5

638

319

25 À 29 ANS

27

47

23,5

1269

634,5

30 À 34 ANS

32

46

23

1472

736

35 À 39 ANS

37

23

11,5

851

425,5

40 À 44 ANS

42

30

15

1260

630

45 ANS ET PLUS

47

25

12,5

1175

587,5

TOTAL

 

200

100

6665

3332,5/100=33,32

L'âge moyen des enquêtés est de 6665/200=33,32, soit 33 ans. Nous pouvons considéré que notre population est jeune.

b. Tableau III : Répartition des enquêtés selon le sexe.

SEXE

Effectifs.

Pourcent

Masculin

157

78.5

Féminin

43

21.5

Total

200

100

En diagramme de camembert, ces données se présentent de la manière ci-après :

1% = 3,6°

78,5% * 3,6° = 282,6°

21,5% * 3,6 = 77,4°

Total = 360°

Figure 2 : Répartition des enquêtés suivant le sexe.

Figure 2 : Répartition de la population selon le sexe

De ce tableau, il ressort que 78.5% des enquêtés sont du sexe masculin alors que 21.5% sont du sexe féminin. Il s'ensuit que la majorité (78.5%.) des enquêtés sont du sexe masculin. Cette représentation inégale des enquêtés dans notre échantillon est une conséquence logique du type d'échantillonnage retenu. En optant pour l'échantillon occasionnel, nous avons, lors de nos descentes sur le terrain, rencontré plus des hommes que des femmes. Ces dernières étant souvent absentes du ménage à notre passage. Et même lors qu'elles étaient présentes, elles souhaitaient que l'entretien soit tenu avec le mari. D'autre part, des observations faites, il s'est dégagé que les quelques dames qui ont accepté de répondre à notre questionnaire ont un niveau d'études assez élevé, c'est-à-dire allant de diplôme d'Etat à celui de licence en passant par celui de graduat. Comme nous pouvons le constater, le niveau d'études a été un facteur limitant la participation des femmes.

c. Tableau IV : Répartition des enquêtés selon le niveau d'études.

NIVEAU D'ETUDES

Effectifs

Pourcent

Sans instruction

2

1

Primaire

2

1

Secondaire

84

42

Supérieur

44

22

Universitaire

68

34

Total

200

100

Ces données reprises dans un diagramme en camembert se présentent de la manière suivante (1% = 3,6°) :

1% * 3,6° = 3,6°

1% * 3,6° = 3,6°

22% * 3,6° = 79,2°

34% * 3,6° = 122,4°

42% * 3,6° = 151,1°

Total = 360°

Figure 3 : Répartition des enquêtés selon le niveau d'études.

La lecture du tableau et du diagramme précédents montre que 42% des enquêtés sont du niveau d'études secondaire, 34% ont fait les études universitaires, 22% sont des gradués, 1% est du niveau primaire et 1% est sans instruction. Les enquêtés ayant atteint le niveau d'études secondaires forment le groupe le plus nombreux. De 42% qu'ils totalisent dans l'ensemble de notre échantillon, seuls 18% ont décroché un diplôme d'Etat sanctionnant la fin de leurs études secondaires. Le groupe des universitaires se subdivise en deux sous groupes : d'une part ceux qui ont déjà terminé leurs études (29%) et d'autre part les étudiants des universités de la ville (5%). Notre échantillon, comme nous pouvons le constater, est constitué en majorité des personnes lettrées.

Par ailleurs, la répartition des niveaux d'études par les trois entités regroupant les six quartiers de la Commune de Ngaba révèle qu'une bonne portion des enquêtés ayant fait les études supérieures et universitaires se localise dans l'entité A et que la plupart de ceux qui n'ont pas terminé les études secondaires ainsi que ceux du primaire et les sans instruction se concentrent dans l'entité C. L'entité B quant à elle, rassemble en moyenne tous les niveaux d'études.

La distribution du niveau d'études suivant le sexe fait ressortir que la balance penche en faveur des femmes. En effet, toutes nos enquêtées ont atteint au moins la sixième année secondaire ( 18%) parmi lesquelles 8% ont un diplôme d'Etat, 2% des celles qui ont fait des études supérieures et 1.5% a des diplômes d'Université.

a. Tableau V : Répartition des enquêtés selon la profession.

Professions

Effectifs.

Pourcent

Salariés

69

34.5

Indépendants

55

27,5

Etudiants

10

5.0

Sans emploi

71

35.5

Total

200

100

La répartition des enquêtés sur base de la profession laisse apparaître que 35.5% sont des sans emploi, 27% exercent des activités indépendantes, 32% sont des salariés et 5% sont étudiants.

Quelques précisions méritent d'être apportées au sujet des composantes de certaines catégories socio-professionnelles. Nous avons regroupé dans la catégorie « salariés » tous ceux qui ont un travail rémunéré quels que soient le secteur et la nature de ce travail. Il s'est agi, dans le cadre de nos enquête, des enseignants du primaire et du secondaire des écoles privées, confessionnelles et officielles (13.5%), les chauffeurs travaillant pour le compte des particuliers ou des entreprises privées (2.5%), les informaticiens des bureautiques (1.5%), un maçon d'une entreprise de la place (0.5%), des fonctionnaires (9.5%), des policiers (1%), des cadres scientifiques des Universités et Instituts supérieurs de la capitale (2.5%) et des médecins (3%).

A propos des indépendants, nous avons regroupé dans cette catégorie tous ceux qui exercent une activité pour leur propre compte. Elle est essentiellement constituée des opérateurs de la petite économie marchande et des petits métiers. Dans cette catégorie socio-professionnelle, nous avons rencontré les tenanciers des boutiques et des pratiquants du petit commerce (18.5%), des couturières (2%), des tenanciers des maisons de communication (1%), un cambiste (0.5%) et un cordonnier (0.5%). Rentrent également dans cette catégorie des indépendants les pasteurs (1%), les musiciens (2%) et les artistes comédiens (1%) et les avocats (1%),

Deux enseignements résultent des données reprises dans le tableau ci-dessus. Elles attestent, en premier lieu, la quasi inexistence de l'emploi dans le secteur formel de l'économie congolaise. En effet, comme l'illustre bien ce tableau, une bonne partie des enquêtés est constituée des sans emploi (35.5%) et des indépendants (27.5%). En outre, la répartition des professions par sexe se réalise en défaveur des femmes qui sont toutes dans les petits métiers et commerce. En second lieu, cette répartition des enquêtés par profession montre que la Commune de Ngaba est un Espace social hétérogène où coexistent diverses couches sociales. Toutes fois, les couches sociales des conditions socio-économiques modestes l'emportent comme le témoigne le tableau ci-dessous relatif la répartition des enquêtés sur base du revenu.

e. Tableau VI : Répartition des enquêtés selon le niveau de revenu.

REVENU

Effectifs

Pourcent

Très élevé

4

2

Elevé

18

9

Moyen

26

13

Faible

146

73

Sans revenu

6

3

Total

200

100

Les données reprises dans ce tableau se présentent dans un graphique de la manière suivante :

Figure n°4 : Répartition des enquêtés suivant le revenu

Il se dégage de ces tableau et graphique que 73% des enquêtés déclarent avoir un revenu faible, 13% avancent qu'ils ont un revenu moyen, 9% trouvent que leur revenu est élevé, 3% sont sans revenu et 2% disent qu'ils ont un revenu très élevé.

Les données de ce tableau semblent contraster d'avec le principe selon lequel ne peut avoir un revenu que celui qui a un travail rémunéré ou qui exerce une activité lucrative. Et pourtant, le tableau V relatif à la répartition des enquêtés sur base de la profession montre qu'il y a une bonne part des sans emploi et des étudiants sensés ne pas avoir un revenu. Faisons remarquer à ce sujet qu'au cours de nos enquêtes ces sans emploi nous révélaient qu'il avaient un revenu indirect provenant des activités de survie exercées par leurs épouses. Ils considèrent que le revenu résultant des activités de leurs épouses leur revient au premier titre parce qu'ils ont été à l'origine du capital ou du fonds de démarrage. Concernant les étudiants, nombreux parmi eux exercent les activités de survie, notamment le petit commerce et le cambisme de rue.

f. Tableau VII : Répartition des enquêtés selon la religion.

Religion

Effectifs

Pourcent

Catholique

69

34.5

Protestante

30

15

Musulmane

1

0.5

Kimbanguiste

2

1

Eglise de réveil

86

43

Eglise des noirs

2

1

Néo-Apostolique

3

1.5

Armée du salut

2

1

Témoins de Jéhovah

5

2.5

Total

200

100

La représentation graphique de ces données se présente de la manière ci-après :

Figure 5 : Répartition des enquêtés selon la religion.

Il s'observe de ce tableau que parmi nos enquêtés 43% fréquentent des églises de réveil, 34.5% sont catholiques, 15% sont protestants, 2.5% sont témoins de Jéhovah, 1.5 est néo-apostolique, 1% prie dans l'armée du salut, 1% est adepte de l'église des noirs, 1% est kimbanguiste et 0.5% est musulman . Il s'ensuit que tous nos enquêtés sont des croyants. Constatons par ailleurs que les chrétiens sont plus nombreux (98.5%) que les musulmans (0.5%) et les adeptes l'église des noirs. Enfin, parmi les chrétiens les fidèles des églises de réveil sont plus nombreux que ceux des églises traditionnelles.

g. Tableau VIII: Répartition des enquêtés selon l'ancienneté dans la ville de

Kinshasa.

Ancienneté à Kinshasa

Fréquences

Pourcent

1 à 5 ans

15

7.5

6 à 10 ans

24

12

11 à 15 ans

30

15

16 à 20 ans

36

18

21 à 25 ans

32

16

26 à30 ans

63

31.5

Total

200

100

Les données reprises dans le tableau ci-haut montrent que la durée du séjour de 31.5% des enquêtés dans la ville de Kinshasa varie entre 25 ans et plus, entre 16 et 20 ans pour 18% des enquêtés, entre 21 et 25 ans pour 16% des enquêtés, entre 11 et 15 ans pour 15% des enquêtés, entre 6 et 10 ans pour 12% des enquêtés, entre 1 et 5 ans pour 7.5% des enquêtés.

La durée moyenne du séjour dans la ville de Kinshasa est de :

Tableau IX : La durée moyenne du séjour des enquêtés dans la ville de Kinshasa.

Années

Ci

xi

fi

xiCi

cifi

0-5

3

15

7,5

45

22,5

6--10

8

24

12

192

96

11--15

13

30

15

390

195

16-20

18

36

18

648

324

21-25

23

32

16

736

368

26-30

28

63

31,5

1764

882

 Total

 

200

100

3775

1887,5/100=18,87

La durée moyenne du séjour de nos enquêtés dans la ville de Kinshasa est de 3775/200= 18,87 ans soit 19 ans. Dans l'ensemble, la majorité de nos enquêtés séjourne depuis longtemps dans la ville de Kinshasa, c'est-à-dire y a passé plus de 10 ans.

h. Tableau X : Répartition des enquêtés selon l'ancienneté dans le quartier

actuellement habité.

Ancienneté dans le quartier

Fréquences.

Pourcent

1 à 5 ans

66

33

6 à 10 ans

40

20

11 à 15 ans

34

17

16 à 20 ans

22

11

21 à 25 ans

12

6

26 à 30 ans

26

13

Total

200

100

Il découle de ce tableau que 33% des enquêtés ont un séjour dans le quartier qu'ils habitent actuellement variant entre 1 et 5 ans, 20% entre 6 et 10 ans, 17% entre 11 et 15 ans, 13% entre 25 ans et plus, 11% entre 16 et 20 ans et 6% entre 21 et 25 ans. Dans l'ensemble, la majorité des enquêtés a récemment habité les quartiers respectifs, c'est-à-dire a un séjour d'au plus 10 ans dans le quartier.

La durée moyenne dans le quartier est de :

Tableau XI : La durée moyenne du séjour dans le quartier.

Années

Ci

xi

fi

Cixi

Cifi

0-5

3

66

33

198

99

6-10

8

40

20

320

160

11-15

13

34

17

442

221

16-20

18

22

11

396

198

21-25

23

12

6

276

138

26-30

28

26

13

728

364

 Total

 

200

100

2360

1180/100=11,80

La durée moyenne du séjour des enquêtés dans leurs quartiers respectifs est de 2360/200=11,80 ans, soit 12 ans. Nous pouvons dire que nos enquêtés séjournent dans leurs quartiers depuis au moins 12 ans.

En rapport avec le séjour dans la ville de Kinshasa et dans les différents quartiers, nous pouvons affirmer que nos enquêtés, du fait de leur long séjour, appréhendent l'enjeu et le jeu des discriminations sociales qui marquent de leur empreinte la quotidienneté dans cette ville.

Après cette description de nos enquêtés sous ces quelques caractéristiques, il convient de présenter leurs opinions résumant leur représentation de la structure du champ social, c'est-à-dire les principes de sa structuration, les capitaux qui y circulent, les agents sociaux et leurs positions, les luttes qui s'y déroulent pour le maintien ou la transformation de cette structure. C'est l'objet de la sous-section suivante.

3.3.2. Opinion des enquêtes

Nous présentons dans cette sous-section les opinions (réponses) émises par nos enquêtés en réaction au questionnaire d'enquête. Sans reprendre les questions y afférentes, nous relevons dans les tableaux les fréquences et les pourcentages obtenus par chaque opinion.

a. Tableau XII : Opinions des enquêtés relatives à la

fréquentation entre habitants du quartier.

Fréquentation

Freq.

Pourcent

OUI

175

87.5

NON

11

5.5

C'EST RELATIF

14

7

Total

200

100

Dans un en camembert, ces données présentent de la manière ci-après (1% = 3,6°):

5,5% * 3,6° = 19,8°

7% * 3,6° = 25,2°

87,5% * 3,6° = 315°

Total = 360°

Figure 4 : Opinions des enquêtés relatives à la

Fréquentation entre habitants du quartier.

De ce tableau il se dégage que 87.5% des enquêtés estiment que les habitants de leurs quartiers se fréquentent, 7% sont d'avis mitigé et 5.5% trouvent que les habitants de leurs quartiers ne se côtoient pas. Nous pouvons affirmer, à la suite de ces résultats, que la majorité des enquêtés ne vivent pas dans l'anonymat caractéristique des sociétés urbaines des sociétés industrialisées.

b. Tableau XIII : Avis des enquêtés concernant la jouissance de considération sociale.

Considération sociale

Effectifs

Pourcent

OUI

16

8

NON

147

73.5

C'EST RELATIF

37

18.5

Total

200

100

Dans un en camembert, ces données présentent de la manière ci-après (1% = 3,6°):

8% * 3,6° = 28,8°

73,5% * 3,6° = 264,6°

18,5% * 3,6° = 66,6%

Total = 360°

Figure 5 : Avis des enquêtés concernant le bénéfice de considération sociale.

Les données du tableau XIII indiquent que 73.5% des enquêtés sont d'avis que dans leurs quartiers tout le monde ne jouit pas de la même considération sociale, 18.5% estiment que le bénéfice de la considération sociale est une question relative et 8% pensent que la considération sociale est indistinctement accordée à tout habitant du quartier. La tendance dominante (73.5%) est constituée par les enquêtés ayant émis un avis négatif.

Il apparaît à travers les opinions exprimées dans le tableau ci-haut une conscience de différence sociale parmi les habitants de la Communes de Ngaba. Tout le monde ne se considère pas égal à tout le monde. L'attribution inégalitaire de la considération sociale, et donc la discrimination en la matière, induit que les habitants de cette Commune perçoivent et établissent des différences entre eux en fonction de certaines ressources dont ils sont détenteurs.

c. Tableau XIV: Les critères d'évaluation et de hiérarchisation sociale.

Critères

Effectifs

Pourcent

Niveau d'instruction

26

13

Confort matériel

148

74

Moralité

22

11

Foi religieuse

4

2

Total

200

100

Ces données se présentent de la manière suivante dans un graphique :

Figure 6 : Les critères d'évaluation et de hiérarchisation sociale.

Il ressort de ce tableau que 74% des enquêtés affirment que dans leurs quartiers la considération sociale témoignée à un individu est tributaire de son confort matériel, 13% trouvent qu'elle est rattachée au niveau d'instruction, 11% pensent qu'elle est attribuée en fonction de la moralité et 2% avancent qu'elle tient à la foi religieuse. La tendance dominante est formée des enquêtés qui déclarent que dans leur milieu la considération sociale témoignée à un individu est fonction de son niveau de vie économique. Comme nous pouvons le constater, l'élément matériel est prépondérant mais pas l'unique. D'autres considérations entrent en ligne de compte dans l'évaluation sociale d'un individu notamment l'instruction, la moralité et la spiritualité.

Rapportées aux trois entités de Ngaba définies dans cette étude, il se dégage que, outre le critère économique commun à toutes les trois, les enquêtés de l'entité A mettent l'accent sur le niveau d'instruction et la zone de résidence, ceux de l'entité B sur la moralité et la foi religieuse et ceux de l'entité C sur le matériel.

d. Tableau XV : Opinions des enquêtés relatives à l'individu socialement

considéré dans leurs quartiers.

Individu socialement élevé

Fréquences

Pourcent

Intellectuel

25

12.5

Détenteur d'un avoir matériel

153

76.5

Homme vertueux

20

10.0

Fervent

2

1

Total

200

100

Relativement à la question de savoir qui considère-t-on socialement dans leurs quartiers respectifs, 76.5% des enquêtés ont répondu que c'est le détenteur d'un avoir matériel, 12.5% sont d'avis que c'est l'intellectuel, 10% affirment que c'est l'homme vertueux et 1% pointe le fervent. Relativement aux données reprisées au tableau XIV indiquant que dans la Commune de Ngaba l'attribution de la perception et l'évaluation sociale sont principalement tributaire du confort matériel, il en résulte en conséquence que le détenteur d'un avoir matériel important est hissé au sommet de la hiérarchie sociale. C'est ce que confirme la tendance dominante (76.5%) qui se dégage de la lecture des données reprises dans le tableau ci-haut.

e. Tableau XVI : Avis des enquêtés concernant l'acceptation du critère de évaluation et hiérarchisation sociale dans leurs

quartiers.

Acceptation du critère

Effectifs

Pourcent

Oui

151

75.5

Non

27

13.5

C'est relatif

22

11

Total

200

100

Les opinions émises dans le tableau ci-dessus montrent que 75.5% des enquêtés estiment que ces critères sont admis, 13.5% affirment que ces critères sont rejetés par la majorité des habitants de leurs quartiers et 11% sont d'avis nuancés. La tendance dominante est celle des enquêtés qui sont d'avis que ces critères sont admis par la majorité des habitants de Ngaba.

f. Tableau XVII : Agents partisans du critère

Agents

Effectifs

Pourcent

1. Avoir matériel

 
 

Les nantis

26

13

Les parvenus

35

17.5

Les démunis

39

19.5

Les analphabètes

44

22

Tout le monde

15

7.5

2. Niveau d'instruction

 
 

Les intellectuels

33

16.5

3. Moralité et spiritualité

 
 

Les adeptes des églises

8

4

Total

200

100

De ce tableau il se dégage que le critère matériel est plus prisé par des analphabètes (22%), des démunis (19.5%), des parvenus (17.5%), des nantis (13%), par tout le monde sans distinction (7.5%); le critère « instruction » est soutenu par des intellectuels (16.5%) et, enfin la foi religieuse et la moralité est l'affaire des adeptes des églises.

g. Tableau XVIII : Le sexe partisan du critère

Sexe

Effectifs

Pourcent

1. Avoir matériel

 
 

Masculin

37

18.5

Féminin

48

24

Les deux sexes

89

44.5

2. Niveau d'instruction

 
 

Masculin

16

8

Féminin

0

0

Les deux sexes

2

1

3. Moralité et spiritualité

 
 

Masculin

3

1.5

Féminin

5

2.5

Les deux sexes

0

0

Total

200

100

Ce tableau indique l'importance accordée par chaque sexe à chacun des critères de perception et d'évaluation sociale. Il ressort de ce tableau que 44.5% des enquêtés estiment que dans la Commune de Ngaba les hommes comme les femmes accordent plus d'importance à l'avoir matériel dans l'évaluation sociale des individus, 24% pensent que ce sont les femmes et 18.5% pointent les hommes. Par contre 8% des enquêtés considèrent que ce sont les hommes qui font prévaloir le niveau d'instruction dans l'évaluation sociale des individus et 1% attribue ce critère aux deux sexes. Enfin, 2.5% des enquêtés trouvent ce sont les femmes qui évaluent socialement les individus sur base de leur moralité et spiritualité et 1.5% cite les hommes.

En somme, les données du tableau ci-dessus renseignent qu'à Ngaba les hommes comme les femmes accordent plus d'importance à l'avoir matériel dans le processus d'évaluation sociale. Toute fois, certains hommes évaluent leurs prochains sur base de leur niveau d'études tandis que les femmes se fondent sur la spiritualité et la moralité.

h. Tableau XIX : Avis concernant le signe de distinction sociale.

Signe distinctif

Effectifs

Pourcent

Possession des biens somptueux

143

71.5

Parler français

24

12

Bonne conduite sociale

33

16.5

Total

200

100

Nous pouvons lire dans le tableau ci-dessus que (dans les différents quartiers) 71.5% des enquêtés avancent que les gens marquent principalement leur distinction sociale par l'acquisition des biens somptueux , 16.5% trouvent dans la bonne conduite la marque de distinction sociale, 12% retiennent la langue française comme signe distinctif.

En diagramme de camembert, ces données se présentent comme suit (1% = 3,6°):

 71,5% * 3,6° = 257,4°

12% * 3,6° = 43,2°

15,5% * 3,6° = 59,4°

Total = 360°

Figure 7 : Avis concernant le signe de distinction sociale.

Nous remarquons, à la suite de ce tableau, que les valeurs matérielles (type de résidence, possession d'une belle voiture, habillement luxueux) priment dans le processus de légitimation de soi.

i. Tableau XX : Opinions des enquêtés au sujet du contexte favorisant la

prévalence des signes de distinction sociale.

Contexte

Effectifs

Pourcent

1. Valeurs matérielles

 
 

Misère socio-économique

113

56.5

Recul de la culture scolaire

27

13.5

Dévalorisation du travail intellectuel

52

27.5

2. Langue française

 
 

Analphabétisme généralisé

8

4.0

Total

200

100

Les données reprises dans le tableau ci-haut montrent que la préséance de valeurs matérielles dans le processus d'évaluation et de distinction sociale est liée pour la majorité de nos enquêtés (56.5%) à la précarité des conditions socio-économiques dans lesquelles vivent la plupart des habitants de leurs quartiers respectifs, 27.5% pensent plutôt qu'elle tient à la dévalorisation du travail intellectuel dans notre pays, 13.5% la lient au recul de la culture scolaire observé dans le chef des produits des institutions scolaires. En outre, la dominance de la langue française est expliquée par 4% des enquêtés par l'analphabétisme d'une bonne partie de la population de cette Commune.

j. Tableau XXI : Avis des enquêtés concernant l'engagement des habitants de

leurs quartiers dans la lutte pour la mobilité sociale

Engagement

Effectifs

Pourcent

Oui

156

78

Non

27

13.5

C'est relatif

17

8.5

Total

200

100

De ce tableau il ressort que la majorité des enquêtés (78%) affirment que dans leurs quartiers respectifs les personnes infériorisées luttent pour assurer leur mobilité sociale ascendante, 13.5% sont d'avis contraire et 8.5% nuancent leurs avis.

Ces donnés se présentent dans le diagramme en camembert de la façon suivante (1% = 3,6°) :

78% * 3,6° = 280,8°

13,5%* 3,6° = 48,6°

8,5% * 3,6° = 30,6°

Total = 360°

Figure 8 : Avis des enquêtés concernant l'engagement des habitants de leurs quartiers dans la lutte pour la mobilité sociale

k. Tableau XXII : Opinions des enquêtés relatives aux stratégies de mobilité

sociale mises en place par les agents sociaux de leurs quartiers.

Stratégies

Effectifs

Pourcent

Aucun effort

14

7

Débrouille

150

75

Adhésion église

5

2.5

Bonne conduite

2

1.0

Scolarisation des enfants

22

11

Habillement luxueux

7

3.5

Total

200

100

Les personnes infériorisées dans le processus d'attribution de la considération sociale mettent en place plusieurs stratégies pour s'assurer une mobilité sociale ascendante tel qu'il apparaît dans le tableau ci-dessus. En effet, 75% des enquêtés avancent que dans leurs quartiers les gens se lancent dans la débrouille pour se promouvoir socialement, 11% espèrent s'élever indirectement sur l'échelle sociale à travers la scolarisation des leurs enfants, 7% déclarent que dans leurs quartiers respectifs les personnes infériorisées ne font rien, 3.5% se procurent un habillement luxueux, 2.5% adhèrent à une église et 1% adopte une bonne conduite.

Reprises dans un graphique, ces données se présentent de la manière suivante :

l. Tableau XXIII : Impact des discriminations sociales sur les rapports sociaux.

Impact

Effectifs

Pourcentage

Affermissement des rapports sociaux

18

9

Source des conflits

179

89.5

Aucun

3

1.5

Total

200

100

Comme l'indiquent les données de ce tableau, pour 89.5% des enquêtés ces discriminations sociales engendrent les conflits, 9% pensent qu'elles renforcent les rapports sociaux, et 1.5% pense qu'elles n'ont aucun impact. Dans le diagramme en camembert, ces données se dessinent comme suit :

Figure 9 : Impact des discriminations sociales sur les rapports sociaux.

m. Tableau XXIV : Opinions des enquêtés relatives à la rationalité des modalités de stratification de la population de leurs quartiers.

Rationalité

Effectifs

Pourcent

Oui

62

31

Non

102

51

C'est relatif

36

18

Total

200

100

Pour la majorité des nos enquêtés (51%) les modalités de structuration de la population de leurs quartiers en différentes couches sociales, singulièrement l'avoir matériel, ne sont pas rationnelles, 31% les valident et 18% nuancent leurs avis.

Il en résulte que la majorité de nos enquêtés souhaiteraient être évalués et classés sur base des critères qu'ils pensent se conformer à leur profil.

n. Tableau XXV : Critères de classement social proposés par les

enquêtés.

Critère de classement social

Effectifs

Pourcent

Avoir matériel

39

19.5

Moralité

25

12.5

Profession

125

62.5

Spiritualité

11

5.5

Total

200

100

De ce tableau, il ressort que 62.5% des enquêtés sont d'avis que la population doit être stratifiée sur base de la profession , 19.5% préfèrent l'avoir matériel, 12.5% proposent la moralité comme critère de subdivision de la population et 5.5% suggèrent la spiritualité.

L'analyse de données montre que ceux qui ont un niveau d'instruction assez élevée (quelle que soit leur situation matérielle) mettent l'accent sur la profession comme critère objectif d'évaluation sociale, tandis que ceux qui ont pourvoir économique assez important mais d'un niveau d'instruction assez bas proposent l'avoir matériel comme critère de référence. Enfin, les enquêtés dépourvus de pouvoir matériel et qui sont d'un niveau d'études assez bas se prononcent en faveur de la moralité et de la spiritualité.

La profession est ici retenue par la majorité des enquêtés en insinuant le fait qu'elle doit être tributaire du niveau d'études de chaque individu, étant entendu que les hautes études devront donner accès aux hautes fonctions sociales. Ce point de vue trouve son éclairage dans le profil de nos enquêtés. L'identification des enquêtés par niveau d'études et par profession opérée dans le point précédent montre que la majorité d'entre eux ont fait les études supérieures et universitaires et que pour l'essentiel ils sont soit sans emploi soit dans les activités indépendantes, principalement dans l'informel. Il résulte que pour eux, ce qui du reste est vrai, leur situation sociale actuelle est une conséquence de non emploi et de peu de considération que l'ordre social accorde au travail intellectuel. Ils comptent sur la création d'emploi et surtout sur revalorisation du travail intellectuel pour voir leur condition s'améliorer.

Comme nous pouvons nous l'apercevoir, chaque individu ou groupe d'individus veut être perçu en fonction du capital qu'il possède ou en fonction de ce qu'il projette devenir.

o. Tableau XXVI : Opinions des enquêtés relatives aux catégories sociales à

placer au sommet de la hiérarchie sociale.

Catégories sociales

Effectifs

Pourcent

Les cadres de conception

102

51

Les commerçants

3

1.5

Les fervents

11

5.5

Les hommes vertueux

43

21.5

Les acteurs Politique

1

0.5

Les nantis

40

20

Total

200

100

Il ressort des données du tableau XXVI que diverses catégories sociales sont proposées au sommet de la hiérarchie sociale. En effet, 51% des enquêtés placent les cadres de conception au sommet de l'échelle sociale, 21.5% y placent les hommes vertueux, 20% plaident en faveur des nantis, 5.5% sont pour les fervents chrétiens, 1.5% pour les commerçants et 0.5% pour les politiciens.

Revenons sur la catégorie cadres de conception pour dire qu'elle englobe tous ceux dont le travail exige la réflexion. Parmi eux nos enquêtés ont cité : les enseignants (2% pour ceux du primaire et secondaire et 45% pour les professeurs d'Université), les cadres d'entreprise (pour 1%), les agents de l'Etat (pour 2.5%) et les magistrats (pour 0.5%).

Il se dégage de ces données que pour la majorité des enquêtés la stratification sociale, et partant la perception et l'évaluation sociale, devra reposer sur les professions qui requièrent une haute qualification.

p. Tableau XXVII : L'auto-classement des enquêtés.

Auto-classement

Effectifs

Pourcent

INFERIEUR

12

6

MOYEN

110

55

SUPERIEUR

78

39

Total

200

100

De ce tableau il ressort que 55% des enquêtés se classent dans une catégorie sociale moyenne en fonction de critère qu'ils définissent eux-mêmes, 39% se classent dans une catégorie supérieure et 12% s'estiment dans la catégorie inférieure.

En rapport avec ces données, il sied de souligner deux choses. Primo, les enquêtés s'auto-classent en fonction d'un capital ou d'un atout de mobilité sociale dont ils sont détenteurs ou espèrent détenir dans le futur. Secundo, l'auto-classement s'opère dans une dynamique contradictoire à première vue. En effet, les détenteurs du capital économique ainsi que ceux du capital culturel non scolaire (hommes vertueux et les fervents) se classent dans la catégorie sociale moyenne alors que seuls les détenteurs d'un capital culturel scolaire se classe au sommet de la hiérarchie sociale. La modestie des uns et la prétention des autres semblent trouver leur fondement dans lutte pour le maintien ou la transformation de la structure du champ social. Nous y reviendrons.

Nous avons à travers ce chapitre décrit le cheminement de nos investigations dans la Commune de Ngaba et présenté les résultats obtenus.

En somme, notre population d'enquête est essentiellement jeune à dominance masculine. Relativement instruite, elle est pour l'essentiel constituée des sans emploi qui vivent avec un faible revenu que procure les activités de survie exercées par leurs épouses. De foi chrétienne pour la majorité, nos enquêtés ont un séjour moyen de 10 ans dans la ville de Kinshasa et de 12 ans dans les quartiers qu'ils habitent à ce jour.

De l'analyse de leurs perceptions de la structuration de groupes sociaux, il se dégage que pour nos enquêtés, les rapports sociaux assez ouverts entre les habitants de leurs quartiers se nouent sur un fond des discriminations à l'avantage des détenteurs du pouvoir économique. Le contexte de la misère socio-économique, selon nos enquêtés, donne à ce critère toute sa puissance dans l'évaluation sociale d'un individu. Les quelques élus dans cet empire de la pauvreté témoignent de leur réussite sociale par les signes matériels. Si toutes les catégories sociales, les hommes comme les femmes entérinent ce critère d'évaluation sociale, nos enquêtés estiment qu'il est plus placé à l'avant plan par les femmes, les démunis et les parvenus. Par ailleurs, la plupart des enquêtés le qualifient d'irrationnel dans la mesure où, selon eux, c'est l'être qu'il faut évaluer et non l'avoir. C'est cette perception et évaluation sociale par le seul avoir matériel qui est à l'origine des conflits qui émaillent la vie quotidienne dans leurs quartiers respectifs et engendre dans le chef de certains habitants, selon le cas, un complexe d'infériorité ou de supériorité.

La marginalisation des uns par les autres sur base de l'avoir matériel entraîne de la part des marginalisés diverses stratégies pour l'amélioration de leur situation sociale, notamment la débrouille. D'autre part, les marginalisés avancent des critères qu'ils considèrent comme rationnels qui se rapportent aux atouts dont ils sont détenteurs à savoir le niveau d'études, la moralité et la profession. Ils estiment que ce sont ces critères qui peuvent être servir de référence dans l'évaluation sociale d'un individu.

Tous ces résultats ne peuvent être intelligibles sociologiquement que si nous les replaçons dans une perspective théorique qui leur donne une signification en tenant compte bien entendu du contexte de leur production. Cet effort entrepris dans le dernier chapitre de notre travail, nous permettra de « mettre à jour la complexité des pratiques sociales les plus ordinaires des enquêtés, celles qui vont tellement de soi qu'elles finissent par passer inaperçues, celles qu'on voit naturelles parce qu'elles ont été naturalisées par l'ordre social : pratiques économiques, alimentaires, scolaires, culturelles, religieuses ou politiques, etc. »76(*)

CHAPITRE IV : INTERPRETATION DES RESULTATS

La sociologie, pour le moins que nous puissions dire, est cette science qui étudie les relations sociales. En effet, écrit P. Corcuff, « l'objet même de la sociologie n'est ni la société ni les individus envisagés comme des entités séparées, mais les relations entre individus (au sens large, et pas seulement les interactions de face-à-face), ainsi que les univers objectivés qu'elles fabriquent et qui leur servent de supports, en tant qu'ils sont constitutifs tout à la fois des individus et des phénomènes sociaux. »77(*) Relations qui dérivent de la production sociale dans les différentes instances de la société et qui consacrent l'homogénéité ou l'hétérogénéité, l'harmonie ou le conflit entre acteurs impliqués dans ce procès de production. Ainsi, dans l'étude des relations sociales la sociologie s'intéresse-t-elle davantage aux processus sociaux à l'origine des inégalités et des conflits qui assurent à tout système social son dynamisme. Ce faisant, comme science des inégalités sociales, la sociologie dévoile des mécanismes des différenciations sociales, leurs essences, les pratiques qui les expriment ainsi que les logiques qui les sous-tendent. Comme science des conflits « elle met en lumière les oppositions agissantes au sein de la société à plusieurs niveaux (des activités productives, des oppositions des forces sociales, de l'expérimentation scientifique. »78(*)

Le titre de notre travail est évocateur de cette perspective sociologique. En scrutant les affrontements qui résultent des discriminations sociales qui émaillent les relations entre les habitants de la Commune de Ngaba, il met en lumière les hiérarchies et les luttes dont est le siège tout espace social (qu'il soit micro, méso ou macro) et qui sont aux racines de son dynamisme. Hiérarchies et luttes qui ne peuvent être intelligibles que si l'on saisit la nature de chaque champ social, les différentes espèces des atouts (capitaux) qu'il faut détenir pour y entrer, se positionner et jouer efficacement, compte tenu des enjeux et, enfin, les représentations que s'en font ceux qui y participent.

Ainsi, le présent chapitre, tel qu'il ressort de son intitulé, discute des résultats d'enquête exposés dans le chapitre précédent, afin de leur restituer leur sens et signification. Cette ambition est prise en charge par l'exploitation rationnelle des postulats de la méthode dialectique que nous couplons à la théorie du champ nous servant de modèle théorique.

Il nous revient, au titre d'application de cette méthode, de relever les lois dialectiques au regard des contradictions qu'elles ont réussi à éclairer. A la lumière de la théorie de champ, nous saisissons les discriminations sociales comme l'expression de la structuration de rapports entre les forces sociales qui déploient autant des ressources pour acquérir, accumuler et conserver le capital symbolique qui, dans le cas d'espèce, est le prestige constituant ainsi un enjeu des luttes qui ont lieu dans ce champ social. Ainsi que l'écrit P. Bourdieu, « le champ social s'appréhende comme un espace construit sur la base de principes de différenciation ou de distribution constitués par l'ensemble des propriétés agissantes dans l'univers social considéré, c'est-à-dire propres à conférer à leur détenteur de la force, du pouvoir dans cet univers. Cet espace multidimensionnel est un lieu de concurrence et de lutte dans la mesure où les agents qui y participent peuvent déployer des stratégies pour améliorer leur position en cherchant à accumuler le capital agissant dans le champ où ils opèrent. »79(*)

Dans le cas spécifique de nos enquêtes, nous avons, à la suite des données récoltées, constaté que, dans leurs interactions, les agents sociaux de Ngaba déploient les ressources économiques, culturelles et, dans une faible mesure, les ressources ethico-religieuses pour se procurer des positions sociales avantageuses.

Nous examinerons successivement dans ce chapitre, la conjoncture sociale qui secrète les discriminations sociales analysées dans ce travail, la perception du champ social, des luttes, des enjeux et des acteurs ainsi que leurs conséquences.

Section1. De la conjoncture sociale des discriminations sociales à Ngaba

« Le monde, la société ne peut être considérée comme une accumulation accidentelle d'objets, des phénomènes détachés les uns des autres, isolés et indépendants les uns des autres, mais comme un tout uni, cohérent, où les phénomènes sont liés organiquement entre eux, dépendant les uns des autres et se conditionnent réciproquement ». Ce postulat dialectique qualifié de la loi de la connexion universelle des phénomènes impose, comme le suggère également la cinématique sociale, la prise en compte des effets différentiels qu'induit l'action combinée du temps et de l'espace sur toute réalité sociale. Ce qui, dans le procès de production de connaissance, est rendu par le concept marxiste de conjoncture politique, c'est-à-dire « le moment actuel de la lutte des classes dans une formation sociale ou dans un système de formations sociales.»80(*) Celle-ci se caractérise comme une synthèse des contradictions d'une formation sociale.

Nous considérons comme conjoncture sociale, le moment actuel qui produit les contradictions de notre société dans lesquelles naissent et se développent les différentes discriminations, les luttes à l'occasion desquelles les agents sociaux déploient diverses stratégies pour conforter leur position sociale. En d'autres termes, il s'agit d'insérer les discriminations sociales dans cette conjoncture sociale, les rapprocher des autres faits dans leurs rapports mutuels. En effet, nous estimons que les formes des discriminations sociales, les conflits qu'elles génèrent, la perception et l'évaluation sociale, le type de capital agissant ou potentiel sont déterminés par la conjoncture sociale qui leur donne signification et intelligence.

En rapport avec notre étude, et tel que le montrent les résultats de nos enquêtes, la conjoncture sociale qui produit les discriminations sociales est marquée par une principale contradiction : le développement d'une économie dépendante, plus marchande que productrice et donc peu créatrice de richesse et d'emploi. Cette économie parce qu'elle désorganise la production et s'articule autour de la sphère publique, finit par provoquer la rareté tel que seule une minorité s'empare de l'essentiel de la production nationale et laissant la majorité de la population dans la misère la plus sombre. La fragilité de cette économie a comme conséquence directe en milieu urbain l'affirmation des clivages sociaux et l'aggravation des différences. L'indigence et le dénuement du plus grand nombre contrastent violemment avec l'opulence d'une infime minorité aménageant ainsi les espaces d'expression de la conflictualité.

Cette contradiction est perceptible dans les réponses de nos enquêtés relatives à la question de savoir quel est le contexte qui favorise ces discriminations sociales. La majorité des enquêtés a retenu la misère socio-économique comme principal facteur explicatif des discriminations sociales dans leurs quartiers respectifs. Examinons les conditions d'émergence de cette conjoncture sociale.

4.1.1. Contraintes économiques et restructuration du champ social.

L'état des lieux des études congolaises de classes sociales effectué au premier point du premier chapitre a mis en évidence la détermination du développement de l'économie capitaliste introduite par la colonisation, sur la constitution et la structuration de celles-ci. Le rôle joué dans les différents segments de cette économie a déterminé leur nature et leur configuration.

En effet, pour s'installer au Congo, les opérateurs et les agents de cette économie ont procédé à l'expropriation foncière des autochtones au profit de l'Etat et des entreprises capitalistes. Cette mesure, ainsi que celles relatives au régime fiscal et aux modalités des investissements, est à l'origine de la paysannerie.

L'industrialisation et le développement de l'agriculture industrielle qui s'en sont suivis, ont introduit le travail salarié, principal facteur de la constitution du prolétariat urbain et rural. Avec l'industrialisation apparaissent les villes modernes. Celles-ci, dans leur développement, ont éclos des nouvelles catégories sociales. Se présentant comme lieu de sécurité, de salut et de promotion sociale, la ville provoque, sans la contenir ni l'absorber,la ruée des populations fuyant les aspérités de la vie campagnarde, le joug des pouvoirs traditionnels et l'oppression ainsi que l'arbitraire des pouvoirs publics. Cette affluence des ruraux vers la ville engendre le lumpen prolétariat qui peuple des bidonvilles.

Un autre aspect du développement de l'économie capitaliste, c'est le développement des échanges commerciaux monétaires. La distribution des produits locaux et importés qui se règle par les échanges monétaires a poussé une partie de la population à s'engager dans les activités commerciales. Il s'est ainsi constitué des nouvelles catégories sociales de commerçants, colporteurs et des intermédiaires.

Pour assurer le succès de son entreprise, le colonisateur s'est constitué des auxiliaires organiques opérant comme agents d'occidentalisation, techniques et administratifs. Par l'école, le colonisateur crée ainsi la nouvelle élite locale qui a contribué à la consolidation du système colonial et à sa remise en question au cours des mouvements des indépendances. Ayant succédé au colonisateur, cette classe va se muer en bourgeoisie compradore.

L'édifice social ainsi compartimenté obéit à la rationalité et aux impératifs du mode de production capitaliste. Ses composantes s'intègrent parfaitement aux différentes branches constitutives de l'économie capitaliste. Nous voyons, donc, que la structuration sociale est une dérivée logique de l'instance économique bien structurée et bien organisée.

Il apparaît ainsi que la détermination et la hiérarchisation de ces différents groupes sociaux se définissent en partant de la sphère par laquelle ils participent à l'économie, elle-même assujettie à l'instruction. C'est non sans raison que G. Nzongola a affirmé que le revenu et l'instruction étaient des catégories de référence dans la stratification sociale.

Dans la perspective de cette rationalité économique, l'instruction et le revenu (la profession) étaient des capitaux agissants dans la structuration de l'espace social. Le volume du capital scolaire déterminait la chance d'entrée dans une sphère de l'activité économique. Et chaque branche d'activité, par le revenu qu'elle procurait, déterminait le prestige de ses agents. Il en résulte que le prestige d'un agent social découlait de sa profession. G. Balandier note à ce sujet que dans les agglomérations urbaines surtout, les nouveaux moyens d'acquisition de richesse ainsi que les échelles des salaires tendent à diviser la population sur base des critères économiques, professionnels81(*).

Les mutations socio-économiques et politiques opérées par l'élite politique, comme le constate Emile Ologoudou, eurent des conséquences dramatiques pour tout le pays. Elles provoquèrent la dégradation constante du pouvoir d'achat, tant dans les villes que dans les campagnes. Ce n'est pas seulement les populations qui furent acculées à la misère, le pays lui-même rejoint le peloton de tête des pays les plus pauvres du monde82(*).

Nous assistons désormais à l'implosion des structures formelles de production économique, la plupart des entreprises, publiques et privées étant condamnées à la faillite(songeons ici à la zaïrianisation, aux pillages de 1991 et 1993). Avec cette détérioration du tissu économique s'amorce le « désembourgeoisement » de la petite bourgeoisie, surtout bureaucratique et la « déprolétarisation » d'une bonne partie de la masse ouvrière, soit du fait l'effritement sans précédent des revenus, soit par la perte d'emploi. Ce qui se traduit, sur le plan social par un appauvrissement progressif et continuel des différentes couches sociales au point qu'elles frisent toutes l'indigence. Ainsi, se développent les activités du secteur informel, sous leurs divers aspects, pour se sauver de cet océan de misère. Ces activités, ainsi que le témoignent plusieurs études, se pratiquent dans toutes les couches de la société.

Dans un tel environnement où les structures formelles de production ne concernent qu'une petite portion de la population, où toutes les catégories sociales frisent l'indigence et vivent de l'informel et où le travail défini par rapport au savoir faire ou à l'expertise ne garantit pas un mode de vie décent, la profession qui montre le rôle joué dans l'économie (source revenu) et l'instruction cessent d'être les catégories opératoires pour le découpage de la société en différentes strates. La lutte pour la survie étant âpre et engageant toutes les couches sociales, il apparaît que la situation de classe soit le fondement de la stratification sociale.

4.1.2. Elites matérialistes et ostentation distinctive.

L'action de l'élite politique qui a succédé au colonisateur a déclenché le processus de déconstruction de cet édifice social. Ses motivations matérialistes l'ont conduite à une accumulation spécifique des richesses, notamment par le pillage des ressources nationales à son seul profit. En effet, cette élite va profiter de son capital politique pour se donner un capital économique. Elle a cherché, par divers mécanismes, à contrôler l'appareil économique. Ou encore, « faute de disposer du contrôle effectif de l'appareil économique, elle concentre entre ses mains la majeure partie des revenus distribués et par ce biais, influence le circuit économique intérieur au niveau de la consommation, de la structure des prix, du niveau de vie... »83(*) . Ainsi, par des déviations et des raccourcis faciles, cette élite s'est dotée des principaux moyens de production. C'est dans cette perspective qu'il faut situer la zaïrianisation et d'autres programmes économiques dont l'exécution a tracé la voie royale à l'embourgeoisement de cette classe. Elle s'est aussi, comme le colonisateur, fabriquée catégorie des auxiliaires recrutés non pas en fonction de leur compétence et expertise mais sur base des quotas ethniques ou tribaux, du militantisme au sein du parti-Etat (Mouvement Populaire de la Révolution), du clientélisme, du népotisme, etc.

Les ressources que s'est amassé cette couche sociale, ont servit essentiellement à l'achat à l'étranger des biens de prestige ou des biens de consommation de luxe. Ainsi, face au dénuement de la majorité de la population, cette élite oppose sa puissance matérielle pour marquer sa distinction sociale. En effet, écrit Edouard Dominique Longandjo, «les membres de cette classe (entrepreneurs, commerçants, industriels ou agro-industriels, les hauts fonctionnaires de l'Etat, prêtres, etc.) dont l'être se confond avec l'avoir, trouvent dans le deuil une occasion précieuse pour paraître et témoigner ainsi le niveau de leur réussite individuelle et, par échange symbolique, social. »84(*)

La consommation journalière de l'image de cette élite par la masse a fini par suscité en celle-ci la tendance intégrative, c'est-à-dire une inclinaison à devenir comme elle (élite). Comme l'écrivait Ibn Kahldoun, repris par Kazadi Kimbu, « les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur dans ses traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession et toutes ses conditions d'existence et de coutumes. »85(*)

Dans un tel environnement contrasté marqué par le dénuement de la majorité et l'opulence ostensible de l'élite, la position d'un individu ne peut être que subordonnée à son pouvoir économique comme nous le verrons dans la section suivante.

Section 2. Perception et attribution des positions dans le champ social.

Reprenons, en guise des prolégomènes à cette section, les termes combien expressifs de Jean Golfin à propos de la stratification. « La société, écrit-il, n'est pas un tout homogène et elle n'a rien d'une masse amorphe et indifférenciée. Ses membres se répartissent en un certain nombre de couches sociales auxquelles on donne le nom de strates, emprunté à la géologie. Ce phénomène est perçu et ressenti subjectivement dans la société, c'est à ce sentiment que correspond la vision commune verticale que les membres ont de l'ensemble social et qui fait dire quand on passe d'une strate inférieure à une strate supérieure que l'on monte. »86(*)

Ces propos de Jean Golfin sont révélateurs de la structuration de tout système, mieux, de tout champ social. En effet, tout champ social se structure à la suite de la polarisation des positions considérées socialement comme supérieures ou inférieures ou, comme dans le jargon bourdieusien, en positions dominantes et en positions dominées. Ce qui assure la domination de certaines positions sur les autres, c'est l'inégale répartition du capital spécifique qui circule dans le champ social. Ce qui induit que percevoir et évaluer un individu signifie déterminer sa position dans le champ social en fonction du volume du capital spécifique qu'il détient.

Revenons sur la conjoncture de l'informalité décrite à la section précédente pour comprendre le mode de stratification sociale en cours dans notre univers d'enquête. L'économie informelle dans son développement répond à la question « Who shalls survived ?» (Qui survivra ?) que s'est posé J.L. Moreno aux années trente à la suite de la grande crise qui avait secoué l'économie mondiale. S'il est vrai que la survie à laquelle répond l'économie informelle relève du biologique, le maintien en vie des personnes confrontées à la crise économique, il est aussi vrai qu'elle tient principalement du social, de l'existence sociale de ces personnes en tant qu'êtres humains, maîtres du monde et de son destin. Tel nous le déduisons des écrits de Janet MacGaffey sur l'économie informelle qu'il qualifie d'économie de la débrouillardise. Il écrit : « les stratagèmes déployés afin de venir à bout des difficultés de la vie quotidienne représentent non seulement la lutte pour la survie, mais aussi, tantôt la résistance à l'écrasement, tantôt la poursuite d'occasion qui facilitent la mobilité sociale ou consolident le rang dans la société. (C'est nous qui soulignons) »87(*). Dans un tel environnement, marqué du sceau de la nécessité, les différences sociales procèdent de la perception des conditions matérielles d'existence. Il se développe ainsi dans la population en proie à la crise une conscience de condition dont le mode le plus expressif est l'aspiration au plus grand bien-être. Par conséquent, la différence dans les conditions matérielles d'existence devient le paramètre déterminant dans la hiérarchisation des individus. Partant, c'est en termes des niveaux ou des rangs sociaux et non de classes qu'est perçue la structure du champ social. Et les oppositions entre ces niveaux s'articulent non pas autour de divergence des intérêts mais plutôt d'inégale attribution de l'honneur ou prestige social.

4.2.1. Assignation de la condition sociale à Ngaba

La condition sociale, dans la terminologie wébérienne, désigne la chance caractéristique pour un individu d'accéder à l'« honneur social ». Elle se matérialise dans la vie quotidienne par la considération sociale que l'on témoigne à certaines personnes. Dans cette optique, être considéré signifie jouir d'un honneur parce que classé dans une position enviable par les autres membres de la communauté. En d'autres termes, la considération sociale implique l'assignation des rangs sociaux à des individus jugés dignes d'y être placés compte tenu de leur profil. Il s'agit, en langage managérial, d'affectation à des différents postes des individus en fonction de leur compétence.

En rapport avec la considération sociale, les résultats de nos enquêtes attestent que les habitants de Ngaba n'enferment pas tout le monde dans le même panier. Ils assignent aux individus des rangs sociaux et démontrent, par ce fait même, leur conscience des différences sociales. Les réponses à la question de savoir si dans leurs quartiers respectifs tout le monde jouit de la même considération sociale, sont révélatrices à ce propos : 73,5% des enquêtés ont répondu que dans leurs quartiers, tout le monde ne jouit pas de la même considération sociale.

Ce résultat corrobore le vécu quotidien. Il est courant, à Ngaba, d'entendre, au titre d'attribution inégalitaire de la considération sociale, des propos tels « keba azali mutu munene » (faites attention, c'est un grand homme) ou « alongua kuna, azali mutu pamba » (qu'il s'en aille, il ne vaut rien) pour élever ou rabaisser un individu sur (de) l'échelle sociale.

Ces propos, à notre avis, dénotent un processus d'hétéro-évaluation et d'auto-évaluation par lequel un individu apprécie le rang social des autres non seulement en fonction du volume de leur capital agissant dans le champ social mais aussi par rapport à ce qu'il détient lui-même. Par ce processus, on débouche sur un constat de supériorité, d'égalité ou d'infériorité statutaire de la personne évalué.

D'autre part, dans la mesure où nous avons mentionné plus haut que le champ social est un espace des rapports de force entre les forces sociales en présence, il implique une vue commune de l'ensemble des agents sur la situation du champ, c'est-à-dire les principes de sa structuration et la distribution de ces principes dans les différents corps qui constituent ce champ. Ce faisant, nous estimons que l'attribution inégalitaire de la considération sociale induit une dialectique de « crédulité- incrédulité » qui marque de ses empreintes les interrelations sociales à Ngaba. En effet, elle montre la croyance des tous dans le capital agissant (argent), à son efficacité et sa légitimité. Elle est en même temps une incrédulité, c'est-à-dire un refus de reconnaissance d'un autre capital autre que le capital agissant (comme la vertu éducative), jugé d'illégitime dans un contexte donné.

La question qui découle de cette observation de l'inégale attribution de la considération sociale est celle de savoir pourquoi tout le monde ne jouit pas de même considération sociale. Il est évident, comme dit ci-haut, que la chance d'accès à l'honneur social dépend de la situation, des ressources et de la stratégie. La situation ayant été décrite, et pour ne pas anticiper le débat prévu à la section 3 sur les stratégies, examinons à présent les ressources qui font bénéficier de la considération sociale dans la Commune de Ngaba.

4.2.2. Assignation patrimoniale des status sociaux.

La discussion amorcée au point précédent a démontré l'inégale attribution de la considération sociale parmi les habitants de Ngaba sans en préciser le fondement. Par ailleurs, nous avons montré que cette attribution inégalitaire induisait l'affection des individus à des catégories sociales en fonction des ressources détenues. En fonction de ces ressources, on occupe soit la position dominante, soit la position dominée.

Mais quelles sont ces ressources qui, dans le contexte de Ngaba, procurent l'honneur social ? Les résultats de nos enquêtes en rapport avec cette question font apparaître qu'à Ngaba, l'honneur social se fonde essentiellement sur le confort matériel ainsi que l'ont affirmé 74% de nos enquêtés. En termes plus explicites, la base d'évaluation sociale à Ngaba est principalement matérielle et financière. La possession des biens matériels confère plus de considération sociale que les vertus morales, éducatives, ou le niveau d'instruction. Nous qualifions d'assignation patrimoniale cette attribution des statuts sur base de l'avoir matériel.

Partant de ce mode d'assignation statutaire, nos enquêtés ont du champ social une vision dichotomique, mieux dualiste. D'une part, ils situent dans un pôle « les gens fortunés » (batu ya mbongo) et dans un autre les « les démunis » (babola). Ils classent dans le premier pôle, celui des dominants, tous ceux dont la vie quotidienne et le confort matériel attestent qu'ils ont l'argent, c'est-à-dire les gens qui peuvent manger à leur faim, mettre leurs enfants dans de bonnes écoles, les faire soigner dans des établissements médicaux réputés, acheter des cadeaux, à l'occasion des fêtes et anniversaires, organiser des deuils et retraits de deuil de façon somptueuse. Rentrent dans cette catégorie les bana Lunda, les commerçants, les hauts cadres des entreprises, des grands cambistes, etc.

Dans le deuxième pôle (celui des dominés) ils rangent les agents de l'Etat, les enseignants tant du primaire, de secondaire que du supérieur et des universités, les soldats et officiers, les tenanciers des petits métiers et commerce, les maraîchers et maraîchères, les sans emploi, bref, tous ceux que E.D.O Longandjo appelle les Waleo-leo, c'est-à-dire qui vivent au jour le jour grâce à la débrouille. Ce pôle, remarquons-le, comprend même les catégories qui jadis faisaient partie des classes moyennes et même de la petite bourgeoisie. Par celle-ci, Falangani Mvondo Pashi entend, tel est aussi notre entendement, « une catégorie faite de cadres de l'Etat, des sociétés privées et para-étatiques (ingénieurs, médecins, juristes, enseignants), donc des universitaires ou assimilés, qui peuvent exercer diverses fonctions, mais dont les revenus (officiels) proviennent principalement d'un salaire régulier . Une famille de la petite bourgeoisie est une famille qui peut vivre décemment de son salaire. »88(*). Ces salariés, comme les décrit Gauthier de Villers, étaient alors des hommes, et ces hommes, grâces à des salaires qui leur permettaient d'assurer à leurs familles un mieux-vivre, étaient des maîtres incontestés et respectés. Ils sont, à ce jour, détrônés et vivent dans la honte une inversion de rôles du fait de la désalarisation massive de l'activité économique, liée à la suppression de nombre d'emplois due à la fermeture d'entreprises et de la réduction d'activités, mais également -en particulier dans le secteur public- à la valeur dérisoire de rémunérations qui, en outre, ne sont plus assurés qu'irrégulièrement.89(*) La précarité de leur rémunération entraînant la précarité de leurs conditions matérielles d'existence, ils éprouvent le sentiment de déclassement social « désembourgeoisement » et passent aux yeux des habitants de Ngaba pour les misérables et donc de gens de moindre considération sociale.

Nous le voyons, l'argent s'avère donc un élément qui fait bénéficier de la valeur ou l'estime et le poids social à tel individu plutôt qu'à tel autre. Ceci transparaît dans le remord que ressentent certains enquêtés interrogés à ce sujet. Ils déclarent que dans leurs quartiers ce sont les « gens fortunés » (les batu ya mbongo) qui bénéficient de l'honneur social. Cette attitude, renchérissent-ils, se fait observer même au sein des familles où on accorde de plus en plus crédit, honneur et respectabilité aux membres « nantis », même s'ils sont cadets ou moins compétents pour résoudre tel ou tel problème. Ce sont eux qui sont consultés en premier lieu s'il y a un problème en famille, ils peuvent même décider unilatéralement de certaines questions qui nécessitaient jadis la convocation du conseil de la famille.

Le confort matériel se laisse apercevoir par l'aisance de vie ou le train de vie élevé par rapport à la moyenne des habitants d'un quartier. Cette aisance de vie est perçue à travers certains indicateurs dont les plus importants sont le logement, l'alimentation, l'habillement et le moyen de déplacement qui, en fait, constituent les maillons forts de la chaîne des difficultés rencontrées par les habitants de la Commune de Ngaba.

Au sujet du logement, il convient de rappeler que Ngaba est une Commune d'auto-construction où du fait de la pauvreté de la majorité des habitants, il s'est développé un logement trop précaire à double point de vue : la qualité de construction et le statut d'occupation. La plupart des maisons sont construites en parpaing, de petite dimension et cloisonnées en deux pièces généralement. En outre, du fait de l'absence d'une politique nationale en matière de logement et des prix exorbitants des parcelles, il s'y est développé un logement locatif qui accueille tous ceux qui n'ont pas de parcelle. Dans ces conditions, un logement décent est un privilège auquel n'accède qu'une minorité. Ainsi, avoir une parcelle, surtout une parcelle clôturée, une maison décemment construite et particulièrement dans le quartier « Righini II» (en réalité quartier Mbulambemba), fait émerger quelqu'un du lot et le place dans une « autre » catégorie sociale. Si celle-ci est somptueusement équipée, cela est un motif de fierté pour son propriétaire et invite à ce qu'il soit socialement honoré.

Vient ensuite le domaine de l'alimentation. A Ngaba, manger régulièrement chaque jour est un parcours de combattant. En cette matière, l'évaluation sociale porte sur la fréquence de repas, la quantité et la qualité de la nourriture consommée et la manière de la consommer. Sont qualifiés de « batu ya mbongo », ceux qui s'offrent trois repas par jour ; prennent un « déjeuner lourd » (du thé, du lait, omelette, margarine, etc.); mangent régulièrement la viande et se servent des couverts (fourchette, couteau, etc.). Aux yeux des habitants de Ngaba, nous a révélé un enquêté, manger les légumes tous les jours est une expression de la pauvreté et une indignité pour ceux qui possèdent l'argent. C'est dans cette optique qu'il convient de placer des propos méprisants tels que « oliaka nini ya malonga, biso nyonso toliaka kaka matembele » (que mangez-vous de spécifique, nous tous nous mangeons de feuilles de patates), lorsqu'il y a une dispute entre deux familles dont l'une est perçue ou se prend comme (pour) nantie. La part de l'alimentation dans l'évaluation sociale d'un individu est si prégnante qu'elle est à l'origine de plusieurs conflits entre familles, surtout lorsque celles-ci cohabitent dans une même parcelle.

C'est dans le domaine de l'habillement que se lisent généralement les différences sociales. Etre capable de renouveler régulièrement sa garde-robe, et particulièrement se procurer les habits coûteux, place un individu dans un status social élevé et procure prestige. Ici, il sied de mentionner le plébiscite des habits importés de l'Europe ou des Amériques dont le port brise l'anonymat et hisse l'individu au sommet de la hiérarchie sociale.

Enfin, la possession d'une voiture est, pour la majorité des habitants de Ngaba, un signe de fortune et montre un sens de responsabilité et d'organisation élevé du propriétaire.

Au regard des faits exposés ci-haut, le confort matériel dévient non pas un indice essentiel de la place dans le système de stratification mais crée cette place. Il (le confort matériel) est, ce faisant, la cause de la position d'un statut dans la hiérarchie. Réunir toutes ces ressources (logement décent, alimentation équilibrée, habillement fourni et voiture) confèrent une position privilégiée sur l'échelle sociale ; en être dépourvu relègue dans le statut inférieur. Il résulte que la perception et l'évaluation sociale d'un individu repose non pas sur ses qualités, moins encore sur ses réalisations, mais plutôt sur son acquis. Ce qui, en filigrane, laisse transparaître une « conscience de condition » caractérisant cette population de Ngaba. Celle-ci, en effet, à la suite de Clément Mwabila Malela90(*)est une reconnaissance d'une situation sociale, d'une position dans la stratification sociale en référence aux conditions matérielles des autres catégories sociales. Ainsi, comme le fait remarquer Jean Cazeneuve, la mobilité sociale est désordonnée dans le pays en voie de développement. Les stratifications en milieu urbain sont plus génératrices de modes de vie différents que de conscience de classe91(*). Cette appréciation comparative de sa position sociale suscite un sentiment tantôt de jouissance de privilèges matériels qui confèrent un niveau social supérieur tantôt un sentiment de privation de ces privilèges recalant dans couches inférieures.

Comme nous pouvons le remarquer, la perception dans la perspective de la « conscience de condition », se situe au « niveau micro-dimensionnel, c'est-à-dire le niveau de la vie quotidienne, de l'agir immédiat, de ce qui, dans les comportements des acteurs sociaux, est directement perceptible et donc maîtrisable... Elle ne cerne pas le niveau macro-dimensionnel de la réalité sociale qui retient les structures qui informent socialement ou culturellement la globalité structurale de l'ensemble sociale. La perception de ce niveau macro-dimensionnel requiert la médiation d'une analyse sociale explicite ou implicite ... car elle concerne les structures sociales ou culturelles, les rapports sociaux, autrement dit la globalité de l'ensemble social. Il faut une analyse des facteurs socio-culturels pour percevoir des liaisons non visibles au niveau de l'action immédiate »92(*).

Par ailleurs, ces faits suggèrent que la majorité de la population de Ngaba baigne dans la culture de pauvreté qui caractérise la plupart des congolais depuis quelques décennies. Cette culture suscite tantôt un sentiment d'infériorité, de supériorité, tantôt celui d'adversité à l'égard des personnes menant un train de vie moyen qui sont perçues comme riches ou supérieures ou encore comme auteurs de leur paupérisation, c'est-à-dire cause de leur marginalité sociale.

Cela se comprend aisément lorsque nous prenons en compte le contexte de paupérisation généralisée dans lequel les congolais pataugent depuis longtemps. De par ce contexte, manger bien et à sa faim, avoir une voiture, résider dans une maison décente, ...sont perçus comme des indicateurs de richesses ou de promotion sociale, sinon de vantardise, d'ostentation, de dépenses inutiles. Nous enregistrons là un effet de la pression sociale sur les perceptions qui entraîne certaines personnes à développer des motivations subjectives, des stéréotypes.

Le confort matériel est-il un facteur unique et exclusif de la considération sociale ? Disons, à la suite de Michel De Coster que « si la facilité d'accès aux biens tend à devenir à la limite une condition nécessaire de l'appartenance à un groupement de prestige, elle n'en est jamais la condition suffisante. (...) la considération ou l'honneur qui marque le groupement de prestige ne sont pas d'attributs nécessairement liés à une situation de classe. Au contraire, l'honneur prend d'ordinaire nettement ses distances avec les prétentions de la propriété et de l'argent quand il ne les moque point : les lazzis qui poursuivent les parvenus ou les nouveaux riches sont bien connus à cet égard... »93(*)

S'il est vrai que le confort matériel est le mode dominant de perception et d'évaluation sociale à Ngaba, l'instruction et les vertus morales pèsent aussi, quoique subsidiairement, dans l'estimation du rang et de la valeur sociale d'un individu, comme l'ont affirmé quelques enquêtés. L'instruction nourrit encore les rêves d'ascension sociale de certaines personnes et mobilisent les énergies, comme le démontrent les manifestations organisées à l'occasion des publications des résultats des examens d'Etat et de collation des grades académiques dans les universités et instituts supérieurs de la ville de Kinshasa. A propos de l'instruction, Drachoussof rapporte que dans la zone tropicale plus encore qu'en Occident, une instruction plus élevée est souvent le passeport qui fait monter un homme des rangs inférieurs de la société dans les classes moyennes94(*). C'est ainsi que, constate Ngokwey, ce besoin d'ascension sociale par l'instruction peut se mesurer à l'intérêt porté par la population au développement de l'enseignement, au surpeuplement des classes et à l'augmentation du taux de scolarisation des filles. Subsidiairement, parce que son prestige a été érodé par le chômage auquel sont confrontés la plupart des diplômés, le mauvais traitement qui leur est réservé dans l'administration publique et par la baisse du niveau constaté depuis des années qui traduit la débâcle du système d'enseignement au Congo-Kinshasa. Toutefois, l'instruction continue à fasciner comme un atout virtuel qui peut ouvrir le chemin de la mobilité sociale, à condition qu'elle procure un emploi rémunérateur.

Même si l'instruction en soi ne n'attribue pas une place de choix dans la hiérarchie des statuts, il reste néanmoins une ressource potentielle et un étalon d'appréciation du poids social d'un individu. Cela ressort, dans la quotidienneté de Ngaba, des allégations positives formulées au bénéfice de certaines personnes en termes de « crâne » ou «  mokua bongo » (tête bien faite) pour attester la solidité de leur niveau d'instruction le distinguant non seulement du commun des mortels, mais aussi des autres « alphabétisés ». Par ailleurs, l'instruction, avons-nous constater, ragaillardit la position de ceux qui jouissent d'un pouvoir matériel et constitue un élément de discrimination entre ceux-ci. Ainsi, un intellectuel qui a une commodité matérielle jouit de plus de prestige qu'un nantis analphabète. Tout se passe comme si l'instruction ne peut procurer de la considération sociale que si elle est associée à un bon standing social.

Enfin, la spiritualité, comme l'ont montré nos enquêtes, intervient dans l'évaluation sociale d'un individu et place les serviteurs de Dieu en bonne position sur l'échelle sociale. Ces « Ministres de Dieu », comme ils préfèrent être appelés, trouvent leur pouvoir surtout dans le contexte de l'hyper-religiosité qui prévaut non seulement à Ngaba, mais dans toute la ville de Kinshasa ainsi que l'ont démontré diverses études, notamment celle de Kapagama. Les données relatives à l'identification des enquêtés l'attestent également, tous nos ont déclaré appartenir à une église et la majorité d'entre eux prient dans les églises de réveil. Le prestige des « Ministres de Dieu » repose sur leur pouvoir présumé ou réel d'opérer les miracles, de dispenser la bénédiction, de chasser les démons de servitude, de pauvreté et de libérer de liens de la coutume, etc. Bref, le pouvoir d'ouvrir la voie au bonheur.

Nous voyons se structurer le champ social autour des forces sociales qui monopolisent les atouts indispensables dans la trame des relations sociales (du jeu social). Rappelons, dans le contexte de Ngaba, ces différents pouvoirs, à savoir : le confort matériel, l'instruction et la spiritualité qui, surtout dans le milieu féminin, s'affirme de plus en plus comme facteur structurant des rapports sociaux. Mais, dans les interrelations quotidiennes, le confort matériel comme pouvoir, inféode l'instruction et la spiritualité et les soumet à sa logique. Ces deux dernières ne peuvent émerger que si elles s'associent à lui.

Ainsi, les positions les plus en vue dans le champ social sont celles qui se structurent autour de l'avoir matériel et qui se polarisent dans deux groupements « antagonistes », à savoir : les nantis appelés de « batu ya mbongo », une espèce de « strate d'argent » et les démunis, les « babola », les misérables. C'est dans ces deux groupements que sont classés les agents sociaux auxquels est inégalement attribuée la considération sociale, bien sûr en faveur des premiers. Les résultats de nos enquêtes sont éloquents à ce sujet : 76,5% des enquêtés ont affirmé que dans leurs quartiers respectifs, ce sont les détenteurs d'un avoir économique remarquable qui jouissent d'une considération sociale. Ces appréciations montrent toutes le sentiment qu'a chacun d'une stratification dualiste des habitants de Ngaba opposant nantis et démunis, dualisme qui se renforce avec les disparités sociales dues à l'exaspération de misère socio-économique. Le « luxe » des uns devient insupportable quand la pauvreté de la masse s'affirme. Ce sentiment de la dualité des positions sociales s'exprime par des adages tels que « matanga ya mozui eleki fête ya mobola » (le deuil chez un nanti vaut plus que la fête d'un pauvre). Ce qui ne va pas sans heurts qui résultent souvent du décalage que les agents sociaux observent entre le classement et l'auto-classement dans ces deux groupements. Nous y reviendrons.

Il se dessine une structure des rapports qui met en présence les fractions dominantes et les fractions dominées déterminées par la structure de répartition des capitaux qui y détermine la position sociale dans l'un ou l'autre camp. Vraisemblablement, cette structure se présente comme suit dans le contexte de Ngaba :

La fraction dominante est constituée des détenteurs du pouvoir économique. Dans cette fraction, les nantis instruits détiennent le monopole du prestige social sur les nantis moins ou non instruits. La fraction dominée se forme des démunis parmi lesquels les personnes instruites sont en position privilégiée par rapport aux analphabètes. Les premiers du fait de leur instruction estiment avoir accéder à une civilisation supérieure et nourrissent l'espoir de voir leur situation s'améliorer alors qu'ils croient que les horizons sont totalement bouchés pour les second.

4.2.3. Contraintes existentielles, capital social et fluidité des frontières entre groupements sociaux.

Les frontières entre ces deux catégories sociales (gens fortunés et démunis) ne sont pas étanches. Elles sont fluides et labiles, et les positions, dans ces catégories, sont tellement instables et précaires que l'on peut basculer facilement dans l'une ou l'autre d'entre elles. La chute des gens fortunés dans l'infamie des démunis et l'ascension de ces derniers dans le cercle des privilégiés se fait sans régulation. D'autre part, comme nous l'ont révélé la majorité des enquêtés (87,5%) voir tableau XII, les habitants de leurs quartiers respectifs se fréquentent, aussi bien entre les démunis que entre ceux-ci et les gens fortunés. Dans leur comportement quotidien, les habitants de la Commune de Ngaba sont mus par la volonté d'élargir et de renforcer, chacun en ce qui le concerne, le réseau de relations sociales tant au niveau de la famille, de la parcelle, de l'avenue, du quartier que de la Commune et de la Ville. C'est à ce titre que les « gens fortunés » ou perçus comme tels et les démunis se trouvent impliqués dans plusieurs réseaux polymorphes des relations sociales liquéfiant ainsi les barrières sociales entre eux.

Il ressort de l'observation minutieuse que cela tient de la nécessité existentielle. Nombreux de nos enquêtés, à la question de savoir pourquoi les gens se fréquentent beaucoup, ont justifié la forte fréquence des contacts sociaux par le fait que personne dans leur quartier ne peut se suffire à lui-même et que grâce aux bonnes relations avec les autres, il était possible de résoudre plusieurs problèmes que l'on rencontre dans la vie quotidienne. Ce point de vue des enquêtés corrobore les perspectives théoriques développées par S. Shomba dans le Séminaire des Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo contemporain, destiné aux doctorands en Sociologie et Anthropologie. Il écrit à ce propos que « l'entraide et l'échange de services entre voisins sont des comportements répandus en milieu populaire. La serviabilité, la générosité, la solidarité y sont fort valorisées. Ce système d'entraide comporte des avantages matériels immédiats. Il permet de mieux faire face aux coups durs de l'existence : manque d'argent, maladie, vieillesse ...autant de difficultés pour lesquelles on peut compter sur l'aide de ses proches. Le « faire ensemble » est le langage de prédilection des contacts sociaux ».95(*)

Les enquêtes que nous avons menées en janvier 2004 à Ngaba dans le cadre de ce séminaire nous ont permis de nous rendre compte de l'importance des relations sociales, surtout avec les voisins, non seulement comme palliatif de la précarité matérielle mais aussi comme facteur de réduction de la distance sociale. Une certaine convivialité semble sceller les rapports sociaux dans notre univers d'enquête. Les voisins se demandent et s'échangent des biens et des services de tout genre, du sel au fer à repasser en passant par l'huile, les allumettes, l'eau fraîche (refroidie au frigo), le savon, la farine de maïs ou de manioc, etc. Ils s'invitent mutuellement à la table, les uns suivent la télévision chez les autres, sollicitent leur réchaud ou brasero pour préparer la nourriture. En cas de coupure de fourniture d'électricité ou d'eau, on se raccorde au réseau du voisin ou on va y puiser l'eau de puits. Par-dessus tout, on se prête les habits, souliers, bijoux, etc. pour certaines sorties. Cette convivialité compense la dureté de la vie. Elle atténue les stress et les frustrations qui résultent de dénuement dans lequel vivent les enquêtés et rend quasi inexistants les cas de suicide et de dépression mentale souvent rencontrés dans les sociétés trop individualistes de l' « Occident ».

La constitution, la gestion et le maintien du capital social, et par conséquent la réduction de la distance sociale, se réalisent par le biais de plusieurs mécanismes. D'abord, dans les mutuelles tribales qui réunissent « gens fortunés » et démunis. Ces mutuelles dont la finalité est de raviver la tradition ancestrale d'une communauté tribale, constituent des espaces de rapprochement entre les différentes catégories sociales ; un moment d'affirmation ou de confession de l'unité entre les nantis et les démunis d'une ethnie et une instance de redistribution des avoirs des nantis en faveur de démunis à travers les cotisations qu'ils concèdent pour le compte de la mutuelle. Ensuite, le capital social se gère à travers la solidarité témoignée aux habitants de l'avenue ou du quartier à l'occasion de certains drames existentiels, notamment le deuil. En effet, l'assistance à la famille éprouvée, quel que soit son train de vie semble être la règle d'or. Toutes les catégories sociales, les jeunes, les femmes et les hommes s'illustrent mieux en cette matière. Dès que le décès est annoncé, les jeunes se déploient dans le quartier pour collecter l'aumône en faveur de la famille éprouvée. Ils courent dans toutes les directions pour négocier et obtenir le catafalque, la chapelle ardente, le cercueil, le corbillard, etc. d'autres se chargent de creuser la tombe où sera enseveli le mort. Et le jour de l'inhumation, ils portent le cercueil sur les épaules, font la procession pour sublimer l'illustre disparu et l'accompagne jusqu'à sa dernière demeure. Ils animent les veillées mortuaires. Les femmes viennent compatir avec leur consoeur éprouvée et pleurent avec elle son mort qui devient leur mort, s'activent à préparer le repas qui sera servi à l'assistance. Les hommes eux viennent présenter leurs condoléances le soir après les courses de survie. Quand la nuit tombe, tout le monde la passe au lieu mortuaire. C'est cette chaleur humaine qui caractérise la vie dans la Commune de Ngaba et lui donne un sens dans une société où la misère côtoie la majorité de la population.

Le réseau de relations n'est pas seulement profitable aux seuls démunis mais aussi aux gens fortunés, surtout lorsque ceux-ci ont leurs activités dans la Commune, comme l'a observé P. Kapagama96(*). Parce que l'économie informelle procède de la confiance et des liens sociaux, la fidélisation de la clientèle passe par des bons rapports qu'on entretient avec les gens de son quartier qui dorénavant s'approvisionneront dans l'établissement d'une « connaissance » et espérer bénéficier à l'avenir des crédits. Ainsi, étant appelé à exercer leurs activités dans le milieu pauvre, les nantis entretiennent de relations avec leurs voisins et autres personnes pour créer une bonne image d'eux-mêmes et maintenir la clientèle.

Au delà des profits matériels que rapporte le capital social, il sied de mentionner le profit symbolique qu'il procure (aux gens fortunés) et qui semble motiver le maintien des contacts sociaux avec les autres habitants du quartier. Ainsi, par ses contacts, ses interventions ou implications dans la recherche des solutions aux problèmes qui surviennent aux voisins (maladie, deuil, etc.), le nanti qualifié de social ou cool, c'est-à-dire d'un abord facile bénéficie d'un prestige social ou de la considération dans le quartier. En passant pour un homme simple, comme s'il niait son statut de nanti et se rapprochant de plus en plus des démunis, il se distingue des autres nantis qui vivent repliés sur eux-mêmes que les jeunes qualifient de « vieux bombases », c'est-à-dire qui friment à cause de leur avoir matériel.

En outre, le capital social participe aussi au réconfort de la position social d'un individu. En effet, Certaines personnes du fait de leurs relations avec des personnalités de la Ville jouissent d'un prestige et considèrent qu'elles occupent une position privilégiée par rapport aux habitants de leur quartier. Telle est la situation de ceux qu'on appelle généralement les « ndeko ya... », C'est-à-dire les frères de... (telle personnalité), des conseillers ou amis des ministres, des Pdg, Officier militaire, etc. Ils exploitent la position sociale de cette personnalité pour s'attribuer une place dans la hiérarchie des rangs. De manière générale, ils distinguent par leur arrogance, triomphalisme et exhibitionnisme.

Terminons ce point par l'examen de la nature des rapports entre les « gens fortunés » et les démunis. Il nous est difficile d'affirmer la domination et d'exploitation politique, économique et culturelle des « gens fortunés » sur les démunis. Même si ceux-la influencent négativement la vie de ces derniers du fait de leur intervention sur les marchés des biens et des services, il s'observe que les marginalisés font irruption sur ces marchés pour leur contester le monopole. Comme l'écrit Janet MacGaffey, « The rich and powerfull have superior access to resources and consolidate their social position by participating in the second economy, but they have non institutionalized means to monopolize its activities, many of witch are accessible to the general population. » 97(*)

La domination des gens fortunés sur les démunis tel que cela nous paraît, s'exerce sur le plan symbolique par la détention et la manipulation exclusive des biens qui procure le prestige social.

4.2.4. Reconnaissance et acceptabilité de ces pouvoirs.

Nous avons, au point b de ce chapitre relatif à l'inégale attribution statutaire, déduit des résultats de nos enquêtes que la discrimination en matière de l'honneur social était, d'une part, l'expression d'une affectation des individus à des statuts ou rangs sociaux différents en fonction de certaines ressources valorisées ayant cours légal dans le champ social et, d'autre part, elle signifiait une croyance par tous ceux qui y opèrent dans les principes de sa structuration. Cette croyance est vécue comme un mode des relations stratégiques entre les individus ou groupes d'individus qui mobilisent les ressources pour occuper la situation la plus favorable possible. Comme l'écrivent Accardo et Corccuf, « la réalité sociale est aussi un rapport de sens et que toute domination sociale (celle d'un individu, d'un groupe, d'une classe, d'une nation, etc. (....) doit être reconnue, acceptée comme légitime, c'est-à-dire prendre un sens positif de préférence, de sorte que les dominés eux-mêmes adhèrent au principe de leur propre domination et se sentent solidaires des dominants dans un même consensus sur l'ordre établi ». 98(*)

En effet, à la question de savoir si l'évaluation sociale sur base de l'avoir matériel était accepté par les habitants de leurs quartiers, 75.5% des enquêtés ont répondu par l'affirmative. Ce point de vue des enquêtés dénotent de la reconnaissance du fondement même de la domination à la fois par les dominants et les dominés. La reconnaissance du fondement matérialiste de la domination, dans le contexte de notre étude, transparaît dans le sentiment que les uns et les autres ont de leur situation, sentiment qui s'observe dans le complexe de supériorité et d'infériorité que font montre les « gens fortunés » et les démunis.

En effet, au cours de nos enquêtes, nous avons constaté que la majorité des diplômés des instituts supérieurs et d'universités, surtout ceux en chômage, cultivent un complexe d'infériorité vis-à-vis de « gens fortunés » et manifestaient le sentiment d'être marginalisés, seulement parce qu'ils n'ont pas d'argent. Ils jalousent les conditions de vie des « gens fortunés » qu'ils qualifient de parvenus. Beaucoup d'entre eux nous confiaient au cours de nos entretiens que «ils étaient bouleversés par l'écart des conditions de vie qui s'est créé entre eux (entendez les universitaires) et ces parvenus. Dans un pays sérieux (organisé) nous devrions avoir un niveau de vie convenable et supérieur à celui de ces parvenus qui n'ont pas notre niveau de connaissance » 

Mais la question importante que nous pouvons nous poser est celle de savoir pourquoi nos enquêtés, qui, par ailleurs, déclarent que les critères d'évaluation sociale en cours dans leur milieu sont irrationnels, les acceptent-ils en tant que tels. C'est ici qu'il convient de mentionner les effets des structures objectives sur la subjectivité des individus. Nous avons, dans les pages précédentes, relevé que, du fait du dénuement dans lequel la majorité patauge depuis plusieurs années, ils ont fini par développé la culture de pauvreté. Dans ce contexte, les gens sont trop dépendants des satisfactions matérielles, reflétant ainsi leur conscience de condition.

Sans affirmer que la croyance dans les principes de la structuration du champ social signifie l'acceptation de la domination, disons simplement qu'il s'agit là d'une résignation traduisant leur incapacité ou impuissance d'agir sur l'ordre social qui les marginalise. En effet, nombreux d'entre eux projettent mettre à profit la première occasion pour modifier leur condition sociale.

Section 3. Jeu et enjeu des discriminations sociales.

Les discriminations sociales, spécifiquement celles relatives à l'inégale attribution de la considération sociale, informent de manière plus explicite les modalités du fonctionnement du champ social qu'expriment les interrelations quotidiennes entre les habitants de la Commune de Ngaba. Rappelons ici, comme nous l'avons mentionné dans la deuxième section du premier chapitre, que le champ social est un espace de différenciation et de luttes autour de certains enjeux spécifiques pour lesquels les agents sociaux investissent des capitaux et élaborent des stratégies. Par ailleurs, comme tout processus social, les discriminations sociales supposent l'existence des acteurs, le déroulement du jeu et les enjeux.

4.3.1. Acteurs.

Par acteurs nous entendons à la fois des individus producteurs et victimes des discriminations sociales. Les acteurs qui s'impliquent dans le jeu discriminatoire varient en fonction de la nature même de la discrimination. Ainsi, les discriminations fondées sur l'avoir matériel peuvent mettre en lisse des acteurs autres que ceux qu'opposent le niveau d'instruction ou la moralité.

Les résultats de nos enquêtes établissent que les discriminations fondées sur l'avoir matériel, même si elles relèvent de toutes les catégories sociales et de tous les sexes, sont plus véhiculées par les femmes et les parvenus, alors que celles reposant sur le niveau d'instruction sont répandus plus par les hommes et les intellectuels. C'est ce qui ressort des questions de savoir quels sont le sexe et la catégorie sociale les plus impliqués dans les discriminations sociales ? (Voir tableaux XVII et XVIII).

Ces acteurs mettent en avant plan les atouts qu'ils estiment les élever socialement et relèguent au second ceux dont ils sont dépourvus et qui réduiraient leur côte sociale. Ainsi en est-il des femmes et des parvenus qui, selon nos enquêtés, mettent plus l'accent sur l'avoir matériel parce qu'ils sont faiblement pourvus en capital culturel. De leur côté, les intellectuels dont les conditions matérielles frisent l'indigence plaident en faveur du capital culturel comme critère d'évaluation sociale. Ceci est corrélatif au point de vue de P. Bourdieu selon lequel le fondement du principe de pertinence qui est mis en oeuvre par la perception du monde social et qui définit l'ensemble des caractéristiques des choses ou des personnes susceptibles d'être perçues, et perçues comme intéressantes, positivement ou négativement, par l'ensemble de ceux qui mettent en oeuvre ces schèmes, n'est autre chose que l'intérêt que les individus ou les groupes considérés ont à reconnaître ce trait et l'appartenance de l'individu considéré à l'ensemble défini par ce tarit : l'intérêt pour l'aspect aperçu n'est jamais complètement indépendant de l'intérêt à l'apercevoir. Cela se voit bien dans toutes les classifications bâties autour d'un trait stigmatisé qui, (...), isolent ce qui est intéressant de tout le reste, (...), ainsi renvoyé à la grisaille de l'indifférent et de l'indifférencié99(*).

Par ailleurs, il ressort de l'analyse des opinions des enquêtés que cette mise à l'avant d'un critère d'évaluation sociale par une catégorie donnée des personnes constitue pour elles une réaction anticipée à toute entreprise qui les inférioriserait en recourant à un autre critère. Telle est, par exemple, la situation des parvenus, c'est-à-dire des gens qui n'ont pas un profil scolaire imposant mais qui ont un pouvoir économique remarquable. Reconnaissant leur infériorité en capital culturel, ils l'évitent en le stigmatisant et en exhibant leur avoir matériel comme seul référence définitionnelle de leur identité sociale. Il en découle que, comme l'écrit P. Bourdieu, l'identité sociale est enjeu d'une lutte dans laquelle l'individu ou le groupe social et, plus généralement, tout sujet social en tant qu'il est un objet potentiel de catégorisation, ne peut riposter à la perception partiale qui l'enferme dans une de ses propriétés qu'en mettant en avant, pour se définir, la meilleure de ses propriétés et, plus généralement, en luttant pour imposer le système de classement le plus favorable à ses propriétés ou encore pour donner au système de classement dominant le contenu le mieux fait pour mettre en valeur ce qu'il a et ce qu'il est.100(*) Celui-ci amène des individus à la recherche d'une distinction sociale devant témoigner le rang social d'un individu.

4.3.2. Jeu : labelage ou étiquetage.

L'assignation d'un individu à un rang social se fait par un jeu de labelage. Celui-ci consiste en la qualification (par des épithètes) d'un individu induisant, par ce fait même, la définition de sa position dans le champ social. Le labelage apparaît ainsi comme « le jugement d'attribution pratique par lequel on assigne quelqu'un à un rang ou un status en s'adressant à lui d'une certaine manière et en s'assignant du même coup à un status. « Ces jugements d'attribution sont, en fait, des actes d'accusation, des catégorèmes au sens originel, et qui, comme l'injure, ne veulent connaître qu'une seule des propriétés constitutives de l'identité sociale d'un individu ou d'un groupe... »101(*) Sa finalité est l'octroi ou le déni d'un prestige social.

Il existe deux types de labelage. Le premier vise à situer directement une personne dans une catégorie sociale donnée, quelle soit supérieure ou inférieure ; le second à rappeler à l'ordre les usurpateurs des symboles des rangs auxquelles ils n'appartiennent pas encore.

Dans le premier type nous retrouvons des syntagmes tels que Boss, Muana Lunda, Mopao pour désigner des « gens fortunés », qui ont la facilité de manipuler l'argent. A leur côté, on rencontre les prezo ou présidents, les mikilistes, les grands prêtres. Il s'agit de ceux qui, du fait de leur profession, de leur séjour en « Occident » ou de leur savoir faire dans n'importe quel domaine jouissent d'un train de vie moyen. Ils ne vivent pas dans l'opulence comme les premiers, mais disposent du minimum vital. C'est ce groupe, selon la perception des enquêtés, qui coiffe la hiérarchie sociale.

Le deuxième groupe, dans la vision dichotomique de la structure sociale qui domine la perception du champ social des enquêtés, est celui des démunis que l'on étiquette de plusieurs manières : Muyaka, mobola, ya ngwen, muvila, mbokatier, mohuta, etc. ce sont des stéréotypes.

A propos du deuxième type, retenons les labels tels que « Muyaka azui le 15 » et « mozui ou Bomengo ya 17 heures ». Ces labels s'appliquent à des nantis de fraîche date auxquels est dénié toute culture de « haute classe ». Muyaka azui le 15 fait référence à un comportement du type ouvrier dans les vieux temps qui consistait pour un ouvrier, quelqu'un de moindre valeur sociale, qui touchait sa quinzaine à le manifestait et montrer qu'il était aussi capable, en engageant des folles dépenses. Ainsi considère-t-on les parvenus des gens qui n'ont aucune trajectoire sociale remarquable, mais qui par un concours de circonstances parviennent à se faire l'argent et adoptent un comportement ostentatoire. Bomengo ya 17 heures lui renvoie aux personnes qui pendant une bonne partie de leur vie ont broyé la misère et sur qui la lueur du bonheur n'est apparue qu'à l'âge trop avancé.

C'est à travers ce labelage que les rangs sociaux sont attribués aux individus en fonction des ressources dont ils sont détenteurs.

4.3.3. Enjeu des discriminations sociales.

Le champ social avons-nous dit est un espace des rapports des forces ou un lieu de lutte entre agents sociaux. Cette lutte, tantôt manifeste tantôt latente, suppose un enjeu, c'est-à-dire ce pour lequel les agents sociaux se sont engagés dans la lutte qu'ils doivent absolument gagner et pour lequel ils investissent des ressources de différentes natures.

De nos investigations, il résulte que des interactions souvent orageuses que traduisent les discriminations sociales ont pour enjeu majeur la quête de l'honneur social ou du prestige, c'est-à-dire ce qui touche à l'honorabilité en signe d'ascension sociale et qui appelle de la part des autres partenaires sociaux un comportement empreint de respect et de déférence. Le prestige devient ainsi, un capital symbolique mettant en lisse les agents sociaux.

Comme nous le verrons plus loin, le prestige prend diverses significations suivant le niveau auquel se trouve le requérant, c'est-à-dire l'individu en sa quête. Pour certains, il ne signifie rien d'autre que la reconnaissance d'égalité par ceux qu'ils estiment avoir un standing honorable; pour d'autres il signifie primordialement la possibilité d'éviter ou d'échapper à la qualification d'inférieur ; pour d'autres encore, il s'agit en premier chef du souci majeur de conserver sa propre évaluation supérieure. Dans un cas comme dans un autre, le prestige est un processus de promotion ontologique visant à susciter chez les autres des réactions assez favorables pour confirmer le bien-fondé de notre auto-estimation en tant que être valable. Promotion ontologique dans la mesure où l'humanité, dans le contexte de la paupérisation en cascade, est supposée se retrouver du côté de « ceux qui ont » et qui jouissent de la dignité due à l'être humain.

Nous pouvons donc dire, à la suite de M. Tumin, que « la recherche d'acceptation, d'estime et de prestige est en fait une recherche de justification et d'identité menée en termes de modes et de modèles soulignés et normalisés par l'environnement culturel dans lequel la structure des status fonctionne. L'importance des modèles culturels est déterminante, car il faut jouer le jeu des status selon les règles en vigueur sous peine d'échouer presque certainement. Ces règles prescrivent la manière de défendre une évaluation donnée, d'en poursuivre une plus élevée ou de réagir contre elle ; les valeurs et les institutions sociales déterminent la quantité et le type de considération qui seront accordés pour chaque espèce de status à un nombre établi de personnes »102(*).

En rapport avec cette remarque de M. Tumin, rappelons que Ngaba est marquée par la culture de pauvreté engendrée par la précarité matérielle dans laquelle vit la quasi-totalité de la population. Cette culture de pauvreté fait de cette population trop dépendante de la satisfaction matérielle, au point que toute la vie semble se résumer dans la « nécessité », c'est-à-dire à ce qui est utile pour assurer la survie. Dans un tel environnement socio-culturel, l'accès facile aux commodités matérielles ne peut être perçu que comme signe d'ascension sociale. Ce qui rejoint le point de vue de P. Bourdieu lorsqu'il écrit « la valeur distinctive d'un bien tient à sa rareté, c'est-à-dire le profit symbolique que procure l'appropriation matérielle ou symbolique d'un bien (oeuvre d'art), se mesure à la valeur distinctive que ce bien doit à la rareté de la disposition et de la compétence qu'elle exige et qui commande la forme de sa distribution entre les classes103(*).

Ce faisant, c'est sur le terrain de la consommation que les habitants de la Commune de Ngaba vont chercher le prestige ou l'honorabilité sociale, ainsi que le témoignent les résultats de l'enquête. En se procurant des biens, même les plus ordinaires, auxquels la moyenne des habitants du quartier ne peuvent prétendre, ont fait savoir les enquêtés, que la plupart des gens croient se hisser au sommet de la hiérarchie sociale. De manière générale, le prestige se fait remarquer par la recherche d'une distinction dans tout ce qui touche aux soins d'une personne, notamment l'alimentation, l'habillement, la coiffure et la parure, sans omettre l'acquisition de certains biens « valeureux ». C'est dans cette perspective que s'inscrit l'opinion dominante de nos enquêtés (71.5%) lors qu'ils affirment que dans leurs quartiers respectifs, les gens sont friands des biens somptueux pour marquer leur distinction sociale. En cette matière, le principe consiste à arborer les emblèmes publics du niveau de la réussite sociale atteint. Parmi ces emblèmes citons au premier titre, à la suite de nos enquêtés, le chic dans l'habillement. Il est question ici de se procurer les habits coûteux, qui portent « le griffe », c'est-à-dire la marque de la maison de fabrication par exemple yogi yamamoto, gianini, etc. et qui sont à la mode pour le moment. Les femmes, celles mariées, se lancent dans conquêtes des pagnes tels les super, et autres habits faisant fureur dans leur univers. Les chaussures ne sont pas en reste. Il faudra se procurer celles qui coûtent cher. Ici on n'achète pas la qualité mais le prix. Vient ensuite le secteur de la parure. Dans ce secteur, le port des bijoux en or, opposés à ce qu'on appelle plaquage (or plaqué), et l'usage des produits cosmétiques et dénoircissant passent pour le meilleur moyen d'illustrer son niveau de vie. Tout se passe comme si le brunissement de la peau signifiait l'élévation sociale et que l'être était co-substantiel de paraître. Comme l'écrivent S. Shomba et G. Kuyunsa, à propos de la mode (vestimentaire) dans le milieu socio-culturel congolais : « ...être à la mode, représente l'élévation sociale du statut social de l'individu. Une dame peut être professeur d'université, médecin... mais si son paraître n'est pas remarquable, elle ne vaut pas grand-chose socialement parlant. La mode passe pour le thermomètre ou le symbole du statut social et économique du mari ». Par conséquent, « au Congo, la mode affranchit l'individu. La lutte pour la mode vise l'actualisation du désir d'acquérir prestige et notoriété. Elle se veut être l'emblème d'une distinction singulière, ou l'appartenance à un groupe prestigieux... »104(*)

Un autre secteur où l'on marque sa distinction est celui de téléphone cellulaire. Etant donné la socialisation quasi-totale de cet instrument de communication dans la ville de Kinshasa en général, et à Ngaba en particulier, c'est le téléphone le plus coûteux sur le marché qui doit élever son propriétaire. A ce jour, la marque SamSung semble la plus prisée par ceux qui n'acceptent pas se faire rattraper par le commun de mortel.

Par ailleurs, la distinction sociale se réalise par le biais de l'alimentation à travers laquelle il est attesté le train de vie d'une personne. En effet, ce secteur constitue la préoccupation permanente des habitants de Ngaba, comme vu dans le point précédent. Tout commence par la régularité des repas quotidiens. Pour montrer sa différence, on clame tout haut que « epayi na ngai (na biso), moto épelaka mikolo nyonso, tozalaka na délestage te. », (chez moi ou chez nous, le feu s'allume tous les jours, c'est-à-dire chez nous, nous mangeons tous les jours, nous ne connaissons pas d'interruption, bien entendu comme chez les autres). Ceci montre que manger chaque jour est un motif de fierté et raison d'être perçu comme « riche ». Ce privilège de manger tous les jours élève socialement un individu s'il est soutenu par consommation régulière de la viande et principalement du poulet et la viande de boeuf. Certains enquêtés nous ont confié que le repas fait de la viande est souvent préparé à l'extérieur.

Lorsque la consistance de bourse le permet, la distinction sociale se réalise dans l'acquisition d'une voiture, même modeste, et par le déménagement vers quartiers résidentiels de la Commune ou de la ville de Kinshasa, notamment Righini, salongo, Binza, Macampagne, Limete, Lemba, etc.

Somme toute, tout ce qui sert de signe ou de trait distinctif doit consacrer les écarts différentiels et exprimer, par ce fait même, les différences sociales les plus fondamentales. Comme le mentionne P. Bourdieu, l'univers de biens de luxe parait prédisposer à exprimer les différences sociales (...) et que la relation de distinction s'y trouve objectivement inscrite et se réactive dans chaque acte de consommation105(*).

En somme, le prestige comme profit symbolique procuré par cette marque de distinction, qui se fonde sur des objets considérés naguère comme ordinaires, se centre sur la recherche de tout ce qui frappe l'oeil, dans une sorte d'ostentation qui doit prouver aux autres que celui ou ceux qui arbore(nt) les emblèmes publics de distinction s'est (se sont) socialement distancé(s) ou éloigné(s) du commun de mortels, entendez la misère.

Nos enquêtés, par ailleurs, ont fait mention de la part combien considérable de la dimension esthétique dans l'ostentation distinctive. Le luxe, le beau, l'éclatant, le frappe l'oeil occupent une place de choix dans le marketing de l'image de soi. Cette attitude ostentatoire, ont-ils affirmé, est trop marquée dans la catégorie de ceux qu'on nomme « bana lunda » et leurs épouses. Leur retour à la maison, lorsque leurs poches sont garnies des « billets verts » (dollars américains) est toujours sensationnel et s'apparente à un véritable « duel des fringues ». Ils le témoignent d'abord par des libéralités accordées aux amis et frères, aux voisins (principalement la boisson); par l'exhibition des dollars Us, l'acquisition des biens luxueux, le changement de décor de la maison et l'appui aux fans-clubs. Cette ostentation prend un relief particulier chez leurs femmes à travers la mode vestimentaire. La recherche de distinction poussent certaines femmes à se brunir la peau, à se vêtir ou se chausser de telle ou telle façon, à s'encombrer de plusieurs bagues, chaînettes, et gourmettes en or sur tous les doigts, au cou, au nez, aux bras et aux jambes, etc.

Conscients de leur situation nouvelle, ces bana Lunda font des efforts systématiques pour quitter leurs quartiers, modifier leur façon de s'habiller, de se nourrir et même de parler, et tout ce dont il est généralement tenu compte pour identifier le niveau de prestige que l'on revendique. Ils imitent, ainsi que fait remarquer M. Tumin le mode de vie de ceux qu'ils souhaitent se voir admis comme égaux106(*).

Par ces ostentations ils espèrent et croient entretenir leur domination symbolique sur les autres habitants du quartier.

La distinction par des valeurs culturelles notamment par l'instruction, bien que partiellement masquée par la conjoncture de la nécessité matérielle, constitue encore une arme ou un argument dans la course pour le prestige social. Nous l'avons déjà souligné lorsque nous évoquions la liesse populaire subséquente aux publications des résultats des examens d'Etat et à la collation des grades académiques dans les universités et instituts supérieurs de la ville ainsi que les sacrifices consentis par les parents pour scolariser leurs enfants. Ainsi, pour ceux qui croient encore dans le capital scolaire, parler la langue française est un signe de distinction par rapport à la majorité d'incultes qui n'ont pas atteint ou franchi le seuil du « rond point Ngaba ».107(*) Leurs enfants doivent s'exprimer en français pour attester qu'ils sont la progéniture des intellectuels.

Mais cette marque de distinction subit à coup de massue un processus de nivellement par le bas de la part de la majorité de ceux qui sont dépourvus du capital scolaire. Ceux-ci se montrent d'abord hostiles à la langue française et rappellent cyniquement à l'ordre en leur faisant remarquer que « français eboma mboka », c'est-à-dire le français a détruit le pays. Référence est faite ici à la conférence nationale souveraine qui a vu défilé les intellectuels congolais de grand renom, mais qui a non seulement piétiné et a été la plus longue de l'Afrique post guerre froide à cause leur perfidie, mais aussi a accouché d'une souris. Ils sont donc jugés d'incapables de prendre en charge le devenir de la collectivité nationale. Cette campagne de dénigrement des intellectuels remonte aux premières heures de l'indépendance à la suite de l'instabilité politique provoquée par les politiciens qui avaient la prétention de représenter l'intelligentsia congolaise. Cette instabilité était interprétée par leurs détracteurs comme expression de leur incapacité de gouverner et de transcender leurs intérêts. Pendant la deuxième République, elle a été renforcée par les échecs des politiques gouvernementales de redressement économique et social auxquelles ont participé beaucoup des professeurs d'université. C'est pourquoi, on a même appelé le Zaïre du Maréchal Mobutu, une République des professeurs.

Le prestige que procure le capital scolaire est essentiellement érodé par la précarité matérielle dans laquelle vivent la plupart des « je le connais » (argot populaire pour désigner les intellectuels) qui frise l'indigence. Ils sont l'objet de moquerie de la part de ceux qui trouvent que les études pour lesquelles ils ont investi temps et énergies ne leur ont rien n'apporté sur le plan matériel. Ils sont qualifiés de « mibali ya projet », c'est-à-dire des hommes pleins de projets, qui ne font nourrir leurs fiancées, épouses et enfants que des illusions futuristes en termes de « quand je serai » ceci ou cela tout ira mieux pour nous, au lieu de s'attaquer à la situation présente.

4.3.4. Réactions à l'infériorité statutaire.

Les réactions à l'infériorité statutaire sont multiples. Elles vont de l'acceptation à la contestation en passant par la résignation et l'indifférence. Comme nous le verrons, ces réactions dépendent de plusieurs facteurs, notamment la représentation des positions sociales, les atouts dont sont dotés les individus et des perspectives de mobilité ou d'inertie qui se dessinent pour un agent dans le champ social.

Commençons par la contestation manifestée par la majorité de nos enquêtés et qui prend plusieurs formes. A la question de savoir si le critère d'évaluation sociale en cours dans leurs quartiers respectifs était rationnel, la majorité (51%) a répondu par la négative. Cette opposition de la majorité des enquêté se dresse principalement contre la penchant trop matérialiste de l'évaluation sociale qui infériorise ou élève certaines personnes sur base de leur avoir au détriment de l'être. Parmi les formes de contestations notons :

1) Le rejet des critères d'évaluation sociale appliqués, comme étant contraires à la raison ou vulgaires. A ce propos, les enquêtés de conditions de vie modeste et les moins instruits ont qualifié d'irrationnelle toute évaluation sociale basée exclusivement sur l'avoir matériel et l'instruction. Les uns estiment que l'être humain ne peut être réduit aux choses qu'il possède. Ils dénoncent ainsi cette réification de l'homme dans la civilisation hédoniste qui marque le monde moderne. Pour eux, l'homme doit être jugé par ses capacités et ce qu'il apporte comme contribution à l'avancement de sa société. Les autres, par contre, considèrent qu'au-delà de son avoir et de ses compétences scolaires, l'homme dispose d'autres vertus qui le rendent utile à sa société, notamment la sagesse, une bonne éducation, une bonne moralité et une bonne conduite sociale. Aussi, renforcent-ils leurs considérations en soulignant qu'au Congo, c'est plus un problème de moralité qui se pose plutôt que de compétence ou d'instruction.

2) Le rejet des critères selon lesquels on est évalué et leur substituer des critères qui répondent au profil des personnes infériorisées. C'est dans ce registre qu'il convient de placer la majorité des opinions exprimées à la question de savoir quel est, selon vous, le critère qui devrait servir de base à la classification sociale des individus. A cette question 62,5% des enquêtés ont répondu en faveur de la profession comme critère qu'ils considèrent comme rationnel et objectif de classification sociale alors que 18% ont plaidé pour la moralité et la spiritualité. Nous constatons que ces réponses sont corrélatives aux atouts, autres que l'avoir matériel, dont disposent ces enquêtés. S'auto-évaluant sur base des plusieurs critères auxquels ils répondent de manière variable, ces enquêtés insistent sur les critères auxquels ils satisfont pleinement au détriment des autres. Ainsi, les enquêtés ayant fait des études supérieures et universitaires mais dépourvus en ressources matérielles insistent plus sur la profession, étant entendu que dans des conditions normales leurs études leur assureraient l'accès à des grandes responsabilités et donc réconforteraient leur position sociale. D'autre part, les enquêtés dépourvus à la fois du matériel et de l'instruction mettent l'accent sur la spiritualité et la moralité.

3) La troisième contestation prend la forme du dénigrement de ceux qui nous jugent défavorablement, leur contester cette qualité de juge tout en retenant les critères qu'ils ont appliqués. Cette forme de contestation a été enregistré au cours de nos entretiens avec certains enquêtés. Ces derniers, au titre de réaction à l'infériorité statutaire dont ils sont objet de la part de ceux qui se considèrent comme socialement bien placés soit du fait avoir soit du fait de leur instruction, manifestent une attitude de mépris. Pour dénigrer ceux qui ont de l'avoir matériel, ils allèguent que soit cet avoir a été acquis au prix des sacrifices humains, soit de manière malhonnête, soit de façon hasardeuse (songeons ici au parvenu, appelés muyaka azui le 15). Vis-à-vis de ceux qui se font prévaloir de leurs études, il est opposé les allégations telles que ces diplômes sont sans valeur parce qu'ils ne procurent pas d'emploi rémunérateur, soit parce qu'ils sont obtenus dans des conditions trop peu régulières, soit, enfin, parce qu'obtenus dans des institutions moins prestigieuses, les universités de la cité comme on les dénomme.

4) La quatrième forme de contestation est l'indifférence qui amène un agent social à se désintéresser de son status en refusant les valeurs « terrestres » pour n'accepter que celles « célestes ». C'est dans cette catégorie que nous situons tous ceux qui évoquent la vanité de tous les biens terrestres et qui courent vers le profit céleste, notamment le salut éternel. Cette catégorie d'enquêtés affirme ne pas être préoccupée par la recherche d'une place importante sur cette terre des hommes, l'essentiel pour elle c'est de savoir quelle place occupera-t-elle dans le royaume de Dieu. C'est pourquoi, l'évaluation sociale, selon eux, doit reposer sur les valeurs morales et spirituelles. Cette attitude, comme le remarque Wingenga wi Ependo, résulte « des insuccès répétés qu'ils récoltent le plus souvent, (et par conséquent) ils développent des sentiments d'anxiété, d'insatisfaction chronique, et plus grave, sur le plan psychologique, ils développent un sentiment d'échec qui les paralyse et bloque leur capacité d'imagination créatrice. Tout compte fait, ils se résignent devant leur sort qu'ils assimilent ainsi à la fatalité. »108(*)

L'infériorisation statutaire aussi bien sur le plan matériel que sur le plan culturel ne rencontre pas que d'opposition, certaines personnes y concèdent en acceptant non seulement le critère leur appliqué mais aussi la place leur assignée. Cette attitude se manifeste parmi quelques enquêtés qui ont qualifié de rationnel le critère d'évaluation sociale en vigueur dans leur quartier quelle que soit la position rétrograde dans laquelle ils étaient placés. Cette reconnaissance de l'infériorité statutaire s'avère dans l'effort permanent pour l'acquisition des symboles statutaires. C'est dans ce but que certaines personnes affament leurs enfants pour épargner l'argent devant leur permettre de se procurer bijoux, habits et cosmétiques. D'autres par contre, dépenses de sommes colossales pour les études de leurs enfants afin de compenser leur faible niveau d'instruction.

Faisons remarquer que ces réactions ne sont pas seulement l'apanage de ceux qui sont réellement infériorisés du fait de manque effectif des ressources utiles (argent et instruction). Elles sont également enregistrées parmi ceux qui en sont pourvus mais dévalués par les autres membres de la société pour diverses raisons. Généralement, ceux-ci excellent dans l'exhibitionnisme pour confirmer contre vents et marrées leurs rangs sociaux.

En outre, les réactions à l'infériorité statutaire ne se résument pas seulement dans l'acceptation ou la contestation de la place assignée à un individu. Elles se cristallisent également dans la recherche de mobilité sociale pour laquelle diverses stratégies sont déployées, comme le constatent 78% des enquêtés (voir tableau XXI relatif à l'engagement pour la mobilité sociale).

Nos enquêtés ont indiqué un arsenal des stratégies que mettent en place les habitants de leurs quartiers pour assurer leur mobilité sociale et échapper ainsi à l'infériorisation statutaire. Les stratégies développées par les uns et les autres correspondent aux critères d'attribution de la considération sociale. Parce que les aspects matériels l'emportent dans la perception et l'évaluation de l'autrui, les stratégies de leur acquisition se multiplient. Pour les enquêtés (75%), la débrouille figure en bonne place parmi ces stratégies. Elle comprend toutes les activités de la petite économie marchande, la vente de parcelle, l'exploitation artisanale du diamant dans la province angolaise de Lunda Nord, la migration vers l' « Occident » pour aller casser la pierre (Kobeta libanga), c'est-à-dire se débrouiller,etc.

Le niveau d'instruction invite ceux qui ont un bagage intellectuel élevé à maintenir le cap et ceux qui en sont dépourvus à améliorer leur situation à travers leurs enfants, bien entendu avec espoir qu'un jour cela pourrait leur permettre de prétendre à des responsabilités pourvoyeuses des biens matériels.

L'analyse de ces stratégies dévoile leur penchant individualiste face aux problèmes collectifs, ce qui met en mal la lutte de classe dont ont rêvé les révolutionnaires ainsi que leurs théoriciens. Le but ici, comme nous pouvons le constater, ne pas de renverser l'ordre hiérarchique établi, mais plutôt de s'y insérer en acquérant les atouts ou les ressources nécessaires pour occuper une position favorable.

Section 4. Discriminations, tensions et conflits de condition à Ngaba.

Après avoir, dans les sections précédentes, circonscrit l'environnement social des discriminations sociales, montré l'assignation statutaire qu'elles impliquent et les enjeux autour desquels elles se réalisent, il nous revient, dans la présente section, d'examiner leur impact sur les rapports sociaux.

Nous avons, dans le point précédent, montré que les rapports entre les différentes forces sociales se tissent sur fond des plusieurs contradictions. Les unes fondées sur des considérations matérielles, les autres sur les aspects culturels, les autres encore sur les valeurs ethico-religieuses. De toutes ces contradictions, celles fondées sur les considérations matérielles paraissent être principales et opposent les « nantis » et les démunis, mais l'aspect principal de cette contradiction principal semble s'articuler entre le pouvoir économique et le pouvoir culturel. L'essence spécifique de ces contradictions se trouve dans la recherche du prestige social et non dans la recherche de transformation de l'ordre social établi, générateur des discriminations sociales. Cette nature spécifique détermine celle des luttes dans le champ social et les stratégies que les acteurs mettent sur pied pour se procurer des positions favorables.

Les résultats de nos enquêtes sont explicites à ce sujet, 89,5 % des enquêtés ont affirmé que les discriminations génèrent les conflits sociaux dans leurs quartiers. Ces conflits consistent en des affrontements (relation antagonique) entre deux personnes (deux sujets se posant face à face comme des identités distinctes) pour le monopole d'une situation donnée.

4.4.1. Fondement des conflits.

Les réactions à l'infériorisation statutaire enregistrées au point précédent préludent (sont suggestives de) la conflictualité des rapports entre les personnes valorisées ou qui se valorisent et celles infériorisées. Les conflits dont question ici n'opposent pas des groupes sociaux structurés, avec des idéologies opposées, dont le terme est le changement de l'ordre social comme c'est le cas de la lutte de classes. Ils opposent essentiellement des individus ou, à la rigueur, deux familles qui s'affrontent dans une double logique d'humanisation de soi et de déshumanisation de l'autre. Le noeud de ce type de conflit réside dans la disparité des conditions d'existence qui crée les frustrations dans le chef de ceux qui ne trouvent satisfaction à leur besoin primaire que difficilement, et l'arrogance ou la prétention chez ceux qui se tirent facilement de l'affaire. C'est ainsi que certaines personnes, du fait de leur avoir matériel, cultivent un complexe de supériorité et une arrogance qui, finalement, narguent tous les voisins. Dans leur vécu quotidien, ils se distinguent par un comportement ostensible qui doit témoigner de leur réussite sociale. Ils doivent montrer qu'il n'y a que eux qui mangent mieux (la viande), qui s'habillent bien, qui font étudier leurs enfants dans des écoles renommées, etc. D'autres, par contre, du fait de la misère dans laquelle ils vivent depuis des nombreuses années (les démunis) finissent par développer un complexe d'infériorité tel qu'ils trouvent dans la conduite de ceux qui ont un train de vie, même moyen, un certain orgueil. Ces attitudes antinomiques recèlent en soi les germes de conflictualité qui n'attendent qu'un détonateur pour que le conflit éclate au grand jour. Les disputes se focalisent sur ce que l'un manque ou sur ce que l'autre a ou prétend avoir. C'est pourquoi nous les avons qualifiés de conflits de condition. Ils s'expriment par des violences qui brisent l'harmonie et la quiétude de la vie quotidienne.

Avant d'en examiner les modalités de manifestation, disons que ces conflits reposent sur deux fondements. D'abord, sur les catégories (critères) de perception et d'évaluation mises en oeuvre par les agents sociaux qui ne font pas toujours l'unanimité parmi eux. Nous avons vu, dans le tableau XIV que les enquêtés ont aligné trois critères d'évaluation sociale, à savoir l'avoir matériel, le niveau d'instruction, la moralité et la spiritualité. Il va de soi que des agents sociaux inclinent à faire prévaloir, dans leur propre évaluation et dans celle des autres, le critère auquel ils satisfont et rejeter ceux dont ils sont dépourvus. Il apparaît déjà, à ce niveau, que les propriétés pour mesurer la valeur sociale d'un individu sont des armes et des enjeux de lutte entre les agents sociaux. Ainsi, nous avons constaté au cours de nos investigations, que les personnes dotées d'un capital culturel important (niveau d'étude élevé) mais dépourvues du capital économique estimaient qu'une évaluation sociale objective devrait reposer sur le niveau d'instruction et non sur l'avoir matériel. Par contre, celles pourvues du capital économique mais dépossédées en capital culturel plaidaient en faveur de l'avoir matériel et récusaient le niveau d'instruction comme critère d'évaluation sociale. Les personnes pourvues à la fois en capital culturel et économique balançaient selon le cas entre ces deux positions. En face de personnes pourvues en capital culturel mais dépourvues en capital économique, elles font prévaloir leur avoir matériel alors qu'elles mettent en avant plan leur niveau d'instruction face aux personnes moins instruites. Mais celles dépourvues à la fois du capital économique et culturel s'inscrivent dans le critère de moralité et de spiritualité, par conséquent, rejettent l'avoir matériel et le niveau d'instruction comme critère d'évaluation sociale. Il en résulte qu'appliquer à une personne un critère d'évaluation auquel il ne répond que médiocrement est une déclaration de guerre, et donc, une cause de conflit. Comme nous pouvons le remarquer, l'enjeu majeur de la lutte à ce niveau est, ainsi que le dit P. Bourdieu, la représentation même du monde social et de la hiérarchie au sein du champ social109(*).

Ensuite, assigner une place inférieure à un individu par une évaluation négative de sa personne signifie pour lui une marginalisation, une déshumanisation ou encore une humiliation qui appelle de sa part une certaine agressivité au titre de réhabilitation de son image sociale ternie par cette infériorité statutaire.

Tout compte fait, au fond de ces conflits se trouve la représentation que les uns et les autres ont de leur situation. Ceux qui se considèrent ou sont considérés comme ayant réussi socialement, c'est-à-dire « les gens fortunés », exaltent leur bravoure grâce à laquelle ils ont réussit à se tirer de la misère qui lamine la masse des pauvres. Ils estiment que la situation de ceux-ci s'explique par leur paresse ou leur incapacité d'entreprendre des activités susceptibles de les sortir de la précarité. Ils dénoncent généralement l'illusion de certains diplômés des universités et instituts supérieurs en chômage ou de certains agents des services publics d'espérer en Etat qui ne leur procurera jamais un travail décent. Par contre, ceux-ci expliquent leur propre situation par la désorganisation de la société congolaise par l'élite politique qui empêche la redistribution équitable des richesses nationales. Et souvent, ils dénoncent, à leur tour, l'avoir mal acquis ou l'enrichissement illicite (par voie de fraude, de détournement, de sacrifices humains, de fétiches, etc.) dont se targuent ces « gens fortunés ». C'est dans cette justification-contestation de la condition sociale que se cristallisent la plupart des conflits vécus à Ngaba. Le décor des conflits étant déjà planté dans les dispositifs mentaux des uns et des autres, faits essentiellement des préjugés, toute situation est susceptible de les faire éclater De manière générale, ces conflits sont entretenus et alimentés par la rumeur, le colportage et les quolibets qui circulent entre les parties en crise.

4.4.2. Manifestation des conflits.

1. Violence symbolique et langagière.

La violence symbolique et langagière se présente comme le mode le plus expressif des conflits rencontrés à Ngaba.

La violence symbolique prend généralement la forme de l'ostentation. Il s'agit ici de narguer les concurrents, les prétendants, les démunis ou ceux qui sont considérés comme tels par l'exhibition très ostentatoire des biens matériels qui attestent la victoire que l'on a remportée sur eux. Le langage souvent utilisé ici est « ba kosentir ngai, ba koyeba, na komelisa bango pema ou bakomela pema» (ils vont me sentir, ils vont s'en rendre compte, je vais le fatiguer ou ils vont s'essouffler).

La violence symbolique se traduit également dans la prétention qu'ont certaines personnes d'avoir le pouvoir sur le capital détenu par les autres. C'est à ce titre qu'il convient de percevoir l'attitude méprisante que développent les détenteurs du capital économique vis-à-vis des intellectuels dépossédés matériellement. Pour humilier ces derniers, ceux qui détiennent l'argent les narguent à tout moment en arguant qu'ils peuvent bien les employer à leur service, une bonne façon de se moquer de leurs diplômes universitaires. Ils estiment ainsi avoir le dessus sur le capital culturel qu'ils peuvent exploiter pour le renforcement de leur pouvoir économique.

La violence langagière consiste en des syntagmes (injurieux et licencieux) dirigés contre des individus qui sont relégués ou reléguables dans des status inférieurs. Ces syntagmes sont légion, pleines d'images et de figures de styles appartenant au champ des injures classificatoires. Leurs répertoires infinis servent d' « armes de guerre » à l'occasion des altercations entre parties en conflit que chacune exploite jusqu'à l'épuisement de son imagination.

Faisons remarquer ici que le labelage fonctionne dans le champ social à la fois comme un processus de classification et comme une violence symbolique et langagière. Comme violence symbolique et langagière, le labelage, parce qu'il induit l'infériorité, ainsi que le note Mabiala Mantuba Ngoma, conduit à la chosification ou l'animalisation ou encore à la dévaluation, à la disqualification de l'autre et à l'inverse à l'apologie de soi, à la surestimation de soi, à la maximisation de la valeur de soi, à la saillance ou à la remarquabilité de soi110(*). Il s'agit, en fait, d'une logique d'imputation qui est omniprésente dans le processus de labelage : les catégories négatives attribuées aux autres ne sont en réalité qu'une affirmation de la supériorité de soi. Le labelage apparaît alors comme un processus d'exclusion ou de marginalisation sociale, et donc, une menace réelle d'élimination d'une identité sociale d'un individu.

C'est dans cette perspective qu'il convient d'inscrire des syntagmes tels que Muyaka, ya ngwen, Muyaka azui le 15 ou mozui ya 17 heures. A côté de ce labelage, il sied d'ajouter toutes les sortes d'injures qui touchent aux organes sexuels (surtout des parents), aux infirmités corporelles, à la mauvaise éducation présumée, à la précarité de la situation familiale, à la stérilité ou infécondité, à la sauvagerie ou la barbarie de l'ethnie, à la puissance maléfique (sorcellerie), etc.

Tout commence, lorsque le conflit éclate, par le dénigrement ou l'humiliation par des qualificatifs péjoratifs. Celui qui est perçu ou se perçoit comme statutairement inférieur (sur le plan matériel ou culturel) s'engage dans la querelle par la détestation de l'avoir ou de l'instruction de son adversaire en ces termes : «longua kuna, éloko nini ya malonga oza na yango, ou bien, classe nini ya malonga otanga ? » (Qu'as-tu de spécial (biens ou avoir) ou qu'as-tu fait comme études sérieuses ?). Ceci pour remettre quelqu'un à sa place (kotia mutu na place na ye) en lui rappelant ce qu'il a été hier, ce qu'il est réellement ou désillusionner celui qui prétend être grand. Il s'agit, en quelque sorte, d'un rappel à l'ordre à des individus que l'on considère comme ayant usurpé les attributs des status sociaux auxquels ils n'appartiennent pas en réalité.

2. La violence physique.

Les disputes ou les querelles débouchent souvent sur des bagarres. Les personnes lésées par ces labelages rétorquent par la violence physique, la forme suprême de conflit. Soit ce sont deux individus, soit deux familles qui s'affrontent, en se servant de tous les instruments qui peuvent causer du tort à la partie adverse. Ces affrontements prennent un relief particulier dans les milieux juvéniles, singulièrement chez les jeunes désoeuvrés. Ceux-ci, constitués en des « clubs »  des arts martiaux débaptisés « dojos », s'illustrent par leur violence. Lorsqu'un d'eux ou un membre de sa famille a été objet de discrimination péjorative qui a dégénéré en conflit, celui-ci mobilise ses amis du club pour molester toute la famille de l'« audacieux » qui a osé le mépriser. Au cours de ces rixes ils cassent tout sur leur passage et causent des dégâts énormes.

Section 5 : Discriminations et dégénérescence sociale.

Les discriminations sociales analysées dans cette étude sont appréhendées à partir de labelage (mélioratif ou péjoratif) en tant qu'un ensemble des idées, des connaissances, des pensées et des croyances populaires, bref des représentations sociales relatives à la structuration du champ social. Ces représentations sociales, comme souligné dans les paragraphes précédents, sont les produits d'une conjoncture sociale déterminée brièvement décrite dans la première section de ce chapitre. Notre effort dans cette section est de montrer que ces idées, ces connaissances, ces pensées et ces croyances ne sont pas que des reflets passifs de cette conjoncture sociale. Elles agissent en retour sur elle, participent à sa reproduction ou à son maintien et déterminent les différentes formes de lutte qui prévalent dans le champ social.

Comme nous le verrons dans cette section, les discriminations sociales en faveur des uns ou en défaveur des autres appellent des stratégies soit de maintien de la situation privilégiée, soit de transformation ou de l'éradication de la position dominée. Cela ne va sans heurts sur le plan social. A observer la nature de ces stratégies, il ressort que la population de Ngaba s'est engagée dans un processus de dégénérescence sociale qui s'observe par les indicateurs ci-après :

4.5.1. Le Prétentionnisme

La logique de différenciation et les pratiques culturelles de la population de Ngaba débouchent sur un habitus que nous qualifions de « prétentionnisme ». Celui-ci est une attitude ou, ce qui revient au même, une disposition mentale prévalant parmi les habitants de Ngaba, singulièrement dans les milieux juvéniles, qui consiste à une surestimation de soi qui frise le narcissisme. Cette estime trop grande de soi-même qui pousse à des ambitions et à des visées trop excessives se manifeste par des postures corporelles, l' « enfilage » ou le port d'habits, l'arrogance de tout être, de tout et mieux connaître et d'être capable de tout quand bien même en réalité on n'a pas de profil et, par ce fait même, de nier aux autres ces mêmes attributs.

Des expressions comme « mobola têtu », « pauvre mais... », Illustrent bien cette attitude. Il s'agit pour une personne démunie de singer le standing de vie de nantis en consacrant l'essentiel se son avoir à l'obtention des signes extérieurs de la noblesse, à savoir : produits dénoircissant, bijoux, habillement coûteux, quel qu'en soit le prix à payer. Certaines femmes, nous ont affirmé les enquêtés, privent de la nourriture à leur enfants juste pour s'en procurer.

Le prétentionnisme s'affirme également dans cette espèce d'ethnocentrisme kinois qui surévalue tout kinois et barbarise tous les ressortissants des provinces quels qu'ils sont. De la même manière que ceux qui reviennent de l' « Occident » sont imbus de leur supériorité culturelle pour avoir séjourné dans le monde de civilisation (entendez l' « Occident »), le Kinois de Ngaba s'estime civilisé par rapport au sauvage muvila, mohuta, mbokatier, (villageois) infériorisé du fait de son manque supposé de la civilisation (urbaine bien entendu). Kinshasa étant la seule « vraie » ville du pays, les autres villes comme Lubumbashi, Kisangani ou Mbuji-mayi sont reléguées au rang de mboka (village). Les ressortissants des provinces de Bandundu et du Bas-Congo qui arrivent par véhicule à Ngaba sont conspués et étiquetés de ya ngwen ou de ya mbala pour désigner l'infériorité de leur rang social.

En conséquence, le prétentionnisme, en assurant et garantissant une supériorité fictive à son auteur, l'empêche de se rendre compte de ses limites et d'entreprendre une activité pouvant contribuer à sa promotion sociale.

4.5.2. L'auto-phagie sociale.

La promotion du paraître au détriment de l'être comme stratégie de distinction sociale plonge la population de Ngaba, ce qui, du reste, est vrai pour l'ensemble de la société congolaise, dans un cannibalisme social singulier, dont la proie est la société elle-même. Ce processus d'auto-consumation consiste pour la société à s'auto-détruire en détruisant toutes les valeurs cardinales sur lesquelles reposent les sociétés éprises du progrès. Cette autophagie se réalise par le biais de plusieurs pratiques, à savoir :

1. La socialisation de l'anomie et de la déviance sociale.

Nous avons vu que dans le contexte de pauvreté de Ngaba, la majorité de la population accorde une importance capitale à l'avoir matériel, et spécifiquement à la parure. Cette recherche effrénée de l'avoir matériel et du paraître engendre des conduites déviantes, enfreignant les normes sociales. Les réactions à l'anomie et à la déviance ainsi provoquées sont mitigées. Elles vont, de manière générale, de la simple dénonciation, à l'indifférence, à la tolérance en passant par la plébiscite. C'est ainsi que la mégestion et le détournement des biens publics pour l'enrichissement personnel reçoivent les ovations dans la populations. Ils sont perçus comme le signe de bravoure et de clairvoyance (miso makasi) de la part même des victimes que sont les bénéficiaires. Par contre, les gestionnaires assumant leur mandat public ou l'ayant achevé dans l'honnêteté sans chercher à accumuler illicitement la fortune sont criblés des réprimandes pour n'avoir pas pu « profiter de leur temps ». La question qui revient, dans ce cas, sur toutes les lèvres est celle de savoir si ces gestionnaires « yuma », c'est-à-dire insensés et nonchalants, croient, de par leur honnêteté, redresser le pays qui a sombré dans le chaos depuis la nuit des temps. Ainsi, la vertu, la probité loin de susciter l'admiration de la communauté déclenche, par contre, un étonnement (négatif bien entendu) et passent pour les anti-valeurs dans une société d'obsession pour le confort matériel et le paraître et du gain facile.

L'essentiel aux yeux de cette population c'est l'argent et l'argent à tout prix, quelle que soit la voie par laquelle on l'obtient. C'est dans cette même perspective qu'il convient d'inscrire des pratiques rétrogrades telles la prostitution, l'escroquerie, etc. qui sont tolérées par la plupart des parents, pour autant qu'elles rapportent de l'argent.

L'hyper religiosité constaté dans cette Commune, comme partout ailleurs dans la Ville de Kinshasa, ne rentre-t-elle pas dans cette perspective de la recherche de l'avoir matériel et d'enrichissement facile. Au lieu de s'investir dans le travail créateur du bonheur, les responsables et fidèles des églises de réveil passent le plus clair de leur temps dans les cultes et veillées de prière et caressent le rêve et les illusions des mapamboli (bénédictions matérielles) que dispenserait Dieu, ce faiseur de miracle.

2. L'investissement improductif.

La promotion de paraître conduit ceux qui peuvent se procurer de l'argent à l'investir dans l'ostentation. La plupart des gens préfèrent placer leur argent dans ce qui peut accroître leur prestige social, notamment dans l'habillement et les bijoux coûteux, dans les femmes et dans les libéralités ostentatoires et, si la bourse le permet, dans des voitures de luxe, la réfection ou la construction des villas. Dans ce contexte, dès qu'une personne, surtout dans le rang des bana Lunda, connaît une promotion sociale, liant la distance à la distance spatiale, elle quitte la Commune de Ngaba pour s'installer à Righini, à Salongo ou à Macampagne pour y louer une maison coûteuse, digne de son nouveau status, ou encore va loger dans des hôtels fuyant la « crasse » de leurs habitations habituelles, s'achète des habits avec « griffes », une voiture Mercedes, etc. De manière générale, cette mobilité sociale ascendante ne dure que l'espace d'un matin. En effet, ces prétendus promus sociaux se maintiennent difficilement dans le nouveau status acquis à cause notamment des exigences financières que requiert le rang social qu'ils pensent avoir atteint et, par conséquent, retombent dans leur situation antérieure et soldent tous les emblèmes publics de distinction sociale qu'ils s'étaient procurés. Ils liquident parcelles, voitures, équipements ménagers, habits, etc. et retirent tous les enfants des écoles prestigieuses où ils étaient inscrits à cause de l'incapacité à continuer d'honorer les frais de scolarité. Ainsi, se maintient et se renforce la spirale du développement du sous-développement dans lequel est pris en étau la population de Ngaba.

Ce déclassement social ne s'explique autrement dans la population que par la source mystique dont on soupçonne l'avoir de la plupart des « gens fortunés ». On estime, dans l'imaginaire collectif, que les puissances occultes reprennent de la main gauche ce qu'elles avaient donné de la main droite pour diverses raisons, notamment la non observance des interdits. Et pourtant, les éléments objectifs justifient bien ce déclassement, à savoir la gabegie financière, l'invasion de la famille et le mauvais placement de fonds dans des secteurs non rentables (maisons, mobiliers, par exemple).

3. L'aliénation.

Nous avons indiqué ci-haut que l'avoir matériel, particulièrement l'habillement et la parure constituent les valeurs essentielles de notre univers d'enquête. Dans ce contexte, la perception et l'évaluation d'un individu procède d'abord et principalement de son avoir matériel. Les composantes culturelles de sa personnalité telles l'éducation, l'instruction, la moralité, son rôle social par le biais de sa profession, relèvent d'un critérium de la seconde zone ou, à la limite, ne sont pas pris en considération. Cette réification de l'homme conduit la plupart des démunis à s'auto-déprécier, à se sous-estimer, à développer un complexe d'infériorité. Par conséquent, ils se considèrent comme moins importants et ne peuvent entreprendre quoi que ce soit pour la promotion sociale tant d'eux-mêmes que de la collectivité. Par contre, elle survalorise les « gens fortunés », même si eux-ci sont d'une nullité culturelle avérée ou d'une moralité publique douteuse.

La promotion du paraître trouve sa plus forte expression dans l'exaltation et la fétichisation de tout ce qui est importé de l' « Occident ». La fascination qu'exercent les biens importés de l' « Occident » sur l'imaginaire collectif des habitants de Ngaba est si prégnante que leur acquisition est perçue comme signe de distinction sociale. Des expressions telles que « ewuta poto », etc. (ça vient de l'Europe) suffisent pour convaincre toute personne, même la plus parcimonieuse , à débourser un montant colossal pour acheter un produit même s'il est de moindre qualité.

L'aliénation se traduit par ce que S. Shomba dénomme « mythe de l'Occident » comme voie royale de promotion sociale ainsi que nous l'ont révélé les enquêtés. Nombreux nous ont déclaré que dans leur projet de mobilité sociale, de la même manière que pensent la plupart de gens de leurs quartiers, voyager en « Occident » serait l'unique moyen d'améliorer la situation sociale. La pérennisation de la crise socio-économique et son accentuation, constatent Claude Sumata, Théodore Trefon et Serge Cogels, ont contribué à alimenter davantage l'imaginaire collectif congolais en dépeignant les pays occidentaux comme une source d'enrichissement sûre, facile et illimitée111(*). Le rêve de tout jeune et toutes les familles de Ngaba est à ce jour d'aller ou d'avoir un membre de famille en « Occident ». La seule présence d'un membre de famille dans l'outre-mer (quoi qu'il fasse) est une espèce d' « assurance-vie », un motif de fierté et accroît le prestige social des ceux restés au pays. C'est à ce titre que les familles qui tiennent d'avoir un représentant en « Occident » consentent d'énormes sacrifices jusqu'à se dépouiller de tous les patrimoines (liquidation de parcelle, voiture équipements ménagers, bijoux, etc.) laissant les autres membres dans une insécurité totale. Leur espoir est que les transferts des fonds qu'effectuera ce représentant une fois arrivé en « Occident » aideront la famille à recouvrer le patrimoine aliéné et à assurer la survie. Ainsi donc, la famille qui a réussi à « pousser » (kotindika) l'un des siens en « Occident » l'évoque et le clame en toute circonstance pour montrer qu'elle est différente des autres.

Ce mythe produit des comportements irrationnels, surtout dans les milieux juvéniles. Il conduit certaines filles, et même certaines femmes, à des illusions ou à la déviance sociale. Il y a des filles qui brisent leurs fiançailles ou qui rejettent les sollicitations locales parce que soit elles ont reçu les promesses d'un nouveau amant qui est ou qui compte voyager en « Occident », soit parce qu'elles attendent indéfiniment un fiancé parti en « Occident » sans écho. Et pourtant rares sont ces promesses de mariage qui aboutissent.

Le rêve d'un « Occident prodigue » engendre, par ailleurs, la fainéantise dans le chef de certains jeunes de Ngaba. Espérant ou rassuré de s'envoler pour l'Occident qu'ils appellent affectueusement Lola ou Mikili (Ciel ou monde), ils renoncent à tout entreprendre localement et conjecturent déployer leur savoir-faire, rien que quand il s'y seront rendus. Ils abandonnent études, refusent de travailler, croisent le bras et excellent dans une fanfaronnade oratoire les projetant dans ce monde où l'on mange les pommes de terre (mbala) en lieu et place de l'indigène « fufu ».

Ce mythe se fait également observer à l'occasion d'un deuil d'un membre de famille dont le décès est survenu en « Occident ». La famille éprouvée se comporte comme si elle était honorée du fait d'accueillir le corps du défunt venant de l'étranger. Et tout doit être mis en place pour attester réellement que ce deuil est celui d'une personne morte en « Occident ».

4. La négation de la méritocratie

La promotion de l'avoir et du paraître comme fondement de l'évaluation sociale pose la problématique de l'instauration d'une société méritocratique en RDC. Nous savons à la suite de M. Tumin que tout système de stratification sociale obéit à des valeurs qu'une société s'est donnée à réaliser. Bien plus, la classification hiérarchique des status sociaux est tributaire des conséquences sociales ou des fonctions sociales du rôle attaché à chaque status, du caractère simple ou complexe du rôle et des compétences requises pour exécuter ce rôle. Ainsi, dans la société américaine fondée sur le progrès économique, M. Tumin observe que la qualification et les réalisations (qui se constate plus par la profession exercée) conditionne le rang social d'un individu et que l'acquis n'est qu'une conséquence logique de ces deux premières. Ici, c'est la profession exercée, évaluée en fonction de sa contribution à l'avancement de la société, qui conditionne la position d'une personne dans la hiérarchie des status. Et que ce sont les qualifications personnelles ou les compétences acquises qui déterminent l'entrée dans telle ou telle autre profession. Et donc, la place occupée dans la hiérarchie des status est corrélative au mérite d'un chacun.

Tel n'est pas le cas dans la Commune de Ngaba. Ici, comme déjà dit ci-haut, l'avoir matériel n'est pas un indice du status social mais le crée. Il suffit, quel que soit son profil social, d'avoir de l'argent pour se voir attribuer un rang honorifique dans la société. En être dépourvu, même si on accomplit des tâches nobles dans la société, conduit au déshonneur social. Ainsi est la condition des enseignants, des agents de l'Etat, médecins, etc. qui sont la risée de la société face aux « bana lunda », aux « mikilistes » et aux autres malfrats qui accumulent l'argent à la suite du détournement des deniers publics. Dans ces conditions, le mérite dû à la qualification et aux réalisations professionnelles ne peut peser dans la balance d'estimation de la valeur sociale d'un individu.

Ceci est compréhensible dans le contexte congolais. Dans ce pays où n'existent pas des valeurs cardinales qui pourraient orienter la société dans son ensemble, les secteurs les plus fondamentaux pour la vie d'un Etat moderne sont les plus négligés et mal dotés en ressources tant humaines, matérielles que financières. La spontanéité et l'intuitionnisme étant les principaux socles de l'action des gouvernants, centrée essentiellement sur l'enrichissement personnel au détriment de la communauté nationale, il est tout à fait logique que le mérite en termes de compétence, de performance, de réalisation et d'apport au progrès de la société ne soit pas célébré et reconnu comme mesure d'évaluation sociale. Le déshonneur auquel sont contraints les opérateurs des autres secteurs de la vie nationale, réduits au rang de nécessiteux du fait des mauvais traitements subséquents à la déconsidération de leurs métiers par l'instance politique, justifie l'invasion du champ politique par leurs rescapés au point que même ceux qui n'en ont pas l'habitus, les capitaux indispensables pour jouer dans ce champ s'y déferlent dans le seul but de gagner l'argent et autres profits matériels et ainsi accroître leur prestige social.

La conséquence, c'est l'implosion dans laquelle se trouve plongé le pays, aujourd'hui, du fait de l'inconséquence des actions menées par une classe politique caractérisée par un habitus de jouissance, de satisfaction des intérêts individuels ou corporatistes, au détriment de ceux de la population, comme le constate André Lubanza Mukendi112(*). A cause d'eux, « l'Etat fonctionne aujourd'hui comme lieu d'émergence d'hommes vides, d'affirmation d'une humanité gaspillée, de consécration de l'absence d'obligation de montrer la vérité, (dans ce contexte), alors l'autorité perd sa noblesse et cesse d'être le siège de l'humanité. »113(*)

Ainsi, les énergies sociales s'investissent non pas dans ce qui peut promouvoir toute la société dans son ensemble; mais dans ce qui peut permettre à chacun d'amasser la fortune même contre ses enfants, ses frères, sa communauté et sa nation. Cette recherche de la gloire personnelle n'est-elle pas aux racines du chaos actuel du Congo qui fait suite à la trahison de certains de ses fils qui se sont vendus aux étrangers juste pour avoir l'argent ?

CONCLUSION GENERALE

Depuis plus d'une décade, il s'observe, dans les sciences sociales en générale et en sociologie en particulier, une apathie vis-à-vis des études touchant aux inégalités, particulièrement celles consacrées aux classes sociales. Et pourtant, elles ont mobilisé des chercheurs de divers horizons au cours de vingt années qui ont précédé la décennie 90. La chute du mur de Berlin, la « fin » de la guerre froide, le triomphe du libéralisme ou de l'américanisation et le discours sur la démocratie et les droits de l'homme semblent avoir sonné le glas du marxisme et/ou du matérialisme historique qui ont servi de cadre théorique général de leur analyse. On a dès lors considéré que la société démocratique rend superfétatoire l'étude des inégalités sociales dans la mesure où son essence même en constitue non seulement une négation mais aussi une lutte acerbe. Ce qui plaide en faveur de ce mutisme. Mais la réalité vécue quotidiennement renseigne que les inégalités persistent et constituent encore la toile de fond des différents conflits et violences enregistrés sur l'ensemble de la planète.

Nous avons voulu, à travers cette étude, ressusciter ce débat qui demeure de tous les temps au centre des préoccupations de la sociologie, notre discipline, et y participer. Comme l'écrivait M.Tumin « l'étude des sources, des modes et des conséquences des inégalités sociales est un domaine privilégié de la recherche en sociologie. C'est un domaine qui gardera toute son importance aussi longtemps que subsisteront les inégalités sociales, dans la mesure tout au moins où celles-ci influenceront les possibilités de réalisations et les modèles de vie des diverses couches sociales qui constituent toute société. »114(*)

Tout en nous situant dans le prolongement de nos prédécesseurs, nous avons bifurqué en rompant avec le cadre théorique général dans lequel ils ont élaboré leurs travaux, à savoir le matérialisme historique qui a fait ses preuves dans la saisie du fonctionnement des systèmes sociaux, spécialement ceux générés par le capitalisme. Cette rupture a résulté de la nécessité de prise en compte du nouvel ordre des phénomènes socio-économiques, à savoir l'émergence du secteur informel qui porte par devers lui d'autres formes d'inégalités ou de stratification sociale non saisissables par l'orthodoxie marxiste. Elle a été, par ailleurs, imposée par le nouveau regard que nous avons jeté sur la société en tant qu'espace multidimensionnel, où circulent plusieurs capitaux (économique, culturel, social et symbolique) que les tenants du marxisme réduisaient à la seule dimension économique.

Cette rupture et le caractère exploratoire de notre étude nous ont suggéré une approche nominaliste dans la saisie des inégalités sociales. Cette approche, comme l'indique E.D.O. Longandjo, cerne le social (socius), objet de la sociologie, à partir des éléments de la conscience sociale115(*). Nous avons, pour ce faire, accordé une importance capitale au décryptage que l'agent social fait de la structure de la société dans laquelle il vit. Dans le cas d'espèce de notre étude, cette conscience sociale est rendue par les discriminations socio-économiques qui se formalisent par les labelages aussi bien mélioratifs que péjoratifs en tant qu'un système de classement des individus dans des catégories sociales(supérieures ou inférieures). Il s'agit en fait, des « classements que les agents eux-mêmes ne cessent de produire dans l'existence ordinaire et par lesquels ils tentent de modifier leur position dans les classements objectifs ou les principes mêmes selon lesquels ces classements sont produits116(*).

Ainsi, l'hypothèse principale qui a sous-tendu cette étude s'articule autour de l'affirmation selon laquelle les discriminations sociales que charrient les labelages dans la Commune de Ngaba induisait à la fois une stratification ou un classement des individus dans les rangs sociaux et une lutte symbolique dont tout champ social est le siège. Cette hypothèse fait suite à nos questions sur le sens que revêtiraient ces labelages.

L'hypothèse ainsi formulée a été confrontée aux données récoltées pendant nos enquêtes dans la Commune de Ngaba à l'aide d'un questionnaire administré à un échantillon de 200 unités extraites d'une population mère de 204.449 habitants nationaux. Les résultats obtenus au cours de ces enquêtes ont été mis au crible de la méthode dialectique (à travers ses quatre lois) sous les auspices de la théorie de champ social. La gestion de l'intelligence de ces résultats nous a imposé une articulation de l'ensemble du travail. C'est pourquoi, après avoir discuté des travaux antérieurs ayant exploré notre domaine d'investigation et esquissé notre modèle d'analyse, nous avons été amené à situer notre univers d'enquête dans le tissu urbain de Kinshasa, reflet de la stratification sociale induite par la colonisation. Toutefois, il sied de mentionner que la logique ségrégationniste à la base de l'agencement de ce tissu urbain a été, toute proportion gardée, défaite à la suite de la détérioration des conditions socio-économiques de la majorité de la population habitant cette ville et à l'inadéquation des infrastructures de cette dernière. Ainsi constatons-nous une sorte de brassage des couches sociales au point qu'il est difficile de leur attribuer de manière exclusive les quartiers. Ayant ainsi situé notre terrain d'investigation, nous avons, par la suite, présenté le cheminement des enquêtes, les difficultés rencontrées ainsi que les résultats obtenus. Ceux-ci ont été, en dernier lieu, discutés à la lumière de la théorie de champ social pour en extraire toute la substance.

Il résulte des nos enquêtes que la distribution des positions sociales, mieux le classement social, est principalement corrélative au confort matériel d'un individu et subsidiairement de son niveau d'instruction traduisant son capital culturel. Le confort matériel ou le capital économique se reflète, dans l'optique de nos enquêtés, à partir du train de vie d'un individu, principalement dans le domaine de l'alimentation, de l'habillement, et de transport qui sont, en fait, les maillons forts de la chaîne des problèmes vécus au quotidien. Ainsi, la différence des trains de vie, comme l'ont affirmé nos enquêtés, induits la différence des rangs sociaux appréhendés dans une logique binaire ou dualiste. Ce faisant, l'espace social est découpé en deux positions. D'une part les gens fortunés, c'est-à-dire qui sont pourvus du capital économique et placés au sommet de la hiérarchie sociale et, d'autre part les démunis occupant le bas de l'échelle. Dans chacune de strates ainsi délimitées, le capital culturel réconforte la position d'un individu par rapport aux homologues de condition. Comme nous pouvons le constater, ces résultats contrastent d'avec ce que P. Bourdieu avait remarqué dans sa société où l'intelligentsia constitue la fraction dominée de la classe dominante. Ici, par contre, les gens fortunés pourvus du capital culturel jouissent d'un plus grand prestige que les homologues de condition qui en sont dépourvus.

L'assignation d'un individu à un status dans les interactions quotidiennes se réalise par une attribution inégalitaire de la considération sociale qui, dans le cas d'espèce, est en faveur des gens fortunés et en défaveur des démunis. C'est pourquoi, la considération, l'honneur social ou le prestige constitue un enjeu majeur à la conquête duquel les agents sociaux déploient leurs capitaux. Il est, par conséquent, le capital symbolique qui détermine la forme des luttes qui ont cours dans le champ social. La distinction sociale pour jouir de ce capital symbolique se réalise, comme nous l'ont affirmé les enquêtés et tel qu'il ressort de nos observations quotidiennes, dans l'ostentation esthétique qui permet d'assurer la domination sur les autres habitants du quartier. Cette ostentation esthétique prend généralement l'allure d'un duel de fringue au cours duquel sont exhibés les beaux habits, les bijoux, la parure et d'autres biens matériels tels que la voiture, le téléphone, etc. Ce duel prend un relief particulier dans les milieux féminins et chez les exploitants des diamants appelés bana lunda. En définitive, en lieu et place d'indice d'un status social, le confort matériel en constitue même l'essence. Il s'agit là d'une attribution patrimoniale du status social.

Par ailleurs, c'est par la manipulation exclusive de certains biens valeureux que les gens fortunés exercent (ou espèrent exercer) leur domination sur les démunis. Cette domination symbolique rencontre la résistance des autres habitants du quartier. Ce qui génère des conflits qui marquent de leur empreinte la quotidienneté dans la Commune de Ngaba. Nous avons souligné dans ce travail que ces conflits épousent la nature de leur enjeu, le prestige qui, rappelons-le, est le capital symbolique. Dans la plupart des cas, les conflits s'expriment sous forme des violences symboliques et langagières avant de déboucher sur la violence physique à travers la bagarre. Nous les avons qualifiés des conflits de condition étant donné qu'ils procèdent de la conscience des différences des conditions de vie entre les habitants du quartier.

Cette forme de lutte symbolique a été jusqu'ici ignoré de la plupart des études congolaises des inégalités sociales d'orientations objectivistes.

La recherche de la gloire, de l'honneur ou du prestige par le confort matériel est à l'origine de ce que nous avons nommé l'autophagie sociale, une sorte de cannibalisme social dont la proie est la société elle-même. Par celle-ci, il faut entendre toutes les pratiques par lesquelles la société contribue à sa propre destruction en renonçant aux valeurs fondatrices du progrès dans les autres sociétés. Il s'agit de ce que d'aucuns appelleraient les antivaleurs, notamment la corruption, le détournement des deniers publics , la prostitution, le vol, etc. auxquels se livrent certaines personnes pour accroître son capital économique, par ricochet, son prestige. La dégénérescence actuelle du Congo n'est-elle pas subséquente à cette pratique sociale ?

Notre prétention dans ce travail n'est pas d'avoir réalisé une oeuvre achevée ni d'avoir inventé les nouveaux faits moins encore des nouvelles théories. Nous pensons, c'est là peut-être le mérite de ce travail, avoir, grâce aux matériaux fournis par nos enquêtes, apporté un nouvel éclairage aussi bien sur la problématique de la stratification sociale, une matière trop dynamique, que sur les théories y relatives. Ainsi, à travers cette étude, il se dégage que contrairement aux marxistes qui n'accordent de l'importance qu'à l'économique, la présente étude a révélé qu'en toutes circonstances, il n'est pas déterminant en dépit de sa prépondérance. Le capital culturel et le capital social dans le contexte congolais jouent aussi un rôle important dans le classement statutaire d'un individu.

D'autre part, les Catégories Sociaux Professionnelles (CSP) qui ont servi des critères de découpage de la société en différentes classes sociales ne sont pas opérationnelles dans le contexte de notre univers d'enquête. Ici, comme nus l'avons montré, le rang social d'individu est principalement subordonné à son train de vie. Dire qu'on est médecin, avocat, ouvrier n'est pas aussi révélateur du status social que le standing de vie. Ceci tient de l'informalité qui marque de son sceau toute la société congolaise.

Par ailleurs, C'est une autre contribution de cette étude, la lutte dans le champ social, traduite par des conflits analysés dans ce travail, ne s'articule pas autour des intérêts matériels spécifiques et n'a pas pour finalité la révolution ou la transformation de la société globale, mais plutôt vise l'accumulation du capital symbolique, à savoir le prestige ou l'honorabilité sociale.

Une telle perspective, fondée sur la promotion de l'avoir au détriment de l'être, a comme incidence la dégénérescence de toute une société investissant dans l'irrationalité.

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TABLE DES MATIERES

DEDICACE..................................................................................................................I

AVANT PROPOS.............................................................................................................II

INTRODUCTION GENERALE 2

1. Problématique 2

2. Hypothèse 5

3. Méthode 6

4. Techniques 8

4.1. L'observation directe 8

4.2. La technique documentaire. 8

4.3. Le questionnaire 8

4.4. L'entretien 9

4.5. L'échantillonnage. 9

5. Intérêt du travail 9

6. Contenu du travail 11

CHAPITRE I : TRAVAUX ANTERIEURS ET ESQUISSE D'UN MODELE D'ANALYSE 12

SECTION 1 : REVUE DE LA LITTÉRATURE 12

1.1 Repères théoriques. 12

1.2. Etat des lieux des études congolaises de classes sociales. 15

1.2.1. La constitution de la classe organique à la colonisation 16

1.2.2. Classes sociales et émancipation nationale 17

1.2.3. La sociologie de l'impérialisme 19

1.2.4. Des études évaluatives 26

1.2.5. Des nouvelles perspectives. 29

SECTION 2. SITUATION DE CLASSE, CONDITION SOCIALE ET HIÉRARCHIE SOCIALE À KINSHASA/NGABA 34

SECTION 3. ELABORATION DU MODÈLE D'ANALYSE 35

1.3.1. Espace social comme lieu de différenciation. 35

1.3.2. Propriétés générales des champs sociaux. 40

SECTION 4. DES CONCEPTS 42

1.4.1. Stratification sociale. 43

1.4.2. Habitus. 46

1.4.3. Perception sociale 47

1.4.4. Conflits sociaux. 49

1.4.5. La ville 50

CHAPITRE II. KINSHASA. MORPHOLOGIE ET CLIVAGES SOCIAUX 53

INTRODUCTION 53

SECTION 1 : QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉO-DÉMOGRAPHIQUES SUR LA VILLE DE KINSHASA 54

2. 1. 1. Milieu physique 54

2.1.2. Données démographiques 55

SECTION 2 : ARCHITECTURE DE LA VILLE DE KINSHASA 57

2.2.1. La ville et les quartiers résidentiels. 58

2.2.2. Les premières cités noires. 58

2.2.3. Les cités planifiées. 59

2.2.4. Les cités d'autoconstruction. 60

SECTION 3. QUELQUES PROBLÈMES DE LA VILLE DE KINSHASA. 62

2.3.1. Emploi et chômage dans la ville de Kinshasa 62

2.3.2. Problèmes d'équipement sanitaire. 65

2.3.3. Problèmes d'accès à l'éducation 67

2.3.4. Problèmes de transport. 68

2.3.5. L'insécurité alimentaire. 73

CHAPITRE III : DE L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE ET DE LA PRESENTAION DES RESULTATS. 76

SECTION 1 : DU CADRE CONTEXTUEL. 76

3.1.1. Quelques aspects géo-historiques. 76

3.1.2. Quelques caractéristiques socio-économiques de la population de Ngaba. 76

3.1.3. Quelques aspects relatifs à l'habitat 78

SECTION 2. ORGANISATION DE LA RECHERCHE 78

3.2.1. Univers d'enquête et échantillon. 78

3.2.2. Collecte des données 83

3.2.3. Difficultés rencontrées. 87

SECTION 3 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS 89

3.3.1. Eléments d'identification des enquêtés 89

CHAPITRE IV : INTERPRETATION DES RESULTATS 116

SECTION1. DE LA CONJONCTURE SOCIALE DES DISCRIMINATIONS SOCIALES À NGABA 117

4.1.1. Contraintes économiques et restructuration du champ social. 119

4.1.2. Elites matérialistes et ostentation distinctive. 121

SECTION 2. PERCEPTION ET ATTRIBUTION DES POSITIONS DANS LE CHAMP SOCIAL. 123

4.2.1. Assignation de la condition sociale à Ngaba 124

4.2.2. Assignation patrimoniale des status sociaux. 126

4.2.3. Contraintes existentielles, capital social et fluidité des frontières entre groupements sociaux. 133

4.2.4. Reconnaissance et acceptabilité de ces pouvoirs. 137

SECTION 3. JEU ET ENJEU DES DISCRIMINATIONS SOCIALES. 138

4.3.1. Acteurs. 139

4.3.2. Jeu : labelage ou étiquetage. 140

4.3.3. Enjeu des discriminations sociales. 142

4.3.4. Réactions à l'infériorité statutaire. 147

SECTION 4. DISCRIMINATIONS, TENSIONS ET CONFLITS DE CONDITION À NGABA. 151

4.4.1. Fondement des conflits. 152

4.4.2. Manifestation des conflits. 154

SECTION 5 : DISCRIMINATIONS ET DÉGÉNÉRESCENCE SOCIALE. 157

4.5.1. Le Prétentionnisme 157

4.5.2. L'auto-phagie sociale. 158

CONCLUSION GENERALE 165

BIBLIOGRAPHIE 170

TABLE DES MATIERES 175

* 1 BOURDIEU, P., « Espace social et genèse des classes », in Actes de la recherche en sciences sociales, n° 52-53 juin 1984, p.2

* 2 BALANDIER, G., cité par SHOMBA, K. S., Dynamique sociale et culturelle, Notes de cours polycopiées destinées aux étudiants de deuxième licence en Sociologie et Anthropologie, UNIKIN,Kinshasa, 2003-2204.

* 3 LOUBET DEL BAYLE cité par KUYUNSA, B., G. et SHOMBA, K., S., Initiation aux méthodes de recherche en sciences sociales, PUZ, Kinshasa, 1995 p.123

* 4 TUMIN, M., Stratification sociale, Duculot, Bruxelles, 1974, p.62

* 5 L'expression est d'ALAIN TOURAINE dans Pour la Sociologie, éd. du Seuil, Paris, 1974, p.43

* 6 DE COSTER, M., Introduction à la sociologie, 4ème édition, De Boeck université, Bruxelles, 1990, p.5

* 7 BOURDIEU, P.,  et WACQUANT, J.D.L., Réponse. Pour une anthropologie réflexive, Seuil, Paris, 1992, p.22

* 8 L'essentiel de cette synthèse est extrait de l'article de CAZENEUVE, J., « Les stratifications sociales. Les hiérarchies, les classes, les castes », in Sociologie, Dictionnaires Marabout université, tome 3, Paris 1972

* 9 TERRAY, E., Cité par BIAYA, T.K et OMASOMBO, T. J., « Les classes sociales dans les réalités zaïroises », in KANKWENDA, M., Le Zaïre vers quelle destinée ?, Codesria, Dakar, 1992, p.105

* 10 A titre indicatif, on peut retenir pour cette période les travaux ci-après :

- BERTIEAUX, A., "les classes moyennes au Congo belge, développement d'une classe moyenne dans les pays tropicaux", in Institut international des civilisations différentes, Bruxelles, 1956.

- GHILAIN, J., "La naissance d'une classe moyenne noire dans les centres extra-coutumiers au Congo-belge" in Institut Royal colonial belge, Bulletin des séances, n°2,1952.

- WEISS, H., "L'évolution des élites, comparaison entre la situation en Afrique occidentale francophone et au Congo avant l'indépendance " in Etudes congolaises, Vol.VIII,5, Septembre-

Octobre, Kinshasa, 1965.

* 11 Fedacol, Courrier hebdomadaire, CRISP, n° 5, 3 juillet 1959, cité par Crawford Young, Introduction à la politique congolaise, éd. Universitaire du Congo, CRISP, Bruxelles, 1965, p.35

* 12 CEPSI cité par Crawford, Y., op.cit, p.35.

* 13 Parmi ces études, on peut citer :

- MULAMBU, M. F. "Le pré-nationalisme au Zaïre. Révoltes paysannes avant la décolonisation", in Cahiers zaïrois de la recherche et du développement, n° 85 K, ONRD, spécial 1971.

- NZONGOLA, N. G., "Les classes sociales et révolution anticoloniale au Congo-Kinshasa : le rôle de la bourgeoisie.", in Cahiers Economiques et Sociaux, I.R.E.S., Vol.VIII, n°3, Septembre 1970.

- DEMUNTER, P., "Structure de classes et luttes de classes dans Congo colonial", in Contradictions, n°1, 1972.

* 14 * La révolte du Kitawala a été menée par les ouvriers et les paysans de Masisi-Lubutu durant la seconde guerre mondiale. Lire à ce sujet :

- LOVENS, M., « La révolte de Masisi-Lubutu (Congo Belge, janvier-mai 1944)  », in Cahiers du

CEDAF, n° 3-4, 1974, 154 p., cartes, annexes.

-MWENE BATENDE, Mouvements messianiques et protestation sociale, le cas du Kitawala chez les Kumu du Zaïre, Faculté de Théologique catholique, Kinshasa, 1982.

* 15 La thématique centrale de cette période est prise en charge par les travaux suivants :

LONGANDJO, O, La paysannerie zaïroise et la loi du développement inégal .Contribution à la critique de la théorie de la dépendance, thèse de doctorat en Sociologie, UNILU, Lubumbashi 1981.

KALELE, K, Capitalisme et sous développement à Kabinda. Une étude des mécanismes de

domination et d'exploitation capitalistes, LABOSSA, Lubumbashi, SD.

GAMBEMBO, G, Multinationales et prolétarisation au Zaïre. Le processus de paupérisation des masses rurales au Kwilu par Unilever, thèse de doctorat en Sociologie, UNILU, Lubumbashi, 1988.

KAZADI K, M, Capitalisme périphérique et lutte de classes au zaïre. Contribution à la critique de la sociologie de l'impérialisme, thèse de doctorat en Sociologie, FSSAP, UNILU, Lubumbashi, 1993.

* 16 KAZADI, K. M. , op.cit, p.16

* 17 KALELE, K., Fonds monétaire international et la situation sociale au Zaïre. Basusu na bisengo, basusu na mawa, Labossa, Lubumbashi, 1983.

* 18 La bourgeoisie d'Etat ou la bourgeoisie compradore est sans base économique réelle, c'est-à-dire qu'elle n'est pas détentrice des moyens de production et des produits qui en résultent. La bourgeoisie locale de la périphérie est maintenue en place en vue de la garantie et de la protection des intérêts des véritables capitalistes qui appartiennent aux formations sociales du centre.

* 19 MWABILA, M., C., Travail et travailleurs au Zaïre. Essai sur la conscience ouvrière du prolétariat urbain de Lubumbashi, PUZ, Kinshasa, 1979.

* 20 MWABILA, C. M., « Propos sur les classes sociales avec références à l'Afrique et au Zaïre », in Cahiers zaïrois d'études politiques et sociales, n°5, Juin 1984, pp.3-5

* 21 CAZENEUVE, J., Art.-Cit, p.610.

* 22 COPANS, J. Critiques et politiques, cité par KAZADI, K., Op-Cit, p.23.

* 23 MBAYA, M ., STREIFFLER, F., Secteur informel au Congo-Kinshasa, stratégie pour un développement endogène. Zamba epeli moto, nyama iboyi kokima, éd. universitaires africaines, Kinshasa, S.D., p.84.

* 24 MBAYA, M ., Notes de cours de sociologie générale destinées aux étudiants de premier Graduat psychologie et des sciences de l'éducation, UNIKIN, Kinshasa, 2003-2004.

* 25 Lire à ce propos OLELA, N. S. D., Le secteur informel à l'épreuve du matérialisme historique. Contribution à la conceptualisation d'un phénomène socio-économique, Mémoire de D.E.S en Sociologie, UNIKIN, Kinshasa, 2002-2003.

* 26 Institut National pour l'Etude et la Recherche Agronomique. Lire à ce propos, MPIANA TSHITENGE, Faillite de l'Etat et paradoxe du fonctionnement des entreprises publiques au Zaïre. Etude menée à l'INERA, Mémoire de Licence en Sociologie, UNIKIN, Kinshasa, 1996.

* 27 KAZADI, K., Op-Cit, p.8.

* 28 L'expression est de MAX WEBER. Elle désigne la chance caractéristique pour un individu d'accéder aux biens.

* 29 Se rapporter à BOURDIEU, P., La Distinction. Critique sociale du jugement, éd. Minuits, Paris,

1979.

* 30 CAZENEUVE, J., Art.-Cit, p. 606.

* 31 « Le monde selon Bourdieu », in Dossier, n°105, Mai 2000, p24.

* 32 K. MARX lui-même et certains marxistes perspicaces reconnaissent aux différentes instances d'une formation sociale une autonomie relative dans leur fonctionnement. Lire MARTHA HARNECKER, Les concepts élémentaires du matérialisme historique, Contradictions, Bruxelles, 1974.

* 33 BOURDIEU, P., « Espace social et genèse des classes », in Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 52-53, juin 1984.

* 34 DE COSTER, M., Op-Cit, p. 194

* 35 Cette attitude relativiste s'impose dans la sociologie moderne et a été soulignée par Shomba Kinyamba dans l'explication de la dynamique sociale en ces termes : « Dans la sociologie contemporaine, on en est venu à adopter un point de vue relativiste, et cela d'une double manière. Tout d'abord, même ceux qui continuent à mettre l'accent sur un facteur particulier reconnaissent que le changement social est toujours le produit d'une pluralité des facteurs qui agissent simultanément et qui interagissent les uns sur les autres. Mais dans le faisceau qu'ils forment, les facteurs n'ont pas tous le même poids, certains pouvant exercer une influence plus marquée que d'autres. Mais la recherche de cette pondération relative des facteurs se fait aujourd'hui davantage en tenant compte de leur interinfluence. En second lieu, beaucoup de sociologues considèrent qu'il n'est pas possible, du moins dans l'état actuel des connaissances, de s'attacher à un modèle général qui décrirait la pondération des facteurs d'une manière absolue et universelle. La pondération des facteurs serait plutôt un problème de recherche empirique, qui demande à être résolu dans l'analyse de chaque cas historique concret. Dans cette perspective, si on peut encore parler d'un facteur dominant, ce ne peut être que par rapport à un contexte particulier, une conjoncture spécifique, dans une période donnée ». Shomba K.S., Dynamique sociale et culturelle, notes de cours polycopiées destinées aux étudiants de deuxième licence en Sociologie et en Anthropologie, UNIKIN, Kinshasa, 2004, p.84

* 36 Accardo, A., Corcuff, P., La sociologie de Bourdieu, Le Mascaret, Bordeaux, 1986, pp 86-88

* 37 MACE, G., Guide d'élaboration d'un projet de recherche, De Boeck Université, Bruxelles, 1991, pp19- 20 .

* 38 A titre indicatif, citons l' ouvrage de TUMIN, M., Stratification sociale, Op-Cit.

* 39 GOLFIN, J., Les 50 mots-clés de la sociologie, Privat, Toulouse, 1972, p.135.

* 40 TUMIN, M., Op-Cit, p.42

* 41 MENDRAS, H., Eléments de Sociologie, Armand colin, Paris, 1975, p. 191.

* 42 BOURDIEU, P., Choses dites, éd. de Minuit, Paris, 1987, pp 155-161.

* 43 TOURAINE, A., « Conflits sociaux », in Encyclopaedia Universalis, Vol.4, 8ème éd., Paris, Novembre, 1974, pp 856-865.

* 44 GEORGES, P., cité par TSHISHIMBI, K.E., Une ville et ses élites. Kananga 1960-1996, Thèse de doctorat en Sociologie, FSSAP, UNIKIN, 1999, p .34

* 45 Ibidem.

* 46 DELRUELLE, V.N., Introduction à la sociologie générale, 3ème tirage, Institut de sociologie, éditions de l'Université de Bruxelles, Bruxelles, 1992, pp 9-10.

* 47 HALBWACHS, M. , cité par DELRUELLE, V. N., Idem, p 9.

* 48 SHOMBA, K., S., Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo contemporains, Séminaire de D.E.S destiné aux doctorands en Sociologie et Anthropologie, UNIKIN, Kinshasa, Octobre-Novembre, 2003.

* 49 Les données relatives au milieu physique ont été tirées de PNUD/UNOPS, Monographie de la ville de Kinshasa, Octobre 1998.

* 50 PNUD/UNOPS, Op-cit, pp 15-17.

* 51 PAIN, M., Kinshasa. La ville et la cité, édition ORSTOM, Paris, 1984, p213.

* 52 Nous adoptons la typologie de MARC PAIN telle reprise dans son ouvrage précité.

* 53 Les Communes de Kinshasa, Kalamu et Ngiri-Ngiri qui viennent à la tête de peloton, comptent respectivement par Km2 25.761, 24.351, 24.207 habitants. Cfr. Monographie de la Ville de Kinshasa.

* 54 PAIN, M., Op-Cit, p.220.

* 55 WINGENGA, W. E., Cours de Sociologie urbaine approfondie, L1 sociologie, inédit, Unikin, Kinshasa, 2000

* 56 Bureau d'Etudes pour l'Aménagement et l'Urbanisme.

* 57 MBAYA, M. et STREIFFLER, F., Op-Cit p.84.

* 58 PAIN, M., Op-Cit. p.27.

* 59 Nous tenons les données relatives à la capacité d'accueil de ces hôpitaux de MWANZA WA MWANZA,

Le transport urbain à Kinshasa, un noeud gordien, L'Harmattan, Tervuren, 1997, p.81

* 60 MBAYA, M. et STREIFFLER, F., Op-Cit,p. 79

* 61 UNICEF, Zaïre. Quels défis pour l'an 2000 ? Bulletin d'information n° 17, février 1997, p. 1, in Inswan Promotion socio-économique de l'épouse et tensions sociales à Kinshasa, Mémoire de D.E.S. en Sociologie, Unikin, Kinshasa, 2002, p.51.

* 62 MBAYA, M ., STREIFFLER, F., Op-Cit, pp 78-79.

* 63 MWANZA WA MWANZA, Op-Cit, p.106.

* 64 PAIN, M., Op-Cit, p.172-173.

* 65PAIN, M., Op-Cit, p.174.

* 66 UNICEF, Enquête nationale sur la situation des enfants et des femmes MICS2, UNICEF-RDC, 2001, p.39

* 67 Ibidem.

* 68 KAPAGAMA, P. I., Pauvreté à Kinshasa : problématique di développement du sous-développement, Mémoire de D.E.S. en sociologie, UNIKIN, 2001, pp. 76-78.

* 69 LESBAUM, N. et alii, « Professeur mène l'enquête », in Rencontre pédagogique, n°16, INRP, Paris, 1987.

* 70 Service de population de la Commune de Ngaba et Cabinet du Bourgmestre, Carte postale de la

Commune de Ngaba, Octobre 2002.

* 71 KUYUNSA, B. et SHOMBA, K., Initiation aux méthodes de recherche en sciences sociales, PUK, Kinshasa, 1995, p.76.

* 72 GRAWITZ, M., Méthodes des sciences sociales, 11ème éd. Dalloz, Paris, 2001, p.542.

* 73 Se rapporter à ce sujet à SHOMBA K. et TSHUND'OLELA, Méthodologie de la recherche scientifique.

Etapes, contraintes et perspectives, Kinshasa, M.E.S., 2004.

* 74 Il s'agit de : Kipopa Omeonga, Ehota Mulenda, Solo Lola, Lufungula Etienabe, Mukendi Kadima, Masangila Mondelengolo, Mbanza Kilembe et Lukengu que nous remercions pour le bénévolat qu'ils ont consenti à notre bénéfice.

* 75 Il s'agit de : Kitampandi Luzau et Kialubi Ngavuka que nous remercions pour le bénévolat qu'ils ont consenti à notre bénéfice.

* 76 BEAUD, S. et Weber, F., Guide de l'enquête de terrain, La découverte, Paris XIIIè, 2003, p. 9.

* 77 CORCUFF, P., Les nouvelles sociologies, Nathan, Paris, 1995 , p.16.

* 78 LONGANDJO, E.D.O., « Pour une sociologie des conflits », in Conflits et identité, Op-Cit, p.79.

* 79 BOURDIEU, P., « Espace social et genèse des classes », Art.-Cit, pp3-4.

* 80 HARNECKER, M., Op-Cit, p.134.

* 81 NGOKWEY, N., Op-Cit., p.20.

* 82 OLOGOUDOU, E., « Les fondements économiques de l'Etat : La stratification et les classes sociales en Afrique indépendante », in Présence africaine, 127/128, Décembre 1982, p 237.

* 83 MWABILA, M., cité par NGOKWEY, Art-Cit., p.24.

* 84 LONGANDJO, O. E.D., Praxis et pouvoir du peuple. Un schéma pour scruter les illusions

démocratiques, Labossa, Kinshasa, 1996, p.101.

* 85 KAHLDOUN, I., cité par KAZADI K., Op-Cit., p.440.

* 86 GOLFIN, J., Op-Cit, p.135.

* 87 MACGAFFEY, J., « `On se débrouille' : Réflexion sur la `deuxième économie' au Zaïre » in OMASOMBO, T. J, (Sous dir. de) Le Zaïre à l'épreuve de l'histoire immédiate, Karthala, Paris, 1993, pp.143-144.

* 88 FANANGANI, M. P., «Paupérisation de familles petites bourgeoises et transformations des valeurs en période de crise », in De VILLERS, G., JEWISIEWICKI, B., MONNIER, L., (Sous dir. de), Manières de vivre. Economie de la « débrouille »  dans les villes du Congo/Zaïre, L'Harmattan, Paris, 2002, p.113.

* 89 DE VILLERS, G., et alii, Manières de vivre, Op-Cit, pp 12, 28.

* 90 MWABILA, M., Travail et travailleurs, Op-Cit, pp.105-106.

* 91 CAZENEUVE, J., Art.-Cit, p.652.

* 92 HOUTART, F., Sociologie de l'institution religieuse, cours inédit, Louvain-la-Neuve, 1977-1978, pp 301-302.

* 93 DE COSTER, M., Op-Cit , p. 189.

* 94 DRACHOUSSOF, L'Afrique décolonisée, cité par NGOKWEY, N., « Réflexion sur la stratification sociale au Zaïre », in Cahiers zaïrois d'études politiques et sociales, n°5, Juin 1984, p.20.

* 95 SHOMBA, K., S., Espaces, morphologie et modèles culturels du Congo contemporain, Op-Cit.

* 96 KAPAGAMA, I. P., Op-Cit, p. 135.

* 97 MACGAFFEY, J., cité par DE VILLERS, G., Art.-Cit, p.21.

* 98 ACCARDO, A., et CORCCUF, P., Op-Cit, p.54.

* 99 BOURDIEU, P., Distinction. Op-Cit, p.554.

* 100 Ibidem.

* 101 Idem, pp.150, 154.

* 102 TUMIN, M., Op-Cit., p. 166.

* 103 BOURDIEU, P., Distinction,Op-Cit, p. 253.

* 104 SHOMBA, K. S. et KUYUNSA, B. G., Dynamique sociale et sous-développement en République

Démocratique du Congo, P.U.C., Kinshasa, 2000, p.94 - 95.

* 105 BOURDIEU, P., Distinction, Op-Cit, p.249.

* 106 TUMIN, M., Op-Cit, p.165.

* 107 Rond Point Ngaba est un carrefour formé par le croisement des avenues de L'université et By-pass et formant un point d'intersection des Communes de Lemba, Ngaba et Makala au sud de la Ville de Kinshasa. C'est par ce carrefour qu'on accède à l'Université de Kinshasa (UNIKIN) et à l'Institut Pédagogique National (IPN). Ainsi, dans l'imaginaire populaire de Ngaba, Rond point Ngaba représente le niveau d'études moyen, c'est-à-dire le diplôme d'Etat, qui donne accès aux études supérieures ou universitaires incarnées par l'Unikin et l'IPN.

* 108 WINGENGA WI EPENDO, « L'émergence de la culture de pauvreté dans les villes du Congo-Kinshasa », in Mouvements et Enjeux Sociaux, n°001, UNIKIN, Kinshasa, Septembre -Octobre 2001, p11.

* 109 BOURDIEU, P., « Espace social et genèse des classes », Art-Cit, p. 3.

* 110 MABIALA, M. N., « Multiculturalisme et barbarisation au Zaïre », in Conflits et identité. Actes des journées philosophiques de Canisius, éd. Loyola, Kinshasa, Avril 1997, p.91.

* 111 SUMATA, C., TREFON, T. ET COGELS, S., « Images et usages de l'argent de la diaspora congolaise : les transferts comme vecteur d'entretien du quotidien à Kinshasa », in TREFON, T., (Sous dir. de), Ordre et désordre à Kinshasa. Réponses populaires à la faillite de l'Etat, L'harmattan, Paris, 2004, p.137.

* 112 LUBANZA, M., « L a problématique du renouvellement de la classe politique à l'épreuve de la crise de légitimité », in Perspective, les cahiers du Potentiel, Vol.01/12/2002, janvier -Février 2003, p.20.

* 113 KAUMBA, L., « Exister, c'est résister », in Conflits et identité, Op-Cit, p.176.

* 114 TUMIN, M., Op-Cit, p.30.

* 115 LONGANDJO, E.D.O. , « Pour une sociologie des conflits », in Conflits et identité, Op-Cit, p.78.

* 116 BOURDIEU, P., « Espace social et genèse des classes sociales », Art-Cit, p.5.






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