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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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    « Utopus, dès qu'il fut victorieux et maître, se hâta de décréter la liberté de religion. Cependant, il ne proscrit pas le prosélytisme qui propage la foi au moyen du raisonnement, avec douceur et modestie (...). Il prévoyait que si toutes les religions étaient fausses à l'exception d'une seule, le temps viendrait où, à l'aide de la douceur et de la raison, la vérité se dégagerait d'elle-même, lumineuse et triomphante de la nuit de l'erreur. »

    Thomas More, L 'Utopie1

    1 MORE Thomas, L 'Utopie, Flammarion, 2003 [originalement publié en anglais sous le titre Utopia en 1516], Livre Second, Chapitre 8, p. 111

    Table des matières

    I. Introduction p. 3

    1. Un phénomène appréhendé avec méfiance p. 5

    2. Terminologie p. 10

    II. Le droit de propager ses croyances en droit international p. 13

    1. Forum internum et liberté de changer de religion ou de conviction p. 14

    2. Forum externum et liberté de manifester sa religion ou sa conviction p. 18

    2.1 La propagation des croyances par l'expression verbale p. 20

    2.1.1 L'affaire Arrowsmith et la propagation des croyances en tant que pratique p. 21

    2.1.2 L'affaire Kokkinakis et la propagation des croyances en tant qu'enseignement p. 26

    2.1.3 La fuite vers l'article 10: les affaires Pitkevitch c. Russie et Murphy c. Irlande p. 32

    2.2 La propagation non verbale des croyances et le port de signes religieux p. 35

    III. Les restrictions au droit de propager ses croyances p. 37

    1. La protection de la liberté de religion ou de conviction du récepteur p. 40

    1.1 Le droit de ne pas subir une forme de prosélytisme « abusif » p. 40

    1.1.1 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme p. 40

    1.1.2 Quelques critères pour une détermination objective du prosélytisme « abusif » p. 46

    1.1.2.1 La nature de l'acte de propagation des croyances p. 47

    1.1.2.2 Le lieu de la propagation des croyances p. 49

    1.1.2.3 La relation source - récepteur p. 49

    1.1.2.4 Le récepteur p. 51

    1.1.2.5 La capacité de quitter le mouvement p. 51

    1.2 Le droit de ne pas être heurté dans ses sentiments religieux p. 52

    2. Le rôle de l'Etat dans la protection du récepteur contre le prosélytisme « abusif » p. 56

    2.1 L'intervention conditionnée ou l'individu vulnérable p. 57

    2.2 L'interventionnisme ou l'individu infantilisé p. 58

    2.3 Le « laisser faire » ou l'individu responsable p. 59

    IV. Conclusion p. 62

    V. Bibliographie p. 64

    I. Introduction

    Parce que la religion ou la conviction constituent pour celui qui les professe l'un des éléments fondamentaux de sa conception de la vie,2 le respect et la garantie de la liberté de religion et de conviction sont considérés comme essentiels et occupent un rôle indispensable dans le cadre du corpus de droits humains visant à permettre une vie digne pour chaque être humain. Sur le plan international, la liberté religieuse a été inscrite au nombre des droits de l'homme dès 1948, à l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et a par la suite été reprise dans la plupart des instruments juridiques de droits de l'homme. Elle figure notamment à l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ainsi qu'à l'article 14 de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989, et à l'article 12 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille datant de 1990, pour ce qui est des instruments à vocation universelle.

    Elle est aussi réaffirmée dans l'ensemble des instruments régionaux de droits de l'homme, et notamment à l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme à laquelle nous nous attacherons plus particulièrement dans le cadre de la présente étude:

    « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques ou l'accomplissement des rites.

    2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui »

    La Cour européenne des droits de l'homme a eu l'occasion de se prononcer sur l'importance fondamentale de cette liberté dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce, en affirmant que « [t]elle que la protège l'article 9 (art. 9), la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une « société démocratique » au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la

    2 Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la conviction, résolution 36/55, 25 novembre 1981, Préambule

    vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles - consubstantiel à pareille société. »3

    Parmi les manifestations d'une religion ou d'une conviction, la tentative de convaincre autrui d'adopter ses propres croyances religieuses, une activité qui selon les religions et les formes qu'elle prend porte différents noms - témoignage, évangélisation, propagation, propagande religieuse, prosélytisme... - occupe une place variable selon les religions et les convictions. Pour un certain nombre d'entre elles - essentiellement celles qui aspirent à une adhésion universelle - cette pratique occupe une place importante, voire primordiale.4 Ce comportement religieux est-il protégé par le régime de droits de l'homme? Quelle est la réponse que le droit a apporté à un phénomène complexe, mettant aux prises les intérêts du croyant qui souhaite partager ses convictions, les intérêts du récepteur du message, et celui de la société et de l'Etat, désireux de maintenir la paix religieuse et une atmosphère propice au libre exercice des droits de chacun? Afin de saisir les enjeux et la complexité de la question, il est essentiel de décrire comment la propagation des croyances est perçue et appréhendée par les sociétés post modernes.

    3 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31

    4 Parmi les trois religions monothéistes, le christianisme et l'islam cherchent à s'étendre au plus grand nombre, ce qui n'est pas le cas du judaïsme. Le christianisme est bien connu pour avoir, depuis des siècles, donné lieu à une activité missionnaire par moment intense, conduisant à la propagation de l'Evangile sur tous les continents. Lors du dernier concile de l'Eglise Catholique Romaine en 1965 (Vatican II), celle-ci réaffirmait son rôle dans cette perspective, s'estimant « envoyée par le Christ pour manifester et communiquer la charité de Dieu à tous les hommes à toutes les nations », ajoutant « qu'elle a à faire à une oeuvre missionnaire encore énorme » (Pape PAUL VI (Vatican II), Décret Ad Gentes sur l'Activité Missionnaire de l'Eglise, 1965, §10) . Le Groupe Mixte de Travail de l'Eglise Catholique Romaine et du Conseil OEcuménique des Eglises rappelait en 1995 qu' « un élément essentiel de la mission confiée par Dieu - en Jésus-Christ - à l'Eglise dans ce monde, est de proclamer par la parole et par l'action la révélation et le salut de Dieu pour chacun » (Groupe Mixte de Travail Eglise Catholique Romaine / Conseil OEcuménique des Eglises, Septième Rapport, 1998, Annexe C: Le Défi du Prosélytisme et l'Appel au Témoignage Commun (1995), §7, traduit de l'anglais par l'auteur). Le groupe de travail rajoute que « la liberté religieuse affirme le droit de tous de rechercher la vérité, et de rendre témoignage de cette vérité conformément à leur conscience » (Ibidem, § 15).

    Les protestants évangéliques - souvent appelés à tort, mais peut-être pas innocemment, les « évangélistes » dans les médias, notamment français - sont un mouvement qui est aujourd'hui en croissance tant en Europe que sur un plan mondial, et qui accordent souvent une grande importance à l' « évangélisation ».

    D'autres mouvements issus du christianisme sont connus pour leurs activités en matière de propagation de leur foi. Parmi eux, les Témoins de Jéhovah, qui se rendent de porte en porte présenter leur doctrine religieuse. Pour tout membre de ce mouvement, la propagation de ses croyances est une obligation hebdomadaire.

    La diffusion de ses convictions religieuses est également une pratique encouragée en islam. L'apostasie par contre est strictement condamnée, et par conséquent, toute tentative de faire changer les croyances d'un musulman est traditionnellement prohibée. La condamnation stricte de toute apostasie ressurgit dans le droit islamique depuis trois décennies seulement alors qu'elle n'était plus appliquée depuis longtemps. Voir ALDEEB ABU-SAHLIEH Sami Awad, Les Musulmans Face aux Droits de l'Homme. Religion et Droit et Politique. Etude et Documents, D. Winkler, Bochum, 1994, pp. 108-112

    En revanche la plus ancienne des religions monothéistes n'encourage pas les non Juifs à se convertir, et n'aspire pas à l'universalité, mais repose avant tout sur une identité communautaire (le judaïsme se transmet automatiquement à tout individu né de mère juive). Les conversions sont possibles, mais ne sont pas sollicitées. Notons que la loi juive ne prévoit pas de possibilités de quitter le judaïsme.

    1. Un phénomène appréhendé avec méfiance

    La diffusion des croyances par des individus auprès de leurs pairs est souvent appréhendée avec une certaine méfiance, tant par les opinions5 que par les autorités publiques. Plusieurs raisons expliquent cette méfiance.

    Il y a d'une part, d'après nous, un lourd héritage du passé, qui fait que l'on associe aujourd'hui encore « religion » à « intolérance », et à « conversion forcée ».6 Il est vrai que l'histoire est riche en épisodes de violence générés ou amplifiés par l'intolérance religieuse, et que la liberté religieuse et le pluralisme religieux au sein d'une société sont des phénomènes relativement récents.7

    Les conséquences de la propagation des croyances: la destruction du pluralisme religieux?

    Ce passé encore pesant est marqué bien sûr par les terribles guerres de religion, mais aussi, par le souvenir de certaines pratiques « missionnaires » menées en parallèle à la colonisation. Ce passé pèse dans la mémoire de certains qui associent la liberté religieuse à un prosélytisme agressif et destructeur, qui vient bousculer l'autre dans sa croyance, sa culture, son être, en faisant usage de procédés manipulateurs et de chantage, en aliénant ainsi indûment sa conscience. Si Makau Mutua s'oppose au concept de liberté religieuse comprenant un droit au prosélytisme, c'est parce que ceci « impose non seulement aux religions africaines de devoir rentrer en compétition avec celles qui évangélisent les autres dans leur marche vers l'universalisme - une tâche à laquelle une croyance qui historiquement ne joue pas dans le registre du prosélytisme ni de la compétition n'est pas préparée -, mais encore protège ces dernières. Dans le contexte de la liberté religieuse, le privilège accordé par ce régime de droit à la compétition des idées sur le droit de ne pas subir d'invasion culturelle (...)

    5 Voir par exemple le communiqué de presse de la Fédération Evangélique de France (FEF) du 18 décembre 2006, réagissant au reportage diffusé au cours du journal télévisé de la chaîne nationale française TF1 de 20h00, le 17 décembre 2006 intitulé « le prosélytisme des sectes », qui présentait les églises protestantes évangéliques comme des sectes qui feraient notamment de la propagande illégitime dans la rue.

    Autre exemple: en Ouzbékistan, un reportage télévisé intitulé « Hypocrites » a été diffusé au niveau national le 30 novembre et le 1 décembre 2006 lors des heures de forte audience. Ce documentaire stigmatisait les minorités religieuses protestantes ainsi que lesTémoins de Jéhovah, accusant par exemple ces « sectes » de « transformer leurs adeptes en zombies » et de les exploiter tout en leur faisant croire qu'ils veulent les aider. F1 8News, Uzbekistan: Prime-Time State TV Incites Intolerance of Religious Minorities and Religious Freedom, 19 December 2006, disponible sur Internet au lien suivant: http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=890

    6 Yadh Ben ACHOUR semble adopter ce genre de position lorsqu'il affirme que « la liberté de religion est une conquête politique venue du dehors du cercle religieux. C'est un triomphe du monde profane au détriment du monde religieux. » ACHOUR, La Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté de Religion, op. cit., p. 25

    7 Dans l'histoire occidentale, les premiers textes accordant une certaine liberté religieuse sont l'Edit de Nantes promulgué par Henri IV le 13 avril 1598, dans le contexte des guerres de religion, le Virginia Bill of Rights de 1776, ainsi que l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

    revient à excuser le démantèlement des religions africaines ».8

    En d'autres termes, le prosélytisme, justifié par la liberté de religion, en proposant aux croyants de changer leurs convictions, détruirait d'autres religions, des cultures, qui ne sont pas prêtes à cette confrontation d'idées, et par conséquent porte atteinte au pluralisme religieux et culturel.9 Dans ce genre de situation, la liberté religieuse devrait céder le pas à un droit supérieur, le droit des peuples à la survie culturelle.10

    La propagation des convictions religieuses doit-elle être limitée parce qu'elle est une atteinte au pluralisme religieux? Une telle position ne défend-elle pas plutôt le statu quo sur le plan religieux, que le pluralisme? S'il en est ainsi, est-il réellement légitime de mettre en avant le statu quo religieux - et avec lui la paix religieuse -, à une époque où la confrontation des idées religieuses est crainte, parce que vue comme une source de tensions, capables de déchaîner des passions incontrôlées au prix d'une plus grande liberté individuelle?

    Il est évident que la question de la propagation des croyances est liée notamment à celle du rapport entre mouvements majoritaires et minoritaires. Si c'est la majorité qui tente de propager ses convictions religieuses, le pluralisme est sans doute menacé de ce fait. Mais lorsque c'est une minorité qui propage ses points de vue, le pluralisme tend à être renforcé. Or, les religions bien établies n'ont pas forcément besoin de mener des activités de propagation de leurs croyances pour faire connaître leurs points de vue au grand public, du fait de leur notoriété. Nous verrons dans les cas présentés à la Cour, que c'est plutôt les mouvements majoritaires, qui pour conserver leur position, se sont opposés au « prosélytisme » provenant de nouvelles mouvances religieuses et qui attirent à elles certains de leurs membres. Le risque d'une telle argumentation, n'est-il pas finalement de vouloir protéger une institution religieuse et culturelle plutôt que la liberté religieuse, un droit des religions plutôt que le droit des personnes? Les droits de l'homme défendent-ils le droit pour une religion de ne pas être remise en question dans son existence, de ne pas être critiquée, de ne pas

    8 MUTUA Makau, « Limitations on Religious Rights: Problematizing Religious Freedom in the African Context », in VAN DER VYVER Johan D. and WITTE John, Jr. (eds.), Religious Human Rights in Global Perspective, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague / Boston / London, 1996, pp. 418, traduit de l'anglais par l'auteur.

    Voir aussi l'argumentation du Bouthan dans le rapport E/CN.4/1 995/91, p. 23: les activités missionnaires doivent être restreintes pour conserver la culture et la tradition du pays, qui est majoritairement bouddhiste.

    9 Voir aussi FERRARI Silvio, « La Liberté Religieuse à l'Epoque de la Globalisation et du Postmodernisme: la Question du Prosélytisme », Conscience et Liberté, n°60, pp. 17-18, qui cite le cas d'une décision de la Cour Constitutionnelle Colombienne (décision n°5 10 de 1998) où une restriction au prosélytisme est justifiée par la nécessité de protéger l'identité culturelle d'une communauté autochtone. La Cour statua en effet que les autorités arhuaca étaient en droit de protéger « le droit à l'intégrité ethnique et culturelle de la communauté arhuaca en tant que prévalant sur le droit de pro sélytisme religieux. »

    10 MUTUA, « Limitations on Religious Rights », op. cit., p. 437

    disparaître? A une époque où une tendance croissante à la protection des religions plutôt que des croyants se fait sentir - à l'image de l'évolution des titres des résolutions de l'Assemblée Générale sur ce sujet11 -, une prise de position claire sur cette question est nécessaire.

    Les moyens de la propagation des croyances: prosélytisme et manipulation

    Pour un certain nombre de croyants, la conversion d'autrui, voulue pour son bien, est tellement importante, qu'elle peut justifier l'usage de techniques douteuses, pour l'amener à découvrir la vérité. Si l'Eglise force les hérétiques et les schismatiques à rentrer dans son sein « que ceux-ci ne se plaignent pas d'être contraints, mais qu'ils considèrent où on les pousse » disait Augustin.12 La crainte d'un certain fanatisme religieux motive encore souvent des interventions étatiques contre le « prosélytisme ». Pour ne mentionner qu'un seul exemple, hors du contexte européen cette fois-ci, il a été allégué au Sri Lanka, que lors de la reconstruction du pays après les ravages du tsunami de décembre 2004, certaines organisations chrétiennes auraient tenté de profiter de la situation pour essayer de convertir des individus par des techniques manipulatrices (en anglais « unethical conversions »), en leur proposant notamment en retour des bénéfices matériels tels que de la nourriture, des médicaments, des bicyclettes, voire même un logement, ou un travail.13 C'est essentiellement pour faire face à ce risque de manipulation, et par conséquent d'atteinte au libre choix en matière de religion et de conviction de l'individu, notamment par ces mouvements que la société classifie comme dangereux et qualifie de « sectes », qu'un certain nombre d'Etats ont estimé nécessaire d'adopter des lois anti-prosélytisme.14

    11 Par exemple la résolution A/RES/61/164 intitulée « Combattre la diffamation des religions » (« Combatting defamation of religions ») du 19 Décembre 2006, qui fait suite à la résolution A/RES/60/1 50 du 16 Décembre 2005 et portant le même intitulé.

    12 Augustin, in GARAY Alain, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, vol. 17 (1994), p. 8

    13 Rapport de la Rapporteuse Spéciale sur la Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahangir, Mission à Sri Lanka, E/CN.4/2006/5/Add.3, 2005, §43 et suivants

    14 En ce moment, la Moldavie, examine l'adoption d'une loi qui condamne tout prosélytisme abusif, et notamment toute action qui vise à changer les croyances religieuses d'une personne ou d'un groupe de personnes par des moyens violents, par un abus d'autorité, par le chantage, les menaces, la contrainte, le discours de haine religieuse, la désinformation, la manipulation psychologique et les techniques subliminales. F 1 8News, Moldova: Controversial Religion Law Suddenly Rushed Through Parliament, 16 Mai 2007. disponible sur Internet au lien suivant: http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=956 et F1 8News, Moldova: New Religion Law to Be Passed in Early February?, 26 Janvier 2007, disponible sur Internet au lien suivant: http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=903

    La propagation des croyances bannie par une tolérance « molle »

    Un troisième élément nous semble apparaître dans le contexte européen, et notamment dans le contexte français: il s'agit d'un certain malaise face au fait religieux que l'on aurait préféré voir refoulé dans la sphère privée.15 A l'heure de la « revanche de Dieu »,16 nos sociétés semblent avoir quelques difficultés à appréhender cette résurgence du fait religieux sur la place publique. Dans ce contexte de tolérance « molle »,17 où chacun est libre de croire ce qu'il veut, tant qu'il n'impose pas son point de vue à l'autre, les tentatives de propager ses croyances sont mal perçues. Le « problème » du port de signes religieux dans les lieux publics n'est pas sans lien avec ce débat.

    La critique à l'égard des religions est difficile à exercer, et l'est rarement sans se placer sur un terrain émotionnel, lorsqu'elle est exprimée. Elle est mal reçue et souvent ressentie comme une attaque personnelle à l'encontre des croyants. Il faut dire qu'elle est aussi souvent maladroitement présentée, parfois mal fondée, marquée par les a priori et les amalgames, au lieu d'être rationnelle et de chercher à provoquer un débat d'intérêt public.

    L'échange d'idées religieuses, l'expression de ses convictions, le débat concernant les thèmes religieux sur la scène publique doit-il être promu ou bien réfréné? Faut-il se garder d'exercer la moindre critique à l'égard des religions par souci de préserver l'ordre public et la paix religieuse?

    Plusieurs questions méritent notre attention, et guideront l'argumentation de la présente étude. Comment le droit appréhende-t-il le phénomène du prosélytisme et de la propagation des croyances? Comment gère-t-il les intérêts contradictoires de la source de la propagation des croyances, de la personne réceptrice et de l'Etat? La Cour et la Commission ont-elles estimé que la propagation des convictions faisait partie des manifestations protégées par l'article 9 de la Convention? Dans quels cas de figure? La jurisprudence a t-elle été cohérente et convaincante ? A telle défini des critères pour distinguer les formes de propagations légitimes, de celles qui portent atteinte au droit à la liberté religieuse du récepteur, de par leur nature manipulatrice? Quel rôle

    15 C'est ce phénomène que le Rapporteur spécial Doudou Diène a qualifié récemment de « sécularisme dogmatique ». Rapport Soumis par le Rapporteur Spécial sur les Formes Contemporaines de Racisme, de Discrimination Raciale, de Xénophobie et de l'Intolérance qui y Est Associée, Doudou Diène, A/HRC/4/19, 2007, §41

    16 KLEPEL Gilles, La Revanche de Dieu. Chrétiens, Juifs et Musulmans à la Reconquête du Monde, Seuil, Paris, 1991, 282 pp.

    17 COLLANGE Jean-François, « Religion et Avenir des Droits de l'Homme », in MAHONEY Paul, MATSCHER Franz, PETZOLD Herbert, WILDHABER Luzius (eds.) Protection des Droits de l'Homme: la Perspective Européenne. Mélanges à la Mémoire de Rolv Ryssdal, Carl Heymans Verlag KG, Köln, 2000, pp. 266-267

    l'Etat peut-il, voire doit-il jouer pour protéger les droits du récepteur ? Si la Cour n'a pas développé une approche systématique peut-on néanmoins identifier certains critères pour aider à déterminer les cas de figure où la propagation contient une dimension coercitive, et les cas où elle respecte les droits du récepteur?

    La Cour et la Commission européennes des droits de l'homme sont les seuls organes judiciaires internationaux à s'être penchés à plusieurs reprises sur la question de la propagation des croyances. C'est sur la base de cette jurisprudence européenne que nous chercherons donc à analyser la réponse que le droit donne à ce phénomène complexe.

    Lorsque la Cour ou la Commission sont confrontées à un cas de violation supposée du droit de manifester sa religion ou sa conviction conformément à l'article 9, leur démarche consiste classiquement en trois étapes. L'organe judiciaire va dans un premier temps se prononcer sur le fait de savoir si les convictions en jeu sont bel et bien une religion ou une conviction au sens de l'article 9. Dans un deuxième temps il examine si la forme de manifestation que prend cette croyance rentre dans le cadre de protection offert par la deuxième partie du paragraphe 1 de l'article 9. Si tel est le cas, l'examen se poursuit sur le fait de savoir si l'éventuelle ingérence à la liberté de manifester sa religion ou conviction était légitime au titre du second paragraphe.

    La première étape ne relevant pas du champ de notre étude,18 c'est avant tout les deux étapes suivantes qui constitueront l'ossature de notre argumentation. Il s'agira en effet dans un premier temps de déterminer si, et dans quelles circonstances, la propagation des croyances est une manifestation légitime selon la Cour et la Commission avant d'examiner dans un second temps la question des limitations à ce droit. En d'autres termes, c'est d'abord la perspective des droits de la source qui seront étudiés (II), tandis que la seconde partie (III) s'attachera essentiellement aux droits du récepteur d'être protégé contre les formes illégitimes de prosélytisme et aux moyens dont l'Etat dispose à cet effet.

    18 Pour un bon survol de la jurisprudence de la Cour et de la Commission en la matière, voir EVANS, Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., pp. 5 1-66, qui constate qu'elles ont généralement adopté une approche généreuse de la définition du champ des termes « religion » et « conviction ».

    2. Terminologie

    Avant d'en venir à l'analyse juridique proprement dite de la question de la propagation des croyances, une clarification terminologique est nécessaire, afin de bien cerner le champ exact de ce que nous entendons traiter dans cette étude. Nous avons en effet éprouvé une certaine difficulté dans le choix de la terminologie à adopter pour décrire le phénomène qui se trouve au coeur de notre étude, d'autant plus que, comme nous le verrons par la suite, ni la Cour ni la Commission européennes des droits de l'homme n'ont tranché la question. Au premier abord, le terme « prosélytisme » pourrait sembler le plus approprié et c'est le choix qu'ont fait un certain nombre d'auteurs qui ont écrit sur le sujet.19

    Dans son sens historique et religieux, le « prosélyte » est un « païen » - c'est-à-dire un non Juif - converti au judaïsme.20 Le terme ne portait alors aucune connotation négative. Par la suite « prosélytisme » est devenu le nom utilisé pour décrire le « zèle déployé pour répandre sa foi, et par extension pour faire des prosélytes, recruter des adeptes »,21 mais aujourd'hui ce terme est souvent utilisé avec une connotation péjorative. Il décrit désormais une forme de propagation des croyances considérée comme attentatoire à la liberté d'autrui, intrusive, agressive et illégitime.22 La Cour elle même n'a pas utilisé ce terme de manière neutre, mais y a toujours associé un adjectif donnant clairement une coloration négative à l'expression. La première fois qu'elle a fait usage de ce terme, ce fut pour décrire le genre d'attitude qui ne serait pas acceptable de la part d'un enseignant du fait de l'obligation de respecter les convictions religieuses et philosophiques des parents (Article 2 du Protocole n°1). Elle affirma à cet égard en l'affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark23 qu'un « prosélytisme intempestif » ne serait pas conforme aux droits des parents.

    19 Par exemple GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., pp. 7-29; STAHNKE Tad, « Proselytism and the Freedom to Change Religion in International Human Rights Law », Brigham Young University Law Review, 1999, n° 1, pp. 252-354

    20 Etymologiquement, un « prosélyte » est un terme d'origine grec qui signifie « nouveau venu » dans le pays, et par extension, « nouveau venu » dans la religion.

    21 Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue Française, Dictionnaires le Robert, Paris, édition mise à jour et augmentée, 2002

    22 Sur la connotation péjorative qu'a acquis avec le temps le terme « prosélytisme, » voir par exemple LERNER Nathan, « Proselytism, Change of Religion and International Human Rights », Emory International Law Review, vol. 12, 1998, pp. 495-496

    23 Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/71, n° 5 920/72, 5926/72, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 23. Le cas concernait trois couples qui s'opposaient à l'éducation sexuelle intégrée et de ce fait obligatoire dans le cadre des programmes de l'école primaire publique. La Cour a conclu à l'absence de violation de l'article 2 du Protocole n°1 - pris isolément et en combinaison avec l'article 14 de la Convention - dans la mesure où cet enseignement est diffusé « de manière objective, critique et pluraliste » et ne poursuit pas un « but d'endoctrinement » (§53). Elle ajoute que « des abus peuvent se produire dans la manière dont telle école ou tel maître applique les textes en vigueur et il incombe aux autorités compétentes de veiller avec le plus grand soin à ce que les convictions religieuses et philosophiques des parents ne soient pas heurtées à ce niveau par imprudence,

    Lorsqu'elle développera davantage la question de la propagation des croyances, la Cour opposera dans l'affaire Kokkinakis le « témoignage chrétien » au « prosélytisme abusif ».24

    Par conséquent on trouve dans la doctrine un certain nombre d'expressions pour tenter de contourner l'obstacle en utilisant un terme neutre. On trouve notamment les verbes diffuser,25 convaincre,26 persuader,27 convertir,28 témoigner,29 et l'on pourrait aussi penser à annoncer, disséminer, répandre...

    Dans le cadre du mandat octroyé par l'ancienne Commission des droits de l'homme des Nations Unies, les Rapporteurs spéciaux successifs sur la liberté de religion ou de conviction ont privilégié généralement le terme « prosélytisme »,30 même si l'on trouve parfois aussi le terme « propagande (religieuse) »,31 sans qu'une définition précise n'ait été donnée avant 2005, année durant laquelle l'actuelle détentrice du mandat, Asma Jahangir, a dédié tout un chapitre de son rapport intérimaire à l'Assemblée Générale des Nations Unies à ce sujet.32 Elle n'a toutefois pas contribué à une clarification terminologique, en utilisant diverses expressions pour caractériser ce phénomène, sans qu'il soit touj ours évident de saisir les différentes nuances. On trouve ainsi pêlemêle les expressions « prosélytisme », « activités missionnaires », « propagation de la religion ». D'une manière générale la Rapporteuse semble avoir une préférence pour l'expression « activités missionnaires ».33

    manque de discernement ou prosélytisme intempestif » (italiques rajoutées par l'auteur).

    24 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §48

    25 SICILIANOS Linos-Alexandre, « La Liberté de Diffusion des Convictions Religieuses », in FLAUSS Jean-François (ed.), La Protection Internationale de la Liberté Religieuse, Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 205-229 ROSSI Gianfranco, « Le Droit à la Liberté de Diffuser sa Religion », Conscience et Liberté, n°59, pp. 121-129

    26 ACHOUR Yadh Ben, La Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté de Religion, Institut des Hautes Etudes Internationales de Paris, Cours et Travaux n°3, A. Pedone, Paris, 2005, p. 33 et suivantes. Il oppose le « droit de convaincre », légitime, au « prosélytisme », illégitime.

    27 STAHNKE Tad, « The Right to Engage in Religious Persuasion », in LINDHOLM Tore, DURHAM W. Cole, Jr., TAHZIB-LIE Bahia G. (eds.), Facilitating Freedom of Religion or Belief: A Deskbook, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, 2004, pp. 619-649

    28 GONZALEZ Gérard, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, Economica, Paris, 1997, pp. 92 et suivantes

    29 Groupe Mixte de Travail, Septième Rapport, 1998, op. cit., Annexe C: Le Défi du Prosélytisme et l'Appel au Témoignage Commun (1995)

    30 Par exemple A/51/542/Add.1 (rapport faisant suite à une visite en Grèce) §11-12: « Le Rapporteur spécial constate que le prosélytisme est dans la nature même des religions, ce qui explique la condition juridique du prosélytisme dans les instruments internationaux et la déclaration de 1989 »; E/CN.4/1 997/91, §22; E/CN.4/1 998/5, §63; E/CN.4/2000/65 §§ 35, 56, 88, 102... ; E/CN.4/2004/63/Add.2 (visite en Roumanie) § 48...

    31 Par exemple E/CN.4/1994/79, §55 où il est question aussi de « reconversions » ou encore E/CN.4/1995/91, p. 77

    32 Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir, Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de Conviction, A/60/399, 2005 (en particulier §§ 40-68)

    33 Voir aussi par exemple le Rapport E/CN.4/2006/5, Annexe: « Framework for Communication », où l'on trouve une rubrique intitulée « Teaching and disseminating material, including missionary activity » (« Enseignement et dissémination de matériel, y compris les activités missionnaires »)

    Pour ce qui concerne notre étude, le terme privilégié est celui de « propagation », qui nous semble le mieux adapté à décrire de façon neutre ce phénomène.34 Ce que nous entendons par la propagation de croyances pour notre étude, c'est toute expression, attitude ou conduite, par laquelle un individu (la source) tente de convaincre un autre individu (le récepteur) d'adopter certaines croyances et / ou d'adhérer à une certaine dénomination religieuse ou quasi-religieuse.35 Cette propagation peut donc se faire de manière directe, verbale, mais aussi de manière indirecte, lorsque le message est véhiculé par un comportement. La propagation peut donc prendre une infinité de formes: la discussion religieuse, l'enseignement, le « porte-à-porte », la publication, la distribution de tracts, une émission radio- ou télédiffusée, mais aussi la distribution de services sociaux, la relation d'aide et le soutien psychologique, l'octroi d'aide humanitaire ou au développement, ou encore le port de signes religieux distinctifs, ou tout simplement une manière d'aborder les relations interpersonnelles (générosité, disponibilité, bonté, ...) ou le choix d'une certaine éthique de vie (droiture, intégrité, ...) etc. L'élément essentiel est celui de l'intentionnalité de la source qui propose ou cherche volontairement à modifier les convictions d'autrui.

    De quels types de croyances s'agit-il? Nous donnons dans cette étude un sens large au mot « croyance », par lequel nous entendons à la fois les croyances religieuses et les « convictions » au sens de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.36 La propagation des

    A notre sens cette expression soulève plusieurs difficultés. D'une part, cette terminologie n'est pas neutre, mais fortement connotée, et souvent associée au christianisme. De plus, elle n'est pas sans rappeler le colonialisme dans l'esprit de beaucoup de personnes. D'autre part, elle ne décrit qu'une partie des phénomènes de la propagation des croyances: celle qui se fait par le biais de personnes soutenues et financées depuis l'étranger. Enfin, un activité « missionnaire » n'a pas forcément trait à la propagation des croyances. Il s'agit simplement d'une personne soutenue et envoyée depuis l'étranger pour accomplir des activités religieuses de tout type, dont, parfois, mais pas nécessairement, des activités de propagation des croyances. Pour toutes ces raisons, cette terminologie ne nous semble pas satisfaisante.

    34 Dans son « Projet de Principes sur la Liberté et la Non-Discrimination en Matière de Religion et de Pratiques Religieuses », Arcot Krishnaswami a également fait le choix de cette terminologie: « Toute personne est libre d'enseigner ou de propager sa religion ou sa conviction, tant en public qu'en privé », Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Etude des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion et des Pratiques Religieuses, par Arcot Krishnaswami, Rapporteur spécial, Nations Unies, New York, 1960, p. 77 (Annexe 1, italiques rajoutées par l'auteur)

    35 STAHNKE Tad, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., p. 620, définit le « prosélytisme » comme étant une: « conduite expressive adoptée avec l'objectif d'essayer de changer les convictions, l'affiliation ou l'identité religieuses d'autrui. La personne adoptant un tel comportement est la « source », tandis que la personne recevant le message est la « cible » (target) ». (traduit de l'anglais par l'auteur)

    36 Il est généralement considéré que les termes « religion » et « convictions » ont été choisis pour que le champ de cette liberté soit clairement étendu au delà des religions bien établies, et protège aussi les mouvements plus récents, moins reconnus, voire marginaux ainsi que les convictions non théistes.

    Voir par exemple dans le cadre de l'interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'Observation générale No 22 du Comité des droits de l'homme: Le Droit à la Liberté de Pensées, de Conscience et de Religion (art. 18), CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, 30 Septembre 1993, § 2: « L'article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes "conviction" et "religion" doivent être interprétés au sens large. L'article 18 n'est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques

    croyances inclut donc aussi les convictions qui ne sont pas religieuses au sens strict, comme l'athéisme, l'agnosticisme, le scepticisme... Quant à une définition plus précise de ce qu'est une religion et une conviction, il n'est pas utile pour notre étude d'entrer dans ce débat qui est loin d'être clos.37 A cet égard, nous ne saurions que souscrire à l'affirmation de Rosalyn Higgins lors de l'élaboration de l'Observation générale 22 du Comité des droits de l'homme: « Le contenu d'une religion devrait être déterminé par les croyants eux-mêmes ».38

    Rappelons par ailleurs la définition que la Cour a donné dans l'affaire Campbell et Cosans c. Royaume-Uni de la notion de « conviction »: « Considéré isolément et dans son acception ordinaire, le mot « convictions » n'est pas synonyme des termes "opinion" et "idées" tels que les emploie l'article 10 (art. 10) de la Convention qui garantit la liberté d'expression; on le retrouve dans la version française de l'article 9 (art. 9) (en anglais « beliefs »), qui consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il s'applique à des vues atteignant un certain degré de force, de sérieux, de cohérence et d'importance ». 39 Autrement dit, bien qu'il s'agisse de donner un champ large à cet article, ce champ ne saurait être infini.

    II. Le droit de propager ses croyances en droit international

    Face à ces controverses au sujet de la propagation des croyances, nous nous proposons de voir dans quels cas de figure la Cour a estimé que les droits de l'homme, et plus particulièrement la liberté de religion et de conviction protégeaient le droit de s'adonner à ce genre d'activités. Il s'agit par conséquent d'évaluer l'existence d'un droit de la source, soit de manière verbale, par l'expression, soit de manière non verbale, par une attitude, un comportement, de proposer au récepteur une

    institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles. »

    37 Voir notamment EVANS Carolyn, Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, Oxford University Press, Oxford, 2003, pp. 5 1-66; GUNN T. Jeremy, « The Complexity of Religion and the Definition of 'Religion' in International Law », Harward Human Rights Journal, vol. 16, 2003, pp. 189-215

    38 Human Rights Committee, Summary Records of the 1166th Meeting of the Forty-Fifth Session, discussion on 24 July 1992, § 48

    39 Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1982, série A no 48, § 36. Cette définition est donnée alors que la Cour examine l'affaire sous l'angle de l'article 2 du Protocole n° 1. Les requérants contestaient en l'espèce le recours aux punitions corporelles comme mesure disciplinaire dans les écoles publiques. La Cour a estimé que ceci pouvait être considéré comme une « conviction » au sens de la Convention: « Les opinions des requérantes ont trait à un aspect grave et important de la vie et de la conduite de l'homme: l'intégrité de la personne, la légitimité ou illégitimité d'infliger des punitions corporelles et l'exclusion de l'angoisse que suscite le risque de pareil traitement. Elles répondent à chacun des divers critères énumérés précédemment; elles se distinguent en cela des idées que l'on pourrait professer sur d'autres méthodes de discipline ou sur la discipline en général. » (Ibidem)

    croyance alternative. Dans en premier temps nous verrons dans quelles circonstances la Cour a considéré qu'il existait un tel droit en particulier dans le cadre offert par la liberté religieuse protégée à l'article 9, avant de voir que dans certains cas récents, la Cour a préféré traiter de la question sous l'angle de l'article 10, protégeant la liberté d'expression.40

    Mais avant d'en venir au droit de propager sa croyance en tant que manifestation d'une religion ou d'une croyance permise par l'article 9, il nous semble nécessaire d'aborder brièvement le fondement, l'essence, le coeur de l'article 9, qui est la protection de la liberté d'avoir, d'adopter et de changer de religion ou de conviction.

    1. Forum internum et liberté de changer de religion ou de croyance

    Forum internum

    L'une des libertés les plus fondamentales de l'individu, en tant qu'être rationnel, est la possibilité de se (re)définir et de se (re)positionner de manière continuelle dans sa relation à l'autre et au cosmos.41 Chacun a le droit de chercher et d'adopter les réponses qu'il veut aux questions existentielles auxquelles il est confronté. Personne ne doit être forcé à adopter une réponse, une vision, une croyance qui n'est pas la sienne. C'est là l'essence même de la liberté de religion et de conviction. Contrairement aux manifestations de ces croyances qui peuvent être limitées selon les conditions prévues au paragraphe 2 de l'article 9, la liberté de croyance dans la sphère du for intérieur est absolue, et ne peut en aucun cas être restreinte. Et parce que ce droit s'exerce de manière continue, il est porteur aussi, intrinsèquement, de la liberté de changer de religion et de croyance. Il en va du respect de l'humain en tant qu'être autonome et responsable. L'Etat a l'obligation, d'une part de ne pas interférer avec cette liberté - ce que l'on appelle l'obligation de respecter -, et d'autre part de protéger l'individu contre toute violation de son for intérieur par

    40 « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un système d'autorisations.

    2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. » (Article 10 - Liberté d'expression)

    41 MCDOUGAL Myres S., LAS SWELL Harold D., CHEN Lung-Chu, « The Right to Religious Freedom and World Public Order. The Emerging Norm of Non-Discrimination », Michigan Law Review, vol. 74, 1976, p. 873

    autrui.

    La Cour, dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce - affaire d'une importance centrale tant pour comprendre l'interprétation que la Cour a donnée à l'article 9,42 que pour saisir plus précisément l'approche que la Cour a eu face à la question de la propagation des croyances, et sur laquelle nous aurons par conséquent l'occasion de revenir plus en détail par la suite -, a confirmé cette importance fondamentale que la Convention accorde à la protection de la liberté de religion et de conviction en tant qu'elle relève du for intérieur de l'individu. Abordant la dimension religieuse de l'article 9, elle affirme que « la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur ».43 Cette formulation est apparue la première fois dix ans plus tôt, dans un arrêt rendu par la Commission: « L'article 9 protège avant tout le domaine des convictions personnelles et des croyances religieuses, ce que l'on appelle parfois le for intérieur ».44

    L'obligation qui découle de cette liberté, et qui s'impose aux Etats, n'est pas seulement celle de veiller à ce que les individus ne soient pas forcés d'adopter certaines croyances. Il s'agit de veiller de manière plus large à ce que l'individu ne soit pas endoctriné, ni obligé d'agir d'une manière qui revienne pour lui à renier ses croyances.

    Ni la Cour, ni la Commission n'ont établi dans les cas qu'ils ont examinés, de violations du forum internum.45 Parmi les éventuelles violations du for intérieur, on trouve dans la doctrine l'usage de la menace ou de la force physique ou de sanctions pénales visant à forcer un individu à adhérer à une religion ou conviction, ou à le contraindre à abjurer sa foi.46 La Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction mentionne également avoir été confrontée à des cas de personnes arrêtées en raison de leurs convictions et que l'on avait tenté de faire renoncer à leur foi. « La Rapporteuse spéciale estime que de tels actes constituent des formes inacceptables de violation du droit à la liberté de religion ou de conviction parce qu'ils ont essentiellement pour effet ou pour

    42 Il s'agit d'ailleurs de la première affaire où la Cour conclut à une violation de l'article 9 de la Convention.

    43 Kokkinakis c. Grèce, op. cit., §31

    44 C c. Royaume-Uni, n° 10358/83, décision du 15 décembre 1983, D. R. 37, p. 153, §1. Cette affaire concernait un quaker, pacifiste convaincu, qui s'est vu forcé à payer l'entièreté de l'impôt direct sur le revenu, alors qu'il voulait se contenter de payer 60% de ce montant, sachant que 40% des recettes fiscales provenant de l'impôt direct sont allouées aux dépenses liées à l'armement et aux industries connexes. La Commission a considéré qu'un tel comportement n'était pas protégé par le premier paragraphe l'article 9, et a déclaré la requête irrecevable.

    45 Pour une analyse de la jurisprudence de la Cour et de la Commission se rapportant à la question du forum internum, voir notamment EVANS Carolyn, Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, Oxford University Press, Oxford, 2003, pp. 72-79

    46 TAHZIB Bahiyyih G., Freedom of Religion or Belief. Ensuring Effective International Legal Protection, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague / Boston / London, International Studies in Human Rights, vol. 44, 1996, p. 26

    but de limiter la liberté de pensée ou de conscience elle-même (ce que l'on appelle parfois le « forum internum ») laquelle, selon les principaux instruments internationaux, ne souffre d'aucune restriction. »47

    La question de la propagation des croyances est intimement liée à l'existence d'une liberté située au niveau du forum internum. En effet tout l'enjeu de la propagation des croyances, c'est de savoir s'il y a un droit de tenter d'influencer le for intérieur de l'autre, de proposer au récepteur de le modifier, et de déterminer quelles limites il faut fixer à ses tentatives, pour qu'elles ne violent pas sa liberté religieuse et qu'elles n'altèrent pas (excessivement?) les conditions d'un libre choix. Nous aborderons plus spécifiquement les droits du récepteur dans le chapitre III, pour nous interroger dans un premier temps sur l'existence du droit de la source de propager ses croyances.

    Liberté de changer de religion ou de conviction

    La liberté de changer de religion est une question hautement controversée sur le plan international. Elle est pourtant inhérente à une conception de la liberté religieuse,48 considérée comme s'exerçant de manière continuelle. Au sein des organes onusiens, la question a été vivement débattue à chaque fois que la question de la liberté religieuse était sur la table de travail. Elle l'a été au moment de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme,49 mais aussi au moment de la négociation du Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966.50 Ce débat est dû notamment à la conception que les pays musulmans ont de la liberté de religion.51 L'apostasie, nous

    47 Rapport Soumis par la Rapporteuse Spéciale sur la Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahabgir, E/CN.4/2005/61, 20 décembre 2004, §45-46

    48 Voir par exemple le rapport de M. Abdelfattah Amor, Rapporteur spécial à la Commission des droits de l'homme de 1997 (E/CN.4/1 997/9 1): « Il est désormais établi que la liberté religieuse ne saurait être dissociée de la liberté de changer de religion » (§77, traduit de l'anglais par l'auteur)

    Sur le thème de la liberté de changer de religion voir aussi le rapport Krishnaswami: Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Etude des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion et des Pratiques Religieuses, op. cit., notamment les pp. 17- 20 et 27-3 1;

    49 TAHZIB, Freedom of Religion or Belief. op. cit., pp. 73-78, qui cite notamment l'opposition de l'Arabie Saoudite à la première partie de l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, relative au forum internum parce qu'elle pouvait justifier les activités missionnaires abusives, et qui en appela au vote lorsqu'il s'agit de décider de l'inclusion de la liberté de « changer ». La phrase fut acceptée par 27 votes favorables, tandis que 12 Etats s'abstinrent et que 5 Etats s'y opposèrent (Afghanistan, Irak, Pakistan, Arabie Saoudite, Syrie)

    50 Ibidem, pp. 85-89. L'Arabie Saoudite a là aussi pris la tête d'un groupe d'Etats opposés à l'inclusion du verbe « changer » dans le texte, et à nouveau, c'est le refus du prosélytisme qui a été invoqué, d'où finalement cette expression de compromis qui a permis à ce que le Pacte soit adopté unanimement, sans aucune réserve à l'article 18: « la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix ».

    Voir aussi LERNER, « Proselytism, Change of Religion and International Human Rights », op. cit., pp. 511-516

    51 Voir notamment la Déclaration du Caire sur les Droits de l'Homme en Islam du 5 août 1990, rédigée dans le cadre de l'Organisation de la Conférence Islamique, qui dispose à son article 10 ce qui suit: « L'Islam est la religion de l'innéité. Aucune forme de contrainte ne doit être exercée sur l'homme pour l'obliger à renoncer à sa religion pour

    l'avons dit, est punissable de mort en islam, ce qui peut expliquer cette position, mais surtout, ce sont les activités missionnaires d'ordre prosélytique que l'on ne veut voir justifiées en aucun cas par ce droit à changer de religion.52 Si le paragraphe 2 de l'article 18 du Pacte international de 1966 énonce « Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix » , c'est justement en réponse notamment à ceux qui craignaient que la liberté religieuse ne justifiassent des activités prosélytiques potentiellement abusives de la liberté religieuse d'autrui.53 Selon le professeur Shaw l'article 17 de la Convention européenne des droits de l'homme (interdiction de l'abus de droit)54 pourrait assumer le même rôle au sein de la Convention,55 mais ni la Cour ni la Commission n'ont jamais utilisé cet article à cet effet, préférant se référer au paragraphe 2 de l'article 9.

    Dans le contexte européen, ce débat ne fait pas rage, et la liberté de changer de religion est reconnue et acceptée globalement comme faisant partie de la liberté protégée par l'article 9. Selon la Cour, pour que cette liberté de changer puisse s'exercer effectivement, il est logique de considérer

    une autre ou pour l'athéisme; il est également défendu d'exploiter à cette fin sa pauvreté ou son ignorance. »

    Les exemples de lois prohibant l'apostasie et le prosélytisme à l'encontre de musulmans sont nombreux. Nous nous contenterons ici d'un seul exemple. Au Soudan, l'apostasie est punissable de mort et le prosélytisme est prohibé. L'article 126 de la législation pénale soudanaise de 1991 dispose notamment ce qui suit: « Sera coupable d'apostasie tout musulman qui encourage à l'abjuration de la foi islamique ou fait savoir publiquement, par une déclaration expresse ou un acte ne laissant aucun doute, qu'il a abjuré ». Par la suite, si la personne ne se repent pas et ne redevient pas musulmane au bout d'une période de temps fixé par le tribunal, la personne est exécutée. Le Soudan justifie cette disposition par le fait que l'apostasie est préjudiciable à la société et qu'elle est souvent associée à des actions néfastes contre la société ou l'Etat. Commission des droits de l'homme, Rapport Présenté par M. Angelo Vidal d'Almeida Ribeiro, Rapporteur Spécial Nommé Conformément à la Résolution 1986/20 du 10 Mars 1986 de la Commission des Droits de l'Homme, E/CN.4/1993/62, 1993, pp. 98-99

    Voir aussi ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans Face aux Droits de l'Homme, op. cit., 1994, pp. 108-112 Signalons toutefois que les lois anti-conversion ne sont pas le seul apanage des Etats musulmans. En Inde, sept Etats ont à ce jour adopté une loi « anti-conversion ». Dans l'Etat indien du Gujarat par exemple, une législation prohibe les conversions « forcées » ou acquises par le biais de « moyens frauduleux ». De plus, pour qu'une conversion soit avalisée, il faut obtenir une autorisation du magistrat du district. Commission des droits de l'homme, Rapport Soumis par la Rapporteuse Spéciale sur la Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahangir, E/CN.4/2005/61, 2004, §60

    52 Voir aussi par exemple: Organisation de la Conférence Islamique, Déclaration sur les droits et la protection de l'enfant dans le monde islamique, résolution n°. 16/7-C (is), 15 décembre 1994, dont l'article 8 sur le droit à l'enseignement contient le paragraphe suivant: « Tout en garantissant le liberté de l'homme d'embrasser librement et en dehors de toute contrainte, la religion de son choix, l'Islam interdit au Musulman d'abjurer sa religion qui est le sceau de toutes les révélations célestes. En conséquence, la société musulmane s'engage à sauvegarder la pérennité de la « Filtre » (disposition naturelle immaculée) et de la Foi de ses enfants et à protéger ceux-ci contre toute tentative visant à leur faire renier leur religion musulmane. »

    53 EVANS Malcom D., Religious Liberty and International Law in Europe, Cambridge University Press, Cambridge, 1997, pp. 189-199

    54 Convention européenne des droits de l'homme, article 17: « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un Etat, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite Convention. »

    55 SHAW Malcom, « Freedom or Thought, Conscience and Religion », in The European System for the Protection of Human Rights, MACDONALD R. St. J., MATSCHER F., PETZOLD H. (eds.), Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1993, pp. 452-53

    que la propagation des croyances religieuses soit permise par l'article 9. C'est dans l'affaire Kokkinakis qu'elle a présenté ce raisonnement: « [la liberté de manifester sa religion] comporte en principe le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un « enseignement » sans quoi du reste « la liberté de changer de religion ou de conviction », consacrée par l'article 9 (art. 9) risquerait de demeurer lettre morte ».56 Selon la Cour, la liberté de changer impliquerait donc non seulement une liberté de recevoir des informations sur les différents modèles de croyance alternatifs existants, mais encore celui d'autrui de proposer de telles croyances à la personne.

    Il nous semble devoir nuancer cette affirmation. La liberté de changer s'exercerait même en l'absence de propagation des croyances. Simplement, elle serait amoindrie, car aucune « offre » ne lui serait jamais soumise, et pour connaître d'autres convictions religieuses, il lui faudrait prendre l'initiative de lui-même, et rechercher quels sont les croyables disponibles.

    Si l'on souhaite véritablement que le choix de chacun puisse se faire le plus librement possible, il semble souhaitable que l'individu puisse avoir l'occasion d'entendre les divers points de vue, les diverses croyances, les diverses réponses trouvées aux questions existentielles qu'il peut se poser. C'est donc sans doute dans un environnement qui permet un libre échange des points de vue, des convictions, des croyances religieuses, que cette liberté de l'ordre du for intérieur se réalisera le plus pleinement.57

    2. Forum externum et liberté de manifester sa religion ou sa conviction

    Tandis que la première partie du paragraphe 1 de l'article 9 traite de la sphère interne de l'individu, libre de croire ce qu'il veut, et que cette liberté ne peut être restreinte sous aucun prétexte, la seconde partie du même premier paragraphe énonce le droit d'exercer ce qui est la conséquence extérieure de cette liberté, à savoir le droit de manifester sa religion ou sa croyance, et qui lui, peut être soumis à des restrictions (§2).

    56 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. Récemment la Cour a repris ce dictum dans l'affaire Ivanovna v. Bulgarie, n°52435/99, judgement, 12 april 2007, HUDOC, §78

    57 Voir aussi EDGE, Peter W, « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », Web Journal of Legal Current Issues, 1995, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/articles2/edge2.rtf

    « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique (...) la liberté de man ifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques ou l'accomplissement des rites. »

    La Cour mentionne donc en particulier quatre formes de manifestation d'une religion ou conviction, à savoir « le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Lorsque cette formule a été adoptée dans le texte de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'intention était d'y capturer l'ensemble des manifestations possibles d'une religion ou conviction.58 Si tel était touj ours le cas dans le cadre de la Convention européenne, la Cour serait amenée à avoir une interprétation large des manifestations protégées par l'article 9§1, et aurait tendance à examiner essentiellement les cas qui lui seraient présentés sous l'angle de la légitimité des ingérences à cette liberté de manifester sa croyance, autrement dit sous l'angle du paragraphe 2. Dans les faits, la Cour et la Commission ont adopté une attitude plus restrictive dans leur interprétation de l'article 9§1, estimant que cette liste était exclusive,59 et en donnant notamment un champ restreint au terme « pratiques », qui aurait le potentiel d'embrasser le plus vaste ensemble de manifestations.60

    La liberté de propager ses croyances ne figure pas au rang des manifestations explicitement mentionnées et protégées dans cet article. Parmi les instruments internationaux des droits de l'homme, il n'y a guère que la Convention américaine relative aux droits de l'homme de 1969 où celle-ci est mentionnée textuellement. L'article 12 du traité énonce en effet: « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de religion. Ce droit implique la liberté de garder sa religion ou ses croyances, ou de changer de religion ou de croyances, ainsi que la liberté de professer et de répandre sa foi ou ses croyances, individuellement ou collectivement, en public ou en privé. »61 La Déclaration sur l'élimination de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondée sur la religion ou la conviction de 1981 et qui est le seul instrument universel traitant exclusivement de cette liberté, prévoit « la liberté d'écrire, d'imprimer et de diffuser des publications sur ces sujets ».62

    58 Krishnaswami: Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Etude des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion et des Pratiques Religieuses, op. cit., p. 17

    59 EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 105-107

    60 Principalement depuis l'affaire Arrowsmith c. Royaume-Uni, de 1977-78 que nous allons aborder dans quelques lignes

    61 Italiques rajoutées par l'auteur. En anglais: « the freedom to (...) disseminate one's religion or beliefs ».

    62 Assemblée Générale des Nations Unies, Déclaration sur l'Elimination de toutes les Formes d'Intolérance et de

    Discrimination Fondées sur la Religion ou la Conviction, résolution 36/55, 25 novembre 1981, article 6 d). Le

    Comité des droits de l'homme reprendra à son compte cette phrase dans son Observation générale 22.

    La Rapporteuse spéciale s'est également prononcée très clairement sur la question dans son rapport à l'Assemblée générale en 2005. « Nombre d'instruments de droits de l'homme stipulent que le droit de manifester sa religion permet notamment d'entreprendre de persuader d'autres de croire en cette religion, ce que soutient également le Comité des droits de l'homme ». « L'activité missionnaire est reconnue comme une expression légitime de la religion ou de la conviction et jouit par conséquent de la protection de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et d'autres instruments internationaux pertinents. Elle ne saurait constituer une violation de la liberté de religion et de conviction d'autrui si toutes les parties intéressées sont des adultes capables de raisonner et s'il n'y a aucun rapport de dépendance ou de hiérarchie entre les missionnaires et les destinataires de leurs activités ».63

    Pour examiner dans quelles circonstances précises la Cour et la Commission ont estimé que la propagation de ces croyances était une forme de manifestation légitimement protégée par l'article 9, et évaluer dans quelle mesure la Cour et la Commission ont su être convaincantes dans leur raisonnement, nous nous proposerons d'analyser la jurisprudence des deux organes sur le sujet.

    2.1 La propagation des croyances par l'expression verbale

    Dans l'affaire Kokkinakis, la Cour a exprimé l'idée que le « témoignage en paroles et en actes, se trouve lié à l'existence de convictions religieuses ».64 Dans ce sous-chapitre nous nous intéresserons d'abord à savoir dans quelle mesure le « témoignage en paroles » a été considéré comme rentrant dans le cadre des manifestations protégées par l'article 9§1. Nous verrons que dans deux cas, la Commission a analysé les circonstances qui entouraient les affaires à travers le prisme

    63 Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir, Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de Conviction, A/60/399, 2005, §59, §67

    Notons également que très récemment encore, la Rapporteuse spéciale réaffirmait cette position en déclarant que la propagation d'une religion ou d'une conviction et notamment « les activités missionnaires » était une forme légitime d'expression d'une religion ou d'une conviction, pourvu qu'elle soit en conformité avec l'article 18 §2 du Pacte qui prohibe toute forme de contrainte (« coercion » en anglais) en matière de conversion religieuse. JAHANGIR Asma, Speech held on the 25th Anniversary Commemoration of the Adoption of the 1981 Declaration on the Elimination of Intolerance and Discrimination Based on Religion or Belief, Prague, 25 November 2006 (disponible sur demande auprès de l'auteur)

    64 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. On peut s'étonner du choix du terme « témoignage », qui est un terme religieux associé à certaines religions plus qu'à d'autres. La Cour aurait pu opter pour un terme plus neutre tel « propagation ». Le choix terminologique de la Cour et de la Commission, comme nous le verrons par la suite, illustre une lecture parfois christianisée de la liberté de religion.

    d'une définition restrictive du terme pratique, tandis que dans deux autres affaires, examinées cette fois-ci par la Cour, la propagation des croyances a plutôt été rapprochée d'une forme d'enseignement. Dans les cas les plus récents, la Cour a préféré ne pas aborder la question sous l'angle de l'article 9, mais a privilégié l'article 10, protégeant la liberté d'expression et d'opinion.

    2.1.1 L'affaire Arrowsmith et la propagation des croyances en tant que pratique

    Arrowsmith c. Royaume Uni

    La première affaire se rapprochant d'un cas de propagation de croyances a été traitée par la Commission en 1977-78. La requérante, Pat Arrowsmith, pacifiste convaincue, s'est vue condamnée au Royaume-Uni à 18 mois de prison, sur la base de la loi de 1934 relative à l'incitation à la désertion65. Elle avait en effet distribué des tracts aux troupes stationnées dans un camp militaire, les incitant à déserter ou à refuser d'obéir aux ordres si elles étaient envoyée en Irlande du Nord. Ces tracts donnaient des indications précises sur les moyens mis à disposition des soldats souhaitant déserter ou se démobiliser. Il y avait par exemple des indications sur comment et où obtenir l'asile politique, tout en prévenant aussi les soldats des peines encourues. Le but du tract figurait clairement en dernière ligne: « Nous qui distribuons le présent imprimé espérons que, d'une façon ou d'une autre, vous évitiez de prendre part aux massacres en Irlande du Nord. »66

    Sous l'angle de l'article 9, la Commission commence par affirmer que le pacifisme est une conviction protégée par l'article 9§1 .67 Reste donc à savoir si le fait de distribuer des tracts pacifistes est également protégé par ledit article, en entrant dans le champ des manifestations de la conviction sous la forme d'une pratique. La Commission donne alors une définition restrictive du terme « pratiques », dont le champ, nous l'avons dit précédemment, est potentiellement le plus large parmi les quatre formes de manifestation énumérées à l'article 9, dans une formulation qui sera ensuite

    65 En appel la peine fut réduite au temps qu'elle avait alors déjà passé en prison au moment de l'arrêt, à savoir près de neuf mois. Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §2

    66 Ibidem, §12

    67 « La Commission estime qu'en tant que philosophie et, en particulier, tel qu'il est défini ci-dessus [s'engager, en théorie comme en pratique dans une attitude consistant à réaliser ses objectifs, politiques ou autres, sans recourir à la menace ni à l'usage de la force contre tout être humain, quelles que soient les circonstances et même pour répondre à la menace ou à l'usage de la force], le pacifisme rentre dans le domaine d'application du droit à la liberté de pensée et de conscience. L'attitude du pacifiste peut donc être considérée comme une conviction (belief) protégée par l'article 9, paragraphe 1. » Ibidem, §69

    citée à de multiples reprises:

    « La Commission estime que le terme « pratiques », au sens de l'article 9, paragraphe 1, ne désigne pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction. Certes, des déclarations publiques, proclamant d'une manière générale l'idée du pacifisme et exhortant à s'engager pour la non-violence peuvent être considérées comme une manifestation normale et reconnue d'une conviction pacifiste. Par contre, on ne saurait considérer comme protégés par l'article 9, paragraphe 1 les faits et gestes de particuliers qui n'expriment pas réellement la conviction dont il s'agit, même s'ils sont motivés ou inspirés par celle-ci. »68

    La Commission poursuit ensuite en démontrant que les tracts ne sont pas porteurs d'un message présentant des idées pacifistes en tant que tel. Il s'agit plutôt de conviction, découlant du pacifisme.69 Elle en conclut que les tracts n'expriment pas des idées pacifistes et que par conséquent il n'y a pas eu d'atteinte à la liberté de pensée, de conscience et de religion.70

    La Commission poursuit ensuite l'examen de l'affaire sous l'angle de l'article 10, estimant que l'ingérence du gouvernement à la liberté d'expression de la requérante était justifiée du fait qu'elle visait à protéger la sécurité nationale et la défense de l'ordre, et pouvait être considérée comme nécessaire dans une société démocratique. La Commission conclut donc à l'absence de violation des droits de la pacifiste.

    Par son raisonnement, la Commission introduit l'idée qu'une pratique, pour être protégée par l'article 9, doit être intimement liée à la conviction. Par la suite, bien qu'elle n'ait pas utilisé expressément ce terme, cette jurisprudence interprétera cette condition comme signifiant que la pratique doit être une manifestation nécessaire pour le croyant, et non simplement une manifestation qui découle de ses convictions.71 Autrement dit, les requérants devront désormais prouver devant la Commission que la pratique était requise par leur religion ou conviction.72

    68 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §71

    69 Ibidem, §72-74

    70 Ibidem, §76

    71 Pour une analyse plus détaillée de la jurisprudence appliquant cette condition, voir EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 115-123, qui appelle ce critère « the Arrowsmith test ».

    72 Ibidem, p.115. Dans son opinion séparée en partie dissidente, M. Opsahl critique l'introduction de ce critère de nécessité: « J'estime qu'on ne saurait généralement exclure du champ d'application de l'article 9 tous les actes déclarés contraires au droit interne lorsqu'ils ne sont pas nécessairement la manifestation d'une conviction, encore qu'ils en soient nettement inspirés », Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, opinion séparée en partie dissidente de M. Opsahl, §2

    Le raisonnement appliqué dans cette jurisprudence est critiquable à bien des égards. Nous nous contenterons ici de quelques remarques qui s'intègrent dans le champ de notre problématique.

    i. La Commission laisse entendre que la propagation d'une conviction au sens de l'article 9, est une pratique protégée par la liberté de pensée, de conscience et de religion, mais l'expression des idées découlant de cette conviction, les points de vue dans une situation concrète, l'actualisation de cette conviction, ne sont pas des formes de propagation reconnue. Ceci pose problème pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la délimitation entre les deux est difficile à exercer, spécialement par des juges, dont la fonction n'est sans doute pas de distinguer ce qui fait ou non partie des idées directement liées à la croyance en tant que telle. Rien qu'en considérant le cas d'espèce d'une manière un peu plus globale, la position adoptée par la Commission est fragilisée. En effet, comme le fait noter le juge Klecker, la Commission n'a pas suffisamment tenu compte de l'ensemble des faits dans lesquels s'inscrit l'action de la requérante. Car ce n'est pas seulement auprès des troupes britanniques que la pacifiste a été propager son opposition à la guerre, mais aussi au sein des rangs de l'IRA (Irish Republican Army), ce que la Commission omet de préciser dans son rapport. Or « rien ne saurait illustrer plus clairement une action pacifiste que ces appels lancés aux deux protagonistes pour qu'ils arrêtent le combat. »73

    ii. Le second problème majeur que nous percevons dans cette approche est le jugement subjectif que la Commission est amenée à rendre pour déterminer dans quelle mesure il existe un lien suffisant entre la pratique et la conviction ou la religion en question. Dans la présente affaire, la Commission va à l'encontre de la position de la requérante, qui estimait que la diffusion du tract était pour elle un « impératif catégorique résultant de son long engagement en faveur de la cause pacifiste».74 Il nous semble dangereux pour la Commission de s'aventurer sur ce terrain. Ses prises de position risquent fort de paraître arbitraires, en l'absence de critères plus objectifs. Il nous semblerait largement plus souhaitable d'adopter une certaine souplesse dans la reconnaissance de pratiques protégées par l'article 9, et d'examiner ensuite l'ingérence étatique dans l'exercice de ce droit sur le plan du paragraphe 2, qui donne des outils permettant un raisonnement plus objectif, à partir du moment où le croyant considère, de bonne foi, que son attitude est une manifestation de sa croyance.75

    73 Ibidem, Opinion dissidente de M. Klecker, §5

    74 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, décision du 16 mai 1977, D. R. 8, p. 132

    75 La Cour n'a pas hésité à remettre en question la perception par les croyants d'une situation qu'ils jugeaient contraire à

    iii. Finalement, le raisonnement de la Commission tel qu'il a été adopté dans les affaires qui ont suivi Arrowsmith est générateur d'une protection inégale entre les religions, et au sein des religions. D'une part, en prenant le cas du thème qui nous préoccupe dans ces pages, lorsque la propagation des croyances est intimement liée aux prescriptions d'une religion ou conviction, tandis que pour une autre elle est juste un acte qui découle de la croyance, sans être un impératif dogmatique, les tenants de la première seraient protégés par l'article 9 dans leurs activités de propagation, tandis que les seconds ne le seraient pas. D'autre part, ce test favorise les religions bien établies, et dont les pratiques sont connues (et reconnues), et moins susceptibles de ne pas être considérées comme légitimes.76 Enfin, les courants minoritaires au sein d'une religion ou d'une conviction, dont les conceptions varient de celles de la majorité, et qui considèrent une pratique comme essentielle à l'exercice de leur croyance, alors que le courant majoritaire le voit autrement, ont peu de chance de se voir accorder la protection voulue par l'article 9.77

    W. H. v. Sweden

    Quelques années plus tard, la Commission aura une approche très différente dans la décision sur la recevabilité de l'affaire W. H. v. Sweden,78 affaire au demeurant fort peu connue. La requête du plaignant faisait suite à sa condamnation à une amende de 300 couronnes suédoises pour conduite contraire aux bonnes moeurs. En effet ce chrétien avait pris l'habitude de se placer devant une salle de cinéma pour y dénoncer le péché de fornication ou encore de s'opposer à la consommation d'alcool, cette fois-ci devant un magasin de vins et spiritueux. Ce n'est pas tant le contenu de son message que le fait qu'il l'exprimât de façon aussi bruyante, en criant de toutes ses forces - « comme une trompette », pour reprendre le verset du livre d'Esaïe (58.1) qui inspirait son action -, et qui troublait l'ordre public.

    Connaissant la jurisprudence issue de l'affaire Arrowsmith, dont les faits ont une certaine similarité - le requérant est condamné après avoir tenté, sur la base de ses convictions, de

    leurs convictions dans les affaires Efstratiou c. Grèce, n° 24095/94, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, §31 et Valsamis c. Grèce, n° 21787/93, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, §32. Voir en particulier les opinions dissidentes des juges Thór Vilhjálmsson et Jambrek qui estiment que la Cour doit accepter les assertions des requérants en matière de conviction religieuse lorsqu'elles sont faites de bonne foi.

    76 EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 122

    77 EDGE Peter, « The European Court of Human Rights and Religious Rights », International and Comparative Law Quarterly, vol. 47, 1998, p. 685

    78 W. H. v. Sweden, n° 9820/82, decision, 5 October 1982 (non publiée)

    convaincre ses interlocuteurs d'adopter un certain comportement conforme à ses valeurs -, l'on aurait pu s'imaginer que la Commission s'attachât dans un premier temps à examiner si l'attitude du requérant était une pratique entrant dans le champ de l'article 9§1.79 Pourtant elle ne s'est pas embarrassée d'une telle question. Ne faisant aucune référence à la jurisprudence, elle se contente, dans un argumentaire sommaire, de constater que le requérant a subi une ingérence à sa liberté de manifester sa religion. Elle ne se prononce pas sur la question de savoir de quelle forme de manifestation il s'agissait en l'occurrence, à savoir plutôt une pratique, ou bien un enseignement. Elle conclut finalement à l'irrecevabilité de la requête, jugeant que l'ingérence était légitime dans le but de protéger l'ordre public et les droits d'autrui.

    Si sur le fond, l'examen de l'affaire sous l'angle de l'existence ou non d'une manifestation au sens de l'article 9§1 est une bonne nouvelle, la facilité avec laquelle la Commission renverse sa jurisprudence antérieure sans aucune explication est pour le moins déconcertante et regrettable. Le fait que la religion à laquelle adhère le requérant soit le christianisme, n'est peut-être pas étranger au fait que la Commission ait si facilement reconnu le comportement en question comme relevant des manifestations protégées par le droit à la liberté religieuse.

    Van Den Dungen c. Pays-Bas

    Pour l'affaire Van Den Dungen c. Pays-Bas, pourtant bien plus récente,80 la Commission revient à une approche similaire à celle qu'elle a adoptée dans l'affaire Arrowsmith. En effet, elle a déclaré irrecevable la requête d'un individu condamné à une injonction pour avoir abordé les visiteurs et les employés d'une clinique plusieurs fois par mois, en leur tenant des propos contre l'avortement, en leur distribuant des tracts qualifiant cette opération d'« infanticide » et leurs auteurs de « meurtriers », et illustrés par des photos de foetus avortés et des images du Christ. Nonobstant la similarité des faits avec ceux de l'affaire H. W v. Sweden, la Commission ne daigne pas mentionner une seule fois cette affaire. D'ailleurs elle se départit du raisonnement qu'elle y avait suivi en adoptant à nouveau une approche restrictive de l'article 9§1, rappelant qu'elle « a constamment déclaré que le terme « pratiques », au sens de l'article 9 par. 1, ne désigne pas n'importe quel acte

    79 On se souvient que la Commission estimait dans l'affaire Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §71: « on ne saurait considérer comme protégés par l'article 9, paragraphe 1 les faits et gestes de particuliers qui n'expriment par réellement la conviction dont il s'agit, même s'ils sont motivés ou inspirés par celle-ci. »

    80 Cette affaire date de 1995, c'est à dire deux ans après l'affaire Kokkinakis, où la Cour a pourtant eu une approche très différente. La Commission ne fait aucun lien avec cette affaire, comme si les faits entre les deux affaires n'avaient absolument aucun rapport, ce qui nous paraît difficilement tenable.

    motivé ou inspiré par une religion ou une conviction »81 et affirme sans autre explication, que dissuader des femmes d'avorter ne constitue pas l'expression d'une conviction au sens de l'article 9 de la Convention. Elle établira dans la suite de son raisonnement que le requérant a subi une ingérence à sa liberté d'expression (article 10), justifiée par la protection des droits d'autrui et nécessaire dans une société démocratique. Cette décision illustre bien les critiques soulevées précédemment. La logique de la Commission est difficile à saisir, et les raisons pour lesquelles les pratiques litigieuses ne sont pas une forme de propagation légitime ne sont pas présentées. Là encore, il nous aurait paru plus approprié de traiter de la question sous l'angle de l'article 9§2, en menant une analyse plus objective sur la nécessité de l'ingérence à la liberté religieuse.

    2.1.2 L'affaire Kokkinakis et la propagation des croyances en tant qu'enseignement

    La Cour, confrontée à la question de la propagation des idées religieuses à deux reprises au sujet de citoyens grecs condamnés sur la base de la loi grecque sur le prosélytisme, a pris une approche très différente de celle de la Commission dans les affaires susmentionnées, en tendant à placer la propagation des croyances dans le champ de l'« enseignement », plutôt que celui des « pratiques ».

    Le code pénal grec contient traditionnellement une interdiction du prosélytisme. Historiquement, cette interdiction visait explicitement à protéger la religion dominante, l'église orthodoxe orientale du Christ, contre toute forme de propagation religieuse qui pourrait menacer sa position privilégiée. Dès la Constitution de 1844, le « prosélytisme et toute autre intervention contre la religion dominante » sont interdits. Ce n'est qu'en 1975 que la nouvelle Constitution grecque a opté pour une interdiction générale du prosélytisme - et plus uniquement lorsqu'il est exercé contre la religion dominante. La loi pertinente dans le droit pénal grec en ce qui concerne cette prohibition remonte à 1938-39, du temps de la dictature de Metaxas. La loi n°1363/1938, modifiée par la loi n° 1672/1939, donne la définition suivante du prosélytisme:

    « Par prosélytisme, il faut entendre, notamment, toute tentative directe ou indirecte de pénétrer dans la conscience religieuse d'une personne de confession différente (heterodoxos) dans le but d'en modifier le contenu, soit par toute sorte de prestation ou promesse de prestation ou de secours moral ou matériel, soit par des moyens frauduleux, soit en abusant de son inexpérience ou de sa confiance,

    81 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93, décision du 22 février 1995, D. R. 80, p. 150, §1

    soit en profitant de son besoin, sa faiblesse intellectuelle ou sa naïveté. »82 Kokkinakis c. Grèce

    Sur la base de condamnations effectuées à partir de cette loi, deux affaires sont parvenues devant la Commission puis devant la Cour européenne des droits de l'homme.

    Il y a eu tout d'abord l'affaire Kokkinakis qui allait marquer l'histoire de la Cour, puisqu'elle lui a donné l'occasion de prononcer la première condamnation pour violation de la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le requérant, M. Minos Kokkinakis, membre de l'église des Témoins de Jéhovah et retraité, a été arrêté plus d'une soixantaine de fois au cours de sa vie, pour prosélytisme. Cette fois-ci c'est pour s'être rendu, avec sa femme, au domicile de l'épouse du chantre d'une église orthodoxe de la ville, pour y avoir entamé avec elle une discussion religieuse qu'il s'est vu condamné. D'après le tribunal correctionnel, « ils lui ont annoncé qu'ils étaient porteurs de bonnes nouvelles; après avoir pénétré, avec insistance et pression, dans sa maison, ils ont commencé à donner lecture d'un livre relatif aux Ecritures qu'ils interprétaient en se référant à un roi des cieux, à des événements qui n'étaient pas encore survenus mais qui surviendraient, etc., et en l'incitant par leurs explications pertinentes et habiles (...) à modifier le contenu de sa conscience religieuse de chrétienne orthodoxe. » Mais la discussion n'a finalement pas eu d'influence sur les croyances de Mme Kyriakaki. Au terme de l'ensemble de la procédure judiciaire, le requérant s'est vu infliger une peine d'emprisonnement de trois mois, convertie en une sanction pécuniaire.

    Quand la Commission s'est penchée sur la question de savoir s'il y avait eu ingérence à la liberté de Kokkinakis, de manifester sa religion, elle y a répondu par l'affirmative sans autres explications, et surtout sans aucune référence à la jurisprudence antérieure, et notamment l'affaire Arrowsmith, considérant visiblement que les faits étaient d'une nature différente. Elle s'est contentée de constater que ce point n'était pas contesté par les parties.83 Elle ne précise pas non plus quelle forme de manifestation cette propagation représente - une pratique? un enseignement? -, se débarrassant ainsi d'une éventuelle application du test développé dans l'affaire Arrowsmith. Elle suit de la sorte une approche similaire à celle adoptée dans l'affaire W. H. v. Sweden - sans toutefois citer cette décision. Cela est d'autant plus étonnant quand on sait que la Commission reviendra à l'argumentation développée dans l'affaire Arrowsmith, dans l'affaire Van Den Dungen.

    82 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §17

    A partir de 1975, les juridictions grecques ont limité le champ de cette définition, en attribuant un caractère exhaustif à l'énumération des types d'activités prohibées, annulant ainsi l'effet de la présence de l'adverbe « notamment » dans la définition.

    83 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport du 3 décembre 1991, HUDOC, §56

    La Cour quant à elle, a eu une argumentation à peine plus développée sur cette question:

    « Telle que la protège l'article 9 (art. 9), la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles - consubstantiel à pareille société.

    Si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle "implique" de surcroît, notamment, celle de "manifester sa religion". Le témoignage, en paroles et en actes, se trouve lié à l'existence de convictions religieuses.

    Aux termes de l'article 9 (art. 9), la liberté de manifester sa religion ne s'exerce pas uniquement de manière collective, "en public" et dans le cercle de ceux dont on partage la foi: on peut aussi s'en prévaloir "individuellement" et "en privé"; en outre, elle comporte en principe84 le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un "enseignement", sans quoi du reste "la liberté de changer de religion ou de conviction", consacrée par l'article 9 (art. 9), risquerait de demeurer lettre morte. »85

    Contrairement à la jurisprudence de la Commission, la Cour rapproche ici la propagation à une forme d'enseignement, mais sans être catégorique (« par exemple »), sous-entendant que la propagation pourrait s'inscrire aussi dans le cadre d'autres formes de manifestations. Cette position ne fait pas l'unanimité parmi les juges de la Cour.86

    On constate d'une part un flou terminologique dans le vocabulaire de la Cour, pour décrire le

    84 Ce « en principe » est perçu par Renucci comme une marque de prudence dont il se félicite. RENUCCI JeanFrançois, L 'Article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme: La Liberté de Pensée, de Conscience et de Religion, Editions du Conseil de l'Europe, Dossiers sur les droits de l'homme, n° 20, Strasbourg, 2004, p. 22 et 58. Selon nous cette expression signifie davantage que la propagation est permise, sous réserve de ne pas être exercée d'une façon qui porte atteinte aux droits d'autrui, ce que la Cour qualifiera par la suite de « prosélytisme abusif ».

    85 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. Nous relevons qu'ici aussi la Cour fait usage de manière surprenante d'un langage christianisé quand elle affirme que l'article 9 comporte « le droit d'essayer de convaincre son prochain » (ou quand elle utilise l'expression « témoigner », comme nous l'avons déjà relevé précédemment). Il aurait sans doute été préférable de parler du droit d'essayer de convaincre « autrui », terme plus neutre et qui figure par ailleurs dans la Convention.

    86 Le jugement de la Cour a finalement abouti à la conclusion que l'ingérence à la liberté de religion de Kokkinakis n'était pas légitimée au regard du second paragraphe de l'article 9 et partant, que cet article avait été violé.

    phénomène de la propagation des croyances. La Cour mentionne successivement la notion de « témoignage » (§3 1), de « droit d'essayer de convaincre son prochain » (§3 1), au sein duquel elle distinguera le « témoignage chrétien » ou la « vraie évangélisation » du « prosélytisme abusif » (§ 48). Si certains juges auraient souhaité l'utilisation du terme « prosélytisme » dans un sens neutre, et comme manifestation légitime de ses croyances,87 d'autres y étaient farouchement opposés, considérant le « prosélytisme » comme intrinsèquement illégitime et, partant, incompatible avec l'article 9.88 Pour le juge Valticos, seules les « conversations anodines » sauraient être tolérées, mais en aucun cas le prosélytisme, où l'individu « cherche à convertir autrui [en] ne se limitant pas à sa foi, [mais en cherchant] à modifier celle des autres en faveur de la sienne ».89

    La question de savoir si la propagation de sa croyance pourrait être considérée comme une forme d'enseignement a également été débattue, et surtout remise en cause par les juges Valticos, Foighel et Loizou. Pour le premier, ce type de manifestation peut se produire dans le cadre de programmes scolaires ou dans les institutions religieuses, mais ne couvre pas ce genre de démarchage individuel. Pour les deux autres, c'est surtout la manière dont le contenu est présenté qui pose problème: « Le terme d'"enseignement" implique franchise et probité, et exclut le recours à des moyens détournés ou irréguliers ».90

    Dans son commentaire sur cette affaire, le professeur Peter Edge fait un constat intéressant: il lie les positions des uns et des autres sur la question, à leur conception réciproque de ce qui constitue selon eux l'essence, la raison d'être de cet article 9. En effet, on trouve deux bases de

    87 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion concordante de M. le juge De Meyer: « Le prosélytisme, étant le « zèle déployé pour répandre la foi », ne peut être punissable en tant que tel: c'est une manière, parfaitement légitime en elle-même, de « manifester sa religion ».

    Ibidem, opinion partiellement concordante de M. le juge Pettiti: « Le prosélytisme est lié à la liberté de religion; le croyant doit pouvoir communiquer sa foi et sa conviction dans le domaine religieux comme dans le domaine philosophique. (...) C'est un droit pour le croyant ou le philosophe agnostique d'exposer ses convictions, de tenter de les faire partager et même de tenter de convertir son interlocuteur. »

    Ibidem, opinion partiellement dissidente de M. le juge Martens

    88 Ibidem, opinion dissidente de M. le juge Valticos; opinion dissidente commune à MM. les juges Foighel et Loizou.

    89 A ceci, Gonzalez oppose la question suivante: « l'enseignement comme manifestation de sa religion peut-il se limiter à une sorte de présentation désincarnée de sa foi, sans passion, sans désir de la faire partager? ». GONZALEZ, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, op. cit., p. 116. (En revanche il nous semble plus difficile de suivre ce même auteur lorsqu'il explique que le comportement de Kokkinakis n'était pas un « enseignement » mais une « prédication », qui doit être considéré comme une forme de pratique au sens de l'article 9§1).

    90 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion dissidente commune à MM. les juges Foighel et Loizou. « Le terme d'"enseignement" implique franchise et probité, et exclut le recours à des moyens détournés ou irréguliers, ou à de faux prétextes, comme ceux utilisés en l'espèce pour pouvoir pénétrer au domicile de quelqu'un et, une fois introduit, en abusant de la courtoisie et de l'hospitalité témoignées, tirer avantage de l'ignorance ou de l'inexpérience en matière de dogme d'une personne n'ayant pas de formation dans ce domaine, et chercher à l'amener à changer de religion. »

    justifications différentes dans l'énoncé de la Cour: « Telle que la protège l'article 9 (art. 9), la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement con quis au cours des siècles - consubstantiel à pareille société. »91

    Ces deux bases justificatives de l'existence de la liberté religieuse sont d'une part l'importance de la liberté individuelle pour chaque croyant, et d'autre part la protection du pluralisme, et de la paix religieuse. Or les juges Pettiti, De Meyer et Martens, qui ont une conception de la liberté religieuse semblant se baser avant tout sur l'importance de cette liberté individuelle pour l'épanouissement personnel de chacun, considèrent le prosélytisme comme étant une manifestation légitime de ses convictions. En revanche, les juges Valticos, Foighel et Loizou, ainsi que le gouvernement grec (§33) mettent davantage l'accent sur la notion de paix religieuse et de tolérance, s'inscrivant ainsi dans une approche plus utilitariste92 et ont tendance à refuser toute légitimité à une quelconque activité de propagation de ses croyances. Dans cette seconde perspective, l'enjeu du prosélytisme, consiste avant tout à protéger la personne réceptrice des « attaques » de la personne source.93 Peter Edge qualifie une telle lecture des faits et une telle approche de la protection à accorder au titre de l'article 9, de « paradigme du prédateur », tant les circonstances sont dépeintes comme s'il s'agissait de l'affrontement opposant une proie vulnérable, sans défense, incapable de résister aux idées qui lui sont insidieusement imposées, à un prédateur sans vergogne94. Un tel raisonnement favorise le statu quo sur le plan religieux, et par conséquent les religions établies au détriment des groupes minoritaires.

    91 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31, italiques rajoutées par l'auteur

    92 EDGE, « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », op. cit.

    93 Voici comment le juge Valticos lit les faits du cas d'espèce dans son opinion dissidente: « Voyons maintenant les faits de l'espèce. Voici, d'une part, un adepte militant des témoins de Jéhovah, un dur à cuire du prosélytisme, un spécialiste de la conversion, un martyr des correctionnelles, que les condamnations antérieures n'ont fait qu'endurcir dans son militantisme, et, d'autre part, une victime rêvée, une femme naïve, épouse d'un chantre de l'Eglise orthodoxe (s'il réussit à la convertir, quel succès!). Il se précipite sur elle, claironne qu'il lui apporte une bonne nouvelle (le jeu de mots est transparent, mais sans doute pas pour elle), parvient à se faire recevoir et, commis voyageur expérimenté et démarcheur habile d'une foi qu'il veut répandre, lui expose sa marchandise intellectuelle habilement enrobée dans un emballage de paix universelle et de bonheur radieux. Certes, qui ne voudrait la paix et le bonheur? Mais est-ce là le simple exposé des convictions de M. Kokkinakis ou plutôt la tentative de séduire l'âme simple de l'épouse du chantre? Est-ce de telles opérations que protège la Convention? Certainement pas. »

    94 EDGE, Peter W, « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », op. cit.

    Larissis et autres c. Grèce

    La Cour s'est penchée sur une seconde affaire de condamnation pour prosélytisme en Grèce, dans une affaire impliquant trois officiers de l'armée de l'air grecque, membres d'une église pentecôtiste, « confession chrétienne protestante qui adhère au principe selon lequel tous les croyants doivent évangéliser ».9 5 Les trois officiers ont été condamnés sur la base de la même loi grecque, pour avoir propagé leur foi auprès de trois soldats - parmi lesquels il y eut un converti - mais aussi auprès de particuliers, en dehors du cadre de leur profession. La Cour - et encore moins la Commission avant elle96 -, ne s'attardent sur la question de savoir si la propagation de ces croyances est ou non protégée par l'article 9: elles constatent qu'il n'est pas contesté que les sanctions des requérants à 12 à 14 mois de prison avec sursis soient une ingérence à leur liberté de religion.

    Comment expliquer ces divergences, ces contradictions ces incohérences et ces divisions au sein de la Commission et de la Cour, manifestes à la lecture de cette jurisprudence? Carolyn Evans nous apporte sans doute un élément de réponse en constatant que d'une manière générale, la Commission et la Cour ont accordé plus facilement la protection sous l'article 9 aux pratiques se rapprochant de celles du christianisme. Du coup les minorités religieuses n'ont été protégées que lorsque les manifestations étaient analogues à celle existantes au sein du christianisme.97 Ce constat semble bien être valable en ce qui concerne la jurisprudence décousue de la Commission. L'on peut penser aussi, à la lecture des opinions dissidentes de l'affaire Kokkinakis, que les opinions et les convictions personnelles des juges elles-mêmes ne sont sans doute pas pour rien dans leur approche de la question. C'est aussi ce qu'allègue le juge Valticos, auteur d'une opinion dissidente très forte dans cette affaire et qui reconnaît le rôle clef que joue dans ce genre de délibérations la conception personnelle de chaque juge, en matière de religion. Il a notamment cette phrase étonnante de sincérité - mais choquante à plus d'un égard - face aux diverses opinions qu'a générées l'affaire Kokkinakis: « il serait malaisé de se prononcer en droit sur l'une ou l'autre de ces opinions. C'est que le problème n'est pas principalement juridique, mais largement une question de conscience et d'idéologie. La liberté de religion est conçue et vécue différemment par chacun selon sa formation et sa sensibilité. A côté des analyses juridiques des différents juges on ne saurait écarter une

    95 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §7

    96 Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september 1996, HUDOC, §46

    97 EVANS C., Freedom of Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p. 115

    conception philosophique et morale qui colore et oriente leur raisonnement. (...) C'est en définitive la voix irréductible du for intérieur (si l'on me passe l'expression) et de la conscience individuelle qui l'emportera chez chaque juge. Ce sont ses convictions profondes, son expérience individuelle et son échelle de valeurs qui l'amèneront à la position qu'il adoptera dans le cas considéré. »98

    Quant à la question de savoir s'il est préférable de traiter de la propagation des croyances sous l'angle des « pratiques » ou d'un « enseignement », nous pensons que cela a finalement peu d'importance. En effet, ces catégories ne sont pas à prendre de manière figée. Cette énumération que l'on trouve à l'article 9 vise surtout à embrasser l'ensemble des formes de manifestations religieuses. Il nous semble donc préférable, tout comme pour la définition du contenu d'une religion ou d'une croyance, d'adopter une approche souple, en reconnaissant la manifestation revendiquée de bonne foi par le requérant comme étant protégée au titre de l'article 9, afin de privilégier une analyse de la légitimité d'une telle manifestation sous l'angle du second paragraphe de l'article 9 (les restrictions). L'organe judiciaire pourrait alors examiner l'affaire sur un terrain où il dispose d'outils juridiques plus solides, moins arbitraires et donnerait plus de légitimité à ses raisonnements. Ce n'est malheureusement pas l'approche que la Cour a suivi dans les affaires ultérieures. Au contraire, sa difficulté à traiter de cette question est apparue encore plus manifestement.

    2.1.3 La fuite vers l'article 10: les affaires Pitkevitch c. Russie et Murphy c. Irlande

    Dans les affaires les plus récentes où la Cour a eu à faire à des cas de propagation de croyances, elle a préféré se placer directement sous l'article 10, sans prendre la peine d'examiner les cas sous l'angle de la liberté de religion et de conviction, modifiant ainsi son approche de celle développée dans les affaires grecques.

    Pitkevitch c. Russie

    C'est en fait une véritable fuite de la Cour à laquelle on assiste dans l'affaire Pitkevitch c. Russie. L'affaire concerne une juge, engagée politiquement dans le camp de l'opposition à la mairie en place, qui s'est faite congédier, sur demande de la maire. Il lui fut reproché d'avoir poursuivi des

    98 VALTICOS Nicolas, « Interprétation juridique et idéologies », in MAHONEY Paul, MATSCHER Franz, PETZOLD Herbert, WILDHABER Luzius (eds.) Protection des Droits de l'Homme: la Perspective Européenne. Mélanges à la Mémoire de Rolv Ryssdal, Carl Heymans Verlag KG., Köln, 2000, pp. 1476 et 1481

    activités religieuses, dans l'intérêt de son église,99 sur son lieu de travail. Elle a notamment tenté, sans succès, d'enrôler des personnes au sein de sa dénomination religieuse, prié au cours de certaines audiences, et elle aurait également promis à certaines parties une issue favorable à leur procès si elles rejoignaient son église. De part ces agissements, la requérante a, d'après les juridictions russes, nui à sa réputation en tant que juge et a affaibli l'autorité du pouvoir judiciaire.

    La Cour dans sa décision, s'adonne à un véritable tour de passe-passe pour éviter l'article 9. En effet, elle constate tout d'abord que cette situation constitue bel et bien une ingérence à la liberté de religion et à la liberté d'expression, protégées par les articles 9 et 10 de la Convention. Puis elle poursuit en affirmant, qu'elle examinerait dans un premier temps si l'ingérence est justifiée dans le cadre de l'article 10. Après avoir constaté que l'ingérence en question ne violait pas la liberté d'expression de la requérante, elle ajoute simplement que « pour des raisons similaires », la plainte est également mal fondée au regard de l'article 9. Pourtant les faits en question, à savoir la manifestation de ses convictions religieuses sur son lieu de travail, semblent clairement être bien plus une ingérence à sa liberté religieuse qu'à sa liberté d'expression. Par ailleurs, le malaise de la Cour est également visible dans son usage de périphrases, pour éviter absolument l'usage du terme « prosélytisme ».100

    Sous l'angle de l'article 10, la Cour accepte que l'ingérence poursuivait deux buts légitimes, à savoir d'une part la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire, et la protection des droits d'autrui, mais dans l'analyse de la nécessité d'une telle ingérence, la Cour se contente d'examiner en quoi elle était justifiée par la protection du pouvoir judiciaire. Elle évite ainsi la limitation qui se baserait sur le droit des individus à ne pas être soumis à une forme de prosélytisme qui violerait leur liberté de pensée, de conscience et de religion. De plus, le but légitime de la protection du pouvoir judiciaire ne figure pas parmi les raisons justifiant une ingérence à l'article 9, ce qui fait encore davantage regretter que la Cour se permette de rejeter la requête au regard de l'article 9 « pour des raisons similaires ».

    La Cour s'est visiblement trouvée embarrassée par cette affaire, et plutôt que de se pencher sur la question du prosélytisme de la requérante, qui aurait peut-être suscité un débat inconfortable

    99 La requérante est membre d'une église évangélique.

    100 « Elle exprima ses opinions religieuses » (« She expressed her religious views »); « elle avait essayé sans succès d'enrôler un certain nombre de personnes » (« she had unsuccessfully attempted to enrol a number of persons »); « elle avait essayé de recruter plusieurs collègues ou tierces personnes pour en faire des membres de son église » (« she had recruited several colleagues and third persons as members of the Church »).

    parmi les juges, la Cour s'est débinée en refusant d'entrer véritablement en matière.

    Murphy c. Irlande

    En 2003, c'est une affaire opposant un pasteur protestant à l'Irlande, que la Cour a préféré traiter sous l'angle de l'article 10 plutôt que de l'article 9. Les faits du cas d'espèce sont les suivants: le pasteur s'est vu refuser la possibilité de diffuser une annonce sur une station radiophonique indépendante. Cette annonce, qui devait être diffusée peu avant Pâques, appelait à s'interroger sur l'identité du Christ, et faisait la publicité d'une projection de film concernant les preuves de la résurrection. La High Court irlandaise a justifié cette interdiction par la protection de l'intérêt général: « Les croyants irlandais appartiennent pour la plupart à des confessions spécifiques et des annonces à caractère religieux provenant d'une confession différente pourraient donc offenser de nombreuses personnes et être interprétées comme du prosélytisme ».101

    La Cour a analysé le cas en contrebalançant la liberté d'expression du pasteur avec la liberté religieuse des auditeurs de la radio, qui ont un droit d'être à l'abri de l'audition de propos offensants leurs sentiments religieux, estimant que cette ingérence était en l'espèce justifiée.102

    Bien que le requérant alléguait ses griefs tant au titre de l'article 9 que de l'article 10, la Cour a préféré une nouvelle fois se placer dans le cadre de la liberté d'expression, nonobstant le fait que le contenu des idées exprimées était clairement religieux, et pouvait être regardé comme une forme de manifestation de la religion du requérant.

    On décèle à nouveau un certain malaise de la Cour dans cette fuite devant l'article 9,103 ainsi que peut-être un choix de s'insérer dans la logique d'une jurisprudence antérieure bien fournie,

    101 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), § 12

    102 Il est dommage que la Cour n'ait pas relevé que cette argumentation de la High Court semble vouloir protéger la paix religieuse en s'opposant à une annonce qui dérangerait la majorité catholique. On peut se demander en effet dans quelle mesure cette attitude ne reflète pas un éventuel problème dans la protection des droits des minorités religieuses.

    103 Cette fuite face à l'article 9 est également constatée par Renucci à la lumière de l'ensemble de la jurisprudence de la Cour et de la Commission relative à la liberté religieuse. Il relève en effet que lorsque l'article 9 se trouve en concurrence avec d'autres droits protégés par la Convention, le choix des juges s'est souvent opéré à son détriment. RENUCCI, L'Article 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, op. cit., pp. 37-38

    Cette attitude semble être en contradiction avec l'affirmation de la Commission dans son rapport sur l'affaire Kokkinakis: « [l]orsque l'exercice du droit à la liberté de manifester sa religion ou sa conviction par le culte, l'enseignement, les pratiques ou l'accomplissement des rites, c'est le droit garanti à l'article 9 de la Convention qui est visé au premier chef. » Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport du 3 décembre 1991, HUDOC, §79

    traitant de l'atteinte aux sentiments religieux sous l'angle de l'opposition « article 10 vs. article 9 ».104

    Le choix de se porter sur l'article 10 plutôt que 9 pour les affaires de propagation des croyances ne nous semble pas en conformité avec l'architecture de la Convention.105 L'article 9 introduit et pose les droits de l'être pensant dans la première partie du paragraphe 1, en énonçant la liberté de pensée, de conscience et de religion. La suite de l'article 9 énonce les droits concernant la réalisation de ce principe dans sa dimension religieuse - au sens large -, tandis que l'article 10 et 11 donnent les moyens de sa réalisation sur le plan non-religieux.106 Par conséquent, il nous semble que la propagation des croyances, même si elle est une forme d'expression couverte par l'article 10, doit être traitée, en raison de sa composante religieuse, dans le cadre de l'article 9, conformément au principe de la lex specialis.

    2.2 La propagation non verbale des croyances et le port de signes religieux

    Si la propagation des croyances prend essentiellement la forme d'une expression verbale, d'autres comportements peuvent eux aussi véhiculer une intention de convaincre autrui d'adhérer à son système de croyance. C'est le cas notamment du port de signes religieux.

    Dans un contexte européen où cette question donne lieu a un débat intense, principalement en lien avec le port du foulard islamique, il nous semble pertinent d'aborder très brièvement cette facette de la propagation, d'autant plus que la Cour elle-même a eu l'occasion de mentionner le lien existant entre le port de signes religieux et le prosélytisme. La doctrine déjà avait estimé auparavant que « l'extériorisation de la croyance religieuse peut représenter cependant, et trop souvent, un

    104 Voir infra III 1.2

    Signalons que très récemment, dans l'affaire Ivanovna v. Bulgarie, n°52435/99, judgement, 12 april 2007, HUDOC, la Cour a examiné une affaire où le superviseur de la piscine d'un établissement scolaire a été démis de ces fonctions, du fait de ces convictions. Le gouvernement laisse entendre que c'est parce que ce membre de « Word of Life », un mouvement chrétien évangélique, s'adonnait à des activité de « prosélytisme » (§82). La Cour se réfère à l'arrêt Kokkinakis pour rappeler que l'article 9 comprend en principe le droit de tenter de convaincre autrui (§78). La question du prosélytisme n'est abordé que marginalement dans cette affaire, où la Cour a conclu à la violation de l'article 9, du fait qu'elle ait été démise de ses fonctions en raison de ses convictions religieuses.

    105 Certains auteurs semblent toutefois considérer que la propagation des croyances relève avant tout de la liberté d'expression, sans argumenter cette position. Voir par exemple LERNER Nathan, Religion, Beliefs and International Human Rights, Orbis Book, Maryknoll, New York, 2000, p. 82

    106 Cette lecture nous est inspirée par Ben Achour. « Les articles 9, 10 et 11 posent un principe [les droits de l'être pensant] et prévoient des moyens pour sa réalisation. Le principe est celui de l'article 9 relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Les moyens sont ceux prévus par les articles 10 et 11 ». ACHOUR, La Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté de Religion, op. cit., p. 3

    caractère volontairement militant, revendicatif qui en fait un acte de militantisme et de prosélytisme religieux ».107

    C'est dans le cadre de l'affaire qui concernait une institutrice genevoise de religion musulmane, l'affaire Dahlab c. Suisse, que la Cour mentionna pour la première fois le « prosélytisme » en lien avec le port du foulard islamique. La directrice générale de l'enseignement primaire interdit à l'institutrice en question de continuer de porter le voile en classe. Cette décision fut soutenue par les tribunaux suisses. Le Tribunal fédéral justifia notamment son jugement en expliquant que les enseignants « peuvent avoir une grande influence sur les élèves; ils représentent un modèle auquel les élèves sont particulièrement réceptifs en raison de leur jeune âge, de la quotidienneté de la relation - à laquelle ils ne peuvent en principe se soustraire - et de la nature hiérarchique de ce rapport ».108 Lorsqu'il s'est agi de mettre en balance la protection des droits des élèves avec la protection des droits de la requérante, la Cour a repris à son compte cet argument, estimant que le foulard islamique était un signe extérieur fort, et cela d'autant plus qu'il s'agissait d'enfants en bas âge (4-8 ans). « Comment pourrait-on dès lors dans ces circonstances dénier de prime abord l'effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu'il semble être imposé aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal fédéral, est difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes. »109

    D'autres affaires ont suivi, où la Cour a estimé que le port du voile était également une manière d'exercer une pression, notamment sur les musulmanes qui ne portent pas le voile.110 Le message propagé dans ce cas-là consistait à réclamer de ces femmes qu'elles adoptassent une attitude conforme à une lecture plus rigoureuse des préceptes islamiques. L'argument de l'effet « prosélytique » du foulard est ainsi repris tant dans l'affaire Sahin c. Turquie111, que dans l'affaire

    107 GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., p. 27

    108 Dahlab c. Suisse, n° 42393/98, décision du 15 février 2001, CEDH 2001 -V, §2

    109 Ibidem

    110 En réalité on remarque que dès 1993, la Commission avait déjà jugé irrecevable deux requêtes d'étudiantes qui ne s'était pas vu délivrer son diplôme du fait que sur la photographie d'identité requise à ce titre elle apparaissait voilée, estimant qu'il n'y avait pas en l'espèce d'ingérence à l'article 9. Selon la Commission la réglementation turque était justifiée parce qu'elle cherchait à éviter à ce que les musulmanes qui ne portent pas le voile ainsi que les nonmusulmanes ne soient mises sous pression. Karaduman c. Turquie, n° 16278/90, décision du 3 mai 1993, D. R. 74, p. 93 et Bulut c. Turquie, n°18783/91, décision du 3 mai 1993, HUDOC.

    111 Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, arrêt du 10 novembre 2005, HUDOC, § 111. Cette affaire concernait une étudiante en médecine à Istambul qui a été exclue de l'université en conséquence de son choix de porter le voile en toute circonstance. La Grande Chambre a estimé qu'il n'y avait pas de violation de la Convention en l'espèce. Dans son opinion dissidente, la juge Tulkens considère que l'on peut estimer que la liberté de manifester sa religion peut être limitée par les droits et libertés d'autrui « si le port du foulard par la requérante, comme signe religieux, avait revêtu un caractère ostentatoire ou agressif ou avait constitué un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande portant atteinte - ou susceptible de porter atteinte - aux convictions d'autrui. » (§8)

    Köse et 93 autres c. Turquie.112

    Ce que l'on constate à la lecture de cette jurisprudence, c'est qu'une signification négative per se est donnée au port du signe religieux.113 Il semblerait que la réflexion de Koubi soit particulièrement pertinente à cet égard: « un « signe » n'a de sens religieux qu'en tant que celui qui l'expose le lui donne; et pourtant, parfois, la situation est l'inverse, et la qualité religieuse du « signe » dépend du regard de l'autre ». 114 Il y a de quoi se poser la question de savoir si cette dimension négative systématiquement attribuée au port du voile est justifiée. D'ailleurs la perception d'un éventuel effet « prosélytique » découlant du port du signe religieux s'inscrit dans cette logique et se trouve évoquée non pas comme un argument pour renforcer l'idée d'une protection sous l'article 9, mais bien au contraire comme une raison justifiant les restrictions que les Etats ont jugé bon émettre à l'encontre de cette pratique.

    III. Les restrictions au droit de propager ses croyances

    S'il existe un droit de la source de propager ses croyances, ce droit n'est certainement pas illimité. Sur le plan universel, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient notamment une clause disposant que « [n]ul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix » (article 1 8§2). Ce

    112 Köse et 93 autres c. Turquie, n° 26625/02, décision du 24 janvier 2006, HUDOC, affaire qui concerne des élèves d'établissements secondaires publics à vocation religieuse interdits d'accès à l'école du fait qu'elles portaient le voile. La Cour conclut à l'irrecevabilité des requêtes, estimant notamment que la seconde phrase de l'article 2 du Protocole n° 1 (droits des parents en matière d'éducation des enfants) impliquait que l'Etat, « veille à ce que les informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste (Kjeldsen, Busk, Madsen et Pedersen, précité, p.26) dans une atmosphère sereine, préservée de tout prosélytisme intempestif ». Notons tout de même que la Cour transforme en l'occurrence le dictum de l'affaire Kjeldsen. En effet, le « prosélytisme intempestif » contre lequel l'Etat devait veiller émanait alors potentiellement de l'enseignant. Celui-ci devait s'acquitter de sa tâche en respectant le principe de neutralité. En revanche dans le cas d'espèce, le « prosélytisme intempestif » dont il faut protéger les élèves émanerait de l'attitude des musulmanes portant le voile.

    113 BURGORGUE-LARSEN Laurence, DUBOUT Edouard, « Le Port du Voile à l'Université. Libres Propos sur l'Arrêt de la Grande Chambre 'Leyla Sahin c. Turquie' du 10 Novembre 2005 », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, n° 66, 2006, p. 196. « La Cour - sans doute aveuglée par sa volonté de valoriser coûte que coûte le principe de laïcité - a porté un jugement défavorable sur le sens dudit voile ».

    Voir aussi notamment l'opinion dissidente de Mme la juge Tulkens: « Le port du foulard ne peut, en tant que tel, être associé au fondamentalisme et il est essentiel de distinguer les personnes qui portent le foulard et les « extrémistes qui veulent l'imposer, comme d'autres signes religieux. Toutes les femmes qui portent le foulard ne sont pas des fondamentalistes (...) » (§1 1). Et plus loin: « je vois mal comment le principe d'égalité entre les sexes peut justifier l'interdiction faite à une femme d'adopter un comportement auquel, sans que la preuve contraire ait été apportée, elle consent librement. » (§12)

    114 KOUBI G., « De la Laïcité à la Liberté de Conscience », Les Petites Affiches, 5 janv. 1990, p. 10, in GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme », op. cit., p. 27

    paragraphe a été introduit notamment dans le but d'éviter que certaines formes de propagation des croyances ne soient justifiées sous prétexte de liberté religieuse.115 Dans son Observation générale n°22, le Comité des droits de l'homme explique que « [l]e paragraphe 2 de l'article 18 interdit la contrainte pouvant porter atteinte au droit d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction, y compris le recours ou la menace de recours à la force physique ou à des sanctions pénales pour obliger des croyants ou des non-croyants à adhérer à des convictions et à des congrégations religieuses, à abjurer leur conviction ou leur religion ou à se convertir ».116 La propagation des croyances ne sauraient donc être admise sous toutes ces formes, notamment lorsqu'elle prend une forme contraignante portant atteinte à la liberté du récepteur. Toute la question est de savoir quel est le seuil à partir duquel l'on peut considérer que l'acte de propagation porte gravement atteinte à la liberté de religion ou de conviction d'autrui au point qu'il faille le réprimer. Avant d'examiner plus précisément comment le droit de la source doit être mis en balance avec la nécessité de protéger celui du récepteur, voyons quels sont les différentes bases de justification d'une limitation au droit de la source dans le texte de la Convention européenne.

    Les restrictions à la liberté religieuse au sein de la Convention européenne des droits de l'homme

    Le texte de la Convention européenne des droits de l'homme ne comporte pas l'équivalent de l'article 1 8§2 dans le Pacte. Les restrictions à la liberté de religion ou de conviction sont envisagées au second paragraphe de l'article 9.117 On y retrouve le schéma classique de ce genre de disposition permettant de restreindre, sous condition, un droit de l'homme. La limitation au droit doit être « prévue par la loi », doit poursuivre un but légitime et être « nécessaire dans une société démocratique ».

    Ces buts légitimes sont tout d'abord la « sécurité publique ». On peut imaginer que dans certaines circonstances, la propagation des croyances puisse être limitée à cet effet, à condition que cette limitation soit proportionnelle au but visé. Dans l'affaire Arrowsmith, la Commission a estimé que l'ingérence à la liberté d'expression de la requérante se justifiait au regard de la protection de la « sécurité nationale », du fait qu'elle incitât des soldats à la désertion.118 Hors du contexte européen,

    115 Voir note 51

    116 Comité des droits de l'homme, Observation Générale No 22, op. cit. §5. Notons que le Comité se montre très prudent en se contentant de mentionner la force physique et les sanctions pénales comme forme de contrainte, et choisit ainsi de ne pas ouvrir la boîte de Pandore en évitant d'aborder les contraintes d'ordre mentales.

    117 Ce paragraphe a son pendant au §4 de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

    118 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §§90-94

    la sécurité publique sert parfois à la justification d'ingérences à la liberté de propager ses croyances qui peuvent paraître excessives. Certains Etats ont par exemple estimé que la stabilité ethnique et religieuse de la population - ou tout simplement la stabilité politique du régime en place - devait être préservée, et qu'à cette fin, les activités de propagation menées par des communautés soutenues depuis l'étranger et perçues comme étant subversives devaient être prohibées.119

    Une ingérence à la liberté de religion ou de conviction peut également se justifier par la « protection de l'ordre ». C'est sur cette base que la Commission a décidé que l'interdiction faite au requérant, dans l'affaire H. W. v. Sweden, d'exprimer bruyamment ses convictions sur la place publique se justifiait. Dans certains pays non européens, la protection de l'ordre public est également le prétexte à des interdictions extensive de la liberté de propager des croyances. Parce que la propagation de certaines convictions risquerait de créer des tensions intercommunautaires, il a parfois été estimé qu'elle représentait un danger à l'ordre public. 120 Dans ce contexte, ce sont souvent les croyances portées par une minorité de personnes et impopulaires aux yeux de la majorité qui se trouvent de la sorte limitées.

    L'article 9 mentionne encore la « protection de la santé ou de la morale publiques », mais aussi et surtout « la protection des droits et libertés d'autrui ». Dans la perspective de notre problématique, ce dernier objectif signifie que la propagation des croyances peut être limitée lorsqu'elle porte atteinte aux droits du récepteur. Autrement dit, le droit de la source doit, dans certaines circonstances, être mis en balance avec celui du récepteur. On peut imaginer par exemple que le droit au respect de la vie privée du récepteur puisse être menacé par certaines formes de propagation.121 Mais par dessus tout, c'est sa liberté de religion et de conviction qui pourrait être bafouée par certaines techniques de propagation. A partir de quel moment peut-on considérer que cette liberté est menacée? Quel est le seuil? Ce seuil est-il relatif ou absolu? Quelle forme d'intervention étatique est envisageable pour protéger le récepteur? Peut-il, doit-il intervenir? Une telle intervention dans ce domaine éminemment religieux est-elle légitime?

    119 STAHNKE, « Proselytism and the Freedom to Change Religion in International Human Rights Law », op. cit., pp. 308-319. Il mentionne l'exemple de la Malaisie, où les lois prohibant le prosélytisme sont justifiées par la nécessité de préserver l'Islam et ses institutions dans une société multi-religieuse. Il cite également le cas de la République Populaire de Chine, qui restreint les activités religieuses, dans la mesure où elles représentent un obstacle au développement de l'Etat socialiste. Enfin l'Ukraine est mentionnée comme exemple d'un pays qui, dans la poursuite de la restauration des valeurs « ukrainiennes » traditionnelles refoulées durant l'ère soviétique, limite le prosélytisme des nouveaux courants religieux, car il est perçu comme menaçant ce retour aux sources.

    120 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., pp. 638-639

    121 LERNER, « Proselytism, Change of Religion and International Human Rights », op. cit., pp. 483-484

    Après avoir identifié l'existence d'un droit de la source à la propagation des croyances, nous nous attacherons dans cette partie à identifier les limitations qu'imposent l'obligation de respecter la liberté de pensée, de conscience et de religion du récepteur. Nous verrons dans un premier temps comment la Commission et la Cour européennes ont identifié les formes de propagations abusives et contraires au droit du récepteur, avant d'identifier une liste de critères susceptibles de guider le juge dans cette qualification du « prosélytisme abusif ». Nous mentionnerons aussi dans le cadre de la protection des droits du récepteur, la problématique de l'atteinte aux sentiments religieux du croyant. Nous aborderons pour finir le débat sur le rôle de l'Etat dans la régulation de la propagation des croyances, débat qui se trouve au coeur des dissensions et qui partage tant la Cour que la doctrine.

    1. La protection de la liberté de religion ou de conviction du récepteur

    1.1 Le droit de ne pas subir une forme de prosélytisme « abusif »

    Définir le prosélytisme « abusif », terme qui désigne dans le vocabulaire de la Cour une forme de propagation des croyances qui porte atteinte à la liberté de pensée, de conscience et de religion du récepteur, n'est assurément pas une tâche facile. Sachant que « tout mécanisme de communication est intrinsèquement manipulatoire en ce qu'il implique une réaction souhaitée conforme par l'auteur du message »,122 comment déterminer si cette manipulation est suffisamment forte pour que l'on puisse considérer qu'elle atteint un tel seuil? Nous nous proposons de commencer dans un premier temps par l'examen de la réponse que la Commission et surtout la Cour européennes ont donné à cette problématique.

    1.1.1 La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

    La Commission européenne n'a pas véritablement développé la portée du droit du récepteur d'être à l'abri de certaines formes de prosélytisme. Tant pour l'affaire H. W. que pour l'affaire Van Den Dungen - autrement dit les deux affaires où une ingérence à l'article 9, respectivement 10, s'est vue justifiée par le but de protéger les droits d'autrui - la Commission s'est contentée de faire le

    122 GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme. L'Expérience Européenne », op. cit., p. 8

    constat que ladite mesure était la moins attentatoire. Elle a estimé par deux fois qu'il n'était pas interdit aux requérants de mener leur activité de propagation par d'autres moyens. Pour H. W., il s'agissait simplement de proclamer ses convictions sans troubler l'ordre public, tandis que Van Den Dungen n'était soumis à une injonction que « pour une durée limitée et une zone bien précise ».123 Dans aucun cas la Commission n'explique dans quelle mesure cette forme de propagation porte atteinte aux droits d'autrui, et pourquoi il peut donc être considéré comme nécessaire que l'Etat s'ingère dans l'exercice du droit de la source.

    Kokkikanis c. Grèce

    La Cour en revanche s'est prononcée, dans les affaires grecques, sur les droits de l'individu récepteur. Dans l'affaire Kokkinakis tout d'abord, la Cour, après avoir constaté que la mesure incriminée poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits et libertés d'autrui,124 « met en balance cette protection légitime avec le comportement reproché au requérant »125 afin de déterminer si cette ingérence était bel et bien nécessaire dans une société démocratique. A cet égard elle affirme « qu' [i] l échet d'abord de distinguer le témoignage chrétien du prosélytisme abusif: le premier correspond à la vraie évangélisation qu'un rapport élaboré en 1956, dans le cadre du Conseil oecuménique des Eglises, qualifie de « mission essentielle » et de « responsabilité de chaque chrétien et de chaque église ». Le second en représente la corruption ou la déformation. Il peut revêtir la forme d'« activités [offrant] des avantages matériels ou sociaux en vue d'obtenir des rattachements à [une] église ou [exerçant] une pression abusive sur des personnes en situation de détresse ou de besoin », selon le même rapport, voire impliquer le recours à la violence ou au « lavage de cerveau »; plus généralement il ne s'accorde pas avec le respect dû à la liberté de pensée, de conscience et de religion d'autrui ».126

    123 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93, décision du 22 février 1995, D. R. 80, §2

    124 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §44. On relève encore une fois le choix de la Cour de faire usage de termes se référant explicitement au christianisme en citant un rapport du Conseil oecuménique des églises, plutôt que d'opter pour des termes neutres et généraux. Est-ce vraiment à la Cour de distinguer le témoignage chrétien, la « vraie évangélisation », du « prosélytisme abusif »? Il nous semble que la Cour n'a pas à se préoccuper de savoir ce qui est une pratique légitime ou non au sein d'une religion, mais plutôt d'établir une définition et des critères juridiques permettant de déterminer objectivement la limite entre une propagation respectueuse des droits d'autrui et le « prosélytisme abusif ». Or la Cour refuse explicitement de donner une définition. Rigaux critique durement cette attitude de la Cour: « Quel est ce langage dans le chef d'une juridiction qui devrait, plus qu'aucune autre, respecter la règle du pluralisme idéologique et de l'égalité de toute forme de croyance ou d'incroyance? » RIGAUX François, « L'Incrimination du Prosélytisme Face à la Liberté d'Expression », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, vol. 17, 1994, pp. 146

    125 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §47

    126 Ibidem, §48

    D'après la Cour, certaines formes de propagation des croyances mettent donc en danger la liberté de pensée, de conscience et de religion du récepteur. Toutefois, la Cour estime que le gouvernement grec n'a pas démontré suffisamment en quoi le requérant « aurait essayé de convaincre son prochain par des moyens abusifs ».127

    On peut regretter l'absence d'argumentation de la part de la Cour, permettant de mieux saisir à partir de quel seuil la liberté de religion du récepteur est menacée. La définition qu'elle reprend du Conseil oecuménique des églises doit-elle être considérée comme pouvant avoir une portée générale, valable pour l'ensemble des cas de limitations à la propagation des croyances? Quoiqu'il en soit, cette définition est bien peu précise à des fins juridiques. En effet, le fait de promettre des « avantages matériels ou sociaux » aux nouveaux convertis doit-il réellement être un critère d'identification du « prosélytisme abusif »? Imaginons par exemple un individu qui se convertit à une croyance particulière, interpellé par les gestes de générosité de la personne source. Y a t-il eu pour autant prosélytisme « abusif »? Il peut arriver que la distribution d'une aide ou d'un service soit conditionnée à l'adhésion à une certaine croyance / communauté, et que l'individu récepteur, pour bénéficier de cette aide, rejoigne ce mouvement religieux, de manière superficielle et temporaire, le temps de profiter de ce service. Si de telles pratiques sont manifestement contraires à l'éthique, fautil pour autant les considérer comme des violations de la liberté de pensée, de conscience et de religion d'autrui? Et si la personne se convertit authentiquement malgré une méthode douteuse du point de vue éthique, peut-on aller à l'encontre de la volonté du nouveau sympathisant en lui disant que son consentement a en réalité été vicié et que sa liberté de religion a en fait été bafouée?

    Quant à la notion de « pression abusive », elle est un peu vague et offre bien peu d'indications pour distinguer la propagation légitime de celle qui porte att einte à la liberté de religion ou de conviction du récepteur. Se pose également la question des bénéfices intangibles promis aux nouveaux croyants. Le fait d'annoncer au récepteur que sa conversion lui apporterait certains bénéfices spirituels, émotionnels, psychologiques ou voire même des bénédictions matérielles (divines) serait-il de la manipulation d'autrui?128

    Derrière ce refus de la Cour de définir la prosélytisme abusif in abstracto, il faut sans doute

    127 Ibidem, §49

    128 STAHNKE, « Proselytism and the Freedom to Change Religion in International Human Rights Law », op. cit., pp. 340-341

    voir le malaise d'une chambre divisée sur cette question. 129

    Alors qu'elle explique pourtant qu'il va falloir mettre en balance le comportement du requérant avec la liberté religieuse de la personne réceptrice,130 la Cour ne s'attache pas à analyser les faits du cas d'espèce au regard de cet énoncé et ne tente pas d'appliquer cette distinction qu'elle énonce pourtant, entre « vraie évangélisation » et « prosélytisme abusif ».131 Le gouvernement grec avait pourtant estimé que l'insistance de Kokkinakis et sa façon d'aborder Mme Kyriakaki132 constituaient une attitude délictueuse. La Cour n'a pas jugé nécessaire d'expliquer en quoi ceci n'était pas du prosélytisme abusif, ni en quoi cette ingérence n'était pas proportionnelle au but poursuivi.

    La Commission a été un peu plus loquace sur ce point. Elle estime d'une part que les propos et l'expression d'opinions attribués au requérant étaient manifestement inoffensifs et ajoute qu'elle voyait mal par conséquent en quoi ils auraient pu porter atteinte à la liberté de conscience religieuse de Mme Kyriakaki.133 De plus, la Commission remarque que sa soi-disante inexpérience, sa faiblesse intellectuelle et sa naïveté n'avaient pas été démontrées.134

    Deux critères émergent donc dans ce raisonnement de la Cour visant à déterminer si l'activité de Kokkinakis constituait ou non une forme de prosélytisme « abusif ». Il y a d'une part la nature de l'acte lui-même, jugé inoffensif; et il y a d'autre part la situation de la réceptrice, dont les soi-disantes fragilité et vulnérabilité sont remises en question par la Commission. On peut regretter que la Cour n'ait pas davantage élaboré son argumentation sur la base de ces critères utilisés par la Commission.

    129 La doctrine a souvent reproché à la Cour de ne pas avoir motivé davantage son arrêt sur ce point. Voir par exemple SURREL Hélène, « La Liberté Religieuse Devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme », Revue Fran çaise de Droit Administratif, 1 1ème année, vol. 3, 1995, p. 579

    130 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §47

    131 La Cour se contente de relever que les juridictions grecques n'ont fait que reproduire les termes de la loi dans leur jugement, « sans préciser suffisamment en quoi le prévenu aurait essayé de convaincre son prochain par des moyens abusifs. » Ibidem, §49

    132 La Grèce mentionnait l'inexpérience, la naïveté et la faiblesse intellectuelle de cette dernière (Ibidem, §9-10) et dénonçait « [l'] analyse « habile » des Saintes Ecritures [de la part du requérant], propre à « leurrer » la plaignante » (Ibidem, §46).

    133 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport du 3 décembre 1991, HUDOC, §72

    134 Ibidem, §73

    Larissis et autres c. Grèce

    Dans la perspective de l'identification des droits du récepteur, l'arrêt Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998 est particulièrement pertinent. En effet, après avoir constaté que la limitation à la liberté des officiers, de propager leurs croyances était prévue par la loi,135 et poursuivait un but légitime - la protection des droits et libertés d'autrui -,136 la Cour examine la nécessité de cette ingérence. Elle établit alors une distinction entre la propagation exercée à l'égard des soldats et le prosélytisme envers les civils.137

    La propagation au sein de l'unité de l'armée de l'air grecque prenait la forme de discussions répétées, généralement engagées par les officiers, avec politesse, incitant les soldats à lire la Bible et à rejoindre leur église, leur promettant parfois qu'ils verraient des miracles s'ils se convertissaient. A cet égard, « [l]a Cour relève (...) que la structure hiérarchique qui constitue une caractéristique de la condition militaire peut donner une certaine coloration à tout aspect des relations entre membres des forces armées, de sorte qu'un subordonné a du mal à repousser un supérieur qui l'aborde ou à se soustraire à une conversation engagée par celui-ci. Ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange inoffensif d'idées que le destinataire est libre d'accepter ou de refuser peut, dans le cadre de la vie militaire, être perçu comme une forme de harcèlement ou comme l'exercice de pressions de mauvais aloi par un abus de pouvoir ».138 Par conséquent la Grèce était fondée à prendre des mesures pour protéger les droits des subordonnés au sein des forces armées.

    Dans le cas d'espèce, c'est donc la nature (hiérarchique) de la relation existant entre la source et le récepteur qui représente le critère déterminant permettant d'établir si la liberté de religion et de conviction du récepteur était menacée.

    En ce qui concerne le prosélytisme entre civils, la Cour conclut en revanche à une violation de la liberté de religion ou de conviction des requérants. Elle estime en effet qu'il n'y avait pas de pression ni de contrainte du même ordre que celle exercée sur les soldats. En effet, les civils ne se sont pas sentis obligés d'écouter les requérants, et dans les deux cas, ce sont les civils qui ont fait

    135 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §§39-42

    136 Ibidem, §44

    137 La Cour suit en fait le raisonnement développé par la Commission dans la même affaire. Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september 1996, HUDOC, §§72-82

    138 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §51

    appel aux requérants. La Cour relève, en ce qui concerne Mme Zounara, qu'elle se trouvait dans un « état de désarroi », sans estimer toutefois qu'il était établi qu'elle fût « dans un état mental commandant une protection particulière contre les activités évangélisatrices des requérants, comme en témoigne le fait qu'elle a pu finalement prendre la décision de briser tout lien avec l'église pentecôtiste ».139

    Comme la Commission dans l'affaire Kokkinakis, la Cour admet ainsi implicitement que l'état de vulnérabilité du récepteur pourrait entrer en compte dans la détermination du prosélytisme de « mauvais aloi ». De plus elle utilise le fait qu'elle ait manifestement conservée la liberté de quitter ce mouvement comme un indicateur prouvant qu'elle n'était pas forcée de se convertir.

    Si l'on peut se réjouir de ce que la Cour ait été plus précise dans la détermination du seuil où la liberté de la source de propager ses croyances devient du prosélytisme abusif, cet arrêt comporte toutefois une faille majeure, mise en évidence en particulier par le juge Van Dijk dans son opinion partiellement dissidente.

    En effet, la façon dont la Cour, et avant elle la Commission, traite du cas du soldat Kafkas nous semble poser un véritable problème. Car ce soldat, qui a finalement rejoint lui-même l'église pentecôtiste suite à ses discussions avec les requérants, affirme qu'il n'a pas subi de pression en ce sens et qu'il a librement consenti aux échanges qu'il a eu avec les requérants. Or la Cour va à l'encontre de cette appréciation des faits, en estimant que « M. Kafkas, comme les deux autres soldats, a dû se sentir dans une certaine mesure contraint, voire obligé de participer à des discussions religieuses avec les requérants et peut-être même de se convertir à la foi pentecôtiste. »140 Le juge Van Dijk s'étonne à juste titre que la Cour n'ait pas davantage examiné les circonstances permettant d'estimer que le témoignage du soldat Kafkas n'était pas crédible. « [L]a Cour n'aurait pas dû s'en remettre aux juridictions internes pour ce qui est des dépositions du soldat

    139 Ibidem, §59

    140 La Cour, étonnamment, s'appuie sur le simple fait que les juridictions internes, « mieux placées qu'elle pour établir les faits de la cause », ont eu « l'occasion d'apprécier les preuves, y compris le comportement et la crédibilité de M. Kafkas » (§53). Or le jugement en première instance a eu lieu en l'absence du prévenu, et s'est donc appuyé principalement sur le témoignage de son père, selon lequel il aurait été manipulé par les officiers pour quitter l'église orthodoxe. Le juge Van Dijk regrette la position adoptée par la Cour, et affirme qu'elle « avait (...) la compétence de se prononcer sur le fait que la Cour d'appel, bien qu'elle eût entendu la déposition de M. Kafkas lui-même, ait souscrit au raisonnement du tribunal en première instance sur la question, lequel n'avait pas entendu comme témoin le soldat Kafkas, mais uniquement son père. (...) Je vois mal pourquoi la Cour accepte sans examen ni contrôle les constats des juridictions internes quant au prosélytisme à l'égard de soldats alors qu'elle adopte un point de vue critique pour ces constats concernant le prosélytisme vis-à-vis de civils. ». Ibidem, opinion partiellement dissidente du juge Van Dijk.

    Kafkas et de son père, et aurait dû, faute d'indications contraires, accorder plus de poids au témoignage de la prétendue victime de prosélytisme qu'à celui d'un témoin dont la déposition s'appuyait sur une connaissance par ouï-dire. »

    La légèreté avec laquelle la Cour traite cet aspect de l'affaire est d'autant plus gênante qu'elle y pose un principe controversé, à savoir qu'une conversion, bien que jugée authentique par le converti lui-même, pourrait être en réalité viciée, et représenter une violation du droit à la liberté de pensée de conscience et de religion de l'individu récepteur. Nous verrons plus loin qu'un tel principe repose sur une certaine conception de l'être humain et de sa capacité à choisir son orientation religieuse, qui divise tout autant la doctrine que les juges. Mais avant cela, il nous paraît essentiel d'identifier plus explicitement certains critères dont la Cour pourrait se servir de manière plus systématique lorsqu'elle détermine le prosélytisme, afin de faire gagner en légitimité et en force son raisonnement qui a eu tendance à rester un peu rapide et superficiel en la matière.

    1.1.2 Quelques critères pour une détermination objective du prosélytisme « abusif »

    Déterminer dans quelles conditions la propagation de croyance porte atteinte à la liberté de pensée de conscience et de religion d'autrui n'est assurément pas une tâche facile. On l'a vu, la Cour a eu bien du mal à s'en acquitter de façon convaincante. Nous nous proposons donc de passer en revue cinq indicateurs qui pourraient guider la Cour à cet effet, à savoir d'une part la nature de l'acte de propagation lui-même, le lieu de son déroulement, la nature de la relation entre la source et le récepteur, la situation personnelle du récepteur, ainsi que la possibilité pour le récepteur, de quitter le mouvement duquel il se serait rapproché.141 En dehors du lieu de l'action, les quatre autres critères ont déjà été utilisés implicitement par la Cour ou la Commission, comme nous l'avons relevé précédemment. C'est en illustrant et en appliquant ces critères aux faits des cas traités par la Cour que nous tenterons d'en démontrer la pertinence.

    141 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., pp. 642-648, qui propose « quatre variables » » pour identifier la ligne de démarcation entre prosélytisme légitime et abusif. Ces quatre variables sont: les caractéristiques de la source, les caractéristiques de la cible, le lieu où le prosélytisme s'est déroulé, et la nature de l'acte lui-même. Plutôt que d'aborder les caractéristiques de la source, nous avons préféré un indicateur qui tienne compte de la relativité de la position de la source en fonction de celle du récepteur (relation source - récepteur), et qui a été le critère déterminant dans l'argumentation de la Cour et de la Commission en l'affaire Larissis.

    1.1.2.1 La nature de l'acte de propagation des croyances

    C'est par la nature de l'acte de propagation en tant que tel qu'il faut sans doute commencer pour déterminer si ce comportement tend à menacer la liberté d'autrui en matière de religion ou de conviction. A cet égard, la distribution de tracts comme c'est le cas dans l'affaire Arrowsmith, la discussion - ou plutôt le monologue - de Kokkinakis, les déclarations tonitruantes de H. W. et même la distribution de photos et les interpellations de Van Den Dungen sont des actes relativement « inoffensifs », dont le degré de contrainte est par nature très faible, et qui ne représentent pas à priori un danger pour la liberté religieuse d'autrui.

    Il en va déjà autrement dans l'affaire Larissis, eu égard à l'insistance et la répétition des discussions qui auraient été engagées par les requérants à l'égard de certains soldats,142 et qui s'apparenteraient à du harcèlement. Ni la Cour ni la Commission n'ont donné d'importance particulière à ces circonstances.

    Le type de communication émis par le pasteur Murphy se trouve sans doute en bas de l'échelle mesurant le degré de contrainte en ce qui concerne son contenu (un appel à réfléchir à l'identité du Christ et une invitation à assister à la projection d'un film). En revanche, le moyen de communication de l'annonce - la radiodiffusion - porte une dimension contraignante plus forte: en effet, comme le relève la High Court irlandaise, « l'auditeur d'une station de radio privée est en pratique obligé d'écouter la publicité ».143 Autrement dit, l'auditeur peut se trouver confronté à un message qu'il ne souhaitait pas forcément entendre. Dans ce genre de cas il faut donc tenir compte non seulement du contenu, mais aussi du contenant, pour déterminer le degré de contrainte d'une telle annonce.

    Nous avons mentionné déjà l'affaire Pitkevitch, affaire pour laquelle la Cour a malencontreusement écarté une analyse substantielle sous l'angle de l'article 9. Les faits reprochés à la requérante atteignent un degré de contrainte sérieux, puisqu'elle aurait proposé un chantage à certains prévenus, leur promettant une issue plus favorable s'ils se convertissaient.144 La Cour n'a pas analysé ces faits dans sa décision.

    142 L'un des soldats aurait été abordé une trentaine de fois par l'un des requérants et une cinquantaine par un autre des requérants. Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §9

    143 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), § 12

    144 Pitkevitch v. Russia, n° 4793 6/99, decision, 8 February 2001, HUDOC, facts

    Il est à la fois symptomatique et regrettable que la Cour, lorsque confrontée au cas de contrainte le plus grave, ait refusé d'entrer en matière sur cette question. L'affaire en question concernait sept personnes qui contestaient le traitement dont elles ont été l'objet du fait de leur appartenance à une « secte » dangereuse.145 Suite à la plainte déposée par leurs familles, ces membres de ladite secte ont en effet été mis en détention alors que la secte était investiguée, avant que la police ne les remette aux mains de leurs familles et de l'association Pro Juventud. L'association, en collaboration avec les familles, et avec le consentement de la police, a détenu les requérants dans un hôtel pendant neuf jours afin de les soumettre à un processus de « déprogrammation ».146 Lorsqu'ils portèrent plainte pour détention illégale, les juridictions espagnoles relaxèrent les accusés, du fait que leur mobile était légitime, philanthropique et bien intentionné de sorte que le délit de détention illégale n'était pas constitué.147

    Lors de l'examen de l'affaire, la Cour conclut à juste titre que l'article 5§1 de la Convention (droit à la liberté et à la sûreté) a été violé, mais elle n'estime pas nécessaire d'entrer en matière pour ce qui concerne une éventuelle violation de l'article 9, jugeant que c'est « la détention des requérants [qui] se trouve au coeur des griefs sous examen ».148

    La « déprogrammation », effectuée en l'occurrence par un psychologue et un psychiatre, et contre la volonté des requérants est une méthode dont la compatibilité avec l'article 9 mériterait d'être questionnée.149 Hors du contexte européen en revanche, le Comité des droits de l'homme a jugé contraire à l'article 18 du Pacte relatif aux droits civils et politiques « le système de conversion idéologique » qui vise à changer les opinions politiques d'un prisonnier en échange d'avantages et d'un traitement favorable en prison.150

    145 Riera Blume et autres c. Espagne, n° 37680/97, arrêt du 14 octobre 1999, CEDH 1999-VII. Les adeptes y étaient exploités, incités à la prostitution et séparés de leur proches et de leur famille (§13).

    146 Ibidem, §14

    147 Ibidem, § 16

    148 Ibidem, §38

    Voir aussi à ce sujet MCBRIDE Jeremy, « Autonomy of Will and Religious Freedom », in FLAUSS Jean-François (ed.), La Protection Internationale de la Liberté Religieuse, Bruylant, Bruxelles, 2002, p. 128

    149 Voir à cet égard cette remarque de GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., p. 27: « Le risque est grand de voir se constituer en Europe une croisade, entreprise au nom de la sauvegarde des intérêts des individus, qui bafouerait à son tour les droits élémentaires de la personne humaine »

    Ce qu'ont soutenu les juridictions espagnoles en substance, à savoir que la fin justifierait les moyens et que le « deprogramming », effectué pour le « bien » des personnes visées est par conséquent légitime, nous semble être un raisonnement très contestable.

    150 Kang c. République de Corée, Communication n° 878/1999, constatations du 23 juillet 2003 (CCPR/C/78/D/878/1999), §7.2. L'affaire concernait un citoyen coréen emprisonné pour avoir travailler en tant qu'espion à la solde du régime de Pyongyong (Corée du Nord). « Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle le «système de conversion idéologique» constitue une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 18, 19 et 26 du Pacte, le Comité note le caractère contraignant d'un tel système, qui est maintenu par le biais du «système de serment d'obéissance à la loi» et qui est appliqué d'une manière discriminatoire en vue de modifier les opinions politiques d'un prisonnier en lui offrant des incitations sous la forme d'un traitement préférentiel et de meilleures chances d'obtenir une libération conditionnelle. Le Comité considère qu'un tel système, dont l'État partie

    1.1.2.2 Le lieu de la propagation des croyances

    Le lieu où se déroule l'action est également un indicateur pertinent pour parvenir à déterminer si la propagation prend une tournure abusive. Le récepteur a-t-il volontairement choisi de venir entendre la source, ou bien a-t-il été confronté à ce message malgré lui?151 Est-il dans une situation d'auditeur « captif », forcé de réceptionner la propagation des croyances de la source?152

    Dans les affaires Pitkevitch et Larissis (pour ce qui concerne les soldats), les activités de propagation religieuse incriminées se sont déroulées sur le lieu de travail, auprès de personnes, semble-t-il, qui n'avaient pas réellement d'autre choix que d'écouter les propos de ces croyants qui cherchaient à les convaincre. Le fait que les personnes réceptrices soient dans une situation où elles n'ont d'autre choix que d'être soumises à la propagation est assurément un élément à prendre en compte dans la détermination du prosélytisme abusif, sans que pour autant il ne suffise à lui seul pour déterminer que la liberté religieuse d'autrui a été violée.

    Le lieu du déroulement de l'action impliquant Van Den Dungen aurait sans doute pu être déterminant pour établir si les droits des patientes de la clinique étaient menacés et justifier une ingérence à la liberté du requérant.153 En effet, le requérant se trouvait aux portes de la clinique, choquant et bouleversant des femmes déjà souvent marquées par le fait qu'elles s'apprêtaient à se soumettre à un traitement difficile à assumer sur le plan psychologique. Il faut toutefois aussi tenir compte du fait que pour le requérant, il n'y avait sans doute pas de meilleure alternative pour atteindre le public qu'il visait, que de se placer à cet endroit stratégique.

    1.1.2.3 La relation source - récepteur

    La relation, le rapport existant entre la source de la propagation religieuse et le récepteur a été le critère déterminant dans l'affaire Larissis. On peut regretter encore une fois que la Cour n'ait

    n'a pas pu justifier la nécessité au regard de l'un quelconque des buts limitatifs énumérés aux articles 18 et 19, restreint la liberté d'expression et de manifestation de la conviction en fonction du critère discriminatoire qu'est l'opinion politique et viole par conséquent le paragraphe 1 de l'article 18 et le paragraphe 1 de l'article 19 lus conjointement avec l'article 26. »

    151 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit., pp. 644-645

    152 Pour Lerner il s'agit d'une question décisive. C'est de lui que vient cette expression d'auditeur « captif » (en anglais « captive audience »). LERNER Nathan, Religion, Beliefs and International Human Rights, Orbis Book, Maryknenoll, New York, 2000, p. 83

    153 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93, décision du 22 février 1995, D. R. 80. Nous avons déjà vu précédemment que la Cour n'a pas poussé son raisonnement jusqu'à ce stade-là.

    pas appliqué un tel raisonnement dans l'affaire Pitkevitch, où là aussi, la requérante, en tant que juge, avait une position lui donnant un pouvoir considérable sur les prévenus à qui elle adressait prétendument des appels à rejoindre son église.154

    S'agissant de l'impact que peut avoir un enseignant sur ses élèves, nous avons abordé précédemment l'affaire Dahlab, où la Cour s'est appuyée sur l'effet prosélytique que le port du voile peut avoir sur les élèves, sachant que l'instituteur représente un modèle fort pour les élèves et que ceux-ci, de par leur jeune âge, sont plus influençables.155

    Ce critère de la relation source-récepteur souligne la nécessité d'une vigilance particulière lorsqu'il existe un rapport déséquilibré - issu notamment de la situation professionnelle des protagonistes156 - et qui met la source en position de force face au récepteur.

    Les relations parents-enfants représentent une situation tout à fait particulière, qu'il nous paraît important de mentionner brièvement ici. Il est en effet reconnu aux parents un droit d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques (Protocole n°1 article 2). Cette prérogative naturelle doit toutefois tenir compte du droit à la liberté de religion et de conviction des enfants. La Convention relative aux droits de l'enfant dispose à cet égard que les parents ont « le droit et le devoir (...) de guider [l'enfant] dans l'exercice du droit [à la liberté de pensée, de conscience et de religion] d'une manière qui corresponde au développement de ses capacités ».157 La question de savoir comment gérer un éventuel conflit entre le droit de l'enfant qui voudrait choisir une orientation religieuse différente de celle préconisée par ses parents, et le droit de ces derniers d'assumer leur rôle éducatif ne trouve pas de réponses faciles. Si l'autorité parentale et leur liberté de transmettre leurs valeurs et leurs croyances ne saurait être diminuée, le principe de la liberté religieuse voudrait que ce rôle éducatif

    154 Pitkevitch v. Russia, n° 4793 6/99, decision, 8 February 2001, HUDOC

    155 Dahlab c. Suisse, n° 42393/98, décision du 15 février 2001, CEDH 2001 -V, § 1

    156 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion », op. cit.. La vigilance est également de mise lorsque la source est le fournisseur d'un service essentiel (par exemple dans le cas de l'aide humanitaire) ou lorsque la source dispose de moyens financiers importants, comparé au récepteur.

    157 Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée par l'Assemblée générale le 20 novembre 1989, entrée en vigueur en 1990, article 14. Cet article a toutefois fait l'objet de nombreuses réserves, de sorte que malgré le nombre élevé de ratification de la Convention, tous les Etats n'admettent pas qu'il existe un droit autonome de l'enfant en ce domaine. Voir BREMS Eva, A Commentary on the United Nations Convention on the Rights of the Child. Article 14. The Right to Freedom of Thought, Conscience and Religion, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, Boston, 2006, 39 pp.

    Dans l'affaire Çiftçi c. Turquie, n° 71860/01, décision du 17 juin 2004, CEDH 2004-VI, examinée sous l'angle de l'article 2 du Protocole n° 1, la Cour a estimé que la législation turque qui interdit au garçons non titulaires d'un diplôme d'enseignement primaire (et qui consiste de fait une limite d'âge située à douze ans pour suivre lesdits cours) était justifiée parce qu'elle visait à protéger les mineurs contre un éventuel endoctrinement.

    consiste aussi à préparer les enfants à effectuer leur propre choix, un choix responsable et informé.

    1.1.2.4 Le récepteur

    Comme dernier indicateur de cette liste non exhaustive, il nous semble que la situation personnelle du récepteur, et en particulier son éventuelle vulnérabilité peut également guider la détermination d'un prosélytisme abusif.158 Ce critère aurait éventuellement pu être évoqué dans l'affaire Van Den Dungen, où les patientes de la clinique, de par le fait qu'elles s'apprêtaient à avorter, pouvaient se trouver dans un état de vulnérabilité affectant leur capacité à faire face à une éventuelle tentative de manipulation.

    1.1.2.5 La capacité de quitter le mouvement

    Alain Garay déjà mentionnait ce moyen de mesurer l'existence de pratiques abusives de certains mouvements. Il s'agit d'examiner dans quelle mesure il existe des possibilités matérielles et religieuses de quitter ce mouvement. « Un indicateur déterminant consisterait à s'intéresser au nombre et à la manière pour un adepte de sortir d'un groupe religieux. »159 Nous avons vu que la Cour semble s'être servie elle aussi de cet indicateur dans l'affaire Larissis.160 Assurément, si les possibilités de quitter le mouvement que l'on aurait commencé à intégrer sont inexistantes, il y a de quoi s'interroger sur la compatibilité de cette propagation avec l'article 9. En revanche on peut considérer comme un indicateur positif le fait que la porte de sortie reste touj ours ouverte.

    Tant la Cour que la Commission ont parfois peiné à convaincre, en lisant les faits d'une manière partielle, parfois sélective. A cet égard, le développement et l'application plus systématique de critères, permettant d'établir dans quelles circonstances la liberté de religion ou de conviction du récepteur est menacée, nous semble hautement souhaitable.

    158 Dans les affaires Larissis et Kokkinakis, le gouvernement grec a à chaque fois évoqué cet argument, mais sans que la Cour ne l'estime fondé en l'espèce. Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§9- 10, 46; Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §§56-59 (concernant la famille Baïramis et Mme Zounara)

    159 GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme. L'Expérience Européenne », p. 26

    160 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §59

    1.2 Le droit de ne pas être heurté dans ses sentiments religieux

    Que ce soit l'affaire Salman Rushdie, les « caricatures danoises », les propos du pape à Ratisbonne, ou encore la campagne publicitaire de Marithé François Girbaud (parodie de la Cène de Lénordo da Vinci, où le rôle du Christ et de ses disciples sont joués par des femmes) pour ne citer que quelques exemples, la question de la façon de traiter des formes d'expressions constituant des atteintes à la sensibilité religieuse de certains croyants est au coeur de l'actualité. Depuis les années 80 déjà, les organes de la Convention européenne des droits de l'homme ont été amenés à s'interroger sur l'existence et l'étendue d'un éventuel droit des croyants de ne pas subir d'atteintes graves à leurs sentiments religieux, du fait notamment d'actes de diffamation religieuse, perçus parfois par les croyants comme des actes blasphématoires. Mais jamais la Cour ni la Commission n'ont traité d'un cas dans le cadre de la manifestation d'une religion ou d'une conviction par l'individu où celui-ci aurait par son comportement porté atteinte aux sentiments religieux d'autrui (art. 9 vs. art. 9). La Cour en aurait eu l'occasion lors de l'affaire Murphy c. Irlande, comme nous le mentionnions précédemment, mais elle a préféré s'inscrire dans le schéma plus connu de la liberté d'expression face à la liberté religieuse (art. 10 vs. art. 9).

    Un très bref survol de cette jurisprudence relativement abondante nous semble tout de même pertinente dans le cadre de notre étude, dans la mesure où elle met en lumière l'existence d'un droit du récepteur de ne pas être heurté de manière excessive dans ses sentiments religieux, sachant que la propagation des croyances peut aussi être considérée comme offensante pour les groupes religieux récepteurs du message.161

    Les prémisses de la jurisprudence qui s'est développée lors des quinze dernières années remontent à une décision d'irrecevabilité prise par la Commission en 1980. Tandis que l'Eglise de la Scientologie en Suède se plaignait de ne pas avoir été dédommagé après avoir fait l'objet de propos offensants,162 la Commission énonce le principe suivant lequel l'on ne saurait tirer de la notion de liberté de religion « un droit d'être à l'abri des critiques ». Mais la Commission ne s'arrête pas là, en poursuivant qu'« [e]lle n'exclut pas toutefois la possibilité que la critique ou l'« agitation »

    161 Voir Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), §38, où le Gouvernement affirme que « la simple proclamation de la vérité d'une religion reviendrait nécessairement à proclamer qu'une autre religion est fausse. Ainsi, tout discours à caractère religieux, même inoffensif, pourrait entraîner des réactions imprévisibles et explosives ».

    162 Il s'agissait des propos tenus par un professeur de théologie, lors d'une conférence, et repris dans un journal local. Le professeur en question y affirmait notamment que la Scientologie était le « choléra de la vie spirituelle ». Church of Scientology et 128 de ses membres c. Suède, n° 8282/78, décision du 14 juillet 1980, D. R. 21, p. 113

    fomentées contre une Eglise ou un groupement religieux atteignent un niveau tel qu'ils puissent mettre en danger la liberté de religion, auquel cas le fait pour les pouvoirs publics de tolérer pareil comportement pourrait engager la responsabilité de l'Etat ».163 Une telle affirmation sous-entend déjà que l'Etat pourrait avoir une obligation positive de protéger les croyants contre une attaque verbale tellement forte qu'elle porterait atteinte à leur liberté de religion ou de conviction.

    Cet argument sera avancé par l'Autriche dans l'affaire Otto Preminger Institut, 14 ans plus tard, pour justifier la saisie et la confiscation de l'unique exemplaire d'un film de Werner Schroeter (Das Liebeskonzil),164 qui devait être projeté dans une salle d'Innsbruck et qui a été considéré comme étant « de nature à blesser les sentiments religieux d'une personne moyenne dotée d'une sensibilité religieuse normale ».165 Tandis que la Commission avait clairement conclut à une violation de l'article 10 (par 13 voix contre 1 en ce qui concerne la confiscation du film), la Cour, elle, s'est départie de cet avis, en jugeant, dans un arrêt très critiqué,166 que l'ingérence à la liberté d'expression de la requérante - en l'occurrence l'association qui devait projeter le film - était justifiée en l'espèce au vu de la nécessité d'assurer « le respect des sentiments religieux des croyants tel qu'il est garanti à l'article 9 », en sanctionnant ou prévenant des « attaques injurieuses contre des objets de vénération religieuse ».167 La Cour - reprenant sans la citer les termes décision de la Commission de 1980 - estime que « [c]eux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur religion, qu'ils appartiennent à une majorité ou à une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s'attendre à le faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation par autrui de doctrines hostiles à

    163 Ibidem, §5

    164 Le film est tirée d'une pièce d'Oskar Panizza, qui « représente Dieu le Père comme un vieillard infirme, Jésus-Christ comme un « enfant à sa maman » doté d'une faible intelligence et la Vierge Marie, qui tire manifestement les ficelles, comme une dévergondée sans scrupules ». Otto Preminger-Institut c. Autriche, n° 1 3470/87, arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A, §§20-22

    165 Cour d'appel d'Innsbruck (Oberlandesgericht), cité dans Otto Preminger-Institut c. Autriche, n° 13470/87, arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A, §13.

    166 Voir notamment PEYROU-PISTOULEY Sylvie, « L'affaire Otto Preminger Institut et la Liberté d'Expression Vue de Strasbourg: Censure ou Laxisme? », Revue Fran çaise de Droit Administratif, 1 1ème année, vol. 6, 1995, pp. 1189- 1198; RIGAUX François, « La Liberté d'Expression et ses Limites », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, 1995, pp. 402-415; WACHSMANN Patrick, « La Religion Contre la Liberté d'Expression: Sur un Arrêt Regrettable de la Cour Européenne des Droits de l'Homme », Revue Universelle des Droits de l'Homme, vol. 6, n° 12, 1994, pp. 441-449

    167 Otto Preminger-Institut c. Autriche, n° 13470/87, arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A, §§48-49. Notons ici que ni la notion de « sentiments religieux » ni aucune autre expression s'en rapprochant ne figurent dans le texte de l'article 9. Etant donné que le respect des sentiments religieux nous semble difficilement être considéré comme une « manifestation », ce principe s'intégrerait plutôt dans la protection du for interne de l'individu. Autrement dit, il faut comprendre à notre avis que l'atteinte aux sentiment religieux du croyant peuvent atteindre un degré tellement fort qu'elle prend une dimension coercitive contraire à sa liberté de pensée, de conscience et de religion. Une telle lecture de l'article 9 implique que l'on place un seuil très élevé à une ingérence à la liberté d'expression justifiée par la protection des « sentiments religieux » d'autrui.

    leur foi. Toutefois, la manière dont les croyances et doctrines religieuses font l'objet d'une opposition ou d'une dénégation est une question qui peut engager la responsabilité de l'Etat, notamment celle d'assurer à ceux qui professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti par l'article 9 (art. 9). En effet, dans des cas extrêmes le recours à des méthodes particulières d'opposition à des croyances religieuses ou de dénégation de celles-ci peut aboutir à dissuader ceux qui les ont d'exercer leur liberté de les avoir et de les exprimer. »168 Si cet énoncé est satisfaisant dans la mesure où il semble défendre un seuil d'ingérence limité aux cas les plus extrêmes, l'application que la Cour en fait dans le cas d'espèce est véritablement problématique, et ouvre la porte à une très large marge d'appréciation nationale en la matière.169

    La Cour ne se départit toutefois pas de cette approche dans l'affaire Wingrove c. RoyaumeUni, où un film de pornographie « douce » (Vision of Ecstasy) mettant en scène sainte Thérèse d'Avila et le Christ, s'est vu censuré sur la base de la loi prohibant le « blasphème ».1 70 Elle renverse là aussi la décision de la Commission qui avait à une large majorité (14/2) estimé que l'article 10 avait été violé. Elle s'appuie à nouveau sur une marge d'appréciation quasi-discrétionnaire laissée à l'Etat, du fait qu'il n'existe pas de concordance de vue sur ce point en Europe,171 et que le juge

    168 Ibidem, §47. La Cour rajoute que « dans le contexte des opinions et croyances religieuses (...) peut légitimement être comprise une obligation d'éviter autant que faire se peut des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain. » (§49)

    169 Sous l'angle de la proportionnalité de la mesure, la Cour s'appuie très largement sur la marge d'appréciation nationale, et sur le contexte religieux spécifique au Tyrol (à 87% catholique), pour considérer l'ingérence à l'article 10 justifiée. Comme le relève à juste titre les juges dissidents, il y a de quoi douter de la nécessité de la saisie et encore plus de la confiscation du film. La Cour n'a notamment pas pris suffisamment en compte le fait que le film s'adressait à un public averti, qui choisissait d'assister à sa projection, et que de plus l'entrée était interdite au moins de 17 ans. Ibidem, opinion dissidente des juges Palm, Pekkanen et Makarczyk

    Voir aussi PEYROU-PISTOULEY, « L'affaire Otto Preminger Institut et la Liberté d'Expression Vue de Strasbourg: Censure ou Laxisme? », op. cit., et WACHSMANN, « La Religion Contre la Liberté d'Expression: Sur un Arrêt Regrettable de la Cour Européenne des Droits de l'Homme », op. cit. Ce dernier estime qu'« [à] l'évidence, la Cour a refusé de déclarer contraire à la Convention les législations, voire les constitutions des Etats parties à la Convention qui protègent les croyances religieuses contres les attaques dont elles pourraient faire l'objet. » (p. 444)

    170 A noter que cette loi ne prohibe le blasphème qu'à l'encontre des symboles du christianisme. Dans le cadre de l'affaire des Versets Sataniques, la Commission a peut-être manqué l'occasion de se prononcer sur le caractère discriminatoire de la loi britannique sur le blasphème lors de l'examen d'une requête provenant d'un citoyen britannique, adhérant à la foi musulmane et estimant que la publication du livre constituait un crime de blasphème. La Commission a déclarée la requête irrecevable ratione materiae. Choudhury v. United Kingdom, n° 17439/90, decision, 5 march 1991, HUDOC

    171 « De puissants arguments militent en faveur de la suppression des règles sur le blasphème, par exemple leur nature discriminatoire à l'égard de certaines confessions, comme le soutient le requérant, et le caractère inapproprié des mécanismes juridiques pour traiter des questions de foi et de croyances individuelles, comme le reconnaissait le ministre adjoint de l'Intérieur dans sa lettre du 4 juillet 1989 (paragraphe 29 ci-dessus). Cependant, un fait demeure: il n'y a pas encore, dans les ordres juridiques et sociaux des Etats membres du Conseil de l'Europe, une concordance de vues suffisante pour conclure qu'un système permettant à un Etat d'imposer des restrictions à la propagation d'articles réputés blasphématoires n'est pas en soi nécessaire dans une société démocratique, et s'avère par conséquent incompatible avec la Convention (voir, mutatis mutandis, l'arrêt Otto-Preminger-Institut (...), p. 19, par. 49). » Wingrove c. Royaume-Uni, n° 17419/90, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V,

    national se trouve mieux placé pour déterminer ce qui est de nature à offenser gravement les croyants.172

    L'affaire Murphy, que nous avons déjà mentionné précédemment s'est inscrite dans cette jurisprudence, la Cour concluant à l'absence de violation de l'article 10 en l'espèce, en se basant sur la proportionnalité de la mesure (la restriction ne concernait que la publicité dans les médias audiovisuels) sans être pleinement convaincant sur la nécessité de l'ingérence.173 Là encore, le contexte religieux irlandais (à 95% catholique)174 et la marge d'appréciation nationale ont joué un rôle clef dans l'argumentation de la Cour.

    Si la Cour poursuit sur sa lancée dans l'affaire A. I. c. Turquie, en ne condamnant pas la Turquie pour avoir censuré un roman jugé blasphématoire à l'égard de l'islam et son prophète, cette affaire n'en annonce pas moins un tournant dans la jurisprudence de la Cour de par la forte opinion dissidente qu'elle a suscitée. L'affaire a été décidée à une majorité d'une seule voix, tandis que les juges dissidents ont clairement appelés à un renversement de la jurisprudence que la Cour construisait sur ces affaires depuis Otto-Preminger-Institut.175 Cet appel semble avoir été suivi par la Cour, qui dans les trois affaires où la liberté d'expression avait été restreinte sur la base d'une prétendue atteinte aux sentiments religieux des croyants et qu'elle a traitées en 2006, a conclut à chaque fois à une violation de l'article 10.176

    §57

    172 Ibidem, §58

    173 La Cour peine à convaincre lorsqu'elle s'interroge sur le fait de savoir si une mesure moins restrictive n'aurait pas pu être envisagée, en l'occurrence un interdiction plus souple, partielle, qui n'interdisait que certains types d'annonces à caractères religieux (ce que d'ailleurs l'Irlande allait faire par l'adoption d'une nouvelle loi en 2001).

    174 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), §73: La Cour reprend l'argument développé par la High Court, à savoir que « les Irlandais ayant en général des convictions religieuses appartenaient en général à une Eglise particulière, de sorte qu'une annonce à caractère religieux provenant d'une autre Eglise pouvait être tenue pour offensante et comprise comme du prosélytisme. » Ce type d'argumentation n'est pas sans poser problème en terme de protection des minorités religieuses. D'autant plus qu'il y a là une contradiction avec l'argument avancé par le gouvernement et que la Cour reprend à son compte, et qui constitue à affirmer que cette mesure était justifiée du fait que la diffusion d'annonces à caractère religieux défavoriserait les religions minoritaires, car les religions dominantes pourraient mieux exploiter leur position de force. (§78)

    175 .A. c. Turquie, n° 42571/98, arrêt du 13 septembre 2005, HUDOC, opinion dissidente commune des juges Costa, Cabral Barreto et Jungwiert, §8: « il est peut-être temps de « revisiter » cette jurisprudence, qui nous semble faire la part trop belle au conformisme ou à la pensée unique ».

    176 Giniewski c. France, n° 64016/00, arrêt du 31 janvier 2006, HUDOC. Le cas concerne un un journaliste reconnu coupable de diffamation pour avoir offensé la communauté catholique dans la critique d'une encyclique papale, où il estimait que l'anti-judaïsme de l'Eglise conduisait à l'antisémitisme d'où germent les idées et l'accomplissement d'Auschwitz.

    Aydýn Tatlav c. Turquie, n° 50692/99, arrêt du 2 mai 2006, HUDOC. Le cas concerne un auteur, condamné à une amende pour avoir publié un ouvrage intitulé La Réalité de l'Islam qui « profanait l'une des religions ». Klein v. Slovakia, n° 72208/01, judgement, 31 october 2006, HUDOC. Le cas concerne un journaliste condamné pour diffamation suite à la rédaction d'un article satirique visant l'archevêque catholique de Slovaquie et qui avait offensé la communauté catholique.

    Plusieurs enseignements peuvent être retirés de ce bref survol de la jurisprudence, dans le cadre de notre problématique. La Cour a clairement reconnu que l'expression d'un message pouvait être limité lorsqu'elle portait atteinte aux sentiments religieux. On peut considérer que ceci vaut non seulement pour l'article 10, mais aussi pour l'article 11 - comme la Cour l'a implicitement reconnu dans l'affaire Öllinger c. Autriche -, ainsi que pour l'article 9. A en croire cette jurisprudence, si la propagation des croyances heurte excessivement les « sentiments religieux » du récepteur, l'Etat serait habilité à s'ingérer, en limitant le droit de la source. Mais, comme semble l'indiquer l'heureuse évolution de la position de la Cour depuis un peu plus d'un an, le seuil permettant de considérer que la balance penche en la défaveur de la source doit être élevé. La liberté d'expression - tout comme la liberté de religion ou de conviction, qui inclut la liberté de propager ses croyances - est l'un des fondements essentiels de la société démocratique. « Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de "société démocratique".177 Ne pas prendre cette injonction de la Cour au sérieux amènerait non seulement un rejet de la tolérance véritable - celle qui accepte l'existence et l'expression d'idées et de convictions différentes, voire critiques - mais imposerait aussi un certain conformisme et même une répression à l'égard de ceux dont les idées (religieuses) sont refusées par la majorité.

    2. Le rôle de l'Etat dans la protection du récepteur contre le prosélytisme « abusif »

    Sachant que les droits du récepteur peuvent, dans certaines circonstances, être menacés par la propagation des croyances, quelle peut, quelle doit être l'attitude de l'Etat face à ce fait de nature religieuse? Dans quels cas et de quelle manière est-il habilité à intervenir? Lorsque la Cour européenne a été confrontée à cette question, elle a fait montre d'une profonde division. Lors de l'examen de l'affaire Kokkinakis, la chambre était divisée en trois positions, défendues chacune par trois juges.178 Il nous semble que cette division s'explique et se fonde sur différentes visions de l'être

    A noter aussi que dans une autre affaire, la Cour a établi une violation de l'article 11 (liberté de réunion et d'association), dans une affaire où le gouvernement autrichien justifiait l'ingérence à la liberté de réunion des requérants par la nécessité de protéger les sentiments religieux d'autrui. Öllinger c. Autriche, n° 76900/01, arrêt du 29 juin 2006, HUDOC

    177 Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 23, § 49

    178 RIGAUX, « L'Incrimination du Prosélytisme Face à la Liberté d'Expression », op. cit., p. 149

    humain, de sa capacité de choisir d'adhérer à une religion ou conviction et du rôle de l'Etat dans la gestion de ce fait religieux. La Cour semble accepter que l'Etat puisse intervenir sur la base d'une loi prohibant le prosélytisme « abusif », dans des termes assez vagues.179 Mais au sein de la majorité même, trois juges se départissent de cette position: selon eux, une telle ingérence étatique est à éviter, car elle ne relève pas du ressort de l'Etat, à moins que la propagation prenne une forme répréhensible au regard du droit civil ou pénal général.180 A l'autre extrême, l'opinion dissidente dans ces mêmes affaires grecques estime que l'Etat non seulement peut, mais encore se doit d'intervenir contre tout prosélytisme qui dépasserait le simple échange d'idées.181 Nous nous proposons de passer en revue ces trois positions, en tentant d'identifier aussi la compréhension de l'être humain et de son rapport au religieux qui sous-tend ces positions. Il nous semble en effet que c'est là que réside le coeur de la controverse.

    2.1 L'intervention conditionnée ou l'individu vulnérable

    Dans les affaires grecques, face aux arguments des requérants qui estimaient que la jurisprudence relative à cette loi était incohérente et ne permettait pas de savoir quel type de comportements étaient véritablement prohibés, la Cour a répondu que la loi était précise et que la jurisprudence était suffisamment cohérente.182 Par ailleurs les requérants ont avancé que cette loi ne contenait pas de substance objective183 et englobait potentiellement toutes les pratiques visant la propagation des croyances, ce à quoi le gouvernement grec a répondu que la substance de la loi était claire et bien circonscrite, et qu'elle visait à prohiber les tentatives de modifier l'essence de la conscience religieuse d'autrui.184 La Cour, suffisamment divisée sur ces questions, a préféré ne pas se prononcer sur la compatibilité de la loi per se avec les articles 7 et 9 de la Convention, se

    179 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§35, 37, 41, 51-53. A la lecture des différentes opinions des juges jointes à l'arrêt, il semble que seuls les juges Bernhardt, Lopez Rocha, et Ryssdal souscrivent pleinement à cet arrêt.

    180 C'est la position défendue par les juges Martens (opinion partiellement dissidente), Meyer (opinion concordante) et Pettiti (opinion partiellement concordante). Ils considèrent que la loi grecque est contraire à l'article 9 voire même à l'article 7 (nulla poena sine lege) - selon Martens - de la Convention per se.

    Dans l'arrêt Larissis, le juge Meyer (opinion concordante) réitère sa position sur l'illégitimité de la loi grecque, tandis que le juge Repik y affirme l'illégitimité de la loi grecque tant au titre de l'article 9 que de l'article 7 dans le cadre de son opinion partiellement dissidente.

    181 Voir l'opinion dissidente des juges Foighel et Loizou, et l'opinion dissidente du juge Valticos. Ce dernier, rallié par le juge Morenilla, réaffirme cette position dans son opinion partiellement dissidente à l'arrêt Larissis.

    182 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§40, 52

    183 Ibidem, §38; Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §32

    184 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §39

    contentant d'en examiner l'application.185

    Pourtant il y a de quoi s'interroger sur le motif véritable justifiant cette loi, quand on s'aperçoit que dans sa mise en oeuvre, elle a exclusivement servi à protéger l'église orthodoxe et ses membres contre les tentatives de faire changer certains de confession.186 Cette limitation était-elle donc véritablement « nécessaire dans une société démocratique »? Etait-elle une mesure appropriée à la « protection des droits et libertés d'autrui »? Il y a véritablement de quoi en douter.

    Une petite partie de la doctrine soutient l'idée que l'Etat peut s'interposer de la sorte par le biais d'une loi spécifique, afin de protéger l'individu menacé de voir sa conscience religieuse indûment altérée.187 Dans cette perspective, l'Etat se doit de garantir les conditions d'un libre choix de l'individu en matière d'orientation religieuse. Selon cette approche, l'être humain est manipulable, il peut être vulnérable dans certaines situations, à la pression d'autrui, et prendre des décisions qui lui sont en réalité imposées de l'extérieur. Face aux risques d'endoctrinement, de domination, de manipulation et de pression psychique, l'Etat est habilité à intervenir et se porter au secours de la victime de cette propagation abusive.

    Toute la question réside alors dans la nécessité de déterminer le seuil à partir duquel l'Etat peut intervenir. Or ce genre de loi ouvre la porte à des interventions même pour des actes au degré de contrainte relativement faible. A l'instar du cas grec, un individu source peut même être condamné bien que la personne réceptrice ne se plaint pas d'avoir été l'objet d'un prosélytisme abusif.

    2.2 L'interventionnisme ou l'individu infantilisé

    Selon l'opinion dissidente dans les affaires grecques, l'Etat est pleinement habilité à intervenir, sur la base d'une interprétation large de la loi en question. Autrement dit, dès que la discussion dépasserait le simple échange de vue, et que la source tenterait subrepticement

    185 Ibidem, §§35, 39-41, 53; Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §§32-35, 39-42

    186 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§18-21

    187 Voir notamment SICILIANOS, « La Liberté de Diffusion des Convictions Religieuses », op. cit., pp. 217-218: « la valeur suprême qui risque d'être menacée aujourd'hui est celle de la libre volonté de la personne (...). Il faudrait donc essayer de renforcer l'arsenal juridique existant en la matière en partant du droit au libre développement de la personnalité de chacun. »

    d'influencer le récepteur, l'Etat serait habilité à intervenir. Une telle démarche donnerait un pouvoir considérable à l'Etat, et restreindrait sérieusement la liberté de religion de la source. Cette position interventionniste repose sur une vision infantilisée du récepteur,188 où un Etat paternaliste se sent en devoir d'intervenir pour éviter que l'individu ne fasse un choix sous l'influence d'une tierce personne. Cette lecture de la liberté religieuse portée notamment par le juge Valticos, est évidemment problématique et éminemment conservatrice,189 et ne semble pas avoir trouvé de soutien dans la doctrine.

    Elle a d'ailleurs été critiquée par un certain nombre d'auteurs et par une partie des juges de la Cour, qui estiment qu'au contraire l'Etat n'est pas dans son rôle s'il intervient de la sorte dans la sphère des relations interpersonnelles à caractère religieux.

    2.3 Le « laisser faire » ou l'individu responsable

    L'approche privilégiant le « laisser faire » est portée par une très large majorité de la doctrine.190 Les tenants de cette position estiment qu' « [e]n principe l'Etat n'a (...) pas compétence pour intervenir dans ce « conflit » entre la personne qui se livre au prosélytisme et son interlocuteur ».191 Ceux-ci dénoncent par conséquent les risques de dérives paternalistes, pour ne pas dire autoritaires que comporte la position interventionniste.192 Ces lois sur le prosélytisme

    188 GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme. L'Expérience Européenne », op. cit., p. 8

    189 Selon cette position, le statu quo religieux est perçu comme le meilleur garant de la liberté religieuse.

    190 EDGE, « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », op. cit.; FERRARI, « La Liberté Religieuse à l'Epoque de la Globalisation et du Postmodernisme: la Question du Prosélytisme » op. cit.; GONZALEZ, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, op. cit.; GUNN Jeremy T, « Adjudicating Rights of Conscience Under the European Convention on Human Rights », in VAN DER VYVER Johan D, WITTE John, Jr. (eds.), Religious Human Rights in Global Perpective. Legal Perspectives, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague / Boston / London, 1996, pp. 305-330; RIGAUX, « L'Incrimination du Prosélytisme Face à la Liberté d'Expression », op. cit.; SURREL, « La Liberté Religieuse Devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme », op. cit.; TAYLOR Paul, « The Basis for the Departure of the European Standard under Article 9 of the European Cnvention on Human Rights from Equivalent Universal Standards », Web Journal of Legal Current Issues, 5th issue, 2001, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/2001/issue5/taylor5.html, soutiennent tous cette position et regrettent que la Cour ne se soit pas prononcée sur l'incompatibilité de la loi grecque avec la Convention.

    191 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, § 15

    192 Pour le juge Pettiti par exemple, « [l]e domaine des convictions spirituelles, religieuses ou philosophique fait appel à la sphère intime des croyances et au droit de les exprimer et manifester. Entrer dans un système répressif sans gardefous est périlleux et l'on sait à quels errements ont conduit les régimes autoritaires qui tout en affirmant dans leurs constitutions la liberté de religion, la restreignaient par des incriminations pénales visant le parasitisme, le « subversif » ou le « prosélytisme ». » La loi grecque « permet à tout moment de sanctionner la moindre tentative pratiquée pour convaincre son interlocuteur. (...) « Des critères aussi incontrôlables que faits de prosélytisme de « bon ou mauvais aloi » ou prosélytisme « intempestif » ne peuvent assurer la sécurité juridique. ». « On peut se demander si le principe même de l'application d'une loi pénale en matière de prosélytisme est compatible avec l'article 9 (art. 9) de la Convention. » Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A,

    laissent en effet une très large discrétion au juge national dans le cadre de leur application, et peuvent représenter, à l'instar de la loi grecque, une menace à la liberté de propagation de la source. De plus, selon le juge Martens, l'Etat n'est plus dans la position de neutralité qu'il devrait occuper en matière religieuse, s'il s'érige en arbitre pour juger si tel ou tel comportement est de bon ou de mauvais aloi.

    Par conséquent, les tenants du « laisser faire » prônent un seuil d'intervention étatique très élevé dans ce domaine religieux. Ainsi pour le juge Pettiti, ce n'est que lorsque l'on tente de « forcer le consentement » d'autrui que l'Etat est habilité à intervenir. Des comportements « tels que [le] lavage de cerveau, [les] atteintes au droit du travail, [les] atteintes à la santé publique ou [l]'incitation à la débauche (...) doivent être sanctionnés en droit positif par les qualifications de droit commun pénal. »193 Quant au juge Martens, il préconise un seuil encore plus élevé. Selon lui, la stricte neutralité de l'Etat dans ce domaine exclut toute ingérence à moins d'une infraction d'ordre physique telle des coups et blessures. Même s'il est fait usage de « formes graves de coercition intellectuelle », le juge reste réticent à avaliser une ingérence, « puisqu'il est à l'évidence difficile d'établir quand des moyens intellectuels de conversion franchissent la ligne de démarcation entre un enseignement insistant et intensif qu'il faut autoriser, et une coercition intellectuelle voisine du lavage de cerveau », à moins que ces méthodes atteignent un niveau tel qu'elles relèvent de l'article 3 de la Convention (interdiction de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants).194 Dans la perspective du « laisser faire », la propagation n'est pas acceptable lorsque elle aboutit clairement à une « conversion forcée » mais le simple prosélytisme « abusif » n'est pas suffisant pour justifier une ingérence.

    Au coeur de cette approche de la liberté religieuse se trouve l'idée que l'individu, être humain doté de raison, est fondamentalement responsable de ses choix concernant son orientation religieuse.195 Dès l'affaire Arrowsmith, l'on trouve une inquiétude face aux risques que comporte une

    opinion partiellement concordante du juge Pettiti

    Voir aussi l'avertissement du juge Martens, qui déclare que « compte tenu de la vague montante d'intolérance religieuse, il est impératif de circonscrire le plus rigoureusement possible les pouvoirs de l'Etat en la matière. » Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §16

    193 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement concordante du juge Pettiti

    194 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §§17-18

    195 L'actuelle Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction se situe également dans le camp du « laisser faire ». Parce que « la liberté de religion ou de conviction des adultes est intrinsèquement une question de choix personnel, toute restriction généralisée imposée par l'Etat (par exemple par le biais de la loi) pour

    vision infantilisée du récepteur du message de propagation, et qui semble faire du récepteur un individu irresponsable, incapable de faire face raisonnablement aux croyances religieuses qui lui sont présentées.196

    Vouloir protéger absolument le libre choix de la personne est une entreprise difficile, dans la mesure où la question de savoir comment et dans quelle mesure l'être humain est capable d'effectuer librement ses « choix » est controversée.197 Interdire les influences et les tentatives de faire changer de position la personne n'est certainement pas la bonne solution. Au contraire, dans la perspective de la liberté de l'individu de pouvoir choisir sa religion ou conviction, une propagation saine des croyances devrait être encouragée, si l'on veut que ce choix puisse se faire de manière informée. Peter Edge rappelle à juste titre que la propagation ne doit pas être perçue comme un fait négatif, que l'on tolère tant qu'il ne dépasse pas un certain seuil de gravité. S'il invite à quitter ce qu'il appelle le « paradigme du prédateur », c'est justement parce qu'une telle perspective passe à côté de la valeur positive du prosélytisme pour le récepteur et la société en général.198 Si l'article 10 mentionne la liberté de « recevoir » des idées ou informations, une telle liberté fait aussi sens au regard de l'article 9, non seulement pour que chacun puisse faire un choix en connaissance de cause, mais aussi et tout simplement pour une question d'ouverture, de tolérance véritable et d'acceptation et de compréhension de l'autre dans sa différence.

    protéger la liberté de religion et de conviction d' « autrui » en restreignant le droit de chacun de mener des activités missionnaires est à éviter » (Rapport A/60/399, op. cit, §62). Par conséquent elle déconseille d'ériger en infraction pénale des actes non violents commis dans le cadre de la propagation des croyances afin d'éviter notamment d'ouvrir la voie à la persécution des minorités religieuses (Ibidem, §65). Elle critique implicitement le jugement de la Cour européenne dans l'affaire Larissis en ce qui concerne le soldat Kafkas, estimant que toute crainte à l'égard de certaines conversions ou des moyens utilisés pour les susciter devrait être exprimée avant tout par la victime présumée (§65). Elle distingue par ailleurs les cas de coercition, des cas de propagation qui, tout en ne constituant pas une violation des droits de l'homme, « n'en suscitent pas moins de vives inquiétudes parce qu'ils portent atteintes à une culture de tolérance religieuse. » (Ibidem §66-67)

    196 « Chercher à influencer des personnes responsables de leurs faits et gestes est, en matière politique ou autre, un aspect essentiel de la liberté d'expression et d'opinion. Si ces personnes sont en fait amenées à accepter les convictions, opinions ou idées ainsi exprimées ou font usage des informations qui leur ont été communiquées pour les influencer, elles le font essentiellement sous leur propre responsabilité. » Arrowsmith c. Royaume- Uni, n° 7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, opinion séparée, en partie dissidente de M. Opsahl.

    On retrouve cette idée dans une déclaration du juge Martens: L'Etat a « le devoir d'admettre qu'en règle générale toute personne est capable de choisir son sort de la manière qu'elle juge la meilleure ». Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §15

    197 EDGE Peter W., « Religious Rights and Choice Under the European Convention on Human Rights », Web Journal of Legal Current Issues, 3rd issue, 2000, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/2000/issue3/edge3.html

    198 EDGE Peter W., « The Missionary's Position after Kokkinakis v Greece », Web Journal of Legal Current Issues, 2nd issue, 1995, disponible sur Internet au lien suivant: http://webjcli.ncl.ac.uk/articles2/edge2.rtf

    Voir aussi GONZALEZ, La Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, op. cit., pp. 92-93, 101

    IV. Conclusion

    La question de la propagation des croyances est un phénomène dont les enjeux sont complexes. Intérêts religieux ou étatiques et droits individuels de la source ou du récepteur s'entremêlent, s'opposent parfois. Nous l'avons dit, la société occidentale post moderne aborde ce phénomène avec méfiance. Dans d'autres sociétés, plus que de la méfiance, c'est par la répression que l'on y répond. Cependant, le droit international des droits de l'homme qui protège la liberté religieuse, comprend un droit de propager ses croyances. Il est important que la Cour européenne des droits de l'homme reconnaisse ce droit à tous les mouvements religieux et à toutes les convictions au sens de l'article 9, même lorsque la propagation prend une forme non traditionnelle (et non familière aux juges). Ce faisant, il est souhaitable que la Cour développe une terminologie précise et surtout, neutre et générale, évitant de faire usage d'un vocabulaire tiré de l'une ou l'autre des religions.

    De plus, il nous semble que la Cour devrait se concentrer à développer une argumentation solide et objective basée sur l'analyse de la légitimité de la restriction (art. 9§2), et adopter d'une manière générale une attitude très souple dans la reconnaissance des religions et convictions ainsi que de leurs possibles manifestations (art. 9§1). Peu importe finalement que l'on considère la propagation comme une forme de pratique ou bien plutôt comme un enseignement. Les décisions et arrêts de la Cour y gagneraient sans doute en cohérence et en force de raisonnement. Dans cette optique, l'usage d'un certain nombre de critères permettant de déterminer si le degré de coercition de l'acte de propagation est tel que l'individu récepteur est victime d'une forme de prosélytisme « abusif » portant atteinte à sa capacité d'exercer sa liberté religieuse est souhaitable.

    Enfin, la Cour doit aller jusqu'au bout de la reconnaissance du droit à la propagation des croyances religieuses, en n'attribuant pas une coloration négative à ce phénomène, que l'on « tolérerait » tant qu'il n'atteint pas un certain seuil de coercition à l'égard du récepteur. En effet, nous l'avons vu, la Cour a rarement été à l'aise dans les affaires relevant de l'article 9, et notamment dans les affaires de propagation religieuse. Le contraste est saisissant avec la doctrine qui s'est penchée sur la question, et qui s'est prononcée nettement plus en faveur de la liberté de propager ses croyances, en remettant en cause l'existence de lois prohibant le prosélytisme « abusif ». Si la propagation des croyances est protégée par la liberté de religion et de conviction, elle doit être appréhendée comme un élément positif non seulement dans le cadre de la liberté personnelle de la

    source, mais aussi comme une valeur ajoutée pour la société elle-même. En effet, une liberté religieuse véritable, qui protège la possibilité d'un choix informé, ne doit pas s'opposer à ce que les uns tentent de convaincre les autres, tant que ceci se fait dans le respect des droits d'autrui, d'une manière qui laisse l'autre capable de refuser, et dans le respect de sa sensibilité.

    Alors que la Cour examine en ce moment même une affaire de propagation de croyance,199 il est à espérer qu'elle saura éviter ces écueils. Surtout, la Cour devrait se garder de soutenir la position « interventionniste », en maintenant fermement l'importance de protéger la liberté de propager, sans que l'Etat ne s'ingère dans ces interactions interpersonnelles, à moins que l'attitude coercitive de la source ne le requiert. Pour déterminer la nécessité d'une telle ingérence, il est essentiel que la Cour assoie autant que possible sa position sur une analyse objective des faits. La Cour a reconnu le droit à la liberté de propagation religieuse, et c'est une première étape importante. L'on peut souhaiter que, s'appuyant sur cet acquis, la Cour assume sa responsabilité, sans fuir l'article 9, en affirmant sans ambages l'importance et la valeur d'une propagation des croyances saine, qui contribue à valoriser la liberté de religion et de croyance autant pour la source que le récepteur et à enrichir une société véritablement pluraliste et tolérante.

    199 Une affaire concernant un « missionnaire » américain de l'église « Morning Star International », d'inspiration protestante, et dont le permis de séjour « aux fins d'activités religieuses » n'a pas été renouvelé a été déclarée recevable par la Cour. Perry c. Lettonie, n°30273/03, décision du 18 janvier 2007, HUDOC

    V.Bibliographie

    Traités:

    A vocation universelle:

    Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques, Assemblée générale des Nations Unies, résolution 2200 A (XXI), 16 décembre 1966

    Convention Relative aux Droits de l'Enfant, Assemblée générale des Nations Unies, résolution 44/25, 20 novembre 1989

    Convention Internationale sur la Protection des Droits de Tous les Travailleurs Migrants et des Membres de leur Famille, Assemblée générale des Nations Unies, résolution 45/158, 18 décembre 1990

    A vocation régionale:

    Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (Convention Européenne des Droits de l'Homme), Conseil de l'Europe, 4 novembre 1950 (telle qu'amendée par le Protocole n°1 1)

    Convention Américaine Relative aux Droits de l'Homme, Organisation des Etats américains, 22 novembre 1969

    Résolutions adoptées par des organes internationaux:

    Assemblée Générale des Nations Unies:

    Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, résolution 217 A (III), 10 décembre 1948 Déclaration sur l'Elimination de toutes les Formes d'Intolérance et de Discrimination Fondées sur la Religion ou la Conviction, résolution 36/55, 25 novembre 1981

    Elimination de Toute les Formes d'Intolérance Religieuse, résolution 59/199, 20 décembre 2004

    Comité des droits de l'homme:

    Summary Records of the 1166th Meeting of the Forty-Fifth Session, discussion on 24 July 1992, §48 Observation Générale No 22: Le Droit à la Liberté de Pensée, de Conscience et de Religion (art.

    18), CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, 30 Septembre 1993

    Commission des droits de l'homme / Conseil des droits de l'homme:

    Elimination de toutes les Formes d'Intolérance Religieuse et de Discrimination Fondées sur la Religion ou la Conviction, résolution 2005/40, 19 avril 2005

    Incitment to Racial and Religious Hatred and the Promotion of Tolerance, resolution A/HRC/1/L.16, 29 June 2006

    Organisation de la Conférence Islamique

    Déclaration sur les Droits et la Protection de l'Enfant dans le Monde Islamique, résolution n°. 16/7-C (is), 15 décembre 1994

    Rapports des Nations Unies:

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    ODIO BENITO Elisabeth, Special Rapporteur of the Sub-Commission on Prevention of Discrimination and Protection of Minorities, Elimination of all Forms of Intolerance and Discrimination Based on Religion or Belief, United Nations, New York, 1989

    Commission des droits de l'homme, Rapport Présenté par M. Angelo Vidal d'Almeida Ribeiro, Rapporteur Spécial Nommé Conformément à la Résolution 1986/20 du 10 Mars 1986 de la Commission des Droits de l'Homme, E/CN.4/1993/62, 1993

    Commission on Human Rights, Report Submitted by Mr. Abdelfattah Amor, Special Rapporteur, in Accordance with Commission on Human Rights Resolution, 1994/1 8, E/CN.4/1995/91, 1994

    Assemblée générale, Application de la Déclaration sur l'Elimination de toutes les Formes d'Intolérance et de Discrimination Fondées sur la Religion ou la Conviction, A/5 1/542/Add. 1 (rapport de la visite du Rapporteur spécial en Grèce), 1996

    Commission on Human Rights, Report submitted by Mr. Abdelfattah Amor, Special Rapporteur, in Accordance with Commission on Human Rights Resolution 1996/23, A/CN.4/1997/91, 1996

    Commission des droits de l'homme, Rapport Soumis par la Rapporteuse Spéciale sur la Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahangir, E/CN.4/2005/61, 2004

    Assemblée générale, Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir, Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de Conviction, A/60/399, 2005 (en particulier §§ 40-68)

    Commission des droits de l'homme, Rapport de la Rapporteuse Spéciale sur la Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahangir, Mission à Sri Lanka, E/CN.4/2006/5/Add.3, 2005

    Conseil des droits de l'homme, Report of the Special Rapporteur on Freedom of Religion or Belief, Asma Jahangir, and the Special Rapporteur on Contemporary Forms of Racism, Racial Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance, Doudou Diène, further to Human Rights Council Decision 1/107 on Incitment to Racial and Religious Hatred and the Promotion of Tolerance, A/HRC/2/3, 2006

    Conseil des droits de l'homme, Rapport Soumis par le Rapporteur Spécial sur les Formes Contemporaines de Racisme, de Discrimination Raciale, de Xénophobie et de l'Intolérance qui y Est Associée, Doudou Diène, A/HRC/4/19, 2007

    Jurisprudence internationale:

    Comité des droits de l'homme:

    Hudoyberganova c. Uzbekistan, Communication n° 931/2000, constatations du 5 novembre 2004 (CCPR/C/82/D/93 1/2000)

    Kang c. République de Corée, Communication n° 878/1999, constatations du 23 juillet 2003 (CCPR/C/78/D/878/1 999)

    Ross c. Canada, Communication n° 736/1997, constatations du 18 octobre 2000 (CCPR/C/70/D/736/1 997)

    Cour inter-américaine des droits de l'homme:

    Olmedo Bustos et. Al vs Chile (« The Last Temptation of Christ » Case), judgement of 5 February 2001

    Commission inter-américaine des droits de l'homme:

    Loren Laroye Riebe Star, Jorge Alberto Barón Guttlein and Rodolfo Ifaz Elorz v. Mexico, Case 11.610, Report n°49/99, 13 April 1999

    Cour Européenne des Droits de l'Homme:

    Aydýn Tatlav c. Turquie, n° 50692/99, arrêt du 2 mai 2006, HUDOC Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrêt du 25 février 1982, série A n° 48 Çiftçi c. Turquie, n° 71860/01, décision du 17 juin 2004, CEDH 2004-VI Dahlab c. Suisse, n° 42393/98, décision du 15 février 2001, CEDH 2001-V

    Efstratiou c. Grèce, n° 24095/94, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996- VI

    Giniewski c. France, n° 64016/00, arrêt du 31 janvier 2006, HUDOC Gündüz c. Turquie, n° 35071/97, arrêt du 4 décembre 2003, CEDH 2003-XI Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 24, p. 23, § 49 .A. c. Turquie, n° 42571/98, arrêt du 13 septembre 2005, HUDOC

    Ivanovna v. Bulgarie, n° 52435/99, judgement, 12 april 2007, HUDOC

    Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n° 5095/7 1, n° 5920/72, 5926/72, arrêt du 7 décembre 1976, série A n° 23

    Klein v. Slovakia, n° 72208/01, judgement, 31 october 2006, HUDOC Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A

    Köse et 93 autres c. Turquie, n° 26625/02, décision du 24 janvier 2006, HUDOC Kurtulmu° c. Turquie, n° 65500/01, décision du 24 janvier 2006, HUDOC

    Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I

    Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, arrêt du 10 novembre 2005, HUDOC

    Moscow Branch of the Salvation Army v. Russia, n° 72881/01, judgement, 5 October 2006, HUDOC

    Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits)

    Öllinger c. Autriche, n° 76900/01, arrêt du 29 juin 2006, HUDOC

    Otto Preminger-Institut c. Autriche, n° 13470/87, arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A Paturel c. France, n° 54968/00, arrêt du 22 décembre 2005, HUDOC

    Perry c. Lettonie, n°30273/03, décision du 18 janvier 2007, HUDOC

    Pitkevitch v. Russia, n° 47936/99, decision, 8 February 2001, HUDOC

    Riera Blume et autres c. Espagne, n° 37680/97, arrêt du 14 octobre 1999, CEDH 1999-VII

    Valsamis c. Grèce, n° 21787/93, arrêt du 18 décembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI Wingrove c. Royaume-Uni, n° 17419/90, arrêt du 25 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions

    1996-V

    Zaoui c. Suisse, n° 41615/98, décision du 18 janvier 2001, HUDOC

    Commission Européenne des Droits de l'Homme:

    Angeleni c. Suède, n° 10491/83, décision du 3 décembre 1986, D. R. 51, p. 52 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, décision du 16 mai 1977, D. R. 8, p. 131 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n° 7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, p. 5 Bernard et autres c. Luxembourg, n° 17187/90, décision du 8 septembre 1993, HUDOC Bulut c. Turquie, n° 18783/91, décision du 3 mai 1993, HUDOC

    C c. Royaume-Uni, n° 10358/83, décision du 15 décembre 1983, D. R. 37, p. 148 Choudhury v. United Kingdom, n° 17439/90, decision, 5 march 1991, HUDOC

    Church of Scientology et 128 de ses membres c. Suède, n° 8282/78, décision du 14 juillet 1980, D. R. 21, p. 113

    Dubowska v. Poland, n° 33490/96 and Skup v. Poland, n° 34055/96 (joined), decision, 18 april 1997, HUDOC

    Karaduman c. Turquie, n° 16278/90, décision du 3 mai 1993, D. R. 74, p. 93 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport du 3 décembre 1991, HUDOC

    Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september 1996, HUDOC

    Le Cour Grandmaison et Fritz c. France, n° 11567/85 et 11568/85, décision du 6 juillet 1987, D. R. 53, p. 150

    Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 2283 8/93, décision du 22 février 1995, D. R. 80, p. 147 W. H. v. Sweden, n° 9820/82, decision, 5 October 1982 (non publiée)

    X, et Church of Scientology c. Suède, n° 7805/77, décision du 5 mai 1979, D. R. 16, p. 75

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    F 1 8News, Uzbekistan: Prime-Time State TV Incites Intolerance of Religious Minorities and Religious Freedom, 19 December 2006, disponible sur Internet au lien suivant: http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=890

    F 1 8News, Moldova: Controversial Religion Law Suddenly Rushed Through Parliament, 16 Mai 2007. disponible sur Internet au lien suivant: http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=956

    F 1 8News, Moldova: New Religion Law To Be Passed in Early February?, 26 Janvier 2007, disponible sur Internet au lien suivant: http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=903

    Discours:

    JAHANGIR Asma, Speech Held on the 25th Anniversary Commemoration of the Adoption of the 1981 Declaration on the Elimination of Intolerance and Discrimination Based on Religion or Belief, Prague, 25 November 2006 (disponible sur demande auprès de l'auteur)

    Documents religieux:

    BROWN David, LIECHTI Daniel, STAMP Alain, Liberté de Conscience et Liberté d'Expression: Communiquer l'Evangile en France Aujourd'hui, Est-ce Légitime?, Fédération Evangélique de France, Juillan, 2004, 16 pp.

    Groupe Mixte de Travail Eglise Catholique Romaine / Conseil OEcuménique des Eglises, Septième

    Rapport, 1998, Annexe C: Le Défi du Prosélytisme et l'Appel au Témoignage Commun (1995), disponible sur Internet au lien suivant:

    http://www.oikoumene.org/fr/documentation/documents/commissions-du-coe/joint-working-group-between-the-roman-catholic-church-and-the-wcc/98-seventh-report-of-the-joint-working-group.html

    Pape PAUL VI (Vatican II), Décret Ad Gentes sur l'Activité Missionnaire de l'Eglise, 1965, disponible sur Internet au lien suivant:

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    Pape PAUL VI (Vatican II), Décret Dignitatis humanae sur la Liberté religieuse. Le Droit de la Personne et des Communautés à la Liberté Sociale et Civile en Matière Religieuse, 1965, disponible sur Internet au lien suivant:

    http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-

    ii_decl_1 9651 207 _dignitatis-humanae%20( 1 )_fr.html






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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King