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Le Droit de Propager ses Croyances en Droit International des Droits de l'Homme, à la Lumière de la Jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme

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par Michael Mutzner
Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales (IUHEI) - Université de Genève - Diplôme d'études approfondies en relations internationales, spécialisation: droit international 2007
  

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Larissis et autres c. Grèce

Dans la perspective de l'identification des droits du récepteur, l'arrêt Larissis et autres c. Grèce du 24 février 1998 est particulièrement pertinent. En effet, après avoir constaté que la limitation à la liberté des officiers, de propager leurs croyances était prévue par la loi,135 et poursuivait un but légitime - la protection des droits et libertés d'autrui -,136 la Cour examine la nécessité de cette ingérence. Elle établit alors une distinction entre la propagation exercée à l'égard des soldats et le prosélytisme envers les civils.137

La propagation au sein de l'unité de l'armée de l'air grecque prenait la forme de discussions répétées, généralement engagées par les officiers, avec politesse, incitant les soldats à lire la Bible et à rejoindre leur église, leur promettant parfois qu'ils verraient des miracles s'ils se convertissaient. A cet égard, « [l]a Cour relève (...) que la structure hiérarchique qui constitue une caractéristique de la condition militaire peut donner une certaine coloration à tout aspect des relations entre membres des forces armées, de sorte qu'un subordonné a du mal à repousser un supérieur qui l'aborde ou à se soustraire à une conversation engagée par celui-ci. Ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange inoffensif d'idées que le destinataire est libre d'accepter ou de refuser peut, dans le cadre de la vie militaire, être perçu comme une forme de harcèlement ou comme l'exercice de pressions de mauvais aloi par un abus de pouvoir ».138 Par conséquent la Grèce était fondée à prendre des mesures pour protéger les droits des subordonnés au sein des forces armées.

Dans le cas d'espèce, c'est donc la nature (hiérarchique) de la relation existant entre la source et le récepteur qui représente le critère déterminant permettant d'établir si la liberté de religion et de conviction du récepteur était menacée.

En ce qui concerne le prosélytisme entre civils, la Cour conclut en revanche à une violation de la liberté de religion ou de conviction des requérants. Elle estime en effet qu'il n'y avait pas de pression ni de contrainte du même ordre que celle exercée sur les soldats. En effet, les civils ne se sont pas sentis obligés d'écouter les requérants, et dans les deux cas, ce sont les civils qui ont fait

135 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §§39-42

136 Ibidem, §44

137 La Cour suit en fait le raisonnement développé par la Commission dans la même affaire. Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september 1996, HUDOC, §§72-82

138 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §51

appel aux requérants. La Cour relève, en ce qui concerne Mme Zounara, qu'elle se trouvait dans un « état de désarroi », sans estimer toutefois qu'il était établi qu'elle fût « dans un état mental commandant une protection particulière contre les activités évangélisatrices des requérants, comme en témoigne le fait qu'elle a pu finalement prendre la décision de briser tout lien avec l'église pentecôtiste ».139

Comme la Commission dans l'affaire Kokkinakis, la Cour admet ainsi implicitement que l'état de vulnérabilité du récepteur pourrait entrer en compte dans la détermination du prosélytisme de « mauvais aloi ». De plus elle utilise le fait qu'elle ait manifestement conservée la liberté de quitter ce mouvement comme un indicateur prouvant qu'elle n'était pas forcée de se convertir.

Si l'on peut se réjouir de ce que la Cour ait été plus précise dans la détermination du seuil où la liberté de la source de propager ses croyances devient du prosélytisme abusif, cet arrêt comporte toutefois une faille majeure, mise en évidence en particulier par le juge Van Dijk dans son opinion partiellement dissidente.

En effet, la façon dont la Cour, et avant elle la Commission, traite du cas du soldat Kafkas nous semble poser un véritable problème. Car ce soldat, qui a finalement rejoint lui-même l'église pentecôtiste suite à ses discussions avec les requérants, affirme qu'il n'a pas subi de pression en ce sens et qu'il a librement consenti aux échanges qu'il a eu avec les requérants. Or la Cour va à l'encontre de cette appréciation des faits, en estimant que « M. Kafkas, comme les deux autres soldats, a dû se sentir dans une certaine mesure contraint, voire obligé de participer à des discussions religieuses avec les requérants et peut-être même de se convertir à la foi pentecôtiste. »140 Le juge Van Dijk s'étonne à juste titre que la Cour n'ait pas davantage examiné les circonstances permettant d'estimer que le témoignage du soldat Kafkas n'était pas crédible. « [L]a Cour n'aurait pas dû s'en remettre aux juridictions internes pour ce qui est des dépositions du soldat

139 Ibidem, §59

140 La Cour, étonnamment, s'appuie sur le simple fait que les juridictions internes, « mieux placées qu'elle pour établir les faits de la cause », ont eu « l'occasion d'apprécier les preuves, y compris le comportement et la crédibilité de M. Kafkas » (§53). Or le jugement en première instance a eu lieu en l'absence du prévenu, et s'est donc appuyé principalement sur le témoignage de son père, selon lequel il aurait été manipulé par les officiers pour quitter l'église orthodoxe. Le juge Van Dijk regrette la position adoptée par la Cour, et affirme qu'elle « avait (...) la compétence de se prononcer sur le fait que la Cour d'appel, bien qu'elle eût entendu la déposition de M. Kafkas lui-même, ait souscrit au raisonnement du tribunal en première instance sur la question, lequel n'avait pas entendu comme témoin le soldat Kafkas, mais uniquement son père. (...) Je vois mal pourquoi la Cour accepte sans examen ni contrôle les constats des juridictions internes quant au prosélytisme à l'égard de soldats alors qu'elle adopte un point de vue critique pour ces constats concernant le prosélytisme vis-à-vis de civils. ». Ibidem, opinion partiellement dissidente du juge Van Dijk.

Kafkas et de son père, et aurait dû, faute d'indications contraires, accorder plus de poids au témoignage de la prétendue victime de prosélytisme qu'à celui d'un témoin dont la déposition s'appuyait sur une connaissance par ouï-dire. »

La légèreté avec laquelle la Cour traite cet aspect de l'affaire est d'autant plus gênante qu'elle y pose un principe controversé, à savoir qu'une conversion, bien que jugée authentique par le converti lui-même, pourrait être en réalité viciée, et représenter une violation du droit à la liberté de pensée de conscience et de religion de l'individu récepteur. Nous verrons plus loin qu'un tel principe repose sur une certaine conception de l'être humain et de sa capacité à choisir son orientation religieuse, qui divise tout autant la doctrine que les juges. Mais avant cela, il nous paraît essentiel d'identifier plus explicitement certains critères dont la Cour pourrait se servir de manière plus systématique lorsqu'elle détermine le prosélytisme, afin de faire gagner en légitimité et en force son raisonnement qui a eu tendance à rester un peu rapide et superficiel en la matière.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote