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Récit lovecraftien et cinéma - de la transposition à l'enrichissement du mythe

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par Fabien Legeron
Université Paris est - Master 1 2007
  

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DU LOVECRAFTIEN AU-DELA DE SES UNIVERS DE REFERENCE : ALIEN (1979)

La voie la plus porteuse d'avenir en termes de continuation mythologique au cinéma, et donc quant à la validité du medium dans le lovecraftien, semble en effet être plus celle de l'aj out de nouveaux récits au corpus que celle de l'adaptation directe. Dans une mythologie dont la force est l'atomicité des sources et des ajouts, la chose semble acquise. L'étude qui précède prouve en tous cas que le lovecraftien ne se résume pas aux créatures indicibles cachées dans le noir et qui propagent une inflation de tentacules psychopathogènes lorsque les étoiles sont dans un alignement propice... Mais le lovecraftien, au sens le plus plein du terme, peut-il vraiment s'affranchir de sa matrice originelle, c'est-à-dire Lovecraft lui-même et le système de références accrochées à sa mythologie ? Grands Anciens, peuples savants non humains plus ou moins identifiés, villages isolés de Nouvelle Angleterre, grimoires maudits et ascendances monstrueuses... Affranchir un récit de tels détails d'imagerie, est-ce le vider de sa dimension lovecraftienne ? En fin de compte, le lovecraftien est-il subordonné à un jeu de références ?

Le lovecraftien en tant que thématique s'instille dans un pan de plus en plus étendu du cinéma dit de genre, et imbibe des domaines ou des genres qui n'entretiennent pas de rapport direct avec lui. Le cas de Alien, de Ridley Scott, est à ce titre tout à fait éclairant, d'abord par certains aspects de sa genèse, ensuite par l'imagerie qu'il développe, enfin par sa thématique même. Ces trois prismes permettent de mieux prendre la mesure lovecraftienne, d'un film qui a priori n'a pas grand-chose à voir avec le sujet. En effet, les deux scénaristes à l'origine du projet, Dan O'Bannon et Ronald Shusett, ne semblent pas spécialement versés dans le lovecraftien, à l'exception notable de leur script de Bleeders (Peter Svatek, 1997), petite série B qui démarque de manière lointaine et officieuse la thématique incestueuse et mutante de la nouvelle The lurking Fear.

Pourtant la genèse même d'Alien opère des circonvolutions qui le font graviter autour de la mythologie lovecraftienne. Il convient d'abord de se pencher sur la première tentative1 d'adaptation de Dune, le roman de Frank Herbert publié en 19652. Auréolé du succès de son El Topo (1970), Alejandro Jodorowsky s'atèle vers 1975 à une adaptation de Dune, à laquelle est attaché Dan O'Bannon en tant que scénariste et surtout Hans Ruedi Giger, peintre suisse à l'univers onirique et

1 Les sources concernant l'évocation du Dune de Jodorovsky proviennent du documentaire The beast within, de Charles de Lauzirika (Twentieth century fox, 2003), les articles H.R. Giger, la science des rêves de Marc Toullec (Mad movies n°196) et Le film décrypté : Alien, le 8 ème passager de Julien Dupuy (Mad movies n°1 58), et la page http://hrgiger.canalblog.com/archives/2004/11/13/index.html (dernière consultation Septembre 2007).

2 Cycle de science-fiction contant les jeux de pouvoir féodaux au 103 ème siècle, autour d'une substance psychoactive nommée Epice, qui ne se trouve que sur une planète désertique et infestée de vers géants, Arrakis. Cette substance cristallise des conflits entre divers clans comme les Attréides et les Harkonnens, manipulés en cela par l'Empereur du monde connu à la solde des puissants Navigateurs, qui plient l'espace et permettent ainsi les voyages interstellaires, capacité nécessitant l'Epice.

père d'un design biomécanique très sexué, morbide et humoristique. Ce dernier, au courant du projet suite à un concert de Magma (Christian Vander, leader du groupe, doit à l'époque participer à la musique du film), y est introduit par Salvador Dali lui-même, qui crée certains décors et doit jouer le rôle de l'empereur dans le film. Il conçoit notamment le design de Geidi Prime, la planète de la décadente baronnie Harkonnen.

Les producteurs lâchent Jodorowsky et son projet trop fou (n'oublions pas que l'on se situe encore dans un contexte de production d'avant Star Wars et son succès commercial phénoménal, et que la science fiction au cinéma ne n'inspire pas confiance aux producteurs), renvoyant un Dan O'Bannon sans le sou aux Etats-Unis où, hébergé par Ronald Shusett, il se penche avec lui sur deux scripts : une adaptation de Philip K. Dick qui donnera bien plus tard le Total Recall de Paul Verhoeven (1990), et Star Beast, qui devient vite Alien et qui démarque Terrore Nello Spajo, de Mario Bava (1965) et It ! The terror from beyond space de Ed Cahn, l'originalité introduite par Shusett étant la "fécondation" d'un membre d'équipage (nous y reviendrons) servant à la créature de ticket d'entrée dans le vaisseau spatial1. Suite aux diverses circonvolutions du developpement hell (encore une fois, il faut attendre que Star wars change la donne économique en 1977 pour que la SF entre en odeur de sainteté et qu'Alien soit "greenlighté" par la Fox), la production est lancée, et la question du design de la planète inconnue, et de ses deux races extraterrestres, se pose avec prégnance. C'est là que O'Bannon se souvient du peintre suisse, et montre à Ridley Scott la dernière monographie en date de Giger : H.R. Giger's Necronomicon (voir figure 10, p.84).

Ce titre n'est en aucun cas anodin chez Giger : en effet, c'est suite à l'exposition qui le consacre en 1976, La seconde célébration des quatre (elle sert de mémorial à la petite amie et muse du peintre, Li, suicidée en 1975), qui reprend une esthétique élémentaire aux résonances sataniques et lovecraftiennes2, et qui pose Giger en une incarnation métaphorique de Abdul Alhazred, l'arabe dément (auteur du Al Azif original) créé par H.P. Lovecraft. Plusieurs travaux de Giger font ainsi ouvertement référence à la mythologie lovecraftienne (on y reconnaît par exemple une Lilith toute droit sortie de Horreur à Red Hook). L'impression qui se dégage de l'oeuvre est en fait, assez similaire à celle qui sourd de certains récits écrits du mythe : limites floues entre le matériel et l'immatériel, convocations de traditions hétérocites, citations directes, climat d'oppression d'ordre cosmique (au sens ou les environnements se pressent littéralement contre les personnages, voire les absorbent ou s'y fondent), et évocation d'un tout, d'un univers, plus important que la portion qui se trouve dans le champ de la toile (les objets et figures sont souvent "coupés" par les bords du cadre). Le design de la

1 Dans les termes de Shusett lui-même : « The creature screws one of the crew members ! »

2 August Derleth, notamment, interprète une typologie élémentaire pour les Grands Anciens (feu, eau, air, fécondité...). Derleth, August, Le mythe de Cthulhu, in H.P. Lovecraft et August Derleth, Légendes du mythe de Cthulhu, p.9, Pocket, 1989

créature du film, au dernier stade de son développement, sera sur la demande expresse de Scott un décalque quasi-littéral de l'une des toiles du Necronomicon, Necronom 4, adjoint de détails significatifs de Necronom 5 (voir figure 10, p.84). C'est ainsi que la mythologie lovecraftienne contamine en sous-main le film avant même le premier coup de manivelle : l'influence se fait ainsi sentir de manière plus ou moins consciente ou évidente sur tous les aspect de l'histoire contée.

Mais réduire Alien à des créatures si pittoresques, exotiques et saisissantes soient-elles, ne ferait finalement que peu pour montrer la caractère profondément lovecraftien du métrage. Car l'imagerie que développe le film va plus loin que le seul travail de design de Giger : c'est une véritable dialectique de l'indicible en tant que notion physique qui y est mise en place. D'abord par sa manière de décrire un monde, encore une fois, d'une immensité angoissante (diverses références dans le dialogue font état d'une navigation complexe dans l'espace et d'une "bordure extérieure" évocatrices de grande étendue de l'espace arpenté par l'Homme), et où l'être humain à tort de se croire seul (la "rencontre" avec d'autres formes de vie est la première de l'histoire humaine si l'on en croit la procédure à suivre lors de la réception du message qui mène l'équipage du Nostromo sur la planète qui verra sa perte).

Ainsi la nature même des évènements apparaît comme une reconfiguration du monde (en tous cas de la manière de l'appréhender, ce qui revient au même dans ce récit ou la peur est basée sur la subjectivité humaine - on ne voit l'histoire qu'à travers la perception de l'équipage, jamais celle de la créature) par adjonction d'un élément nouveau qui bouleverse la perspective globale, dans un cadre pour le moins quotidien (l'une des réussites du film est la représentation des spationautes comme de routiers de l'espace, dont la principale préoccupation est la répartition des primes) qui en renforce l'exotisme par contraste. Ici, c'est la révélation que nous ne sommes pas seuls dans l'univers, et qu'au moins une partie de ces autres formes de vie n'est pour le moins pas amicale1. Cette reconfiguration est en soi anxiogène par les perspectives qu'elle ouvre (si d'autres vies intelligentes existent, rien ne nous prouve que le statut rassurant de superprédateur nous soit échu... Et si, partant de là, nous rencontrions des choses aussi différentes de nous - et potentiellement supérieures - que nous ne le sommes des vers ou des cailloux ?), dans un système thématique on le voit grandement héritée des préoccupations lovecraftiennes (notamment "cthulhiennes").

1 A travers la sous-intrigue autour de Ash, cette reconfiguration des perspectives comme prélude à la peur trouve une autre occurrence tout aussi importante d'un point de vue discursif : Ripley, qui défend la compagnie Weyland Yutani (l'armateur du vaisseau Nostromo) au début du film, découvre en s'opposant à l'agent scientifique Ash, une vérité effrayante en soi : La compagnie considère l'équipage comme "dispensable" (comprendre "à même d'être sacrifié pour un profit donné" ici l'Alien lui-même) et Ash est un androïde qui ira jusqu'à tenter de la tuer pour protéger la créature.

A partir de là, l'intervention de l'élément exogène (foncièrement, tout ce à quoi s'applique le terme versatilement pertinent Alien) se fait sur un mode, encore, indicible du point de vue de référence pour le spectateur, celui de l'équipage. La confusion quant au message du space jockey1 , pris d'abord pour un S.O.S. avant d'être - trop tard - identifié comme une mise en garde, montre déjà le caractère incompréhensible de la menace. Ensuite les attributs de la créature elle-même, dans le vaisseau abandonné, puis à bord du Nostromo : on a déjà évoqué la représentation lacunaire du monstre à son dernier stade d'évolution2 (mais est-ce seulement le dernier ? Rien ne permet en fait de se prononcer, à part l'interprétation a posteriori et très pragmatique de James Cameron sur la suite, Aliens, et qui conditionne toute la mythologie cinématographique Alien qui suit), mais divers éléments de sa nature sont foncièrement hors des lois naturelles telles qu'on les intègre généralement : le brouillard au-dessus des oeufs, dans le vaisseau, possède une membrane immatérielle et lumineuse qui réagit au contact, le liquide qui suinte de ceux-ci s'écoule vers le haut, le sang de la créature est un acide puissant, et le mode de reproduction de l'Alien lui-même se montre tout à fait "autre", mêlant parasitisme (l'oeuf libère le face hugger qui pond un autre oeuf dans un corps hôte. Celui-ci génère une version embryonnaire du prédateur, le chest burster, qui s'échappe de l'hôte en s'ouvrant une voie à travers son sternum - voir le tableau Hieroglyphics qui récapitule ce processus, figure 10, page suivante) et une forme étrange de parthénogenèse : la créature emmène certaines de ses victimes dans un nid qu'elle se fabrique à base de sécrétions de résine, où elles subissent un étrange processus de dégradation qui les change en nouveaux oeufs via une phase de chrysalide3. Ajoutons à cela la très parcellaire monstration de l'Alien (le terme même d'Alien, qui désigne un élément exogène qu'on ne peut pas définir précisément4 autrement que par une opposition avec les occupants de l'intérieur, est éclairant quant à l'économie de l'indicible dans le récit) qui invite à toutes sorte d'extrapolations sur sa forme entière réelle (voir à ce titre Alien monster 3, figure 10, page suivante).

1 Dans le vaisseau extraterrestre abandonné, l'équipage trouve d'abord une créature fossilisée, soudée par le temps à ce qui apparaît comme un poste de piotage ou une tourelle de communication. Cette créature, un humanoïde géant, semble avoir subi le sort qui attend Kane : sa poitrine a explosé de l'intérieur à la suite de la sortie d'un corps étranger. Ce personnage clef de l'intrigue est désigné par la production, Ridley Scott et Giger comme le space jockey.

2 Voir p.21

3 La scène qui introduit cette idée dérangeante intervient pendant la fuite de Ripley : elle découvre Dallas, le capitaine qui a été emporté par la bête plus tôt, dans un des pieds du Nostromo où l'Alien a installé son nid. Celui-ci, encore vivant, lui demande de l'achever. En 1979, le montage final évacue cette séquence pour la raison qu'elle coupait le crescendo de la tension à ce moment de l'action (voir Giger, Hans Ruedi, Giger's Alien, Gallerie Morpheus International, p.50, 1999). Cette séquence n'est ressortie qu'avec la réexploitation de Alien par la Fox, dans un director's cut qui la réintègre au sein du métrage (Twentieth century fox 2003). Une séquence dont James Cameron n'avait donc pas connaissance lorsqu'il livra sa vision de l'espèce dans son Aliens (1986) : une race s'apparentant à des insectes sociaux, où les oeufs sont pondus par une reine.

4 Le contre-sens consistant à employer le terme Alien comme un nom propre a été depuis franchi avec Alien-la résurrection (Jean-Pierre Jeunet) en 1997.

Le principal point commun thématique avec le reste de la mythologie lovecraftienne, dont Alien propose une vision à la fois opératique et érotisée (il faut être naïf pour ne pas voir un contenu sexuel fort dans le métrage : la séquence à bord de la navette d'évacuation voit tout de même

Sigourney Weaver en petite culotte affrontant un phallus géant qui bave tant qu'il peut, la queue de l'alien est tournée vers l'avant de son entrejambe, il déshabille ses victimes - Ripley retrouve Lambert nue -, et le premier design de l'oeuf le montrait s'ouvrant sur une vulve1. Le principe même de la fécondation d'un membre d'équipage laisse peu d'équivoque sur l'érotisation de la menace.), c'est cette vision très pessimiste de l'Inconnu, qui n'apporte ici encore que mort et folie lorsqu'il entre en contact avec notre sphère de compréhension ou notre plan du réel. L'univers y est vaste et hostile, et que les puissances qui l'habitent soient identifiées (en tant que Grands Anciens ou peuplades diverses telles que Yithiens ou Profonds) ou pas, leur connaissance EST en soi dangereuse. Une peur du monde si lovecraftienne qu'elle n'a même pas besoin d'un rattachement explicite à la lettre de la mythologie, pour constituer l'une des plus concluantes transplantations de la peur lovecraftienne sur l'écran de cinéma. Car plus que la menace physique que représente l'Alien, c'est son profond anachronisme qui nous choque, sa différence qui ramène l'Homme au rang d'insecte potentiellement aux mains de puissances effrayantes, immémoriales et immortelles (le vaisseau est suffisamment vieux pour que son occupant soit momifié, mais les oeufs sont toujours vivants). Sans doute la preuve que le lovecraftien sous-tend bien des enjeux du cinéma de terreur actuel, étant donné la postérité d'Alien en termes d'émulation (notamment le motif du huis-clos où un groupe humain est confronté à une menace exogène, mais aussi l'idée de laisser planer le doute sur la nature de cette menace) et de procédés narratifs.

1 « Caroll (...) is affraid it will get them into trouble, especially in catholic countries » Giger change donc le sommet des oeufs de manière à obtenir une ouverture en fleur. Giger, Hans Ruedi, Giger's Alien, Gallerie Morpheus International, p.46, 1999

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo