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Habiter le nomadisme. L'exemple de l'habitat mobile des travellers du mouvement techno

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par Caroline SPAULT
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales - Master Recherche 2008
  

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Conclusion
Les travellers comme prisme d'analyse de l'habitat mobile.

Au terme de notre tour d'horizon de la situation des travellers et de leur mode d'habitat insolite, force est de constater que cette formation sociale signifiante donne à voir les représentations58 du logement ambulant. Au regard des trois parties exposées, nous avons pu concevoir l'histoire des différents mouvements de travellers. C'est sur les quarante dernières années que je me suis attachée à décrire non exhaustivement les faits historiques et sociopolitiques par lesquelles les travellers transparaissent. Le compte-rendu de ces événements et des analyses sociologiques élaborées, témoigne d'une population compréhensible par les marges. Autrement dit, c'est à la frange de la société globale, que les travellers figurent.

En ce sens, nous admettons que les travellers constituent une catégorie sociale de la déviance. La déviance au sens d'Howard Becker est «la transgression d'une norme acceptée d'un commun accord [É] La déviance est créée par la société : les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant comme des déviants» (1985 : 32-33).

Ainsi, c'est à travers l'organisation de fêtes techno clandestines et par la mise en habitation mobile que les travellers seraient aux yeux de la société globale normative, un groupe social déviant. Puisque les normes sociétales en matière de logement ne conçoivent pas l'habitat mobile comme domicile, les travellers sont donc considérés comme déviants et par là-même comme des marginaux. Aussi, dès lors que la législation n'autorise pas les rassemblements festifs spontanés comme les free-parties, nous pouvons reconnaître le caractère déviant de ces fêtes et du groupe qui les organise.

58 Les représentations sont pensées ici au sens d'Emile Durkheim. La représentation impose à l'individu des manières de penser et d'agir, et se matérialise dans les institutions sociales au moyen de règles sociales, morales et juridiques.

Par ailleurs, introduire le véhicule aménagé en logis a permis de comprendre les représentations sociales de cet habitat. L'étude du mode d'habiter des travellers a ainsi révélé l'expérience d'un quotidien singulier. Par l'acquisition d'un habitat mobile, nous avons relevé les coûts matériels, financiers et affectifs qu'elle engendre. Devenir propriétaire d'un logement ambulant est ainsi gratifiant. Il n'en reste pas moins que la possession d'un véhicule aménagé confronte parfois les travellers à des épreuves sociales et juridiques complexes.

La phénoménologie de l'habitat mobile nous a permis de traduire le sens de l'expérience à habiter un logement ambulant. La catégorie du chez-soi a toute son importance. En légitimant le vécu de l'intimité dans un véhicule aménagé en logis, nous notons que la frontière entre la sphère privée et la sphère publique est mince. L'intimité qui exprime d'ordinaire le retrait et le retour vers soi, témoigne chez les travellers d'une certaine publicité et d'un allant vers l'autre. Plus que dans tout autre habitat, le logement mobile est caractérisé par sa capacité à l'ouverture, permettant à la fois, l'isolement et la rencontre.

L'ouverture sur la question du confort a contribué à sa complexification au regard du logement mobile. Les travellers envisagent alors les bases élémentaires du confort et insistent sur les fonctions fondamentales. Être à l'abri du froid, pouvoir se restaurer et dormir confortablement font partie des piliers qui soutiennent l'état de confort et de bien-être intérieur. Or, le constat a également fait état de l'importance de l'environnement extérieur au véhicule aménagé. En effet, l'idée du confort chez les trave

llers est signifiante aussi bien dans l'agencement interne au véhicule aménagé, qu'au milieu auquel ils projettent de s'installer temporairement. Ainsi, le confort semble être absolu dès que l'espace investi offre les conditions nécessaires au bien-être pris extra-muros.

L'analyse des usages routiniers dans un habitat mobile participe d'ailleurs à la compréhension des compétences à habiter. A priori, les travellers mobilisent des compétences à habiter communes à tous, que l'on loge dans une résidence mobile ou un appartement. Ils reproduisent en quelque sorte les modèles culturels transmis par les normes sociétales. En ce sens, l'observation des pratiques habitantes des travellers a indiqué que leurs compétences restent à l'état de traces incorporées59.

59 Les traces incorporées sont comprises ici comme des habitus, au sens de Pierre Bourdieu.

Ainsi, croît-on déceler périodiquement d'autres manières d'habiter des travellers pour découvrir que ces personnes, installées dans la conjugalité, avec des enfants, habitent «traditionnellement ».

Néanmoins, l'expérience de la quotidienneté à habiter un véhicule aménagé montre l'existence de système réfléchi apparent, propre au logement ambulant. Autrement dit, les travellers démontrent la capacité, par exemple, à maîtriser les éléments qui les entourent. L'utilisation écologique et économique des ressources est ainsi de rigueur dans une habitation mobile. L'habitant a donc une utilisation raisonnée des énergies et des substances vitales. En ce sens, élire résidence principale dans un habitat mobile implique ainsi un mode de rationnement différent et une co nsommation pondérée des ressources.

C'est pourquoi, la mise en résidence mobile est une initiative sujette à controverses. En réalisant que ce choix est motivé par des mesures coercitives, force est de constater le faible degré d'autonomie des travellers. Nous constatons que cette formation est à la fois actrice et sujette de la mobilité. Indépendamment d'un désir apparent d'évasion et de liberté, la mobilité volontaire vécue et choisie comme mode de vie demeure déterminée par des incidences sociales. La non accession au logement standard et la précarité professionnelle que connaissent les travellers sont des causes transversales à l'enjeu d'habiter dans un véhicule aménagé. Aujourd'hui, il semble que cette population revendique ainsi le droit à l'instabilité spatiale et la reconnaissance de leur mode d'habiter.

C'est à l'issue de cette analyse que mon travail porte sur les permanences et les discontinuités sociopolitiques du mode de vie des travellers. Selon deux niveaux d'analyse, nous prenons acte, d'une part, du rapport des travellers à la société globale et à ses normes, et d'autre part, du tiraillement vécu entre mobilité et sédentarité. Au regard des activités festives des travellers, nous remarquons un décalage fort entre la société normative, refusant l'établissement des fêtes techno clandestines et la microsociété dans laquelle évolue les travellers. En effet, l'ambiance du refus qui domine ces festivités reflète une contestation mais une contestation non assumée puisque leur idéal n'est pas politique. Avec une vision quelque peu désespérée de la société, les travellers ne constituent pas un mouvement social, ni une organisation militante. Ils reflètent ainsi l'affiliation à une marginalité temporaire réalisée sans réserve dans ces zones festives devenues autonomes.

Le deuxième niveau d'analyse du mode de vie des travellers s'intéresse à l'imbroglio sociopolitique portant sur leur manière d'habiter. Au regard des différents constats socio juridiques, nous admettons que les travellers posent une question critique à la société. Force est de constater l'amalgame fait avec les gens du voyage et l'obscurité des normes en matière de logement ambulant, nous autorisons alors l'interrogation des travellers. À savoir, les normes instituantes de la société sont-elles capables d'envisager, de concevoir et d'accepter des modes d'habiter divers comme le véhicule aménagé en logis?

Tous ces constats amènent alors à réfléchir sur le sens que posent à la fois l'injonction à la mobilité, ici comprise comme mobilité flexible par le travail, et l'impératif à la sédentarité domiciliaire. Nous admettons sans difficulté que les travellers sont des mobiles flexibles, doués d'une compétence à l'adaptabilité professionnelle. En ce sens, l'injonction à la mobilité est quelque part le fer de lance de la volonté des travellers à l'instabilité spatiale et au désir d'évasion. D'autre part, l'exigence sociétale de la stabilisation des personnes par la mise en habitat traditionnel fixé, oppose les travellers à la société globale. L'injonction à la sédentarité domiciliaire semble ainsi être le fruit d'une forme de résistance chez les travellers. Au terme des réflexions menées sur cette injonction, nous admettons que les travellers, en s'adaptant à un mode d'habiter choisi sous contrainte, s'accommodent et revendiquent aujourd'hui leur droit à résider dans un habitat mobile.

Étudier les travellers comme prisme d'analyse de l'habitation mobile terrestre a déconstruit le paradoxe apparent né de la formule Habiter le nomadisme . Par l'analyse du mode de vie de ce groupe, j 'ai réalisé qu'ils aménagent leur existence sociale en fonction d'une mobilité flexible qui régit leurs activités professionnelles et en fonction d'une hostilité constatée envers l'exigence à habiter traditionnellement. Enfin, cette recherche se veut être une contribution à la compréhension de cette formation sociale mobile et hétérogène. En effet, au regard des travellers, nous pouvons faire état d'une pluralité d'identités dénotée par la singularité de ce groupe. Autrement dit, les travellers sont pluriels: ils recouvrent tout un ensemble d'identités différentes. Sous la qualification de travellers, il apparaît clairement que nous sommes face à des personnes diverses, d'origines sociales confondues aux activités disparates. Ils sont en ce sens des hommes pluriels, soit: «des hommes qui n'ont pas toujours vécu à l'intérieur d'un seul et unique univers socialisateur, qui ont donc traversé et fréquenté plus ou moins durablement des espaces de socialisation différente. L'homme pluriel est donc porteur de dispositions, d'abrégés d'expériences multiples [É]» (Lahire, 1988)

Au terme de ce constat, je réalise qu'une recherche plus approfondie aurait toute son importance. La pluralité apparente des travellers stimule ainsi toute ma volonté à entreprendre et à poursuivre l'investigation de cet objet d'étude. Par ailleurs, au cours de ce travail de recherche, je me suis rendue compte que mes propos sur les représentations de l'habitat mobile et sur le quotidien des travellers pourraient être appliqués à bien d'autres groupes sociaux mobiles. En ce sens, j'estime que ce travail est une étude de cas, une porte d'entrée sur l'analyse de l'habitation ambulante et qu'il peut être lu comme la base d'une enquête plus globale sur le logement mobile terrestre. Ainsi, l'étude du mode d'habiter des travellers semble loin d'être achevé et je porte alors toute mon ambition à suppléer ce mémoire d'un projet de thèse portant sur la pluralité des publics demeurant dans une résidence mobile.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe